EXAMEN DE LA LÉGALITÉ DE SA DÉTENTION

ARTICLE 5-4 DE LA CEDH

Pour plus de sécurité, fbls légalité de la détention est sur : https://www.fbls.net/5-4.htm

"La légalité de la détention doit être examinée rapidement puis périodiquement"
Frédéric Fabre docteur en droit.

ARTICLE 5§4 DE LA CONVENTION

"4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale"

Cliquez sur un bouton comme à droite ou un lien bleu pour accéder gratuitement à la jurisprudence de la CEDH :

- Le recours doit avoir un caractère judiciaire

- Le recours doit avoir LES TROIS QUALITÉS ESSENTIELLES D'UN RECOURS JUDICIAIRE soit effectivité, prévoir l'égalité des armes et être impartial.

- Le recours doit pouvoir être introduit à bref délai

- La détention doit faire l'objet d'un examen périodique et automatique

- Les Recours en matière d'extradition ou d'expulsion

Cliquez sur le bouton ci dessous pour accéder gratuitement à l'analyse de l'article 5 par la CEDH au format PDF

Nous pouvons analyser GRATUITEMENT et SANS AUCUN ENGAGEMENT vos griefs pour savoir s'ils sont susceptibles d'être recevables devant le parlement européen, la CEDH, le Haut Commissariat aux droits de l'homme, ou un autre organisme de règlement international de l'ONU. Contactez nous à fabre@fbls.net

Si vos griefs semblent recevables, pour augmenter réellement et concrètement vos chances, vous pouvez nous demander de vous assister pour rédiger votre requête, votre pétition ou votre communication individuelle.

Pour les français, pensez à nous contacter au moins au moment de votre appel, pour assurer l'épuisement des voies de recours et augmenter vos chances de réussite, devant les juridictions françaises ou internationales.

LE RECOURS DOIT AVOIR UN CARACTÈRE JUDICIAIRE

ETUTE c. LUXEMBOURG du 30 janvier 2018 requête n° 18233/16

Article 5-4 : Le requérant s'est vu réincarcéré, suite à l'interruption de sa liberté conditionnelle, sans qu'un tribunal n'ait statué sur l'opportunité et la légalité de sa détention

21. Le requérant se plaint de ne disposer d’aucune procédure lui permettant de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention consécutive à la révocation de la libération conditionnelle, qu’il estime illégale au motif qu’elle a été décidée unilatéralement.

22. Le Gouvernement expose que la libération conditionnelle est une simple modalité d’exécution d’une peine privative de liberté. Citant l’arrêt Boulois c. Luxembourg ([GC], no 37575/04, CEDH 2012), il indique que, tout comme le congé pénal, la libération conditionnelle n’est pas un « droit » du détenu mais une « faveur » susceptible de lui être accordée. Selon le Gouvernement, le législateur avait clairement l’intention de créer un privilège n’impliquant pas de voie de recours. Le Gouvernement indique encore que la légalité de la détention du requérant au sens de l’article 5 § 4 de la Convention découle donc de l’arrêt du 30 novembre 2010 de la Cour d’appel qui continue à être exécuté (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12). Le Gouvernement conclut que la révocation de la libération conditionnelle est un cas de figure différent de celui envisagé par l’article 5 § 4 ; en effet, selon le Gouvernement, il existe, concernant le requérant, une « décision rendue à l’issue d’un procès », à laquelle « le contrôle exigé par l’article 5 § 4 se trouve incorporé », et « le motif justifiant la privation de liberté » n’a pas changé.

23. Avant toute chose, la Cour se doit de rappeler que le grief du requérant concerne la question de la légalité de la détention sous l’angle de de l’article 5 § 4 de la Convention. Le Gouvernement ne peut donc utilement se référer à l’affaire Boulois (précitée), qui traitait d’une question de nature différente et ne concernait pas la question de la légalité de la détention. En effet, ce qui était en cause dans l’affaire Boulois était la garantie des droits au titre de l’article 6 § 1 de la Convention, dans le cadre des modalités d’exécution de la peine, plus précisément à la suite du refus d’une demande de congé pénal.

24. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1. La « juridiction » chargée de ce contrôle ne doit pas posséder des attributions simplement consultatives, mais doit être dotée de la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 168, CEDH 2012).

25. Selon la jurisprudence de la Cour, dans l’hypothèse d’une détention consécutive à une « condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a), le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé au jugement et cette disposition n’exige pas un contrôle séparé de la légalité de la détention (De Wilde, Ooms et Versyp, précité, § 76). Toutefois, lorsque de nouvelles questions relatives à la légalité de la détention surgissent après le jugement, l’article 5 § 4 s’applique de nouveau et exige un contrôle judiciaire de la légalité de la détention (voir Ivan Todorov c. Bulgarie, no 71545/11, § 59, 19 janvier 2017, ainsi que les références qui y sont citées).

26. La Cour doit dès lors déterminer si des questions nouvelles de légalité, et dans l’affirmative lesquelles, pouvaient naître à propos de la réincarcération du requérant en 2015 et de sa détention ultérieure en exécution de sa peine, et si les recours s’ouvrant à lui cadraient avec l’article 5 § 4 (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 56, série A no114).

27. À cet effet, la Cour doit examiner le déroulement des faits du stade initial de la condamnation jusqu’à la révocation de la libération conditionnelle et les répercussions que les différentes mesures ont eues sur la situation du requérant.

28. À la suite de sa condamnation par la Cour d’appel le 30 novembre 2010, le requérant a purgé une partie de sa peine.

29. Il a ensuite bénéficié d’une libération conditionnelle le 4 mars 2013. L’accord conclu à ce sujet entre la déléguée du procureur général d’État et le requérant énumérait différentes conditions à respecter, dont celles d’éviter le milieu toxicomane et de ne commettre aucune infraction. L’accord précisait que, en cas de non-respect des conditions, la libération conditionnelle serait révoquée et le restant de la peine serait exécuté (paragraphe 8 ci-dessus).

30. La décision de libération conditionnelle a constitué ainsi une interruption de l’exécution de la peine à laquelle le requérant a été condamné en 2010. En effet, la Cour rappelle que le temps passé en libération conditionnelle n’est pas imputé sur la durée de la peine (paragraphe 17 ci-dessus).

31. À la suite de sa libération, le requérant a fait l’objet, le 29 octobre 2015, d’un mandat de dépôt pour une nouvelle infraction à la loi sur les stupéfiants et a été placé en détention provisoire concernant ces faits.

32. Le 4 novembre 2015, la déléguée du procureur général d’État a révoqué la libération conditionnelle au motif que le requérant, dès lors qu’il avait fait l’objet du mandat de dépôt du 29 octobre 2015, ne remplissait plus les conditions qui lui avaient été imposées (paragraphe 10 ci-dessus) ; dans un courriel du 28 janvier 2016, elle a ajouté que le requérant n’avait pas respecté la condition selon laquelle il devait éviter le milieu toxicomane (paragraphe 12 ci-dessus).

33. La réincarcération du requérant à partir du 4 novembre 2015 pour qu’il purgeât le temps de la peine qui restait à exécuter au moment où il avait été libéré sous conditions dépendait d’une nouvelle décision, à savoir celle de la révocation de la libération conditionnelle. Or, cette décision résultait exclusivement du constat que le requérant n’avait plus respecté les conditions attachées à sa libération conditionnelle, notamment celles de ne pas commettre de nouvelle infraction et de ne plus fréquenter les milieux toxicomanes (paragraphes 10 et 12 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour estime que la question relative au respect des conditions qui avaient été imposées au requérant dans le cadre de la libération conditionnelle était déterminante pour la légalité de sa détention à compter du 4 novembre 2015. Or, la Cour estime qu’il s’agit là d’une question nouvelle née à propos de la réincarcération suite à la révocation de la libération conditionnelle. Dès lors, l’ordre juridique interne devait fournir au requérant l’accès à un recours judiciaire répondant aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention pour la détermination de cette question.

34. La Cour observe que, selon l’article 100 du code pénal, la révocation d’une libération conditionnelle est décidée par le procureur général d’État (paragraphe 16 ci-dessus). Or, la Cour a déjà estimé que le procureur ne pouvait passer pour un « tribunal » répondant aux exigences de l’article 5 § 4 (Ivan Todorov, précité, § 62, et la jurisprudence qui y est citée) et elle ne voit pas de raison de s’écarter de pareille conclusion en l’espèce.

35. Comme indiqué ci-dessus, la Cour n’a pas connaissance d’un recours qui existerait en droit luxembourgeois à l’encontre d’une telle décision prononcée par le procureur général d’État. Bien au contraire, il ressort des observations du Gouvernement et des éléments du dossier que, à ce jour, la loi ne prévoit pas de possibilité de recours pour contester la légalité d’une mesure de révocation d’une libération conditionnelle (paragraphes 12 et 18 ci-dessus).

36. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, à compter de la révocation de la libération conditionnelle en date du 4 novembre 2015, le requérant n’a pas disposé d’un recours judiciaire lui permettant, comme l’exige l’article 5 § 4, de faire contrôler la légalité de sa détention à ce titre et d’obtenir, en cas de constat d’illégalité, sa libération. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

I.P. c. BULGARIE du 19 décembre 2017 requête 72936/14

Violation de l'article 5§4 : Le requérant est détenu alors qu'il était mineur le 14 avril 2009 puis du 14 avril 2009 au 29 avril 2009 sur ordre du procureur sans qu'il ne puisse y avoir de contrôle judiciaire.

52. Le Gouvernement reconnaît que le requérant a été détenu le 14 avril 2014 sur ordre d’un procureur et que cet ordre ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il admet que, au cours de la période allant du 14 au 29 avril 2014, le requérant n’a pas bénéficié d’un recours permettant de vérifier la régularité de cette détention, comme le prévoit l’article 5 § 4 de la Convention. Il indique par ailleurs que la procédure suivie devant le tribunal de district concernait la nécessité et la légalité d’un placement en vue d’une éducation surveillée et, par conséquent, il considère que la décision adoptée par cette juridiction le 29 avril 2014 comportait un contrôle judiciaire. Dans ce contexte, le Gouvernement estime que le placement en foyer d’accueil temporaire peut dans certaines situations être vu comme une phase préparatoire au placement à plus long terme dans une institution éducative. Il ajoute que les mineurs placés dans ce type de foyer bénéficient d’une assistance psychologique et pédagogique prévue par la loi (paragraphe 19 ci-dessus).

53. Le requérant maintient que le droit interne ne prévoyait pas de recours juridictionnel permettant de contrôler l’ordre de détention du procureur et qu’au cours de l’audience du 29 avril 2014 le tribunal de district n’a pas eu à se prononcer sur cette détention. Il indique que l’article 24a de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs limite les compétences du tribunal de district de sorte que, selon lui, ce dernier ne peut examiner une question autre que celle de la demande de la commission locale d’adoption de mesures éducatives (paragraphe 18 ci‑dessus). Enfin, le requérant ajoute que le nouveau recours introduit par l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne peut non plus être vu comme un recours répondant aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention puisque les tribunaux saisis sur son fondement ne seraient pas compétents pour se prononcer sur la légalité de la détention en cause et ne pourraient donc ordonner, le cas échéant, l’élargissement immédiat.

54. La Cour rappelle que les principes de la jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans les arrêts Stanev (précité, §§ 168-170) et A. et autres (précité, §§ 105‑106).

55. Quant au respect de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour observe d’abord que le droit bulgare ne prévoit pas un recours général de type habeas corpus. Elle rappelle avoir constaté, dans l’affaire A. et autres (précitée, § 107) qu’il n’existait pas non plus en Bulgarie un recours spécifique pour le placement des mineurs dans les foyers tels que celui en question. Selon la loi interne, restée inchangée depuis l’affaire susmentionnée, le placement initial des mineurs dans ces établissements est décidé par les organes du ministère de l’Intérieur ou par le procureur (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour note en l’espèce que la décision de placement litigieuse a été prise par le procureur à la suite d’une proposition des services du ministère de l’Intérieur (paragraphe 8 ci‑dessus). Elle relève que le Gouvernement reconnaît que ces organes ont agi dans le cadre de l’exercice du pouvoir exécutif de l’État, qu’ils ne présentaient pas les garanties que l’article 5 § 4 de la Convention exige d’un « tribunal » et que leurs actes n’étaient pas susceptibles d’un contrôle judiciaire. Dès lors, le contrôle de la « légalité » du placement en cause ne se trouvait pas incorporé à la décision prise par le procureur le 15 avril 2014.

56. Par ailleurs, la Cour prend note de la position du Gouvernement selon laquelle la décision du tribunal de district du 29 avril 2014 incorporait un contrôle sur la légalité de la détention du requérant ordonnée le 15 avril 2014 par le procureur. La Cour constate, à partir des éléments du dossier, que cette décision judiciaire avait pour seul objet la demande de la commission locale de placer le requérant dans un centre éducatif – internat, un établissement destiné à accueillir des mineurs nécessitant une éducation surveillée. Elle observe que le tribunal n’a pas examiné les circonstances dans lesquelles le procureur avait ordonné le placement du requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs et qu’il ne s’est pas non plus prononcé sur la légalité de cette décision. Par ailleurs, il ne ressort pas du droit interne que le tribunal avait la compétence pour le faire dans le cadre de cette procédure et pour ordonner, le cas échéant, l’élargissement du mineur ou pour statuer sur la durée de la mesure imposée. Si l’article 5 § 1 de la Convention n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129), la Cour estime que l’article 5 § 4 de la Convention renferme un droit indépendant et imposant à l’État l’obligation d’instaurer un recours judiciaire permettant d’examiner explicitement toute privation de liberté. En l’espèce, la Cour observe que les autorités internes n’ont fait aucun rapprochement entre la détention décidée par le procureur et la procédure judiciaire en cours relative à la demande de mesure éducative avec placement. Même à supposer que cela ait été le cas, la Cour ne peut arriver à la conclusion que le tribunal de district a examiné l’ordre du procureur du 15 avril 2014 dans sa décision du 29 avril 2014, d’une part, en raison de l’absence de tout élément du dossier démontrant que cette détention a été portée à sa connaissance et, d’autre part, en raison de l’état de la législation pertinente délimitant les compétences du tribunal et excluant le recours judiciaire contre l’ordre du procureur (paragraphes 18 et 19 ci-dessus).

57. Dès lors, eu égard à l’état du droit interne applicable et aux circonstances de l’espèce, la Cour conclut que le requérant n’a pas bénéficié d’un contrôle judiciaire sur la légalité de sa détention du 15 avril au 14 mai 2014.

58. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

SAADOUNI C. BELGIQUE du 9 janvier 2014 requête 50658/09

Les instances de défense sociale ont une compétence trop limitée pour être considéré comme un recours judiciaire pour faire examiner la légalité d'un internement. Cet arrêt est confirmé le même jour par Morrels C. Belgique requête 43717/09, Gelaude C. Belgique requête 43733/09, Van Meroye C. Belgique requête 330/09 et Ouliki C. Belgique requête 43663/09.

71.  La Cour rappelle que, dans les affaires Claes et Dufoort précitées, elle a résumé les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 de la Convention en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux (§§ 126 à 129 et §§ 97 à 101, respectivement). Elle y renvoie pour les besoins de la présente affaire.

72.  La Cour a ensuite examiné les voies de recours dont disposaient les requérants pour établir la réalité de leurs conditions de détention et le caractère inapproprié des annexes psychiatriques. Elle considéra que la portée limitée des compétences des instances de défense sociale avait eu pour effet de priver les requérants d’un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention (Claes, §§ 133 et 134, et Dufoort, §§ 106 et 107). Dans ces affaires, la Cour examina également l’autre voie utilisée par les requérants – la saisine du juge judiciaire dans le cadre d’une demande en référé – pour évaluer s’ils avaient eu accès à un recours conforme à l’article 5 § 4. Dans la première affaire, la Cour considéra que cette voie de recours ne s’était pas avérée utile pour le requérant puisqu’il s’était vu débouter de son action pour incompétence, et elle conclut à une violation de l’article 5 § 4. Dans la deuxième, la Cour estima ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour considérer que la procédure en référé n’était pas un recours conforme à cette disposition.

73.  En l’espèce, la Cour observe qu’à la différence de ces affaires, le requérant a porté son grief tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention devant les seules instances de défense sociale et n’a pas entamé de procédure devant le juge judiciaire. La question dont est saisie la Cour dans la présente affaire concerne donc uniquement la procédure devant les instances de défense sociale en tant que mécanisme de protection contre les détentions arbitraires ou irrégulières.

74.  La Cour observe que, par sa décision du 24 février 2009, la CDS a refusé de faire suite à la demande du requérant d’effectuer une visite de son lieu de détention. Cette décision fut confirmée par la CSDS le 26 mars 2009 au motif qu’elle n’avait pas besoin d’une telle visite pour se prononcer. La CSDS a ensuite constaté que les conditions en vue d’un reclassement du requérant n’étaient pas remplies et précisa qu’elle ne pouvait ordonner le transfèrement immédiat de l’intéressé vers un établissement psychiatrique adapté sans disposer d’une attestation d’admission au sein d’une telle structure.

75.  Dans son pourvoi en cassation, le requérant se plaignit que la CSDS n’avait pas ordonné son transfèrement dans un établissement approprié à sa problématique et que le refus d’effectuer une visite le mettait dans l’impossibilité d’ouvrir le débat sur les conditions de détention et de démontrer que l’aile psychiatrique était un lieu inapproprié à sa détention au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour de cassation, par son arrêt du 2 juin 2009, rejeta le pourvoi formé par le requérant au motif que la décision relative au transfèrement d’un interné dans un établissement psychiatrique privé était une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation et que dans la mesure où le requérant critiquait la décision sur sa demande tendant à son transfèrement immédiat dans une telle structure, son moyen n’était pas recevable.

76.  Aux yeux de la Cour, ces décisions révèlent l’impasse dans laquelle se trouvait le requérant. En effet, si, comme le rappelle la Cour de cassation, la loi de défense sociale (paragraphe 25, ci-dessus) investit les instances de défense sociale de la compétence exclusive d’ordonner le transfèrement dans un autre établissement, elle ne leur accorde en revanche pas la compétence d’imposer à des établissements extérieurs d’accepter un interné. L’exercice de ladite compétence était donc tributaire de l’admission du requérant dans un établissement spécialisé.

77.  Comme elle l’avait déjà constaté dans les affaires Claes et Dufoort précitées (paragraphe 60, ci-dessus), il en résulte, selon la Cour, un sérieux problème en ce qui concerne l’effectivité des recours devant les instances de défense sociale. Ces dernières étaient en effet empêchées de facto d’effectuer un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention, et de jure de redresser la violation alléguée par le requérant.

78.  Eu égard à ce qui précède, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur l’impact qu’aurait eu, en l’espèce, l’impossibilité alléguée par le requérant d’obtenir copie, par l’intermédiaire de son représentant, de son dossier d’internement.

79.  La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

Jecius contre Lituanie du 31/07/2000 Hudoc 1827 requête 34578/97

"L'article 5§4 n'oblige pas à une procédure d'appel. Une considération par une juridiction unique suffit à condition qu'elle ait un caractère judiciaire et des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s'agit ()

Le tribunal compétent doit vérifier à la fois l'observation des règles de procédure du droit interne et le caractère raisonnable des soupçons sur lesquels repose l'arrestation, ainsi que la légitimité du but poursuivi par celle-ci puis par la détention"

Dalkilic contre Turquie du 05/12/2002 Hudoc 4021 requête 25756/94

La Cour relève que la notion de tribunal, au sens de l'article 5§4 implique avant tout que l'autorité appelée () statue doit avoir un caractère judiciaire, c'est à dire indépendante du pouvoir exécutif

LE CARACTÈRE JUDICIAIRE DU RECOURS

A POUR CONSÉQUENCE TROIS QUALITES ESSENTIELLES

Cliquez sur un lien bleu pour accéder gratuitement à la jurisprudence de la CEDH :

1/ LE RECOURS DOIT ÊTRE EFFECTIF ET RÉEL

2/ LA PROCÉDURE DU RECOURS DOIT PRÉSERVER L'ÉGALITÉ DES ARMES

3/ LE JUGE NE DOIT PAS ÊTRE SUSPECTÉ DE PARTIALITÉ

LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE

LE RECOURS DOIT ÊTRE EFFECTIF ET RÉEL

HA.A. c. GRÈCE du 21 avril 2016 Requête no 58387/11

Violation de l'article 5-4 de la Convention, le requérant n'a pas eu de recours effectif pour faire examiner sa détention avant son expulsion. Nul besoin pour la CEDH d'examiner le grief au sens de l'article 13 puisque l'article 5-4 est la "lex specialis".

46. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

47. En l’espèce la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut formuler à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait, jusqu’au 1er janvier 2011, soit à l’époque des premières objections du requérant, que ledit organe judiciaire pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 73, 22 juillet 2010 ; Tabesh, précité, § 62 ; S.D. c. Grèce, précité, § 73).

48. Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010, le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation », ce qui inclut aussi les conditions matérielles de détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence le président du tribunal administratif a statué sur les premières objections du requérant le 15 décembre 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire (voir Herman et Serazadishvili, précité, § 72).

49. En se penchant sur les circonstances particulières de l’espèce, la Cour observe que la décision no P198/2010 du président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté les objections du requérant à l’égard de sa mise en détention sans examiner sa légalité dans son ensemble et en rejetant comme irrecevables les arguments concernant ses conditions de détention. En effet, ledit tribunal s’est contenté de constater que le requérant était susceptible de fuir. Cette décision a fondé le maintien en détention du requérant jusqu’au 3 janvier 2011, date à laquelle la décision no P7/2011 du tribunal administratif d’Alexandroupoli a été adoptée. Cette seconde décision ne peut pas remédier aux défauts de la première car elle a accepté les objections au seul motif que l’intéressé pouvait être pris en charge par une organisation non-gouvernementale. Elle n’a ainsi pas remis en cause les conclusions auxquelles le président du tribunal administratif était parvenu le 15 décembre 2010.

50. La Cour considère que les insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion ne peuvent se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition.

51. Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention, l’article 5 § 4 constituant une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999‑II).

STS c. PAYS BAS requête 277/05 du 7 juin 2011

Le défaut de décision sur la légalité de la détention d’un mineur a violé ses droits fondamentaux

Le requérant, S.T.S. est un ressortissant néerlandais, né en 1988 et résidant à Groningue (Pays-Bas).

En 2001, le Conseil de la protection de l’enfance enquêta sur le cas de S.T.S. car il connaissait de graves problèmes de comportement, était déscolarisé et avait commis un certain nombre d’infractions pénales.

Le 9 octobre 2002, le juge pour enfants du tribunal d’arrondissement de Groningue ordonna la mise de S.T.S. sous la tutelle de la fondation pour l’enfance de Groningue (« la Fondation ») pendant un an et autorisa son internement en établissement spécialisé pour qu’il y soit traité pendant trois mois. Le 14 novembre 2002, S.T.S. fut admis dans un établissement de ce type afin d’y suivre un examen psychiatrique.

S.T.S. fut maintenu en internement plusieurs fois jusqu’au 9 octobre 2003.

S’appuyant sur les conclusions d’un éducateur-psychologue, la fondation demanda le renouvellement de l’autorisation de l’internement de S.T.S. pour la durée de

l’ordonnance de mise sous tutelle. Cependant, S.T.S. souhaitait vivre avec son père ou sa grand-mère.

Le 17 septembre 2003, le juge pour enfants décida de prolonger la mise sous tutelle, assortie d’un placement en internement, pendant une durée d’un an, à compter du 9 octobre 2003.

17 octobre 2003, S.T.S. fit appel de sa mise sous tutelle.

Le 19 décembre 2003, la cour d’appel réduisit de un an à six mois la durée de l’autorisation d’internement de S.T.S. en établissement spécialisé.

Le 13 janvier 2004, S.T.S. forma un pourvoi devant la Cour de cassation. Il soutenait notamment que les juridictions inférieures auraient dû tenir compte de l’intégralité de la durée de sa détention – y compris du 14 novembre 2002 au 17 octobre 2003 – et du fait que, à l’époque, il était un mineur âgé de moins de 16 ans.

Par un arrêt rendu le 5 novembre 2004, la Cour de cassation jugea le pourvoi du requérant irrecevable pour défaut d’intérêt au motif que la durée de validité de l’autorisation en cause avait déjà pris fin dans l’intervalle.

Le 29 avril 2004, dans le cadre d’une seconde instance introduite parallèlement, l’autorisation d’internement de six mois fut prolongée de quatre semaines puis encore de deux mois le 19 mai 2004.

Le 14 juin 2004, S.T.S. fut transféré auprès d’une unité ouverte, c’est-à-dire sans internement. Il semble s’être enfui trois fois entre juillet et septembre 2004.

Une nouvelle ordonnance de mise sous tutelle autorisa l’internement de S.T.S. en établissement spécialisé pendant une durée de six mois, réduite à trois mois en appel, avec effet rétroactif à compter du 30 septembre 2004.

S.T.S. demeura interné jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la majorité (18 ans) en 2006.

Célérité de la procédure

La cour d’appel néerlandaise ayant été appelée à recueillir des informations auprès de diverses sources et à permettre à différentes parties d’être effectivement  associées à la procédure, la Cour estime que, pris isolément, le délai nécessaire qu’il lui a fallu pour statuer (63 jours) n’a pas lieu d’être contesté à l’aune du critère de célérité énoncé à l’article 5 § 4.

Cependant, il a fallu 294 jours après l’introduction du pourvoi de S.T.S. pour que la Cour de cassation se prononce. Pareil délai apparaît excessif en lui-même et le gouvernement néerlandais n’a pas cherché à l’expliquer. Quelles qu’en soient les raisons, la Cour rappelle que tous les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme sont tenus d’organiser leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux nationaux de se conformer aux exigences de ce traité. Les autorités judiciaires doivent prendre les mesures administratives nécessaires pour s’assurer que les cas urgents sont traités avec célérité, en particulier lorsque la liberté individuelle d’une personne est en jeu. La légalité de la détention de S.T.S. n’ayant donc pas été examinée « à bref délai », il y a eu violation de l’article 5 § 4.

Effectivité du recours

La Cour relève que le pourvoi du requérant a été formé devant la Cour de cassation juste un peu plus de trois mois et demi avant l’expiration de la durée de validité – six mois – de l’autorisation donnée par la cour d’appel à l’internement de S.T.S. Aucune raison n’a été avancée afin d’expliquer pourquoi on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que la Cour de cassation se prononçât dans cet intervalle. La Cour en conclut que l’absence de décision définitive avant l’expiration de cette autorisation a suffi en elle-même à priver le pourvoi de S.T.S. de toute utilité pratique en tant que recours préventif et même en tant que recours compensatoire.

Par ailleurs, en jugeant ce pourvoi irrecevable pour défaut d’intérêt, la Cour de cassation l’a privé de tous les effets qu’il aurait pu conserver. La Cour relève qu’un ancien détenu peut très bien avoir juridiquement intérêt à ce qu’il soit statué sur la légalité de sa détention même après sa remise en liberté, par exemple dans le cadre du «droit à réparation» que lui garantit l’article 5 § 5, dès lors qu’il serait nécessaire d’obtenir une décision judiciaire renversant une présomption, prévue par le droit interne, de légalité de toute mise en détention prononcée par une autorité compétente.

Le recours par lequel S.T.S. a fait examiner la légalité de sa détention n’ayant donc pas été « effectif », il y a eu également violation de l’article 5 § 4.

ALTINOK C.TURQUIE du 29 novembre 2011 requête n°31610/08

Principaux faits

Le requérant, M. Veli İsmail Altınok, est un ressortissant turc, né en 1981 et résidant à Adana (Turquie). Le 12 avril 2007, il fut arrêté à la suite d’une plainte pour escroquerie et faux en écritures. Le lendemain, il fut traduit devant le juge d’instance pénale qui ordonna sa mise en détention provisoire. Le 11 mai et le 8 juin 2007, le juge ordonna la prolongation du maintien en détention. Le 29 juin 2007, le procureur de la République inculpa M. Altınok ainsi qu’un autre suspect des chefs d’escroquerie et de faux en écritures.

Le 8 octobre 2007, à l’issue de la première audience sur l’affaire, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement de M. Altınok et ordonna son maintien en détention provisoire. Le 15 octobre, son avocat forma opposition et la cour d’assises transmit cette requête à la 5e cour d’assises, compétente pour statuer, qui invita le procureur de la République à présenter son avis sur cette demande. En réponse, le procureur invita la cour à rejeter l’opposition de l’avocat.

Le 16 octobre 2007, la 5e cour d’assises rejeta l’opposition conformément à l’avis du procureur et considéra qu’il n’y avait pas lieu à ce stade de mettre en place une mesure de contrôle judiciaire. Le 26 décembre 2007, la cour d’assises tint sa deuxième audience.

Elle rejeta la demande d’élargissement de M. Altınok et décida de le maintenir en détention. Au terme des troisième et quatrième audiences, la cour d’assises rejeta de nouveau la demande de mise en liberté et ordonna le maintien en détention.

Le 12 mai 2008, faisant référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’avocat affirma que les décisions relatives au maintien en détention n’étaient pas suffisamment motivées et que les juridictions utilisaient des formules stéréotypées.

Il ajouta que, lors de l’examen du maintien en détention, la cour d’assises avait demandé l’avis du procureur de la République et avait statué sur le dossier sans tenir d’audience, sans entendre l’intéressé, ni son avocat. Le mécanisme de contrôle de la détention ne répondait pas, selon lui, aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, car il ne respectait pas le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes. Il demanda la libération de son client et la mise en place d’une mesure de contrôle judiciaire. Le 14 mai 2008, la cour d’assises transmit la demande à la 5e cour d’assises, laquelle invita le procureur de la République à présenter son avis écrit. Le 16 mai 2008, statuant sur dossier et conformément à l’avis du procureur de la République, la 5e cour d’assises rejeta l’opposition.

Le 23 juin 2008, la cour d’assises tint une cinquième audience. Au terme de celle-ci, elle décida de libérer M. Altınok, compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction, de l’état des preuves, des articles de loi sur le fondement desquels l’intéressé avait été inculpé, de la période passée en détention et du fait que les preuves  avaient été collectées. Au cours des 5 audiences, M. Altınok était présent et assisté de son avocat.

Le 29 décembre 2008, M. Altınok fut reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à une peine d’emprisonnement de 3 ans et 9 mois. La procédure est actuellement toujours pendante devant la Cour de cassation.

Article 5 § 4

La Cour rappelle que l’article 5 § 4 s’applique aux procédures menées devant un tribunal à la suite de l’introduction d’un recours contre la légalité de la détention. Cet article ne trouve pas à s’appliquer dès l’adoption d’office d’une décision sur la prolongation de la détention, mais seulement à partir du moment où un recours est introduit contre une telle décision. La Cour indique qu’elle n’a donc pas à se prononcer sur les décisions adoptées ex officio relatives à la prolongation de la détention de M. Altınok, mais sur le grief qui se rapporte à la décision du 16 mai 2008 par laquelle la 5e cour d’assises a rejeté l’opposition formulée contre la décision du 5 mai 2008.

La Cour rappelle également que l’article 5 § 4 confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet des exigences de procédure et de fond nécessaires à la régularité et à la légalité de sa privation de liberté. Un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, c’est-à-dire entre le procureur et le détenu. La partie adverse doit être tenue au courant du dépôt d’observations et profiter d’une possibilité de les commenter.

La Cour note que la législation turque régissant la détention provisoire ainsi que la procédure d’opposition ont été modifiées le 17 décembre 2004 par une nouvelle loi sur la procédure pénale, entrée en vigueur le 1er juin 2005. La Cour avait estimé à plusieurs reprises que l’ancienne loi sur la procédure pénale était dénuée d’effectivité. Pour la procédure d’opposition prévue par la nouvelle loi, la Cour note que la tenue d’une audience est laissée à la discrétion du tribunal, indépendamment d’une demande formulée par le détenu ou son avocat.

La Cour relève que M. Altınok et son avocat étaient présents lors de chaque audience sur le fond de l’affaire, au cours desquelles la cour d’assises s’est prononcée sur les demandes d’élargissement de l’intéressé. Lors de l’adoption de sa décision du 16 mai 2008, objet de la présente requête, la dernière comparution de M. Altınok devant les juges remontait à quelques jours, à savoir l’audience du 5 mai 2008. Dans ces circonstances, la Cour considère que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen de l’opposition du 16 mai 2008.

Cependant, lorsque la cour d’assises a invité le procureur de la république à présenter son avis écrit lors de l’examen de l’opposition de M. Altınok, et que celui-ci a déposé ses conclusions écrites tendant au rejet de la demande d’élargissement, ses conclusions n’ont pas été communiquées à M. Altınok ou à son avocat. Ces derniers n’ont donc pas eu la possibilité de répondre à cet avis.

La Cour note que l’article 270 de la loi sur la procédure pénale n’accorde pas au détenu le droit de réclamer ou de recevoir d’office la notification de l’avis du procureur. Elle fait valoir ici le droit de l’inculpé, en tant que partie à la procédure, de se voir communiquer ces conclusions afin de pouvoir donner son avis sur la détention dans les mêmes conditions que le parquet. Elle estime que le recours prévu en droit interne n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4, faute d’avoir respecté l’égalité des armes entre les parties.

Article 5 § 5 (droit à la liberté et à la sûreté)

La Cour relève que l’article 141 de la loi sur la procédure pénale ne prévoit dans aucun des cas qu’elle énumère, la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi en l’absence d’un recours effectif pour contester la détention provisoire. Elle estime qu’il n’y a donc pas eu de recours effectif au sens de l’article 5§5.

D’autre part, au niveau interne, un recours pour indemnisation n’est recevable qu’après l’obtention d’une décision définitive. La procédure de M. Altınok étant toujours pendante devant les juridictions nationales, celui-ci n’a donc pas la possibilité d’exercer le recours en question pour le moment.

La Cour conclut à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

Sur l’application de l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts)

La Cour constate que la violation du droit du requérant tire son origine d’un problème structurel.

En ce qui regarde l’article 5 § 4, ce problème structurel tient à l’absence de communication de l’avis du procureur de la République au détenu ou à son avocat lors de l’examen du recours en opposition. En ce qui regarde l’article 5 § 5, il tient à l’absence pure et simple d’un recours indemnitaire. Trois cents requêtes sont actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme portant sur des griefs identiques et ces lacunes du droit interne peuvent donner lieu à l’avenir à de nombreuses nouvelles requêtes.

La Cour observe que l’adoption de mesures générales au niveau national s’impose dans le cadre de l’exécution du présent arrêt.

Soumare contre France du 24/08/1998 Hudoc 929 requête 23824/94

le requérant condamné pour importation de substances interdites, subit à la fin de sa peine une contrainte par corps pour payer l'amende douanière alors qu'il est insolvable, aucune juridiction ne peut le reconnaître:

"§38: La Cour rappelle qu'elle a qualifiée la contrainte par corps de peine, en l'examinant au regard de l'article 7 de la Convention (voir l'arrêt Jamil sous l'article 7) et qu'il est dès lors envisageable de la considérer comme une détention à part entière au sens de l'article 5§4 de la Convention, pour la période postérieure à l'exécution de la peine principale.

§39: En l'occurrence, le 11 août 1994, le requérant, conformément à l'article 752 du code de procédure pénale () s'adressa au président du tribunal de Grande Instance de Nancy pour demander la mainlevée de la contrainte par corps en arguant de son insolvabilité, en se prévalant d'un certificat de non-imposition fiscale.

Le président du tribunal estime que ledit document n'était pas suffisant pour apporter la preuve de l'insolvabilité de Monsieur Soumare et renvoya l'affaire à la juridiction qui avait prononcé la sentence, en l'espèce la Cour d'Appel de Paris. Cette dernière rejeta la requête au motif qu'elle n'était pas compétente"

§42: La référence par la Cour d'Appel de Paris à un arrêt de la Cour de Cassation pour rejeter comme non fondée en droit la requête en mainlevée constitue un élément déterminant dans la croyance du requérant qu'il était inutile de chercher à obtenir une satisfaction par la voie du recours en cassation. Alors que des magistrats spécialisés de la Cour d'Appel de Paris n'auraient, selon le Gouvernement, pas fait une correcte application de la loi, et auraient ignoré les décisions de la chambre commerciale de la Cour de Cassation, il serait malvenu d'exiger du requérant et de son avocat commis d'office qu'ils aient tenu pour efficace le recours en cassation.

A cet égard, la Cour rappelle qu'une voie de recours doit exister avec un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l'accessibilité et l'efficacité requises par l'article 5§4.

Par ailleurs, la Cour observe que si le pourvoi du requérant il y avait eu, il aurait été examiné, de par sa nature pénale, par la chambre criminelle de la Cour de Cassation, laquelle ne s'était pas encore alignée sur la position de la chambre commerciale à l'époque des faits.

§43: La Cour n'exclut pas que l'exercice successif des recours prévus par la loi pour faire valoir l'insolvabilité d'un détenu au titre de la contrainte par corps peut aujourd'hui, au terme de l'évolution jurisprudentielle décrite plus haut, conduire à un résultat conforme aux prescriptions de l'article 5§4 n'ayant pas été assurée à un degré suffisant de certitude à l'époque des faits"

R.M.D contre Suisse du 26/09/1997 Hudoc 711 requête 19800/92

le requérant subit plusieurs reproches de vol dans plusieurs cantons, il est "promené" de maison d'arrêt en maison d'arrêt, d'un canton à un autre:

"§52: En l'espèce, il n'est pas contesté que M R.M.D avait la possibilité d'introduire dans chaque canton une demande de mise en liberté.

S'il avait été détenu dans un seul canton, la procédure aurait sans doute satisfait aux exigences de l'article 5§4 de la Convention.

Le problème ne résidait pas dans l'absence de recours dans chaque canton, mais dans le manque d'efficacité des recours dans la situation concrète où se trouvait l'intéressé. Transféré successivement d'un canton l'autre, il n'a pu, en raison des délimitations de compétence des juridictions cantonales, obtenir une décision d'un tribunal statuant sur sa détention, comme le prévoit l'article 5§4.

§53: Cette situation s'explique par la structure fédérale de la Confédération helvétique, où chaque canton dispose de son propre code de procédure pénale, et il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur le système en tant que tel.

§54: Elle estime cependant () que ces circonstances ne sauraient justifier  que le requérant soit privé des droits que leur reconnaît l'article 5§4. Si, comme en l'espèce, une personne en détention est transférée continuellement d'un canton à un autre, il appartient à l'Etat d'agencer son système judiciaire de manière à permettre à ses tribunaux de répondre aux exigences de cet article"

PREMIERES JURISPRUDENCES DE LA CEDH

Arrêt Van Droogenbroeck contre Belgique du 24/06/1982; Hudoc 56; requête 7906/77, Le requérant multirécidiviste est gardé en détention après l'exécution de sa peine, sur ordonnance du ministre de la justice  sous le prétexte de l'aider à se réinsérer dans la société:

"§49: En l'occurrence, la Commission exigeait une procédure appropriée permettant à une juridiction de déterminer à "bref délai" à la demande de Monsieur Van Droogenbroeck, si le ministre de la justice était en droit de décider que l'internement continuait à répondre au but de l'objet de la loi de 1964. Au regard de l'article 5§4; il ne s'agissait pas là d'une simple question d'opportunité, elle concernait la "légalité" même de la privation de liberté incriminée"

Arrêt Bouamar contre Belgique du 29/02/1998; Hudoc 30; requête 9106/80, la Cour a constaté la violation de l'article 5§4 de la Convention; ni la Cour d'Appel, ni la Cour de Cassation  ne se sont prononcés sur la légalité des décisions de mise en détention du requérant.

Arrêt Kolombar contre Belgique du 24/09/1992; Hudoc 325; requête 11613/85, la Cour constate qu'il n'y a pas violation de l'article 5§4 de la Convention. La mise en détention pour cause d'extradition reposait sur une sentence prononcée par les juridictions de l'État demandeur.

Arrêt Aerts contre Belgique du 30/07/1998; Hudoc 906; requête 125357/94, la Cour a constaté que Monsieur Aerts a bien été mis en détention illégale au centre pénitentiaire de Lantin au sens de l'article 5§1 de la Convention (voir la section sous l'article 5§1); en revanche, le requérant a pu exercé un recours en référé qui lui a permis d'être libéré. Il n'y a donc pas de violation de l'article 5§4.

Arrêt Conka contre Belgique du 05/02/2002; Hudoc 3200; requête 51564/99 la Cour constate la Violation de l'article 5§4 de la Convention: "Les requérants étaient empêchés de saisir utilement la chambre du Conseil"

LA PROCÉDURE DU RECOURS DOIT PRÉSERVER L'ÉGALITÉ DES ARMES

DEMİRTAŞ ET YÜKSEKDAĞ ŞENOĞLU c.TÜRKİYE du 6 juin 2023 requête n° 10207/21 et 10209/21

Art 5 § 4 • Absence d’assistance juridique effective pour contester les détentions provisoires des requérants en raison de la surveillance par les autorités pénitentiaires de leurs entretiens avec leurs avocats • Pas de garanties adéquates et suffisantes contre les abus faute de règles spécifiques et détaillées • Pas de circonstances exceptionnelles de nature à déroger au principe essentiel de confidentialité des entretiens avec les avocats • Autorités nationales n’ayant pas fourni d’éléments circonstanciés de nature à justifier l’imposition des mesures litigieuses en application du décret-loi adopté dans le cadre de l’état d’urgence

CEDH

a) Principes généraux

100.  L’exigence d’équité procédurale découlant de l’article 5 § 4 n’impose pas l’application de critères uniformes et immuables indépendants du contexte, des faits et des circonstances de la cause. Si une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (voir, entre autres, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 203, CEDH 2009).

101.  Les détenus continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté, lorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention (Altay c. Turquie (no 2), no 11236/09, § 47, 9 avril 2019).Il serait inconcevable qu’un détenu soit déchu de ses droits garantis par la Convention du fait qu’il se trouve incarcéré à la suite d’une condamnation ou d’une détention provisoire (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, §§ 69-70, CEDH 2005-IX).Les circonstances de l’emprisonnement, notamment des considérations de sécurité ainsi que la prévention du crime et la défense de l’ordre, peuvent justifier certaines restrictions sur les droits non absolus ; néanmoins, toute restriction doit être justifiée dans chaque cas individuel (Biržietis c. Lituanie, no 49304/09, § 45, 14 juin 2016, avec une référence à Dickson c. Royaume‑Uni [GC], no 44362/04, §§ 67-68, CEDH 2007-V).

102.  La possibilité pour un détenu d’être entendu lui-même ou moyennant une certaine forme de représentation figure parmi les garanties procédurales fondamentales appliquées en matière de privation de liberté (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012). Dans ce contexte, le droit de « tout accusé » à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 51, CEDH 2008, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 255, 13 septembre 2016, et Beuze c. Belgique [GC], no 71409/10, § 123, 9 novembre 2018).

103.  Le point de départ de l’application du droit d’accès à un avocat en cas de privation de liberté ne fait pas de doute. Ce droit est applicable dès lors qu’il existe une « accusation en matière pénale », au sens donné à cette notion par la jurisprudence de la Cour, et, en particulier, dès l’arrestation d’un suspect, indépendamment du point de savoir si l’intéressé a ou non été interrogé ou s’il a ou non fait l’objet d’une autre mesure d’enquête pendant la période pertinente (Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, §§ 110-111, 12 mai 2017, et Beuze, précité, § 124).

104.  La Cour rappelle que le droit pour l’accusé de s’entretenir avec son avocat hors de portée d’ouïe d’un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l’article 6 § 3 c) de la Convention (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, §§ 132 et 133, ECHR 2005‑IV). En effet, en présence d’un fonctionnaire, les détenus peuvent ne pas se sentir libres non seulement de discuter avec leur avocat des questions relatives à la procédure pendante, mais aussi, par crainte de représailles, de lui signaler des abus dont ils peuvent être victimes (Altay (no 2), précité, § 50). La Cour observe par ailleurs que le secret professionnel qui entoure la relation avocat-client ainsi que l’obligation faite aux autorités nationales de garantir la confidentialité des communications entre un détenu et le représentant qu’il a désigné, figurent parmi les normes internationales reconnues (paragraphes 62-64 ci-dessus, voir également Brennan c. Royaume-Uni, no 39846/98, §§ 38-40, CEDH 2001-X). Si un avocat ne pouvait s’entretenir avec son client et recevoir de lui des instructions confidentielles sans une telle surveillance, son assistance perdrait beaucoup de son utilité (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 97, 2 novembre 2010), alors que le but de la Convention consiste à protéger des droits concrets et effectifs (S. c. Suisse, 28 novembre 1991, § 48, série A no 220).

105.  Un individu a droit à l’assistance effective de son avocat, dont un aspect essentiel est la confidentialité des échanges entre celui-ci et son client. Une atteinte au secret des échanges entre avocat et client ne requiert pas nécessairement qu’il y ait réellement interception ou écoute. Le fait d’être sincèrement persuadé, pour des motifs raisonnables, qu’une conversation est écoutée peut suffire à limiter l’effectivité de l’assistance, car cela inhibe inévitablement la libre discussion et entrave le droit du détenu de contester de manière effective la légalité de sa détention (Castravet, précité, § 51).

106. Il ressort de la jurisprudence de la Cour, notamment sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention, qu’elle a toléré certaines restrictions apportées aux relations avocat-client dans des affaires de terrorisme et de criminalité organisée (voir, en particulier, Erdem, précité, § 65 et suiv., et Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, § 627, 25 juillet 2013, s’agissant d’une affaire relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, voir aussi Castravet, précité, § 51). Il va sans dire que dans de telles affaires, la Cour doit d’abord être convaincue qu’une telle restriction relève de circonstances exceptionnelles, comme le terrorisme ou la criminalité organisée, de nature à déroger au principe essentiel de confidentialité des entretiens avocat-client. Cette confidentialité constitue en effet un droit fondamental et touche directement les droits de la défense. C’est pourquoi la Cour a jugé qu’une dérogation à ce principe essentiel ne peut être admise que dans des cas exceptionnels et sous réserve qu’elle soit entourée de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (M c. Pays-Bas, no 2156/10, § 88, 25 juillet 2017).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

107.  La Cour note d’emblée que, bien que les requérants aient soutenu qu’un décret-loi d’état d’urgence ne pouvait apporter des modifications permanentes à la législation, elle n’est pas appelée en l’espèce à se prononcer sur cette question juridique dans la mesure où les restrictions imposées au droit des intéressés ont été ordonnées pendant trois mois durant lesquels l’état d’urgence s’est déroulé. Autrement dit, les mesures en question ne concernaient pas des modifications permanentes à la législation et les articles pertinents du décret-loi d’état d’urgence étaient la base légale des restrictions imposées au droit des requérants à la confidentialité de leurs communications avec leurs avocats. En tout état de cause, la Cour note également que la Cour constitutionnelle, considérant la portée des restrictions consistant à enregistrer l’entretien entre un suspect ou un accusé et son avocat, a estimé que de telles limitations pourraient réduire considérablement la possibilité d’une défense efficace et que la loi no 7070 ne prévoyait pas de garanties nécessaires pour que le suspect ou l’accusé reçoive une assistance juridique efficace et exerce donc pleinement son droit à la défense. En conséquence, elle a annulé la limitation imposée par cette loi, à savoir l’enregistrement et la surveillance des entretiens du suspect et de l’accusé avec son avocat ou la saisie d’informations et de documents (paragraphe 57 ci-dessus).

108.  En l’espèce, la tâche de la Cour est de vérifier si les requérants ont pu bénéficier de l’assistance effective de leurs avocats afin de satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. C’est principalement sur la base des motifs figurant dans les décisions rendues par les autorités judiciaires nationales, en particulier par le 4e juge de paix de Diyarbakır, relativement aux restrictions apportées au droit des requérants à la confidentialité de leurs communications avec leurs avocats que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 4. Cela dit, elle observe que cette affaire porte sur une mesure ayant été adoptée par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence, qui dérogeait à la règle générale de la confidentialité des communications entre des personnes détenues ou condamnées et leurs avocats et qu’elle présente donc une importance particulière. Dès lors, elle doit aussi examiner si la législation appliquée en l’espèce était entourée de suffisamment de garanties contre les abus.

109.  La Cour observe qu’aux termes de l’article 6 § 5 du décret-loi d’état d’urgence no 676, les mesures, telles qu’appliquées en l’occurrence, limitant le droit à la confidentialité des communications entre un avocat et son client pouvaient être ordonnées uniquement « en cas d’obtention d’informations, de constatations ou de documents indiquant que la sécurité de la société et de l’établissement pénitentiaire [était] mise en danger ; que des organisations terroristes ou d’autres organisations criminelles [étaient] dirigées [par une personne soupçonnée d’infractions liées à des actes terroristes] ; que des ordres et des instructions [étaient] donnés à ces organisations ; ou que des messages secrets, explicites ou cryptés [étaient] transmis » (paragraphe 44 ci-dessus). Or il ressort de la motivation des décisions rendues par le 4e juge de paix de Diyarbakır que l’exigence « d’obtention d’informations, de constatations ou de documents » n’a pas été respectée. En effet, le 4e juge de paix a ordonné les mesures en question uniquement en considérant qu’il y avait une possibilité que les requérants « pussent », lors de leurs entretiens avec leurs avocats, mettre en danger la sécurité de la société et de l’établissement pénitentiaire, diriger l’organisation terroriste concernée ou d’autres organisations criminelles, transmettre des ordres et instructions à celles-ci par le biais de commentaires secrets, explicites ou cryptés, sans qu’il ait justifié les motifs lui ayant permis de parvenir à cette conclusion et en l’absence de tout élément de preuve concret (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, les décisions 4e juge de paix de Diyarbakır étaient libellées en des termes stéréotypés et ne respectaient pas les exigences prévues par la législation interne. À ce titre, la Cour observe également que la Cour constitutionnelle n’a pas fait une évaluation suffisante sur ce point. En effet, dans ses arrêts rendus le 9 juillet 2020 et le 30 septembre 2020, la haute juridiction constitutionnelle, tout en rappelant sa propre jurisprudence dans ce domaine, selon laquelle les restrictions appliquées en l’occurrence étaient contraires aux garanties constitutionnelles relatives au droit d’opposition à la détention en période ordinaire (paragraphe 33 ci-dessus), n’a fait qu’une appréciation des griefs des requérants à l’égard des procédures relatives à l’état d’urgence. La Cour relève à cet égard que la Cour constitutionnelle n’a pas, dans ses arrêts en question, procédé à un examen individualisé de la situation des requérants.

110.  La Cour observe de plus que, dans ses arrêts rendus à l’occasion de l’introduction par les requérants de leurs recours individuels respectifs, la Cour constitutionnelle a noté que les intéressés étaient reconnus coupables d’une infraction liée au terrorisme. Or, comme le soulignent les requérants, à l’époque des faits, soit le 15 novembre 2016, ils n’avaient pas été reconnus coupables d’une quelconque infraction. En conséquence, la Cour estime que cet argument n’est pas pertinent pour justifier les mesures restrictives ayant été appliquées en l’occurrence. Dans ce contexte, elle note également qu’elle a conclu, dans ses arrêts Selahattin Demirtaş (no 2), précité, et Yüksekdağ Şenoğlu et autres c. Türkiye (no 14332/17 et 12 autres, 8 novembre 2022), qu’il n’existait aucun fait ni aucun renseignement de nature à convaincre un observateur objectif que les requérants avaient commis les infractions reprochées et qu’aucune des décisions relatives à la détention provisoire des intéressés ne contenait d’éléments de preuve susceptibles de marquer un lien clair entre les actes des intéressés – à savoir principalement leurs discours à caractère politique et leurs participations à certaines réunions légales – et les infractions liées au terrorisme pour lesquelles ils avaient été détenus (ibidem, § 338, et § 554, respectivement). Elle a de plus constaté que la détention provisoire subie par les requérants poursuivait un but inavoué contraire à l’article 18 de la Convention combiné avec son article 5, à savoir celui d’étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique (ibidem, § 437 et § 639, respectivement). En conséquence, la Cour ne saurait attacher de l’importance à l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants étaient en détention provisoire pour des infractions liées au terrorisme.

111.  La Cour note en outre qu’elle ne saurait accepter l’argument du Gouvernement selon lequel les mesures en question n’ont pas eu d’effet négatif sur les recours formés par les requérants contre leur détention provisoire, notamment parce que ces derniers ont continué à rencontrer leurs avocats sans aucune restriction de temps et qu’ils ont pu exercer des recours pour obtenir leur remise en liberté. En effet, si une personne détenue ne peut avoir d’entrevues confidentielles avec son avocat, il est fort probable qu’elle ne puisse pas se sentir libre de s’entretenir avec son avocat. Dans une telle hypothèse, l’assistance juridique fourni par l’avocat risque de perdre son utilité pratique (Sakhnovski, précité, § 97, et Castravet, précité, § 50).

112.  Les considérations ci-dessus (paragraphes 109-111 ci-dessus) sont suffisantes pour conclure que les requérants ont été empêchés de bénéficier de l’assistance effective de leurs avocats au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Cela dit, la Cour a déjà noté qu’elle devait aussi examiner si la législation appliquée en l’espèce était entourée de suffisamment de garanties contre les abus (paragraphe 108 ci-dessus), même si l’existence des garanties procédurales ne pouvait pas, dans les circonstances particulières de la présente affaire, contribuer à prévenir une violation éventuelle. Dans ce contexte, la Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle la confidentialité des conversations entre un détenu et son défenseur constitue un droit fondamental pour un individu et touche directement les droits de la défense. En conséquence, une dérogation à ce principe ne peut être autorisée que dans des cas exceptionnels et doit s’entourer de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Erdem, précité, § 65). Or elle relève que la législation nationale appliquée dans la présente espèce n’était pas entourée de telles garanties. En effet, une fois que les mesures restrictives étaient ordonnées par un juge, l’administration pouvait et devait surveiller et enregistrer les entretiens des détenus avec leurs avocats et pouvait et devait saisir tous les documents échangés entre les intéressés. De plus, la législation ne précisait pas comment les informations, obtenues à l’issue des surveillances, devaient être utilisées. Elle n’indiquait pas non plus quelle autorité était susceptible d’être chargée d’un tel examen ni ne déterminait la manière dont les intéressés pouvaient contrôler ou faire contrôler lors de cet examen un éventuel abus dans l’exercice de leur droit. En effet, l’étendue ainsi que les modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire laissé aux autorités n’étaient pas du tout définies et aucune garantie spécifique n’était prévue. À titre d’exemple, la Cour relève notamment que le Gouvernement souligne que les enregistrements des entretiens du requérant, M. Selahattin Demirtaş, ont été détruits, tandis que ceux de la requérante, Mme Yüksekdağ Şenoğlu, sont conservés au sein de l’établissement pénitentiaire (paragraphe 94 ci-dessus). Cela démontre clairement qu’une pratique différente a été adoptée en ce qui concerne les deux intéressés qui se trouvaient pourtant dans la même situation. Il s’ensuit que, faute de règles spécifiques et détaillées, le recours à la surveillance des conversations entre les détenus et leurs avocats ne peut être considéré comme étant entouré de garanties adéquates contre d’éventuels abus.

113.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les juridictions nationales n’ont pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles de nature à déroger au principe essentiel de confidentialité des entretiens des requérants avec leurs avocats et que l’atteinte au secret de telles entrevues a empêché les intéressés de bénéficier de l’assistance effective de leurs avocats afin de satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. D’ailleurs, eu égard à ses constats précédents dans ses arrêts Selahattin Demirtaş (n2) et Yüksekdağ Şenoğlu et autres (tous les deux précités), elle estime qu’il n’était pas possible de démontrer l’existence de telles circonstances dans la mesure où la Cour a rejeté l’allégation du Gouvernement selon laquelle les requérants étaient en détention provisoire pour des infractions liées au terrorisme (paragraphe 110 ci-dessus). Au surplus, elle observe que les restrictions litigieuses n’ont pas été entourées de garanties adéquates et suffisantes contre les abus.

114.  Pour autant que le Gouvernement demande la prise en compte, dans le cadre de la présente affaire, de la dérogation que la Türkiye avait déposée auprès du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, la Cour observe que, le 20 juillet 2016, le Conseil de la sécurité nationale, tenant compte de la tentative de coup d’état militaire perpétrée, selon les autorités nationales, par le FETÖ/PDY, a recommandé de déclarer l’état d’urgence. Prenant en considération cette recommandation, le Conseil des ministres réuni sous la présidence du président de la République a déclaré l’état d’urgence pour une période de quatre-vingt-dix jours, à partir du 21 juillet 2016, qui par la suite a été prolongé de quatre-vingt-dix jours en quatre-vingt-dix jours jusqu’au 19 juillet 2018. Dans ce contexte, la Cour note d’abord que, dans les précédentes affaires relatives à la légalité de la détention provisoire subie par les requérants, à savoir Selahattin Demirtaş (no 2), précitée, et Yüksekdağ Şenoğlu et autres, précitée, le Gouvernement n’avait pas invoqué la prise en compte de sa dérogation. Elle observe en outre qu’en l’occurrence, il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle de nature à établir un lien entre la dérogation de la Türkiye et les privations de liberté des requérants (paragraphes 110 et 113 ci-dessus). De plus, à supposer même qu’il existait de telles circonstances exceptionnelles, le principe fondamental de la prééminence du droit, lequel est inhérent à l’ensemble des articles de la Convention (Grzęda c. Pologne [GC], no 43572/18, § 339, 15 mars 2022 et références y citées), doit prévaloir même dans le cadre d’un état d’urgence (Pişkin c. Turquie, no 33399/18, § 153, 15 décembre 2020). Elle relève par conséquent que les autorités nationales n’ont pas fourni d’éléments circonstanciés de nature à justifier l’imposition des mesures litigieuses à l’encontre des requérants en application du décret-loi no 676 adopté dans le cadre de l’état d’urgence.

115.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

MANZANO DIAZ c. BELGIQUE du 18 mai 2021 Requête no 26402/17

Art 5 § 4 • Garanties procédurales du contrôle de la légalité d’un internement • Projet d’arrêt du conseiller-rapporteur communiqué avant l’audience de la Cour de cassation à l’avocat général et non au requérant • Avocat général à la Cour de cassation n’ayant pas la qualité de partie au procès • Absence d’adversaire et donc de possible rupture de l’égalité des armes • Projet d’arrêt élaboré par le conseiller-rapporteur, document de travail interne à la formation de jugement, couvert par le secret, non soumis au principe du contradictoire • Conclusions de l’avocat général présentées pour la première fois oralement à l’audience, sans communication préalable au requérant • Requérant pas en situation de net désavantage

a) Principes généraux

38.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (voir, par exemple, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000‑XI, Reinprecht, précité, § 31, CEDH 2005‑XII, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012).

39.  La procédure portant sur un recours formé contre une détention ou la prolongation de celle-ci doit notamment être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir la partie poursuivante et le détenu (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, §§ 54-58, série A no 318‑B, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, et Mustafa Avci c. Turquie, no 39322/12, § 90, 23 mai 2017).

40.  La Cour rappelle que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes exigent un « juste équilibre » entre les parties : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (voir, en ce qui concerne le volet civil de l’article 6 § 1, Regner c. République tchèque [GC], no 35289/11, § 146, 19 septembre 2017).

41.  Par ailleurs, le droit à une procédure contradictoire implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant tel que l’avocat général à la Cour de cassation belge, en vue d’influencer sa décision (voir, parmi d’autres, Venet c. Belgique, n27703/16, § 42, 22 octobre 2019).

b) Application au cas d’espèce

42.  Le requérant se plaint que la communication du projet d’arrêt du conseiller-rapporteur à l’avocat général, sans que ce projet ne lui ait été communiqué, ainsi que les échanges entre le conseiller-rapporteur et l’avocat général avant l’audience publique ont emporté violation du principe de l’égalité des armes et du principe du contradictoire.

43.  La Cour rappelle que l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas, en droit belge, la qualité de partie au procès. Il fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas – sauf cas exceptionnels étrangers à la présente affaire – l’action publique, ne saisit pas lui-même la Cour, et n’a pas non plus la qualité de défendeur (Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 29, série A no 11). L’avocat général a, en Belgique, pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence, et il agit en observant la plus stricte objectivité (Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, §§ 29-30, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, Van Orshoven c. Belgique, 25 juin 1997, §§ 37-38, Recueil 1997‑III, et Venet, précité, § 40).

44.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le principe de l’égalité des armes ne peut pas être invoqué dans un cas comme celui de l’espèce où aucune partie poursuivante ou autre partie adverse n’était partie à la procédure devant la Cour de cassation (Venet, précité, § 41). Ensuite, la circonstance, évoquée par le requérant, que l’avocat général à la Cour de cassation ne fait pas partie du siège de la Cour de cassation, ne suffit pas à démontrer en quoi il devrait du coup être considéré comme son adversaire dans la procédure en cassation, condition préalable pour alléguer une rupture de l’égalité des armes (voir, au sujet du « rapporteur public » dans la procédure devant le Conseil d’État de France, Marc-Antoine c. France (déc.), no 54984/09, § 32, 4 juin 2013).

45.  En revanche, dès lors que l’avis de l’avocat général est destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation, le principe du contradictoire doit être respecté (dans le même sens, Vermeulen, précité, § 31, Van Orshoven, précité, § 39, et Venet, précité, § 42).

46.  La Cour est d’avis que le projet d’arrêt élaboré par le conseiller-rapporteur, qui est un magistrat de la formation de jugement chargé d’instruire le dossier, ne constitue pas une pièce produite par une partie et susceptible d’influencer la décision juridictionnelle, mais un élément établi au sein de la juridiction dans le cadre du processus d’élaboration de la décision finale. Partant, un tel document de travail interne à la formation de jugement, couvert par le secret, ne saurait être soumis au principe du contradictoire (voir, mutatis mutandis, Marc-Antoine, décision précitée, § 31).

47.  La Cour note encore que pour établir ses conclusions et pour arrêter la position qu’il soumet publiquement à la formation de jugement, l’avocat général, qu’il partage ou non l’orientation du conseiller-rapporteur, s’appuie notamment sur le projet d’arrêt de celui-ci. En ce qu’elles intègrent l’analyse du conseiller-rapporteur, ces conclusions peuvent donc être de nature à permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en fait la juridiction. Cette particularité leur offre ainsi l’opportunité d’y répondre avant que les juges ne statuent. Par conséquent, il ne saurait être allégué que celle-ci porte en elle-même atteinte au caractère équitable de la procédure devant la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Marc-Antoine, décision précitée, § 32).

48.  Par ailleurs, la Cour n’aperçoit aucune raison de douter de l’affirmation du Gouvernement suivant laquelle aucune discussion n’est intervenue en l’espèce entre le conseiller-rapporteur et l’avocat général après la transmission du projet d’arrêt.

49.  Le requérant se plaint ensuite d’une violation du principe de l’égalité des armes et du principe du contradictoire en raison de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général avant l’audience publique, où elles n’ont été présentées qu’oralement, et de la connaissance qu’aurait eue la Cour de cassation de ces conclusions avant cette audience.

50.  Outre qu’elle a déjà considéré ci-dessus qu’il n’était pas établi en quoi l’avocat général devait être regardé comme l’adversaire du requérant dans la procédure en cassation (paragraphes 43-44), la Cour constate que le requérant reste en défaut d’apporter des éléments concrets de nature à étayer l’allégation suivant laquelle la Cour de cassation aurait pris connaissance des conclusions de l’avocat général avant l’audience ou qu’elle aurait pris sa décision avant la présentation publique de ces conclusions lors de cette audience. Dès lors, il y a lieu de considérer que tant le requérant que la Cour de cassation et le public ont découvert à l’audience le sens et le contenu des conclusions données oralement par l’avocat général, sur la base d’une note préparée par lui (voir K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 43, 17 février 2005).

51.  Il en résulte que le requérant ne saurait valablement soutenir avoir été placé dans une situation de net désavantage par rapport à quiconque du fait de ne pas avoir eu connaissance des conclusions de l’avocat général avant l’audience publique. Surabondamment, la Cour rappelle qu’une partie ne saurait tirer du droit à l’égalité des armes le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des conclusions qui ne l’ont pas été à une autre partie, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (voir, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, K.A. et A.D. c. Belgique, précité, § 43).

52.  La Cour observe enfin qu’en vertu de l’article 1107 du code judiciaire, le requérant disposait de la possibilité de répondre aux conclusions orales du ministère public, soit en exposant oralement ses observations lors de l’audience, soit en demandant un report d’audience ou en sollicitant l’autorisation de déposer une note en délibéré dans un certain délai (paragraphe 18 ci-dessus). Le requérant n’établit pas en quoi il aurait été empêché d’user de cette possibilité dans les circonstances de l’espèce.

53.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant ne saurait prétendre avoir été placé dans une situation contraire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

54.  Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

Venet c. Belgique du 22 octobre 2019 requête n° 27703/16

Violation de l'article 5-4 de la Convention : Notification tardive de la date d’une audience : le requérant n’a pas pu répondre à l’avis de l’avocat général près la Cour de cassation

Contrôle de la légalité de la détention – Garanties procédurales du contrôle – Respect du principe du contradictoire  – Droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience – Absence à l’audience du détenu et de son avocat informés tardivement de sa tenue – Impossibilité pour le détenu et son avocat de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation

L’affaire concerne une procédure portant sur le maintien en détention préventive de M. Venet. Ce dernier se plaignait de n’avoir pas pu assister à l’audience de la Cour de cassation statuant sur le pourvoi qu’il avait formé contre son maintien en détention et de n’avoir pas pu répondre aux conclusions de l’avocat général, en raison de la notification tardive de la date de l’audience. La Cour juge en particulier que M. Venet et son conseil n’ont pas été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience devant la Cour de cassation. Ils ont donc été dans l’impossibilité de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation. La Cour précise qu’en Belgique, l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas la qualité de partie au procès. Il a pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence. Toutefois, dès lors que son avis est destiné à conseiller et influencer la Cour de cassation, le principe du contradictoire doit être respecté, ce qui implique le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, même si elle émane d’un magistrat indépendant tel que l’avocat général à la Cour de cassation belge. La Cour rappelle également que le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience, sans quoi il serait vidé de sa substance.

FAITS

En 2015, M. Venet fut inculpé du chef de détention illicite de stupéfiants et placé en détention préventive à la prison de Saint-Gilles. Il contesta la régularité et la légalité du mandat d’arrêt sur le fondement duquel il avait été placé en détention préventive, mais il fut débouté par la chambre du conseil qui ordonna son maintien en détention. Cette décision fut ensuite confirmée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel. M. Venet se pourvut en cassation. L’audience devant la Cour de cassation eut lieu le 10 novembre 2015 à 9h30, sans la présence de M. Venet et de son avocat, lesquels prétendent avoir reçu l’avis tardivement : M. Venet l’aurait reçu le 9 novembre, tard dans la journée, et son avocat le 10 novembre 2015, aux alentours de midi. Le même jour, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

Par la suite, M. Venet se plaignit, sans succès, devant les instances judiciaires nationales de n’avoir pas pu assister à l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015 en raison de la tardiveté de la notification de la date de l’audience. Il allégua que sa détention était contraire à l’article 5 de la Convention. Il fut libéré en 2016 pour des motifs non précisés.

Article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention)

La Cour rappelle que la procédure portant sur un recours formé contre une détention ou sa prolongation doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties. La Cour note qu’en Belgique, l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas la qualité de partie au procès. Il fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas – sauf cas exceptionnels – l’action publique. Il n’a pas non plus la qualité de défendeur. Il a pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence. Il agit en observant la plus stricte objectivité. Toutefois, dès lors que son avis est destiné à conseiller et influencer la Cour de cassation, la Cour estime que le principe du contradictoire doit être respecté. Le droit à une procédure contradictoire implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant tel que l’avocat général à la Cour de cassation belge, en vue d’influencer sa décision. En l’espèce, du fait de son absence à l’audience de la Cour de cassation, M. Venet n’a pas eu connaissance des conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation. La question qui se pose donc est de savoir s’il peut être considéré que M. Venet et son conseil ont été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015. En effet, le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience, sans quoi il serait vidé de sa substance.

Les parties s’accordent à dire qu’un fax précisant la date et l’heure de l’audience a été envoyé par le greffe de la Cour de cassation à la prison de Saint-Gilles le vendredi 6 novembre. Le personnel de la prison n’en a accusé réception que le lundi 9 novembre, c’est-à-dire la veille de l’audience, avant de le transmettre à M. Venet à un moment qui n’a pas été précisé. Le Gouvernement n’a pas non plus contesté l’allégation du requérant selon laquelle son avocat ne fut informé de la fixation de l’audience qu’après la tenue de celle-ci, le 10 novembre. La Cour relève que le droit belge prévoit le droit pour le détenu et son avocat d’être présents à l’audience de la Cour de cassation. Cependant, la loi ne prévoit pas de délai dans lequel les parties doivent être averties de la fixation de l’audience lorsque la Cour de cassation doit statuer en urgence. En revanche, l’avis de fixation prévoyait que M. Venet devait se manifester au moins 48 heures avant l’audience s’il souhaitait y assister. Même s’il n’a pas été établi avec exactitude à quel moment M. Venet a obtenu l’avis de fixation au cours de la journée du 9 novembre, il lui était en tout cas impossible de se manifester dans le délai indiqué dans l’avis. Quant à son avocat, rien n’indique que M. Venet eût encore pu l’avertir avant la tenue de l’audience. Par conséquent, la Cour estime que M. Venet et son conseil n’ont pas été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience devant la Cour de cassation. Ils ont donc été dans l’impossibilité de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

CEDH

a) Principes généraux

31.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (voir, par exemple, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000‑XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012).

32.  La procédure portant sur un recours formé contre une détention ou la prolongation de celle-ci doit notamment être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir la partie poursuivante et le détenu (Kampanis, précité, §§ 54-58, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, et Mustafa Avci c. Turquie, no 39322/12, § 90, 23 mai 2017).

33.  Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 57, série A no 33, Derungs c. Suisse, no 52089/09, § 71, 10 mai 2016, et références y citées). Il importe d’éviter que la complexité de l’examen des recours soit une source de retards (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 24, série A no 8).

34.  La Cour rappelle ensuite que si l’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et celui des demandes d’élargissement, un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (voir, parmi d’autres, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits), et Djalti c. Bulgarie, no 31206/05, § 64, 12 mars 2013).

35.  Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c), une audience s’impose (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, et Anderco c. Roumanie, no 3910/04, § 62, 29 octobre 2013). Toutefois, la Cour a admis que, si le détenu avait pu comparaître en première instance devant le juge amené à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention. Cela dit, il peut y avoir des situations où le tribunal qui statue sur un appel ou une opposition se trouve dans l’obligation de tenir une audience avec comparution personnelle du détenu ; cela peut dépendre de la nature des questions à trancher, de l’importance de la décision pour le détenu, de la question de savoir si le détenu a comparu en personne lors de l’adoption de la décision contestée ou si sa comparution est nécessaire pour assurer le respect du droit à une procédure contradictoire (Adem Serkan Gündoğdu c. Turquie, no 67696/11, § 40, 16 janvier 2018, et références y citées).

b) Application au cas d’espèce

36. En l’espèce, la Cour constate que le requérant et son conseil ont comparu à l’audience devant la chambre du conseil ainsi qu’à celle devant la chambre des mises en accusation et qu’ils ont également fait valoir leurs arguments par la voie de conclusions écrites déposées devant ces juridictions (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Ces juridictions avaient une compétence de pleine juridiction pour apprécier l’opportunité du maintien de la détention préventive du requérant et décider de sa légalité. Ensuite, le requérant s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 30 octobre 2015 et son avocat a déposé un mémoire à l’appui du pourvoi dans lequel il développait deux moyens (paragraphe 12 ci-dessus). Dans son arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation prit en compte le mémoire déposé par le conseil du requérant et répondit aux deux moyens (paragraphe 13 ci‑dessus).

37.  La Cour relève également que la Cour de cassation n’était pas appelée à se prononcer sur l’opportunité ou la nécessité de garder le requérant incarcéré ou de le relâcher (voir, dans le même sens, Giosakis c. Grèce (no 3) (déc.), no 32814/07, 24 septembre 2009). En effet, la compétence de la Cour de cassation se limitait à un contrôle de la légalité de l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 30 octobre 2015. En outre, la procédure devant la Cour de cassation était essentiellement écrite.

38.  Dans ces circonstances, la Cour estime que le défaut de comparution devant la Cour de cassation n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention.

39.  Ceci étant dit, la Cour rappelle que la procédure portant sur un recours formé contre une détention ou sa prolongation doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties (voir la jurisprudence citée au paragraphe 32 ci-dessus).

40.  À cet égard, la Cour rappelle que l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas, en droit belge, la qualité de partie au procès. Il fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas – sauf cas exceptionnels étrangers à la présente affaire – l’action publique, et il n’a pas non plus la qualité de défendeur (Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 29, série A no 11). L’avocat général a, en Belgique, pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence, et il agit en observant la plus stricte objectivité (Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, §§ 29-30, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

41.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le principe de l’égalité des armes ne peut pas être invoqué dans un cas comme celui de l’espèce où, d’une part, est mise en cause l’impossibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général à la Cour de cassation belge et où, d’autre part, la partie poursuivante, à savoir le procureur général à la cour d’appel, n’était pas partie à la procédure devant la Cour de cassation.

42.  En revanche, dès lors que l’avis de l’avocat général est destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation, le principe du contradictoire doit être respecté (dans le même sens, Vermeulen, précité, § 31). Le droit à une procédure contradictoire, tel qu’il est garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant tel que l’avocat général à la Cour de cassation belge, en vue d’influencer sa décision (Vermeulen, précité, § 30, Meftah et autres, précité, § 51, et Olga Nazarenko c. Russie, no 3189/07, § 38, 31 mai 2016).

43.  Eu égard aux conséquences de la privation de liberté sur les droits fondamentaux de la personne concernée, du caractère fondamental du droit à une procédure contradictoire (Fodale c. Italie, no 70148/01, § 42, 1er juin 2006) et du lien étroit qui existe entre l’article 5 § 4 et l’article 6 § 1 en matière de procédure pénale (Reinprecht, précité, § 36), la Cour estime qu’il en va de même dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention.

44.  Or en l’espèce, il n’est pas contesté par le Gouvernement que, du fait de son absence à l’audience de la Cour de cassation, le requérant n’a pas eu connaissance des conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation.

45.  La Cour doit dès lors déterminer si le requérant a eu une possibilité réelle de prendre connaissance des conclusions orales de l’avocat général et d’y répondre. Cette vérification s’impose sans que la Cour doive spéculer sur la manière dont l’audience devant la Cour de cassation se serait déroulée ou sur l’issue de la procédure si le requérant avait eu connaissance des conclusions litigieuses (voir, mutatis mutandis, John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 68, Recueil 1996‑I, et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 58, CEDH 2008). En l’espèce, la question se pose de savoir s’il peut être considéré, dans les circonstances particulières de la cause, que le requérant et son conseil ont été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015. En effet, le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience, sans quoi il serait vidé de sa substance (voir, à cet égard, mutatis mutandis, Fodale, précité, § 43, et Samoilă et Cionca c. Roumanie, no 33065/03, § 77, 4 mars 2008).

46.  Les parties s’accordent à dire que la télécopie a été envoyée par le greffe de la Cour de cassation à la prison de Saint-Gilles le vendredi 6 novembre. Le Gouvernement ne conteste pas le fait que le personnel de la prison n’en a accusé réception que le lundi 9 novembre, c’est-à-dire la veille de l’audience, avant de la transmettre au requérant à un moment qui n’a pas été précisé. Le Gouvernement n’a pas non plus contesté l’allégation du requérant selon laquelle son avocat ne fut informé de la fixation de l’audience qu’après la tenue de celle-ci, le 10 novembre.

47.  La Cour relève que le droit belge prévoit le droit pour le détenu et son avocat d’être présents à l’audience de la Cour de cassation (paragraphe 24 ci‑dessus). Ce n’est donc pas le règlement de la procédure devant la Cour de cassation qui est en soi mis en cause en l’espèce.

48.  Ceci étant dit, la loi ne prévoit pas de délai dans lequel les parties doivent être averties de la fixation de l’audience lorsque la Cour de cassation doit statuer en urgence (paragraphe 23 ci-dessus). En revanche, l’avis de fixation prévoyait que le requérant devait se manifester au moins 48 heures avant l’audience s’il souhaitait y assister. Même s’il n’a pas été établi avec exactitude à quel moment le requérant a obtenu l’avis de fixation au cours de la journée du 9 novembre, il lui était en tout cas impossible de se manifester dans le délai indiqué dans l’avis. Quant à son avocat, rien n’indique que le requérant eût encore pu l’avertir avant la tenue de l’audience.

49.  Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il ne peut pas être soutenu que le requérant et son conseil ont été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience devant la Cour de cassation. Ainsi, la Cour estime que l’impossibilité pour le requérant et son conseil de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation a méconnu l’article 5 § 4 de la Convention.

50.  Partant, il y a eu violation de cette disposition.

Kaak et autres c. Grèce du 3 octobre 2019 requête n° 34215/16

Violation Article 5-4 non violation 5-1 : Les recours offerts pour les migrants détenus dans les camps d’accueil d’urgence en Grèce n’étaient ni accessibles ni suffisants.

L’affaire concerne les conditions de détention de ressortissants syriens, afghans et palestiniens dans les hotspots de Vial et de Souda (Grèce) ainsi que la régularité de leur détention au sein de ceux-ci. La Cour considère que les autorités ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles au camp de Vial pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection des mineurs non accompagnés. Les autres requérants ont été immédiatement – ou dans les dix jours – transférés du camp de Vial au camp de Souda. La Cour juge aussi que les conditions de détention au camp de Souda ne constituaient pas un traitement inhumain ou dégradant. La Cour rappelle avoir déjà considéré que le délai d’un mois de détention au camp de Vial ne devait être tenu pour excessif compte tenu de l’accomplissement des formalités administratives, nécessaires en la circonstance. En outre, la durée de détention des requérants, après qu’ils eurent exprimé leur souhait de déposer une demande d’asile, a été d’assez courte durée. En revanche, les requérants, n’étant pas assisté par un avocat, ne pouvaient comprendre le contenu de la brochure d’information, et en particulier tout ce qui avait trait aux différentes possibilités de recours qui étaient offertes par le droit interne.

LES FAITS

Les requérants, 49 adultes, adolescents et enfants ressortissants syriens, afghans et palestiniens, entrèrent illégalement en Grèce, à l’île de Chios, par voie maritime, entre le 20 mars et le 15 avril 2016. Les requérants furent tous arrêtés par la police le jour même de leur arrivée et placés en camp d’accueil, d’identification et d’enregistrement de Vial, puis pour certains transférés au camp de Souda. Des décisions d’expulsions furent prises à leur encontre. Ces décisions mentionnaient qu’il était ordonné, d’une part, la détention en vue du renvoi immédiat de la personne concernée en Turquie et, d’autre part, le maintien en détention jusqu’à la réalisation de l’éloignement eu égard au risque de fuite allégué. Néanmoins, si certains requérants mineurs furent renvoyés vers d’autres pays de l’Union européenne aux fins du regroupement familial ou d’examen de leur demande d’asile, d’autres, ayant déposé une demande d’asile en Grèce, bénéficièrent d’une révocation de la décision d’expulsion prise à leur encontre, si bien qu’ils furent maintenus en détention.

CEDH

ARTICLE 5-1

106.  En ce qui concerne les principes généraux applicables en la matière, la Cour renvoie à sa jurisprudence mentionnée dans l’arrêt J.R. et autres précité (§§ 108-110).

107.  La Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’elle trouve un fondement en droit interne.

108.  Elle rappelle que dans l’arrêt J.R. et autres précité, elle avait considéré qu’un tel délai d’un mois pendant lequel les requérants avaient été détenus dans le camp de VIAL ne devait pas être considéré comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives susmentionnées (ibid. § 114).

109.  En l’espèce, certains seulement parmi les requérants sont restés dans le camp de VIAL du 20 mars 2016 au 21 avril 2016, soit une période d’un mois, alors que les autres, soit ils y ont séjourné pour une période inférieure d’un mois, soit pas du tout, comme ils ont été directement placés dans le camp de SOUDA qui était une structure ouverte. En outre, la Cour constate que la « détention » des requérants après l’expression de leur souhait de déposer une demande d’asile était aussi de courte durée jusqu’à ce que le camp devienne une structure semi-ouverte le 21 avril 2016 : 23 jours pour les requérants 27 et 28 qui avaient exprimé ce souhait le 29 mars 2016 ; 15 jours pour ceux qui l’ont exprimé le 4 avril 2016 ; moins de 15 jours pour ceux qui l’ont exprimé postérieurement à cette date.

110.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la détention des requérants n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

111.  Elle estime qu’il n’y a donc pas eu violation de cette disposition en l’espèce.

ARTICLE 5-4

119.  En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

120.  La Cour réitère aussi son constat qu’en principe le droit interne prévoit un recours à travers duquel la mise en détention en vue de l’expulsion peut être contestée de manière effective (voir, en dernier lieu, O.S.A. et autres c. Grèce, no39065/16, §§ 50-51, 21 mars 2019).

121.  Reste à examiner si, dans les circonstances de la cause, les requérants auraient pu introduire sans entraves un recours fondé sur l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, à la suite de l’adoption des décisions ordonnant leur expulsion et la prolongation de leur détention.

122.  La Cour note, en premier lieu, que les décisions d’expulsion, qui indiquaient la possibilité d’introduire des recours, étaient rédigées en grec. En outre, à supposer même qu’ils eussent reçu la brochure d’information mentionnée par le Gouvernement, il n’est pas certain que les requérants, n’étant assistés par un avocat dans le camp de VIAL ou le camp de SOUDA, avaient suffisamment de connaissances juridiques pour comprendre le contenu de ladite brochure, et notamment tout ce qui avait trait aux différentes possibilités de recours qui leur étaient offertes par le droit interne pertinent en l’espèce. La Cour note en deuxième lieu que la brochure se réfère de manière générale à un tribunal administratif sans préciser lequel : sur ce point, force est de constater qu’il n’y a pas de tribunal administratif sur l’île de Chios, où les requérants étaient détenus, et qu’il y en a un seulement sur l’île de Mytilène (O.S.A. et autres, précité, § 53).

123.  La Cour rappelle à cet égard que, dans l’arrêt J.R. et autres (précité, §§ 121-124), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 2 de la Convention en raison notamment de la circonstance que, à l’époque des faits, les informations contenues dans la brochure en question ne pouvaient s’analyser en une information dans un langage simple et accessible pour les requérants, sur les raisons juridiques et factuelles de leur privation de liberté, à même de permettre à ceux-ci d’en discuter la légalité devant un tribunal en vertu de l’article 5 § 4 de la Convention (O.S.A. et autres, précité, § 54).

124.  Partant, à supposer même que les recours précités eussent été effectifs, la Cour ne voit pas comment les intéressés auraient pu les exercer. Eu égard aussi aux constats de différents organismes internationaux (O.S.A. et autres, précité, §§ 55-56), elle considère que, dans les circonstances de l’espèce, les requérants n’avaient pas accès aux recours en cause.

125.  Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

Rizzotto c. Italie du 5 septembre 2019 requête n° 20983/12

Article 5-4 : Le recours italien dirigé contre le placement en détention provisoire d’un accusé d'abord introuvable puis retrouvé, n’est pas conforme à la Convention

L’affaire concerne la question de la légalité d’une détention provisoire et les garanties de procédure protégées par l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention) de la Convention. La Cour constate que M. Rizzotto n’a jamais été en mesure de soutenir en personne à un moment ou à un autre sa demande de mise en liberté car une demande similaire avait déjà été présentée à son insu par un avocat commis d’office. La Cour rappelle que la première garantie fondamentale découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Elle observe que l’intéressé a été également débouté de sa demande de réexamen de la régularité de sa détention sans avoir été entendu. La Cour conclut que l’ordre juridique italien n’a pas offert au requérant des garanties procédurales conformes à l’article 5 § 4 de la Convention.

LES FAITS

Le requérant, M. Salvatore Stefano Rizzotto, est un ressortissant italien, né en 1972 et résidant à Floridia.

Le 16 septembre 2010, le juge des investigations préliminaires de Palerme décida de placer M. Rizzotto en détention provisoire en raison de son implication dans une procédure pénale pour trafic de stupéfiants. M. Rizzotto étant introuvable, les autorités le déclarèrent en fuite et lui désignèrent un avocat commis d’office.

Le 13 octobre 2010, cet avocat saisit le tribunal de Palerme d’un recours contre l’ordonnance de placement en détention provisoire sur le fondement de l’article 309 du code de procédure pénale. Le tribunal rejeta le recours.

Le 6 décembre 2010, M. Rizzotto fut arrêté à Malte. Il désigna un avocat de son choix. Celui-ci introduisit un recours contre l’ordonnance de placement en détention. Le 20 décembre 2010, M. Rizzotto fut extradé en Italie et placé en détention à Rome.

Le 3 janvier 2011, une audience se tint devant le tribunal de Palerme. M. Rizzotto, toujours emprisonné à Rome, n’y assista pas et fut représenté par son avocat. Le tribunal déclara le recours irrecevable au motif que l’intéressé avait déjà fait usage de son droit d’appel à l’occasion du recours que son avocat commis d’office avait intenté à l’époque où il était introuvable.

VIOLATION DE L'ARTICLE 5-4 :

La Cour observe que la question se pose de savoir si l’ordre juridique italien offrait à M. Rizzotto des garanties procédurales respectant les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Dans un premier temps, elle note que le droit italien offrait bien au justiciable la possibilité de contester la motivation d’une décision ordonnant une mesure privative de liberté, par le biais d’un recours introduit sur le fondement de l’article 309 du code de procédure pénale.

Néanmoins, elle relève que le recours introduit par l’avocat choisi par M. Rizzotto contre l’ordonnance du juge d’application des peines fut déclaré irrecevable par la chambre spécialisée du tribunal de Palerme au motif qu’une demande similaire avait déjà été présentée par un avocat commis d’office lorsque M. Rizzotto était introuvable.

Or, l’avocat désigné d’office par les autorités pour représenter M. Rizzotto dans la procédure ayant décidé d’attaquer l’ordonnance de détention provisoire à l’insu de ce dernier alors qu’il était introuvable, la Cour affirme qu’il est hors de doute que M. Rizzotto n’a eu la possibilité ni de communiquer avec l’avocat commis d’office, ni d’avancer ses propres arguments à l’appui de sa demande de mise en liberté, ni d’être entendu par la juridiction.

La Cour constate que M. Rizzotto n’a jamais été en mesure de soutenir personnellement à un moment ou à un autre la demande de mise en liberté alors qu’il s’agit là de la première garantie fondamentale découlant de l’article 5 § 4. Le remède fondé sur l’article 309 du code de procédure pénale n’a pas offert les garanties adéquates.

Dans un second temps, la Cour note que le droit italien offre aux justiciables, sur le fondement de l’article 299 du code de procédure pénale, la possibilité de former une demande de révocation visant à solliciter le réexamen de la régularité de la détention en cours. Elle constate néanmoins que l’intéressé a été débouté de sa demande sans même avoir été entendu. En application de l’article 299, une telle demande n’oblige pas la tenue d’une audience et le juge n’est pas tenu d’interroger l’accusé sauf si celui-ci sollicite son audition et seulement s’il avance des faits nouveaux à l’appui de sa demande. À cet égard, la Cour rappelle encore que le droit du détenu d’être entendu découle directement de la Convention et que ce droit ne saurait être conditionné à la demande expresse de l’intéressé. En tout état de cause, M. Rizzotto cherchant à obtenir pour la première fois un contrôle de la légalité de sa détention, aucun fait nouveau n’étant soumis à l’examen du juge, une demande d’audition aurait été en tous les cas déclarée irrecevable.

Dans ces conditions, la Cour juge que le recours en révocation n’a pas non plus constitué, dans les circonstances de l’espèce, un remède conforme à l’article 5 § 4 de la Convention. Au vu de l’ensemble de ces éléments, s’agissant de la situation spécifique d’un accusé introuvable frappé d’une mesure privative de liberté, un recours ayant été, à son insu, préalablement présenté par un avocat commis d’office, la Cour juge que la procédure italienne n’a pas respecté les dispositions de l’article 5 § 4.

LA CEDH

2.  Les principes généraux établis par la jurisprudence de la Cour

46.  La Cour rappelle les principes établis par sa jurisprudence constante en matière d’interprétation de l’article 5 § 4 de la Convention.

a)  En vertu de cette disposition, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » et à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série  A n145‑B). Cet examen doit pouvoir aboutir, à bref délai, à une décision judiciaire mettant fin à la détention si celle-ci se révèle illégale (Baranowski, précité, § 68).

b)  De même que toute autre disposition de la Convention et de ses Protocoles, l’article 5 § 4 doit s’interpréter de telle manière que les droits qui s’y trouvent consacrés ne soient pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, et Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I).

c)  Une voie de recours, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, doit toujours exister à un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l’accessibilité et l’effectivité requises par cette disposition (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 60, série A no 181-A, et Sakık et autres c. Turquie, 26 novembre 1997, § 53, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII).

d)  L’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de demandes d’élargissement. Néanmoins, un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties en appel qu’en première instance (Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, série A no 224, ainsi que Rutten c. Pays-Bas, no 32605/96, § 53, 24 juillet 2001, et Lanz c. Autriche, no 24430/94, § 42, 31 janvier 2002).

e)  La procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux, les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005‑XII). Cependant, elle doit toujours revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (voir, entre autres, D.N. c. Suisse [GC], n27154/95, § 41, CEDH 2001-III). Pour déterminer si une procédure offre de telles garanties, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (voir, par exemple, Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237-A). En tout état de cause, cette procédure doit respecter, autant que possible, les exigences fondamentales d’un procès équitable (Lietzow c. Allemagne, n24479/94, § 44, CEDH 2001-I, et Schöps, précité, § 44).

f)  La première garantie fondamentale découlant naturellement de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Svipsta c. Lettonie, n66820/01, § 128, CEDH 2006‑III (extraits), et Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 81, 28 octobre 2010). Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, série A no 318-B, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI). Cette audience doit être contradictoire, ce qui suppose normalement la représentation par un défenseur et la possibilité, le cas échéant, de citer et d’interroger des témoins (Hussain c. Royaume-Uni et Singh c. Royaume-Uni, arrêts du 21 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, § 60 et § 68 respectivement).

3.  Application desdits principes au cas d’espèce

47.  La Cour observe que la question se pose de savoir si l’ordre juridique interne offrait au requérant des garanties procédurales à même de respecter l’article 5 § 4.

a)  Sur le recours prévu par l’article 309 du CPP

48.  La Cour relève avec les parties que le droit italien offre aux justiciables la possibilité de contester la motivation d’une décision ordonnant une mesure privative de liberté par le biais d’un recours (richiesta di riesame) introduit sur le fondement de l’article 309 du CPP.

49.  Examinant le grief du requérant, consistant à dire que dans son cas la procédure n’a pas respecté les garanties fondamentales du procès équitable, la Cour constate que le recours introduit par l’avocat choisi par l’intéressé contre l’ordonnance du juge de l’application des peines a été déclaré irrecevable par la chambre spécialisée du tribunal de Palerme au motif qu’une demande similaire avait déjà été présentée par un avocat commis d’office à l’époque où le requérant était en fuite. La Cour de cassation confirma par la suite cette analyse, invoquant le principe de l’ « unicité du droit d’appel » tel qu’interprété par ses sections réunies, qui faisait obstacle à la réitération du même recours par l’une quelconque des différentes personnes titulaires du droit de l’exercer.

50.  Or il n’est pas contesté que l’avocat qui fut désigné d’office par les autorités pour représenter le requérant dans la procédure décida d’attaquer l’ordonnance de détention provisoire à l’insu de son client, lequel était introuvable à ce moment-là. Il est donc hors de doute que le requérant n’eut pas l’occasion de communiquer avec ledit avocat et d’avancer ses propres arguments à l’appui de la demande de mise en liberté. Par ailleurs, force est de constater qu’il n’a jamais été entendu par la chambre spécialisée du tribunal de Palerme qui a statué sur la légalité de sa détention.

51.  Au vu de ces circonstances, on ne peut donc dire que le requérant ait été en mesure de soutenir personnellement à un moment ou à un autre la demande tendant à sa mise en liberté qui avait été introduite devant la chambre spécialisée du tribunal, juridiction qui était compétente pour examiner la décision de placement en détention provisoire. La Cour rappelle ici que la première garantie fondamentale découlant naturellement de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Svipsta, précité, § 128 et Knebl, précité, § 81).

52.  La Cour réaffirme en outre que la Convention a pour but de «protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37 et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, 2 novembre 2010). Encore faut-il que l’intéressé, auquel le système italien accorde la garantie - supplémentaire à celles prévues par la Convention - d’être représenté par un défenseur nommé d’office avant même l’exécution de la mesure provisoire, ait pu effectivement communiquer, de manière libre et confidentielle, avec son conseil afin de discuter de l’affaire et organiser la défense.

53.  De plus, la Cour rappelle que la renonciation à se défendre ne peut pas être inférée de la simple qualité de « latitante », fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 28, série A no 89 ; Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 87, CEDH 2006 II). En outre, avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question. Il faut par ailleurs qu’il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Sejdovic, précité, § 88). Or, en l’espèce rien dans le dossier ne permet de conclure que le requérant avait essayé de se dérober à la justice ou qu’il avait renoncé de manière non équivoque à son droit de défense.

54.  La Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion d’affirmer dans le contexte des condamnations par contumace que l’on ne peut, sous prétexte de garantir d’autres droits fondamentaux du procès, comme le droit au « délai raisonnable » ou celui du « ne bis in idem », ou, a fortiori, pour des préoccupations liées à la charge de travail des tribunaux (Huzuneanu c. Italie, no 36043/08, §§ 22 et 48, 1er septembre 2016), réduire au point de les rendre inopérants les droits de la défense d’un accusé ne s’étant pas soustrait à la justice et n’ayant pas renoncé sans équivoque à ses garanties procédurales. Ce principe avait d’ailleurs été proclamé par la Cour constitutionnelle italienne dans un arrêt auquel tant le requérant que le Gouvernement se réfèrent dans leurs observations (paragraphes 39 et 44 ci‑dessus ; Huzuneanu, précité, § 47).

55.  Eu égard aux conséquences de la privation de liberté sur les droits fondamentaux de la personne concernée, la Cour estime que toute procédure relevant de l’article 5 § 4 doit être menée dans le respect de ce principe et garantir pleinement les droits de la défense. Elle observe à cet égard que le Gouvernement n’a pas exclu que la jurisprudence nationale puisse évoluer et permettre aux accusés en fuite frappés d’une mesure de privation de liberté d’aussi interjeter appel dans l’hypothèse où un recours aurait préalablement été présenté, à leur insu, par un avocat commis d’office (paragraphe 44 ci-dessus). La Cour note au demeurant que le législateur italien a reconnu que le droit de la défense l’emporte sur les besoins de l’administration de la justice en réformant les dispositions procédurales qui règlent le procès à l’encontre des personnes introuvables (voir paragraphe 28 ci-dessus).

56.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le remède prévu par l’article 309 du CPP n’a pas offert au requérant des garanties adéquates. Il reste à examiner si les autres recours évoqués par le Gouvernement remplissaient les conditions de l’article 5 § 4 de la Convention.

b)  Sur le recours prévu par l’article 299 du CPP

57.  En ce qui concerne le recours prévu par l’article 299 du CPP, qui vise à permettre un réexamen de la régularité de la détention en cours et, le cas échéant, la révocation de la mesure de précaution et la mise en liberté, la Cour observe qu’il peut à tout moment être présenté devant le juge qui mène alors la procédure.

58.  En l’espèce, le requérant fit usage de ce recours à la suite du rejet de son appel par la chambre spécialisée, demandant la révocation de la mesure de précaution au juge des investigations préliminaires de Palerme. La Cour observe que ce dernier débouta l’intéressé de sa demande sans l’avoir entendu. L’article 299 du CPP ne prévoit en effet pas la tenue d’une audience et le juge n’est obligé d’interroger l’accusé que si celui-ci sollicite son audition et seulement s’il avance des faits nouveaux à l’appui de sa demande (paragraphe 21 ci-dessus).

59.  La Cour rappelle que dès lors que le droit du détenu d’être entendu découle directement de l’article 5 § 4 de la Convention en ce qu’il fait partie des garanties de procédure appliquées en matière de privation de liberté, on ne saurait faire dépendre son existence ou sa mise en œuvre d’une demande expresse de l’intéressé (Vecek c. République tchèque, no 3252/09, § 78, 21 février 2013). Au surplus, compte tenu de ce qu’au travers de son recours le requérant cherchait à obtenir pour la première fois un contrôle de la légalité de sa détention, aucun fait nouveau n’était soumis à l’examen du juge des investigations préliminaires, si bien qu’une demande d’audition du requérant n’était pas recevable aux termes de la disposition pertinente (voir paragraphes 17 et 21 ci-dessus).

60.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’un appel interjeté contre la décision du 9 février 2011 n’aurait pas permis au requérant d’être entendu sur les motifs invoqués par lui au soutien de sa demande de révocation de la mesure qui avait ordonné son placement en détention. Il s’ensuit que le recours en révocation de la mesure de précaution prévu par l’article 299 du CPP n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, un remède conforme à l’article 5 § 4 de la Convention

c)  Sur le recours en relevé de forclusion prévu par l’article 175 § 1 du CPP

61.  Concernant la possibilité pour le requérant de se prévaloir de l’article 175 § 1 du CPP afin de prouver qu’il ne s’était pas volontairement soustrait à la justice et d’obtenir ainsi la réouverture du délai d’appel contre la décision de mise en détention (paragraphe 32 ci-dessus), la Cour vient de constater que la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a été appliquée au cas du requérant empêche précisément la réouverture du délai d’introduction d’un recours contre une mesure de précaution dans les cas où un avocat commis d’office a déjà fait usage du recours offert par l’article 309 du CPP (paragraphes 15 et 48 ci-dessus). Par ailleurs, il n’apparaît pas que l’impossibilité dans laquelle le requérant s’est trouvé de faire examiner son appel à l’encontre de l’ordonnance de mise en détention procédât de ce qu’il aurait été réputé s’être volontairement soustrait à la justice.

62.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’il appartenait au Gouvernement de démontrer que, nonobstant la jurisprudence pertinente dans le domaine spécifique des mesures de précaution, le remède général prévu par le système italien en matière de relevé de forclusion aurait permis au requérant dans les circonstances de l’espèce de présenter et soutenir une demande de mise en liberté devant la chambre spécialisée chargée de réexaminer les mesures de précaution. Elle rappelle qu’il incombe au Gouvernement plaidant le non-épuisement de la convaincre que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 77, 25 mars 2014). À cet égard, elle note qu’en l’espèce le Gouvernement n’a produit aucun exemple démontrant qu’une telle action eût été intentée avec succès dans des circonstances similaires à celles de l’affaire du requérant (voir, mutatis mutandis, Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, 8 janvier 2004).

d)  Conclusion

63.  En conséquence, la Cour rejette les exceptions préliminaires de non‑épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement et conclut à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’impossibilité dans laquelle le requérant s’est trouvé d’être effectivement entendu par les juridictions compétentes pour contrôler la légalité de sa détention.

Karachentsev c. Russie du 17 avril 2018 requête n° 23229/11

Enfermer un homme dans une cage pendant une audience en visioconférence constitue un traitement dégradant.

violation de l’article 3 (interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du confinement du requérant dans une cage pendant des audiences tenues en visioconférence depuis la prison où il était détenu. Citant l’affaire Svinarenko et Slyadnev c. Russie, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que l’enfermement d’accusés dans une cage lors de leur comparution en public dans un prétoire était constitutif d’une violation. Elle estime que, même si M. Karachentsev n’a pas comparu en audience publique, son confinement dans une cage lors des audiences tenues en visioconférence depuis la prison où il était détenu avait objectivement un caractère dégradant contraire à l’article 3.

non-violation de l’article 5 § 4 (droit à la liberté et à la sûreté / droit à faire statuer à bref délai par un tribunal sur la légalité de sa détention) concernant les vices qui, selon le requérant, avaient entaché la procédure relative à sa détention. Le grief que M. Karachentsev tirait de l’article 5 § 4 concernait deux des audiences relatives à sa détention. Lors de la première, l’intéressé n’avait disposé que de deux heures pour consulter son avocat. Lors de la seconde, son avocat était absent. La Cour juge toutefois que les décisions des juridictions internes étaient justifiées dans les deux cas.

La Cour accepte également la déclaration du gouvernement défendeur et son offre de réparation d’un montant de 8 800 euros (EUR) en réponse aux griefs fondés sur l’article 3 concernant les conditions de détention et sur les articles 5 § 3 (droit à être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure) et 5 § 4. La requête est rayée du rôle pour autant qu’elle concerne ces griefs.

Article 3

La Cour prend note de l’argument du gouvernement défendeur selon lequel les précédents constats de violation concernant l’encagement d’accusés dans un prétoire tenaient au fait que les requérants avaient personnellement assisté aux audiences en cause. M. Karachentsev n’ayant pas quitté la prison où il était détenu et la cage n’ayant servi qu’à le séparer des équipements audiovisuels et des opérateurs qui les employaient, le Gouvernement plaidait que le requérant n’avait pas subi d’humiliation et qu’en tout état de cause, le degré d’humiliation n’avait pas dépassé le seuil établi par la Cour, à savoir la souffrance et l’humiliation que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. La Cour rejette cette thèse et juge qu’il est objectivement dégradant d’enfermer quelqu’un dans une cage, même si cette personne n’est pas physiquement présente au tribunal. Elle conclut donc que le traitement infligé au requérant a emporté violation de la Convention.

Article 5 § 4

La Cour a examiné les allégations de M. Karachentsev selon lesquelles il n’avait eu que deux heures pour consulter son avocat lors de l’une des audiences en cause, il n’avait pas pu parler de manière confidentielle à son représentant au cours de cette rencontre qui avait dû se dérouler dans le prétoire, et le tribunal avait refusé de reporter une audience ultérieure malgré l’absence de son avocat pour cause de maladie. Elle observe que la première des deux audiences en cause avait déjà été reportée à deux reprises à la demande du représentant légal de M. Karachentsev et que la demande d’un troisième report était due au fait que le requérant avait engagé un nouvel avocat. La Cour estime que la désignation de cet avocat à la dernière minute ne saurait être imputée aux juridictions nationales et elle relève qu’il était entre-temps devenu urgent de trancher l’affaire puisque le délai pour statuer sur la détention du requérant conformément à l’article 5 § 1 de la Convention était sur le point d’expirer. Elle observe également que M. Karachentsev n’a allégué à aucun moment que sa conversation dans le prétoire avec son avocat pendant les deux heures de suspension aurait pu être entendue. La Cour considère, par ailleurs, que la juridiction nationale a compensé l’absence de l’avocat de M. Karachentsev lors de l’autre audience litigieuse en désignant un avocat commis d’office, dont la qualité du travail n’a pas été remise en cause. M. Karachentsev était lui-même également présent à l’audience. Dans l’ensemble, la décision de la juridiction interne de poursuivre l’audience a été raisonnable et n’a pas porté atteinte à l’équité de la procédure.

Article 3, article 5 §§ 3 et 4

La Cour accepte la déclaration unilatérale du Gouvernement qui reconnaît que les conditions dans lesquelles M. Karachentsev a été détenu à la maison d’arrêt n o IZ-47/4 de juin 2010 à juillet 2011 n’étaient pas conformes aux exigences de l’article 3. Le Gouvernement a également déclaré que la détention de M. Karachentsev du 5 juin 2010 au 24 août 2011 était contraire à l’article 5 § 3 et que l’examen du recours formé par l’intéressé contre la décision de placement en détention du 24 août 2010 n’avait pas respecté l’impératif de célérité énoncé à l’article 5 § 4. Pour la Cour, le Gouvernement a reconnu les violations de la Convention et proposé une réparation correspondant aux indemnités qu’elle-même octroie dans des circonstances similaires. Il n’est donc plus nécessaire d’examiner les griefs sur le terrain des droits de l’homme.

ADEM SERKAN GÜNDOĞDU c. TURQUIE du 16 janvier 2018 requête n° 67696/11

Non égalité des armes : non entendu par un juge, mais ce n'est pas une violation car il était entendu à intervals réguliers par les juges puisque la procédure était au stade du procès. En revanche, il n'a pas eu l'avis du Procureur pour pouvoir y répondre. En ce sens l'article 5 § 4 n'a pas été respecté.

38. La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III).

39. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduisait une demande d’élargissement. C’est pourquoi la Cour a admis que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention (qu’il s’agisse de la procédure relative au maintien en détention ou de celle relative à une demande d’élargissement) doit, lui aussi, pouvoir être exercé « à des intervalles raisonnables » (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010).

40. La Cour rappelle ensuite qu’un recours contre une décision portant sur la détention provisoire doit en principe accorder au détenu les mêmes garanties en appel qu’en première instance. Cela étant, elle a admis que, si le détenu avait pu comparaître en première instance devant le juge amené à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne portât atteinte au respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 67, 6 avril 2006, et Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 150, 27 mai 2010). Cela dit, il peut y avoir des situations où le tribunal qui statue sur un appel ou une opposition se trouve dans l’obligation de tenir une audience avec comparution personnelle du détenu ; cela peut dépendre de la nature des questions à trancher, de l’importance de la décision pour le détenu, de la question de savoir si le détenu a comparu en personne lors de l’adoption de la décision contestée ou si sa comparution est nécessaire pour assurer le respect du droit à une procédure contradictoire (voir entre autres, Mamedova c. Russie, no 7064/05, §§ 89-93, 1er juin 2006, Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, §§ 118-120, 26 mars 2009, Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, §§ 40-48, 30 mars 2010, Černák c. Slovaquie, no 36997/08, § 81, 17 décembre 2013, et Lavrentiadis c. Grèce, no 29896/13, § 55, 22 septembre 2015).

41. En l’espèce, les 13 juin et 16 novembre 2011, la 11e cour d’assises a examiné les recours en opposition introduits par le requérant sans tenir d’audience. La Cour note néanmoins que le requérant a pu comparaître, assisté de son avocat, aux audiences devant la 10e cour d’assises qui a statué sur ses demandes d’élargissement en première instance. Il convient aussi de préciser que l’absence d’audience en appel n’a pas en soi porté atteinte au respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition. Par conséquent, et compte tenu aussi du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment de l’exigence de célérité, la Cour considère que le respect des exigences procédurales inhérentes à cette disposition n’exigeait pas la tenue d’une audience devant la 11e cour d’assises statuant en appel. En outre, il n’est pas allégué ou établi que la situation du requérant présentait une particularité qui aurait rendu nécessaire la tenue d’audiences lors de l’examen des recours en opposition ou que de nouveaux éléments sont apparus lors de la procédure pénale à l’encontre du requérant (voir, a contrario, Kolomenskiy c. Russie, no 27297/07, § 98, 13 décembre 2016).

42. Dans la mesure où le grief du requérant peut être interprété comme visant une atteinte à l’exercice par lui de son droit d’être entendu « à intervalles raisonnables » par le juge saisi d’un recours contre la détention, du fait de l’absence de comparution personnelle en appel, la Cour observe que la question de l’absence de comparution dans le cadre de la procédure d’opposition a fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’affaire Altınok c. Turquie. Elle y a conclu que l’absence de comparution du requérant lors de la procédure d’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où, d’une part, le requérant avait comparu quelques jours auparavant devant le juge amené à se prononcer sur sa détention en première instance et où, d’autre part, l’absence d’audience en appel n’avait pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes, aucune des parties n’ayant participé oralement à la procédure d’opposition (Altınok, précité, §§ 54‑56).

43. Aux yeux de la Cour, une approche basée uniquement sur la jurisprudence développée dans les affaires Rahbar-Pagard et Saghinadze et autres (précitées) (défaut de comparution en appel compatible avec l’article 5 § 4 de la Convention en cas de comparution en première instance) aurait impliqué, dans le cadre de la procédure d’appel, l’absence de limite quant à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue sans comparaître devant un juge. En outre, cette jurisprudence ne couvre pas la situation où c’est le détenu qui engage la procédure pour examen (demande de mise en liberté). Or, dans ces deux cas de figure, il y aurait une violation de l’article 5 § 4 de la Convention du seul fait de l’absence de comparution personnelle après un certain temps, indépendamment de la question de l’égalité des armes (voir, par exemple, Vecek c. République tchèque, no 3252/09, §§ 76-77, 21 février 2013, et Gamze Uludağ c. Turquie, no 21292/07, §§ 44-45, 10 décembre 2013).

44. La Cour rappelle qu’elle a suivi l’approche adoptée dans l’affaire Altınok dans de nombreuses affaires contre la Turquie (voir, entre autres, Levent Bektaş, précité, §§ 48-51, Ali Rıza Kaplan c. Turquie, no 24597/08, §§ 28-32, 13 novembre 2014, Öner Aktaş, précité, §§ 45-49, et Çatal c. Turquie, no 26808/08, §§ 37/42, 17 avril 2012).

45. En l’espèce, la Cour observe que les 13 juin et 16 novembre 2011, statuant sur dossier, la 11e cour d’assises a rejeté les oppositions formées par le requérant. Elle constate que, lorsque cette juridiction a examiné les recours en opposition, la dernière comparution du requérant devant la 10e cour d’assises remontait respectivement à vingt-sept jours et à un mois et trois jours, à savoir aux audiences tenues le 17 mai 2011 et le 13 octobre 2011. La Cour relève que les décisions objet des recours en opposition ont été rendues au stade du procès, phase au cours de laquelle l’intéressé a comparu à intervalles réguliers devant les juges appelés à se prononcer sur le fond de l’affaire. Le requérant et son avocat étaient présents lors des audiences au cours desquelles la cour d’assises s’est prononcée, en tant que juridiction du premier degré, sur les demandes d’élargissement de l’intéressé, et ils ont eu la possibilité de s’exprimer sur les motifs retenus pour justifier le maintien en détention. Le requérant a donc été en mesure de soutenir personnellement ses demandes de mise en liberté devant la juridiction de première instance. Enfin, à l’instar de ce qui a été constaté dans l’affaire Altınok, l’absence de comparution du requérant en appel n’a pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement à la procédure d’opposition.

46. La Cour note enfin, comme le souligne le requérant, que les décisions relatives au maintien en détention ont été prises par la 10e cour d’assises alors que les oppositions ont été examinées par la 11e cour d’assises. Elle estime néanmoins que sa jurisprudence actuelle ne corrobore nullement l’argument du requérant selon lequel une audience devrait avoir lieu en appel parce que la juridiction de second degré est différente de celle de première instance. Dans les affaires dans lesquelles la Cour a admis l’absence de comparution personnelle du requérant en appel, il était question d’une juridiction différente de celle qui avait statué sur la détention en première instance. S’agissant des affaires dans lesquelles la Cour a estimé que la comparution en première instance ne dispensait pas de la comparution en appel, cette conclusion se justifiait soit parce que l’absence d’audition personnelle avait eu pour conséquence de porter atteinte à l’égalité des armes (voir, par exemple, Samoilă et Cionca c. Roumanie, no 3065/03, § 74, 4 mars 2008, et Lapusan c. Roumanie, no 9723/03, § 53, 3 juin 2008), soit parce que des conditions exceptionnelles exigeaient aussi la comparution en appel (Lavrentiadis, précité, § 55). Le fait que la juridiction amenée à examiner l’appel était différente de la juridiction de première instance n’a pas été pris en considération à cet égard. Enfin, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu en l’espèce, aux fins de vérification de la conformité de la procédure d’opposition aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, d’apprécier l’absence d’audience et de comparution personnelle du requérant conjointement avec l’autre défaut procédural reproché par l’intéressé, à savoir la non-communication de l’avis écrit du procureur de la République (a contrario, pour une approche globale, voir parmi d’autres, Lavrentiadis, précité, § 55).

47. Aussi, dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit-elle aucune raison de se départir de l’approche adoptée dans l’affaire Altınok et suivie depuis lors dans les affaires turques. Elle considère donc que la comparution personnelle du requérant ne s’imposait pas lors de l’examen des oppositions effectué les 13 juin et 16 novembre 2011.

48. Partant, l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas été enfreint sur ce point.

49. Quant à la non-communication de l’avis écrit du procureur de la République, considérant que ni le requérant ni son avocat n’ont eu la possibilité de se voir communiquer cet avis et qu’ils n’ont pas non plus pu y répondre et que, par conséquent, l’égalité des armes entre les parties n’a pas été respectée, la Cour estime que la procédure d’opposition n’a pas satisfait aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard (Altınok, précité, § 60). Partant, il y a eu violation de cette disposition sur ce point.

STERGIOPOULOS c. GRÈCE du 7 décembre 2017 requête n° 29049/12

Article 5-4 : Le recours pour obtenir sa libération n'est pas examiné à bref délai n'a même pas préservé l'égalité des armes. Non convoqué devant la chambre d'instruction, il n'a pas pu répondre aux inepties du procureur de la République. Il n'est pas normal que la CEDH mette  plus de 5 ans, pour répondre à une affaire aussi grave.

Recevabilité

29. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).

30. La Cour rappelle en outre que l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le gouvernement défendeur, lorsque celui-ci excipe du non-épuisement des recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours qu’il mentionne était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

31. La Cour relève que l’article 105 de la loi d’accompagnement du CC est une disposition transversale du droit grec qui s’applique à une multitude de situations. Dans le cadre d’une action fondée sur cet article, les tribunaux examinent de manière incidente s’il y a eu de la part des autorités un acte illégal et, dans l’affirmative, ils accordent au demandeur une indemnité pour dommage moral.

32. La Cour note ensuite que les arrêts no 2252/2002, no 234/2006 et no 3411/2017 rendus par le tribunal administratif de Thessalonique, la cour d’appel de Thessalonique et le Conseil d’État respectivement, (paragraphe 20 ci-dessus), fournis par le Gouvernement à l’appui de ses observations, concernaient une personne qui avait été arrêtée et détenue en violation des dispositions du droit interne pertinent.

33. Elle constate que le Gouvernement ne fournit pas d’exemples de décisions ayant octroyé des dommages et intérêts à des justiciables du fait de la violation du principe de l’égalité des armes ou du principe du contradictoire, ou bien du non-respect de l’examen à « bref délai » de la demande de mise en liberté des intéressés. Cela ne signifie pas qu’une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du CC, combiné avec une autre disposition pertinente en matière de détention, ne puisse pas constituer une voie de recours adéquate et effective. Pour autant, la Cour estime que les conclusions des arrêts susmentionnés ne sont pas automatiquement transposables à n’importe quelle situation et en particulier à celle du requérant.

34. À la lumière de ces considérations, la Cour n’est pas convaincue qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du CC aurait eu une chance raisonnable de succès et aurait offert, au moment des faits, un redressement approprié. Ce constat ne préjuge en rien de la position de la Cour dans le cas où la jurisprudence des juridictions nationales sur l’application de cette disposition viendrait à évoluer à l’avenir et à englober les situations telles que celle qui fait l’objet de la présente requête.

35. Aussi la Cour estime-t-elle que, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, le grief du requérant ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, et ce nonobstant le fait que l’intéressé n’a pas exercé la voie de droit suggérée par le Gouvernement. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

36. En ce qui concerne le second recours mentionné par le Gouvernement, à savoir la demande en annulation de la procédure fondée sur l’article 171 du CPP, la Cour note que, dans le cadre de l’exercice de cette voie de droit, la chambre d’accusation et le tribunal peuvent uniquement ordonner le réexamen des actes qui ont été jugés nuls. Ainsi, ce recours n’était pas en mesure d’offrir au requérant un redressement approprié, à titre d’exemple sous forme d’indemnisation pour le dommage que celui-ci aurait subi en raison des actes prétendument irréguliers des autorités compétentes. Au contraire, même en cas d’exercice et d’aboutissement de ce recours, l’intéressé, détenu tout au long de cette procédure, aurait dû simplement attendre la répétition de la procédure ayant abouti à sa détention.

37. Enfin, la Cour note que la troisième branche de l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes et l’exception tirée de l’absence de qualité de victime formulées par le Gouvernement – à savoir le manquement allégué du requérant à introduire des demandes aux fins de sa comparution personnelle devant la chambre d’accusation et de l’obtention par lui d’une copie de la proposition du procureur – sont étroitement liées à la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention ; elle décide donc de joindre ces objections au fond.

38. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond

39. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4 de la Convention, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001-I). Certes, l’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention. Toutefois, lorsqu’un État se dote d’un tel système, comme en l’espèce, il doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (Kučera c. Slovaquie, no 48666/99, § 107, 17 juillet 2007, Herz c. Allemagne, no 44672/98, §§ 64-65, 12 juin 2003, Navarra c. France, 23 novembre 1993, § 28, série A no 273-B, et Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, série A no 224).

a) Quant à l’exigence de « bref délai »

40. Le requérant indique que la chambre d’accusation a mis cinquante‑quatre jours pour se prononcer sur son premier recours, ce qui, à ses yeux, représente un délai excessif, et ce d’autant plus qu’il avait demandé l’examen de son affaire en priorité en raison de son état de santé.

41. Le Gouvernement est d’avis que le délai mis par la chambre d’accusation pour se prononcer sur le recours du requérant introduit le 2 décembre 2011 ne peut être considéré comme excessif, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et notamment des infractions reprochées à l’intéressé. Il estime que la période à considérer s’est terminée le 5 janvier 2012 – date à laquelle la chambre d’accusation a publié sa décision no 28/2012 –, et non pas le 25 janvier 2012 – date à laquelle cette décision a été notifiée à la représentante du requérant. Dès lors, selon le Gouvernement, la période en cause a duré trente-quatre jours, et non pas cinquante-quatre jours – comme le prétend le requérant. Le Gouvernement ajoute que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires, ce délai ne peut être considéré comme excessif.

42. La Cour rappelle d’abord que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, requièrent une diligence particulière et que les exceptions à l’exigence de contrôle à « bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003‑IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté est appréhendée non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181‑A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’État doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

43. En l’espèce, la Cour note que le requérant a introduit un recours contre l’ordonnance de mise en détention prise à son encontre par la juge d’instruction le 2 décembre 2011 et que, dans son recours, il invoquait sa jurisprudence sur l’article 5 § 4 de la Convention pour solliciter l’examen de cette contestation à « bref délai ». Or le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes a formulé son avis le 19 décembre 2011 et la chambre d’accusation a rendu sa décision le 5 janvier 2012.

44. La Cour estime que le laps de temps écoulé – soit un délai de trente‑quatre jours – n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à « bref délai » aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. À titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000-XII), Kadem c. Malte (no 55263/00, §§ 44‑45, 9 janvier 2003), Mamedova c. Russie (no 7064/05, § 96, 1er juin 2006), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009) et Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, dix-sept, vingt-six, vingt et vingt-deux jours respectivement.

45. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

b) Quant aux principes de l’égalité des armes et du contradictoire

46. Le requérant soutient que les principes de l’égalité des armes et du contradictoire n’ont pas été respectés en l’espèce. Il affirme que, lors de la première procédure, le droit de comparaître personnellement devant la chambre d’accusation ne lui a pas été accordé, malgré sa demande en ce sens, au motif que l’article 285 du CPP ne prévoit pas cette possibilité.

47. Le Gouvernement réitère pour l’essentiel ses arguments exposés au sujet de l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes et de l’absence de qualité de victime du requérant.

48. Selon la jurisprudence de la Cour, la possibilité pour un détenu « d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation » figure parmi les « garanties fondamentales de procédure appliquées en matière de privation de liberté » (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, série A no 107). Tel est le cas notamment lorsque la comparution du détenu peut être considérée comme le moyen d’assurer le respect de l’égalité des armes, l’une des principales sauvegardes inhérentes à une instance de caractère judiciaire au regard de la Convention.

49. La Cour rappelle que, dans l’affaire Kampanis c. Grèce (13 juillet 1995, § 58, série A no 318-B), elle a estimé que « l’égalité des armes imposait d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions ». Elle a conclu que, « faute d’offrir à l’intéressé une participation adéquate à une instance dont l’issue était déterminante pour le maintien ou la levée de sa détention, le système juridique grec en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 ».

50. La Cour considère que cette jurisprudence, consacrée à l’occasion d’une procédure menée devant la chambre d’accusation d’un tribunal correctionnel, devrait s’appliquer aussi dans le cas d’espèce, où la chambre d’accusation compétente était appelée à statuer sur le recours formé par le requérant contre sa mise en détention. Elle note que le fait que le requérant n’a pas introduit une demande séparée afin d’être entendu, en même temps que le procureur, comme l’indique le Gouvernement, n’est pas pertinent car l’article 285 du CPP ne prévoit pas la comparution de l’accusé ou de son représentant, sans pour autant l’interdire. La Cour note en outre que, dans son recours, le requérant avait mentionné l’impossibilité pour lui de comparaître personnellement devant la chambre d’accusation.

51. En ce qui concerne l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant n’a pas demandé à recevoir une copie de la proposition du procureur, la Cour relève que, à supposer même qu’une telle demande ait été introduite et accueillie, les dispositions pertinentes ne permettaient pas au requérant, de manière explicite, de bénéficier de la possibilité de comparaître personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat devant la chambre d’accusation. La Cour souligne à cet égard que l’égalité des armes exige que l’accusé puisse répondre à la proposition du procureur devant la même instance (voir, mutatis mutandis, Giosakis c. Grèce (no 2), no 36205/06, §§ 60-65, 12 février 2009).

52. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le requérant a été privé de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier sa détention provisoire.

53. Par conséquent, la Cour rejette les exceptions du Gouvernement tirées du non‑épuisement des voies de recours internes et de l’absence de qualité de victime du requérant et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

LAVRENTIADIS c. GRÈCE arrêt du 22 septembre 2015 requête 22896/13

violation de l'article 5-4 : Le requérant n'a pas pu se présenter ni à bref délai ni personnellement pour montrer aux magistrats son état de santé.

1. Quant au « bref délai »

43. Le Gouvernement souligne que la période qu’il a fallu à la chambre d’accusation pour se prononcer sur le recours du requérant introduit le 18 décembre 2012 ne saurait être considérée comme excessive, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et notamment du volume considérable du dossier comportant des milliers des pages, du grand nombre de coaccusés et de l’importance et de la complexité de l’affaire.

44. Le requérant soutient que la période précitée n’a été compatible ni avec l’article 285 § 1 du code de procédure pénale ni avec l’article 5 § 4 de la Convention.

45. La Cour rappelle d’abord que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, requièrent une diligence particulière et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181‑A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

46. La Cour rappelle en outre que la nature même de la détention provisoire appelle de la part du juge compétent qu’il statue à bref délai, la mesure en cause étant fondée pour l’essentiel sur les besoins d’une instruction à mener avec célérité (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 21, série A no 164).

47. En l’espèce, la Cour note que, le 18 décembre 2012, le requérant a demandé sa mise en liberté sous condition, arguant que vu son état de santé il devait bénéficier de cette mesure. Le procureur a formulé son avis le 8 janvier 2013. La chambre d’accusation a délibéré le 7 mars 2013 et a rendu sa décision le 15 mars 2013.

48. La Cour estime que le laps de temps écoulé – soit un délai de quatre-vingt-sept jours – n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012) et Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, § 70, 5 juin 2014), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt, vingt-deux et quarante-sept jours respectivement.

49. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

2. Quant à l’égalité des armes et au principe du contradictoire

50. Le Gouvernement souligne que, conformément à l’article 309 du code de procédure pénale, les chambres d’accusation délibèrent en dehors de la présence du procureur et des parties et que la présence du procureur est requise seulement lorsque celles-ci estiment nécessaire la comparution de l’accusé. En l’occurrence, le procureur n’a pas été présent à la délibération pendant laquelle la chambre d’accusation a examiné la demande de mise en liberté du requérant. En outre, cette dernière a répondu expressément à la demande du requérant de comparaître devant elle (paragraphe 33 ci-dessus).

51. Le requérant souligne que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale ne prévoient pas expressément la communication des arguments et de la proposition faite par le procureur à la chambre d’accusation, relatifs au maintien ou à la levée de la détention, au détenu ou à son avocat. Il affirme que la jurisprudence interprète de plus en plus restrictivement l’article 309 précité de manière à limiter le droit de comparution personnelle du détenu devant la chambre d’accusation dans le cadre de l’examen d’une demande de mise en liberté.

52. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI). La Cour rappelle également que, s’il est vrai qu’un recours contre une décision portant sur la détention provisoire doit en principe accorder au détenu les mêmes garanties en appel qu’en première instance, il ne faut pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduit une demande d’élargissement (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 49, 29 novembre 2011).

53. La Cour relève que le droit interne grec pertinent à ce sujet a évolué depuis l’arrêt Kampanis c. Grèce (13 juillet 1995, série A no 318-B). En particulier l’article 309 § 2 du code de procédure pénale a été modifié et prévoit désormais que la chambre d’accusation délibère hors la présence des parties et du procureur. Toutefois, cet article prévoit aussi que la chambre d’accusation peut, dans des circonstances exceptionnelles, décider de les convoquer à comparaître ensemble.

54. La Cour constate que le 4 janvier 2013, le requérant demanda à comparaître personnellement devant la chambre d’accusation afin que celle-ci constate la détérioration de son état de santé et son degré d’infirmité. Le 8 janvier 2013 le procureur envoya à la chambre d’accusation son avis sur le bien-fondé de la demande et la demande de comparution personnelle. Cette dernière délibéra le 7 mars 2013 hors la présence des parties. Elle rejeta la demande de comparution au motif que le procureur et les parties pourraient, le cas échéant, être présents seulement lorsque la chambre d’accusation était appelée à se prononcer sur le fond de l’affaire après la fin de l’instruction et chaque fois que celle-ci le considérait comme nécessaire. Elle a aussi considéré qu’une demande visant à faire constater l’état de santé d’un détenu malade et à étayer sa proposition d’être mis en liberté sous condition ne tombait pas dans le champ d’application de l’exception prévue à l’article 309 du code de procédure pénale (paragraphe 33 ci-dessus).

55. La Cour estime cependant que, dans la présente affaire, l’état de santé et le taux d’invalidité du requérant – le motif justifiant selon lui sa comparution personnelle (paragraphe 30 ci-dessus) – constituaient de telles circonstances exceptionnelles, comme le précise l’article 309 précité, qui pouvaient justifier la comparution des parties (voir aussi Christodoulou et autres, précité, § 77). La comparution personnelle du requérant était d’autant plus importante que la proposition du procureur quant à la demande de mise en liberté du requérant n’a pas été communiquée au requérant, avant la délibération de la chambre d’accusation, afin que celui-ci puisse prendre connaissance des arguments du procureur qui préconisait le rejet de la demande, et les réfuter (Garcia Alva c. Allemagne, no 23541/94, § 42, 13 février 2001 ; Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, § 226, 31 mai 2011 ; Galambos c. Hongrie, no 13312/12, §§ 34-35, 21 juillet 2015).

56. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

TSITSIRIGGOS c. GRÈCE du 5 mars 2015 requête 18230/09

Violation de l'article 5-4 : Le requérant n'a pas accès à la chambre d'instruction qui doit statuer sur sa détention.

27.  Le Gouvernement relève que le requérant avait déjà eu l’occasion d’exposer ses griefs sur la légalité de sa détention provisoire lors des procédures précédentes déjà examinées par la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes. De l’avis du Gouvernement, le requérant avait ainsi suffisamment exposé ses arguments selon lesquels il devait être élargi.

28.  Le requérant se prévaut notamment de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kampanis c. Grèce (du 13 juillet 1995, série A no 318–B) ainsi que de la jurisprudence en la matière concernant la Grèce suite à cet arrêt pour conclure qu’il y avait en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

29.  La Cour relève qu’à l’époque des faits le droit de comparution personnelle des parties devant la chambre d’accusation, consacré par l’article 309 § 2 du code de procédure pénale, était limité seulement aux cas dans lesquels celle-ci se prononçait quant au fond de l’accusation (voir paragraphe 16 ci-dessus). Selon la jurisprudence, la demande d’un accusé de comparaître personnellement, lors de l’examen de sa requête tendant à la levée de la détention provisoire ou au replacement de celle-ci par la mise en liberté sous condition, était irrecevable. En outre, la Cour note qu’il ressort des décisions nos 2241/2008 et 119/2009 de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes que le procureur a développé oralement devant elle sa proposition écrite, le requérant n’étant ni présent ni représenté par son avocat.

30.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Kampanis, elle a estimé que « l’égalité des armes imposait d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions ». Elle a conclu que « faute d’offrir à l’intéressé une participation adéquate à une instance dont l’issue était déterminante pour le maintien ou la levée de sa détention, le système juridique grec en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 » (Kampanis, précité, § 58). La Cour estime que cette jurisprudence, confirmée dans les arrêts Kotsaridis c. Grèce (no 71498/01, 23 septembre 2004), Serifis c. Grèce (no 27695/03, 2 novembre 2006), Giosakis c. Grèce (no 1) (no 42778/05,12 février 2009) et Giosakis c. Grèce (no 2) (no 36205/06,12 février 2009) s’applique aussi dans le cas d’espèce. Par conséquent, en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 en l’espèce.

Lamy contre Belgique du 30/03/1989 Hudoc 99 requête 10444/83

Le requérant n'a pas accès à son dossier d'accusation pénale, durant la procédure:

"§29: La Cour constate que pendant les premiers jours de la détention, le conseil du requérant ne peut, en vertu de l'interprétation  jurisprudentielle de la loi, prendre connaissance d'aucun élément du dossier et notamment, des procès-verbaux dressés par le juge d'instruction et la police judiciaire de Verviers. Il en alla singulièrement ainsi au moment de la première comparution devant la chambre du Conseil appelée à se prononcer sur la confirmation du mandat d'arrêt. L'avocat n'avait pas la possibilité de réfuter utilement les déclarations ou considérations que le ministère public fondait sur ces pièces.

Tandis que le procureur du Roi avait connaissance de l'ensemble du dossier, la procédure suivie n'a pas offert au requérant la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier la détention préventive. Faute d'avoir garanti l'égalité des armes, elle n'a pas été réellement contradictoire. Il y a donc violation de l'article 5§4 de la Convention"

Bala contre Grèce du 1er/07/2010 Hudoc 99 requête 40876/07

Le requérant se plaint du refus de lui permettre de comparaître personnellement devant la chambre d’accusation de la cour d’appel pour réfuter les réquisitions du procureur tendant à son maintien en détention provisoire.

19.  Le Gouvernement souligne que la procédure pénale grecque est fondée sur le principe de la procédure écrite devant les chambres d’accusation. La procédure de levée de la détention provisoire ou de son replacement par la mise en liberté sous condition exige la comparution personnelle de l’accusé lorsque cette procédure est introduite non pas par l’accusé lui-même mais par le procureur. Par contre, lorsque cette procédure est engagée par l’accusé lui-même, comme dans le cas des articles 285 (recours contre un mandat de mise en détention provisoire), 286 § 2 (recours au juge d’instruction pendant l’instruction) et 291 (recours à la chambre d’accusation après renvoi en jugement) du code de procédure pénale, le droit d’être entendu est garanti par la requête écrite.

20.  Le Gouvernement soutient que le requérant, tant dans sa demande de comparution personnelle que dans celle tendant à la levée de la détention provisoire, avait exposé de manière détaillée tous ses arguments. Ceux-ci ne concernaient pas des questions de santé ou d’établissement des faits qui auraient pu, le cas échéant, rendre nécessaire sa comparution.

21.  Le Gouvernement prétend que le rôle du procureur n’est pas épuisé par la mise en mouvement de l’action publique. Pendant toute la procédure, le procureur a l’obligation de contribuer à la recherche de la vérité en dégageant les éléments qui fondent non seulement la culpabilité de l’accusé mais aussi son innocence. La présence physique du procureur au sein de la chambre d’accusation ne change rien au caractère écrit de sa proposition car il n’y a pas de plaidoirie ou développement oral de sa thèse mais simple référence formelle à la proposition écrite.

22.  Le requérant se prévaut de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Kampanis c. Grèce (du 13 juillet 1995, série A no 318–B) ainsi que de toute la jurisprudence en la matière concernant la Grèce suite à cet arrêt. Il souligne que dès le début de la procédure, le procureur lui était hostile car il a requalifié l’acte qui lui était reproché de contravention à délit.

23.  La Cour relève que le droit de comparution personnelle des parties devant la chambre d’accusation, consacré par l’article 309 § 2 du code de procédure pénale, est limité seulement aux cas dans lesquels celle-ci se prononce quant au fond de l’accusation. Selon la jurisprudence, la demande d’un accusé de comparaître personnellement, lors de l’examen de sa requête tendant à la levée de la détention provisoire ou au replacement de celle-ci par la mise en liberté sous condition, est irrecevable.

24.  En outre, la Cour note qu’il ressort de la décision 308/2007, que le procureur a développé oralement devant la chambre d’accusation sa proposition écrite. De plus, cette dernière a rejeté la demande du requérant, de manière succincte, en déclarant entériner la proposition du procureur afin d’éviter des répétitions inutiles. Le requérant n’étant ni présent ni représenté par son avocat.

25.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Kampanis, elle a estimé que « l’égalité des armes imposait d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions ». Elle a conclu que « faute d’offrir à l’intéressé une participation adéquate à une instance dont l’issue était déterminante pour le maintien ou la levée de sa détention, le système juridique grec en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 » (Kampanis c. Grèce, précité, p. 48, § 58). La Cour estime que cette jurisprudence, confirmée dans les arrêts Kotsaridis c. Grèce (no 71498/01, 23 septembre 2004), Serifis c. Grèce (no 27695/03, 2 novembre 2006), Giosakis c. Grèce (no 1) (no 42778/05,12 février 2009) et Giosakis c. Grèce (no 2) (no 36205/06,12 février 2009) s’applique aussi dans le cas d’espèce. Par conséquent, en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation de la cour d’appel a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 en l’espèce.

VECEK c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE du 21 février 2013 Requête no 3252/09

LE DROIT DE SAVOIR QUE LE PROCUREUR FAIT UN RECOURS CONTRE UNE DECISION DE MISE EN LIBERTE

59.  Tout d’abord, relevant que le 15 février 2008, le tribunal d’arrondissement a donné une issue favorable à la demande de mise en liberté du requérant, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur le grief tiré par ce dernier de l’impossibilité de consulter le dossier avant cette décision.

60.  La Cour observe ensuite que le procureur a formé contre la décision du 15 février 2008 un recours qui n’a pas été porté à la connaissance du requérant et de son avocat et qui a été accueilli par le tribunal municipal siégeant en l’absence du requérant, le 26 mars 2008.

61.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention exige que des informations essentielles pour apprécier la légalité de la détention d’une personne soient mises à la disposition de son avocat d’une manière adaptée à la situation ; la défense doit donc être au courant du dépôt d’observations du parquet et jouir d’une possibilité véritable de les commenter (Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, §§ 129 et 137, CEDH 2006‑III (extraits) ; Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, § 116, CEDH 2009). En l’espèce, admettant que le code de procédure pénale ne prévoyait pas l’obligation de notifier à l’inculpé un recours du procureur, le Gouvernement soutient que le tribunal a estimé que ce recours ne contenait pas de nouveaux éléments inconnus de la défense et qu’il n’était donc pas nécessaire de le lui envoyer (voir paragraphe 57). Or, la Cour constate qu’il ne ressort pas de la décision du 26 mars 2008 que le tribunal se serait livré à une telle analyse. Il apparaît en revanche de cette décision que, considérant pleinement justifié le recours du procureur concluant à la nécessité de maintenir le requérant en détention, le tribunal a suivi cet avis et infirmé la décision adoptée en premier ressort. La Cour ne peut que souligner ici le droit de l’inculpé, en tant que partie à la procédure, de se voir communiquer les conclusions du parquet – et, a fortiori, le recours même du parquet - afin de donner son avis sur la détention dans les mêmes conditions que ce dernier (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 59, 29 novembre 2011). Par ailleurs, on ne saurait compenser le manquement des autorités par le fait que, à la suite de sa demande, la défense a pu consulter le dossier le 7 mars 2008, alors qu’il n’est pas certain que le recours du procureur et sa motivation y figuraient à cette date.

62.  Le requérant se plaint également de ne pas avoir été entendu par le tribunal municipal statuant sur le recours du procureur. La Cour a déjà admis que, si le détenu a pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreint pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne porte atteinte au respect du principe de l’égalité des armes (Rahbar-Pagard c. Bulgarie, nos 45466/99 et 29903/02, § 67, 6 avril 2006 ; Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 150, 27 mai 2010 ; Altınok, précité, §§ 54-55). Il est vrai que, en l’espèce, le requérant a été entendu par le tribunal statuant sur sa demande en premier ressort et qu’aucune des parties n’a participé oralement à la procédure en appel devant le tribunal municipal. La Cour estime cependant que dans la situation où le requérant ne s’est pas vu notifier le recours du procureur contre la décision du 15 février 2008 qui lui était favorable, et où le tribunal municipal a infirmé ladite décision sans que l’intéressé puisse se prononcer sur ce recours, le respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire exigeait que le tribunal municipal procède à l’audition du requérant.

63.  La Cour souligne que, du fait de l’impossibilité pour la défense de se voir notifier le recours du procureur et d’y répondre, combinée avec l’absence d’audition du requérant par le tribunal municipal statuant sur ce recours au seul vu du dossier, la procédure devant ce tribunal s’est déroulée complètement à l’insu du requérant.

Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

LE DROIT D'ÊTRE ENTENDU PAR LE TRIBUNAL QUI STATUE SUR LA DÉTENTION DU DEMANDEUR

72.  La Cour rappelle que, si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les procès civils et pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question. En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et le détenu (Jurjevs c. Lettonie, no 70923/01, § 56, 15 juin 2006).

73.  La première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience contradictoire (Nikolova, précité, § 58 ; Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII ; Svipsta, précité, § 129). Étant donné que l’article 5 § 4 confère au détenu le droit de faire réexaminer la régularité de sa détention « à des intervalles raisonnables » (voir, parmi beaucoup d’autres, Jurjevs, précité, § 57), le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit, lui aussi, pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010 ; Mahmut Öz c. Turquie, no6840/08, § 45, 3 juillet 2012).

74.  En l’espèce, le requérant se plaint notamment de ne pas avoir pu prendre connaissance de l’avis formulé par le procureur au sujet de sa demande de mise en liberté du 24 octobre 2008, qui ne lui avait pas été notifié. La Cour ne perd pas de vue que, comme l’a souligné le Gouvernement, il ne s’agissait que d’une brève lettre d’accompagnement par laquelle le procureur transmettait la demande au tribunal, puisqu’il ne l’avait pas lui-même acceptée (voir paragraphe 29 ci-dessus). S’il est vrai que cette lettre ne contenait pas d’arguments du procureur visant à influencer la décision du tribunal, la Cour estime toutefois que sa notification au requérant aurait permis à ce dernier de savoir, dans l’intérêt du contradictoire, que le procureur n’avait pas accepté sa demande et que la procédure se déroulerait désormais devant le tribunal ; ainsi, il aurait pu, s’il le souhaitait, compléter ses arguments ou demander à être entendu. A cet égard, la Cour estime qu’il incombe aux autorités judiciaires d’organiser leurs procédures de telle sorte qu’elles satisfassent aux exigences procédurales énoncées à l’article 5 § 4, la Convention visant à garantir des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Or un tel objectif était aisé à atteindre en l’espèce. La Cour note dans ce contexte que, s’agissant de ses demandes de mise en liberté précédentes, le requérant a bien été informé par le procureur de leur transmission au tribunal (voir paragraphes 18 et 22 in fine ci-dessus).

75.  La Cour relève ensuite que non seulement le requérant n’a pas été informé de la transmission de sa demande de mise en liberté au tribunal d’arrondissement mais qu’en plus cette demande a été tranchée en son absence par ce tribunal. La juridiction de recours n’ayant pas non plus procédé à l’audition du requérant, ce dernier n’a eu aucune possibilité de s’exprimer devant les tribunaux. Il y a donc lieu de distinguer cette affaire de celles dans lesquelles la Cour admet que si le détenu a pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreint pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention (pour la jurisprudence, voir paragraphe 62 ci-dessus).

76.  La Cour rappelle avoir déjà admis que, le droit tchèque permettant à l’époque au détenu de former une nouvelle demande de mise en liberté quatorze jours après le rejet définitif de sa demande précédente, voire plus souvent s’il y faisait valoir de nouveaux motifs, l’exigence d’une audience lors de l’examen de chaque demande de mise en liberté pourrait entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale. Elle a ainsi estimé que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl, précité, § 85).

77.  En l’espèce, la dernière audition du requérant portant sur sa détention remontait au 7 mai 2008 (voir paragraphe 13 ci-dessus), alors que la demande de mise en liberté en question a été tranchée de nombreux mois après, à savoir le 5 novembre 2008 en premier ressort et le 17 décembre 2008 en appel. La Cour estime que lorsque la liberté personnelle est en cause, on ne saurait considérer une telle période comme « raisonnable » (voir, mutatis mutandis, Husák c. République tchèque, no 19970/04, § 43, 4 décembre 2008 ; Krejčíř, précité, § 119 ; Mahmut Öz, précité, § 45).

78.  La Cour ne peut par ailleurs souscrire à l’argument du Gouvernement selon lequel il incombait au requérant de demander à être entendu au sujet de sa demande de mise en liberté. Aux yeux de la Cour, le droit du détenu d’être entendu découle directement de l’article 5 § 4 de la Convention en ce qu’il fait partie des garanties de procédure appliquées en matière de privation de liberté (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, série A no 107 ; Graužinis c. Lituanie, no 37975/97, § 34, 10 octobre 2000). On ne saurait dès lors faire dépendre son existence ou sa mise en œuvre d’une demande expresse de l’intéressé.

79.  La Cour constate en outre que la législation en vigueur à l’époque prévoyait que le tribunal siège dans ces cas à huis clos sans audience (voir Knebl, précité, § 44) et ne contenait donc pas de disposition relative à une éventuelle audition du détenu. La Cour constitutionnelle tchèque a elle-même considéré que cet état de choses était contraire à la Constitution et à la Convention. Dans plusieurs décisions datées entre 2004 et 2008, elle s’est ainsi prononcée sur la nécessité d’entendre le détenu (voir Knebl, précité, §§ 47-51). De l’avis de la Cour, il ne ressort pas pour autant de ces décisions une obligation pour le détenu de demander systématiquement son audition. En revanche, si la Cour constitutionnelle semble faire la distinction entre la procédure relative au maintien en détention, où une audition personnelle du détenu est en principe garantie lorsque le tribunal décide d’un recours contre la décision du procureur, et la procédure relative à une demande de mise en liberté où une audition personnelle ne serait pas nécessaire tant que le détenu ne l’avait pas demandée, la Cour rappelle avoir déjà jugé que ces deux types de procédures appellent les mêmes garanties (voir Husák, précité, § 44).

80.  La Cour note enfin que les dispositions du code de procédure pénale ont été amendées au 1er janvier 2012, de sorte que la loi prévoit désormais la possibilité de tenir une audience de détention (voir paragraphe 46 ci‑dessus).

81.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, faute d’avoir offert au requérant une participation adéquate à la procédure sur sa demande de mise en liberté du 24 octobre 2008, dont l’issue était déterminante pour la poursuite de sa détention, les autorités internes l’ont privé d’un recours judiciaire conforme aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

82.  Eu égard à ce constat de violation de l’article 5 § 4, la Cour n’estime plus nécessaire de trancher la question de savoir si le requérant a demandé ou non l’accès à son dossier pendant la période de l’examen de sa demande du 24 octobre 2008.

LA JURISPRUDENCE FRANÇAISE

Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 20 août 2014, pourvoi n°14-83699, cassation sans renvoi

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 115 et 145-2 du code de procédure pénale ;

Vu lesdits articles, ensemble l'article 114 du même code ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que la détention provisoire ne peut être prolongée que par une ordonnance rendue après un débat contradictoire, l'avocat désigné par le mis en examen ayant été convoqué conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 114 du même code ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X..., mis en examen du chef de meurtre, a été placé en détention provisoire le 22 avril 2013 ; que, par déclaration au greffe de l'établissement pénitentiaire où il est détenu, il a désigné pour l'assister M. Y..., avocat, en remplacement de M. Z..., avocat précédemment désigné ; que cette déclaration a été transmise au juge d'instruction le 6 novembre 2013 ; que M. Z... a été convoqué le 12 mars 2014 devant le juge des libertés et de la détention en vue du débat préalable à une éventuelle prolongation de la détention provisoire du mis en examen devant se tenir le 8 avril 2014 ; qu'à l'issue de ce débat, au cours duquel celui-ci n'a été par aucun avocat, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation sollicitée ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure et confirmer cette décision, la chambre de l'instruction énonce notamment que M. Z..., avocat premier désigné, a été régulièrement convoqué au débat contradictoire et qu'il n'avait pas été régulièrement remplacé par M. Y...dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résulte des pièces de la procédure que M. Y..., valablement désigné comme avocat par le mis en examen en remplacement de M. Z..., n'a pas été convoqué au débat contradictoire, au cours duquel le mis en examen n'a pas été assisté, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

LE JUGE NE DOIT PAS ÊTRE SUSPECTÉ DE PARTIALITÉ

Fenech c. Malte du 30 mars 2021 requête no 19090/20

Article 5-4 : Les griefs soulevés par un suspect dans l’assassinat de Daphne Caruana Galizia sont déclarés partiellement irrecevables

L’affaire concerne les suites de l’arrestation en 2019 du requérant au motif qu’il était soupçonné d’être impliqué dans le meurtre de Daphne Caruana Galizia, une journaliste maltaise réputée qui fut assassinée en 2017. Elle porte, en particulier, sur la détention provisoire de l’intéressé pendant la période d’urgence sanitaire liée à la Covid, les précautions concernant son état de santé en tant que détenu (il a seulement un rein) et la procédure consécutive devant les autorités, notamment sa durée. La procédure est en cours. La Cour juge que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 3 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté) et de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés. La Cour estime qu’elle ne peut, sur la base du dossier, se prononcer sur la recevabilité des griefs du requérant tiré des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention concernant ses conditions de détention et le manquement allégué de l’État à protéger sa santé eu égard à la pandémie de Covid-19 ainsi qu’à sa vulnérabilité. Elle décide de les communiquer au Gouvernement maltais. La Cour, dès lors, à l’unanimité, décide d’ajourner l’examen des griefs du requérant tirés des articles 2 et 3 et déclare la requête irrecevable pour le surplus.

FAITS

Le requérant est un homme d’affaires et l’ancien dirigeant du groupe Tumas. Il fut arrêté le 20 novembre 2019, au motif qu’il était soupçonné d’être impliqué dans le meurtre de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia en octobre 2017. Le 30 novembre 2019, le requérant fut traduit en justice et accusé de promouvoir, d’organiser ou de financer une organisation dans le but de commettre une infraction pénale, ainsi que de complicité d’homicide volontaire. Le requérant plaida non coupable. Il fut placé en détention provisoire et il se trouve depuis lors détenu à la maison d’arrêt de Corradino. Les deux premières demandes de libération sous caution du requérant – présentées le 18 décembre 2019 et le 30 janvier 2020 –furent rejetées, au motif, entre autres, qu’il existait un risque de suppression des preuves et de perturbation du cours de la justice, d’autant plus qu’il existait de forts soupçons que certains des malfaiteurs complices de l’infraction n’aient pas encore été convoqués. Il était également à craindre que la libération du requérant ne donne lieu à des troubles de l’ordre public. À compter du 16 mars 2020, la procédure pénale fut interrompue en raison des mesures d’urgence prises dans le cadre de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Ces faits entraînèrent l’introduction par le requérant, le 1er avril 2020, d’une requête alléguant une détention irrégulière, ainsi que d’une nouvelle demande de libération sous caution le 6 avril 2020. L’intéressé soutenait que la décision de suspendre toutes les procédures pénales jusqu’à une date non précisée s’analysait en une suspension illimitée, signifiant qu’il ne pourrait pas être jugé dans un délai raisonnable. Selon lui, cette situation, conjuguée à l’absence de toute certitude, précision ou prévisibilité quant au moment où les juridictions pourraient rouvrir, signifiait que son maintien en détention était dépourvu de toute base légale et rendait sa détention irrégulière. Les deux requêtes furent rejetées par le tribunal pénal. Le 8 avril 2020, le requérant introduisit une demande de reprise de la procédure. Le tribunal pénal considéra que, la procédure étant encore au stade de l’enquête, des règles de procédure strictes impliquaient qu’il y aurait trop de personnes dans la salle d’audience, dans un espace confiné, pendant une durée considérable, et que le risque de contagion, y compris pour le requérant lui même, était trop important. Il rejeta donc la demande du requérant. Par la suite, le 16 avril 2020, le requérant présenta une quatrième demande de libération sous caution, soulevant à nouveau la question de la suspension de la procédure judiciaire qui, selon lui, conjuguée aux risques de contracter la Covid-19 pendant son incarcération, violait son droit à la vie et son droit de ne pas subir de mauvais traitements. En particulier, il releva que sa situation médicale – la perte antérieure d’un rein – le mettant en danger de façon importante quant à sa santé et à ses chances de survie s’il venait à contracter la Covid-19. La demande de libération sous caution fut rejetée le 21 avril 2020. Néanmoins, compte tenu de sa situation médicale, le tribunal pénal ordonna qu’une attention particulière soit portée aux besoins médicaux du requérant. Le 1 er mai 2020, le requérant engagea une procédure constitutionnelle, en vue de faire déclarer des violations de l’article 5 de la Convention, et pria le tribunal civil (dans le cadre de sa compétence constitutionnelle) de le libérer. Entre-temps, le 19 mai 2020, le tribunal pénal autorisa la poursuite de la procédure. Par un jugement du 29 mai 2020, le tribunal civil constata une violation des droits du requérant au titre de l’article 5 et ordonna la levée de la suspension. De l’avis de cette juridiction, il n’aurait pas dû être laissé aux tribunaux le soin de déterminer si des considérations de santé publique l’emportaient sur les droits fondamentaux des personnes accusées, et si l’environnement du tribunal était suffisamment sûr et, dans la négative, quelles mesures il conviendrait de prendre pour remédier à la situation. Le tribunal jugea que, compte tenu du fait que le Président de Malte n’avait pas émis de proclamation en vertu de la Constitution, les mesures de santé publique avaient été introduites en vertu de la loi sur la santé publique, et que l’avis juridique ne saurait prévaloir sur les droits fondamentaux. Ainsi, la suspension de la procédure de rassemblement des preuves en ce qui concerne les personnes détenues avait été contraire à l’article 5 de la Convention et à son pendant dans la Constitution. La procédure pénale contre le requérant reprit le 1 er juin 2020. Le 23 novembre 2020, à la suite d’un recours du procureur d’État, la Cour constitutionnelle annula le jugement du tribunal civil. Elle jugea que le requérant n’avait pas été détenu pour une durée illimitée. Les juridictions avaient bénéficié d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de poursuivre ou non la procédure et statuer sur les demandes de libération sous caution. Sur cette base, les demandes de libération sous caution présentées par le requérant lorsque les tribunaux étaient fermés avaient toutes été examinées individuellement et tranchées par des juges. En outre, le tribunal pénal avait levé la suspension le 19 mai 2020 et la procédure du requérant avait repris alors que les tribunaux étaient toujours fermés. De plus, l’état d’urgence sanitaire avait été légitimement déclaré par le Surintendant de la Santé publique. Il n’appartenait pas à la Cour constitutionnelle de dire si la législation représentait la meilleure solution pour faire face au problème ou si le pouvoir discrétionnaire du législateur aurait dû être exercé d’une autre manière. Les mesures avaient été mises en place dans des circonstances exceptionnelles et avaient été en vigueur pendant moins de trois mois. Elles avaient donc été temporaires et à caractère limité. En outre, les mesures avaient été mises en place sur la base des connaissances scientifiques disponibles à l’époque et n’avaient donc pas été arbitraires. Elles avaient par conséquent été légitimes, nécessaires et proportionnées, et la détention du requérant ne pouvait être considérée comme arbitraire ou d’une durée illimitée. On ne saurait davantage affirmer que le requérant n’avait disposé d’aucun recours concernant sa détention.

Articles 2 et 3

Dans ses observations, le requérant décrit des conditions de détention qu’il qualifie de contraires à la Convention, à savoir, notamment, des périodes d’isolement cellulaire, des conditions insalubres et exiguës, l’absence de vêtements propres et chauds et l’exercice physique très limité. Il met en évidence le risque pour sa vie en raison de la pandémie de Covid-19 ainsi que de sa vulnérabilité. La Cour considère qu’elle ne peut, sur la base du dossier, se prononcer sur la recevabilité de ces griefs. Elle décide, dès lors, de les communiquer au Gouvernement maltais.

Article 5 §§ 1 c) et 3

La Cour relève d’emblée qu’il n’est pas contesté que la détention du requérant était fondée sur des « raisons plausibles de soupçonner » que l’intéressé avait commis les infractions qui lui étaient reprochées. La Cour considère que le fait que la procédure ait été suspendue sans date de reprise fixée en raison des mesures d’urgence ordonnées dans le contexte de la pandémie de Covid-19 ne signifie pas que l’accusation n’ait pas eu l’intention de traduire le requérant devant l’autorité judiciaire compétente. En outre, la Cour observe que la suspension n’a pas dépassé trois mois. La détention du requérant relevait du code pénal et non des avis juridiques litigieux. De plus, la Cour relève qu’une décision a été prise rapidement par les juridictions internes sur chacune des quatre demandes de libération sous caution présentées par le requérant au cours de ses quatre premiers mois et demi de détention au motif qu’il était soupçonné de meurtre, deux de ces décisions ayant même été prises alors que les juridictions étaient fermées. Les juridictions ont statué dans des décisions détaillées étayant les différents motifs justifiant le maintien du requérant en détention. Quant à la question de savoir si les autorités ont agi avec la diligence requise, la Cour note que le requérant n’a pas fait état de manquements, de retards ou d’omissions dans le chef des autorités, sauf concernant le moment où la procédure fut suspendue en raison des mesures d’urgence. Cette suspension temporaire était due aux circonstances exceptionnelles entourant une pandémie mondiale qui, comme l’a jugé la Cour constitutionnelle, ont justifié de telles mesures légales dans l’intérêt de la santé publique, ainsi que dans celui du requérant. Il s’ensuit que l’on ne saurait dire qu’il a été manqué au devoir d’agir avec une diligence particulière. La Cour conclut donc que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté.

Articles 5 § 4

La Cour relève que la requête déposée par le requérant le 1er avril 2020 a reposé principalement sur l’introduction des mesures d’urgence ayant suspendu l’instance de renvoi en jugement, une situation qui, selon l’intéressé, aurait rendu sa détention irrégulière. La juridiction interne a jugé que la demande du requérant avait été prématurée ou, en tout état de cause, mal fondée, compte tenu de l’accès qu’il avait eu aux tribunaux, et elle a conclu que sa détention ne pouvait être jugée comme irrégulière pour ce motif. La Cour estime que la décision de la juridiction interne n’a pas été arbitraire et qu’elle n’a pas négligé les déclarations du requérant ou leur base factuelle. En outre, le tribunal pénal a constaté la régularité de la détention du requérant. La Cour conclut donc que la décision du tribunal pénal a suffisamment examiné le grief du requérant, fondé sur les arguments à l’appui de sa demande de libération sous caution, et qu’elle est même allée au-delà en couvrant des questions de nature matérielle et procédurale non soulevées par le requérant. La Cour juge que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté.

Article 6 § 1

La Cour relève que la procédure a duré seize mois à ce jour, une durée qui, compte tenu de la complexité de l’affaire, ne peut être considérée comme déraisonnable. En outre, le requérant n’a pas fait état de manquements, de retards ou d’omissions dans le chef des autorités, sauf à partir du moment où la procédure fut suspendue en raison des mesures d’urgence. Rien n’indique que la procédure ne se poursuit pas activement. On ne saurait donc reprocher aux autorités leur comportement. Le fait qu’aucune audience n’ait été tenue dans le cadre de la procédure d’inculpation pendant une période d’environ trois mois – au cours de laquelle l’activité judiciaire a été bloquée en raison d’une pandémie mondiale – n’affecte pas cette conclusion. On ne saurait dire non plus que les mesures d’urgence ont porté atteinte à l’essence du droit d’accès du requérant à un tribunal. La Cour juge donc que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté. La Cour, à l’unanimité, décide d’ajourner l’examen des griefs du requérant tirés des articles 2 et 3 de la Convention et déclare la requête irrecevable pour le surplus.

D.N contre Suisse du 29/03/2001 Hudoc 2478 requête 27154/95

La requérante se plaint que le médecin qui a décidé de son internement soit aussi l'expert psychiatrique et aussi le juge rapporteur au sein de la Commission des recours administratifs; une légitime suspicion d'impartialité de la Commission des recours administratifs, est née du cumul des fonctions du médecin:

"§55: Les appréhensions de la requérante pouvaient  qu'être renforcées par la position occupée par R.W au sein de la Commission des recours administratifs où il était à la fois le seul expert psychiatrique et l'unique personne à avoir entendu la requérante. Celle-ci pouvait légitimement craindre que l'avis de R.W pesât d'un poids particulier dans la prise de décision.

§56: la Cour estime que, considérées globalement, ces circonstances sont objectivement de nature à justifier les craintes nourries par la requérante quant à l'impartialité de R.W siégeant comme juge au sein de la Commission des recours administratifs.

§57: En conséquence, il y a eu en l'espèce violation de l'article 5§4 de la Convention"

RECOURS INTRODUITS A BREF DÉLAI

R.R. et autres c. Hongrie du 2 mars 2021 requête n° 36037/17

Article 5-4 : Plusieurs violations des droits d’une famille de demandeurs d’asile pendant leur séjour dans la zone de transit de Röszke

L’affaire concerne le confinement des requérants dans la zone de transit de Röszke, près de la frontière avec la Serbie, en avril-août 2017. La Cour juge, en particulier, que la privation de nourriture dont a fait l’objet R.R. et les conditions de séjour des autres requérants (une femme enceinte et des enfants) ont emporté violation de l’article 3. Elle estime également que le séjour des requérants dans la zone de transit s’analyse en une privation de liberté de fait et que l’absence de toute décision formelle des autorités ainsi que de toute procédure dans le cadre de laquelle il aurait pu être statué à bref délai par un tribunal sur la légalité de leur détention a conduit à des violations de l’article 5.

FAITS

Les requérants, R.R., S.H., M.H., R.H. et A.R., sont un ressortissant iranien et quatre ressortissants afghans respectivement. Ils forment une famille de cinq personnes. Arrivés en Hongrie en 2017, ils demandèrent l’asile dans ce pays. Le 19 avril 2017, l’Office de l’immigration et de l’asile ordonna que les requérants soient logés dans la zone de transit de Röszke. Ils furent logés ensemble dans un conteneur de 13 m², avec des lits superposés sans garde-corps. Selon les requérants, il y faisait extrêmement chaud et la ventilation était mauvaise en été. Il y avait un espace commun dans le quartier familial et certaines activités limitées étaient proposées. Le 29 juin 2017, les requérants furent placés dans un quartier d’isolement à l’intérieur de la zone de transit, au motif que la mère et les enfants requérants avaient l’hépatite B. Là, ils n’avaient pas de lit pour bébé. Il n’y avait pas de réfrigérateur partagé ou de machine à laver, et aucune activité pour les enfants, qui ne reçurent que du sable pour jouer. Selon le gouvernement, les enfants requérants reçurent trois repas, un fruit et des produits laitiers ; cependant, les requérants soutiennent que la nourriture était insuffisante pour les enfants et que la mère ne reçut pas de vêtements de maternité. Les requérants reçurent des soins médicaux de base, y compris des extractions vers l’hôpital, mais aucun traitement psychiatrique. Selon les requérants, des gardiens de sexe masculin étaient présents même lors des examens gynécologiques.

En raison du fait qu’il demandait l’asile pour la troisième fois, R.R. n’était pas en droit de se voir fournir de la nourriture par les autorités, mais les autorités indiquent qu’on ne le laissa pas mourir de faim et qu’il aurait pu recevoir de la nourriture des ONG ou en acheter. Après examen de leur demande, les requérant obtinrent une autorisation d’entrée et de séjour temporaire en Hongrie. Le 25 août 2017, ils partirent en Allemagne, où ils se virent par la suite accorder la protection internationale.

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants)

La Cour rappelle que la rétention de mineurs soulève des questions particulières car les enfants, qu’ils soient accompagnés ou non, sont extrêmement vulnérables et ont des besoins spécifiques. La Cour rappelle également qu’il ne peut être tiré de l’article 3 un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie. Dans l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie (n° 47287/15), la Grande Chambre de la Cour a examiné les conditions de vie de demandeurs d’asile adultes dans la zone de transit de Röszke. Tenant compte, en particulier, des conditions matérielles satisfaisantes dans la zone, de la relative brièveté de la durée du séjour des requérants (23 jours) et de la possibilité qui leur était offerte d’avoir des contacts avec d’autres demandeurs d’asile, des représentants du HCR, des ONG et un avocat, elle a conclu que les conditions dans lesquelles les requérants avaient passé 23 jours dans la zone de transit n’avaient pas atteint le seuil requis par l’article 3. Dans la présente affaire, cependant, la Cour considère que la situation des requérants était caractérisée par le statut du premier requérant qui avait déposé plusieurs demandes d’asile, par le jeune âge des enfants requérants, ainsi que par la grossesse et l’état de santé de la mère requérante. En particulier, R.R. n’avait pas eu un accès adéquat à la nourriture. L’intéressé ayant déposé plusieurs demandes d’asile, le gouvernement avait pu en principe décider de limiter ou même de lui retirer le bénéfice de l’aide matérielle. Pareille décision, toutefois, aurait dû préciser les motifs du retrait ou de la limitation et prendre en considération le principe de proportionnalité. Or la Cour n’a pas connaissance d’une telle décision. La Cour observe, en particulier, que le requérant ne pouvait quitter la zone, sauf à renoncer à sa demande d’asile, et qu’il dépendait donc totalement des autorités hongroises. Dans l’ensemble, les autorités n’ont pas suffisamment apprécié la situation de R.R. avant de le priver de nourriture, ce qui a emporté violation de ses droits. La Cour note que les États sont tenus de prendre en compte la situation spécifique des mineurs et des femmes enceintes. Cependant, aucune appréciation individualisée des besoins des requérants n’a été faite dans la présente affaire. La Cour relève, notamment, la chaleur et le manque de ventilation dans le lieu d’hébergement des requérants pendant une grande partie de leur séjour. Elle observe que les lits n’étaient pas adaptés pour des enfants et que, pendant une partie de leur séjour, lorsqu’ils se sont trouvés dans le quartier d’isolement, ces derniers n’avaient eu accès à aucune activité. La Cour relève également l’absence de soins médicaux et psychiatriques adéquats, la présence d’agents de sexe masculin lors des examens gynécologiques et les contrôles de sécurité constants. Par conséquent, compte tenu du jeune âge des enfants requérants, de la grossesse et de l’état de santé de la mère requérante, ainsi que de la durée du séjour des requérants dans ces conditions dans la zone de transit, la Cour estime que la situation dénoncée a soumis les enfants requérants et la mère requérante à un traitement contraire à la Convention. Il y a donc eu violation de l’article 3 en ce qui concerne ces requérants.

Article 5 §§ 1 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté / droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention)

Contrairement à l’affaire Ilias et Ahmed, la Cour estime que, eu égard notamment à l’absence de dispositions juridiques internes fixant une durée maximale au séjour des requérants dans la zone de transit, à la durée excessive de ce séjour et aux retards considérables accusés dans l’examen par les autorités internes des demandes d’asile des intéressés, ainsi que des conditions dans lesquelles ils se sont trouvés maintenus pendant toute la période pertinente, le séjour des requérants dans la zone de transit s’analyse en une privation de liberté de fait. L’article 5 § 1 est donc jugé applicable. Selon le Gouvernement, le droit pertinent (article 80/J de la loi relative à l’asile) disposait que les demandes d’asile ne pouvaient être déposées – sauf à quelques exceptions près – que depuis la zone de transit, et que les demandeurs d’asile étaient tenus d’attendre dans cette zone jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été prise quant à leur demande d’asile. Toutefois, la Cour estime qu’en l’absence de toute décision formelle des autorités, et sur la seule base d’une interprétation trop large d’une disposition générale du droit interne, l’on ne saurait considérer que la détention des requérants était régulière. Par conséquent, elle conclut que, dans le cas présent, il n’existait pas de base légale strictement définie autorisant la détention des requérants. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour estime qu’il n’y a eu qu’une décision de facto de maintenir les requérants dans la zone et qu’il n’a pas été établi que les intéressés auraient pu solliciter un contrôle juridictionnel de leur détention dans la zone de transit. La Cour conclut qu’il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

O.S.A. ET AUTRES c. GRÈCE du 21 mars 2019 requête 39065/16

Violation de l'article 5-4 : Accord UE-Turquie pour l'accueil des migrants en Grèce puis renvoyés en Turquie :

Les requérants détenus au centre Vial sur l’île de Chios ne pouvaient recourir contre les décisions ordonnant leur expulsion pour trois causes, une brochure explicative rédigée en grec et non dans la langue des requérants, pas de désignation précise de l'avocat, pas d'avocat pour les assister.

LES FAITS

"6. Le 20 mars 2016, la « Déclaration UE-Turquie », a commencé à produire ses effets. Elle prévoit, sous certaines conditions, le renvoi des migrants en situation irrégulière de la Grèce vers la Turquie.

7. Le 21 mars 2016, les quatre requérants arrivèrent sur l’île de Chios avec leurs familles respectives. Ils furent arrêtés et placés dans le hotspot Vial (centre d’accueil, d’identification et d’enregistrement des migrants installé dans une usine désaffectée connue sous son acronyme VIAL – « le centre Vial »)."

La motivation au sens de l'article 5-4 :

"53. La Cour note à cet égard, en premier lieu, que les requérants, des ressortissants afghans, ne comprenaient que le farsi. Or ces décisions, qui indiquaient la possibilité d’introduire des recours, étaient rédigées en grec. En outre, à supposer même qu’ils eussent reçu la brochure d’information mentionnée par le Gouvernement, il n’est pas certain que les requérants, n’étant assistés par aucun avocat dans le centre Vial, avaient suffisamment de connaissances juridiques pour comprendre le contenu de ladite brochure, et notamment tout ce qui avait trait aux différentes possibilités de recours qui leur étaient offertes par le droit interne pertinent en l’espèce. La Cour note en deuxième lieu que la brochure se réfère de manière générale à un tribunal administratif sans préciser lequel : sur ce point, force est de constater qu’il n’y a pas de tribunal administratif sur l’île de Chios, où les requérants étaient détenus, et qu’il y en a un seulement sur l’île de Lesbos.

56. La Cour constate en troisième lieu que les requérants n’ont pas été représentés par un avocat d’une ONG présente au sein du centre. Elle relève que le Gouvernement ne donne aucune précision sur les modalités d’octroi de l’assistance juridique et, surtout, qu’il ne précise pas si le nombre d’avocats et les moyens financiers des ONG étaient suffisants pour couvrir les besoins de l’ensemble de la population du centre Vial, qui, à l’époque de la détention des requérants, était de plus d’un millier de personnes. À cet égard, elle note que le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés a constaté que, du 20 mars au 19 avril 2016, il n’y avait pas eu d’assistance judiciaire gratuite dans les points d’entrée sur le territoire grec des demandeurs d’asile, qu’une assistance judiciaire limitée et une représentation gratuite étaient fournies par quelques ONG, mais que celles‑ci étaient insuffisantes pour couvrir tous les besoins."

CEDH

46. Le Gouvernement réitère pour l’essentiel ses arguments exposés au sujet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, notamment en ce qui concerne la formulation d’objections quant à la détention (paragraphes 27-30 ci-dessus). Il ajoute que l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié par la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, et que depuis cette dernière date le juge administratif a expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes placées sous écrou en vue de leur expulsion.

47. Il plaide en outre que les requérants ont été informés des raisons de leur détention. Il déclare que le personnel du service d’accueil et d’identification ainsi que le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont tenus d’informer les nouveaux arrivants dans les hotspots de leurs droits et obligations et de leur indiquer comment accéder à la procédure d’asile.

48. Le Gouvernement ajoute que les requérants avaient la possibilité d’avoir accès à une assistance juridique. Il argue que les décisions du 24 mars 2016 ordonnant la détention des requérants mentionnaient la possibilité d’émettre des objections quant à la détention et que les intéressés en ont reçu notification le jour même de leur adoption.

49. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

50. En l’espèce, la Cour note, tout d’abord, que, s’agissant des objections qu’un étranger peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait, jusqu’au 1er janvier 2011, que le juge compétent pouvait examiner la décision relative à la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 3900/2010, soit depuis le 1er janvier 2011, cette disposition, qui a été modifiée par ce texte, prévoit que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation ». Il ressort de cette nouvelle formulation que le juge compétent peut dorénavant examiner la légalité du renvoi ainsi que les questions afférentes aux conditions matérielles de la détention de la personne en voie d’expulsion, puisque la loi pertinente prévoit maintenant explicitement l’examen de la légalité de la détention.

51. La Cour rappelle avoir déjà considéré, dans plusieurs affaires contre la Grèce, que la modification de l’article 76 de la loi no 3386/2005 et l’existence d’une jurisprudence récente des tribunaux internes qui, dans certains cas, examinent de manière approfondie la légalité de la détention d’étrangers en voie d’expulsion et ordonnent, le cas échéant, leur mise en liberté, vont dans le sens du renforcement des garanties dont doivent bénéficier les détenus étrangers en voie d’expulsion (voir, parmi d’autres, R.T. c. Grèce, no 5124/11, § 98, 11 février 2016, et A.Y. c. Grèce, no 58399/11, §§ 94-96, 5 novembre 2015). Il s’ensuit qu’en principe le droit interne prévoit un recours à travers duquel la mise en détention en vue de l’expulsion peut être contestée de manière effective.

52. Toutefois, la Cour doit aussi se pencher sur les circonstances particulières de la présente affaire pour évaluer l’effectivité et l’accessibilité dans la pratique du recours précité. En effet, la question qui se pose en l’espèce est de savoir si les requérants auraient pu introduire sans entraves un recours fondé sur l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, et ce dès le 24 mars 2016, date de l’adoption des décisions ordonnant leur expulsion et la prolongation de leur détention.

53. La Cour note à cet égard, en premier lieu, que les requérants, des ressortissants afghans, ne comprenaient que le farsi. Or ces décisions, qui indiquaient la possibilité d’introduire des recours, étaient rédigées en grec. En outre, à supposer même qu’ils eussent reçu la brochure d’information mentionnée par le Gouvernement, il n’est pas certain que les requérants, n’étant assistés par aucun avocat dans le centre Vial, avaient suffisamment de connaissances juridiques pour comprendre le contenu de ladite brochure, et notamment tout ce qui avait trait aux différentes possibilités de recours qui leur étaient offertes par le droit interne pertinent en l’espèce. La Cour note en deuxième lieu que la brochure se réfère de manière générale à un tribunal administratif sans préciser lequel : sur ce point, force est de constater qu’il n’y a pas de tribunal administratif sur l’île de Chios, où les requérants étaient détenus, et qu’il y en a un seulement sur l’île de Lesbos.

54. La Cour rappelle à cet égard que, dans l’arrêt J.R. et autres (précité, §§ 121-124), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 2 de la Convention en raison notamment de la circonstance que, à l’époque des faits, les informations contenues dans la brochure en question ne pouvaient s’analyser en une information dans un langage simple et accessible pour les requérants, sur les raisons juridiques et factuelles de leur privation de liberté, à même de permettre à ceux-ci d’en discuter la légalité devant un tribunal en vertu de l’article 5 § 4 de la Convention.

55. La Cour observe que les difficultés pour les personnes détenues dans le centre Vial de formuler des objections contre leur privation de liberté ont également été relevées par le Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, qui a fait état de l’absence de tribunal administratif sur l’île de Chios (paragraphe 26 ci‑dessus).

56. La Cour constate en troisième lieu que les requérants n’ont pas été représentés par un avocat d’une ONG présente au sein du centre. Elle relève que le Gouvernement ne donne aucune précision sur les modalités d’octroi de l’assistance juridique et, surtout, qu’il ne précise pas si le nombre d’avocats et les moyens financiers des ONG étaient suffisants pour couvrir les besoins de l’ensemble de la population du centre Vial, qui, à l’époque de la détention des requérants, était de plus d’un millier de personnes. À cet égard, elle note que le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés a constaté que, du 20 mars au 19 avril 2016, il n’y avait pas eu d’assistance judiciaire gratuite dans les points d’entrée sur le territoire grec des demandeurs d’asile, qu’une assistance judiciaire limitée et une représentation gratuite étaient fournies par quelques ONG, mais que celles‑ci étaient insuffisantes pour couvrir tous les besoins. Quant au Conseil hellénique pour les réfugiés, il a constaté la présence de deux avocats, fin mars 2016, l’un travaillant pour l’ONG Metadrasi et l’autre pour l’ONG Praksis. Selon lui, ces avocats assistaient surtout les mineurs non accompagnés. L’accès limité à des conseils juridiques a aussi été relevé par Human Rights Watch dans son rapport établi à la suite de sa visite des 7 et 8 avril 2016 (paragraphe 26 ci-dessus).

57. Partant, à supposer même que les recours précités eussent été effectifs, la Cour ne voit pas comment les intéressés auraient pu les exercer. Elle considère que, dans les circonstances de l’espèce, les requérants n’avaient pas accès aux recours en cause.

58. Par conséquent, la Cour rejette la première branche de l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non‑épuisement des voies de recours internes et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

RODIONOV c. RUSSIE du 11 décembre 2018 requête n° 9106/09

Violation de l'article 5-4 : le requérant est en détention avant jugement. Des délais de 42 jours pour examiner la demande de libération en première instance puis un délai de 48 jours en appel sont deux délais non raisonnables.

a) Quant à savoir s’il a été statué à bref délai sur la demande d’élargissement introduite par le requérant le 6 août 2008

131. La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III).

132. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduisait une demande d’élargissement. C’est pourquoi la Cour a admis que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention, qu’il s’agisse de la procédure relative au maintien en détention ou de celle relative à une demande d’élargissement, doit, lui aussi, pouvoir être exercé « à des intervalles raisonnables » (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010).

133. Le caractère « raisonnable » des intervalles dépend du contexte de l’affaire et du type de privation de liberté (voir, pour un bref résumé de la jurisprudence en la matière, Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, §§ 211‑215, 2 octobre 2012). Dans le contexte de la privation de la liberté sur le terrain de l’article 5 § 1 c) de la Convention, la Cour a souligné que pareille détention étant obligatoirement d’une durée strictement limitée, les contrôles périodiques ne doivent être séparés que par de brefs intervalles (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, §§ 21‑22, série A no 164). Dans l’arrêt Bezicheri, précité, elle a estimé que les instances nationales devaient examiner une nouvelle demande d’élargissement déposée par le requérant un mois seulement après la précédente et que pareille introduction n’était pas déraisonnable de la part de l’intéressé (idem, § 21 in fine). Dans l’arrêt Sulaoja c. Estonie (no 55939/00, § 69, 15 février 2005), elle n’a pas non plus trouvé déraisonnable de la part du requérant d’avoir soumis une demande de libération vingt et un jours après l’adoption de la décision préalable portant sur son maintien en détention.

134. En l’espèce, la Cour relève que, le 6 août 2008, le requérant a soumis une demande d’élargissement (paragraphe 30 ci-dessus). Le dernier contrôle de la régularité de sa détention préalable à l’introduction de ladite demande remontant au 24 juin 2008 (paragraphe 28 ci-dessus), le laps de temps qui s’est écoulé entre les deux événements était de quarante‑deux jours. À la lumière de la jurisprudence citée au paragraphe 133 ci‑dessus, la Cour estime que le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la légalité de sa détention soit réexaminée et que, par conséquent, il pouvait soumettre une demande dans ce sens, d’autant plus qu’elle était motivée par l’apparition d’un nouvel élément dans le déroulement de la procédure pénale, à savoir le fait que l’accusation avait terminé de présenter les preuves à charge.

135. La Cour note ensuite que cette pétition a été effectivement examinée par le tribunal de première instance le 18 septembre 2008 (paragraphe 31 ci-dessus), soit quarante-deux jours après son introduction. Elle rappelle que, dans l’arrêt Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, §§ 85‑86, CEDH 2000‑XII), la Cour a conclu que le délai de vingt-trois jours séparant l’introduction d’une demande d’élargissement et son examen par un tribunal ne pouvait pas être considéré comme « bref » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle estime que, dans la présente cause, le délai de quarante‑deux jours n’est pas non plus compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention en l’espèce.

b) Quant à savoir s’il a été statué à bref délai sur l’appel formé par le requérant contre la décision du 18 septembre 2008

136. La Cour note que, le 23 septembre 2008, le requérant a interjeté appel de la décision du 18 septembre 2008 et que cet appel a été rejeté le 11 novembre 2008 (paragraphes 32 et 34 ci‑dessus). Elle constate que la durée d’examen de l’appel a donc duré quarante-huit jours. Elle note que le Gouvernement n’a présenté aucun motif susceptible de justifier ce délai et que rien ne démontre non plus que ce délai puisse être attribué au requérant. La Cour considère, par conséquent, que le laps de temps écoulé n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai. À titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Shcherbakov c. Russie (no 2) (no 34959/07, § 101, 24 octobre 2013) et Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention pour des durées de trente-quatre jours et de vingt jours respectivement. Partant, il y a eu violation de cette même disposition en l’espèce.

Pouliou c. Grèce du 8 mars 2018 requête n° 39726/10

Le juge national n’a pas statué à bref délai en rendant sa décision 35 jours après une demande de mise en liberté

Violation de l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) de la Convention européenne des droits de l’homme. L’affaire concerne le placement en détention provisoire de Mme Pouliou, avocate de profession, au motif qu’elle était soupçonnée de faire partie d’une organisation criminelle impliquée dans plusieurs crimes commis entre 2008 et 2009. La Cour juge en particulier que le laps de temps écoulé entre la demande de mise en liberté sous condition de Mme Pouliou et la décision de rejet du juge d’instruction – à savoir 35 jours – n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention

LA CEDH

ARTICLE 5-3 : NON ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS

25. Elle (la CEDH) note que, d’après le Gouvernement, la détention de la requérante était légale et parfaitement motivée. Elle note encore que, toujours selon le Gouvernement, il ne peut, d’après l’article 287 du code de procédure pénale, y avoir prolongation de la détention provisoire qu’après l’écoulement d’un délai d’un an à compter du placement en détention. Le rejet de la demande de remise en liberté de la requérante par le juge d’instruction le 9 décembre 2009, soit à un moment où l’instruction était encore en cours et où le premier délai de six mois (mentionné dans l’article 287) n’était pas encore écoulé, ne constituerait pas une prolongation de la détention. Aux dires du Gouvernement, une telle prolongation aurait exigé l’adoption d’une décision motivée et le constat de la réunion des circonstances exceptionnelles, conformément au paragraphe 2 de l’article 287. La chambre d’accusation aurait considéré que les conditions pour maintenir la requérante en détention n’étaient plus réunies non parce que la détention n’était pas légale mais parce que ces conditions avaient été modifiées par la loi.

26. La requérante soutient quant à elle que la décision du juge d’instruction n’était aucunement motivée, qu’elle renvoyait à la proposition du procureur – qui n’aurait, elle non plus, contenu aucune indication quant au risque de commission de nouvelles infractions – et qu’elle se serait référée de manière générale aux infractions commises par tous les coaccusés. La requérante indique que cette décision a été prise le 9 décembre 2009, date à laquelle le Parlement a voté la loi no 3811/2009 dont le contenu aurait été connu depuis le 20 novembre 2009 et accessible sur Internet. Elle précise que le rapport explicatif de la loi était déjà publié le 25 novembre 2009, et que le juge d’instruction a rejeté la demande en sachant que, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, elle-même serait remise en liberté car son maintien en détention ne serait plus permis. L’intéressée ajoute que, à partir du 18 décembre 2009, tant le juge d’instruction que la chambre d’accusation avaient l’obligation d’appliquer d’office la loi no 3811/2009 et d’autoriser son élargissement.

27. La Cour relève d’emblée que, dans la présente affaire, la période visée par l’article 5 § 3 de la Convention a commencé le 22 juillet 2009, date du placement en détention provisoire de la requérante, et qu’elle a pris fin le 15 janvier 2010, avec la décision d’élargissement prise par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes. Cette période a donc duré cinq mois et vingt-quatre jours.

28. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 de la Convention consacre un droit fondamental de l’homme : la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires par l’Etat à sa liberté. Elle réitère que la substance même du paragraphe 3 de cette disposition est le droit de rester libre dans l’attente d’un procès pénal. Cette disposition ne peut pas être comprise comme offrant aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et une mise en liberté provisoire, fût-elle subordonnée à des garanties. L’objet de l’article 5 § 3 est essentiellement d’imposer la mise en liberté provisoire à partir du moment où le maintien en détention cesse d’être raisonnable. Dans cette perspective, la Cour considère que la détention provisoire doit apparaître comme la solution ultime qui se justifie seulement lorsque toutes les autres options disponibles se sont révélées insuffisantes. La Cour renvoie à ce sujet à la dernière phrase de l’article 5 § 3 de la Convention, dont il résulte que la libération provisoire de l’accusé doit être ordonnée s’il est possible d’obtenir de lui des garanties assurant sa comparution à l’audience lorsque la détention n’est plus justifiée que par le risque de le voir s’y soustraire par la fuite. Lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur le caractère raisonnable d’une détention au titre de l’article 5 § 1 c), les autorités compétentes ont l’obligation de rechercher s’il n’existe pas de mesures alternatives à la poursuite de la détention (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 140, CEDH 2012; Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, § 50, 2 juillet 2009 et Lelièvre c. Belgique, no 11287/03, § 97, 8 novembre 2007).

29. En l’espèce, la Cour estime utile de rappeler l’essence des dispositions qui règlent la durée de la détention provisoire, le maintien de celle-ci et sa prolongation dans des cas exceptionnels. Ainsi, conformément à l’article 287 § 1 du code de procédure pénale, la détention provisoire peut durer jusqu’à six mois, après quoi la chambre d’accusation décide par décision motivée si l’accusé doit être élargi ou maintenu en détention. Si l’instruction se poursuit, le juge d’instruction doit, dans un délai de cinq jours avant la fin du délai de six mois, informer le procureur près la cour d’appel des raisons pour lesquelles l’instruction n’a pas été achevée et transmettre le dossier au procureur près le tribunal correctionnel. Ce dernier saisit la chambre d’accusation qui, après avoir entendu l’accusé ou son avocat et le procureur, décide, de manière définitive et par décision motivée, si l’accusé doit être élargi ou maintenu en détention. Le paragraphe 3 de l’article 287 prévoit que, si la détention provisoire n’est pas prolongée dans un délai de trente jours à compter de l’écoulement du délai de six mois prévu au paragraphe 1 du même article, le procureur doit ordonner l’élargissement de l’accusé.

30. Or la Cour note d’abord que la requérante n’a pas exercé, dans le délai de cinq jours prévu à cet effet, le recours mentionné à l’article 285 § 1 pour contester la légalité du mandat de placement en détention provisoire du 22 juillet 2009. Lorsque le juge d’instruction a rejeté, le 9 décembre 2009, la demande de la requérante, datée du 3 novembre 2009, l’instruction n’était pas encore achevée et le délai de six mois au-delà duquel une prolongation de la détention était possible n’avait pas encore été atteint. Dans sa décision du 15 janvier 2010, la chambre d’accusation a procédé à l’examen des conditions susceptibles de justifier le maintien en détention de la requérante et elle a estimé que ces conditions ne se trouvaient plus réunies en la personne de celle-ci, compte tenu également de la modification de l’article 282 § 3 par la loi no 3811/2009.

31. La Cour considère ensuite que, le 9 décembre 2009, date à laquelle le juge d’instruction a rejeté la demande de remise en liberté de la requérante, celui-ci n’aurait pas pu l’élargir au seul motif que la loi no 3811/2009 venait d’être votée par le Parlement le même jour. Cette loi n’est entrée en vigueur que le 18 décembre 2009 ; elle a été prise en compte par la chambre d’accusation lorsque celle-ci s’est prononcée, le 15 janvier 2010, sur le recours formé par la requérante le 14 décembre 2009.

32. En conclusion, la Cour estime que les motifs invoqués par le juge d’instruction pour maintenir la requérante en détention étaient pertinents et suffisants le 9 décembre 2009, compte tenu de la gravité des indices de culpabilité pesant sur elle et les autres membres de l’organisation criminelle ainsi que de la complexité de l’affaire, et qu’ils ne l’étaient plus le 15 janvier 2010, ce dont la chambre d’accusation a pris en considération pour élargir la requérante. Elle considère enfin que la période de détention, qui a duré moins de six mois, ne saurait passer pour incompatible avec l’exigence de célérité inscrite à l’article 5 § 3 de la Convention.

33. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable et rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

ARTICLE 5-4

34. La requérante allègue que ses demandes de remise en liberté n’ont pas été examinées dans un « bref délai ». Elle se plaint à cet égard d’une violation de l’article 5 § 4, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

35. Le Gouvernement indique d’abord que la majeure partie de la période qui s’est écoulée jusqu’à la prise de la décision par le juge d’instruction est due à la préparation de la proposition du procureur (jusqu’au 4 décembre 2009). Il affirme que ce délai était nécessaire au procureur pour examiner et se référer en détail à tous les éléments qui résultaient de l’enquête préliminaire et de l’instruction principale et qui pouvaient concerner la requérante. Il considère que, compte tenu du grand nombre des accusés, du nombre, du type et de la gravité des crimes commis ainsi que de la nécessité de vérifier le degré de participation de la requérante à ces crimes, cette période est d’une durée raisonnable. Il précise que tant le procureur que le juge d’instruction devaient faire preuve des plus grandes diligence et impartialité dans le cadre de l’examen de la réunion des conditions de l’article 282 § 3. Il soutient enfin que le délai nécessaire à l’examen du recours par la chambre d’accusation n’était pas non plus excessif.

36. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière et que les exceptions au principe d’une constatation « à bref délai » de la conformité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). Elle rappelle également que la question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait, mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181-A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33 et 37, série A no 75), et en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne à suivre ainsi que du comportement du requérant dans celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

37. En l’espèce, la Cour note que, le 3 novembre 2009, la requérante a déposé auprès du juge d’instruction près le tribunal correctionnel d’Athènes, sur le fondement de l’article 286 § 2 du code de procédure pénale, une demande de mise en liberté sous condition. Le procureur a fait sa proposition quant à cette demande le 4 décembre 2009 et le juge d’instruction a rejeté la demande le 9 décembre 2009, soit trente-cinq jours plus tard.

38. La Cour estime que le laps de temps écoulé n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, entre autres, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012) et Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, § 70, 5 juin 2014), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt, vingt-deux et quarante-sept jours respectivement.

39. La Cour considère que la durée en cause en l’espèce n’est pas compatible avec l’exigence du « bref délai » de l’article 5 § 4.

40. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition sur ce point.

M.M. c. BULGARIE du 8 juin 2017 requête n° 75832/13

Article 5-4 : placé en centre de rétention avant son expulsion, le requérant introduit un recours sur la légalité de son placement. Le Tribunal n'a pas pu l'examiner avant sa mise en liberté.

1. Arguments des parties

49. Le requérant fait valoir que la durée d’examen du recours qu’il a introduit le 30 décembre 2013 pour contester son placement en centre de rétention s’élève à plus d’une année et est manifestement excessive compte tenu des exigences de l’article 5 § 4. Il souligne que les tribunaux n’avaient toujours pas statué sur son recours au moment où il été remis en liberté en raison de l’expiration du délai légal prévu pour la détention.

50. Le Gouvernement fait valoir qu’en vertu de l’article 46a de la loi sur les étrangers, le requérant avait accès à un recours juridictionnel pour contester la légalité de sa détention, qui faisait par ailleurs l’objet d’un contrôle périodique tous les six mois. Il souligne que la mise en œuvre de ces recours a permis la libération du requérant lorsque la détention n’était plus justifiée et considère que la durée d’examen de son recours n’était pas excessive.

2. Appréciation de la Cour

51. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît à toute personne privée de sa liberté le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin de faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la légalité, au sens de la Convention, de sa privation de liberté. La juridiction chargée de ce contrôle doit statuer sur la légalité de la détention « à bref délai » et avoir compétence pour ordonner la libération en cas de détention illégale (voir, parmi d’autres, M.A. c. Chypre, no 41872/10, § 160-162, CEDH 2013 (extraits)).

52. Le droit à un recours juridictionnel consacré par l’article 5 § 4 et les garanties procédurales qui y sont prescrites visent à protéger l’individu contre une détention arbitraire (Khoudiakova c. Russie, no 13476/04, § 93, 8 janvier 2009) ou contre la poursuite d’une détention qui, quoique initialement ordonnée de manière régulière, a pu par la suite devenir irrégulière et perdre toute justification (Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 78, 10 mai 2012). En particulier, les exigences relatives à la rapidité et à un contrôle juridictionnel périodique, à des intervalles raisonnables, ont pour raison d’être qu’un détenu ne doit pas courir le risque de rester en détention longtemps après le moment où sa privation de liberté a perdu toute justification (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 20, série A no 164, et Rahmani et Dineva, loc. cit.). Les garanties prévues à l’article 5 § 4 ne s’appliquent cependant qu’aux personnes privées de leur liberté. En conséquence, elles ne peuvent être invoquées lorsqu’un détenu a été remis en liberté de manière régulière (Stephens c. Malte (no 1), no 11956/07, §§ 102‑103, 21 avril 2009).

53. Par ailleurs, si l’article 5 § 4 n’astreint pas les Etats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention, lorsqu’un État se dote d’un tel système, il doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance, notamment en ce qui concerne l’exigence de statuer à « bref délai » (Navarra c. France, 23 novembre 1993, §§ 28-29, série A no 273-B). La Cour a toutefois considéré que l’exigence de célérité pouvait être moins contraignante s’agissant de la procédure en appel, en particulier lorsque la régularité de la détention a été confirmée par un premier degré de juridiction (Veliyev c. Russie, no 24202/05, § 164, 24 juin 2010, et Khoudiakova, précité, § 93).

54. La question de savoir si l’exigence du « bref délai » a été respectée doit s’apprécier à la lumière des circonstances de chaque espèce (Khoudiakova, précité, § 95). La Cour a par exemple considéré que des délais de 17 ou 23 jours pour un degré de juridiction et des délais de 43 ou 54 jours pour deux degrés de juridiction n’étaient pas compatibles avec l’article 5 § 4 (voir, respectivement, Kadem c. Malte, no 55263/00, § 44, 9 janvier 2003, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 85-88, CEDH 2000‑XII, Jablonski c. Pologne, no 33492/96, § 94, 21 décembre 2000 et Khoudiakova, précité, §§ 99-100). Pour déterminer si une décision a été rendue avec la célérité requise au regard de cette disposition, la Cour tiendra compte du délai d’examen du recours, de la complexité des questions à trancher, de la célérité dont les autorités ont fait preuve et des retards imputables au requérant ou dus à des éléments objectifs (voir Delijorgji c. Albanie, no 6858/11, § 87, 28 avril 2015, et la jurisprudence qui y est citée).

55. En l’espèce, la Cour note que le droit interne a été modifié en mai 2009 et prévoit désormais un recours spécifique en application de l’article 46a, alinéa 1, de la loi sur les étrangers pour contester une détention ordonnée en vue d’une expulsion ou d’une reconduite à la frontière, ainsi qu’un contrôle périodique automatique de la justification de la détention, en application de l’article 46a, alinéa 4, de cette loi. Le requérant a fait usage de cette possibilité et a introduit, le 30 décembre 2013, un recours pour contester son deuxième placement en rétention. Il n’a cependant pas pu obtenir de décision finale sur son recours avant le 6 avril 2015. Toutefois, pour les besoins de l’article 5 § 4, la Cour tiendra uniquement compte de la période allant jusqu’à la libération du requérant, le 16 décembre 2014. Après cette date, le requérant n’étant plus privé de sa liberté, les garanties de l’article 5 § 4 ne trouvent en effet plus à s’appliquer (paragraphe 52 ci‑dessus, in fine). Le délai d’examen à prendre en considération s’élève donc à près de douze mois, ce qui apparaît de prime abord incompatible avec l’exigence de célérité voulue par l’article 5 § 4.

56. La Cour relève en particulier que le tribunal administratif s’est prononcé sur le recours du requérant le 10 février 2014, soit quarante-deux jours après son introduction, ce qui apparaît excessif au regard de sa jurisprudence (paragraphe 54 ci-dessus) et ce d’autant plus que le placement en rétention avait été ordonné par une autorité non judiciaire et qu’il s’agissait d’un premier examen de la légalité de la détention par un tribunal (Shcherbina c. Russie, no 41970/11, §§ 65-70, 26 juin 2014). Ensuite, plus de cinq mois se sont écoulés avant que la Cour administrative suprême ne statue sur le recours, le 21 juillet 2014. Même en tenant compte du caractère moins contraignant de l’exigence de célérité concernant l’examen par un deuxième degré de juridiction, un tel délai apparaît excessif. Les retards ainsi accusés ont été aggravés par le fait que la Cour administrative suprême n’a pas statué sur le fond du recours mais l’a renvoyé pour un nouvel examen au tribunal administratif, remettant la procédure à son stade initial. Le tribunal administratif ne s’est prononcé que deux mois et demi plus tard, le 6 octobre 2014. Enfin, la Cour relève que malgré le constat, fait à cette dernière date, que la détention du requérant n’était pas justifiée, ce dernier a été maintenu en détention pendant plusieurs mois encore en raison des délais qui se sont avérés nécessaires pour l’examen du recours formé par l’agence de sécurité nationale. Il a finalement été remis en liberté le 16 décembre 2014, à l’expiration du délai légal de la détention, avant même que la Cour administrative suprême ait pu statuer de manière définitive sur son recours.

57. La Cour rappelle que l’exigence du « bref délai » doit s’apprécier à la lumière des circonstances de chaque espèce et, entre autre, en fonction de la complexité des questions à trancher. Elle n’exclut pas que, en l’espèce, les questions relatives à la sécurité nationale et le placement en rétention du requérant aient pu exiger des appréciations complexes. Toutefois, le Gouvernement n’a fourni aucun élément susceptible de justifier un délai d’examen aussi long (voir, mutatis mutandis, Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, §§ 47-48, CEDH 1999-II). La Cour relève en particulier que l’examen du recours du requérant paraît dépasser les délais prévus par le droit interne tant en première instance qu’en appel (paragraphes 31 et 56 ci‑dessus). En outre, l’examen du recours a été retardé par le fait que, conformément à la procédure prévue par le droit interne, la Cour administrative suprême n’a pas statué sur le fond du recours mais l’a renvoyé pour un nouvel examen par le tribunal administratif. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le système procédural existant dans l’État défendeur. Force est toutefois de constater que le renvoi de l’affaire par la Cour administrative suprême et la nécessité de procéder à un nouvel examen du recours du requérant a eu pour effet de retarder l’examen de celui-ci de manière significative. La Cour rappelle à cet égard qu’il appartient aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de la Convention et en particulier de l’article 5 § 4 (R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI).

58. La Cour relève par ailleurs que, alors que la procédure d’examen de son recours était pendante, le 21 juillet 2014 le tribunal administratif de Sofia a, dans le cadre du contrôle périodique de la détention en application de l’article 46a, alinéa 4, de la loi sur les étrangers, ordonné la prolongation de la détention du requérant. Le recours de l’intéressé contre cette décision a été examiné le 2 octobre 2014. La Cour n’a aucune raison de douter que le contrôle exercé à cette occasion sur la prolongation de la détention du requérant était en mesure, comme l’exige l’article 5 § 4 de la Convention, de porter sur la légalité de sa détention et de conduire, le cas échant, à sa libération. Cependant, même en admettant que cette décision ait pu mettre fin à la période à prendre en considération sous l’angle de l’article 5 § 4 concernant l’examen du recours initial du requérant, le délai écoulé depuis l’introduction de ce recours le 30 décembre 2013, soit environ neuf mois, ne peut passer pour satisfaisant à la condition de « bref délai » posée par cette disposition.

59. Eu égard à ce qui précède, la Cour constate que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4.

ALOUACHE c. FRANCE arrêt du 6 octobre 2015 requête 28724/11

Non violation de l'article 5-4, un délai de 14 jours pour examiner un appel de demande de libération est raisonnable

58. La Cour doit maintenant se demander si le requérant a eu accès, à bref délai, à un tribunal statuant sur la légalité de sa privation de liberté, conformément aux dispositions de l’article 5 § 4 de la Convention. À cet égard, elle constate qu’à la suite de l’appel interjeté en date du 2 juillet 2010, la chambre de l’instruction s’est réunie le 13 juillet 2010, date à laquelle le requérant a sollicité le renvoi de l’affaire, puis le 16 juillet 2010, date à laquelle elle a confirmé l’ordonnance de placement en détention provisoire après avoir examiné les moyens du requérant relatifs aux conditions d’établissement de l’acte d’appel et aux conséquences des choix exprimés sur son exemplaire de celui-ci, analysé le sérieux des charges pesant contre lui et vérifié l’existence de critères légaux rendant la détention nécessaire. La Cour relève également que le renvoi initial de l’affaire a été réclamé par le requérant dans le but de faire rechercher l’original de la déclaration d’appel établie par le greffe de la maison d’arrêt et lui a permis de discuter les éléments réunis au cours de l’enquête interne diligentée à la demande du parquet général. Dès lors compte tenu des circonstances de l’espèce et de ses conclusions quant au respect de l’article 5 § 1 (voir paragraphe 57 ci-dessus), la Cour considère que le délai de quatorze jours qui s’est écoulé entre l’appel et la décision de la chambre de l’instruction n’était pas excessif.

59. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

ALİCAN DEMİR c. TURQUIE du 25 février 2014 requête 41444/09

20 jours pour obtenir une libération conditionnelle alors qu'elle est de droit en droit interne, est un délai trop long au sens de l'article 5-4 de la Convention.

101.  Le Gouvernement indique que le requérant a présenté une demande de mise en liberté conditionnelle à la cour d'assises le 26 janvier 2009 et que cette dernière l'a transmise à la Cour de cassation, ce qui a, selon lui, accéléré l'examen du pourvoi. Il ajoute que la haute juridiction a rendu son arrêt dès le lendemain et renvoyé l'affaire en première instance. Il précise que le renvoi a permis à la cour d'assises qui se trouvait à nouveau saisie de l'affaire de statuer sur la demande du requérant, ce qu'elle a fait le 13 février 2009 en accordant à l'intéressé la libération sollicitée.

102.  Le Gouvernement soutient que le requérant aurait eu la possibilité d'exercer un recours en cas de rejet de sa demande.

103.  Il soutient enfin qu'il disposait d'un recours en indemnisation sur le fondement de l'article 141 du CPP.

104.  Le requérant ne se prononce pas sur les arguments du Gouvernement.

105.  La Cour rappelle que, en garantissant aux personnes arrêtées ou détenues un recours pour contester la régularité de leur privation de liberté, l'article 5 § 4 de la Convention consacre aussi le droit pour celles-ci, à la suite de l'institution d'une telle procédure, d'obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (voir, par exemple, Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II, et Baranowski c.  Pologne, no 28358/95, § 68, CEDH 2000-III).

106.  La Cour rappelle également que le respect du droit de toute personne, au regard de l'article 5 § 4 de la Convention, d'obtenir à bref délai une décision d'un tribunal sur la légalité de sa détention doit s'apprécier à la lumière des circonstances de chaque affaire (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 55, série A no 107, et R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI). En particulier, il faut tenir compte du déroulement général de la procédure et de la mesure dans laquelle les retards sont imputables au comportement du requérant ou de ses conseils. En principe, cependant, puisque la liberté de l'individu est en jeu, l'État doit faire en sorte que la procédure se déroule dans le minimum de temps (Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005, et Rapacciolo c. Italie, no 76024/01, § 32, 9 mai 2005).

107.  En l'espèce, la Cour observe que, d'après les éléments du dossier, la demande de mise en liberté conditionnelle a été présentée par le requérant le 24 janvier 2009 (voir paragraphe 23 ci-dessus), c'est-à-dire à la date à partir de laquelle l'intéressé pouvait prétendre au bénéfice de pareille mesure, et non pas le 26 janvier 2009, comme l'affirme le Gouvernement.

108.  Le 13 février 2009, le requérant s'est vu accorder la mise en liberté conditionnelle sollicitée.

109.  Compte tenu du délai de vingt jours qui s'est écoulé entre la demande de mise en liberté et l'ordonnance accordant la mesure sollicitée, la Cour considère que ladite demande n'a pas été examinée « à bref délai » comme le requiert l'article 5 § 4 (Bubullima c. Grèce, n41533/08, § 31, 28 octobre 2010, affaire dans laquelle la Cour a jugé qu'un délai de quatorze jours ne satisfaisait pas aux exigences de cet article). De surcroît, la Cour n'aperçoit aucun motif susceptible en l'espèce de justifier un tel délai.

110.  S'agissant du recours fondé sur l'article 141 du CPP, indiqué par le Gouvernement, la Cour observe qu'il est effectif, au sens de l'article 35 de la Convention, dans les cas où la situation considérée comme contraire à la Convention a pris fin.

111.  Elle rappelle néanmoins que le recours exigé par l'article 5 § 4 doit permettre d'obtenir à bref délai une décision judiciaire mettant fin à la privation de liberté si celle-ci est illégale. Or, cela n'est manifestement pas le cas du recours mentionné par le Gouvernement, qui est de nature purement indemnitaire et qui ne permet pas de mettre fin à bref délai à une privation de liberté.

112.  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l'article 5 § 4 de la Convention.

CHRISTODOULOU ET AUTRES c. GRÈCE requête 80452/12 du 5 juin 2014

VIOLATION DE L'ARTICLE 5-4 : 47 jours est un délai trop long pour accéder au juge qui doit examiner la légalité d'une détention.

66. Le requérant soutient qu’il avait rédigé ses observations longtemps à l’avance et qu’il attendait l’avis du procureur pour les déposer. Il indique en outre que, de manière générale, la chambre d’accusation n’attend pas d’observations en réponse de la part du prévenu pour rendre sa décision et que la plupart des prévenus n’en déposent pas.

67.  La Cour rappelle d’abord que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, requièrent une diligence particulière et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181‑A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

68.  La Cour rappelle en outre que la nature même de la détention provisoire appelle de la part du juge compétent qu’il statue à bref délai, la mesure en cause étant fondée pour l’essentiel sur les besoins d’une instruction à mener avec célérité (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 21, série A no164).

69.  En l’espèce, la Cour note que, le 5 octobre 2012, le requérant a demandé sa mise en liberté sous condition, arguant que vu son état de santé il devait bénéficier de cette mesure en application de l’article 110A du code pénal. Le procureur a formulé son avis le 22 octobre 2012 et le requérant a présenté sa réplique le 31 octobre 2012. La chambre d’accusation a délibéré le 16 novembre 2012 et a rendu sa décision le 21 novembre 2012.

70.  La Cour estime que le laps de temps écoulé – soit un délai de quarante-sept jours – n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), et Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt et vingt-deux jours respectivement.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

SHYTI C. Grèce du 17 octobre 2013 requête 65911/09

3 MOIS ET 8 JOURS, NE SONT PAS UN EXAMEN A BREF DÉLAI

1.  Quant au rejet par la chambre d’accusation de la demande de comparution personnelle du requérant

32.  Le Gouvernement affirme notamment que dans sa demande de levée de la détention provisoire, le requérant avait exposé de manière détaillée tous ses arguments. Il ajoute que le requérant ne précise pas en quoi sa comparution personnelle aurait contribué à renforcer ses chances que la demande d’élargissement aboutisse. Le Gouvernement en conclut que le principe de l’égalité des armes n’a pas été atteint en l’espèce.

33.  Le requérant rétorque que selon la jurisprudence établie de la Cour, le refus de l’autorité judiciaire compétente de l’autoriser à comparaître en personne devant elle n’était pas conforme à l’article 5 § 4 de la Convention.

34.  La Cour rappelle qu’elle a examiné cette question à l’occasion de plusieurs affaires (voir Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, série A no 318‑B ; Kotsaridis c. Grèce, no 71498/01, 23 septembre 2004 ; Giosakis c. Grèce (no 1), no 42778/05, 12 février 2009, et Bala c. Grèce, no 40876/07, 1er juillet 2010) pour conclure à une violation de l’article 5 § 4. Le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent que celle à laquelle la Cour a abouti dans le cadre de son examen des affaires précitées. En l’absence d’éléments nouveaux, la Cour doit constater qu’en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

35.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

2.  Quant à l’obligation de statuer à « bref délai » sur la légalité de la détention

36.  Le Gouvernement allègue que le recours exercé par le requérant contre le mandat no 13/2009, ayant ordonné sa mise en détention provisoire, ne constituait pas une voie de recours concernée par l’article 5 § 4 de la Convention. En outre, il estime que le laps de temps écoulé en l’espèce jusqu’à ce que la chambre d’accusation se prononce sur la demande d’élargissement a été raisonnable.

37.  Le requérant souligne que le retard pris dans l’examen de sa demande d’élargissement relève de la responsabilité exclusive de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique.

38.  La Cour note en premier lieu que par le biais du recours en cause, le requérant a invité la juridiction compétente à se prononcer sur la légalité de sa détention et à ordonner sa levée ou son assouplissement. Elle considère donc qu’il s’agissait en l’espèce d’une voie de recours concernée par l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en ce sens, Giosakis c. Grèce (no 2), no 36205/06, §§ 67-74, 12 février 2009).

39.  La Cour rappelle que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière et que les exceptions au principe d’une constatation « à bref délai » de la conformité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie, non pas dans l’abstrait, mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne à suivre ainsi que du comportement du requérant dans celle-ci. En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

40.  Compte tenu de ces critères, et à titre d’exemple, la Cour a constaté un dépassement du « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 dans les affaires suivantes : Rehbock c. Slovenie, (no 29462/95, § 84, ECHR 2000-XII) : durée de vingt-trois jours ; G.B. c. Suisse (no 27426/95, § 32, 30 novembre 2000) durée de trente-deux jours ; Mamedova c. Russie, (no 7064/05, § 96, 1er juin 2006) durée de trente-six jours ; Mooren c. Allemagne (no 1364/03, § 73, 13 décembre 2007) : durée de quatre-vingt-deux jours, et Giosakis c. Grèce (no 2) (précité, § 71) : durée de soixante-sept jours.

41.  La Cour note que le requérant a déposé sa demande d’élargissement auprès de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique le 18 février 2009 et celle-ci l’a rejetée le 26 mai 2009, à savoir au bout de trois mois et huit jours.

42.  Au vu de la jurisprudence précitée, la Cour considère que cette période n’est pas compatible avec l’exigence du « bref délai » de l’article 5 § 4. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition sur ce point.

Grande Chambre Stanev c. Bulgarie du 17 janvier 2012 Requête 36760/06

1.  Principes généraux

168. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181-A). La « juridiction » chargée de ce contrôle ne doit pas posséder des attributions simplement consultatives, mais doit être dotée de la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 200, série A no 25 ; Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 61, série A no 114 ; Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 130, Recueil des arrêts et décisions 1996-V A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, 19 février 2009).

169.  Les formes de contrôle juridictionnel qui satisfont aux exigences de l’article 5 § 4 peuvent varier d’un domaine à l’autre et dépendent du type de privation de liberté en question. Il ne revient pas à la Cour de demander quel pourrait être le système le plus approprié dans le domaine examiné (Chtoukatourov, précité, § 123).

170.  Il n’en demeure pas moins que l’article 5 § 4 garantit un recours qui doit être accessible à l’intéressé et permettre de contrôler le respect des conditions à remplir pour qu’il y ait, au regard de l’article 5 § 1 e), « détention régulière » d’une personne pour aliénation mentale (Ashingdane, précité, § 52). L’exigence de la Convention selon laquelle un acte de privation de liberté doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel indépendant revêt une importance fondamentale eu égard à l’objectif qui sous-tend l’article 5 de la Convention, à savoir la protection contre l’arbitraire. Sont en jeu ici la protection de la liberté physique des individus, ainsi que la sûreté de la personne (Varbanov, précité, § 58). En cas de détention pour maladie mentale, des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (voir, entre autres, Winterwerp, précité, § 60).

171.  Parmi les principes concernant les « aliénés » qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour sur l’article 5 § 4 figurent notamment les suivants :

a)  en cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement ;

b)  l’article 5 § 4 exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et offre à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint ; pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule ;

c)  les instances judiciaires relevant de l’article 5 § 4 ne doivent pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237-A).

2.  Application de ces principes en l’espèce

172.   La Cour observe que le Gouvernement n’a indiqué aucun recours interne de nature à donner au requérant la possibilité de contester directement la légalité de son placement dans le foyer de Pastra et le maintien de cette mesure. Elle constate également que les tribunaux bulgares n’ont à aucun moment et sous aucune forme été impliqués dans le placement du requérant et que la législation nationale ne prévoit pas de contrôle judiciaire périodique et automatique du placement d’une personne dans un foyer pour personnes atteintes de troubles mentaux. D’ailleurs, étant donné que le placement du requérant n’est pas reconnu comme une privation de liberté en droit bulgare (paragraphe 58 ci-dessus), celui-ci ne prévoit aucun recours pour contester la légalité de cette mesure en tant que privation de liberté. La Cour note par ailleurs que, selon la pratique des tribunaux internes, l’invalidité du contrat de placement pour absence de consentement aurait pu être invoquée uniquement à l’initiative du curateur (paragraphe 54 ci-dessus)

173.  Dans la mesure où le Gouvernement se réfère à la procédure de rétablissement de la capacité juridique prévue par l’article 277 du CPC (paragraphe 167 ci-dessus), la Cour note que cette démarche n’aurait pas eu pour objet d’examiner la légalité du placement du requérant per se, mais uniquement de reconsidérer le statut juridique de celui-ci (paragraphes 233-246 ci-après). Le Gouvernement s’appuie ensuite sur les mécanismes de contrôle des actes du curateur (paragraphes 165-166 ci-dessus). La Cour estime qu’il convient de vérifier si ces recours auraient pu donner lieu à un examen judiciaire de la légalité du placement, tel qu’exigé par l’article 5 § 4.

174.  A cet égard, elle note que le CF de 1985 permettait aux membres de la famille proche de l’intéressé de contester les actes de l’organe chargé de la tutelle et de la curatelle, qui, à son tour, devait contrôler les actes du curateur – y compris le contrat de placement – et procéder à son remplacement en cas de non-respect par lui de ses obligations (paragraphes 48-50 ci-dessus). Toutefois, la Cour relève qu’il s’agissait de recours non directement accessibles au requérant. De surcroît, aucune des personnes théoriquement habilitées à les exercer n’a montré l’intention d’agir dans les intérêts de M. Stanev, et ce dernier ne pouvait pas agir de sa propre initiative sans leur approbation.

175.  On ne sait pas clairement si le requérant pouvait saisir le maire pour lui demander d’exiger des explications du curateur ou de suspendre l’exécution du contrat de placement en raison de son invalidité. En tout état de cause, il apparaît qu’en conséquence de sa privation partielle de capacité la loi ne l’autorisait pas à attaquer de manière autonome les actes du maire auprès des tribunaux (paragraphe 49 ci-dessus), une circonstance que le Gouvernement ne conteste pas.

176.  La même conclusion s’impose quant à la possibilité, pour le requérant, de demander au maire de remplacer temporairement son curateur par un représentant ad hoc en alléguant l’existence d’un conflit d’intérêts et de solliciter ensuite la résiliation du contrat de placement. La Cour observe à cet égard que le maire a le pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’existence d’un conflit d’intérêts (paragraphe 50 ci-dessus). Enfin, il n’apparaît pas que le requérant aurait pu contester de manière autonome un éventuel refus du maire auprès d’un tribunal qui aurait statué sur le fond.

177.  Dès lors, la Cour conclut que les recours invoqués par le Gouvernement soit étaient inaccessibles au requérant, soit ne revêtaient pas un caractère judiciaire. De plus, aucun de ces moyens ne permet d’analyser directement la légalité du placement du requérant dans le foyer de Pastra au regard du droit interne et de la Convention.

178.  Au vu de ces éléments, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphes 97-99 ci-dessus), et dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

Štetiar et Šutek c. Slovaquie requêtes nos 20271/06 et 17517/07 du 23 novembre 2010

Les requérants, Marián Štetiar et Rastislav Šutek, sont deux ressortissants slovaques nés en 1977 et habitant en Slovaquie. Arrêtés en 2005 au motif qu’ils étaient soupçonnés en particulier d’avoir endommagé des biens dans un supermarché et d’avoir insulté et frappé un policier, ils furent condamnés en 2006 pour un certain nombre d’infractions, dont deux chefs de coups et blessures contre un agent public et de vandalisme. Invoquant en particulier l’article 5 § 4 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’homme, ils soutenaient notamment qu’ils n’avaient pas été conduits devant un juge dans les 24 heures après leur arrestation comme l’exigeait le droit applicable et que les procédures dans le cadre de leur recours contre leur détention et de leurs demandes de mise en liberté n’avaient pas été conduites avec célérité.

Letellier contre France du 26 juin 1991 Hudoc 263 requête 12389/86

La Cour constate qu'il n'y a pas violation de l'article 5§4 de la Convention car le requérant a pu faire de multiples recours examinés entre 8 et 20 jours. 

Navarra contre France du 23 novembre 1993 Hudoc 441 requête 13190/87

Le requérant agriculteur en Haute Corse près de Bastia, est inculpé de plusieurs vols à main armée et placé en détention le 22 novembre 1995: 

"Monsieur Navarra conservait le droit, consacré par la législation française, de présenter à tout moment de nouvelles demandes de mise ne liberté (arrêt Letellier).

Or du 25 mars 1986 au 24 octobre 1986, il n'en introduisit pas, il ne le fit que le 20 mars 1987. Partant il n'y a pas eu violation de l'article 5§4"

Delbec contre France du 18 juin 2002 Hudoc 3706 requête 43125/98

la Cour a constaté la violation de l'article 5§4 de la Convention car le juge civil a mis un mois pour examiner la demande de libération du requérant et de décider sa sortie.

L.R contre France du 27 juin 2002 Hudoc 3736 requête 33395/98

le délai entre la lettre du requérant et l'audience d'examen de sa libération, a été de un mois et demi; la violation de l'article 5§4 de la Convention est

Gundoran C. Turquie du 10 octobre 2002 Hudoc 3884 requête 31877/96

"La Cour note que le juge ayant ordonné la détention provisoire du requérant n'est intervenu qu'au terme de la garde à vue, soit 9 jours après l'arrestation de l'intéressé () elle estime qu'une telle période s'accorde mal avec la notion de "bref délai"

UNE DÉTENTION DOIT FAIRE L'OBJET

D'UN EXAMEN PÉRIODIQUE ET AUTOMATIQUE

D.L. c. BULGARIE du 19 mai 2016 requête 7472/16

Non violation de l'article 5-1 car le placement en foyer éducatif avait pour but de ne pas la voir entraînée dans la prostitution. En revanche , il y a violation de l'article 5-4 car il n'y a pas eu un examen automatique et périodique pour savoir si son placement en foyer éducatif était encore justifié avec le temps.

ARTICLE 5-1

69. La Cour note d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas que le placement de la requérante dans le centre de Podem constitue une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En tout état de cause, elle rappelle avoir déjà examiné ce type de placement dans l’établissement en question et avoir conclu qu’il s’agissait d’une mesure privative de liberté à l’égard des mineurs, compte tenu notamment du régime de surveillance permanente et d’autorisation des sorties, et de la durée du placement (A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, §§ 62-63, 29 novembre 2011). Ce régime étant inchangé, la Cour ne voit pas de raisons de s’écarter de ce constat dans la présente espèce et conclut également que le placement de l’intéressée s’analyse en une privation de liberté.

70. La requérante estime ensuite que son placement n’entre dans aucune des situations énumérées à l’article 5 § 1, et en particulier dans celles visées aux lettres a) et d) de cette disposition. Le Gouvernement, pour sa part, considère que l’article 5 § 1 a) ne peut être appliqué en l’espèce, mais que la mesure litigieuse était conforme à l’article 5 § 1 d). Par conséquent, et gardant à l’esprit que cette dernière disposition est entrée en jeu quant au placement examiné dans l’affaire A. et autres (précitée), la Cour se concentrera d’abord sur la question de savoir si le placement de la requérante au centre de Podem était conforme à l’article 5 § 1 d).

71. Elle rappelle à cet égard que le premier volet de l’article 5 § 1 d) prévoit la privation de liberté dans l’intérêt d’un mineur indépendamment de la question de savoir si celui-ci est suspecté d’avoir commis une infraction pénale ou est simplement un enfant « à risque ». Cette disposition autorise en effet la détention d’un mineur lorsqu’elle a été décidée pour son éducation surveillée (A. et autres, précité, § 66). La requérante n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pendant l’application de la mesure litigieuse, la seule question qui se pose à la Cour est celle de savoir si la détention de l’intéressée était régulière et avait été décidée « pour » (« for the purpose of ») son éducation surveillée (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129, D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 76, CEDH 2002‑III, et plus récemment Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 166-167, 23 mars 2016). En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Bouamar, précité, § 47, et D.G. c. Irlande, précité, § 75). Par ailleurs, il doit exister un lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, d’autre part, le lieu et le régime de détention (D.G. c. Irlande, précité, § 75, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, avec les autres références y figurant).

72. Il apparaît en l’espèce que la décision de placement de la requérante a été prise en application de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. L’intéressée soutient à cet égard que la notion de « comportement antisocial » n’était pas suffisamment claire pour répondre à l’exigence de « qualité » de la loi posée par la Convention, ce qui l’aurait empêchée de prévoir les motifs précis pour lesquels elle pouvait se voir placée dans un établissement fermé contre sa volonté. Il incombe dès lors à la Cour de rechercher si les normes internes en question étaient suffisamment accessibles et précises afin d’éviter tout danger d’arbitraire en matière de privation de liberté (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 97, CEDH 2006-XI, et A. et autres, précité, § 67).

73. La Cour peut relever des éléments du dossier que les autorités internes ont justifié le besoin de placement de la requérante par le risque de la voir entrainée dans la prostitution car celle-ci était incitée à accomplir « des services sexuels », ainsi que par son manque de coopération, son comportement agressif et ses fugues (paragraphes 10-13 ci-dessus). Il est vrai que la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs semble quelque peu obsolète (paragraphe 76 ci-dessous) et ne contient pas de liste exhaustive des actes considérés comme « antisociaux », aussi ceux qui étaient reprochés à la requérante n’y sont-ils pas expressément décrits. La loi en question se borne à donner une définition générale de la notion de « comportement antisocial » (paragraphe 40 ci-dessus). Toutefois, la Cour rappelle son constat dans l’affaire A. et autres (précitée), selon lequel, dans la pratique judiciaire établie, la prostitution et la fugue sont considérées comme des actes antisociaux susceptibles d’entraîner des mesures éducatives, notamment le placement dans une institution spécialisée (A. et autres, précité, § 68, et paragraphes 40 et 41 ci-dessus). Elle estime dès lors que la requérante pouvait raisonnablement prévoir les conséquences de ses actes, et que, dans les circonstances de l’espèce, les « voies légales » ont été respectées.

74. La « régularité » de la privation de liberté implique aussi la conformité de celle-ci au but des restrictions permises par l’article 5 § 1 d). Il appartient ainsi à la Cour de vérifier si le placement de la requérante était de nature à pourvoir à son « éducation surveillée » (Bouamar, précité, § 50, et Blokhin, précité, §§ 166-167). Dès lors que l’État a choisi de mettre en place un système d’éducation surveillée impliquant une privation de liberté, il lui incombait de se doter d’une infrastructure appropriée, adaptée aux impératifs de sécurité et aux objectifs pédagogiques, de manière à pouvoir remplir les exigences de l’article 5 § 1 d) (Bouamar, précité, § 50, D.G., précité, § 79, et Blokhin, précité, §167). Il est également admis que, dans le cadre de la détention des mineurs, les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être assimilés systématiquement à la notion d’enseignement en salle de classe : lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux, au bénéfice et pour la protection de l’intéressé (Koniarska c. Royaume-Uni (déc.), no 33670/96, CEDH 2000, D.G., précité, § 80, A. et autres, précité, § 69, et P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012). La Cour a eu récemment l’occasion de préciser que la pratique consistant à dispenser à tous les mineurs privés de liberté placés sous la responsabilité de l’État, même à ceux internés en centre de détention provisoire pour une durée limitée, un enseignement conforme au programme scolaire ordinaire devrait constituer la norme pour éviter des lacunes dans leur éducation (Blokhin, précité, §170). La Cour trouve nécessaire d’ajouter en l’espèce qu’à l’instar des cas de détention prévus dans l’article 5 § 1 b) et e) l’exigence de « régularité » dans le contexte d’une détention « pour » les buts d’une « éducation surveillée » implique aussi le devoir de s’assurer que la mesure prise a été proportionnée à ces buts (voir, mutatis mutandis, Vasileva c. Danemark, no 52792/99, §§ 37-42, 25 septembre 2003, et Enhorn c. Suède, no 56529/00, §§ 41 et suivants, CEDH 2005-I). Lorsque la détention vise un mineur, comme c’est le cas dans la présente affaire, la Cour estime, à la lumière des normes internationales pertinentes, qu’un critère essentiel pour apprécier la proportionnalité est celui de savoir que la détention a été décidée en tant que mesure de dernier ressort, dans le meilleur intérêt de l’enfant, et qu’elle vise à prévenir des risques sérieux pour son développement. Lorsque ce critère n’est plus rempli, la privation de liberté perd sa justification.

75. Dans la présente affaire, la requérante allègue que la décision de placement des autorités a été prise non pas dans un but éducatif mais à titre de sanction, que le système d’enseignement et d’éducation au centre de Podem n’était pas conforme aux exigences de l’article 5 § 1 d) de la Convention et que le choix de la mesure était arbitraire.

76. La Cour relève au demeurant que les éléments du présent dossier mettent en cause une série de points du système bulgare quant à la prise en charge des mineurs en difficulté dans le réseau des institutions sociales. Elle note en premier lieu qu’il est vrai que la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs est obsolète et que, pour des raisons historiques, elle a été fondée plus sur une philosophie « de punition » que « de protection » des mineurs, une circonstance critiquée par les organisations internationales et nationales (paragraphes 39, 54 et 55 ci‑dessus). En outre, lors de l’examen de la première demande de la commission locale concernant le placement de la requérante, le juge a considéré que le centre de Podem présentait un « contexte défavorable » (paragraphe 9 ci-dessus). Ensuite, l’Agence nationale pour la protection de l’enfant, tout comme le Médiateur de la République, se sont dits préoccupés par des questions relatives au caractère adéquat des procédures judiciaires concernant les mineurs, mais aussi à la mise en œuvre des programmes scolaires et éducatifs, ou encore aux conditions matérielles de vie dans les centres fermés pour mineurs (paragraphes 31-38 et 52 ci-dessus). Sur ce point, la Cour se doit de constater qu’une réforme nationale comprenant de larges mesures législatives et administratives, encouragée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, est en cours d’élaboration (paragraphes 39 et 52 ci-dessus). Elle estime également que sa tâche ne consiste point à examiner in abstracto, au regard de la Convention, le système bulgare concernant les mesures éducatives relatives aux mineurs ni de se livrer à une analyse de la réforme envisagée, mais d’apprécier la manière dont le système existant a été appliqué en l’espèce (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 40, série A no 35, Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 32, série A no 34, et A. et autres, précité, § 70).

77. Pour ce qui est du but de la mesure et de la mise en œuvre du système pédagogique et éducatif, la Cour estime que l’État doit bénéficier d’une certaine marge d’appréciation pour organiser ce système d’une manière qui le rende effectif. En l’espèce, elle constate, malgré les critiques exposées en général (paragraphe 76 ci-dessus), que la requérante a pu poursuivre un cursus scolaire, que des efforts individuels ont été déployés à son égard pour tenter d’aplanir ses difficultés scolaires, qu’elle a obtenu une note l’autorisant à passer dans la classe supérieure et qu’enfin elle a pu obtenir une qualification professionnelle lui permettant d’envisager sa réintégration ultérieure dans la société (paragraphes 24 et 26-27 ci-dessus). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’on ne peut reprocher à l’État d’avoir manqué à son obligation découlant de l’article 5 § 1 d) de donner à la mesure de placement un objectif pédagogique (voir, a contrario, Bouamar, précité, § 52, D.G., précité, §§ 83-85, et Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, §§ 39-40, 21 décembre 2010). La Cour redit qu’elle ne s’estime pas compétente pour examiner plus avant les éventuelles défaillances du système national autant que les éléments du cas soumis devant elle lui permettent d’établir que la mesure imposée à la requérante poursuivait un but éducatif d’une portée suffisante au regard de l’article 5 § 1 d) de la Convention.

78. Concernant les allégations d’arbitraire, la question de proportionnalité de la mesure, ainsi que le point de savoir si celle-ci relevait du dernier ressort, la Cour note que la décision de placement critiquée a été prise par des autorités judiciaires à l’issue d’audiences publiques au cours desquelles l’intéressée, les deux assistantes sociales directement responsables pour la requérante, le représentant de la commission locale, le représentant du service municipal, chargé de la protection de l’enfant et l’inspectrice de la brigade chargée des mineurs ont été entendus. La mère de la requérante était également présente et un avocat a été commis d’office à sa demande. Les tribunaux ont examiné en détail les éléments recueillis et ils ont estimé que, eu égard au milieu dans lequel la requérante vivait à l’époque pertinente, il n’existait pour elle pas de réelle alternative de prise en charge au placement dans un centre éducatif – internat.

79. Sur ce point, il convient d’observer que la législation bulgare prévoit une large gamme de mesures éducatives en réponse aux comportements antisociaux de mineurs. La plus rigoureuse d’entre elles, le placement dans un centre éducatif – internat, ne peut être appliquée que lorsque les autres, moins sévères, n’ont pas produit d’effet (paragraphe 41 ci-dessus). Il apparaît à la Cour que le dispositif applicable n’impose pas aux autorités prononçant une telle mesure l’obligation d’établir un plan individuel reflétant les objectifs concrets à atteindre en termes d’éducation pour les mineurs concernés. De même, si la durée légale maximale de placement est fixée à trois ans (paragraphe 44 ci-dessus), il ne semble pas que les tribunaux soient tenus de se prononcer sur la durée au moment de la décision initiale. En l’espèce, ces questions, ainsi que le point de savoir si le centre de Podem était une institution adéquate à la situation de la requérante n’ont pas fait l’objet de discussions dans la procédure judiciaire. La Cour note malgré ces lacunes dans le système que les autorités avaient d’abord établi que l’intéressée ne bénéficiait pas d’un milieu naturel familial propice à son développement, ce qui était déjà la raison de son placement dans une institution de protection en août 2012, selon la loi sur la protection de l’enfant. Ensuite, dans le cadre de la procédure judiciaire la situation de la requérante, son mode de vie et les risques qu’elle encourait ont été mis en lumière par les déclarations notamment des deux assistantes sociales du centre de crise qui se trouvaient au contact le plus proche avec l’intéressée. Leurs témoignages ont indiqué en particulier qu’elle avait des relations avec les individus qui l’avaient initialement incitée à la prostitution, qu’elle était victime d’un système de trafic de type « lover boy » mais qu’elle refusait de l’admettre et de se protéger, qu’elle démontrait une attitude agressive envers le personnel de l’établissement et qu’elle ne rentrait pas au centre le soir après l’école. Les assistantes sociales ont confirmé que le contexte familial n’était pas propice à la requérante car il y avait des éléments indiquant que sa mère, elle-même, avait été victime de violence et avait besoin de protection (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour observe par ailleurs que la mère avait la possibilité de se faire entendre par le tribunal au cours de l’audience et il n’apparaît pas des éléments du présent dossier qu’elle avait formulé une demande dans ce sens (paragraphe 42 ci-dessus). De plus, la Cour relève que la requérante avait visiblement fait l’objet d’un encadrement éducatif par le passé, comprenant des mesures éducatives moins lourdes que le placement (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Il n’apparaît pas arbitraire à la Cour que les dispositions prises à l’égard de l’intéressée ont été jugées insuffisantes par les autorités en raison des éléments invoqués ci-dessus.

80. Compte tenu de ces éléments, la Cour ne peut considérer, comme l’allègue la requérante, que son placement représentait une mesure arbitraire et que les tribunaux n’ont pas tenu compte de ses intérêts. Il est vrai que la motivation des tribunaux peut paraître succincte et ne détaillait pas toutes les circonstances pertinentes. Une préoccupation particulière à cet égard tient au fait qu’elle n’examinait pas les questions relatives au plan individuel pour le placement décidé, à la durée et à la réévaluation régulière de ce dernier. Néanmoins, les décisions des tribunaux ont clairement reflété les déclarations des deux assistantes sociales ayant la responsabilité directe de la requérante dans le centre de crise. Ainsi, il apparaît qu’à l’issue d’un examen de la situation familiale de la requérante, de son milieu social, de son comportement et de l’impact des mesures éducatives déjà mises en place par les assistants sociaux, les autorités judiciaires ont réexaminé et confirmé la conclusion des institutions sociales que la mineure avait besoin d’une surveillance éducative renforcée. La Cour constate que c’est notamment le souci d’assurer à la requérante un contexte la mettant à l’abri des risques spécifiques clairement identifiés, et donc de protéger ses intérêts en tant qu’adolescente en pleine évolution psychologique et sociale, qui a inspiré la décision des autorités internes. Les éléments du dossier ne permettent pas à la Cour de remettre en question la conclusion des autorités à ce sujet.

81. Au vu de tout ce qui précède, la Cour ne peut affirmer que la mesure de placement en cause revêtait un but punitif et elle estime que la décision des autorités s’inscrivait dans le cadre d’efforts durables visant à placer la requérante dans un environnement qui lui offrait une éducation surveillée et la possibilité de poursuivre sa scolarité. Elle rappelle à cet égard que des obligations positives de protéger les mineurs et, le cas échéant, de les soustraire à un milieu qui ne leur est pas favorable pèsent sur l’État (voir, mutatis mutandis, X. et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, §§ 21-27, série A no 91, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, §§ 62-64, Recueil 1996-IV, A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 22, Recueil 1998-VI, Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 73-74, CEDH 2001-V, et A. et autres, précité, § 73 ; voir aussi les articles 19 et 37 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant).

82. En conclusion, la Cour considère que le placement en cause se situe dans le champ d’application de l’article 5 § 1 d) et était conforme aux exigences de cette disposition, y compris proportionné aux buts éducatifs visés. Elle n’estime dès lors pas nécessaire de rechercher si l’alinéa a) de l’article 5 § 1 entre également en jeu.

83. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

ARTICLE 5-4

87. Les principes de la jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, §§ 168-170, 17 janvier 2012). Par ailleurs, la Cour rappelle que le contrôle judiciaire « à intervalles réguliers » est requis lorsque la nature même d’une mesure privative de liberté l’exige. En effet, les motifs justifiant à l’origine une détention peuvent cesser d’exister (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 55, série A no 33). C’est le cas notamment pour des accusés placés en détention provisoire (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, §§ 20-21, série A no 164, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 162, Recueil 1998-VIII), des personnes détenues pour des raisons psychiatriques (voir, par exemple, Winterwerp, précité, X. c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, série A no 46, et Stanev, précité), de certains prisonniers frappés d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité lorsque, à l’issue de la période punitive, le maintien en détention est fonction d’éléments de dangerosité et de risque qui peuvent évoluer avec le temps (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 87, CEDH 2002-IV) et des récidivistes condamnés à une peine préventive d’internement à l’expiration de la peine principale (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, §§ 47-49, série A no 50). Le droit à un recours judiciaire pendant une mesure privative de liberté d’un requérant mineur a également été reconnu par la Cour dans l’arrêt Bouamar (précité, §§ 60-64).

88. La Cour note que les parties s’accordent à dire qu’il existe en l’espèce un contrôle judiciaire incorporé dans la décision de placement prise par le tribunal régional le 16 juillet 2013. La question se pose en revanche de savoir si la requérante était en droit de demander une révision ultérieure de la détention et, dans l’affirmative, de vérifier si une telle possibilité lui a été offerte.

89. Or il a déjà été constaté que la détention de la requérante a été ordonnée dans un but d’éducation surveillée afin de corriger son comportement jugé contraire aux normes de la société (paragraphe 82 ci‑dessus). Il s’agissait d’une privation de liberté dont la nécessité dépendait de l’évolution de son comportement dans le temps, facteur à prendre en compte à l’instar de ceux décrits dans les affaires citées ci-dessus (paragraphe 87). Par ailleurs, la Cour observe que la requérante a été placée dans le centre de Podem le 15 septembre 2013 pour une durée non déterminée (paragraphe 17 ci-dessus) qui pouvait, selon la législation applicable, atteindre trois ans (paragraphe 44 ci-dessus). Partant, compte tenu de la possibilité d’évolution du comportement de la requérante au cours d’une telle période, la Cour est d’avis qu’elle devait bénéficier d’un contrôle judiciaire périodique, effectué de manière automatique et à sa demande, à des intervalles raisonnables, de la légalité du maintien de la mesure privative de liberté (voir X c. Finlande, no 34806/04, § 170, CEDH 2012 (extraits) avec les autres références y figurant, où la Cour a affirmé qu’un système de contrôle périodique dans lequel l’initiative appartient uniquement aux autorités n’est pas suffisant).

90. La Cour rappelle à cet égard que l’article 5 § 4 garantit un recours judiciaire qui doit être accessible à l’intéressé (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93, et Stanev, précité, § 170). Or force est de constater que la législation applicable n’autorise pas les mineurs placés dans un centre éducatif – internat à s’adresser aux juridictions pour demander le réexamen de leur détention. La Cour note l’argument du Gouvernement selon lequel le droit interne prévoit la possibilité de faire réviser la mesure de placement par les tribunaux, sur proposition de la commission locale (paragraphe 85 ci-dessus). Toutefois, à supposer que l’intéressée eût voulu passer par cette commission, la Cour observe que cette dernière constitue un organe administratif qui a le pouvoir discrétionnaire d’évaluer la situation de la mineure avant de formuler ou non une demande de révision de la mesure auprès des tribunaux (paragraphe 40 ci-dessus ; voir, a contrario, M.H. c. Royaume-Uni, no 11577/06, § 94, 22 octobre 2013, où l’organe administratif respectif était dans l’obligation de renvoyer une demande d’élargissement à l’autorité judiciaire et le défaut de le faire aurait entraîné une atteinte aux droits protégés par l’article 5 § 4).

91. Dès lors, la Cour conclut que la voie judiciaire invoquée par le Gouvernement était inaccessible à la requérante.

92. Par ailleurs, la Cour constate qu’il n’existe pas en droit interne de contrôle judiciaire périodique et automatique concernant la détention en cause.

93. Il s’ensuit qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

RECOURS EN MATIÈRE D'EXTRADITION OU EXPULSION

Cliquez sur un lien bleu ci dessous pour accéder gratuitement aux informations juridiques gratuites sur la jurisprudence de la CEDH :

LA JUSTICE REPROCHE AU REQUÉRANT SES PROPRES FAUTES

- LE RECOURS N'EXISTE PAS EN DROIT INTERNE OU LE JUGE A UN POUVOIR TROP RESTREINT DE CONTRÔLE

- LE DÉLAI TROP LONG POUR EXAMINER LA DÉTENTION AVANT EXTRADITION OU EXPULSION

LA JUSTICE REPROCHE AU REQUÉRANT SES PROPRES FAUTES

N.M. c. ROUMANIE du 10 février 2015 Requête no 75325/11

Violation de l'article 5-4 : Le requérant n'a pas pu faire son pourvoi dans les délais, l'arrêt de la Cour d'Appel a été signifié dans un autre endroit que celui où il a été déplacé par les autorités judiciaires.

80.  La Cour constate que, dans l’exposé de son grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se réfère, d’une part, aux dispositions légales en général et, d’autre part, à l’absence d’un recours pour contester la décision ordonnant son placement, et ce en raison, d’une part, de la manière dont il a été cité devant la cour d’appel pour l’audience du 17 décembre 2010 et, d’autre part, du refus de la Haute Cour de rouvrir le délai légal pour l’introduction de son pourvoi en recours.

81.  Pour ce qui est des allégations du requérant concernant les dispositions légales régissant la procédure de recours contre la décision l’ayant déclaré indésirable, la Cour rappelle que son rôle n’est pas d’examiner in abstracto la législation interne mise en cause, mais de rechercher si la manière dont elle a touché le requérant a enfreint la Convention (Ntumba Kabongo, précitée).

82.  Pour ce qui est de l’absence de recours pour contester la décision de placement, la Cour admet que le requérant a été cité à comparaître en roumain pour l’audience en question devant la cour d’appel alors qu’il ne comprenait pas cette langue. Toutefois, elle constate que d’après le dossier, l’intéressé, qui était libre et bénéficiait d’un logement dans un centre pour demandeurs d’asile, ne semble pas avoir fait des démarches pour comprendre le contenu de la citation, et ce bien qu’il ait rencontré, le 17 décembre 2010, l’avocat qui le représentait dans la procédure d’asile. Dans ces conditions, la Cour estime que le manque de diligence du requérant a pu contribuer à créer une situation l’empêchant de participer à l’audience devant la cour d’appel et d’y assurer sa défense (voir, mutatis mutandis, Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique, no 50049/99, §§ 48-51, 24 mai 2007). Partant, l’absence du requérant à cette audience ne parait pas exclusivement imputable aux autorités.

83.  Pour ce qui est du refus de la Haute Cour de rouvrir le délai légal pour l’introduction du pourvoi en recours par le requérant, la Cour convient de l’importance de respecter la réglementation relative à la formation des recours (voir, mutatis mutandis, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 44-45, Recueil 1998-VIII). Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (voir, mutatis mutandis, Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique, no 50049/99, § 57, 24 mai 2007). La Cour réitère ici l’importance de garantir aux personnes concernées par une mesure d’éloignement, mesure dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, le droit d’obtenir des informations suffisantes leur permettant d’avoir un accès effectif aux procédures et d’étayer leurs griefs.

84.  La Cour note que les autorités nationales, en l’espèce, ont omis d’informer le requérant de la base légale qui régissait le pourvoi en recours, bien que l’intéressé ait été informé de la possibilité de former ledit recours lors de son placement dans le centre pour les étrangers.

85.  De surcroît, la Cour relève que, d’après l’article 86 de l’OUG no 194/2002, le délai pour former un pourvoi en recours court à partir de la communication de l’arrêt rendu en première instance. En l’espèce, comme l’a reconnu la Haute Cour, l’arrêt contesté n’a pas été communiqué à l’adresse exacte où se trouvait le requérant. À cet égard, la Cour note que le requérant a été placé dans un centre pour les étrangers, le 17 décembre 2010, par l’ORI, l’autorité compétente selon la loi à exécuter la décision de la cour d’appel. Étant donné que le requérant s’était retrouvé privé de sa liberté, de l’avis de la Cour, l’ORI aurait pu et dû informer la cour d’appel de l’exécution de l’arrêt rendu le même jour et du changement d’adresse du requérant, afin de s’assurer que la communication de cet arrêt soit effectuée correctement et que le droit de recours du requérant serai effectif. Par ailleurs, il convient de noter que ni le centre pour les étrangers qui avait accueilli le requérant n’avait pas informé la cour d’appel de l’exécution de l’arrêt du 17 décembre 2010.

86.  Au vu de ces éléments, la Cour considère que même si le requérant a manqué de diligence pour ce qui est de la procédure devant la cour d’appel, la Haute Cour a fait preuve d’une rigidité excessive en déclarant le pourvoi en recours du requérant tardif. Ces éléments suffisent à la Cour pour rejeter l’exception du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes et pour conclure à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

RAHIMI c. GRECE du 5 AVRIL 2011 REQUÊTE N° 8687/08

Le recours doit être exposé dans une langue compréhensible au requérant et doit être direct et non indirect

Principaux faits

Le requérant, Eivas Rahimi, est un ressortissant afghan, né en 1992 et résidant actuellement à Athènes. Suite au décès de ses parents lors des conflits armés en Afghanistan, il quitta ce pays et arriva sur le territoire grec par l’île de Lesbos. Il y fut arrêté le 19 juillet 2007 et placé au centre de rétention de Pagani, dans l’attente de la décision d’expulsion à son encontre.

La version des faits diffère entre les parties. Les autorités soutiennent que Eivas a été informé, par une note en langue arabe, de son droit de saisir le chef hiérarchique de la police de ses griefs éventuels ainsi que le président du tribunal administratif concernant sa mise en détention. Le requérant allègue qu’il n’a reçu aucune information sur la possibilité de demander l’asile politique et que l’absence de traducteur certifié a entravé sa communication avec les autorités, puisque le compatriote qui faisait office d’interprète n’était tenu par aucune obligation de confidentialité. Selon Eivas, il n’a pas été informé dans une langue compréhensible de ses droits et du régime juridique auquel il était soumis.

Le requérant fut détenu jusqu’au 21 juillet 2007 au centre de Pagani où il allègue avoir été détenu avec des adultes, dormi sur un matelas insalubre, pris ses repas à même le sol et avoir été privé de contacts extérieurs – il n’a pu rencontrer qu’un représentant de l’organisation non gouvernementale (ONG) allemande « Pro Asyl » se trouvant en mission sur l’île de Lesbos). Selon le gouvernement grec, Eivas a été détenu dans une cellule spécialement aménagée pour des mineurs et ne s’est jamais plaint auprès des autorités locales des conditions de sa détention.

L’expulsion du requérant fut décidée par une ordonnance du 20 juillet, qui mentionnait que N.M., le cousin de Eivas, né en 1987, l’accompagnait. La phrase « il accompagne son cousin mineur (...) » apparaissait comme un texte standard. Le requérant allègue qu’il n’a jamais connu N.M. et qu’il n’a jamais déclaré le contraire aux autorités. Selon le gouvernement grec, le requérant ne s’est jamais plaint du fait que la personne qui l’accompagnait n’était pas son cousin et qu’il ne souhaitait pas partir avec lui.

Après sa remise en liberté, aucun hébergement ou moyen de transport n’a été proposé, à Eivas qui n’aurait reçu d’assistance que de la part de « Prosfygi », une ONG secourant les migrants. Sans abris pendant plusieurs jours à son arrivée à Athènes, Eivas fut ensuite hébergé par l’ONG « Arsis », dans un centre à Athènes où il se trouve toujours. Selon une attestation de 2009 de cet organisme, le requérant serait arrivé à Athènes seul avec d’autres mineurs non accompagnés et présentait des difficultés à s’intégrer, à dormir dans l’obscurité et à parler ainsi qu’un fort amaigrissement. Selon l’attestation, aucun tuteur n’avait été désigné bien que le parquet des mineurs eût été informé de la situation. L’attestation mentionne encore que Eivas aurait fui l’Afghanistan par crainte d’être contraint de s’enrôler dans l’armée des Talibans.

Le procès verbal établi lors de l’enregistrement de sa demande d’asile politique le 27 juillet 2007 ne fait pas état de membres de la famille du requérant l’accompagnant. Il mentionne par ailleurs que l’entretien avec les autorités a eu lieu en langue farsi. En septembre 2007, la demande d’asile politique du requérant fut rejetée et son recours à cet égard est toujours pendant.

Sur la question de savoir si le requérant était accompagné

Dans son appréciation des éléments de preuve, la Cour retient le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », et compare les éléments fournis par les autorités et ceux provenant d’autres sources fiables. Elle adopterait en effet une approche trop étroite dans les affaires d’expulsion ou d’extradition si elle se limitait aux éléments fournis par les autorités.

La question de savoir si Eivas était accompagné, sur laquelle les parties sont en désaccord, détermine quelles étaient les obligations de l’Etat à son égard. Se basant sur l’enregistrement de sa demande d’asile politique et sur le rapport d’ « Arsis », la Cour considère que depuis le 27 juillet 2007 le requérant n’est pas accompagné d’un proche.

Concernant la période du 19 au 27 juillet 2007, les allégations du requérant sur la situation des mineurs migrants, en particulier sur l’île de Lesbos, sont corroborées par plusieurs rapports qui relèvent notamment la persistance de graves lacunes en matière de tutelle des mineurs demandeurs d’asile non accompagnés2 , des problèmes de statistiques et de mineurs non accompagnés enregistrés par les autorités de Lesbos comme accompagnés3 et l’attribution arbitraire de mineurs à des adultes afghans avec les mentions « frère » ou « cousin »).

Aucune information sur le lien de parenté entre le requérant et N.M. ne ressort des documents officiels. La Cour accorde une importance particulière au fait que la mention « il accompagne son cousin mineur » apparaît comme un texte standard sur l’ordonnance d’expulsion. De plus, les autorités se seraient fondées uniquement sur les déclarations du requérant alors que, ne parlant pas anglais, il communiquait avec les autorités avec un compatriote. Ainsi le lien de parenté entre N.M. et le requérant a été établi par les autorités compétentes au travers d’une procédure aléatoire et sans garantie qu’il était de fait un mineur accompagné, ce qui avait des conséquences importantes puisque l’adulte désigné était censé assumer les fonctions de tuteur. La Cour note que le gouvernement grec n’a fourni aucune information concernant N.M. après sa remise en liberté.

Enfin, la conclusion de la Cour concernant la période du 27 juillet jusqu’à ce jour, établissant l’absence de tuteur pour une longue période, ne fait que conforter la version de la Cour pour la période antérieure au 27 juillet 2007. Ainsi, la Cour estime que la thèse du Gouvernement, à savoir que le requérant était un mineur accompagné, n’est pas établie pour la période allant du 19 au 27 juillet 2007.

Article 5 § 4

La Cour a déjà constaté les insuffisances du droit grec quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel de la mise en détention en vue d’expulsion et a conclu à des violations de l’article 5 § 4. L’article 76 de la loi no 3386/2005 ne permet pas expressément l’examen de la légalité du renvoi ni l’examen de la décision de détention sur des terrains autres que celui du risque de fuite ou de danger à l’ordre public. La Cour redit que quelques décisions judiciaires récentes rendues en première instance, admettant que les juridictions administratives examinent la légalité de la détention d’un étranger et, si elles la considèrent illégale pour quelconque motif, ordonnent sa libération, ne suffisent pas à faire disparaître l’ambiguïté des termes de la loi no 3386/2005.

S’agissant du recours en annulation contre la décision d’expulsion devant le ministre de l’Ordre public, prévu par l’article 77 de cette loi, il s’agit d’un recours pré-judiciaire dont l’exercice conditionne la saisine éventuelle des juridictions administratives d’un recours en annulation contre l’ordonnance d’expulsion et n’entrainant pas la levée de la détention.

En outre, le requérant ne pouvait en pratique contacter aucun avocat et la brochure d’information lui était incompréhensible. A supposer même que les recours évoqués aient été efficaces, la Cour ne voit pas comment l’intéressé aurait pu les exercer.

Par conséquent il y a eu violation de l’article 5 § 4.

LE RECOURS N'EXISTE PAS EN DROIT INTERNE

OU LE JUGE A UN POUVOIR TROP RESTREINT DE CONTRÔLE

AM C. France du 12 juillet 2016 requête 56324/16

Violation de l'article 5-4 : Le juge a un pouvoir trop restreint de contrôle notamment sur les conditions d'arrestation du requérant avant qu'il soit placé en "rétention administratif".

CEDH

36. La Cour a pu estimer qu’il était superflu de se prononcer sur le grief formé sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention dans le cas de privations de liberté de brève durée (voir, notamment, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, §§ 158-159, CEDH 2003-X). Elle rappelle cependant qu’en l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté avec son interpellation, le 7 octobre 2011, et s’est achevée avec son expulsion, le 11 octobre 2011. Compte tenu de la durée de cette privation de liberté, elle doit statuer sur le grief du requérant selon lequel il n’aurait pu bénéficier, pendant ces trois jours et demi, d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en ce sens, Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 55, CEDH 2002‑I ; Sadaïkov c. Bulgarie, no 75157/01, § 33, 22 mai 2008).

37. En l’espèce, en saisissant le juge administratif, le requérant a utilisé le seul recours dont il disposait. C’est donc l’effectivité de ce recours que la Cour se doit d’examiner.

38. Le requérant se plaint, en premier lieu, que ce recours n’a pas d’effet suspensif de la mesure d’éloignement. La Cour rappelle qu’elle n’a, en l’état de sa jurisprudence, jamais exigé que les recours prévus dans le cadre de l’article 5 § 4 aient un tel effet à l’égard de privations de liberté relevant de l’article 5 § 1 f). De plus, dans la mesure où l’étranger demeure privé de sa liberté dans l’attente de la décision du juge administratif, une telle exigence aboutirait, paradoxalement, à prolonger la situation qu’il souhaite faire cesser en contestant l’arrêté de placement en rétention. Elle conduirait, en outre, à retarder l’exécution d’une décision définitive d’éloignement, dont, au surplus, la légalité peut, comme en l’espèce, avoir été déjà vérifiée.

39. Le requérant critique ensuite le domaine du contrôle exercé par le juge administratif sur sa privation de liberté. Ce contrôle est, selon lui, trop restrictif pour satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4, de nombreux griefs relatifs à la privation de liberté ne pouvant être examinés que par le juge judiciaire.

40. L’article 5 § 4 ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours et il n’appartient donc pas à la Cour d’affirmer quelle voie de recours interne serait plus opportune qu’une autre, ni, a fortiori, de porter une appréciation sur la répartition des compétences opérée par les autorités internes entre les juges judiciaires et administratifs. Au regard de l’article 5 § 4, seule importe en effet l’ampleur du contrôle exercé. La Cour rappelle qu’en vertu de cette disposition, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012 ; Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B). Cela signifie notamment que toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire contrôler la régularité de sa détention à la lumière non seulement des exigences du droit interne mais aussi de la Convention, des principes généraux qui y sont consacrés et de la finalité des restrictions permises par l’article 5 § 1 (voir, entre autres, Suso Musa c. Malte, no 42337/12, § 50, 23 juillet 2013 ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II). L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil 1996‑V ; Dougoz, précité, § 61).

41. Ainsi, dans le cadre d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f), le contrôle judiciaire exigé par l’article 5 § 4 suppose que le juge puisse notamment contrôler qu’elle est légale au regard du droit interne, qu’elle est conforme aux principes généraux consacrés par la Convention et qu’elle respecte la finalité de l’article 5 § 1 f), c’est-à-dire qu’elle a bien lieu en vue de l’expulsion de l’intéressé. N’offre donc pas la possibilité d’obtenir une décision sur la légalité de la détention au sens de l’article 5 § 4 l’ordre juridique interne qui ne permet pas au juge d’examiner la légalité du renvoi qui constitue le fondement juridique de sa détention (Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009) ou qui ne l’autorise pas à contrôler séparément la légalité de la détention d’un étranger dont la décision d’expulsion qui le frappe est suspendue (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009). De même, le requérant qui ne peut faire examiner par le juge ses griefs relatifs à ses conditions de détention ne bénéficie pas d’un contrôle d’une ampleur suffisante pour satisfaire les exigences de l’article 5 § 4 (R.T. c. Grèce, no 5124/11, 11 février 2016).

42. En l’espèce, la privation de liberté du requérant a débuté au moment où ce dernier a été interpellé par les forces de l’ordre et s’est poursuivie par son placement en rétention pour s’achever lorsqu’il a été renvoyé. La Cour observe cependant que le juge administratif saisi, comme en l’espèce, d’un recours contre un arrêté de placement en rétention, n’a le pouvoir que de vérifier la compétence de l’auteur de cette décision ainsi que la motivation de celle-ci, et de s’assurer de la nécessité du placement en rétention. Il n’a, en revanche, pas compétence pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci (voir la partie « Droit interne pertinent »). Notamment, il ne peut contrôler les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de l’étranger. Ce faisant, il n’est pas en mesure de contrôler que les modalités de l’interpellation ayant conduit à la rétention sont conformes au droit interne ainsi qu’au but de l’article 5 qui est de protéger l’individu contre l’arbitraire (voir Čonka, précité). La Cour estime en conséquence qu’un tel contrôle est trop limité au regard des exigences de l’article 5 § 4 dans le cadre d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f).

43. Eu égard à ce qui précède, elle considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

Iribarne-Perez contre France du 24/10/1995 Hudoc 542 requête 16462/90;

Le requérant est condamné à Andorre pour trafic de drogue puis renvoyé en France pour exécuter sa peine. Il est incarcéré en France sans qu'il ne puisse faire de recours devant les juridictions françaises:

"§31: Selon la Cour () elle considère le Tribunal des Corts comme le "Tribunal compétent". Le contrôle exigé par l'article 5§4 se trouvait donc incorporé dans le jugement de ce dernier.". Partant, il n'y a pas de violation de l'article 5§4 de la Convention.

DÉLAI TROP LONG POUR EXAMINER LA DÉTENTION AVANT EXTRADITION OU EXPULSION

N.M. c. Belgique du 18 avril 2023 requête no 43966/19

Art 5-4, 5-1 et 3  de la Convention - Le placement d’un Algérien en détention administrative, pour des raisons de sécurité et en vue de son éloignement vers l’Algérie, n’a pas violé la Convention

L’affaire concerne la détention d’un ressortissant algérien pendant 31 mois dans un centre fermé pour étrangers en vue de son éloignement du territoire belge pour des raisons de risque d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale, le contrôle de légalité de cette mesure et les conditions de détention de l’intéressé dans le centre fermé de Vottem (Liège). La Cour relève que les autorités internes ont estimé que la détention du requérant était justifiée par des motifs tenant principalement à sa dangerosité et à la préservation de l’ordre public et de la sécurité nationale. Ces considérations ont été renforcées par la condamnation pénale intervenue en avril 2018 pour appartenance à un groupe terroriste. Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour estime que la détention du requérant entrait dans les prévisions de l’article 5 de la Convention et que sa durée n’a pas excédé le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi par les autorités belges consistant en son éloignement vers l’Algérie. Elle note aussi que les juridictions belges ont opéré un contrôle suffisant de la mesure de détention. Elle juge également que le requérant n’a pas été soumis, durant sa détention en régime de chambre au centre fermé de Vottem, à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Art 5 § 1 f) • Détention du requérant en vue de son expulsion pour des raisons d’ordre public et de sécurité nationale • Voies légales • Délai raisonnable

Art 5 § 4 • Contrôle suffisant de la légalité de la détention

Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Isolement cellulaire dans le centre fermé non constitutif de mauvais traitements

FAITS

Le requérant est un ressortissant algérien. Il est né en 1949. En 1993, il fut condamné par un tribunal algérien à une peine d’emprisonnement de 30 mois en raison de la « récolte de matériels pour besoin criminel et de fonds pour le Front islamique du Salut », parti dont il fut membre dans les années 1990. Lorsqu’il fut libéré, il quitta l’Algérie pour l’Europe où il introduisit plusieurs demandes de protection internationale, notamment en Belgique, qui furent rejetées. Par conséquent, les autorités belges délivrèrent à l’encontre du requérant plusieurs ordres de quitter le territoire belge, dont celui du 27 septembre 2017 qui fut assorti d’une décision de maintien en vue de l’éloignement et d’interdiction d’entrée sur le territoire. Cette décision – qui mentionnait notamment que le requérant n’était pas en possession d’un titre de séjour valable au moment de son arrestation et qu’il avait été placé sous mandat d’arrêt en 2015 pour sa participation aux activités d’un groupe terroriste – fut prolongée à plusieurs reprises. Le requérant fut finalement libéré le 20 mars 2020.

Entretemps, le requérant avait été condamné par les juridictions pénales belges à une peine de trois ans d’emprisonnement (en 2018) pour appartenance à un groupe terroriste en Syrie, et à huit mois d’emprisonnement (en 2021) pour avoir proféré des menaces à l’encontre d’un codétenu.

CEDH

Article 5-1 f)

  Poursuite d’un but autorisé par l’article 5 § 1 f)

  1. Rappel des principes généraux

85.  La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Énoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, l’une des exceptions au droit à la liberté permet aux États de restreindre celle des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (A. et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 3455/05, § 163, CEDH 2009, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, §§ 88‑89, CEDH 2016) dans deux types de cas.

86.  Le premier volet de l’article 5 § 1 f) permet aux États d’arrêter et de détenir les demandeurs d’asile et les immigrés tant qu’il ne leur a pas accordé l’autorisation d’entrer sur son territoire. La détention d’un individu qui n’est pas encore « entré » sur le territoire et a introduit une demande d’asile à la frontière peut viser à « empêcher l’intéressé de pénétrer irrégulièrement » durant l’instruction de sa demande d’asile au sens de la première partie de l’article 5 § 1 f) (voir, parmi d’autres, Saadi c. Royaume‑Uni [GC], no 13229/03, CEDH 2008, et Thimothawes c. Belgique, no 39061/11, 4 avril 2017).

87.  Le second volet de l’article 5 § 1 f) permet aux États de priver un individu de liberté aux fins de l’expulser ou l’extrader. Une privation de liberté fondée sur ce volet ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (A. et autres, précité, § 164). L’article 5 § 1 f) n’exige pas que sa détention fût en outre considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Saadi c. Royaume-Uni, précité, § 72).

88.  La Cour a cependant jugé que la condition tenant à l’existence d’une « procédure d’expulsion en cours » n’est pas établie lorsque les autorités n’ont pas de perspective réaliste d’expulser les intéressés pendant la période où ils sont détenus sans les exposer à un risque réel de mauvais traitements contraires à l’article 3 et que la détention pour le seul motif de sécurité nationale sort des limites de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 (A. et autres, précité, §§ 167 et 171, et M.S. c. Belgique, no 50012/08, § 150, 31 janvier 2012).

  1. En l’espèce

89.  La Cour constate que le requérant ne peut être assimilé aux individus qui ne sont pas encore « entrés » sur le territoire au sens du premier volet de l’article 5 § 1 f). Bien que n’ayant pas été autorisé à résider en Belgique, il y a été incarcéré après avoir été arrêté et extradé en Belgique (paragraphe 9 ci‑dessus ; voir K.G., précité, §§ 79-80 et références citées).

90.  Le requérant conteste également que sa détention ait pu entrer tout au long de sa durée dans les prescriptions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Il vise à cet égard sa détention initiale, la période d’examen de sa demande d’asile et la période qui a couru ensuite jusqu’à sa libération, le 20 mars 2020.

α)  Détention initiale du 20 septembre 2017

91. La détention administrative du requérant a été ordonnée le 20 septembre 2017 alors qu’il n’avait pas été autorisé à résider en Belgique mais qu’il y avait été incarcéré (paragraphe 9 ci‑dessus). La Cour note qu’un éloignement vers l’Algérie avait été planifié et annulé en raison de l’introduction, par le requérant, d’une nouvelle demande d’asile le 6 octobre 2017 (paragraphe 16 ci-dessus). Durant cette période, la détention du requérant entrait donc dans les prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f). 

β)  Détention entre le 6 octobre 2017 et le 16 septembre 2019

92.  Le requérant fait valoir que durant l’instruction de sa nouvelle demande d’asile, il bénéficiait, en tant que demandeur d’asile, de la protection contre le refoulement, et que, par conséquent, sa détention est sortie des prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f). La Cour ne peut suivre cette thèse. L’introduction d’une demande d’asile n’a pas, en soi, pour effet de rendre la détention administrative d’un demandeur d’asile incompatible avec l’article 5 § 1 f). Ce qui importe, c’est que les autorités internes aient poursuivi le dessein d’éloigner le requérant.

93.  En l’espèce, la Cour observe que le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a rejeté la demande d’asile du requérant le 27 décembre 2017, mais a eu recours à une clause de non-reconduite vers l’Algérie en se fondant sur l’article 3 de la Convention. Alors que le recours du requérant contre cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers demeurait pendant, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a réexaminé la situation et a considéré le 28 mai 2019 que le renvoi vers l’Algérie s’avérait désormais compatible avec l’article 3. Le requérant a formé un recours contre cette décision auprès du Conseil du contentieux des étrangers qui l’a annulée en raison de la nécessité de disposer des éléments complémentaires et l’a renvoyée devant le Commissaire général aux réfugiés et apatrides afin qu’il réexaminât la demande d’asile. Celui-ci a pris une nouvelle décision d’exclusion le 20 août 2019. Le recours formé par le requérant contre cette décision a été rejeté par le Conseil du contentieux des étrangers le 16 septembre 2019.

94.  Il ressort de ces éléments que les autorités belges ont constamment poursuivi, par le biais de mesures successives de détention et tout au long de celle-ci, le dessein d’éloigner le requérant vers l’Algérie en sorte que la détention du requérant entrait dans les prévisions de la seconde partie de l’article 5 § 1 f)) (voir, mutatis mutandisK.G., précité, § 80, et références citées). À l’estime de la Cour, la présente affaire se distingue de l’affaire M.S. c. Belgique (précitée, §§ 154-156), dans la mesure où les autorités internes ont, tout au long de la procédure d’asile, envisagé sérieusement l’éloignement du requérant et qu’elles ont procédé à la réévaluation du risque que pouvait encourir le requérant en cas d’éloignement (voir, mutatis mutandis, K.G., précité, § 84).

95.  De plus, la Cour constate que, à l’instar d’autres affaires dont elle a eu à connaître (voir mutatis mutandis, Chahal, précité, et K.G., précité), la présente affaire est marquée par des préoccupations pour l’ordre public et la sécurité nationale qui ont pesé lourdement dans le choix de maintenir le requérant en détention durant l’examen de sa demande d’asile. La Cour rappelle en particulier que, durant l’instruction de la demande d’asile, la détention du requérant reposait sur l’arrêté ministériel de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus) qui a ordonné sa détention jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été prise sur sa demande d’asile, en raison de la dangerosité de son profil, laquelle était étayée par une note de la Sûreté de l’État ainsi que par une note de l’OCAM (paragraphes 20 et 29 ci-dessus). Elle note également que le requérant a été condamné pénalement pour appartenance à une organisation terroriste pendant l’instruction de la demande d’asile (paragraphe 25 ci-dessus).

96.  Dans ces conditions, la Cour estime que le maintien en détention du requérant durant la procédure d’asile demeurait dans les prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

γ)   Détention entre le 16 septembre 2019 et le 20 mars 2020

97.  Il reste enfin à la Cour à examiner la période qui a couru jusqu’à ce que le requérant soit placé en centre d’accueil le 20 mars 2020 (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour observe qu’avant l’introduction par le requérant de son pourvoi en cassation administrative contre l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 (paragraphe 35 ci-dessus), l’Office des étrangers avait adopté, le 26 septembre 2019, un ordre de quitter le territoire en vue de procéder à l’éloignement du requérant (paragraphe 37 ci-dessus). Un rapatriement a été planifié pour le 11 octobre 2019 mais a été annulé en raison d’une mesure provisoire indiquée par la Cour (paragraphe 39 ci‑dessus). Un second vol a été planifié le 1er novembre 2019 qui a également dû être annulé en raison de l’interdiction judiciaire d’expulser le requérant ordonnée le 30 octobre 2019 et confirmée en appel le 21 février 2020 (paragraphe 42 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne peut considérer que, durant cette période également, les autorités belges n’ont pas fait preuve de diligence en vue de l’éloignement du requérant conformément aux prescriptions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

b)  Respect des voies légales

98.  La Cour rappelle que pour satisfaire à l’exigence de régularité, une détention doit avoir lieu « selon les voies légales », ce qui implique que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III). Si la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale, il y a également lieu de tenir compte, le cas échéant, d’autres normes juridiques applicables. Dans tous les cas, l’article 5 § 1 consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Paci c. Belgique, no 45597/09, § 64, 17 avril 2018, et références citées).

99.  En l’espèce, la Cour constate que les périodes de détention contestées par le requérant ont reposé sur quatre titres de détention : la décision de maintien du 20 septembre 2017 (paragraphe 11 ci-dessus), la décision de maintien du 9 octobre 2017 (paragraphe 18 ci-dessus), l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus) et la décision de maintien du 26 septembre 2019 (paragraphe 37 ci-dessus). Elle relève que, pour trois périodes de détention, le requérant conteste, dans ses observations, qu’elles ont une base légale en droit interne ou qu’elles respectent les règles de fond et de forme du droit interne.

  1. Détention du 20 au 26 septembre 2017

100.  Le requérant se trouvant en situation illégale de séjour au moment de sa libération de la prison de Hasselt, l’ordre de quitter le territoire du 20 septembre 2017 était assorti d’une privation de liberté pris en application de l’article 7, alinéa 1, 1o et 3o, de la loi sur les étrangers. Il était motivé par référence à l’article 74/8, § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers qui permet une détention « supplémentaire » de sept jours si le ministre compétent démontre être dans l’incapacité de procéder immédiatement à l’éloignement et pour autant que l’intéressé soit sous le coup d’un titre exécutoire de renvoi. Ce titre de détention valait jusqu’au 26 septembre 2017. La Cour n’a pas de raisons de considérer que la détention du requérant du 20 au 26 septembre 2017 ne respectait pas les voies légales.

  1. Détention du 6 au 20 octobre 2017

101.  Le requérant conteste la légalité de cette période de détention au motif que le 6 octobre 2017, la Cour avait indiqué aux autorités belges, en application de l’article 39 de son règlement, de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers l’Algérie jusqu’au 20 octobre 2017. La privation de liberté n’était donc plus justifiée, selon le requérant, par le déroulement de la procédure d’expulsion.

102.  La Cour rappelle que la mise en œuvre d’une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 de la Convention de la privation de liberté dont le requérant menacé d’expulsion fait, le cas échéant, l’objet (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II, S.P. c. Belgique (déc.), no 12572/08, 14 juin 2011, et Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, no 10486/10, § 120, 20 décembre 2011).

103.  La Cour ne voit donc pas de raisons de considérer que la période de détention du 6 au 20 octobre 2017 ne respectait pas les voies légales.

  1.  Détention du 16 septembre au 25 novembre 2019

104.  Alors que selon le Gouvernement le maintien en détention du requérant entre le 16 septembre et le 16 octobre 2019 reposait sur l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 qui autorisait sa détention, le requérant estime que cette thèse ne peut être suivie puisque la procédure d’asile s’était achevée avec l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 statuant sur le recours qu’il avait introduit contre cet arrêté.

105.  La Cour note, à la suite du Gouvernement, que l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 ne pouvait, en droit belge, devenir définitif qu’après l’expiration du délai de 30 jours prévus pour introduire un pourvoi en cassation administrative, délai durant lequel le requérant a introduit, le 2 octobre 2019, un tel pourvoi. Ce pourvoi n’étant pas suspensif, un nouvel ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l’éloignement a été adopté le 26 septembre 2019 pour une durée de deux mois, courant jusqu’au 25 novembre 2019. Ce quatrième titre de détention reposait sur l’article 74/14 § 3, 3o de la loi sur les étrangers. Il était motivé par le fait que le requérant se trouvait en situation irrégulière, ne disposait pas de titre de voyage et constituait une menace pour l’ordre public.

106.  Eu égard à ce qui précède, la Cour n’aperçoit rien qui lui permette de douter que la détention du requérant entre le 16 septembre 2019 et 25 novembre 2019 respectait les voies légales.

c)  Régularité de la détention

107.  Selon une jurisprudence constante de la Cour, la poursuite d’un but autorisé et le respect des voies légales n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 de la Convention exige en outre que la détention se concilie avec la finalité générale de l’article 5 qui est de protéger le droit à la liberté et d’assurer que l’individu ne soit privé de sa liberté de manière arbitraire. Sur le terrain de l’article 5 § 1 f), la Cour a considéré que pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit se faire de bonne foi, elle doit être étroitement liée au but autorisé, les lieu et conditions de détention doivent être appropriés et la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi c. Royaume-Uni, précité, § 74).

108. La Cour a jugé que la notion d’arbitraire contenue à l’article 5 § 1 n’impliquait pas que la détention doive être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Dans des situations de vulnérabilité particulière, elle a également indiqué que des décisions de placement en détention des demandeurs d’asile sans appréciation individuelle des besoins spécifiques des intéressés pouvaient toutefois poser un problème au regard de l’article 5 § 1 f). Cette exigence vise à détecter si les intéressés présentent une vulnérabilité particulière qui s’oppose à la détention et, le cas échéant, à rechercher s’il est possible de leur substituer une autre mesure moins radicale (voir, K.G., précité, § 73, Thimothawes, précité, § 73, et Nikoghosyan et autres c. Pologne, no 14743/17, § 79, 3 mars 2022). Ainsi, par exemple, la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre (A.B. et autres c. France, no 11593/12, § 123, 12 juillet 2016).

109.  En l’espèce, le requérant conteste la nécessité de sa détention et la durée exceptionnellement longue de celle-ci (paragraphes 79-80 ci-dessus).

  1. Nécessité de la détention

110.  La Cour relève que la situation du requérant ne pourrait être comparée avec celle d’autres requérants demandeurs d’asile qui présentaient une vulnérabilité particulière et à l’égard desquels la Cour a souligné la nécessité d’envisager une alternative à la détention (voir, en ce qui concerne les mineurs non accompagnés: Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, §§ 99-104, CEDH 2006-XI, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 108-110, 5 avril 2011, et Housein c. Grèce, no 71825/11, § 76, 24 octobre 2013, et à propos des étrangers malades: Yoh-Ekale Mwanje, précité, § 124). Elle note par ailleurs que le requérant a eu accès aux soins médicaux (paragraphes 68-70 ci-dessus) et qu’il s’est vu proposer de recourir aux services de soutien psychologique du centre fermé mais qu’il n’a pas souhaité y donner suite (paragraphe 69 ci-dessus). Pour le surplus, le grief portant sur les conditions de détention du requérant sera examiné ci-après par la Cour (paragraphes 142-158 ci-dessous).

111.  Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être reproché aux autorités belges de ne pas avoir opté pour des alternatives à la détention du requérant (voir paragraphe 108 ci-dessus).

  1. Durée de la détention

112.  La Cour a pour tâche de vérifier si la durée de la détention n’a pas excédé le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi c. Royaume-Uni, précité, §§ 72-74). Ainsi, s’il y a eu des périodes d’inactivité de la part des autorités et, partant, un défaut de diligence, le maintien en détention cesse d’être justifié (Gallardo Sanchez c. Italie, no 11620/07, § 41, CEDH 2015).

113.  En l’espèce, le requérant met en cause la durée totale de sa détention qui s’est étendue sur trente et un mois. Elle s’est ouverte le 20 septembre 2017 (paragraphe 11 ci-dessus) pour s’achever le 20 mars 2020 quand le requérant a été libéré (paragraphe 46 ci-dessus). Il pointe en particulier le manque de diligence des autorités dans l’examen de sa demande d’asile.

114.  La Cour doit déterminer si la période considérée était excessive, et si les autorités internes ont poursuivi avec diligence les procédures internes afin de poursuivre leur but ultime d’éloignement du requérant. Elle aura pour cela égard à l’ensemble des procédures qui ont pu impacter la durée de la détention (voir, parmi d’autres, K.G., précité, §§ 82-87, E.K. c. Grèce, no 73700/13, § 97, 14 janvier 2021, et Komissarov c. République tchèque, no 20611/17, §§ 49-53, 3 février 2022).

115.  La Cour est sensible au caractère particulièrement long de la détention administrative du requérant. Elle examinera attentivement cette durée au regard des circonstances concrètes de l’espèce et des justifications avancées par le Gouvernement.

116.  S’agissant, tout d’abord, du déroulement de la procédure d’expulsion quand celle‑ci était possible, soit entre le 20 septembre 2017 et le 5 octobre 2017, la Cour a déjà constaté que les autorités belges avaient agi avec la diligence requise (paragraphes 93-95 ci-dessus).

117.  En ce qui concerne, ensuite, l’examen de la (troisième) demande d’asile que le requérant a introduite le 6 octobre 2017, la Cour a déjà relevé les principales mesures prises quant à son instruction (paragraphe 95 ci‑dessus). La Cour admet que cette instruction était particulièrement complexe. Elle emportait des évaluations importantes liées à la clarification des risques effectivement encourus par le requérant en Algérie en raison de la situation générale dans ce pays mais aussi de sa situation personnelle. La Cour ne peut perdre de vue que ces évaluations sont dictées par l’article 3 de la Convention, tel qu’interprété dans sa jurisprudence (voir, en particulier, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, §§ 111-127, 23 mars 2016 et J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, §§ 77-105, 23 août 2016) et qui garantit un droit absolu (voir récemment et parmi d’autres, S. c. France, no 18207/21, §§ 96‑98, 6 octobre 2022, et références citées). Elle rappelle à cet égard que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter en veillant à l’harmonie et à la cohérence interne de ses différentes dispositions (voir, parmi d’autres, Mihalache c. Roumanie [GC], no 54012/10, § 92, 8 juillet 2019).

118.  Parallèlement, la Cour relève que, tout au long de l’instruction de la demande d’asile, le cas du requérant impliquait des considérations tout aussi importantes liées à la sauvegarde de l’ordre et la sécurité publics, eu égard au profil dressé par les autorités belges, en l’occurrence les services de la Sûreté de l’État et de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace, et au risque de prosélytisme identifié par ces organes (paragraphes 20 et 29 ci-dessus). Au vu du risque réel de dangerosité présenté par le requérant mais aussi des condamnations pénales encourues (paragraphes 25 et 47), il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation des autorités nationales qui n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable (voir notamment, mutatis mutandis, K.G., précité, § 74).

119.  La Cour observe par ailleurs que saisies par le requérant à plusieurs reprises de demandes de remise en liberté (paragraphes 26-28 ci-dessus), les juridictions judicaires ont, à chaque fois, estimé que la détention du requérant était justifiée par des motifs tenant principalement à sa dangerosité et à la préservation de l’ordre public et de la sécurité nationale. Ces considérations ont été renforcées par la condamnation pénale intervenue le 20 avril 2018 pour appartenance à un groupe terroriste, le requérant n’ayant pas formé appel de cette décision (paragraphe 25 ci-dessus).

120.  Compte tenu de ce qui précède la Cour estime que la durée de la détention du requérant n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, excédé le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi par les autorités belges, consistant en l’éloignement du requérant vers l’Algérie.

d) Conclusion

121.  La Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

Article 5-4

128.  La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 5 § 4 de la Convention, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (A.M. c. France, précité, §§ 40-41, et références citées).

129.  L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard de l’article 5 § 1 (Chahal, précité, § 127). Le contrôle judiciaire exigé suppose que le juge puisse notamment contrôler que la détention est légale au regard du droit interne, qu’elle est conforme aux principes généraux consacrés par la Convention et qu’elle respecte la finalité de l’article 5 § 1 f) (A.M. c. France, précité, § 41).

130.  La Cour note en l’espèce que le requérant a formé cinq demandes de remise en liberté devant les juridictions et que, postérieurement à celle introduite le 20 décembre 2018, il n’a plus par la suite introduit de nouvelle demande devant les juridictions d’instruction.

131.  Elle note qu’en droit belge le contrôle de légalité pratiqué par les juridictions d’instruction porte sur la validité formelle de l’acte, notamment quant à l’existence de sa motivation et au point de vue de sa conformité tant aux règles de droit international ayant des effets directs dans l’ordre interne, qu’à la loi sur les étrangers. Ce contrôle implique également la vérification de la réalité et de l’exactitude des faits invoqués par l’autorité administrative, le juge examinant si la décision s’appuie sur une motivation que n’entache aucune erreur manifeste d’appréciation ou de fait (paragraphe 72 ci-dessus).

132.  La Cour constate en l’espèce, à la lumière de la motivation retenue par les juridictions d’instruction (paragraphes 21, 24, 26-28 ci-dessus), que celles-ci ont systématiquement vérifié, tant au regard du droit interne que celui de la Convention, que la détention du requérant avait pour but son expulsion, que les autorités administratives se montraient diligentes sur ce terrain, que sa dangerosité avait été confirmée, et que la procédure d’asile poursuivait son cours.

133.  En ce qui concerne les conditions de détention du requérant, la Cour observe que celui-ci ne les a jamais mises en cause devant les juridictions internes à proprement parler. Il s’est limité à mentionner dans le cadre de ses troisième, quatrième et cinquième requêtes de mise en liberté les effets sur sa santé physique et psychique de la durée de sa détention sans perspective de libération (paragraphes 26-28 ci-dessus). Á cet égard, la Cour note que le requérant a porté son grief tiré de ses conditions de détention devant la Commission des plaintes qui rendit le 8 mars 2018 une décision de levée partielle du régime appliqué au requérant (paragraphe 59 ci-dessus). Au moment où le requérant a introduit, le 18 mai 2018, la première de ces demandes de mise en liberté fondée sur les effets de sa détention sur sa santé, le régime de détention qu’il dénonçait avait donc déjà évolué.

134.  Enfin, la Cour note que la présente affaire se distingue d’autres affaires concernant la Belgique dans lesquelles la Cour a constaté la violation de l’article 5 § 4 de la Convention du fait de l’application de la jurisprudence « sans objet » de la Cour de cassation (Muhammad Saqawat, précité, §§ 63‑77, et références citées). En effet, en l’espèce, aucune décision judiciaire n’a constaté l’illégalité de la détention (voir dans le même sens : Sabani c. Belgique, no 53069/15, §§ 67-68, 8 mars 2022).

135.  Eu égard à ce qui précède, il ne peut être considéré que le contrôle de la détention du requérant opéré par les juridictions belges n’était pas d’une ampleur suffisante au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.

Article 3

142  Le requérant se plaint du régime de chambre pendant les premiers mois de détention administrative au centre fermé de Vottem (paragraphes 53‑59).

143.  La Cour rappelle que l’isolement cellulaire ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 3 de la Convention. Si l’éloignement prolongé de toute relation avec autrui n’est pas souhaitable, la question de savoir si une telle mesure relève de l’article 3 dépend des conditions particulières, de la rigueur de la mesure, de sa durée, de l’objectif poursuivi et de ses effets sur la personne concernée (Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 93, 21 juillet 2005, et Rzakhanov c. Azerbaïdjan, no 4242/07, § 64, 4 juillet 2013). Une interdiction de contact avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline ou de protection ne constitue pas en soi une peine ou un traitement inhumain (Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, § 123, CEDH 2006-IX). En revanche, un isolement sensoriel complet, couplé à un isolement social total, peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne peut être justifié par les exigences de la sécurité ou par toute autre raison (ibidem, § 120).

144.  L’isolement cellulaire, même dans les cas n’entraînant qu’un isolement relatif, ne peut être imposé à un détenu indéfiniment et doit être fondé sur des motifs réels, ordonné seulement à titre exceptionnel avec les garanties procédurales nécessaires et après que toutes les précautions ont été prises (A.T. c. Estonie (no 2), no 70465/14, § 73, 13 novembre 2018). Afin d’éviter tout risque d’arbitraire, des raisons substantielles doivent être données lorsqu’une période prolongée d’isolement est prolongée. La décision doit ainsi permettre d’établir que les autorités ont procédé à une réévaluation qui tient compte de tout changement dans les circonstances, la situation ou le comportement du détenu (Csüllög c. Hongrie, no 30042/08, § 31, 7 juin 2011).

145.  En l’espèce, le requérant a été placé au sein d’une aile spéciale pour détenus considérés comme « dangereux » pendant cinq mois et demi, soit du 26 septembre 2017 au 8 mars 2018 (paragraphes 53, 54 et 59 ci-dessus). La Cour constate qu’il y était soumis à un isolement partiel et relatif (voir notamment Ramirez Sanchez, précité, § 135) : il bénéficiait d’un régime de deux préaux individuels par jour, et faisait l’objet d’un contrôle visuel nocturne toutes les heures de 22 heures à 7 heures.

146.  À partir du 8 octobre 2017, le requérant a été admis à partager la vie de groupe quelques heures par jour (paragraphe 55 ci-dessus). Toutefois, en raison d’incidents concrets attestant d’un comportement antisocial et prosélyte à l’égard des autres résidents, le requérant a à nouveau été placé en régime de chambre (paragraphe 58 ci-dessus). Un régime de groupe partiel a ensuite été instauré le 6 mars 2018 – peu avant la décision de la Commission des plaintes (paragraphe 59 ci-dessus) –, avant le passage à un régime de groupe ordinaire le 21 mars 2018 (paragraphe 60 ci-dessus).

147.  Au vu de ce qui précède, la Cour peut donc suivre le Gouvernement lorsqu’il allègue que la détention du requérant a été réévaluée par la direction du centre en fonction du profil du requérant et de son comportement.

148.  Le requérant se plaint qu’aucune décision autorisant le placement en régime de chambre ne lui a été fournie lors de son arrivée au centre fermé. Ce n’est que le 19 décembre 2017 que, par courrier, la direction du centre fermé, en réponse aux représentants du requérant, a indiqué que le régime de chambre avait été décidé en application de l’article 83/1 de l’arrêté royal du 2 octobre 2008 (paragraphe 57 ci-dessus). Ce courrier se référait aux motifs énoncés par l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 et au risque de prosélytisme qui en résultait. La Cour souligne que cette carence a légitimement participé à la perception par le requérant qu’il était soumis à une mesure arbitraire (paragraphe 144 ci-dessus). Toutefois, elle n’a pas privé la détention du requérant de sa base légale, et, en tout état de cause, elle ne pourrait conduire, en soi, à un constat de violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention subies par le requérant.

149.  Le requérant allègue que les craintes des autorités belges au moment de son arrivée au centre pour le placer en régime de chambre étaient sans fondement. La Cour observe toutefois que la Sûreté de l’État a établi le 2 octobre 2017 une note soulignant que le requérant était connu pour sa radicalité et avait de nombreux contacts avec des personnes impliquées dans des dossiers terroristes (paragraphe 20 ci-dessus). La note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace établie le 8 décembre 2017 rappelait que le requérant était classé à un niveau 3 sur 4 sur l’échelle de gravité de la menace terroriste et extrémiste et qu’il s’était rallié activement à un groupe terroriste lors de son séjour en Syrie (idem). La Cour constate par ailleurs que la crainte que le requérant n’adopte une attitude asociale et prosélyte et procède à des recrutements dans une aile classique à l’égard des autres résidents s’est avérée par la suite (paragraphe 58 ci-dessus ; voir également paragraphe 47 ci-dessus).

150.  La Cour note qu’aucun élément du dossier durant le maintien du requérant en régime de chambre n’a constaté de conséquences néfastes de l’isolement sur sa santé, que ce soit physique ou psychique. Sur ce point, la Cour relève que le requérant a eu accès aux services d’un médecin et a eu en 2018 la visite quotidienne d’un infirmier du centre et qu’il n’allègue pas que les soins qui lui ont été prodigués étaient inappropriés (paragraphes 66-70 ci‑dessus). Il a également refusé le suivi psychologique qui lui a été proposé, à sa demande, durant son isolement (paragraphe 69 ci-dessus).

151.  Il apparaît enfin du rapport établi le 6 décembre 2018, plusieurs mois après la levée de l’isolement, que le requérant reconnaissait lui-même que le régime de chambre avait été plus adapté à sa situation (paragraphe 66 ci‑dessus).

152.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas été soumis, durant sa détention en régime de chambre au centre fermé de Vottem, à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

153. Partant, il n’y a pas eu de violation de l’article 3 de la Convention.

FIROZ MUNEER c. BELGIQUE du 11 avril 2013, requête 56005/10

Un délai de 4 mois est trop long pour faire examiner la légalité d'une détention.

76.  La Cour rappelle que le fait de n’avoir constaté aucun manquement aux exigences du paragraphe 1 de l’article 5 ne la dispense pas de contrôler l’observation du paragraphe 4 : il s’agit de deux textes distincts et le respect du premier n’implique pas forcément celui du second (Kolompar c. Belgique, 24 septembre 1992, § 45, série A no 235‑C). De plus, l’importance de l’article 5 § 4 en matière d’éloignement du territoire a été soulignée à plus d’une reprise (voir, parmi d’autres, arrêt Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, §§ 42 à 61, série A no107).

77.  Elle rappelle également que, de même que toute autre disposition de la Convention et de ses protocoles, l’article 5 § 4 doit s’interpréter de telle manière que les droits y consacrés ne soient pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, § 33, série A no 37, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits)).

78.  En l’espèce, le requérant fut placé en détention le 21 janvier 2010 à la suite de la décision d’éloignement du même jour. Il fit ensuite l’objet d’un réquisitoire de ré-écrou après avoir refusé d’embarquer à bord d’un vol pour Athènes le 29 janvier 2010. La mesure de détention fut prolongée le 26 mars 2010. Le requérant fut libéré le 26 mai 2010. La durée globale de la détention du requérant a donc été de quatre mois et cinq jours.

79.  La Cour doit rechercher si, au cours de cette période, le requérant a pu faire examiner à bref délai la légalité de sa détention par un tribunal.

80.  A cet égard, la Cour relève que le requérant fut placé en détention sur décision de l’OE le 21 janvier 2010 contre laquelle il n’introduisit pas de requête de mise en liberté. La première requête date du 1er février 2010 quand le requérant saisit la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles d’une demande de mise en liberté visant le réquisitoire de ré-écrou du 29 janvier 2010. Le 5 février 2010, la chambre du conseil ordonna la mise en liberté immédiate du requérant, décision qui fut confirmée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 17 février 2010. Le requérant fut toutefois maintenu en détention car l’Etat avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et que la Cour de cassation, après avoir cassé l’arrêt, avait renvoyé l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée. La suite de la procédure avorta : le 6 avril 2010, la chambre des mises en accusation considéra en effet que, du fait de la prolongation de la mesure de détention, titre autonome de privation de liberté, le recours contre la décision du 29 janvier 2010 n’avait plus d’objet.

81. La Cour relève que, de l’avis du Gouvernement lui-même, l’issue de la première procédure de mise en liberté aurait pu et dû être différente et que la chambre des mises en accusation aurait dû examiner le bien-fondé du recours.

82.  Le requérant introduisit une seconde requête de mise en liberté contre la prolongation décidée par l’OE le 26 mars 2010. Il fut débouté par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles par une ordonnance du 2 avril 2010, mais cette ordonnance fut réformée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 21 avril 2010 qui ordonna la mise en liberté du requérant. Le requérant fut toutefois à nouveau maintenu en détention comme suite au pourvoi en cassation formé par l’Etat contre cet arrêt. Il fut finalement mis en liberté le 26 mai 2010 à l’expiration du délai légal de deux mois avant que la Cour de cassation ait pu se prononcer sur le pourvoi.

83.  Cette dernière situation s’explique, selon le Gouvernement, par le fait que le requérant n’a déposé son mémoire en défense que la veille de la date à laquelle l’audience avait été fixée, ce qui a obligé la Cour de cassation à remettre l’affaire et l’a ainsi empêchée de se prononcer avant la libération du requérant.

84.  La Cour ne peut que constater que le requérant a été privé de sa liberté à partir du 29 janvier 2010 pendant près de quatre mois et qu’il n’a pas pu obtenir de décision finale sur la légalité de sa détention, alors qu’il avait entamé à deux reprises une procédure en vue de sa mise en liberté, que les dernières décisions juridictionnelles sur le bien-fondé des requêtes de mise en liberté, rendues par la chambre des mises en accusation, étaient chaque fois favorables au requérant, et que ces décisions n’ont pas été cassées par la Cour de cassation pour des motifs tenant à leur justification légale.

85.  La Cour considère que cette situation ne peut être reprochée au requérant, lequel a respecté les délais légaux.

86.  Certes, le requérant a été remis en liberté alors que la seconde procédure de mise en liberté était encore pendante. Toutefois, la Cour rappelle que ce n’est que si un détenu est relâché « à bref délai » avant tout contrôle judiciaire que la Cour pourrait conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 45, série A no 182). Or, en l’espèce, la Cour estime que l’on ne saurait considérer que le requérant a été mis en liberté « à bref délai ».

87.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale.

88. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

Sanchez-Reisse contre Suisse du 21 octobre 1986 Hudoc 155 requête 9862/82

Le requérant avait subi une arrestation en vue de son extradition vers l'Argentine; il dépose une requête qui n'est examinée qu'au bout de 20 jours  par l'office et l'appel devant le tribunal fédéral n'a été examiné qu'après 26 jours

"Les intervalles écoulés entre l'introduction des requêtes et la décision les concernant ont dépassé le "bref délai" prévu par l'article 5§4"

Pour accéder gratuitement aux derniers arrêts remarquables de la CEDH, lisez l'actualité juridique sur FBLS CEDH.

Nous pouvons analyser GRATUITEMENT et SANS AUCUN ENGAGEMENT vos griefs pour savoir s'ils sont susceptibles d'être recevables devant le parlement européen, la CEDH, le Haut Commissariat aux droits de l'homme, ou un autre organisme de règlement international de l'ONU.

Si vos griefs semblent recevables, pour augmenter réellement et concrètement vos chances, vous pouvez nous demander de vous assister pour rédiger votre pétition, votre requête ou votre communication individuelle.

Pour les français, pensez à nous contacter au moins au moment de votre appel, pour assurer l'épuisement des voies de recours et augmenter vos chances de réussite, devant les juridictions françaises ou internationales.

Cliquez pour nous poser vos questions, l'e mail permet de rester confidentiel.