DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCÉDURE

ARTICLE 6-1 DE LA CEDH

Pour plus de sécurité, fbls délai non raisonnable est sur : https://www.fbls.net/6-1delai.htm

"Le délai raisonnable d'une procédure est une forme de déni de justice"
Frédéric Fabre docteur en droit.

ARTICLE 6§1 en ses termes compatibles :

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue () dans un délai raisonnable, par un tribunal () qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien- fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle"

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- LES RECOURS INTERNES CONTRE UN DÉLAI NON RAISONNABLE

- LE DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCÉDURE D'ACCUSATION PÉNALE

- LE DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCÉDURE CIVILE

- LE DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE

- LE DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE JURIDICTION ADMINISTRATIVE

- LE DÉLAI NON RAISONNABLE DES PROCÉDURES DE LIQUIDATION JUDICIAIRE

MOTIVATION REMARQUABLE DE LA CEDH

PANJU c. BELGIQUE du 23 mai 2023 requête n° 49072/21

"76.  Par ailleurs, force est de constater que si le requérant n’a pas obtenu une indemnisation devant les juridictions nationales, cette absence d’indemnisation ne résultait pas d’une exclusion prévue par les règles du droit national en vigueur (paragraphes 25‑27 ci-dessus) mais de l’absence de démonstration d’un préjudice conformément à ces mêmes règles. La Cour de cassation a rappelé en l’espèce qu’il appartenait au juge saisi d’une demande fondée sur l’article 1382 du code civil de vérifier si l’irrecevabilité des poursuites réparait adéquatement le préjudice résultant du dépassement du délai raisonnable (paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit, en d’autres termes, que le droit belge ne s’oppose pas à l’octroi d’une indemnisation complémentaire à l’irrecevabilité des poursuites, pour autant que la preuve d’un préjudice que cette irrecevabilité n’aurait pas adéquatement réparé, soit apportée.

77.  Enfin, le requérant reproche aux juges d’appel de ne pas avoir procédé à une évaluation in concreto du dommage matériel subi en raison de la restitution tardive des avoirs bloqués et de l’or saisi (paragraphe 54 ci‑dessus). La Cour note à l’examen de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles que ce préjudice ne découle pas de la durée excessive de l’instruction pénale initiée à l’égard du requérant en 2002, mais résulte du retard à restituer les avoirs et l’or saisis à compter du constat de l’irrégularité de la procédure par la chambre du conseil le 10 mai 2011 (paragraphe 21 ci-dessus). La cour d’appel de Bruxelles a considéré que si le requérant était fondé à critiquer cette restitution tardive intervenue au début de l’année 2013 (paragraphe 11 ci-dessus), il était toutefois resté en défaut de prouver concrètement l’existence de son dommage, faute de produire des pièces de nature à en établir l’existence (paragraphe 21 ci-dessus).

78.  Eu égard aux constats dressés par la cour d’appel de Bruxelles, contrôlés par la Cour de cassation, la Cour ne voit aucune raison de considérer que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour obtenir la réparation des préjudices allégués découlant du dépassement du délai raisonnable, tel que la Cour l’a constaté dans son arrêt du 28 octobre 2014.

79.  Au vu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention."

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LES RECOURS INTERNES

CONTRE UN DÉLAI NON RAISONNABLE

Les condamnations pour délais non raisonnables de la procédure sont extrêmement nombreuses. Il est donc inutile de les reprendre toutes. Nous n'aurions qu'une liste fastidieuse et inutile. D'ailleurs, les autorités des États ont réagi à la multitude des condamnations et ont  prévu une procédure interne de réparation de ce grief. Conformément à l'application de l'article 35§1 de la Convention, il est donc maintenant nécessaire de demander réparation devant les juridictions internes avant de saisir la C.E.D.H puisque les  juridictions internes appliquent les principes dégagés par la jurisprudence de la C.E.D.H.

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LES RECOURS INTERNES EN ITALIE

LA PROCEDURE PINTO POUR DEMANDER REPARATION D'UN DELAI NON RAISONNABLE EST RECONNU COMME EFFICACE

VERRASCINA ET AUTRES c. ITALIE du 28 avril 2022 Requêtes nos 15566/13 et 5 autres

Art 35 § 1 • Épuisement des voies de recours internes • Recours prévu par la loi Pinto, à la suite de la réforme de 2012 de son article 4 et jusqu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018, n’étant pas un recours effectif au sens de l’art 13

Art 6 § 1 (civil) • Délai raisonnable • Durée excessive des procédures comprise entre neuf et vingt-quatre ans

a)  Principes généraux

17.  La Cour renvoie aux principes énoncés dans l’arrêt Olivieri et autres (précité, §§ 39-47). En particulier, elle rappelle que, pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation dénoncée et présenter des perspectives raisonnables de succès (ibidem, § 43). Concernant la durée de la procédure, les recours dont un justiciable dispose au plan interne sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła, précité, § 159, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010).

18.  Elle rappelle également avoir indiqué à maintes reprises que le meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention (voir, parmi d’autres, Cocchiarella [GC], § 74, précité). Néanmoins, il est aussi évident que, pour les pays où existent déjà des violations liées à la durée de procédures, un recours tendant uniquement à accélérer la procédure, s’il serait souhaitable pour l’avenir, peut ne pas être suffisant pour redresser une situation où il est manifeste que la procédure s’est déjà étendue sur une période excessive (ibidem, § 76).

b)     Application de ces principes aux cas d’espèce

19.  Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief des requérants visant la durée des procédures dans lesquelles ils étaient engagés constitue prima facie un grief « défendable ». Les procédures en cause ont en effet duré de neuf à plus de vingt-quatre ans (voir le tableau en annexe). Les intéressés avaient ainsi droit à un recours effectif à cet égard (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 102, CEDH 2006‑VII, et Olivieri et autres, précité, § 48).

20.  Dans leurs observations, les requérants rappellent qu’au moment de l’introduction de chaque requête, les procédures avaient amplement dépassé le délai raisonnable. Ils estiment ainsi que l’interdiction prévue à l’article 4 de la loi Pinto de présenter une demande de réparation avant la conclusion de la procédure principale aurait rendu ce recours ineffectif.

21.  Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient qu’avec la loi no 134 du 7 août 2012, le législateur italien a effectivement opté pour un éventail de recours plus restreint, mais que, par l’arrêt de 2018 de la Cour constitutionnelle, le texte initial de l’article 4 de la loi Pinto était de nouveau applicable (paragraphe 6 ci-dessus).

22.  Il fait ensuite valoir que les principes dégagés dans l’arrêt Robert Lesjak (précité) ne seraient pas applicables dans les cas d’espèce, puisque, d’après sa lecture, cet arrêt porterait sur le seul recours tendant à accélérer la procédure.

23.  La Cour observe d’emblée que l’article 4 de la loi Pinto résultant de la réforme de 2012 est la disposition applicable ratione temporis aux présentes affaires. La disposition litigieuse subordonnait la possibilité d’introduire un recours indemnitaire pour tout préjudice causé par la durée excessive d’une procédure au moment où la décision finale devenait définitive. En réponse à l’observation du Gouvernement relative aux effets de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018 (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour relève que les présentes affaires ont été introduites entre 2013 et 2015, bien avant la décision précitée. Dès lors, dans les présentes affaires la Cour n’examinera pas l’effectivité de l’article 4 résultant de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018.

24.  La Cour rappelle avoir affirmé que l’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant (Kudła, précité, § 157) et que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).

25.  Toutefois, la Cour considère qu’en l’espèce la disposition contestée ne laissait aucun doute quant à l’absence de perspectives de succès du recours et à l’issue défavorable d’une éventuelle demande de réparation introduite avant la conclusion de la procédure principale. Elle rappelle que la Convention doit être interprétée et appliquée de manière à garantir des droits concrets et effectifs.

26.  Elle précise également que la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable implique une situation continue et que le prolongement de la procédure litigieuse est susceptible de causer, dans le chef du requérant, des désagréments considérables et une incertitude prolongée. Dès lors, lorsqu’il estime que la durée de la procédure a été excessive, un requérant doit avoir la possibilité de demander réparation devant les juridictions internes à tout moment de la procédure principale (voir, mutatis mutandis, Di Sante c. Italie, no 32143/10, § 16, 27 avril 2017).

27.  Par ailleurs, la Cour note que, peu de temps après la réforme de 2012 de la loi Pinto, la question de l’effectivité du recours indemnitaire a été soulevée, d’abord la même année par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphe 9 ci-dessus), puis en 2014 par la Cour constitutionnelle qui a invité le législateur à modifier l’article 4 de la loi Pinto (paragraphe 7 ci‑dessus). En 2018, après avoir constaté l’inertie du Parlement, celle-ci a déclaré inconstitutionnel l’article 4 de la loi précitée.

28.  Quant à la lecture faite par le Gouvernement de l’arrêt Robert Lesjak (paragraphe 22 ci-dessus), la Cour considère qu’elle ne tient pas compte de la partie de celui-ci dédiée au recours compensatoire (ibidem, §§ 47-53). Dans cet arrêt, elle a rappelé que la question d’un accès raisonnablement rapide au recours indemnitaire pourrait avoir une incidence sur l’efficacité de ce recours. Elle a aussi estimé indispensable qu’une procédure, qui a déjà été longue, soit résolue rapidement après l’épuisement des voies de recours accélérées. D’ailleurs, la Cour note que, dans son arrêt de 2014, la Cour constitutionnelle s’est fondée sur les mêmes passages de l’arrêt Robert Lesjak pour conclure que le recours indemnitaire ne disposait pas d’un caractère effectif (paragraphe 7 ci-dessus).

29.  À titre surabondant, la Cour observe que les recours de nature préventive tendant à accélérer la procédure ont été introduits par la loi Pinto seulement en 2015, donc trois ans après la réforme de 2012 (paragraphe 6 ci‑dessus). À propos de ce type de recours, la Cour rappelle qu’elle s’est trouvée à maintes reprises à juger de l’effectivité d’un remède en accélération (Olivieri et autres, précité, §§ 53 et 60, et Mirjana Marić c. Croatie, no 9849/15, §§ 72-81, 30 juillet 2020). Elle a reconnu au recours préventif un caractère « effectif » dès lors que pareil recours permet d’hâter la prise d’une décision sur l’affaire dont le tribunal est saisi et prévoit des conditions visant à garantir l’examen d’une telle demande par les autorités judiciaires saisies. S’agissant des recours introduits en 2015, la Cour renvoie au constat fait par la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt de 2018, la Cour constitutionnelle a affirmé que les recours de nature préventive introduits par la loi Pinto n’ont aucun effet réel sur le déroulement de la procédure, étant donné que les juridictions n’ont aucune obligation d’accélérer la procédure, elles ont une simple faculté d’y parvenir, et que, comme indiqué par l’article 1 ter de la même loi, l’ordre dans le traitement des procédures, déterminé par d’autres dispositions de loi, n’est pas affecté par les recours préventifs en question (paragraphe 6 ci-dessus).

30.  À la lumière de tout ce qui précède, la Cour estime que le recours prévu par la loi Pinto, à la suite de la réforme de 2012 de l’article 4 de la loi précitée et jusqu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2018 (paragraphes 8 et 23 ci-dessus), ne peut pas être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il y a donc lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention.

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

31.  Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie à la lumière des circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes et l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Cocchiarella [GC], § 68, précité, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

32.  En ce qui concerne la durée des procédures suivies devant les juridictions internes, la Cour renvoie au tableau en annexe. La durée variable de ces procédures comprise entre neuf et vingt-quatre ans est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » prévu à l’article 6 § 1.

33.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Francesco MEDIANI contre l’Italie du 1er octobre 2020 Requête n° 11036/14

irrecevabilité 6-1 : décision incohérente de la CEDH : le recours extraordinaire auprès du président de la République n'est devenu juridictionnel qu'en 2010. Le requérant a fait son recours en 2004, alors qu'il n'était pas encore juridictionnel. Le recours Pinto pour délai non raisonnable d'une procédure judiciaire doit d'abord être effectué avant de saisir la CEDH.

25.  Le requérant indique que le recours en cause a été introduit le 13 juillet 2004 et, selon les dernières informations fournies, était pendant à la date du 11 décembre 2018.

26.  La Cour rappelle, à titre préliminaire, qu’elle s’était déjà penchée sur le recours extraordinaire au président de la République dans la décision relative à l’affaire Nardella c. Italie ((déc.), no 45814/99, CEDH 1999‑VII). Elle avait estimé que les dispositions de la Convention ne s’appliquaient pas au recours en question et que celui-ci devait être considéré comme une voie de recours extraordinaire, dont l’épuisement n’était pas requis pour satisfaire aux exigences de l’article 35 de la Convention.

27.  La Cour considère qu’il y a lieu d’analyser plus en détail la question, à la lumière des évolutions dont a fait l’objet ce recours.

28.  Tout d’abord, la Cour rappelle que, déjà sous l’empire de l’ancienne procédure, la Cour de justice des Communautés européennes avait reconnu la nature juridictionnelle du Conseil d’État (paragraphe 22 ci-dessus). En effet, la Cour de justice avait affirmé qu’aux fins du renvoi préjudiciel, il était possible de considérer le Conseil d’État une juridiction ayant qualité pour soulever une question préjudicielle. Toutefois, la Cour observe qu’à l’époque de la décision Nardella (précité), successive à l’arrêt communautaire, l’avis du Conseil d’État n’était pas contraignant et pouvait ainsi ne pas être suivi par le président de la République. Cet élément caractérisant le recours extraordinaire au président de la République à cette époque, avait amené la Cour à conclure, dans la décision précitée, pour l’inapplicabilité de l’article 6 à ce type de procédures (Mutu et Pechstein c. Suisse, nos 40575/10 et 67474/10, §139, 2 octobre 2018, Benthem c. Pays-Bas, 23 octobre 1985, § 40, série A no 97). Or,  cette conclusion, à la lumière des modifications législatives encourues entre 2009 et 2010 et de la jurisprudence nationale, ne saurait plus être maintenue.

29.  La Cour observe encore que, depuis la loi no 205 de 2000 (paragraphe 15 ci-dessus), il est possible de demander la suspension de l’exécution du décret présidentiel, si un préjudice grave et irréparable découlant de l’exécution du décret y est attaché, de manière similaire à la possibilité, ordinairement offerte à chaque partie, qui vise à suspendre l’exécution d’une décision juridictionnelle.

30.  En analysant les modifications apportées successivement par la loi de 2009 et le décret législatif de 2010, la Cour remarque d’abord qu’à partir de la loi de 2009 le président de la République entérine dans son décret l’avis du Conseil d’État. Selon la jurisprudence interne (paragraphe 17 ci‑dessus), cette nouvelle disposition a rendu l’avis du Conseil d’État contraignant, transmettant ainsi la nature juridictionnelle de l’avis, rendu par l’organe suprême de la juridiction administrative, à l’acte adopté par le président de la République.

31.  La Cour note ensuite que le décret législatif de 2010 (paragraphe 14 ci-dessus) indique clairement que le recours extraordinaire peut être introduit pour toutes les matières relevant du domaine de compétence du juge administratif. Elle observe que le recours extraordinaire n’est dès lors admissible que lorsque le litige à trancher entre parmi les matières pour lesquelles la juridiction administrative est reconnue compétente. Ce qui dessine le recours extraordinaire comme un remède systématiquement et pleinement alternatif au recours juridictionnel ordinaire.

32.  De plus, la Cour relève que l’article 48 du décret susmentionné confirme aussi la juridictionnalisation du recours extraordinaire et introduit une garantie procédurale pour les autres parties, en donnant en effet la possibilité à chaque partie intéressée d’accepter le choix de la partie adverse de saisir le président de la République ou de s’y opposer, et dans ce cas de demander à porter le recours devant le juge administratif. Aux yeux de la Cour, cette disposition requiert ainsi le consensus, en substance, de chaque partie, qui peut donc accepter que l’affaire soit tranchée dans le cadre d’une procédure qui, tout en respectant le principe du contradictoire, exclut le double degré de juridiction et connaît une instruction simplifiée et accélérée. Ainsi, le recours extraordinaire au président de la République présente des similitudes, sans pour autant en avoir la nature, à ce qui pourrait apparaître comme un recours per saltum au Conseil d’État.

33.  La Cour note également que la Cour constitutionnelle a reconnu que le Conseil d’État peut soulever une question de constitutionnalité (paragraphe 16 ci-dessus), si le recours extraordinaire ne peut être tranché indépendamment de la résolution de cette question. Dans ce cas, le Conseil d’État suspend la procédure et, en indiquant les termes et les motifs de la question, ordonne la transmission immédiate de l’affaire à la Cour constitutionnelle.

34.  Enfin, la Cour rappelle que la jurisprudence interne (paragraphe 18 ci-dessus) a admis qu’en cas de non-exécution du décret présidentiel, l’intéressé peut introduire un recours en exécution (giudizio di ottemperanza) devant le TAR compétent, de la même manière que pour obtenir l’exécution d’un jugement administratif. De surcroît, elle note qu’en application de l’article 395 du code de procédure civile, un pourvoi en cassation pour révocation peut être formé contre le décret du président de la République (paragraphe 21 ci-dessus).

35.  En conclusion, pour toutes ces raisons, la Cour estime qu’à la suite des modifications apportées par la loi de 2009 et le décret législatif de 2010, le processus de transformation du recours extraordinaire au président de la République s’est conclu avec sa juridictionnalisation au sens de l’article 6 de la Convention. Dès lors, à partir de l’entrée en vigueur du décret législatif de 2010, à savoir le 16 septembre 2010, l’article 6 de la Convention est devenu applicable au recours extraordinaire au président de la République, pour autant, cela va de soi, que la procédure dans laquelle un tel recours est exercé porte sur une contestation sur des « droits et obligations de caractère civil ».

36.  Par conséquent, lorsque l’intéressé estime que la procédure en cause a eu une durée excessive, il incombe à celui-ci, avant de saisir la Cour, d’introduire une demande d’indemnisation devant la cour d’appel « Pinto » compétente, afin de permettre aux juridictions internes de se pencher sur la question.

37.  Dans la présente espèce, la Cour relève que le requérant a introduit son recours devant le président de la République le 13 juillet 2004, bien avant le 16 septembre 2010. Elle note aussi que celui-ci n’a pas saisi la cour d’appel « Pinto » pour se plaindre de la durée excessive alléguée.

38.  Elle souligne que, d’après la jurisprudence interne, le « nouveau régime de juridictionnalisation » du recours en cause s’applique seulement aux recours introduits à partir du 16 septembre 2010 (paragraphe 20 ci‑dessus).

39.  Des lors, la Cour considère que le recours interne ne relevait pas, au moment des faits de la cause, du domaine d’application de la nouvelle procédure de recours extraordinaire. Ainsi, en rappelant ses conclusions dans l’affaire Nardella, précitée, la Cour juge que cette requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

L'ITALIE N'A PAS CRÉÉ UNE PROCÉDURE EFFICACE POUR ABRÉGER UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE, LE RECOURS PINTO EST BIDON

Bozza c. Italie requête 17739/09 du 14 septembre 2017

Article 6-1 de la procédure Pinto mise en place en Italie pour réparer le délai non raisonnable des procédures judiciaires est trop longue, puisqu'il faut calculer comme point final, la décision définitive du juge de l'exécution qui ordonne à l'État de payer l'indemnisation à laquelle, il a été condamné à payer. Par conséquent , le délai de six mois pour saisir la CEDH commence à courir à partir de la décision du juge de l'exécution.

1. Principes généraux

42. Dans son arrêt fondateur Hornsby (précité, §§ 40 et suivants ; voir aussi Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, série A no 286‑A, Di Pede, précité, et Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, Recueil 1996‑IV), la Cour a établi le principe selon lequel le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire restât inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (voir aussi Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 65, CEDH 2009).

43. Il découle de ces principes l’obligation pour les États contractants d’assurer que chaque droit revendiqué trouve sa réalisation effective. La Cour a également indiqué que l’étendue de cette obligation varie en fonction de la qualité de la partie débitrice. Elle opère en effet une distinction selon la nature de la partie débitrice, débiteur-particulier ou débiteur-administration de l’État.

44. Dans le premier cas, lorsque le particulier ou la personne privée est défaillant, il revient aux États contractants d’assurer l’assistance nécessaire afin que le droit revendiqué trouve sa réalisation effective. Bien que leur responsabilité ne puisse être engagée du fait du défaut de paiement d’une créance exécutoire dû à l’insolvabilité d’un débiteur « privé » (voir, mutatis mutandis, Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003, Ciprova c. République tchèque (déc.), no 33273/03, 22 mars 2005, et Cubănit c. Roumanie (déc.), no 31510/02, 4 janvier 2007), les États ont l’obligation positive de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui permet d’assurer l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). La responsabilité des États concernant l’exécution d’un jugement par une personne de droit privé peut dès lors se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de la diligence requise ou encore empêchent l’exécution (Bogdan Vodă Greek-Catholic Parish c. Roumanie, no 26270/04, § 44, 19 novembre 2013, et Sekul c. Croatie (déc.), no 43569/13, §§ 54-55, 30 juin 2015).

45. Dans le deuxième cas, lorsqu’un jugement ou arrêt est prononcé contre l’État, le particulier qui a obtenu un jugement contre celui-ci n’a normalement pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir l’exécution forcée (Metaxas, précité, § 19). Il lui suffit de le signifier en bonne et due forme à l’autorité étatique concernée (Akachev c. Russie, no 30616/05, § 21, 12 juin 2008) ou d’effectuer certaines démarches procédurales de nature formelle (Chvedov c. Russie, no 69306/01, §§ 29-37, 20 octobre 2005, et Kosmidis et Kosmidou c. Grèce, no 32141/04, § 24, 8 novembre 2007). Son obligation de coopérer ne doit toutefois pas excéder ce qui est strictement nécessaire à l’exécution de la décision et, quoi qu’il en soit, elle n’exonère pas l’administration de l’obligation d’agir de sa propre initiative et dans les délais prévus (Akachev, précité, § 22, Bourdov, précité, § 35, et Koukalo c. Russie, no 63995/00, § 49, 3 novembre 2005), notamment en organisant son système judiciaire (voir, mutatis mutandis, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000‑IV, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 45, CEDH 2000‑VII).

46. Un délai d’exécution déraisonnablement long d’un jugement obligatoire peut donc emporter violation de la Convention (Bourdov, précité, § 73). Le caractère raisonnable d’un tel délai doit s’apprécier en tenant compte en particulier de la complexité de la procédure d’exécution, du comportement du requérant et des autorités compétentes et du montant et de la nature de la somme accordée par le juge (Raïlian c. Russie, no 22000/03, § 31, 15 février 2007).

47. La Cour a déjà jugé que, lorsque l’exécution ne posait aucun problème particulier, s’agissant du versement d’une somme d’argent, un délai d’un an et trois mois méconnaissait a priori le droit du requérant à un tribunal et que, en revanche, la non-exécution d’un jugement pendant six mois n’était pas déraisonnable en soi (Bourdov (no 2), précité, §§ 83 et 85).

48. En ce qui concerne le recours indemnitaire destiné à redresser les conséquences de la durée excessive d’une procédure, la Cour a admis qu’une administration pouvait avoir besoin d’un certain laps de temps pour procéder à un paiement et elle a fixé à six mois, à compter de la date à laquelle la décision d’indemnisation est devenue exécutoire, le délai de paiement (Cocchiarella, précité, § 89).

2. Application des principes au cas d’espèce

49. Revenant à la présente affaire, la Cour rappelle que le jugement du tribunal de Naples a été rendu le 10 décembre 2002 et que, faute de notification, il est devenu obligatoire et exécutoire le 25 janvier 2004. À partir de cette date, l’autorité défenderesse savait ou était censée savoir qu’elle était tenue de verser à la requérante la somme due.

50. Selon la jurisprudence citée plus haut (voir paragraphes 42-45 ci‑dessus), la requérante n’était pas tenue d’engager une quelconque procédure d’exécution, s’agissant en l’espèce d’un jugement obtenu contre l’État. La Cour note de surcroit que l’exécution de ce jugement ne comportait aucune difficulté particulière en sus du simple versement d’une somme d’argent.

51. En l’absence de paiement spontané par l’Administration, la requérante saisit le juge de l’exécution de Naples lequel, le 25 janvier 2005, rendit une saisie-attribution en sa faveur (paragraphe 13 ci-dessus).

52. Dès lors, le droit revendiqué par la requérante a trouvé sa réalisation effective à cette dernière date, la saisie-attribution étant donc la « décision interne définitive » de la procédure principale dans la présente affaire (voir, parmi d’autres, Bourdov (no 2), précité, § 72).

53. Par conséquent, la procédure s’est déroulée entre le 21 octobre 1994 et le 27 mars 1998 et puis à partir du 10 mars 1999 pour se conclure le 25 janvier 2005 (paragraphes 8-13 ci-dessus).

54. Au demeurant, la Cour note que l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation a opéré en 2016 un revirement de sa jurisprudence en la matière (paragraphes 23-24 ci-dessus). En particulier, comme l’a remarqué le Gouvernement défendeur dans ses observations (paragraphe 37 ci-dessus), les faits à l’origine de l’arrêt no 9142/2016 sont similaires aux faits litigieux.

55. La Cour observe que, bien qu’il ne soit complètement aligné sur les principes fixés dans sa jurisprudence (paragraphes -48 ci-dessus), cet arrêt prête à une lecture globale selon laquelle « il est possible de considérer la procédure comme étant un tout, aux fins du calcul de la durée (de la procédure) ».

56. Cependant, à l’époque des faits litigieux, les tribunaux internes avaient une interprétation opposée en la matière portant sur la séparation stricte de la procédure au fond et de celle d’exécution (paragraphe 22 ci‑dessus). D’ailleurs, cette interprétation se trouve confirmée dans les décisions rendues contre la requérante par la cour d’appel de Rome du 18 mai 2006 et par la Cour de cassation du 25 septembre 2008.

57. En conclusion, la Cour rappelle avoir traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions similaires en matière de durée de la procédure et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », en s’appuyant sur des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres précédents, Cocchiarella, précité, avec les références à Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V, Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, §23, CEDH 1999‑V, Ferrari c. Italie [GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999 et A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999).

58. N’apercevant aucune raison de se départir de ses précédentes conclusions, la Cour estime que la durée de la procédure a été excessive et qu’elle ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ». En conclusion, la Cour rejette l’exception du Gouvernement relative à la tardivité de la requête et estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure.

FASAN ET AUTRES c. ITALIE du 13 avril 2017 Requête no 36974/11

Article 6-1 : La procédure dite Pinto contre le délai non raisonnable d'une procédure n'est pas efficace en Italie.

A. Sur la recevabilité

12. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont subi aucun préjudice important au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention puisque, selon lui, leurs demandes ont été dûment examinées par les autorités internes et qu’elles étaient en tout état de cause mal fondées.

13. Les requérants contestent cette thèse.

14. La Cour rappelle que, afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte, notamment, les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant. Dans l’évaluation de ces conséquences, la Cour examinera, en particulier, l’enjeu de la procédure nationale ou son issue (Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011, et El Kaada c. Allemagne, no 2130/10, § 41, 12 novembre 2015).

15. En l’espèce, la Cour note que les requérants se plaignaient de la durée de la procédure civile. À l’évidence, une durée de procédure de vingt-sept ans et quatre mois environ, pour deux degrés de juridiction, ne saurait être compatible avec le principe du délai raisonnable posé par l’article 6 § 1 de la Convention. Dans l’évaluation de la gravité des conséquences de ce type d’allégation, l’enjeu de l’affaire devant les juges nationaux ne peut être déterminant que dans l’hypothèse où la valeur de cet enjeu serait faible ou dérisoire (Giusti, précité, § 35). La Cour estime que cela n’est pas le cas en l’espèce puisque la présente cause concerne le droit du travail et, en particulier, la contestation par les requérants de leur classement dans une certaine catégorie professionnelle (paragraphe 4 ci‑dessus).

16. Quant à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle les demandes introduites devant les juridictions nationales étaient mal fondées, la Cour rappelle que la reconnaissance du droit à un jugement dans un délai raisonnable ne dépend pas de l’issue favorable de la procédure principale (voir, notamment, Giusti, précité, §§ 8 et 49, et Belperio et Ciarmoli c. Italie, no 7932/04, §§ 10 et 60, 21 décembre 2010). Elle estime que, tout au plus, le caractère manifestement mal fondé des demandes aurait dû constituer un indice du caractère peu complexe de l’affaire, ce qui justifie d’autant moins un retard aussi important dans leur examen. Elle note enfin que ni dans le cadre de la procédure principale ni dans celui de la procédure Pinto les juridictions internes n’ont estimé que les demandes des requérants pouvaient être considérées comme abusives (voir, mutatis mutandis, Jovanović c. Serbie (déc.) [comité], no 40348/08, 7 mars 2014, et, a contrario, Cavaliere c. Italie (déc.), nos 50930/11 et 50893/13, 12 novembre 2013).

17. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le premier critère de l’article 35 § 3 b) de la Convention, à savoir l’absence de préjudice important pour les requérants, n’est pas rempli en l’espèce et que, partant, il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement sur ce point.

18. Le Gouvernement argue ensuite que les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes des violations alléguées dès lors que, selon lui, les juridictions internes ont, en premier lieu, reconnu la violation et, en deuxième lieu, accordé une somme pour dommage moral, ce qui constitue à ses yeux une réparation adéquate.

19. Les requérants combattent cette thèse.

20. La Cour note tout d’abord qu’elle examine pour la première fois l’application de l’article 6 de la Convention au contentieux relatif à la durée des procédures devant les organes juridictionnels de la Chambre des députés.

21. Elle relève ensuite que, en vertu de l’autonomie normative du Parlement prévue à l’article 64 de la Constitution et des normes spéciales établies par le règlement de la Chambre des députés, la compétence en matière de durée des procédures devant les organes juridictionnels de la Chambre des députés ne revient pas à la cour d’appel, mais au collège d’appel.

22. Elle constate enfin que, à la suite de l’arrêt Savino (précité), les autorités nationales ont reconnu, conformément à l’approche adoptée dans cet arrêt, l’applicabilité de l’article 6 de la Convention et, par conséquent, la protection accordée par la loi Pinto au contentieux entre la Chambre des députés et ses fonctionnaires. Elle observe que, de plus, les juridictions internes ont reconnu devant la section juridictionnelle la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure.

23. Cela dit, la Cour réaffirme qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suivants, série A no 51, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, et Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X). Elle estime que ces deux conditions ne sont pas remplies en l’espèce.

24. En effet, la Cour note en premier lieu que le collège d’appel a considéré qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte la procédure en première instance puisque, selon ce collège, les requérants auraient dû saisir les organes de Strasbourg dans les six mois à compter de la décision de la commission (paragraphe 8 ci‑dessus).

25. En tout cas la Cour considère que la durée de la procédure s’analyse en une « situation continue », qui, dans la présente espèce, a pris fin le 26 janvier 2009, jour du dépôt au greffe de l’arrêt de la section juridictionnelle (paragraphe 6 ci-dessus). En outre, elle estime que les requérants auraient dû avoir la possibilité d’alléguer devant les juridictions internes la violation de l’article 6 de la Convention pour l’ensemble de la procédure litigieuse. Elle note que les juridictions internes ont écarté de leur examen une partie de la procédure principale. Il s’ensuit que, pour cette partie de la procédure, il n’y a pas eu reconnaissance de la violation alléguée (voir, a contrario, Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 79, CEDH (extraits), où la Cour a estimé que le fait que la loi Pinto ne permettait pas d’indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais prenait seulement en compte le préjudice qui se rapportait à la période excédant le délai raisonnable ne remettait pas en cause, pour l’instant, l’effectivité de cette voie de recours).

26. En deuxième lieu, la Cour estime que la somme accordée par le collège d’appel ne suffit pas à réparer la violation.

27. En effet, elle note que, compte tenu de la spécificité du litige, de son enjeu et des éventuels retards imputables aux requérants, la somme obtenue par les requérants, à savoir 4 000 EUR chacun, ne correspond qu’à environ 21 % de celle qu’elle aurait pu leur accorder en l’absence de voies de recours internes accessibles et effectives.

28. Partant, les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l’article 34 de la Convention (voir, a contrario, Garino c. Italie (déc.), nos 16605/03, 16641/03 et 16644/03).

29. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

30. La Cour constate que la procédure principale a débuté en juillet 1981 et s’est terminée en janvier 2009. La procédure en cause a donc duré environ vingt-huit ans pour deux degrés de juridiction.

31. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce, dans lesquelles elle a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable » eu égard aux critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a lieu de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour le même motif.

OLIVIERI ET AUTRES c. ITALIE du 25 février 2016

Requêtes n° 17708/12, 17717/12, 17729/12 et 22994/12

Arrêt définitif depuis le 4 juillet 2016 suite au rejet devant la Grande Chambre, de la demande de renvoi de la part de l'Italie.

Violation de l'article 6 pour délai non raisonnable : Épuisement des voies de recours internes pour abréger une procédure trop longue, la procédure PInto est bidon. Dans cet arrêt, la CEDH annule la curieuse solution de la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans son arrêt du 16 décembre 2014 en matière de liquidation judiciaire qui dure 20 ans.

a) Épuisement des voies de recours internes et violation alléguée de l’article 13 de la Convention

i. Principes généraux

39. En vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [L]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention revient au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Cocchiarella précité, § 38 ; Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 49, 18 juin 2013).

40. La Cour rappelle que le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne, sous peine de vider les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention de toute substance. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no42527/98, § 45, CEDH 2001-VIII). La remarque vaut particulièrement pour les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, vu la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société démocratique (Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 68, 29 octobre 2015).

41. La finalité de l’article 35 § 1, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, parmi d’autres, l’arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 (avec lequel elle présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła précité, § 152).

42. Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, notamment, les arrêts Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], no 17153/11 et 29 autres requêtes, § 71, 25 mars 2014 ; Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Vernillo c. France, arrêt du 20 février 1991, série A no198, pp. 11–12, § 27).

43. Selon la Cour, pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II ; Vučković et autres, précité, § 74 et Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004).

44. Les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII ; Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010).

45. La Cour a affirmé à maintes reprises que le meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention. Lorsqu’un système judiciaire s’avère défaillant à l’égard de l’exigence découlant de l’article 6 § 1 de la Convention quant au délai raisonnable, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il permet d’hâter la décision de la juridiction concernée. Il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir a posteriori comme le fait un recours indemnitaire (Scordino précité, § 183 ; Cocchiarella précité, § 74).

46. Il est aussi évident que, pour les pays où existent déjà des violations liées à la durée de procédures, un recours tendant uniquement à accélérer la procédure, s’il serait souhaitable pour l’avenir, peut ne pas être suffisant pour redresser une situation où il est manifeste que la procédure s’est déjà étendue sur une période excessive.

47. Différents types de recours peuvent donc coexister dans le but de redresser la violation de façon appropriée. La Cour l’a déjà affirmé en matière pénale en jugeant satisfaisante la prise en compte de la durée de la procédure pour octroyer une réduction de la peine de façon expresse et mesurable (Beck c. Norvège, no 26390/95, § 27, 26 juin 2001). Par ailleurs, certains États l’ont parfaitement compris en choisissant de combiner deux types de recours, l’un tendant à accélérer la procédure et l’autre de nature indemnitaire (Cocchiarella précité, § 77 ; Scordino précité, § 186).

ii. Application des principes au cas d’espèce

48. Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief des requérants, relatif à la durée des procédures juridictionnelles administratives devant le TAR de Campanie, constitue prima facie un grief « défendable ». Les procédures ont en effet eu une durée de plus de dix-huit ans (voir tableau en annexe). Les requérants avaient donc droit à un recours effectif à cet égard (Valada Matos das Neves c. Portugal, précité, § 74).

49. La Cour a jugé dans son arrêt Kudła (précité, § 156) que « l’interprétation correcte de l’article 13 est que cette disposition garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation imposée par l’article 6 § 1 d’entendre les causes dans un délai raisonnable.».

50. Au niveau national, c’est la loi Pinto, no 89 du 24 mars 2001, qui a introduit dans le système juridique italien une voie de recours indemnitaire contre la longueur excessive des procédures judiciaires.

51. Pour ce qui est des procédures juridictionnelles administratives, l’article 54, deuxième alinéa du décret-loi no 112/2008 (converti en la loi no 133 de 2008) a introduit une condition de recevabilité du recours « Pinto ». Les « juridictions Pinto » ne peuvent être saisies que si la partie requérante a déposé, au cours de la procédure principale, une demande de fixation en urgence de la date de l’audience (istanza di prelievo). À l’époque des faits litigieux, cette demande se fondait sur l’article 51 du décret royal no 642 du 17 août 1907.

52. Selon la Cour, à partir de la date d’entrée en vigueur du décret-loi no 112 de 2008, à savoir le 25 juin 2008, le législateur a mis en place une nouvelle procédure pour se plaindre de la longueur excessive de la procédure juridictionnelle administrative. Celle-ci se compose de deux phases : la première phase, qui prévoit l’introduction de la demande dite istanza di prelievo au cours de la procédure devant le juge administratif et qui est condition de recevabilité d’un recours Pinto; la deuxième phase, disciplinée par la loi Pinto, qui permet à chaque individu de présenter une demande de satisfaction équitable auprès de la cour d’appel compétente ratione loci.

53. En ce qui concerne la demande de fixation en urgence de la date de l’audience, la Cour rappelle qu’elle s’est trouvée à maintes reprises à juger de l’effectivité d’un remède en accélération (voir, parmi beaucoup d’autres, Xynos c. Grèce, no 30226/09, 9 octobre 2014 ; Sürmeli précité ; Lukenda c. Slovénie, no. 23032/02, ECHR 2005‑X ; Horvat c. Croatie, no 51585/99, CEDH 2001‑VIII). En particulier, elle a reconnu à ce type de recours un caractère « effectif » dans la mesure où il permet d’hâter la décision de la juridiction concernée.

54. En ce qui concerne les présentes affaires, le texte de loi disciplinant cette demande à l’époque des faits, à savoir l’article 51 du décret-royal no 642 du 17 août 1907, indiquait que « dans le décret de fixation de l’audience, le président (du TAR) peut, à la demande de la partie ou d’office, déclarer l’affaire urgente ».

55. À la suite de l’entrée en vigueur du code de procédure administrative (décret-loi no 104 de 2010), la nouvelle discipline prévoit, dans son article 71, que « la partie peut signaler l’urgence du recours en déposant une demande (istanza di prelievo). L’article 8, alinéa 2, de l’annexe no 2 du même code établit que « le président (du TAR) peut déroger au critère chronologique pour des raisons d’urgence, en tenant également compte de l’istanza di prelievo, soit pour les exigences liées à l’activité du tribunal, soit en raison de la connexion de matière ou lorsque le Conseil d’État a annulé un jugement ou une ordonnance et renvoyée l’affaire au juge de première instance ».

56. La Cour note que le libellé des deux textes de loi montre que le président du TAR a une simple faculté de fixer la date de l’audience. En deuxième lieu, l’istanza di prelievo est considérée comme un critère parmi les autres prévus à l’article 8 de l’annexe no 2 du code de procédure administrative. Enfin, faute d’informations du Gouvernement à ce sujet, il y a lieu de remarquer qu’il ne semble pas que la législation nationale ait prévu des modalités précises quant au traitement de la demande en question, en particulier les critères que le président du TAR doit appliquer pour rejeter ou faire droit à la demande et les conséquences, en cas de décision favorable à la partie, sur le déroulement de la procédure.

57. La Cour rappelle que le Gouvernement a affirmé que la demande de fixation en urgence de la date de l’audience serait un remède accélératoire comparable à ceux existant dans d’autres systèmes juridiques des pays membres du Conseil de l’Europe. Force est, toutefois, de constater qu’il n’a fourni aucun exemple de la pratique judiciaire sur ce point. À cet égard, le Cour s’est penchée sur une série d’arrêts de la Cour de cassation rendus entre 2014 et 2015 en matière de durée excessive de procédures juridictionnelles administratives, afin d’évaluer l’effet pratique de la demande de fixation en urgence de la date de l’audience (l’istanza di prelievo) sur le déroulement de la procédure principale.

58. Il résulte de ces arrêts que, entre la date de la présentation de la demande et la date de fixation de l’audience de discussion, la procédure juridictionnelle administrative a eu une durée ultérieure de plus d’un an et demi (arrêt no 23902/14, dépôt du 10 novembre 2014), de presque deux ans (arrêt no 24030/14, dépôt du 12 novembre 2014), de plus de deux ans (arrêt no 1652/2015, dépôt du 28 janvier 2015), d’environ 4 ans (arrêt no 24031/14, dépôt du 12 novembre 2014), d’environ douze ans (arrêt no 2307/15, dépôt du 6 février 2015).

59. La Cour s’est également penchée sur la pratique des tribunaux administratifs régionaux. À cet égard, elle relève que le traitement des demandes semble dépendre de manière aléatoire de la politique de priorités de chaque TAR. À titre d’exemple, dans une procédure devant le TAR du Latium (RG no 8937/95), la partie demanderesse a déposé une demande de fixation en urgence de la date de l’audience le 7 juillet 1995. L’audience de discussion a eu lieu le 9 décembre 2010. Devant le TAR de Campanie (RG no 6183/97), la partie a déposé deux demandes, le 18 mars 2008 et le 30 mars 2009 et l’audience de discussion a eu lieu le 20 mai 2010. Toujours devant le TAR de Campanie (RG no 8813/00), la partie a saisi à deux reprises le tribunal, le 9 avril 2008 et le 17 avril 2009, avant d’obtenir la fixation de l’audience de discussion pour le 3 juin 2010.

60. Compte tenu de ces éléments, la Cour relève qu’il ne ressort ni du libellé des deux textes mentionnés (voir paragraphes 54 et 55), ni de la pratique judiciaire qu’elle a dû apprécier de son propre chef, que la demande de fixation en urgence de la date de l’audience puisse efficacement hâter la prise d’une décision sur l’affaire dont le tribunal est saisi. La Cour constate, en outre, qu’aucune condition visant à garantir l’examen d’une telle demande n’est prévue par le système national (voir, a contrario, Techniki Olympiaki c. Grèce (déc.), no 40547/10, 1er octobre 2013 et Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 87-88, 3 mai 2007; voir aussi Xynos précité, § 38 et Sürmeli précité, §§ 106-108).

61. La Cour considère que l’introduction d’une demande de fixation en urgence de la date de l’audience (istanza di prelievo) n’a pas un effet significatif sur la durée de la procédure, soit en débouchant sur son accélération, soit en l’empêchant d’aller au-delà de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable (voir, a contrario, Holzinger (no1) c. Autriche, no 23459/94, § 22, CEDH 2001-I). Il y a donc lieu de conclure que le résultat de cette demande est aléatoire.

62. La Cour observe également que la nouvelle disposition, en absence de régime transitoire, s’applique de façon automatique à tout recours « Pinto », indépendamment de la durée de la procédure administrative principale, ce qui oblige les parties à multiplier les demandes visant à obtenir la conclusion d’un procès dont la durée est déjà déraisonnable.

63. Dans les cas d’espèce, chaque requérant, sollicité en ce sens par le greffe du TAR, a présenté une deuxième demande de fixation de l’audience (istanza di fissazione dell’udienza) afin d’éviter la péremption de son affaire. Déposées entre juillet et septembre 2008, ces demandes ont également entraîné la fixation de l’audience de discussion pour chaque affaire. Les audiences ont eu lieu entre novembre 2008 et mars 2009 (voir tableau en annexe). Les requérants n’avaient donc aucun intérêt à solliciter une deuxième fois le greffe du TAR pour demander la fixation en urgence de la date de l’audience.

64. Selon la Cour, la condition de recevabilité d’un recours « Pinto » prévu à l’article 54, alinéa 2 de la loi no 112/2008 apparaît comme une condition formelle qui a pour effet d’entraver l’accès à la procédure « Pinto ». Elle considère que l’irrecevabilité automatique des recours « Pinto », fondée uniquement sur le fait que les requérants n’ont pas présenté l’istanza di prelievo, a privé ceux-ci de la possibilité d’obtenir un redressement approprié et suffisant (voir a contrario Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 16-17, CEDH 2002‑VIII).

65. À titre surabondant, la Cour observe que le législateur a modifié en 2010 la disposition litigieuse, en confirmant les doutes évoqués par la Cour dans sa décision Daddi (précitée).

66. Dans la version du texte applicable aux présentes affaires, l’article 54, alinéa 2, du décret-loi no 112 de 2008 prévoyait qu’une demande de satisfaction équitable aux sens de la loi Pinto pouvait être introduite seulement si la partie à la procédure juridictionnelle administrative avait déposée préalablement une demande de fixation en urgence de la date de l’audience. Cette prévision laissait ouverte au juge national la possibilité d’inclure, dans le calcul de la durée excessive, la période antérieure à la date d’entrée en vigueur de la norme contestée.

67. Par la suite, le décret-législatif no 104 du 2 juillet 2010 introduisant le code de procédure administrative, a modifié la disposition en question. Celle‑ci prévoit désormais que :

« La demande de satisfaction équitable pour se plaindre de la violation prévue par l’article 2, premier alinéa (de la loi no 89 du 24 mars 2001) dans une procédure devant le juge administratif ne peut pas être introduite si, dans la procédure en cause, n’a pas été présentée une demande de fixation en urgence de l’audience (istanza di prelievo) au sens de l’article 71, deuxième alinéa, du code de procédure administrative, ni par rapport à la période antérieure à sa présentation. »

68. À cet égard, la Cour a estimé qu’« une pratique d’interprétation et application de l’article 54, deuxième alinéa, dudit décret-loi qui a pour effet de s’opposer à la recevabilité des recours Pinto portant sur la durée d’une procédure juridictionnelle administrative qui s’est terminée avant le 25 juin 2008, en raison exclusivement du manque d’une demande de fixation en urgence de l’audience, pourrait être de nature à exempter les requérants intéressés de l’obligation d’épuiser le recours « Pinto ». Il en serait de même par rapport aux procédures encore pendantes dans lesquelles la fixation en urgence de l’audience a été sollicitée seulement après l’entrée en vigueur de la disposition en question. Dans ces cas, on ne peut pas exclure qu’elle soit interprétée par les juges nationaux dans le sens d’écarter de la détermination de la durée indemnisable toute période antérieure au 25 juin 2008. Une telle pratique pourrait en effet priver de façon systématique certaines catégories de requérants de la possibilité d’obtenir, dans le cadre « Pinto », un redressement approprié et suffisant » (Daddi précitée).

69. Cette même conclusion s’applique à la nouvelle formulation de l’article 54, alinéa 2, du décret-loi no 112 de 2008 (tel que modifié par le décret-législatif no 104 du 2 juillet 2010).

70. La Cour réitère que l’article 13 de la Convention se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Selmouni précité, § 74, et Kudła précité, § 152). Elle rappelle qu’un recours dont la partie dispose pour se plaindre de la durée de la procédure est “effectif”, au sens de l’article 13 de la Convention, s’il permet d’éviter la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou s’il permet de « fournir à l’intéressé un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite » (ibidem § 158). Ce qui n’est pas le cas dans les présentes affaires.

71. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour estime que la procédure pour se plaindre de la longueur excessive d’une procédure juridictionnelle administrative, résultant de la lecture combinée de l’article 54, alinéa 2, du décret-loi no 112 de 2008 et de la loi Pinto, ne peut pas être considérée comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention. Il y a donc lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention.

b) Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

72. En ce qui concerne la durée de la procédure des présentes affaires, la période à considérer a débutée le 23 août 1990 et s’est terminée soit le 5 décembre 2008, soit le 13 mars 2009 (voir tableau en annexe).

73. La Cour note que, selon le Gouvernement défendeur, les requérants n’auraient pas montré un véritable intérêt à la conclusion des procédures. Il soutient également l’absence de souffrance des requérants, compte tenu du caractère manifestement mal fondé de leurs prétentions. De leur côté, les requérants se plaignent de la durée des procédures, jugée excessive.

74. La Cour relève qu’il ressort des dossiers que chaque partie a présenté deux demandes de fixation de l’audience au cours de la procédure juridictionnelle administrative. Par la suite, dans le cadre de la procédure « Pinto », les requérants ont présenté tous un recours devant la cour d’appel compétente ratione loci, puis formé un pourvoi en cassation contre le rejet de cette dernière. Par conséquent, l’intérêt des requérants à la conclusion des procédures ne saurait être mis en doute.

75. Quant à la durée de la procédure, la Cour a traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions semblables à celle des cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella précité).

76. N’apercevant aucune raison de se départir de ses précédentes conclusions, la Cour estime qu’il y a lieu de constater une violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour les mêmes motifs.

DI SANTE c. ITALIE du 27 janvier 2016 requête 32143/10

Le requérant doit saisir la Cour de Cassation, pour se plaindre de la procédure "Pinto".

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE PRINCIPALE

13. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l’application, par la cour d’appel qu’il avait saisie d’un recours fondé sur la loi Pinto, de la prescription décennale à son droit à une satisfaction équitable pour la violation alléguée de son droit à un procès dans un délai raisonnable.

14. L’article 6 § 1 de la Convention se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la qualité de victime

15. La Cour relève que la cour d’appel de Campobasso a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention à raison de la durée de la procédure principale et a accordé une somme au requérant pour dommage moral. Elle note toutefois que, en raison de l’application de la prescription décennale, la période initiale de la procédure (de 1993 à 1998) n’a pas été prise en compte et que, par conséquent, le grief concernant la violation de l’article 6 de la Convention à cet égard n’a pas été examiné au niveau national.

16. La Cour rappelle que la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable implique une situation continue. Par conséquent, lorsqu’il estime que la durée de la procédure a été excessive, un requérant doit avoir la possibilité de demander réparation devant les juridictions internes à tout moment de la procédure principale et dans un délai de six mois après la date de la décision interne définitive (voir, mutatis mutandis, Robert Lesjak c. Slovénie, no 33946/03, §§ 52, 53 et 55, 21 juillet 2009).

17. La Cour précise que la nature continue de la situation objet de la présente affaire entraine également le droit pour le requérant d’alléguer devant les juridictions internes une violation de l’article 6 de la Convention pour l’ensemble de la procédure litigieuse. À cet égard, il faut, en effet, distinguer le cas où les tribunaux n’ont pas examiné la compatibilité avec l’article 6 § 1 d’une partie de la procédure principale, comme en l’espèce, de celui où les juridictions ont pris en compte une partie de la procédure mais n’ont calculé le dédommagement qu’en fonction des années qui ont dépassé le délai considéré comme étant raisonnable. Seul la première hypothèse pose problème aux termes de la Convention car pour ce qui est de la deuxième, la Cour a maintes fois rappelé que, même si les critères pour calculer le dommage moral causé par la violation de l’article 6 § 1 prévus en droit interne ne correspondent pas exactement à ceux énoncés par la Cour, cela ne remet pas en jeu l’effectivité du recours fondé sur la loi Pinto dans la mesure où les sommes allouées ne sont pas déraisonnables par rapport à celles accordées par elle dans des affaires similaires (Cocchiarella, précité, § 105).

18. En conclusion, compte tenu du fait que la cour d’appel n’a nullement examiné la compatibilité avec l’article 6 § 1 de la Convention de la partie de la procédure principale qui s’est déroulée de 1993 à 1998, la Cour estime que le requérant peut encore se prétendre victime de la violation alléguée à cet égard.

B. Sur l’épuisement des voies des recours internes

19. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, estimant que le requérant aurait pu se pourvoir en cassation. En effet, selon le Gouvernement, la jurisprudence de la Cour de cassation est bien établie s’agissant de l’inapplicabilité du régime de la prescription au droit à un procès dans un délai raisonnable (paragraphe 12 ci-dessus).

20. Le requérant allègue qu’il ne s’est pas pourvu en cassation au motif que, concernant la prescription du droit à une satisfaction équitable pour la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable, la cour d’appel a appliqué une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation. À cet égard, il fait référence à l’arrêt no 4524 du 24 février 2010 (paragraphe 12 ci‑dessus). Le Gouvernement rétorque que cet arrêt constitue le seul exemple où ce principe a été appliqué.

21. La Cour rappelle que, en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, le requérant doit, avant de la saisir, avoir donné à l’État défendeur l’occasion de redresser dans son ordre juridique interne les violations alléguées en usant à cette fin des voies de recours internes appropriées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).

22. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, entre autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).

23. En l’espèce, la Cour souligne que le recours fondé sur la loi Pinto est considéré, en principe, comme accessible et effectif (voir, entre autres, Giuseppe Romano c. Italie, no 35659/02, § 21, 5 mars 2013).

24. En ce qui concerne spécifiquement l’application de la prescription décennale au droit à être jugé dans un délai raisonnable, la Cour n’est pas convaincue par les arguments du requérant. Elle note tout d’abord, que les parties n’arguent pas que cette question ait été abordée par les autorités internes avant l’arrêt no 27719 du 30 décembre 2009 dans laquelle la Cour de cassation a estimé que la prescription ne s’applique pas. La seule restriction à l’accès au remède Pinto en vigueur à l’époque des faits concernait la possibilité de saisir la cour d’appel uniquement dans le délai des six mois à partir du moment où la décision qui clôt la procédure principale devient définitive. Pour ce qui est de l’arrêt de la Cour de cassation no 4524 du 24 février 2010, cité par le requérant, dont le raisonnement correspond à celui suivi en l’espèce par la cour d’appel de Campobasso, la Cour note qu’il s’agit du seul exemple fourni en faveur de l’application de la prescription décennale et, en tout état de cause, il a été déposé au greffe de la Cour de cassation après le 23 novembre 2009, date à laquelle la décision de la cour d’appel de Campobasso est devenue définitive. Elle relève que, en revanche, le Gouvernement a cité de nombreux arrêts dans lesquels la Cour de cassation avait rejeté l’application du régime de la prescription.

25. Par conséquent, compte tenu des considérations ci-dessus, la Cour estime que les éléments fournis par le requérant ne sont pas suffisants pour considérer que, en l’espèce, le recours en cassation aurait été ineffectif.

26. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

LES RECOURS INTERNES EN BELGIQUE

PANJU c. BELGIQUE du 23 mai 2023 requête n° 49072/21

Art 13 (+ Art 6 § 1) • Recours effectif • Refus d’indemnisation pour la durée excessive de la procédure pénale, constatée par la Cour européenne, le dommage moral ayant été réparé par la décision ultérieure d’irrecevabilité des poursuites • Reconnaissance d’une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable • Arrêt définitif des poursuites et de la longueur dénoncée • Absence d’indemnisation complémentaire en raison de l’absence de preuve d’un préjudice, conformément au droit national, que l’irrecevabilité des poursuites n’a pas suffisamment réparé • Dommage matériel ne résultant pas de la longueur de l’instruction pénale

CEDH

  Rappel de la jurisprudence pertinente

58. La Cour rappelle que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés. L’article 13 ouvre donc une option en la matière (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 159, CEDH 2000‑XI, Mifsud c. France [GC], (déc.), no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII, Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 108, 10 septembre 2010). Néanmoins, il est évident que, pour les pays où existent déjà des violations liées à la durée de procédures, un recours tendant uniquement à accélérer la procédure, s’il serait souhaitable pour l’avenir, peut ne pas être suffisant pour redresser une situation où il est manifeste que la procédure s’est déjà étendue sur une période excessive (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 76, CEDH 2006‑V).

59. La Cour a considéré que le prononcé d’une peine plus clémente ou d’une réduction de peine en raison de la durée excessive de la procédure pouvait constituer une reconnaissance et une réparation adéquates, pour autant que la réduction de la peine soit octroyée de façon expresse et mesurable. Si tel est le cas, il convient de conclure à la perte de qualité de victime des requérants au sens de l’article 34 de la Convention (voir, parmi d’autres, Chiarello c. Allemagne, no 497/17, §§ 54-59, 20 juin 2019 et les références citées).  La Cour a ainsi constaté à plusieurs reprises que la violation de l’article 6 § 1 avait pu être adéquatement réparée par les juridictions belges faisant application de l’article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale (Beheyt c. Belgique (déc.), no 41881/02, 9 octobre 2007, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, § 72, 20 septembre 2011, G.S. c. Belgique (déc.), no 79267/16, § 30, 5 septembre 2017, et Losfeld c. Belgique (déc.) no 39304/11, § 25, 5 septembre 2017).

60.  Dans la même veine, la Cour a considéré que l’annulation de la peine pour cause de dépassement du délai raisonnable pouvait être considérée comme réparant adéquatement la violation alléguée de l’article 6 § 1 et entraînait, de la même manière, la perte de qualité de victime (Rautonen c. Finlande (déc.), no 26813/09, §§ 23-29, 15 mai 2012).

61.  En revanche, l’extinction de l’action publique par l’effet de la prescription n’a pas été jugée comme une réparation adéquate du dépassement du délai raisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour (Abboud, précité, §§ 31-32). En effet, les délais de prescription sont prévus par la loi et emportent d’office l’irrecevabilité. De plus, si la prescription est étroitement liée à l’écoulement du temps, elle n’emporte pas formellement la reconnaissance d’une violation du droit à une décision dans un délai raisonnable.

62.  La Cour a également considéré que les États pouvaient choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire pour réparer la durée excessive d’une procédure pénale sans que celui-ci puisse être considéré comme manquant d’effectivité au regard de l’article 13 de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 187, CEDH 2006 V). Cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire est elle-même un recours effectif permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Mifsud, précité, § 17).

63. La Cour a fixé plusieurs critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité des recours indemnitaires en vue d’obtenir la réparation de la durée excessive des procédures judiciaires (Scordino no 1, précité, §§ 195 et 204 à 207, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, McFarlane, précité, § 108, Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 73, 29 octobre 2015, et Brudan c. Roumanie, no 75717/14, § 69, 10 avril 2018). Ces critères sont les suivants :

a)  l’action en indemnisation doit elle-même être tranchée dans un délai raisonnable ;

b)  les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;

c)  les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;

d)  le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires ;

e)  l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire.

64.  En ce qui concerne, plus spécialement, le dommage moral résultant du dépassement du délai raisonnable, il convient, selon la Cour, de partir de la présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral. Elle admet toutefois que, dans certains cas, la durée de la procédure n’entraîne qu’un dommage moral minime, voire aucun dommage moral, pour autant que le juge national justifie sa décision sur ce point en la motivant suffisamment (Cocchiarella, précité, § 95, et Scordino no 1, précité, § 204).

65.  La Cour a ainsi accepté qu’aucun dommage moral ne soit versé en raison du faible enjeu du litige pour le requérant (Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02, 25 novembre 2004, et Šedý c. Slovaquie, no 72237/01, §§ 90-92, 19 décembre 2006). Elle a également accepté que soit pris en considération le recours abondant par le requérant à des procédures judiciaires comme ayant nécessairement affecté sa perception du préjudice découlant de la durée déraisonnable de la procédure (Žirovnický c. République tchèque, no 23661/03, §§ 117-118, 30 septembre 2010). Dans ces affaires, la Cour a considéré que les requérants concernés avaient perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

66.  En ce qui concerne le dommage matériel résultant du dépassement du délai raisonnable, la Cour a précisé qu’il consiste dans les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée (Comingersoll S.A., no 35382/97, § 29, 6 avril 2000) et qu’en cette matière, la juridiction interne est clairement plus à même de déterminer son existence ainsi que son montant (Scordino no 1, précité, § 203).

b) En l’espèce

67.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention n’exige un recours en droit interne que relativement à des griefs pouvant passer pour « défendables » au regard de la Convention (voir, entre autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 180, CEDH 2017 (extraits)).

68.  En l’espèce, la Cour a constaté, dans son arrêt du 28 octobre 2014, que la durée de l’instruction avait dépassé le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara ensuite les poursuites menées contre le requérant irrecevables au motif que cette longueur excessive avait pour effet de rendre impossible l’exercice des droits de la défense et qu’il en résultait une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable (paragraphe 12 ci‑dessus). Le requérant avait donc un grief « défendable » au regard de l’article 13 de la Convention (voir Panju, précité, § 52).

69.  La Cour observe qu’à la suite de l’arrêt de la Cour du 28 octobre 2014, le requérant a introduit un recours en responsabilité civile contre l’État belge sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil pour demander la réparation des préjudices subis du fait de la longueur excessive de la procédure.

70.  Elle note que la cour d’appel de Bruxelles a rejeté le recours du requérant (paragraphe 21 ci-dessus) et que le pourvoi dirigé contre cet arrêt de la cour d’appel a lui-même été rejeté (paragraphe 23 ci-dessus). Après avoir admis la faute de l’État belge du fait de cette longueur excessive, la cour d’appel de Bruxelles a estimé que le dommage moral invoqué par le requérant avait trouvé sa réparation dans l’irrecevabilité des poursuites (paragraphe 21 ci-dessus). Quant au dommage matériel invoqué par le requérant, la cour d’appel a jugé que celui-ci ne résultait pas de la longueur de l’instruction pénale mais procédait de la tardiveté des restitutions des avoirs et de l’or saisis à compter de l’ordonnance de la chambre du conseil du 10 mai 2011 constatant l’irrégularité de la procédure (paragraphe 9 ci-dessus).

71.  La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant, considérant que l’appréciation de la réparation du préjudice relevait de l’appréciation en fait du juge du fond et que le moyen fondé sur le postulat selon lequel l’irrecevabilité des poursuites ne pouvait assurer la réparation intégrale de ce préjudice, manquait en droit (paragraphe 23 ci-dessus).

72.  La Cour estime, à la suite de la Cour de cassation, qu’au regard de l’article 13 de la Convention, l’irrecevabilité des poursuites peut constituer un mode de redressement adéquat du dépassement du délai raisonnable en ce qu’en droit belge, elle implique la reconnaissance d’une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable et met un terme définitif aux poursuites autant qu’à la longueur dénoncée (paragraphe 26 ci-dessus).

73.  Dans le cas d’espèce, la Cour n’a pas de raisons de remettre en cause l’appréciation de la cour d’appel de Bruxelles selon laquelle l’irrecevabilité des poursuites a placé le requérant dans une situation au moins aussi favorable que si le dépassement du délai raisonnable n’avait pas été constaté.

74.  Elle ne peut suivre le requérant quand il se plaint que les juridictions belges étaient tenues de lui accorder, en plus de l’irrecevabilité des poursuites, une réparation pécuniaire. En effet, une telle interprétation de l’article 13 de la Convention ne peut se déduire de la jurisprudence de la Cour qui repose sur une « option » (paragraphe 58 ci‑dessus).

75.  En outre, la Cour rappelle avoir déjà jugé qu’une réduction significative de la peine (paragraphe 59 ci-dessus) ou l’annulation de celle-ci par la juridiction de jugement (paragraphe 60 ci-dessus) en raison du dépassement du délai raisonnable peut constituer un redressement adéquat et emporter la perte de la qualité de victime du droit à être jugé dans un délai raisonnable. Une même conclusion peut a fortiori s’imposer dans le cas d’une irrecevabilité des poursuites décidée par la juridiction d’instruction.

76.  Par ailleurs, force est de constater que si le requérant n’a pas obtenu une indemnisation devant les juridictions nationales, cette absence d’indemnisation ne résultait pas d’une exclusion prévue par les règles du droit national en vigueur (paragraphes 25‑27 ci-dessus) mais de l’absence de démonstration d’un préjudice conformément à ces mêmes règles. La Cour de cassation a rappelé en l’espèce qu’il appartenait au juge saisi d’une demande fondée sur l’article 1382 du code civil de vérifier si l’irrecevabilité des poursuites réparait adéquatement le préjudice résultant du dépassement du délai raisonnable (paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit, en d’autres termes, que le droit belge ne s’oppose pas à l’octroi d’une indemnisation complémentaire à l’irrecevabilité des poursuites, pour autant que la preuve d’un préjudice que cette irrecevabilité n’aurait pas adéquatement réparé, soit apportée.

77.  Enfin, le requérant reproche aux juges d’appel de ne pas avoir procédé à une évaluation in concreto du dommage matériel subi en raison de la restitution tardive des avoirs bloqués et de l’or saisi (paragraphe 54 ci‑dessus). La Cour note à l’examen de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles que ce préjudice ne découle pas de la durée excessive de l’instruction pénale initiée à l’égard du requérant en 2002, mais résulte du retard à restituer les avoirs et l’or saisis à compter du constat de l’irrégularité de la procédure par la chambre du conseil le 10 mai 2011 (paragraphe 21 ci-dessus). La cour d’appel de Bruxelles a considéré que si le requérant était fondé à critiquer cette restitution tardive intervenue au début de l’année 2013 (paragraphe 11 ci-dessus), il était toutefois resté en défaut de prouver concrètement l’existence de son dommage, faute de produire des pièces de nature à en établir l’existence (paragraphe 21 ci-dessus).

78.  Eu égard aux constats dressés par la cour d’appel de Bruxelles, contrôlés par la Cour de cassation, la Cour ne voit aucune raison de considérer que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour obtenir la réparation des préjudices allégués découlant du dépassement du délai raisonnable, tel que la Cour l’a constaté dans son arrêt du 28 octobre 2014.

79.  Au vu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.

VEGOTEX INTERNATIONAL S.A. c. BELGIQUE du 10 novembre 2020 Requête no 49812/09

Art 6 § 1 • Délai raisonnable • Durée excessive d’une procédure fiscale

RECEVABILITE

45.  La présente affaire a trait à une procédure relative à une décision prise par l’administration fiscale d’infliger à la requérante un redressement fiscal ainsi qu’une majoration d’impôt représentant 10 % des droits dont la requérante fut jugée redevable, en raison d’erreurs qu’elle avait commises dans sa déclaration fiscale relative à l’exercice d’imposition 1993.

46.  En ce qui concerne le volet civil de l’article 6, la Cour a jugé à de nombreuses reprises qu’il n’est pas applicable à l’établissement de l’imposition et aux majorations d’impôt (voir, parmi d’autres, Ferrazzini c. Italie [GC], no 44759/98, § 29, CEDH 2001‑VII, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 29, CEDH 2006‑XIV, et, plus récemment, Formela c. Pologne (déc.), no 31651/08, § 127, 5 février 2019).

47.  La Cour est parvenue à la même conclusion dans l’affaire Optim et Industerre c. Belgique ((déc.), no 23819/06, §§ 24-26, 11 septembre 2012) qui concernait, à l’instar de la présente espèce, un recours engagé par les requérantes devant les juridictions de l’ordre judiciaire pour contester le redressement fiscal dont elles avaient fait l’objet. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion en l’espèce puisque la procédure menée par la requérante devant les juridictions internes visait à contester l’établissement de l’impôt. Le fait qu’était, en pratique, au cœur des débats, la question de la prescription de la dette d’impôt ne modifie pas cette conclusion.

48.  L’affaire National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society (précitée) sur laquelle se fonde la requérante concernait une situation étrangère à la présente espèce en ce que la procédure devant les juridictions internes visait à obtenir la restitution d’un impôt indûment payé par les sociétés requérantes en vertu d’une loi d’impôt qui avait par la suite été annulée.

49.  L’applicabilité du volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention n’est quant à elle pas contestée par le Gouvernement. Eu égard au fait que la majoration d’impôt à laquelle la requérante a été condamnée poursuivait un but à la fois préventif et répressif (Jussila, précité, §§ 29-39) et eu égard à la lourdeur de la sanction qui pouvait être imposée, à savoir une majoration représentant 10 % des droits dont la requérante a été jugée redevable (voir A.P., M.P. et T.P. c. Suisse, 29 août 1997, § 40, Recueil 1997‑V, et Janosevic c. Suède, no 34619/97, § 69, CEDH 2002‑VII), la Cour conclut que le volet pénal de la disposition invoquée est applicable.

50.  La Cour tient à observer que la procédure litigieuse concernait à la fois le redressement fiscal, qui en tant que tel ne tombait pas sous l’application de l’article 6 § 1, et la majoration d’impôt, qui, elle, tombait sous l’application de cette disposition. La Cour doit procéder à l’examen de la procédure dans la mesure où elle a eu pour objet une « accusation en matière pénale » dirigée contre la requérante. À supposer même qu’il soit possible de distinguer les éléments de la procédure portant sur l’« accusation en matière pénale » de ceux qui avaient un autre objet, l’examen de la procédure concernant la majoration d’impôt amènera inévitablement la Cour à prendre en considération les éléments de procédure concernant le redressement fiscal (Jussila, précité, § 45 ; voir également Georgiou c. Royaume-Uni (déc.), no 40042/98, 16 mai 2000, Sträg Datatjänster AB c. Suède (déc.), no 50664/99, 21 juin 2005, et Chambaz c. Suisse, no 11663/04, § 42, 5 avril 2012).

DELAI NON RAISONNABLE

100.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure pénale doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et J.R. c. Belgique, no 56367/09, § 59, 24 janvier 2017). En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012).

101.  La Cour note que la réclamation auprès de l’administration est une phase préalable à tout contentieux fiscal devant le tribunal de première instance. La requérante ne pouvait dès lors pas introduire un recours devant les juridictions civiles avant d’avoir introduit ce recours administratif. Aussi, avant l’entrée en vigueur de l’article 1385undecies du code judiciaire, inséré par une loi du 23 mars 1999 et entré en vigueur le 6 avril 1999, le recours judiciaire ne pouvait pas être introduit avant l’issue de la procédure administrative (paragraphe 24 ci-dessus). En conséquence, dès lors que cette phase administrative a constitué une condition sine qua non pour déclencher la phase judiciaire proprement dite, elle doit également être prise en compte dans le calcul du délai raisonnable (voir, pour une affaire tombant sous le volet civil de l’article 6 § 1, König c. Allemagne, 28 juin 1978, § 98, série A no 27). Il y a toutefois lieu de prendre également en compte le fait qu’après le 6 avril 1999, la requérante avait la possibilité de saisir directement le tribunal sans attendre l’issue de sa réclamation administrative.

102.  La Cour considère ainsi que la période à considérer a débuté le 5 octobre 1995 lorsque la requérante a été informée de l’intention de l’administration fiscale de rectifier sa déclaration d’impôt et de lui imposer une majoration d’impôt (voir, dans le même sens, Janosevic, précité, § 92). Elle s’est terminée par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2009. La procédure menée à l’égard de la requérante a dès lors duré 13 ans et 6 mois, pour un niveau de recours administratif et trois niveaux de recours judiciaire.

103.  Le traitement de la réclamation par le directeur régional a duré 4 ans et 7 mois pour une seule instance sans que cette durée ne soit expliquée par d’autres motifs que l’arriéré de l’administration dans le traitement des réclamations fiscales. Il y a toutefois lieu de noter qu’à compter du 6 avril 1999, la requérante aurait pu introduire un recours judiciaire sans attendre l’issue de la procédure administrative (paragraphe 101 ci-dessus). Il y a donc lieu de déduire de la période prise en considération pour l’examen du caractère raisonnable de la longueur de la procédure la période entre le 6 avril 1999 et le 14 décembre 2000, date de l’introduction du recours judiciaire.

104.  Ensuite, la phase judiciaire qui a commencé avec l’introduction du recours le 14 décembre 2000 et qui s’est clôturée par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2009 a duré 8 ans et 3 mois. Plus de 3 ans et 3 mois se sont écoulés entre la saisine du juge judiciaire et le jugement de première instance, puis près de 3 ans avant l’arrêt de la cour d’appel. L’arrêt de la Cour de cassation a quant à lui été prononcé près d’un an et 7 mois après l’introduction de son pourvoi par la requérante.

105.  L’affaire revêtait certainement, comme le souligne le Gouvernement, une certaine complexité et présentait un enjeu financier d’une ampleur non négligeable. Il est également vrai que l’affaire soulevait des questions complexes relatives à la prescription et que la requérante avait déposé un troisième jeu de conclusions additionnelles et de synthèses devant la cour d’appel. La Cour considère toutefois que cela ne suffit pas à expliquer pourquoi la procédure a connu une telle durée qui, prise dans son ensemble, a été déraisonnablement longue.

106.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du dépassement du délai raisonnable.

ABBOUD c. BELGIQUE du 2 juillet 2019 Requête no 29119/13

Violation de l'article 6-1, pour délai non raisonnable, le requérant a soulevé à tous les stades de la procédures, le risque de délai non raisonnable. Le Gouvernement oppose qu'il n'a pas fait de de demande de réparation. La CEDH réplique que la procédure interne de réparation n'existe pas en Belgique.

2.  Appréciation de la Cour

a)  En ce qui concerne la durée de la procédure dans son volet pénal

25.  La Cour relève que le requérant a soulevé devant les juridictions internes, à tous les stades de la procédure, un moyen tiré de la durée excessive de la procédure. En raison de l’impact de la longueur sur ses droits de la défense, il demanda à la juridiction d’instruction lors du règlement de la procédure, que les poursuites soient déclarées irrecevables (paragraphes 8-9 ci-dessus). Ensuite, devant le tribunal de première instance de Bruxelles, le requérant demanda que la condamnation soit prononcée par simple déclaration de culpabilité (paragraphe 13 ci-dessus). Enfin, devant la cour d’appel de Bruxelles, il sollicita à nouveau l’irrecevabilité des poursuites (paragraphe 14 ci-dessus). L’action publique ayant finalement été déclarée éteinte car prescrite, cela a entraîné l’irrecevabilité des poursuites.

26.  Le requérant ayant ainsi donné la possibilité aux juridictions internes de remédier à la carence alléguée, la Cour estime qu’il ne saurait lui être reproché, comme le fait le Gouvernement, de ne pas avoir épuisé d’autres voies de recours internes (voir, mutatis mutandis, J.R. c. Belgique, no 56367/09, §§ 35, 46‑55, 24 janvier 2017).

27.  S’agissant ensuite de la qualité de victime du requérant que le Gouvernement lui conteste, la Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention et que pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010, et Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, § 128, 31 janvier 2019, et références citées).

28. Toutefois, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention. Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux dernières conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête par la Cour (Rooman, précité, § 129).

29. À cet égard, il appartient en premier lieu aux juridictions nationales de décider de la réparation, dans les limites de la loi. Pour enlever au requérant la qualité de « victime », cette réparation doit être adéquate et suffisante. L’appréciation du caractère adéquat et suffisant doit se faire non pas in abstracto mais in concreto en tenant compte de l’ensemble des circonstances de la cause eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 260, CEDH 2012 (extraits), et Steyaert c. Belgique ((déc.), no 67963/12, § 46, 26 septembre 2017).

30. S’agissant en particulier d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée excessive d’une procédure pénale, une atténuation de la peine constitue à cet égard une réparation appropriée dès lors qu’elle est mesurable et substantielle (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 186, CEDH 2006‑V). La Cour a ainsi constaté à plusieurs reprises que la violation de l’article 6 § 1 avait pu être réparée par les juridictions belges en faisant application de l’article 21ter du titre préliminaire du CIC (paragraphe 18 ci-dessus ; pour des exemples, voir Beheyt c. Belgique (déc.), no 41881/02, 9 octobre 2007, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, § 72, 20 septembre 2011, G.S. c. Belgique (déc.), no 79267/16, § 30, 5 septembre 2017, et Losfeld c. Belgique (déc.), no 39304/11, § 25, 5 septembre 2017).

31.  Le Gouvernement soutient qu’il en va a fortiori de même dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’action publique est éteinte par prescription, quand bien même la reconnaissance du caractère déraisonnable du délai est implicite. En prévoyant des délais de prescription, le législateur belge a en effet déterminé un délai au-delà duquel il estimait qu’il n’était plus opportun, voire raisonnable, de poursuivre un accusé en matière pénale.

32.  La Cour ne partage pas cet avis. Ainsi qu’il ressort de la description du droit belge (paragraphes 19-20 ci-dessus), l’extinction de l’action publique à cause de la prescription de celle-ci et l’attachement de conséquences juridiques au dépassement du délai raisonnable, quoiqu’ils poursuivent en partie le même but, sont fondés sur deux catégories juridiques distinctes. Elle relève en particulier qu’alors que le constat de dépassement du délai raisonnable sur pied de l’article 21ter précité est prononcé par le juge après un examen des circonstances de l’affaire, la prescription est un concept juridique objectif : les délais de prescription sont prévus par la loi et emportent d’office l’irrecevabilité. De plus, si la prescription est étroitement liée à l’écoulement du temps, elle n’emporte pas formellement la reconnaissance d’une violation du droit à une décision dans un délai raisonnable. Dans ces conditions, il n’apparaît pas possible de considérer les effets de la prescription comme une réparation adéquate du dépassement du délai raisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée ci‑dessus (paragraphes 28-30 ci-dessus).

33.  La Cour rejette donc les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement en ce qui concerne le volet pénal de la procédure.

34.  La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

b)  En ce qui concerne l’issue de la procédure dans son volet civil

35.  La Cour constate, tout d’abord, que l’action civile a en l’espèce été introduite au cours de la procédure pénale menée contre le requérant. Du point de vue de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre le volet pénal de la procédure, qui en constituait le volet de base, et le volet civil, qui en constituait un volet accessoire. L’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes doit donc, en l’espèce, subir quant au volet civil le même sort qu’elle a reçu quant au volet pénal (paragraphe 26 ci‑dessus). Cette exception doit dès lors être rejetée.

36.  Quant à l’exception tirée de l’absence de préjudice important, le Gouvernement fait valoir que la condamnation du requérant par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 17 février 2016 à un euro symbolique, majoré des intérêts judiciaires, auxquels se sont ajoutés les dépens relatifs à l’action civile (deux fois 165 EUR), ne constitue pas un préjudice important.

37.  La Cour note toutefois que le requérant ne se plaint pas de la décision prise sur l’action civile. Sa plainte ne concerne que la durée de la procédure. Le montant symbolique du montant auquel le requérant a été condamné n’enlève rien à la longueur de la procédure, et n’affecte pas l’importance du préjudice subi par lui à cause de celle-ci. Il convient donc de rejeter également cette exception.

38. La Cour constate par ailleurs que la procédure relative à l’action civile a fait partie de la procédure pénale à partir du 21 décembre 2006, date à laquelle l’Ordre français du barreau de Bruxelles s’est constitué partie civile contre le requérant. Eu égard à sa conclusion relative au volet pénal de la procédure (paragraphe 34 ci-dessus), la Cour estime que le grief concernant le volet civil n’est pas non plus manifestement mal fondé, et qu’il doit également être déclaré recevable.

B.  Sur le fond

39.  La Cour constate d’emblée que la procédure dont il s’agit est une procédure pénale, au cours de laquelle une partie lésée a introduit une action civile. La longueur de la procédure concerne donc essentiellement l’action publique, même si elle concerne également, en partie, l’action civile. Dans ces circonstances, il convient d’examiner la longueur de la procédure pénale en tant que telle, sans faire de distinction entre son volet pénal et son volet civil.

40.  La période à considérer a débuté le 7 janvier 2004 avec la première audition du requérant par la police. Après deux ordonnances de soit‑communiqué prises les 26 octobre 2007 et 25 mars 2008, date à laquelle le dossier fut communiqué au parquet, l’instruction fit l’objet d’un réquisitoire le 31 mars 2009 demandant le renvoi du requérant devant le tribunal correctionnel, et l’affaire fut fixée à l’audience du 26 janvier 2010 en vue de statuer sur le règlement de procédure. Elle fut ensuite remise en raison d’une demande par le requérant de devoirs d’instruction complémentaire. L’ordonnance de renvoi fut finalement prononcée par la chambre du conseil le 13 janvier 2011 mais contestée par le requérant jusque devant la Cour de cassation qui statua le 14 décembre 2012. Au fond, le tribunal correctionnel se prononça une première fois par défaut le 12 avril 2013, puis sur opposition le 5 mars 2014. La procédure se termina le 17 février 2016 avec l’arrêt de la cour d’appel. Elle a donc duré un peu plus de 12 ans, pour deux phases, chacune devant deux, voire trois instances.

41.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II). En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012, et J.R. c. Belgique, précité, § 59).

42.  L’instruction de l’affaire revêtait certainement, comme le souligne le Gouvernement, une certaine complexité liée aux multiples charges retenues contre le requérant ainsi qu’à la longueur de la période infractionnelle, mais la Cour considère que cela ne suffit pas à expliquer pourquoi la procédure dirigée contre le requérant a connu une telle durée.

43.  Pour ce qui est du comportement du requérant, le Gouvernement lui reproche d’avoir fait un usage intensif et systématique des voies de recours qui avaient pour effet de ralentir la procédure, sans par ailleurs avoir optimisé les recours qui auraient permis de l’accélérer. La Cour convient que ces éléments, attribuables en partie au requérant, ont contribué à la durée de la procédure dirigée contre lui. Ils n’expliquent toutefois pas, selon elle, la totalité de la durée.

44.  Pour ce qui est du comportement des autorités, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 astreint les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, notamment celle du délai raisonnable (J.R. c. Belgique, précité, § 63, et références citées). Or elle constate en particulier que la phase de l’instruction a connu des périodes de ralentissement voire de stagnation : le juge d’instruction, saisi le 5 mai 2004, termina son enquête le 25 mai 2008 ; le parquet prit son réquisitoire le 31 mars 2009 ; la cause fut fixée à l’audience de la chambre du conseil du 26 janvier 2010 pour le règlement de la procédure (paragraphe 6 ci‑dessus).

45.  Sur la base de l’ensemble des éléments considérés, la Cour conclut que la complexité de l’instruction et le comportement du requérant n’expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure ; la cause majeure de celle-ci réside dans la manière dont les autorités ont conduit l’affaire.

46.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Panju C. Belgique du 28 octobre 2014, requête 18393/09

Article 6 et 13 de la Convention : La Belgique n'a pas mis en place un recours effectif pour indemniser un délai non raisonnable. La période de onze ans d'une procédure d'accusation pénale, n'est pas un délai raisonnable.

52.  Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief du requérant concernant la durée de l’instruction constitue prima facie un grief « défendable », celle-ci durant depuis plus de onze ans. Il avait donc droit à un recours effectif à cet égard.

53.  La Cour rappelle que pour être « effectif », un recours permettant de dénoncer la longueur d’une procédure pénale doit notamment fonctionner sans délais excessifs et fournir un niveau de redressement adéquat (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 195 et 204 à 207, CEDH 2006-V, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, et McFarlane, precité, § 108). L’article 13 permet aussi à un État de choisir entre un recours apte à provoquer l’accélération d’une procédure pendante et un recours indemnitaire permettant d’obtenir a posteriori une compensation pour des retards déjà accumulés. Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, § 158, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII, Scordino (no 1), précité, § 187, et McFarlane, précité, § 108). La circonstance, dénoncée par le requérant, qu’un recours indemnitaire ne permet pas d’accélérer la procédure en cours n’est donc pas déterminante.

1.  Le recours indemnitaire

54.  La Cour rappelle que le Gouvernement belge a, par le passé, formulé sans succès une exception de non-épuisement tirée de ce que l’action en responsabilité extracontractuelle contre l’État, fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, constitue un recours effectif pour se plaindre de la durée d’une procédure (civile ou pénale). La Cour a en effet estimé que cette possibilité n’avait pas acquis, au moment de l’introduction des différentes requêtes concernées, un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Panier (déc.), no 2527/02, 20 octobre 2005, Lenardon et Vandaele (déc.), no 18211/03, 8 décembre 2005, Van Acker c. Belgique (déc.), no 19443/02, 19 janvier 2006, Defalque c. Belgique, no 37330/02, 20 avril 2006).

55.  Le Gouvernement souleva de nouveau cette exception dans une affaire Depauw c. Belgique concernant une durée excessive de procédure civile et expliqua que la Cour de cassation avait, par un arrêt du 28 septembre 2006, reconnu la possibilité d’introduire une action en responsabilité extracontractuelle contre l’État sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil en pareille situation (voir paragraphe 35, ci-dessus). Dans sa décision sur la recevabilité (Depauw c. Belgique (déc.), no 2115/04, 15 mai 2007), la Cour estima que ce recours avait acquis un degré de certitude suffisant à partir du 28 mars 2007 et que, par conséquent, aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, toute requête introduite après cette date devait établir que le recours indemnitaire avait été épuisé (en ce qui concerne les liens entre cette disposition et l’article 13 de la Convention, voir, parmi d’autres, Kudła, précité, § 152, et McFarlane, précité, §§ 107 et 108). La Cour a ensuite confirmé cette jurisprudence dans un nombre d’autres affaires (voir, notamment, Nagler et Nalimmo B.V.B.A. c. Belgique, no 40628/04, 17 juillet 2007, De Saedeleer c. Belgique, no 27535/04, 24 juillet 2007, De Clerck c. Belgique, no 34316/02, 25 septembre 2007, De Turck c. Belgique, no 43542/04, 25 septembre 2007, Raway et Wera c. Belgique, no 25864/04, 27 novembre 2007, et Jouan c. Belgique, no 5950/05, 12 février 2008).

56.  Tout en sachant que l’arrêt précité de la Cour de cassation et l’affaire Depauw concernaient la durée de procédures civiles, la Cour a ensuite estimé que rien ne s’opposait à ce que la jurisprudence de la Cour de cassation ne puisse s’appliquer en matière de longueur de procédure pénale (voir, notamment, Phserowsky c. Belgique (déc.), no 52436/07, 7 avril 2009, H.K. c. Belgique (déc.), no 22738/08, 12 janvier 2010, Poncelet c. Belgique, no 44418/07, § 67, 30 mars 2010, et Tyteca c. Belgique (déc.), no 483/06, 24 août 2010). Elle constata, toutefois, dans chacune de ces décisions, que le Gouvernement ne citait aucun exemple de décision judiciaire statuant dans le sens de l’arrêt de la Cour de cassation en matière pénale. Attribuant dans un premier temps cette situation au peu de temps écoulé depuis l’arrêt précité de la Cour de cassation (Phserowsky, décision précitée, et H.K., décision précitée), la Cour s’interrogea ensuite ouvertement sur les raisons d’une telle omission (Poncelet, précité, § 67).

57.  En l’espèce, le requérant n’a pas introduit d’action en responsabilité contre l’État en raison de la durée excessive de l’instruction menée contre lui. Il soutient qu’un tel recours n’est pas effectif.

58.  Afin de clarifier la situation et de vérifier, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, que le recours indemnitaire est effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique dans le cas d’une procédure pénale pendante, la Cour communiqua au Gouvernement la requête et lui posa une question précise à ce sujet. La Cour a en effet pour tâche de déterminer, à la lumière des observations des parties, si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention tels qu’interprétés dans sa jurisprudence et, en l’espèce, si le recours indemnitaire invoqué par le Gouvernement correspond aux critères prévus par la jurisprudence en la matière (voir paragraphe 53, ci-dessus).

59.  La Cour admet que ses arrêts et décisions précités (paragraphe 56) ont pu faire croire au Gouvernement qu’elle considérait le recours indemnitaire comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention qu’il convenait d’épuiser, quel que soit le type de procédure, pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1. Cette situation résulte de ce qu’elle a souhaité, conformément à sa jurisprudence, laisser un certain délai aux autorités belges pour permettre d’éprouver le « nouveau » recours destiné à porter remède à des durées excessives de procédure (voir, mutatis mutandis, McFarlane, précité, § 117). Ce délai ne saurait toutefois s’éterniser.

60.  La Cour rappelle à cet égard qu’en l’absence, comme en l’espèce, d’un recours créé spécialement pour remédier aux durées excessives de procédures, l’évolution et la disponibilité d’un recours que l’on invoque, y compris sa portée et son champ d’application, doivent être exposés avec clarté et confirmés ou complétés par la pratique ou la jurisprudence (McFarlane, précité, § 120 et références citées).

61.  Dans ses observations en réponse, le Gouvernement maintient que le recours indemnitaire fait partie des recours à épuiser avant de saisir la Cour mais ne cite pas un seul exemple de décision judiciaire qui irait dans le sens de l’application de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation en matière pénale.

62.  Dans ces conditions, la Cour estime que le Gouvernement, auquel la charge de la preuve incombe en la matière, n’a pas démontré que le recours indemnitaire sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil était appliqué en pratique par les juridictions dans le cadre des procédures pénales ni donc que ce recours puisse aboutir à des résultats satisfaisant les exigences d’effectivité que l’article 13 de la Convention pose en ce qui concerne les recours indemnitaires en matière de durée excessive de procédures judiciaires (voir paragraphe 53 ci-dessous et les références qui y sont citées).

63.  Partant, le recours indemnitaire ne saurait, à ce jour, être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 pour se plaindre de la longue durée de l’instruction pénale menée contre lui.

64.  Il s’ensuit que l’exception tirée par le Gouvernement du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief fondé sur une violation de l’article 6 § 1, dans la mesure où cette exception a été jointe à l’examen du bien-fondé du grief fondé sur une violation de l’article 13 (voir paragraphe 45 ci-dessus), doit être rejetée.

2.  Le contrôle par la chambre des mises en accusation

65.  Le Gouvernement explique que le droit belge offre plusieurs techniques de contrôle « préventif » de la durée de la procédure au cours de l’instruction. Il s’agit des mesures pouvant être prises par les juridictions d’instruction sur la base des articles 136, 136bis, 235 et 235bis du CIC (voir paragraphes 23 à 35, ci-dessus).

66.  La Cour note que les articles 136 et 136bis du CIC prévoient un contrôle de l’instruction par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel. Ces dispositions donnent à cette juridiction le pouvoir de prendre les mesures prévues par les articles 235 et 235bis du CIC. En vertu de ces dispositions, la chambre des mises en accusation peut donc, notamment, donner des injonctions au juge d’instruction ou même évoquer la cause (voir les conclusions de l’avocat général Vandermeersch, citées au paragraphe 33 ci-dessus).

67.  La Cour rappelle qu’elle a conclu dans certaines affaires que le recours prévu aux articles 136 et 136bis du CIC ne constituait pas un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention en cas de durée excessive au stade de l’instruction. D’une part, elle a remarqué, d’après les observations des parties, que l’article 136 soulevait des questions de droit interne belge qui n’avaient pas encore été résolues (Stratégies et Communications et Dumoulin c. Belgique, no 37370 /97, § 55, 15 octobre 2002). D’autre part et à titre subsidiaire, elle a relevé que selon la jurisprudence de l’époque de la Cour de cassation, il appartenait au juge du fond, et non au juge d’instruction, de juger si la cause était traitée dans un délai raisonnable et, en cas de dépassement de ce délai, de déterminer la réparation adéquate (De Clerck et autres, précité, § 84, Wauters et Schollaert c. Belgique (déc.), no 13414/05, 13 novembre 2007, Garsoux et Massenet c. Belgique, no 27072/05, §§ 33 et 34, 13 mai 2008, et Phserowsky, décision précitée).

68.  La Cour observe que, par un arrêt du 8 avril 2008 (voir paragraphe 32, ci-dessus), la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, reconnut que la méconnaissance du droit de chaque justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable devait pouvoir être constatée à chaque stade de la procédure pénale, même celui de l’instruction. Partant, conformément à l’article 235bis du CIC, lors du règlement de la procédure ainsi que dans les autres cas de saisine, notamment sur pied des articles 136 et 136bis, la chambre des mises en accusation devait contrôler, d’office ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui était soumise, en ce compris la durée de celle-ci.

69.  Dans l’affaire Tyteca c. Belgique précitée, prenant note de cette évolution de jurisprudence, la Cour nuança sa position en déclarant irrecevable le grief tiré de la longueur de l’instruction au motif que les requérants n’avaient tenté ni le recours en responsabilité civile ni les recours prévus aux articles 136 et 136bis du CIC.

70.  La Cour estime que l’on ne saurait inférer de cette dernière décision que les mesures que peut prendre la chambre des mises en accusation sur la base des articles 136, 136bis, 235 et 235bis du CIC en vue d’assurer le bon déroulement de la procédure soient devenus constitutifs, pour chaque affaire, d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention en cas de dépassement du délai raisonnable d’une instruction pénale.

71.  La Cour relève en effet un certain nombre de points qui peuvent jeter un doute sur l’effectivité de ce recours.

72.  Premièrement, la Cour prend note des exemples donnés par l’avocat général à la Cour de cassation, D. Vandermeersch, de mesures que peut ordonner la chambre des mises en accusation : enjoindre au juge d’instruction de prendre des mesures pour remédier aux retards mis par des experts pour rendre un rapport, l’inviter à achever ses investigations en ce qu’elles concernent les inculpés, et décider de la disjonction des poursuites ou ordonner au magistrat instructeur de communiquer son dossier au parquet afin que celui-ci puisse prendre des réquisitions en vue du règlement de la procédure par la chambre du conseil (paragraphe 33, ci‑dessus). Tout en admettant que ces injonctions puissent avoir un effet d’accélération sur le déroulement de la procédure au cas où il y est immédiatement donné suite, la Cour note qu’aucune de ces mesures n’est destinée à s’attaquer concrètement au retard dénoncé. Contrairement par exemple au système en vigueur en Espagne (Gonzalez Marin c. Espagne (déc.), no 39521/98, CEDH 1999‑VII), au Portugal (Tomé Mota c. Portugal (déc.), no 32082/96, CEDH 1999‑IX) ou en Slovénie (Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 87, 3 mai 2007), il n’est pas établi que dans le système belge, la chambre des mises en accusation puisse fixer des délais pour l’accomplissement des actes de procédure, enjoindre au magistrat instructeur de fixer une date pour une audience ou la clôture de l’instruction ou encore décider que l’affaire doit être traitée par priorité (voir également Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 83, CEDH 2003‑VIII (extraits)).

73.  Deuxièmement, la Cour observe qu’en l’espèce, la chambre des mises en accusation n’a pris, d’office, aucune de ces mesures. La Cour s’interroge sur les raisons de cette attitude et se demande s’il ne résulte pas de ce que lesdites mesures n’étaient, de toute façon, pas de nature à pallier les défaillances identifiées par le procureur général lui-même, à savoir le manque d’effectifs et les carences structurelles du parquet de Bruxelles en charge du dossier (voir paragraphe 13, ci-dessus). La chambre des mises en accusation n’a, par ailleurs, pas ordonné une quelconque mesure à la requête du requérant non plus.

74.  Troisièmement, la Cour note que, en dehors des hypothèses où le dépassement du délai raisonnable entraîne l’irrecevabilité des poursuites ou l’extinction de l’action publique en raison d’une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, la juridiction d’instruction n’a pas le pouvoir de sanctionner le dépassement du délai raisonnable. La circonstance que le juge du fond soit obligé de tenir compte lors de l’appréciation globale de la cause du constat fait par la juridiction d’instruction du dépassement du délai raisonnable, ne saurait constituer un redressement adéquat au sens de la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 53, ci-dessus). La Cour note, par ailleurs, que dans les cas où l’instruction se termine avec un non-lieu, où que l’inculpé est acquitté, le pouvoir précité du juge du fond peut n’apporter aucun redressement du tout.

75.  Il s’ensuit que les recours préventifs invoqués par le Gouvernement ne sauraient pas non plus être considérés, en l’espèce, comme des recours effectifs au sens de l’article 13 de la Convention pour dénoncer un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1.

3.  Conclusion

76.  La Cour considère que le Gouvernement n’a pas démontré que les recours qu’il invoque constituent des recours effectifs qui étaient disponibles en théorie et en pratique.

77.  Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.

2/ délai non raisonnable

81.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Sürmeli, précité, § 128, et McFarlane, précité, § 140). En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012).

82.  La période à prendre en considération pour le calcul du délai raisonnable débuta le 19 novembre 2002 lorsque le requérant fut placé sous mandat d’arrêt et informé qu’il était soupçonné de trafic illégal d’or et d’infraction à la législation sur le blanchiment de capitaux. Selon les informations versées au dossier, l’instruction est encore pendante à la date de l’adoption du présent arrêt (23 septembre 2014). La procédure a donc déjà duré onze ans et neuf mois.

83.  L’instruction de l’affaire revêt certainement, comme l’ont relevé les juridictions d’instruction, une certaine complexité mais la Cour considère que cela ne suffit pas à expliquer pourquoi la procédure pénale dirigée contre le requérant a déjà connu une telle durée.

84.  Pour ce qui est du comportement du requérant, la chambre des mises en accusation a, à plusieurs reprises, souligné que le requérant était à l’origine de la durée de la procédure du fait de ses demandes répétées sur pied de l’article 136 du CIC qui ont eu pour effet de priver le procureur du Roi de la disposition du dossier et d’empêcher la clôture de l’instruction.

85.  La Cour rappelle que les requérants peuvent user de toutes les voies procédurales pertinentes qu’offre le droit interne et notamment solliciter la cessation des poursuites pour cause de délais excessifs mais qu’ils doivent agir avec diligence et supporter les conséquences si ces démarches provoquent des retards (voir notamment Boczoń c. Pologne, no 66079/01, § 51, 30 janvier 2007, et McFarlane, précité, § 148).

86.  La Cour convient qu’en 2007 et 2008 (voir paragraphes 13 à 15, ci‑dessus), le requérant a contribué à la durée de la procédure dirigée contre lui en usant de manière répétée les voies procédurales prévues par le CIC en vue d’obtenir des mesures d’accélération de la procédure ou la levée des saisies sans qu’on puisse apercevoir quelle était la finalité de ces démarches aussi rapprochées. La conduite du requérant n’explique toutefois pas, selon la Cour, la totalité de la durée.

87.  Pour ce qui est du comportement des autorités, la Cour note qu’à plusieurs reprises à partir de 2007, les juridictions d’instruction ont admis que le requérant se plaignait à juste titre des longueurs de procédure et ont pris acte, dans un premier temps, de ce qu’elles résultaient des conditions de travail difficile du parquet de Bruxelles (voir paragraphes 13 et 15, ci‑dessus).

88.  Compte tenu de sa jurisprudence constante relative aux problèmes posés par l’engorgement des tribunaux, la Cour estime qu’il ne lui incombe pas de rechercher à quelle autorité attribuer le dépassement observé car, dans tous les cas, c’est la responsabilité de l’État qui se trouve en jeu, l’article 6 § 1 de la Convention obligeant les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que les tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, notamment celle du délai raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Remzi Aydın c. Turquie, no 30911/04, § 66, 20 février 2007 et références citées).

89.  Sur la base de l’ensemble des éléments considérés, la Cour conclut que la complexité de l’instruction et le comportement du requérant n’expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure ; la cause majeure de celle-ci réside dans la manière dont les autorités ont conduit l’affaire.

90.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

LES RECOURS INTERNES AU LUXEMBOURG

LE LUXEMBOURG A MIS EN PLACE UNE PROCÉDURE POUR INDEMNISER LE DELAI NON RAISONNABLE

Jean-Pierre NAU et BAKONA SARL c. Luxembourg du 20 juillet 2017 requête n° 25426/15

A. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4. La société requérante, dont le requérant détient toutes les parts sociales, exploite une installation de biométhanisation par cofermentation de déchets. À une date non spécifiée, en sa qualité de gérant de la société requérante, le requérant déposa une demande d’aides à l’investissement auprès du ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural. Le montant de l’investissement qu’il souhaitait réaliser avait été évalué à 9 312 320 euros (EUR).

5. Le 9 octobre 2009, le ministre compétent (« le ministre ») donna son accord de principe à la société requérante pour les aides à l’investissement sollicitées.

6. Le 6 juillet 2011, le requérant informa le ministre que l’investissement global relatif à l’installation en question devait être réévalué à la hausse et se chiffrait désormais à 14 884 042 EUR. Un premier acompte de 4 398 169,31 EUR fut versé le 1er septembre 2011 sur la base de cette réévaluation.

7. Le 26 septembre 2011, le ministre avisa le requérant que le dossier de la société requérante contenait des éléments susceptibles de constituer une infraction, qu’il avait transmis celui-ci au parquet et que le dossier resterait « bloqué » sur le plan administratif dans l’attente d’une décision des autorités judiciaires.

8. Suite à cette décision, des procédures administrative et pénale ont été initiées en parallèle.

1. La procédure administrative

9. Le 19 décembre 2011, les requérants introduisirent un recours en annulation contre la décision ministérielle du 26 septembre 2011.

10. Par un jugement du 14 janvier 2013, le tribunal administratif annula la décision ministérielle litigieuse pour insuffisance de motivation. Il constatait que la décision ne contenait pas d’éléments venant étayer les soupçons du ministre quant à la commission d’une infraction pénale par le requérant et qu’elle n’expliquait pas dans quelle mesure celle-ci était de nature à justifier un blocage du versement des subventions étatiques ayant fait l’objet de l’accord de principe du 9 octobre 2009.

11. Le 12 avril 2013, le ministre rendit une nouvelle décision confirmant la mise en attente du dossier. Il exposait qu’il n’était pas certain que la somme indiquée par les requérants correspondît au montant réel de l’investissement et que l’État risquait de verser une subvention sur une base erronée.

12. Le 2 mai 2013, les requérants déposèrent un « recours en réformation sinon en annulation » contre cette décision ministérielle.

13. Par un jugement du 4 juin 2014, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation, et rejeta le recours en annulation comme étant non fondé.

14. Par un arrêt du 10 février 2015, la Cour administrative déclara l’appel interjeté par les requérants non fondé, jugeant notamment que « la décision ministérielle attaquée se justifi[ait] sur base du déclenchement de l’action publique et du principe suivant lequel le criminel tient l’administratif en l’état ».

2. La procédure pénale

15. Le 1er juin 2012, une information judiciaire fut ouverte contre le requérant du chef d’escroquerie, et subsidiairement de tentative d’escroquerie, aux subventions.

16. Le Gouvernement indique que plusieurs rapports de la police judiciaire ont, par la suite, été transmis au juge d’instruction (le 26 septembre 2012, ainsi que les 15 février, 23 mai et 9 septembre 2013).

17. Le 28 septembre 2012, le requérant sollicita l’annulation d’une perquisition qui avait été ordonnée le 12 septembre 2012 et exécutée le 26 septembre 2012. Il souleva notamment un moyen tiré d’une violation de l’article 6 de la Convention pour dépassement du « délai raisonnable ».

Par une ordonnance du 3 octobre 2012, confirmée par un arrêt de la chambre du conseil de la Cour d’appel du 12 novembre 2012, sa demande fut déclarée non fondée. Dans leur décision, les magistrats indiquaient qu’ils pouvaient admettre que les dispositions de l’article 6 de la Convention s’appliquaient à l’ensemble de la procédure, mais que « la notion de délai raisonnable n’[était] (...) pas en cause dans le cadre de la [présente] demande d’annulation (...) qui concern[ait] uniquement un acte précis, à savoir la perquisition [suivie de] la saisie ».

18. Le 2 octobre 2012, le requérant se plaignit auprès du juge d’instruction que plus d’un an se fût écoulé sans qu’il ne fût fixé sur son sort.

19. Le requérant fut entendu par la police judiciaire le 5 février 2013. Il indique avoir pris connaissance des faits reprochés pour la première fois lors de cette audition.

Le 13 février 2013, l’avocat du requérant fit parvenir à la police judiciaire une lettre dans laquelle il formulait des observations sur les faits en question et sollicitait des vérifications.

20. Le 21 novembre 2013, le juge d’instruction informa l’avocat des requérants que « l’enquête [était] clôturée au niveau de la police judiciaire ».

21. Le 10 février 2014, le nouveau juge d’instruction chargé du dossier informa l’avocat des requérants qu’il l’aviserait des suites données à l’affaire avant la fin du mois de février 2014.

Le 4 avril 2014, l’avocat des requérants s’enquit de l’état d’avancement du dossier auprès du juge. Il indiquait que l’affaire présentait un enjeu important et que le versement d’importantes subventions était suspendu, depuis deux ans et demi, dans l’attente des suites réservées à l’instruction pénale.

Le requérant affirme que, le 14 avril 2014, le juge d’instruction lui a indiqué que le dossier avait été transmis au parquet afin de permettre à ce dernier de conclure quant à l’opportunité d’étendre l’instruction judiciaire à d’autres faits établis au cours de l’enquête.

22. Le Gouvernement expose qu’une extension d’information judiciaire avait été décidée suite à la connaissance de ces faits et que plusieurs rapports de la police judiciaire avaient ainsi été transmis au juge d’instruction (les 10 avril, 6 mai, 14 novembre et 10 décembre 2014, et 30 mars et 26 juin 2015).

23. Le 10 décembre 2014, le requérant fut interrogé par le juge d’instruction et inculpé des chefs d’escroquerie aux subventions, d’abus de biens sociaux et de faux en écritures.

24. Le 21 juillet 2015, le juge d’instruction clôtura l’instruction et transmit le dossier au parquet pour que celui-ci présentât ses réquisitions.

25. Le dossier est, depuis cette date, pendant devant le parquet qui, selon le Gouvernement, préparerait actuellement le réquisitoire pour la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

26. L’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’État et des collectivités publiques (« la loi de 1988 ») prévoit que la victime du fonctionnement défectueux d’un service public a la possibilité d’exercer une action civile. Cet article se lit comme suit :

« L’État et les autres personnes morales de droit public répondent, chacun dans le cadre de ses missions de service public, de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services, tant administratifs que judiciaires, sous réserve de l’autorité de la chose jugée.

Toutefois, lorsqu’il serait inéquitable, eu égard à la nature et à la finalité de l’acte générateur du dommage, de laisser le préjudice subi à charge de l’administré, indemnisation est due même en l’absence de preuve d’un fonctionnement défectueux du service, à condition que le dommage soit spécial et exceptionnel et qu’il ne soit pas imputable à une faute de la victime. »

27. Plusieurs décisions nationales ont été rendues en matière de délai raisonnable au sujet de procédures civiles, commerciales et pénales[1].

28. Une affaire porte sur une action en responsabilité de l’État engagée en raison de la durée d’une procédure civile ayant fait l’objet d’un sursis à statuer dans l’attente de l’issue d’une procédure pénale (Société de droit des Iles Vierges Britanniques Farnell Holdings Ltd. c. État, Pasicrisie luxembourgeoise 34, p. 139). Dans cette affaire, par un jugement du 24 février 2006, après avoir relevé que la procédure civile introduite par la demanderesse en janvier 2001 était pendante depuis plus de cinq ans, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a reconnu que l’intéressée avait subi un préjudice moral pour ce motif et il lui a ainsi alloué la somme de 1 EUR à ce titre. Par un arrêt du 21 novembre 2007, la Cour d’appel a confirmé ce jugement dans son principe mais a porté à 15 000 EUR le montant des dommages et intérêts. Les passages pertinents en l’espèce de cet arrêt étaient ainsi libellés :

« Farnell Holdings Ltd. fait grief aux juges de première instance (...) de ne pas avoir condamné l’[État] en équité à lui payer le montant réclamé alors que l’instance civile qu’elle a introduite il y a plus de cinq ans n’a toujours pas trouvé de solution et qu’une issue de cette instance semble loin d’être imminente.

L’[État] soutient qu’il appartiendrait à [Farnell Holdings Ltd.] de prouver qu’elle a subi un préjudice spécial trouvant son origine dans le retard apporté à la solution du litige.

Farnell Holdings Ltd. avait demandé au civil la condamnation [des défendeurs dans la procédure civile principale] au payement du montant de 5.900.000 $.

Le tribunal a transmis le dossier au parquet (...), une suspicion d’escroquerie, de vol ou de détournement étant apparue à charge [d’un des défendeurs].

La Cour considère, d’une part, que Farnell Holdings Ltd. a subi un préjudice certain et spécial suite au fait que sa demande en payement n’a pu être vidée [traitée] à cause d’un retard de plus de cinq ans apporté à la procédure pénale, retard dont l’[État] est responsable suite au dysfonctionnement de ses organes judiciaires.

La Cour considère, d’autre part, que l’euro symbolique alloué en première instance à Farnell Holdings Ltd. ne suffit pas à l’indemniser en équité du préjudice subi.

La Cour dispose des éléments d’appréciation suffisants et nécessaires pour fixer ex aequo et bono le préjudice subi au montant de 15.000 €. »

Cet arrêt de la Cour d’appel a servi de fondement à la Cour pour reconnaître l’existence d’un recours effectif en droit interne (Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 38 à 53, 11 février 2010).

29. Une affaire est relative à une action en responsabilité de l’État intentée en raison de la durée d’une procédure pénale diligentée à l’encontre d’un employeur pour un accident du travail survenu en 2000 et clôturée en 2011. Par un jugement du 23 janvier 2013 (no 29/13 XVII), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a accordé au demandeur la somme de 8 000 EUR au titre du préjudice moral. Ce jugement énonce, entre autres, dans ses passages pertinents en l’espèce :

« Quant au dommage moral, la Cour déduit l’existence du dommage de la simple constatation du dépassement du délai raisonnable, estimant, suivant les diverses formules retenues, qu’on peut raisonnablement penser que le retard a provoqué une angoisse (arrêt Cazenave de la Roche c. France, 9 juin 1998), que l’existence de ce préjudice est indéniable (arrêt Antunes Rocha c. Portugal, 31 mai 2005) ou encore que la situation d’incertitude justifie l’octroi d’une indemnité (arrêt Hamer c. Belgique, 27 novembre 2007).

(...)

[Dans l’affaire concernée], le tribunal (...) déduit l’existence de la durée particulièrement longue de la procédure eu égard à la complexité limitée de l’affaire pénale. L’angoisse et l’incertitude dans [lesquelles] s’est trouvé le demandeur en raison de ces retards justifie[nt] l’octroi de dommages et intérêts en sa faveur. Le tribunal estime que le préjudice ainsi subi par le demandeur peut être réparé équitablement par l’octroi de dommages et intérêts s’élevant à la somme de 8.000 euros. »

30. Une affaire concerne également une action en responsabilité de l’État intentée en raison de la durée d’une procédure pénale. Par un jugement du 8 mai 2013 (no 116/13 XVII), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a alloué au demandeur, contre lequel une plainte avait été déposée le 27 novembre 1997 et qui ne se trouvait toujours pas jugé au moment du prononcé de la décision rendue au civil, la somme de 1 500 EUR pour dommage moral. Cette affaire a ensuite fait l’objet d’une requête portée devant la Cour, qui a abouti à la décision Schmit c. Luxembourg (no 69635/12, 19 novembre 2013).

31. Enfin, il ressort du Journal des Tribunaux Luxembourg (no 32 du 5 avril 2014) et d’informations recueillies sur Internet (www.justice.public.lu) que, dans le cadre de l’affaire mentionnée au paragraphe 28 (affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel du 21 novembre 2007, portant octroi d’une indemnisation de 15 000 EUR pour dépassement du délai raisonnable), la demanderesse a intenté deux autres actions en responsabilité de l’État (paragraphes 32 et 33 ci-dessous).

32. Dans sa deuxième action, la demanderesse sollicitait l’indemnisation d’un préjudice moral qu’elle estimait avoir subi en raison d’une nouvelle période d’inactivité des autorités d’une durée de quatre ans.

Par un jugement du 2 décembre 2009, confirmé en appel (C.A., 2 mars 2011, no 35860), les magistrats ont conclu au fonctionnement défectueux des services de l’État après avoir constaté que quatre années s’étaient écoulées, que l’instruction pénale n’avait pas progressé et que l’issue de la procédure civile introduite en janvier 2001 avait ainsi été retardée. Estimant qu’ils ne disposaient pas d’éléments d’appréciation concrets, ils ont alloué à la demanderesse 1 EUR au titre du préjudice moral.

Par un arrêt du 13 juin 2013, la Cour de cassation a rejeté le moyen de cassation de la demanderesse tiré d’une violation de l’article 13 de la Convention fondée sur une insuffisance du montant alloué au titre de la réparation du préjudice moral, aux motifs suivants :

« Attendu, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que les juges du fond, pour satisfaire à l’exigence d’un redressement approprié, doivent accorder une indemnisation qui soit dans un rapport raisonnable avec les sommes que la Cour européenne aurait allouées dans des affaires similaires ;

Que cette exigence présuppose la prise en compte ou l’anticipation de la position qu’aurait adoptée la Cour européenne, si la demande avait été présentée devant elle‑même, au titre de l’article 41 de la Convention, impliquant une analyse comparative, voire prospective, aux fins de dégager des lignes directrices ;

Attendu que les juges d’appel ont considéré que le fait que l’action civile introduite par la demanderesse en cassation contre plusieurs autres sociétés en restitution d’un montant se trouve toujours en suspens du fait du dossier pénal, constitue dans le chef du défendeur en cassation un fonctionnement défectueux au sens de la loi [de 1988], et cause à la demanderesse en cassation un préjudice moral ;

Qu’ils se sont ainsi déterminés en raison de l’existence d’une présomption solide, selon laquelle la durée excessive d’une procédure cause un dommage moral ;

Attendu qu’à défaut d’autres éléments d’appréciation soumis, décrivant les composantes du préjudice moral réclamé, les juges d’appel ont évalué le dommage moral à un euro ;

Que par cette décision, ils ont retenu une solution également adoptée par la Cour européenne consistant à dire que le constat de la violation constitue à lui seul une satisfaction équitable suffisante ;

Que les juges d’appel n’ont dès lors pas violé la disposition invoquée de la Convention. »

33. Dans sa troisième action, intentée le 9 juillet 2012, la demanderesse estimait qu’elle avait subi un déni de justice au motif que plus de onze années s’étaient écoulées sans qu’un jugement de première instance eût été rendu dans l’affaire civile. Par un jugement du 22 mai 2013 (no 127/2013 XVII), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a jugé que l’absence d’une décision de justice rendue en première instance dans une affaire civile après onze ans de procédure constituait un déni de justice engageant la responsabilité de l’État. Rappelant ensuite que la demanderesse avait déjà été indemnisée pour le préjudice moral subi par elle en raison du dépassement du délai raisonnable, le tribunal lui a accordé, à la lumière des éléments du dossier, la somme de 1 000 EUR ex aequo et bono en réparation de son dommage moral résultant du déni de justice.

GRIEF

34. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale engagée contre eux, qu’ils jugent anormalement longue.

EN DROIT

35. Les requérants estiment que la durée de la procédure pénale menée à leur encontre ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

36. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il reproche aux requérants d’avoir porté directement et pour la première fois leur grief devant la Cour, et il considère qu’ils auraient dû soulever celui-ci en introduisant une action en responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires sur le fondement de l’article 1er de la loi de 1988. Il soutient que le recours prévu par cette loi constitue un recours effectif pour tout grief tiré d’un dépassement du délai raisonnable dans le cadre d’une procédure pénale, à l’instar de celui soulevé par les requérants. Se référant à cet égard à l’affaire Schmit (décision précitée – affaire également relative à la question de la durée d’une procédure pénale), il expose que la Cour a reconnu le recours prévu par la loi de 1988 et qu’elle a ensuite analysé son effectivité et conclu que le seul problème susceptible de se poser sous l’angle de l’article 13 de la Convention concernait le cas de figure d’un recours ne permettant pas d’aboutir à une indemnisation suffisante.

Le Gouvernement estime que les requérants ne peuvent utilement citer l’arrêt Amadou c. Grèce (no 37991/11, 4 février 2016) pour contester l’effectivité du recours interne en question (paragraphe 37 ci-dessous) puisque cet arrêt concernerait le cas spécifique des conditions de rétention d’étrangers en voie d’expulsion. À ce sujet, il indique que la présente affaire concerne la question de la durée d’une procédure qui aurait été à l’origine d’un dommage et que celui-ci, qu’il qualifie de purement financier, serait réparable par l’allocation de sommes d’argent par un tribunal national. Il considère que, dans la situation en cause en l’espèce – caractérisée selon lui par une possibilité de procéder à une évaluation pécuniaire du dommage allégué –, une indemnisation aurait dû être réclamée d’abord devant les juridictions nationales. Il argue que les conditions posées par la Cour dans l’arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, CEDH 2000‑XI), également cité par les requérants (paragraphe 37 ci-dessous), sont respectées par la loi de 1988, tel que cela aurait été reconnu dans l’arrêt Leandro Da Silva (précité). Indiquant enfin que les conditions énumérées au paragraphe 158 de l’arrêt Kudła (précité) ne sont pas cumulatives, le Gouvernement soutient que, contrairement à ce qui serait allégué par les requérants, la loi de 1988 est susceptible de fournir un redressement approprié à ceux-ci puisqu’elle leur permettrait de réclamer toutes les sommes d’argent dont ils se prétendent lésés.

37. Les requérants répondent qu’ils ont épuisé les voies de recours internes. Ils affirment qu’ils ont invoqué à maintes reprises l’article 6 de la Convention, tant dans le cadre de la procédure pénale que dans le cadre de la procédure administrative. Citant les affaires Amadou (précitée, § 45) et Kudła (précitée, § 158), ils contestent le caractère effectif du recours compensatoire prévu par l’article 1er de la loi de 1988 au motif que cette voie de droit a un caractère purement indemnitaire et qu’elle ne permet pas d’accélérer une procédure en cours. Ils estiment que, en l’occurrence, seul un recours permettant d’empêcher la continuation de la violation dénoncée par eux serait effectif, et ils précisent que tel n’est pas le cas d’un recours compensatoire. Ils considèrent qu’une réparation accordée « après coup », sur le fondement de la loi de 1988, pour le dommage subi en raison de la durée excessive d’une procédure pénale – à supposer la possibilité d’obtenir une telle réparation admise et reconnue en droit luxembourgeois, ce qui selon eux n’est pas le cas en l’espèce – ne peut être considérée comme résultant de l’exercice d’une voie de recours effective permettant un « redressement approprié pour une violation déjà produite ». Les requérants indiquent aussi que leur intérêt réside dans l’obtention d’une décision dans les meilleurs délais sur le plan pénal, et ce aux fins de déblocage des subventions dont la société requérante serait tributaire pour sa survie. Ils précisent que le résultat d’une action en indemnisation sur le fondement de la loi de 1988 est incertain eu égard à la jurisprudence luxembourgeoise, et ils ajoutent qu’une telle action devrait être introduite en respectant le droit commun de la procédure civile et qu’elle ne pourrait faire l’objet d’une décision définitive avant de longues années. Ils indiquent enfin que, eu égard à la situation financière de la société requérante, qu’ils qualifient de précaire, il est inconcevable qu’une action introduite sur le fondement de la loi de 1988 puisse s’éterniser. À ce titre, ils disent avoir à maintes reprises attiré l’attention des autorités nationales, dans leurs courriers adressés à celles-ci, sur la situation préjudiciable qui risquerait de découler de la durée de la procédure.

38. La Cour renvoie, s’agissant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes, aux principes généraux se dégageant de sa jurisprudence, tels que rappelés dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69 à 77, 25 mars 2014).

39. En l’espèce, la Cour doit déterminer si, aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, les requérants étaient tenus d’introduire une action en responsabilité contre l’État sur le fondement de la loi de 1988 avant de lui soumettre leur grief tiré de la durée de la procédure. En effet, selon les éléments de jurisprudence interne dont elle dispose, la Cour constate que ce recours indemnitaire a été utilisé pour des litiges portant sur la durée de procédures judiciaires, tant civiles, commerciales que pénales (paragraphe 27), que les requérants avaient la possibilité de l’exercer, mais qu’ils ne l’ont pas fait.

40. La Cour rappelle que, dans l’affaire Leandro Da Silva (précitée, § 50), elle a considéré que le recours indemnitaire en responsabilité civile de l’État – fondé sur la loi de 1988 et consacré par un arrêt du 21 novembre 2007 de la Cour d’appel, qui avait alloué une indemnité de 15 000 EUR pour une instance ayant duré plus de cinq ans – devait être exercé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Dans cette affaire, la Cour a considéré que l’arrêt de la Cour d’appel susmentionné avait acquis un degré de certitude suffisant au cours du deuxième trimestre 2008 et qu’il ne pouvait plus être ignoré du public depuis le 1er août 2008. Elle a conclu que, pour toute requête introduite après cette date et mettant en cause le caractère raisonnable du délai de la procédure, la partie requérante devait établir qu’elle avait fait usage du recours indemnitaire en question.

41. Certes, ultérieurement, dans l’affaire Schmit (précitée), dans laquelle un requérant qui avait exercé le recours en question qualifiait celui-ci de « factice », la Cour a noté le faible montant du redressement accordé par les juges de première instance et a relevé qu’un problème pourrait se poser sous l’angle de l’article 13 de la Convention (invoqué par le requérant concerné) si le recours, qui était alors pendant au niveau de l’appel, n’aboutissait pas à l’octroi d’une indemnisation suffisante.

La Cour souligne toutefois d’emblée que l’affaire soumise à son examen se distingue de l’affaire Schmit (précitée) en ce que, dans cette dernière cause, le requérant concerné avait, contrairement aux requérants de la présente espèce, exercé le recours en question avant de s’adresser à elle.

42. La Cour constate que, à la suite de l’arrêt Leandro Da Silva, les juges nationaux ont – selon une motivation faisant référence à la jurisprudence de la Cour en la matière – accordé une somme de 8 000 EUR en réparation du préjudice subi par une personne du fait de la durée d’une procédure pénale (paragraphe 29). Pour autant, elle ne saurait faire abstraction du rejet par la Cour de cassation, en 2013, d’un moyen de cassation, tiré d’une violation de l’article 13 de la Convention fondée sur une insuffisance du montant alloué au titre de la réparation du préjudice moral (paragraphe 32). Dans son arrêt, la haute juridiction a en effet considéré que, en évaluant le préjudice moral subi par la demanderesse à 1 EUR, les juges du fond avaient « retenu une solution également adoptée par la Cour (...) consistant à dire que le constat de la violation constitu[ait] à lui seul une satisfaction équitable suffisante » (paragraphe 32). À cet égard, la Cour rappelle avoir dit que le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle dans des affaires similaires (voir, par exemple, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 202-206 et 213, CEDH 2006‑V).

43. En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont porté leur grief devant elle sans avoir fait usage de la voie de recours prévue par la loi de 1988. Elle relève qu’ils ont introduit leur requête, par le biais de leur avocat, à un moment où l’arrêt de la Cour de cassation susmentionné (paragraphes 32 et 42 ci-dessus) avait déjà été analysé et commenté dans le Journal des Tribunaux Luxembourg, que dans le formulaire de requête ils se sont bornés à répondre par la négative à la question « disposiez-vous d’un recours que vous n’avez pas exercé ? » et qu’ils n’ont pas donné à ce sujet la moindre explication ni formulé aucun commentaire. Dans leurs observations devant la Cour, les requérants ont contesté l’effectivité du recours indemnitaire, non en arguant que les montants accordés par les juridictions nationales étaient insuffisants, mais en soutenant que seul un recours permettant d’empêcher la continuation de la violation dénoncée par eux, à l’exclusion d’un recours compensatoire, serait effectif. Or, à ce dernier égard, la Cour rappelle que, « en ce qui concerne (...) les affaires relatives à la durée d’une procédure, un recours visant à faire accélérer l’instance afin d’empêcher que sa durée ne soit excessive constitue la solution la plus efficace (...) », mais que « les États peuvent également choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire, sans que celui-ci puisse être considéré comme manquant d’effectivité » (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 98 et 99, CEDH 2009, J.R. c. Belgique, no 56367/09, §§ 71 à 74, 24 janvier 2017 et Hiernaux c. Belgique, §§ 45 à 48, 24 janvier 2017).

44. Rappelant qu’un recours indemnitaire existe et est utilisé au Luxembourg, ainsi qu’en témoignent les exemples de jurisprudence cités par la doctrine (paragraphes 27 à 33), la Cour estime, eu égard au principe de subsidiarité, qu’il est approprié et justifié d’exiger des requérants qu’ils exercent cette voie de droit. Elle rappelle aussi que « le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question » (Vučković, précité, § 74).

45. Par ailleurs, la Cour souligne que les requérants peuvent encore permettre à l’État d’examiner la question de la durée excessive de la procédure et de procéder à un redressement de la violation alléguée dans le respect des critères fixés par elle en la matière (Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, §§ 55 et 56, 21 décembre 2010). À ce dernier égard toutefois, elle ne peut que rappeler combien il importe qu’un tel recours garantisse réellement une réparation effective – au niveau notamment du montant de l’indemnité à allouer – des violations de la Convention résultant de la durée excessive d’une procédure (Taron c. Allemagne (déc.), no 53126/07, 29 mai 2012).

46. Il y a lieu en conséquence d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement. Il s’ensuit que le grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, Déclare la requête irrecevable.

LES RECOURS INTERNES EN TURQUE

Une procédure interne existe en Turquie.

NEJDET ATALAY c. TURQUIE arrêt du 19 septembre 2019 requête n° 76224/12

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

24.  Le requérant allègue que la durée de la procédure pénale ne répondait pas à l’exigence du « délai raisonnable » prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

25.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique à cet égard que le requérant aurait dû saisir la commission d’indemnisation instaurée par la loi no 6384.

26.  Le requérant conteste l’exception du Gouvernement. Il soutient que la commission d’indemnisation établie par la loi no 6384 n’accorde pas une indemnisation suffisante pour non-respect de l’exigence du délai raisonnable.

27.  La Cour se réfère à cet égard à la décision Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, §§ 58 et 60, 26 mars 2013) et ne décèle aucune raison de s’écarter de l’approche suivie dans cette affaire.

28.  Par conséquent, elle accueille l’argument du Gouvernement et déclare ce grief irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.

PAS DE RECOURS INTERNES EN GRECE

Papargyriou c. Grèce du 21 novembre 2019 requête n° 55846/15

Violation de l'article 6-1 : Absence de recours indemnitaire pour compenser la durée excessive d’une procédure pénale devant les chambres d’accusation grecques

L’affaire concerne l’absence, en droit grec, d’un recours indemnitaire pour compenser la durée excessive d’une procédure pénale pendante devant la chambre d’accusation. La Cour juge en particulier que la procédure (plus de 10 ans et neuf mois) devant les chambres d’accusation a connu une durée excessive, ce qui est incompatible avec l’exigence de délai raisonnable prévu à l’article 6 de la Convention. La Cour observe que, en l’état de la jurisprudence nationale à l’époque des faits et nonobstant l’interprétation du droit national qui pourrait être donnée à l’avenir, le droit grec – en l’occurrence, la loi no 4239/2014 prévoyant un recours indemnitaire pour les prolongations injustifiées des procédures devant les juridictions pénales – ne permet pas d’indemniser les retards de procédure devant les chambres d’accusation.

Sur le fond, Mme Papargyriou s’est présentée devant les autorités de police le 12 novembre 2004 et la chambre d’accusation de la cour d’appel a rendu son ordonnance le 5 août 2015. La procédure a donc duré plus de 10 ans et neuf mois. Par conséquent, la Cour juge que la procédure a connu une durée excessive, ce qui est incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » prévue par l’article 6 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

FAITS

La requérante, Georgia Papargyriou, est une ressortissante grecque née en 1952. En 2004, des poursuites pénales furent engagées contre Mme Papargyriou pour faux et détournement de fonds commis à répétition par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions. Une enquête judiciaire fut ouverte. Le 12 novembre 2004, Mme Papargyriou se présenta devant les autorités de police. En 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel ordonna la prolongation de l’enquête judiciaire. Puis, en 2013, une enquête judiciaire complémentaire fut ordonnée pour d’autres infractions. En 2015, la chambre d’accusation de la cour d’appel mit fin aux poursuites pénales relatives à certains chefs de détournement de fonds commis par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions. Elle décida également de ne pas inculper Mme Papargyriou des autres chefs d’accusation dont elle faisait l’objet.

CEDH

Article 6 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable)

Sur la recevabilité du grief

Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il estime que Mme Papargyriou aurait dû saisir les juridictions internes sur le fondement de la loi no 4239/2014 qui prévoit, depuis le 5 août 2015, un recours indemnitaire en cas de préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. Il se réfère à la jurisprudence Xynos c. Grèce2 de la Cour. Mme Papargyriou conteste cette thèse, estimant que la loi no 4239/2014 ne couvre pas les procédures excessives devant la chambre d’accusation, qui adopte des « ordonnances » et non des « décisions ». La Cour constate que, selon une interprétation littérale des articles 2 et 3 de la loi no 4239/2014, le recours indemnitaire n’est possible qu’après la publication d’une « décision » définitive de la juridiction interne concernée. Or, selon les dispositions du droit national, les chambres d’accusation ne rendent pas des « décisions » mais des « ordonnances », dont il n’est fait aucune mention dans le texte de ladite loi. Il apparaît donc que, en l’état de la jurisprudence nationale à l’époque des faits et nonobstant l’interprétation du droit national qui pourrait être donnée à l’avenir, les dispositions de la loi no 4239/2014 ne sont pas interprétées de manière à inclure dans leur champ d’application les griefs relatifs aux retards de la procédure devant les chambres d’accusation. Par conséquent, Mme Papargyriou n’était pas tenue par l’article 35 § 1 de la Convention d’utiliser le recours prévu par la loi no 4239/2014.

Sur le fond du grief

Mme Papargyriou s’est présentée devant les autorités de police le 12 novembre 2004 et la chambre d’accusation de la cour d’appel a rendu son ordonnance le 5 août 2015. La procédure a donc duré plus de 10 ans et neuf mois. Par conséquent, la Cour juge que la procédure a connu une durée excessive, ce qui est incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » prévue par l’article 6 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

ARTICLE 6-1

  1. Sur la recevabilité
    1. Arguments des parties

16.  Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que la loi n4239/2014 a introduit, entre autres, un recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable en cas de préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales, que cette loi était déjà en vigueur le 5 août 2015, date de la fin de la procédure litigieuse, et que, dès lors, la requérante aurait dû saisir les juridictions internes d’une demande de satisfaction équitable sur ce fondement. Se référant à l’arrêt Xynos, précité, il expose que la Cour a jugé cette voie de recours effective et accessible. Il considère que le législateur, conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière, entendait inclure dans le champ d’application de la nouvelle loi les procédures pénales qui se terminaient par l’adoption d’une ordonnance. Il invoque à cet égard l’article 7 § 1 de cette loi. Il expose également que, d’après le code de procédure pénale (CPP), l’ordonnance de la chambre d’accusation constitue une décision qui doit être motivée. Renvoyant à l’arrêt Paraponiaris c. Grèce (no 42132/06, §§ 20‑22, 25 septembre 2008), il ajoute que lors de l’adoption des ordonnances la chambre d’accusation agit comme un tribunal et doit offrir aux justiciables toutes les garanties requises. Il estime que la requérante aurait dû introduire une demande d’indemnisation auprès du juge à la tête de la cour d’appel de Nauplie, qui aurait ensuite désigné le magistrat chargé de l’examen de la demande. Quant à l’argument de la requérante selon lequel, à l’époque des faits, le président de la cour d’appel compétent n’avait pas été désigné, le Gouvernement rétorque qu’il s’agit là d’une question concernant l’organisation interne de la juridiction et non la recevabilité de la demande que la requérante aurait dû introduire. Il affirme en outre que la loi a instauré la possibilité d’introduire un recours indemnitaire en cas de prolongation d’une procédure, quel que soit le degré de juridiction concerné, y compris d’une procédure devant une chambre d’accusation ayant renvoyé un accusé en jugement.

17.  La requérante rétorque que la loi no 4239/2014 ne prévoit la possibilité d’introduire une demande d’indemnisation que pour les procédures ayant donné lieu à une décision des tribunaux de première et de deuxième instance et de la Cour de cassation. Elle considère que la chambre d’accusation ne fait pas partie des degrés de juridiction visés par le CPP. Elle ajoute à cet égard que la chambre d’accusation est une chambre qui adopte des ordonnances, qu’elle n’est pas un tribunal qui rend des décisions judiciaires et qu’elle ne se réunit pas en audience publique. Elle estime que la voie de recours prévue par la loi n4239/2014 ne concerne que les procédures conduites devant un tribunal. Elle soutient que, dans le cas d’une ordonnance de renvoi en jugement d’un accusé (παραπεμπτικό βούλευμα), une demande d’indemnisation serait déclarée irrecevable comme étant prématurée dans l’attente de la décision du tribunal compétent. Elle ajoute qu’à l’époque des faits le président de la cour d’appel de Nauplie, devant lequel elle aurait pu introduire sa demande, n’avait pas été nommé. Elle indique que la loi n4239/2014 a instauré un recours indemnitaire similaire à celui institué par la loi no 4055/2012, que cette dernière loi concerne les procédures devant les juridictions administratives, pour lesquelles il n’existerait pas de stade préliminaire, et que cela explique que la loi no 4239/2014 n’ait pas prévu de recours concernant les procédures préliminaires devant les juridictions pénales.

  1. Appréciation de la Cour

18.  La Cour rappelle que la condition de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 221, CEDH 2014 (extraits)).

19.  L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66).

20.  Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, 20 juillet 2004, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, et Scoppola c. Italie (n2) [GC], n10249/03, § 70, 17 septembre 2009).

21.  Dès lors qu’il existe au niveau national un recours permettant aux juridictions internes d’examiner, au moins en substance, le grief de violation d’un droit protégé par la Convention, c’est ce recours qui doit être exercé (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III). En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement qui plaide le non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant la réparation de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 115, CEDH 2007‑IV, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, 25 mars 2014).

22.  En l’espèce, la Cour observe que la loi no 4239/2014 a, entre autres, introduit au bénéfice des justiciables dans le cadre d’une procédure devant les juridictions pénales un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’un redressement adéquat et suffisant dans les cas de dépassement du délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après l’article 3 de la loi, ce recours doit être introduit devant chaque degré de juridiction séparément, dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon l’intéressé, excessive. Dans l’arrêt Xynos précité, la Cour a conclu que le recours indemnitaire présentait l’effectivité requise, dans la mesure où il permettait de remédier a posteriori à une violation déjà consommée du droit à un délai de jugement raisonnable quant aux procédures judiciaires couvertes par ladite loi (Xynos, précité, § 54).

23.  En ce qui concerne la procédure en cause, la Cour constate que la période à considérer a commencé au plus tard le 12 novembre 2004, date à laquelle la requérante s’est présentée devant les autorités de police, et qu’elle s’est terminée le 5 août 2015, date à laquelle la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie a rendu son ordonnance, soit après l’entrée en vigueur de la loi n4239/2014. À cet égard, la Cour note la thèse du Gouvernement selon laquelle les procédures pénales qui se terminent par une ordonnance entrent dans le champ d’application de la nouvelle loi. Toutefois, le Gouvernement n’a fourni à la Cour aucune décision des juridictions internes octroyant une indemnité à raison de la durée de la procédure devant une chambre d’accusation. Il ressort d’une interprétation littérale des articles 2 et 3 de la loi n4239/2014 que l’introduction du recours en question est possible uniquement après la publication de la « décision » définitive de la juridiction interne concernée. Or la Cour relève que, selon les dispositions du droit national, les chambres d’accusation ne rendent pas des « décisions » mais des « ordonnances », dont il n’est fait aucune mention dans le texte de ladite loi. Il apparaît que, en l’état de la jurisprudence nationale à l’époque des faits et nonobstant l’interprétation du droit national qui pourrait être donnée à l’avenir, les dispositions de la loi n4239/2014 n’étaient pas interprétées de manière à ce que pussent être inclus dans leur champ d’application les griefs relatifs aux retards de la procédure devant les chambres d’accusation. Dès lors, en l’espèce, le Gouvernement ne peut être réputé avoir démontré au-delà de tout doute raisonnable que la requérante disposait d’une voie de recours pour se plaindre de la durée de la procédure devant la chambre d’accusation près la cour d’appel de Nauplie, qui s’est achevée par l’ordonnance no 57/2015.

24.  À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, dans la présente affaire, la requérante n’était pas tenue par l’article 35 § 1 de la Convention d’utiliser le recours prévu par la loi no 4239/2014. Il s’ensuit que l’exception relative au non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne peut être accueillie.

  1. Conclusion

25.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

  1. Sur le fond

    1. La période à prendre en considération

26.  La Cour note que la période à considérer a débuté au plus tard le 12 novembre 2004, date à laquelle la requérante s’est présentée devant les autorités de police, et qu’elle s’est terminée le 5 août 2015, date à laquelle l’ordonnance no 57/2015 de la chambre d’accusation près la cour d’appel de Nauplie a été publiée. Cette période a donc duré à tout le moins dix ans et neuf mois environ pour une instance.

  1. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure

27.  La requérante estime que la durée de la procédure dirigée contre elle a été excessive.

28.  Le Gouvernement indique que l’intéressée était soupçonnée d’avoir commis plusieurs actes punissables ayant fait de nombreuses victimes, dont certaines avaient déposé des plaintes séparées. Il expose que la jonction de plusieurs dossiers pertinents a été ordonnée, ce qui, affirme-t-il, a eu pour effet d’accroître le volume et la complexité du dossier. Il ajoute que la complexité de l’affaire, le nombre de victimes ainsi que la prise de mesures procédurales telles que la jonction des dossiers, la disjonction subséquente de ceux-ci et la prorogation de l’instruction principale ont conduit au prononcé de trois ordonnances du juge d’instruction. Il avance en outre que la nécessité de comprendre de façon plus approfondie les questions liées à la pratique bancaire, qui auraient présenté une difficulté particulière, ainsi que la réalisation d’une expertise graphologique ont allongé le délai d’instruction. Toutefois, d’après le Gouvernement, ce délai était absolument nécessaire pour permettre d’effectuer une enquête sérieuse et « clôturer le dossier ».

29.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Michelioudakis, précité).

30.  Elle rappelle aussi avoir traité à de nombreuses reprises d’affaires soulevant comme la présente espèce la question de la durée excessive de procédures pénales en Grèce et avoir constaté une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’arrêt pilote Michelioudakis, précité, et les références qui sont citées aux paragraphes 68‑70).

31.  En l’occurrence, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ni argument propre à justifier la durée de la procédure en l’espèce. Plus particulièrement, elle note que, alors que la requérante s’est présentée devant les autorités de police le 12 novembre 2004, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie n’a rendu son ordonnance que le 5 août 2015, soit plus de dix ans et neuf mois plus tard. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la procédure litigieuse a connu une durée excessive et incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » posée par l’article 6 § 1.

32.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

DÉLAI NON RAISONNABLE

D'UNE PROCÉDURE D'ACCUSATION PÉNALE

Le délai "raisonnable ou non", est considéré suivant les causes et circonstances de chaque espèce. Une procédure d'accusation pénale doit être suivie avec une célérité normale.

Chiarello c. Allemagne du 21 juin 2019 requête n° 497/17

Article 6-1 : Déclarer qu’une partie de peine de prison avec sursis a été purgée constitue un redressement suffisant pour une longueur de procédure excessive

L’affaire concerne la durée d’une procédure pénale. La Cour juge en particulier que M. Chiarello ne peut plus se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. Elle considère en effet que le fait de déclarer que trois mois de sa peine d’emprisonnement avec sursis ont été purgés constitue un redressement adéquat et suffisant pour une procédure pénale excessivement longue

LES FAITS

M. Chiarello travaillait comme gardien de prison à Saarbrücken. En janvier 2008, la police l’interrogea au sujet d’un téléphone mobile que l’on avait fait entrer clandestinement dans la prison en décembre 2006. En mai 2008, M. Chiarello fut accusé d’avoir accepté un pot-de-vin de 200 euros (EUR), d’avoir fait entrer le téléphone dans la prison et de l’avoir fourni à un détenu. En janvier 2010, la procédure au principal contre M. Chiarello fut engagée devant un tribunal de district. À l’issue de 14 audiences, le tribunal déclara le requérant coupable d’avoir accepté un pot-de-vin et le condamna à une peine de un an et quatre mois d’emprisonnement, assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve. Le requérant interjeta appel et le tribunal régional le relaxa en novembre 2011. Le procureur forma un pourvoi en cassation. En janvier 2013, la cour d’appel annula le jugement du tribunal régional et renvoya l’affaire à celui-ci. Une nouvelle procédure d’appel débuta et, en avril 2015, le tribunal régional déclara M. Chiarello coupable d’avoir accepté un pot-de-vin et le condamna à une peine de huit mois d’emprisonnement. Il suspendit toutefois l’exécution de la peine, soumit le requérant à une mise à l’épreuve et déclara que, compte tenu de la durée excessive de la procédure, il avait déjà purgé trois mois. M. Chiarello forma un pourvoi en cassation, que la cour d’appel écarta en avril 2016. Sa plainte subséquente selon laquelle il avait subi une violation de son droit à être entendu n’eut pas plus de succès. Il forma alors un recours constitutionnel mais, en juillet 2016, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas retenir celui-ci pour examen.

ARTICLE 6-1

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque affaire, en particulier la complexité de celle-ci, le comportement du requérant, celui des autorités, et l’importance de l’enjeu pour l’intéressé. La Cour relève que la procédure pénale dans la cause du requérant a duré huit ans et cinq mois, pour quatre degrés de juridiction. Recherchant si cette durée était raisonnable, la Cour observe en particulier que la cause de M. Chiarello a impliqué sept coaccusés, tous représentés par un avocat, ainsi que de vastes auditions de témoins. M. Chiarello n’a pas été placé en détention provisoire et n’encourait pas une lourde peine, bien que la procédure ait eu des implications considérables pour lui du fait que son poste de fonctionnaire se trouvait en jeu. La Cour juge que la durée globale de la procédure n’a pas été excessive et qu’elle peut être tenue pour raisonnable au sens de l’article 6 § 1. Elle observe toutefois qu’il y a eu une période d’inactivité prolongée, de janvier 2013 à février 2015. La Cour relève que le tribunal régional a expressément reconnu que la durée de la procédure pénale avait été excessive en raison de cette période d’inactivité prolongée, mais que M. Chiarello n’a pas été indemnisé et qu’il n’a pas été décidé de clore la procédure en raison de cette durée excessive. Le tribunal régional a cependant estimé que trois mois de la période de sursis avaient été purgés, forme d’indemnisation qui aurait pris effet s’il y avait eu révocation du sursis, ce qui aurait pu se produire si l’intéressé avait commis une infraction pendant sa période de mise à l’épreuve. Cette forme d’indemnisation n’était pas théorique : elle a atténué la menace d’une période d’emprisonnement, la faisant passer de huit mois à cinq mois, donc la réduisant de manière explicite et mesurable. Dans ces conditions, la Cour conclut que le fait de déclarer que trois mois, sur le total de la peine d’emprisonnement avec sursis prononcée contre M. Chiarello, avaient été purgés a constitué un redressement adéquat et suffisant. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

Bivolaru c. Roumanie (n° 2) du 2 octobre 2018 requête n° 66580/12

Durée excessive d’une procédure pénale portant sur une condamnation du chef de rapports sexuels avec un mineur

Non-violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme quant au grief portant sur l’absence de démarches diligentes de la part de la Haute Cour pour entendre M. Bivolaru en personne.

Violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) en ce qui concerne la durée de la procédure. L’affaire concerne une procédure pénale ayant abouti à la condamnation de M. Bivolaru – leader du mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu (MISA) – à six ans d’emprisonnement du chef de rapports sexuels avec un mineur. M. Bivolaru partit en Suède, où il obtint le statut de réfugié politique, alors que la procédure pénale dirigée à son encontre était pendante en Roumanie. Il ne comparut pas physiquement devant les juridictions roumaines mais il fut représenté par les avocats de son choix. Il bénéficia d’un acquittement en première instance et en appel, mais il fut condamné par la Haute Cour qui ne put l’auditionner en personne. La Cour juge que la Haute Cour a déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elle pour assurer l’interrogatoire de M. Bivolaru et qu’aucun manque de diligence ne peut lui être reproché. D’une part, la Haute Cour proposa à M. Bivolaru de l’auditionner par vidéoconférence mais il refusa.

D’autre part, elle accepta de l’interroger sur commission rogatoire en Suède, faisant parvenir aux autorités suédoises une demande d’assistance judiciaire ainsi qu’une liste de questions à poser à M. Bivolaru. Cependant, les autorités suédoises tardèrent à exécuter la commission rogatoire malgré plusieurs rappels des autorités roumaines soulignant l’urgence de la demande.

La Cour juge aussi que la durée de la procédure pénale dans son ensemble a été déraisonnable et qu’elle est imputable aux autorités nationales. En particulier, la durée de la procédure en première instance (cinq ans et trois mois) a eu un impact déterminant sur la durée de la procédure dans son ensemble (neuf ans, deux mois et deux semaines).

M. Bivolaru estimait également avoir été jugé par contumace. Il invoquait aussi une violation de son droit au respect de sa vie privée en raison d’écoutes téléphoniques. La Cour rejette ces griefs.

LES FAITS

Le requérant, Gregorian Bivolaru (alias Magnus Aurolsson), est un ressortissant roumain né en 1952. En mars 2004, le parquet de Bucarest ordonna des poursuites pénales à l’encontre de M. Bivolaru des chefs de rapports sexuels avec un mineur et de perversion sexuelle. L’intéressé fut placé en détention provisoire entre le 30 mars et le 1 er avril 2004. Après sa libération, à une date inconnue, il partit en Suède où il obtint, en 2006, le statut de réfugié politique ainsi qu’une nouvelle identité. Entretemps, le parquet de Bucarest le renvoya en jugement par défaut. M. Bivolaru, qui fut représenté par les avocats de son choix durant toute la procédure, fut acquitté en première instance ainsi qu’en appel. Le parquet forma un pourvoi en recours auquel la Haute Cour fit droit, concluant qu’il y avait une application erronée du droit. La haute juridiction estima également qu’elle devait directement examiner les preuves instruites ainsi que le fond de l’affaire. En novembre 2012, la Haute Cour proposa à M. Bivolaru d’être interrogé par vidéoconférence mais ce dernier refusa, préférant être interrogé sur commission rogatoire. La Haute Cour transmit donc aux autorités suédoises une demande d’assistance judiciaire ainsi qu’une liste de questions à poser à M. Bivolaru. Cependant, les autorités suédoises tardant à exécuter la commission rogatoire malgré plusieurs rappels, la Haute Cour décida qu’il n’était plus nécessaire d’attendre leur réponse. Le 14 juin 2013, la Haute Cour condamna M. Bivolaru du chef de rapports sexuels avec un mineur, fondant sa décision sur les preuves du dossier (déclarations de témoins, écrits, enregistrements de conversations téléphoniques). En février 2016, M. Bivolaru fut appréhendé par les autorités françaises à Paris et, en juillet 2016, il fut remis aux autorités roumaines qui le placèrent en détention. Il bénéficia d’une libération conditionnelle en septembre 2017. Sa demande de réouverture de la procédure pénale fut rejetée. Entretemps, en juin 2012, M. Bivolaru intenta une action en responsabilité délictuelle dirigée contre l’État en raison des écoutes téléphoniques. Le tribunal départemental fit droit à son action, jugeant que les mandats autorisant l’interception des conversations téléphoniques avaient porté atteinte à son droit au respect de la vie privée. Le tribunal lui accorda une somme symbolique de 1 leu roumain (RON, environ 0,30 euros (EUR)) pour le dommage moral subi.

Article 6 (droit à un procès équitable / dans un délai raisonnable)

En ce qui concerne le grief portant sur la condamnation par contumace, la Cour rejette ce grief, estimant qu’il est manifestement mal fondé. La Cour constate, entre autres, que M. Bivolaru s’est vu notifier les accusations pénales portées contre lui, qu’il a été représenté durant toute la procédure par des avocats de son choix et avec lesquels il a maintenu un contact permanent pour la préparation de sa défense, et qu’il savait qu’une procédure pénale était dirigée contre lui. La Cour note aussi qu’il n’y a pas eu de déni de justice et que le système judiciaire roumain permettait la réouverture d’une procédure lorsque l’inculpé avait été jugé par contumace. À cet égard, elle constate que le tribunal départemental saisi de la demande de réouverture de M. Bivolaru a minutieusement examiné les motifs avancés par ce dernier et qu’il a présenté des arguments logiques et ne comportant aucun indice d’arbitraire avant de rejeter sa demande.

En ce qui concerne la condamnation de M. Bivolaru par la Haute Cour sans avoir été auditionné en personne et après acquittement au fond et en appel,

la Cour estime que la Haute Cour a déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elle dans le cadre juridique existant pour assurer l’interrogatoire de M. Bivolaru et qu’aucun manque de diligence ne peut lui être reproché. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En effet, la Haute Cour a eu recours à l’entraide judiciaire internationale afin d’auditionner M. Bivolaru. Deux possibilités s’offraient à elle : la vidéoconférence et la commission rogatoire. D’une part, entouré par le conseil de ses avocats, M. Bivolaru a sciemment refusé d’être interrogé par vidéoconférence. Or, cette modalité d’interrogatoire pouvait être un moyen approprié pour assurer l’audition directe et diligente de l’intéressé. D’autre part, la Haute Cour a fait droit à la demande de M. Bivolaru d’être interrogé sur commission rogatoire en Suède, mais en raison des retards pris par les autorités suédoises dans l’examen de la demande d’assistance judiciaire et de l’absence de prévisibilité quant au moment de la possible réalisation d’un tel interrogatoire, elle a décidé de renoncer à l’audition du requérant. Les autorités suédoises n’ont d’ailleurs pas fourni d’explication pour le non-respect des délais successifs fixés par les autorités roumaines et, après environ six mois d’échanges entre la Haute Cour et les autorités suédoises, l’examen de la demande d’assistance judiciaire se trouvait toujours dans sa phase initiale et il y avait une incertitude tant quant à l’issue de celle-ci que quant au délai dans lequel, en cas de réponse positive, l’intéressé serait interrogé. Or, la Haute Cour avait informé les autorités suédoises du caractère urgent de sa demande. Par ailleurs, aucune erreur procédurale n’avait été opposée aux autorités roumaines par les autorités suédoises dans la formulation de la demande d’assistance judiciaire et la Haute Cour ne disposait pas d’autres moyens dans son ressort pour accélérer la procédure de commission rogatoire. Enfin, eu égard à la durée de l’examen de la demande d’assistance judiciaire, laquelle, à la lumière de la réponse des autorités suédoises, ne présentait pas de perspectives claires d’aboutir, la décision de la Haute Cour de ne plus suivre la procédure y afférente, intervenue après plusieurs rappels adressés aux autorités suédoises, ne paraît pas, de l’avis de la Cour, déraisonnable. La Cour estime donc que la Haute Cour a fait des démarches raisonnables pour offrir à M. Bivolaru l’occasion d’être entendu par la voie de la commission rogatoire. De plus, la Haute Cour a pu connaître la position du requérant par l’intermédiaire des avocats de ce dernier, lesquels étaient présents lors de l’examen du pourvoi en recours et ont débattu l’affaire devant elle et ont défendu les intérêts de leur client de manière effective.

En ce qui concerne la durée de la procédure,

la Cour estime que la durée de la procédure en première instance a eu un impact déterminant sur la durée de la procédure dans son ensemble, qui, en l’espèce, est déraisonnable. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En effet, la Cour note que la procédure pénale a duré au total neuf ans, deux mois et deux semaines environ pour trois degrés de juridiction (de mars 2004 à juin 2013). L’affaire a été pendante environ cinq ans et trois mois devant le tribunal départemental de Sibiu au motif, entre autres, que de nombreux ajournements ont été nécessaires en raison de défauts de citation et du fait que la procédure de mandat d’amener n’avait pas été correctement utilisée. Pour ce qui est de la durée de la procédure en appel et en recours, la Cour considère que celle-ci s’est déroulée avec diligence.

Articles 8 et 13 (droit au respect de la vie privée et familial / droit à un recours effectif)

En ce qui concerne le grief portant sur le droit au respect de la vie privée de M. Bivolaru en raison de l’interception de ses conversations téléphoniques, la Cour estime que M. Bivolaru ne peut plus se prétendre victime d’une violation de l’article 8 de la Convention. Ce grief est donc incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention. En effet, le tribunal de Bucarest, dans son arrêt définitif du 23 juin 2015, a reconnu de manière expresse la violation du droit de M. Bivolaru au respect de sa vie privée. À cet égard, la Cour précise que bien que la somme accordée par le tribunal au titre du dommage moral fût symbolique (1 RON), la réparation ainsi établie n’est pas en désaccord avec la jurisprudence de la Cour en la matière : dans des affaires récentes où la Cour a constaté une violation en raison du défaut de conformité de la loi interne avec l’article 8 de la Convention, la Cour a jugé que le constat de violation représentait en soi une réparation suffisante du préjudice moral subi.

En ce qui concerne l’effectivité du recours interne, l

a Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé : M. Bivolaru a bénéficié d’un recours effectif devant les juridictions internes, ces dernières ayant constaté et réparé la violation alléguée dans le cadre de l’action en responsabilité civile délictuelle qu’il a engagée devant elles

CEDH

La condamnation par la juridiction de recours sans audition en personne, par celle-ci, du requérant et après acquittement de ce dernier au fond et en appel

i. Les principes applicables

125. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention ne souffre aucune dérogation. Toutefois, la définition de cette notion ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est au contraire fonction des circonstances propres à chaque affaire. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi d’autres, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 101, CEDH 2015, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 250, CEDH 2016).

126. La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 58, CEDH 2006‑XII), en raison tant du droit de l’intéressé à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins (Sejdovic, précité, § 92).

127. La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel qu’en première instance. Les modalités d’application de l’article 6 de la Convention en appel dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit : il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 38, 26 avril 2016 et Marcello Viola c. Italie, no 45106/04, § 54, CEDH 2006‑XI (extraits)).

128. Devant une instance d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 de la Convention ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (Constantinescu, précité, § 54). En revanche, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, par exemple, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu, précité, § 55, et Popovici c. Moldova, nos 289/04 et 41194/04, § 68, 27 novembre 2007). Il en est a fortiori ainsi dans la présente affaire où le requérant a été condamné pour la première fois lors du pourvoi en recours (voir, par exemple, Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012).

129. Cela étant, le défaut d’interrogatoire de l’inculpé par la juridiction pénale, lorsque le cadre législatif interne le permet, n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention : les démarches faites par les autorités judiciaires pour auditionner l’inculpé et l’attitude de ce dernier à cet égard sont des éléments à prendre en considération pour décider de l’équité de la procédure dans son ensemble (voir, en ce sens, Rusu c. Roumanie (déc.), no 6246/04, §§ 28-29, 31 août 2010, où, après avoir constaté que la juridiction statuant en recours avait correctement cité à sept reprises, sans succès, les intéressés, la Cour a déclaré le grief irrecevable, en notant que « la juridiction de recours a[vait] utilisé tous les moyens dont elle disposait pour s’assurer de la comparution des requérants aux débats » ; voir également en ce sens, Hernández Royo c. Espagne, no 16033/12, § 39, 20 septembre 2016, et Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, CEDH 2005-XI, où la Cour a déclaré un grief similaire irrecevable après avoir noté que le requérant s’était totalement désintéressé du procès, en s’abstenant d’assister à toutes les audiences devant les tribunaux internes, et qu’aucun manquement à la procédure interne ne pouvait être reproché au tribunal).

130. Elle rappelle également que, ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite. Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Sejdovic précité, § 86, Kashlev précité, § 42, et Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI).

131. La Cour rappelle que les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité. En résumé, comme indiqué plus haut, la Cour doit examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Ibrahim et autres, précité, §§ 250 et 251, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 113, CEDH 2017 (extraits)). Enfin, si l’on veut garantir un procès équitable à l’accusé, toutes les difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées, notamment par des garanties procédurales solides (voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili, précité, § 145).

ii. L’application de ces principes à la présente espèce

132. La Cour prend note de la position du requérant, qui se plaint exclusivement de ne pas avoir été entendu par la Haute Cour – juridiction l’ayant condamné pour la première fois, après son acquittement en première instance et en appel : l’intéressé dénonce plus particulièrement un refus de la plus haute juridiction de le faire interroger sur commission rogatoire.

133. La Cour observe qu’en l’espèce la Haute Cour était appelée à examiner l’affaire en fait et en droit et à procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence du requérant. La participation de ce dernier aux débats et son audition lors de la procédure de pourvoi en recours étaient donc, en principe, nécessaires aux fins de la Convention (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 45, et Hernández Royo, précité, § 34).

134. Cela étant, la Cour note qu’en l’occurrence, le requérant, qui avait obtenu le statut de réfugié en Suède, n’entendait pas participer physiquement à la procédure devant la juridiction statuant sur son pourvoi en recours (comparer avec Constantinescu, précité, où le requérant avait été présent à l’audience) : l’intéressé avait obtenu en 2006 le statut de réfugié en Suède, après que la Cour suprême suédoise eut rejeté en 2005 la demande d’extradition le visant en raison d’un risque de persécution en Roumanie à cause de ses convictions (paragraphe 21 ci‑dessus). La Cour peut donc comprendre que l’intéressé n’entendait pas se présenter en personne pour déposer devant la Haute Cour.

135. Pour autant, il convient de relever que, bien qu’ayant été absent physiquement et bien qu’ayant informé la Haute Cour, lors de l’examen de l’admissibilité de la demande de pourvoi en recours formée par le parquet, de son intention de ne pas faire de déclaration supplémentaire (paragraphe 53 ci‑dessus), l’intéressé a demandé à être entendu lors de l’examen au fond du pourvoi en recours, position qu’il a maintenue jusqu’à la fin de la procédure (paragraphe 73 ci-dessus). Dans les circonstances de l’espèce, il ne peut donc pas être conclu que le requérant avait renoncé à son droit à être entendu (contrairement aux requérants des affaires Kashlev, précité, § 45, et Hernández Royo, précité, § 39). De même, il ne peut pas être retenu que le requérant s’était désintéressé de la procédure (comparer avec Ivanciuc, décision précitée).

136. Dès lors, la Cour doit examiner si, dans les circonstances de l’espèce, la Haute Cour a agi avec diligence et utilisé tous les moyens dont elle disposait afin de donner au requérant l’occasion d’être auditionné. Pour ce qui est de la manière concrète de procéder à l’interrogatoire du requérant, la Cour tient compte des particularités de l’espèce, à savoir l’impossibilité alléguée de ce dernier de se rendre en Roumanie pour être interrogé par la Haute Cour.

137. À ce sujet, la Cour observe que, eu égard à l’absence physique du requérant au procès, la Haute Cour a eu recours à l’entraide judiciaire internationale. Dans le cadre de l’assistance judiciaire internationale en matière pénale, la loi no 302/2004 mettait à la disposition des autorités judiciaires deux voies aux fins de l’audition d’un inculpé se trouvant à l’étranger et ne pouvant pas comparaître en personne : la vidéoconférence et la commission rogatoire (paragraphes 103 à 105 ci-dessus).

138. À cet égard, la Cour note que la Haute Cour a proposé au requérant de l’interroger par vidéoconférence – une forme de participation à la procédure qui n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable et public (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 98, 2 novembre 2010, et Marcello Viola, précité, § 67) – et que l’intéressé, entouré par le conseil de ses avocats, a sciemment refusé d’être interrogé par vidéoconférence au motif que la loi interne lui permettait de ne pas consentir à une telle modalité d’audition (paragraphe 60 ci-dessus).

139. S’il est vrai que le droit interne n’imposait pas à la personne refusant de donner son consentement à un interrogatoire par vidéoconférence de justifier sa position, il n’en reste pas moins que, dans la présente espèce – où le requérant reproche à la juridiction ayant prononcé sa condamnation de ne pas l’avoir interrogé –, cette modalité d’interrogatoire pouvait être, de l’avis de la Cour, un moyen approprié pour assurer l’audition directe et diligente de l’intéressé par la Haute Cour.

140. La Cour observe ensuite que la Haute Cour a également fait droit à la demande du requérant d’être interrogé sur commission rogatoire en Suède, mais que, en raison des retards pris par les autorités suédoises dans l’examen de la demande d’assistance judiciaire et de l’absence de prévisibilité quant au moment de la possible réalisation d’un tel interrogatoire, elle a décidé de renoncer à l’audition du requérant (paragraphe 69 ci‑dessus). En effet, la Cour constate que, d’après les pièces du dossier, dès le début de la procédure de commission rogatoire, les autorités suédoises n’ont pas fourni d’explication pour le non-respect des délais successifs fixés par les autorités roumaines (paragraphes 62 et 64 ci‑dessus). Après environ six mois d’échanges entre la Haute Cour et les autorités suédoises compétentes (paragraphes 61 à 68 ci‑dessus) l’examen de la demande d’assistance judiciaire se trouvait toujours dans sa phase initiale et qu’il y avait une incertitude tant quant à l’issue de celle-ci que quant au délai dans lequel, en cas de réponse positive, l’intéressé serait interrogé (paragraphe 68 ci-dessus). Or la Haute Cour a informé les autorités suédoises du caractère urgent de sa demande, urgence justifiée par le temps écoulé depuis la commission des faits reprochés au requérant, la durée de la procédure et l’état d’avancement de la procédure (paragraphes 61, 65 et 67 ci‑dessus). La Cour note par ailleurs qu’aucune erreur procédurale n’avait été opposée aux autorités roumaines par les autorités suédoises dans la formulation de la demande d’assistance judiciaire. La Haute Cour ne disposait pas d’autres moyens dans son ressort pour accélérer la procédure de commission rogatoire.

141. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour accorde de l’importance au fait que la Haute Cour a exposé les raisons qui l’ont déterminée à renoncer à l’interrogatoire de l’intéressé par commission rogatoire. La haute juridiction a mentionné l’incertitude quant à l’issue de sa demande d’assistance judiciaire et quant à la date éventuelle d’exécution de la commission rogatoire (paragraphe 69 ci-dessus), ainsi que la durée de la procédure dans son ensemble devant les juridictions roumaines (paragraphe 76 ci‑dessus).

142. Eu égard à la durée de l’examen de la demande d’assistance judiciaire, laquelle, à la lumière de la réponse des autorités suédoises (paragraphe 68 ci-dessus), ne présentait pas de perspectives claires d’aboutir, la décision de la Haute Cour de ne plus suivre la procédure y afférente, intervenue après plusieurs rappels adressés aux autorités suédoises, ne paraît pas, de l’avis de la Cour, déraisonnable. En outre, la Cour constate que la procédure pénale était pendante depuis de nombreuses années devant les juridictions internes (paragraphes 155 et 159 ci-dessous). Elle rappelle avoir déjà admis que des considérations liées à un jugement dans un délai raisonnable et à la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle des instances judiciaires pouvaient entrer en ligne de compte pour déterminer si des débats publics correspondaient à un besoin après le procès en première instance (comparer avec Marcello Viola, précité, § 70). Dès lors, la Cour estime que la Haute Cour a fait des démarches raisonnables pour offrir au requérant l’occasion d’être entendu par la voie de la commission rogatoire.

143. La Cour relève également que, à la différence de l’affaire Constantinescu, la présente espèce se caractérise par le fait que la Haute Cour a pu connaître la position du requérant par l’intermédiaire des avocats de ce dernier, lesquels étaient présents lors de l’examen du pourvoi en recours et ont débattu l’affaire devant elle (paragraphes 74 et 75 ci‑dessus ; voir également, Titei c. Roumanie (déc.) no 1691/03, 23 mai 2006). Ces avocats ont été constamment et tout au long de la procédure en contact avec le requérant, et ils ont défendu les intérêts de leur client de manière effective. De même, la Cour note que, alors que le 6 juin 2013, en présence des avocats du requérant, la Haute Cour avait renoncé à interroger ce dernier sur commission rogatoire (paragraphe 69 ci-dessus), le 13 juin 2013, celui-ci a persévéré dans sa demande d’être interrogé sur commission rogatoire (paragraphe 73 ci‑dessus), sans demander à être entendu par un autre moyen. Or l’intéressé, qui se trouvait représenté par les avocats de son choix, aurait pu raisonnablement envisager les possibles conséquences de sa demande.

144. La Cour note enfin que, bien que n’ayant fourni aucune explication, dans le cadre de la procédure initiale, à son refus d’être interrogé par vidéoconférence, le requérant a affirmé, dans le cadre de la procédure tendant à l’obtention de la réouverture de son procès, qu’il avait été conseillé en ce sens par les autorités suédoises (paragraphe 98 ci‑dessus). Or, à l’instar de la cour d’appel d’Alba Iulia (paragraphe 100 ci-dessus), la Cour relève que ces assertions n’ont été étayées par aucune preuve.

145. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la Haute Cour a déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elle dans le cadre juridique existant pour assurer l’interrogatoire de l’intéressé et qu’aucun manque de diligence ne peut lui être reproché.

146. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.

DÉLAI NON RAISONNABLE

152. La Cour note que la procédure pénale contre le requérant a commencé le 28 mars 2004, date de l’interpellation de l’intéressé, et qu’elle a pris fin par le prononcé de l’arrêt définitif du 14 juin 2013 de la Haute Cour quand le fond de l’affaire a été définitivement tranché. Elle observe que la procédure pénale a donc duré en l’espèce neuf ans, deux mois et deux semaines environ pour trois degrés de juridiction.

153. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier eu égard à la complexité de l’affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes ainsi qu’à l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

154. À titre liminaire, la Cour tient à préciser qu’elle ne saurait ignorer le contexte tendu dans lequel l’affaire s’est déroulée, surtout pendant l’enquête et les poursuites pénales, les actes de procédure ayant parfois été reportés en raison des manifestations réalisées par les sympathisants du MISA (paragraphe 16 ci-dessus).

155. La Cour constate qu’en l’espèce l’affaire a été pendante environ cinq ans et trois mois devant le tribunal départemental de Sibiu avant le prononcé par cette juridiction d’un jugement sur le fond.

156. La Cour tient compte de ce que, étant donné que le requérant résidait à l’étranger, des règles de procédure spécifiques devaient être appliquées pour la citation à comparaître (paragraphe 37 ci-dessus), ce qui a contribué à l’allongement de la procédure. Cela étant, bien que certaines périodes aient été nécessaires aux autorités roumaines pour identifier l’endroit où se trouvait l’intéressé, il ressort du jugement avant dire droit du 9 novembre 2005 que, lorsqu’il a été interrogé à ce sujet, l’avocat du requérant a communiqué au tribunal départemental de Sibiu l’adresse de son client à l’étranger (paragraphe 31 ci-dessus).

157. La Cour remarque également que de nombreux ajournements ont été nécessaires devant le tribunal départemental de Sibiu en raison de défauts de citation correcte (paragraphe 30 ci-dessus), spécialement s’agissant de la partie civile M.A.A. (paragraphes 32 et 39 ci-dessus), et au motif que la procédure de mandat d’amener n’avait pas été correctement utilisée (paragraphes 36 et 39 ci-dessus). S’il est vrai que le tribunal en question a essayé d’accélérer la communication des actes de procédure (paragraphe 36 in fine ci-dessus), il n’en reste pas moins que l’État est responsable des actions entreprises par toutes ses institutions, et non pas uniquement par les organes judiciaires (Martins Moreira c. Portugal, 26 octobre 1988, § 60, série A no 143).

158. Pour ce qui est enfin de la durée de la procédure en appel et en recours, la Cour considère que celle-ci s’est déroulée avec diligence. Toutefois, la durée de la procédure en première instance a eu un impact déterminant sur la durée de la procédure dans son ensemble, qui, en l’espèce, est déraisonnable.

159. Pour autant, eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la durée de la procédure pénale dans son ensemble a été déraisonnable et qu’elle est imputable aux autorités nationales. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de cette procédure.

BRUDAN c. ROUMANIE requête du 10 avril 2018 requête n° 75717/14

Article 6-1 et article 13 : La procédure d'accusation pénale a duré 14 ans, 2 mois et 26 jours. L'article 6-1 a été violé pour délai non raisonnable. L'article 13 a été violé car à l'époque de la requête, il n'existait pas de procédure interne pour mettre fin à la procédure et obtenir réparation des délais déjà passés. La CEDH constate l’existence d’un recours effectif en Roumanie mais postérieur à l’introduction de la requête.

CEDH

52. Le Comité des Ministres a adopté lors de sa 1259 e réunion (7-8 juin 2016) une décision dans le cadre de l’examen de l’exécution du groupe d’arrêts Nicolau c. Roumanie (requête no 1295/02) et Stoianova et Nedelcu c. Roumanie (requête n° 77517/01). La partie pertinente en l’espèce de cette décision se lit comme suit :

« Les délégués

(...)

2. se félicitent des mesures générales d’envergure adoptées pour résoudre le problème de la durée excessive des procédures civiles et pénales ; invitent les autorités roumaines à continuer à suivre de près l’impact de ces mesures et à fournir des données statistiques complètes permettant au Comité des Ministres d’évaluer pleinement la situation ;

3. relèvent avec satisfaction que les parties intéressées peuvent désormais obtenir l’accélération des procédures grâce aux recours spécifiques introduits à cet effet par les nouveaux Codes de procédure civile et pénale et encouragent les autorités à évaluer l’opportunité d’étendre l’application de ces recours aux procédures engagées avant l’entrée en vigueur de ces Codes ;

4. sans préjuger de l’évaluation que la Cour européenne sera amenée à en faire dans les affaires actuellement pendantes devant elle, notent avec intérêt le recours indemnitaire développé par la jurisprudence nationale depuis l’arrêt Vlad et autres ;

5. au vu des progrès réalisés dans l’exécution de ces arrêts, adoptent la Résolution finale CM/ResDH(2016)151 telle qu’elle figure en annexe et décident de poursuivre l’examen des questions en suspens dans le cadre de l’affaire Vlad et autres et des affaires restantes de ces groupes. »

(i) Principes généraux

62. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention reviennent au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 38, CEDH 2006‑V), et Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 49, 18 juin 2013).

63. La Cour rappelle également que le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne, sous peine de vider de toute substance les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 45, CEDH 2001-VIII). La remarque vaut particulièrement pour les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, vu la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société démocratique (Valada Matos das Neves, précité, § 68).

64. La Cour rappelle encore que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC] (no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

65. Lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause, un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010). Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, § 158, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 187, CEDH 2006‑V, et McFarlane, précité, § 108).

66. S’agissant du caractère approprié et suffisant du redressement, la Cour rappelle que, même si un recours doit être regardé comme « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés, cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Mifsud, précité, § 17).

67. Pour déterminer si le redressement de la violation était approprié et suffisant, la Cour se livre à un examen de la durée de la procédure d’indemnisation, du montant de l’indemnisation éventuellement accordé ainsi que, le cas échéant, du retard dans le paiement de ladite indemnité (Cocchiarella, précité, §§ 86-107). En effet, la nature même du recours indemnitaire exige une décision rapide (Cocchiarella, précité, § 97).

68. Quant à l’accessibilité d’une action, la Cour rappelle, entre autres, qu’elle n’a jamais exclu que les intérêts d’une bonne administration de la justice puissent justifier d’imposer une restriction financière à l’accès d’une personne à un tribunal (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 59, CEDH 2001‑VI). Il n’en reste pas moins qu’une limitation de l’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 36, CEDH 2006‑VII (extraits)).

69. Pour résumer, lorsque l’on recherche si un recours indemnitaire représente un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour sont les suivants (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, et Valada Matos das Neves, précité, § 73) :

a) l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable ;

b) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire ;

c) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;

d) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;

e) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires.

(ii) Application de ces principes à la présente espèce

70. Sans préjuger la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief de la requérante concernant la durée de la procédure pénale constitue prima facie un grief « défendable », celle-ci ayant duré plus de quatorze ans. La requérante avait donc droit à un recours effectif à cet égard (Panju, précité, § 52).

71. Dans l’affaire à l’étude, la Cour limitera son examen à l’effectivité de l’action en responsabilité civile délictuelle, en tant que voie de recours au sens de l’article 35 de la Convention, telle qu’invoquée par le Gouvernement dans son exception préliminaire. Bien qu’elle se félicite de l’introduction de recours spécifiques tendant à accélérer les procédures, la Cour ne saurait spéculer sur l’effectivité de ce type de recours, faute de disposer de suffisamment d’éléments permettant d’effectuer une telle analyse.

(α) Sur l’efficacité de l’action en responsabilité civile délictuelle

72. La Cour rappelle d’abord qu’elle a déjà constaté que l’ordre juridique roumain n’offrait pas aux intéressés un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, leur permettant de se plaindre de la durée excessive d’une procédure pénale aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention (Vlad et autres, précité, §§ 114-119).

73. La Cour observe ensuite que, plus de quatre ans après ce constat, le Gouvernement plaide en l’espèce que l’action en responsabilité civile délictuelle est devenue effective grâce à une évolution de la pratique des tribunaux internes (paragraphes 29-51 ci-dessus). La Cour n’exclut pas que l’exercice de ce recours puisse conduire, au terme de l’évolution de la jurisprudence, à un résultat conforme aux prescriptions de l’article 13 de la Convention (voir Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, § 43, 22 juillet 2010, et, mutatis mutandis, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 49 et suivants, 11 février 2010). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime qu’il est opportun d’effectuer un nouvel examen de la compatibilité de la pratique actuelle des tribunaux internes avec les critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière. Cet examen se limite aux exemples de jurisprudence qui n’ont pas été couverts par l’analyse de la Cour dans l’affaire Vlad et autres (précitée), soit ceux résumés aux paragraphes 30-51 ci-dessus.

74. Le Gouvernement est convaincu que les actions en responsabilité civile délictuelle pour durée excessive de procédure remplissent l’exigence de célérité et il renvoie aux vingt-sept exemples de jurisprudence présentés en l’espèce. La requérante ne se prononce pas à ce sujet.

75. La Cour note que, en l’espèce, ainsi que cela ressort des exemples de jurisprudence pertinents en l’espèce fournis par le Gouvernement :

– dix procédures en responsabilité civile délictuelle ont duré moins de deux ans, pour deux ou parfois trois degrés de juridiction (paragraphes 31, 32, 33, 34, 40, 42, 43, 44, 45 et 47 ci-dessus) ;

– huit procédures ont duré un peu plus de deux ans, pour deux ou parfois trois degrés de juridiction (paragraphes 30, 35, 38, 39, 46, 48, 49 et 50
ci-dessus) ;

– deux procédures ont duré quatre ans environ, pour deux ou trois degrés de juridiction (paragraphes 37 et 51 ci-dessus), et

– une procédure a duré cinq ans, pour trois degrés de juridiction (paragraphe 41 ci-dessus).

76. À cet égard, la Cour note que, bien qu’il n’existe pas, dans la législation en vigueur, de délai spécifique en ce qui concerne le prononcé d’une décision dans ce type de litige, le temps que les juridictions internes ont mis pour examiner les actions en responsabilité civile délictuelle visant la durée excessive des procédures invoquées par le Gouvernement ne semble pas s’être prolongée de manière significative (comparer avec Valada Matos das Neves, précité, §§ 92-93).

77. Pour ce qui est du versement de l’indemnité, bien que les parties ne formulent aucune observation à ce sujet, la Cour rappelle que les décisions définitives de justice ayant pour débiteur l’État roumain doivent être exécutées d’office et promptement (Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée et Stanomirescu c. Roumanie, nos 2699/03 et 43597/07, § 55, 7 janvier 2014). Elle estime qu’il n’y a pas de raisons de douter de la diligence des autorités roumaines dans le paiement des indemnités.

78. Quant au respect de l’équité de la procédure en indemnisation, la Cour, après avoir analysé les exemples de jurisprudence présentés, ne décèle aucune apparence d’atteinte à l’équité dans le déroulement de ce type de procédure.

79. En ce qui concerne les frais et dépens, la Cour constate que, si les personnes souhaitant engager une action contre l’État pour obtenir réparation en raison de la durée excessive d’une procédure doivent s’acquitter des frais judiciaires à cette fin (paragraphe 26 ci-dessus), la législation nationale prévoit également l’octroi de l’aide judiciaire sous la forme d’exemptions, de réductions, d’échelonnements ou d’ajournements de paiement des frais de justice pour les personnes n’ayant pas des ressources suffisantes (paragraphe 28 ci-dessus). De plus, c’est la partie qui perd l’action ou le recours qui doit, en principe, acquitter les frais de justice y afférents (paragraphe 27 ci‑dessus). Il ressort des copies des décisions internes produites en l’espèce que les frais de justice ont été remboursés intégralement ou partiellement dans douze des exemples (paragraphes 30, 32, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43, 45, 46 et 47 ci-dessus). Dans les exemples restants, les informations fournies ne permettent pas de déceler si des demandes de remboursement ont été formulées. Compte tenu de ces constats, la Cour estime que la législation nationale en matière de frais de justice apparaît comme suffisamment accessible aux personnes souhaitant dénoncer, par l’intermédiaire d’actions en responsabilité civile délictuelle, la durée excessive des procédures.

80. Pour ce qui est ensuite du montant de l’indemnité, la Cour comparera d’abord les montants octroyés par les tribunaux internes avec ceux octroyés par la Cour dans des situations similaires, pour ensuite analyser la façon dont les tribunaux internes apprécient le caractère raisonnable de la durée d’une procédure.

81. Ainsi que cela ressort des exemples de jurisprudence présentés par le Gouvernent en l’espèce, les tribunaux internes ont octroyé, dans la majorité de ces cas, des montants supérieurs à ceux octroyés par la Cour dans des affaires similaires. Ainsi, dans seize exemples de jurisprudence, les montants octroyés par les tribunaux internes sont supérieurs aux réparations accordées par la Cour dans des affaires similaires (paragraphes 32-35, 38-39 et 41-50 ci-dessus) et dans seulement quatre affaires les montants ainsi octroyés représentaient 80 % à 90 % des montants normalement octroyés par la Cour dans ce type d’affaires (paragraphes 30-31, 37 et 51 ci-dessus). La Cour considère dès lors que la réparation interne est adéquate, car elle s’aligne sur les montants qu’elle-même octroie.

82. La Cour note que, pour apprécier le caractère raisonnable de la durée des procédures, les tribunaux internes ont retenu différents critères. Ils ont ainsi relevé ce qui suit :

– l’État a l’obligation positive, sur le terrain des articles 6 et 13 de la Convention, de créer un recours spécifique pour permettre aux intéressés de se plaindre de la durée excessive de la procédure ; en l’absence d’un tel recours, il incombe aux juridictions nationales, en vertu de l’article 13 de la Convention, d’analyser de tels griefs sur le terrain de la responsabilité objective de l’État (paragraphes 31, 36, 43, 48 et 49 ci-dessus) ;

– la responsabilité civile objective vise à garantir les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 35 et 36 ci-dessus) ;

– la procédure en l’espèce s’est étendue sur une période si longue qu’aucune preuve n’était nécessaire pour démontrer l’existence d’un préjudice (paragraphes 34, 35 et 41 ci-dessus) ;

– le caractère raisonnable d’un délai doit être apprécié en tenant compte, entre autres, des critères établis par la Convention, tels que la complexité de l’affaire, le comportement des parties et celui des autorités compétentes, le nombre des parties et des délits à analyser (paragraphes 31, 37, 42, 43, 44, 46 et 50 ci-dessus) ;

– en l’espèce, l’intéressé aurait dû invoquer la responsabilité civile délictuelle de l’État plutôt que les dispositions relatives à l’erreur judiciaire (paragraphe 40 ci‑dessus) ;

– l’utilisation par une personne de multiples moyens procéduraux lui permettant de défendre ses droits n’exclut pas la responsabilité de l’État en ce qui concerne la durée excessive d’une procédure (paragraphe 46
ci-dessus).

83. Observant les critères pris en considération par les juridictions nationales aux fins d’apprécier le caractère raisonnable des procédures, la Cour constate que la jurisprudence des tribunaux internes a beaucoup évolué au cours des dernières années et, en particulier, depuis l’arrêt Vlad et autres (précité).

84. La Cour constate en outre que cette jurisprudence s’est consolidée avec l’arrêt du 30 janvier 2014 de la Haute Cour, dans lequel les critères de base à utiliser dans ce type de recours ont été énoncés (paragraphes 36-37 ci-dessus). Par la suite, ces principes ont été repris par les juridictions appelées à se prononcer sur des actions en responsabilité civile délictuelle visant la durée excessive des procédures (paragraphes 40, 43-46 et 48-51
ci-dessus).

85. La Cour observe que ces principes correspondent à ceux qu’elle a elle-même fixés dans les affaires portant sur le respect du « délai raisonnable » visé à l’article 6 § 1 de la Convention. Il ressort de cette évolution jurisprudentielle que la recommandation que la Cour a faite sous l’angle de l’article 46 de la Convention dans l’arrêt Vlad et autres (précité, § 164) a été respectée, l’action en responsabilité civile délictuelle étant consacrée par les tribunaux internes en tant que recours suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. De plus, le caractère strictement indemnitaire du recours mis en place ne saurait passer pour une insuffisance rédhibitoire, en terme d’effectivité, du système choisi par l’État défendeur pour se conformer aux exigences de l’article 46 dans l’arrêt Vlad et autres (précité).

86. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’action en responsabilité civile délictuelle, sur le fondement de l’article 1349 du nouveau code civil (articles 998-999 de l’ancien code civil), telle qu’interprétée constamment par les juridictions internes (voir paragraphes 30-51 ci-dessus), représente une voie de recours efficace pour dénoncer la durée excessive des procédures se déroulant devant les juridictions pénales ou civiles.

(β) Sur la nécessité d’épuiser cette voie de recours en l’espèce

87. La Cour doit maintenant déterminer si la requérante dans la présente affaire aurait dû épuiser cette voie de recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette question est étroitement liée à la date à laquelle l’arrêt du 30 janvier 2014 a acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, et Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001). La Cour rappelle que, lorsque le recours interne est le fruit d’une évolution jurisprudentielle, le respect du principe d’équité commande de prendre en compte un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité dont ladite décision a fait l’objet (Leandro Da Silva, précité, § 49).

88. En l’espèce, la Cour estime raisonnable de penser que l’arrêt du 30 janvier 2014 de la Haute Cour, qui a été mis au net le 22 septembre 2014 et qui, à partir de cette date, était consultable sur la base de données de la jurisprudence de la Haute Cour[1] ne pouvait plus être ignoré du public six mois après sa mise au net. C’est donc à partir du 22 mars 2015 qu’il doit être exigé de l’intéressée qu’elle ait usé de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette conclusion vaut pour les procédures terminées comme pour celles qui sont toujours pendantes au niveau national, la jurisprudence interne ne distinguant pas les procédures pendantes de celles qui sont achevées.

89. La Cour rappelle que lorsque le recours interne dans des affaires relatives à la durée de procédure est le résultat d’une évolution jurisprudentielle, l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, sauf exception, à la date d’introduction de la requête devant elle. Or, en l’espèce, à la date de l’introduction de la requête, le recours en question n’avait pas encore le degré de certitude exigé par la Cour pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Leandro Da Silva, précité, §§ 51-53).

(γ) Conclusion

90. Par conséquent, il ne saurait être reproché à la requérante de n’avoir pas épuisé, avant de saisir la Cour, un recours qui ne présentait pas à ce moment-là les caractères de certitude et d’efficacité requis (voir, mutatis mutandis, Zutter c. France (déc.), no 30197/96, 27 juin 2000, et, a contrario, Xynos c. Grèce, no 30226/09, §§ 56-58, 9 octobre 2014).

91. Partant, l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue en l’espèce. Puisqu’il n’y avait aucun remède effectif disponible, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

2. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

92. La requérante dénonce la durée excessive de la procédure pénale engagée à son encontre le 23 mars 2000 et clôturée par l’arrêt du 18 juin 2014.

93. Selon le Gouvernement, il est fort probable que la Cour ne considère pas la durée de plus de quatorze ans de la procédure comme raisonnable. Le Gouvernement indique qu’il faut néanmoins garder à l’esprit que c’est cette même durée qui a contribué à mener à la prescription de la responsabilité pénale de la requérante, ce qui, d’après lui, constitue un avantage pour l’intéressée. Quant au comportement des parties, le Gouvernement soutient que la requérante a essayé, par tous les moyens, d’allonger la durée de la procédure, et il renvoie aux incidents ayant émaillé la procédure menée devant les tribunaux internes (paragraphe 19 ci-dessus). Il se réfère à cet égard à l’affaire Lazariu c. Roumanie (no 31973/03, §§ 149-150, 13 novembre 2014), répétant que le comportement de la requérante a contribué, d’une manière significative, à la longueur de la procédure.

94. La Cour rappelle que la durée « raisonnable » d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

95. La Cour observe en l’espèce que la procédure a débuté le 23 mars 2000 (paragraphe 6 ci-dessus) et qu’elle a pris fin le 18 juin 2014, avec l’arrêt de la cour d’appel de Oradea (paragraphe 18 ci-dessus). Cette procédure a donc duré quatorze ans, deux mois et vingt-six jours, pour trois degrés de juridiction.

96. La Cour rappelle ensuite que, dans l’arrêt de principe Vlad et autres (précité), elle est parvenue à un constat de violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

97. Pour ce qui est de la prescription pénale évoquée par le Gouvernement, la Cour constate que, même si la durée de la procédure a contribué à mener à la prescription de la responsabilité pénale pour un délit, la requérante ne s’est pas contentée de cette solution et a sollicité l’acquittement pour le restant des délits dans son appel devant la cour d’appel de Oradea (paragraphe 17 ci-dessus in fine) (voir, a contrario, Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 57, CEDH 2012 (extraits)). De plus, la procédure litigieuse a eu des conséquences négatives pour la requérante, qui s’est vu confisquer une somme d’argent (paragraphes 17-18 ci-dessus). En outre, la question de la durée de la procédure n’a jamais été examinée par les juridictions internes (voir, a contrario, Gagliano Giorgi, précité, § 64) et la requérante n’a pas non plus eu la possibilité d’être indemnisée pour le préjudice subi du fait de la durée excessive de la procédure (McHugo c. Suisse, no 55705/00, § 30, 21 septembre 2006).

98. La Cour estime, à l’instar du Gouvernement, que, par son comportement, la requérante a contribué à la durée de la procédure. L’intéressée a été à l’origine de plusieurs demandes de report de la procédure (dix-neuf demandes d’ajournement formulées par les conseils de la requérante pour impossibilité de participer à différentes audiences, treize demandes d’ajournement formulées par la requérante afin d’engager un conseil, et douze demandes ajournement pour raisons médicales (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, même si ces périodes ne sont pas à imputer à l’État, les ajournements en question ne suffisent pas à justifier la durée globale de la procédure, à savoir quatorze ans, deux mois et vingt-six jours, pour trois degrés de juridiction, qui ne peut pas passer pour raisonnable au regard des exigences de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Cunha Martins Da Silva c. Portugal, no 69062/13, § 18, 28 février 2017).

99. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente de celle qui a été la sienne dans l’arrêt Vlad et autres (précité) quant au bien-fondé du grief en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Khlebik c. Ukraine du 25 juillet requête no 2945/16

Délai non raisonnable au sens de l'article 6-1 : Les autorités ukrainiennes ne sont pas responsables d’un appel resté en défaut d’examen ayant été dans l’incapacité de récupérer le dossier dans une zone hors de leur contrôle

UN UKRAINIEN NE PEUT PAS VOIR SA CONDAMNATION EXAMINEE EN APPEL CAR SON DOSSIER EST EN ZONE RUSSE

L'affaire concerne un homme reconnu coupable de plusieurs infractions par un tribunal de la région de Lougansk en 2013, qui se plaint de ce que les juridictions internes n’aient pas pu examiner l’appel formé par lui contre sa condamnation parce que son dossier était bloqué dans une zone que ne contrôlait plus le gouvernement ukrainien. Dans son arrêt de chambre1 rendu ce jour dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Non-violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour est parvenue à la conclusion que les autorités ukrainiennes avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir, dans le contexte des hostilités touchant l’est de l’Ukraine, pour trouver une solution à ce problème. Notamment, elles avaient bien réfléchi à la possibilité de reprendre la procédure.

LES FAITS

Le requérant, Oleksandr Khlebik, est un ressortissant ukrainien né en 1974 et résidant à Nizhyn, dans la région de Chernihiv (Ukraine). En avril 2013, un tribunal de la région de Lougansk reconnut M. Khlebik coupable notamment de banditisme et de vol à main armée et le condamna à huit ans et dix mois d’emprisonnement. L’appel formé par lui contre sa condamnation était en cours lorsque les hostilités débutèrent dans l’est de l’Ukraine en avril 2014. M. Khlebik resta détenu, en instance de l’examen de son appel, dans la maison d’arrêt de Starobilsk, située dans la partie de la région de Lougansk contrôlée par le gouvernement ukrainien. Cependant, son dossier demeura archivé à la cour d’appel, à Lougansk, ville que ne contrôlait pas le Gouvernement. Lorsque la cour d’appel fut relocalisée à Sieverodonetsk, dans la zone contrôlée par le Gouvernement, M. Khlebik se plaignit des lenteurs de l’examen de son appel. Il fut avisé que la juridiction d’appel ne pouvait pas connaître de son dossier parce que celui-ci était bloqué à Lougansk. Il demanda l’aide du Commissaire parlementaire aux droits de l’homme, mais on lui dit qu’il n’y avait aucune possibilité d’obtenir les dossiers des territoires non contrôlés par le Gouvernement. Sa demande, formée auprès d’un tribunal local, tendant à la reprise de la procédure fut elle aussi rejetée au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments concernant ce dossier dans le territoire contrôlé par le Gouvernement. M. Khlebik demanda également son élargissement à plusieurs reprises entre mai 2015 et février 2016, en vain. Il fut néanmoins libéré en mars 2016, tirant parti d’une réforme législative adoptée dans l’intervalle qui permettait l’élargissement des personnes ayant purgé au moins la moitié de leur peine en détention provisoire. D’après les informations les plus récentes, l’appel formé par lui contre sa condamnation est actuellement en cours d’examen devant la cour d’appel.

CEDH

Article 6 § 1 et article 2 du Protocole no 7

La Cour constate que M. Khlebik a pu interjeter appel de sa condamnation et que celui-ci a été accepté pour un examen au fond, ce que nul ne conteste. Il n’est pas contesté non plus que la raison essentielle pour laquelle l’instance d’appel n’a toujours pas examiné le dossier est que celui-ci n’est plus disponible en raison d’hostilités dans les zones non contrôlées par le gouvernement ukrainien. S’agissant de savoir si les autorités ukrainiennes ont pris toutes les mesures qui étaient concrètement en leur pouvoir, au vu des circonstances, pour rendre effectifs les droits garantis à M. Khlebik par l’article 6, la Cour examine trois principales possibilités qui, selon lui, étaient offertes aux autorités pour qu’elles puissent procéder à l’examen de son appel. Pour ce qui est de la possibilité de demander l’aide du Commissaire parlementaire aux droits de l’homme afin d’obtenir le dossier, la Cour note en particulier que M. Khlebik a lui-même demandé le concours du Commissaire, que ce dernier n’a pas pu lui prêter. Elle tient également compte de ce que les hostilités dans la région s’étaient poursuivies tout au long de la période considérée et qu’aucun cessez-le-feu durable n’a depuis lors été décrété. Pour ce qui est de la deuxième suggestion, à savoir la possibilité de conduire une nouvelle enquête et un nouveau procès, la Cour ne voit aucune raison de douter de la conclusion du juge interne concernant la reprise de la procédure, selon laquelle aucun élément pertinent du dossier n’était disponible étant donné que non seulement l’infraction pour laquelle M. Khlebik avait été condamné mais aussi son procès avaient eu lieu dans des zones de la région de Lougansk que le Gouvernement ne contrôlait pas. Il n’a donc pas été démontré qu’une nouvelle enquête et un nouveau procès pouvaient effectivement être conduits. Quant à la possibilité de réviser la condamnation et la peine de M. Khlebik à l’aune des éléments disponibles, la Cour relève que, en vertu de la législation en vigueur, le critère de révision aurait appelé un examen tant des points de fait que des points de droit, ce qui aurait donc nécessité l’accès aux pièces du dossier. Puisque ces pièces n’étaient alors pas à la disposition des autorités et qu’il ne pouvait pas être exclu que celles-ci n’en recouvrent pas la possession ultérieurement, un examen de l’intégralité des questions avant de récupérer le dossier risquait de nuire à l’éventualité d’un contrôle plus avisé à l’avenir. Étant donné que, en vertu de sa jurisprudence, la question de savoir si le requérant se trouvait en détention est un élément pertinent pour statuer sur le caractère raisonnable ou non de la durée d’un procès pénal, la Cour attache de l’importance au fait que les tribunaux ukrainiens ont décidé d’élargir M. Khlebik. La Cour conclut que les autorités ukrainiennes ont fait tout ce qui était en leur pouvoir au vu des circonstances pour régler le problème de M. Khlebik. La Cour salue également les autres initiatives prises par les autorités ukrainiennes, en particulier leurs demandes d’assistance auprès du Comité international pour la Croix-Rouge afin de récupérer les dossiers situés dans le territoire qui ne relève pas de leur contrôle, ainsi qu’une proposition de loi tendant à faciliter l’examen des appels lorsqu’une partie du dossier reste indisponible. Au vu de ces éléments, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 6. La Cour ne juge pas nécessaire d’examiner séparément le grief formulé par M. Khlebik sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7 au motif qu’il concerne les mêmes faits et soulève les mêmes questions que ceux et celles analysés sous l’angle de l’article 6.

Article 5

La Cour déclare irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, les griefs soulevés par M. Khlebik sur le terrain de l’article 5. Elle note en particulier qu’il a été détenu à la suite de sa condamnation par un tribunal compétent et qu’il n’a pas démontré qu’à cause des lenteurs de l’examen de son appel il a passé plus de temps en détention qu’il ne l’aurait dû dans des circonstances normales.

JR C. Belgique du 24 janvier 2017 requête 56367/09

Violation du délai non raisonnable de l'instruction commencée le 3  mai 2004 et terminée le 12 mai 2016 soit durant 14 ans et 9 jours. La cause est imputable aux autorités judiciaires.

46. Le Gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir activé le contrôle de l’instruction sur pied des articles 136 et 136bis du CIC avant le 10 avril 2014, soit cinq ans après avoir saisi la Cour. C’est dans le cadre de cette unique demande qu’il s’est plaint, pour la première et dernière fois, d’un dépassement du délai raisonnable de l’instruction et a demandé que les poursuites à son égard soient déclarées irrecevables. De plus, le Gouvernement estime que le requérant aurait dû, au stade de l’instruction, introduire une action en responsabilité extracontractuelle contre l’État sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil.

47. Le requérant soutient, quant à lui, que la chambre des mises en accusation avait compétence pour accélérer la procédure et qu’il a lui‑même fait usage des dispositions du CIC visant à remédier au dépassement du délai raisonnable. Il considère que le recours indemnitaire ne permettait pas de redresser son grief et n’est pas un recours effectif dans le cadre d’un procès pénal pendant.

48. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse – objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014, Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 87, CEDH 2015, et Karácsony et autres c. Hongrie [GC], no 42461/13, § 76, CEDH 2016 (extraits)).

49. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vučković et autres, précité, § 70, Parrillo, précité, § 87, et Karácsony et autres, précité, § 76).

50. À cet égard, la Cour observe que le système belge offrait au requérant, s’agissant d’une procédure pénale, comme en l’occurrence, plusieurs voies de recours : une série de mesures préventives destinées spécifiquement à remédier au dépassement de la durée raisonnable d’une procédure au stade de l’instruction (article 136 du CIC) et du règlement de la procédure (article 235bis du CIC) ainsi que la possibilité d’introduire une action en responsabilité civile contre l’État (articles 1382 et 1383 du code civil).

51. La Cour constate que le requérant a utilisé, sans succès, la première voie de droit. La question se pose de savoir s’il devait de surcroît, comme le soutient le Gouvernement, introduire une action en responsabilité extra‑contractuelle contre l’État.

52. À cet égard, la Cour rappelle que les requérants doivent avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants. Lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009).

53. En l’espèce, la Cour estime qu’il serait excessif de reprocher au requérant d’avoir sélectionné parmi les recours parallèles existant en droit belge celui qu’il estimait approprié dans son cas et de ne pas avoir intenté l’action mentionnée par le Gouvernement, alors qu’il a exercé – fût-ce à un stade de la procédure postérieur à l’introduction de la requête devant la Cour ‑ un recours préventif en vue d’accélérer la procédure (voir, mutatis mutandis, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III, Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, CEDH 2004-V, et Jasinskis c. Lettonie, no 45744/08, §§ 50 et 53-54, 21 décembre 2010).

54. La Cour rejette ainsi l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

55. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

56. Le requérant se plaint de la durée excessive de l’instruction dans le cadre de la procédure menée contre lui.

57. Le Gouvernement conteste cette thèse.

58. La Cour constate que la période à considérer a débuté le 3 mai 2004 et s’est terminée le 12 mai 2016, date à laquelle la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons a ordonné le non-lieu à l’endroit du requérant. La procédure menée à l’égard du requérant a dès lors duré un peu plus de 12 ans.

59. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire ainsi que le comportement du requérant et des autorités compétentes. En outre, seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 186, 22 mai 2012).

60. L’instruction de l’affaire revêtait certainement, comme le souligne le Gouvernement, une certaine complexité liée à la personnalité du requérant et à l’évolution des relations familiales à l’origine de nombreuses auditions et d’une commission rogatoire internationale mais la Cour considère que cela ne suffit pas à expliquer pourquoi la procédure pénale dirigée contre le requérant a connu une telle durée.

61. Pour ce qui est du comportement du requérant, le Gouvernement fait valoir que celui-ci est à l’origine de la durée de la procédure du fait de son refus de collaborer à la première expertise ordonné à son sujet, de plusieurs requêtes en accomplissement de devoirs complémentaires, de la tardiveté avec laquelle il a finalement déposé une expertise psychologique le concernant, auxquels il faut ajouter une demande de contrôle de l’instruction, et de nombreuses demandes d’accès au dossier, qui ont eu pour effet de rallonger l’instruction ainsi que deux demandes de remise de l’affaire au moment du règlement de procédure.

62. La Cour convient que ces éléments, attribuables en partie au requérant, ont quelque peu contribué à la durée de la procédure dirigée contre lui. Ils n’expliquent toutefois pas, selon elle, la totalité de la durée.

63. Pour ce qui est du comportement des autorités, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 astreint les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, notamment celle du délai raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006‑V, et Panju c. Belgique, no 18393/09, § 88, 28 octobre 2014). Or elle constate que l’instruction a connu plusieurs périodes de ralentissement voire de stagnation : au début de l’enquête entre 2004 et 2006, lors de la mise en route de l’expertise systémique entre 2008 et 2010, ainsi qu’entre 2010 et 2014, période durant laquelle seule la commission rogatoire fut menée à bien (voir paragraphes 9‑20, ci-dessus).

64. Sur la base de l’ensemble des éléments considérés, la Cour conclut que la complexité de l’instruction et le comportement du requérant n’expliquent pas à eux seuls la longueur de la procédure ; la cause majeure de celle-ci réside dans la manière dont les autorités ont conduit l’affaire.

65. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

HIERNAUX c. BELGIQUE du 24 janvier 2017 requête 28022/15

non Violation de l'article 6§1 combiné à l'article 13 car le recours indemnitaire existe

44. Eu égard aux constatations faites tant par les juridictions d’instruction (voir paragraphes 13, 14 et 16, ci-dessus) que par la juridiction de jugement (voir paragraphe 18, ci-dessus) au sujet de la durée de l’instruction de l’affaire, la Cour estime que le grief de la requérante y relative constitue un grief « défendable », et qu’elle devait disposer d’un recours effectif à cet égard.

a) Rappel des principes généraux

45. La Cour rappelle que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Kudła c. Pologne [GC] (no 30210/96, § 159, CEDH 2000‑XI, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002‑VIII, Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 108, 10 septembre 2010).

46. Différents types de recours peuvent donc coexister dans le but de redresser la violation de façon appropriée. La Cour l’a déjà affirmé en matière pénale en jugeant satisfaisante la prise en compte de la durée de la procédure pour octroyer une réduction de la peine de façon expresse et mesurable (Beck c. Norvège, no 26390/95, § 27, 26 juin 2001). Par ailleurs, certains États ont choisi de combiner deux types de recours, l’un tendant à accélérer la procédure et l’autre de nature indemnitaire (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 186, CEDH 2006‑V, et Sürmeli, précité, § 100).

47. Toutefois, les États peuvent également choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire sans que ce recours puisse être considéré comme manquant d’effectivité (Scordino (no 1), précité, § 187).

48. La Cour a déjà eu l’occasion de souligner notamment dans l’arrêt Kudła précité (§§ 154-155) que, dans le respect des exigences de la Convention, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la façon de garantir aux individus le recours exigé par l’article 13 et de se conformer à l’obligation que leur fait cette disposition de la Convention. Elle a également insisté sur le principe de subsidiarité afin que les justiciables ne soient plus systématiquement contraints de lui soumettre des requêtes qui auraient pu être instruites d’abord et, selon elle, de manière plus appropriée, au sein des ordres juridiques internes.

b) Application au cas d’espèce

49. La Cour constate que la Belgique fait partie des États dans l’ordre juridique desquels coexistent plusieurs types de recours permettant de prévenir ou redresser une durée excessive dans le cadre d’une procédure pénale (voir paragraphes 22-39, ci-dessus). Elle les examinera successivement.

i. Recours préventifs prévus par le CIC

50. La Cour a déjà affirmé qu’un remède préventif est le meilleur dans l’absolu. Lorsqu’un système judiciaire s’avère défaillant à l’égard de l’exigence découlant de l’article 6 § 1 de la Convention quant au délai raisonnable, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il permet d’hâter la décision de la juridiction concernée. Il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir a posteriori comme le fait un recours indemnitaire (Scordino (no 1), précité, §§ 183-184, et Sürmeli, précité, § 100).

51. La Cour constate que des remèdes préventifs, présentant les avantages qui viennent d’être énoncés, sont institués en droit belge par les articles 136, 136bis, 235 et 235bis du CIC. Les juridictions d’instruction peuvent d’office ou doivent, si une partie le demande, vérifier l’évolution de l’instruction. Elles peuvent prendre des mesures concrètes pour accélérer la procédure (voir paragraphe 23 et 26, ci-dessus). Elles ont également la compétence de déclarer les poursuites irrecevables ou d’ordonner le non-lieu lorsqu’elles constatent qu’un dépassement a pour effet que l’exercice des droits de la défense ou l’administration de la preuve sont devenus impossibles et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable. Quand tel n’est pas le cas, les juridictions d’instruction décident de la réparation adéquate qui peut consister en la simple constatation du dépassement du délai raisonnable. Un tel constat lie le juge du fond qui devra en tenir compte lors de l’appréciation de la peine en vertu de l’article 21ter du titre préliminaire du CIC.

52. La Cour est d’avis que la construction résultant ainsi du droit belge peut se révéler efficace et correspondre aux exigences d’effectivité posées par l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention. Il n’en demeure pas moins que l’effectivité des recours doit être démontrée dans les circonstances de l’espèce.

53. En l’espèce, les juridictions d’instruction constatèrent, au stade du règlement de la procédure, un dépassement de la procédure en cours (voir paragraphes 13-14, ci-dessus). Elles jugèrent toutefois qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner ce dépassement à ce stade par un non-lieu, par l’irrecevabilité des poursuites ou autrement. L’écoulement du temps n’avait en effet pas eu pour conséquence le dépérissement des preuves et n’avait pas rendu impossible l’exercice des droits de la défense par la requérante. Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (voir paragraphes 30-33, ci-dessus), les juridictions d’instruction rappelèrent que dans ces conditions, l’incidence du dépassement du délai raisonnable ressortait de l’appréciation de la juridiction de jugement. Cette dernière, à savoir le tribunal de première instance de Bruxelles, déclara, par un jugement du 11 mars 2016, les poursuites irrecevables pour atteinte au droit à un procès équitable sous un autre angle que celui du droit à être jugé dans un délai raisonnable (voir paragraphe 18, ci-dessus).

54. La Cour considère, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, que cette approche n’est pas contraire à la Convention. Il ne résulte en effet pas des articles 6 et 13 de la Convention que le dépassement du délai raisonnable constaté dans le cadre du règlement de la procédure, qui n’a pas donné lieu à une violation irréparable des droits de défense de l’inculpé ni à la perte des preuves, doit être sanctionné par l’extinction de l’action publique ou par un non-lieu.

55. Cela étant, force est de constater que non seulement les juridictions d’instruction n’ont pas sanctionné elles-mêmes le dépassement du délai raisonnable au vu du constat d’absence d’atteinte irrémédiable au procès équitable, mais en outre que l’issue de la procédure a, en l’espèce, empêché le jeu de l’article 21ter du titre préliminaire du CIC qui prévoit la possibilité d’une sanction différée par le juge du fond.

56. Il en résulte, selon la Cour, que la requérante n’a pu bénéficier d’aucun redressement concret pour pallier aux retards qu’elle dénonçait. Il y a donc lieu d’en déduire que les recours prévus par le CIC ne se sont pas avérés effectifs en l’espèce.

ii. Le recours indemnitaire

57. Le Gouvernement fait valoir que la requérante disposait également de la possibilité d’introduire un recours indemnitaire pour se plaindre de la durée excessive de la procédure au stade de l’instruction ou du règlement de procédure. Il ajoute qu’elle dispose pendant une période de cinq ans, à partir du moment où elle a connaissance de la faute de l’État et du dommage causé par cette faute, de la possibilité pour introduire un recours indemnitaire et obtenir, le cas échéant, une réparation du dommage en raison de la longueur excessive de la procédure pénale menée contre elle.

58. La Cour rappelle que dans l’affaire Panju (no 18393/09, 28 octobre 2014), elle a considéré que « le Gouvernement, auquel la charge de la preuve incombe en la matière, n’a pas démontré que le recours indemnitaire sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil était appliqué en pratique par les juridictions dans le cadre des procédures pénales ni donc que ce recours puisse aboutir à des résultats satisfaisant les exigences d’effectivité que l’article 13 de la Convention pose en ce qui concerne les recours indemnitaires en matière de durée excessive de procédures judiciaires » (§ 62). Elle y a conclu que « [ce recours] ne saurait, à ce jour, être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 pour se plaindre de la longue durée de l’instruction pénale » (§ 63).

59. La Cour note que, dans le cadre de la présente affaire, le Gouvernement a complété l’argumentaire qu’il avait développé dans l’affaire Panju en fournissant plusieurs exemples de décisions de juridictions civiles visant à démontrer que le recours indemnitaire peut être exercé avec succès pour obtenir un redressement approprié pour la durée excessive de procédures pénales lorsqu’elles sont au stade de l’instruction ou du règlement de procédure (voir paragraphe 38, ci-dessous).

60. La Cour relève en outre que, récemment, la Cour de cassation a rendu des arrêts par lesquels elle reconnaît explicitement que la réparation à laquelle l’inculpé peut prétendre en cas de durée excessive de la procédure constatée au stade de l’instruction ou du règlement de la procédure peut consister en des dommages et intérêts à demander devant le tribunal civil (voir paragraphe 39, ci-dessus).

61. Au vu de ces nouvelles informations et développements, la Cour constate que le recours indemnitaire peut en principe être considéré comme un recours effectif en vue de redresser une violation tirée de la durée excessive d’une procédure pénale, y compris quand elle est constatée au cours de l’instruction ou au stade du règlement de la procédure.

62. Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante ne peut soutenir qu’elle est privée de tout recours effectif.

iii. Conclusion

63. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.

Pelissier et Sassi contre France du 25 mars 1999 Hudoc 966 requête n° 25444/94

Il n'est pas l'arrêt le plus ancien en cette matière, il concerne d'autres violations importantes de la Convention. Il a surtout l'avantage de poser clairement les principes.

Principe général et conclusions rappelées dans l'arrêt Sassi et Pelissier contre France:             

"§74: La Cour rappelle à cet égard que l'article 6§1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que les cours et Tribunaux puissent remplir chacune ses exigences, y compris l'obligation de trancher les causes dans des délais raisonnables ()

En l'espèce, la procédure fait apparaître des retards excessifs qui sont imputables aux autorités nationales"

Kudla contre Pologne du 26 octobre 2000 Hudoc 1996 requête 30210/96

"L'article 6§1 n'astreint pas les Etats à créer des cours d'appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales de l'article 6.

Le comportement de l'intéressé n'a pas contribué de manière substantielle à allonger la procédure () La Cour observe toutefois que c'est à eux (les tribunaux) au premier chef qu'il incombait d'assurer une administration rapide de la justice, d'autant que, pendant une bonne partie de la procédure, Monsieur Kudla a séjourné en détention provisoire alors qu'il souffrait d'une grave dépression. Cela requérait de la part des tribunaux une diligence particulière dans l'instruction de la cause"

GRANDE CHAMBRE Mc FARLANE c IRLANDE requête no 31333/06 DU 10 SEPTEMBRE 2010

Le requérant, Brendan McFarlane, est un ressortissant irlandais né en 1951 et résidant à Belfast. L’affaire concerne le délai de plus de quatorze ans mis par les autorités irlandaises pour entamer des poursuites pénales contre lui pour des infractions qu’il aurait commises en 1983 et pour lesquelles il fut mis hors de cause en 2008.

En janvier 1998, M. McFarlane fut libéré sous condition après avoir purgé une peine d’emprisonnement en Irlande du Nord au motif qu’il avait participé dans les années 1970 à un attentat à la bombe dont l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army – « l’IRA ») fut jugée responsable. Quelques jours après sa libération, il fut arrêté et placé en détention par la police irlandaise, puis inculpé devant la Cour criminelle spéciale (Special Criminal Court – la « SCC ») de Dublin de séquestration arbitraire et de possession irrégulière d’armes à feu, infractions qu’il aurait commises en 1983 après s’être évadé de prison. Le 13 janvier 1998, il bénéficia d’une libération conditionnelle, assortie de certaines mesures de contrôle.

M. McFarlane engagea une procédure de contrôle juridictionnel pour faire cesser les poursuites pénales à son encontre au motif que le délai observé pour entamer celles-ci compromettait ses chances de bénéficier d’un procès équitable et que la non-conservation et la non-communication par les autorités de poursuite de certains éléments de preuve (tels que des empreintes digitales) avait réduit sa capacité à contester la nature et la force des éléments de preuve devant être utilisés lors de son procès. Ses griefs relatifs au retard dans l’ouverture des poursuites furent en fin de compte rejetés par la Cour suprême en 2006 ; celle-ci conclut qu’il appartenait manifestement aux autorités de poursuite de choisir le moment auquel les poursuites devaient être entamées. Quant à la perte des preuves, la Cour suprême conclut que le juge statuant sur l’affaire devrait établir s’il y avait eu une inéquité dont le ministère public pouvait être tenu pour responsable. Le requérant engagea une autre action en interdiction des poursuites pour retard, qui fut rejetée en janvier 2008. M. McFarlane dut se déplacer quarante fois à la SCC (un voyage de 320 km aller et retour) dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui. Il fut mis définitivement hors de cause en juin 2008.

Article 6 § 1

La Cour constate que la procédure pénale dirigée contre le requérant a duré plus de dix ans et six mois, de l’arrestation de l’intéressé, le 5 janvier 1998, à son acquittement, le 28 juin 2008.

Si la conduite du requérant a quelque peu contribué à la durée de la procédure dirigée contre lui, elle ne l’explique pas en totalité. D’autre part, le Gouvernement n’a pas réussi à expliquer de manière convaincante les délais imputables aux autorités qui ont contribué à allonger la durée totale de la procédure pénale.

Quant à ce qu’était l’enjeu du litige pour le requérant, il faut noter que les accusations qui pesaient sur celui-ci étaient graves et qu’il a dû supporter leur poids et celui de la condamnation qu’elle lui faisait encourir pendant environ dix années et demie, au cours desquelles il a dû se présenter régulièrement à un poste de police et aller fréquemment à Dublin pour comparaître devant la SCC.

La Cour conclut que la procédure pénale dirigée contre le requérant a connu une durée excessive et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1.

LE CALCUL DES DELAIS

Le jour de départ est celui où le mis en cause est directement informé de la procédure d'accusation pénale; il ne s'agit donc pas du jour du dépôt de la plainte, du premier jour de l'enquête préliminaire ou des faits reprochés; mais du jour où le mis en cause reçoit directement l'information soit par une convocation soit par l'exécution d'un mandat d'arrêt soit encore par la signification d'un jugement par défaut.

Le dernier jour est celui où la dernière décision de justice est définitive soit le premier jour après la fin des délais de recours d'un arrêt de la Cour d'Appel ou d'un jugement de première instance, soit le jour de l'arrêt de la Cour suprême.

Une estimation "globale" de la procédure,<quant elle est particulièrement longue permet à la Cour de constater le délai non raisonnable:

Lutz contre France du 26/03/2002 Hudoc 3527 requête 48215/99

En matière de recours administratif,  concernant une procédure de contestation et de réparation suite à un internement psychiatrique d'office, la procédure a duré 9 ans, sans être encore terminée:

"Vu la longueur globale et le fait que l'affaire est pendante en appel le 1er octobre 1998 et que le Gouvernement ne fournit aucune explication pertinente à cet égard, la Cour conclut à une violation de l'article 6§1 de la Convention dans le cadre des deux procédures"

Une estimation "globale" de la procédure, permet aussi à la Cour de constater qu'il n'y a pas de violation du délai non raisonnable de la procédure.

Subiali contre France du 14/09/2004; requête 65372/01

"49.  S’agissant de la seconde procédure, la Cour est d’avis, avec le Gouvernement, qu’une durée de presque six ans, comprenant une instruction et trois degrés de juridictions, n’est pas constitutive d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention"

Ensuite la Cour regarde les circonstances particulières de la cause et les actes judiciaires accomplis durant le délai de la procédure.

La Cour cherche à constater:

-la complexité de l'affaire,

-le comportement du requérant

-le comportement des autorités judiciaires

LA COMPLEXITE DE L'AFFAIRE:

Arrêt Pelisssier et Sassi contre France précité:

"§71: Elle (la cour) considère notamment que la nature économique des infractions ne rend pas, en soi, la procédure particulièrement complexe. Par ailleurs, la Cour constate, ainsi que le reconnaît le Gouvernement, que la loi du 25 janvier 1985 a simplifié le délit de banqueroute, ce qui devait faciliter d'autant le travail du juge d'instruction. Enfin, la Cour estime que le dossier ne concernait que 4 inculpés, dans le cadre de sociétés orientées vers un même secteur d'activité et sans qu'apparaissent de montages juridiques suffisamment élaborés pour gêner considérablement les enquêteurs dans leur tâche. Dès lors, la complexité de l'affaire ne saurait justifier la durée de la procédure"

Kemmache contre France du 27/11/1991 Hudoc 287 requêtes 12325/86 et 14992/89

La Cour considère que pour lui faire bénéficier d'une procédure dans un délai raisonnable, les juridictions françaises pouvaient disjoindre l'affaire concernant Kemmache de celles des autres coinculpés extradés provisoirement en Suisse pour assister à leur procès criminel.

CP et autres contre France du 01/08/2000 Hudoc 1998 requête 36009/97

"La Cour estime que la caractéristique essentielle de l'affaire était sa grande complexité. Les soupçons dont les requérants faisaient l'objet relevaient de la criminalité "en col blanc" c'est à dire la fraude à grande échelle, impliquant plusieurs sociétés. Ce type d'infraction est souvent connu, comme en l'espèce, de manière délibérée, au moyen de transactions complexes ayant pour objet d'échapper au contrôle des organes d'instruction()

Pour réunir des preuves contre les requérants, deux commissions rogatoires internationales ont été nécessaires, ainsi qu'une importante expertise comptable et financière"

En conséquence, la Cour considéra que le délai était raisonnable et rejeta la requête.

LE COMPORTEMENT DU REQUERANT

Arrêt Sassi et Pelissier contre France précité:

"§72 : La Cour relève aucun élément de nature à mettre en cause la responsabilité des requérants dans l'allongement de la procédure. En particulier, la Cour estime, compte tenu de la durée de l'instruction, qu'il ne saurait être sérieusement reproché à Monsieur Pelissier d'avoir été absent du 2 au 24 juillet 1996 () soit moins d'un mois durant les vacances judiciaires.

Quant au comportement de Monsieur Fernand Cortez () qui ne peut d'ailleurs être reproché aux requérants (plusieurs recours judiciaires durant l'instruction) le Gouvernement n'établit pas en quoi il aurait été dilatoire au point de retarder de manière significative l'issue de l'instruction"

Debbasch contre France du 03/12/2002 Hudoc 4003 requête 49392/99

La Cour constate que le requérant a multiplié avec surabondance les recours. On ne peut pas lui reproché mais le retard de la procédure n'est pas non plus attribuable à l'Etat.

Arrêt Portington contre Grèce du 27/09/1998 Hudoc 955 requête 28523/95

La Cour constate :

"même si tous les retards sont imputables à des demande formulées par lui et qu'il puisse en conséquence être tenu pour responsable en partie de la lenteur qui en est résultée, cela ne saurait justifier la durée des intervalles entre les différentes audiences et assurément pas la durée totale de l'instance d'appel"

En l'espèce, l'appel a été interjeté le 18/02/1988, l'arrêt n'a été rendu par la Cour d'Appel que le 12/02/1996.

Richard Dubarry contre France du 01/06/2004 Hudoc 5108 requête 52929/00

"S'il est vrai que la requérante a été à l'origine d'un certain nombre de retards, son comportement ne saurait expliquer la durée totale des procédures. La Cour rappelle à cet égard que l'on ne saurait reprocher à un requérant d'avoir tiré  pleinement partie des voies de recours que lui offrait le droit interne. En l'occurrence, les deux recours en cassation formés par la requérante furent couronnés de succès. S'agissant du comportement des autorités judiciaires, la Cour estime, au vue des circonstances de la cause, qui commandent une évaluation globale, que le laps de temps pour l'instant écoulé est excessif"

Clinique Mozart S.A.R.L contre France du 09/06/2004  Hudoc 5119 requête 46098/99

La Cour constate que si les mémoires supplémentaires de la requérante devant les juridictions administratives rallongent la procédure fiscale, l'administration a elle-même mis deux ans à déposer son mémoire. La violation de l'article 6§1 de la Convention est donc constaté.

Arrêt Marschner contre France du 28/09/2004 requête 51360/99

Le requérant a été poursuivi par la C.O.B dans une affaire financière complexe. Le Gouvernement lui reproche d'avoir user de beaucoup de voies de recours.

"§61.  Sur les périodes à prendre en considération, la Cour convient avec le Gouvernement que le point de départ pour les trois procédures se situe, en tout état de cause, à la date des mises en examen du requérant. La première procédure a ainsi débuté le 5 mars 1996 et est toujours pendante; elle s'étend donc à ce jour sur huit ans et demi (aucun jugement sur le fond n'a été rendu en première instance). La deuxième procédure a commencé le 26 décembre 1996 et s'est, semble-t-il, terminée le 13 mars 2004 par l'arrêt de la cour d'appel de Paris ; elle a donc duré sept années, deux mois et dix-huit jours (deux degrés de juridiction). La troisième procédure a commencé le 21 février 1997 et est toujours pendante (en appel), elle s'étend donc sur sept ans et demi.

 §62.  La Cour reconnaît que les procédures engagées contre le requérant présentaient une certaine complexité. Elle n'estime pas en revanche que le requérant est responsable des délais litigieux ;  celui-ci a tiré parti des voies de recours internes à sa disposition, fait que l'on ne saurait lui reprocher. Elle observe par contre que l'examen des procédures fait clairement apparaître des retards au niveau des instructions (voir, par exemple, le dépôt des rapports d'expertise, paragraphes 19, 20 et 29 ci-dessus) et des délais d'audiencement devant le tribunal correctionnel et la cour d'appel de Paris (paragraphes 25, 26, 34, 35, 41 et 42 ci-dessus). 

 §63.  La Cour prend acte de la déclaration du Gouvernement et considère, eu égard à ce qui précède et à la durée globale des procédures, que les causes du requérant n'ont pas été entendues dans un délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention de ce chef"

LE COMPORTEMENT DES AUTORITES JUDICIAIRES

C'est le critère le plus important. La C.E.D.H traque les "trous" ou temps de latence de procédure durant lesquels, il n'existe aucun acte judiciaire pendant plusieurs mois.

Une procédure peut être complexe et peut être ralentie par le fait du requérant, si elle est particulièrement longue et si les autorités judiciaires ont commis plusieurs "trous", le délai non raisonnable sera constaté et sanctionné.

En revanche, si une procédure est longue sans que les autorités judiciaire n'aient commis de "trou" ou temps de latence, le délai sera déclaré raisonnable. 

Arrêt Sassi et Pelissier contre France précité:

"§ 73 : La Cour constate que l'instruction a duré 5 ans, 9 mois et 13 jours pour le premier requérant,  5 ans et 15 jours pour le second. La Cour estime, compte tenu de ses constats quant à l'absence de complexité de l'affaire et au comportement normal des requérants, qu'une instruction d'une durée de plus de cinq ans ne se justifiait pas.

Avec la Commission, elle relève en outre que l'instruction a connu des retards et des périodes de latence injustifiées, en particulier entre l'ordonnance de soit-communiqué du 10/01/1989 et l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 27 juin  1990 () ou bien encore entre l'ordonnance de commission d'expert du 15/06/1987 () et le dépôt du rapport d'expertise intervenu le 30/06/1988 ()

La Cour ne tient pas davantage pour convaincant l'argument selon lequel l'entrée en vigueur de la loi du 25/01/1985 () aurait compliqué le travail juridictionnel puisque le Gouvernement le reconnaît () cette loi a permis de simplifier le délit de banqueroute, seule infraction reprochée aux requérants.

S'agissant de la procédure devant les juridictions du fond, la Cour relève au surplus un retard injustifié entre les appels interjetés par le ministère public et Monsieur Fernand Cortez le 22 mars 1991 () et la première audience tenue par la Cour d'Appel d'Aix en Provence le 16 avril 1992 ()

Elle estime en particulier que l'exécution d'actes aussi élémentaires et courants que des citations à comparaître, dans une procédure où le nombre d'intervenants ne peut passer pour anormalement élevé, ne saurait expliquer un tel délai"

La Cour examine pour chaque procédure, les "trous" ou délais de latence commis par les autorité judiciaires.

Une rapidité postérieure ne rattrape pas le "trou" déjà créé précédemment:

Donsimoni contre France du 05/10/1999 Hudoc 1301 requête 36754/97

La Cour sanctionne un délai de 5ans et 2 mois pour une instruction et une décision en première instance alors que la Cour d'Appel n'a mis que 4 mois pour trancher l'appel. La procédure avait donc duré au total 5 ans et 6 mois.

Arrêt Zanouti contre France du 31/07/2001; Hudoc 2765; requête 42211/98, la Cour sanctionne un délai d'instruction de quatre  ans.  

Arrêt Etcheveste et Bidart contre France du 21/03/2002; Hudoc 3533; requêtes 44707/98 et 44788/98, la Cour sanctionne  l'existence entre chaque acte judiciaire, d'un "trou" de 6 mois ajouté à un "trou" de 11 mois et un "trou" de 18 mois pour un délai total de 2 ans et 10 mois. 

Arrêt Ottomani contre France du 15/10/2002; Hudoc 3889;  requête 49857/99, la cour constate qu'un délai d'instruction a duré 4 ans et 18 jours et sanctionne deux "trous " de onze mois entre  deux actes d'instruction. En revanche, la Cour déclare qu'un délai de 2 ans et 4 mois pour 3 degrés de juridiction est un délai raisonnable.

Arrêt Djaïd contre France du 29/09/1999 Hudoc 1174 requête 38687/97

La Cour considère qu'un délai de 4 ans, 6 mois et 15 jours est un délai non raisonnable pour une procédure d'accusation pénale comprenant une instruction, une décision en première instance, en seconde instance et en cour de cassation. Le "trou" sanctionné par la Cour est le délai d'un an entre le dépôt du rapport du conseiller rapporteur et l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation.

L'ENJEU DU LITIGE

La Cour considère que dans certaines circonstances de cause, ce quatrième critère contraint les autorités judiciaires à agir avec une particulière célérité.

Beljanski contre France du 7 février 2002 Hudoc 3206 requête 44070/98

"Considérant également l'âge du requérant et le fait qu'il était atteint d'une grave maladie (voir notamment mutatis mutandis l'arrêt x contre France du 31 mars 1992; série A n°234-C §47) ainsi que l'enjeu singulier de la procédure pour lui; sa réputation de scientifique et le sérieux de ses recherches étaient en cause; la Cour estime qu'il y a eu dépassement du "délai raisonnable" et violation de l'article 6§1 de la Convention"

L'ABSENCE DE PREJUDICE IMPORTANT

GAGLIANO GIORGI C. ITALIE du 6 mars 2012 requête n°23563/07

Première utilisation en matière pénale du critère d’irrecevabilité tiré de l’"absence de préjudice important"

La durée de la procédure pénale a permis au requérant une très forte diminution de peine puis sa relaxe.

La procédure italienne dite "Pinto" pour réparer un délai non raisonnable est une procédure de droit interne suffisante même si elle est longue.

47.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure principale et du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto » ainsi que de la durée de cette dernière.

48.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

49.  L’article 6 de la Convention, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée (...) »

A.  Sur la durée de la procédure principale et le manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto »

50.  La Cour relève que le requérant allègue la violation de l’article 6 de la Convention du fait qu’il n’a obtenu aucune indemnisation pour une procédure ayant duré dix ans et sept mois pour trois degrés de juridiction.

Absence de préjudice important

51.  Dans ses observations du 20 mai 2010, le Gouvernement invoque l’absence de tout préjudice important pour le requérant. Il se réfère au texte de l’article 35 § 3 b) de la Convention, tel que modifié par le Protocole no 14, selon lequel la Cour peut déclarer une requête irrecevable lorsque « le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne ».

52.  Le Gouvernement affirme, notamment, que le prolongement de la procédure litigieuse a permis au requérant de bénéficier d’une réduction de la peine en raison de l’extinction du délit de corruption pour prescription. Le Gouvernement soutient, en outre, que le requérant aurait fait preuve d’un comportement obstructionniste lors du procès afin de faire courir les délais de prescription.

53.  La partie requérante rejette les arguments du Gouvernement quant à sa conduite lors du procès et nie tout prétendu bénéfice qui découlerait de la déclaration de prescription en question. Elle fait valoir en particulier que, l’arrêt d’appel du 1er mars 1996 ayant déjà accordé au requérant le bénéfice du sursis, ladite déclaration n’aurait entraîné aucune modification substantielle de la peine infligée à ce dernier.

54.  La Cour rappelle que le nouveau critère du manque de préjudice important a été conçu pour lui permettre de traiter rapidement les requêtes à caractère futile afin de se concentrer sur sa mission essentielle, qui est d’assurer au niveau européen la protection juridique des droits garantis par la Convention et ses Protocoles (Stefanescu c. Roumanie (déc.), no 11774/04, 12 avril 2011, § 35).

55.  Issue du principe de minimis non curat praetor, la nouvelle condition de recevabilité renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale (Korolev c. Russie (déc), nº 25551/05, 1 juillet 2010). L’appréciation de ce seuil est, par nature, relative et dépend des circonstances de l’espèce (Korolev, précitée, et, mutatis mutandis, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 100, série A no 161). Cette appréciation doit tenir compte tant de la perception subjective du requérant que de l’enjeu objectif du litige.

56.  Au vu des critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant (Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011).

57.  En l’espèce, la Cour constate que, en raison de la durée de la procédure litigieuse, le 11 juin 1998, la cour d’appel a déclaré l’extinction du chef d’accusation de corruption pour prescription. Cela a de toute évidence entraîné une diminution de la peine retenue à l’encontre du requérant, d’autant plus que le délit prescrit était assorti de la peine la plus lourde des deux reprochés à l’intéressé, quoique les éléments du dossier ne permettent pas d’apprécier l’importance exacte de cette réduction ni d’éclaircir ultérieurement le lien existant entre la violation du délai raisonnable et celle-ci. La Cour observe également que le requérant a décidé de ne pas renoncer à la prescription, possibilité qui lui était offerte en droit italien (voir Droit interne pertinent, § 42 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour est de l’opinion que la réduction de la peine en question à tout de moins compensé ou particulièrement réduit les préjudices découlant normalement de la durée excessive de la procédure. Au demeurant, la Cour voit mal la pertinence des observations de la partie requérante ayant trait au fait que l’arrêt du 1er mars 1996 avait octroyé au prévenu le bénéfice du sursis de l’exécution de la peine (voir § 23 ci-dessus). Elle note à cet égard que par ce même arrêt la Cour d’appel de Milan avait en fait déjà déclaré l’extinction du délit de corruption pour prescription.

58.  Dès lors, la Cour considère que le requérant n’a pas subi un « préjudice important » au regard de son droit à un procès dans un délai raisonnable.

59.  Quant à la question de savoir si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige d’examiner la requête au fond, la Cour rappelle que cette notion renvoie aux conditions déjà définies pour l’application des articles 37 § 1 et 38 § 1 (dans sa rédaction antérieure au Protocole no 14) de la Convention. Les organes de la Convention ont interprété de manière constante ces dispositions comme exigeant la poursuite de l’examen d’une affaire, en dépit de la conclusion d’un règlement amiable ou l’existence d’une cause de radiation du rôle. Il a en revanche déjà été jugé que cet examen ne s’imposait pas lorsqu’il existe une jurisprudence claire et très abondante sur la question relative à la Convention qui se pose dans l’affaire soumise à la Cour (voir, entre autres, Van Houten c. Pays-Bas (radiation), no 25149/03, CEDH 2005-IX, et Kavak c. Turquie (déc.), no 34719/04 et 37472/05, 19 mai 2009).

60.  En l’espèce, la Cour estime qu’aucun impératif tiré de l’ordre public européen auquel participent la Convention et ses Protocoles ne justifie de poursuivre l’examen du grief.

61.  En effet, ledit grief pose la question du droit au délai raisonnable en matière pénale et notamment celle de la durée de la procédure principale dans le cadre du remède introduit par la loi « Pinto », qui ont fait l’objet d’une jurisprudence copieuse de la Cour (voir, entre autres, Cocchiarella c. Italie [GC], précité, Simaldone c. Italie, no 22644/03, 31 mars 2009 et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, CEDH 2000-IV).

62.  Dans ces conditions, la Cour estime que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de ce grief.

63.  Enfin, s’agissant de la troisième condition posée par le nouveau critère de recevabilité, qui exige que l’affaire ait été « dûment examinée » par un tribunal interne, la Cour rappelle qu’elle vise à garantir que toute affaire fera l’objet d’un examen juridictionnel soit sur le plan national, soit sur le plan européen. Cette clause reflète également le principe de subsidiarité, tel qu’il ressort notamment de l’article 13 de la Convention, qui exige que des recours effectifs contre les violations soient disponibles au niveau national (Korolev, précitée). Combinée à la clause de sauvegarde précédente, elle garantit que ne sont pas en jeu devant la Cour des questions sérieuses d’application ou d’interprétation de la Convention et de ses Protocoles, ou des questions importantes relatives au droit national (voir le Rapport explicatif au Protocole no 14, § 83).

64.  En l’espèce, la Cour constate que la question portant sur la durée de la procédure pénale a été examiné à deux reprises par le juge d’appel et par le juge de cassation compétents aux termes de la loi « Pinto », le requérant ayant soumis à ce dernier les moyens tirés du refus de la cour d’appel de lui accorder une indemnisation pécuniaire.

65.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’affaire a été dûment examinée par un tribunal interne, aucune question sérieuse relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou au droit national n’ayant été laissée sans réponse.

66.  Les conditions du nouveau critère de recevabilité étant réunies, la Cour estime que ce grief doit être déclaré irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 3 b) et 4 de la Convention.

B.  Sur la durée de la procédure « Pinto »

67.  La Cour observe que le requérant invoque une violation de l’article 6 de la Convention du fait de la durée prétendument excessive de la procédure « Pinto ».

68.  Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur ce point.

1. Les principes applicables

69.  Quant au délai qui peut être considéré raisonnable au sens de l’article 6 § 1, la Cour rappelle que les critères applicables ne sauraient être ceux adoptés pour évaluer la durée des procédures ordinaires, eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto » et au fait que ces affaires ne revêtent normalement aucune complexité. Dans le cadre d’un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive des procédures, une diligence particulière s’impose aux États afin que la violation soit constatée et redressée dans le plus bref délai possible (Belperio et Ciarmoli c. Italie, no 7932/04, § 42, 21 décembre 2010).

70.  En ce qui concerne la phase judiciaire de la procédure, dans l’affaire Vaney c. France (no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004) où le requérant se plaignait de la durée d’une procédure pénale ainsi que de la durée d’un recours en responsabilité de l’État pour la lenteur de celle-ci, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention aussi en relation à la durée de la deuxième procédure.

71.  Dans l’affaire Cocchiarella (précité, § 99), la Cour a indiqué que le délai de quatre mois prévu par la loi « Pinto » respecte l’exigence de célérité requise pour un recours effectif. Toutefois, elle a accepté que des durées de neuf mois pour une instance et de quatorze mois pour deux instances pouvait passer pour raisonnables, bien que dépassant le délai prévu par la loi « Pinto » (Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, § 98, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 97, 29 mars 2006).

72.  Plus récemment, dans l’affaire Belperio et Ciarmoli (précité, § 48), la Cour a considéré déraisonnable une procédure « Pinto », ayant duré deux ans et huit mois pour un degré de juridiction, y compris la phase de l’exécution. En outre, lors de la communication de cette même affaire, le 9 juin 2009, la Cour a fixé à environ un an et six mois (pour un degré de juridiction, plus phase d’exécution) et deux ans et six mois (pour deux degrés de juridiction, y compris phrase d’exécution) le délai dans lequel une procédure Pinto globalement considérée devrait s’achever pour être considérée raisonnable.

73.  À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’afin de satisfaire aux exigences du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, la durée d’une procédure « Pinto » devant la cour d’appel compétente et la Cour de cassation, y incluse la phase d’exécution de la décision, ne devrait pas, en principe et sauf circonstances exceptionnelles, dépasser deux ans et six mois.

2. L’application au cas d’espèce

74.  La Cour note que la procédure « Pinto », débutée le 16 octobre 2001, s’est achevée le 6 décembre 2006 et a donc duré cinq ans et un mois (à ramener à quatre ans et deux mois compte tenu des retards imputables au requérant) pour deux degrés de juridictions. La Cour remarque aussi que, le requérant n’ayant obtenu aucune indemnisation, la procédure « Pinto » n’a pas eu de phase d’exécution.

75.  Même à supposer que la procédure en question revêtait une complexité particulière du fait des nombreux renvois au cours de la procédure principale, soit trois devant la cour d’appel et autant devant la Cour de cassation, la Cour souligne que sa durée a largement dépassé le délai susmentionné de deux ans et six mois, d’autant plus qu’elle n’a comporté aucune phase d’exécution.

76.  Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à un jugement dans un délai raisonnable.

II.  GRIEF TIRÉ DU MANQUE D’EFFECTIVITÉ DU REMÈDE PINTO EN RAISON, D’UNE PART, DE LA NON-APPLICATION, PAR LES JURIDICTIONS INTERNES DES CRITÈRES D’INDEMNISATION ÉTABLIS PAR LA COUR ET, D’AUTRE PART, DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE « PINTO » (ARTICLES 1, 13 et 46 DE LA CONVENTION)

77.  La Cour estime que ces griefs devraient être analysés uniquement sous l’angle de l’article 13, qui se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

78.  La Cour rappelle, d’une part, que l’article 13 ne saurait s’interpréter comme exigeant un recours interne pour tout grief, si injustifié soit-il, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, série A no 131, § 52, 24 avril 1988). Dans la présente affaire, la Cour vient de conclure que les griefs du requérant tirés de la durée de la procédure principale et du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto » sont irrecevables pour absence de préjudice important (voir § 66 ci-dessus). Ces mêmes considérations l’amènent à conclure, sous l’angle de l’article 13, que l’on n’était pas en présence de griefs défendables (voir, parmi beaucoup d’autres, Al-Shari et autres c. Italie (déc.), no 57/03, 5 juillet 2005, Walter c. Italie (déc.), no 18059/06, 11 juillet 2006, et Schiavone c. Italie (déc.), no 65039/01, 13 novembre 2007). L’article 13 ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.

79.  De l’autre part, la Cour rappelle que, selon la jurisprudence Delle Cave et Corrado (nº 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007) et Simaldone (précité, § 83), ni l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ni la circonstance que la loi « Pinto » ne permet pas d’indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais prend en compte le seul préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable ne remettent pas en cause, pour l’instant, l’effectivité de cette voie de recours.

80.  Tout en soulignant qu’on ne peut exclure que la lenteur excessive du recours indemnitaire en affecte son caractère adéquat (Cocchiarella, précité, § 86), la Cour considère que la durée de la procédure constatée en l’espèce, bien qu’entraînant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas suffisamment importante pour remettre en cause l’effectivité du remède « Pinto », eu égard aussi à l’existence d’une phase supplémentaire de renvoi.

81.  Il y a lieu en l’espèce de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PROCÉDURE CIVILE

Les principes exposés en matière de procédure d'accusation pénale, trouvent entière application en matière de procédure civile.

CALCUL DES DÉLAIS

Le point de départ du délai de procédure est l'acte d'introduction de l'instance.

La fin du délai est le premier jour où la décision interne est devenue définitive sans possibilité de recours.  

Une estimation "globale" du délai trouve aussi application dans les procédures civiles particulièrement longue:

TITAN TOTAL GROUP S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA du 6 juillet 2021 requête n° 61458/08

article 6-1 : un délai de onze mois d'inexécution une décision est trop long. Article 13 : 18 mois pour deux degrés de juridictions est raisonnable.

(a)  La violation alléguée de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1

  1. Période d’inexécution à considérer

72.  La Cour note que le grief tiré de l’inexécution s’appuie sur deux décisions de justice distinctes, soit celle du 3 novembre 2008 et celle du 22 juin 2010. Il convient donc de déterminer un par un les délais d’inexécution observés relativement à chacune de ces décisions.

73.  En premier lieu, en ce que concerne le jugement avant-dire droit du 3 novembre 2008, la Cour observe qu’il était devenu exécutoire et que l’huissier de justice a d’ailleurs déclenché une procédure d’exécution le 24 novembre 2008.  Le titre d’exécution ayant fait l’objet de cette procédure resta donc en vigueur jusqu’à la date de son annulation par la cour d’appel le 12 janvier 2009.

74.  Il s’ensuit que cette période initiale d’environ deux mois durant laquelle le titre resta valable, doit être prise en compte.

75.  En deuxième lieu, s’agissant du jugement du 22 juin 2010, la Cour observe que, dans le cadre du recours indemnitaire exercé par la société requérante, en vertu de la loi no 87/2011, les tribunaux internes ont tenu pour acquis une période de onze mois d’inexécution – qu’ils ont du reste estimé raisonnable –, écoulée entre la date à laquelle ce jugement est devenu exécutoire, à savoir le 17 décembre 2010, et la date de l’introduction de l’action en dédommagement, le 18 novembre 2011.

76.  Sans préjuger du bien-fondé du grief tiré de la durée de cette procédure, qui sera examiné plus loin (paragraphe 81 et suite ci-dessus), la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que le recours indemnitaire introduit par la loi no 87/2011 apparaissait comme inefficace, dans l’hypothèse où la décision condamnatoire en découlant n’a pu empêcher l’écoulement d’une nouvelle période d’inexécution de l’arrêt principal (Cristea, précité, § 35). En conséquence, elle a estimé qu’il aurait été injuste de demander au requérant d’introduire un nouveau recours sur le fondement de la loi no 87 pour la période écoulée après l’épuisement initial du recours indemnitaire et examina la durée de procédure dans son ensemble (ibidem, § 44).

77.  Or, une telle approche ne s’impose pas en l’espèce, dès lors que la première procédure déclenchée par la société requérante sur le fondement de la loi no 87 n’a pas abouti à une décision condamnatoire, faute d’un constat de dépassement du délai raisonnable (paragraphe 75 in fine ci-dessus), et celle-ci ne saurait dès lors entraîner une violation de l’article 6 de la Convention, telle qu’encadrée par la jurisprudence de la Cour en la matière (voir, entre autres, Musci c. Italie [GC], no 64699/01, §116, CEDH 2006‑V (extraits)).

78.  Certes, la période d’inexécution qui s’étale jusqu’à présent soulève un problème certain au regard de ce même corpus jurisprudentiel. Toutefois, la société requérante a omis d’introduire un nouveau recours indemnitaire pour dénoncer le délai d’inexécution ultérieur à celui examiné par la cour d’appel (pour une approche similaire, voir Becová c. Slovaquie (déc.), no 23788/06, 18 septembre 2007, et Berková c. Slovaquie, no 67149/01, § 136, 24 mars 2009).

79.  Aussi, la Cour estime qu’elle n’est tenue de prendre en considération que la durée d’inexécution du jugement du 22 juin 2010 ayant fait l’objet d’un examen par la cour d’appel, à savoir onze mois (Gattuso c. Italie (déc.), no 24715/04, 18 novembre 2004).

80.  Partant, la durée totale d’inexécution à apprécier sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention est de treize mois environ (paragraphes 74 et 79 ci-dessus).

  1. Caractère raisonnable de la durée de la procédure d’exécution

81.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

82.  Se rapportant à sa jurisprudence concernant la durée qui serait contraire aux exigences de l’article 6, en matière d’exécution de jugements, la Cour estime que les conclusions de la cour d’appel concernant une période d’inexécution d’une durée inférieure à un an se trouvent justifiées en l’espèce (voir parmi d’autres Grishchenko c. Russie (dec.), no 75907/01, 8 juillet 2004, Osoian c. Moldova (déc.), no 31413/03, 28 février 2006), d’autant plus que la société requérante n’a fait valoir ni devant les juridiction internes, ni devant la Cour aucune circonstance qui aurait requis une diligence particulière des autorités dans la procédure litigieuse (voir, a contrario, Ungureanu c. Moldova, no 27568/02, § 28, 6 septembre 2007).

83.  À cet égard, encore faut-il souligner que la créance acquise par la société requérante avait à l’origine la dette historique accumulée par M. Malgré l’échec de l’exécution forcée entamée par T. le 24 avril 2007, le directeur de la société requérante avait sciemment pris le risque inhérent à pareille transaction impliquant une entreprise étatique fortement endettée. En l’occurrence, la Cour ne voit donc pas en quoi l’exécution du jugement aurait légitimement pu revêtir une importance toute particulière pour la société requérante, censée avoir agi selon l’art du commerce en acceptant un accord de cession aussi hasardeux que celui en cause en l’espèce.

84.  Compte tenu de sa conclusion au paragraphe 74 ci-dessus, même en considérant que la période d’inexécution, aurait dû prendre en compte l’inexécution du titre émis le 18 novembre 2008, la Cour parvient à la conclusion que le délai d’inexécution dénoncé en l’espèce, soit un peu plus d’un an, ne saurait passer pour déraisonnable (voir, entre autres, Gerasimov et autres c. Russie, nos 29920/05 et 10 autres, § 169, 1er juillet 2014).

85.  La Cour conclut donc à l’absence de violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 pour ce qui est de l’exécution des jugements rendus le 3 novembre 2008 et le 22 juin 2010.

b)     La violation alléguée de l’article 13 de la Convention

86.  La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur le remède introduit par la loi no 87/2011 et elle a tranché qu’il n’était pas ineffectif (voir Balan c. Moldova, précité, Manascurta c. Moldova (déc.), no 31856/07, 14 février 2012).

87.  S’agissant de la durée – dont se plaint la société requérante – des procédures fondées sur cette loi, la Cour rappelle qu’elle a déjà statué sur la manière dont celles-ci avaient été organisées, notamment par un délai d’examen de trois mois au fond et l’exclusion de l’appel comme voie de recours, était propre à assurer la célérité voulue (Balan c. Moldova, précité), étant entendu que dans l’intervalle, les dispositions y afférents ont été modifiées afin de réintroduire l’examen en appel (paragraphe 43 ci-dessus).

88.  En l’occurrence, la société requérante a, de ce fait, dû parcourir trois degrés de juridiction, ce qui a entrainé un rallongement du délai de la procédure de 12 mois en appel, soit 18 mois au total.

89.  La Cour rappelle que les critères applicables à la durée des procédures concernant un recours indemnitaire ne sauraient être ceux adoptés pour évaluer la durée des procédures ordinaires, eu égard notamment au fait que ces premières ne revêtent normalement aucune complexité particulière (voir Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 69, CEDH 2012 (extraits). Elle a estimé en outre qu’une diligence particulière s’impose aux États afin que la violation soit constatée et redressée dans le plus bref délai et que, sauf circonstances exceptionnelles, ce délai ne pouvait dépasser deux ans et six mois, phase d’exécution comprise (ibidem, § 73).

90.  Dans la présente affaire, la procédure engagée sur la loi no 87 n’ayant pas entraîné une durée supérieure à ce délai, l’on ne saurait conclure que le recours a été ineffectif de par sa durée excessive.

91.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention.

BASA c. TURQUIE du 15 janvier 2019 requêtes n° 18740/05 et 19507/05

110. La Cour rappelle que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a notamment précisé qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note qu’en l’espèce le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception relativement à ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente requête (Ergezen c. Turquie, no 73359/10, § 63, 8 avril 2014).

111. Elle constate que le grief ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité que la Cour puisse soulevé d’office et qu’il n’est pas manifestement mal fondé. Partant, elle le déclare recevable.

112. Sur le fond, elle relève que la procédure a débuté le 5 juillet 1984 et qu’elle s’est achevée le 24 octobre 2004. A partir du 28 janvier 1987, date de la prise d’effet de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Turquie, celle-ci a duré plus de 17 années.

113. Compte tenu des circonstances de l’espèce et de sa jurisprudence en la matière (voir par exemple Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII ou Ümmühan Kaplan c. Turquie, no 24240/07, §§ 45 à 50, 20 mars 2012), la Cour estime que durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

114. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

GAVRILĂ ET AUTRES c. ROUMANIE Requête n° 27514/04 et 2 autres requêtes

Article 6-1 : délai non raisonnable d'une procédure civile.

6. Les requérants allèguent principalement que la durée de la procédure civile en question est incompatible avec l’exigence du « délai raisonnable ». Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

7. La Cour rappelle que la durée « raisonnable » d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

8. Dans l’arrêt de principe Vlad et autres c. Roumanie, nos 40756/06, 41508/07 et 50806/07, 26 novembre 2013, la Cour a conclu à la violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

9. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé des griefs en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

10. Il s’ensuit que ces griefs sont recevables et révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

THYMIATZIS c. GRÈCE du 20 avril 2017 Requête no 71999/12

Violation de l'article 6-1 pour délai non raisonnable. Une durée de cinq ans et neuf mois pour trois instances de procédure.

19. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

20. Elle rappelle également que la procédure devant les juridictions civiles est régie par le principe de l’initiative des parties. Par ailleurs, elle dit avoir déjà noté que seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Cependant, même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 de la Convention (Litoselitis c. Grèce, no 62771/00, § 30, 5 février 2004).

21. En l’espèce, la Cour considère que l’affaire ne présentait pas en soi de complexité particulière. En ce qui concerne la procédure devant le tribunal de première instance, elle observe que celle-ci a duré trois ans et trois mois environ, du 25 juin 2002 au 19 septembre 2005. Elle relève d’emblée que les parties au litige ont demandé l’ajournement des audiences à trois reprises (paragraphe 7 ci‑dessus).

22. La Cour note l’argument du Gouvernement selon lequel la période de deux ans et trois mois environ pendant laquelle trois audiences devant le tribunal de première instance d’Athènes ont été ajournées (paragraphe 17 ci‑dessus) ne saurait être imputée aux autorités nationales. Elle rappelle à cet égard que l’État est responsable de l’ensemble de ses services, et non pas uniquement de ses organes judiciaires (Moreira de Azevedo c. Portugal, 23 octobre 1990, § 73, série A no 189, et Lalousi‑Kotsovos c. Grèce, no 65430/01, § 24, 19 mai 2004). Par conséquent, elle relève que, en l’espèce, les lenteurs dont l’hôpital psychiatrique d’Athènes, à savoir un hôpital public, est responsable sont imputables aux autorités nationales. En outre, le dossier ne permet pas d’établir laquelle des parties au litige a demandé les ajournements devant le tribunal de première instance. La Cour admet en particulier que, certes, le report de l’examen de l’affaire au 8 décembre 2003 en raison de l’absence des parties, dont celle du requérant, peut être attribué à ce dernier (paragraphe 7 ci-dessus). Cependant, elle constate que la partie défenderesse a, dès le 11 décembre 2003, soit dans un bref délai, demandé une nouvelle date d’audience ; or celle-ci a été fixée au 29 septembre 2004, soit environ dix mois plus tard. Elle rappelle que même dans les cas où, comme en l’espèce, la procédure est régie par le principe de l’initiative des parties, la notion de délai raisonnable exige que les tribunaux suivent aussi le déroulement de la procédure et soient plus attentifs tant lorsqu’il s’agit de consentir à une demande d’ajournement qu’en ce qui concerne la période de temps à laisser écouler lors de la fixation de la date de la prochaine audience (voir, en ce sens, Roïdakis c. Grèce, no 7629/05, § 18, 21 juin 2007).

23. En ce qui concerne les procédures devant la cour d’appel et la Cour de cassation, la Cour relève qu’elles ont été menées à un rythme soutenu. Elle note que la procédure a duré environ un an en appel et environ un an et demi en cassation. Elle observe que le requérant a attendu environ un an et onze mois avant d’interjeter appel (paragraphes 8 et 9 ci-dessus) et environ deux ans et quatre mois avant de se pourvoir en cassation (paragraphes 10 et 11 ci-dessus) et estime que ces délais ne sauraient être imputés aux autorités compétentes (voir aussi Lada et autres c. Grèce [comité], no 24610/12, § 17, 6 octobre 2015).

24. Ainsi, même en déduisant les périodes d’inactivité mentionnées aux paragraphes 22 et 23 ci-dessus, qui peuvent être imputées au requérant, la Cour estime pouvoir conclure au dépassement du délai raisonnable en se fondant sur la restante durée de la procédure, à savoir cinq ans et neuf mois environ pour trois instances.

25. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour constate que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant justifier la durée de la procédure. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle conclut que, en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse était excessive et ne répondait pas à l’exigence du délai raisonnable.

26. Partant, elle juge qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

XOFAKI c. GRÈCE du 20 avril 2017 requête n° 78778/12

Violation de l'article 6-1 pour délai non raisonnable. Une durée de six ans et 11 mois pour trois instances de procédure.

21. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

22. Elle rappelle également que la procédure devant les juridictions civiles est régie par le principe de l’initiative des parties. Par ailleurs, elle rappelle encore que seules les lenteurs imputables aux autorités judiciaires compétentes peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable contraire à la Convention. Même dans les systèmes juridiques consacrant le principe de la conduite du procès par les parties, l’attitude des intéressés ne dispense pas les juges d’assurer la célérité voulue par l’article 6 § 1 de la Convention (voir, Litoselitis c. Grèce, no 62771/00, § 30, 5 février 2004).

23. En l’espèce, la Cour considère que l’affaire ne présentait pas en soi de complexité particulière. Elle relève d’emblée que les procédures devant le tribunal de première instance et devant la cour d’appel ont été menées à un rythme soutenu, et que la procédure a duré moins de neuf mois en première instance et environ deux ans et cinq mois en appel.

24. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement consistant à dire que l’hôpital public a mis un an et huit mois environ pour demander la fixation d’une date d’audience devant la cour d’appel (paragraphe 18 ci‑dessus) et que ce laps de temps n’est pas imputable aux autorités compétentes. Elle rappelle cependant à cet égard que l’État est responsable de l’ensemble de ses services, et non pas uniquement de ses organes judiciaires (voir, Moreira de Azevedo c. Portugal, 23 octobre 1990, § 73, série A no 189, et Lalousi‑Kotsovos c. Grèce, no 65430/01, § 24, 19 mai 2004). Par conséquent, elle considère que, en l’espèce, la période d’inactivité d’environ un an et huit mois susmentionnée est imputable aux autorités nationales.

25. Quant à la procédure devant la Cour de cassation, la Cour constate qu’elle a duré environ cinq ans et dix mois. Toutefois, elle note que la requérante est responsable des retards dans le déroulement de cette procédure. Elle relève en particulier que la requérante a attendu environ un an et onze mois après la saisine de la haute juridiction pour demander la fixation de la première date d’audience, puis environ trois mois après la décision no 2189/2009 prononçant l’irrecevabilité de l’audience (paragraphe 11 ci‑dessus) pour demander la fixation d’une nouvelle date d’audience et, enfin, huit mois après l’ajournement de l’audience du 14 décembre 2010 (paragraphe 12 ci-dessus) pour demander la fixation d’une nouvelle date d’audience. Elle estime que ces délais ne sauraient être imputés aux autorités nationales.

26. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les seules périodes qui ne sauraient être imputées au comportement des autorités internes sont celles mentionnées au paragraphe 25 ci-dessus. Quant à la responsabilité des autorités judiciaires en la matière, la Cour réaffirme qu’il incombe aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir, Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, § 47, 30 octobre 2012). Elle ajoute que, même dans les cas où, comme en l’espèce, la procédure est régie par le principe de l’initiative des parties, la notion de « délai raisonnable » exige que les tribunaux suivent aussi le déroulement de la procédure et soient plus attentifs en ce qui concerne le laps de temps entre deux audiences (voir, Philippos Ioannidis c. Grèce, no 7629/05, § 21, 19 juin 2008). La Cour prend note de l’argument du gouvernement selon lequel la totalité de la période d’inactivité d’environ deux ans ne peut être imputée aux autorités nationales (paragraphe 19 ci‑dessus). Elle estime cependant que la période d’inactivité allant du 29 septembre 2009, date de la première audience, au 24 novembre 2009, date de publication de la décision no 2189/2009 prononçant l’irrecevabilité de l’audience susmentionnée pour des raisons imputables aux parties au litige, dont l’hôpital public (paragraphes 10 et 11 ci-dessus), ne saurait être attribuée uniquement à la requérante. Elle juge qu’il en va de même pour la période du 22 février 2010, date à laquelle la requérante a demandé la fixation d’une nouvelle date d’audience, au 14 décembre 2010, date à laquelle l’audience a été fixée (paragraphe 12 ci‑dessus).

27. Ainsi, même en déduisant les périodes d’inactivité mentionnées au paragraphe 25 ci-dessus ainsi que le délai d’environ un an entre la date à laquelle la cour d’appel a rendu son arrêt et la date à laquelle la requérante s’est pourvue en cassation (paragraphes 9 et 10 ci-dessus), qui peuvent être imputées à l’intéressée (voir aussi, Giavi c. Grèce, no 25816/09, § 62, 3 octobre 2013, Evropaïkai Diakopai-European Holidays A.E. c. Grèce [comité], no 44685/09, § 69, 7 avril 2016, et Lada et autres c. Grèce (déc.) [comité], no 24610/12, § 17, 6 octobre 2015), la Cour estime pouvoir conclure au dépassement du délai raisonnable en se fondant sur la durée de la procédure restante, à savoir environ six ans et onze mois pour trois instances.

28. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour conclut que, en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

29. Partant, elle juge qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Politi et autres C. Grèce du 20 avril 2016 requête n° 18875/14

Violation de l'article 6-1 et 13 pour délai non raisonnable. Une durée de cinq ans et cinq mois pour une instances de procédure.

a) Sur la période à prendre en considération

21. La Cour note que la période à considérer a débuté le 19 janvier 2005, avec la saisine du tribunal administratif de première instance d’Athènes par le requérant susmentionné, et qu’elle s’est terminée le 28 juin 2010, date à laquelle ladite juridiction a rendu sa décision. Cette période a donc duré plus de cinq ans et cinq mois pour une instance.

b) Sur le caractère raisonnable de la durée de la procédure

22. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 34, 21 décembre 2010).

23. La Cour rappelle également que l’article 13 de la Convention garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

24. Elle rappelle aussi avoir traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce et avoir constaté la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention (Vassilios Athanasiou et autres, précité).

25. En l’occurrence, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ni argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

26. S’agissant de l’article 13 de la Convention, étant donné que la loi no 4055/2012 (paragraphe 10 ci-dessus) ne couvrait pas la procédure devant le tribunal administratif de première instance, la Cour note que le requérant concerné n’a pas disposé, à l’époque des faits, d’un recours effectif qui lui aurait permis d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

27. Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

AMSARELOS ET 40 AUTRES c. GRÈCE du 17 septembre 2015, requête 26666/09

Violation de l'article 6-1 pour délai non raisonnable, sans calculer les délais, le délai global de la procédure pour se faire reconnaître propriétaire, est de 14 ans entre 1994 et 2008. Attendre peut parfois être profitable à l'État puisque la requérante n° 26 est décédée avant la fin de la procédure. L'État ne peut pas être condamné faute de requérant vivant !

SUR LA SITUATION DE LA REQUÉRANTE INDIQUÉE SOUS LE No 26

20. Il ressort du dossier que la requérante sous le no 26, D. Vasdeki, est décédée à une date non précisée. La Cour note qu’aucun héritier de la requérante n’a manifesté son intérêt à poursuivre la requête devant la Cour.

21. La Cour estime donc qu’il échet de disjoindre la cause de ladite requérante de celles des autres intéressés et de la rayer du rôle.

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

33. La Gouvernement rappelle que la procédure devant les juridictions civiles est régie par le principe d’initiative des parties. Il estime que certains intervalles de temps ne devraient pas lui être imputés et que les requérants sont eux-mêmes responsables de certains retards ayant demandé, parmi d’autres, l’ajournement de l’instance à une reprise devant la Cour de cassation et ayant contribué par leur comportement à prolonger la durée de la procédure. Le Gouvernement excipe encore de la complexité des questions de droit et de fait posées par l’affaire.

34. Les requérants soutiennent qu’ils n’ont pas contribué à l’allongement de la procédure et que la durée de celle-ci a été excessive.

35. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

36. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Glykantzi c. Grèce, no 40150/09, 30 octobre 2012).

37. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Plus précisément, elle note que la présente affaire ne présentait pas de complexité particulière. Elle estime que même si les requérants sont responsables d’une période d’un an environ de retard devant la Cour de cassation, ayant demandé l’ajournement de l’audience à une reprise, il n’en demeure pas moins que la période restante a été excessive. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

38. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne la durée de la procédure litigieuse quant aux requérants indiqués sous les nos 1 ‑ 21, 24 – 25 et 27- 41.

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE EXCESSIVE DE LA PROCÉDURE

41. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

42. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir Glykantzi, précité, § 54, et les références qui s’y trouvent citées).

43. La Cour note que le 20 février 2014 est entrée en vigueur la loi no 4239/2014, portant sur la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes. En vertu de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure devant les juridictions civiles dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative (voir paragraphe 18 ci-dessus). Cependant, la Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires, comme en l’espèce, terminées six mois avant son entrée en vigueur. Partant, les requérants ne pouvaient pas exercer ledit recours.

44. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention quant aux requérants indiqués sous les nos 1 - 21, 24 – 25 et 27 – 41 en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui leur aurait permis d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Berlin contre Luxembourg du 15/07/2003 Hudoc 4484 requête 44978/98

"En l'espèce, la procédure de divorce a duré un peu plus de 17 ans. Vu tel laps de temps, quelle que soit l'attitude des parties aux procès, se concilie mal avec l'efficacité et la crédibilité de la justice, exigés par la Convention"

Dans l'affaire du sang contaminé qui a occulté le virus du S.I.DA à des malades, la Cour a sanctionné le délai des procédures:

Le 22 avril 1998, arrêt Pailot contre France et arrêt Richard contre France

Le 29 avril 1998, arrêt Henra contre France et arrêt Leterme contre France

Le 30 octobre 1998, arrêt F.E contre France.

Bien que les délais soient relativement courts au regard des délais habituels des juridictions judiciaires françaises (trois ans pour trois degré de juridiction) et bien que les malades aient obtenu une partie de la réparation devant une commission nationale ad hoc, le fait que la maladie occultée les tue à court terme, doit contraindre les tribunaux à apporter une célérité particulière du fait de "l'enjeu du litige".

LE COMPORTEMENT DES AUTORITÉS JUDICIAIRES

Arrêt Wiot contre France du 07/01/2003 Hudoc 4077 requête 43722/98

"se doivent d'accélérer les procédures suivant l'enjeu du litige pour le requérant. Tel est d'autant plus le cas en matière de conflits du travail qui, portant sur des points qui sont d'une importance capitale pour la situation professionnelle d'une personne, doivent être résolues avec une célérité toute particulière (voir Obermeir contre Autriche 28/06/1990 série A n°179 p23 §72; Buchhobz contre Allemagne 06/05/1981 série A n°42 §16, §50 et §52 et, mutatis mutandis, X contre France du 31 mars 1992, série A n°234-C p90 §32) Il s'agit en l'espèce d'une procédure par laquelle le requérant contestait son licenciement et l'enjeu du litige exigeait donc une célérité des juridictions internes. Toutefois la Cour rappelle que seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à constater un dépassement du "délai raisonnable"

La Cour constate les "trous": 11 mois pour que la demande d'A.J soit traitée; 2 ans pour que le juge rapporteur soit désigné dans le cadre de la Cour de Cassation; aucune décision dans le cadre de la procédure en rectification matérielle puisque cette procédure est considérée dans l'examen du délai non raisonnable de l'ensemble de la procédure civile.

LE COMPORTEMENT DU REQUÉRANT

Borderie contre France du 27/05/2003 Hudoc 4358 requête 53112/99

"§38: La Cour relève qu'il ressort clairement du dossier que les parties, et particulièrement le requérant, ont produit d'abondantes et volumineuses conclusions et pièces, formé de nombreux recours incidents, et soulevé d'innombrables contestations devant les juridictions internes. Les juges de la mise en état ont, quant à eux, fixé des délais aux parties pour conclure, tout en première instance qu'en appel : ils leur ont donné des injonctions de conclure et de communiquer des pièces à de multiples reprises. En outre, ils ont rendu des ordonnances de clôture et fixé des dates d'audience à intervalles réguliers, qui ont cependant dû être reportées faute pour les parties d'avoir conclu dans les délais. La Cour en déduit que la durée de la procédure litigieuse n'est sans aucun doute pas imputable aux autorités judiciaires"

L'ENJEU DU LITIGE EN MATIÈRE DE PROCÉDURE CIVILE EST DEVENU LE QUATRIÈME CRITÈRE

Arrêt Rezette contre Luxembourg du 13/07/2002 Hudoc 5213 requête 73983/01

"§34: La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de la requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés"

DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE PLAINTE

AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE

La Cour considère qu'une plainte avec constitution de partie civile vaut "contestations sur ses droits et obligations de caractère civil" prévues par l'article 6§1 de la Convention. Les juridictions doivent donc être diligentes pour que les plaintes soient examinées dans un délai raisonnable. Les règles en matière d'accusation pénale trouvent entière application.

LE CALCUL DES DELAIS

Le point de départ est le jour de la réception de la plainte avec constitution de partie civile.

La fin du délai est le premier jour où la décision est devenue définitive car  susceptible d'aucun recours.

Une "estimation globale" d'un délai particulièrement long, trouve application, en matière de plainte avec constitution de partie civile.

Petrella c. Italie du 18 mars 2021 requête no 24340/07

Art 6 et 13 : La durée excessive d’une procédure pour diffamation et le défaut d’accès à un tribunal ont conduit à la violation des droits du requérant

L’affaire concerne la durée des investigations préliminaires menées dans le cadre de la procédure pénale engagée contre ses accusateurs par le requérant pour diffamation, l’absence d’un recours effectif permettant à ce dernier de se plaindre à cet égard et le classement sans suite de la plainte de l’intéressé en raison de la prescription. La Cour observe que la période des investigations préliminaires avant le classement sans suite de l’affaire a duré cinq ans et six mois environ. Cette durée excessive de la procédure n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ». C’est exclusivement en raison du retard des autorités de poursuite et de la prescription de l’infraction que le requérant n’a pas pu présenter sa demande de dédommagement et qu’il n’a pas pu voir statuer sur cette demande dans le cadre de la procédure pénale. Le comportement fautif des autorités a privé le requérant de la possibilité de voir ses prétentions de caractère civil tranchées dans le cadre de la procédure qu’il avait choisie, mise à sa disposition par l’ordre juridique interne. La Cour rappelle qu’on ne saurait exiger d’un justiciable qu’il introduise une action aux mêmes fins en responsabilité civile devant la juridiction civile, après le constat de prescription de l’action pénale en raison de la faute de la juridiction pénale. Enfin, le recours de la loi « Pinto » ne s’appliquant pas à la partie lésée qui n’a pas pu se constituer partie civile dans une procédure pénale, la Cour constate l’absence en droit interne du recours qui aurait permis au requérant de se prévaloir de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

FAITS

Le requérant, M. Vicenzo Petrella, est un ressortissant italien, né en 1951 et résidant à Caserte. Avocat de profession, il était également, à l’époque des faits, président d’une équipe de football la « Casertana »

Entre le 22 et le 25 juillet 2001, le journal Corriere di Caserta, publia plusieurs articles avec photo, portant à l’encontre de M. Petrella de lourdes accusations de fraudes et de corruption financière. Estimant que ces articles attentaient à son honneur et à sa réputation, M. Petrella porta plainte le 28 juillet 2001 pour diffamation aggravée par voie de presse. Dans sa plainte, il précisait qu’il entendait se constituer partie civile dans la procédure et demander dix milliards de lires italiennes (soit cinq millions d’euros) de dommages-intérêts. Le 10 septembre 2001, l’affaire fut déférée au parquet du tribunal de Salerne. Le 9 novembre 2006, le procureur demanda le classement sans suite de la plainte, en raison de la prescription de l’infraction pénale dénoncée. Le 17 janvier 2007, le juge des investigations préliminaires de Salerne classa la procédure sans suite. Selon l’article 79 du code de procédure pénale, la partie lésée ne peut se constituer partie civile qu’à compter de l’audience préliminaire, moment de la procédure où le juge est appelé à décider si l’accusé doit être renvoyé en jugement.

Article 6 § 1

La Cour observe que la période à prendre en compte débute le 28 juillet 2001, date du dépôt de la plainte du requérant, et s’achève le 17 janvier 2007, date de la décision de classement sans suite. Cette période a duré cinq ans et six mois environ pour la seule phase des investigations préliminaires. L’affaire n’était pas spécialement complexe et, pendant cette période, aucune activité d’enquête n’a eu lieu. Le Gouvernement n’a pas fourni d’arguments pour justifier la nécessité d’une telle durée pour des investigations préliminaires. La Cour conclut donc à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure qui n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ». La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence suivant laquelle elle avait conclu à la violation de l’article 6 de la Convention quand la clôture des poursuites pénales et le défaut d’examen de l’action civile étaient dus à des circonstances attribuables principalement aux autorités judiciaires, notamment à des retards excessifs de procédure ayant entraîné la prescription de l’infraction pénale. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a fait usage des droits qui lui étaient offerts en droit interne dans le cadre de la procédure pénale et qui lui auraient permis, au moment de l’audience préliminaire, de demander réparation du préjudice civil dont il se disait victime. La Cour observe que c’est exclusivement en raison du retard des autorités de poursuite et de la prescription de l’infraction que le requérant n’a pas pu présenter sa demande de dédommagement et qu’il n’a pas pu voir statuer sur cette demande dans le cadre de la procédure pénale. La Cour conclut que ce comportement fautif des autorités a eu pour conséquence de priver le requérant de voir ses prétentions de caractère civil tranchées dans le cadre de la procédure qu’il avait choisi de poursuivre, mise à sa disposition par l’ordre juridique interne. La Cour rappelle qu’on ne saurait exiger d’un justiciable qu’il introduise une action aux mêmes fins en responsabilité civile devant la juridiction civile après le constat de prescription de l’action pénale en raison de la faute de la juridiction pénale. L’engagement d’une telle action impliquerait la nécessité de rassembler de nouveau des preuves, que le requérant aurait la charge de produire, et l’établissement de l’éventuelle responsabilité civile pourrait s’avérer extrêmement difficile si longtemps après les faits. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un défaut d’accès à un tribunal.

Article 13

La Cour observe que les principes qui se dégagent de la « loi Pinto » (n° 89 de 2001) et de la jurisprudence interne confirment l’inapplicabilité du recours « Pinto » à la partie lésée qui n’a pas pu se constituer partie civile dans une procédure pénale. La Cour estime donc qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours permettant au requérant de se prévaloir de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Durée des investigations préliminaires ayant empêché le requérant de se constituer partie civile dans une procédure pénale et de demander réparation du préjudice civil • Action classée sans suite en raison de la prescription de l’infraction avant l’audience préliminaire à partir de laquelle la partie lésée peut se constituer partie civile • Comportement fautif des autorités • Art 6 applicable, le requérant ayant exercé au moins l’un des droits et facultés expressément reconnus par la loi interne • Plainte visant à faire valoir le droit de caractère civil à la protection de sa réputation • Introduction d’une action aux mêmes fins en responsabilité civile devant la juridiction civile ne pouvant être exigée

Art 6 § 1 (civil) • Délai raisonnable • Durée excessive de la procédure civile

Art 13 (+ Art 6) • Absence de recours interne effectif quant à la durée de la procédure

CEDH

Art 6

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure

37.  Le requérant soutient que la durée de la procédure a été excessive.

38.  Le Gouvernement n’a pas estimé utile de présenter des observations sur le fond au motif que, selon lui, l’article 6 § 1 n’est, en tout état de cause, pas applicable en l’espèce.

39.  La Cour souligne que la période à considérer dans le cadre d’une procédure pénale sous l’angle du « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 débute, pour la personne qui se prétend lésée par une infraction, au moment où celle-ci exerce l’un des droits et facultés qui lui sont expressément reconnus par la loi (Arnoldi, précité, § 48).

40.  En outre, la Cour rappelle que la durée raisonnable d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant, celui des autorités compétentes, et l’enjeu du litige pour l’intéressé (Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

41.  En l’espèce, la Cour constate que la période à prendre en compte a commencé le 28 juillet 2001, date du dépôt de la plainte du requérant, pour s’achever le 17 janvier 2007, date de la décision de classement sans suite adoptée par le juge des investigations préliminaires de Salerne. Cette période a donc duré cinq ans et six mois environ pour la seule phase des investigations préliminaires.

42.  De plus, la Cour constate que, selon les documents fournis par les parties, pendant la période susmentionnée, aucune activité d’enquête n’a eu lieu, et que l’affaire n’était pas spécialement complexe. Enfin, elle constate que le Gouvernement n’a pas fourni d’arguments à même de justifier des investigations préliminaires d’une telle durée.

43.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse a été excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

  1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention à raison d’un défaut d’accès à un tribunal

44.  Le requérant se plaint également d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison d’un défaut d’accès à un tribunal. En effet, la décision de classer l’affaire sans suite pour cause de prescription de l’action pénale était due, à son avis, à l’inaction du parquet, ce qui l’aurait empêché de se constituer partie civile et d’obtenir la protection de ses droits de caractère civil et l’examen de sa demande de dédommagement. Enfin, le fait de l’obliger à introduire par la suite une action devant les juridictions civiles aurait pu se révéler inutilement stérile et coûteux, notamment en cas d’insolvabilité ultérieure de la partie adverse.

45.  Le Gouvernement n’a pas estimé utile, une nouvelle fois, de présenter d’observations sur le fond au motif que, selon lui, l’article 6 § 1 n’est, en tout état de cause, pas applicable en l’espèce.

46.  La Cour estime que le grief concernant le défaut d’accès au tribunal pose une question distincte par rapport à celle de la durée de la procédure et par conséquent, conformément à l’approche suivie dans les arrêts Atanasova c. Bulgarie (no 72001/01, §§ 47 et 57, 2 octobre 2008) et Tonchev c. Bulgarie (no 18527/02, §§ 49 et 53, 19 novembre 2009), elle va l’examiner séparément.

47.  La Cour rappelle que toute personne dispose du droit à ce qu’un tribunal connaisse de ses contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Prince Hans‑Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001-VIII, et Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 54, 23 mars 2010).

48.  La Cour précise toutefois que ce droit n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande, de par sa nature même, une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient cependant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; la Cour doit se convaincre ainsi que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I). En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (Tsalkitzis c. Grèce, no 11801/04, § 44, 16 novembre 2006). Dans l’affaire Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 90 et 95, 5 avril 2018), la Cour a rappelé que lorsqu’une erreur procédurale empêche le requérant d’accéder à un tribunal, elle a habituellement tendance à faire peser la charge sur celui qui a commis cette erreur. Elle a ajouté, dans cette même affaire, qu’une restriction à l’accès à un tribunal est disproportionnée quand l’irrecevabilité d’un recours résulte de l’imputation au requérant d’une faute dont celui-ci n’est objectivement pas responsable.

49.  La Cour rappelle que, dans des affaires où était en cause l’absence d’examen au fond de constitutions de partie civile à raison de l’irrecevabilité des plaintes pénales auxquelles elles étaient jointes, elle a attaché de l’importance à l’accessibilité et à l’effectivité des autres voies judiciaires ouvertes aux intéressés pour faire valoir leurs prétentions, notamment des actions disponibles devant les juridictions civiles (Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/5, § 91, 4 octobre 2007). Dans les cas où elle a considéré que les requérants disposaient effectivement de pareils recours, elle a alors conclu à l’absence de violation du droit d’accès à un tribunal (Assenov et autres c. Bulgarie, no 24760/94, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1998–VIII, Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, §§ 53-55, 15 juillet 2003, Moldovan et autres c. Roumanie (no 2), no 41138/98 et 64320/01, §§ 119-122, 12 juillet 2005, Lacerda Gouveia et autres c. Portugal, no 11868/07, § 80, 1er mars 2011, et Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 198, 25 juin 2019).

50.  En particulier, la Cour n’a pas conclu à la violation de l’article 6 de la Convention dans le cas où les poursuites pénales n’avaient pas été menées ou avaient été abandonnées en raison du fait : qu’aucune infraction pénale n’avait été constatée (Georgi Georgiev c. Bulgarie (déc.), no 34137/03, 11 janvier 2011, Assenov et autres, précité, §§ 22-23, Moldovan et autres, précité, §§ 36-37, Forum Maritime S.A., précité, § 30, et Manolea et autres c. Roumanie (déc.), no 58162/14, § 23, 15 septembre 2020), ou que la procédure pénale s’était achevée en application d’un accord de « plaider coupable » (Nikolov c. Bulgarie (V) (déc.), no 39672/03, 28 septembre 2010) ou d’un privilège de juridiction (Ernst et autres, précité, § 49) ou en raison du décès de l’accusé (Manolea et autres, précité, § 23). Il en est allé de même pour les affaires où le requérant avait déjà saisi, en parallèle, le juge civil et obtenu un examen sur le fond avant l’abandon des poursuites (S.O.S. racisme – Touche pas à mon pote c. Belgique (déc.) no 26341/11, §§ 30-34, 12 janvier 2016, et, mutatis mutandis, Borobar et autres c. Roumanie, no 5663/04, §§ 59-60, 29 janvier 2013).

51. En revanche, dans d’autres d’affaires, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention lorsque la clôture des poursuites pénales et le défaut d’examen de l’action civile étaient dus à des circonstances attribuables principalement aux autorités judiciaires, notamment à des retards excessifs de procédure ayant entraîné la prescription de l’infraction pénale (Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00, §§ 31-32, 3 avril 2003, Tonchev, précité, §§ 50-53, Gousis c. Grèce, no 8863/03, §§ 34-35, 29 mars 2007, Atanasova, précité, §§ 35-47, Dinchev c. Bulgarie, no 23057/03, §§ 40-52, 22 janvier 2009, Boris Stojanovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 41916/04, §§ 56-57, 6 mai 2010, Rokas c. Grèce, no 55081/09, §§ 22-24, 22 septembre 2015, et Korkolis c. Grèce, no 63300/09, §§ 21-25, 15 janvier 2015 ; voir, a contrario, Lacerda Gouveia et autres, précité, § 77, Dimitras c. Grèce, no 11946/11, § 47, 19 avril 2018 et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 196-202 et 207-214 où la Cour a constaté l’absence de responsabilité des autorités dans le déroulement de la procédure pénale, concluant ainsi à la non-violation de l’article 6 sous l’angle du droit d’accès à un tribunal et de la durée de la procédure).

52.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant avait fait usage des droits et facultés qui lui étaient ouverts en droit interne dans le cadre de la procédure pénale et qui lui auraient permis, au moment de l’audience préliminaire, de demander réparation du préjudice civil dont il se disait victime. En l’occurrence, c’est exclusivement en raison du retard avec lequel les autorités de poursuite ont traité le dossier et de la prescription de l’infraction dénoncée que le requérant n’a pas pu présenter sa demande de dédommagement (paragraphe 11 ci-dessus) et que, par conséquent, il n’a pas pu voir statuer sur cette demande dans le cadre de la procédure pénale (Atanasova, précité, § 45, et Dragomir c. Croatie [comité], no 43045/08, § 48, 14 juin 2016).

53.  La Cour en conclut, à l’instar de ce qu’elle a jugé dans les affaires citées au paragraphe 51 ci‑dessus, que ce comportement fautif des autorités a eu pour conséquence de priver le requérant de voir ses prétentions de caractère civil tranchées dans le cadre de la procédure qu’il avait choisi de poursuivre et qui était mise à sa disposition par l’ordre juridique interne. En effet, l’on ne saurait exiger d’un justiciable qu’il introduise une action aux mêmes fins en responsabilité civile devant la juridiction civile après le constat de prescription de l’action pénale en raison de la faute de la juridiction pénale (voir, mutatis mutandis, Anagnostopoulos, précité, § 32). À cet égard, la Cour relève, en particulier, que l’engagement d’une telle action impliquerait probablement la nécessité de rassembler de nouveau des preuves, que le requérant aurait désormais la charge de produire, et que l’établissement de l’éventuelle responsabilité civile pourrait s’avérer extrêmement difficile autant de temps après les faits (Atanasova, précité, § 46).

54.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention

Art 13

  1. Sur la recevabilité

58.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à en offrir le redressement approprié (De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 78, 13 décembre 2012).

59.  En l’espèce, la Cour vient de conclure que l’article 6 § 1 était applicable (paragraphes 22-23 ci-dessus) et elle a constaté la violation de cette disposition notamment à raison de la durée excessive de la procédure (paragraphes 39-43 ci-dessus). Il s’ensuit que le requérant disposait d’un grief défendable sous l’angle de l’article 6 § 1, et que l’article 13 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce.

60.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond

61.  La Cour observe que les principes qui se dégagent de l’article 2 alinéa 2 bis de la loi no 89 de 2001 et de la jurisprudence interne consolidée en la matière confirment l’inapplicabilité du recours « Pinto » à la partie lésée qui n’a pas pu se constituer partie civile dans une procédure pénale (paragraphes 10 et 12 ci‑dessus).

62.  Ainsi, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours permettant au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Xenos c. Grèce, no 45225/09, § 44, 13 juillet 2017, et Cipolletta c. Italie, no 38259/09, § 49, 11 janvier 2018).

ARNOLDI c. ITALIE du 7 décembre 2017 Requête n° 35637/04

Violation de l'article 6 pour délai non raisonnable d'une plainte avec constitution de partie civile qui a duré huit ans sans que rien ne se passe, au point qu'il y a eu prescription. La procédure dite "Pinto " pour demander réparation du délai non raisonnable n'est pas efficace.

Recevabilité

2. Appréciation de la Cour

25. La Cour note tout d’abord que, selon le Gouvernement, l’article 6 § 1 n’est pas applicable ratione personae en l’espèce au motif que la requérante ne s’est pas constituée partie civile.

26. La Cour rappelle ensuite que le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi, et que l’article 6 est applicable dans son volet civil si l’issue de la procédure est déterminante pour le « droit de caractère civil en cause » (Moreira de Azevedo c. Portugal, 23 octobre 1990, § 66, série A no 189, et Perez c. France [GC], no 7287/99, § 65, CEDH 2004-I). Ainsi, pour que l’article 6 trouve à s’appliquer, le droit de faire poursuivre ou condamner des tiers doit impérativement aller de pair avec l’exercice par la victime de son droit d’intenter une action civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit de caractère civil, à l’instar par exemple du droit de jouir d’une « bonne réputation » (Perez, précité, §§ 70-71).

27. La Cour relève que, s’il est vrai que la requérante ne s’est pas constituée partie civile dans la procédure ouverte à la suite de sa plainte, cela est dû au fait que, en droit italien, la partie lésée ne peut se constituer partie civile qu’à partir de l’audience préliminaire (paragraphe 16 ci-dessus) (Sottani c. Italie (déc.), no 26775/02, 24 février 2005). En l’espèce, l’audience préliminaire n’a pas eu lieu, car les poursuites ont été classées au stade des investigations préliminaires en raison de la prescription de l’infraction. Par ailleurs, la Cour observe que, selon le droit interne, la partie lésée n’est pas considérée formellement comme une « partie » à la procédure, mais seulement comme un « sujet éventuel » (paragraphe 15 ci-dessus).

28. À cet égard, la Cour souligne que la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 ne saurait dépendre de la reconnaissance du statut formel de « partie » de la part du droit national (Stiftung Giessbach dem Schweizervolk et Parkhotel Giessbach AG c. Suisse (déc.), no 26886/03, 10 avril 2007). En effet, elle rappelle que l’esprit de la Convention commande de ne pas prendre le terme « contestation » dans une acception trop technique et d’en donner une définition matérielle plutôt que formelle (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 45, série A no 43, et Miessen c. Belgique, no 31517/12, § 43, 18 octobre 2016). En gardant à l’esprit que la Convention a pour but de sauvegarder des droits « concrets et effectifs » et non pas théoriques ou illusoires, la Cour doit aller au-delà des apparences et rechercher la réalité de la situation litigieuse (Asadbeyli et autres c. Azerbaïdjan, nos 3653/05 et 5 autres, § 110, 11 décembre 2012). Elle rappelle en outre que ce principe s’applique également dans la détermination du statut tant des justiciables (voir, mutatis mutandis, Feti Demirtaş c. Turquie, no 5260/07, § 121, 17 janvier 2012, et Savda c. Turquie, no 42730/05, § 107, 12 juin 2012) que des autres « parties » à la procédure (Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 50, CEDH 2006‑VI).

29. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour que l’article 6 entre en jeu, la date du dépôt de la demande en dédommagement n’est pas déterminante, la Cour ayant conclu à l’applicabilité de l’article 6 dans des affaires où la demande n’avait pas encore ou n’a pas été déposée du tout, alors que le droit interne le permettait (Potier c. France (déc.), no 42272/98, 14 décembre 2004, et Feliciano Bichão c. Portugal, no 40225/04, §§ 30-33, 20 novembre 2007).

30. Par conséquent, la Cour estime que, abstraction faite du statut formel de la personne lésée dans le cadre de la procédure pénale italienne, ce qui est décisif pour l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce est le fait de savoir : a) si la requérante entendait, en substance, obtenir la protection de son droit civil ou « faire valoir son droit à réparation » dans le cadre de la procédure pénale ; b) si l’issue de la phase des investigations préliminaires était déterminante pour le « droit de caractère civil en cause ».

a) Sur l’existence d’un droit de caractère civil

31. La Cour estime qu’il ressort de l’arrêt Perez (précité) que les deux conditions pour l’applicabilité de l’article 6, « en vue de l’obtention d’une réparation », fût-ce symbolique, ou « de la protection d’un droit à caractère civil », sont alternatives et non cumulatives. Dans l’affaire Gorou c. Grèce (no 3) (no 21845/03, §§ 18 et 21, 22 juin 2006), la Cour a établi que l’article 6 était applicable même en l’absence d’une demande de dédommagement pourvu que la protection d’un droit à caractère civil fût en jeu. En outre, dans l’affaire Perak c. Slovénie (no 37903/09, § 33, 1er mars 2016), la Cour a estimé, à la lumière de la jurisprudence Perez (précité) et Helmers c. Suède (29 octobre 1991, §§ 27-30, série A no 212‑A), que l’article 6 s’appliquait dans les situations dans lesquelles le requérant visait à protéger ses droits de caractère civil non seulement par le biais de la constitution de partie civile, mais également par le simple fait d’engager des poursuites privées.

32. À cet égard, la Cour tient à préciser que le principe établi dans l’arrêt Perez (précité, § 70) selon lequel « la Convention ne garantit ni le droit (...) à la « vengeance privée », ni l’actio popularis [et qu’] ainsi, le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi», implique qu’il faut examiner, au cas par cas, si le système juridique interne reconnait à la personne qui porte plainte un intérêt de nature civile à faire valoir dans le cadre du procès pénal. Par conséquent, dans le cas où la personne porte plainte à des fins purement répressives, l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer.

33. Pour ce qui est de la première condition, à savoir l’intention de la requérante d’obtenir la protection d’un droit de caractère civil, la Cour constate qu’en l’espèce l’affaire concernait une procédure pour faux en écriture par laquelle la requérante demandait la reconnaissance du caractère non véridique des déclarations faites par des tiers. Elle note que, sur la base desdites déclarations, les autorités internes ont rejeté la demande de la requérante visant à l’obtention de la protection de son droit de propriété (paragraphe 7 ci-dessus).

34. Eu égard à la deuxième condition, la Cour doit vérifier l’existence d’un intérêt de la part de la requérante à demander, même ultérieurement, une réparation pour la violation de son droit de caractère civil, « peu important qu’elle ait présenté une demande formelle de réparation » (Pause c. France (déc.) no 58742/00, 21 septembre 2004). La Cour rappelle que la requérante avait porté plainte contre des tiers pour faux en écriture. En outre, elle note que le droit interne reconnaît le statut de personne lésée aux individus dont les intérêts ont été atteints par une infraction, comme le délit de faux, visant la protection de la confiance publique, ce qui leur permet, lors de l’audience préliminaire, de demander la réparation du dommage par le biais de la constitution de partie civile (paragraphe 18 ci-dessus). Par cette démarche, la requérante a manifesté l’intérêt qu’elle attachait à demander, le moment venu, une réparation pour la violation de son droit de caractère civil dont elle pouvait, d’une manière défendable, se prétendre titulaire.

35. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le caractère « civil » du droit dont la requérante a demandé la protection par le biais du dépôt de la plainte ne prête pas à controverse.

b) Sur le caractère déterminant de la phase des investigations préliminaires pour la protection du droit à caractère civil

36. Il reste à examiner si l’issue de la phase des investigations préliminaires est déterminante pour l’obtention de la réparation du dommage pour atteinte au « droit de caractère civil ». La Cour estime qu’elle ne peut pas examiner cette question dans l’abstrait et qu’elle doit, en revanche, prendre en compte les particularités du système juridique national et les circonstances spécifiques de l’affaire.

37. Dans des affaires contre l’Italie, elle a déjà considéré l’article 6 § 1 comme applicable à une partie lésée qui ne s’était pas constituée partie civile, car, même avant l’audience préliminaire, où une telle constitution peut être présentée, la victime de l’infraction peut exercer des droits et des facultés expressément reconnus par la loi (Sottani, précité, Patrono, Cascini et Stefanelli c. Italie, no 10180/04, § 31, 20 avril 2006, et Mihova c. Italie (déc.), no 25000/07, du 30 mars 2010). Il s’agit, par exemple, du droit à recevoir des informations sur l’existence et les modalités d’exercice desdits droits et facultés, à demander au ministère public de solliciter auprès du GIP la production immédiate d’un moyen de preuve, à nommer un représentant légal, à présenter des mémoires et à indiquer des éléments de preuve. La Cour note que le code de procédure pénale reconnaît à la partie lésée le droit de mener des investigations indépendamment de celles menées par le procureur et l’accusé (paragraphe 16 ci-dessus). Enfin, la partie lésée peut s’opposer à la demande émise par le procureur de classement d’une affaire et elle peut se pourvoir en cassation contre la décision de classement du GIP (paragraphe 17 ci-dessus).

38. Comme la Cour l’a souligné dans sa décision Sottani (précitée), « l’exercice de ces droits peut se révéler essentiel pour une constitution efficace de partie civile, en particulier quand (...) il est question de preuves pouvant se détériorer avec le temps et dont l’acquisition se révèle impossible dans les phases ultérieures de la procédure ». L’importance de la phase des investigations préliminaires pour l’issue du procès pénal a été également soulignée dans l’affaire Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC] (no 50541/08 et 3 autres, § 253, CEDH 2016), dans laquelle la Cour a examiné le respect des droits de l’accusé sous l’angle de l’article 6. Dans cet arrêt, elle a dit que « la phase de l’enquête peut revêtir une importance particulière pour la préparation du procès pénal : les preuves obtenues durant cette phase déterminent souvent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès ».

39. Enfin, la Cour attache une importance particulière au fait que le système italien est régi par le principe de la légalité des poursuites, ce qui implique que, lorsque les autorités nationales ont connaissance, par exemple à la suite du dépôt d’une plainte, d’un fait susceptible de constituer une infraction, elles sont obligées, le cas échéant, de poursuivre les responsables de ladite infraction (paragraphe 19 ci-dessus). Il s’ensuit que, après avoir déposé la plainte, la personne lésée peut s’attendre, dans les cas prévus par la loi, à l’ouverture d’un procès au cours duquel elle peut se constituer partie civile et ainsi demander la réparation des dommages qu’elle aurait subis.

40. Par conséquent, la Cour estime qu’en droit italien la position de la partie lésée qui, en attendant de pouvoir se constituer partie civile, a exercé au moins l’un de ces droits et facultés dans la procédure pénale, ne diffère pas en substance, pour ce qui est de l’applicabilité de l’article 6, de celle de la partie civile. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que l’issue des investigations préliminaires est déterminante pour le « droit de caractère civil en cause ».

41. Compte tenu également de ce qu’il a été affirmé dans les paragraphes 33-35 ci-dessus, la Cour estime que cette conclusion doit s’appliquer en l’espèce. En effet, la requérante avait demandé expressément d’être prévenue d’un éventuel classement de l’affaire et elle avait exercé les droits garantis par le CPP, notamment celui de soumettre des documents. Elle avait aussi sollicité à plusieurs reprises l’action du parquet et la conclusion rapide de la procédure. Ainsi, la Cour constate que la requérante a exercé au moins l’un des droits et facultés reconnus par le droit interne à la partie lésée.

c) Sur l’exception concernant l’existence d’autres voies aptes à protéger le droit de caractère civil

42. Pour ce qui est enfin de l’argument du Gouvernement, selon lequel la requérante aurait pu également introduire une action devant les juridictions civiles, la Cour estime que le fait que la requérante disposait d’autres voies aptes à garantir la protection d’un droit de caractère civil ne saurait être un élément à prendre en compte afin d’établir l’applicabilité de l’article 6. En effet, lorsque l’ordre juridique interne offre un recours au justiciable visant la protection d’un droit de caractère civil, l’État a l’obligation de veiller à ce que celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l’article 6, et ce même lorsqu’il serait ou aurait été loisible aux requérants, à la lumière des règles internes, d’introduire une action différente (voir, mutatis mutandis, Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00, § 32, 3 avril 2003, et Lacerda Gouveia et autres c. Portugal, no 11868/07, § 73, 1er mars 2011). Enfin, la Cour note que la question posée par le Gouvernement est normalement examinée par la Cour sous l’angle du caractère proportionné des restrictions du droit à l’accès à un tribunal et non pas sous celui de l’applicabilité de l’article 6 (Anagnostopoulos, précité, §§ 31-32, Gousis c. Grèce, no 8863/03, §§ 34-35, 29 mars 2007, Atanasova c. Bulgarie, no 72001/01, §§ 44-47, 2 octobre 2008, Lacerda Gouveia et autres, précité, § 73, et Dragomir, précité, §§ 42-44).

43. Par ailleurs, la Cour ne saurait considérer que dans le cas d’espèce la requérante a renoncé aux droits prévus par l’article 6. En effet, la renonciation doit être établie, le cas échéant, de manière non équivoque (Perez, précité, § 70). En l’espèce, la requérante n’a pas entamé de démarches ou procédures en dehors de la procédure pénale afin d’obtenir la protection de son droit de caractère civil.

d) Conclusion

44. Compte tenu de ce qui précède et à la lumière des spécificités du système juridique italien, la Cour rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement et, conformément à la jurisprudence Sottani et Patrono, Cascini et Stefanelli (décisions précitées), elle estime l’article 6 § 1 applicable à la présente espèce.

45. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

46. La requérante soutient que la durée de la procédure est excessive.

47. Le Gouvernement n’a pas estimé utile de présenter d’observations sur le fond au motif qu’en tout état de cause la requérante n’est pas, selon lui, victime de la violation alléguée.

48. La Cour estime que, à la lumière des considérations exposées ci-dessus et des spécificités de la procédure pénale italienne, la période à considérer dans le cadre d’une procédure pénale sous l’angle du « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 débute, pour la personne qui se prétend lésée par une infraction, au moment où elle exerce l’un des droits et facultés qui lui sont expressément reconnus par la loi (paragraphe 40 ci-dessus), démontrant ainsi l’intérêt qu’elle attache à la réparation pécuniaire du dommage subi ou à la protection de son droit à caractère civil.

49. En l’espèce, la Cour constate que la période à prendre en compte a commencé le 9 octobre 1995, avec le dépôt de la plainte par la requérante, pour s’achever le 22 janvier 2003, date de la décision prise par le juge de classer l’affaire sans suite. Elle a donc duré plus de sept ans, pour la seule phase des investigations préliminaires.

50. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères tels que la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, par exemple, Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 128, CEDH 2006‑VII).

51. En l’espèce, la Cour constate que, selon les documents fournis par les parties, pendant la période susmentionnée les autorités se sont bornées à interroger les accusés, lesquels, de surcroît, ont choisi de garder le silence (paragraphe 10 ci-dessus). La requérante, de son côté, a sollicité à trois reprises la conclusion rapide de la procédure (paragraphe 9 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas fourni d’arguments à même de justifier des investigations préliminaires d’une telle durée (paragraphe 47 ci-dessus).

52. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Latry contre France du 23/02/2006 requête 50609/99

47. La Cour constate, avec le Gouvernement, que la période à prendre en considération sous l’angle du « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 a débuté le 13 mars 1995, date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile du requérant. Elle s’est achevée le 2 janvier 2002, date de l’ordonnance de non-lieu prise par le juge d’instruction. L’instruction a donc duré plus de six ans et dix mois.

48. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

49.  Selon la Cour, une durée de près de sept ans pour le seul stade de l’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile appelle une appréciation globale (mutatis mutandis, arrêts Boudier c. France, no 41857/98 du 21 mars 2000 et Achleitner c. Autriche, no 53911/00 du 23 octobre 2003) et ne peut être justifiée que par des circonstances particulières. Le seul fait que l’affaire présentait une certaine complexité découlant notamment de la nature de l’infraction alléguée, de la difficulté de localiser les témoins et de l’absence de pièces concernant les conditions de la remise des fonds, n’est pas suffisant pour constituer de telles circonstances en l’espèce. La Cour estime par ailleurs, qu’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir tiré pleinement parti des voies de recours que lui ouvrait le droit interne (Erkner et Hofauer c. Allemagne, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, § 68). Eu égard à ces éléments, la Cour est d’avis que la cause du requérant n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.

50.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention."

TROIS ARRÊTS DU XXe SIÈCLE

Arrêt Selmouni contre France du 28/07/1999; Hudoc 1053; requête 25803/94 précité sous la partie concernant les condamnations pour torture et violation de l'article 3 de la Convention. Une plainte déposée trois ans auparavant, n'avait pas été suivie à la date de la décision de recevabilité rendue par la C.E.D.H, le 25 novembre 1996;

Arrêt Maini contre France du 26/10/1999; Hudoc 1303; requête 31801/86 dans laquelle une plainte avec constitution de partie civile contre la police a été examinée en six ans pour trois degrés de juridiction. La C.E.D.H a sanctionné ce délai non raisonnable entre le dépôt de la plainte jusqu'à l'arrêt rendu par la  Cour de Cassation.

Arrêt Dachar contre France du 10/10/2000; Hudoc 1909; requête 42338/98 la Cour constate que trois ans d'instruction après un dépôt de plainte avec constitution de partie civile est un délai non raisonnable. Le Gouvernement s'était défendu en indiquant que l'un des prévenus a été difficilement localisé. Cependant la Cour a constaté que ce dernier avait été jugé par défaut.

DÉLAI NON RAISONNABLE

D'UNE JURIDICTION ADMINISTRATIVE

Les États ont tenté de soutenir qu'une procédure administrative n'est pas une procédure civile.

Par conséquent, une procédure administrative échappait de droit à l'article 6§1 de la Convention qui ne prévoit que "ses droits et obligations de caractère civil".

La Cour a rejeté cet argument:

Arrêt X contre France du 31/03/1992; Hudoc 385;  requête 18020/91 concerne l'occultation par le sang contaminé du virus du V.I.H, la C.E.D.H a édicté:

"droits et obligations civils" ne doit pas s'interpréter par simple renvoi au droit interne de l'Etat et que l'article 6§1 s'applique indépendamment de la qualité publique ou privée, des parties comme de la nature de la loi régissant la contestation, il suffit que l'issue de la procédure soit déterminante pour des droits et obligations de caractère privé"

Arrêt Laidin contre France du 07/01/2003; Hudoc 4075; requête 39282/98 le Gouvernement avait soulevé une exception préliminaire sur le fait que le litige concernait l'annulation d'une procédure de placement en hôpital psychiatrique et qu'il ne s'agissait pas d'un élément patrimonial donc d'une violation de l'article 6§1 de la Convention qui ne concerne que des "droits et obligations civiles".

La Cour réaffirme:

"Il faut se référer à l'essence et aux effets de ce droit et non pas  à la classification juridique en vertu du droit interne de l'État concerné () Le Droit à la liberté a un caractère civil".

Club Nautique de Chalcidique ‘I Kelyfos’ c. Grèce

du 21 novembre 2019 requêtes n° 6978/18 et 8547/18

non violation de l'article 6-1 : L’ajournement par le Conseil d’Etat des procédures internes qui contestaient des droits de mouillage et d’ancrage était correctement justifié

L’affaire concerne la contestation en justice par les requérants de l’augmentation des droits d’ancrage et de mouillage perçus par une société anonyme gestionnaire d’une marina, la société « marina Porto Karras » à laquelle les requérants louaient des emplacements pour leurs bateaux. La Cour observe que la durée incontestablement longue de la procédure trouve sa raison dans les ajournements répétés des audiences. Si plusieurs ajournements ont été décidés d’office par le Conseil d’Etat, un certain nombre d’entre eux l’ont été en raison de grèves des avocats. Cependant, la Cour admet que le Conseil d’Etat avait des raisons valables d’ajourner l’examen des affaires jusqu’à la fin de l’année 2014, en raison d’un changement législatif qui s’est tenu au cours de l’année, modifiant complètement le cadre législatif, précédemmant révisé en 2013, relatif à la fixation des droits d’ancrage et de mouillage dans les marinas, propriétés de l’Etat grec.

FAITS

Le premier requérant, le Club nautique de Chalcidique « I Kelyfos », est un groupement de propriétaires de bateaux qui louent des emplacements à la marina Porto Karras, à Sithonie, en Chalcidique. Le second requérant, M. Dimitrios Papafilippou, est propriétaire de bateaux, membre du club nautique et président du conseil d’administration et représentant légal de celui-ci. En 2010, la société gestionnaire de la marina augmenta considérablement les droits d’ancrage et de mouillage réclamés aux propriétaires des bateaux. D’après les requérants, seul l’Etat, propriétaire de tous les ports du pays, était en droit d’assurer la gestion des marinas ou de la confier à des tiers selon une procédure prévue par la loi. Au cours du temps, la société « marina Porto Karras » soumit successivement plusieurs listes de tarifications, chacune approuvée par une décision ministérielle, dont les montants étaient chaque fois plus élevés. Le 27 octobre 2010, puis le 3 juillet 2012, le club nautique saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation des décisions ministérielles qui validaient les listes de tarification. Le 8 août 2013, une loi supprima l’obligation de l’approbation des listes de tarification par décision ministérielle et imposa la simple notification de ces listes au ministère du Tourisme. Puis en 2014, la loi n o 4254/2014 supprima toute obligation de notification et d’approbation par le ministère du Tourisme.

CEDH

Article 6 § 1 La Cour note que la durée des procédures relatives aux deux recours introduits par le club nautique a été incontestablement longue en raison d’ajournements répétés des audiences. Elle observe que plusieurs ajournements ont été décidés d’office par le Conseil d’Etat, mais qu’un certain nombre l’ont été en raison de grèves des avocats. Mais la Cour relève aussi que l’année 2014 a été déterminante pour la cause, car la formation plénière du Conseil d’Etat a rendu des arrêts qui posaient pour la première fois des questions similaires à celles des requérants. C’est aussi en 2014 qu’est entrée en vigueur la loi n o 4254/2014. La Cour estime donc que le Conseil d’Etat avait des raisons valables d’ajourner l’examen des affaires jusqu’à la fin de l’année 2014. La Cour observe que le Conseil d’Etat a rejeté les demandes des requérants par une motivation détaillée se fondant sur sa jurisprudence constante. Dans son premier arrêt rendu, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure relative au recours contre la décision ministérielle qui validait une hausse des tarifs d’ancrage et de mouillage au motif que le club nautique ne s’était pas prévalu, dans la cause, d’un intérêt légal particulier. Dans son second arrêt, le Conseil d’Etat a estimé que le club nautique ne pouvait se prévaloir d’un intérêt légal justifiant la poursuite de la procédure, car, d’une part, l’objet de ses plaintes ne concernait pas les conséquences d’ordre administratif des décisions ministérielles contestées et d’autre part, les questions soulevées, étant de nature économique, pouvaient être soumises aux juridictions civiles. Enfin, le Conseil d’Etat a relevé qu’il n’était plus nécessaire de poursuivre la procédure en raison de la fin de validité de la décision contestée par le club nautique survenue en 2014 et de l’entrée en vigueur de la loi n o 4254/2014. La Cour rappelle qu’elle n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et qu’elle ne remet pas en cause, sous l’angle de l’article 6 § 1, l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables. En l’espèce, la Cour observe que les motifs par lesquels le Conseil d’Etat a rejeté les demandes des requérants ne peuvent passer pour arbitraires ou déraisonnables. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1.

ARTICLE 6-1

59.  La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal – c’est-à-dire le droit de saisir un tribunal en matière civile – constitue un élément inhérent au droit énoncé à l’article 6 § 1 de la Convention, qui pose les garanties applicables en ce qui concerne tant l’organisation et la composition du tribunal que la conduite de la procédure. Le tout forme le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 § 1 (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18). Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu. Il peut être soumis à des limitations pour autant que celles-ci ne restreignent ni ne réduisent l’accès de l’individu au juge d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, ces limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 120, 23 juin 2016, et Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 89, 29 novembre 2016).

60.  Aux yeux de la Cour, les retards importants et récurrents dans l’administration de la justice représentent un phénomène particulièrement préoccupant, à même de compromettre la confiance du public dans l’efficacité du système judiciaire. Ainsi, en principe, il ne saurait être exclu que, dans des cas exceptionnels, le maintien d’une procédure en instance pour une période excessive soit susceptible de porter atteinte même au droit d’accès à un tribunal. En particulier, l’absence injustifiée de décision par la juridiction saisie pour une période particulièrement prolongée peut, par la force des choses, s’assimiler à un déni de justice ; le recours exercé par l’intéressé peut ainsi se voir privé de toute son effectivité, lorsque la juridiction concernée ne parvient pas à trancher le litige en temps utile, comme l’exigent les circonstances et l’enjeu de chaque affaire donnée (Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 52, 21 décembre 2010).

61.  En l’espèce, la Cour note que la durée de la procédure relative aux deux recours introduits par le club nautique a été incontestablement longue en raison des ajournements répétés des audiences. Une audience commune dans les deux affaires a eu lieu le 2 novembre 2016, après seize ajournements dans la première affaire et onze ajournements dans la deuxième affaire, et les arrêts ont été rendus le 3 mai 2017, soit un peu moins de sept ans après l’introduction du premier recours et un peu moins de cinq ans après l’introduction du deuxième recours.

62.  La Cour observe que, si plusieurs ajournements ont été décidés d’office par le Conseil d’État, un certain nombre d’entre eux l’ont été en raison de la grève des avocats, qui a eu lieu pendant les périodes suivantes : du 19 au 21 novembre 2014, du 25 novembre au 5 décembre 2014 et du 8 au 31 décembre 2014.

63.  Force est donc de constater que tous les ajournements dus à la grève des avocats ont eu lieu en 2014. La Cour relève que cette année a aussi été déterminante à d’autres égards dans la présente affaire. En effet, c’est en juin 2014 que la formation plénière du Conseil d’État a rendu ses arrêts dans des affaires qui, pour la première fois, posaient devant cette haute juridiction des questions similaires à celles soulevées en l’espèce. C’est aussi en 2014 qu’est entrée en vigueur la loi no 4254/2014, qui est venue modifier complètement le cadre législatif relatif à la fixation des droits d’ancrage et de mouillage dans les marinas, qui avait d’ailleurs déjà été révisé en 2013 par la loi no 4179/2013.

64.  La Cour estime que, indépendamment de la durée totale de la procédure devant lui, le Conseil d’État avait donc des raisons valables d’ajourner l’examen des affaires jusqu’à la fin de l’année 2014. Si le Conseil d’État avait statué vers la fin de cette année, ou en 2015 ou bien en 2016, sa conclusion n’aurait probablement pas été différente de celle à laquelle il est parvenu dans ses arrêts no 2016/2017 et no 1217/2017.

65.  La Cour note ensuite que, compte tenu de la très brève durée de validité des différentes décisions ministérielles litigieuses, de leurs remplacements successifs et de l’adoption des lois no 4179/2013 et no 4254/2014, la seule chance pour le Conseil d’État de se prononcer sur le bien-fondé des deux recours impliquait de voir cette haute juridiction accueillir les demandes de poursuite de la procédure faites par le club nautique conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 32 du décret no 18/1989.

66.  Or le Conseil d’État a rejeté ces demandes, par une motivation détaillée et en se fondant sur sa jurisprudence constante.

67.  Dans son arrêt no 1216/2017, le Conseil d’État a considéré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure relative au recours introduit contre la décision ministérielle no 9051/2010, en application du paragraphe 2 de l’article 32 du décret no 18/1989, au motif que le club nautique ne s’était pas prévalu, pas même oralement à l’audience, de l’existence d’un intérêt légal particulier. Il a en outre déclaré que le paragraphe 3 de l’article 32 du même décret ne trouvait pas à s’appliquer car le club nautique avait introduit un recours autonome contre la décision ministérielle no 6866/2012.

68.  Dans son arrêt no 1217/2017, le Conseil d’État a estimé que le club nautique ne pouvait pas se prévaloir d’un intérêt légal justifiant la poursuite de la procédure (en application de l’article 32 § 2 du décret no 18/1989) pour les motifs suivants : d’une part, la privation du droit constitutionnel des membres du club nautique d’utiliser un bien public (en l’occurrence une marina appartenant à l’État) destiné à l’usage commun et l’atteinte au droit à la personnalité (article 5 de la Constitution et article 57 du code civil) dénoncées par ledit club ne concernaient pas les conséquences d’ordre administratif des décisions ministérielles contestées ; d’autre part, l’enrichissement sans cause allégué de la société « marina Porto Karras », les éventuelles prétentions que l’État pourrait formuler à l’avenir en vue de contraindre le club nautique à lui verser à nouveau des droits de mouillage et l’impact du non-lieu à statuer sur les procédures civiles introduites par la société contre les membres du club nautique pour non‑paiement des droits étaient des questions de nature économique qui pouvaient être soumises aux juridictions civiles, lesquelles avaient compétence pour examiner de manière incidente la légalité des décisions ministérielles litigieuses.

69.  Enfin, sur le terrain du paragraphe 3 de l’article 32 du décret no 18/1989, le Conseil d’État a relevé qu’il n’était plus nécessaire de poursuivre la procédure (du fait que la décision ministérielle no 18268/2012 avait remplacé la décision no 6866/2012) en raison de la fin de validité de la décision no 18268/2012, survenue dans l’intervalle, en 2014, et de l’entrée en vigueur de la loi no 4254/2014.

70.  La Cour rappelle qu’elle n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et qu’elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, par exemple, Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013, et Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007). Or, en l’espèce, les motifs par lesquels le Conseil d’État a rejeté les demandes du requérant ne peuvent passer pour arbitraires ou déraisonnables, aucun indice en ce sens n’étant à relever.

71.  La Cour note, de surcroît, que l’affaire du requérant se distingue de l’affaire tranchée en interne par l’arrêt no 1558/2015 (affaire concernant une autre marina, invoquée par l’intéressé tant devant le Conseil d’État que devant la Cour), dans laquelle la haute juridiction administrative a décidé de ne pas prononcer de non-lieu à statuer car la validité de la décision attaquée n’avait pas pris fin au moment de la tenue de la première audience devant la formation plénière, qui avait eu lieu le 15 février 2013, soit avant l’entrée en vigueur de la loi no 4179/2013 (paragraphe 41 ci-dessus).

72.  Enfin, à la différence de ce qu’elle a jugé dans l’affaire Frezadou précitée, la Cour considère que la décision du Conseil d’État de ne pas examiner le bien‑fondé des recours en annulation introduits par le premier requérant n’était pas la conséquence directe et déterminante du maintien de la procédure en instance pendant une longue période devant la haute juridiction. Dans l’affaire Frezadou, la durée de validité de la décision attaquée était de deux ans et les ajournements étaient dus au retard mis par l’administration pour répliquer aux moyens additionnels présentés par la requérante. En revanche, en l’espèce, la durée de validité des décisions ministérielles n’était que de quelques mois (paragraphes 9 et 12 ci-dessus). De plus, des affaires similaires étaient pendantes devant la formation plénière du Conseil d’État, qui devait se prononcer sur certaines questions soulevées par ce type d’affaires, et surtout, et avant tout, le cadre législatif pertinent avait été modifié à deux reprises, en 2013 et en 2014, soit à une période proche de l’introduction des recours en annulation.

73.  Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès du requérant à un tribunal.

  1. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

74.  Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, le premier requérant se plaint d’avoir été privé d’un recours effectif, car, selon lui, en tardant à examiner son recours, le Conseil d’État a pu se fonder sur la loi no 4254/2014 et prononcer un non-lieu à statuer, ce que, à ses dires, il n’aurait pas pu faire s’il s’était montré plus diligent.

75.  La Cour considère que ce grief est absorbé par le grief tiré de l’article 6 de la Convention et elle estime qu’il n’est pas nécessaire de l’examiner séparément.

AJMONE MARSAN ET AUTRES c. ITALIE du 10 janvier 2019 requête n° 21925/15

Violation de l'article 6-1 : La loi Pinto est inefficace en Italie pour accélérer les procédures. Les juridictions administratives doivent impulser la procédure.

Les faits

6. Le 20 novembre 1986, les requérants saisirent le tribunal administratif régional (le TAR) pour le Latium d’un recours en annulation (RG no 7770/1986) contre l’ordonnance de la Région Latium no 2443 du 29 avril 1986 touchant leur activité professionnelle. En particulier, ils se plaignirent de la modification de leur échelon administratif et de ses conséquences sur leur rétribution. Le 1er février 2011, le TAR rejeta les recours.

7. Entre le 19 avril et le 7 septembre 2011, les requérants introduisirent des recours devant la cour d’appel de Pérouse, sur le fondement de la loi no 89 de 2011 dite « loi Pinto », pour se plaindre de la durée excessive de la procédure juridictionnelle administrative.

8. Le 14 mai 2013, la cour d’appel joignit les recours (RG no 2048/2011) et les déclara irrecevables. Elle constata qu’au cours de la procédure juridictionnelle administrative, les requérants n’avaient pas présenté une demande de fixation en urgence de la date de l’audience (istanza di prelievo), nouvelle condition de recevabilité des recours « Pinto », introduite avec l’article 54 du décret-loi no 112 du 25 juin 2008.

9. Le 22 octobre 2014 (arrêt no 22465/2014), le pourvoi en cassation formé par les requérants fut rejeté par la Cour de cassation sur le fondement des mêmes raisons évoquées par la cour d’appel. La Haute juridiction rejeta aussi trois questions de constitutionnalité présentées contre l’article 54 du décret susmentionné.

Violation de l'article 6-1 de la Convention

15. Les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure devant le TAR du Latium qui a débuté le 20 novembre 1986 et a pris fin le 1er février 2011.

16. Le Gouvernement rappelle que le procès administratif est un procès des parties, dans la mesure où celles-ci, et non pas le juge, ont le pouvoir de donner l’impulsion initiale, de poursuivre la procédure et de présenter les preuves. Il invite ainsi la Cour à tenir compte du fait que les requérants n’ont donné aucune impulsion à la procédure, laquelle était par ailleurs particulièrement complexe en raison du nombre de parties.

17. En outre, le Gouvernement estime que les requérants, parties à une procédure en cours au 25 juin 2008, date d’entrée en vigueur de l’article 54 du décret-loi no 112 du 25 juin 2008, auraient dû présenter une demande de fixation en urgence de la date de l’audience pour se plaindre de la durée de la procédure postérieur à cette dernière date.

18. La Cour rappelle avoir jugé que la procédure pour se plaindre de la longueur excessive d’une procédure juridictionnelle administrative ne peut pas être considérée comme effective au sens de l’article 13 de la Convention (Olivieri et autres, précité, § 71) et que cette conclusion s’applique aussi à la nouvelle formulation de l’article 54, alinéa 2, du décret-loi no 112 de 2008, tel que modifié par le décret-législatif no 104 du 2 juillet 2010, entrée en vigueur le 16 septembre 2010 (ibidem, §§ 66-69). La nouvelle disposition était ainsi déjà en vigueur à la date de l’introduction des recours « Pinto » par les requérants. Or, comme l’a indiqué la Cour de cassation (paragraphe 11 ci-dessus), cette discipline s’applique à la durée globale de la procédure et ne permet pas de faire une distinction entre périodes antécédentes et successives à l’entrée en vigueur de la disposition litigieuse. Par conséquent, la Cour estime que la procédure interne doit être considérée dans sa globalité.

19. Celle-ci a eu une durée d’environ vingt-cinq ans. La Cour observe que les requérants ont sollicité le TAR afin d’obtenir une décision sur leurs recours en présentant deux demandes de fixation de l’audience. Par conséquent, et contrairement à ce que soutient le Gouvernement, l’intérêt des requérants à voir leur cause traitée dans un délai raisonnable ne saurait être mis en doute.

20. Même à vouloir supposer que la procédure litigieuse a été complexe en raison de la présence de nombreuses parties, la Cour ne peut que constater une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 117 et 121, CEDH 2006‑V).

21. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que dans la présente affaire il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Mehmet Günay et Güllü Günay c. Turquie du 20 février 2018 requête no 52797/08

Article 6-1 : Huit ans pour examiner un grief de faute médicale est incompatible avec la Conv EDH

L’affaire concerne des allégations de négligence médicale portant sur le décès de la fille de M. et Mme Günay, dix jours après une opération à l’hôpital.

La Cour juge en particulier qu’une durée d’environ sept ans et quatre mois pour statuer sur la demande d’indemnisation des requérants ne répond pas à l’exigence du délai raisonnable.

La Cour rejette le grief des requérants portant sur l’article 2 (droit à la vie) de la Convention, estimant qu’il est manifestement mal fondé. En effet, elle relève que les expertises médicales ainsi que les conclusions des juridictions nationales, rendues de manière circonstanciée, ont exclu toute faute ou négligence médicale. Elle rappelle qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause les conclusions des expertises.

La procédure administrative a débuté par une demande préalable d’indemnisation introduite devant l’administration le 17 novembre 2000 pour se terminer le 24 mars 2008. Pendant ce délai, le premier rapport d’expertise a été rendu après un délai d’attente de plus de 19 mois et, consécutivement au pourvoi en cassation, un délai de presque quatre ans s’est écoulé avant que l’affaire ne soit jugée par le Conseil d’État.

La Cour constate que ces délais excessifs de la procédure juridictionnelle administrative pour statuer sur la demande d’indemnisation des requérants ne s’expliquent ni par la complexité de l’affaire ni par le comportement des requérants. Elle estime qu’une durée d’environ 7 ans et 4 mois, pour une procédure engagée à des fins d’indemnisation, ne répond pas à l’exigence du délai raisonnable. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Frydlender contre France du 27/06/2000 Hudoc 1802 requête 30979/96

La question des droits des fonctionnaires et cocontractants concernant les litiges relevant du droit du travail.

Les Etats ont exigé de considérer que la loyauté imposait aux fonctionnaires et à leurs cocontractants de ne pas saisir la C.E.D.H.

La Cour a répondu en faisant la différence entre les fonctionnaires d'autorité et les autres fonctionnaires dits "subalternes":

"La Cour rappelle que pour l'article 6§1, pour que la rubrique "civile" trouve à s'appliquer, il faut  qu'il y ait "contestation"  sur un "droit"  que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s'agir d'une contestation réelle et sérieuse, elle peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice. En outre l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit de caractère civil en question. La Cour note que, dans la présente affaire, il n'est pas nié qu'il y avait contestation sur un droit reconnu en droit interne, que la contestation était directement déterminante pour le droit concerné.

Elle observe également que la contestation portait sur un droit civil par nature s'agissant d'un litige entre un employeur et un employé relatif aux modalités de cessation d'emploi de ce dernier ()

La Cour a estimé qu'il convenait d'adopter un critère fonctionnel, fondé sur la nature des fonctions et des responsabilités exercés par l'agent () elle a également relevé qu'au sein des administrations nationales certains postes comportent une mission d'intérêt général ou une participation à l'exercice de la puissance publique et que leurs titulaires détiennent ainsi une parcelle de souveraineté de l'Etat qu'il (l'Etat) a donc intérêt légitime à exiger de ses agents un lien spécial de confiance et de loyauté ()

Compte tenu  de la nature des fonctions exercées en l'espèce par le requérant et du degré peu élevé de ses responsabilités, la Cour estime qu'il n'accomplissait aucune tâche susceptible d'être rattachée directement ou indirectement à une mission visant à sauvegarder les intérêts généraux de l'Etat"

Rey et autres contre France du 05/10/2004 requêtes 68406/01 68408/01 68410/01 68412/01

"A.  Sur la recevabilité

  16.  Le Gouvernement estime que l'article 6 § 1 de la Convention n'est pas applicable en l'espèce, en raison des compétences et responsabilités particulières des requérants au sein de cet organisme privé chargé de la gestion d'un service public.

  17.  Les requérants contestent la position du Gouvernement, estimant ne pas occuper des emplois impliquant une participation à l'exercice de la puissance publique.

  18.  La Cour rappelle que sont seuls soustraits au champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention les litiges des agents publics dont l'emploi est caractéristique des activités spécifiques de l'administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques (Pellegrin c. France [GC], no 28541/95, § 66, CEDH 1999-VIII).

  19.  En l'espèce, la Cour constate que les requérants occupaient les postes de directeur général, directeur délégué, directeur adjoint et agent comptable de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, organisme privé chargé de la gestion d'un service public. Cet organisme fait l'objet d'un contrôle de tutelle ministériel. Pourtant, l'agent comptable est placé sous l'autorité administrative du directeur, qui assure le fonctionnement de l'organisme sous le contrôle du conseil d'administration. En conséquence, on ne saurait considérer que les requérants agissaient en tant que détenteurs de prérogatives de puissance publique chargés de la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques au sens de l'arrêt Pellegrin précité.

  20.  Par voie de conséquence, l'article 6 § 1 trouve à s'appliquer.

  21.  La Cour constate en outre que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

B.  Sur le fond

  22.  Les requérants estiment que la durée de la procédure a dépassé le délai raisonnable.

  23.  Le Gouvernement constate que les requérants ont mis un an pour produire un mémoire devant le tribunal administratif après réception de celui du défendeur et que ce tribunal a statué sur les requêtes en à peine plus de deux ans. De plus, il estime que l'enjeu, relatif en l'espèce à une majoration de rémunération, n'était pas de nature à exiger une diligence particulière. Il estime en conséquence que la procédure n'a pas dépassé le délai raisonnable.

  24.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour rappelle qu'une diligence particulière s'impose pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A no 230-D, p. 39, § 17).

  25.  La Cour estime que la présente affaire ne présentait aucune complexité particulière. Elle relève, par contre, une importante période d'inactivité imputable à la cour administrative d'appel (voir paragraphes 11-12 ci-dessus).

  26.  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

 Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1"

LA RÈGLE

Le caractère "administratif" des recours ne s'oppose donc pas à l'application des règles du "délai non raisonnable" d'une procédure juridictionnelle.

Les règles en matière d'accusation pénale trouvent entière application.

LE CALCUL DES DÉLAIS

Le point de départ est l'acte d'introduction de l'instance devant le tribunal administratif ou la date de l'acte de rejet d'un recours gracieux auprès de l'administration:

Kress contre France du 07/06/2001 Hudoc2655 requête 39594/98

"La période à prendre en considération débute le 22/06/1987 avec le rejet de la demande préalable d'indemnisation adressée aux hospices de Strasbourg"

Voir dès le jour de la demande gracieuse quand le litige concerne une question aussi importante que l'occultation du V.I.H, par transfusion d'un sang contaminé; dans l'arrêt X contre France précité plus haut, le point de départ a été considéré au 01/12/1989 date du jour du dépôt de la requête au ministre de la santé.

La fin du délai de la procédure est le premier jour où la décision interne est devenue définitive et susceptible d'aucun recours.

La Cour applique l'estimation "globale" des délais dans des procédures particulièrement longue:

Arrêt Frydlender contre France précité:

"La Cour  constate () que ni la complexité de l'affaire ni le comportement du requérant n'expliquent la durée de la procédure. Elle souligne que le Conseil d'Etat rendit son arrêt près de six années après sa saisine et que le Gouvernement n'a fourni aucune explication sur ce délai, qui apparaît manifestement excessif.

La Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir  une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable ()

Elle rappelle  également qu'un employé s'estimant suspendu ou licencié à tort par son employeur a un important intérêt personnel à obtenir rapidement une décision judiciaire sur la légalité de cette mesure, les litiges du travail rappelant par nature une décision rapide compte tenu de l'enjeu du litige pour l'intéressé qui perd du fait du licenciement ses moyens de subsistances (arrêt Obermeir c. Autricle du 28/06/1990, série A  n°179 pp23-24 §72; arrêt Caleffi contre Italie du 24/05/1991, série A n°206-B p20 §17)"

Arrêt Onnikian contre France du 05/10/2004; requête 15816/02

La Cour sanctionne un délai de 5 ans et 9 mois pour deux instances dont 5 ans et 6 mois devant le tribunal administratif m^me si l'ordonnance du Président de la Cour d'Appel n'a duré que trois mois.

Arrêt Caille contre France du 05/10/2004; requête 3455/02

La Cour sanctionne un délai de 6 ans, 1 mois et 6 jours devant le tribunal administratif. 

Arrêt Mitre contre France du 05/10/2004; requête 44010/02

La Cour sanctionne un délai de 11 ans, 10 mois pour quatre instances

Arrêt Reisse contre France du 05/10/2004; requête 24051/02

La Cour sanctionne un délai de 4 ans, 6 mois et 4 jours pour une seule instance.

La Cour se réfère aux trois principes de la complexité de l'affaire, du comportement du requérant et du comportement des autorités judiciaires.  

Association Ekin contre France du 17/07/2001 Hudoc 2748 requête 27928/02

"Certes, comme le souligne le Gouvernement, l'affaire présentait une certaine complexité. En l'espèce, toutefois, la lenteur de la procédure résulte essentiellement du comportement des juridictions saisies. La Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats cocontractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte  que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.

Elle estime que l'on ne saurait  considérer comme "raisonnable"  la durée globale de la procédure, plus de 9 ans alors même que l'enjeu du litige revêtait une importance particulière"

La Cour avait constaté un "trou" de 4 ans devant le Conseil d'Etat et un "trou" de 2 ans devant le Tribunal Administratif de Pau.   

Les arrêts Frydlender et Association Ekin confirment que le  quatrième critère soit l'enjeu du litige pour le requérant est aussi applicable pour les procédures administratives.

Arrêt précité X contre France du 31/03/1992, une durée de deux ans et un mois sans que l'affaire ne soit terminée, a été condamnée par la C.E.D.H puisqu'il s'agissait d'une personne contaminée par transfusion sanguine du virus du S.I.D.A:

-L'affaire était incontestablement  complexe:

"Toutefois le Gouvernement avait  sans doute depuis longtemps conscience de l'imminence de procédures. Il pouvait disposer de nombre de données à prendre en compte et aurait dû faire préparer un objectif sur la question de la responsabilité aussitôt après l'introduction d'instances"

-Le requérant avait averti  les juridictions et autorités administratives de l'éminence de son mal, pourtant le Gouvernement avait attendu le dernier jour du délai de quatre mois pour rejeter sa demande:

"La Cour estime que l'enjeu de la procédure litigieuse revêtait une importance extrême pour le requérant eu égard au mal incurable qui le minait et à son espérance de vie réduite () Tout retard risquait  donc de priver d'objet utile la question à trancher par le tribunal. Bref, une diligence exceptionnelle s'imposait  en l'occurrence, nonobstant le nombre des litiges à traiter d'autant qu'il s'agissait d'un débat dont le Gouvernement connaissait les données depuis plusieurs mois et dont la gravité ne pouvait échapper"

-Le recours avait débuté le 01/12/1989, dès le 18/12/1991 le délai était non raisonnable:

"La procédure ultérieure devant la Cour Administrative d'Appel ne saurait y remédier"

Arrêt Beaumer contre France du 08/06/2004; Hudoc 5121; requête 65323/01 la Cour a confirmé qu'une procédure en réparation d'une transfusion ayant occulté le V.I.H, doit être menée avec une célérité particulière du fait que le demandeur est condamné à mourir à court terme.

Arrêt Maignat contre France du 21/09/2004 requête 54618/00

"1. Périodes à prendre en considération

a. Procédure concernant les permis de construire

  17.  La période à considérer a débuté le 14 novembre 1991, par l'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif et s'est terminée le 11 mai 1999, par la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel. Elle a donc duré sept ans, cinq mois et vingt sept jours, pour deux instances.

b. Procédure portant sur la délibération du conseil municipal de Beuil du 12 juin 1993

  18.  La période à considérer a débuté le 16 août 1993, par l'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif et s'est terminée le 18 décembre 2002, par la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel. Elle a donc duré neuf ans, quatre mois et deux jours, pour deux instances.

c. Procédures en annulation du refus du préfet et du maire de mettre en œuvre leurs pouvoirs de police

  19.  La première période à considérer a débuté le 28 novembre 1991, par l'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif et s'est terminée le 12 février 2003 par la notification de l'arrêt de la cour administrative d'appel. Elle a donc duré onze ans, deux mois et quatorze jours, pour deux instances.

  20.  La seconde période a débuté le 8 juillet 1997, par l'enregistrement de la requête devant la cour administrative d'appel et s'est terminée le 12 février 2003 par la notification de l'arrêt à la requérante. Elle a donc duré cinq ans, sept mois et quatre jours, pour une instance.

d. Procédure en annulation du refus du maire de reconsidérer le classement de l'aval du chemin d'accès et d'annuler le marché d'études préliminaires de recherche en eau

  21.  La période à considérer a débuté le 25 août 1994, par l'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif et n'avait pas encore pris fin au 12 février 2004. Elle avait à cette dernière date déjà duré neuf ans, cinq mois et dix huit jours.

2.  Caractère raisonnable de la durée de ces procédures

  22.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé de cette requête.

  23.  La requérante estime que cette durée est déraisonnable.

  24.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

  25.  La Cour considère que les affaires soumises aux juridictions administratives ne présentaient pas de difficultés particulières. Elle estime, par contre, que les procédures ont chacune connu des retards et des périodes de latence injustifiés, imputables aux autorités internes (voir paragraphes 7-12 ci-dessus).

  26.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la cause de la requérante n'a pas été entendue dans un délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention"

L'ENJEU DU LITIGE

Le quatrième critère soit l'enjeu du litige qui exige une célérité particulière de la procédure, peut aussi concerner la situation financière catastrophique du requérant:

L'Arrêt Lechelle contre France du 08/06/2004; Hudoc 5122; requête 65786/01 concerne le délai de 5 ans qualifié de non raisonnable avec lequel le tribunal administratif a examiné la requête d'une assistante maternelle licenciée sans aucune indemnité par Monsieur le maire de Neuilly sur Seine (Sarko pour les intimes).

L'Arrêt Simon contre France du 08/06/2004; Hudoc 5123; requête 66053/01 concerne l'examen du bien-fondé de la perte du R.M.I pour un chômeur qui se retrouve sans aucune ressource.

Storck contre France du 14/09/2004 requête 73804/01

"B.  Sur le fond

  21.  Le Gouvernement estime que certains éléments objectifs ont pu ralentir le cours de la procédure sans être imputables aux autorités juridictionnelles. Il reconnaît cependant que la durée globale de la procédure paraît relativement longue et s’en remet à la sagesse de la Cour.

  22.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, §43, CEDH 2000-VII).

  23.  La Cour estime que l’affaire ne présentait aucune complexité particulière. Elle constate que le requérant n’a pas directement saisi la cour administrative d’appel territorialement compétente (voir paragraphe 11 ci-dessus) et relève des retards et des périodes de latence injustifiés imputables aux juridictions internes (voir paragraphes 10-16 ci-dessus).

  24.  En conséquence, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

25.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention"

DÉLAI NON RAISONNABLE D'UNE LIQUIDATION JUDICIAIRE

CIPOLLETTA c. ITALIE du 11 janvier 2018 requête n° 38259/09

Article 6-1 pour délai non raisonnable : La procédure Pinto semble bien inutile pour réparer le délai non raisonnable d'une procédure de liquidation judiciaire de plus de 25 ans et six mois. Toutefois la France, n'aurait pas été condamnée. Elle allègue que la procédure devant le TGI de Paris est efficace pour réparer un délai non raisonnable. L'avenir nous le dira, car nous avons un sérieux doute.

B. Sur le fond

42. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 68, CEDH 2006‑V).

43. En l’espèce, la Cour note que la procédure a débuté le 4 juillet 1985, date à laquelle le requérant a adressé au commissaire la demande visant l’admission de sa créance. Elle relève que la liquidation des actifs composant le patrimoine de la société débitrice était encore pendante à la date des dernières informations fournies par le requérant (à savoir le 24 décembre 2010 - paragraphe 11 ci-dessus). À cette date, la procédure avait donc duré globalement près de vingt-cinq ans et six mois. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour constate que la procédure en question a été particulièrement complexe, s’agissant notamment du recensement de l’activité économique de la société et de la transformation de chaque créance en liquidité par voie de vente ou de recouvrement. Néanmoins, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument convaincant pouvant justifier une telle durée.

44. Partant, tout en reconnaissant en l’occurrence la complexité des procédures en matière de faillite, la Cour estime que la durée litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, en matière de faillite, De Blasi c. Italie, no 1595/02, §§ 19-35, 5 octobre 2006, Gallucci c. Italie, no 10756/02, §§ 22-30, 12 juin 2007, et Viola et autres c. Italie, no 7842/02, §§ 58-63, 8 janvier 2008).

45. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

46. Le requérant se plaint du caractère ineffectif du recours fondé sur la « loi Pinto », notamment au motif que, en raison de la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la liquidation administrative est considérée comme une procédure administrative pour laquelle le recours Pinto serait exclu. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

47. Le Gouvernent soutient que le remède Pinto représente en règle générale une voie de recours effective qui est toutefois inapplicable en matière de liquidation administrative.

48. La Cour observe que les principes qui se dégagent de la jurisprudence interne consolidée en la matière confirment l’inapplicabilité de la « loi Pinto » à la liquidation administrative (paragraphe 18 ci-dessus).

49. Ainsi, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours permettant au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Xenos c. Grèce, no 45225/09, § 44, 13 juillet 2017).

ARTICLE 41

24 000 euros ont été accordés alors que le requérant réclamait 370 000 euros.

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