COURS D'ASSISES

LES JURÉS DES COURS D'ASSISES DOIVENT MOTIVER LEUR ARRÊT ET RÉPONDRE
AUX QUESTIONS POSÉES PAR L'ACCUSATION, LES PARTIES CIVILES ET LA DÉFENSE

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"Les cours d'assises doivent aussi respecter les droits de la défense"
Frédéric Fabre docteur en droit.

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L'Arrêté du 26 janvier 2023 porte ouverture des archives des procès impliquant Maurice Papon.

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LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH ET LA BELGIQUE

Irrecevabilité Bodet C. Belgique du 26 janvier 2017 requête 78480/13

Non violation de l'article 6-1 : Les déclarations d’un membre du jury de la Cour d’assises à la presse après la condamnation du requérant n’ont pas mis en cause la présomption d’innocence et le droit à un tribunal impartial de l’intéressé. Les faits ont eu lieu après la condamnation et non avant la condamnation.

17. Le requérant soutient que contrairement au serment prêté, dès l’entame du procès, le membre du jury l’a considéré comme coupable en éprouvant de la haine contre lui et de l’empathie et de l’admiration pour la victime. Il fait valoir que ce membre du jury n’a pas décidé d’après les preuves et moyens de défense présentés, manquant à son devoir d’impartialité et à son droit à la présomption d’innocence. Il ajoute que l’entretien accordé à un journaliste deux jours après le verdict l’a été en violation du secret professionnel et fait foi de l’aveu de la partialité de ce membre du jury, indépendamment de la question de savoir si C.L. sera condamnée ou non. Il insiste sur la circonstance qu’en droit belge, le jury statue seul quant à la culpabilité de l’accusé.

18. Le Gouvernement soutient que l’article 290 du CIC n’interdit pas au juré de communiquer avec des tiers après le prononcé du jugement, le devoir d’impartialité s’imposant jusqu’au prononcé de la décision. Il ajoute que le juré comme tout juge est un être humain ne pouvant faire totalement abstraction de sa subjectivité. Ainsi, le fait d’éprouver des sentiments négatifs envers l’accusé sur la base des éléments du procès fait partie du processus du procès tant que ces sentiments ne sont pas connus et ne donnent pas à penser que le procès est inutile parce que le juge ou le juré a déjà décidé.

19. Le Gouvernement fait valoir que l’exigence d’impartialité ne s’apprécie pas sur des éléments qui sont postérieurs à la décision du tribunal. Il ajoute que les informations reprises ou imaginées par le journaliste en l’espèce sont à ce point vagues qu’à elles seules, elles ne peuvent pas permettre de conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que la jurée s’était formée une opinion avant le procès sans tenir compte du dossier d’instruction et de tous les éléments de preuve rapportés.

20. Enfin, le Gouvernement avance qu’il convient de ne pas préjuger l’issue de la procédure pour violation du secret du délibéré dans le cadre de laquelle le requérant pourra trouver une éventuelle réparation de cette violation. Il souligne que du fait de la législation applicable en matière de protection des sources des journalistes, il n’existe aucune présomption de fiabilité et d’authenticité des informations publiées, qui ne peuvent être vérifiées et ce alors que C.L. conteste avoir tenu les propos publiés.

B. Appréciation de la Cour

21. Les propos dont se plaint le requérant sont ceux par lesquels un membre d’un jury d’assises, présenté de façon anonyme, a fait état de ses sentiments pendant le procès et révélé des éléments de délibération dans le cadre d’un entretien avec un journaliste publié deux jours après la condamnation du requérant par la cour d’assises.

22. La question qui se pose à la Cour est de savoir si de tels propos de la part d’un membre du jury peuvent, a posteriori, remettre en cause l’impartialité tant subjective qu’objective de la cour d’assises, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

23. La Cour rappelle l’importance fondamentale qu’il y a à ce que les tribunaux d’une société démocratique inspirent confiance aux justiciables, à commencer, au pénal, par les prévenus (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 148, CEDH 2005‑XIII). À cet égard, l’article 6 § 1 de la Convention exige que les tribunaux soient impartiaux. Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, et peut, notamment sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières. L’exigence d’impartialité revêt deux aspects (Grieves c. Royaume-Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003‑XII (extraits)). Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Cette impartialité personnelle doit être présumée jusqu’à preuve du contraire. Ensuite, le tribunal doit être également objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Piersack c. Belgique, arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53, § 30, et Sander c. Royaume-Uni, no 34129/96, § 22, CEDH 2000‑V). Ces principes valent pour les jurés comme pour les magistrats, professionnels ou non (Remli c. France, 23 avril 1996, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II).

24. La Cour relève qu’en droit belge, la cour d’assises comprend un président et deux assesseurs et qu’au pénal, elle siège avec l’assistance du jury. Le jury, composé de douze membres, s’exprime sur la culpabilité de l’accusé tandis qu’à l’époque, la peine était fixée à l’issue d’une délibération du collège constitué par la cour et le jury.

25. La Cour rappelle avoir confirmé la conclusion à laquelle était parvenue l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme quant à la qualité de « tribunal » de la cour d’assises, à savoir que celle-ci est une juridiction indépendante au vu du mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, de l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et du fait qu’il y a apparence d’indépendance et impartialité (voir Zarouali c. Belgique, no 20664/92, décision de la Commission du 29 juin 1994, DR 78, p. 97, Taxquet c. Belgique, no 926/05, §§ 71-74, 13 janvier 2009, et Castellino c. Belgique, no 504/08, § 47, 25 juillet 2013).

26. La Cour rappelle en outre avoir considéré que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure (voir Taxquet [GC] précité, § 92, et Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, § 68, 29 novembre 2016).

27. S’agissant d’apprécier l’impartialité subjective, il faut tenir compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce (voir Morice c. France [GC], no 29369/10, § 73, 23 avril 2015).

28. À cet égard, la Cour estime que les déclarations relativement à une affaire ou aux parties en cause émanant d’un membre de la formation de jugement, que celles-ci interviennent avant, pendant ou après le procès, sont susceptibles d’indiquer l’existence d’une éventuelle hostilité ou partialité dans son chef. La question de savoir si ces déclarations constituent ou non la preuve suffisante d’un manque d’impartialité subjective ou objective, dépend du contexte et de la teneur des propos en cause.

29. En l’espèce, la Cour constate que les propos litigieux ont été tenus postérieurement au verdict, c’est-à-dire à un moment où la jurée en cause n’exerçait plus de fonction juridictionnelle. Les garanties présentes en droit belge visant à assurer l’impartialité du jury (voir paragraphe 14, ci-dessus) ne s’appliquaient par conséquent plus en tant que telles, laissant place à une interdiction de violer le secret du délibéré (voir paragraphe 15, ci-dessus).

30. Si les propos litigieux reflètent effectivement une perception négative de la cause de l’accusé, à la lecture de l’entretien dans son ensemble, la Cour estime qu’il ne peut pas en être déduit que le membre du jury en question aurait débuté le procès avec l’idée préconçue de la culpabilité du requérant plutôt que de s’être forgée cette conviction au cours des débats. L’article contient d’ailleurs des éléments laissant croire le contraire, la jurée ayant indiqué que le travail des enquêteurs et la ligne du temps précise qu’ils avaient établie « [avaient] beaucoup aidé [les jurés] » pour ensuite faire référence aux délibérations. Le requérant n’allègue par ailleurs pas que la jurée en cause aurait extériorisé une quelconque opinion ou émotion durant le procès. Il ne soutient pas davantage avoir formulé une demande de récusation à l’encontre de C.L ou d’un autre juré durant le procès.

31. Quant à l’impartialité objective, il échet de déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir Morice précité, § 73).

32. En ce qui concerne la composition de la cour d’assises, la Cour a déjà relevé que le droit belge prévoit que le jury populaire est composé de douze membres. Celui-ci délibère seul quant à la culpabilité. Trois magistrats professionnels rejoignent la formation de jugement s’agissant de motiver sa décision et de débattre ensemble de la peine à infliger (voir paragraphe 24, ci-dessus).

33. Elle relève en outre que le requérant n’avance aucun élément concret permettant de remettre en cause la capacité de la formation collégiale qu’est la cour d’assises de se former une opinion en toute impartialité. Cette opinion s’est en l’espèce forgée à l’issue de délibérations puis matérialisée sous la forme de deux décisions motivées apparaissant dénuées d’arbitraire.

34. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce, les craintes du requérant quant à l’impartialité de la cour d’assises ne sauraient passer pour objectivement justifiées.

35. Le requérant ne fait pas valoir d’argumentation séparée sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention.

36. La Cour rappelle que le principe de la présomption d’innocence exige, entre autres, qu’en remplissant leurs fonctions les membres du tribunal ne partent pas de l’idée préconçue que le prévenu a commis l’acte incriminé ; la charge de la preuve pèse sur l’accusation et le doute profite à l’accusé (Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 159, 4 mars 2014).

37. Il n’est en l’espèce pas démontré que la jurée en cause serait partie de l’idée préconçue que le requérant était coupable des faits pour lesquels il était poursuivi devant la cour d’assises.

38. Il découle des considérations qui précèdent que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

GRANDE CHAMBRE

LHERMITE C. Belgique du 29 novembre 2011 requête 34238/09

jugement équitable : la requérante a eu les éléments nécessaires pour comprendre sa condamnation à perpétuité pour le meurtre de ses cinq enfants. Les avis des experts étaient limités puisqu'ils ont eux-mêmes déclaré que l'irresponsabilité de la requérante au moment des meurtres était pour eux une conclusion portant sur leur intime conviction et non, une vérité scientifique.

1. Principes généraux

66. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé (Taxquet, précité, § 90). L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet, précité, § 89).

67. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

68. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, §§ 90 et 92, Judge c. Royaume-Uni (déc.), no 35863/10, 8 février 2011, Shala c. Norvège (déc.), no 1195/10, 10 juillet 2012, et Agnelet, précité). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict et à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (Papon c. France (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII ; voir également Taxquet, précité). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

69. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et Taxquet, précité, § 93).

70. Dans l’arrêt Taxquet (précité), qui concernait un requérant ayant comparu devant la cour d’assises avec sept coaccusés, la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre [le requérant] » dans cette affaire. Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (ibidem, § 95).

71. Quant aux questions posées, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour M. Taxquet, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (ibidem, § 96).

72. Il ressort de l’arrêt Taxquet que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury devait permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux questions concernant le requérant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt que d’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (ibidem, § 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées.

73. La Cour a par la suite été amenée à conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans un certain nombre de requêtes concernant la France (Agnelet, précité, ainsi que Fraumens c. France, no 30010/10, 10 janvier 2013 et Oulahcene c. France, no 44446/10, 10 janvier 2013) et la Belgique (paragraphe 63 ci-dessus), deux pays présentant des similitudes en matière de procédure devant les cours d’assises.

74. Elle a par ailleurs conclu à la non-violation de l’article 6 de la Convention lorsque les requérants avaient disposé de garanties suffisantes leur permettant de comprendre le verdict de condamnation prononcé à leur encontre. Ces affaires concernaient en particulier des hypothèses dans lesquelles il s’agissait notamment pour les requérants de comprendre les raisons d’une peine plus sévère, en appel, que pour un coaccusé contrairement au verdict rendu par une cour d’assises de première instance (Voica c. France, no 60995/09, 10 janvier 2013), l’absence de distinction entre certains éléments constitutifs du crime reproché (Legillon c. France, no 53406/10, 10 janvier 2013), ou encore les raisons d’une condamnation alors que l’intéressé niait les faits dont il était accusé (Judge, décision précitée, et Bodein c. France, no 40014/10, 13 novembre 2014).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

75. La Cour relève d’emblée que si la présente affaire concerne la motivation de la condamnation de la requérante à perpétuité pour l’homicide volontaire, commis avec préméditation, de ses cinq enfants, la question qui lui est soumise ne concerne ni la matérialité des faits et leurs modalités d’exécution, qui sont établis et reconnus par la requérante, ni les qualifications pénales retenues ou le quantum de la peine. En l’espèce, elle doit se prononcer sur le point de savoir si la requérante a pu ou non comprendre les raisons pour lesquelles les jurés l’ont jugée responsable de ses actes au moment de la commission des faits, et ce malgré les conclusions unanimes en sens contraire des experts psychiatres, qui ont présenté leur nouveau rapport à la fin des débats devant la cour d’assises (paragraphe 32 ci-dessus).

76. La Cour constate qu’au début du procès, l’acte d’accusation a été lu dans son intégralité, la nature de l’infraction à la base de l’accusation et les circonstances pouvant aggraver ou diminuer la peine ayant également été indiquées. Les charges ont ensuite été discutées contradictoirement, chaque élément de preuve ayant été débattu et l’accusée, assistée d’un avocat, ayant pu demander l’audition de témoins et réagir aux dépositions. Les questions posées par le président aux douze jurés à l’issue des débats, lesquels se sont déroulés sur une dizaine de jours, ont été lues et une copie en a été remise aux parties.

77. S’agissant de l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que l’acte d’accusation exposait, sur cinquante-et-une pages, les faits et leur déroulement précis, les actes et les éléments de l’enquête, les expertises médico-légales, mais également, pour une part importante, le parcours de vie et la vie familiale de la requérante, ainsi que la motivation et les causes de son passage à l’acte meurtrier, au vu notamment des expertises psychologiques et mentales la concernant (paragraphe 29 ci-dessus). Elle souligne cependant que l’acte d’accusation avait une portée limitée pour la compréhension du verdict qu’allait rendre le jury, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur d’un procès d’assises (Taxquet, précité, § 95, et Agnelet, précité, § 65). Par ailleurs, concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et la décision à laquelle le jury est finalement arrivé (voir, notamment, Agnelet, précité, Voica, précité, § 49, et Legillon, précité, § 61). Les dispositions de l’article 6 imposent en particulier de comprendre les raisons qui ont conduit non pas les juridictions d’instruction à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais celles qui ont convaincu les membres du jury, après les débats au fond menés devant eux, d’arrêter leur décision sur la culpabilité.

78. Quant aux cinq questions posées en l’espèce, le jury a répondu par l’affirmative aux deux premières et par la négative à la cinquième. La première, posée à titre principal, concernait la culpabilité de la requérante, la deuxième portait sur la circonstance aggravante de préméditation et la cinquième, contrairement à ce que semble indiquer la requérante (paragraphe 52 ci-dessus), sur son état mental actuel, les autres questions étant subsidiaires et finalement devenues sans objet.

79. La Cour note, d’une part, que les conseils de la requérante n’ont pas formulé d’objections en découvrant les questions à poser par le président au jury, que ce soit pour les modifier ou pour en proposer d’autres. D’autre part, dès lors que la première question portait sur la culpabilité de la requérante, une réponse positive sur ce point impliquait nécessairement que les jurés la jugeaient responsable de ses actes au moment des faits. La requérante ne saurait donc soutenir qu’elle n’était pas en mesure de comprendre la position du jury sur ce point.

80. Certes, le jury n’a pas fourni de motivation à cet égard, ce dont se plaint la requérante. La Cour rappelle cependant que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble, en examinant si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Or, un tel examen pourrait permettre, dans la présente affaire, de relever un certain nombre d’éléments susceptibles de lever les doutes éventuels de la requérante quant à la conviction des jurés s’agissant de sa responsabilité pénale au moment des faits. La Cour relève que, dès l’instruction, l’enquête s’est concentrée sur le parcours de la requérante, sa personnalité et son état psychologique au moment des meurtres, ce dont atteste l’acte d’accusation qui y consacre une part substantielle. En outre, non seulement les débats ont été menés contradictoirement en présence de l’accusée et de ses conseils mais, surtout, l’apparition d’éléments nouveaux, à savoir les lettres révélées par le psychiatre personnel de la requérante, a conduit le président à ordonner une nouvelle expertise psychiatrique (paragraphe 31 ci-dessus). Ces experts psychiatres ont alors changé d’avis et sont venus présenter leurs nouvelles conclusions (paragraphes 32 et 33 ci-dessus). Il est clair que, si les débats devant la cour d’assises constituent toujours le cœur d’un procès d’assises, en l’espèce la question de la responsabilité pénale de la requérante figurait quant à elle au centre de ces débats.

81. De plus, la Cour constate que l’arrêt sur la fixation de la peine, adopté par la cour d’assises composée à la fois des douze jurés et des trois magistrats professionnels, apporte également des éléments de motivation susceptibles d’éclairer la requérante sur les raisons ayant conduit le jury à retenir sa responsabilité pénale. Ainsi, tout en relevant les difficultés psychologiques de la requérante et les causes possibles de son passage à l’acte, la cour d’assises évoque expressément tant sa résolution à commettre les meurtres que sa froideur dans leur exécution (paragraphe 36 ci-dessus) : il s’agissait d’une conclusion logique compte tenu des réponses du jury aux questions. La Cour de cassation n’a d’ailleurs pas interprété autrement cet arrêt sur la peine, puisqu’elle a souligné que la prise en compte du sang-froid et de la détermination mis par la requérante à l’exécution des crimes donnait le motif de la cour d’assises pour retenir sa responsabilité pénale au moment des faits (paragraphe 39 ci-dessus).

82. Aux yeux de la Cour, le fait que l’arrêt sur la peine ait été rédigé par les magistrats professionnels, absents lors des délibérations sur la culpabilité, ne saurait remettre en cause la valeur et la portée des explications fournies à la requérante. Elle constate en effet tout d’abord qu’elles ont été fournies sans délai, à la fin de la session d’assises, puisque l’arrêt sur la peine a été rendu le 19 décembre 2008. Elle relève ensuite que si les juges professionnels ont formellement rédigé l’arrêt en question, ils ont pu recueillir les observations des douze jurés qui ont effectivement siégé à leurs côtés pour délibérer sur la peine et dont les noms apparaissent dans l’arrêt. Enfin, les juges professionnels ont eux-mêmes été présents tout au long des débats, ce qui devait leur permettre de situer correctement ces observations dans leur contexte.

83. Il reste que la requérante critique l’absence d’explications expresses quant à la divergence d’opinions entre le jury, qui a retenu sa responsabilité pénale, et les trois experts psychiatres qui, dans leur dernier rapport, ont exprimé un avis unanime selon lequel la requérante « était au moment des faits dans un état grave de déséquilibre mental la rendant incapable du contrôle de ses actions ». La Cour rappelle cependant que la recevabilité des preuves et leur appréciation relèvent au premier chef des règles de droit interne et qu’en principe, il revient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. Sa tâche est d’assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention : il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, mais de rechercher si une procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Schenk c. Suisse, 12 juillet 1998, § 46, série A no 140, Bernard c. France, 23 avril 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, et Bochan c. Ukraine (No 2), no 22251/08, CEDH 2015). Or, outre le fait que les experts ont eux-mêmes relativisé la portée de leurs conclusions, en précisant que leurs réponses correspondent à leur intime conviction tout en admettant qu’« elles ne sont jamais qu’un avis éclairé, non une vérité scientifique absolue » (paragraphe 32 ci-dessus), la Cour a déjà jugé que des déclarations faites par des experts psychiatres à l’audience d’une cour d’assises ne constituent que des éléments parmi d’autres soumis à l’appréciation du jury (Bernard, précité, § 40). Dès lors, le fait que le jury n’ait pas indiqué les raisons l’ayant conduit à adopter un avis contraire au rapport final des experts psychiatres, favorable à la requérante, n’a pas été de nature à empêcher la requérante de comprendre, comme cela a été relevé plus haut, la décision de retenir sa responsabilité pénale.

84. En conclusion, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour estime que la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de culpabilité qui a été prononcé à son encontre.

85. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Arrêt de Chambre LHERMITTE c. BELGIQUE du 26 mai 2015 requête 34238/09

Non violation de l'article 6, l’affaire concerne la condamnation de Mme Lhermitte à la réclusion à perpétuité par la cour d’assises pour homicide volontaire avec préméditation sur ses cinq enfants.

La requérante se plaignait en particulier que son droit à un procès équitable avait été violé en raison de l’absence de motivation du verdict du jury sur sa culpabilité et de l’arrêt de la cour d’assises sur la fixation de sa peine.

La CEDH par 4 voix contre 3, juge qu’il convient d’avoir égard au procès dans son ensemble, comprenant les décisions de justice postérieures à la déclaration du jury et qui ont précisé ses motifs. Elle estime par conséquent que la lecture combinée des arrêts de la cour d’assises et de l’arrêt de la Cour de cassation permettait à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles elle avait été déclarée pénalement responsable, et donc reconnue coupable et condamnée à la réclusion à perpétuité.

"La circonstance que, par la suite, la Cour de cassation a expliqué comment il faut comprendre l’arrêt sur la fixation de la peine au regard de la décision sur la culpabilité, ne prête pas à la critique. Dans un système où certaines décisions sont susceptibles de recours, il est normal que la décision de la juridiction inférieure doive être comprise dans le sens qui y est donné, le cas échéant, par la juridiction supérieure."

27.  La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France(no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], n926/05, § 89, CEDH 2010).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b)  Application au cas d’espèce

28. Dans la présente affaire, la requérante fut condamnée à la réclusion à perpétuité pour avoir tué, avec préméditation, ses cinq enfants. L’enjeu pour la requérante était considérable, en particulier compte tenu du fait qu’elle avait toujours soutenu avoir été incapable du contrôle de ses actes au moment des faits.  Puisque la requérante ne contestait pas la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, la difficulté du débat se situait dans la détermination de la responsabilité pénale ou non de la requérante.

29. La Cour rappelle que les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité. Bref, elle doit examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable. De plus, dans des affaires issues d’une requête individuelle, la Cour n’a point pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation litigieuse. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie (Taxquet, précité, §§ 83-84). Tel qu’expliqué dans l’arrêt Taxquet (précité, § 92), dans des circonstances similaires à celles de la présente affaire, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier de garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Doit également être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

30. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95, et Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont la requérante était accusée, exposait de manière détaillée le déroulé des faits qui pouvait être reconstitué et reprenait de manière extensive les diverses expertises psychologiques et psychiatriques qui avaient été effectuées. Néanmoins, s’agissant des constatations reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre la requérante, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61, et Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

31. Quant aux cinq questions soumises au jury, la Cour relève que quatre d’entre elles avaient trait aux cinq homicides (questions nos 1 et 3) et à la circonstance aggravante de préméditation (questions nos 2 et 4). La dernière question avait trait à la responsabilité pénale de la requérante (question no 5). La Cour estime que les questions posées ne permettaient peut-être pas, en soi, à la requérante de savoir quels éléments, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à déclarer la requérante responsable de ses actes (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97, et Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). Elle estime toutefois qu’il convient d’avoir égard au procès dans son ensemble, y compris les décisions judiciaires qui ont suivi la déclaration du jury et qui ont précisé les motifs de celle-ci. Elle constate ainsi que la cour d’assises, composée des trois magistrats professionnels et du jury, a précisé dans son arrêt sur la fixation de la peine que les circonstances invoquées par la requérante, en particulier « sa fragilité mentale, son état dépressif et sa personnalité » ne pouvaient expliquer les actes qu’elle avait commis et ne constituaient même pas des circonstances atténuantes (paragraphe 17, ci-dessus). La Cour de cassation, pour sa part, indiqua explicitement les motifs sur lesquels la cour d’assises s’était basée pour considérer que la requérante n’était pas incapable du contrôle de ses actes au moment des faits (paragraphe 19, ci-dessus). La Cour estime partant que la lecture combinée de l’arrêt de la cour d’assises et de l’arrêt de la Cour de cassation permettait à la requérante de comprendre pour quelles raisons les jurés avaient rejeté ses moyens de défense fondés sur sa prétendue irresponsabilité au moment des faits et avaient au contraire estimé qu’elle était capable de contrôler ses actes.

32. Il est vrai que ce sont les seuls jurés qui ont décidé que la requérante était responsable de ses actes, alors que la motivation de cette décision résulte de l’arrêt sur la fixation de la peine, adopté par la cour d’assises composée des jurés et des trois magistrats professionnels, et expliqué de surcroît par la Cour de cassation. Les magistrats de la cour d’assises ont donc contribué à la rédaction d’une motivation qui concerne partiellement une décision prise suite à une délibération à laquelle ils n’ont pas assisté. La Cour estime toutefois que cette circonstance n’est pas de nature à enlever à la motivation donnée sa validité du point de vue du droit à un procès équitable. En effet, si les magistrats se sont joints aux jurés pour délibérer sur la peine à imposer et sur la motivation à donner à la décision prise à cet égard, ils ont pu apprendre directement des jurés quels ont été les motifs pour lesquels ces derniers avaient déclaré la requérante coupable, et ensemble ils ont dû se mettre d’accord sur une motivation qui bien évidemment devait être dans la même ligne que les motifs sous-jacents au verdict de culpabilité. La circonstance que, par la suite, la Cour de cassation a expliqué comment il faut comprendre l’arrêt sur la fixation de la peine au regard de la décision sur la culpabilité, ne prête pas à la critique. Dans un système où certaines décisions sont susceptibles de recours, il est normal que la décision de la juridiction inférieure doive être comprise dans le sens qui y est donné, le cas échéant, par la juridiction supérieure.

33. Par ailleurs, s’agissant spécifiquement de la fixation de la peine, la Cour note que l’arrêt de la cour d’assises était dûment motivé sur ce point et qu’il ne comporte aucune apparence d’arbitraire (paragraphe 17, ci-dessus).

34.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation ainsi que la peine qui ont été prononcés à son encontre.

35. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

MAGY c. BELGIQUE du 24 février 2015 requête 43137/09

Article 6-1 de la Convention, la CEDH constate encore une fois que l'absence de motivation d'une condamnation par une Cour d'Assises n'est pas conforme à la Convention.

36.  La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France (n61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56.  La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], n926/05, § 89, CEDH 2010).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b)  Application au cas d’espèce

37.  Dans la présente affaire, la requérante fut condamnée à une peine d’emprisonnement de vingt-trois ans pour avoir, à plusieurs reprises et par différents moyens, tenté d’assassiner G.T. par empoisonnement. L’enjeu pour la requérante était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’elle avait toujours fermement contesté avoir été impliquée dans les faits qui lui étaient reprochés.  De plus, la Cour constate qu’un grand nombre d’incertitudes entouraient les circonstances des crimes reprochés à la requérante.

38.  S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait les crimes dont la requérante était accusée et exposait de manière détaillée les témoignages du coaccusé et d’autres témoins indirects, ainsi que les résultats des expertises menées. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre la requérante, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

39.  Quant aux quatre questions soumises au jury concernant la requérante, la Cour relève qu’elles avaient trait aux deux crimes pour lesquels la requérante était poursuivie (questions nos 5 et 9) ainsi qu’à des circonstances aggravantes y relatives (questions nos 6 et 10). Quatre questions identiques furent posées concernant le coaccusé W.V.G. (questions nos 3, 4, 7 et 8). De la sorte, la Cour est d’avis que les questions n’étaient pas individualisées. Elles ne se référaient à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre à la requérante de comprendre le verdict de condamnation (dans le même sens, Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). Ainsi, la Cour estime que, même combinées à l’acte d’accusation, les questions posées ne permettaient pas à la requérante de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner la requérante du chef de tentatives d’assassinat (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino, précité, § 38). En particulier, la requérante n’était pas en mesure de différencier de façon certaine son implication et celle de son coaccusé dans la commission des infractions et de comprendre quel rôle précis, pour le jury, elle avait joué par rapport à son coaccusé alors qu’elle contestait fermement son implication dans les faits qui lui étaient reprochés.

40.  Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

41.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce la requérante n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

42.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

DEVRIENDT c. BELGIQUE du 17 février 2015 requête 32001/07

Article 6-1 de la Convention, la CEDH constate encore une fois que l'absence de motivation d'une condamnation par une Cour d'Assises n'est pas conforme à la Convention.

21.  La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France (n61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], n926/05, § 89, CEDH 2010).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b)  Application au cas d’espèce

22.  Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir assassiné sa compagne. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours contesté avoir eu l’intention de tuer et, a fortiori, d’avoir prémédité son acte.  De plus, la Cour constate qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

23.  S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont le requérant était accusé et contenait une chronologie détaillée des investigations policières et judiciaires, de nombreuses déclarations des témoins ainsi que les dépositions du requérant. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

24.  Quant aux deux questions soumises au jury, la Cour relève que la première concernait l’infraction principale qualifiée d’homicide volontaire et que la deuxième se rapportait à la circonstance aggravante de préméditation. De la sorte, la Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant du chef d’assassinat (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons la qualification d’assassinat avait été retenue à son encontre alors que le requérant contestait fermement tant sa volonté de tuer que le fait d’avoir prémédité son acte.

25.  Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

26.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

27. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

KURT c. BELGIQUE du 17 février 2015 requête 17663/10

Article 6-1 de la Convention, la CEDH constate encore une fois que l'absence de motivation d'une condamnation par une Cour d'Assises n'est pas conforme à la Convention.

26.  Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de trente ans du chef de meurtre et de port d’un objet utilisé comme une arme. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours plaidé non-coupable.  Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

27. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont le requérant était accusé et exposait de manière détaillée les témoignages recueillis, ainsi que les résultats des expertises menées. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

28. Quant aux deux questions soumises au jury, la Cour relève qu’elles avaient trait aux deux faits principaux reprochés au requérant, l’homicide volontaire (question no 1) et le port d’un objet utilisé comme arme (question no 2). La Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant du chef de meurtre (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons la qualification de meurtre avait été retenue à son encontre alors qu’il avait plaidé non-coupable tout au long de la procédure. En outre, le requérant ne pouvait pas non plus déterminer dans quelle mesure les jurés s’étaient fondés sur les seules preuves matérielles et testimoniales ou également sur la base de ses aveux rétractés et contestés en raison de la mauvaise qualité prêtée à leur traduction. À l’égard de ces aveux, le requérant ne pouvait pas non plus déterminer les raisons pour lesquelles le jury aurait résolu la contradiction existant en ses déclarations initiales, faites avec le concours d’A.A., et ses déclarations au cours du procès, faites avec le concours d’un autre interprète, en faveur des premières déclarations.

29. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

30.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

31. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

MAILLARD c. BELGIQUE du 17 février 2015 requête 23530/08

Article 6-1 de la Convention, la CEDH constate encore une fois que l'absence de motivation d'une condamnation par une Cour d'Assises n'est pas conforme à la Convention.

26.  Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours contesté avoir eu l’intention de blesser ou de tuer la victime et qu’il avait nié lui avoir porté des coups de hachette.  Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins que quelques incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

27.  S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait les infractions dont le requérant était accusé et exposait le déroulé des faits tel qu’il pouvait être reconstitué par les divers témoignages recueillis ainsi que les dépositions du requérant. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

28.  Quant aux vingt questions soumises au jury concernant le requérant, la Cour relève qu’elles avaient trait à chacune des infractions reprochées au requérant (questions nos 1, 5, 10, 15, 16, 18 et 19) ainsi qu’à chacune des circonstances aggravantes (questions nos 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14 et 17). La question no 4bis concernait une question subsidiaire posée au jury à la demande du requérant. Toutefois, la Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons le jury avait conclu qu’il avait eu l’intention de tuer H.T. alors qu’il contestait fermement sa volonté de tuer.

29.  Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

30.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

31.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Arrêt GOKTEPE c. BELGIQUE du 02 juin 2005 Requête no 50372/99

La CEDH condamne le fait que le requérant n'a pas pu discuter son degré de culpabilité et sa peine devant une Cour d'Assises:

 "25.  La Cour rappelle qu'en principe il revient aux juridictions nationales d'apprécier les éléments recueillis par elles. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (voir, entre autres, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 711, § 50). En matière pénale, le « procès équitable » voulu par l'article 6 § 1 implique pour l'accusé la possibilité de discuter les preuves recueillies sur des faits contestés, même relatifs à un aspect de la procédure (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, pp. 36-37, § 102). Il en va de même de la qualification juridique donnée à ces faits. En effet, le respect du contradictoire implique, pour l'accusation comme pour la défense, la faculté de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de leurs prétentions (APBP c. France, no 38436/97, 21 mars 2002, § 31) et le droit de toute partie de présenter ses arguments ne peut passer pour effectif que si ces arguments sont dûment examinés par la juridiction saisie (Quadrelli c. Italie, no 28168/95, 11 janvier 2000, § 34). Le « tribunal » a l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 59 ; Kraska c. Suisse, arrêt du 19 avril 1993, série A no 254-B, p. 49, § 30). Il convient donc de déterminer si cette condition d'un examen effectif a été remplie en l'espèce.

  26.  En l'espèce, trois questions visant les accusés dans leur ensemble ont été posées au jury quant à l'existence de circonstances aggravantes objectives. Celles-ci n'ont pas été individualisées, malgré la demande qui avait été formulée à cet égard par le requérant, en application de la théorie de « l'emprunt matériel de criminalité » consistant à imputer automatiquement à tous les participants à une infraction principale les circonstances aggravantes ayant accompagné cette infraction, fût-il même établi que certains d'entre eux ne les auraient pas connues, n'auraient pas pu les prévoir ou s'y seraient personnellement opposés.

  27.  Le jury, qui était compétent pour statuer sur la culpabilité des trois coaccusés, a répondu par l'affirmative à la question posée au sujet de la culpabilité du requérant quant à l'infraction principale de vol ainsi qu'à deux questions portant sur l'existence de circonstances aggravantes.

  28.  Du fait du refus de la cour de poser des questions individualisées sur les circonstances aggravantes, le jury ne pouvait se prononcer sur celles-ci qu'à l'égard de tous les accusés. Or, une réponse affirmative aux questions posées à cet égard entraînait une aggravation automatique et substantielle des peines encourues : si la peine d'emprisonnement est fixée entre un mois et cinq ans en cas de vol simple, un vol avec violences et menaces est passible d'une réclusion de cinq à dix ans et un vol avec meurtre de la réclusion à perpétuité. La question de l'implication personnelle du requérant, qui a toujours nié avoir porté les coups ayant conduit au décès de la victime, était donc déterminante pour l'exercice de ses droits de la défense. Telles que libellées, les questions plaçaient pourtant le jury dans l'impossibilité de déterminer individuellement la responsabilité pénale du requérant quant aux circonstances aggravantes qui pouvaient être retenues et l'empêchaient d'avoir égard aux conclusions par lesquelles le requérant avait dénié toute implication dans les coups portés.

  29.  Le fait qu'une juridiction n'ait pas égard à des arguments portant sur un point essentiel et entraînant des conséquences aussi sévères doit passer pour incompatible avec le respect du contradictoire qui est au cœur de la notion de procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention. Pareille conclusion s'impose particulièrement en l'espèce, compte tenu du fait que les jurés ne peuvent pas motiver leur conviction : la précision des questions posées au jury doit permettre de compenser adéquatement les réponses laconiques qui s'imposent à ces derniers (Commission eur. D.H., R.B. c. Belgique, no 29479/95, décision du 2 juillet 1997 et Zarouali c. Belgique, no 20664/92, décision du 20 juin 1994).

  30.  La Cour ne saurait suivre le Gouvernement lorsqu'il fait valoir que l'automatisme résultant de l'application de la théorie de « l'emprunt matériel de criminalité » peut être corrigé au moment de la détermination de la peine à infliger et lorsqu'il affirme que le seul fait que la peine maximale ait été prononcée à l'encontre du requérant implique que le jury l'avait jugé personnellement coupable d'infraction aggravée, sans quoi il lui aurait été reconnu des circonstances atténuantes. Si l'on ne peut écarter cette hypothèse, il y a toutefois lieu d'avoir égard à la situation spécifique de l'espèce. Une des caractéristiques du système belge de délibérations des cours d'assises est que le jury statue seul, dans une première phase, sur la culpabilité de l'accusé, sur base des faits établis lors des audiences et des questions qui lui sont posées. La détermination de la peine prend place dans une phase ultérieure, au cours de laquelle le jury est assisté des trois magistrats professionnels. La possibilité indirecte et purement hypothétique, pour un prévenu, de voir pris en compte ses arguments dans le stade ultérieur de la détermination de la peine ne peut guère passer pour un équivalent valable du droit de les voir examiner directement par le jury lorsqu'il statue sur les faits et sur leur qualification juridique. On ne saurait admettre, dans un système qui distingue radicalement les questions de culpabilité et de peine, la confirmation a posteriori de la culpabilité d'un accusé par le quantum de la peine finalement infligée et ce par un tribunal dont la composition diffère lorsqu'il se prononce sur l'une et l'autre question. Cela reviendrait à inverser le « processus séquentiel » de la condamnation pénale. En effet, les circonstances aggravantes objectives concernent les conditions dans lesquelles une infraction a été commise et intéressent au premier chef la question de la culpabilité, qui elle-même est déterminante pour la fixation du quantum de la peine. Or, c'est au jury seul qu'il incombait de décider sur la culpabilité.

  Par ailleurs, le mécanisme de correction qui pourrait avoir lieu lors de l'imputation de la peine ne serait qu'un correctif très imparfait : l'accusé aura malgré tout en pareil cas été formellement déclaré coupable d'une infraction aggravée, sans que les jurés n'aient nécessairement été convaincus de sa culpabilité relativement aux circonstances aggravantes. Qui plus est, la cour d'assises aurait pu souhaiter reconnaître au condamné le bénéfice de circonstances atténuantes indépendamment de toute volonté de corriger l'imputation automatique des circonstances aggravantes et, en pareil cas, la peine prononcée à son égard restera malgré tout une peine plus élevée que celle qu'il aurait encourue en l'absence de ce mécanisme d'imputation automatique.

  31.  La Cour en conclut que le requérant n'a pas eu la possibilité d'exercer ses droits de défense d'une manière concrète et effective, ou à tout le moins en temps utile, sur un point déterminant. Partant, il n'a pas bénéficié d'un procès équitable, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention."

Arrêt GRANDE CHAMBRE

 Taxquet c. Belgique du 16 novembre 2010 requête 926/05

1. Principes généraux

83.  La Cour note que plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe connaissent l'institution du jury populaire, laquelle procède de la volonté légitime d'associer les citoyens à l'action de justice, notamment à l'égard des infractions les plus graves. Selon les Etats, et en fonction de l'histoire, des traditions et de la culture juridique de chacun d'eux, le jury se présente sous des formes variées qui diffèrent entre elles quant au nombre, à la qualification et au mode de désignation des jurés, ainsi que par l'existence ou non de voies de recours contre les décisions rendues (paragraphes 43-60 ci-dessus). Il s'agit là d'une illustration parmi d'autres de la variété des systèmes juridiques existants en Europe, qu'il n'appartient pas à la Cour d'uniformiser. En effet, le choix par un Etat de tel ou tel système pénal échappe en principe au contrôle européen exercé par la Cour, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (Achour c. France [GC], no 67335/01, § 51, CEDH 2006-IV). De plus, dans des affaires issues d'une requête individuelle, la Cour n'a point pour tâche de contrôler dans l'abstrait la législation litigieuse. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie (voir, parmi beaucoup d'autres, N.C. c. Italie, [GC] no 24952/02, § 56, CEDH 2002–X).

84.  Il ne saurait donc être question ici de remettre en cause l'institution du jury populaire. En effet, les Etats contractants jouissent d'une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l'article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l'affaire, à sa nature et à sa complexité. Bref, elle doit examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Edwards c. Royaume-Uni, arrêt du 16 décembre 1992, § 34, série A no 247-B ; Stanford c. Royaume-Uni, arrêt du 23 février 1994, § 24, série A no 282-A).

85.  La Cour rappelle qu'elle a déjà eu à connaître de requêtes concernant la procédure devant les cours d'assises. Ainsi, dans l'affaire R. c. Belgique (no 15957/90, décision de la Commission du 30 mars 1992, Décisions et rapports (DR) 72), la Commission européenne des droits de l'homme avait constaté que si la déclaration de culpabilité par le jury ne comportait aucune motivation, le président de la cour d'assises avait du moins préalablement posé au jury des questions concernant les circonstances de fait de la cause, que l'accusé avait pu contester. La Commission avait vu dans ces questions précises, dont certaines avaient pu être posées à la demande de la défense ou de l'accusation, une trame sous-tendant la décision critiquée et une compensation adéquate du caractère laconique des réponses du jury. La Commission avait rejeté la requête pour défaut manifeste de fondement. Elle avait adopté une approche similaire dans les affaires Zarouali c. Belgique (no 20664/92, décision de la Commission du 29 juin 1994, DR 78) et Planka c. Autriche (no 25852/94, décision de la Commission du 15 mai 1996).

86.  Dans l'affaire Papon c. France (déc.), précitée, la Cour a relevé que le ministère public et l'accusé s'étaient vu offrir la possibilité de contester les questions posées et de demander au président de poser au jury une ou plusieurs questions subsidiaires. Après avoir constaté que le jury avait répondu aux 768 questions posées par le président de la cour d'assises, elle a estimé que celles-ci formaient une trame apte à servir de fondement à la décision et que leur précision compensait adéquatement l'absence de motivation des réponses du jury. La Cour a rejeté comme manifestement mal fondé le grief tiré de l'absence de motivation de l'arrêt de la cour d'assises.

87.  Dans l'affaire José Manuel Bellerín Lagares c. Espagne ((déc.), no 31548/02, 4 novembre 2003), la Cour a constaté que le jugement critiqué – auquel était joint le procès-verbal des délibérations du jury – contenait l'énoncé des faits déclarés prouvés qui avaient conduit le jury à conclure à la culpabilité du requérant ainsi que l'analyse juridique de ces faits et, s'agissant de la détermination de la peine, une référence aux circonstances modificatives de la responsabilité du requérant applicables au cas d'espèce. Elle a estimé dès lors que le jugement en question était suffisamment motivé aux fins de l'article 6 § 1 de la Convention.

88.  Dans l'affaire Göktepe c. Belgique précitée (§ 28), la Cour a conclu à une violation de l'article 6 à raison du refus de la cour d'assises de poser des questions individualisées sur l'existence de circonstances aggravantes, privant ainsi le jury de la possibilité de déterminer individuellement la responsabilité pénale du requérant. De l'avis de la Cour, le fait qu'une juridiction n'ait pas égard à des arguments portant sur un point essentiel et porteur de conséquences aussi sévères devait passer pour incompatible avec le respect du contradictoire qui est au cœur de la notion de procès équitable. Pareille conclusion s'imposait particulièrement dans le cas d'espèce, compte tenu du fait que les jurés ne pouvaient pas motiver leur conviction (ibid., § 29).

89.  Dans l'affaire Saric c. Danemark précitée, la Cour a jugé que l'absence de motivation d'un arrêt, qui résultait de ce que la culpabilité d'un requérant avait été déterminée par un jury populaire, n'était pas, en soi, contraire à la Convention.

90.  Il ressort de la jurisprudence précitée que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l'article 6 ne s'oppose pas à ce qu'un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n'est pas motivé. Il n'en demeure pas moins que pour que les exigences d'un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l'accusé doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C'est là une garantie essentielle contre l'arbitraire. Or, comme la Cour l'a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l'arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (parmi d'autres, voir, mutatis mutandis, Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 116, CEDH 2005-X). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l'opinion publique dans une justice objective et transparente, l'un des fondements de toute société démocratique (voir Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003 et Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III).

91.  Dans les procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, la compréhension par un accusé de sa condamnation est assurée au premier chef par la motivation des décisions de justice. Dans ces affaires, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent (voir Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, § 33, série A no 252). La motivation a également pour finalité de démontrer aux parties qu'elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense. Toutefois, l'étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de l'espèce (Ruiz Torija c. Espagne, précité, § 29). Si les tribunaux ne sont pas tenus d'apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288), il doit ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, CEDH 2007-II).

92.  Devant les cours d'assises avec participation d'un jury populaire, il faut s'accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (paragraphes 85 à 89 ci-dessus). Dans ce cas également, l'article 6 exige de rechercher si l'accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d'arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation (paragraphe 90 ci-dessus). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d'assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits (voir paragraphes 43 et suivants ci-dessus), et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l'absence de motivation des réponses du jury (voir Papon c. France, précité). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu'elle existe, la possibilité pour l'accusé d'exercer des voies de recours.

2.  Application de ces principes au cas d'espèce

93.  En l'espèce, il convient de noter que dans ses observations devant la Cour, le requérant dénonce l'absence de motivation du verdict de culpabilité et l'impossibilité de faire appel de la décision rendue par la cour d'assises. Comme il a été rappelé (paragraphe 89 ci-dessus), la non-motivation du verdict d'un jury populaire n'emporte pas, en soi, violation du droit de l'accusé à un procès équitable. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s'apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l'arbitraire et a permis à l'accusé de comprendre sa condamnation. Ce faisant, elle doit garder à l'esprit que c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008-...).

94.  En l'occurrence, le requérant était accusé de l'assassinat d'un ministre d'Etat et d'une tentative d'assassinat sur la compagne de celui-ci. Or ni l'acte d'accusation ni les questions posées au jury ne comportaient des informations suffisantes quant à son implication dans la commission des infractions qui lui étaient reprochées.

95.  S'agissant tout d'abord de l'acte d'accusation du procureur général, le code d'instruction criminelle dispose qu'il indique la nature du délit à la base de l'accusation ainsi que toutes les circonstances pouvant aggraver ou diminuer la peine, et qu'il doit être lu au début du procès (paragraphe 26 ci-dessus). L'accusé peut certes contredire l'acte d'accusation par un acte de défense, mais en pratique celui-ci ne peut avoir qu'une portée limitée car il intervient en début de procédure, avant les débats qui doivent servir de base à l'intime conviction du jury. L'utilité d'un tel acte dans la compréhension par l'accusé condamné des motifs qui ont conduit les jurés à rendre un verdict de culpabilité est donc limitée. En l'espèce, l'analyse de l'acte d'accusation du 12 août 2003 démontre qu'il contenait une chronologie détaillée des investigations tant policières que judiciaires et les déclarations nombreuses et contradictoires des coaccusés. S'il désignait chacun des crimes dont le requérant était accusé, il ne démontrait pas pour autant quels étaient les éléments à charge qui, pour l'accusation, pouvaient être retenus contre l'intéressé.

96.  S'agissant ensuite des questions posées par le président de la cour d'assises au jury pour permettre à celui-ci de parvenir au verdict, elles étaient au nombre de trente-deux. Le requérant, qui comparaissait avec sept autres coaccusés, était visé par seulement quatre d'entre elles, auxquelles le jury a répondu par l'affirmative (paragraphe 15 ci-dessus). Laconiques et identiques pour tous les accusés, ces questions ne se réfèrent à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation. En cela, l'espèce se distingue de l'affaire Papon, où la cour d'assises s'était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour, ainsi qu'à la description des faits déclarés établis et aux articles du code pénal dont il avait été fait application (paragraphe 86 ci–dessus).

97.  Il en résulte que, même combinées avec l'acte d'accusation, les questions posées en l'espèce ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l'affirmative aux quatre questions le concernant. Ainsi, le requérant n'était pas en mesure, notamment, de différencier de façon certaine l'implication de chacun des coaccusés dans la commission de l'infraction ; de comprendre quel rôle précis, pour le jury, il avait joué par rapport à ses coaccusés ; de comprendre pourquoi la qualification d'assassinat avait été retenue plutôt que celle de meurtre ; de déterminer quels avaient été les éléments qui avaient permis au jury de conclure que deux des coaccusés avaient eu une participation limitée dans les faits reprochés, entraînant une peine moins lourde ; et d'appréhender pourquoi la circonstance aggravante de préméditation avait été retenue à son encontre, s'agissant de la tentative de meurtre de la compagne d'A.C. Cette déficience était d'autant plus problématique que l'affaire était complexe, tant sur le plan juridique que sur le plan factuel, et que le procès avait duré plus de deux mois, du 17 octobre 2003 au 7 janvier 2004, au cours desquels de nombreux témoins et experts avaient été entendus.

98.  A cet égard, il convient de rappeler que la présentation au jury de questions précises constituait une exigence indispensable devant permettre au requérant de comprendre un éventuel verdict de culpabilité. En outre, puisque l'affaire comportait plus d'un accusé, les questions devaient être individualisées autant que possible.

99.  Enfin, il y a lieu de noter l'absence de toute possibilité d'appel contre les arrêts de la cour d'assises dans le système belge. Pour ce qui est du recours en cassation, il ne porte que sur des points de droit et, dès lors, n'éclaire pas adéquatement l'accusé sur les raisons de sa condamnation. Quant à l'article 352 du CIC selon lequel, au cas où les jurés se sont trompés au fond, la cour d'assises sursoit au jugement et renvoie l'affaire à une session suivante pour être soumise à un nouveau jury, comme le reconnaît le Gouvernement (paragraphe 31 ci-dessus) il n'est que très rarement utilisé.

100.  En conclusion, le requérant n'a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre. La procédure n'ayant pas revêtu un caractère équitable, il y a donc violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

CASTELLINO c. BELGIQUE du 25 juillet 2013 requête 504/08

33.  La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (Taxquet c. Belgique [GC], no926/05, CEDH 2010) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) pour les principes applicables.

34.  Il convient de rappeler (voir Agnelet c. France, no 61198/08, §§ 59‑62, 10 janvier 2013) que, eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui était lu au début du procès, elle a relevé que s’il indiquait la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontrait pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervenait « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95). Quant aux questions posées au jury dans le premier procès, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant Taxquet, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation ». Il ressort de l’arrêt Taxquet que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury devait permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre question concernant le requérant Taxquet, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés étaient moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes. Cette déficience était d’autant plus problématique que l’affaire était complexe, tant sur le plan juridique que sur le plan factuel (§ 97). Autrement dit, il fallait des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

35.  Dans la présente affaire, le requérant a été jugé une première fois, par défaut, dans la même procédure que M. Taxquet et six autres coaccusés, de l’assassinat d’un ministre d’Etat et d’une tentative d’assassinat sur la compagne de celui-ci. Il a été reconnu coupable de toutes ces infractions et condamné à vingt ans d’emprisonnement. A la suite de son opposition, le requérant a été jugé une deuxième fois des mêmes infractions. Il a été condamné pour assassinat et pour tentative de meurtre et à une peine d’emprisonnement de vingt ans.

36.  La Cour observe d’emblée que cette deuxième procédure ne relevait pas des nouvelles dispositions entrées en vigueur le 21 janvier 2010, relatives à la réforme de la cour d’assises, qui prévoient désormais l’obligation pour cette juridiction de formuler les principales raisons de son verdict.

37.  Elle note ensuite que dans la deuxième procédure l’acte d’accusation concernant le requérant était identique à celui de la première procédure. S’il désignait chacun des crimes dont le requérant était accusé, il ne démontrait toutefois pas quels étaient les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé.

38.  Quant aux questions soumises au jury, que les parties n’ont pas déposées, la Cour donne pour acquis que celles-ci étaient les mêmes que celles formulées dans la première procédure, en l’absence d’indications contraires des parties. Dans ces circonstances, la Cour ne voit pas de raisons de s’écarter du raisonnement qu’elle a développé dans l’affaire Taxquet, à savoir qu’elles étaient laconiques et identiques pour tous les accusés, qu’elles ne se référaient à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation. Il en résulte que, même combinées avec l’acte d’accusation, et nonobstant le fait que la seconde procédure ne concernait que le seul requérant, les questions posées en l’espèce ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le second procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux trois des quatre questions le concernant. Ceci est d’autant plus problématique que l’affaire était complexe.

39.  Enfin, il y a lieu de noter l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge.

40.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

41.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

HECHTERMANS c. BELGIQUE du 18 novembre 2014 requête 56280/09

Violation de l'article 6-1 de la Convention : motivation insuffisante de l'arrêt de la Cour d'Assises auquel il n'est pas possible de faire appel.

18.  Le requérant fait valoir que, du fait de l’absence de toute motivation sur la culpabilité, il n’a pas été à même de comprendre les raisons pour lesquelles la cour d’assises l’a condamné, entraînant une violation de son droit à un procès équitable. Le requérant rappelle qu’il a toujours contesté tant la qualification de vol que la circonstance aggravante d’homicide volontaire et qu’il avait plaidé l’acquittement. Se référant à l’arrêt de la Chambre dans l’affaire Taxquet (Taxquet c. Belgique, no 926/05, 13 janvier 2009), il avait demandé à la cour d’assises du Hainaut de motiver le verdict de culpabilité mais celle-ci avait refusé sa demande par un arrêt interlocutoire du 7 mai 2009. La cour d’assises avait également refusé de poser toutes les questions subsidiaires proposées par le requérant, à l’exception d’une question supplémentaire qui fut soumise aux jurés. Enfin, le requérant conteste fermement le fait qu’il pouvait comprendre les raisons pour lesquelles il fut condamné à travers la motivation sur la peine.

19.  Le Gouvernement fait valoir que la cour d’assises du Hainaut fit référence à la personnalité antisociale du requérant, récidiviste en matière d’agressions et de vols. De plus, l’acte d’accusation avait été lu devant la cour d’assises et le requérant avait pu y répondre par un acte de défense, ce qu’il n’avait pas fait. Il avait en tout cas eu la possibilité de solliciter et avait même obtenu qu’une question subsidiaire soit posée au jury. Enfin, le Gouvernement se réfère au raisonnement de la Cour de cassation (paragraphe 13, ci-dessus) pour conclure que le requérant avait raisonnablement pu comprendre les raisons pour lesquelles il fut déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes applicables

20. La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. En particulier, dans l’arrêt Agnelet c. France (n61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ce qui suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b)  Application au cas d’espèce

21.  Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité pour les crimes de vol aggravé par un meurtre et de trafic de stupéfiants. L’enjeu pour le requérant – qui a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés – était donc considérable.  Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances des crimes reprochés au requérant.

22. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait les crimes dont le requérant était accusé et il reprenait les résultats de l’enquête policière et judiciaire. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

23. Quant aux sept questions soumises au jury, la Cour relève que deux d’entre elles avaient trait aux faits principaux reprochés au requérant (questions no 1 et 5). Quatre questions portaient sur les circonstances aggravantes soulevées par l’accusation (questions no 2, 3, 4 et 6), et une question subsidiaire fut posée à la demande de la défense concernant la qualification de coups et blessures ayant entraîné la mort au lieu de la qualification d’homicide volontaire (question no 4 bis). La Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons il avait été reconnu coupable de vol avec la circonstance qu’il avait tué la victime alors qu’il avait toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Il n’était pas non plus en mesure de déterminer pourquoi les jurés l’avaient reconnu coupable d’avoir injecté de la drogue à la victime.

24. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99).

25.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

26. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Décision confirmée par 3 arrêt du 18 novembre 2014, GYBELS c. BELGIQUE requête 43305/09, KHALEDIAN c. BELGIQUE requête 42874/09 et Ymam C. Belgique requête 39781/09.

APPLICATION EN FRANCE

LES FAUTES DE LA COUR D'ASSISES DANS L'ENONCE DE LA CONDAMNATION

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 24 mai 2023 pourvoi n° 22-84.601 cassation

moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu la culpabilité de M. [Z] des chefs de viol commis sur mineure de quinze ans, de viol commis par une personne ayant autorité sur la victime, d'atteinte sexuelle sur mineure de quinze ans commis par une personne ayant autorité sur la victime, d'atteinte sexuelle commis par une personne ayant autorité sur la victime et d'atteinte sexuelle sur mineure de quinze ans par un ascendant, alors « que toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel et que la déclaration, lorsqu'elle est affirmative, constate que la majorité de voix exigée au moins a été acquise sans que le nombre de voix puisse être autrement exprimé ; qu'en répondant à l'ensemble des questions portant sur la culpabilité de M. [Z] « oui à la majorité de 8 voix », la cour d'assises qui a indiqué le nombre de voix qui se sont prononcées en faveur de la culpabilité de l'accusé a violé l'article 360 du code de procédure pénale. »

réponse de la Cour de cassation

Vu les articles 359 et 360 du code de procédure pénale :

6. Selon le premier de ces textes, toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de sept voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel.

7. Selon le second, la déclaration, lorsqu'elle est affirmative, constate que la majorité de voix exigée par l'article 359 a été acquise sans que le nombre de voix puisse être autrement exprimé.

8. En l'espèce, il résulte de la feuille de questions que la réponse de la cour et du jury à chacune des seize questions posées porte la mention « oui à la majorité de huit voix ».

9. En l'état de ces énonciations, qui indiquent le nombre de voix qui se sont exprimées en faveur de la culpabilité de l'accusé, la cour d'assises a méconnu les textes susvisés.

10. La cassation est, dès lors, encourue.

LES MOYENS DE FAUTE DE PROCEDURE DOIVENT ÊTRE SOULEVES IN LIMINE LITIS

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 11 mai 2023 pourvoi n° 22-82.664 rejet

10. Le moyen, qui invoque la nullité de l'acte d'appel du ministère public, et qui est présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, est irrecevable, en ce qu'il affecte un acte antérieur à l'ouverture des débats devant la cour d'assises statuant en appel et devait, par application de l'article 305-1 du code de procédure pénale, être présenté au plus tard à l'ouverture des débats devant cette juridiction.

11. En conséquence, il doit être écarté.

12. Par ailleurs, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

LES EXPERTS MEDICAUX DOIVENT ÊTRE ENTENDUS PAR LA CHAMBRE D'INSTRUCTION

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 15 mars 2023 pourvoi n° 22-87.318 cassation

Vu les articles 168 et 706-122, alinéa 4, du code de procédure pénale :

6. Il résulte de ces articles que, lorsque la chambre de l'instruction est saisie en application de l'article 706-120 du même code, elle doit entendre les experts ayant examiné la personne mise en examen. Ils exposent, s'il y a lieu, le résultat des opérations auxquelles ils ont procédé, après avoir prêté serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience.

7. Il résulte des pièces de la procédure que Mme [E] a fait l'objet de trois expertises destinées à apprécier sa responsabilité pénale.

8. L'expert psychiatre qui a procédé à la première expertise, le docteur [O], a conclu à l'altération du discernement de l'intéressée. Il a été entendu à l'audience de la chambre de l'instruction.

9. Une deuxième expertise, confiée au docteur [H] et à M. [B], a conclu à l'irresponsabilité pénale de Mme [E]. Le docteur [H], qui a été entendu à l'audience de la chambre de l'instruction a valablement pu exposer les opérations conduites avec l'autre expert, sans qu'aucune irrégularité soit encourue.

10. En effet, la Cour de cassation juge que, lorsque plusieurs experts sont désignés pour exécuter une mission commune, chacun d'eux a qualité pour exposer, à l'audience de la chambre de l'instruction, même en l'absence des autres, le résultat de l'ensemble des opérations auxquelles ils ont procédé (Crim., 29 novembre 2017, pourvoi n° 16-85.490, Bull. crim. 2017, n° 271).

11. Une troisième expertise psychiatrique, qui, elle aussi, a conclu à l'abolition du discernement, a été menée par le docteur [W] et le docteur [T]. Aucun d'eux n'a été entendu à l'audience.

12. En statuant sur l'issue de la procédure sans entendre aucun des experts qui ont établi cette dernière expertise, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés.

13. La cassation est dès lors encourue.

LES TEMOINS DESIGNES PAR L'ACCUSE DOIVENT ÊTRE INTERROGES

Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 17 juin 2020 pourvoi n° 19-81.485 cassation

Vu les articles 6, § 3 d) de la Convention européenne des droits de l’homme, 329, 330, 331 et 335 du code de procédure pénale :

7. Selon le premier de ces textes, tout accusé a droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la convocation et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

8. Il résulte des textes susvisés du code de procédure pénale que tout témoin cité par le ministère public ou par les parties, dont le nom a été régulièrement signifié, est acquis aux débats devant la cour d’assises et doit déposer, après avoir prêté serment, sauf s’il se trouve dans un cas d’empêchement ou d’incapacité prévu par la loi, ou si toutes les parties ont renoncé à son audition.

9. Il résulte du procès-verbal des débats que la défense a fait citer comme témoin devant la cour d’assises M. Z..., policier qui avait entendu l’accusé au cours de l’enquête. Le ministère public a présenté des réquisitions s’opposant à l’audition de ce témoin, au motif qu’il était visé nommément par une plainte avec constitution de partie civile, pour faux et usage de faux, déposée pour l’accusé devant le doyen des juges d’instruction de Nouméa, et que son audition porterait atteinte au secret de l’information et aux droits de la défense. La défense a déposé des conclusions pour s’opposer au refus de cette audition.

10. Par arrêt incident, la cour a dit n’y avoir lieu à procéder à l’audition de ce témoin, au motif que la plainte déposée contre lui vise en particulier les conditions dans lesquelles a été établi le procès-verbal de la deuxième audition de l’accusé au cours de sa garde à vue. Elle indique que le visionnage de cette audition, à l’audience de la cour d’assises, apportera un éclairage suffisant à la cour et au jury sur les propos tenus par l’accusé. Elle ajoute que l’audition de l’enquêteur, par la cour d’assises, hors la présence de son avocat, à laquelle il a droit en raison des faits de nature criminelle qui lui sont reprochés, serait de nature à porter atteinte à ses droits et n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité, même si le directeur d’enquête, muté en métropole, n’a pas été en mesure de comparaître devant la cour.

11. En prononçant ainsi, la cour d’assises a méconnu les textes susvisés, pour les raisons suivantes :

12. D’une part, en l’absence de toute disposition légale dispensant ce témoin, acquis aux débats, de comparaître, la cour ne pouvait énoncer qu’elle n’entendait pas recevoir sa déposition, ce témoin pouvant refuser de répondre à toute question concernant les faits visés par une plainte avec constitution de partie civile déposée contre lui par l’accusé, cette procédure étant distincte de celle jugée par la cour d’assises.

13. D’autre part, il appartenait au président de la cour d’assises, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient de l’article 309 du code de procédure pénale, d’écarter, d’office ou à la demande du ministère public ou des parties, toute question compromettant la dignité des débats, ou étrangère à leur objet.

14. Par ailleurs, tout accusé ayant le droit d’interroger ou de faire interroger des témoins, l’audition sollicitée ne pouvait être remplacée par le visionnage de l’audition de l’accusé au cours de sa garde à vue.

15. Enfin, la cour ne pouvait énoncer que l’audition demandée n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité, alors que cette nécessité ne pouvait être appréciée qu’au vu des questions qui seraient posées au témoin et de ses réponses, que la juridiction ne connaissait pas quand elle a écarté la nécessité de cette audition. 

16. Il en résulte que la cassation est encourue.

L'ACCUSE N'A PAS ETE PREVENU DES QUESTIONS SPECIALES

Cour de Cassation deuxième chambre civile arrêt du 11 mars 2020 pourvois n° 19-80.366 cassation

Vu les articles 6-3 de la Convention européenne des droits de l’homme, 348 et 356 du code de procédure pénale :

7. Il résulte du texte conventionnel susvisé que tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui et doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

9. Selon les dispositions des deux derniers textes, s’il résulte des débats que les faits sont susceptibles de comporter une circonstance non prévue par la décision de mise en accusation, le président de la cour d’assises doit avertir le ministère public et les parties, avant les réquisitions et plaidoiries, qu’il envisage de poser une question spéciale, dont il est donné lecture, sauf si les parties y renoncent.

10. Le procès-verbal des débats fait apparaître, qu’après clôture de ceux-ci, et après avoir donné la parole au ministère public et aux parties, le président a donné lecture des questions posées dans les termes de la décision de renvoi et de trois questions spéciales, relatives au caractère incestueux des infractions, auxquelles la cour et le jury auraient à répondre, en application de l’article 348 du code de procédure pénale.

11. En procédant ainsi, sans qu’il ressorte des énonciations du procès-verbal des débats que, pour permettre à l’accusé ou à son avocat de faire valoir toutes observations utiles à la défense, le président ait prévenu les parties, avant les plaidoiries et réquisitions, qu’il envisageait de poser, comme résultant des débats, lesdites questions spéciales, celui-ci a méconnu les textes et les principes susvisés. 12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

LA COUR D'ASSISES DOIT INDEMNISER DANS LES LIMITES DES DEMANDES DES PARTIES CIVILES

SANS CONSIDERATION DES DEMANDES DU CONDAMNE

Cour de Cassation deuxième chambre civile arrêt du 5 septembre 2019 pourvois n° 17-28.471 cassation

Vu l’ article 371 du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour réparer les préjudices résultant des infractions dont ils sont saisis, les juges doivent statuer dans la limite des demandes dont ils sont saisis par les parties civiles ; qu’en conséquence, il ne peut être fait droit à une demande de solidarité sollicitée par l’un des condamnés, mais non sollicitée par les parties civiles ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que la cour d’assises de l’Isère, statuant en appel, a condamné, par arrêt criminel du 21 novembre 2016, Mme X... pour assassinat et M. Z... pour détention arbitraire sans libération volontaire ; qu’antérieurement, la cour d’assises de la Savoie avait condamné, par arrêt du 23 mars 2015, M. Y... pour recel de cadavre et modification de la scène du crime ; que ce dernier n’a pas fait appel de la condamnation pénale ni de l’arrêt civil prononcé le même jour ; que les parties civiles ont interjeté appel de toutes les dispositions civiles de l’arrêt du 23 mars 2015 ;

Attendu que pour infirmer l’arrêt de la cour d’assises de la Savoie en ce qu’il avait distingué les préjudices résultant des faits commis par Mme X..., M. Z... de ceux commis par M. Y... et, en faisant droit aux conclusions de M. Z... demandant que la solidarité soit étendue à M. Y..., pour les condamner, après fixation du montant des préjudices demandés par les parties civiles, ensemble solidairement au paiement des réparations civiles, l’arrêt retient que les faits, pour lesquels M. Z..., Mme X... et M. Y... ont été condamnés, ont été commis dans la continuité temporelle et géographique, entre le 29 et le 30 avril 2012, et qu’ils participent d’une même action tendant au préalable à intimider la victime ; que les juges ajoutent que les différentes infractions pour lesquelles ils ont été déclarés coupables sont rattachées entre elles par des liens d’indivisibilité ou de connexité de telle sorte que les trois condamnés seront tenus solidairement à l’indemnisation des préjudices subis par les parties civiles ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que la solidarité n’avait pas été demandée par les parties civiles, lesquelles ne mettent pas en cause la décision de première instance qui n’avait pas retenu la connexité, la cour d’assises statuant en appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Le quantum des peines prononcées par les Cour d'Assises doivent être motivées.

M. Ousmane K. et autres [Motivation de la peine dans les arrêts de cour d'assises]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale.

Les requérants et les parties intervenantes reprochaient à ces dispositions, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine prononcée, de porter atteinte aux principes de nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel juge qu'il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.

Or, en application de l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises. Selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que, en n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789. Il déclare donc contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale.

Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait l'application immédiate de cette décision, il reporte au 1er mars 2019 la date de cette abrogation, tout en précisant que, pour les procès ouverts après la date de sa décision et sans attendre le 1er mars 2019, le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doit être interprété comme imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments, l'ayant convaincue dans le choix de la peine.

Conseil Constitutionnel décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3356 du 13 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour MM. Ousmane K., Kodjo B. et Youssef C. par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-694 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-635 DC du 4 août 2011 ;
- la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 8 février 2017 (chambre criminelle, n° 15-86.914, n° 16-80.389 et n° 16-80.391) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Bernard C. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 janvier et 5 février 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la SCI Baraka par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants et la SCI Baraka, partie intervenante, Me Éric Dupont-Moretti, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Bernard C., partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion de pourvois en cassation contre des arrêts de cour d'assises rendus en 2017. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 362 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus, et de l'article 365-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2011 mentionnée ci-dessus.

2. L'article 362 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, fixe les règles relatives à la formation de la décision de la cour d'assises sur la peine. Il prévoit :
« En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. La cour d'assises délibère alors sans désemparer sur l'application de la peine. Le vote a lieu ensuite au scrutin secret, et séparément pour chaque accusé.
« La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants. Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu'à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel. Si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu cette majorité, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Les mêmes règles sont applicables en cas de détention criminelle. Si la cour d'assises a répondu positivement à la question portant sur l'application des dispositions du second alinéa de l'article 122-1 du même code, les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à la majorité qualifiée prévue par la deuxième phrase du présent alinéa.
« Si, après deux tours de scrutin, aucune peine n'a réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un troisième tour au cours duquel la peine la plus forte proposée au tour précédent est écartée. Si, à ce troisième tour, aucune peine n'a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est procédé à un quatrième tour et ainsi de suite, en continuant à écarter la peine la plus forte, jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée.
« Lorsque la cour d'assises prononce une peine correctionnelle, elle peut ordonner à la majorité qu'il soit sursis à l'exécution de la peine avec ou sans mise à l'épreuve.
« La cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou complémentaires.
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14 ».

3. L'article 365-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, est relatif à la motivation de l'arrêt de la cour d'assises. Il prévoit : « Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt.
« En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions.
« La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364.
« Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ».

4. Les requérants et les parties intervenantes soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine, portent atteinte aux principes de nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale.

- Sur la recevabilité :

6. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

7. L'article 365-1 du code de procédure pénale a été créé par la loi du 10 août 2011. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné cet article dans les considérants 29 à 31 de sa décision du 4 août 2011 mentionnée ci-dessus et l'a déclaré conforme à la Constitution. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, d'une part, la Cour de cassation a jugé, dans les trois arrêts du 8 février 2017 mentionnés ci-dessus, que les dispositions de l'article 365-1 du code de procédure pénale excluent la possibilité pour la cour d'assises de motiver la peine qu'elle prononce en cas de condamnation. D'autre part, le premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale a été modifié par la loi du 15 août 2014, afin de prévoir qu'en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président de la cour d'assises donne lecture aux jurés des articles 130-1 et 132-1 du code pénal, qui rappellent les finalités de la peine et la nécessité d'individualiser celle-ci. Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

- Sur le fond :

8. Il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.

9. En application de l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises. Selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce.

10. En n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

12. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les modalités selon lesquelles, en cas de condamnation, la motivation d'un arrêt de cour d'assises doit être rédigée en ce qui concerne la culpabilité. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er mars 2019 la date de cette abrogation.

13. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les arrêts de cour d'assises rendus à l'issue d'un procès ouvert après cette date, que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l'ayant convaincue dans le choix de la peine.

14. Les arrêts de cour d'assises rendus en dernier ressort avant la publication de la présente décision et ceux rendus à l'issue d'un procès ouvert avant la même date ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 à 14 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

ACQUITTEMENT DE LA COUR D'ASSISES DE SAINT OMER DU 24 NOVEMBRE 2010

La cour d'assises du Pas-de-Calais a appliqué mercredi 24 novembre 2010 pour la première fois en France la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui demande aux jurys de répondre à des questions précises fondant leur décision. Ne se contentant pas de se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence, les jurés de la cour de Saint-Omer ont acquitté Béatrice Matis une femme accusée du meurtre de Monique Lejeune,  la nouvelle épouse de son ex-mari, après avoir répondu à une série de seize questions. Ce meurtre a été commis le 7 février 2003 à Coulogne près de Calais  par 58 coups de couteau dont 11 avaient perforé le thorax.

Le 17 mars 2003, les enquêteurs entendent Béatrice Matis, 58 ans à l'époque, divorcée du mari de la victime, avec lequel elle avait eu cinq enfants. Elle affirme que le soir des faits, elle se trouvait à son domicile. Rien ne permet alors de mettre sa parole en doute. Mais voilà que dix jours plus tard, Madame Matis revient à la police et admet que le 7 février, elle a rencontré Monique Lejeune pour s'entendre avec elle sur les conditions d'une future réunion familiale. Madame Lejeune l'aurait quelque peu éconduite et, en la raccompagnant à sa porte, elle aurait glissé, se serait rattrapée machinalement au poignet de sa visiteuse, lui occasionnant une griffure assez profonde. De fait, un ADN a été isolé sous ses ongles. C'est celui de Béatrice Matis qui nie farouchement avoir tué l'épouse de son ex-mari. Elle est pourtant mise en examen pour meurtre et incarcérée. Dans le fourgon qui la conduit à la maison d'arrêt, de manière surprenante, elle passe aux aveux devant les policiers qui l'escortent. Aveux promptement rétractés par la suite, l'intéressée affirmant qu'elle a été l'objet de pressions. La police conteste avec vigueur cette version des faits et expose une sombre et embrouillée histoire de famille, révélée par le fils aîné de la victime, selon lequel les filles de Béatrice Matis auraient accusé l'un de ses frères d'attouchements sur un des petits-fils de la mise en examen. Ainsi, une brouille durable entre les Lejeune et les Matis pourrait expliquer le meurtre.

Le procès de Béatrice Matis s'est ouvert en octobre 2009, avant d'être renvoyé par le président des assises du Pas-de-Calais après avoir ordonné un supplément d'information.

Aux audiences de novembre 2010, tout n'est pas aussi limpide qu'il y paraît à la lecture de l'ordonnance de mise en accusation. Le profil psychologique de l'accusée, parfaitement normal selon les experts, ne cadre pas avec la sauvagerie du crime. La voiture de Béatrice Matis a été examinée à la loupe. Aucune trace de l'ADN de la victime n'y a été décelée, alors que le meurtre a occasionné d'importants épanchements sanguins qui ont certainement souillé les effets du ou de la coupable. Le cadavre de la victime a été déplacé après le meurtre. Or, la corpulence modeste de l'accusée est a priori incompatible avec cette manipulation puisque la victime était beaucoup plus lourde qu'elle. Enfin, rapporte Maître Dupond-Moretti, un témoin a surpris, dans des conditions rocambolesques, une conversation téléphonique entre deux femmes se concertant pour trouver «un alibi» à un proche de la victime.

Le président de la cour d'assises avait annoncé dès le début du procès qu'en raison de l'arrêt de la CEDH, il poserait des questions détaillées aux jurés; Il a donc décidé de dresser, en fonction des points soulevés lors de l'audience et en concertation avec les parties civiles, le parquet et la défense, une liste de questions auxquelles ont répondu des jurés pour motiver leur décision.

Le président a égrainé les réponses aux questions et à la septième qui portait sur une griffure que l'accusée portait au bras, il est devenu évident que Béatrice Matis allait être acquittée. Les jurés ont en effet déclaré 'non' à la question : 'La blessure au bras de Madame Matis ne peut-elle être attribuée qu'à une lésion de défense ?' Si les jurés répondaient 'oui', cela signifiait qu'elle avait agressé la victime et qu'elle était coupable. En répondant 'non', ils ont validé sa version d'un accident.

En France, l'article 353 du code de procédure pénale permet aux juges et aux jurés d'assises de ne fonder leur décision que sur leur "intime conviction". Mais le 16 novembre 2010, la CEDH a condamné la Belgique pour défaut de motifs d'un arrêt rendu par une Cour d'Assises, jugeant que leur énoncé ne suffisait pas à comprendre les motifs de la condamnation. Le président de la cour d'assises de Saint-Omer est le premier en France à décider d'appliquer cette jurisprudence.

Maître Eric Dupont-Moretti avocat de la défense, déclare: "Il s'agit d'un verdict historique. C'est une révolution dans la façon dont sont rendus les verdicts en France. Pour la première fois, on sait ce qui a amené les juges à prendre leur décision (-) c'est une excellente nouvelle, on va enfin pouvoir savoir et comprendre le cheminement des jurés qui amène à une condamnation ou à un acquittement (-) La Cour européenne des droits de l'homme fait obligation à la France et à la Belgique d'avoir des questions assez précises pour que l'on comprenne les décisions, qu'elles soient justifiées. (-) Cela ouvre la porte à une critique objective des décisions rendues en première instance et donne aux avocats de la défense des éléments pour faire appel. Cela permet aussi de rendre plus transparentes les décisions de justice"

«Il s’agit d’une avancée notable dans la motivation des arrêts de cours d’assises. Cela permet de comprendre le raisonnement qui a été suivi par les jurés», s’est réjouie également Maître Caroline Matrat, avocate des parties civiles.

QUI EST COMPETENT POUR JUGER DE LA MISE EN LIBERTE DE L'ACCUSE NON ENCORE CONDAMNE ?

Cour de Cassation Chambre criminelle arrêt du 25 juin 2019 Pourvoi n° 19-82.584 rejet

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 148-1 du code de procédure pénale et 5 de la Convention européenne des droits de l’homme

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, que M. A... X... mis en examen du chef d’assassinat et placé en détention provisoire à compter du 11 septembre 2014, a été renvoyé devant la cour d’assises par ordonnance du juge d’instruction en date du 7 septembre 2016 et condamné le 2 juin 2017, à la peine de douze ans de réclusion criminelle ; que le ministère public a relevé, seul, appel de cette décision ; que M. X... a comparu devant la cour d’assises statuant en appel à compter du 25 mars 2019 ; qu’à la suite de l’indisponibilité de l’un des assesseurs, la cour a, par arrêt incident du 27 mars, ordonné le renvoi de l‘affaire à une session ultérieure ; qu’elle a été saisie par l’avocat de l’accusé, après que cette décision de renvoi a été prononcée, d’une demande de mise en liberté ;

Attendu que, pour se déclarer incompétente, la cour d’assises retient qu’elle perd toute compétence pour statuer sur la détention dès qu’elle a ordonné le renvoi de l’affaire à une session ultérieure, seule la chambre de l’instruction étant compétente ; Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que la demande de mise en liberté a été formée postérieurement à l’arrêt ordonnant le renvoi à une session ultérieure, de sorte que l’accusé ne devait plus être jugé lors de la session en cours, la cour d’assises a fait l’exacte application de l’article 148-1, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

LA COUR DE CASSATION RENÂCLE AVANT DE SUIVRE

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 17 octobre 2018 pourvoi n° 17-83958 cassation

Vu l’article 365-1 du code de procédure pénale;

Attendu qu’il résulte de ce texte qu’en cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge, exposés au cours des délibérations, qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises;

Attendu que, la cour d’assises ayant répondu positivement à l’ensemble des questions principales relatives à la culpabilité de l’accusé, la feuille de motivation énonce, pour les faits de viols et agressions sexuelles aggravés commis sur la personne d’H... C..., l’existence d’actes matériels de pénétration sexuelle et d’attouchements ; que, concernant les faits de viols relatifs à I... D...;, il a été retenu l’existence d’actes matériels de pénétration sexuelles ; que, concernant enfin les agressions sexuelles commises sur Mme J... E..., la feuille de motivation retient l’existence d’actes matériels d’attouchements;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’assises, sans faire état d’une quelconque énonciation, quelle qu’en soit la nature, permettant de connaître les éléments de violence, contrainte, menace ou surprise, requis par la loi, sur lesquels elle a fondé sa conviction pour les faits ainsi concernés, n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue;

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 10 février 2016 N° de pourvoi 15-80622 Irrecevabilité

Attendu que la cour et le jury, qui, aux termes de l'article 132-18 du code pénal, ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix d'une peine de réclusion criminelle, disposent en outre du pouvoir d'apprécier souverainement, dans les limites fixées par la loi et sans méconnaître les principes conventionnels invoqués, la durée d'une telle peine

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 15 juin 2011 pourvoi 10-80508 REJET

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale

“en ce que, pour déclarer M. X... coupable de trafic de stupéfiants en bande organisée, la cour d’assises spéciale s’est bornée à apposer la mention « oui à la majorité » aux dix questions qui lui étaient posées

“alors qu’il résulte de la jurisprudence conventionnelle (Taxquet c/ Belgique, CEDH 13 janvier 2009, req. 296/05) que ne répond pas aux exigences de motivation du procès équitable, la formulation de questions vagues et abstraites, laquelle ne permet pas à l’accusation de connaître les raisons pour lesquelles il est répondu positivement ou négativement à celles-ci ; qu’en condamnant M. X... du chef de trafic de stupéfiants en bande organisée, en l’absence de considérations de fait lui permettant de comprendre les raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement aux questions, la cour d’assises a méconnu le sens et la portée des dispositions conventionnelles et privé M. X... du droit à un procès équitable” 

Attendu que sont reprises dans l’arrêt de condamnation les réponses qu’en leur intime conviction, les magistrats composant la cour d’assises d’appel spécialement composée, statuant dans la continuité des débats à vote secret et à la majorité, ont données aux questions sur la culpabilité posées conformément au dispositif de la décision de renvoi et soumises à la discussion des parties

Attendu qu’en cet état, et dès lors qu’ont été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt satisfait aux exigences conventionnelles et légales invoquées

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli

SUR LA CONFISCATION DES MAISONS ET TERRAINS

en ce que l’arrêt attaqué a ordonné la confiscation du terrain et de la maison d’habitation sis au lieudit ... à Sadirac (Gironde), cadastrés sections A... et B...

"alors qu’en ne justifiant pas de ce que ce terrain et cette maison dont l’arrêt de renvoi précise qu’ils n’appartiennent pas à M. X..., ont servi à commettre les infractions dont ledit accusé a été déclaré coupable, ou en sont le produit, la cour d’assises a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés"

Attendu que, dans les mêmes termes que l’arrêt pénal, la feuille de questions mentionne que la cour ordonne la confiscation du terrain et de la maison d’habitation décrits au moyen

Attendu qu’une telle mention est suffisante dès lors que la confiscation peut être prononcée à titre de peine complémentaire contre une personne physique déclarée coupable des infractions à la législation sur les stupéfiants objet de l’accusation

D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté

LA COUR DE CASSATION RESISTE A L'OBLIGATION POUR UNE COUR D'ASSISES DE REPONDRE A DES QUESTIONS

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 28 septembre 2011 pourvoi 11-80929 CASSATION

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation
des articles 6 § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 231, 348, 349, 349-1, 350, 351, 353, 357, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'assises d'appel a condamné M. X...à dix ans d'emprisonnement après avoir répondu par l'affirmative aux questions :

question n° 1 : Est-il établi que, le 25 avril 2006, à son domicile à ... (62), Mme Marie-Ange Y..., épouse Z..., tante maternelle de Camille A..., a été témoin de comportements équivoques de cette dernière vis-à-vis de sa jeune cousine ?
OUI à la majorité de 10 voix au moins ;

question n° 2 : Est-il établi que le même jour, questionnée sur les raisons de ses gestes, Camille A...a révélé à sa tante qu'Alain X...lui imposait de le masturber et de lui faire des fellations ?
OUI à la majorité de 10 voix au moins ;
question n° 3 : Est-il établi que, le 26 avril 2006, Mme Yolande B..., épouse C..., grand-mère maternelle de Camille A..., a informé Pierre A..., son père, que quinze jours auparavant, sa fille Laurence C..., mère de l'enfant, lui avait révélé d'une part que cette dernière lui avait confié qu'Alain X...lui demandait régulièrement mettre son sexe dans sa bouche, d'autre part qu'ayant peur de son concubin, elle préférait que Camille en parle à son père ?
OUI à la majorité de 10 voix au moins ;
question n° 4 : Est-il établi que, lors de son audition en garde à vue le 27 juin 2006, Laurence C..., mère de Camille, a déclaré que « fin mars 2006, début avril 2006 », sa fille lui avait confié qu'elle devait masturber Alain X..., puis « quelques jours après », qu'elle devait lui faire des fellations pratiquement tous les matins ? OUI à la majorité de 10 voix au moins ;

question n° 5 : Est-il établi que lors de cette même audition en garde à vue, Laurence C...a déclaré que suite à ces révélations, surveillant Alain X..., elle l'avait vue en compagnie de Camille dans des attitudes qui l'avaient surprise ?
OUI à la majorité de 10 voix au moins ;

question n° 7 : Est-il établi qu'au juge d'instruction qui l'entendait en présence de son avocat, mais hors la présence de son père, Camille a confirmé qu'Alain X...lui avait fait « des choses pas bien avec son zizi ?
OUI à la majorité de 10 voix au moins ;

" 1) alors qu'outre les questions principales, seules peuvent être posées par le président de la cour d'assises d'appel les questions spéciales et subsidiaires ; qu'en posant néanmoins des questions ne relevant pas de ces catégories limitativement prévues par la loi, la cour d'assises d'appel a méconnu les textes visés au moyen

" 2) alors que les arrêts de condamnation prononcés par les cours d'assises ne peuvent comporter d'autres énonciations relatives à la culpabilité que celles qui, tenant lieu de motivation, sont constituées par l'ensemble des réponses données par les magistrats et les jurés aux questions posées conformément à l'arrêt de renvoi ; qu'en posant des questions non prévues par les textes précités du code procédure pénale, la cour d'assises d'appel s'est fondée sur une motivation que ne peut comporter des arrêts de cour d'assises, méconnaissant les textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'avant de donner la parole aux parties pour leurs plaidoiries, réquisitions et observations, le président a donné lecture " des sept questions factuelles et des six questions légales comme résultant des débats auxquelles la cour et le jury auraient à répondre et dont une copie avait été distribuée au préalable aux assesseurs, aux jurés et à toutes les parties " et qu'aucune observation n'a été formulée ;

Attendu qu'en cet état, si c'est à tort que le président a posé, avant la question principale sur la culpabilité de l'accusé, des questions distinctes sur des éléments de preuve des infractions, et ce en méconnaissance des dispositions de l'article 349 du code de procédure pénale, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors que la défense n'a pas élevé d'incident contentieux au sujet des questions ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 348, 591 et 593 du code de procédure pénale

" en ce que le procès-verbal des débats constate que l'audience s'est déroulée à huis clos et qu'après la levée du régime du huis clos, le président a rappelé que les questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre avaient été lues précédemment ; qu'il n'a pas donné lecture, à nouveau, en audience publique, des questions auxquelles la cour et le jury avaient à répondre ; que les questions dont certaines n'étaient pas posées dans les termes de l'arrêt de renvoi, n'ont ainsi pas été lues en audience publique ;

" alors que si, dès lors qu'il a lu les questions avant le réquisitoire et les plaidoiries, le président n'est pas tenu de procéder de nouveau à cette lecture après la clôture des débats, il est toutefois tenu de le faire lorsque les débats ont eu lieu à huis clos qu'en ne réitérant pas, en audience publique, la lecture des questions, la cour d'assises d'appel a méconnu les textes visés au moyen " ;

Vu l'article 348 du code de procédure pénale ;

Attendu que la lecture des questions doit, à peine de nullité, être faite en audience publique, à moins qu'en application de ce texte, cette lecture ne soit pas obligatoire, les questions étant posées dans les termes de la décision de mise en accusation ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'après qu'il eut déclaré les débats terminés et qu'il eut annoncé que le huis clos prenait fin, le " président a rappelé que les questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre avaient été lues précédemment " ;

Mais attendu qu'en ne donnant pas lecture des questions en audience publique alors que certaines n'étaient pas posées dans les termes de la décision de mise en accusation, le président a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'assises du Cher, en date du 25 janvier 2011, ensemble la déclaration de la cour et du jury et les débats qui l'ont précédée

Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 12 octobre 2011 pourvoi n° 10-84492 CASSATION

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 septembre 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Leprieur conseiller rapporteur, Mme Chanet, MM. Foulquié, Moignard, Castel, Raybaud, Mmes Mirguet, Caron conseillers de la chambre, Mme Lazerges, M. Laurent conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Charpenel ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LEPRIEUR, les observations de la société civile professionnelle GADIOU et CHEVALLIER, et de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;

Vu les mémoires en demande et en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation ,pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 310, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe de l'oralité ;

"en ce qu'il résulte du procès-verbal des opérations de formation du jury de jugement et des débats (p.11), qu'en vertu de son pouvoir discrétionnaire, la présidente a fait versé aux débats deux jugements du 30 août 2004 de la 23e chambre du tribunal de Paris et du 27 septembre 2004 de la 16e chambre du tribunal de Paris condamnant M. Y... ;

"alors qu'il est de principe que, devant la cour d'assises, le débat doit être oral ; qu'en ordonnant de verser aux débats ces jugements, sans qu'il résulte des mentions du procès-verbal qu'il en ait été donné lecture, la présidente a méconnu le principe de l'oralité des débats" ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'en vertu de son pouvoir discrétionnaire le président a fait verser aux débats deux jugements condamnant M. Y... et que ces documents ont été communiqués à toutes les parties qui n'ont fait aucune observation ;

Attendu qu'en l'état de ces mentions dont il ne résulte pas que ces documents aient été communiqués aux assesseurs et aux jurés sans qu'il en ait été donné lecture, le président a fait un usage régulier de son pouvoir discrétionnaire ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du droit à un procès équitable ;

"en ce qu'il résulte du procès-verbal des opérations de formation du jury de jugement et des débats (p.7) que la présidente a concédé qu'il soit donné acte à l'avocat de l'accusé de ce que M. X... avait été ramené hier soir dans sa cellule à Fresnes à 2 h 45 pour en être extrait ce matin à 5 h 30 et qu'en conséquence, il entendait faire toutes réserves sur le caractère équitable de l'audience de ce jour ;

"alors que, dans le cadre du débat oral sur le fondement duquel la cour et le jury forgeront leur conviction, le fait que l'accusé a été, à l'issue d'une journée de débats, ramené dans sa cellule à 2 h 45 pour en être extrait à 5 h 30 pour l'audience du jour porte atteinte au droit à un procès équitable car l'accusé n'était pas en mesure de se défendre utilement lors de l'audience du jour" ;

Attendu que le procès-verbal des débats mentionne que le 25 mai, à 19 heures 05, le président a annoncé que l'audience était suspendue et qu'elle serait reprise le 26 mai 2010 à 9 heures 30 ; que le 26 mai 2010, à 10 heures 15, à l'ouverture de l'audience, le président a donné acte à Me Leclerc, avocat de M. X..., de ses observations orales selon lesquelles l'accusé venait de lui indiquer qu'il avait été ramené dans sa cellule à 2 heures 45 la nuit précédente et qu'il en avait été extrait à 5 heures 30 le matin même, et qu'en conséquence il faisait toutes réserves sur le caractère équitable de l'audience ; qu'aucune observation n'a été faite par les parties ;

Attendu qu'en l'état de ce donné acte, concédé dans les termes mêmes de la demande, et dès lors qu'il n'était pas expressément soutenu que l'accusé n'aurait pas été en mesure de se défendre en raison d'un état de moindre résistance physique ou morale, le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 349, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du droit à un procès équitable ;

"en ce que la cour et le jury ont répondu affirmativement à la question n° 2 ainsi libellée « le meurtre ci-dessus spécifié à la question n° 1 a-t-il été commis avec préméditation ?» ;

"alors que les questions doivent être posées en fait et non en droit ; que la question n° 2 telle que libellée était posée en droit pour reprendre les termes de l'article 221-3 du code pénal et est donc entachée de nullité" ;

Attendu que la question n° 2 critiquée n'encourt pas le grief allégué , dès lors que le terme "préméditation" exprime par lui-même qu'un dessein de commettre le meurtre spécifié à la question n° 1 a été formé avant l'action, en sorte que les jurés n'ont pas pu se méprendre sur sa signification ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du droit à un procès équitable ;

"en ce que, pour déclarer M. X... coupable d'assassinat et le condamner à la peine de vingt ans de réclusion criminelle, la cour et le jury à la question n° 1 « l'accusé Denis X... est-il coupable d'avoir à Paris le 22 novembre 2004 volontairement donné la mort à Bertrand Y... ? » et à la question n° 2 « le meurtre ci-dessus spécifié à la question n° 1 a-t-il été commis avec préméditation ? » se sont bornés à répondre « oui à la majorité de dix voix au moins » ;

"alors que ne répond pas aux exigences de motivation du droit à un procès équitable la formulation des questions posées à la cour et au jury, vague et abstraite, qui ne permet pas à l'accusé de connaître les motifs pour lesquels il a été répondu positivement ou négativement à celles-ci ; qu'en condamnant M. X... par la raison qu'il avait été répondu positivement aux deux questions posées, vagues et abstraites, en l'absence de considérations de fait lui permettant de comprendre les raisons concrètes pour lesquelles il avait été répondu positivement à ces deux questions, la cour d'assises a méconnu le sens et la portée des stipulations conventionnelles et a privé l'accusé du droit à un procès équitable" ;

Attendu que sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d'assises d'appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée de deux tiers, ont données aux questions sur la culpabilité posées conformément au dispositif de l'arrêt de renvoi ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l'arrêt satisfait aux exigences légales et conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le moyen additionnel de cassation, pris de la violation des articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 349, 350, 353, 357, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'assises, statuant en appel, a déclaré M. X... coupable d'assassinat et l'a condamné à la peine de vingt ans de réclusion criminelle ;

"alors que les articles 349, 350, 353, 357 du code de procédure pénale méconnaissent les articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les principes constitutionnels du droit à un procès équitable, d'égalité devant la loi et d'égalité devant la justice puisque les articles précités se bornent à exiger que la déclaration de culpabilité et la durée de la peine résultent de réponses affirmatives à des questions abstraites sans aucune motivation expliquant les raisons de la condamnation de l'accusé et de la durée de la peine retenue et sans qu'il soit fait état des éléments de nature à fonder la condamnation en prenant en considération le comportement de l'accusé ; qu'ainsi, la déclaration d'inconstitutionnalité des articles susvisés qui sera prononcée privera l'arrêt attaqué de fondement juridique" ;

Attendu que le Conseil constitutionnel, par sa décision du 1er avril 2011, a déclaré les articles 349, 350, 353 et 357 du code de procédure pénale conformes à la Constitution ;

D'où il suit que le moyen est devenu sans objet ;

Et attendu que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

DEVANT UNE COUR D'ASSISES D'APPEL LA QUALIFICATION LÉGALE DES FAITS REPROCHÉS, DOIT ÊTRE RAPPELÉE

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 23 avril 2013 N° de pourvoi 12-84673 Cassation

Vu l'article 327 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, le président de la cour d'assises présente, de façon concise, les faits reprochés à l'accusé, tels qu'ils résultent de la décision de renvoi, expose les éléments à charge et à décharge concernant l'accusé, tels qu'ils sont mentionnés dans ladite décision, et donne lecture de la qualification légale des faits objets de l'accusation ; qu'en outre, lorsque la cour d'assises statue en appel, il donne connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et, le cas échéant, de la condamnation prononcée ;

Attendu que le procès-verbal des débats énonce que le président a présenté, de façon concise, les faits reprochés à l'accusé, tels qu'ils résultent de la décision de renvoi, et exposé les éléments à charge et à décharge concernant l'accusé, tels qu'ils sont mentionnés dans ladite décision ;

Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune mention de ce procès-verbal que le président ait donné lecture de la qualification légale des faits objets de l'accusation, ni qu'il ait donné connaissance du sens de la décision, non motivée, rendue en premier ressort, avant le 1er janvier 2012, et de la condamnation prononcée ;

D'où il suit que la cassation est encourue.

TOUTE FAUTE DU PRESIDENT DOIT FAIRE L'OBJET D'UN INCIDENT

C'est à tort que le président de la cour d'assises ordonne que des pièces du dossier seront communiquées à la cour et au jury dans un local autre que la salle d'audience, alors que le procès-verbal des débats ne constate pas que ce local était accessible au public et que la cour n'a pas ordonné le huis-clos partiel, dans les conditions prévues par l'article 306 du code de procédure pénale. La cassation n'est cependant pas encourue lorsque l'accusé n'a pas demandé qu'il soit procédé à cette communication en salle d'audience et qu'il n'a pas été élevé d'incident sur les conditions dans lesquelles les pièces ont été présentées.

Cour de cassation chambre criminelle arrêt du 15 mars 2023 pourvoi n° 21-86.753 rejet

7. Il résulte du procès-verbal des débats que, la cour d'assises siégeant en audience publique, le président a, par trois fois, indiqué, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que des pièces du dossier seraient communiquées à la cour et au jury dans un local dénommé « salle de pause ».

8. C'est à tort que le président a procédé ainsi, alors que le procès-verbal des débats ne constate pas que cette salle était accessible au public et que la cour n'a pas ordonné, par arrêt, le huis-clos partiel, dans les conditions prévues par l'article 306 du code de procédure pénale.

9. La cassation n'est cependant pas encourue, dès lors que l'accusé n'a pas demandé qu'il soit procédé à cette communication en salle d'audience et qu'il n'a pas été élevé d'incident sur les conditions dans lesquelles les pièces ont été présentées.

10. Dès lors, le moyen doit être écarté.

LES ARRÊTS DE LA CEDH SUR LA FRANCE

RAMDA c. France, arrêt du 19 décembre 2017, requête 78477/11

Article 6-1 et article 4 du protocole 7, la Cour d'assises a eu 63 questions à laquelle, elle a répondu pour condamner l'auteur, il n'y a pas violation de l'article 6-1 de la Conv EDH.

Celui-ci n'a pas subi  deux condamnations pénales pour les mêmes faits, au sens de l'article 4 du Protocole 7, car les faits matériels incriminés ne sont les mêmes.

D'une part , il est condamné pour son appartenance à un réseau djihadiste et d'autre part pour avoir transmis les ordres pour commettre en France, les attentats de 1995.

ARTICLE 6-1

59. La Cour rappelle que si la Convention ne requiert pas que les jurés populaires donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un tel jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010, Agnelet c. France, no 61198/08, § 56, 10 janvier 2013, et Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, § 66, CEDH 2016), dans le cadre des procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, la compréhension par un accusé de sa condamnation est assurée au premier chef par la motivation des décisions de justice. Dans ces affaires, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent (Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, § 33, série A no 252, et Taxquet, précité, § 91). La motivation a également pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense. Toutefois, même pour les magistrats professionnels, l’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A, et Taxquet, précité, § 91). Si les tribunaux ne sont pas tenus d’apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288), il doit ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007).

60. Elle rappelle également qu’en tout état de cause, pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90, et Lhermitte, précité, § 67). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

61. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict et à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury, outre la prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours (Papon c. France (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII, Taxquet, précité, § 92, et Lhermitte, précité, § 68). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Taxquet, précité, § 93, Lhermitte, précité, § 69, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 126, 12 mai 2017).

62. La Cour constate que si la présente affaire concerne une cour d’assises, il s’agit en l’espèce, à la différence des requêtes comparables qui lui ont été soumises dans le passé, d’une cour d’assises spécialement composée, c’est-à-dire non pas avec la participation d’un jury populaire, mais constituée uniquement de magistrats professionnels. Partant, indépendamment de la terminologie retenue, la question de l’absence de motivation ne se pose pas au regard de la présence d’un jury populaire.

63. Il reste que l’arrêt de la cour d’assises d’appel en date du 13 octobre 2009 n’est pas davantage motivé que ne l’étaient les arrêts des cours d’assises avec jurys populaires avant la loi no 2011-939 du 10 août 2011 (Agnelet, précité, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, respectivement nos 44446/10, 30010/10, 53406/10 et 60995/09, 10 janvier 2013, et Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015), loi également applicable aux cours d’assises spécialement composées.

64. Dès lors, tout en soulignant que, dans les procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent, la Cour rappelle que l’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (paragraphe 59 ci-dessus). Elle estime donc pertinent, au regard des spécificités de cette procédure, largement similaire à celle d’une cour d’assises avec intervention d’un jury populaire, d’examiner le grief du requérant à la lumière des principes dégagés dans son arrêt Taxquet (précité ; cf. également Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, et Lhermitte, précité).

65. La Cour rappelle d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie, à savoir neuf magistrats au lieu de sept en première instance dans le cas d’une cour d’assises spécialement composée (voir, notamment, Agnelet, précité, § 63).

66. S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées à la cour d’assises en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant n’était pas le seul accusé et que l’affaire était complexe.

67. Par ailleurs, les trois arrêts de mise en accusation avaient une portée limitée, puisqu’ils intervenaient avant les débats qui constituent le cœur du procès. La Cour constate néanmoins que ces arrêts concernaient chacun un attentat distinct et qu’ils étaient particulièrement motivés quant aux faits reprochés, présentant les évènements de manière très circonstanciée. De plus, au cours de la procédure de première instance, l’accusé avait déjà eu l’occasion d’évaluer en détail les accusations portées contre lui et de faire valoir ses moyens de défense. Outre le fait que les arrêts de mise en accusation restaient le fondement de sa mise en accusation devant la cour d’assises d’appel, les débats qui s’étaient déroulés en première instance lui permettaient de disposer d’une connaissance accrue des charges qui lui étaient opposées et des raisons pour lesquelles il risquait d’être condamné en appel.

68. Quant aux questions posées concernant le requérant, elles furent au nombre de soixante-trois, vingt-six concernant les faits relatifs à l’attentat du 25 juillet 1995, dix-huit les faits relatifs à celui du 6 octobre 1995 et dix-neuf relatifs à celui du 17 octobre 1995. Il fut répondu « oui à la majorité » à soixante-et-une d’entre elles (certaines questions, suivies de l’énumération de noms de victimes pour chacune desquelles une réponse individuelle était nécessaire, firent également l’objet de mentions partielles « sans objet ») et « sans objet » à deux questions (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour constate en particulier qu’outre les précisions sur les lieux et les dates à chaque fois concernés, ainsi que l’indication des victimes en fonction de leurs préjudices (décès, mutilation ou infirmité permanente, incapacité totale de travail de plus de huit jours ou de huit jours au plus, destructions et dégradations de biens), les questions visaient en particulier le fait pour le requérant d’avoir ou non agi avec préméditation (questions nos 2, 8, 28 et 46), ainsi que la provocation à la commission de certains faits par le requérant (questions nos 5, 11, 20, 25, 31, 36, 43, 49, 57 et 62), son aide apportée aux auteurs des attentats (questions nos 10, 19, 24, 30, 35, 42, 48, 56 et 61) ou encore l’existence d’instructions données par lui pour la réalisation de certains crimes (questions nos 6, 12, 21, 26, 32, 37, 44, 50, 58 et 63). La Cour estime que par leur nombre et leur précision, ces questions formaient une trame apte à servir de fondement à la décision (voir, mutatis mutandis, Papon c. France (déc.), no 54210/00, CEDH 2001‑XII). Elle note d’ailleurs que si le requérant conteste la rédaction de ces questions (paragraphe 53 ci-dessus), il n’a pas proposé de les modifier ou d’en poser d’autres (voir, mutatis mutandis, Lhermitte, précité, § 79).

69. Partant, au vu de l’examen conjugué des trois arrêts de mise en accusation particulièrement motivés, des débats au cours des audiences, et ce tant en première instance et qu’au cours de la procédure en appel dont le requérant a bénéficié, ainsi que des questions, nombreuses et précises, posées à la cour d’assises, le requérant ne saurait prétendre ignorer les raisons de sa condamnation.

70. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre (cf., mutatis mutandis, Legillon c. France, no 53406/10, § 67, 10 janvier 2013, Voica, précité, § 53, et Bodein c. France, § 42, no 40014/10, 13 novembre 2014). Pour autant, la Cour se félicite de ce que la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 imposant dorénavant la rédaction d’une « feuille de motivation » (cf. Legillon, Voica et Bodein, précités, respectivement §§ 68, 54 et 43), s’applique également aux cours d’assises spécialement composées (paragraphe 63 ci-dessus).

71. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

ARTICLE 4 DU PROTOCOLE 7

a) Principes généraux

81. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits qui sont en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 82, CEDH 2009, et A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 108 15 novembre 2016).

82. La garantie consacrée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. À ce stade, les éléments du dossier comprendront forcément la décision par laquelle la première « procédure pénale » s’est terminée et la liste des accusations portées contre le requérant dans la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé. Ces exposés constituent un utile point de départ pour l’examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en substance les mêmes. Peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l’article 4 du Protocole no 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83).

83. La Cour doit donc faire porter son examen sur les faits décrits dans ces exposés, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 84).

84. Ce faisant, il lui appartient de déterminer si les nouvelles poursuites avaient pour origine des faits qui étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de la condamnation définitive (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 82 ; voir également Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 224, 4 mars 2014, Kapetanios et autres c. Grèce, nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13, § 68, 30 avril 2015). Dans son arrêt A et B c. Norvège, qui concernait la conduite de procédures mixtes, c’est-à-dire à la fois pénales et administratives, la Cour a notamment confirmé cette approche qui, comme elle l’a relevé, constitue l’apport le plus notable de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine précité (A et B, précité, § 108).

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

85. La Cour note tout d’abord que la condamnation infligée au requérant, en matière correctionnelle, par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 18 décembre 2006, a acquis force de chose jugée le 14 mars 2007, date du rejet du pourvoi du requérant (paragraphe 27 ci-dessus). À partir de ce moment, le requérant devait donc être considéré comme ayant été « déjà condamné en raison d’une infraction par un jugement définitif » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

86. Les poursuites en matière criminelle, qui s’inscrivaient dans le cadre du choix procédural des autorités judiciaires et qui ont donné lieu aux arrêts de mise en accusation en février, août et novembre 2001, et qui ont conduit à la condamnation du requérant par des cours d’assises spécialement composées les 26 octobre 2007 et 13 octobre 2009, n’ont pas été arrêtées.

87. La Cour note que, contrairement à ce que semble affirmer le Gouvernement (paragraphe 79 ci-dessus), il ressort des principes énoncés dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine précitée que la question à trancher n’est pas celle de savoir si les éléments constitutifs des infractions reprochées dans les procédures correctionnelle et criminelle étaient ou non identiques, mais si les faits reprochés au requérant dans le cadre des deux procédures se référaient à la même conduite. Lorsque la même conduite du même contrevenant et dans le même cadre temporel se trouve en jeu, la Cour se doit de vérifier si les faits de l’infraction pour laquelle le requérant a d’abord été condamné et ceux de l’infraction dont la poursuite a été maintenue étaient identiques ou étaient en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 94).

88. S’agissant de la procédure correctionnelle, la Cour relève que le tribunal a pris soin de présenter les faits de manière détaillée dans son jugement du 29 mars 2006. Après avoir replacé l’affaire dans son contexte et apprécié les éléments permettant de mettre le requérant en cause (paragraphes 19-20 ci-dessus), il a estimé que la participation de celui-ci à une association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste était avérée, l’information judiciaire ayant démontré que plusieurs groupes terroristes étaient installés dans la région lyonnaise, à Paris et à Lille et que les liens entretenus par le requérant avec les différents membres de ces réseaux de soutien au G.I.A., qui avaient l’objectif commun de réaliser des attentats, suffisaient à établir sa participation consciente et volontaire à une entente destinée à accomplir des actes de terrorisme sur le territoire français. Dans son jugement, le tribunal a notamment précisé les faits permettant d’établir les relations du requérant avec huit membres de ces groupes et jugé qu’au travers du financement et de la propagande pour le compte du G.I.A., le requérant avait permis de renforcer la structure de réseaux qui s’étendaient sur plusieurs pays européens » (paragraphes 21-22 ci-dessus).

89. La Cour constate ensuite que, dans son arrêt du 18 décembre 2006, la cour d’appel de Paris a explicité son raisonnement et sa motivation. Dans un premier temps, elle a détaillé les appels téléphoniques apportant la preuve de l’existence d’une centrale d’information basée à Londres dont le requérant aurait été maître d’œuvre. Elle a ainsi évoqué les appels passés : le lendemain de l’assassinat de l’imam S. à Paris ; deux jours avant l’attentat commis à la station Saint-Michel du RER ; le jour même de cet attentat, le lendemain de la tentative d’attentat contre les installations du TGV Paris-Lyon à Cailloux-sur-Fontaines ; quelques jours après l’attentat commis le 3 septembre boulevard Richard Lenoir à Paris, la tentative d’attentat du 4 septembre place Charles Vallin à Paris et l’attentat commis le 7 septembre rue Jean-Claude Vivand à Villeurbanne, c’est-à-dire le 12 septembre 1995 ; le lendemain des tirs au Col de Maleval et de l’arrestation de trois personnes ; cinq jours avant l’attentat du 6 octobre et deux jours après ce dernier ; le 16 octobre 1995, soit juste avant l’attentat du 17 octobre 1995 ; enfin, le 1er novembre 1995, et ce juste après un échange téléphonique entre B. B. et S. A. B. concernant la préparation d’un attentat sur le marché de Wazemmes à Lille, B. B. ayant précisé que cette conversation avait pour objet de rendre compte au requérant des «derniers actes préparatoires» concernant l’attentat de Lille (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour note que la cour d’appel de Paris a ensuite énuméré les éléments factuels établissant que le requérant était le maître d’œuvre d’une structure de financement des actions menées en France par le G.I.A. À ce titre, elle a évoqué l’envoi de fonds le 16 octobre 1995 par le requérant sous une fausse identité et réceptionnés par B. B., le versement d’une somme de 5 000 GBP et de 50 000 FRF par le requérant, ainsi que les déclarations de plusieurs personnes concernant des propositions de service contre remise d’argent, la recherche d’argent, l’envoi et la remise de sommes (paragraphe 24 ci‑dessus). De plus, la cour d’appel a énoncé des faits permettant d’établir que le requérant était à la fois, premièrement, l’interlocuteur privilégié dans l’organisation et les actions menées par le G.I.A. en Europe (ce qui ressortait notamment d’une conversation téléphonique du 2 décembre 1995, des déclarations d’un témoin membre du G.I.A., ainsi que du contenu détaillé de nombreux documents saisis à Londres - communiqués, habilitations à mener le djihad, documents sur la gestion des fonds, articles et notes manuscrites sur l’action des groupes islamistes en Europe et la lutte antiterroriste, notes sur les armes de guerre et le maniement des explosifs, etc.), deuxièmement, l’agent principal de propagande du G.I.A. à l’extérieur de l’Algérie (compte tenu de son rôle dans la publication Al Ansar établi par des documents saisis à Londres chez le requérant - une note sur le moyen de dynamiser la revue, une lettre explicitant les modes de distribution de cette dernière, un équipement informatique que le requérant n’avait pas les moyens de s’offrir, des courriers adressés par des lecteurs et des sympathisants du G.I.A., un nombre important de revues illustrant les thèses et les actions violentes du G.I.A., une quantité substantielle de correspondances se rapportant aux questions algériennes et islamiques, des témoignages, une liste de boîtes postales dans de très nombreux pays correspondant aux abonnés du journal), troisièmement, l’acteur central de la cellule de Londres qui servait également de point de ralliement aux jeunes recrues de passage dans cette ville et, enfin, quatrièmement, un responsable jouant un rôle stratégique dans l’organisation extérieure du G.I.A., comme le démontraient ses relations avec des membres et correspondants d’autres groupes terroristes islamistes du monde entier (paragraphe 25 ci-dessus).

90. La Cour constate enfin que la cour d’appel a motivé son arrêt par la part déterminante prise sciemment par le requérant dans la structure extérieure implantée en Europe par le G.I.A. afin de renverser le régime algérien, par la mise en place de réseaux en Belgique et en France notamment, servant à la fois de soutien aux maquis algériens par la fourniture d’armes, munitions et matériels divers, ainsi que par l’envoi de djihadistes et la mise en place de structures de refuge pour les combattants fuyant le maquis algérien ou venus réaliser les attentats (paragraphe 26 ci‑dessus).

91. S’agissant de la procédure criminelle, la Cour relève que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a, par trois arrêts des 13 février, 3 août et 27 novembre 2001, prononcé la mise en accusation du requérant devant la cour d’assises de Paris pour complicité des crimes commis à l’occasion des attentats des 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995 (paragraphes 28‑29 ci-dessus). Elle relève que ces arrêts, qui concernaient cette fois un comportement criminel précis, dirigé vers la réalisation d’objectifs ponctuels que représentaient chacun des attentats commis à Paris les 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995, ont précisé les éléments factuels à l’origine de la poursuite du requérant et de son renvoi devant la cour d’assises. En particulier, le requérant s’est vu reprocher d’avoir, pour ces trois attentats, à la fois transmis les instructions du G.I.A. ordonnant leur réalisation à l’aide d’explosifs, tout en répercutant à la direction du G.I.A. les informations opérationnelles données par les auteurs de ces attentats, fourni une méthode de fabrication des explosifs à ses complices chargés d’agir à Paris, tout en leur procurant les moyens financiers nécessaires à la confection des explosifs et à l’ensemble de la logistique ayant permis la préparation et la réalisation de ces attentats précis (paragraphe 30 ci-dessus).

92. La Cour observe que ces arrêts de la chambre de l’instruction énumérèrent des faits précis, en particulier : l’appel à destination des trois téléphones portables utilisés par le requérant par l’un des principaux organisateurs sur place et auteur des attentats, B. B., les 16 et 22 octobre, ainsi que le 1er novembre 1995 ; la découverte au domicile de B. B. d’un ticket d’une opération de change intervenue le 16 octobre 1995 pour un montant de 36 800 FRF, ainsi qu’un avis de transfert de fonds de 38 000 FRF ; la découverte des empreintes du requérant sur le bordereau de transfert retrouvé dans le bureau de la Western Union du magasin Londis ; l’indication « LYESO - 36.600 FF » portée au crédit dans la comptabilité tenue par B. B., les mentions « West Union » et «West-Union Banque» également portées par B. B. sur la page d’un document contenant notamment le repérage de l’attentat du 17 octobre ; la détention par le requérant des coordonnées de l’agence de la Western Union située rue du Cloître à Notre-Dame à Paris ; un ticket de change en date du 21 juillet 1995 trouvé au domicile du requérant portant sur un montant de 5 000 GBP changé à Londres au taux de 7,5 %, au dos duquel était inscrit le numéro d’une cabine publique de Corbeil Essonne utilisé par l’un des auteurs des attentats et l’inscription de l’opération au crédit dans la comptabilité tenue par B. B. ; un envoi de 6 945 GBP le 20 juillet 1995 ; l’enregistrement entre les 20 et 25 juillet 1995 d’une dépense de 300 FRF pour l’achat d’un « billet GB » tendant à établir que les fonds, après avoir été changés en Angleterre, avaient été acheminés à Paris dans les jours précédant l’attentat à la station Saint-Michel du RER. Ils opposèrent également au requérant le contenu d’un disque dur, découvert dans un appartement londonien dont il avait les clés, contenant deux rapports financiers relatifs, d’une part, aux activités du G.I.A. implanté en Belgique et, d’autre part, à la comptabilité chronologique établie entre septembre 1994 et le 1er novembre 1995, date de l’arrestation de B.B. (paragraphe 31 ci-dessus).

93. La Cour note également que la chambre de l’instruction a souligné certains éléments factuels spécifiques aux différents attentats. Ainsi, dans son arrêt du 13 février 2001, relatif à l’attentat du 17 octobre 1995, elle a insisté sur le fait que les trois lignes téléphoniques du requérant avaient été appelées à de nombreuses reprises depuis des cabines téléphoniques utilisées par B.B., dans des temps proches des différentes attentats, en particulier la veille de celui commis le 17 octobre 1995, pour lui rendre compte des préparatifs en cours, tout en soulignant le fait que le virement d’un montant de 36 800 FRF effectué depuis Londres la veille de cet attentat était directement lié à l’attentat commis le 17 octobre 1995 (paragraphe 32 ci‑dessus). Dans son arrêt du 3 août 2001, concernant l’attentat du 25 juillet 1995, la chambre de l’instruction a souligné que le téléphone portable anglais du requérant avait été appelé deux jours avant depuis une cabine téléphonique située à proximité du domicile de B.B. à Paris et utilisée pour contacter un autre membre du G.I.A. en France, que la veille de l’attentat, puis le jour même, le requérant avait été appelé depuis la France, notamment d’une cabine voisine de la précédente sur ces différentes lignes téléphoniques, en raison de son rôle d’intermédiaire entre les auteurs des attentats et le maître d’œuvre en Algérie et, enfin, que le requérant avait procédé, les 2 et 20 juillet 1995, respectivement pour un montant de 5 000 et 6 945 GBP, à des envois de fonds directement liés à la commission de l’attentat du 25 juillet 1995 (paragraphe 33 ci-dessus). Enfin, dans son arrêt du 27 novembre 2001, concernant l’attentat du 6 octobre 1995, la chambre de l’instruction a retenu que les directives du G.I.A. sur les campagnes d’attentats, qui étaient accompagnées de conseils pour la fabrication des explosifs, avaient transité par le requérant, ce dernier ayant, d’une part, dû rendre des comptes de l’utilisation des sommes versées par lui et d’autre part, été tenu au courant du déroulement des attentats, en particulier celui du 6 octobre 1995 par un appel téléphonique du 8 octobre 1995 (paragraphe 34 ci-dessus). Par la suite, la cour d’assises a également retenu le fait qu’il avait sciemment aidé à fabriquer ou détenir des engins explosifs, donné des instructions en ce sens pour les attentats des 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995, et sciemment provoqué cette fabrication ou cette détention pour les attentats des 25 juillet et 17 octobre 1995 (paragraphe 41 ci-dessus).

94. Ayant ainsi procédé à l’examen comparatif, d’une part, de l’arrêt du 18 décembre 2006, par lequel la cour d’appel de Paris a condamné le requérant et, d’autre part, des trois arrêts de la chambre de l’instruction des 13 février, 3 août et 27 novembre 2001 l’ayant renvoyé devant la cour d’assises spécialement composée, la Cour constate que ces décisions s’appuient sur des faits nombreux et détaillés qui sont distincts. Elle estime en particulier que si le virement de 5 000 GBP invoqué par le requérant (paragraphe 76 ci-dessus) est mentionné dans l’arrêt de la cour d’appel ainsi que dans les arrêts de la chambre de l’instruction, cette circonstance ne saurait constituer un élément de similarité déterminant. Quant à l’envoi de 6 945 GBP et aux appels téléphoniques dont le requérant entend tirer argument, la Cour observe, comme le requérant lui-même, qu’aucun d’eux ne figure cumulativement dans l’arrêt de condamnation prononcé par la cour d’appel et dans l’un des arrêts de mise en accusation prononcés par la chambre de l’instruction. Elle n’est pas convaincue sur ce point par les affirmations du requérant selon lesquelles le premier de ces éléments devrait être considéré comme englobé dans les faits de l’arrêt du 18 décembre 2006, tandis que les suivants seraient indissociablement liés à d’autres appels téléphoniques figurant dans cet arrêt (paragraphes 76-78 ci-dessus). En tout état de cause, indépendamment de ces éléments repris par le requérant dans ses observations, il apparaît que non seulement les trois arrêts de mise en accusation rendus en 2001 ignorent de nombreux éléments factuels évoqués dans le cadre de la procédure correctionnelle, mais surtout qu’ils visent des comportements et s’appuient sur des faits qui ne furent pas évoqués durant la première procédure.

95. La Cour en conclut que le requérant n’a pas été poursuivi ou condamné dans le cadre de la procédure criminelle pour des faits qui auraient été en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de la condamnation correctionnelle définitive.

96. Enfin, et à toutes fins utiles, la Cour rappelle qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner (voir, notamment, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 126, 19 février 2009, Ismoïlov et autres c. Russie, no 2947/06, § 126, 24 avril 2008, et Daoudi c. France, no 19576/08, § 65, 3 décembre 2009). De plus, le requérant a été condamné par la cour d’assises non seulement pour des faits différents de ceux pour lesquels il avait été jugé dans le cadre de la première procédure, mais également pour des crimes de complicité d’assassinat et de tentatives d’assassinat. Or, s’agissant de ces infractions, la Cour entend souligner qu’il s’agit de violations graves des droits fondamentaux, au regard de l’article 2 de la Convention, pour lesquels les États ont l’obligation de poursuivre et punir les auteurs (mutatis mutandis, Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, §§ 127-128, CEDH 2014), sous réserve de respecter les garanties procédurales des personnes concernées (cf., notamment, mutatis mutandis, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 252, CEDH 2016), comme ce fut le cas en l’espèce pour le requérant.

97. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.

MATIS C. France décision d'irrecevabilité du 29 octobre 2015 requête n° 43600/13

Irrecevabilité : L’arrêt de la cour d’assises dans l’affaire Matis a été suffisamment motivé

La Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence, tels que rappelés dans les arrêts Agnelet c. France (no 61198/08), Oulahcene c. France (no 44446/10), Voica c. France (no 60995/09), Legillon c. France (no 53406/10) et Fraumens c. France (no 30010/13) du 10 janvier 2013.

Elle constate d’emblée qu’en l’espèce la requérante a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47 ; voir également Haddad c. France, no 10485/13, § 16 et Peduzzi c. France, no 23487/12, § 18, du 21 mai 2015)

Par ailleurs, elle rappelle que, dans les arrêts Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica (précités), elle avait pris note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011, qui a notamment inséré un nouvel article 365‑1 dans le code de procédure pénale ; elle avait alors estimé qu’une telle réforme semblait, a priori, susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (respectivement §§ 72, 56, 51, 68 et 54).

Or, en l’espèce, la Cour est pour la première fois appelée à se prononcer sur une affaire dans laquelle une telle « feuille de motivation » a été rédigée.

Elle constate que ce document présente les principaux éléments à charge qui ont été discutés au cours des débats, qui ont été exposés durant les délibérations et sur lesquels repose finalement la décision de déclarer la requérante coupable des faits reprochés.

La Cour considère que le nombre et la précision des éléments factuels énumérés dans la feuille de motivation, qui correspondent d’ailleurs en l’espèce aux constats de la chambre de l’instruction dans son arrêt de mise en accusation, sont de nature à permettre à la requérante de connaître les raisons de sa condamnation. Compte tenu de ce document et de son contenu, il importe donc peu qu’une seule question ait été posée.

En conclusion, la Cour estime que la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. La requérante invoque également la violation des articles 6 §§ 1 et 3, 13 et 14 de la Convention.

Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles précités de la Convention.

La Cour constate en particulier que la requérante, qui a bénéficié de recours effectifs, n’établit pas en quoi le fait d’avoir été jugée par une cour d’assises d’appel composée de neuf jurés au lieu de douze a pu être de nature à porter atteinte à l’équité de la procédure ou être à l’origine d’un traitement contraire aux dispositions de l’article 14 de la Convention, dont les dispositions ne sont au demeurant pas autonomes. De plus, elle note que si la requérante a vu ses demandes de QPC déclarées irrecevables par la cour d’assises d’appel dans son arrêt incident, elle a en tout état de cause effectivement pu les soumettre à la Cour de cassation, laquelle s’est expressément prononcée à ce sujet les 12 décembre 2012 et 9 janvier 2013 (Renard et autres c. France (déc.), nos 3569/12, 9145/12, 9161/12 et 37791/13, 25 août 2015).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

OULAHCENE c. FRANCE Requête no44446/10 du 10 janvier 2013

AVANT LA LOI DU 10 AOÛT 2011, LES COURS D'ASSISES NE RESPECTENT PAS LA CONVENTION

47.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

48.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé.

49.  Par ailleurs, l’ordonnance de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’elle intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate en outre qu’il ressort expressément de cette ordonnance que non seulement le requérant niait les faits, mais que le mobile du meurtre restait inconnu. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises.

50.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance de mise en accusation.

51.  La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, le requérant ayant été condamné à une peine de trente ans de réclusion criminelle, assortie d’une période de sûreté des deux tiers.

52.  En l’espèce, une seule question a été posée au jury. Non circonstanciée, elle se limite à la reprise de la définition légale de l’infraction, de la date et de l’heure des faits et de l’identité de la victime.

53.  Partant, la Cour ne peut que constater, en l’espèce, que la question unique, non circonstanciée et laconique, et ce alors même que les faits étaient contestés et le mobile inconnu selon les termes exprès de l’ordonnance de mise en accusation, ne comporte de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96).

54.  Certes, le requérant a bénéficié de la possibilité d’interjeter appel du premier arrêt de condamnation criminelle. Cependant, outre le fait que ce dernier n’était pas non plus motivé, l’appel interjeté par le requérant a entraîné la constitution d’une nouvelle cour d’assises, autrement composée, chargée de recommencer l’examen du dossier et d’apprécier à nouveau les éléments de fait et de droit dans le cadre de nouveaux débats. Il s’ensuit que le requérant ne pouvait retirer de la procédure en première instance aucune information pertinente quant aux raisons de sa condamnation en appel par des jurés et des magistrats professionnels différents.

55.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

56.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

57.  En l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

AGNELET c. FRANCE du 10 janvier 2013 Requête 61198/08

J'avais écrit le 13 janvier 2013 :

"AFFAIRE LE ROUX : BRAVO MONSIEUR AGNELET et Maître F. Saint Pierre, avocat à Lyon

Frédéric Fabre craint pour votre nouveau procès car une nouvelle cour d'Assises, risque d'être tenter de confirmer le verdict pour justifier que la violation de la convention n'avait aucune importance."

Le 11 avril 2014, Monsieur Agneret est condamné par la Cour d'Assises de Rennes, à 20 ans de réclusion criminelle sur la foi du témoignage de son fils démenti par sa mère.

Dès le 12 avril 2014 est publié au JO :

Commission nationale consultative des droits de l'homme

Avis complémentaire négatif sur la révision des condamnations pénales en cas d'erreur judiciaire.

AVANT LA LOI DU 10 AOÛT 2011, LES COURS D'ASSISES NE RESPECTENT PAS LA CONVENTION

a.  Principes généraux

56.  La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

63.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

64.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que l’affaire était très complexe.

65.  Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il ressort expressément de cet arrêt que le meurtre n’était pas formellement établi et que, partant, le lieu, le moment et les modalités du crime supposé restaient inconnus, le requérant ayant par ailleurs toujours nié les faits. Concernant les constatations factuelles reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Force est cependant de constater qu’elles laissaient nécessairement subsister de nombreuses incertitudes, en raison du fait que l’explication de la disparition d’A.R. ne pouvait reposer que sur des hypothèses.

66.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation.

67.  La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, le requérant ayant été condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle, après avoir préalablement bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, puis d’un acquittement.

68.  En l’espèce, les questions subsidiaires ayant été déclarées sans objet, seulement deux questions ont été posées au jury : la première sur le fait d’avoir ou non volontairement donné la mort à A.R. et, la seconde, en cas de réponse positive, sur une éventuelle préméditation.

69.  La Cour ne peut que constater, dans les circonstances très complexes de l’espèce, que ces deux questions étaient non circonstanciées et laconiques. La Cour note en effet, d’une part, que le requérant avait été acquitté en première instance et, d’autre part, que les raisons et les modalités de la disparition d’A.R., y compris la thèse de l’assassinat, ne reposaient que sur des hypothèses, faute de preuves formelles, qu’il s’agisse par exemple de la découverte du corps ou d’éléments matériels établissant formellement les circonstances de lieu, de temps, ainsi que le mode opératoire de l’assassinat reproché au requérant. Partant, les questions ne comportaient de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96).

70.  Certes, le ministère public a interjeté appel, ce qui a permis, comme le souligne le Gouvernement, un réexamen de l’arrêt rendu en première instance (paragraphe 53 ci-dessus). Cependant, outre le fait que ce dernier n’était pas non plus motivé, l’appel a entraîné la constitution d’une nouvelle cour d’assises, autrement composée, chargée de recommencer l’examen du dossier et d’apprécier à nouveau les éléments de fait et de droit dans le cadre de nouveaux débats. Il s’ensuit que le requérant ne pouvait retirer de la procédure en première instance aucune information pertinente quant aux raisons de sa condamnation en appel par des jurés et des magistrats professionnels différents, et ce d’autant plus qu’il avait d’abord été acquitté.

71.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

72.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

73.  En l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

75.  Le requérant, qui estime avoir subi un préjudice moral considérable, ne présente cependant aucune demande de satisfaction équitable, souhaitant d’abord voir reconnaître son innocence lors d’un nouveau procès. En outre, son avocat indique assurer sa défense gratuitement.

76.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au requérant au titre de l’article 41 de la Convention, tout en rappelant qu’il dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ayant inséré dans le Code de procédure pénale un titre III relatif au « réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme ».

FRAUMENS c. FRANCE du 10 janvier 2013 Requête 30010/10

AVANT LA LOI DU 10 AOÛT 2011, LES COURS D'ASSISES NE RESPECTENT PAS LA CONVENTION

a.  Principes généraux

34. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), n31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

35.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

36.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

37.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

38.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

39.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

40.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

41.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

42.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que nonobstant la présence de deux accusés, seul le requérant se voyait reprocher la commission d’un crime, son frère étant poursuivi pour des délits.

43.  Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il était circonstancié et que les charges ont ensuite été débattues pendant quatre jours, à savoir du 30 octobre au 3 octobre 2008. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait cependant se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises.

44.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, comme cela ressort des arrêts et conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance et de l’arrêt de mise en accusation.

45.  La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, le requérant, après avoir fait l’objet d’un acquittement, ayant été ensuite condamné à une peine de trente ans de réclusion criminelle.

46.  En l’espèce, quatre questions ont été posées, mais seulement deux d’entre-elles concernaient le requérant.

47.  L’une de ces deux questions concernait la préméditation, qui n’avait pas été retenue lors de la mise en accusation, en raison de la teneur des débats devant la cour d’assises. La Cour estime que cela témoigne de ce que la décision du jury ne se confond pas avec l’acte de mise en accusation. Elle considère en outre que cette question, résultant des débats, a nécessairement permis à l’accusé de comprendre une partie du raisonnement du jury.

48.  Cependant, le requérant, pour dénoncer l’absence de motivation de l’arrêt prononcé par la cour d’assises d’appel, précise notamment qu’il avait été acquitté en première instance.

49.  Or, aux yeux de la Cour, dès lors que l’accusé a été acquitté en première instance puis déclaré coupable en appel, qui plus est en se voyant infliger une peine très lourde, il devait disposer d’éléments susceptibles de lui permettre de comprendre le verdict de condamnation : tel ne pouvait être le cas avec un examen conjugué de l’acte de mise en accusation et des deux seules questions posées au jury en l’espèce.

50.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

51.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

52.  En l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

LEGILLON c. FRANCE du 10 janvier 2013 Requête 53406/10

LES COURS D'ASSISES RESPECTENT AUJOURD'HUI, L'ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION

52.  La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), n31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

53.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

54.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

55.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

56.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

57.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

58.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

59.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

60.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que les faits reprochés, indépendamment de leur gravité, n’étaient pas complexes.

61.  Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il était particulièrement circonstancié et que les charges ont ensuite été débattues pendant trois jours. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises.

62.  La Cour estime que le changement de qualification intervenu entre l’ordonnance de renvoi et les questions posées au jury souligne que la décision de ce dernier ne se confond pas avec l’acte de mise en accusation. Elle considère en outre que cette évolution, résultant des débats, a nécessairement permis à l’accusé de comprendre une partie du raisonnement du jury.

63.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation.

64.  En l’espèce, douze questions, composant un ensemble précis et exempt d’ambiguïté sur ce qui était reproché au requérant, ont été posées.

65.  Certes, le requérant se plaint également de l’absence de distinction entre les éléments de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, lesquels ne recouvrent pas la même réalité. La Cour estime cependant qu’il ne saurait prétendre avoir été, pour cette seule raison, empêché de comprendre le verdict qui a été rendu, en particulier compte tenu de la circonstance que les faits ont été commis par un ascendant sur des victimes mineures de son entourage immédiat.

66.  La Cour relève d’ailleurs que les circonstances aggravantes, en relation avec l’ascendance et l’âge des victimes, ont fait l’objet de questions individualisées, permettant ainsi au jury de déterminer individuellement et avec précision la responsabilité pénale du requérant (voir Goktepe c. Belgique, no 50372/99, 2 juin 2005).

67.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

68.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

69.  En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Arrêt VOICA c. FRANCE Requête no 60995/09 du 10 janvier 2013

LES COURS D'ASSISES RESPECTENT AUJOURD'HUI, L'ARTICLE 6-1 DE LA CONVENTION

a.  Principes généraux

40. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), n31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

41.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

42.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

43.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

44.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

45.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

46.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

47.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar de la requérante, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

48.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que la requérante était coaccusée des faits jugés par la cour d’assises et que les faits n’étaient pas particulièrement complexes.

49.  Par ailleurs, l’ordonnance de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’elle intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre la requérante, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Elle relève cependant que l’ordonnance de mise en accusation présentait de manière très circonstanciée les évènements, ainsi que les positions des coaccusés qui faisaient clairement apparaître deux thèses contraires : d’une part, celle de la requérante, qui niait toute participation aux faits et déclarait ne pas avoir été présente sur les lieux du crime, malgré certains éléments tendant à prouver le contraire ; d’autre part, celle de son coaccusé qui, dès sa garde à vue, avait reconnu les faits en donnant des explications détaillées, tout en expliquant avoir agi sous la direction de la requérante, laquelle aurait tout planifié (paragraphe 7 ci‑dessus).

50.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance de mise en accusation.

51.  Sur les cinq questions posées, trois portaient sur les infractions, évoquant en termes généraux l’homicide volontaire (question no 1), le vol d’objets ou de numéraire (question no 2) et le fait que le meurtre aurait servi soit à préparer le vol, soit à permettre le fuite ou l’impunité des accusés (question no 3). Les quatrième et cinquième questions visaient personnellement chacun des coaccusés.

52.  La requérante se plaint de ne pouvoir comprendre pourquoi elle a été condamnée plus sévèrement que son coaccusé en appel, contrairement au verdict rendu par la cour d’assises de première instance. La Cour estime cependant que si les questions ne comportent de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre [à la requérante] de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96), il n’en va pas de même de l’ordonnance de mise en accusation. En effet, elle rappelle qu’il ressortait clairement de cette dernière que chacun des deux coaccusés soutenait une version des faits qui impliquait nécessairement la responsabilité principale ou exclusive de l’autre. La Cour retient que le juge d’instruction, dans son ordonnance de mise en accusation, a conclu que les éléments du dossier rendaient impossible la thèse de la requérante selon laquelle M. aurait agi seul (paragraphe 8 ci-dessus). Partant, au vu de l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury, la requérante ne saurait prétendre ignorer la raison pour laquelle sa peine, prononcée en fonction des responsabilités respectives de chacun des coaccusés, a pu être successivement inférieure et supérieure à celle de son coaccusé.

53.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

54.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365-1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

55.  En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Bodein C. France arrêt du 13 novembre 2014, requête 40014/10

Non violation de l'article 6 : La CEDH confirme que les cours d'assises respectent aujourd'hui la convention sur la motivation de la condamnation.

37.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

38.  Reprenant la méthode utilisée dans les arrêts précités (paragraphe 36 ci-dessus), la Cour doit examiner l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury. À cet égard, elle relève tout d’abord que si le requérant n’était pas le seul accusé au début du procès, mais qu’il avait de nombreux co-accusés dans l’affaire concernant la mort de J.-M.K., une partie d’entre eux bénéficia d’un non-lieu pour les faits les plus graves (meurtres et viols en réunion) en cours de procédure (paragraphe 12 ci-dessus) et les autres, renvoyés pour non-assistance à personne en danger et non dénonciation de crime, furent tous acquittés par la cour d’assises du Bas-Rhin. Le requérant se retrouva ainsi seul accusé devant la cour d’assises d’appel.

39.  Par ailleurs, l’ordonnance de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’elle intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Elle constate cependant que cet acte présentait de manière circonstanciée les évènements. S’il laissait clairement apparaître que la participation des co-accusés aux faits était difficile à prouver, il indiquait le contraire en ce qui concerne le requérant. Bien que restant des hypothèses puisque ce dernier niait les faits, l’ordonnance de renvoi soulignait que de multiples éléments matériels, et notamment génétiques, établissaient très clairement qu’il était l’auteur principal des faits commis dans les trois affaires. La Cour observe que les charges furent ensuite débattues pendant vingt-quatre jours.

40.  Quant aux questions, la Cour rappelle qu’elles s’avèrent importantes puisque, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposent, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance de mise en accusation (Agnelet, précité, § 66).

41.  En l’espèce, vingt-sept questions furent posées, en relation avec l’ensemble des crimes et avec des références aux circonstances aggravantes concernant l’âge des victimes. Les réponses positives à ces questions, qui confirmaient la condamnation du requérant à la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée par la cour d’assises du Bas-Rhin (voir a contrario, Agnelet, précité, § 67), alors que l’ordonnance de mise en accusation concluait que l’ensemble des éléments recueillis au cours de l’information laissaient apparaître qu’il avait indiscutablement commis les faits reprochés, ne pouvaient échapper à la compréhension de l’intéressé.

42.  En conclusion, la Cour estime que le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

43.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365‑1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

44.  En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

LE 9 JANVIER 2013, LA COUR DE CASSATION CONFIRME LES DECISIONS DE LA CEDH DU 10 JANVIER 2013

Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 9 janvier 2013, pourvoi n° 12-81626 Rejet

"alors qu'il appartient à la cour d'assises de motiver sa décision en énonçant les principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises de la culpabilité de l'accusé ; qu'ainsi, en se bornant à se fonder sur des éléments périphériques dont aucun ne démonte l'implication de l'accusé qui était la « dernière personne connue à avoir vue Mme Y... », ce qui ne constitue pas même un faisceau d'indice, sans se référer à de véritables éléments à charge, concrets et objectifs, notamment scientifiques, de nature à justifier que Mme X... avait matériellement et intentionnellement commis l'infraction de meurtre qui lui était reprochée, la cour d'assises n'a pas légalement justifié sa décision ;

Attendu que les énonciations de la feuille de questions et celles de la feuille de motivation mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'assises, statuant en appel, a caractérisé les principaux éléments à charge, résultant des débats, qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusée, et justifié sa décision, conformément aux dispositions conventionnelles invoquées et à l'article 365-1 du code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par la cour et le jury, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis"

UN PREVENU PEUT ETRE RENVOYE DEVANT UN TRIBUNAL CORRECTIONNEL

ET NON AUX ASSISES SANS VIOLER LA CONVENTION

Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 20 novembre 2013, pourvoi n° 12-85185 Rejet

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 469, alinéa 4, du code de procédure pénale, issues de la loi du 9 mars 2004 et entrées en vigueur le 1er octobre 2004, qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions conventionnelles invoquées, M. et Mme X... sont irrecevables à soulever l'incompétence de la juridiction correctionnelle au motif que les faits déférés sous la qualification de délits seraient de nature à entraîner une peine criminelle, dès lors que la victime directe était constituée partie civile et assistée d'un avocat lorsque le renvoi a été ordonné le 9 juin 2009, et qu'elle avait alors la faculté d'interjeter appel de l'ordonnance en application de l'article 186-3 du code de procédure pénale.

LA COUR CRIMINELLE

Les dispositions du II de l'article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice sont relatives à l'expérimentation de la cour criminelle.

L'Arrêté du 25 avril 2019 relatif à l'expérimentation de la cour criminelle prévoit une expérimentation à partir du 13 mai 2019 dans les départements suivants :

- Ardennes ;
- Calvados ;
- Cher ;
- Moselle ;
- Réunion ;
- Seine-Maritime ;
- Yvelines.

A compter de cette date :

1° Les personnes majeures contre lesquelles il existe à l'issue de l'information des charges suffisantes d'avoir commis, hors récidive, un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion sont mises en accusation par le juge d'instruction ou par la chambre de l'instruction devant la cour criminelle, sauf s'il existe un ou plusieurs co-accusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II de l'article 63 précité, y compris si a déjà été adressé un réquisitoire définitif tendant à la mise en accusation devant la cour d'assises ; dans ce dernier cas, le procureur de la République peut le cas échant rappeler par des réquisitions supplétives la compétence de la cour criminelle ;
2° Conformément au troisième alinéa du III de l'article 63 précité, le premier président de la cour d'appel, ou le président de la cour d'assises ou tout autre magistrat du siège agissant sur délégation du premier président, peut, sur réquisitions ou après avis du ministère public, décider que les personnes déjà mises en accusation devant la cour d'assises sont renvoyées devant la cour criminelle, après avoir recueilli leur accord en présence de leur avocat, sauf s'il existe un ou plusieurs co-accusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II de l'article 63.

Les premières audiences des cours criminelles interviendront à compter du 1er septembre 2019.

Arrêté du 2 mars 2020 relatif portant extension de l'expérimentation de la cour criminelle

I. - Les dispositions du II de l'article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice relatives à l'expérimentation de la cour criminelle sont également applicables dans les départements suivants :

- Hérault ;
- Pyrénées-Atlantiques.

II. - A compter de l'entrée en vigueur du présent arrêté :
1° Les personnes majeures contre lesquelles il existe à l'issue de l'information des charges suffisantes d'avoir commis, hors récidive, un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion sont mises en accusation par le juge d'instruction ou par la chambre de l'instruction devant la cour criminelle, sauf s'il existe un ou plusieurs co-accusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II de l'article 63 précité, y compris si a déjà été adressé un réquisitoire définitif tendant à la mise en accusation devant la cour d'assises ; dans ce dernier cas, le procureur de la République peut, le cas échant, rappeler par des réquisitions supplétives la compétence de la cour criminelle ;
2° Conformément au troisième alinéa du III de l'article 63 précité, le premier président de la cour d'appel, ou le président de la cour d'assises ou tout autre magistrat du siège agissant sur délégation du premier président, peut, sur réquisitions ou après avis du ministère public, décider que les personnes déjà mises en accusation devant la cour d'assises sont renvoyées devant la cour criminelle, après avoir recueilli leur accord en présence de leur avocat, sauf s'il existe un ou plusieurs co-accusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II de l'article 63.
III. - Les premières audiences des cours criminelles siégeant dans le département de l'Hérault interviendront à compter du 1er septembre 2020.

Arrêté du 2 juillet 2020 portant extension de l'expérimentation de la cour criminelle dans six départements

I. - Les dispositions du II de l'article 63 de la loi du 23 mars 2019 susvisée sont également applicables à compter du 1er août 2020 dans les départements suivants :

- Isère ;
- Haute-Garonne ;
- Loire-Atlantique ;
- Val-d'Oise ;
- Guadeloupe ;
- Guyane.

II. - A compter de l'entrée en vigueur du présent arrêté :
1° Les personnes majeures contre lesquelles il existe à l'issue de l'information des charges suffisantes d'avoir commis, hors récidive, un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion sont mises en accusation par le juge d'instruction ou par la chambre de l'instruction devant la cour criminelle, sauf s'il existe un ou plusieurs coaccusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II de l'article 63 susmentionné, y compris si a déjà été adressé un réquisitoire définitif tendant à la mise en accusation devant la cour d'assises ; dans ce dernier cas, le procureur de la République peut, le cas échant, rappeler par des réquisitions supplétives la compétence de la cour criminelle ;
2° Conformément au troisième alinéa du III de l'article 63 susmentionné, le premier président de la cour d'appel, ou le président de la cour d'assises ou tout autre magistrat du siège agissant sur délégation du premier président, peut, sur réquisitions ou après avis du ministère public, décider que les personnes déjà mises en accusation devant la cour d'assises sont renvoyées devant la cour criminelle, après avoir recueilli leur accord en présence de leur avocat, sauf s'il existe un ou plusieurs coaccusés ne répondant pas aux conditions prévues par le premier alinéa du II du même article 63.
 

LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH

SHCHERBAKOV c. RUSSIE du 8 octobre 2019 requête n°49506/12

Violation Article 6-1 : pression de la part du Président de la Cour d'Assises. Les jury se sont entretenus avec son assistance pour répondre aux questions du formulaires, dans le sens de la condamnation, alors qu'ils avaient coché auparavant, en faveur de son innocence. 

LES FAITS

6.  En 2011, cinq personnes, dont le requérant, furent traduites en justice du chef de fraude à grande échelle et comparurent devant la cour régionale de Ekaterinbourg (« la cour régionale ») siégeant en une formation composée d’un juge président et d’un jury.

7.  Le 24 novembre 2011, après avoir reçu une liste écrite de questions relatives aux charges dirigées contre le requérant et ses coaccusés, le jury se retira dans la chambre du conseil pour délibérer. La liste comportait des questions factuelles relatives aux faits de fraude imputés aux coaccusés, puis des questions quant à la participation des accusés à ces faits et, enfin, des questions relatives à la culpabilité ou à l’innocence des accusés pour les faits décrits dans les questions factuelles. Les questions étaient formulées de manière à ce qu’il y soit répondu par « oui » ou par « non ».

8.  Le 28 novembre 2011, le jury rendit son verdict. Il ressort de la copie d’une partie du questionnaire soumis par le requérant à la Cour que les réponses aux questions nos 9 et 22, qui demandaient si le requérant était coupable de deux faits de fraude qui lui avaient été imputés, avaient été modifiées, et que les « non » avaient été remplacés par des « oui ». Il en ressort également que la décision relative à la question no 9 avait été prise par neuf voix contre trois, qu’elle était suivie de la mention manuscrite suivante : « à l’exception de [certains faits] », et que la décision relative à la question no 22 avait été prise par huit voix contre quatre.

9. Par un jugement du 7 décembre 2011, la cour régionale, se fondant sur le verdict du jury, condamna le requérant à une peine de six ans d’emprisonnement assortie d’une amende. Le requérant interjeta appel de ce jugement.

10.  Aux mois de février et de mars 2012, avant l’examen de l’affaire pénale en appel, l’avocat du requérant obtint des déclarations écrites des jurés B. et P., qui avaient siégé au sein du jury du 24 au 28 novembre 2011. Dans leurs déclarations, B. et P. indiquaient que, durant les délibérations, les jurés avaient initialement voté en faveur de l’innocence du requérant en réponse aux questions nos 9 et 22. Toutefois, ayant des doutes quant à la manière de répondre à d’autres questions, les jurés auraient décidé de demander des clarifications au juge. La chef des jurés aurait alors quitté la chambre du conseil pour s’entretenir avec le juge puis y serait revenue. Elle aurait transmis aux jurés les clarifications du juge selon lesquelles il n’était pas possible de répondre par « non » aux questions nos 9 et 22 si les réponses aux questions précédentes, portant notamment sur la participation du requérant aux faits établis, étaient « oui ». Le juré P. indiquait en outre que, à plusieurs reprises pendant les délibérations, certains jurés étaient sortis de la chambre du conseil et s’étaient entretenus avec l’assistante du juge pour avoir des clarifications sur la manière de répondre au questionnaire.

11. Le 5 mars 2012, la Cour suprême de la Fédération de Russie tint une audience d’appel lors de laquelle l’avocat du requérant demanda que fussent versées au dossier pénal les déclarations écrites des jurés B. et P., ce qui lui fut refusé. Toujours pendant cette audience, s’appuyant sur le contenu desdites déclarations, l’avocat de l’intéressé argua que le juge de première instance avait enfreint l’article 344 du code de procédure pénale (CPP) selon lequel toute clarification ou instruction supplémentaire du juge après que le jury s’était retiré pour délibérer devait se faire dans la salle d’audience en présence des jurés et des parties à la procédure. Pour l’avocat, les instructions que le juge aurait données à la chef des jurés en dehors de la procédure prévue à cet effet avaient constitué une forme de pression indirecte sur le jury. L’avocat estimait en outre que les consultations qui auraient eu lieu entre certains jurés et l’assistante du juge avaient violé le secret des délibérations consacré par l’article 341 du CPP.

12.  Par un arrêt du 5 mars 2012, la Cour suprême russe confirma le jugement du 7 décembre 2011. En réponse aux arguments avancés par l’avocat du requérant en audience d’appel, elle indiqua que le dossier pénal « ne contenait pas de données objectives qui auraient démontré que les jurés n’avaient pas respecté le secret des délibérations dans la chambre du conseil ou qu’ils avaient subi une quelconque pression ».

VIOLATION ARTICLE 6-1

19.  La Cour a souligné à maintes reprises qu’un tribunal, y compris un jury, doit être impartial, tant du point de vue subjectif que du point de vue objectif (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, Sander c. Royaume‑Uni, 9 mai 2000, § 22, Recueil 2000‑V, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 118‑121, CEDH 2005‑XIII, et Farhi c. France, no 17070/05, § 23, 16 janvier 2007).

20.  La Cour rappelle également que, dans son arrêt Timofeyev c. Russie ([comité], no 16887/07, 14 novembre 2017), elle a examiné une situation similaire au cas de l’espèce. Elle a notamment considéré que, confrontée à une note écrite émanant d’un juré après le prononcé du verdict selon laquelle le juge président avait exercé une pression sur le jury lors des délibérations de celui‑ci, l’instance d’appel était tenue de mener une enquête propre à vérifier la survenance du fait litigieux et à dissiper tout doute qui aurait pu exister quant à l’impartialité de la juridiction de première instance (ibidem, § 23). Eu égard à l’absence d’une telle enquête et au défaut de motivation de la décision de l’instance d’appel à cet égard, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (ibidem, § 24).

21.  Se tournant vers les faits de la cause, la Cour estime que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

22.  En effet, elle note que l’avocat du requérant a obtenu des déclarations écrites des jurés B. et P. après le prononcé du verdict (paragraphe 10 ci‑dessus) et qu’il a fait part de leur contenu à l’instance d’appel lors de l’audience du 5 mars 2012 (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour relève que les allégations des jurés B. et P. quant au changement de vote sur les questions relatives à la culpabilité du requérant à la suite des consultations du chef des jurés avec le juge président étaient suffisamment étayées étant donné que, comme il ressort de la copie du questionnaire, les réponses auxdites questions avaient été modifiées lors des délibérations (paragraphe 8 ci-dessus). En outre, elle observe que les arguments du requérant étaient fondés sur les dispositions pertinentes du droit interne, et notamment sur l’article 344 du CPP, selon lequel toute clarification ou instruction supplémentaire du juge après que le jury s’est retiré pour délibérer doit se faire dans le prétoire en présence des jurés et des parties à la procédure (paragraphe 13 ci-dessus).

23.  Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la valeur probante des déclarations des jurés B. et P. Elle constate toutefois que ces déclarations étaient suffisamment graves pour servir de fondement aux craintes du requérant quant à l’impartialité de la formation judiciaire qui l’avait jugé et pour que l’instance d’appel ait pris des mesures adéquates afin de s’assurer que la cour régionale, tant en ce qui concerne le juge président que les jurés, pouvait passer pour impartiale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et offrait des garanties suffisantes pour dissiper tout doute à cet égard (Farhi, précité, § 27, Timofeyev, précité, § 23, et Nikotin c. Russie [comité], no 80251/13, § 23, 8 janvier 2019). Or la Cour constate que l’instance d’appel a refusé d’examiner les notes des jurés soumises par l’avocat du requérant et qu’elle a rejeté les arguments de celui-ci sans les examiner sur le fond au motif qu’ils n’étaient pas étayés par des « éléments objectifs » (paragraphe 12 ci‑dessus). La Cour estime que, en procédant ainsi, l’instance d’appel a privé le requérant de la possibilité d’invoquer son grief de manière efficace et qu’elle a failli à prendre des mesures adéquates afin de lever les doutes quant à la réalité et à la nature des faits allégués et à remédier, le cas échéant, à une situation contraire aux exigences de la Convention (Remli, précité, § 48, Timofeyev, précité, § 24, et Nikotin, précité, § 26).

24.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

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