ARTICLE 6§1 DE LA CONVENTION
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Rédigé par Frédéric Fabre docteur en droit.
ARTICLE 6§1 en ses termes compatibles
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement"
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- LA TENUE EFFECTIVE D'UNE AUDIENCE
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MOTIVATIONS REMARQUABLE DE LA CEDH
Sutter contre Suisse du 22 février 1984 Hudoc 168 requête 8209/78
26. La publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public; elle constitue aussi l’un des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 par. 1 (art. 6-1): le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (arrêts Pretto et autres du 8 décembre 1983, série A no 71, p. 11, par. 21, et Axen du 8 décembre 1983, série A no 72, p. 12, par. 25).
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LA TENUE EFFECTIVE D'UNE AUDIENCE
UNE AUDIENCE N'EST PAS TOUJOURS NÉCESSAIRE
EKER c. TURQUIE du 24 octobre 2017 requête n° 24016/05
Article 6-1 : Les questions de droit ne revêtaient pas de complexité particulière et les tribunaux internes devaient statuer d’une manière rapide, le fait que les juridictions internes aient forgé leur conviction après examen des pièces du dossier et sans la tenue d’une audience ne porte pas atteinte aux exigences de l’article 6 § 1 en matière d’oralité et de publicité
Article 10 : Sur l'obligation de publier un droit de réponse, dans une société démocratique, le droit de réponse constitue une garantie du pluralisme dans l’information dont le respect doit être assuré. La mesure de publication incriminée était proportionnée au but poursuivi, le requérant n’ayant pas été obligé de modifier le contenu de son article. Rien ne s’opposait par ailleurs à ce qu’il puisse publier à nouveau sa version des faits.
21. Le Gouvernement argue qu’au regard des éléments versés au dossier de l’affaire, il n’était pas nécessaire d’entendre le requérant aux fins d’assurer une procédure équitable. Cependant, il laisse l’appréciation de ce grief à la discrétion de la Cour.
22. Le requérant ne se prononce pas sur les arguments du Gouvernement.
23. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 de la Convention : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325‑A, B. et P. c. Royaume‑Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001‑III, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006‑VI, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 70, 5 février 2009, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 67, 17 décembre 2013).
24. La Cour rappelle aussi que l’obligation de tenir une audience publique n’est pas absolue (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A, et Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 41, CEDH 2006‑XIII). En effet, selon la jurisprudence établie de la Cour, dans une procédure se déroulant devant un premier et seul tribunal, le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de l’article 6 § 1, implique le droit à une « audience » à moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient de s’en dispenser (voir Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 47, CEDH 2002-V, Martinie, précité, § 41 et Pönkä c. Estonie, no 64160/11, § 31, 8 novembre 2016). Lorsque l’absence d’audience est une règle générale et absolue, sans que la possibilité ne soit offerte au requérant de solliciter la tenue de débats publics au regard des particularités de sa cause, alors des circonstances « tout à fait exceptionnelles » (par exemple la technicité d’opérations comptables) sont requises (Martinie, précité, § 42). L’article 6 de la Convention n’exige donc pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Tel est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008). Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans le cas d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 précité implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle des tribunaux, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 de la Convention même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30‑31, 28 février 2012).
25. La Cour observe que le droit de réponse fait partie intégrante du système juridique turc (paragraphes 14 et 15 ci-dessus), qui prévoit également une voie d’opposition pour les deux parties au litige, à savoir la presse et l’individu qui entend faire publier sa réponse (Oktar c. Turquie (déc), no 42876/05, 10 mai 2011).
26. En l’espèce, la Cour note que l’association qui avait été mise en cause par le requérant dans un éditorial, a saisi le juge de paix pour obtenir la publication de sa réponse rectificative. Conformément à l’article 14 de la loi no 5187 (paragraphe 15 ci-dessus), le requérant ne pouvait pas prendre part à la procédure qui s’ensuivit devant le juge de paix (paragraphes 9 et 10 ci-dessus). Cela étant, il a eu la possibilité de saisir le tribunal correctionnel d’un recours en opposition contre la décision du juge de paix (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour note en outre que le tribunal de paix et le tribunal correctionnel ont examiné respectivement la demande d’injonction introduite par l’association et le recours en opposition formé par le requérant sur dossier et sans tenir d’audience.
27. La Cour relève que la question qui devait être tranchée par les juridictions internes en l’espèce était celle de savoir si l’honneur et la dignité de l’association avait été entachées et donc si elle était en droit d’obtenir la publication de son droit de réponse. Les tribunaux internes devaient par la suite procéder à un examen portant sur le contenu du texte du droit de réponse pour s’assurer qu’il ne comporte pas d’élément infractionnel ou qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ainsi que sur sa forme pour s’assurer qu’il ne soit plus longue que l’article qu’il entend rectifier (paragraphe 15 ci-dessus).
28. La Cour estime que ces questions, qui nécessitent un examen textuel et technique sur le contenu et la forme de la réponse rectificative, pouvaient être examinées et tranchées de manière adéquate sur la base des observations et pièces présentées par les parties. La Cour considère donc que dans les circonstances de la présente affaire et étant donné la nature de la procédure, aucune question de crédibilité appelant un débat sur les éléments de preuve ou une audition contradictoire de témoins ne se posait en l’espèce. Elle note à cet égard que la procédure de droit de réponse se déroule indépendamment d’un éventuel procès ultérieur en diffamation au cours duquel le contrôle de véracité pourra être effectué dans le strict respect du principe de contradictoire. La procédure de droit de réponse vise, à ce stade, à assurer un équilibre entre la mise en cause d’une personne et le redressement que cette dernière sollicite.
29. La Cour observe par ailleurs que la procédure de droit de réponse, telle qu’elle est prévue par le droit turc, s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’urgence exceptionnelle. En effet, selon les dispositions de la loi no 5187, le juge de paix statue sur une demande d’injonction relative à la publication d’un droit de réponse dans un délai de trois jours et le tribunal correctionnel statue sur une opposition formée contre une décision d’injonction encore dans un délai de trois jours (paragraphe 15 ci-dessus). Par ailleurs, en l’espèce, le juge de paix a précisé qu’une opposition contre sa décision d’injonction devait être formée dans les trois jours suivant sa notification (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour constate donc que la célérité constitue une caractéristique essentielle de la procédure de droit de réponse rectificative. Elle rappelle à cet égard que pour certaines affaires il est légitime que les autorités nationales tiennent compte d’impératifs d’efficacité et d’économie (arrêt Schuler-Zgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, § 58, série A no 263).
30. La Cour estime que cette exigence de traitement rapide imposée aux juridictions internes, à l’endroit de la publication d’un droit de réponse rectificative, peut être considérée nécessaire et justifiable afin de permettre la contestation d’informations fausses parues dans la presse et pour assurer une pluralité d’opinions dans le cadre d’un échange d’idées dans un domaine d’intérêt général. Elle rappelle à cet égard que l’information est un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt (Kaos Gl c. Turquie, no 4982/07, § 50, 22 novembre 2016).
31. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère, qu’en l’espèce, dans le cadre de la procédure du droit de réponse rectificative où les questions de droit ne revêtaient pas de complexité particulière et où les tribunaux internes devaient statuer d’une manière rapide, le fait que les juridictions internes aient forgé leur conviction après examen des pièces du dossier et sans la tenue d’une audience ne porte pas atteinte aux exigences de l’article 6 § 1 en matière d’oralité et de publicité (Varela Assalino, précité).
32. Partant, en l’espèce, il n y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de l’absence d’audience devant les juridictions internes.
ARTICLE 10
40. Le Gouvernement argue que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, à savoir l’article 32 de la Constitution et l’article 14 de la loi sur la presse, et poursuivait le but légitime de protection de la réputation et des droits d’autrui. Il soutient de plus que la presse a le devoir de ne pas dépasser certaines limites. Selon lui, la publication du droit de réponse litigieux avait également pour but de permettre que différentes opinions puissent s’exprimer sur une même plateforme et ainsi permettre un juste équilibre entre les différents droits en cause. Il argue que cette publication répondait à un besoin social impérieux, était importante pour assurer une pluralité et pour permettre à l’association des journalistes de Sinop, qui alléguait avoir publiquement été insultée, de se faire entendre dans les mêmes conditions que le requérant.
41. Le requérant ne répond pas aux arguments du Gouvernement.
42. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression (voir, Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 124-125, 23 avril 2015, et Karácsony et autres c. Hongrie ([GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 132, CEDH 2016 (extraits)).
43. Elle rappelle que l’obligation de publier une réponse rectificative est un élément normal du cadre légal régissant l’exercice de la liberté d’expression par la presse écrite et qu’elle ne peut, en tant que telle, être considérée comme excessive ou déraisonnable (Kaperzyński c. Pologne, no 43206/07, § 66, 3 avril 2012, et Rusu c. Roumanie, no 25721/04, § 25, 8 mars 2016). En effet, le droit de réponse, en tant qu’élément important de la liberté d’expression, entre dans le champ d’application de l’article 10 de la Convention. Cela découle de la nécessité non seulement de permettre la contestation d’informations fausses, mais aussi d’assurer une pluralité d’opinions, en particulier dans des domaines d’intérêt général tels que le débat littéraire et politique (Melnitchouk, précité).
44. Toutefois, les restrictions et limitations du second paragraphe de l’article 10 s’appliquent pareillement à l’exercice de ce droit. Il convient de garder à l’esprit que l’obligation incombant à l’État de garantir la liberté d’expression de l’individu ne donne pas aux particuliers ou aux organisations un droit illimité d’accéder aux médias afin de promouvoir leurs opinions (ibidem).
45. La Cour rappelle en outre qu’en règle générale les journaux et autres médias privés doivent jouir d’un pouvoir « rédactionnel » discrétionnaire pour décider de publier ou non des articles, commentaires ou lettres émanant de particuliers. Dans des circonstances exceptionnelles on peut toutefois légitimement exiger d’un journal qu’il publie une rétractation, des excuses ou encore une décision de justice rendue dans une affaire de diffamation. Il existe donc des situations où l’État peut avoir une obligation positive d’assurer la liberté d’expression d’un individu dans de tels médias. En tout état de cause, l’État doit veiller à ce qu’un déni d’accès aux médias ne constitue pas une atteinte arbitraire et disproportionnée à la liberté d’expression d’un individu, et à ce que pareil déni puisse être dénoncé devant les autorités internes compétentes (ibidem).
46. La Cour note qu’en l’espèce l’association des journalistes de Sinop a saisi le tribunal de paix pour obtenir la publication de sa réponse rectificative par le requérant. Elle considère que la publication du texte de la réponse rectificative de cette association avait trait à l’exercice, par celle-ci, de sa liberté d’expression.
47. La Cour estime également que l’obligation faite au requérant de publier une réponse rectificative peut être considérée comme une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Elle observe en outre que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 32 de la Constitution et l’article 14 de la loi sur la presse, et poursuivait le but légitime de protéger la réputation et les droits d’autrui (paragraphes 14 et 15 ci-dessus). En effet, le droit de réponse vise à permettre à tout individu de se protéger contre certaines informations ou opinions diffusées par les moyens de communication de masse qui seraient de nature à porter atteinte à sa vie privée, son honneur et sa dignité (Ediciones Tiempo c. Espagne, no 13010/87, décision de la Commission du 12 juillet 1989, Décisions et rapports 62, p. 247).
48. Quant à la question de savoir si cette ingérence était nécessaire, la Cour rappelle que dans une société démocratique, le droit de réponse constitue une garantie du pluralisme dans l’information dont le respect doit être assuré (Ediciones Tiempo, précité). En l’espèce, elle relève que le requérant a dû publier un texte de l’association des journalistes de Sinop, qui répondait aux critiques formulées contre ses dirigeants. Le texte de ce droit de réponse comportait un exposé du fonctionnement de l’association et du travail effectué par ses membres et apportait des réponses aux questions soulevées par le requérant dans son éditorial. Il contenait également une critique du requérant et des sous-entendus quant à son intégrité professionnelle (paragraphe 13 ci-dessus).
49. Cela étant, la Cour observe que les instances nationales saisies estimèrent que le texte litigieux portait sur l’éditorial du requérant et ne contenait pas d’éléments infractionnels. À cet égard, la Cour rappelle que dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions de la Convention invoquées (Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 90, CEDH 2015 (extraits)).
50. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour estime que les juridictions internes peuvent être considérées comme ayant ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant à la liberté d’expression et celui de l’association mise en cause à la protection de sa réputation. En effet, si le texte de la réponse rectificative comportait des allusions qui pouvaient être désobligeantes pour le requérant, la Cour considère qu’il ne dépassait pas pour autant les limites de la critique admissible. Le ton employé était par ailleurs sensiblement proche de celui que le requérant avait lui-même utilisé dans son éditorial.
51. La Cour souligne en outre que la mesure de publication incriminée était proportionnée au but poursuivi, le requérant n’ayant pas été obligé de modifier le contenu de son article. Rien ne s’opposait par ailleurs à ce qu’il puisse publier à nouveau sa version des faits.
52. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention en l’espèce.
LE CSM PORTUGUAIS ET LE CONTRÔLE LÉGER DE LA JURIDICTION SUPRÊME
GRANDE CHAMBRE AMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL du 6 novembre 2018 requêtes 55391/13, 57728/13 et 74041/13
Violation de l'article 6-1 pour manque d'audience devant le CSM du Portugal. La Grande Chambre confirme l'arrêt de chambre :
"214. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce – compte tenu notamment du contexte particulier des procédures disciplinaires, qui étaient dirigées contre une juge, de la gravité des sanctions, du fait que les garanties procédurales devant le CSM étaient restreintes et de la nécessité d’apprécier des éléments factuels touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins et constituant des points décisifs – le cumul des deux éléments que sont, d’une part, l’insuffisance du contrôle juridictionnel opéré par la section du contentieux de la Cour suprême et, d’autre part, l’absence d’audience tant au stade de la procédure disciplinaire qu’à celui du contrôle juridictionnel a eu pour conséquence que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans le respect des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
Dans ces conditions, il n’y a donc pas lieu d’examiner les deux autres aspects du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême, à savoir le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles et celui des sanctions disciplinaires infligées (paragraphes 201-202 ci-dessus)."
i. Principes généraux
α) L’étendue du contrôle juridictionnel
176. La Cour rappelle que, pour qu’un « tribunal » puisse décider d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil en conformité avec l’article 6 § 1 de la Convention, il faut qu’il ait compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil 1996‑VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005).
177. Tant la Commission que la Cour ont admis dans leur jurisprudence que l’exigence selon laquelle une cour ou un tribunal doit disposer de la « plénitude de juridiction » sera satisfaite s’il est établi que l’organe en question est doté de compétences d’une « étendue suffisante » ou exerce un « contrôle juridictionnel suffisant » pour traiter l’affaire en cause (Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, § 152, 21 juillet 2011, et les affaires qui y sont citées). L’exigence relative à la plénitude de juridiction a reçu ainsi une définition autonome à la lumière de l’objet et du but de la Convention et qui ne dépend pas nécessairement de la qualification retenue en droit interne.
178. Pour adopter cette démarche, les organes de la Convention ont pris en compte le fait que fréquemment, dans les systèmes de contrôle des décisions administratives en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’étendue du contrôle juridictionnel de l’établissement des faits est limitée et la nature même des procédures de contrôle implique que les autorités compétentes se bornent à vérifier les procédures antérieures au lieu de prendre de nouvelles décisions d’ordre factuel. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le rôle de l’article 6 n’est pas, en principe, de garantir l’accès à un tribunal qui pourrait substituer sa propre appréciation ou son propre avis à ceux des autorités administratives. À cet égard, la Cour a en particulier souligné le respect dû aux décisions prises par l’administration sur des questions d’opportunité qui souvent ont trait à des domaines spécialisés du droit (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 153, et les affaires qui y sont citées).
179. Afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante, la Cour a jugé qu’elle devait prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet de la décision attaquée, plus particulièrement le point de savoir si celle-ci a trait à une question spécialisée exigeant des connaissances ou une expérience professionnelles ou si, et dans quelle mesure, elle implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; b) la méthode suivie pour parvenir à cette décision et, en particulier, les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure devant l’autorité administrative ; et c) la teneur du litige, y compris les moyens de recours, tant souhaités que réellement développés (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 154, Tsanova-Gecheva, précité, § 98, et les affaires qui y sont citées, à savoir, notamment, Bryan c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 45, série A no 335-A, et Galina Kostova, précité, § 59).
180. Lorsqu’elle recherche si le dispositif législatif dans son ensemble permet un contrôle adéquat des faits, la Cour doit aussi tenir compte de la nature et des objectifs de ce dispositif. En effet, en ce qui concerne les recours administratifs, la question de savoir si l’étendue du contrôle juridictionnel a été suffisante dépend non seulement de la nature discrétionnaire ou technique de l’objet de la décision attaquée et de l’aspect particulier que le requérant entend présenter devant les tribunaux comme étant le point central pour lui mais aussi, plus généralement, de la nature des « droits et obligations de caractère civil » en jeu et de la nature des objectifs de la politique poursuivie par la législation sous-jacente (Fazia Ali c. Royaume-Uni, no 40378/10, § 84, 20 octobre 2015).
181. Le point de savoir si un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été effectué dépendra donc des circonstances de chaque affaire : la Cour doit dès lors se borner autant que possible à examiner la question soulevée par la requête dont elle est saisie et à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le contrôle opéré était adéquat (Sigma Radio Television Ltd, précité, § 155, et Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, § 54, CEDH 2001-X).
182. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner des cas dans lesquels les juridictions nationales n’ont pas été en mesure ou ont refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo, précité, § 48, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50-55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005-XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).
L’affaire Tsfayo relève de cette catégorie. Dans cette affaire, non seulement l’organe dont la décision était soumise au contrôle juridictionnel était dépourvu d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif mais encore il présentait un lien direct avec l’une des parties au litige (Tsfayo, précité, § 47). La Cour a considéré que l’indépendance de jugement quant à l’établissement d’un fait essentiel risquait d’être atteinte d’une manière ne pouvant être correctement examinée ou rectifiée dans le cadre du contrôle juridictionnel. Étant donné que le tribunal en cause n’était pas compétent pour procéder à un nouvel examen des preuves et que, dès lors, il n’avait pas pu statuer sur une question de fait cruciale, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 au motif que la question centrale n’avait pas été tranchée par un tribunal indépendant des parties au litige. Autrement dit, dans cette affaire, l’impossibilité de réexaminer une question de fait décisive avait empêché l’instance d’appel de remédier à l’absence d’indépendance par rapport à l’une des parties au litige constatée en première instance.
183. La Cour a été amenée également à examiner des affaires dans lesquelles le tribunal ne jouissait pas de la plénitude de juridiction au sens de la législation nationale en tant que telle, mais avait examiné point par point les arguments des requérants soulevés dans leurs moyens d’appel sans se voir contraint de se déclarer incompétent pour y répondre ou pour contrôler les constats de fait ou de droit établis par les autorités administratives. Dans ces affaires, elle s’est attachée à analyser l’intensité du contrôle opéré par les juridictions internes sur la discrétion exercée par l’administration (voir, par exemple, Tsanova-Gecheva, précité, §§ 101-105, Bryan, précité, §§ 43-47, Potocka et autres, précité, §§ 55-59, Sigma Radio Television Ltd, précité, §§ 158-169, Galina Kostova, précité, §§ 61-66, et, sous le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, §§ 63-64, 27 septembre 2011).
184. De plus, la Cour a jugé, en règle générale, inhérent à la notion de contrôle juridictionnel que, si un moyen d’appel est considéré comme valable, la juridiction procédant au contrôle doit pouvoir annuler la décision attaquée et rendre elle-même une nouvelle décision ou renvoyer l’affaire devant le même organe ou un organe différent (Kingsley c. Royaume-Uni [GC] no 35605/97, §§ 32 et 34, CEDH 2002‑IV, et Oleksandr Volkov, précité, § 125).
185. L’article 6 veut par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à obtenir une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi beaucoup d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).
186. La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, entre autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‐I).
β) L’audience publique
187. La Cour rappelle d’emblée que le droit à une audience n’est pas lié exclusivement à la question de savoir si la procédure implique l’audition de témoins qui seront entendus oralement. Il est également important pour le justiciable de bénéficier de la possibilité d’exposer oralement ses prétentions devant les juridictions internes (Göç, précité, § 48). Ainsi, le droit à une audience est l’un des éléments qui sous-tendent le principe de l’égalité des armes entre les parties à la procédure (voir, mutatis mutandis, Margaretić c. Croatie, no 16115/13, §§ 127-128, 5 juin 2014).
188. La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence établie, dans une procédure se déroulant devant un premier et seul tribunal, le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de l’article 6 § 1, implique le droit à une « audience » à moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient de s’en dispenser (Göç, précité, § 47).
189. De plus, dans l’affaire Martinie c. France [GC] (no 58675/00, §§ 39-42, CEDH 2006-VI), la Cour a résumé ainsi les principes pertinents :
« 39. La Cour rappelle que la publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (voir, parmi de très nombreux autres, l’arrêt Axen c. Allemagne du 8 décembre 1983, § 25, série A no 72).
40. Le droit à voir sa cause entendue publiquement implique celui d’une audience publique devant le juge du fond (voir, notamment, mutatis mutandis, les arrêts Fredin c. Suède (no 2), du 23 février 1994, § 21, série A no 283-A, et Fischer c. Autriche, du 26 avril 1995, § 44, série A no 312). L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (voir, par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, § 34, série A no 325-A).
41. Par ailleurs, la Cour a jugé que des circonstances exceptionnelles, tenant à la nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procédure dont il s’agit (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Miller c. Suède, no 55853/00, § 29, 8 février 2005), peuvent justifier de se dispenser d’une audience publique (voir en particulier l’arrêt Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 47, CEDH 2002-V) (...) Il y a lieu cependant de souligner que, dans la plupart des affaires concernant une procédure devant des juridictions « civiles » statuant au fond dans lesquelles elle est arrivée à cette conclusion, le requérant avait eu la possibilité de solliciter la tenue d’une audience publique.
42. La situation est quelque peu différente lorsque, tant en appel le cas échéant qu’en première instance, une procédure « civile » au fond se déroule à huis clos en vertu d’une règle générale et absolue, sans que le justiciable ait la possibilité de solliciter une audience publique au moyen des particularités de sa cause. Une procédure se déroulant ainsi ne saurait en principe passer pour conforme à l’article 6 § 1 de la Convention (voir par exemple les arrêts Diennet et Göç, précités) : sauf circonstances tout à fait exceptionnelles, le justiciable doit au moins avoir la possibilité de solliciter la tenue de débats publics, le huis clos pouvant alors cependant lui être opposé, au regard des circonstances de la cause et pour les motifs suscités. »
190. S’agissant des circonstances exceptionnelles susmentionnées qui peuvent justifier de se dispenser d’une audience, la Cour a identifié les cas suivants :
– quand une audience n’est pas rendue nécessaire par l’existence de questions de crédibilité ou de faits contestés, et que les tribunaux peuvent équitablement et raisonnablement trancher l’affaire sur la base du dossier (Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, et Saccoccia c. Autriche, no 69917/01, § 73, 18 décembre 2008) ;
– quand les affaires soulèvent des questions purement juridiques et de portée restreinte (Allan Jacobsson c. Suède (no 2), 19 février 1998, § 49, Recueil 1998‑I, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 29-31, 28 février 2012) ou des questions de droit sans complexité particulière (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002, et Speil c. Autriche (déc.), no 42057/98, 5 septembre 2002) ;
– quand les affaires portent sur des questions hautement techniques. La Cour a ainsi tenu compte du caractère technique des litiges relatifs aux allocations de sécurité sociale, qui se prêtent mieux à une procédure écrite qu’à des débats oraux. Elle a jugé à plusieurs reprises que, dans ce domaine, les autorités nationales pouvaient, compte tenu d’impératifs d’efficacité et d’économie, s’abstenir de tenir une audience, l’organisation systématique de débats pouvant constituer un obstacle à la diligence particulière requise en matière de sécurité sociale (Schuler-Zgraggen, § 58, et Döry, § 41, arrêts précités).
191. En revanche, la Cour a jugé que la tenue d’une audience est nécessaire :
– lorsqu’il faut apprécier si les faits ont été correctement établis par les autorités (Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, § 60, 12 juillet 2001) ;
– lorsque les circonstances commandent que le tribunal se fasse sa propre impression du justiciable et donne à celui-ci a la possibilité d’expliquer sa situation personnelle, en personne ou par l’intermédiaire de son représentant (Göç, précité, § 51 ; Miller, précité, § 34 in fine, et Andersson c. Suède, no 17202/04, § 57, 7 décembre 2010) ;
– lorsque le tribunal doit obtenir, notamment par ce moyen, des précisions sur certains points (Fredin c. Suède (no 2), 23 février 1994, § 22, série A no 283‑A, et Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 39, 12 novembre 2002).
192. La Cour a déjà examiné la question de savoir s’il peut être remédié à l’absence d’une audience publique devant la juridiction inférieure par l’organisation d’une audience publique au stade de l’appel. Dans un certain nombre d’affaires, elle a jugé que le fait qu’une procédure devant la cour d’appel se soit tenue en public ne peut compenser l’absence d’une audience publique aux échelons inférieurs lorsque la portée de la procédure d’appel est limitée, en particulier lorsque la cour d’appel ne peut se pencher sur le bien-fondé de la cause, c’est-à-dire, notamment, si elle n’est pas en mesure de contrôler les faits et de se livrer à une appréciation de la proportionnalité entre la faute et la sanction (voir, par exemple, en matière disciplinaire, Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 60, Albert et Le Compte, précité, § 36, Diennet, précité, § 34, et Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 42, Recueil 1998-III).
Si, en revanche, la juridiction d’appel est dotée de la pleine juridiction, l’absence d’une audience à un échelon inférieur peut être corrigée devant cette juridiction (voir par exemple, Malhous, précité, § 62, et, en matière disciplinaire, A. c. Finlande (déc.), no 44998/98, 8 janvier 2004, et Buterlevičiūtė c. Lituanie, no 42139/08, §§ 52-54, 12 janvier 2016).
ii. Application de ces principes au cas d’espèce
193. Comme mentionné ci-dessus (voir paragraphe 134 ci-dessus), la Cour examinera de façon combinée les griefs que la requérante tire de l’étendue selon elle insuffisante du contrôle effectué par la section du contentieux de la Cour suprême et de l’absence d’audience publique, car ces griefs sont intimement liés.
194. Pour déterminer si la section du contentieux de la Cour suprême jouissait de la plénitude de juridiction au sens de la jurisprudence des organes de la Convention, la Cour tiendra compte des compétences de cette instance et des éléments de sa jurisprudence, tels que rappelés aux paragraphes 179 et suivants ci-dessus.
α) L’objet des décisions du CSM
195. L’objet des décisions litigieuses du CSM (paragraphe 179 a) ci‑dessus), que la requérante a contestées par des recours constituant en droit portugais, à l’époque des faits, des actions administratives spéciales (ação administrativa especial, paragraphes 64 et 80 ci-dessus), était la question de savoir si la requérante avait manqué à ses obligations professionnelles. Il est indéniable que pour répondre à cette question, le CSM devait exercer son pouvoir discrétionnaire. Cette autorité est spécialement chargée en vertu de la Constitution (paragraphe 70 ci-dessus) d’assurer la gestion autonome de la magistrature, en particulier la gestion disciplinaire des juges, dans l’objectif plus général de garantir l’indépendance de la justice (voir, mutatis mutandis, Tsanova-Gecheva, précité, § 100, quant au pouvoir qu’a le Conseil supérieur de la magistrature bulgare de nommer le président d’une juridiction). La Cour reconnaît dès lors l’importance particulière des responsabilités que la Constitution confie au CSM, dans un domaine primordial du point de vue de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs. En effet, il incombe à cet organe spécialement conçu pour interpréter et appliquer les normes qui régissent le comportement des magistrats en matière disciplinaire de contribuer au bon fonctionnement de la justice. Cependant, en l’espèce, l’appréciation des faits et le contrôle des sanctions disciplinaires infligées n’exigeaient pas nécessairement d’avoir des connaissances spécialisées ou une expérience professionnelle particulière, mais pouvaient relever de la compétence de toute juridiction. Il ne s’agissait pas d’un exercice classique du pouvoir discrétionnaire administratif dans un domaine spécialisé du droit (voir, a contrario, Sigma Radio Television Ltd, précité, § 161).
196. Ensuite, la Cour observe que les décisions du CSM ont été contestées par des recours administratifs formés devant la section du contentieux de la Cour suprême. Elle considère en premier lieu que le contrôle d’une décision imposant une sanction disciplinaire diffère du contrôle d’une décision administrative ne comportant pas un tel aspect punitif. En second lieu, elle note que le contentieux disciplinaire en question visait en l’espèce une juge. À cet égard, elle souligne que même si elles n’entrent pas dans le champ d’application du volet pénal de l’article 6, les sanctions disciplinaires peuvent néanmoins avoir de lourdes conséquences sur la vie et la carrière des juges. Les faits reprochés à la requérante étaient susceptibles de conduire à sa révocation ou à sa suspension, c’est-à-dire à des sanctions très graves ayant un caractère infamant (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 122, 4 mars 2014). Conformément aux principes généraux exposés ci-dessus et compte tenu des objectifs de la politique poursuivie par la législation applicable en la matière (paragraphe 180 ci-dessus), la Cour considère que le contrôle juridictionnel exercé doit être adapté à l’objet du litige, c’est-à-dire en l’espèce au caractère disciplinaire des décisions administratives en question. Cette considération vaut a fortiori pour des procédures disciplinaires dirigées contre des juges, ceux-ci devant jouir du respect nécessaire à l’exercice de leurs fonctions. Lorsqu’un État membre engage une telle procédure disciplinaire, ce qui est en jeu c’est la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire, confiance qui, dans un État démocratique, garantit l’existence même de l’état de droit. Par ailleurs, la Cour a souligné l’importance croissante qui s’attache à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313, Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 86, 26 février 2009, et les arrêts précités Stafford, § 78, Kleyn, § 193, et Baka, §165).
β) La procédure menée devant le CSM (l’instance disciplinaire)
197. En ce qui concerne la méthode suivie par le CSM pour parvenir à ses décisions (paragraphe 179 b) ci-dessus), la Cour rappelle d’emblée que le CSM, comme autorité disciplinaire, est un organe non-juridictionnel, ce dont témoigne entre autres sa composition (paragraphes 26, 41, 59, 68, 70 et 131 ci-dessus). En ce qui concerne les garanties procédurales appliquées par cet organe, elle est prête à admettre que, comme le soutient le Gouvernement, la procédure menée en l’espèce a permis à la requérante de présenter des éléments pour sa défense. En effet, l’acte d’accusation dressé par le juge instructeur a été communiqué à l’intéressée (paragraphes 16, 19, 37 et 52 ci-dessus) et celle-ci a déposé des mémoires en réponse (paragraphes 17, 21, 37 et 53 ci‑dessus). Elle a également eu connaissance du rapport final, et elle a disposé d’un certain délai pour présenter d’éventuelles observations, même si celles-ci ont été examinées par le même juge instructeur (paragraphes 17, 39 et 57 ci-dessus).
198. En revanche, en dépit du fait que la requérante pouvait se voir infliger des sanctions très sérieuses (paragraphe 196 ci-dessus), la procédure devant l’assemblée plénière du CSM était écrite et la requérante n’a pu participer aux réunions tenues par celle-ci dans aucune des trois procédures qui la concernaient : en vertu de la législation nationale, ces réunions n’étaient ouvertes ni à la personne faisant l’objet de la procédure ni au public. En effet, d’une part, comme le Gouvernement le reconnaît, le CSM n’est pas autorisé par la loi à tenir d’audiences publiques et, d’autre part, il a, dans la troisième procédure, rejeté la demande de la requérante tendant à la tenue d’une audience publique, notamment au motif qu’aucune base légale ne prévoyait que la cause fût entendue publiquement devant son assemblée plénière (paragraphe 56 ci-dessus). La requérante n’a pas non plus eu la possibilité d’exposer oralement sa thèse, que ce soit sur les questions de fait et les sanctions ou sur les différentes questions de droit. De plus, la formation plénière du CSM n’a pas entendu les témoins alors qu’étaient en jeu non seulement la crédibilité de la requérante mais aussi celle de témoins cruciaux, en particulier l’inspecteur judiciaire H.G. ou le juge instructeur F.M.J. Dans ces conditions, la Cour considère que le CSM n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire sur une base factuelle adéquate.
γ) La procédure menée devant la section du contentieux de la Cour suprême (l’instance juridictionnelle)
199. En ce qui concerne ensuite la teneur du litige, ou plus précisément la procédure menée devant l’instance juridictionnelle – en l’occurrence la section du contentieux de la Cour suprême – et le contrôle exercé par celle‑ci (paragraphe 179 c) ci-dessus), la Cour souligne qu’il convient d’opérer une distinction entre différents aspects du contrôle juridictionnel des décisions disciplinaires. Ainsi, elle doit tenir compte, d’une part, des questions sur lesquelles a porté le contrôle de la juridiction interne compétente et, d’autre part, de la méthode adoptée par celle-ci pour procéder à ce contrôle, en abordant la question du droit à une audience. Elle doit ensuite prendre en considération le pouvoir décisionnel qu’avait le tribunal en question lors de la clôture de l’affaire soumise à son contrôle ainsi que la motivation des décisions adoptées.
200. La Cour souligne que, s’agissant ici de l’application de l’article 6 de la Convention, il ne lui appartient pas de rechercher si les décisions de sanctionner la requérante prises par le CSM étaient régulières en droit interne. Sa tâche consiste uniquement à vérifier que la Cour suprême a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante quant aux procédures disciplinaires engagées devant le CSM contre la requérante en sa qualité de juge.
- Les questions soumises au contrôle juridictionnel
201. Il faut avant tout définir les questions matérielles sur la base desquelles la Cour devra vérifier que le contrôle effectué par la haute juridiction a été suffisant.
En premier lieu, comme la chambre l’a souligné, la requérante n’a cessé, dans ses recours devant la Cour suprême, de contester les faits qui lui étaient reprochés par le CSM (voir, mutatis mutandis, Tsfayo, précité, § 46, et Družstevní záložna Pria et autres c. République tchèque, no 72034/01, § 112, 31 juillet 2008).
En deuxième lieu, la Cour note que dans chacune des procédures, les sanctions disciplinaires qui ont été infligées à la requérante étaient fondées sur la conclusion que celle-ci avait manqué à ses obligations professionnelles en tant que juge. La qualification de la conduite professionnelle de la requérante constituait dès lors une question cruciale dans le cadre des procédures qui devaient faire l’objet d’un contrôle par la Cour suprême.
En troisième lieu, dans la mesure où la requérante se plaignait devant la section du contentieux de la Cour suprême que les sanctions qui lui avaient été infligées dans chacune des procédures aient été disproportionnées, la Cour rappelle qu’une juridiction ne peut être considérée comme jouissant de la plénitude de juridiction que si elle a le pouvoir d’apprécier la proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée (Diennet, précité, § 34, et Mérigaud c. France, no 32976/04, § 69, 24 septembre 2009).
202. Il s’ensuit que la Cour doit tout d’abord vérifier si la section du contentieux de la Cour suprême a procédé à un contrôle suffisant de l’établissement des faits. Le cas échéant, elle examinera les deux autres aspects du contrôle, à savoir d’une part le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles, et d’autre part le contrôle des sanctions disciplinaires infligées.
203. En ce qui concerne l’établissement des faits, la Cour relève que, dans le contexte particulier d’une procédure disciplinaire les points de fait revêtent, à l’égal des questions juridiques, une importance déterminante pour l’issue d’une procédure relative à « des droits et obligations de caractère civil » (voir, mutatis mutandis, Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 51 in fine). Elle estime que l’établissement des faits est d’autant plus important lorsqu’il s’agit de procédures impliquant l’imposition de sanctions, notamment de sanctions disciplinaires à l’égard de juges, ceux-ci devant jouir du respect nécessaire à l’accomplissement de leurs fonctions, de manière à assurer la confiance du public dans le fonctionnement et l’indépendance du pouvoir judiciaire (paragraphe 196 ci‑dessus).
En l’espèce, les éléments factuels constituaient des points décisifs dans le cadre des procédures concernant la requérante, ils ne revêtaient pas un simple caractère secondaire par rapport aux questions relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration. La requérante niait avoir traité le juge H.G. de « menteur » et affirmait que, lors de son entretien avec le juge F.M.J., elle n’avait pas demandé à celui-ci de ne pas engager de poursuites contre le témoin qu’elle avait cité. À cet égard, il y a lieu de noter que la question de l’établissement des faits avait fait controverse parmi les membres du CSM (paragraphe 26 ci-dessus). Comme la chambre, la Grande Chambre qualifie ces éléments de « faits décisifs ». Les faits reprochés à la requérante étaient susceptibles de conduire à sa révocation ou à sa suspension, c’est-à-dire à des sanctions très graves ayant un caractère infamant (paragraphe 196 ci-dessus), qui étaient de nature à avoir des conséquences irréversibles sur sa vie et sa carrière, et ils ont effectivement abouti à l’infliction d’une sanction disciplinaire de deux cent quarante jours de suspension, même si en pratique cette suspension n’a duré que cent jours (paragraphes 67 et 69 ci-dessus).
- La méthode de contrôle juridictionnel
204. En ce qui concerne l’étendue du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême sur l’établissement des faits, la Cour note que ladite section a pris soin de rappeler en détail les compétences de contrôle en matière disciplinaire que lui conférait le droit portugais, y compris sa propre jurisprudence (paragraphes 29 et 45 ci-dessus). Elle a précisé expressément qu’elle ne jouissait pas de la plénitude de juridiction en la matière mais qu’elle était seulement appelée à contrôler la légalité des décisions contestées. En particulier, elle a souligné qu’elle n’était pas compétente pour « recueillir les éléments de preuve (aquisição da matéria instrutória) ou pour établir les faits importants en cause » (paragraphe 29 ci‑dessus).
Il apparaît donc que compte tenu des limites que lui imposaient à la fois la législation et sa propre jurisprudence, la section du contentieux de la Cour suprême n’était pas compétente pour examiner les points décisifs de la procédure, à savoir le contenu des conversations que la requérante avaient eues avec l’inspecteur judiciaire H.G. d’une part, et avec le juge F.M.J. d’autre part. Elle ne pouvait qu’ « examiner les contradictions, les incohérences, ainsi que l’insuffisance des preuves et les erreurs manifestes dans l’appréciation qui en est faite, pour autant que ces vices soient évidents » (voir paragraphe 29 ci-dessus). Sa propre jurisprudence définissait l’« erreur manifeste » comme une « erreur non seulement grave (grossière, parce que manifestement contraire à la raison ou au bon sens ou à la vérité ou mettant en évidence des connaissances mal définies) mais aussi flagrante (manifeste) » (paragraphe 81 ci-dessus).
205. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour doit déterminer si le contrôle de la légalité de l’établissement des faits – contrôle qui était crucial pour l’issue de la procédure – a été suffisant aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention.
206. Elle note tout d’abord que l’appréciation des faits impliquait l’examen de questions touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins. Or, s’étant déclarée incompétente pour procéder à un réexamen des faits et des preuves, même sur la base des pièces du dossier qui lui avait été transmis, la section du contentieux de la Cour suprême n’a par conséquent pas accueilli la demande de la requérante tendant à la tenue d’une audience publique (paragraphe 64 ci-dessus). Pour la Cour, la controverse sur les faits et les répercussions des sanctions disciplinaires sur la réputation de la requérante exigeaient en l’espèce de la section du contentieux de la Cour suprême qu’elle effectuât un contrôle suffisamment poussé pour lui permettre d’une part, de déterminer, par exemple, si la requérante avait tenu certains propos lors de sa conversation téléphonique avec l’inspecteur judiciaire H.G. ou lors de l’entretien qu’elle avait eu à huis clos avec le juge instructeur F.M.J. et, d’autre part, de se forger sa propre opinion sur la requérante en donnant à celle-ci la possibilité d’exposer oralement sa version de la situation (voir, mutatis mutandis, Malhous, § 60, Göç, § 51, Miller, § 34 in fine, Olujić, § 80, et Andersson, § 57 – tous précités).
207. Le Gouvernement ayant argué que le caractère limité des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême en matière d’établissement des faits et d’appréciation des preuves rendait inutile la tenue d’une audience (paragraphe 173 ci-dessus), la Cour doit examiner la question de la nécessité de tenir une audience publique en l’espèce. Elle rappelle à cet égard qu’aucune audience n’a été tenue devant le CSM (paragraphe 198 ci‑dessus), et que la section du contentieux de la Cour suprême a été le premier et le seul organe judiciaire à examiner les recours formés par la requérante contre les décisions de celui-ci.
208. La requérante affirme que le CSM et la section du contentieux de la Cour suprême ne tiennent jamais d’audience publique dans les procédures à caractère disciplinaire (paragraphe 168 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle que, nonobstant la technicité de certains débats, en fonction de l’enjeu de la procédure, le contrôle du public peut apparaître comme une condition nécessaire aussi bien à la transparence qu’à la garantie du respect des droits du justiciable. Certes, elle a déjà considéré qu’une procédure disciplinaire se déroulant dans le secret avec l’accord de l’intéressé n’est pas contraire à la Convention (Le Compte, Van Leuven et De Meyere, précité, § 59). Cependant, en l’espèce, la requérante réclamait une audience publique. Elle aurait donc dû avoir la possibilité d’obtenir la tenue d’une audience publique devant un organe doté de la plénitude de juridiction au sens de la Convention (voir, par exemple, Martinie, précité, §§ 43-44, et Vernes c. France, no 30183/06, § 32, 20 janvier 2011). Une telle audience aurait permis une confrontation orale entre les parties (voir, mutatis mutandis, dans un contexte pénal, Grande Stevens et autres, précité, § 123).
209. Le CSM n’ayant pas tenu d’audience, il faut déterminer si la requérante avait la possibilité de demander un procès public devant la section du contentieux de la Cour suprême. Le Gouvernement admet que la tenue d’une audience publique n’est pas une pratique habituelle devant cette section, mais il affirme que, selon le droit national, la requérante avait la possibilité de demander une telle audience (paragraphes 76 et 174 ci‑dessus).
L’intéressée a effectivement sollicité la tenue d’une audience, dans la troisième procédure, en invoquant l’article 91 § 2 du CPTA (paragraphe 61 ci-dessus). La section du contentieux de la Cour suprême, à laquelle il appartenait de se prononcer sur la question de savoir si pareille mesure était nécessaire, n’a pas déclaré cette demande irrecevable pour défaut de base légale, comme l’avait fait le CSM, mais elle l’a néanmoins rejetée, par un refus motivé, en invoquant la portée de sa compétence et le défaut de pertinence, selon elle, des preuves que la requérante entendait faire examiner (Jussila, précité, § 48, et paragraphes 64 et 76 ci-dessus).
210. La Cour suprême ayant rejeté la demande d’audience formée par la requérante, la Cour doit vérifier s’il existait des circonstances exceptionnelles, tenant à la nature des questions soulevées dans le cadre des procédures en cause, susceptibles de justifier cette absence d’audience (paragraphe 188 ci-dessus). Compte tenu de leur enjeu, à savoir les conséquences des sanctions éventuelles sur la vie et la carrière des intéressés et leur impact de nature patrimoniale, la Cour considère que, dans les procédures disciplinaires, l’absence d’audience orale devrait être exceptionnelle et dûment justifiée à la lumière de la jurisprudence des organes de la Convention.
211. En l’occurrence, les procédures en cause ne portaient pas sur des questions purement juridiques de portée restreinte ou encore sur des questions hautement techniques pouvant être réglées de manière satisfaisante sur la seule base du dossier. Tout au contraire, les recours formés par la requérante concernaient d’importantes questions de droit et de fait (paragraphe 206 ci-dessus). Même si la Cour suprême considérait qu’elle n’avait pas pour tâche de réexaminer les éléments de preuve, il lui incombait néanmoins de vérifier si la base factuelle sur laquelle reposaient les décisions du CSM était suffisante pour étayer les conclusions auxquelles celui-ci était parvenu. Or, en pareil cas, il ne faut pas sous-estimer l’importance pour les parties de bénéficier d’une audience contradictoire devant l’organe qui opère le contrôle juridictionnel (voir, mutatis mutandis, Margaretić, précité, § 128). En l’espèce, une telle audience aurait permis un contrôle plus approfondi des faits, qui faisaient l’objet d’une controverse.
- Les pouvoirs décisionnels
212. La Cour rappelle que la propre jurisprudence de la section du contentieux de la Cour suprême l’empêchait (voir notamment les paragraphes 29 et 81 ci-dessus), de substituer son appréciation à celle de l’organe disciplinaire. Néanmoins, la section du contentieux avait le pouvoir d’annuler une décision en tout ou en partie en cas « d’erreur grossière manifeste », en particulier s’il était établi que le droit matériel ou les exigences procédurales d’équité n’avaient pas été respectés dans la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision. Elle pouvait ainsi renvoyer le dossier au CSM afin que celui-ci se prononçât de nouveau en respectant les directives qu’elle aurait pu formuler quant aux irrégularités éventuellement constatées (voir, a contrario, Oleksandr Volkov, précité, §§ 125-126, et Kingsley, précité, § 32).
- La motivation des décisions de la Cour suprême
213. Enfin, la Cour considère que la section du contentieux de la Cour suprême, statuant dans la limite de ses compétences telles que définies par la législation nationale et par sa propre jurisprudence, a indiqué de manière suffisante les motifs sur lesquels étaient fondées ses décisions, en répondant à chaque moyen de recours de la requérante. Toutefois, l’absence d’une audience portant sur les éléments factuels décisifs, justifiée par la section du contentieux de la Cour suprême eu égard au caractère limité de ses pouvoirs, l’a empêchée d’inclure dans son raisonnement des considérations sur l’appréciation de ces questions.
δ) Conclusion
214. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce – compte tenu notamment du contexte particulier des procédures disciplinaires, qui étaient dirigées contre une juge, de la gravité des sanctions, du fait que les garanties procédurales devant le CSM étaient restreintes et de la nécessité d’apprécier des éléments factuels touchant à la crédibilité de la requérante et des témoins et constituant des points décisifs – le cumul des deux éléments que sont, d’une part, l’insuffisance du contrôle juridictionnel opéré par la section du contentieux de la Cour suprême et, d’autre part, l’absence d’audience tant au stade de la procédure disciplinaire qu’à celui du contrôle juridictionnel a eu pour conséquence que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans le respect des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
Dans ces conditions, il n’y a donc pas lieu d’examiner les deux autres aspects du contrôle réalisé par la section du contentieux de la Cour suprême, à savoir le contrôle de la méconnaissance des obligations professionnelles et celui des sanctions disciplinaires infligées (paragraphes 201-202 ci-dessus).
215. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
AMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL du 21 juin 2016 requêtes 55391/13, 57728/13 et 74041/13
Violation de l'article 6-1 de la Convention, l'indépendance du CSM prête à caution. Le contrôle de la Cour de Cassation n'est pas suffisant, le manque d'audience public du CSM a pour conséquence de rendre la procédure inéquitable.
a) Sur l’indépendance et l’impartialité des instances saisies
70. Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Brudnicka et autres c. Pologne, no 54723/00, § 38, CEDH 2005-II). La Cour rappelle le rôle croissant de la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV, et Saghatelyan c. Arménie, no 7984/06, § 43, 20 octobre 2015). Cela étant, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 193, CEDH 2003-VI).
71. L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel en telle occasion, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27, 28 et 30, série A no 255-A, et Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000‑XII).
72. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).
73. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables (Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 106, CEDH 2013, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 78, 23 avril 2015).
74. Enfin, les concepts d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII). Eu égard aux faits de la présente affaire, la Cour juge qu’il y a lieu d’examiner conjointement les questions de l’indépendance et de l’impartialité (Oleksandr Volkov, précité, §§ 103-107).
75. La Cour a déjà dit que la présence parmi les membres d’un tribunal de magistrats occupant au moins la moitié des sièges, dont celui de président avec voix prépondérante, donne un gage certain d’impartialité (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 58, série A no 43, et Oleksandr Volkov, précité, § 109). Il y a lieu de noter qu’en ce qui concerne les procédures disciplinaires dirigées contre des juges, la nécessité qu’un nombre important des membres de l’organe disciplinaire soient eux-mêmes juges est reconnue par la Charte européenne sur le statut des juges (paragraphe 42 ci-dessus) aussi bien que par les avis de la Commission de Venise (paragraphe 43 ci-dessus). La Cour note que la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe sur les juges, adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, recommande que l’autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges soit indépendante des pouvoirs exécutif et législatif. Pour garantir son indépendance, au moins la moitié des membres de l’autorité devraient être des juges choisis par leurs pairs (paragraphe 38 ci-dessus). Elle note de surcroît la recommandation no 6 du rapport d’évaluation du Portugal du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), adoptée le 4 décembre 2015, d’inscrire dans la loi qu’au moins la moitié des membres du CSM doivent être des juges choisis par leurs pairs (paragraphe 50 ci-dessus). Le Conseil consultatif de juges européens a adopté, lors de sa 11e réunion plénière (17-19 novembre 2010), une Magna Carta des juges, qui dispose notamment que le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs (paragraphe 49 ci-dessus).
76. Pour les besoins des présentes requêtes, la Cour examinera les griefs de la requérante portant sur l’indépendance et l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature à la lumière des principes susmentionnés.
77. La Cour note que, en vertu de l’article 218 § 1 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est composé de dix-sept membres nommés par différents organes. Il faut souligner ici que deux de ces membres sont nommés directement par le Président de la République, sept autres par l’Assemblée de la République, et sept autres élus par les juges parmi leurs pairs. Comme l’observe le Gouvernement, le CSM dans sa composition normale est constitué de huit juges (dont le président qui dispose d’une voix prépondérante) et de neuf membres non-juges (paragraphe 37 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, il s’ensuit que l’effet des principes régissant la composition de ce conseil a été qu’il peut être constitué en majorité de membres non judiciaires nommés directement par les autorités exécutives et législatives.
78. L’analyse du procès-verbal des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature du 10 janvier 2012 amène la Cour à constater que, parmi les quinze membres du Conseil supérieur de la magistrature qui ont tranché l’affaire de la requérante (portant sur la requête no 57728/13), six seulement étaient des juges (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour remarque en outre que la délibération du CSM du 11 octobre 2011 a été prise elle aussi avec une minorité de juges (paragraphe 24 ci-dessus) et que celle du 10 avril 2012 a été prise avec une majorité de membres juges du fait de l’absence d’un nombre important des membres non-juges du CSM (paragraphe 31 ci-dessus). La décision du 30 septembre 2014 fut prise avec la présence de douze des dix-sept membres du CSM dont sept étaient des juges, y compris le président du CSM, et cinq étaient des non-juges, la majorité de juges étant due à l’absence de quatre membres non-juges (paragraphe 36 ci-dessus).
79. La Cour conclut que les juges formaient, sauf quelques exceptions, une minorité des membres de la formation qui a examiné l’affaire de la requérante (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 111). La Cour estime que cette situation, au sein du Conseil supérieur de la magistrature portugais, est problématique au regard de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle note par ailleurs avec appréhension que, dans le système juridique portugais, la loi ne formule aucune exigence particulière portant sur la qualification des membres non-juges du CSM.
80. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que l’indépendance et l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature peuvent être sujettes à caution.
b) Sur l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême de justice
81. Le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours en annulation, le contrôle judiciaire de la légalité de la décision du CSM d’infliger une peine disciplinaire à un juge. La Cour doit donc vérifier si la procédure à laquelle la requérante a eu accès a respecté les exigences de l’article 6 de la Convention.
82. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, il ne lui revient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 50). Dès lors, dans la présente espèce, il n’appartient pas à la Cour, dans le contexte de l’article 6, de rechercher si les décisions du CSM de punir la requérante étaient régulières en droit interne. La tâche de la Cour consistera à vérifier si la Cour suprême de justice a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante.
83. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1, le « tribunal » visé par cette disposition doit avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil 1996-VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005). L’article 6 exige par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).
84. Dans la présente espèce, la Cour suprême de justice était compétente pour contrôler la légalité de la décision litigieuse par laquelle le CSM avait appliqué des peines disciplinaires à la requérante. Dans le cadre du contrôle de légalité, elle pouvait contrôler la validité des preuves, la suffisance et la cohérence de l’établissement des faits, aussi bien que le caractère raisonnable et proportionnel de la décision punitive. La haute juridiction pouvait ainsi annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau en conformité avec les directives que la Cour suprême de justice aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées (paragraphe 40 ci-dessus). En droit portugais, la Cour suprême de justice n’était pas compétente pour procéder au réexamen de l’établissement des faits par le CSM. En particulier, la Cour suprême de justice ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si elle était adéquate à l’infraction et si elle n’était pas disproportionnée à son égard (paragraphe 33 ci-dessus).
85. La présente affaire doit donc être rapprochée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avaient refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 48, 14 novembre 2006, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50‑55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005‑XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).
86. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si la Cour suprême de justice a effectué un contrôle d’une étendue suffisante sur le pouvoir disciplinaire exercé par le CSM. La requérante conteste les faits tels qu’ils ont été établis par le CSM. Elle dit non seulement qu’elle n’a pas traité le juge H.G. de « menteur » et qu’au cours de son entretien avec le juge F.M.J. elle ne lui a pas demandé le retrait des poursuites contre le témoin qu’elle avait indiqué. Dans les deux situations, il s’agissait de points de fait essentiels pour l’aboutissement des deux procédures disciplinaires à son encontre. La requérante n’a jamais eu la possibilité de voir la Cour suprême de justice réexaminer ces faits décisifs (Tsfayo, précité, § 48), le premier desquels par ailleurs a prêté à controverse entre les membres du CSM (paragraphe 16 ci-dessus). De ce fait, la Cour note que la Cour suprême de justice s’était limitée à un simple contrôle de légalité sur le terrain de l’établissement des faits (voir, a contrario, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 64, 27 septembre 2011). Il ressort de la manière dont la Cour suprême de justice est parvenue à sa décision dans l’affaire de la requérante ainsi que de l’objet du litige qu’elle n’a pas dûment examiné d’importants arguments avancés par l’intéressée (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 127).
87. Pour ce qui est du contrôle en matière de droit, la Cour note que, aux yeux de la Cour suprême de justice, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque l’organe disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat. De plus, le Gouvernement, sur l’étendue des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, soutient qu’il ne sied pas à la haute juridiction d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour remarque que l’instance du recours contrôle, sur la base d’une légalité au sens large, le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs en respectant, entre autres, le principe de la prohibition de l’excès (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour en conclut que la Cour suprême de justice a une conception restrictive de l’étendue de ses propres pouvoirs de contrôle de l’activité disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
88. La pratique judiciaire développée dans ce domaine est révélatrice (paragraphes 33 et 40 ci-dessus). Les considérations précédentes indiquent donc en fait que les conséquences juridiques découlant du contrôle fait par la Cour suprême de justice de ces questions sont limitées, et ne font que renforcer les doutes de la Cour quant à sa capacité de régler la question de manière effective et de procéder à un contrôle suffisant de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 126).
89. La Cour considère donc que le contrôle effectué par la Cour suprême de justice dans l’affaire de la requérante n’était pas suffisant.
c) Sur l’absence d’une audience publique (requête no 74041/13)
90. La requérante se plaint du fait que les affaires n’ont pas été entendues au cours d’une audience publique ce qui a méconnu son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle invoque à l’appui de sa thèse la nature non technique des questions soulevées notamment dans la requête no 74041/13 et la divergence quant à l’établissement des faits ayant trait à la teneur des propos lui étant reprochés.
91. Le Gouvernement combat cette thèse.
92. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325‑A, B. et P. c. Royaume-Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001‑III, Olujić, précité, § 70, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006‑VI, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 67, 17 décembre 2013).
93. L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (Diennet, § 34, Martinie, § 40, Olujić, § 71, et Nikolova et Vandova, § 68, arrêts précités).
94. Concernant les procédures disciplinaires contre des juges, la Cour rappelle qu’il est recommandé de tenir en général des réunions publiques et de n’autoriser qu’exceptionnellement le huis clos à la demande du juge et dans les circonstances prévues par la loi. Elle rappelle également que la publicité devrait aussi être un principe général aux étapes suivantes de la procédure disciplinaire et que le fait que les « réunions du conseil de discipline ont lieu à huis clos » est problématique (paragraphe 33 ci-dessus).
95. L’article 6 n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Tel est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008). Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans l’hypothèse d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30-31, 28 février 2012).
96. En l’espèce, la requérante a attaqué la décision du 10 avril 2012 du CSM devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice, demandant la tenue d’une audience publique afin d’y présenter un témoin et des documents. Pour ce qui est de l’éventuelle protection de la dignité de la requérante, la Cour souligne que celle-ci a demandé, elle-même, la tenue d’une audience publique (Olujić, précité, § 74). La Cour rappelle par ailleurs que, selon les éléments disponibles du droit international, l’intérêt du public à être dûment informé de l’avancée des procédures disciplinaires dans de nombreuses affaires doit l’emporter sur l’intérêt personnel du magistrat à préserver la confidentialité de certains aspects de la procédure (paragraphe 47 ci-dessus). La Cour suprême de justice avait motivé son refus de convoquer un témoin que la requérante voulait faire entendre en indiquant que son audition visait à déterminer la teneur du projet de décision portant sur l’affaire disciplinaire contre la requérante, ce qui allait à l’encontre de la confidentialité de la procédure, et que les documents présentés par la requérante dépassaient l’objet de la procédure disciplinaire (paragraphes 32 et 33 ci-dessus). Or, bien qu’il ne lui revienne pas d’émettre une opinion sur la pertinence de ces éléments ni sur le bien-fondé des allégations formulées contre la requérante, la Cour estime que le témoignage en question était pertinent en l’espèce en ce qu’il aurait vraisemblablement permis d’étayer les moyens de défense de l’intéressée. En outre, les motifs avancés par la Cour suprême de justice ne suffisaient pas à justifier le refus d’entendre le témoin que la requérante voulait faire comparaître, cette mesure ayant fini par entraver la capacité de l’intéressée à défendre sa cause, en méconnaissance des garanties d’un procès équitable (comparer Olujić, précité, §§ 83-85). La Cour considère en outre que la Cour suprême de justice, en refusant l’audition, dans une audience publique, du témoin indiqué par la requérante en l’espèce, n’a pas garanti la transparence que cet acte de procédure donnerait à la procédure disciplinaire diligentée à l’encontre celle-ci, ce qui constitue un but recherché par l’article 6 § 1 de la Convention (Mehmet Emin Şimşek, précité, § 28). Enfin, elle note qu’en l’espèce la Cour suprême de justice n’a pas remédié au refus de tenue d’une audience publique (voir, mutatis mutandis, Olujić, précité, § 76).
97. La Cour ne considère pas que les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse, à savoir la sanction disciplinaire imposée à une juge pour des faits relatifs notamment à des propos enfreignant ses obligations professionnelles, présentaient un caractère hautement technique qui ne nécessitaient pas une audience sous le contrôle du public (voir, mutatis mutandis, Nikolova et Vandova, précité, § 76). Aux yeux de la Cour, une audience publique, orale et accessible à la requérante, comme elle l’avait demandée, était nécessaire dans la présente affaire. À cet égard, la Cour observe qu’il y avait une controverse sur les faits et que les sanctions que la requérante risquait d’encourir avaient un caractère infamant, étant susceptibles de porter préjudice à l’honorabilité professionnelle et au crédit de la requérante (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 122, 4 mars 2014).
98. La Cour, consciente de la nécessité de trouver un juste milieu entre la nécessité de protéger l’indépendance du CSM et l’utilité d’en assurer le contrôle par une instance publique et d’éviter un mode de gestion corporatiste (paragraphe 47 ci-dessus), considère que la garantie de la tenue d’une audience publique dans le cadre des procédures disciplinaires contre des juges contribue à leur équité au sens de l’article 6 § 1, par le biais d’une procédure à caractère contradictoire (paragraphe 42 ci-dessus), du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société et de l’octroi de toutes les garanties d’un procès équitable (paragraphe 48 ci-dessus).
99. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités internes ont manqué aux garanties de tenue d’une audience publique.
d) Conclusion
100. En l’espèce, au vu de l’effet cumulatif des éléments susmentionnés, la Cour considère qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
TATO MARINHO DOS SANTOS COSTA ALVES DOS SANTOS ET FIGUEIREDO c. PORTUGAL
du 21 juin 2016 requête n° 9023/13 et 78077/13
a) Sur la requête no 9023/13
48. Eu égard du grief soulevé par la première requérante, le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours en annulation, le contrôle judiciaire de la légalité de la décision du CSM d’infliger une peine disciplinaire à un juge. La Cour doit donc vérifier si la procédure à laquelle la première requérante a eu accès a respecté les exigences de l’article 6 de la Convention.
49. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, il ne lui revient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 50). Dès lors, dans la présente espèce, il n’appartient pas à la Cour, dans le contexte de l’article 6, de rechercher si la décision du CSM de punir la première requérante était régulière en droit interne. La tâche de la Cour consistera à vérifier si la requérante a eu accès à un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 et, plus particulièrement, si la Cour suprême de justice a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante.
50. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1, le « tribunal » visé par cette disposition doit avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005). L’article 6 exige par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).
51. Dans la présente espèce, la Cour suprême de justice était compétente pour contrôler la légalité de la décision litigieuse par laquelle le CSM avait appliqué une amende à la première requérante. Dans le cadre du contrôle de légalité, elle pouvait contrôler la validité des preuves, la suffisance et la cohérence de l’établissement des faits, aussi bien que le caractère raisonnable et proportionnel de la décision punitive. La haute juridiction pouvait ainsi annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau en conformité avec les directives que la Cour suprême de justice aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées. En droit portugais, la Cour suprême de justice n’était pas compétente pour procéder au réexamen de l’établissement des faits par le CSM. En particulier, la Cour suprême de justice ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si elle était adéquate à l’infraction et si elle n’était pas disproportionnée à son égard (paragraphes 13, 17 et 25 ci-dessus).
52. La présente affaire doit donc être rapprochée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avaient refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 48, 14 novembre 2006, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50‑55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005‑XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).
53. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si la Cour suprême de justice a effectué un contrôle d’une étendue suffisante sur le pouvoir disciplinaire exercé par le CSM. La première requérante conteste les faits tels qu’ils ont été établis par le CSM. Elle affirme qu’elle a eu une productivité supérieure à celle retenue par l’organe disciplinaire (paragraphe 12 ci-dessus). Il s’agissait d’un point de fait essentiel pour l’aboutissement de la procédure disciplinaire diligentée à son encontre. En conséquence de la jurisprudence uniforme de la section du contentieux de la Cour suprême de justice (paragraphe 13 ci-dessus), la première requérante n’a jamais eu la possibilité de voir la haute juridiction réexaminer ce fait décisif (Tsfayo, précité, § 48). De ce fait, la Cour note que la Cour suprême de justice s’était limitée à un simple contrôle de légalité sur le terrain de l’établissement des faits (voir, a contrario, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 64, 27 septembre 2011). Il ressort de la manière dont la Cour suprême de justice est parvenue à sa décision dans l’affaire de la première requérante ainsi que de l’objet du litige qu’elle n’a pas dûment examiné un important argument avancé par l’intéressée (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 127).
54. Pour ce qui est du contrôle en matière de droit, la Cour note que, aux yeux de la Cour suprême de justice, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque l’organe disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat. Elle remarque que l’instance du recours contrôle, sur la base d’une légalité au sens large, le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs respectant, entre autres, le principe de la prohibition de l’excès (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour conclut que la Cour suprême de justice a une conception restrictive de l’étendue de ses propres pouvoirs de contrôle de l’activité disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
55. La pratique judiciaire développée dans ce domaine est révélatrice et par ailleurs commune aux deux requérantes (paragraphes 13, 17 et 25 ci-dessus). Les considérations précédentes indiquent donc en fait que les conséquences juridiques découlant du contrôle fait par la Cour suprême de justice de ces questions sont limitées, et ne font que renforcer les doutes de la Cour quant à sa capacité de régler la question de manière effective et de procéder à un contrôle suffisant de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 126).
56. La Cour considère donc que le contrôle qu’a fait la Cour suprême de justice dans l’affaire de la première requérante n’était pas suffisant. Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison d’un contrôle d’une portée insuffisante par la Cour suprême de justice.
b) Sur la requête no 78077/13
57. S’agissant du grief tiré par la seconde requérante du manque d’indépendance et d’impartialité de la Cour suprême de justice, la Cour estime qu’il doit être examiné sous l’angle plus général de l’étendue du contrôle opéré par cette juridiction sur le pouvoir disciplinaire du CSM. La Cour a déjà jugé que le contrôle effectué par la Cour suprême de justice était insuffisant dans le cas de la première requérante (paragraphes 48-56 ci-dessus). Pareille conclusion s’impose également en l’espèce. En effet, la Cour note que la pratique judiciaire consistant à considérer que les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature échappent à l’instance judiciaire de contrôle lorsque l’organe administratif disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat est solidement ancrée dans la jurisprudence de la haute juridiction (paragraphe 25 ci-dessus). De ce fait, et en l’absence d’autres éléments pouvant l’emmener à conclure différemment, la Cour considère que le contrôle opéré par la Cour suprême de justice dans l’affaire de la seconde requérante n’était pas suffisant.
58. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un contrôle d’une portée insuffisante par la Cour suprême de justice.
LES AUTRES AFFAIRES
Madaus c. Allemagne du 9 juin 2016 requête no 44164/14
Violation de l'article 6-1 : l'annulation par les tribunaux allemands d’une audience dans un procès concernant des mesures d’expropriation a rendu la procédure inéquitable
Article 6 § 1
La Cour relève que les tribunaux internes n’ont nulle part motivé leur refus d’examiner plus avant le cas de M. Madaus en tenant audience. Or certains faits étaient contestés par les parties, en particulier le point de savoir si son père avait fait l’objet d’un mandat d’arrestation.
La Cour constate également que, au regard du droit et de la pratique internes pertinents, à savoir la procédure prévue par la loi de réhabilitation pénale, la tenue d’une audience est non pas la règle mais l’exception et que c’est au juge interne qu’il appartient, en vertu de son pouvoir d’appréciation souverain, de dire si une audience s’impose. D’ailleurs, jamais le tribunal régional de Dresde n’avait tenu d’audience dans ce type d’affaires auparavant. Or, dans le cas de M. Madaus, une audience avait bel et bien été prévue au motif que ses écritures étaient particulièrement volumineuses et qu’il fallait lui permettre d’expliciter sa position en droit. Cela montre que, à ce moment-là, le tribunal régional estimait qu’une audience était nécessaire, et la Cour ne voit aucune raison d’en décider autrement.
De plus, la Cour conclut qu’aucune circonstance exceptionnelle – au sens donné à cette expression dans sa jurisprudence – ne justifiait la dispense d’audience postérieurement à la date à laquelle l’audience avait été programmée. Le seul nouvel élément mentionné dans la décision du tribunal régional portant annulation de l’audience était le communiqué de presse publié par les avocats de M. Madaus. Pour la Cour, la réprobation par le tribunal régional de la manière dont ces avocats s’occupaient de leurs relations avec le public, notamment leur interprétation des raisons de la tenue d’une audience, ne pouvait passer pour une circonstance exceptionnelle. Par ailleurs, nul n’a démontré l’existence d’un risque que des troubles rendent impossible la tenue d’une audience.
Enfin, la Cour observe que la raison justifiant l’absence d’audience en principe dans les actions intentées sur la base de la loi de réhabilitation pénale est de simplifier et d’accélérer la procédure au profit des personnes concernées. Or, dans le procès engagé par M. Madaus, l’audience n’a été annulée que 11 jours avant la date prévue. Nul n’a démontré que cette décision était censée permettre de trancher le litige avec davantage de célérité ni qu’elle était nécessaire afin de désengorger de manière générale les tribunaux internes.
En l’absence de circonstances exceptionnelles justifiant une dispense d’audience et l’annulation de l’audience initialement prévue, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
Gómez Olmeda c. Espagne du 29 mars 2016 requête no 61112/12
Violation de l'article 6-1 : Procès pénal inéquitable en raison de la non-tenue d’une audience devant la juridiction d’appel
La Cour ne souscrit pas à l’argument du gouvernement espagnol consistant à dire que M. Gómez Olmeda n’a aucune raison de reprocher aux autorités l’absence d’audience pendant la procédure d’appel dès lors qu’il n’en avait pas demandé. Pour la Cour, la juridiction d’appel était tenue de prendre les mesures appropriées quand bien même le requérant n’avait pas expressément demandé la tenue d’une audience.
Comme la Cour l’a déjà constaté dans une affaire similaire, la tenue d’une audience publique est indispensable lorsque la juridiction d’appel est amenée à réexaminer des faits estimés prouvés en première instance et à les reconsidérer, question qui s’étend au-delà de considérations strictement juridiques. Dans la cause de M. Gómez Olmeda, la juridiction d’appel, estimant qu’il avait été au courant de l’existence des déclarations injurieuses publiées sur le forum en ligne, s’est départie des conclusions du juge de première instance. Elle a procédé à un examen complet de la question de sa culpabilité après avoir reconsidéré l’affaire sur les plans factuel et juridique. Elle aurait donc dû examiner le témoignage personnel de l’accusé, qui niait avoir commis l’acte en question.
Le fait que M. Gómez Olmeda n’ait pas été entendu en personne est du reste aggravé par le fait que la juridiction qui a statué en dernier ressort dans sa cause a été la première à le condamner de l’un des chefs d’accusation portés contre lui. Pour la Cour, le fait que la juridiction d’appel ait visionné l’enregistrement vidéo du procès de première instance ne compense pas l’absence d’audience, car M. Gómez Olmeda n’a eu aucune possibilité d’intervenir devant la juridiction d’appel. Dans ce contexte, la Cour observe que le Tribunal constitutionnel espagnol a jugé dans des affaires similaires que le visionnage d’un enregistrement vidéo de ce type ne permettait pas à une juridiction d’appel d’évaluer le témoignage d’une personne.
En conclusion, dans la cause de M. Gómez Olmeda la juridiction d’appel n’a pas satisfait aux exigences d’un procès équitable. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
GARCIA HERNANDEZ C. ESPAGNE du 16 novembre 2010 requête 15256/07
La condamnation du juge pénal sans pouvoir être entendu en audience publique est contraire à la convention.
23. La Cour rappelle d'emblée que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 s'analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, 21 janvier 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I). Il convient donc d'examiner les griefs du requérant sous l'angle du paragraphe 3 combiné avec les principes inhérents au paragraphe 1.
24. A cet égard, la Cour rappelle que les modalités d'application de l'article 6 de la Convention aux procédures d'appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s'agit ; il convient de tenir compte de l'ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d'appel dans l'ordre juridique national. Lorsqu'une audience publique a eu lieu en première instance, l'absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d'appel interne, à l'étendue des pouvoirs de la juridiction d'appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu'elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I). Ainsi, devant une cour d'appel jouissant de la plénitude de juridiction, l'article 6 ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d'assister en personne aux débats (voir, mutatis mutandis, Golubev c. Russie, déc., no 26260/02, 9 novembre 2006, et Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212-C).
25. En revanche, la Cour a déclaré que, lorsqu'une instance d'appel est amenée à connaître d'une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l'innocence, elle ne peut, pour des motifs d'équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve présentés en personne par l'accusé qui soutient qu'il n'a pas commis l'acte, considéré comme une infraction pénale (Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, 6 juillet 2004, § 27, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, et Constantinescu c. Roumanie, 27 juin 2000, § 55).
26. En l'espèce, la Cour observe d'emblée qu'il n'est pas contesté que la requérante, qui fut acquittée en première instance, a été condamnée par l'Audiencia Provincial de Murcie sans avoir été entendue en personne.
27. Dès lors, afin de déterminer s'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention, il échoit d'examiner le rôle de l'Audiencia et la nature des questions dont elle avait à connaître. A cet égard, la Cour signale que la problématique juridique de la présente affaire, propre à la procédure pénale espagnole, est identique à celle examinée dans les arrêts Bazo González c. Espagne, précité, où la Cour conclut à la non-violation de cette disposition et Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, du 10 mars 2009 dans laquelle, à la lumière des circonstances de l'espèce, elle constata une atteinte au droit du requérant à un procès équitable du fait de l'absence d'audience publique devant la juridiction d'appel. Il convient dès lors de garder à l'esprit le raisonnement développé par la Cour dans ces deux arrêts.
28. Dans les affaires susmentionnées, la Cour statua qu'une audience s'avérait nécessaire lorsque la juridiction d'appel « effectue une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les reconsidère », se situant ainsi au delà des considérations strictement de droit. Dans de tels cas, une audience s'imposait avant de parvenir à un jugement sur la culpabilité du requérant (voir l'arrêt Igual Coll précité, § 36).
29. En somme, il incombera essentiellement de décider, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d'espèce, si la juridiction chargée de se prononcer sur l'appel a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait (voir également Spînu c. Roumanie, arrêt du 29 avril 2008, § 55).
30. En l'espèce le juge pénal no 3 de Murcie a statué sur la base de plusieurs éléments probatoires, à savoir, des rapports d'expertise ainsi que la déposition de l'accusée et des témoins, dont celle du docteur S.H. Après la tenue d'une audience publique, au cours de laquelle il a pu se fonder sa propre conviction, le juge conclut à l'absence de négligence de la part de la requérante.
31. De son côté, l'Audiencia Provincial de Murcie avait la possibilité, en tant qu'instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu'elle a fait le 27 décembre 2004. Elle pouvait décider soit de confirmer l'acquittement de la requérante soit de la déclarer coupable, après s'être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l'innocence de l'intéressé.
32. L'Audiencia infirma le jugement entrepris et estima, sans entendre personnellement ni la requérante ni les témoins qui avaient déposé devant le juge pénal, que le poste occupé par la requérante exigeait une diligence accrue, supérieure à celle dont elle avait fait preuve vis-à-vis du patient concerné. En particulier, elle considéra que la requérante n'avait pas effectué un examen suffisamment exhaustif du malade. De l'avis de l'Audiencia, cette mauvaise praxis serait la responsable incontestable des séquelles sur la santé du patient. Ces éléments seraient ainsi suffisants pour la juger coupable des faits qui lui étaient reprochés.
33. Force est de constater, qu'à la différence de l'affaire Bazo González précitée, en l'espèce l'Audiencia Provincial ne s'est pas limitée à une nouvelle appréciation d'éléments de nature purement de droit, mais s'est prononcée sur une question de fait, à savoir la mauvaise pratique de la requérante et l'origine des séquelles chez le patient, modifiant ainsi les faits déclarés prouvés par le juge de première instance. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité de la requérante (voir l'arrêt Igual Coll précité, § 35).
34. Les questions traitées étant essentiellement de nature factuelle, la Cour estime que la condamnation de la requérante en appel par l'Audiencia Provincial après un changement dans l'appréciation des éléments tels que le comportement de la requérante, sans que celle-ci ait eu l'occasion d'être entendue personnellement et de les contester moyennant un examen contradictoire au cours d'une audience publique, n'est pas conforme avec les exigences d'un procès équitable tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
35. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure en l'espèce que l'étendue de l'examen effectué par l'Audiencia rendait nécessaire une audience publique devant la juridiction d'appel. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Décision d'irrecevabilité Berdajs C. Slovénie du 27 avril 2012 requête 10390/09
Une audience publique n’est pas nécessaire dans les recours non étayés portant sur des infractions mineures comme les infractions à la sécurité routière.
La Cour constate que l’affaire de M. Berdajs ne relève pas des catégories classiques du droit pénal puisqu’elle concerne une infraction mineure à la loi sur la sécurité routière. Il aurait néanmoins pu être essentiel pour protéger les intérêts du requérant de tenir une audience, laquelle aurait permis d’apprécier la crédibilité des constats émis par les policiers, seule base de sa condamnation.
Mais le requérant s’est contenté de critiquer la réglementation en matière de procédure simplifiée appliquée par la police, alors qu’il avait la possibilité de contester les observations des policiers dans sa demande de contrôle juridictionnel.
Dans les affaires concernant l’application de la procédure simplifiée à des infractions mineures, la nécessité de tenir une audience dépend non seulement de la nature de l’infraction mais aussi des arguments présentés par l’accusé. Or, dans sa demande de contrôle juridictionnel, M. Berdajs n’a contesté aucun des faits établis par la police. La Cour en conclut que le juge a exercé ses fonctions dans le respect des exigences de l’article 6 et qu’il n’était donc pas nécessaire de tenir une audience. Par conséquent, la Cour déclare le grief de M. Berdajs irrecevable. La Cour rejette également les autres griefs pour le même motif.
Sutter contre Suisse du 22 février 1984 Hudoc 168 requête 8209/78
26. La publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public; elle constitue aussi l’un des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 par. 1 (art. 6-1): le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (arrêts Pretto et autres du 8 décembre 1983, série A no 71, p. 11, par. 21, et Axen du 8 décembre 1983, série A no 72, p. 12, par. 25).
27. Si les États membres du Conseil de l’Europe reconnaissent tous le principe de cette publicité, leurs systèmes législatifs et leurs pratiques judiciaires présentent une certaine diversité quant à son étendue et à ses conditions de mise en oeuvre, qu’il s’agisse de la tenue de débats ou du "prononcé" des jugements et arrêts. L’aspect formel de la question revêt cependant une importance secondaire en regard des fins de la publicité voulue par l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique conduit la Cour, dans l’exercice du contrôle qui lui incombe en la matière, à examiner les réalités de la procédure en jeu (voir notamment les deux arrêts précités, série A no 71 p. 12, par. 23, et série A no 72, p. 12, par. 26).
28. L’applicabilité de l’article 6 (art. 6) en l’espèce n’a pas prêté à controverse; au demeurant, elle ressort d’une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment l’arrêt Delcourt du 17 janvier 197O, série A no 11, pp. 13-15, paras. 25-26, et, en dernier lieu, les deux arrêts précités du 8 décembre 1983, série A no 71, p. 12, par. 23, et série A no 72, p. 12, par. 27).
Toutefois, les modalités d’application de ce texte dépendent des particularités de l’instance dont il s’agit (ibidem). La Cour estime, avec le Gouvernement et la Commission, qu’il faut prendre en compte l’ensemble du procès qui s’est déroulé dans l’ordre juridique interne; il échet de déterminer si devant le Tribunal militaire de cassation la procédure devait s’entourer en l’occurrence, comme devant le tribunal de division, de chacune des garanties prescrites par l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
II. ABSENCE DE DÉBATS PUBLICS
29. Pour le requérant, la tenue de débats publics s’impose même devant une cour de cassation: ils permettraient notamment aux parties de confronter leurs thèses et au public de prendre connaissance des arguments développés.
30. Alors que le tribunal de division avait entendu en public la cause de M. Sutter, le Tribunal militaire de cassation a suivi une procédure écrite comme le prévoyait et continue à le prévoir la législation fédérale suisse. Il n’a reçu qu’un mémoire du requérant, le grand juge, l’auditeur et l’auditeur en chef s’étant bornés à conclure au rejet du pourvoi, sans motivation. Il n’a pas statué sur le fond du litige, qu’il s’agît de la culpabilité ou de la sanction infligée par le tribunal de division. Il a débouté M. Sutter par un arrêt uniquement consacré à l’interprétation des règles de droit en question. Rien ne porte donc à croire que devant le Tribunal militaire de cassation l’intéressé ait bénéficié d’un procès moins équitable que devant le tribunal de division; or le respect des conditions de l’article 6 (art. 6) devant celui-ci ne prête pas à contestation. Dans les circonstances particulières de l’espèce, des débats se déroulant en public devant le Tribunal militaire de cassation n’auraient pas assuré une meilleure garantie des principes fondamentaux qui sous-tendent l’article 6 (art. 6).
La Cour estime dès lors que le défaut d’audiences publiques en cassation n’a pas enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
III. ABSENCE DE PRONONCÉ PUBLIC
31. Conformément à l’article 197 de la loi de 1889, l’arrêt rendu le 21 octobre 1977 par le Tribunal militaire de cassation a fait l’objet d’une notification aux parties et non d’un prononcé en séance publique (paragraphe 17 ci-dessus). D’après le requérant et la minorité de la Commission, il en est résulté une violation de la Convention.
32. Par les termes dont il use en sa seconde phrase - "le jugement sera rendu publiquement", "judgment shall be pronounced publicly" -, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) donnerait à penser qu’il prescrit la lecture du jugement à haute voix. Sans doute le texte français emploie-t-il le participe "rendu"(given) là où la version anglaise se sert du mot "pronounced" (prononcé), mais ce léger écart ne suffit pas à dissiper l’impression qui se dégage du libellé de la disposition en cause: "rendu publiquement" - et non "rendu public" - peut très bien passer pour l’équivalent de "prononcé publiquement".
De prime abord, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne semble donc plus strict, à cet égard, que l’article 14 par. 1 du Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, selon lequel le jugement "sera public", "shall be made public".
33. De nombreux États membres du Conseil de l’Europe connaissent pourtant de longue date, à côté de la lecture à haute voix, d’autres moyens de rendre publiques les décisions de leurs juridictions ou de certaines d’entre elles, spécialement leurs cours de cassation, par exemple un dépôt à un greffe accessible au public. Les rédacteurs de la Convention ne sauraient avoir négligé cette circonstance même si le souci d’en tenir compte ne ressort pas aussi nettement de leur oeuvre que des travaux préparatoires du Pacte précité (voir p. ex. le document A/4299 du 3 décembre 1959, pp. 12, 15 et 20, paras. 38 b), 53 et 63 c) in fine).
La Cour ne croit donc pas devoir opter pour une interprétation littérale. Elle estime qu’il échet, dans chaque cas, d’apprécier à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit, et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la forme de publicité du "jugement" prévue par le droit interne de l’État en cause (voir les deux arrêts précités du 8 décembre 1983, série A no 71, p. 12, paras. 25-26, et série A no 72, pp. 13-14, paras. 30-31).
34. Comme le mentionne le paragraphe 20 ci-dessus, toute personne justifiant d’un intérêt peut consulter le texte intégral des arrêts du Tribunal militaire de cassation ou s’en procurer une copie. Les plus importants d’entre eux - tel l’arrêt Sutter - sont d’ailleurs publiés ultérieurement dans un recueil officiel. La jurisprudence de la haute juridiction est ainsi ouverte dans une certaine mesure au contrôle du public.
Eu égard aux questions traitées en l’espèce par le Tribunal militaire de cassation et à sa décision - qui a rendu définitif le jugement du tribunal de division et n’en a pas modifié les conséquences pour M. Sutter -, une interprétation littérale de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au prononcé de l’arrêt semble trop rigide et ne pas s’imposer pour la réalisation des buts de l’article 6 (art. 6).
La Cour conclut donc, avec le Gouvernement et la majorité de la Commission, que la Convention n’exigeait pas une lecture à haute voix de l’arrêt rendu au stade ultime du procès."
Weber contre Suisse du 22 mai 1990 Hudoc 213 requête 11034/84
"Le requérant avait par conséquent droit, en principe, à une audience publique sur le bien-fondé de l'accusation portée contre lui. Or le président de la Cour de Cassation pénale n'en tint aucune : il rendit sa décision après une instruction sommaire et purement écrits ()
De son coté, la Cour de Cassation pénale rejeta le recours de l'intéressé sans débats préalables () La publicité de la procédure devant le tribunal fédéral n'a pas suffi à combler la double lacune ainsi observées; saisie par une voie de recours de droit public; il ne put contrôler que l'absence d'arbitraire et non trancher l'ensemble des questions de fait ou de droit du litige. En outre, le Gouvernement ne prétend pas que Monsieur Weber eut renoncé au bénéfice de pareilles audiences"
§40: Il y a donc eu violation de l'article 6§1"
Schuler contre Zgraggen contre Suisse du 24 juin 1993 Hudoc 424 requête 14518/89
"La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l'article 6§1. Ni la lettre ni l'esprit de ce texte n'empêchent une personne d'y renoncer de son plein gré de manière expresse ou tacite, mais pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important.
Comme la procédure devant la dite juridiction se déroule en général sans audience publique, on pouvait s'attendre à voir Mme Schuler-Zgraggen en solliciter une si elle y attachait un prix. Or il n'en fut rien. On peut donc considérer qu'elle a renoncé sans équivoque à son droit à une audience publique devant le tribunal fédéral des assurances.
Surtout il n'apparaît pas que le différend soulevât des questions d'intérêt public rendant nécessaire des débats hautement techniques, il se prêtait mieux à des écritures qu'à des plaidoiries, de plus, son caractère médical et intime aurait sans doute dissuadé l'intéressée de souhaiter la présence du public"
Partant, il n'y a pas violation de l'article 6§1 de la Convention.
LE DÉFAUT DE PUBLICITÉ DE L'AUDIENCE
Straume c. Lettonie du 2 juin 2022 requête no 59402/14
violation de l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits de l’homme,
et violation de l’article 6 (droit à un procès équitable). Mme Straume exerçait le métier de contrôleur aérien et elle était présidente de son syndicat. L’affaire concerne le traitement que son employeur lui a infligé et, finalement, son licenciement pour des déclarations faites au sujet de la sécurité au nom du syndicat dans une lettre adressée aux agents de l’État qui exerçaient la tutelle de l’entreprise publique qui l’employait. La Cour juge que les mesures prises en l’espèce – en particulier l’enquête disciplinaire, la suspension, l’« obligation de rester inactive » et le licenciement – n’étaient pas proportionnées au but légitime consistant à assurer la protection des droits de son employeur, et qu’elles n’étaient donc pas « nécessaires dans une société démocratique ». Elle considère également que les juridictions internes n’ont pas justifié la nécessité de conduire la procédure civile à huis clos et de choisir de ne pas prononcer publiquement les décisions rendues ou les rendre accessibles au public, malgré le besoin impérieux d’un contrôle public en l’espèce.
FAITS
La requérante, Aušra Straume, est une ressortissante lituanienne née en 1978 et résidant à Riga. En 2005, Mme Straume commença à travailler en qualité de contrôleur aérien pour une entreprise d’État, Latvijas Gaisa Satiksme (LGS). En 2011, son entreprise lui demanda de signer la version actualisée de sa fiche de poste, ce qu’elle fit en joignant une note exprimant son désaccord avec un point qui défavorisait, pour l’obtention d’une promotion, les personnes qui avaient pris un congé de maternité. Elle signa une nouvelle version de sa fiche de poste un an plus tard. En 2011, Mme Straume devint présidente du nouveau syndicat des contrôleurs aériens lettons. Son syndicat demanda des précisions au sujet d’une consigne récente concernant les horaires de travail des instructeurs qui assuraient la formation des contrôleurs aériens. LGS répondit que cette formation devait être dispensée en dehors des horaires de travail normaux, qu’elle serait prise en compte en heures de travail supplémentaires et qu’elle serait payée séparément. Dans une correspondance ultérieure, le syndicat affirmait que le travail de formation effectué par les instructeurs n’était pas comptabilisé et que ces instructeurs ne percevaient donc pas le complément de rémunération qui leur était dû. Il soulignait que cela risquait d’avoir des répercussions sur la sécurité des vols, entre autres. Il alléguait que le conseil d’administration de LGS ne respectait pas la législation en vigueur, qu’il bafouait les droits des salariés de LGS et qu’il gérait mal les finances de l’entreprise. Il insistait sur l’importance de cette situation à l’échelle sociétale. Il déclarait également ce qui suit : « Bien que le syndicat ait tenté à maintes reprises de parvenir à une solution constructive par la négociation, la situation est devenue ingérable [kļuvusi nevaldāma] et met gravement en péril la qualité de la prestation des services aériens [aeronavigācijas pakalpojumu nodrošināšanas kvalitāti] ainsi que la capacité de LGS à se développer et à être compétitive sur le marché international. » Mme Straume signa en sa qualité de présidente la lettre en question, qui était adressée au ministre des Transports ainsi qu’à un autre fonctionnaire. En réponse, dix-neuf contrôleurs aériens écrivirent à LGS pour se dissocier de la lettre envoyée par le syndicat, sous la pression de LGS selon leurs dires. L’agence de l’aviation civile déclara que les affirmations lancées par le syndicat au sujet de la sécurité des vols revêtaient un caractère « extrême », ajoutant que ces préoccupations auraient dû être relayées par les voies appropriées.
Le conseil d’administration de LGS demanda à tous les adhérents du syndicat de signer des lettres par lesquelles ils affirmaient qu’ils étaient en mesure de respecter les normes de sécurité, et les menaça d’une éventuelle suspension en cas de refus de signer. LGS recommanda aux salariés syndiqués de ne pas « rechercher de l’aide à l’extérieur », leur précisant que cela ne ferait que leur nuire. L’entreprise ouvrit une enquête interne concernant la légalité des déclarations relatives à la sécurité des vols. En conséquence, Mme Straume fut suspendue de ses fonctions et se vit interdire l’accès au bâtiment. De nombreux contrôleurs aériens écrivirent des lettres exprimant leur soutien à Mme Straume. Selon certaines dépositions, les membres du personnel qui témoignèrent de la sympathie à l’égard de Mme Straume, par exemple en lui souhaitant un joyeux anniversaire, furent harcelés par l’entreprise. À l’issue de sa suspension, Mme Straume fut frappée de l’obligation de « rester inactive », c’est-à-dire qu’elle devait se rendre au travail, mais sans exercer la moindre de ses fonctions. L’enquête aboutit à la recommandation de licencier Mme Straume. Pendant certaines périodes au cours de ce conflit, LGS cessa de lui verser son salaire. Mme Straume attaqua les mesures prises par LGS devant les tribunaux, et LGS forma une demande reconventionnelle tendant à obtenir la résiliation totale du contrat de travail de l’intéressée, alléguant que l’entreprise avait perdu confiance en elle depuis qu’elle avait refusé d’avaliser la nouvelle fiche de poste et diffusé de manière délibérée des contre-vérités concernant LGS. À l’issue d’une procédure à huis clos, le tribunal de première instance de l’arrondissement de Kurzeme, à Riga, fit droit à la demande reconventionnelle. Le tribunal déclara que Mme Straume avait écrit la lettre en question à titre privé et que par ses propos, elle avait provoqué une crise inutilement, ce qui conduisait à douter de sa capacité à exercer ses fonctions. Il conclut qu’il n’était pas approprié d’invoquer les droits de l’homme dans son cas. Mme Straume fit appel.
LGS obtint que la cour régionale de Riga tînt ses débats à huis clos eu égard aux impératifs de sécurité inhérents aux règles du trafic aérien. La cour régionale confirma le jugement de première instance. À la suite d’un pourvoi en cassation, la Cour suprême confirma cet arrêt en février 2014. Aucune des décisions rendues en l’espèce ne fut prononcée en public. Mme Straume fut réélue à la tête du syndicat le 1 er février 2013. Dans le cadre de ce litige, des rapports internes et émanant d’organismes nationaux et internationaux exprimèrent séparément des préoccupations concernant le respect par LGS de la réglementation du contrôle aérien et des règles de sécurité.
Article 11 lu à la lumière de l’article 10
La Cour considère que dans un contexte syndical le droit à la liberté d’expression se trouve étroitement associé au droit à la liberté d’association.
Le grief étant axé sur le fait que la requérante a été sanctionnée pour avoir mené une activité syndicale et que les juridictions internes ont arbitrairement nié l’élément syndical du litige, la Cour décide de l’examiner sous l’angle de l’article 11 interprété à la lumière de l’article 10. La Cour exprime des doutes sur la question de savoir si les mesures prises à l’égard de la requérante étaient prévues par la loi, mais elle décide néanmoins de partir du principe que l’ingérence dans l’exercice de ses droits par l’intéressée reposait sur une base légale.
Elle considère que les mesures litigieuses poursuivaient le but légitime de protéger les droits d’autrui, en l’occurrence de l’employeur de Mme Straume.
Il reste donc à savoir si les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les droits de Mme Straume et ceux de son employeur.
Pour ce faire, il est pertinent d’examiner le contexte dans lequel les déclarations en cause se sont inscrites (et notamment de rechercher si elles relevaient d’une activité syndicale légitime) ; la nature de ces déclarations (et notamment de déterminer si les limites de la critique admissible ont été franchies) ; le préjudice subi par l’employeur ou par d’autres personnes, ainsi que la nature et la gravité des sanctions ou autres répercussions.
La Cour juge établi que la requérante a signé la lettre en cause en sa qualité de présidente du syndicat et que cela s’inscrivait clairement dans le cadre de l’activité syndicale portant sur le travail des adhérents. Elle estime que les juridictions internes n’ont pas cherché à savoir si les conclusions que tirait cette lettre reposaient sur une base factuelle suffisante et constituaient donc en réalité une critique acceptable. Les juridictions internes n’ont pas non plus analysé l’exposé des faits sur lesquels ces conclusions se fondaient, se bornant à vérifier si les conséquences potentielles alléguées s’étaient déjà produites. La Cour déclare que la lettre en cause livrait une évaluation professionnelle de l’impact potentiel des défaillances identifiées qui reposait sur une base factuelle suffisante et qu’elle ne pouvait passer pour une attaque gratuite contre LGS.
Elle ajoute que les répercussions pour la requérante ont été d’une rigueur exceptionnelle et qu’elles pouvaient très bien produire un effet dissuasif sur les membres du syndicat. En outre, la Cour considère que nombre des actions de LGS visaient clairement à faire pression sur ces adhérents.
Dans l’ensemble, les mesures prises en l’espèce n’étaient pas proportionnées au but légitime poursuivi et n’étaient donc pas « nécessaires dans une société démocratique », emportant ainsi violation de l’article 11 de la Convention, lu à la lumière de l’article 10.
Article 6
L’audience consacrée au fond de l’affaire en première instance s’est tenue à huis clos pour permettre une « administration de la justice plus efficace et plus fructueuse ». À l’inverse, la juridiction d’appel a déclaré que les audiences à huis clos étaient « nécessaires à la protection d’un secret d’État ou d’un secret commercial », et la Cour suprême a examiné l’affaire dans le cadre d’une procédure écrite.
La Cour n’est pas en mesure de conclure qu’une procédure à huis clos était nécessaire à la protection des intérêts publics énumérés.
Les juridictions internes n’ont pas rattaché les motifs invoqués à la présente affaire, en particulier pour rechercher si des informations censément sensibles concernant la sécurité des vols justifiaient de fermer le prétoire au public.
La Cour estime que la nécessité d’un contrôle public était particulièrement forte en l’espèce eu égard à l’objet du litige. De plus, aucune des décisions n’a été prononcée publiquement et les textes intégraux de ces décisions n’ont pas non plus été publiés.
Le Gouvernement n’ayant pas justifié le recours au huis clos, les modalités de l’ouverture de l’accès du public aux décisions en question sont également jugées insuffisantes. Partant, il y a eu violation de l’article 6, le droit à une audience publique et le droit au prononcé public des jugements ayant été méconnus.
Mutu et Pechstein c. Suisse requêtes n° 40575/10 et 67474/10
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Les procédures suivies par le Tribunal Arbitral du Sport ont respecté le droit à un procès équitable, sauf pour le refus de publicité de l’audience.
non-violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme pour ce qui est du prétendu manque d’indépendance et d’impartialité du Tribunal Arbitral du Sport (TAS)
violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le chef de la requérante, pour ce qui est de l’absence d’une audience publique devant le TAS. L’affaire concerne la régularité de procédures engagées par des sportifs professionnels devant le TAS. La Cour a jugé que les procédures d’arbitrage devant le TAS, auxquelles étaient partie les requérants, devaient offrir l’ensemble des garanties d’un procès équitable et que les allégations de la requérante concernant un manque structurel d’indépendance et d’impartialité du TAS, tout comme les reproches du requérant visant l’impartialité de certains arbitres devaient être rejetées.
En revanche, la Cour a jugé que les questions concernant le bien-fondé de la sanction de la requérante pour dopage, débattues devant le TAS, nécessitaient la tenue d’une audience sous le contrôle du public.
LES FAITS
En août 2003, M. Mutu, joueur de football professionnel, fut transféré du club italien AC Parma au club Chelsea en échange d’une somme de 26 millions d’euros. En octobre 2004, l’Association anglaise de football procéda à un contrôle antidopage qui révéla la présence de cocaïne dans l’échantillon prélevé sur M. Mutu. Le club Chelsea mit, par conséquent, fin au contrat qui le liait à lui. En avril 2005, la commission de recours de la Première Ligue anglaise (« la FAPLAC »), saisie par le joueur et le club, estima qu’il y avait eu rupture unilatérale du contrat « sans juste motif » de la part du joueur. Celui-ci fit appel auprès du TAS qui confirma, en décembre 2005, cette décision. En mai 2006, le club saisit la Chambre de règlement des litiges de la Fédération Internationale de Football Association (« la FIFA ») d’une demande de dommages intérêts. Cette dernière condamna M. Mutu à verser au club plus de 17 millions d’euros. En juillet 2009, le TAS rejeta l’appel de M. Mutu. En septembre 2009, ce dernier déposa un recours devant le Tribunal fédéral suisse (« le Tribunal fédéral »), pour demander l’annulation de cette sentence du TAS. Il fit valoir que le Tribunal Arbitral avait manqué d’indépendance et d’impartialité. M. Mutu s’appuyait sur un courriel anonyme selon lequel l’un des arbitres, Me D.-R. M., était associé d’un cabinet d’avocats représentant les intérêts du propriétaire du club Chelsea et sur le fait qu’un autre arbitre, L. F., avait déjà siégé au sein de la formation qui avait confirmé l’absence de « juste motif » de la rupture du contrat. En juin 2010, le Tribunal fédéral estima que la formation arbitrale pouvait être considérée comme « indépendante et impartiale » et rejeta donc la demande du requérant.
Mme Pechstein est une patineuse de vitesse professionnelle. En février 2009, l’ensemble des athlètes inscrits aux championnats du monde de patinage de vitesse furent soumis à des tests antidopage. Après examen du profil sanguin de la requérante, la commission disciplinaire de l’ISU prononça la suspension de Mme Pechstein pour une période de deux ans. En juillet 2009, celle-ci et la DESG firent appel de cette décision devant le TAS. L’audience eut lieu à huis clos, malgré la demande de publicité formulée par Mme Pechstein. En novembre 2009, le TAS confirma la suspension de deux ans. En décembre 2009, Mme Pechstein demanda au Tribunal fédéral de prononcer l’annulation de la sentence du TAS. Elle soutenait que celui-ci ne constituait pas un tribunal « indépendant et impartial » en raison du mode de nomination des arbitres, de la « ligne dure » contre le dopage dont son président avait précédemment fait part et du refus de lui accorder la publicité de l’audience. En février 2010, le Tribunal fédéral rejeta le recours de la requérante.
Article 6-1
Article 6 § 1 La Cour précise que le droit d’accès aux tribunaux ne s’oppose pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers. En principe, les clauses d’arbitrage ne se heurtent pas à la Convention. La question se pose, néanmoins, de savoir si les requérants ont renoncé librement, licitement et de manière non-équivoque aux garanties prévues par l’article 6 § 1 en acceptant la juridiction du TAS. En ce qui concerne, Mme Pechstein la Cour considère que son acceptation de la juridiction du TAS n’avait pas été libre car le seul choix qui s’offrait à elle consistait soit à accepter la clause d’arbitrage et gagner sa vie en pratiquant sa discipline au niveau professionnel soit à la refuser et être contrainte d’y renoncer complètement. En ce qui concerne M. Mutu, s’il n’avait pas été forcé d’accepter la juridiction du TAS, il n’avait pas pour autant renoncé de manière non équivoque à ce que sa cause soit jugée par un tribunal indépendant et impartial, dans la mesure où il avait demandé la récusation de l’arbitre choisi par le club Chelsea. Il faut, dès lors, rechercher si le TAS représentait un tribunal « indépendant et impartial, établi par la loi », au moment où il a statué sur les causes respectives des requérants. Le TAS bénéficiait de la plénitude de juridiction pour connaître, sur la base du droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question qui lui était soumise dans le cadre des litiges dont il était saisi. En outre, ses sentences apportaient une solution de type juridictionnel à ces litiges. Elles pouvaient, d’ailleurs, faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral suisse. Enfin, ce dernier a toujours considéré les sentences rendues par le TAS comme de « véritables jugements, assimilables à ceux d’un tribunal étatique ». Le TAS avait donc les apparences d’un « tribunal établi par la loi ». Dans le cas de Mme Pechstein, les reproches visant le président de la formation arbitrale sont trop vagues et hypothétiques. En ce qui concerne le déséquilibre entre les fédérations et les athlètes dans le mécanisme de nomination des arbitres, la Cour rappelle que la formation arbitrale était composée en l’espèce de trois arbitres choisis à partir de la liste établie par le Conseil international de l’arbitrage en matière de sport (« le CIAS ») et soumis au pouvoir de révocation de ce dernier. La faculté laissée à Mme Pechstein de nommer l’arbitre de son choix était ainsi limitée par l’obligation de recourir à cette liste. Toutefois, à l’époque des faits, celle-ci comportait près de 300 noms. Or, la requérante n’a pas présenté d’éléments factuels permettant de douter en général de l’indépendance et de l’impartialité des arbitres y figurant. Même pour la formation arbitrale ayant statué sur sa cause, Mme Pechstein n’a contesté qu’un seul arbitre, le président de la formation arbitrale, sans étayer ses allégations. La Cour reconnaît que les organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination en vigueur à l’époque des faits. Mais, elle ne peut pas conclure, du seul fait de cette influence, que la liste était composée d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux vis-à-vis de ces organisations. Elle estime donc que le système de la liste d’arbitres satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité applicables aux tribunaux arbitraux. En ce qui concerne, enfin, le pouvoir du secrétaire général du TAS d’attirer l’attention de la formation sur des questions de principe et d’apporter des modifications de forme à la sentence ne prouve pas que la décision contestée ait été modifiée dans un sens qui aurait été défavorable à la requérante.
Dans le cas de M. Mutu, celui-ci reproche à Me D.-R. M. d’avoir siégé dans la formation ayant rendu la sentence de décembre 2005 avant de participer à l’adoption de celle de juillet 2009. Toutefois, pour qu’un préjugé de partialité ait pu se créer, il faut que l’arbitre mis en cause ait eu successivement à connaître de faits identiques et à répondre à une question analogue. Or, bien que les sentences visées concernaient les mêmes faits, les questions juridiques tranchées étaient très différentes puisque la première procédure portait sur la responsabilité contractuelle du requérant et la deuxième sur le montant des dommages-intérêts devant être versés à la partie lésée. M. Mutu reprochait également à l’arbitre L. F. son association à un cabinet d’avocats représentant les intérêts du propriétaire du club Chelsea. Par un arrêt longuement motivé et ne révélant aucune trace d’arbitraire, le Tribunal fédéral a conclu que M. Mutu n’avait pas apporté la preuve de ses allégations. Or, aucune raison sérieuse ne conduit la Cour à substituer son propre avis à celui du Tribunal fédéral. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 à l’égard des requérants en raison d’un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS.
En ce qui concerne le grief tiré, par Mme Pechstein, de l’absence d’audience publique devant la commission disciplinaire de l’ISU, le TAS et le Tribunal fédéral, la Cour rappelle que les principes relatifs à la publicité des audiences en matière civile valent non seulement pour les tribunaux ordinaires mais également pour les juridictions des ordres professionnels statuant en matière disciplinaire ou déontologique. Or, Mme Pechstein a expressément demandé la tenue d’une audience publique devant le TAS.
D’autre part, la Cour estime que la question du bien-fondé de la sanction de la requérante pour dopage, débattue dans le cadre de la procédure, nécessitait la tenue d’une audience sous le contrôle du public. La Cour conclut qu’il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 à raison de la non-publicité des débats devant le TAS. La conclusion relative au TAS dispense la Cour d’examiner le grief de la requérante concernant la commission disciplinaire de l’ISU dès lors que le TAS en était l’organe de recours disposant de la plénitude de juridiction. S’agissant du Tribunal fédéral suisse, le litige portait sur des questions juridiques hautement techniques pour le traitement desquelles le recours à une audience publique ne s’imposait pas. Le grief est donc rejeté pour défaut manifeste de fondement.
Autres articles Les griefs de M. Mutu, tirés des articles 4 § 1 et 8, ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles et doivent donc être déclarés irrecevables. Par ailleurs, la Suisse n’ayant pas ratifié le Protocole n o 1 à la Convention, cette partie de la requête de M. Mutu doit également être rejetée.
Grande Chambre Tommaso c. Italie du 23 février 2017 requête 43395/09
a) Sur l’absence de publicité des audiences devant le tribunal et la cour d’appel
163. La Cour rappelle que si la tenue d’une audience publique constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1, l’obligation de tenir une audience publique n’est pas pour autant absolue, les circonstances qui permettent de se dispenser d’une audience dépendant essentiellement de la nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 41-42, CEDH 2006‑XIV).
164. La Cour note tout d’abord qu’en l’espèce le Gouvernement reconnaît qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en raison du défaut de publicité des audiences devant le tribunal et la cour d’appel de Bari.
165. Elle observe également que la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965, dans la mesure où ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publicité des débats dans le cadre des procédures relatives à l’application des mesures de prévention (paragraphe 56 ci-dessus).
166. En outre, elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur l’absence de publicité des audiences dans les procédures concernant des mesures de prévention patrimoniales (Bocellari et Rizza, précité, §§ 34-41, Perre et autres, précité, §§ 23-26, Bongiorno et autres, précité, §§ 27-30, Leone, précité, §§ 26-29, et Capitani et Campanella, précité, §§ 26-29).
167. De plus, selon la Cour, les circonstances de l’espèce exigeaient la tenue d’une audience publique, compte tenu de ce que les juridictions internes ont dû apprécier des éléments tels que la personnalité du requérant, son comportement ainsi que sa dangerosité, lesquels ont été décisifs pour l’application de la mesure de prévention (voir, mutatis mutandis, Jussila, précité, § 41).
168. À la lumière de ce qui précède, la Cour, estime, dès lors, qu’il y a eu de ce chef violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
b) Sur le grief tiré du défaut d’équité de la procédure
169. Quant aux doléances concernant spécifiquement la procédure devant le tribunal de Bari, la Cour rappelle qu’elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes.
170. En particulier, elle rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004‑I), par exemple si elles peuvent s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention. Si cette disposition garantit le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, par exemple, Dulaurans c. France, no 34553/97, §§ 33-34 et 38, 21 mars 2000, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, §§ 64-65, CEDH 2015).
171. La Cour a pour seule fonction, au regard de l’article 6 de la Convention, d’examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n’a pas garanti un procès équitable au requérant (voir, parmi bien d’autres, Donadzé c. Géorgie, no 74644/01, §§ 30-31, 7 mars 2006).
172. En l’occurrence, la procédure dans son ensemble s’est déroulée conformément aux exigences du procès équitable. Le requérant se plaint pour l’essentiel d’une appréciation arbitraire des preuves par le tribunal de Bari, mais la Cour souligne qu’il a obtenu gain de cause devant la cour d’appel (paragraphes 26-27 ci-dessus), qui a ensuite annulé la mesure de prévention.
173. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de ce chef.
Nikolova et Vandova c. Bulgarie du 17 décembre 2013 requête no 20688/04
L’absence totale de publicité de la procédure judiciaire relative au licenciement d’une fonctionnaire afin de préserver la confidentialité de certains documents versés au dossier était disproportionnée
La Cour rappelle qu’il est possible pour les juridictions internes de décider, au cas par cas, de déroger au principe fondamental de publicité de la procédure judiciaire - notamment pour protéger l’intérêt public. A l’inverse, une procédure « civile » se déroulant à huis clos en vertu d’une règle générale et absolue ne serait en principe passer pour conforme aux exigences de la Convention. Toutefois, des circonstances exceptionnelles tenant à la nature des questions soumises au juge, notamment dans le cas de questions hautement techniques, peuvent justifier de se dispenser d’une audience publique.
En l’occurrence, l’absence de publicité des débats ne découlait pas d’une règle générale et absolue mais résultait d’une décision prise par le tribunal à la demande de l’une des parties, à savoir le ministère de l’Intérieur, au motif que certains des documents produits par ce dernier étaient classifiés et portaient la mention « secret ». Compte tenu de la nature des informations en question, lesquelles concernaient notamment les méthodes utilisées par la police dans sa mission de lutte contre la criminalité, les autorités bulgares pouvaient en principe avoir un intérêt légitime d’en préserver la confidentialité. De surcroît, aucun élément ne laisse à penser que la classification des documents en cause ait été effectuée de manière arbitraire, abusive, ou dans un objectif autre que l’intérêt légitime poursuivi.
Cependant, la Cour rappelle que la seule présence de documents classifiés ne justifie pas automatiquement l’exclusion du public des débats, sans évaluation de la nécessité d’une telle exclusion par la mise en balance du principe de publicité de la procédure judiciaire avec les impératifs de protection de l’ordre public et de la sécurité nationale. Ainsi, avant d’exclure le public d’une affaire particulière, le tribunal devrait considérer de manière spécifique si une telle exclusion est nécessaire à la protection d’un intérêt public et la limiter à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif.
En l’espèce, la Cour administrative suprême a motivé sa décision par la simple production au dossier de documents classifiés. Elle ne s’est pas posé la question de savoir si ses documents étaient liés à l’objet de la procédure et si leur présence était indispensable, pas plus qu’elle n’a envisagé de prendre des mesures pour limiter les effets de l’absence de publicité (en limitant, par exemple, l’accès à certains documents uniquement et en tenant à huis clos seulement certaines audiences).
Cette situation semble résulter de l’automatisme avec lequel sont appliquées les règles de classification des affaires judiciaires dès lors que ne serait-ce qu’un seul des documents au dossier est classifié. La Cour n’est donc pas convaincue qu’en l’espèce, l’exclusion du public était une mesure strictement nécessaire à la préservation de la confidentialité des documents concernés. De surcroît, les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse ne présentaient pas un caractère hautement technique susceptible de justifier une dérogation au principe fondamental de publicité de la procédure judiciaire. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence de publicité des débats dans la procédure en cause.
La Cour relève ensuite qu’en raison du classement de l’affaire comme « secrète », les arrêts rendus dans l’affaire de Mme Nikolova n’ont pas été prononcés publiquement et ont été rendus inaccessibles au public dans leur intégralité jusqu’ en juillet 2009, soit plus de 5 ans après le prononcé de l’arrêt définitif de la Cour administrative suprême. Or, lorsqu’une affaire judiciaire implique le traitement d’informations classifiées, il existe des techniques permettant d’assurer une certaine publicité des décisions rendues tout en préservant le secret des informations sensibles. La Cour n’est donc pas persuadée qu’en l’espèce la protection des informations confidentielles figurant au dossier ait rendu nécessaire une restriction de la publicité de l’intégralité des décisions rendues, a fortiori pendant une période aussi considérable. De plus, la restriction de la publicité du jugement résultait du classement automatique de l’ensemble du dossier comme secret, sans que les juridictions internes n’aient procédé à une analyse de la nécessité et de la proportionnalité d’une telle mesure dans le cas concret. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence de publicité des décisions rendues.
GRANDE STEVENS ET AUTRES c. ITALIE du 4 mars 2013
requête 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10
DEVANT LA COMMISSION
116. La Cour est prête à admettre que, comme souligné par le Gouvernement, la procédure devant la CONSOB a permis aux accusés de présenter des éléments pour leur défense. En effet, l’accusation formulée par le bureau IT a été communiquée aux requérants, qui ont été invités à se défendre (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Les requérants ont également eu connaissance du rapport et de la note complémentaire du bureau IT, et ont disposé d’un délai de trente jours pour présenter d’éventuelles observations par rapport à ce dernier document (paragraphe 23 ci-dessus). Ce délai n’apparaît pas manifestement insuffisant et les requérants n’en ont pas demandé la prorogation.
117. Il n’en demeure pas moins que, comme reconnu par le Gouvernement (paragraphe 114 ci-dessus), le rapport contenant les conclusions de la direction, appelé à servir ensuite de base à la décision de la commission, n’a pas été communiqué aux requérants, qui n’ont donc pas eu la possibilité de se défendre par rapport au document finalement soumis par les organes d’investigation de la CONSOB à l’organe chargé de décider sur le bien-fondé des accusations. De plus, les intéressés n’ont pas eu la possibilité d’interroger ou de faire interroger les personnes éventuellement entendues par le bureau IT.
118. La Cour relève également que la procédure devant la CONSOB était essentiellement écrite et que les requérants n’ont pas eu la possibilité de participer à la seule réunion tenue par la commission, qui ne leur était pas ouverte. Ceci n’est pas contesté par le Gouvernement. À cet égard, la Cour rappelle que la tenue d’une audience publique constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 (Jussila, précité, § 40).
119. Pourtant, il est vrai que l’obligation de tenir une audience publique n’est pas absolue (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A) et que l’article 6 n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Tel est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits rendant nécessaire une confrontation orale, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions écrites des parties et des autres pièces du dossier (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002 ; Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003 ; Jussila, précité, § 41 ; et Suhadolc c. Slovénie (déc.), no 57655/08, 17 mai 2011, où la Cour a estimé que l’absence d’audience orale et publique ne créait aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention dans une affaire d’excès de vitesse et de conduite en état d’ivresse dans laquelle les éléments à la charge de l’accusé avaient été obtenus grâce à des appareils techniques).
120. Même si les exigences du procès équitable sont plus rigoureuses en matière pénale, la Cour n’exclut pas que, dans le cadre de certaines procédures pénales, les tribunaux saisis puissent, en raison de la nature des questions qui se posent, se dispenser de tenir une audience. S’il faut garder à l’esprit que les procédures pénales, qui ont pour objet la détermination de la responsabilité pénale et l’imposition de mesures à caractère répressif et dissuasif, revêtent une certaine gravité, il va de soi que certaines d’entre elles ne comportent aucun caractère infamant pour ceux qu’elles visent et que les « accusations en matière pénale » n’ont pas toutes le même poids (Jussila, précité, § 43).
121. Il convient également de préciser que l’importance considérable que l’enjeu de la procédure litigieuse peut avoir pour la situation personnelle d’un requérant n’est pas décisive pour la question de savoir si une audience est nécessaire (Pirinen c. Finlande (déc.), no 32447/02, 16 mai 2006). Il n’en demeure pas moins que le rejet d’une demande tendant à la tenue d’une audience ne peut se justifier qu’en de rares occasions (Miller c. Suède, no 55853/00, § 29, 8 février 2005, et Jussila, précité, § 42).
122. Pour ce qui est de la présente affaire, aux yeux de la Cour, une audience publique, orale et accessible aux requérants était nécessaire. À cet égard, la Cour observe qu’il y avait une controverse sur les faits, notamment en ce qui concernait l’état d’avancement des négociations avec Merrill Lynch International Ltd, et que, par-delà leur gravité d’un point de vue financier, les sanctions que certains des requérants risquaient d’encourir avaient, comme noté plus haut (paragraphes 74, 97 et 98 ci-dessus), un caractère infamant, étant susceptibles de porter préjudice à l’honorabilité professionnelle et au crédit des personnes concernées.
123. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la procédure devant la CONSOB ne satisfaisait pas à toutes les exigences de l’article 6 de la Convention, notamment en ce qui concerne l’égalité des armes entre l’accusation et la défense et la tenue d’une audience publique permettant une confrontation orale.
DEVANT LA COMMISSION ET LA COUR D'APPEL
b) Appréciation de la Cour
148. La Cour note tout d’abord qu’en l’espèce, rien ne permet de douter de l’indépendance et de l’impartialité de la cour d’appel de Turin. Les requérants ne le contestent d’ailleurs pas.
149. La Cour observe de surcroît que la cour d’appel était compétente pour juger de l’existence, en fait comme en droit, de l’infraction définie à l’article 187 ter du décret législatif no 58 de 1998, et avait le pouvoir d’annuler la décision de la CONSOB. Elle était également appelée à apprécier la proportionnalité des sanctions infligées par rapport à la gravité du comportement reproché. De fait, elle a d’ailleurs réduit le montant des amendes et la durée de l’interdiction prononcées pour certains des requérants (paragraphes 30 et 31 ci-dessus) et s’est penchée sur leurs différentes allégations d’ordre factuel ou juridique (paragraphes 32‑36 ci‑dessus). Sa compétence n’était donc pas limitée à un simple contrôle de légalité.
150. Il est vrai que les requérants se plaignent du fait que la cour d’appel n’a pas interrogé de témoins (paragraphe 142 ci-dessus). Cependant, ils n’indiquent aucune règle de procédure qui aurait empêché un tel interrogatoire. De plus, la demande d’audition des témoins formulée par M. Grande Stevens dans son mémoire du 25 septembre 2007 n’indiquait ni les noms des personnes dont l’intéressé souhaitait la convocation ni les circonstances sur lesquelles celles-ci auraient dû témoigner. Cette demande avait en outre été formulée de manière purement éventuelle, étant à examiner uniquement dans le cas où la cour d’appel aurait considéré insuffisants ou non utilisables les documents déjà versés au dossier. Il en va de même pour la demande formulée par M. Marrone, qui prospectait la possibilité d’auditionner les témoins dont il citait les déclarations seulement « si nécessaire » (paragraphe 29 ci-dessus). En tout état de cause, devant la Cour les requérants n’ont pas indiqué avec précision les témoins dont l’audition aurait été refusée par la cour d’appel et les raisons pour lesquelles leur témoignage aurait été décisif pour l’issue de leur affaire. Ils n’ont donc pas étayé leur grief tiré de l’article 6 § 3 d) de la Convention.
151. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la cour d’appel de Turin était bien un « organe de pleine juridiction » au sens de sa jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Menarini Diagnostics S.r.l., précité, §§ 60-67). Les requérants eux-mêmes ne semblent pas le contester (paragraphe 141 ci-dessus).
152. Il reste à déterminer si les audiences sur le fond tenues devant la cour d’appel de Turin ont été publiques, question de fait sur laquelle les affirmations des parties divergent (paragraphes 142 et 145-146 ci-dessus). À cet égard, la Cour ne peut que rappeler ses conclusions quant à la nécessité, en l’espèce, d’une audience publique (paragraphe 122 ci-dessus).
153. La Cour note que les parties ont produit des documents contradictoires quant à la manière dont les audiences litigieuses se seraient déroulées ; selon les déclarations écrites du directeur administratif du greffe de la cour d’appel de Turin, produites par les requérants, ces audiences se seraient tenues en chambre du conseil, alors que selon les déclarations écrites du président de la cour d’appel, produites par le Gouvernement, seules les audiences portant sur les mesures d’urgence auraient eu lieu en chambre du conseil, toutes les autres audiences ayant été publiques. La Cour n’est guère en mesure de dire laquelle des deux versions est vraie. Quoi qu’il en soit, face à ces deux versions, toutes deux plausibles et provenant de sources qualifiées, mais opposées, la Cour estime qu’il y a lieu de s’en tenir au contenu des actes officiels de la procédure. Or, comme les requérants l’ont à juste titre souligné (paragraphe 142 ci-dessus), les arrêts rendus par la cour d’appel indiquent que celle-ci avait siégé en chambre du conseil ou que les parties avaient été convoquées en chambre du conseil (paragraphe 30 in fine ci-dessus).
154. Sur la foi de ces mentions, la Cour parvient dès lors à la conclusion qu’aucune audience publique n’a eu lieu devant la cour d’appel de Turin.
155. Il est vrai qu’une audience publique s’est tenue devant la Cour de cassation. Cependant, cette dernière n’était pas compétente pour connaître du fond de l’affaire, établir les faits et apprécier les éléments de preuve ; le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas. Elle ne pouvait donc être regardée comme un organe de pleine juridiction au sens de la jurisprudence de la Cour.
4. Sur les autres allégations des requérants
156. Les requérants affirment également que les communiqués de presse du 24 août 2005 contenaient des informations véridiques et que leur condamnation en dépit des preuves à décharge contenues dans le dossier a été le résultat d’une « présomption de culpabilité » à leur encontre. De leur avis, ils n’avaient aucune obligation de relater dans ces communiqués de simples projets ou des accords hypothétiques non encore parfaits. Du reste, dans les instructions publiées par la CONSOB, il était précisé que les informations pouvant être diffusées au public devaient être liées à des circonstances réelles ou à un événement certain, et non à de simples hypothèses sur des actions futures et éventuelles, qui n’avaient pas d’intérêt pour les marchés. Or, à la date de la diffusion des communiqués de presse, aucune initiative concrète n’avait été entreprise par les sociétés requérantes par rapport à l’échéance du prêt convertible. À cette époque, l’hypothèse envisagée était incertaine car elle restait subordonnée à l’approbation de Merrill Lynch International Ltd et à l’éventuelle absence d’obligation de lancer une OPA. Un fonctionnaire de la CONSOB avait participé à la rédaction d’un des communiqués, et le texte de celui-ci avait reçu l’accord préalable de la CONSOB.
157. En dépit de cela, estiment les requérants, la CONSOB aurait formulé ses accusations en partant de la présomption arbitraire que l’accord modificatif du contrat d’equity swap avait été conclu avant le 24 août 2005, et ce malgré l’absence de toute preuve écrite ou orale corroborant cette présomption. Selon les requérants, leur condamnation a été prononcée sans aucune preuve en ce sens.
158. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V), et que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les faits et d’interpréter et appliquer le droit interne (Pacifico c. Italie (déc.), no 17995/08, § 62, 20 novembre 2012). Or, la Cour a examiné les décisions internes critiquées par les requérants sans déceler de signes d’arbitraire propres à révéler un déni de justice ou un abus manifeste (voir, a contrario, De Moor c. Belgique, 23 juin 1994, § 55 in fine, série A no 292‑A, et Barać et autres c. Monténégro, no 47974/06, § 32, 13 décembre 2011).
159. La Cour rappelle également que le principe de la présomption d’innocence exige, entre autres, qu’en remplissant leurs fonctions les membres du tribunal ne partent pas de l’idée préconçue que le prévenu a commis l’acte incriminé ; la charge de la preuve pèse sur l’accusation et le doute profite à l’accusé. En outre, il incombe à l’autorité de poursuite d’indiquer à l’intéressé de quelles charges il fera l’objet – afin de lui fournir l’occasion de préparer et de présenter sa défense en conséquence – et d’offrir des preuves suffisantes pour fonder une déclaration de culpabilité (voir, notamment, Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 77, série A no 146 ; John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 54, Recueil 1996-I ; et Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001).
160. En l’espèce la condamnation des intéressés a été prononcée sur la base d’un faisceau d’indices jugés précis, graves et concordants produits par le bureau IT, et qui donnaient à penser qu’à l’époque de la diffusion des communiqués de presse du 24 août 2005, l’accord modifiant l’equity swap avait été conclu ou était en passe de l’être. Dans ces circonstances, aucune violation du principe de la présomption d’innocence ne saurait être décelée (voir, mutatis mutandis, Previti c. Italie (déc.), no 45291/06, § 250, 8 décembre 2009).
6. Conclusion
161. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que, même si la procédure devant la CONSOB n’a pas satisfait aux exigences d’équité et d’impartialité objective voulues par l’article 6 de la Convention, les requérants ont bénéficié du contrôle ultérieur d’un organe indépendant et impartial de pleine juridiction, en l’occurrence la cour d’appel de Turin. Cependant, cette dernière n’a pas tenu d’audience publique, ce qui, en l’espèce, a constitué une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
SCHLUMPF c.SUISSE du 8 JANVIER 2009 requête 29002/06
Comme il s'agit d'une opération concernant la transsexualité, le tribunal fédéral a mené les débats à huis clos contre l'avis du requérant devenue requérante. La CEDH condamne le manque de publicité des débats au sens de l'article 6-1.
"62. La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribue à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1, à savoir le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (voir, notamment, Diennet c. France, arrêt du 26 septembre 1995, série A no 325-A, pp. 14-15, § 33, Gautrin et autres c. France, arrêt du 20 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1023-1024, § 42 et Hurter c. Suisse, no 53146/99, § 26, 15 décembre 2005).
63. Toutefois, ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 § 1 n’empêchent une personne de renoncer à la publicité des débats, mais
26. La publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public; elle constitue aussi l’un des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 par. 1 (art. 6-1): le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (arrêts Pretto et autres du 8 décembre 1983, série A no 71, p. 11, par. 21, et Axen du 8 décembre 1983, série A no 72, p. 12, par. 25).
pareille renonciation doit être non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (voir, entre autres, Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 20, § 66, et Schuler-Zgraggen c. Suisse, arrêt du 24 juin 1993, série A no 263, pp. 19-20, § 58).
64. En outre, une audience publique peut ne pas être nécessaire compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’affaire, notamment lorsque celle-ci ne soulève pas de questions de fait ou de droit qui ne peuvent être résolues sur la seule base du dossier disponible et les observations des parties (Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 34, 12 novembre 2002, Salomonsson c. Suède, no 38978/97, § 34, 12 novembre 2002 ; voir aussi, mutatis mutandis, Fredin c. Suède (no 2), arrêt du 23 février 1994, série A no 283-A, pp. 10-11, §§ 21-22, et Fischer c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 312, pp. 20-21, § 44). Tel est notamment le cas s’agissant de situations portant sur des questions hautement techniques (Schuler-Zgraggen, précité, pp. 19 et suiv., § 58 et Döry, précité, § 41).
65. La Cour réitère également le principe selon lequel un justiciable a normalement le droit d’être entendu publiquement devant au moins une instance. L’absence de débats publics devant une seconde ou troisième instance peut être justifiée par la nature particulière de la procédure concernée, si l’affaire a fait l’objet d’une audience publique en première instance (Luginbühl c. Suisse (déc.), no 42756/02, 17 janvier 2006). Il s’ensuit que, sauf dans des circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier l’absence de débats publics, l’article 6 exige que l’intéressé soit entendu publiquement au moins devant une instance (Döry, précité, § 39, Lundevall, précité, § 36, Salomonsson, précité, § 36, et Helmers c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A no 212-A, p. 16, § 36).
66. En l’espèce, la Cour considère qu’il s’agit d’abord de déterminer si le retrait de la demande d’audience publique devant le tribunal cantonal des assurances équivaut à une renonciation de la part de la requérante, comme le soutient le Gouvernement.
67. Selon la Cour, tel ne peut être le cas, étant donné que la requérante, tout au long de la procédure, a affirmé la nécessité de consulter des experts et qu’elle n’a retiré sa demande d’audience publique devant le tribunal cantonal que dans l’hypothèse d’un renvoi pour complément d’instruction, qui aurait forcément impliqué la consultation d’experts. En plus, elle a expressément indiqué que ce retrait ne s’appliquerait pas à une procédure éventuelle devant le Tribunal fédéral des assurances (paragraphe 18 ci-dessus). Dans ces circonstances, l’on ne saurait considérer que la requérante a renoncé à l’audience publique devant le Tribunal fédéral des assurances.
68. Se pose donc, deuxièmement, la question de savoir si l’audience publique était nécessaire en l’espèce ou si, au contraire, la procédure ne concernait que des questions juridiques ou qu’elle revêtait un caractère tellement technique que les soumissions d’experts auraient pu être mieux appréciées dans le cadre d’une procédure écrite.
69. Compte tenu de ses conclusions relatives au droit d’être entendu (paragraphes 51-58 ci-dessus), la Cour considère que la détermination de la nécessité d’une opération de conversion sexuelle ne saurait être qualifiée de question purement juridique. En outre, la Cour est d’avis que la détermination de la nécessité d’une opération de conversion sexuelle ne revêt pas un caractère technique au point qu’une exception au droit d’être entendu lors d’une audience publique s’avère justifiée, d’autant plus que les opinions des parties divergent quant à l’opportunité d’un délai d’attente. Par ailleurs, l’article 112 de la loi fédérale d’organisation judiciaire donne explicitement au président du Tribunal fédéral des assurances le droit d’ordonner des débats (paragraphe 29 ci-dessus).
70. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la requérante n’a pas été entendue publiquement devant les juridictions internes. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1."
Serre contre France du 29 septembre 1999 Hudoc 1229 requête 29718/96
Le requérant vétérinaire est poursuivi devant son ordre professionnel et suspendu pendant 5 ans dont 2 ans avec sursis:
"§22: Il est vrai qu'aux termes de l'article 6§1, l'accès à la salle d'audience peut, dans certaines circonstances, être interdit à la presse et au public. Toutefois, eu égard aux faits de l'espèce et aux manquements reprochés au requérant, la Cour est d'avis qu'aucun des cas de figure énumérés par cette disposition ne trouvait à s'appliquer.
§23: Dès lors, la Cour considère qu'il y a eu violation de l'article 6§1 de la Convention en ce que la cause du requérant n'a pas été entendue publiquement par la chambre régionale de discipline et la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires"
possible en cette matière au regard de l'article 6§1 de la Convention. Partant, il y a violation de l'article 6§1.
VERNES contre France du 20 janvier 2011 requête 30183/06
Défaut de publicité d'audience devant la COB
30. La Cour rappelle que la publicité des débats constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Ce principe peut souffrir des aménagements justifiés notamment par les intérêts de la vie privée des parties ou la sauvegarde de la justice (Diennet c. France, 26 septembre 1995, série A no 325-A) ou par la nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procédure dont il s’agit (Miller c. Suède, no 55853/00, 8 février 2005 ; Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 47, CEDH 2002-V).
31. La Cour rappelle également que dans l’arrêt Guisset c. France (no 33933/96, § 76, CEDH 2000-IX), elle a conclu qu’en l’absence d’audience publique la Cour de discipline budgétaire et financière n’avait pas assuré au requérant son droit à un procès équitable. De même, dans l’arrêt Martini, précité, § 44, elle a estimé que le fait pour le requérant de ne pas avoir eu la possibilité de solliciter la tenue de débats publics devant la Cour des comptes était contraire aux garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.
32. Pour répondre au grief du requérant, la Cour n’estime pas nécessaire de s’interroger sur la différence entre la COB, autorité administrative et indépendante à l’époque des faits litigieux et les juridictions financières mentionnées dans sa jurisprudence citée ci-dessus. Il lui suffit de constater que le Gouvernement n’invoque comme motif parmi ceux qu’énumère l’article 6 § 1 permettant de justifier l’absence d’audience publique que celui de la réticence que pourraient avoir les professionnels de la finance de voir leur gestion contrôlée par le public. Or, compte tenu des pouvoirs de sanction de la COB, et des conséquences de celle prononcée en l’espèce, la Cour juge compréhensible que l’on puisse voir dans le contrôle du public une condition nécessaire à la transparence et à la garantie du respect de ses droits, nonobstant la technicité des débats (mutatis mutandis, Martinie, précité, §§ 43 et 44). La Cour prend acte à cet égard de la modification par la commission elle-même de son règlement intérieur, quelques mois après la fin de la procédure de l’espèce, et de l’ajout de la possibilité pour la personne mise en cause de demander la tenue d’une séance publique, possibilité qui a d’ailleurs été reprise par l’entité qui lui a succédé (paragraphes 18 et 20 ci-dessus) et dont le requérant n’a donc pas bénéficié. En conséquence, la Cour estime que compte tenu de l’importance de pouvoir solliciter la tenue de débats publics devant la COB, le seul contrôle ultérieur du Conseil d’Etat n’était pas suffisant en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 du fait de l’impossibilité pour le requérant de solliciter la tenue de débats publics devant la COB.
DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ du 5 avril 2012
SOCIÉTÉ BOUYGUES TELECOM contre France requête 2324/08
Sur le grief tiré de l’absence de publicité des débats devant le Conseil de la concurrence
69. La Cour rappelle que la publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l’article 6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue ainsi l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention (Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006-VI).
70. La Cour a ainsi jugé, qu’en l’absence d’audience publique, le requérant avait été privé des exigences du droit à un procès équitable devant la Cour de discipline budgétaire et financière (Guisset c. France, no 33933/96, § 76, CEDH 2000-IX), devant la Cour des comptes dès lors que la procédure devant la chambre régionale des comptes s’était déroulée à huis clos (Martinie, précité, § 44) et devant la Commission des opérations de bourse (Vernes c. France, no 30183/06, § 32, 20 janvier 2011). Dans ces affaires, la Cour a souligné que le principe de publicité pouvait souffrir des aménagements justifiés par la nature des questions soumises au juge, notamment lorsque la technicité des débats est telle que la procédure se prête en principe mieux à une procédure écrite qu’orale (Martinie, précité, § 43). Cependant, si l’article 6 § 1 ne fait pas obstacle à ce que le huis clos soit érigé en principe absolu, c’est à condition que les justiciables aient la possibilité de bénéficier d’une audience publique au stade de l’appel dès lors que le contrôle du public apparaît nécessaire à la transparence et à la garantie du respect de ses droits (Martinie, précité, § 44 ; Vernes, précité, § 32). Ainsi, dans l’affaire Vernes précitée, le « seul contrôle ultérieur du Conseil d’Etat n’était pas suffisant » (ibid.).
71. En l’espèce, la Cour considère que l’absence d’audience publique devant le Conseil de la concurrence a été compensée par le double contrôle juridictionnel de la cour d’appel et de la Cour de cassation. Le Conseil de la concurrence étant une autorité administrative indépendante, l’exception tirée de ce qu’un « procès pénal ordinaire » exige des débats publics en première instance et en appel (Riepan c. Autriche, no 35115/97, §§ 40-41, CEDH 2000-XII) ne saurait s’appliquer. La Cour souligne, à cet égard, que la cour d’appel de Paris statuant sur les recours formés à l’encontre des décisions du Conseil de la concurrence a la compétence de pleine juridiction (article L. 464-8, alinéa 1 du code de commerce, voir « droit interne pertinent »), qu’elle était donc en mesure d’apprécier le bien-fondé de la cause et notamment de se livrer à un contrôle de proportionnalité entre la faute et la sanction (mutatis mutandis la décision Association de défense des actionnaires minoritaires précitée ; voir, a contrario, les affaires Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 60, série A no 43, et Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 36, série A no 58 dans lesquelles la Cour a jugé que l’audience publique de la Cour de cassation ne suffisait pas à combler la lacune de l’absence de publicité dans le cadre d’une procédure disciplinaire relevant de l’article 6 § 1 en raison du fait que la Cour de cassation n’est pas un tribunal jouissant de la plénitude de juridiction). La Cour observe, en l’espèce, que dans son arrêt du 12 décembre 2006, la cour d’appel s’est livrée à un examen détaillé de la décision du Conseil de la concurrence avant de rejeter le recours de la requérante ; celle-ci a formé contre cet arrêt un pourvoi, comportant six moyens articulés en vingt-six branches, auquel la Cour de cassation a fait droit en cassant partiellement l’arrêt de la cour d’appel, notamment au motif que cette juridiction n’avait pas recherché de façon concrète si certains échanges entre les opérateurs téléphoniques pouvaient être qualifiés d’entente illicite ; la cour d’appel, statuant à nouveau sur renvoi de cassation, a complété sa motivation et rejeté le recours dirigé contre la décision du Conseil de la concurrence. La requérante ne saurait donc remettre en cause le fait que son recours contre la décision litigieuse a fait l’objet d’un examen minutieux et efficace par la cour d’appel et la Cour de cassation.
72. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Enregistrement sonore ou audiovisuel
Le Décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 est pris pour l'application de l'article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 mai 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1457 du 11 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gérard B. par Me Didier Bouthors, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-645 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le
système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bouthors, enregistrées
les 6 et 23 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 juin
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bouthors, pour le requérant, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles ne s'y oppose pas ».
2. Selon le requérant, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable. En effet, en permettant à la partie civile d'obtenir, de droit et quelles que soient les circonstances, le prononcé du huis clos pour le jugement de certains crimes devant la cour d'assises, le législateur aurait porté atteinte au principe de publicité des débats. Le requérant soutient en outre que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la justice, dès lors qu'elles rompraient l'équilibre entre la partie civile, l'accusé et le ministère public. Enfin, le requérant estime que les dispositions contestées, qui qualifient la partie civile de « victime » avant toute décision définitive de condamnation de l'accusé, iraient à l'encontre de la présomption d'innocence.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale.
4. En premier lieu, il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que le jugement d'une affaire pénale doit faire l'objet d'une audience publique sauf circonstances particulières nécessitant, pour un motif d'intérêt général, le huis clos.
5. Les dispositions contestées permettent à une « victime partie civile » d'obtenir de droit le prononcé du huis clos devant la cour d'assises pour le jugement des crimes de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé. D'une part, en réservant cette prérogative à cette seule partie civile, le législateur a entendu assurer la protection de la vie privée des victimes de certains faits criminels et éviter que, faute d'une telle protection, celles-ci renoncent à dénoncer ces faits. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général. D'autre part, cette dérogation au principe de publicité ne s'applique que pour des faits revêtant une particulière gravité et dont la divulgation au cours de débats publics affecterait la vie privée de la victime en ce qu'elle a de plus intime. Le législateur a ainsi défini les circonstances particulières justifiant cette dérogation. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de publicité des débats du procès pénal doit être écarté.
6. En deuxième lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
7. D'une part, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées est justifiée par l'objectif poursuivi par le législateur rappelé au paragraphe 5. D'autre part, cette différence de traitement ne modifie pas l'équilibre des droits des parties pendant le déroulement de l'audience et ne porte pas atteinte au respect des droits de la défense. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.
8. En troisième lieu, en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.
9. Les dispositions contestées, en évoquant la « victime partie civile », désignent la partie civile ayant déclaré avoir subi les faits poursuivis. Il ne s'en déduit pas une présomption de culpabilité de l'accusé. Le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d'innocence doit donc être écarté.
10. Par conséquent, les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile
ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, »
figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer
la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes
prostituées, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
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