INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE

ARTICLES 2, 3, 5§1 ET 5§4 DE LA CONVENTION

Pour plus de sécurité, fbls internement psychiatrique est sur : https://www.fbls.net/5-1psy.htm

"L'internement psychiatrique ne sert pas seulement à écarter
un individu de la société, il doit aussi servir à soigner."
Frédéric Fabre docteur en droit.

ARTICLE 2§1 DE LA CONVENTION

"Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi."

ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants"

ARTICLE 5§4 DE LA CONVENTION

"4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale"

ARTICLE 5§1 DE LA CONVENTION

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:

a/ s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

b/ s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi;

c/ s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci;

d/ s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente;

e/ s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond;

f/ s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulière d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours"

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- LA DÉTENTION PSYCHIATRIQUE DOIT ÊTRE ORDONNÉE SUIVANT LES VOIES LÉGALES

- LA LOI INTERNE DOIT ÊTRE PRÉVISIBLE ET PRÉCISE

- LE TRIBUNAL DOIT ENTENDRE LE DÉTENU PSYCHIATRIQUE POUR VÉRIFIER LES CONDITIONS DE L'INTERNEMENT

- L'INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE D'UN INDIVIDU A POUR BUT DE SOIGNER ET NON DE FAIRE SOUFFRIR

- UN INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE SERT A SOIGNER PAR CONSÉQUENT, IL NE PEUT ÊTRE TROP LONG

- UN INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE NE PEUT PAS ÊTRE SUIVI DANS UNE AILE D'UNE PRISON

- L'INTERNÉ DOIT POUVOIR FAIRE EXAMINER LA LÉGALITÉ DE SON INTERNEMENT A BREF DÉLAI PUIS RÉGULIÈREMENT

- LE CHOIX ENTRE LA CASTRATION CHIMIQUE OU UN ENFERMEMENT

- LES AUTORITÉS DOIVENT PROTEGER LA VIE DE L'INTERNÉ

- JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANCAISE.

MOTIVATIONS REMARQUABLES DE LA CEDH

R.D. ET I.M.D. c. ROUMANIE du 12 octobre 2021, requête n° 35402/14

60. un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si son aliénation a été établie de manière probante, c’est-à-dire que l’existence d’un trouble mental réel doit avoir été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective (Ilnseher, précité, § 127, et les références qui y sont citées, et Denis et Irvine, précité, § 135). Pour passer pour objective, l’expertise médicale doit de plus être suffisamment récente. La réponse à la question de savoir si l’expertise médicale est suffisamment récente dépend des circonstances particulières de la cause (Ilnseher, précité, § 131, et les références qui y sont citées).

DUFOORT c. BELGIQUE du 10 JANVIER 2013, requête n° 43653/09

77.  En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33,Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

DÉTENTION ET SANTÉ MENTALE - SANTÉ - DROIT DES HANDICAPÉS - DROIT DES PERSONNES ÂGÉES

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LA DÉTENTION PSYCHIATRIQUE DOIT ÊTRE

ORDONNÉE SUIVANT LES VOIES LÉGALES

D.C. c. BELGIQUE du 30 mars 2021 Requête no 82087/17

Art 5 § 1 • Aliéné • Décision d’internement régulière fondée sur une expertise psychiatrique établie sur les éléments du dossier vu le refus persistant du requérant de s’y soumettre • Observation de la procédure prévue par la loi • Motivation suffisante par la juridiction d’instruction des raisons liées à l’état de santé mentale du requérant justifiant son internement au moment de la décision

Art 5 § 4 • Garanties procédurales du contrôle respectées lors du refus de publicité de certaines audiences • Publicité non prévue par la nouvelle loi sur l’internement • Absence de circonstances particulières exigeant la publicité

a) Principes généraux applicables

81.  La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la privation de liberté de personnes atteintes de troubles mentaux, rappelés dans les arrêts Ilnseher c. Allemagne ([GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 126‑141, 4 décembre 2018) et Rooman c. Belgique ([GC], no 18052/11, §§ 190‑193, 31 janvier 2019).

82.  Elle rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Stanev c. Bulgarie [GC], n36760/06, § 143, CEDH 2012, et Ilnseher, précité, § 135).

Pour que la détention puisse passer pour « régulière » et dépourvue d’arbitraire, il convient de démontrer que la privation de liberté était indispensable au vu des circonstances. La privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Stanev, précité, § 143, et Ilnseher, précité, § 137).

84.  En ce qui concerne plus particulièrement la privation de liberté de personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Stanev, précité, § 145, Ilnseher, précité, § 127, et Rooman, précité, § 192).

85.  À ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé l’avis d’un médecin expert. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 47, CEDH 2000‑X, Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006, Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 59, 18 février 2014, et Van Zandbergen c. Belgique, no 4258/11, § 34, 2 février 2016).

86.  Par ailleurs, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment de la prise de décision (Ruiz Rivera, précité, § 60, Van Zandbergen, précité, § 35, et Ilnseher, précité, § 131). L’évaluation médicale doit reposer sur l’état de santé mentale réel de l’intéressé et non pas uniquement sur des faits passés (Varbanov, précité, § 47, et Constancia c. Pays-Bas (déc.), no 73560/12, § 26, 3 mars 2015). Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandisMagalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, § 49, CEDH 2002‑I, et H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

87.  À défaut d’autres possibilités, du fait par exemple du refus de l’intéressé de se présenter à un examen, il faut au moins demander l’évaluation d’un médecin expert sur la base du dossier, sinon on ne peut soutenir que l’aliénation de l’intéressé a été établie de manière probante (Varbanov, précité, § 47, Constancia, décision précitée, § 26, Petschulies c. Allemagne, no 6281/13, § 60, 2 juin 2016, et Lorenz c. Autriche, no 11537/11, § 57, 20 juillet 2017).

88.  Il y a lieu de reconnaître aux autorités nationales une certaine marge d’appréciation quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme « aliéné », car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné ; la tâche de la Cour consiste à contrôler leurs décisions sous l’angle de la Convention (Winterwerp, précité, § 40, Stanev, précité, § 155, et Ilnseher, précité, § 128). Cela étant dit, les motifs admissibles de privation de liberté énumérés à l’article 5 § 1 appellent une interprétation étroite (Ilnseher, précité, § 129). Un état mental doit présenter une certaine gravité pour être considéré comme un trouble mental « réel » aux fins de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 car il doit être sérieux au point de nécessiter un traitement dans un établissement destiné à accueillir des malades mentaux (Petschulies, précité, § 76, et Ilnseher, précité, § 129).

89.  À cet égard, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier différentes expertises médicales se contredisant au sujet de l’état de santé du requérant, ce qui relèverait en premier lieu de la compétence du juge national ; en revanche, elle doit s’assurer que les juridictions internes, lorsqu’elles ont pris la décision litigieuse, avaient à leur disposition des éléments suffisants pour justifier l’internement du requérant (Herz, précité, § 51, Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 49, 26 mai 2011, Anatoliy Rudenko c. Ukraine, no 50264/08, § 100, 17 avril 2014, et D.R. c. Lituanie, no 691/15, § 85, 26 juin 2018). Sur ce point, la Cour doit s’assurer que les juridictions internes ont minutieusement examiné toutes les questions pertinentes (Ťupa, précité, § 51, et Anatoliy Rudenko, précité, § 101) et qu’elles ont soumis l’expertise à un examen scrupuleux et décidé elles‑mêmes, au vu des éléments qui leur ont été fournis, si la personne concernée souffrait d’un trouble mental (Ilnseher, précité, § 132).

b)     Application au cas d’espèce

90.  Pour examiner si la privation de liberté du requérant était régulière au regard de l’article 5 § 1, la Cour doit vérifier si cette mesure entrait dans le champ d’application de l’une des exceptions à la liberté individuelle prévues aux alinéas a) à f) de cette disposition, si elle était conforme au droit interne et, enfin, si elle était justifiée au regard de l’une de ces exceptions.

91.  En ce qui concerne les exceptions au droit à la liberté prévues à l’article 5 § 1, la Cour observe que lors de son arrestation le 1er août 2015, le requérant, soupçonné d’avoir commis un crime, fut dans un premier temps privé de sa liberté conformément à l’article 5 § 1 c). La légalité et la régularité de sa privation initiale de liberté n’ont pas été mises en cause.

92.  Il apparut très vite, dès les premières heures de sa détention, qu’il présentait un certain nombre de symptômes pouvant indiquer qu’il souffrait de troubles mentaux. La procédure qui s’en suivit devant la chambre du conseil visait, tel que cela fut requis par le procureur du Roi, à déterminer si le requérant remplissait les conditions légales pour être interné. En ce sens, la décision d’interner le requérant qui en a résulté tombait sous le coup de l’alinéa e) de l’article 5 § 1. Il en a été ainsi avec la détention du requérant depuis ce moment, et cela jusqu’au moment où il fut libéré à l’essai.

93.  Eu égard aux allégations du requérant, la question qui se pose en l’espèce est celle de déterminer si son aliénation a été établie de manière probante.

  1. Sur la conformité au droit interne

94.  En ce qui concerne la conformité de la détention au droit interne, la Cour note qu’au moment où la chambre des mises en accusation a confirmé l’internement, la nouvelle loi relative à l’internement était entrée en vigueur. Conformément à l’article 5 de cette loi, une expertise psychiatrique médicolégale est nécessaire pour déterminer si, au moment des faits, la personne était atteinte d’un trouble mental qui avait aboli ou gravement altéré sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes, s’il existait un lien causal entre cet état mental et les faits, si ce trouble mental existe encore au moment de l’expertise, s’il existe un risque de commission de nouvelles infractions et s’il y a une possibilité de traiter la personne en vue d’une réinsertion dans la société (paragraphe 43 ci-dessus). Cette disposition ne prévoit pas d’obligation pour l’expert de rencontrer l’inculpé.

95.  Une telle expertise psychiatrique a bien été effectuée à la demande de la chambre des mises en accusation par le docteur De. Un premier rapport a été rendu le 17 août 2016 (paragraphe 23 ci-dessus). Celui-ci a ensuite été actualisé le 22 février 2017 (paragraphe 29 ci-dessus).

96.  Là où le requérant allègue que le code de déontologie médicale n’a pas été respecté (paragraphe 71 ci-dessus), il suffit à la Cour de prendre acte des considérations de la Cour de cassation selon lesquelles le code de déontologie médicale n’avait pas de force obligatoire à l’égard de tiers, dont les juridictions (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour ne voit aucune raison de remettre ces considérations en cause. Le fait que le code de déontologie médicale prévoyait, à l’époque des faits, l’obligation pour le médecin d’avoir vu et interrogé personnellement le patient n’est dès lors pas déterminant en l’espèce.

97.  Contrairement au requérant, la Cour ne voit donc pas de manquement à la procédure prévue par le droit interne en ce qui concerne l’établissement de l’expertise médicolégale.

  1. Sur la conformité aux autres exigences de l’article 5 § 1

98.  Ensuite, en ce qui concerne la conformité aux autres exigences de l’article 5 § 1 de la Convention, cette disposition requiert en principe, afin d’établir le trouble mental dont souffre une personne, que l’expert‑psychiatre requis pour établir un rapport relatif à l’état de santé mentale rencontre l’intéressé (paragraphe 85 ci-dessus). Toutefois, à défaut d’autres possibilités, notamment en cas de refus du requérant de se soumettre à une expertise, la Cour accepte que l’expertise soit faite sur la seule base des éléments figurant au dossier (paragraphe 87 ci-dessus).

99.  La Cour estime qu’en l’espèce, compte tenu des refus répétés du requérant de se soumettre à l’expertise psychiatrique (paragraphes 11, 22 et 28 ci-dessus) alors qu’il ne contestait pas avoir été atteint d’un grave trouble mental au moment des faits (paragraphes 18 et 72 ci-dessus), l’expert ne disposait pas d’autres possibilités que d’établir un rapport sur la base du dossier et des éléments auxquels il pouvait avoir égard. C’est d’ailleurs ce que le docteur De. a fait, à la demande de la chambre des mises en accusation qui avait explicitement prévu ce cas de figure (paragraphes 23 et 29 ci-dessus).

100.  En décider autrement reviendrait à permettre à toute personne inculpée de faire obstacle à l’application de la loi relative à l’internement par son simple refus de se soumettre à l’expertise psychiatrique ordonnée par le juge et requise par la loi. Or il y a lieu de rappeler, à l’instar du Gouvernement, qu’une mesure d’internement vise à protéger la société ainsi que la personne internée (paragraphe 40 ci-dessus).

101.  Il ne peut donc pas être reproché à la chambre des mises en accusation de s’être fondée sur une expertise psychiatrique établie sur la base des éléments du dossier. La chambre des mises en accusation a tenu compte, dans son appréciation, de l’ensemble du dossier, comprenant les auditions du requérant et des témoins ainsi que les différents rapports médicaux établis à la demande des juridictions d’instruction ou du requérant lui-même (paragraphe 32 ci-dessus) pour en tirer une conclusion quant à l’état mental du requérant.

102.  Reste à savoir si le trouble mental était établi de manière probante au moment de l’arrêt de la chambre des mises en accusation. En effet, le requérant ne conteste pas qu’au moment de l’agression il souffrait d’un trouble mental (paragraphe 72 ci-dessus), mais il soutient que les juridictions d’instruction n’ont pas établi de manière probante qu’il souffrait encore d’un trouble mental justifiant son internement au moment où la décision a été prise par la chambre des mises en accusation.

103.  La Cour rappelle que la date pertinente à laquelle l’aliénation d’une personne doit avoir été établie de manière probante est celle de l’adoption de la mesure la privant de sa liberté en raison de son état, tant au regard des exigences du droit interne (paragraphe 41 ci-dessus) qu’au regard de celles de l’article 5 § 1 e) de la Convention (Varbanov, § 47, Petschulies, § 63, et Ilnseher, § 134, tous précités).

104.  À cet égard, le rapport du psychologue P. qui datait de près d’un an et demi avant l’arrêt de la chambre des mises en accusation était trop ancien pour établir l’état de santé mental actuel du requérant (dans le même sens, Herz, précité, § 50).

105.  La Cour relève ensuite que les rapports établis par le docteur Dm. et le docteur De. n’avaient pas la même analyse de l’état de santé mentale du requérant. Le docteur Dm., qui avait rencontré le requérant, indiquait que celui-ci était capable du contrôle de ses actes, qu’il était atteint d’un trouble du spectre autistique et que son état ne justifiait pas un internement (paragraphe 17 ci-dessus). Le docteur De. qui, elle, n’avait pas rencontré le requérant, estimait que les troubles psychotiques présents au moment des faits étaient soit des troubles au long cours soit des troubles temporaires qui fréquemment reposaient sur des personnalités fragiles de type psychotique. Dans les deux cas, le trouble mental serait toujours présent au moment de l’expertise. Quant au risque de commission de nouvelles infractions, l’experte estimait que, comme il s’agissait d’un trouble psychotique ou à tout le moins d’une personnalité très fragile, cela laissait à penser qu’un risque pouvait encore exister. Quant au traitement, elle n’était pas en mesure de dire quel type de traitement était le plus adapté, mais un suivi psychiatrique ambulatoire régulier lui paraissait un minimum (paragraphe 29 ci-dessus).

106.  Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer des avis médicaux divergents (paragraphe 89 ci-dessus). La Cour est satisfaite en l’espèce par le fait que la chambre des mises en accusation a indiqué les raisons pour lesquelles elle estimait devoir donner plus de crédit aux conclusions du docteur De., désigné par les autorités judiciaires, qu’à celles du docteur Dm., mandaté par le requérant (paragraphe 32 ci-dessus).

107.  Il est vrai que certains éléments semblent indiquer qu’il était possible que l’état de santé mentale du requérant s’était amélioré au moment de la décision de l’interner (paragraphes 15 et 27 ci-dessus). Toutefois, les refus répétés du requérant de se soumettre à une expertise psychiatrique (paragraphes 11, 22 et 28 ci-dessus) ainsi que son refus de donner accès à ses dossiers médicaux actualisés des prisons de Lantin et Louvain (paragraphes 28 et 30 ci-dessus) ont rendu une évaluation de son état actuel impossible.

108.  Dans ces circonstances, à l’instar de la Cour de cassation et du Gouvernement (respectivement paragraphes 34 et 80 ci-dessus), la Cour accepte également les motifs retenus par la chambre des mises en accusation pour refuser d’entendre à l’audience les différents médecins et experts s’étant prononcés sur l’état du requérant (paragraphe 32 ci-dessus).

109.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que, compte tenu du refus persistant du requérant de se soumettre à une expertise psychiatrique, la chambre des mises en accusation a motivé à suffisance, sur le fondement des éléments dont elle disposait, les raisons pour lesquelles elle a considéré qu’il était établi que l’état de santé mentale du requérant était, au moment de la prise de décision, toujours de nature à justifier son internement.

110.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

  1. SUR Le caractère non public DES AUDIENCES DE LA CHAMBRE DES MISES EN ACCUSATION

  1.  

    1. Principes généraux applicables

119.  Les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux ont été rappelés dans l’affaire Stanev (précité, §§ 168-171 ; voir aussi Claes, précité, §§ 127-129, et Dufoort c. Belgique, no 43653/09, §§ 97-101, 10 janvier 2013).

120.  L’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours devant un tribunal pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, CEDH 2009, Stanev, précité, § 168, Géorgie c. Russie (I) [GC], no 13255/07, § 183, CEDH 2014 (extraits), et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 128, 15 décembre 2016).

121. Lorsque la décision privative de liberté est rendue par un tribunal au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, offrant les garanties fondamentales de procédure appliquées en matière de privation de liberté, le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé à la décision (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 76, série A no 12, Varbanov, précité, § 58, Filip, précité, § 71, et Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 93, 2 décembre 2010). Si la décision privative de liberté n’est pas rendue par un tribunal offrant ces garanties, l’État doit permettre un recours devant un tribunal qui s’entoure de ces garanties (De Wilde, Ooms et Versyp, précité, § 76, Varbanov, précité, § 58, Filip, précité, § 72, et Jusic, précité, § 94). Si la décision privative de liberté est rendue par un tribunal, l’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer plus d’un degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et pour celui des demandes d’élargissement ; néanmoins, un État qui offre un second degré de juridiction doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, série A no 224, Lebedev c. Russie, no 4493/04, § 73, 25 octobre 2007, Ilnseher, précité, § 254, et Kavala c. Turquie, no 28749/18, § 181, 10 décembre 2019).

122.  L’article 5 § 4 exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et offre à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (De Wilde, Ooms et Versyp, précité, § 76, Winterwerp, précité, § 57, Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, b), série A no 237‑A, Reinprecht, précité, § 31, b), A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 203, Stanev, précité, § 171, b), Idalov c. Russie [GC], no  5826/03, § 161, 22 mai 2012, et Ruiz Rivera, précité, § 69). Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp, précité, § 57, Megyeri, précité, § 22, c), Stanev, précité, § 171, b), et Ruiz Rivera, précité, § 69).

123.  Les instances judiciaires relevant de l’article 5 § 4 ne doivent pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Winterwerp, précité, § 60, Megyeri, précité, § 22, c), Stanev, précité, § 171, c), Idalov, précité, § 161, et Ruiz Rivera, précité, § 70). La procédure doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties (Reinprecht, précité, § 31, c), A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 204, et Ruiz Rivera, précité, § 70). Des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (Winterwerp, précité, § 60, Megyeri, précité, § 22, c), et Stanev, précité, § 170).

124.  S’il s’agit d’une personne dont la détention relève de l’article 5 § 1 c), une audience s’impose (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 162, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, Reinprecht, précité, § 31 c), et Lebedev, précité, § 77 ; voir également A. et autres c. Royaume‑Uni, précité, § 204). Plus généralement, dans une situation où des éléments touchant à la personnalité et au degré de maturité du détenu sont importants pour décider de sa dangerosité, l’article 5 § 4 exige une audience contradictoire dans le cadre d’une procédure emportant représentation par un défenseur et possibilité de citer et d’interroger des témoins (Hussain c. Royaume-Uni, 21 février 1996, § 60, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, Singh c. Royaume-Uni, 21 février 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, et Waite c. Royaume-Uni, no 53269/99, § 59, 10 décembre 2002). Il peut en être ainsi, notamment, dans des situations concernant la privation de liberté de personnes atteintes de troubles mentaux (Ruiz Rivera, précité, §§ 70 et 74-75). Toutefois, même dans de telles situations une audience n’est pas indispensable dans toutes les circonstances, notamment si aucune clarification additionnelle n’est censée en résulter (Derungs c. Suisse, no 52089/09, § 75, 10 mai 2016).

125.  Si l’article 5 § 4 peut commander la tenue d’une audience, il n’exige pas, en règle générale, qu’une telle audience se déroule en public (Reinprecht, précité, § 41, Lebedev, précité, § 82, et Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, § 220, 31 mai 2011). La jurisprudence de la Cour n’inclut donc pas l’exigence de publicité dans la liste des garanties procédurales inhérentes à la notion d’équité dans le contexte spécifique des procédures relatives à une détention (Khodorkovskiy, précité, § 159). Au sujet de la détention provisoire autorisée par l’article 5 § 1 c) de la Convention, la Cour a estimé que l’on ne saurait déduire du lien existant entre l’article 5 § 4 et l’article 6 de la Convention en matière pénale que l’article 5 § 4 exige la publicité d’une audience consacrée à la légalité d’une telle détention (Reinprecht, précité, § 38). Ces deux dispositions répondent à des finalités distinctes (ibidem, § 39), et c’est cette différence de finalités qui explique pourquoi l’article 5 § 4 contient des exigences procédurales plus souples que l’article 6 tout en étant bien plus strict sur le respect d’un « bref délai » pour le contrôle de la légalité de la détention (ibidem, § 40).

126.  La Cour a toutefois précisé qu’elle n’excluait pas la possibilité que dans des circonstances particulières une audience publique puisse être nécessaire (Reinprecht, précité, § 41).

  1. Application au cas d’espèce

127.  La Cour observe d’emblée que, jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de la loi de 2014 relative à l’internement, le requérant a demandé et obtenu, à plusieurs reprises, que les audiences devant la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation se tiennent publiquement, tel que le permettait la loi de 1930 de défense sociale (paragraphe 46 ci-dessus).

128.  Ce sont les audiences devant la chambre des mises en accusation qui se sont tenues après le 1er octobre 2016 qui ont eu lieu à huis clos, conformément à l’article 14 § 3 de la loi de 2014 relative à l’internement (paragraphe 47 ci-dessus). Concrètement, il s’agit des audiences des 14 novembre 2016 (paragraphe 26 ci-dessus) et 13 février 2017 (paragraphe 31 ci-dessus). C’est de l’absence de publicité de ces audiences‑là que se plaint le requérant.

129.  Aussi, contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement (paragraphe 118 ci-dessus), la Cour observe que le requérant a bien demandé, dans ses conclusions, que ces audiences se tiennent publiquement (paragraphe 20 ci-dessus). La chambre des mises en accusation a répondu que cela n’était pas prévu par le droit applicable (paragraphe 32 ci-dessus), ce qui a été avalisé par la Cour de cassation (paragraphe 34 ci-dessus).

130.  La question se pose donc de savoir si ces audiences devaient, pour satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, se tenir publiquement.

131.  La Cour observe à cet égard que la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège a refusé de faire droit à la demande de publicité formulée par le requérant au motif que cela n’était pas prévu par la loi de 2014 relative à l’internement (paragraphe 32 ci-dessus). La Cour de cassation a considéré que cette justification était suffisante pour légalement justifier le refus de publicité (paragraphe 34 ci-dessus). Ni la chambre des mises en accusation ni le Gouvernement dans ses observations n’ont invoqué un quelconque autre motif pour lequel l’audience de la chambre des mises en accusation ne pouvait pas se tenir publiquement.

132.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 n’exige pas, en règle générale, que les audiences relatives à une détention soient publiques (paragraphe 125 ci-dessus).

133.  Elle note ensuite que le requérant avait été inculpé de tentative de meurtre et que la procédure pénale s’étant déroulée devant les juridictions d’instruction visait à déterminer s’il existait des charges suffisantes à son encontre afin de le renvoyer devant une juridiction de jugement qui se prononcerait sur le bien-fondé de l’accusation pénale portée contre lui, s’il devait bénéficier d’un non-lieu, ou s’il devait être interné en raison du fait qu’il ne pouvait pas être tenu pénalement responsable des faits qu’il était soupçonné d’avoir commis.

134.  Certes, cette dernière question était importante et délicate dans la mesure où les juridictions d’instruction étaient amenées à se prononcer non seulement sur la question de savoir si tous les éléments constitutifs de l’infraction reprochée à l’inculpé étaient réunis mais aussi sur la question de savoir si l’état de santé mentale de l’intéressé justifiait son internement (paragraphe 41 ci-dessus). Cela est d’autant plus vrai que l’internement est une mesure de privation de liberté grave qui, en droit belge, est ordonnée pour une durée indéterminée.

135.  Cela étant dit, la Cour tient compte de la particularité de la procédure d’internement, spécialement devant les juridictions d’instruction. Observant par ailleurs que l’audience devant la chambre du conseil s’est déroulée publiquement, la Cour ne voit pas de « circonstances particulières », auxquelles se réfère l’arrêt Reinprecht (paragraphe 126 ci‑dessus), qui devraient la conduire à conclure que l’article 5 § 4 exigeait en l’espèce la publicité de l’audience de la chambre des mises en accusation.

136.  Le fait que la loi de 1930 de défense sociale prévoyait la possibilité pour l’inculpé de demander la publicité de l’audience lorsque les juridictions d’instruction statuaient sur son internement (paragraphe 46 ci‑dessus) et que cette possibilité ne se trouve plus dans la loi de 2014 relative à l’internement (paragraphe 47 ci-dessus) n’est pas de nature à énerver cette conclusion.

137.  Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention du fait de l’absence de publicité des audiences de la chambre des mises en accusation s’étant déroulées après le 1er octobre 2016.

  1. Sur le manque allégué d’impartialité de la chambre des mises en accusation

138.  Invoquant les articles 5 § 4 et 6 de la Convention, le requérant allègue que le fait que la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège ait donné une tâche à un expert psychiatre qui allait à l’encontre du code de déontologie médicale et de la loi relative à l’internement fait apparaître un manque d’impartialité des juges. L’apparence de partialité serait en l’espèce confirmée par le fait que la chambre des mises en accusation ait utilisé la position de faiblesse du requérant qui ne pouvait pas faire entendre des témoins ou experts.

139.  Le Gouvernement considère qu’il a été suffisamment démontré que les autorités avaient travaillé pour l’adoption de décisions justes au vu des faits, de l’état de santé mentale du requérant et de son attitude pendant la procédure. Il conclut partant à l’absence de fondement des allégations du requérant de ce chef.

140.  La Cour considère qu’aucun manque d’impartialité ne peut être déduit en l’espèce du simple fait qu’une juridiction n’ait pas fait droit aux demandes du requérant. Aussi, de l’avis de la Cour, les allégations générales telles que formulées par le requérant ne sont fondées sur aucun élément tangible permettant de mettre en doute l’indépendance et l’impartialité de la juridiction mise en cause.

141.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Maddalozzo c. Suisse du 16 janvier 2020 requête n° 19338/18

irrecevabilité sue les articles 5 -1 et 3 : Maintien justifié de l’internement d’un homme présentant des risques de récidive et un comportement dangereux

L’affaire concerne une décision de maintien de l’internement d’un homme préalablement condamné à cinq années de réclusion, prise le 8 décembre 2016, par le Tribunal d’application des peines et des mesures de la République et Canton de Genève. La Cour estime d’une part que le requérant s’est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et que sa détention s’est déroulée dans des établissements appropriés à la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. D’autre part, elle constate que la possibilité de libération a été examinée à intervalles réguliers, d’office ou sur demande. Dès lors, l’internement en cause n’est pas incompressible. La Cour conclut que la décision de maintien de l’internement du requérant s’est fondée sur une évaluation raisonnable et régulièrement à jour de la dangerosité de celui-ci. Ses griefs sont irrecevables.

LES FAITS

Le requérant, Giuliano Maddalozzo est un ressortissant français, né en 1954 et détenu aux Etablissements d’exécution des peines de Bellevue, à Gorgier (canton de Neuchâtel). Le 3 novembre 1998, la cour d’assises de la République et canton de Genève reconnut le requérant coupable de tentative de viol avec cruauté et rupture de ban. Elle le condamna à une peine de cinq ans de réclusion, ordonna la suspension de ladite peine au profit d’un internement et ordonna un traitement psychiatrique. Le Tribunal fédéral confirma ce jugement. Le 20 juin 2011, le requérant sollicita le réexamen de sa libération conditionnelle de l’internement. Dans un rapport du 15 novembre 2012, un médecin diagnostiqua un trouble de la personnalité à caractéristique paranoïaque, comprenant des éléments narcissiques-pervers, et une composante psychopathique, ainsi qu’un trouble mental organique, dû à une lésion, un dysfonctionnement cérébral ou à une affection physique, et une immaturité du développement psycho-sexuel. L’expert constata qu’il restait toujours sérieusement à craindre que le requérant ne commît de nouvelles infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui. Il souligna qu’un internement, ne pouvant pas être remplacé par une mesure thérapeutique institutionnelle et, encore moins, par un traitement ambulatoire, demeurait nécessaire. Le 22 avril 2013, le Tribunal d’application des peines et des mesures de la République et Canton de Genève (« le TAPEM ») rejeta la demande du requérant et confirma le maintien de la mesure. Ce jugement fut confirmé aux niveaux cantonal et fédéral en 2013. Le 31 mai 2016, la Cour déclara la requête du requérant, datant du 16 juin 2014, irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. En janvier 2015, le Ministère public genevois conclut également au maintien de l’internement du requérant. Dans son avis du 25 février 2015, la Commission d’évaluation de la dangerosité constata qu’aucun élément nouveau ne lui permettait de s’écarter des conclusions de l’expertise du 15 novembre 2012 et que le requérant, qui ne s’était pas présenté à l’audience du 26 mars 2014 devant la Commission, représentait toujours un danger pour la collectivité. Le 5 mars 2015 le TAPEM ordonna le maintien de l’internement. Le 30 septembre 2015, le requérant fut transféré aux Etablissements d’exécution des peines de Bellevue, un établissement pénitentiaire de haute sécurité. Le 21 octobre 2016, la direction de l’Etablissement de Bellevue rendit un rapport dans lequel elle indiquait que le requérant bénéficiait d’entretiens avec un psychologue une fois par mois, mais ne faisait preuve d’aucune évolution concernant sa perception du délit et sa position de déni. Lors de l’audience du 8 décembre 2016 devant le TAPEM, le requérant nia toujours les actes pour lesquels il avait été condamné, ainsi que l’existence de ses troubles psychiatriques. Le TAPEM ordonna le maintien de l’internement en se basant sur le rapport d’expertise du 15 novembre 2012 ainsi que sur les prises de position figurant au dossier, aucun événement de nature à remettre fondamentalement en cause ces éléments n’étant intervenu depuis lors. Par un jugement rendu le 24 février 2017, la Cour de justice rejeta le recours. Le 19 octobre 2017, le Tribunal fédéral rejeta le recours, constatant que le lien de causalité entre la condamnation initiale et la prolongation de la détention n’était pas rompu eu égard au risque inchangé de récidive et de dangerosité du requérant. Il conclut également que la détention du requérant ne constituait pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

Article 5 § 1

La Cour observe que les tribunaux ont prolongé la détention du requérant pour l’empêcher de commettre des infractions similaires à celles pour lesquelles il avait été reconnu coupable, le risque de récidive et la dangerosité de l’intéressé n’ayant pas diminué. La Cour note que les juridictions nationales n’ont pas seulement fondé leur décision sur le rapport d’expert du 15 novembre 2012, insuffisamment récent pour justifier à lui seul le maintien de la privation de liberté du requérant. Le TAPEM a lui aussi pris en compte les nombreuses prises de position figurant au dossier, celles-ci préconisant toutes le maintien de l’internement. La Cour observe que les tribunaux ont pris en compte un certain nombre d’éléments permettant de conclure qu’il était probable que le requérant récidiverait s’il était libéré et qu’il était toujours dangereux pour le public. La décision du TAPEM, confirmée par le Tribunal fédéral du maintien de l’internement ne semble donc pas déraisonnable. La Cour note également qu’au fil des années, le requérant a fait l’objet de nombreux avis et évaluations par des experts médicaux, confirmant son absence d’évolution. En ce qui concerne le lieu et le régime de l’internement, la Cour observe que le requérant fait l’objet d’un internement au sens de l’article 64 du code pénal et non d’une mesure thérapeutique institutionnelle. En l’espèce, le requérant a passé plus de onze ans dans des établissements de détention notamment destinés à la détention provisoire (prisons de Champ-Dollon et de la Croisée) ; il est depuis octobre 2015 interné aux Etablissements d’exécution des peines de Bellevue, établissement pénitentiaire de haute sécurité. La Cour observe que ni l’expertise du 15 novembre 2012, ni les diverses conclusions des services médicaux pénitentiaires ne suggèrent que le requérant aurait dû être placé dans une institution plus appropriée. Dans son jugement initial rendu le 3 novembre 1998, la cour d’assises avait ordonné un traitement psychiatrique, mais il est à noter que le requérant n’a pas souhaité suivre ce traitement de manière régulière. La Cour rappelle qu’une personne faisant l’objet d’un placement involontaire n’est pas obligée d’accepter les offres thérapeutiques qui lui sont faites et qu’il importe d’accorder du poids aux refus répétés du requérant. On ne peut attendre des autorités qu’elles imposent au requérant un traitement médical ; elles doivent néanmoins continuer à lui proposer des mesures thérapeutiques adaptées à sa situation personnelle. Or, il ressort du dossier que le requérant n’a pas été laissé sans choix. Un plan d’exécution de la sanction a été mis en place afin de permettre un suivi individualisé assorti d’un traitement thérapeutique où la fréquence des entretiens psychologiques a été adaptée à la demande de l’intéressé. La Cour estime donc que le requérant s’est vu offrir un suivi médical cohérent et convenant à sa situation et que sa détention s’est déroulée dans des établissements appropriés à la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Elle conclut que la décision de maintien de l’internement se fondait sur une évaluation raisonnable et suffisamment récente de la dangerosité de l’intéressé. La décision de maintien de l’internement était compatible avec les objectifs de la condamnation initiale. Les griefs du requérants doivent donc être rejetés pour défaut manifeste de fondement.

Article 3

La Cour observe tout d’abord que le requérant a été condamné à un internement qui, en vertu de l’article 64 du Code pénal, offre la possibilité d’une libération conditionnelle à condition qu’il soit possible de prévoir que l’interné se conduira correctement en liberté. Cette possibilité de libération est examinée à intervalles réguliers, d’office ou sur demande. Dès lors, l’internement n’est pas incompressible. Ensuite, le seul fait que le requérant se soit vu débouté de sa demande de liberté conditionnelle au motif qu’il constitue toujours un danger pour la société ne viole pas en soi l’article 3 de la Convention. En effet, la Convention impose aux Etats contractants de prendre des mesures pour protéger la collectivité des crimes violents. Une personne convaincue d’une infraction grave peut se voir infliger une peine de maintien en détention de durée indéterminée lorsque la protection du public l’exige. Répondant au requérant qui allègue que l’expertise du 15 novembre 2012 aurait écarté toute perspective de libération, la Cour rappelle que le pronostic alors établi n’est pas immuable et qu’il peut être modifié lors d’une nouvelle expertise à venir.

La Cour, ayant déjà conclu que le requérant, malgré son manque de coopération, s’était vu offrir un suivi médical cohérent et adapté et qu’il avait été détenu dans des établissements appropriés à la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux, rejette le grief sous l’angle de l’article 3, pour défaut manifeste de fondement.

CEDH

  1. Quant aux griefs tirés de l’article 5 § 1 de la Convention

    1. Sur le maintien de l’internement (« lien de causalité »)

28.  Le requérant soutient que sa dangerosité actuelle, son risque de récidive et la gravité de l’infraction commise ne justifient pas le maintien de son internement. Selon lui, le lien de causalité entre la condamnation initiale et la décision de ne pas libérer, se basant sur l’expertise du 15  novembre  2012, serait rompu.

29.  La Cour rappelle que selon sa jurisprudence concernant l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention, il est nécessaire qu’un lien de causalité suffisant existe entre la condamnation initiale et la décision de ne pas libérer ou de réincarcérer ; dans le cas contraire, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et serait dès lors incompatible avec l’article 5 (Kadusic c. Suisse, no 43977/13, 9  janvier  2018, §§ 39 et 40 ; M. c. Allemagne, no 19359/04, 17  décembre  2009, § 88 ; Eriksen c. Norvège, no 17391/90, 27 mai 1997, §  78, et Weeks c. Royaume-Uni, no 9787/82, 2 mars 1987, § 49).

30.  Cependant, la Cour observe que la présente affaire se distingue de l’affaire Kadusic en ce que l’internement du requérant a été ordonné, non pas plusieurs années après la condamnation initiale, mais dès le prononcé du jugement de la Cour d’assises du 3 novembre 1998 l’ayant reconnu coupable de tentative de viol avec cruauté et rupture de ban.

31.  En l’espèce, les tribunaux nationaux ont prolongé la détention du requérant pour l’empêcher de commettre d’autres infractions contre l’intégrité sexuelle similaires à celles dont il avait été reconnu coupable par le passé, le risque de récidive et la dangerosité du requérant n’ayant pas diminué. À la lumière de la jurisprudence de la Cour, cette décision peut être jugée conforme aux objectifs de la décision initiale d’interner le requérant prononcée par la Cour d’assises (H.W. c. Allemagne, no 17167/11, 19 septembre 2013, § 105).

32.  La Cour rappelle qu’il est cependant nécessaire de déterminer si la décision litigieuse était fondée sur une évaluation raisonnable au regard de ces objectifs et si le juge avait à sa disposition des éléments suffisants pour justifier de la prolongation de l’internement (H.W., précité, § 106 ; Herz c.  Allemagne, no 44672/98, 12 juin 2003, § 51). La privation de liberté du requérant ne saurait en effet se prolonger sans la persistance du trouble, établi de manière probante sur la base d’une expertise médicale objective (Herz, précité, § 47, Johnson c. Royaume-Uni, no 22520/93, 24  octobre  1997, § 60, et Herczegfalvy c. Autriche, no 10533/83, 24  septembre 1992, § 63).

33.  En l’espèce, la Cour observe d’emblée que le rapport d’expertise du 15 no­vem­bre 2012, intervenu plus de quatre ans avant la décision du TAPEM, n’est pas suffisamment récent pour justifier, à lui seul, le maintien de la privation de liberté du requérant (Kadusic, précité, § 55, Yaikov c.  Russie, no 39317/05, 18 juin 2015, § 64, et Herz, précité, § 50).

34.  Or, la Cour note que les juridictions nationales n’ont pas fondé leur décision uniquement sur ce rapport d’expert (Dörr c. Allemagne (déc.), no  2894/08, 22 janvier 2013). En effet, le TAPEM a également pris en compte les nombreuses prises de position figurant au dossier. Celles-ci préconisaient toutes le maintien de l’internement. Le TAPEM conclut dès lors au maintien de l’internement, aucun élément nouveau de nature à remettre fondamentalement en cause les conclusions du Dr S. n’étant intervenu depuis cette expertise.

35.  Au vu de la jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires (Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, 31 janvier 2019, § 221 ; H.W., précitée, § 108, et Dörr, précitée) et du dossier, cette décision du TAPEM, confirmée par le Tribunal fédéral, ne semble pas déraisonnable. La Cour observe que les tribunaux nationaux ont pris en compte un certain nombre d’éléments permettant de conclure qu’il était probable que le requérant récidiverait s’il était libéré et qu’il était toujours dangereux pour le public, tels que les antécédents judiciaires du requérant pour des infractions très graves contre l’intégrité sexuelle, le diagnostic du Dr S., le fait que le requérant ne semblait pas avoir médité sur les infractions commises ou sur ses troubles, ainsi que les échecs des tentatives de traitements psychothérapeutiques entreprises.

36.  La Cour note également que le requérant a, au fil des années, fait l’objet de nombreux avis et évaluations par des personnes disposant d’une expertise médicale, le plus récent datant d’octobre 2016 – soit deux mois avant la décision du TAPEM – et confirmant l’absence d’évolution du requérant (H.W., précité, § 111). Enfin, le requérant a été entendu par le TAPEM lors de l’audience du 8 décembre 2016, durant laquelle il persista à nier les actes pour lesquels il avait été condamné, ainsi que l’existence de ses troubles psychiatriques (Dörr, précité, et, a contrario, Herz, précité, § 45).

  1. Sur le lieu et le régime de l’internement

37.  Le requérant se plaint qu’il exécute son internement dans des établissements pénitentiaires inadaptés car il s’agissait majoritairement d’établisse­ments de détention notamment destinés à la détention provisoire (prisons de Champ-Dollon et de la Croisée). Il soutient que les prises en charge somatiques et psychiatriques y sont lacunaires.

38.  Selon la jurisprudence de la Cour, un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et le lieu et le régime de la détention. En principe, la « détention » d’une personne en tant que malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 de la Convention que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (voir, à titre d’exemples, Kadusic, précité, § 45, et Aerts c.  Belgique, no 25357/94, 30 juillet 1998, § 46). Pour vérifier le caractère approprié de l’établissement, la Cour a tenu compte non pas tellement du but premier de celui-ci, mais plutôt des conditions spécifiques de la détention et de la possibilité pour les intéressés d’y bénéficier d’un traitement adapté (Rooman, précité, § 200 ; Bergmann c. Allemagne, no  23279/14, 7 janvier 2016, § 124, et Kadusic, précité, §§ 56 et 59). Le seul fait qu’une personne souffrant de troubles mentaux ne soit pas intégrée dans un établissement approprié n’a cependant pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention (Swennen c. Belgique, no 53448/10, 10 janvier 2013, § 72).

39.  Dans la présente affaire, le requérant fait l’objet d’un internement au sens de l’article 64 du Code pénal (paragraphe 24 ci-dessus), et non d’une mesure thérapeutique institutionnelle comme dans l’affaire Kadusic, précitée. L’article 64, al. 4 du Code pénal prévoit expressément que l’interne­ment peut être exécuté dans un établissement d’exécution des mesures ou dans un établissement prévu à l’art. 76, al. 2 du Code pénal (paragraphe 25 ci-dessus), c’est-à-dire « un établissement fermé ou dans la section fermée d’un établissement ouvert s’il y a lieu de craindre qu’il [l’auteur] ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions ». L’auteur peut être soumis, si besoin est, à une prise en charge psychiatrique.

40.  En l’espèce, le requérant a passé plus de onze ans dans des établissements de détention notamment destinés à la détention provisoire (prisons de Champ-Dollon et de la Croisée) et est, depuis octobre 2015, interné aux Établissements d’exécution des peines de Bellevue, un établissement pénitentiaire de haute sécurité.

41.  À cet égard, la Cour observe que ni l’expertise du 15  novembre  2012, ni les diverses conclusions des services médicaux pénitentiaires ne suggèrent que le requérant aurait dû être placé dans une autre institution plus appropriée. De plus, concernant la Suisse, la Cour n’a jamais conclu à l’existence d’un problème structurel dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (Papillo c. Suisse, no43368/08, 27 janvier 2015, § 46).

42.  Quant au régime de la privation de liberté, les personnes internées doivent être placées dans un établissement permettant l’administration de soins adéquats, appropriés à la situation de leur état de santé et individualisés (voir, à titre d’exemple, Rooman, précité, §§ 215 et 222).

43.  Sur ce point, la Cour observe que dans son jugement initial du 3  novembre 1998, la Cour d’assises avait ordonné un traitement psychiatrique. Or, au vu des faits énoncés plus haut, le requérant n’a pas souhaité suivre un tel traitement de manière régulière.

44.  La Cour a déjà rappelé dans sa jurisprudence que si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (Swennen, précité, § 80).

45.  Bien qu’une personne faisant l’objet d’un placement involontaire ne soit pas obligée d’accepter les offres thérapeutiques qui lui sont faites, la Cour accorde du poids en l’occurrence aux refus répétés du requérant – qui a toujours été représenté devant les autorités internes comme devant la Cour – de poursuivre les soins et de coopérer avec les différents intervenants en charge de son traitement, ces refus ayant inévitablement confronté les autorités compétentes à un obstacle sérieux. Dans ce cas de figure, on ne peut attendre des autorités qu’elles imposent au requérant un traitement médical, mais qu’elles continuent à lui proposer des mesures thérapeutiques adaptées à sa situation personnelle (Rooman, précité, §§ 246-248).

46.  Or, il ressort du dossier que le requérant n’a pas été laissé sans choix thérapeutique. Un plan d’exécution de la sanction avait été mis en place afin de permettre un suivi individualisé et le requérant pouvait bénéficier d’un traitement thérapeutique s’il le désirait. Durant les périodes où le requérant accepta de bénéficier d’un tel traitement, la fréquence des entretiens fut de plus adaptée en fonction de sa demande personnelle, d’un commun accord avec le thérapeute.

47.  Dès lors, la Cour estime que le requérant, malgré son manque de coopération, s’est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et qu’il a donc été détenu dans des établissements appropriés pour la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (Bergmann, précité, §§ 126-128).

  1. Conclusion

48.  Eu égard à ce qui précède, la Cour est d’avis que la décision de maintien de l’internement se fondait sur une évaluation raisonnable et suffisamment récente de la dangerosité du requérant.

49.  Elle estime également que le requérant a été détenu dans des établissements appropriés à sa situation et permettant l’administration de soins adéquats.

50.  Dès lors, la décision de maintien de l’internement était compatible avec les objectifs de la condamnation initiale.

51.  Partant, la Cour conclut que ces griefs doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. Quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention

52.  Le requérant allègue qu’il serait soumis à une peine incompressible et perpétuelle suite aux conclusions de l’expertise du 15 novembre 2012, ce qui serait incompatible avec l’article 3 de la Convention.

53.  La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité, l’appréciation de ce minimum étant relative et dépendant de l’ensemble des faits de la cause (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, série A no  215, p. 36, § 107).

54.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été condamné à un internement qui, en vertu de l’article 64 a) et b) du Code pénal (paragraphe  24 ci-dessus), offre la possibilité d’une libération conditionnelle à condition qu’il soit possible de prévoir que l’interné se conduira correctement en liberté. Cette possibilité de libération est d’ailleurs examinée à intervalles réguliers, d’office ou sur demande. Dès lors, contrairement à ce qui soutient le requérant, l’internement n’est pas incompressible.

55.  De même, la Cour est d’avis que le seul fait que le requérant se soit vu débouter de sa demande de liberté conditionnelle au motif qu’il constitue toujours un danger pour la société ne viole pas l’article 3 de la Convention. En effet, la Convention impose aux États contractants de prendre des mesures visant à protéger la collectivité des crimes violents et elle ne leur interdit pas d’infliger à une personne convaincue d’une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de la maintenir en détention lorsque la protection du public l’exige (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], no66069/09, 130/10 et 3896/10, 9 juillet 2013, § 108).

56.  Dans la mesure où le requérant allègue que l’expertise du 15  novembre 2012 aurait écarté toute perspective de libération, il sied de rappeler que le pronostic du Dr S. n’est pas immuable et pourrait être modifié par le biais d’une nouvelle expertise dans le futur. Comme souligné aux paragraphes ci-dessus, le requérant a de plus, au fil des années, fait l’objet de nombreux avis et évaluations, par des personnes disposant d’une expertise médicale, confirmant son absence d’évolution.

57.  Concernant la nécessité d’un traitement approprié durant la privation de liberté, le requérant se plaint du manque de suivi psychothérapeutique et du fait que les établissements de détention, notamment destinés à la détention provisoire dans lesquels il était interné, étaient inadaptés.

58.  Dans l’arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, 6 septembre 2016, § 113), la Cour a estimé que « l’obligation découlant de la Convention ne s’arrête pas à celle de protéger la société contre les dangers que peuvent représenter les personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux mais impose également de dispenser à ces personnes une thérapie adaptée visant à les aider à se réinsérer le mieux possible dans la société ». Le manque de soins médicaux appropriés pour des personnes privées de liberté peut ainsi engager la responsabilité d’un État au regard de l’article 3 de la Convention (Murray c. Pays-Bas, no 10511/10, 26 avril 2016, § 105; Naoumenko c.  Ukraine, no 42023/98, 10 février 2004, § 112).

59.  En l’occurrence, la Cour a déjà conclu ci-dessus que le requérant, malgré son manque de coopération, s’était vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation et qu’il avait été détenu dans des établissements appropriés pour la détention de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Contrairement à ce que soutient le requérant, la Cour ne saurait non plus déceler sous l’angle de l’article 3 de la Convention des indices que la privation de la liberté du requérant est « nettement disproportionnée » (Vinter et autres, précité, § 102). Elle considère qu’il n’a pas été démontré à suffisance que le requérant a souffert d’un traitement pouvant être qualifié d’inhumain ou dégradant.

60.  Partant, ce grief est rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

DENIS ET IRVINE c. BELGIQUE du 8 octobre 2019 requêtes n° 62819/17 et 63921/17

Non violation de l'Article 5-1 et 5-4, la loi sur l'internement des voleurs qui agissent sous l'effet d'une démence est équilibrée. Les juridictions ont appliqué la loi à la lumière de la jurisprudence de la CEDH.

ARTICLE 5-1

a)      Principes généraux applicables

44.  La Cour renvoie aux principes généraux rappelés dans les arrêts Ilnseher c. Allemagne ([GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 126‑141, 4 décembre 2018) et Rooman c. Belgique ([GC], no 18052/11, §§ 190‑193, 31 janvier 2019).En particulier, elle rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Ilnseher, précité, § 135). Une période de détention est en principe « régulière » si elle repose sur une décision judiciaire (Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 68, CEDH 2000‑IX, et Nevmerjitski c. Ukraine, no 54825/00, § 116, CEDH 2005‑II (extraits)).

45.  S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement lorsque l’inobservation de ce dernier est susceptible d’emporter violation de la Convention. Tel est le cas, notamment, des affaires dans lesquelles l’article 5 § 1 de la Convention est en jeu et la Cour doit alors exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a été respecté (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 101, 23 février 2012). En particulier, il est essentiel, en matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application (Zervudacki c. France, no 73947/01, § 43, 27 juillet 2006).

46. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp, précité, § 39, et Rooman, précité, § 192).

b)     Application au cas d’espèce

47.  La Cour constate d’emblée qu’il n’est pas contesté par les parties qu’en l’absence de « condamnation », la détention subie par les requérants relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés. Il n’est pas non plus contesté par les parties que les décisions initiales d’interner les requérants sur le fondement de l’article 7 de la loi de défense sociale avaient été prises « selon les voies légales » et que leur privation de liberté était régulière au sens de l’article 5 § 1.

48.  La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’internement, le 1er octobre 2016 (paragraphes 10 et 33 ci-dessus), le maintien de l’internement peut encore passer pour être légal dans la mesure où cette nouvelle loi ne prévoit plus la possibilité d’interner une personne pour les faits que les requérants avaient commis et qui étaient à la base de leur internement.

49.  La Cour relève qu’au regard du droit national tel qu’applicable au moment de la décision initiale d’interner les requérants, l’internement pouvait être ordonné sur le fondement de la loi de défense sociale suite à la commission de tout fait qualifié crime ou délit si l’intéressé se trouvait dans un état de démence, ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions (paragraphes 31 et 32 ci-dessus). Désormais, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’internement, l’article 9 de ladite loi prévoit que l’internement ne peut être ordonné qu’à la suite de la commission d’un crime ou d’un délit portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers (paragraphe 33 ci-dessus). Ainsi, la Cour note, et cela n’est pas contesté par le Gouvernement, que les faits de vol et tentative de vol avec effraction commis par les requérants en l’espèce ne pourraient plus, à l’heure actuelle, constituer le fondement de l’internement d’une personne, nonobstant son état de santé mentale, sur le fondement de la nouvelle loi sur l’internement.

50.  Ceci étant dit, la Cour note que la nouvelle loi sur l’internement ne prévoit pas de mesure transitoire pour les personnes dont l’internement a été décidé sous l’empire de la loi de défense sociale de 1930 et qui avaient commis des faits ne remplissant pas les critères de la nouvelle loi.

51.  Aussi, en l’espèce, la Cour de cassation a jugé que l’internement des requérants pouvait être maintenu sur le fondement des décisions prises sous l’empire de la loi de défense sociale de 1930 et qui étaient passées en force de chose jugée. Elle a estimé que l’article 5 § 1 de la Convention n’avait pas pour conséquence qu’une mesure d’internement imposée définitivement n’était plus imposée régulièrement ou légalement parce que la loi avait changé au cours de la phase d’exécution (paragraphes 17 et 28 ci-dessus). Cette interprétation retenue par la Cour de cassation dans le cas des requérants semble être conforme aux travaux parlementaires desquels il ressort que la nouvelle loi sur l’internement n’avait pas en principe pour objet d’affecter les décisions relatives aux personnes souffrant de troubles mentaux qui avaient commis des faits pouvant donner lieu à un internement en vertu de la loi de défense sociale de 1930, mais pour lesquels l’internement ne serait plus possible en vertu de la nouvelle législation (paragraphe 34 ci-dessus). La détention des requérants continue donc de reposer sur les décisions judiciaires prises respectivement les 18 juin 2007 et 14 novembre 2002 (paragraphes 7 et 19 ci-dessus).

52.  La Cour est d’avis que l’interprétation faite par les autorités nationales de la nouvelle loi sur l’internement en l’espèce n’est pas arbitraire ou manifestement déraisonnable.

53.  En ce qui concerne la question plus large de la « régularité » de la détention au regard de la Convention, la Cour constate que les requérants ne contestent pas qu’ils remplissent les trois conditions exposées par la Cour dans l’arrêt Winterwerp (précité, § 39 ; paragraphe 46 ci-dessus). Elle estime partant ne pas devoir procéder à l’examen de leur respect.

54.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le maintien de la mesure d’internement des requérants après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’internement était compatible avec l’article 5 § 1 de la Convention.

55.  Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

ARTICLE 5-4

60.  Les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux ont été rappelés dans l’affaire Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, §§ 168-171, CEDH 2012 ; voir aussi, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, §§ 97-101, 10 janvier 2013). En particulier, cette disposition garantit, lorsqu’est en cause la détention d’un « aliéné » pour une durée illimitée ou prolongée, que l’intéressé ait le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (Stanev, précité, § 171).

61.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à l’absence de violation de l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 55 ci-dessus). Toutefois, le seul fait de n’avoir constaté aucun manquement aux exigences du paragraphe 1 de l’article 5 ne la dispense pas de contrôler l’observation du paragraphe 4 : il s’agit de deux textes distincts et le respect du premier n’implique pas forcément celui du second (Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 88, 9 juillet 2009).

62.  En l’espèce, les requérants soutiennent que, compte tenu de l’illégalité alléguée de leur détention, ils auraient dû pouvoir obtenir leur mise en liberté immédiate et définitive, ce qui ne serait pas possible depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’internement.

63.  La Cour constate qu’en vertu de l’article 66 de la nouvelle loi sur l’internement, la libération définitive – demandée par les requérants à titre principal en l’espèce – ne peut être octroyée qu’à l’expiration d’une période de libération à l’essai de trois ans et à condition que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu’il n’y ait raisonnablement plus à craindre qu’à cause de son trouble mental, en conjonction éventuellement avec d’autres facteurs de risque, la personne internée commette de nouvelles infractions portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers (paragraphe 37 ci‑dessus).

64.  Cela dit, la Cour rappelle que, dans une affaire issue d’une requête individuelle, elle n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique contestée, mais elle doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 180, 24 janvier 2017). Son rôle ne consiste donc pas à se prononcer in abstracto sur la compatibilité des recours prévus par la nouvelle loi sur l’internement avec la Convention. Elle doit se limiter à vérifier que la manière dont la loi a été appliquée en l’espèce a respecté la Convention.

65.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour relève que les requérants ont pu contester la prolongation de leur internement en saisissant la CPS puis la Cour de cassation de leurs griefs et qu’ils ont bénéficié d’un recours devant un juge statuant à bref délai sur la légalité de leur détention ainsi que sur leur demande de libération. Aussi, la Cour constate que dans le cas des requérants, la condition d’avoir effectué une période de libération à l’essai de trois ans n’a constitué qu’un motif surabondant parmi les diverses raisons pour lesquelles les instances de défense sociale ont refusé leur mise en liberté immédiate et définitive. En effet, les instances de défense sociale ont également estimé, à l’appui de rapports psychiatriques et psychologiques récents, que l’état de santé mentale des requérants ne permettait pas leur mise en liberté (paragraphes 15 et 26 ci-dessus). Les requérants n’ont d’ailleurs fait valoir ni devant la Cour de cassation ni devant la Cour que le trouble psychiatrique ayant justifié leur internement ne persistait pas ou que leur état de santé mentale s’était suffisamment amélioré. Ils ne remplissaient donc pas les autres conditions prévues par l’article 66 de la nouvelle loi sur l’internement pour que leur mise en liberté définitive soit ordonnée. Il s’ensuit que dans leurs cas la condition légale litigieuse n’a eu aucun effet sur le pouvoir d’appréciation des juridictions nationales.

66.  Par ailleurs, la Cour prend note du fait qu’entretemps la Cour de cassation a interprété cette disposition à la lumière de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention en jugeant qu’une personne internée qui n’est plus malade mentalement et qui n’est plus dangereuse doit bénéficier d’une libération définitive, même si le délai d’épreuve de trois ans n’est pas encore écoulé (paragraphe 38 ci-dessus).

67.  Eu égard à ce qui précède, la Cour juge qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

TB contre Suisse du 30 avril 2019 requête 1760/15

Violation de l'article 5-1 : un mineur séquestre une prostituée, la viole deux fois puis décide de l'étrangler avec un câble électrique. Il est condamné à la peine maximale de 4 ans de prison pour un mineur. Avant sa sortie, il est maintenu en détention administrative en prison, pour être soigner. Sa détention sert à protéger le reste de la société d'un danger avéré puisqu'il a des tendances de sadisme sexuel. Il n'a pas été soigné durant sa détention dans une prison. Par conséquent, la CEDH constate que le requérant était détenu sans base légale et à titre purement préventif dans l’établissement pénitentiaire.

LES FAITS

5.  Le requérant, un ressortissant suisse né en 1990, était détenu au sein de l’établissement pénitentiaire destiné à la mise en œuvre des peines et des mesures judiciaires de Lenzbourg (Justizvollzugsanstalt ; « l’établissement pénitentiaire »).

6.  Le 24 novembre 2011, le requérant fut condamné par le tribunal des mineurs de Lenzbourg à une peine de prison de quatre ans, la peine maximale prévue en Suisse par le droit pénal des mineurs, pour assassinat, viol aggravé et contrainte sexuelle aggravée. Il fut établi que, le 10 février 2008, le requérant avait tué – en faisant preuve d’une absence particulière de scrupules et d’une façon particulièrement odieuse – une prostituée après l’avoir violée deux fois, en l’étranglant avec un câble électrique. Le tribunal des mineurs accompagna cette condamnation d’une mesure de protection, fondée sur le droit pénal des mineurs, en la forme d’un placement en établissement spécialisé fermé, ainsi qu’un traitement ambulatoire des troubles psychiques présentés par le requérant.

7.  Le requérant purgea sa peine au centre d’exécution des mesures pour adolescents et jeunes adultes délinquants de sexe masculin, âgés de 17 à 26 ans, à Uitikon.

8.  Le 7 mai 2012, le procureur des mineurs (Jugendanwaltschaft) du canton d’Argovie demanda à l’office du district (Bezirksamt) de Lenzbourg de placer et de traiter le requérant lorsqu’il aurait 22 ans révolus, à savoir le 17 août 2012, dans un établissement approprié et, notamment, sécurisé.

9.  Le 20 juin 2012, l’office du district ordonna le placement du requérant à des fins d’assistance, en vertu du premier alinéa de l’article 397a du code civil (paragraphe 38 ci-dessous), dans l’aile de sécurité II (Sicherheitstrakt II) de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg. Il fut demandé à la direction de cet établissement de faire en sorte que le requérant suivît un traitement pour les troubles d’ordre psychique dont il souffrait, à savoir que la psychothérapie judiciaire intensive centrée sur la personnalité de l’intéressé et l’infraction commise (persönlichkeits- und deliktsorientierte forensische Psychotherapie), déjà en cours dans le centre d’exécution des mesures de Uitikon, fût continuée.

10.  Le 6 août 2012, le tribunal administratif du canton d’Argovie (« le tribunal administratif ») rejeta le recours du requérant formé contre cette décision.

11.  Le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire le 17 août  2012.

12.  Par un arrêt du 5 septembre 2012, publié dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF) sous le numéro de référence 138 III 593, le Tribunal fédéral rejeta en dernière instance le recours en matière civile du requérant. L’arrêt, rédigé en langue allemande, était motivé comme suit (d’après la traduction proposée par le Journal des tribunaux (JdT) 2013 II, pages 233 et suivantes) :

« (...)

3. Une personne majeure ou interdite peut être placée ou retenue dans un établissement approprié lorsque, en raison de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’alcoolisme, de toxicomanie ou de grave état d’abandon, l’assistance personnelle nécessaire ne peut lui être fournie d’une autre manière (art. 397a al. 1er [du Code civil ; ci-après : « CC »]). Le placement, [c’est-à-dire] le maintien dans un établissement en vertu de l’art. 397a CC exige que la personne concernée ait besoin en raison des états de faiblesse énoncés dans la loi d’une assistance personnelle qui ne peut lui être apportée que dans un établissement (...). L’énumération des états de faiblesse contenue à l’art. 397a al. 1er CC est exhaustive (...). En particulier, la loi ne prévoit pas une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes (...).

4.2 (...) Quant à l’exigence de l’état de faiblesse, le tribunal administratif explique ailleurs, en se fondant sur le dossier, en particulier le rapport d’expertise psychiatrique du Dr en médecine E. du 15 juillet 2010 et le rapport complémentaire du Dr en médecine F. du 29 septembre 2011, le rapport du centre de mesures pour jeunes adultes du 6 juin 2012 et les déclarations des thérapeutes qui assument le traitement, qu’il arrive à conclure en fait que le recourant souffre d’une maladie mentale, à savoir un sadisme sexuel (DSM-IV : 302.84 et ICD-10 : F65.5) ainsi que d’un trouble de la personnalité de type antisocial (DSM-IV : 301.6 et ICD-10 : F60-2). Selon le tribunal administratif, ce diagnostic est corroboré par les indications du recourant, d’après lesquelles il se montre après comme avant troublé par ses visions sadiques et désigne, en réponse à une question, le risque de récidive pour des actes comparables à ceux du 10 février 2008 à 40%. Le tribunal administratif tire de ces données de fait la conclusion, en droit, que le comportement du recourant doit être qualifié après comme avant comme aberrant et grossièrement étrange, de telle sorte qu’il faut admettre une maladie mentale au sens du code civil (...). Le recourant n’avance aucun argument qui remette en question les constatations de fait ou les conclusions juridiques de l’autorité cantonale. Ainsi, contrairement à l’affirmation du recourant, un état de faiblesse au sens de l’art. 397a al. 1 CC est établi. (...)

5.2 Il convient ici de renvoyer aux explications données dans le rapport actualisé du centre d’exécution des mesures sur les jeunes adultes, du 6 juin 2012, où le risque de récidive que présente le recourant en raison de sa maladie mentale est évalué comme « net à très élevé ». De fait, il résulte presque nécessairement du fait qu’un malade mental pourrait mettre en danger autrui un besoin d’aide et d’assistance. En effet, celui qui menace la sécurité d’autrui a besoin d’une assistance personnelle (...). Cette manière de voir doit être admise en tout cas en l’espèce, du moment que le recourant présente après comme avant un grave danger pour la vie et l’intégrité corporelle de tiers. Il ne résulte en principe rien d’autre de l’art. 426 [nouveau] CC, qui énonce les conditions d’un placement à des fins d’assistance en vigueur à partir du 1er  janvier  2013. Cette disposition ne connaît pas non plus la mise en danger d’autrui comme motif de placement. La protection des tiers doit néanmoins être prise en compte dans l’appréciation, d’autant que le mandat de protection comprend aussi le soin de détourner une personne malade ou qui n’a plus tous ses esprits de commettre un crime grave (...). Dans cette mesure, l’opinion du tribunal administratif selon laquelle le recourant doit être traité dans un établissement approprié pour réduire le risque sérieux de récidive n’est pas contraire au droit fédéral. Comme il est établi qu’il subsiste un risque sérieux que le recourant commette une infraction contre la vie ou l’intégrité corporelle, il n’est pas dans son intérêt de le laisser à son propre sort sans traitement psychiatrique. Dans cette mesure, le besoin d’une assistance sous la forme d’un traitement de la maladie mentale est établi. (...)

9. En bref, il faut retenir que le recourant souffre d’une maladie mentale et présente ainsi un état de faiblesse au sens de l’art. 397a al. 1 CC. Le recourant a besoin en outre de soins sous la forme d’un traitement de sa maladie qui en raison de la situation à risque concrète ne peut être exécuté que dans un établissement. L’[établissement pénitentiaire] désigné par l’Office de district correspond actuellement encore aux exigences d’un établissement approprié au sens de l’art. 397a al. 1 CC, respectivement de l’art. 5 CEDH. »

13.  Le 11 mars 2013, le requérant déposa une requête de libération auprès du tribunal de famille (tribunal de district) de Lenzbourg (Familiengericht ; « le tribunal de famille »). Par une décision du 18  juin  2013, celui-ci confirma le placement de l’intéressé et le prolongea jusqu’en décembre 2013.

14.  Le 5 juillet 2013, le tribunal administratif rejeta le recours du requérant.

15.  Dans l’arrêt 5A_614/2013 du 22 novembre 2013, le Tribunal fédéral confirma, entre autre, en se référant à son arrêt de principe (paragraphe 12 ci-dessus), que le nouvel article 426 du code civil constituait une base légale suffisante pour le placement à des fins d’assistance du requérant.

16.  Le 27 janvier 2014, le placement à des fins d’assistance du requérant dans l’établissement pénitentiaire fut provisoirement prolongé par le tribunal de famille.

CEDH

a)  Récapitulatif des principes pertinents

52.  La Cour rappelle que, pour respecter l’article 5 § 1 de la Convention, la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 de la Convention : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39 et 45, série  A no 33, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47-49, CEDH 2003‑IV, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH  2012, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 125, CEDH  2013, et S., V. et A. c. Danemark [GC], nos  35553/12 et 2 autres, § 74, 22 octobre 2018).

53.  Les motifs de détention prévus aux lettres a) à f) de l’article 5 § 1 sont exhaustifs et appellent une interprétation étroite (voir notamment S., V.  et A., précité, § 73).

54.  Selon la jurisprudence de la Cour, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux en vertu de l’article 5 § 1 (e) de la Convention peut s’imposer non seulement lorsqu’elle a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Stanev, précité, § 146, CEDH 2012, Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 133, 4 décembre 2018, et Hutchison Reid, précité, § 52). En d’autres termes, pourvu que les conditions soient clairement définies en droit interne (voir, à titre d’exemple, Del Río Prada, précité, § 125, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 120, 23 février  2012), la Convention n’interdit pas le placement involontaire pour des préoccupations sécuritaires, à savoir pour le seul motif que l’état de la personne, qui souffre d’un trouble mental, présente un risque réel de dommage grave pour la société (voir également l’article 17 du chapitre I (ii) de la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux ; paragraphe 42 ci-dessus).

b)  Application des principes susmentionnés

55.  À titre liminaire, la Cour observe que le requérant a été placé à des fins d’assistance dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire pour le seul motif qu’il représentait un danger pour autrui (reine Fremdgefährdung). De surcroît, au moins selon les documents fournis à la Cour, le requérant ne semble jamais avoir fait preuve d’un comportement agressif vis-à-vis du personnel de l’établissement pénitentiaire ni avoir exprimé de menace quelconque pendant sa détention.

56.  Il convient d’examiner si la législation suisse prévoit une base légale pour ce motif de placement.

57.  À cet égard, la Cour note que le droit pénal des mineurs, notamment le troisième alinéa de l’article 19 DPMin (paragraphe 28 ci-dessus), ne saurait servir de base légale pour la détention du requérant. En effet, cette thèse, soutenue par le Gouvernement, a été expressément rejetée par le Tribunal fédéral (paragraphe 31 ci-dessus). De même, la Cour observe que le requérant n’a pas exprimé de menaces sérieuses (article 221 CPP, paragraphe 35 ci-dessus) et qu’il ne représente pas de danger sérieux, direct et imminent (article 36 Cst.féd., paragraphe 36 ci-dessus) susceptible de légitimer une détention pénale ou une mesure basée sur la clause générale de police. En outre, elle note que d’autres bases légales relevant du droit pénal et du droit administratif de police n’entrent pas en ligne de compte en l’espèce.

58.  La Cour note que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les conditions de placement à des fins d’assistance en tant que mesure de privation de liberté relevant du droit de la protection de l’adulte sont réglementées par le code civil de manière exhaustive (paragraphe 24 ci‑dessus). Selon l’article 426 du code civil (comme, déjà, dans l’ancien article 397a du code civil ; paragraphe 38 ci-dessus), le placement est prononcé, entre autres, lorsque la personne concernée souffre de troubles psychiques nécessitant une assistance personnelle ou un traitement qui ne peuvent lui être fournis que dans une institution appropriée. Ces conditions sont cumulatives.

59.  En l’occurrence, quant à la première condition, la Cour constate qu’il a été médicalement établi, maintes fois et de manière probante, que le requérant présente des troubles psychiques, à savoir de graves troubles de la personnalité de type antisocial, et un sadisme sexuel (paragraphe 12 ci‑dessus). Par conséquent, rien ne permet à la Cour de douter que cette condition, énoncée à l’article 426 du code civil et qui correspond à sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) de la Convention pour qualifier un individu d’« aliéné » (Winterwerp, précité, § 37), est remplie en l’espèce.

60.  La Cour observe que la seconde condition, à savoir le besoin d’assistance personnelle ou de traitement, concerne le but thérapeutique qui est l’objectif principal et le fil conducteur de l’intervention des autorités : protéger la personne concernée et lui fournir l’aide dont elle a besoin, notamment si elle met sa propre personne en danger (Selbstgefährdung). Il doit exister un lien de causalité entre la cause du placement et la nécessité de ce dernier. De même, le critère du besoin d’assistance personnelle permet de distinguer le placement fondé sur l’article 426 du code civil d’autres formes de placement, imposées par une autorité pénale et administrative, qui constituent des mesures de police et poursuivent un autre but : protéger des intérêts publics, en particulier la sécurité des tiers (Fremdgefährdung).

61.  La Cour note que, dans les régimes cantonaux de l’internement administratif (paragraphe 37 ci-dessus), il y avait parfois un chevauchement entre ces deux objectifs de protection que le législateur voulait clairement dissocier avec l’entrée en vigueur de l’ancien article 397a du code civil (paragraphe 38 ci-dessus). Elle observe également que l’article 426 du code civil, qui l’a remplacé, poursuit le même but.

62.  Néanmoins, la Cour considère que les préoccupations relatives à l’assistance personnelle et les considérations concernant la sécurité sont en quelque sorte entremêlées dans le deuxième alinéa de l’article 426 du code civil, qui prévoit que l’autorité tient compte de la charge que la personne concernée représente pour ses proches et pour des tiers ainsi que la protection de ceux-ci.

63.  Quant à cette disposition, la Cour note que le Conseil fédéral en a précisé la portée dans le sens que la protection des tiers peut constituer un élément supplémentaire dans l’appréciation de la situation, mais « n’est pas déterminant à lui seul » (paragraphe 41 ci-dessus). À cet égard, l’autorité compétente doit procéder pour chaque cas concret à une pesée des intérêts en présence : d’un côté, la liberté personnelle de la personne concernée dont l’état exige qu’une aide lui soit fournie (Selbstge­fährdung), et de l’autre les droits de la personnalité des proches et des tiers (Fremdgefährdung). Cependant, le seul besoin de protéger la société de la personne concernée ne peut pas justifier un placement à des fins d’assistance. De même, la Cour note que le Tribunal fédéral a expressément souligné dans son arrêt de principe qu’une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes n’était pas prévu par la loi et ne constituait pas un motif de placement (paragraphe 12 ci-dessus). Il s’ensuit que le deuxième alinéa de l’article 426 du code civil ne saurait pas non plus justifier, en tant que base légale, la détention du requérant.

64.  Ces éléments suffisent à la Cour pour constater que le requérant était détenu sans base légale et à titre purement préventif dans l’établissement pénitentiaire. Eu égard au fait que les motifs de détention prévus aux lettres a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention sont d’intérpetation stricte, la « solution » apportée par les autorités suisses, formulée de manière trop générale (voir paragraphe 12 ci-dessus : « celui qui menace la sécurité d’autrui a besoin d’une assistance personnelle ») et sans motivation approfondie, n’y change rien, même en présence de circonstances extraordinaires, comme en l’espèce.

65.  La Cour note que le législateur suisse est soucieux de combler cette lacune et que des travaux législatifs sont en cours (paragraphes 32-34 ci‑dessus).

66.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le placement à des fins d’assistance de l’intéressé durant la période allant du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015 dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire n’a pas été effectué selon les voies légales. Partant, elle juge qu’il n’est plus nécessaire de répondre à la question de savoir si l’institution susmentionnée était appropriée.

67.  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Guelfucci c. France du 26 juillet 2018 requête no 31038/12

Non violation des articles 5-1, 6-1 et 13 : La Cour rejette une requête contestant les conditions d’un internement psychiatrique et de l’examen subséquent de sa régularité.

L’affaire concerne une hospitalisation dans un établissement psychiatrique à la demande du père de la requérante. Mme Guelfucci conteste la régularité de l’internement dont elle a fait l’objet. La Cour juge en particulier que les critères permettant de qualifier un individu d’« aliéné » et de le priver de liberté de ce fait étaient présents en l’espèce et que le dossier ne comporte aucun élément conduisant à douter de la conformité de l’internement au droit interne. La requête de Mme Guelfucci ne présente donc aucune apparence de violation du droit à la liberté et à la sûreté.

Article 5 § 1

Un individu ne peut passer pour « aliéné » et être privé de liberté à ce titre que si son aliénation est établie de manière probante, que le trouble revêt un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et que ce dernier ne se prolonge pas au-delà de la durée du trouble. Or, tous ces critères sont présents en l’espèce. Ainsi, le père de Mme Guelfucci a demandé son internement en raison de propos inquiétants qu’elle avait tenus et sa demande s’appuyait sur deux certificats médicaux circonstanciés. Le médecin-chef du service de psychiatrie de l’hôpital a confirmé que l’internement était justifié. Sa durée n’a été que de onze jours. Enfin, l’expert désigné par le juge d’instruction a conclu que Mme Guelfucci souffrait d’une psychose et présentait un risque de suicide. Les juridictions nationales, aussi bien pénales qu’administratives, ont conclu que l’hospitalisation de Mme Guelfucci était conforme au droit interne. Ainsi, le tribunal correctionnel a jugé que les conditions posées par le code de la santé publique étaient réunies lors de l’internement du 22 juillet 1994. Il a, en conséquence, relaxé le directeur du centre hospitalier. De leur côté, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont également jugé que la décision d’admission de Mme Guelfucci et les décisions subséquentes avaient respecté les exigences posées par le code précité. Il n’y a dans le dossier aucun élément qui justifierait l’adoption d’une conclusion différente. Par ailleurs, la requérante n’a pas poursuivi devant les juridictions judiciaires l’action qui aurait permis de juger du bien-fondé de son internement. La requête ne présentant aucune apparence de violation de l’article 5 § 1, le grief est manifestement mal fondé.

Articles 6 § 1 et 13

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence bien établie, le recours en responsabilité contre l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice constitue une voie de recours à épuiser pour introduire une requête fondée sur la durée excessive de la procédure administrative. N’ayant pas exercé ce recours, la requête présentée par Mme Guelfucci est irrecevable. Mme Guelfucci se plaint de ce que le Conseil d’État n’aurait pas motivé la décision de rejet de son pourvoi. Toutefois, une juridiction suprême ne manque pas à son obligation de motivation lorsqu’elle se fonde uniquement sur une disposition légale spécifique pour écarter un pourvoi comme dépourvu de chances de succès. Or, la décision du Conseil d’État était fondée sur l’absence de moyens de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article L. 822-1 du code de justice administrative. Le grief est donc manifestement mal fondé.

A. Grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention

28. La requérante se plaint d’avoir fait l’objet d’une privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 e) de la Convention, qui est ainsi rédigé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »

29. La Cour renvoie aux principes généraux, tels qu’ils ont été exposés dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 145-147, CEDH 2012). Elle rappelle notamment ce qui suit (Stanev, précité, § 145 et la jurisprudence citée) :

« Un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble. »

30. Il ressort du dossier que, le 22 juillet 1994 au soir, la requérante a été hospitalisée dans un établissement psychiatrique à la demande de son père en raison des propos qu’elle avait tenus, qui faisaient craindre pour sa vie et celle de ses enfants. La demande orale de son père était appuyée par les certificats médicaux de deux médecins faisant état, l’un, de propos délirants avec suspicion permanente de persécution et l’autre, d’un délire de persécution et d’un danger pour elle-même et autrui nécessitant une surveillance constante en milieu hospitalier.

La demande écrite de son père a été déposée le lendemain 23 juillet et la requérante est restée hospitalisée jusqu’au 2 août suivant, soit pendant onze jours. Le certificat de vingt‑quatre heures rédigé par le médecin-chef du service de psychiatrie de l’hôpital a confirmé qu’au vu des troubles qu’elle présentait, son hospitalisation à la demande d’un tiers était justifiée (paragraphe 4 ci-dessus).

31. Ultérieurement, l’expert désigné par le juge d’instruction a conclu que la requérante souffrait d’une psychose évolutive bipolaire de type maniaco‑dépressif avec troubles du jugement et risque de suicide (paragraphe 6 ci-dessus).

32. La Cour conclut donc que les critères énoncés au paragraphe 29 ci‑dessus étaient présents en l’espèce.

33. La Cour relève ensuite que les juridictions internes, tant pénale qu’administratives, ont conclu que l’hospitalisation de la requérante était conforme au droit interne. Pour prononcer la relaxe du directeur du centre hospitalier, le tribunal correctionnel a ainsi jugé que les conditions posées par l’article L. 333-2 du code de la santé publique étaient réunies lors de son admission (voir paragraphe 7 ci-dessus).

34. Pour leur part, les juridictions administratives, appelées à apprécier dans leur sphère de compétence la régularité de l’hospitalisation de la requérante (voir Baudoin, précité, § 68), ont rejeté les recours en annulation qu’elle avait formés contre la décision d’admission du 22 juillet 1994, ainsi que contre les décisions subséquentes. S’agissant de la décision du 22 juillet 1994, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont jugé que la requérante ne relevait pas d’une hospitalisation libre, mais qu’elle avait été admise contre son gré au centre hospitalier pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre d’une mesure d’hospitalisation à la demande d’un tiers, comme le permettait l’article L. 333-2 précité (paragraphes 10 et 15 ci-dessus).

Par ailleurs, ces juridictions ont également jugé que les autres décisions admettant et maintenant la requérante en hospitalisation à la demande d’un tiers avaient été prises en conformité avec le droit interne (paragraphes 10‑11 et 15-16 ci-dessus).

35. La Cour ne trouve dans le dossier aucun élément qui justifierait qu’elle arrive à une conclusion différente. En outre, elle relève que la requérante ne semble pas avoir poursuivi devant les juridictions judiciaires l’action qui aurait permis de juger du bien-fondé de son hospitalisation (voir paragraphe 8 ci-dessus et, sur la répartition au moment des faits des compétences entre les deux ordres de juridictions, Baudoin, précité, §§ 66‑69).

36. Dans ces conditions et pour autant que la requérante ait épuisé les voies de recours internes, la Cour ne décèle aucune apparence de violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention

37. La requérante allègue la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Elle invoque également l’article 13 de la Convention, qui est ainsi rédigé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Sur la durée de la procédure administrative et l’absence alléguée de recours effectif

38. La requérante estime que la durée de la procédure devant les juridictions administratives a dépassé le délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 précité et allègue l’absence de recours effectif à cet égard, au sens de l’article 13 précité.

39. La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle le recours en responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice constitue une voie de recours à épuiser (Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, §§ 19 et 22, 21 octobre 2003 et Veriter c. France, no 31508/07, § 57, 14 octobre 2010).

40. La requérante n’ayant pas exercé ce recours, le grief tiré de l’article 6 § 1 relativement à la durée de la procédure en cause doit être rejeté pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

41. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 13, qui y est lié, est également irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Sur l’absence alléguée de motivation de la décision du Conseil d’État

42. Citant l’article 6 § 1, la requérante se plaint de l’absence de motivation de la décision de non-admission de son pourvoi en cassation par le Conseil d’État (paragraphe 17 ci-dessus).

43. La Cour rappelle qu’en ce qui concerne la procédure préalable d’admission des pourvois en cassation, elle a jugé qu’une juridiction suprême ne manque pas à son obligation de motivation lorsqu’elle se fonde uniquement sur une disposition légale spécifique pour écarter un pourvoi comme dépourvu de chances de succès, sans plus de précision (voir Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, § 41, 20 mars 2009 et, s’agissant du Conseil d’État français, Société anonyme Immeuble Groupe Kosser c. France (déc.), no 38748/97, 9 mars 1999 et Latournerie c. France (déc.), no 50321/99, 10 décembre 2002).

44. En l’espèce, la Cour note que la décision du Conseil d’État était fondée sur l’absence de moyens de nature à permettre l’admission du pourvoi, au sens de l’article L. 822-1 du code de justice administrative. Dans ces conditions, elle ne décèle aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir décisions Société anonyme Immeuble Groupe Kosser et Latournerie précitées).

45. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

ULISEI GROSU c. ROUMANIE du 22 mars 2016 Requête no 60113/12

Violation de l'article 5-1 : l'internement psychiatrique est non conforme au droit interne. Il s'est retrouvé enfermé alors qu'il n'y avait pas d'antécédents psychiatriques après une garde à vue au delà des délais nécessaires pour uniquement vérifier son identité

a) Principes généraux

49. La Cour rappelle les principes généraux en la matière, tels qu’ils ont été établis dans sa jurisprudence constante et notamment dans l’arrêt Stelian Roşca, précité, §§ 65‑66 (voir aussi Cristian Teodorescu, précité, § 59 et Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 63, série A no 244) :

65. ...l’article 5 § 1 requiert tout d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire.

66. À cet égard, la Cour rappelle que la première phrase de l’article 5 § 1 doit être comprise comme imposant à l’Etat l’obligation positive de protéger la liberté des personnes relevant de sa juridiction et que les expressions « prévue par la loi » et « selon les voies légales » visent donc la qualité de la loi qui constitue la base légale des mesures privatives de liberté les concernant. Il est donc essentiel, pour la Cour, que le droit interne soit prévisible dans son application et qu’il définisse clairement l’étendue des pouvoirs des autorités habilitées à ordonner une mesure privative de liberté ou à l’exécuter. »

50. De plus, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il ne suffit donc pas que la privation de liberté soit conforme au droit national, encore faut-il qu’elle soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III).

b) Application en l’espèce de ces principes

51. La Cour note tout d’abord que le Gouvernement avance comme base légale de la mesure prise contre le requérant l’article 56 de la loi sur la santé mentale. Il s’agit de l’article donnant aux policiers le droit de demander l’internement forcé d’une personne, article qui, dans la version applicable au moment des faits de l’espèce, était l’article 47 de la loi (paragraphes 17, 18 et 26 ci-dessus).

52. Selon les exigences de cette loi et de l’article 5 de la Convention, afin de procéder à l’internement, l’aliénation du requérant aurait dû être établie de manière probante le trouble aurait dû revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Cristian Teodorescu, précité, § 61). Or, le procès‑verbal rédigé par le policier quelques minutes avant l’examen psychiatrique du requérant à l’hôpital ne fait mention d’aucun trouble grave, d’aucun antécédent psychiatrique ou violent du requérant et d’aucune recommandation faite par un médecin de faire contrôler en urgence l’état psychique du requérant (paragraphe 7 ci-dessus).

53. En effet, ce procès-verbal fait état d’un « comportement récalcitrant » sans pour autant fournir des détails aptes à établir la gravité de la situation de fait. Dans leurs déclarations devant le parquet, les policiers expliquent que le requérant s’était « agité » (paragraphe 10 ci‑dessus). Ayant à l’esprit ces éléments de preuve, il est difficile de comprendre comment le parquet est arrivé à deux reprises à la conclusion que le requérant avait été agressif (décisions du parquet aux paragraphes 12 et 15 ci-dessus). Qui plus est, le Gouvernement, dans ses observations, reconnait que l’interpellation du requérant a été paisible et sans opposition de sa part (paragraphes 21 et 34 ci-dessus). Se fondant sur les éléments du dossier en sa possession, la Cour ne peut soutenir la thèse de l’agressivité du requérant. Sur ce point, la Cour déplore l’absence au dossier des déclarations des policiers ayant interpellé le requérant dans le hall de la Maison de la Culture, qui auraient pu éclaircir la situation entourant son interpellation.

54. La Cour estime ensuite que la façon dont les autorités ont réagi à la menace alléguée d’une bombe fait apparaitre sans le moindre doute qu’elles ne l’ont pas prise au sérieux. Ainsi le requérant n’a pas été fouillé, arrêté ni interrogé au sujet de ces allégations, et la Maison de la Culture n’a pas non plus été inspectée. Il s’ensuit qu’en l’absence de tout autre élément indiquant un trouble mental chez le requérant, cette menace alléguée ne peut justifier en soi son transport à l’hôpital psychiatrique.

55. La Cour note enfin que le requérant n’a pas eu l’opportunité de se présenter à l’hôpital, le cas échéant, de son propre gré en vue d’un examen psychiatrique (Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 47, CEDH 2000‑X). En effet il n’a jamais été informé de la nécessité d’obtenir l’avis d’un psychiatre. Dans ces conditions, il ressort du dossier que les autorités n’ont pas établi qu’il aurait refusé de se faire examiner ni qu’elles auraient essayé d’employer d’autres moyens moins sévères avant de procéder au transport en vue d’un internement forcé (paragraphe 50 ci-dessus). La conduite du requérant à l’hôpital a été dès lors totalement arbitraire.

56. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la privation de liberté du requérant ne saurait passer pour « régulière » au regard de l’article 5 § 1 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

VAN ZANDBERGEN c. BELGIQUE du 2 février 2016 requête 4256/11

Non violation de l'article 5-1 : Le requérant a été interné suivant les voies légales. Il y a eu une expertise médicale non entachée d'arbitraire.

a) Principes généraux

34. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X, Chtoukatourov, précité, § 114, Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 59, 18 février 2014, et C.W. c. Suisse, no 67725/10, § 37, 23 septembre 2014). À ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé l’avis d’un médecin expert. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006, et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour les apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010, Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010, et Biziuk v. Poland (no2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012), mais elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75, C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010, et Ťupa, precite, § 47).

35. Par ailleurs, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la demande de libération est prise en considération. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, § 49, CEDH 2002‑I, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

36. Enfin, le fait qu’une décision prolongeant l’internement d’une personne repose sur l’avis de psychiatres de l’établissement au sein duquel l’intéressé suit sa thérapie ne pose pas, en soi, un problème sous l’angle de l’article 5 de la Convention (C.W. c. Suisse, précité, § 48). En effet, le fait que les psychiatres rendant un avis sur l’état mental du requérant travaillent dans l’établissement dans lequel celui‑ci est interné ne saurait, en soi, jeter un doute sur leur indépendance et leur objectivité (Nakach c. Pays-Bas (déc.), no 5379/02, 6 janvier 2005). Ce n’est qu’en cas de rupture du lien de confiance entre l’interné et l’équipe soignante de l’établissement qui l’accueille, ou de contestation caractérisée quant à la validité scientifique et déontologique des rapports établis par ladite équipe soignante, que les autorités nationales compétentes doivent tenter d’obtenir un avis médical tiers afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état mental du requérant au moment de sa demande de libération à l’essai (Ruiz Rivera, précité, § 64, et, a contrario, C.W., précité, §§ 48-49).

b) Application au cas d’espèce

37. La Cour observe que l’internement du requérant est fondé sur une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Malines du 13 mars 1992 qui a appliqué la loi de défense sociale au motif que le requérant ne pouvait pas être tenu pénalement responsable des actes criminels qu’il avait commis (voir paragraphe 7, ci‑dessus). En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés (Claes c. Belgique, no 43418/09, § 110, 10 janvier 2013).

38. La Cour relève ensuite qu’il n’est pas contesté par le requérant que la décision initiale d’interner le requérant était conforme à l’article 5 § 1 de la Convention.

39. En revanche, est en cause la décision de la CDS du 18 mars 2010 qui ordonna le maintien du requérant à la prison de Turnhout et donc, de facto, la prolongation de l’internement. Cette décision fut confirmée le 22 avril 2010 par la CSDS et devint définitive lors du rejet, par la Cour de cassation, du pourvoi introduit par le requérant.

40. À cet égard, la Cour constate que la loi de défense sociale en vigueur au moment des faits n’exigeait pas l’obtention d’une expertise psychiatrique récente et circonstanciée afin que la CDS se prononce sur la demande de mise en liberté du requérant (paragraphe 21, ci-dessus). Aussi, la Cour observe qu’il n’est pas non plus contesté par le requérant que la décision de la CDS du 18 mars 2010 ordonnant le maintien du requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Turnhout a été prise « selon les voies légales ».

41. Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 72, CEDH 2000‑III, et L.B. c. Belgique, précité, § 91). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa, précité, § 78, et Cristian Teodorescu, précité, § 59).

42. La question cruciale en l’espèce est celle de savoir si les juridictions nationales disposaient de suffisamment d’éléments de nature à établir que les troubles psychiatriques du requérant perduraient lorsqu’elles refusèrent sa mise en liberté (mutatis mutandis, Herz, précité, § 51).

43. À cet égard, la Cour relève que, tel que le requérant l’allègue, les avis rendus par le psychiatre de la prison lors de chacune des demandes de permission ou de mise en liberté du requérant entre 1993 et 2009, c’est-à-dire environ deux fois par an, étaient très succincts, tenant souvent en un seul paragraphe (paragraphes 9 et 11, ci-dessus). Les décisions de la CDS pendant cette période étaient, elles aussi, très brèves et standardisées. La Cour estime toutefois que cela n’est pas déterminant en l’espèce.

44. En effet, la Cour constate que, le 23 septembre 2009, la CDS fit droit à la demande du requérant d’obtenir un nouveau rapport de son état de santé mentale en ordonnant qu’il soit procédé à une évaluation des risques. Ainsi, quelques semaines avant la décision litigieuse du 18 mars 2010, un psychiatre et un psychologue de la prison de Turnhout rendirent des rapports sur l’état de la santé mentale du requérant. Ces rapports dataient respectivement du 11 février 2010 et du 8 mars 2010. Ils s’appuyaient largement sur l’évaluation des risques effectuée à la demande du requérant. Cette évaluation des risques fut effectuée à une date non précisée, mais en tout cas entre le 23 septembre 2009 et le 11 février 2010. Même si ces rapports ne sont pas explicitement mentionnés dans la décision de la CDS du 18 mars 2010, le requérant n’a pas contesté l’allégation du Gouvernement selon laquelle la décision de la CDS litigieuse était fondée notamment sur ces deux rapports. Par ailleurs, en appel, la CSDS a explicitement constaté que le Dr J.D.L. avait rédigé un rapport d’expertise. La Cour estime donc que la décision litigieuse, confirmée en appel, était basée sur une expertise suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique du requérant (voir, dans le même sens, pour des rapports d’expertise datant de respectivement trois, six et vingt mois avant les décisions nationales prolongeant l’internement des requérants, Vogt c. Suisse, (déc.), no 45553/06, § 41, 3 juin 2014, Bäcker c. Allemagne, (déc.), no 44183/12, § 31, 21 octobre 2014, et Aurnhammer c. Allemagne, (déc.), no 36356/10, § 43, 21 octobre 2014).

45. Ensuite, la Cour observe qu’à aucun moment de la procédure nationale ni même devant la Cour, le requérant n’a fait part d’une rupture du lien de confiance avec l’équipe psychosociale de l’établissement dans lequel il est interné (dans le même sens, C.W., précité, § 48, et, a contrario, Ruiz Rivera, précité, § 50). Au cours de la procédure devant les instances nationales, il n’a pas non plus demandé à être examiné par un expert psychiatre neutre, indépendant de l’établissement dans lequel il est interné (a contrario, Ruiz Rivera, précité, §§ 20-21).

46. En revanche, le requérant a, à chaque fois, demandé à ce que soit effectué un nouvel examen circonstancié de son état de santé mentale. En ce sens, il conteste la validité scientifique des rapports datant des 11 février et 8 mars 2010 en faisant valoir que ceux-ci étaient superficiels et ne permettaient pas d’établir que l’aliénation du requérant perdurait. En particulier, il se plaint de la négligence avec laquelle les expertises auraient été effectuées, illustrée notamment par le fait que le rapport psychiatrique fut rédigé avant le rapport psychologique.

47. Tel que le Gouvernement le rappelle, il ne revient pas à la Cour d’évaluer elle-même la qualité scientifique des avis médicaux rendus puisque cela relève en premier lieu de la compétence du juge national (Herz, précité, § 51, et Ťupa, précité, § 49) qui bénéficie pour cela d’une certaine marge d’appréciation (Graz c. Allemagne (déc.), no 53783/09, 18 octobre 2011, et Ruiz Rivera, précité, § 62). La Cour constate qu’il ressort de l’évaluation des risques qui est à la base des rapports des 11 février et 8 mars 2010 que le requérant présentait un risque élevé de récidive et qu’il se trouvait à la limite de la psychopathie. La Cour n’a pas de raison de penser que l’évaluation des risques ou les rapports des 11 février et 8 mars 2010 fussent entachés d’arbitraire ou de manque de rigueur scientifique. La Cour ne voit pas non plus en quoi le fait que le rapport psychiatrique ait été finalisé avant celui du psychologue serait une indication de négligence de la part du psychiatre.

48. Ainsi, compte tenu des éléments auxquels elle peut avoir égard, la Cour estime qu’il n’y a pas d’indication que les autorités compétentes n’avaient pas à leur disposition des éléments suffisants pour décider du prolongement de la détention du requérant.

49. Dans ces circonstances, la Cour conclut, eu égard au grief tel qu’il a été présenté devant la Cour, qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

GRANDE CHAMBRE

STANEV C. BULGARIE Requête 36760/06 du 17 janvier 2012

LA DÉTENTION EN MILIEU OUVERT DOIT ÊTRE EXAMINEE AU SENS DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

115. La Cour rappelle qu’entre privation de liberté et restrictions à la liberté de circuler qui obéissent à l’article 2 du Protocole no 4, il n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence. Le classement dans l’une ou l’autre de ces catégories se révèle parfois ardu, car dans certains cas marginaux il s’agit d’une pure affaire d’appréciation, mais la Cour ne saurait éluder un choix dont dépendent l’applicabilité ou l’inapplicabilité de l’article 5 (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, §§ 92-93, série A no 39). Pour savoir si une personne a été privée de sa liberté, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères propres à son cas particulier comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (Storck, précité, § 71, et Guzzardi, précité, § 92).

116.  Dans le contexte de la privation de liberté en relation avec la santé mentale, la Cour a estimé qu’une personne pouvait être considérée comme « détenue » même pendant la période où elle se trouvait dans un service hospitalier ouvert avec la possibilité de se rendre régulièrement sans escorte dans les parties non sécurisées de l’hôpital et de sortir de celui-ci sans escorte (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 42, série A no 93).

117.  Par ailleurs, dans le domaine du placement des personnes atteintes de troubles mentaux, la notion de privation de liberté ne comporte pas seulement un aspect objectif, à savoir l’internement d’une personne dans un espace restreint pendant un laps de temps non négligeable. Une personne ne peut passer pour avoir été privée de sa liberté que si – et cela constitue un aspect subjectif – elle n’a pas valablement consenti à son internement (Storck, précité, § 74).

118. La Cour a conclu à l’existence d’une privation de liberté notamment dans les circonstances suivantes : a) lorsque le requérant, déclaré totalement incapable et placé à la demande de son représentant légal dans un hôpital psychiatrique, avait tenté sans succès de le quitter (Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 108, 27 mars 2008) ; b) lorsque la requérante avait d’abord consenti à son séjour en clinique, mais tenté de s’enfuir par la suite (Storck, précité, § 76) ; c) dans un cas où le requérant était un majeur incapable de donner son consentement au placement dans une institution psychiatrique qu’il n’avait cependant jamais tenté de quitter (H.L. c. Royaume-Uni, no 45508/99, §§ 89-94, CEDH 2004-IX).

119.  La Cour a également dit que le droit à la liberté occupe une place trop importante dans une société démocratique pour qu’une personne perde le bénéfice de la protection de la Convention du seul fait qu’elle a accepté d’être mise en détention (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, §§ 64-65, série A no 12), en particulier lorsque nul ne conteste que cette personne est juridiquement incapable de consentir ou de s’opposer à la mesure proposée (H.L. c. Royaume-Uni, précité, § 90).

120.  Par ailleurs, la Cour a eu l’occasion de dire que la première phrase de l’article 5 § 1 doit être comprise comme imposant à l’Etat l’obligation positive de protéger la liberté des personnes relevant de sa juridiction. Si tel n’était pas le cas, il en résulterait une lacune assez grande dans la protection contre la détention arbitraire, ce qui ne cadrerait pas avec l’importance que revêt la liberté individuelle dans une société démocratique. L’Etat est donc tenu de prendre des mesures offrant une protection effective aux personnes vulnérables, notamment des mesures raisonnables destinées à empêcher une privation de liberté dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance (Storck, précité, § 102). Ainsi, ayant égard aux circonstances particulières de ces affaires, la Cour a estimé que la responsabilité des autorités nationales se trouvait engagée s’agissant d’une détention demandée par le tuteur du requérant et exécutée dans un hôpital psychiatrique (Chtoukatourov, précité), et par une détention dans une clinique privée (Storck, précité).

b)  Application de ces principes en l’espèce

121.  La Cour souligne d’emblée qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider, d’une manière générale, si tout placement d’une personne privée de sa capacité juridique dans un établissement social constitue une « privation de liberté » au sens de l’article 5 § 1. Dans un certain nombre de cas, de tels placements ont lieu à l’initiative des familles qui se trouvent aussi impliquées dans la tutelle ou la curatelle et sont basés sur des contrats de droit civil conclus avec une institution sociale appropriée. Par conséquent, dans ces cas, les restrictions à la liberté résultent d’actions de particuliers et le rôle des autorités se limite à la supervision. La Cour n’est pas appelée dans la présente affaire à se prononcer sur les obligations qui pourraient incomber aux autorités au regard de la Convention dans de telles situations.

122.  Elle constate que les circonstances de la présente affaire sont particulières. En effet, aucun membre de la famille du requérant n’a été engagé dans la curatelle et les fonctions de curateur ont été confiées à une fonctionnaire de l’Etat (Mme R. P.). Celle-ci a négocié et conclu le contrat de placement avec le foyer de Pastra, sans prendre contact avec le requérant, qu’elle n’a d’ailleurs jamais rencontré. La mesure de placement a été mise en œuvre par les services sociaux, auxquels le requérant n’a pas non plus été présenté, dans un établissement géré par l’Etat (paragraphes 12-15 ci-dessus). Le requérant n’a jamais été consulté au sujet des choix opérés par sa curatrice, alors qu’il pouvait exprimer un avis valable et que son accord était nécessaire selon la loi de 1949 sur les personnes physiques et morales et la famille (paragraphe 42 ci-dessus). Dans ces conditions, il n’a pas été transféré au foyer de Pastra à sa demande ou sur la base d’un contrat volontaire de droit privé pour le placement dans une institution sociale en vue de l’obtention d’une aide sociale et d’une protection. La Cour estime que les restrictions dont le requérant se plaint sont le résultat de différents actes pris depuis la demande de placement et tout au long de l’exécution de la mesure par des autorités et institutions publiques agissant par l’intermédiaire de leurs agents, et non d’actes ou d’initiatives de personnes privées. Même si en l’espèce rien n’indique que la curatrice a agi de mauvaise foi, ces éléments permettent de distinguer la présente affaire de l’affaire Nielsen (précitée), dans laquelle la mère du requérant, agissant de bonne foi, avait confié son fils mineur à une institution psychiatrique, ce qui avait amené la Cour à estimer que la mesure relevait de l’exercice des droits parentaux exclusifs sur un enfant incapable d’exprimer un avis valable.

123.  Il convient dès lors de considérer que le placement est imputable aux autorités nationales. Il reste à examiner si les restrictions découlant de cette mesure s’analysent en une « privation de liberté » au sens de l’article 5.

124.  Concernant l’aspect objectif, la Cour relève que le requérant était logé dans un bloc du foyer dont il pouvait sortir, mais elle rappelle qu’il n’est pas décisif de savoir si le bâtiment était fermé à clé (Ashingdane, précité, § 42). Il est vrai que l’intéressé pouvait se rendre dans le village le plus proche. Il n’en demeure pas moins que ces sorties n’étaient possibles qu’avec une autorisation expresse (paragraphe 25 ci-dessus). Qui plus est, le temps passé en dehors du foyer et les endroits où le requérant pouvait se rendre étaient toujours contrôlés et limités.

125.  La Cour note également qu’entre 2002 et 2009 le requérant a été autorisé à trois reprises à se rendre à Roussé pour un séjour de courte durée (une dizaine de jours) (paragraphes 26-28 ci-dessus). La Cour ne saurait spéculer sur les questions de savoir si l’intéressé aurait pu le faire plus fréquemment s’il l’avait demandé. Néanmoins, elle observe que la décision d’octroyer de telles autorisations relevait entièrement de l’administration du foyer, qui retenait les papiers d’identité du requérant et gérait ses moyens financiers, y compris les frais de transport (paragraphes 25-26 ci-dessus). De plus, il apparaît à la Cour que la localisation du foyer dans une zone montagneuse et éloignée de Roussé (environ 400 km) rendait tout voyage difficile et coûteux, compte tenu des revenus du requérant et de sa capacité d’organiser ses déplacements.

126.  La Cour estime que ce régime d’autorisation et le fait que l’administration retenait les papiers d’identité du requérant ont constitué des restrictions importantes à la liberté individuelle de l’intéressé.

127.  En outre, il n’est pas contesté que lorsque le requérant n’est pas rentré après son autorisation de sortie en 2006, l’administration du foyer a demandé à la police de Roussé de le rechercher et de le ramener (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour peut admettre que cette démarche relève de la responsabilité qu’assume l’administration d’un foyer pour personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard des individus qui y sont placés. Elle note aussi que la police n’a pas assuré le transfert du requérant et que celui-ci n’a pas prouvé avoir été arrêté dans l’attente de l’arrivée des employés du foyer. Il n’en demeure pas moins que, comme la période de sortie autorisée avait expiré, les représentants du foyer ont ramené le requérant sans se préoccuper de ses souhaits.

128.  Ainsi, même si le requérant a pu effectuer certains déplacements, les éléments ci-dessus amènent la Cour à considérer que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, l’intéressé se trouvait sous un contrôle constant et n’était pas libre de quitter le foyer sans autorisation à tout moment lorsqu’il le souhaitait. Se référant à l’affaire Dodov précitée, le Gouvernement soutient que les restrictions en cause étaient nécessaires, compte tenu des obligations positives des autorités de protéger la vie et la santé du requérant. La Cour note que dans l’affaire en question la mère du requérant souffrait de la maladie d’Alzheimer et qu’en conséquence sa mémoire et ses autres capacités mentales se dégradaient progressivement, si bien que le personnel de la maison de retraite avait reçu pour instruction de ne jamais la laisser seule. En l’espèce, en revanche, le Gouvernement n’a pas démontré que l’état de santé du requérant était de nature à le placer dans une situation de danger immédiat ou à commander l’adoption de restrictions spéciales en vue de protéger sa vie et son intégrité physique.

129.  Quant à la durée de la mesure, la Cour relève que celle-ci n’a pas été fixée et est donc indéterminée, puisque le requérant a été inscrit dans les registres municipaux comme ayant son adresse permanente au foyer. Il y demeure toujours (soit depuis plus de huit ans). Ce laps de temps est suffisamment long pour qu’il ressente pleinement les effets négatifs des restrictions auxquelles il est soumis.

130.  Pour ce qui est de l’aspect subjectif de la mesure, il convient de noter que, contrairement aux exigences de la loi interne (paragraphe 42 ci-dessus), l’intéressé n’a pas été invité à exprimer son avis au sujet du placement et n’a jamais explicitement donné son accord à ce propos. Cependant, il a été conduit en ambulance à Pastra et placé dans le foyer sans être informé des motifs et de la durée de cette mesure prise par sa curatrice désignée d’office. La Cour observe à cet égard qu’il existe des situations dans lesquelles la volonté d’une personne dont les capacités mentales sont altérées peut être valablement remplacée par celle d’un tiers agissant dans le cadre d’une mesure de protection et qu’il est parfois difficile de connaître la véritable volonté ou les préférences d’une telle personne. Toutefois, la Cour a déjà eu l’occasion de dire que le fait qu’une personne soit privée de sa capacité juridique ne signifie pas nécessairement qu’elle soit incapable de comprendre quelle est sa situation (Chtoukatourov, précité, § 108). En l’espèce, la loi interne accordait un certain poids à la volonté de l’intéressé et il apparaît que celui-ci comprenait bien sa situation. La Cour note qu’au plus tard à partir de 2004 le requérant a exprimé de manière explicite son souhait de quitter le foyer de Pastra devant les psychiatres et dans le cadre des démarches qu’il a entamées auprès des autorités en vue du rétablissement de sa capacité juridique et de la cessation de la curatelle (paragraphes 37-41 ci-dessus).

131.  Ces éléments permettent de distinguer le cas d’espèce de l’affaire H.M. c. Suisse précitée, où la Cour a conclu à l’absence d’une privation de liberté, car la mesure de placement ne visait que la protection des intérêts de la requérante, qui une fois arrivée au foyer, avait accepté d’y rester. A cet égard, le Gouvernement n’a pas démontré que le requérant, à son arrivée à Pastra ou à une date ultérieure, ait accepté de demeurer au foyer. Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que l’intéressé ait consenti au placement ou l’ait accepté de manière tacite plus tard et tout au long de son séjour.

132.  Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, et notamment de l’implication des autorités dans l’imposition et la mise en œuvre du placement du requérant, du régime de sortie du foyer, de la durée de la mesure et de l’absence de consentement de l’intéressé, la Cour conclut que la situation examinée s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Par conséquent, cette disposition trouve à s’appliquer.

C. Sur la compatibilité avec l’article 5 § 1 du placement du requérant au foyer de Pastra

a) Principes généraux

143.  La Cour rappelle que l’article 5 § 1 requiert d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 63, série A no 244). De plus, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il ne suffit donc pas que la privation de liberté soit conforme au droit national, encore faut-il qu’elle soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III).

144. Par ailleurs, les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (ibidem, § 49, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43, 29 janvier 2008, et Jendrowiak c. Allemagne, no  30060/04, § 31, 14 avril 2011).

145. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Chtoukatourov, précité, § 114, et Varbanov, précité, § 45).

146.  Concernant la deuxième condition citée ci-dessus, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux peut s’imposer non seulement lorsqu’elle a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV).

147.  La Cour rappelle en outre qu’il faut un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de la détention. En principe, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité (Ashingdane, précité, § 44, et Pankiewicz c. Pologne, no 34151/04, §§ 42-45, 12 février 2008). Sous réserve de ce qui précède, le traitement ou régime adéquats ne relèvent pourtant pas, en principe, de l’article 5 § 1 e) (Ashingdane, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 49).

b)  Application de ces principes en l’espèce

148.  Pour examiner si le placement du requérant dans le foyer de Pastra était régulier au regard de l’article 5 § 1, la Cour doit vérifier si cette mesure était conforme au droit interne, si elle entrait dans le champ d’application de l’une des exceptions à la liberté individuelle prévues aux alinéas a) à f) de cette disposition et, enfin, si elle était justifiée au regard de l’une de ces exceptions.

149.  A la lumière des textes internes pertinents (paragraphes 57-59 ci-dessus), la Cour note que le droit bulgare envisage le placement en institution sociale comme une mesure de protection prise à la demande de la personne concernée et non comme une mesure contraignante imposée pour l’un des motifs énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, cette mesure a engendré des restrictions importantes de la liberté individuelle ayant donné lieu à une privation de liberté, au mépris de la volonté ou des souhaits du requérant (paragraphes 121-132 ci-dessus).

150.  Concernant le respect des voies légales, la Cour observe d’emblée que le droit interne énonce qu’un curateur n’a pas le pouvoir d’agir au nom de la personne sous curatelle. En effet, en cas de privation partielle de la capacité juridique, les contrats sont valides uniquement lorsqu’ils sont conclus ensemble par le curateur et la personne sous curatelle (paragraphe 42 ci-dessus). Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la curatrice R. P. de placer le requérant dans un foyer social pour personnes atteintes de troubles mentaux sans avoir préalablement obtenu son accord n’était pas valide en droit bulgare. Cette conclusion suffit à elle seule pour permettre à la Cour de constater que la privation de liberté du requérant était contraire à l’article 5.

151.  En tout état de cause, la Cour estime que cette mesure n’était pas régulière au sens de l’article 5 § 1 de la Convention car elle n’était justifiée au regard d’aucun des alinéas a) à f) de cette disposition.

152.  Le requérant admet que les autorités ont agi principalement dans le contexte des mécanismes de l’assistance sociale (paragraphe 134 ci-dessus). Toutefois, il estime que les restrictions imposées sont constitutives d’une privation de liberté qui n’est prévue par aucune des exceptions à la règle de la liberté individuelle énumérées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Le Gouvernement soutient que le placement avait pour seul but la protection de l’intérêt du requérant à recevoir des soins à caractère social (paragraphes 136-137 ci-dessus). Il a cependant précisé que si la Cour décidait d’appliquer l’article 5 § 1, cette mesure devait être considérée comme conforme à l’alinéa e) de la disposition en question, compte tenu des troubles mentaux dont souffrait l’intéressé (paragraphe 138 ci-dessus).

153.  La Cour note que le requérant pouvait prétendre à l’assistance sociale dans la mesure où il n’avait pas de logement et était incapable de travailler en raison de sa maladie. Elle est d’avis que dans certaines circonstances le bien-être d’une personne atteinte de troubles mentaux peut constituer un facteur additionnel à prendre en compte, en plus des éléments médicaux, lors de l’évaluation de la nécessité de placer cette personne dans une institution. Néanmoins, le besoin objectif d’un logement et d’une assistance sociale ne doit pas conduire automatiquement à l’imposition de mesures privatives de liberté. Aux yeux de la Cour, toute mesure de protection devrait refléter autant que possible les souhaits des personnes capables d’exprimer leur volonté. Le manquement à solliciter l’avis de l’intéressé peut donner lieu à des situations d’abus et entraver l’exercice des droits des personnes vulnérables ; dès lors, toute mesure prise sans consultation préalable de la personne concernée exige en principe un examen rigoureux.

154.  La Cour est prête à accepter que le placement du requérant était une conséquence directe de son état de santé mentale, de la déclaration de son incapacité partielle et de la mise en place de la curatelle. En effet, quelque six jours après sa nomination comme curatrice, Mme R. P., sans connaître l’intéressé et sans le rencontrer, a décidé sur la base du dossier de demander aux services sociaux le placement du requérant dans un foyer destiné à accueillir des personnes souffrant de troubles mentaux. Les services sociaux, pour leur part, ont également fait référence à la santé mentale du requérant lorsqu’elles ont considéré que pareille demande devait être accordée. Il apparaît évident à la Cour que si le requérant n’avait pas été privé de sa capacité juridique en raison de sa pathologie mentale, il n’aurait pas été privé de sa liberté. Dès lors, il convient d’examiner la présente affaire sous l’angle de l’alinéa e) de l’article 5 § 1.

155.  Il reste à savoir si le placement du requérant satisfait aux conditions voulues par la jurisprudence de la Cour en matière de détention des personnes atteintes de troubles mentaux (voir les principes énoncés au paragraphe 145 ci-dessus). A cet égard, la Cour rappelle qu’il faut reconnaître aux autorités nationales une certaine liberté de jugement quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme « aliéné », car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné ; sa propre tâche consiste à contrôler leurs décisions sous l’angle de la Convention (Winterwerp, précité, § 40, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 27, série A no 75).

156.  En l’espèce, il est vrai que l’expertise médicale effectuée dans le cadre de la procédure de privation de la capacité juridique faisait état des troubles dont souffrait le requérant. Toutefois, cette expertise a eu lieu avant le mois de novembre 2000, alors que le requérant a été placé au foyer de Pastra le 10 décembre 2002 (paragraphes 10 et 14 ci-dessus). Plus de deux ans se sont donc écoulés entre l’expertise psychiatrique sur laquelle les autorités se sont appuyées et la mesure de placement, sans que la curatrice n’ait procédé à une vérification de l’éventuelle évolution de l’état de santé du requérant et sans le rencontrer ou le consulter. Contrairement au Gouvernement (paragraphe 138 ci-dessus), la Cour estime que ce laps de temps est excessif et qu’on ne saurait conclure qu’un avis médical formulé en 2000 reflétait de manière probante l’état de santé mentale du requérant à l’époque du placement. Il convient par ailleurs de relever que les autorités nationales n’avaient pas l’obligation légale d’ordonner une expertise psychiatrique au moment du placement. Le Gouvernement explique à cet égard que les dispositions applicables sont celles de la loi sur l’assistance sociale et non celles de la loi sur la santé (paragraphes 57-60, et 137 ci-dessus). Pour la Cour, il n’en demeure pas moins que l’absence d’une évaluation médicale récente suffirait pour conclure que le placement du requérant n’était pas régulier au regard de l’article 5 § 1 e).

157.  A titre surabondant, la Cour observe que les autres exigences de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 ne sont pas non plus remplies en l’espèce. En effet, concernant le besoin de justifier le placement par l’ampleur des troubles, elle relève que l’expertise médicale de 2000 n’avait aucunement pour but d’analyser la question de savoir si l’état de santé du requérant nécessitait son placement dans un foyer pour personnes atteintes de troubles mentaux, mais seulement la question de sa protection juridique. Il est vrai que l’article 5 § 1 e) autorise le placement d’une personne souffrant de troubles mentaux sans qu’il y ait nécessairement un traitement médical en vue (Hutchison Reid, précité, § 52) ; toutefois, une telle mesure doit être dûment justifiée par la gravité de l’état de santé de l’intéressé afin d’assurer sa propre protection ou la protection d’autrui. Or, en l’espèce il n’est pas établi que le requérant était dangereux pour lui-même ou pour les autres, en raison notamment de sa pathologie psychiatrique ; la simple affirmation de certains témoins selon laquelle il devenait agressif lorsqu’il buvait (paragraphe 10 ci-dessus) ne saurait suffire à cet égard. Les autorités ne rapportent pas non plus d’actes de violence de la part du requérant pendant son séjour au foyer de Pastra.

158.  La Cour relève également des défaillances dans la vérification de la persistance des troubles justifiant l’internement. En effet, bien que le requérant ait été suivi par un psychiatre (paragraphe 31 ci-dessus), ce suivi n’avait pas pour objectif d’évaluer, à des intervalles réguliers, si le maintien au foyer de Pastra continuait à être nécessaire au regard de l’article 5 § 1 e). En effet, une telle évaluation n’était pas prévue par la législation pertinente.

159.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate que le placement du requérant n’a pas été ordonné « selon les voies légales » et que sa privation de liberté n’était pas justifiée par l’alinéa e) de l’article 5 § 1. Le Gouvernement n’a par ailleurs indiqué aucun des autres motifs énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 qui, en l’espèce, auraient pu autoriser la privation de liberté litigieuse.

160.  Il y a donc eu violation de cette disposition.

Arrêt Baudouin contre France du 18 novembre 2010 requête 35935/03

L'INTERNEMENT FORCE DOIT SUIVRE LES VOIES LEGALES.

88.  La Cour souligne que dans sa décision sur la recevabilité de la présente affaire, elle a déclaré recevable le grief tiré de la violation alléguée de l'article 5 § 1 e) uniquement en tant qu'il se rapportait à l'hospitalisation forcée du requérant entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004, période pour laquelle elle a relevé qu'aucun arrêté ne fondait l'internement du requérant. La question qu'elle doit examiner sous l'angle de cette disposition se limite donc à déterminer si le requérant a été privé de sa liberté « selon les voies légales » pendant ladite période.

89.  La Cour rappelle à cet égard que, pour respecter les exigences de l'article 5 § 1, une privation de liberté doit être « régulière » et effectuée « selon les voies légales ». En la matière, la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, Winterwerp, précité, § 39, et Todev c. Bulgarie, no 31036/02, § 26, 22 mai 2008).

90.  En l'espèce, la Cour ne peut que constater que, par un jugement du 21 octobre 2004, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé pour vice de forme l'arrêté du 17 mai 2004, qui fondait alors l'hospitalisation du requérant, tout en se déclarant incompétent pour ordonner la sortie immédiate de l'intéressé (paragraphe 20 ci-dessus). Il ressort du dossier que l'arrêté préfectoral suivant portant reconduction de la mesure d'hospitalisation n'a été pris que le 9 novembre 2004.

La Cour souligne également, comme l'indique le Gouvernement, que si le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2004 pour vice de forme, il s'agissait d'un manquement aux exigences posées par la jurisprudence du Conseil d'Etat quant à la motivation des arrêtés. Or, à n'en pas douter, l'obligation faite par le Conseil d'Etat à l'autorité administrative d'indiquer dans sa décision les éléments de droit ou de fait justifiant une mesure d'hospitalisation forcée ou son maintien, a pour objectif de renforcer la protection de l'individu contre l'arbitraire, ce qui est le but de l'article 5 de la Convention.

91.  La Cour observe donc qu'il y a eu une hospitalisation sans titre entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004, comme l'admet d'ailleurs le Gouvernement. Or, la Cour constate qu'en droit français la base légale de toute mesure d'hospitalisation d'office est constituée par un arrêté préfectoral, qui doit être renouvelé à intervalles réguliers dans les conditions énoncées à l'article L. 3213-4 du code de la santé publique, et note que le Conseil d'Etat exerce un contrôle strict du respect des modalités formelles de cette disposition (paragraphe 65 ci-dessus). Elle en déduit que la discontinuité de la base légale de la mesure d'hospitalisation observée en l'espèce n'est pas conforme aux exigences posées par le droit français en la matière.

92.  A cet égard, la Cour n'est pas convaincue par l'argumentation du Gouvernement selon laquelle cette illégalité aurait été « purgée » par l'arrêt rendu le 8 juillet 2005 par la cour d'appel de Bordeaux. En admettant que l'on puisse se référer à la jurisprudence Mooren précitée dans le cas d'espèce, elle relève que la cour d'appel s'est fondée sur l'état de santé du requérant et sur l'existence de l'arrêté pris le 10 mars 2005, pour apprécier la situation au moment de statuer, conformément au droit interne, ce qui l'a conduite à refuser la demande de sortie immédiate du requérant. Cette juridiction s'est déclarée incompétente pour apprécier la régularité des arrêtés préfectoraux des 9 novembre 2004, 7 décembre 2004 et 10 mars 2005. Or, eu égard au partage de compétences entre les juridictions administratives et judiciaires françaises en la matière (voir aussi paragraphes 101 et suivants ci-dessous) respecté en l'espèce par la cour d'appel de Bordeaux, la Cour considère qu'il n'en demeure pas moins que, du 21 octobre 2004 au 9 novembre 2004, le requérant a fait l'objet d'une hospitalisation sans titre, contrairement au droit national pertinent.

93.  Enfin, les circonstances de la cause diffèrent de l'affaire Winterwerp c. Pays-Bas précitée, à laquelle se réfère le Gouvernement. En effet, dans cette affaire, le procureur compétent avait requis la prorogation de l'internement dans les délais requis par la loi néerlandaise applicable, qui en revanche ne précisait pas le délai dans lequel devait statuer le tribunal. Dans ces conditions, la Cour avait admis que le fait que la juridiction compétente ait statué sur le renouvellement de l'autorisation quelque deux semaines après son expiration – ce qui n'était pas contraire aux dispositions pertinentes du droit national – n'emportait pas violation de l'article 5 § 1 e).

94.  A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime qu'en l'espèce la privation de liberté du requérant entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004 n'a pas été effectuée « selon les voies légales ».

Partant, elle conclut de ce fait à la violation de l'article 5 § 1 e).

Arrêt R.L et M.J.D contre France du 19 mai 2004 Hudoc 5079 requête 44562/98

La Cour émet des principes importants en matière de violation de l'article 5-1 de la Convention :

1/ Une détention doit être autorisée par le droit interne

"§85: Dès lors qu'au regard de l'article 5§1 l'inobservation du droit interne emporte violation de la Convention, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté ()

"§87: En l'espèce la Cour () constate avec les parties que le délit de tapage est prévu par la loi (art R 623-2 CP) mais qu'il n'est puni que d'une peine d'amende et non d'une  peine d'emprisonnement"

En conséquence, la détention n'était pas autorisée par la loi. Partant, il y a violation de l'article 5§1 de la Convention.

2/ Un individu ne peut être détenu pénalement que s'il est conduit devant une autorité judiciaire

En revanche il peut ne jamais être jugé:

"§86: Une personne ne peut être détenue au regard de l'article 5§1 que dans le cadre d'une procédure pénale, en vue d'être conduite devant l'autorité judiciaire compétente parce qu'elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction ()  

§90: La Cour rappelle que l'absence d'inculpation et de renvoi en jugement n'implique pas nécessairement que la privation de liberté du requérant ne poursuivît par un objectif conforme à l'article 5§1/c.

L'existence d'un tel but doit s'envisager indépendamment de sa réalisation et l'alinéa c) de l'article 5§1 ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations, soit au moment de l'arrestation, soit pendant la garde à vue ()

§91: En l'espèce, la Cour relève toutefois que le requérant n'a jamais été présenté à un juge après son arrestation.

§93 : Partant, il y a eu en l'espèce violation de l'article 5§1/c de la Convention"

3/ Une mesure de privation de liberté est si grave qu'elle ne peut être imposée qu'après l'examen de la possibilité d'appliquer une mesure moins grave

comme par exemple en matière pénale, le contrôle judiciaire:

"§116: La privation de liberté est une mesure si grave qu'elle ne se justifie que lorsque d'autres mesures moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l'intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il doit être établi que la privation de liberté de l'intéressé était indispensable au vu des circonstances."   

4/ La détention d'un aliéné ne peut être autorisée que si trois conditions sont réunies

"§115: La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un individu ne peut passer pour "aliéné" et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies :

premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante  (par un médecin expert)

deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l'internement,

troisièmement, l'internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble"

En l'espèce, la Cour constate que le requérant a été remis à l'hôpital psychiatrique, examiné par un médecin.

Malgré un examen positif du médecin en faveur du requérant, ce dernier n'a pas pu être libéré avant le lendemain:

"§128: Dans ces conditions, la Cour ne peut que conclure que le requérant a été maintenu dans les locaux de l'infirmerie psychiatrique pour des raisons purement administratives"

Partant, il y a violation de l'article 5-1/e.

LA LOI INTERNE DOIT ÊTRE PRÉVISIBLE ET PRÉCISE

Denis et Irvine c. Belgique du 1er juin 2021 requêtes nos 62819/17 et 63921/17

Article 5-1 L’internement d’aliénés avant le changement législatif de 2016 et dont les troubles mentaux persistent après celui-ci est régulier

L’affaire concerne deux requérants qui ont été internés sur le fondement de la loi de défense sociale du 9 avril 1930 après avoir commis des faits de vol (M. Denis en 2007) et de tentative de vol (M. Irvine en 2002). Devant la Cour, les requérants se plaignaient du refus des juridictions belges de les remettre en liberté à la suite de l’entrée en vigueur (en octobre 2016) de la loi du 5 mai 2014. Selon cette loi, les faits de vol et tentative de vol ne peuvent plus constituer le fondement d’une décision ordonnant l’internement d’une personne. La Cour relève que la privation de liberté des requérants concerne la détention d’aliénés et que leur internement constitue une mesure de sûreté et non pas une peine, qui relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention. La Cour précise que cette disposition exige que l’aliénation ait été établie de manière probante (1ère condition), que le trouble revête un caractère ou une ampleur légitimant l’internement (2ème condition) et que ce trouble persiste pendant toute la durée de l’internement (3ème condition). La Convention n’exige dès lors pas que soit prise en compte, au moment du contrôle de la persistance des troubles mentaux, la nature des faits qui avaient été commis par l’intéressé et qui avaient constitué le fondement de son internement. La Cour constate que c’est au regard de ces conditions que les juridictions internes ont examiné les demandes de mise en liberté définitive des requérants. En l’espèce, elles n’ont pas eu égard à la nature de l’infraction commise par les requérants, mais elles ont vérifié la persistance des troubles mentaux tel qu’exigé par l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention et elles ont estimé qu’il existait encore un risque élevé de récidive violente. La Cour juge donc que la détention des requérants continue de reposer valablement sur une base légale et que leur privation de liberté est régulière. La Cour constate aussi que la loi relative à l’internement met deux conditions cumulatives à la libération définitive d’un interné, et qu’en l’espèce aucune de ces conditions n’est remplie.

Article 5 § 1 • Régularité de l’arrestation ou de la détention • Refus de remettre en liberté des auteurs d’infractions internés atteints de troubles mentaux persistants après l’adoption d’une nouvelle loi réservant l’usage de cette mesure à des infractions plus graves • Caractère ni arbitraire ni manifestement déraisonnable de l’approche des juridictions internes reconnaissant la validité des mesures d’internement adoptées sous l’empire de la législation antérieure • Respect de toutes les trois conditions de la jurisprudence Winterwerp en matière de détention régulière des « aliénés » • Article 5 ne faisant pas obligation aux autorités chargées d’examiner la question de la persistance des troubles mentaux de tenir compte de la nature des faits commis par l’intéressé

Article 5 § 4 • Contrôle de la régularité d’une détention • Délai d’épreuve de trois ans obligatoire pour la libération de personnes internées auteurs d’infractions n’étant pas déterminant au vu de la persistance de leurs troubles mentaux

FAITS

Les requérants, Jimmy Denis et Derek Irvine, sont tous deux internés en Belgique. M. Denis est un ressortissant belge né en 1984. M. Irvine est un ressortissant britannique né en 1964. Dans cette affaire, MM. Denis et Irvine se plaignent du maintien de leur internement alors que celuici ne reposerait plus sur une base légale depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014.

La loi du 5 mai 2014, entrée en vigueur en octobre 2016, prévoit que l’internement ne peut être ordonné qu’à la suite de la commission d’un crime ou d’un délit portant atteinte ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers. Les requérants, ayant été internés pour des faits qualifiés de vol (M. Denis en 2007) et de tentative de vol avec effraction (M. Irvine en 2002) conformément à la loi de défense sociale du 9 avril 1930, demandèrent aux juridictions belges de les remettre en liberté sur le fondement de la nouvelle loi, mais ils furent déboutés.

Article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté)

Le motif de la privation de liberté des requérants

La Cour observe que les requérants n’ont pas été condamnés. Après avoir constaté que ces derniers avaient matériellement commis les faits reprochés, les juridictions internes ont considéré qu’ils se trouvaient dans un état mental ayant aboli ou gravement altéré leur capacité de discernement et de contrôle de leurs actes. Elles ont dès lors prononcé leur internement qui, au regard du droit interne, constitue une « mesure de sûreté » et non pas une peine. Leur privation de liberté concerne donc la détention d’aliénés et relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

La modification législative et la question soulevée en l’espèce

Sous l’empire de la loi en vigueur au moment où la décision initiale d’interner les requérants a été prise (loi de défense sociale du 9 avril 1930), la commission de tout fait qualifié de crime ou de délit pouvait donner lieu à l’internement de la personne concernée sans condition relative à la gravité des faits commis. Désormais, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi relative à l’internement, les faits de vol et tentative de vol commis par les requérants ne pourraient plus, à l’heure actuelle, constituer le fondement d’une décision ordonnant l’internement d’une personne en vertu de la loi de 2014, nonobstant son état de santé mentale. De plus, cette nouvelle loi, qui s’applique en principe à toutes les affaires en cours, ne prévoit pas de mesure transitoire spécifique pour les personnes qui ont été internées sur le fondement de la loi de défense sociale de 1930 et qui ont commis des faits qui n’atteindraient pas le nouveau seuil requis par son article 9. La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si, depuis l’entrée en vigueur de ladite loi, la privation de liberté des requérants peut encore passer pour régulière, compte tenu du fait que cette nouvelle loi ne prévoit plus la possibilité d’interner une personne pour les faits qu’ils ont commis et qui avaient fondé leur internement

L’application de la nouvelle loi par les juridictions internes

Saisies par les requérants de la question de savoir si la légalité de leur internement était remise en cause par la modification législative litigieuse, les juridictions internes ont estimé que tel n’était pas le cas. La Cour de cassation a notamment considéré que les décisions prises respectivement en 2007 et 2002 à l’égard des requérants étaient passées en force de chose jugée et que la mesure d’internement prononcée à leur égard était définitive. Elle a aussi estimé que l’article 5 § 1 de la Convention n’empêche pas que la mesure d’internement donne lieu, à partir de ce moment-là, à une phase d’exécution à laquelle ne s’appliquent pas les mêmes règles que celles en vigueur pour imposer cette mesure. Ainsi, la Cour de cassation a distingué deux phases successives de l’internement auxquelles s’appliquent des dispositions et critères différents.

La première phase : le système d’internement belge prévoit d’abord une procédure judiciaire qui aboutit à la décision d’interner une personne. La décision de la juridiction d’instruction ou de la juridiction de jugement qui prononce l’internement reste valable tout au long de l’internement de la personne concernée tant que celle-ci n’a pas fait l’objet d’un jugement d’octroi de la libération définitive passé en force de chose jugée. En ce qui concerne les requérants, les décisions ordonnant leur internement ont été prises respectivement en 2007 et en 2002 sur le fondement de l’article 7 de la loi de défense sociale.

La deuxième phase : après le prononcé de la mesure, s’ouvre la deuxième phase de l’internement au cours de laquelle les chambres de protection sociale du tribunal de l’application des peines (« CPS »), juridictions spécialisées, examinent la situation des internés à des intervalles réguliers. Au cours de ce contrôle, les personnes internées peuvent également demander la modification des modalités de eur internement ou leur mise en liberté. Des règles différentes s’appliquent alors, notamment en ce qui concerne les conditions de mise en liberté définitive d’une personne internée, telle que demandée par les requérants à titre principal en l’espèce. La mise en liberté définitive était auparavant régie par l’article 18 de la loi de défense sociale et, désormais, par l’article 66 de la loi relative à l’internement. L’article 66 de la loi relative à l’internement ne prévoit pas que soit prise en compte en tant que telle, lors du contrôle périodique de l’internement, la nature des faits qui ont été commis par l’intéressé et qui ont constitué le fondement de son internement. Elle exige, en revanche, que la CPS apprécie si le trouble mental de la personne internée s’est suffisamment stabilisé et s’il y a un risque de récidive. À ce titre, la CPS doit tenir compte d’un ensemble de facteurs de risque dont, le cas échéant, le fait pour lequel la personne avait initialement été internée. En somme, au regard du droit interne tel qu’interprété par la Cour de cassation en l’espèce, dès lors que les requérants n’avaient pas fait l’objet d’une mise en liberté définitive, leur privation de liberté continuait de reposer sur une base légale valable : les décisions d’internement respectivement prises en 2007 et 2002. La Cour note que l’interprétation adoptée par les juridictions internes en l’espèce est conforme à l’intention du législateur telle qu’elle ressort des travaux parlementaires de la loi du 4 mai 2016 modifiant la loi de 2014. Ceux-ci indiquent en effet que la loi relative à l’internement n’avait pas pour but d’affecter les décisions relatives aux personnes souffrant de troubles mentaux qui avaient commis des faits pouvant à l’époque donner lieu à un internement en vertu de la loi de défense sociale de 1930 mais pour lesquels l’internement ne serait plus possible en vertu de la nouvelle législation. Le législateur a ainsi choisi de maintenir la force exécutoire des décisions d’internement prises sous l’empire de la loi de défense sociale. Il en résulte que, s’agissant des personnes internées sur le fondement d’une décision passée en force de chose jugée avant le 1 er octobre 2016, les effets de la nouvelle loi relative à l’internement se limitent aux décisions relatives au maintien de l’internement, ses modalités d’exécution et l’éventuelle mise en liberté des intéressés. Rappelant qu’elle n’a pas pour tâche de se prononcer sur l’opportunité des techniques choisies par le législateur, la Cour estime que l’approche retenue par les juridictions internes en l’espèce n’est ni arbitraire ni manifestement déraisonnable

La conformité de l’approche adoptée par les juridictions internes avec l’article 5 de la Convention

L’article 5 § 1 e) de la Convention ne précise pas les éventuels faits pénalement répréhensibles pour lesquels une personne peut être détenue comme « aliénée ». Cette disposition ne requiert d’ailleurs pas que de tels faits aient été commis. Elle se limite à exiger que l’aliénation ait été établie de manière probante (1ère condition), que le trouble revête un caractère ou une ampleur légitimant l’internement (2ème condition) et que ce trouble persiste pendant toute la durée de l’internement (3ème condition). La Convention n’exige ainsi pas que soit prise en compte, au moment du contrôle de la persistance des troubles mentaux, la nature des faits qui avaient été commis par l’intéressé et qui avaient constitué le fondement de son internement. En l’espèce, les deux premières conditions étaient réunies. En ce qui concerne la troisième condition à respecter, à savoir celle de la persistance du trouble sans laquelle l’internement ne peut se prolonger, les requérants indiquent expressément qu’ils ne contestent pas que cette condition est remplie et que leurs troubles persistent à ce jour. La Cour rappelle néanmoins que c’est l’état de santé mentale actuel de la personne qui doit être pris en considération. Sur ce point, l’examen fait par les juridictions internes à l’égard de cette troisième condition est nécessairement évolutif puisqu’il doit prendre en compte toute évolution de la santé mentale de la personne internée postérieurement à l’adoption de l’ordonnance de placement en détention. En droit belge, la troisième condition est traduite par l’instauration d’un contrôle périodique automatique au cours duquel les personnes internées ont notamment la possibilité de faire valoir que leur état de santé mentale s’est stabilisé, qu’elles ne représentent plus un risque pour la société et de demander l’octroi de modalités d’exécution de leur internement, notamment, à l’instar des requérants, leur libération définitive. En vertu de l’article 66 de la loi relative à l’internement, la libération définitive ne peut être octroyée qu’à l’expiration d’une période de libération à l’essai de trois ans et à condition que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu’il n’y ait raisonnablement plus à craindre qu’à cause de son trouble mental, en conjonction éventuellement avec d’autres facteurs de risque, la personne internée commettra de nouvelles infractions. Ainsi, seul l’état de santé mentale actuel de la personne internée et le risque de récidive actuel, c’est-à-dire au moment où l’examen est fait, sont pris en compte pour déterminer si la personne concernée peut être libérée ou si le maintien de son internement est justifié. C’est au regard de ces conditions que les CPS ont examiné les demandes de mise en liberté définitive des requérants. Elles n’ont ainsi pas eu égard à la nature de l’infraction commise par les requérants et qui avait fondé la mesure d’internement. Elles ont en revanche vérifié si le trouble mental des requérants s’était suffisamment stabilisé, et elles ont estimé que tel n’était pas le cas. Ainsi, les CPS ont vérifié la persistance des troubles mentaux tel qu’exigé par l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour note à cet égard que lors du dernier contrôle périodique effectué par les CPS à l’égard des requérants, les CPS ont estimé qu’il existait encore un risque élevé de récidive violente. Par conséquent, la Cour conclut que la détention des requérants continue de reposer valablement sur une base légale et que leur privation de liberté est régulière et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention)

La Cour note que les requérants se sont seulement plaints de l’impossibilité légale d’obtenir leur mise en liberté immédiate et définitive en raison du délai d’épreuve de trois ans, imposé par l’article 66 de la loi relative à l’internement. À cet égard, elle constate que cette disposition met deux conditions cumulatives à la libération définitive d’un interné. Cette disposition requiert, d’une part, l’accomplissement d’un délai d’épreuve de trois ans et, d’autre part, que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu’il n’y ait raisonnablement plus à craindre qu’à cause de son trouble mental ou non, en conjonction éventuellement avec d’autres facteurs de risque, la personne internée commettrait à nouveau des infractions portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers. En l’espèce, la Cour observe que les juridictions internes ont refusé la demande de mise en liberté définitive des requérants au motif qu’aucune des deux conditions posées par l’article 66 de la loi n’était remplie : leur état de santé mentale ne s’était pas suffisamment amélioré et ils n’avaient pas effectué une période de libération à l’essai de trois ans. Les requérants n’ont pas contesté que leur trouble mental persistait et n’ont pas non plus affirmé qu’il s’était suffisamment stabilisé de sorte à ne plus constituer un danger pour la société. La condition d’avoir effectué une période de libération à l’essai de trois ans n’a dès lors pas été décisive puisqu’elle n’a constitué qu’un des motifs pour lesquels la CPS a refusé leur libération immédiate et définitive. Par ailleurs, la Cour salue le fait qu’entretemps la Cour de cassation a interprété la disposition litigieuse à la lumière de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention en jugeant qu’une personne internée qui n’est plus malade mentalement et qui n’est plus dangereuse doit bénéficier d’une libération définitive, même si le délai d’épreuve de trois ans n’est pas encore écoulé. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

CEDH

Article 5-1

122.  La Cour est appelée à déterminer si le maintien de l’internement des requérants relevait de l’un des motifs autorisant la privation de liberté énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 et si elle était « régulière » aux fins de cette disposition.

  1. Les principes généraux établis dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 de la Convention

123.  Avec les articles 2, 3 et 4, l’article 5 de la Convention figure parmi les principales dispositions garantissant les droits fondamentaux qui protègent la sécurité physique des personnes, et en tant que tel, il revêt une importance primordiale. Il a essentiellement pour but de protéger l’individu contre une privation de liberté arbitraire ou injustifiée (Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 84, 5 juillet 2016, et S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 73, 22 octobre 2018).

124.  Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. Seule une interprétation étroite de la liste exhaustive des motifs admissibles de privation de liberté cadre avec le but de l’article 5 : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, par exemple, Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 126, 4 décembre 2018).

125.  Toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 67, CEDH 2008, et Ilnseher, précité, § 135). Une période de détention est en principe « régulière » si elle repose sur une décision judiciaire (Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 68, CEDH 2000‑IX, Nevmerjitski c. Ukraine, no 54825/00, § 116, CEDH 2005‑II (extraits), et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 74, 9 juillet 2009).

126.  S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement lorsque l’inobservation de ce dernier est susceptible d’emporter violation de la Convention. Tel est le cas, notamment, des affaires dans lesquelles l’article 5 § 1 de la Convention est en jeu et la Cour doit alors exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a été respecté (Winterwerp, précité, §§ 45-46, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 101, 23 février 2012).

127.  Le respect du droit national n’est pas suffisant : il faut que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle (Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, 28 août 2012, et Plesó c. Hongrie, no 41242/08, § 59, 2 octobre 2012). Parmi les principes généraux découlant de la Convention auxquels renvoie la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 figurent le principe de la prééminence du droit (Buzadji, précité, § 84, et S., V. et A. c. Danemark, précité, § 73) et, lié au précédent, celui de la sécurité juridique (voir, parmi d’autres, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000‑III), ainsi que le principe de proportionnalité (voir, par exemple, Enhorn c. Suède, no 56529/00, § 36, CEDH 2005-I).

128.  En ce qui concerne le principe de la sécurité juridique, l’expression « selon les voies légales » impose non seulement que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais elle concerne aussi la qualité de la loi. En effet, lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, §§ 91-92, 15 décembre 2016, et Z.A. et autres c. Russie [GC], nos 61411/15 et 3 autres, § 161, 21 novembre 2019).

129.  L’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp, précité, §§ 37 et 45, Saadi, précité, § 67, et Ilnseher, précité, § 136).

130.  La notion d’arbitraire dans les contextes respectifs des alinéas b), d) et e) implique également que l’on recherche si la détention était nécessaire pour atteindre le but déclaré (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III, et Saadi, précité, § 70). En d’autres termes, il convient de démontrer que la privation de liberté était indispensable au vu des circonstances (Ilnseher, précité, § 137, et les références qui y sont citées). La privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en dernier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (S., V. et A. c. Danemark, précité, § 77, et Ilnseher, précité, § 137 avec d’autres références).

131.  Aussi, la condition tenant à l’absence d’arbitraire exige que non seulement l’ordre de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1 (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 186, 28 novembre 2017, Rooman c. Belgique [GC], no 18052/11, § 190, 31 janvier 2019, et les références qui y sont citées).

132.  Bien que seuls les alinéas c) et d), dans leur version anglaise, se réfèrent au « but » (« purpose ») du type de privation de liberté qu’ils visent, il ressort clairement de leur libellé et de l’économie générale de l’article 5 § 1 que cette exigence est implicite dans tous les alinéas (Merabishvili, précité, § 299, et Rooman, précité, § 191).

133.  Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour n’a pas pour tâche de se prononcer sur les méthodes choisies par le législateur d’un État pour réglementer tel ou tel domaine ; son rôle se limite à vérifier si ces méthodes et les conséquences qu’elles entraînent sont conformes à la Convention (voir, mutatis mutandis, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 83, CEDH 2010 pour des considérations similaires dans le cadre de l’article 6 § 1 de la Convention, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 184, 8 novembre 2016, et Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, § 95, 20 janvier 2020 pour des affaires relatives à l’article 10 de la Convention, et Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 67, CEDH 2004‑I dans le cadre de l’article 11).

  1. Les exigences relatives à la privation de liberté des « aliénés » au sens de l’alinéa e) de l’article 5 § 1

134.  En ce qui concerne la justification de la détention d’une personne au titre de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, la Cour rappelle que le terme « aliéné » doit se concevoir selon un sens autonome. Il ne se prête pas à une définition précise, son sens ne cessant d’évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique (Ilnseher, précité, § 127).

135.  Un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante, c’est-à-dire que l’existence d’un trouble mental réel doit avoir été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp, précité, § 39, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 145, CEDH 2012, Ilnseher, précité, § 127, et Rooman, précité, § 192).

136.  Il y a lieu de reconnaître aux autorités nationales un certain pouvoir discrétionnaire quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme « aliéné », car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné ; la tâche de la Cour consiste à contrôler leurs décisions sous l’angle de la Convention (Winterwerp, précité, § 40, et Ilnseher, précité, § 128). Cela étant dit, les motifs admissibles de privation de liberté énumérés à l’article 5 § 1 appellent une interprétation étroite.Un état mental doit présenter une certaine gravité pour être considéré comme un trouble mental « réel » aux fins de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, car il doit être sérieux au point de nécessiter un traitement dans un établissement destiné à accueillir des malades mentaux (Ilnseher, précité, § 129).

137.  La date pertinente à laquelle l’aliénation d’une personne doit avoir été établie de manière probante au regard des exigences de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 est celle de l’adoption de la mesure la privant de sa liberté en raison de son état.Comme le montre toutefois la troisième condition à respecter pour que la détention d’un « aliéné » soit justifiée, à savoir que l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance du trouble mental, toute évolution éventuelle de la santé mentale du détenu postérieurement à l’adoption de l’ordonnance de placement en détention doit être prise en compte (Ilnseher, précité, § 134).

  1. L’application de ces principes en l’espèce

138.  Dans un premier temps, la Cour apportera quelques précisions quant au motif de privation de liberté applicable en l’espèce (a), puis elle examinera si la privation de liberté des requérants était « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention (b).

a) Sur le motif de privation de liberté

139.  Dans son examen destiné à déterminer si la détention des requérants pouvait se justifier au regard de l’un des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, la Cour observe d’emblée qu’à la différence du requérant dans l’affaire Ilnseher (précitée), les requérants n’ont en l’espèce pas été condamnés. S’il a certes été constaté qu’ils avaient matériellement commis les faits relevant du droit pénal qui leur étaient reprochés, les juridictions internes ont considéré que les requérants se trouvaient dans un état mental ayant aboli ou gravement altéré leur capacité de discernement et de contrôle de leurs actes au sens de l’article 7 de la loi de défense sociale (paragraphes 58 ci-dessus). Elles ont dès lors prononcé leur internement qui, au regard du droit interne, constitue une « mesure de sûreté », et non pas une peine (paragraphe 27 ci-dessus). Il en résulte que les requérants n’ont fait l’objet ni d’une déclaration de culpabilité ni d’une peine.

140.  Leur détention ne pouvait donc pas se justifier au regard de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 comme une détention « après condamnation » (voir, à cet égard, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 123-124, CEDH 2013, et, mutatis mutandis, Ilnseher, précité, §§ 144 et 146). Ce point n’a d’ailleurs pas été contesté par les parties.

141.  En effet, les parties s’accordent à considérer que la privation de liberté des requérants relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 en tant qu’il concerne la détention d’« aliénés ». La Cour souscrit à cette analyse eu égard au fait que les requérants ont été déclarés pénalement irresponsables de leurs actes en raison des troubles mentaux dont ils souffraient, et que l’internement est une mesure de sûreté dont le but est préventif, et non pas punitif.

142.  La Cour observe qu’elle a ainsi, dans d’autres affaires dirigées contre la Belgique, examiné les mesures d’internement prononcées en l’absence de condamnation pénale sous l’angle de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 (voir, par exemple, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 105, 6 décembre 2011, Claes c. Belgique, no 43418/09, § 110, 10 janvier 2013, Van Zandbergen c. Belgique, no 4258/11, § 37, 2 février 2016, et W.D. c. Belgique, no 73548/13, § 122, 6 septembre 2016 ; voir et comparer, pour des affaires examinées sous l’angle de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 où l’internement faisait suite à une condamnation pénale, Van Droogenbroeck, précité, § 35, et De Schepper c. Belgique, no 27428/07, § 39, 13 octobre 2009).

143.  La Cour examinera donc si, comme le soutient le Gouvernement et comme le contestent les requérants, la détention de ces derniers était régulière au sens de l’article 5 § 1 e).

b) Sur la régularité de la privation de liberté

144.  La Cour relève que les requérants ont été internés pour des faits qualifiés de vol et tentative de vol par des décisions prises respectivement le 18 juin 2007 et le 14 novembre 2002 sur le fondement de l’article 7 de la loi de défense sociale (paragraphes 11 et 41 ci-dessus).

145.  Ces deux décisions ne peuvent plus faire l’objet d’un recours. Il n’est d’ailleurs nullement contesté par les parties que ces décisions ont été prises « selon les voies légales » et que la privation de liberté des requérants était initialement « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

146.  La Cour en déduit également qu’au moment où les juridictions internes ont ordonné l’internement des requérants, il n’est pas contesté que leur aliénation avait été établie de manière probante et que le trouble dont ils souffraient revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement, tel que le requièrent les deux premières conditions de la jurisprudence Winterwerp (précité, § 39 ; paragraphe 135 ci-dessus).

147.  En revanche, les requérants allèguent que leur privation de liberté ne repose plus sur une base légale valable depuis l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de la nouvelle loi relative à l’internement.

148.  La Cour exposera d’abord la modification législative litigieuse et la question soulevée devant elle (i), avant d’observer la manière dont les juridictions internes ont appliqué les dispositions concernées dans la cause des requérants (ii), et d’examiner la conformité de cette approche avec les exigences de l’article 5 § 1 e) de la Convention (iii), pour en tirer une conclusion sur la régularité de la privation de liberté des requérants (iv).

  1. La modification législative litigieuse et la question soulevée devant la Cour

149.  La Cour relève que, sous l’empire de la loi en vigueur au moment où la décision initiale d’interner les requérants a été prise, une mesure d’internement pouvait être ordonnée sur le fondement de l’article 7 de la loi de défense sociale suite à la commission de tout fait qualifié de crime ou de délit si l’intéressé se trouvait dans un état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actes (paragraphes 58 ci-dessus). La commission de tout fait qualifié de crime ou de délit pouvait ainsi donner lieu à l’internement de la personne concernée sans condition relative à la gravité des faits commis.

150.  Désormais, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi relative à l’internement, l’article 9 de celle-ci prévoit que l’internement ne peut être ordonné qu’à la suite de la commission d’un crime ou d’un délit portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers (paragraphe 79 ci-dessus). De plus, la personne doit, au moment de la décision d’internement, être atteinte d’un trouble mental qui abolit ou altère gravement sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes et il doit y avoir lieu de craindre qu’elle commette de nouveaux faits portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers en raison de son trouble mental, éventuellement combiné avec d’autres facteurs de risque.

151.  En outre, la Cour observe que si la loi relative à l’internement de 2014 s’applique en principe à toutes les affaires en cours (paragraphe 87 ci‑dessus), elle ne prévoit pas de mesure transitoire spécifique pour les personnes qui ont été internées sur le fondement de la loi de défense sociale de 1930 et qui ont commis des faits qui n’atteindraient pas le nouveau seuil requis par l’article 9 de la nouvelle loi (paragraphe 89 ci-dessus).

152.  Ainsi, la Cour note, et cela est admis par le Gouvernement, que les faits de vol et tentative de vol commis par les requérants en l’espèce ne pourraient plus, à l’heure actuelle, constituer le fondement d’une décision ordonnant l’internement d’une personne en vertu de la loi de 2014, nonobstant son état de santé mentale.

153.  La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si, depuis l’entrée en vigueur de ladite loi, la privation de liberté des requérants peut encore passer pour régulière, compte tenu du fait que cette nouvelle loi ne prévoit plus la possibilité d’interner une personne pour les faits qu’ils ont commis et qui avaient fondé leur internement. En somme, il s’agit de déterminer si l’introduction d’un seuil plus strict par l’article 9 de la loi de 2014 relative à l’internement a affecté la légalité de leur privation de liberté au regard des exigences de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

154.  Sur ce point, en ce qui concerne l’allégation des requérants selon laquelle ils devraient faire l’objet, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2014, d’une hospitalisation forcée conformément à la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux (paragraphe 91 ci-dessus) plutôt que d’une mesure d’internement, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de savoir si les requérants devraient relever du régime civil d’hospitalisation forcée plutôt que du régime de l’internement régi par la loi de 2014. Dans le cadre de la présente affaire, il lui appartient uniquement de vérifier si leur privation de liberté est régulière et, en particulier, eu égard à l’objet du litige tel qu’il est soumis à la Grande Chambre (paragraphes 102-111 ci-dessus), si le maintien de l’internement des requérants après l’entrée en vigueur de la loi relative à l’internement repose toujours valablement sur une base légale.

  1. L’application de la nouvelle loi par les juridictions internes en l’espèce

155.  Saisies par les requérants de la question de savoir si la légalité de leur internement était remise en cause par la modification législative litigieuse, les CPS puis, en dernier ressort, la Cour de cassation ont estimé que tel n’était pas le cas (paragraphes 27 et 50 ci-dessus). En effet, la Cour de cassation a considéré que les décisions prises respectivement en 2007 et 2002 à l’égard des requérants étaient passées en force de chose jugée et que la mesure d’internement prononcée à leur égard était définitive. De l’avis de la Cour de cassation, l’article 5 § 1 de la Convention n’empêche pas que la mesure d’internement donne lieu, à partir de ce moment-là, à une phase d’exécution à laquelle ne s’appliquent pas les mêmes règles que celles en vigueur pour imposer cette mesure. Elle en a déduit que l’article 5 § 1 n’avait pas pour conséquence qu’une mesure d’internement imposée définitivement n’était plus imposée régulièrement ou légalement parce que la loi avait changé au cours de la phase d’exécution. Cette disposition avait pour seule conséquence qu’une mesure d’internement ne pouvait plus être imposée à l’avenir pour le fait pour lequel l’intéressé était déjà interné. La Cour de cassation a ajouté que l’appréciation de l’état mental d’un interné et de la dangerosité sociale en découlant ne se faisait pas uniquement en fonction du fait pour lequel il avait été interné, mais également en fonction d’un ensemble de facteurs de risque qui avaient été soumis à l’appréciation de la CPS.

156.  Ce faisant, et tel que cela ressort également de l’exposé du droit interne et des observations du Gouvernement (paragraphe 119 ci-dessus), la Cour de cassation a distingué deux phases successives de l’internement auxquelles s’appliquent des dispositions et critères différents.

157.  Le système d’internement belge prévoit d’abord une procédure judiciaire qui aboutit à la décision d’interner une personne. Cette phase était notamment régie par l’article 7 de la loi de 1930 de défense sociale (paragraphe 58 ci-dessus) et, désormais, depuis le 1er octobre 2016, par l’article 9 de la loi de 2014 relative à l’internement (paragraphe 79 ci‑dessus) qui contiennent les critères pouvant fonder une mesure d’internement.

158.  La décision de la juridiction d’instruction ou de la juridiction de jugement qui prononce l’internement conformément à ces dispositions reste valable tout au long de l’internement de la personne concernée tant que celle‑ci n’a pas fait l’objet d’un jugement d’octroi de la libération définitive passé en force de chose jugée (paragraphe 85 ci-dessus).

159.  En ce qui concerne les requérants, les décisions ordonnant leur internement ont été prises respectivement le 18 juin 2007 et le 14 novembre 2002 sur le fondement de l’article 7 de la loi de défense sociale (paragraphes 11 et 41 ci-dessus).

160.  Ensuite, après le prononcé de la mesure, s’ouvre la deuxième phase de l’internement au cours de laquelle les chambres de protection sociale du tribunal de l’application des peines (« CPS » ; paragraphes 75 et suivants ci‑dessus), juridictions spécialisées, examinent la situation des internés à des intervalles réguliers. Au cours de ce contrôle, les personnes internées peuvent également demander la modification des modalités de leur internement ou leur mise en liberté.

161.  Des règles différentes s’appliquent alors, notamment en ce qui concerne les conditions de mise en liberté définitive d’une personne internée, telle que demandée par les requérants à titre principal en l’espèce. La mise en liberté définitive était auparavant régie par l’article 18 de la loi de défense sociale et, désormais, par l’article 66 de la loi relative à l’internement (respectivement paragraphes 65 et 84 ci-dessus).

162.  Cette dernière disposition ne prévoit pas que soit prise en compte en tant que telle, lors du contrôle périodique de l’internement, la nature des faits qui ont été commis par l’intéressé et qui ont constitué le fondement de son internement. Elle exige, en revanche, que la CPS apprécie si le trouble mental de la personne internée s’est suffisamment stabilisé et s’il y a un risque de récidive. À ce titre, la CPS doit tenir compte d’un ensemble de facteurs de risque dont, le cas échéant, le fait pour lequel la personne avait initialement été internée (paragraphe 36 ci-dessus).

163.  En somme, au regard du droit interne tel qu’interprété par la Cour de cassation en l’espèce, dès lors que les requérants n’avaient pas fait l’objet d’une mise en liberté définitive, leur privation de liberté continuait de reposer sur une base légale valable : les décisions d’internement respectivement prises en 2007 et 2002.

164.  La Cour note que l’interprétation adoptée par les juridictions internes en l’espèce est conforme à l’intention du législateur telle qu’elle ressort des travaux parlementaires de la loi du 4 mai 2016 modifiant la loi de 2014. Ceux-ci indiquent en effet que la loi relative à l’internement n’avait pas pour but d’affecter les décisions relatives aux personnes souffrant de troubles mentaux qui avaient commis des faits pouvant à l’époque donner lieu à un internement en vertu de la loi de défense sociale de 1930 mais pour lesquels l’internement ne serait plus possible en vertu de la nouvelle législation (paragraphe 82 ci-dessus).

165.  Le législateur a ainsi choisi de maintenir la force exécutoire des décisions d’internement prises sous l’empire de la loi de défense sociale. Il en résulte que, s’agissant des personnes internées sur le fondement d’une décision passée en force de chose jugée avant le 1er octobre 2016, les effets de la nouvelle loi relative à l’internement se limitent aux décisions relatives au maintien de l’internement, ses modalités d’exécution et l’éventuelle mise en liberté des intéressés.

166.  Rappelant qu’elle n’a pas pour tâche de se prononcer sur l’opportunité des techniques choisies par le législateur (paragraphe 133 ci‑dessus), la Cour estime que l’approche retenue par les juridictions internes en l’espèce n’est ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.

167.  Reste à déterminer si elle est conforme avec les exigences de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

  1. La conformité avec l’article 5 § 1 e) de l’approche adoptée

168.  L’article 5 § 1 e) de la Convention ne précise pas les éventuels faits pénalement répréhensibles pour lesquels une personne peut être détenue comme « aliénée ». Cette disposition ne requiert d’ailleurs pas que de tels faits aient été commis (Ilnseher, précité, § 157). Elle se limite à exiger que l’aliénation ait été établie de manière probante, que le trouble revête un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et que ce trouble persiste pendant toute la durée de l’internement (paragraphe 135 ci-dessus).

169.  La Convention n’exige ainsi pas que soit prise en compte, au moment du contrôle de la persistance des troubles mentaux, la nature des faits qui avaient été commis par l’intéressé et qui avaient constitué le fondement de son internement.

170.  Il n’est pas contesté que les deux premières conditions énumérées au paragraphe 168 ci-dessus étaient réunies en l’espèce (voir aussi paragraphe 146 ci-dessus).

171.  En ce qui concerne la troisième condition à respecter, à savoir celle de la persistance du trouble sans laquelle l’internement ne peut se prolonger, la Cour note que les requérants indiquent expressément qu’ils ne contestent pas que cette condition est remplie et que leurs troubles persistent à ce jour (paragraphes 115 et 118 ci-dessus).

172.  La Cour rappelle néanmoins que c’est l’état de santé mentale actuel de la personne qui doit être pris en considération. Sur ce point, l’examen fait par les juridictions internes à l’égard de cette troisième condition est nécessairement évolutif puisqu’il doit prendre en compte toute évolution de la santé mentale de la personne internée postérieurement à l’adoption de l’ordonnance de placement en détention (Ilnseher, précité, § 134).

173.  La Cour observe que la troisième condition de l’arrêt Winterwerp (précité, § 39) est traduite en droit interne par l’instauration d’un contrôle périodique automatique (paragraphe 75 ci-dessus) au cours duquel les personnes internées ont notamment la possibilité de faire valoir que leur état de santé mentale s’est stabilisé, qu’elles ne représentent plus un risque pour la société et de demander l’octroi de modalités d’exécution de leur internement, notamment, à l’instar des requérants, leur libération définitive.

174.  En vertu de l’article 66 de la loi relative à l’internement, la libération définitive ne peut être octroyée qu’à l’expiration d’une période de libération à l’essai de trois ans (voir, sur ce point, l’examen relatif à l’article 5 § 4 de la Convention ci-dessous) et à condition que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu’il n’y ait raisonnablement plus à craindre qu’à cause de son trouble mental, en conjonction éventuellement avec d’autres facteurs de risque, la personne internée commettra de nouvelles infractions (paragraphe 84 ci-dessus). Ainsi, seul l’état de santé mentale actuel de la personne internée et le risque de récidive actuel, c’est-à-dire au moment où l’examen est fait, sont pris en compte pour déterminer si la personne concernée peut être libérée ou si le maintien de son internement est justifié.

175.  C’est au regard de ces conditions que les CPS ont examiné les demandes de mise en liberté définitive des requérants (paragraphe 21 ci‑dessus). Elles n’ont ainsi pas eu égard à la nature de l’infraction commise par les requérants et qui avait fondé la mesure d’internement. Elles ont en revanche vérifié si le trouble mental des requérants s’était suffisamment stabilisé. Elles ont estimé, au regard des éléments en leur possession, que tel n’était pas le cas (paragraphes 22 et 48 ci-dessus).

176.  Ce faisant, les CPS ont vérifié la persistance des troubles mentaux tel qu’exigé par l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

177.  La Cour note à toutes fins utiles que lors du dernier contrôle périodique effectué par les CPS à l’égard des requérants, les CPS ont estimé qu’il existait encore un risque élevé de récidive violente (paragraphes 37 et 53 ci-dessus).

  1. Conclusion sur la régularité de la détention

178.  Eu égard à l’objet du litige tel qu’il est soumis à la Grande Chambre (paragraphes 102-111 ci-dessus) et aux développements qui précèdent, la Cour conclut que la détention des requérants continue de reposer valablement sur une base légale et que leur privation de liberté est régulière.

179. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 5-4

1. Les principes généraux établis dans la jurisprudence de la Cour

186.  L’article 5 § 4 de la Convention reconnaît aux personnes arrêtées ou détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité » - au sens de la Convention - de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne arrêtée ou détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article  5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 202, Khlaifia et autres, précité, § 128, et les références qui y sont citées).

187. En garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale ( Mooren, précité, § 106, Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 154, 22 mai 2012, Khlaifia et autres, précité, § 131, et Ilnseher, précité, § 251).

  1. L’application de ces principes en l’espèce

188.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à l’absence de violation de l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 179 ci-dessus). Toutefois, le seul fait de n’avoir constaté aucun manquement aux exigences du paragraphe 1 de l’article 5 ne la dispense pas de contrôler l’observation du paragraphe 4 : il s’agit de deux textes distincts et le respect du premier n’implique pas forcément celui du second (Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Mooren, précité, § 88).

189.  Les requérants soutiennent que, compte tenu de l’irrégularité de leur détention, ils auraient dû pouvoir obtenir leur mise en liberté immédiate et définitive. Or, la nouvelle loi relative à l’internement ne prévoit pas une telle possibilité.

190.  D’emblée, la Cour indique que, dès lors qu’elle a conclu à la régularité de la privation de liberté des requérants au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, l’article 5 § 4 n’exige pas en l’espèce que leur mise en liberté immédiate soit ordonnée.

191.  En revanche, cette disposition garantit, lorsqu’est en cause la détention d’un « aliéné » pour une durée illimitée ou prolongée, que l’intéressé ait le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (Stanev, précité, § 171).

192.  Les requérants n’allèguent pas avoir été privés de cette possibilité en l’espèce. La Cour constate que les requérants ont bénéficié d’un contrôle judiciaire annuel automatique par la CPS devant laquelle ils ont pu formuler des demandes relatives aux modalités d’exécution de leur internement, y compris des demandes de mise en liberté. Ils ont ensuite pu saisir la Cour de cassation de leurs griefs à l’encontre des jugements de la CPS. Dans le cas des requérants, moins d’un mois s’est écoulé entre le jugement de la CPS et l’arrêt de la Cour de cassation. Les requérants n’ont pas présenté d’argument permettant de conclure qu’ils n’auraient pas bénéficié d’un recours devant un juge statuant à bref délai sur la légalité de leur détention ainsi que sur leurs demandes de libération.

193.  La Cour note que les requérants se sont seulement plaints de l’impossibilité légale d’obtenir leur mise en liberté immédiate et définitive en raison du délai d’épreuve de trois ans imposé par l’article 66 de la loi relative à l’internement. À cet égard, elle constate que cette disposition met deux conditions cumulatives à la libération définitive d’un interné (paragraphe 84 ci-dessus). Cette disposition requiert, d’une part, l’accomplissement d’un délai d’épreuve de trois ans et, d’autre part, que le trouble mental soit suffisamment stabilisé pour qu’il n’y ait raisonnablement plus à craindre qu’à cause de son trouble mental ou non, en conjonction éventuellement avec d’autres facteurs de risque, la personne internée commettrait à nouveau des infractions portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers.

194.  La condition légale relative à l’accomplissement d’un délai d’épreuve de trois ans semble ainsi faire obstacle en principe au droit consacré par l’article 5 § 4 d’obtenir une décision judiciaire mettant fin à la privation de liberté si celle-ci se révèle illégale (paragraphe 187 ci-dessus).

195.  Cela dit, la Cour rappelle que son rôle ne consiste pas à se prononcer in abstracto sur la compatibilité d’une disposition de la loi avec la Convention. Elle doit se limiter à vérifier que la manière dont la loi a été appliquée dans les circonstances de la cause a respecté la Convention (Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 180, 24 janvier 2017).

196.  Or la Cour observe qu’en l’espèce, les juridictions internes ont refusé la demande de mise en liberté définitive des requérants au motif qu’aucune des deux conditions posées par l’article 66 de la loi n’était remplie : leur état de santé mentale ne s’était pas suffisamment amélioré et ils n’avaient pas effectué une période de libération à l’essai de trois ans (respectivement paragraphes 22 et 48 ci-dessus). Les requérants n’ont pas contesté que leur trouble mental persistait et n’ont pas non plus affirmé qu’il s’était suffisamment stabilisé de sorte à ne plus constituer un danger pour la société (paragraphe 118 ci-dessus). La condition d’avoir effectué une période de libération à l’essai de trois ans n’a dès lors pas été décisive puisqu’elle n’a constitué qu’un des motifs pour lesquels la CPS a refusé leur libération immédiate et définitive.

197.  Par ailleurs, la Cour salue le fait qu’entretemps la Cour de cassation a interprété la disposition litigieuse à la lumière de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention en jugeant qu’une personne internée qui n’est plus malade mentalement et qui n’est plus dangereuse doit bénéficier d’une libération définitive, même si le délai d’épreuve de trois ans n’est pas encore écoulé (paragraphe 86 ci-dessus).

198.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

COMORAŞU c. ROUMANIE du 31 mai 2016 requête 16270/12

Violation de l'article 5-1 : la loi des internements psychiatriques est trop large et trop inprécise pour être compatible avec la Convention

56. Invoquant les articles 5 § 1, 6 et 8 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été interpellé illégalement à son domicile, conduit de force dans un hôpital psychiatrique, interné contre son gré et s’être vu administrer un traitement médical auquel il n’avait pas consenti.

57. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009; et M.S. c. Croatie (no 2), no 75450/12, § 114, 19 février 2015), la Cour estime que les griefs du requérant rentrent dans le seul champ d’application de l’article 5 § 1 de la Convention

a) Sur la question de savoir si le requérant a subi une privation de liberté

61. La Cour note tout d’abord que les parties ne s’accordent pas sur la nature volontaire ou non de l’internement psychiatrique du requérant. Dès lors, elle doit établir, s’appuyant sur les éléments du dossier, si le requérant a subi une « privation de liberté » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

i) Principes généraux

62. Dans l’arrêt Cristian Teodorescu précitée (§§ 54-55) la Cour a rappelé les critères selon lesquels elle établit si un individu a été privé de sa liberté (références à la jurisprudence omises) :

« 54. La Cour rappelle que, pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée. Sans doute faut-il fréquemment, pour se prononcer sur l’existence d’une atteinte aux droits protégés par la Convention, s’attacher à cerner la réalité par-delà les apparences et le vocabulaire employé. La qualification ou l’absence de qualification donnée par un État à une situation de fait ne saurait avoir une incidence décisive sur la conclusion de la Cour quant à l’existence d’une privation de liberté.

55. Dans le domaine du placement des personnes atteintes de troubles mentaux, la notion de « privation de liberté » comporte à la fois un aspect objectif, à savoir l’internement d’une personne dans un espace restreint pendant un laps de temps non négligeable, et un aspect subjectif, qui implique que la personne en cause n’a pas valablement consenti à son internement. »

ii) Application de ces principes aux faits de l’affaire

63. S’agissant de l’aspect objectif du test ci-dessus décrit, la Cour note que le requérant a été interné à l’hôpital psychiatrique du 29 décembre 2007 au 15 janvier 2008 sans aucune possibilité de sortir de sa propre initiative et sans contact avec sa famille pendant les premiers jours (mutatis mutandis, Atudorei, précité, § 130).

64. S’agissant de l’aspect subjectif, bien que le Gouvernement plaide que l’internement du requérant a été volontaire, il est à noter qu’à aucun moment il n’a donné son accord pour cette mesure. Ainsi, la façon dont il a été interpellé et transporté à l’hôpital fait ressortir qu’il s’est opposé à son internement. Les témoignages recueillis (notamment ceux de son épouse et de son cousin, paragraphes 23 et 24 ci-dessus respectivement) sèment aussi le doute sur la volonté du requérant de rester à l’hôpital. Ensuite, même à supposer que l’épouse du requérant ait consenti à l’internement, sa volonté ne remplace pas celle du requérant et, selon la loi applicable, l’internement approuvé par la famille est toujours considéré comme étant non volontaire (paragraphe 31 ci-dessus).

65. La Cour rappelle enfin que, même à supposer que la demande d’internement ait été formée par l’épouse du requérant et donc par une personne privée, sa mise à exécution a été faite par les autorités étatiques (notamment la police) dans un hôpital public. La responsabilité de l’État est ainsi engagée en tout état de cause (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 134, CEDH 2014 ; et Atudorei, précité, § 139).

66. Pour ces raisons, la Cour estime que le requérant s’est trouvé privé de sa liberté selon les critères établis au regard de l’article 5 de la Convention.

b) Sur la compatibilité de la privation de liberté du requérant avec les exigences de l’article 5 § 1 de la Convention

i) Principes généraux

67. Dans l’arrêt Cristian Teodorescu précité (§§ 59-62) la Cour a rappelé les critères selon lesquels elle examine la compatibilité de la privation de liberté avec les exigences de l’article 5 de la Convention. Elle en fait référence (voir aussi Atudorei, précité, §§ 141-144).

68. Elle rappelle en outre que, d’après l’un des principes généraux consacrés par la jurisprudence, une détention est « arbitraire » lorsque, même si elle est parfaitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités, ou lorsque les autorités internes ne se sont pas employées à appliquer correctement la législation pertinente (M.S., précité, § 142).

ii) Application de ces principes en l’espèce

69. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour rappelle avoir constaté que l’internement du requérant n’était pas volontaire. Les règles pertinentes de la loi sur la santé mentale doivent donc s’appliquer.

70. La Cour rappelle, à cet égard, que dans l’arrêt Cristian Teodorescu, elle a relevé plusieurs lacunes de cette loi. Elle a jugé que la loi ne contenait à l’époque des faits aucune exigence quant à la forme que devait revêtir la notification d’une décision d’internement d’office prise en vertu de l’article 49 de la loi à la personne concernée ou à son représentant. De même, elle a constaté que la loi n’impartissait aucun délai à la commission de contrôle pour informer l’intéressé et son représentant de la décision qu’elle avait prise. La Cour a, de ce fait, jugé que de telles lacunes faisaient courir à celui à l’égard de qui une décision d’internement forcée était prise un risque réel d’être empêché de se prévaloir des voies de recours prévues par la loi no 487/2002, tel un recours fondé sur l’article 54 de la loi. Elle en a aussi conclu qu’il n’était pas surprenant, vu la manière dont cette loi est libellée, qu’aucun recours fondé sur cette disposition n’ait encore été introduit devant les tribunaux nationaux (Cristian Teodorescu, précité, § 65 ; et B., précité, §§ 91-92).

71. Or, les mêmes lacunes ont porté préjudice au requérant dans la présente espèce. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la privation de liberté du requérant n’a pas eu lieu selon les voies légales.

72. Qui plus est, rien n’indique en l’espèce que cette privation de liberté était indispensable au regard des circonstances de l’espèce et que d’autres mesures, moins sévères, n’auraient pu être suffisantes pour sauvegarder son intérêt ou l’intérêt public. À savoir, ainsi qu’il ressort des pièces du dossier (paragraphes 8 et 20 ci-dessus), lorsque les policiers sont arrivés devant la maison du requérant, le 29 décembre 2007, celui-ci était en train de déblayer la neige dans sa cour ; il n’était en conflit ni ne se disputait avec personne et a communiqué avec les autorités. Il s’ensuit que le menottage du requérant n’a clairement pas été provoqué par son comportement ; au contraire, il apparait que son agressivité a été causée par le fait de se faire menotter et transporter de force à l’hôpital. Ces faits donnent à penser que le requérant ne représentait pas à ce moment un danger manifeste pour soi ou pour ses proches.

73. Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate que la privation de liberté du requérant n’était pas justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 et se fondait sur une législation qui posait elle-même problème au regard de la Convention. Le Gouvernement n’a par ailleurs indiqué aucun des autres motifs énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 qui, en l’espèce, auraient pu autoriser la privation de liberté litigieuse.

Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

C.W. c. SUISSE du 23 septembre 2014 requête 67725/10

NON VIOLATION DE L'ARTICLE 5-1 : Le droit interne est suffisamment précis pour être prévisible sur la possibilité d'une détention. La mesure de rétention de sûreté est justifiée par le caractère dangereux du requérant, confirmé par les rapports médicaux.

a) Rappel des principes généraux

32.  Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soit aussi ; une privation de liberté peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’un alinéa (M. c. Allemagne, no 19359/04, § 86, 17 décembre 2009).

33.  Il est en outre bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (voir, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 67, CEDH 2008 ; M. c. Allemagne, précité, § 90 ; et aussi Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 116, CEDH 2008, et Erkalo c. Pays-Bas, 2 septembre 1998, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI). Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Stafford c. Royaume‑Uni [GC], no 46295/99, § 63, CEDH 2002‑IV ; Kafkaris précité, § 116). La « qualité de la loi » implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III, Nasroulloïev c. Russie, n656/06, § 71, 11 octobre 2007, et Mooren c. Allemagne [GC], n11364/03, § 76, 9 juillet 2009). Le critère de « légalité » fixé par la Convention exige donc que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (voir M. c. Allemagne, précité, § 90 ; et aussi Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 54, Recueil 1998‑VII, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000‑III).

34.  Toutefois, l’observation de la législation nationale ne suffit pas ; l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33 ; Saadi c. Royaume-Uni précité, § 67, et Mooren précité, § 72 ; M. c. Allemagne, précité § 90)

35.  Par la notion de « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention, il faut entendre à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement d’une infraction et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39 ; Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50 ; M. c. Allemagne, précité, § 87). L’alinéa a) de l’article 5 § 1 n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre la condamnation et la mesure, mais un lien de causalité suffisant. Un internement régulier à l’origine peut donc devenir incompatible avec l’article 5 § 1 a) au cas où une décision de ne pas libérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale (M. c. Allemagne, précité, § 88). Une décision de maintenir une personne en détention pour des raisons de sécurité ne satisfait pas au critère requis pour une « condamnation » aux fins de l’article 5 § 1 a) car elle n’est pas liée à un constat de culpabilité d’une infraction (M. c. Allemagne, précité, § 96).

36.  Selon l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention, la détention d’une personne peut se justifier « lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ». La mesure ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne, mais seulement pour empêcher une infraction concrète et déterminée (M. c. Allemagne, précité, §§ 89 et 102).

37.  En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, précité, § 39, série A no 33 ; Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X ; Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008). A ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé l’avis d’un médecin expert. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006 ; Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour en apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, n44290/07, § 58, 10 juin 2010 ; Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010 ; Biziuk v. Pologne (no 2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012), mais elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75 ; C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010 ; Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 47, 26 mai 2011).

38.  En outre, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la demande de libération est prise en considération. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

b) Applications de ces principes au cas d’espèce

i.  Sur l’insuffisance de base légale de la décision litigieuse

39.  La Cour relève d’emblée que la prolongation de la mesure institutionnelle dont le requérant faisait l’objet avait été décidée en application de l’article 59 CP, qui constitue une disposition spécifique du droit pénal suisse régissant explicitement le type de détention subie par le requérant (voir, a contrario, Weber c. Suisse, no 3688/04, §§ 33-36, 26 juillet 2007, et Borer c. Suisse, no 22493/06, § 45, 10 juin 2010).

40.  En son aliéna 4, cette disposition donne à l’autorité judiciaire compétente la possibilité de prolonger une mesure au-delà du terme initial de cinq ans et par périodes de cinq ans maximum, le critère déterminant étant le risque que la personne concernée puisse commettre, une fois libérée, de nouveaux crimes ou délits « en relation avec son trouble mental » (voir « droit interne pertinent » ci-dessus).

41.  Selon le requérant, ce critère ne serait pas suffisamment précis car il ne permettrait pas de prévoir le degré de dangerosité à partir duquel une telle mesure serait prorogée. Il allègue notamment que la rédaction de l’article 59 al. 4 CP permettrait de maintenir la mesure thérapeutique institutionnelle pratiquement à temps indéterminé, l’apparentant ainsi à une mesure d’internement prévue à l’article 64 al. 1 CP. Or, le requérant souligne que les infractions justifiant une mesure d’internement sont limitativement énumérées à l’article 64 al. 1, tandis que la formulation de l’article 59 al. 4 est beaucoup plus générale et ne comprendrait aucun critère déterminant pour entreprendre l’évaluation quant à une éventuelle dangerosité future de la personne concernée. Cette disposition souffrirait donc d’un manque de précision incompatible avec l’exigence de prévisibilité de l’article 5 § 1 de la Convention.

42.  La Cour ne partage pas cet avis. D’une part, elle relève que, selon l’article 64, al. 1 b) CP, la mesure spécifique d’internement est précisément destinée à s’appliquer dans les cas où il est « sérieusement à craindre » qu’une mesure thérapeutique appliquée en vertu de l’article 59 du même code « semble vouée à l’échec ». Contrairement à ce qui est prévu à
l’article 59 pour les mesures institutionnelles, dont la durée initiale ne peut excéder cinq ans, une mesure d’internement ne souffre pas de limitations de durée. L’article 64 al. 1 bis CP prévoit même la possibilité, pour le juge, d’ordonner un internement à vie si la thérapie « semble, à longue échéance, vouée à l’échec ». Les situations justifiant une mesure institutionnelle sur la base de l’article 59 sont donc déjà en partie délimitées par rapport à celles ouvrant la voie à une mesure d’internement : il s’agit des cas où les infractions commises sont moins graves et pour lesquelles une thérapie a plus de chances de succès.

D’autre part, la Cour considère, comme le Gouvernement, qu’en lisant l’article 59 CP à la lumière de l’article 56 al. 3 CP, il apparaît clairement que l’évaluation de la dangerosité de la personne objet de la mesure institutionnelle n’est pas laissée à la seule appréciation du juge mais doit s’appuyer sur une expertise établissant notamment la nécessité et les chances de succès d’un traitement ainsi que les risques que la personne concernée commette d’autres infractions et la nature de ces infractions. La décision doit donc être prise au cas par cas, sur la base d’une expertise dont la nature est clairement définie par la loi, sans pour autant que celle-ci ne lui impose une forme ou un contenu particulier, ce qui d’ailleurs est également le cas de l’expertise exigée dans le cadre des mesure d’internement prévues à l’article 64 CP, y compris en cas d’internement à vie, dont le requérant s’inspire dans ses observations. La seule différence entre l’article 59 et l’article 64, à cet égard, réside dans la qualité de l’expert qui, dans le cadre d’une mesure d’internement, ne doit pas avoir traité l’auteur de l’infraction ou s’en être occupé auparavant d’aucune manière, ce qui n’a pas d’incidence sur la prévisibilité de la mesure.

43.  La Cour partage, par ailleurs, l’argument du Gouvernement selon lequel l’évaluation de la dangerosité d’une personne atteinte de troubles de la personnalité et le suivi de l’évolution de son état en fonction des thérapies auxquelles elle est soumise ne peut se faire qu’au cas par cas et se prête mal à un exercice de schématisation détaillée par le législateur.

44.  Au vu de ce qui précède la Cour considère que la rédaction de l’article 59 CP, lu en combinaison avec les articles 56 et 64 CP, est suffisamment précise pour assurer le degré de prévisibilité exigé par l’article 5 § 1 de la Convention. La décision du Tribunal cantonal de renouveler pour cinq ans la mesure institutionnelle dont faisait l’objet le requérant reposait par conséquent sur une base légale suffisante.

ii.  Sur la justification de la décision litigieuse

45.  La Cour note que la décision litigieuse de prolonger pour cinq ans la mesure institutionnelle appliquée au requérant fut prise par le Tribunal cantonal le 19 avril 2010. Cette décision se fondait sur l’avis que les Drs H. et S. avaient exprimé dans leur courrier du 16 mars 2010. Ces derniers avaient confirmé les conclusions du rapport de thérapie établi par le Centre de Rheinau en juillet 2008 et avaient expliqué qu’à leurs yeux un nouveau rapport d’expertise n’était pas nécessaire en considération du fait que l’état du requérant ne s’était pas amélioré. Ils avaient maintenu l’avis que le requérant devait faire l’objet d’une thérapie à long terme en milieu fermé et que, par conséquent, le prolongement pour cinq ans de la mesure institutionnelle s’imposait (voir paragraphe 14 ci-dessus). En même temps, les Drs H. et S. avaient suggéré au Tribunal cantonal d’ordonner le cas échéant une expertise externe afin d’éviter de donner au requérant une impression de partialité.

46.  Le requérant soutient, en substance, qu’étant donné l’affaiblissement du lien temporel entre sa condamnation initiale et le prolongement litigieux de la mesure institutionnelle dont il faisait l’objet, le juge aurait dû ordonner une réévaluation complète de sa dangerosité et aurait dû la confier à un médecin indépendant.

47.  La Cour rappelle que dans l’affaire Dörr c. Allemagne (déc.) no 2894/08, 22 janvier 2013), elle avait accepté une décision de maintenir une personne en rétention de sûreté alors que la dernière expertise médicale sur laquelle se fondait cette décision datait de six ans, dans la mesure où les troubles relevés dans cette expertise avaient été confirmés par le psychologue de l’établissement au sein duquel la personne était internée.

Cependant, dans l’arrêt Ruiz Rivera c. Suisse (no 8300/06, 18 février 2014), la Cour a conclu qu’un refus de libération à l’essai d’une personne internée pour motifs psychiatriques, en l’absence d’un avis médical tiers récent, violait l’article 5 § 4 de la Convention. En l’espèce, l’autorité judiciaire avait basé sa décision sur une expertise psychiatrique datant de plus de trois ans, dont les conclusions avaient été confirmées par les deux psychologues de l’établissement où était interné le requérant. Mais, à la différence de l’affaire Dörr, dans l’affaire Ruiz Rivera, le refus du requérant de suivre la thérapie qui lui avait été prescrite était dû à la rupture du lien de confiance avec le personnel de l’établissement qui l’accueillait et à la situation de blocage qui en avait suivi. La Cour a considéré que, dans ces conditions, et afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état mental du requérant au moment de sa demande de libération à l’essai, l’administration pénitentiaire et le juge cantonal auraient dû, au moins, tenter d’obtenir un avis médical tiers (Ruiz Rivera, précité, § 64).

48.  Dans la présente affaire, il est vrai que la décision litigieuse s’appuyait sur l’avis des psychiatres du Centre de Rheinau au sein duquel le requérant suivait sa thérapie mais cette circonstance, à elle seule, ne soulève pas de problème sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Il y a lieu de souligner que le requérant ne soutenait ni que le lien de confiance avec son équipe soignante était rompu, ni que les diagnostics quant à la réalité de sa maladie étaient erronés, ni que le traitement médicamenteux qu’il suivait au Centre de Rheinau n’était pas adapté. Ses divergences avec l’équipe soignante, dont il ne contestait et ne conteste nullement l’impartialité et le respect des règles de déontologie, ne portaient pas sur le bien-fondé de la mesure institutionnelle mais essentiellement sur sa durée (voir paragraphe 10 ci-dessus). La Cour note d’ailleurs que, même lors de la dernière procédure devant le Tribunal d’arrondissement de Baden, en juillet 2012, le requérant ne contesta pas la mesure en tant que telle mais se limita à demander une prolongation de deux ans au lieu de cinq (voir paragraphe 17 ci-dessus).

49.  Dans ces conditions, le Tribunal cantonal, dans son arrêt du 19 avril 2010, pouvait valablement s’appuyer sur l’avis des Drs H. et S. et les rapports d’expertise psychiatrique de 2008 et 2009 afin d’établir quelle devait être la durée de thérapie en milieu fermé mieux à même de limiter les risques de récidive liés à l’état de santé du requérant. Aux yeux de la Cour, en l’absence de contestation caractérisée quant à la validité scientifique et déontologique de cet avis et des rapports d’expertise psychiatriques de 2008 et 2009, un avis médical tiers n’était pas nécessaire.

50.  Par conséquent, comme le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 4 octobre 2010, par ailleurs amplement motivé, la Cour ne relève aucune trace d’arbitraire dans l’arrêt du Tribunal cantonal.

51.  Au vu de ce qui précède et dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1.

LE TRIBUNAL DOIT ENTENDRE LE DÉTENU PSYCHIATRIQUE

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- La jurisprudence du Conseil Constitutionnel français

La jurisprudence de la CEDH

Arrêt S c. Estonie requête 17779/08 du 4 octobre 2011

Détention d’un aliéné (article 5 § 1) sans examen du tribunal.

La Cour observe que lorsqu’elle a été hospitalisée en novembre 2006, Mme S. souffrait d’une pathologie mentale depuis déjà plusieurs années. Son traitement ambulatoire s’était révélé inefficace et elle était devenue violente envers son compagnon. La loi estonienne pertinente, à savoir la loi sur la santé mentale, était suffisamment claire quant aux situations dans lesquelles il était possible d’ordonner l’admission forcée d’une personne aux fins d’un traitement en régime hospitalier. Le cas de Mme S. faisait partie de ces situations.

En ce qui concerne l’internement même de la requérante, la Cour observe que le tribunal n’a pas entendu l’intéressée avant d’autoriser son hospitalisation forcé. Si ce fait, en soi, n’est pas contraire au droit interne, selon le code de procédure civile la requérante aurait dû être entendue à bref délai une fois son internement ordonné.

Le tribunal n’a entendu Mme S. que 15 jours après avoir donné son autorisation, ce qui –comme l’a reconnu la Cour suprême – était trop long et contraire au droit interne.

La Cour parvient à la même conclusion. Elle observe que ce délai de 15 jours constitue une part appréciable de la période globale pendant laquelle Mme S. a été  hospitalisée à la suite de la décision judiciaire. Le constat de violation émis par la Cour suprême n’a entraîné pour la requérante aucune conséquence favorable ni aucun redressement.

Dès lors, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 1, Mme S. n’ayant pas été détenue selon les voies légales.

Arrêt Ťupa c. REPUBLIQUE TCHEQUE

Requête no 39822/07 du 26 MAI 2011

Le requérant, Miloš Ťupa, est un ressortissant tchèque né en 1970 et résidant à Bystřice nad Pernštejnem (République tchèque).

M. Ťupa allègue que, à la suite de conflits avec sa famille, la police fut appelée à son domicile le 4 janvier 2007 et le conduisit à l’hôpital psychiatrique de Jihlava, où il fut interné contre sa volonté.

Le 8 janvier 2007, les tribunaux nationaux décidèrent que, étant atteint de troubles mentaux, M. Ťupa devait être interné parce qu’il constituait un danger pour lui-même.

Cette décision reposait sur des entretiens qu’un fonctionnaire de justice de haut rang avait menés avec un médecin de l’hôpital psychiatrique et M. Ťupa lui-même. Le médecin avait déclaré que M. Ťupa avait été hospitalisé sur recommandation de son médecin généraliste, lequel avait indiqué qu’il souffrait d’hallucinations auditives et de paranoïa et qu’il avait menacé de tuer son frère. M. Ťupa avait nié ces allégations, affirmant qu’il n’avait pas vu son généraliste depuis plusieurs mois et n’avait jamais été soigné auparavant pour de quelconques troubles mentaux, que ce fût par un psychiatre ou un psychologue ou par prise de médicaments. Il avait affirmé que sa mère et ses frères avaient orchestré son internement à la suite de disputes.

Par la suite, le requérant fut débouté de l’appel qu’il avait formé, au motif que le compte rendu des entretiens en question apportait des éléments suffisants pour étayer une décision, eu égard notamment au fait que celle-ci avait dû être prise sans délai.

M. Ťupa fut finalement autorisé à quitter l’hôpital à la date du 9 mars 2007.

Le recours constitutionnel qu’il forma plus tard fut rejeté en juillet 2007.

Article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté)

La CEDH observe qu'il nee s’agit pas en l’espèce d’une détention d’urgence ; l’internement psychiatrique de M. Ťupa avait apparemment été programmé et recommandé par son médecin généraliste. Par ailleurs, M. Ťupa a affirmé – et le Gouvernement n’a pas contesté – qu’il n’avait aucun antécédent de troubles psychiatriques ni de violence.

Alors que ces éléments auraient dû inciter les tribunaux nationaux à procéder à un contrôle approfondi de la détention de M. Ťupa, ceux-ci ont fondé leurs décisions sur un seul document (le compte rendu de l’entretien entre le fonctionnaire de justice et un médecin de l’hôpital psychiatrique, ainsi qu’avec le requérant lui-même). Les plaintes de M. Ťupa n’ont pas été examinées, et l’on n’a convoqué à des fins d’éclaircissement ni son généraliste – ce qui est étonnant, car c’est essentiellement sur la base de sa recommandation que la détention avait été ordonnée – ni ses proches. Dès lors, la Cour estime que les juridictions nationales ne disposaient pas d’éléments suffisants pour justifier la détention de M. Ťupa.

Par ailleurs, aucune mesure moins rigoureuse que l’internement en hôpital psychiatrique n’a été envisagée ni écartée. En effet, les tribunaux nationaux n’ont exprimé aucun avis sur la question, alors que M. Ťupa n’avait jamais suivi de traitement psychiatrique auparavant.

RUIZ RIVERA C. SUISSE du 18 février 2014 requête 8300/06

VIOLATION DE L'ARTICLE 5-4 POUR DÉFAUT D'AUDIENCE DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF ET RAPPORTS D'EXPERTISES TROP VIEUX.

Sur la violation de l’article 5 § 4 de la Convention

58.  La Cour relève d’emblée que le grief du requérant se décompose en deux branches distinctes, l’une portant sur le refus d’ordonner une nouvelle expertise psychiatrique avant de rejeter sa demande de libération, l’autre ayant pour objet le refus de tenir une audience devant le Tribunal administratif de Zürich au cours de laquelle il aurait pu présenter oralement ses observations et poser toutes questions utiles à l’auteur du rapport d’expertise psychiatrique de 2001. Elle estime que chaque branche appelle un examen séparé.

i.  Sur le refus d’ordonner une nouvelle expertise psychiatrique

(α)  Rappel des principes généraux

59.  En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33 ; Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X ; Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008). A ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé l’avis d’un médecin expert. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006 ; Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour en apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010 ; Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010 ; Biziuk v. Poland (no2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012), mais elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75 ; C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010 ; Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 47, 26 mai 2011).

60.  En outre, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la demande de libération est prise en considération. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, § 49, CEDH 2002‑I ; H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

(β)  Application de ces principes au cas d’espèce

61.  La Cour note que la décision de ne pas autoriser la libération à l’essai du requérant fut adoptée par l’Office de l’exécution judiciaire notamment suite au rapport de thérapie du 23 mars 2004. Ce rapport avait été établi par deux psychologues du Service de psychiatrie et psychologie de l’Office de l’exécution judiciaire du Canton de Zürich, dont l’un avait suivi le requérant pendant son internement. Selon les deux psychologues, les conclusions de l’expertise psychiatrique externe de 2001, qui elle-même confirmait le diagnostic contenu dans le rapport d’expertise de 1995, demeuraient d’actualité. Les psychologues avaient constaté, en particulier, que le requérant persistait à nier sa maladie et refusait de suivre le traitement neuroleptique qui lui avait été prescrit.

62.  La Cour n’a pas de raison de penser que les expertises psychiatriques réalisées en 2001 et 1995, ayant diagnostiqué que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde, fussent entachées d’arbitraire ou de manque de rigueur scientifique. Il est vrai qu’une troisième expertise, réalisée le 28 avril 2008, aboutit à des conclusions sensiblement différentes, excluant que le requérant fut atteint de schizophrénie paranoïde, mais il s’agit ici d’un problème d’évaluation de la qualité scientifique d’expertises psychiatriques divergentes, qui relève en premier lieu de la compétence du juge national (Herz, précité, § 51 ; Wassink c. Pays-bas, 27 septembre 1990, série A no 185-A, § 25 ; Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 48, CEDH 2000‑X), et pour lequel le juge national bénéficie d’une certaine marge d’appréciation (Graf c. Allemagne, (déc.), no 53783/09). La Cour ne saurait donc reprocher aux autorités nationales, rétroactivement, et sur la base de cette seule nouvelle expertise, de ne pas avoir mis en doute la qualité scientifique des conclusions, concordantes, des deux premières.

63.  Cela étant, la Cour relève que ce rapport de thérapie n’équivalait pas à une expertise psychiatrique indépendante. Or, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 si elle a été décidée sans que l’on ait demandé un avis suffisamment récent d’un médecin expert (voir paragraphes 59 et 60 ci-dessus). En l’espèce, l’expertise psychiatrique sur laquelle se fondait le rapport de suivi du 23 mars 2004, et à laquelle se référaient les décisions de l’Office de l’exécution judiciaire du 24 juin 2004 et du Tribunal administratif du 19 janvier 2004, datait, respectivement, de trois ans et dix-sept jours, et de trois ans, sept mois et douze jours, par rapport auxdites décisions.

64.  Dans une affaire récente, la Cour a accepté une décision de maintenir une personne en rétention de sûreté alors que la dernière expertise médicale sur laquelle se fondait cette décision datait de six ans (Dörr c. Allemagne (déc.) no 2894/08, 22 janvier 2013), dans la mesure où les troubles relevés dans cette expertise avaient été confirmés par le psychologue de l’établissement au sein duquel la personne était internée. Cela étant, la présente affaire se rapproche plus de l’affaire H.W., précitée, où la Cour a constaté une violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Il est vrai que dans H.W. la dernière expertise médicale datait de plus de douze ans alors que dans le cas du requérant la dernière expertise datait de moins de quatre ans mais, comme dans H.W., le refus du requérant de suivre la thérapie qui lui avait été prescrite était dû à la rupture du lien de confiance avec le personnel de l’établissement qui l’accueillait et à la situation de blocage qui en avait suivi. Dans ces conditions, et afin de s’informer avec le plus de précision possible sur l’état mental du requérant au moment de sa demande de libération à l’essai, l’Office de l’exécution judiciaire ou le juge cantonal auraient dû, au moins, tenter d’obtenir un avis médical tiers.

65.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les autorités nationales n’étaient pas fondées à appuyer leurs décisions sur le rapport de thérapie de 2004 et ne disposaient donc pas de suffisamment d’éléments permettant d’établir que les conditions pour la libération à l’essai du requérant n’étaient pas réunies.

66.  Par conséquent, la Cour conclut que l’article 5 § 4 de la Convention a été violé pour ce qui est du refus d’ordonner une nouvelle expertise psychiatrique du requérant.

ii.  Sur le refus de tenir une audience devant le tribunal administratif

(α)  Rappel des principes généraux

67.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, 17 janvier 2012).

68.  Un aliéné interné dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a donc, en principe, le droit, au moins en l’absence de contrôle juridictionnel périodique et automatique, d’introduire à des intervalles raisonnables un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (Winterwerp, précité, § 55 ; Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 31, Série A no 75 ; Rakevitch c. Russie, no 58973/00, §§ 43 et suivants, 28 octobre 2003). Il n’en va pas autrement lorsque la détention avait à l’origine été validée par une autorité judiciaire (X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 52, Série A no 46).

69.  En outre, si une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 203, CEDH 2009), elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (Winterwerp, précité, § 57 ; Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, §§ 57 et 60, série A no 129 ; Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000-XI ; Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII ; Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, §§ 40-48, 30 mars 2010). Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp, précité, § 57; Hertz, précité, § 64).

70.  En particulier, la personne internée doit avoir accès à un tribunal et l’occasion d’être entendue elle-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Winterwerp, précité, § 60 ; Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A ; Stanev, précité, § 171). La procédure doit être contradictoire et respecter « l’égalité des armes » entre les parties (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, Série A no 107 ; Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, Série A no 224 ; Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, Série A n318‑B ; Schöps c. Allemagne, no  25116/94, § 44, CEDH 2001‑I ; Reinprecht, précité, § 31). A cet égard, la Cour rappelle que la tenue d’une audience, dans le cadre d’une procédure contradictoire prévoyant la possibilité d’être représenté et d’interroger des témoins, est nécessaire, lorsqu’il s’agit pour l’autorité judiciaire d’examiner la personnalité et le degré de maturité de la personne concernée, en vue d’en mesurer la dangerosité (Waite c. Royaume-Uni, no 53236/99,
§ 59, 10 décembre 2002).

(β)  Application de ces principes au cas d’espèce

71.  La Cour relève que dans son recours adressé au Tribunal administratif, le requérant avait demandé la tenue d’une audience, à défaut d’obtenir une nouvelle expertise psychiatrique. A cette occasion, il avait expressément invoqué les articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention (voir paragraphe 21 ci-dessus). Après examen, la demande fut rejetée au motif notamment que le rapport d’expertise psychiatrique de 2001 était suffisamment détaillé et que les conclusions de ce rapport avaient été confirmées par le rapport de thérapie de 2004. En outre, le requérant avait déjà contesté la validité scientifique du diagnostic établi en 1995 et 2001 devant un tribunal, sans avoir gain de cause, et aucun élément nouveau n’était intervenu depuis (voir paragraphe 22 ci-dessus).

Le Tribunal fédéral, quant à lui, estima qu’aucune requête formelle demandant la tenue d’une audience n’avait été adressée à la juridiction cantonale (voir paragraphe 24 ci-dessus).

72.  La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner si le fait que le requérant ait demandé, à défaut de nouvelle expertise psychiatrique, qu’une audience fût tenue devant la juridiction cantonale, constituât ou pas une requête formelle.

73.  Le requérant avait déjà été auditionné par l’Office de l’exécution judiciaire, qui était l’autorité chargée d’en évaluer la dangerosité. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision (Stanev, précité, § 171).

74.  Or, la Cour note que, tout comme le Parole Board dans l’affaire Waite, précitée, le Tribunal administratif de Zürich ne disposait pas d’une expertise psychiatrique. Il fonda sa décision sur le rapport de thérapie de 2004, faisant lui-même référence à l’expertise psychiatrique de 2001, que la Cour a déjà considérée comme n’étant pas suffisamment récente pour permettre d’apprécier la personnalité et le degré de maturité du requérant et de vérifier, par conséquent, que la décision de l’Office de l’exécution judiciaire ne fût pas entachée d’arbitraire (voir paragraphe 64 ci-dessus).

75.  Dans ces conditions, la Cour est d’avis que le Tribunal administratif de Zürich ne pouvait se dispenser de tenir une audience afin d’entendre le requérant en personne.

76.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 5 § 4 de la Convention a été violé, en raison de l’absence d’audience devant le Tribunal administratif de Zürich.

CONSEIL CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS

Décision n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011

LE JUGE DOIT EXAMINER LA LEGALITE D'UN INTERNEMENT DANS LES PLUS COURTS DELAIS

(M. ABDELLATIF B. ET AUTRE)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 avril 2011 par le Conseil d'Etat (décision n° 346207 du 6 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Abdellatif B., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions des articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique.
Il a également été saisi le 8 avril 2011 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 481 du 8 avril 2011), dans les mêmes conditions, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jean-Louis C. relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3213-4 du code de la santé publique.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. B. par la SELARL Mayet et Perrault, avocat au barreau de Versailles, enregistrées le 27 avril 2011 ;
Vu les observations produites pour M. C. par Me Pierre Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association « Groupe information asiles » par Me Corinne Vaillant, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 13 mai 2011
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Raphaël Mayet pour M. B., Me Ricard pour M. C., Me Vaillant pour l'association « Groupe information asiles » et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 24 mai 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces deux questions prioritaires de constitutionnalité pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique : « A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire.
« Dans les vingt-quatre heures suivant l'admission, le directeur de l'établissement d'accueil transmet au représentant de l'Etat dans le département et à la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 un certificat médical établi par un psychiatre de l'établissement.
« Ces arrêtés ainsi que ceux qui sont pris en application des articles L. 3213-2, L. 3213-4 à L. 3213-7 et les sorties effectuées en application de l'article L. 3211-11 sont inscrits sur un registre semblable à celui qui est prescrit par l'article L. 3212-11, dont toutes les dispositions sont applicables aux personnes hospitalisées d'office » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-4 du même code : « Dans les trois jours précédant l'expiration du premier mois d'hospitalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, après avis motivé d'un psychiatre, le maintien de l'hospitalisation d'office pour une nouvelle durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l'hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités.
« Faute de décision du représentant de l'Etat à l'issue de chacun des délais prévus à l'alinéa précédent, la mainlevée de l'hospitalisation est acquise.
« Sans préjudice des dispositions qui précèdent le représentant de l'Etat dans le département peut à tout moment mettre fin à l'hospitalisation après avis d'un psychiatre ou sur proposition de la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 » ;
4. Considérant que, selon les requérants, la procédure d'hospitalisation d'office méconnaît le respect de la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution ;
5. Considérant que l'article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. ― L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter ;
6. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la nation garantit à tous le droit à la protection de la santé ; que l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
7. Considérant que l'hospitalisation sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
Sur les conditions de l'hospitalisation d'office :
8. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit qu'une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée d'office que si ses troubles nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ; que de tels motifs peuvent justifier la mise en œuvre d'une mesure privative de liberté au regard des exigences constitutionnelles précitées ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que ce même article prévoit, en son premier alinéa, que la décision d'hospitalisation d'office est prononcée par le préfet ou, à Paris, le préfet de police, au vu d'un certificat médical circonstancié qui ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade, et que l'arrêté est motivé et énonce avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire ; que, si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté ; que, dès lors, la compétence du préfet pour ordonner l'hospitalisation d'office ne méconnaît pas les exigences tirées de l'article 66 de la Constitution ;
10. Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 3213-1 prévoit, en son deuxième alinéa, que, dans les vingt-quatre heures suivant l'admission, un certificat médical établi par un psychiatre de l'établissement est transmis au représentant de l'Etat dans le département et à la commission départementale des hospitalisations psychiatriques ; que, dans l'hypothèse où ce certificat médical ne confirme pas que l'intéressé doit faire l'objet de soins en hospitalisation, les dispositions contestées conduisent, à défaut de levée de l'hospitalisation d'office par l'autorité administrative compétente, à la poursuite de cette mesure sans prévoir un réexamen à bref délai de la situation de la personne hospitalisée permettant d'assurer que son hospitalisation est nécessaire ; qu'un tel réexamen est seul de nature à permettre le maintien de la mesure ; qu'en l'absence d'une telle garantie les dispositions contestées n'assurent pas que l'hospitalisation d'office est réservée aux cas dans lesquels elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l'état du malade ainsi qu'à la sûreté des personnes ou à la préservation de l'ordre public ; que, par suite, le deuxième alinéa de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique méconnaît les exigences constitutionnelles précitées ;
11. Considérant qu'il s'ensuit que l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, dont les dispositions sont inséparables, doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur le maintien de l'hospitalisation d'office :
12. Considérant que l'article L. 3213-4 du code de la santé publique prévoit qu'à l'expiration d'un délai d'un mois l'hospitalisation peut être maintenue, pour une durée maximale de trois mois, après avis motivé d'un psychiatre ; qu'au-delà de cette durée l'hospitalisation peut être maintenue pour des périodes successives de six mois selon les mêmes modalités ;
13. Considérant que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai ; que, pour les mêmes motifs que ceux retenus dans la décision du 26 novembre 2010 susvisée, les dispositions de l'article L. 3213-4, qui permettent que l'hospitalisation d'office soit maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire, méconnaissent les exigences de l'article 66 de la Constitution ;
14. Considérant qu'il s'ensuit que l'article L. 3213-4 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
16. Considérant que l'abrogation immédiate des articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique méconnaîtrait les exigences de la protection de la santé et la prévention des atteintes à l'ordre public et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; que, par suite, afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er août 2011 la date de cette abrogation ; que les mesures d'hospitalisation prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
Décide :

Article 1

Les articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique sont contraires à la Constitution.

Article 2

La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er août 2011 dans les conditions fixées au considérant 16.

Article 3

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l' article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 juin 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis Debré, président, M. Jacques Barrot, Mme Claire Bazy Malaurie, MM. Guy Canivet, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Hubert Haenel et Pierre Steinmetz.

L'INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE A POUR BUT DE SOIGNER

ET NON DE FAIRE SOUFFRIR

Grande Chambre Rooman c. Belgique du 31 janvier 2019 requête n° 18052/11

Violations des articles 3 et 5 sur les soins psychiatriques non prodigués à une personne internée durant 13 ans, depuis 2004 jusque 2017.

En ce qui concerne l’article 3,

la Cour juge en particulier que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’état de santé de M. Rooman de début 2004 au mois d’août 2017, et que son maintien en internement sans espoir réaliste de changement et sans encadrement médical approprié pendant une période d’environ 13 ans a constitué une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En revanche, la Cour juge qu’à partir du mois d’août 2017, les autorités ont manifesté une volonté réelle de remédier à la situation de M. Rooman, en engageant des mesures concrètes, et que le seuil de gravité requis pour le déclenchement de l’article 3 n’a pas été atteint.

En ce qui concerne l’article 5,

la Cour décide d’affiner ses principes jurisprudentiels et de préciser le sens de l’obligation de soins incombant aux autorités concernant les personnes internées. Ensuite, la Cour juge que la privation de liberté de M. Rooman au cours de la période du début 2004 au mois d’août 2017 ne s’est pas déroulée selon les exigences de l’article 5 § 1 dans un établissement approprié capable de lui assurer des soins adaptés à son état de santé. En revanche, elle estime que les autorités compétentes ont tiré les conclusions de l’arrêt de chambre du 18 juillet 2017 et ont mis en place un ensemble de soins permettant de conclure à une non-violation de cette disposition pour la période après le mois d’août 2017.

Affinement des principes jurisprudentiels et précision du sens de l’obligation de soins incombant aux autorités concernant les personnes internées :

la Cour précise qu’il existe un lien étroit entre la « régularité » de la détention des personnes atteintes de troubles psychiques et le caractère approprié du traitement de leur état de santé mentale. Dès lors, toute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental, y compris, le cas échéant, la réduction ou la maîtrise de la dangerosité. Ainsi, quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant pour but de les préparer à une éventuelle libération.

Pour ce qui est de la portée des soins prodigués, la Cour estime que le niveau de traitement médical requis pour cette catégorie de détenus doit aller au-delà des soins de base. Le simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé satisfaisant au regard de l’article 5. Le rôle de la Cour n’est cependant pas d’analyser le contenu des soins proposés et administrés. Il importe qu’elle soit en mesure de vérifier l’existence d’un parcours individualisé tenant compte des spécificités de l’état de santé mentale de la personne internée dans l’objectif de préparer celle-ci à une éventuelle future réinsertion. Dans ce domaine, la Cour accorde aux autorités une certaine marge de manœuvre pour la forme et pour le contenu de la prise en charge thérapeutique ou du parcours médical en question. Ensuite, l’analyse visant à déterminer si un établissement particulier est « approprié » doit comporter un examen des conditions spécifiques de détention qui y règnent, et notamment du traitement prodigué aux personnes atteintes de pathologies psychiques. Ainsi, il est possible qu’une institution a priori inappropriée, telle une structure pénitentiaire, s’avère en l’espèce satisfaisante car elle fournit des soins adéquats, et qu’à l’inverse, un établissement spécialisé en psychiatrie, qui, par définition, devrait être approprié, peut se révéler inapte à prodiguer les soins nécessaires. Par conséquent, l’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’« établissement approprié ».

En conclusion, la privation de liberté visée à l’article 5 § 1 e) a une double fonction : d’une part une fonction sociale de protection, d’autre part une fonction thérapeutique liée à l’intérêt individuel pour la personne aliénée de bénéficier d’une thérapie ou d’un parcours de soins appropriés et individualisés. La nécessité d’assurer la première fonction ne devrait pas a priori justifier l’absence de mesures visant à accomplir la seconde. Il s’ensuit que, au regard de l’article 5 § 1 e), une décision refusant de libérer une personne internée peut devenir incompatible avec l’objectif initial de détention préventive contenu dans la décision de condamnation si la personne concernée est privée de liberté parce qu’elle risque de récidiver mais qu’en même temps, elle ne bénéficie pas des mesures – telles qu’une thérapie appropriée – nécessaires pour démontrer qu’elle n’est plus dangereuse. Enfin, la Cour estime que d’éventuelles conséquences négatives sur les chances d’évolution de la situation personnelle du requérant ne conduiraient pas nécessairement à un constat de violation de l’article 5 § 1, sous réserve que les autorités aient déployé des efforts suffisants pour surmonter tout problème entravant la thérapie de celui-ci.

LES FAITS

En 1997, M. Rooman fut condamné, entre autres, pour des faits de vol, pour attentat à la pudeur sur un mineur de moins de 16 ans et pour viol sur un mineur de moins de 10 ans. La fin de sa peine d’emprisonnement était prévue pour le 20 février 2004. Toutefois, au cours de sa détention, il récidiva. En juin 2003, le tribunal de première instance de Liège décida de l’interner. En janvier 2004, il intégra l’EDS de Paifve.

À différentes dates entre 2005 et 2015, M. Rooman fit trois demandes de libération qui furent rejetées par la commission de défense sociale (CDS) en 2006, 2010 et 2014 au motif que les conditions d’une libération (à savoir l’amélioration de l’état mental de l’intéressé et les garanties d’une réadaptation sociale) n’étaient pas réunies. Dans ses décisions, le CDS constata, entre autres, que M. Rooman n’avait pas pu bénéficier de soins psychiatriques dans la seule langue parlée et comprise par lui (l’allemand), qu’il convenait de rechercher une institution pouvant lui assurer une thérapie en allemand, et que M. Rooman avait eu très peu de contacts avec les autres patients et les membres du personnel car il ne maîtrisait pas le français.

Entretemps, en 2014, M. Rooman intenta une procédure en référé contre l’État belge, fondée sur l’article 584 du code judiciaire, demandant sa mise en liberté ou, subsidiairement, l’imposition de la prise de mesures requises par son état de santé. Le 10 octobre 2014, le juge des référés constata une violation de son droit d’accès à des soins de santé ainsi qu’une situation inhumaine et dégradante. Il ordonna à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones, et de mettre en place des soins usuellement prévus pour les internés francophones. La même année, M. Rooman introduisit une demande de dommages et intérêts fondée sur l’article 1382 du code civil. Le 9 septembre 2016, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles reconnut la responsabilité pour faute de l’État belge et le condamna à indemniser M. Rooman à hauteur de 75 000 euros (EUR). Les deux parties firent appel. La procédure est pendante devant la cour d’appel de Bruxelles. Par la suite, M. Rooman introduisit une nouvelle demande de libération. Dans ce cadre, en janvier et en mai 2017, l’équipe de service psycho-social et la directrice de l’EDS de Paifve rendirent un rapport défavorable à sa libération, précisant entre autres que M. Rooman demeurait dangereux et qu’il risquait de récidiver. Le ministère public exprima également un avis défavorable à sa libération.

En novembre 2017, la chambre de protection sociale (CPS) du tribunal de l’application des peines, désormais compétente en matière d’internement, tint une audience à huit clos, en la présence de M. Rooman, de son avocat et d’un interprète. Puis, en décembre 2017, la CPS rejeta la demande de libération définitive formulée à titre principal et dit qu’il n’y avait pas lieu non plus de procéder à une libération à l’essai. Dans son jugement, la CPS précisa notamment que la détention de M. Rooman était justifiée par son état mental et les conditions de sa détention permettant à la fois de le soigner et d’assurer sa sécurité et celle d’autrui. En outre, la CPS constata que M. Rooman pouvait désormais bénéficier d’un suivi psychologique, psychiatrique et social par des intervenants en langue allemande, ainsi que d’une sortie par mois accompagné d’un infirmier germanophone, et qu’un interprète était également présent chaque fois que cela était nécessaire. M. Rooman forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté en février 2018.

CEDH

LA QUALITE DE VICTIME : le requérant reçoit des oins depuis 2017 : réponse de la CEDH

128. La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention et que pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010).

129. Une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 179-180, CEDH 2006‑V, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête.

130. En l’espèce, la Cour relève d’abord que, par une ordonnance du 10 octobre 2014, le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a ordonné à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones, sous peine d’astreinte, et de mettre en place des soins du niveau de ceux habituellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant (paragraphe 52 ci-dessus). Elle observe ensuite que ce même tribunal a octroyé au requérant une réparation financière, ayant constaté dans son jugement du 9 septembre 2016 que l’abstention de fournir des soins adaptés à l’état mental du requérant était constitutive d’une faute. Il a ajouté que le seul fait d’être interné pour une durée indéterminée sans soins adaptés était constitutif d’une violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention (paragraphes 55 et 56 ci-dessus). Le constat de violation de l’article 3 a été repris dans le jugement de la CPS du 27 décembre 2017 pour ce qui est des périodes antérieures au mois d’août 2017 où aucun soin en langue allemande n’était disponible (paragraphe 64 ci-dessus).

131. La Cour estime dès lors qu’en l’espèce les juridictions internes ont reconnu de façon expresse qu’il y avait eu violation de l’article 3 pour la période antérieure au mois d’août 2017, et violation de l’article 5 pour la période allant jusqu’au 9 septembre 2016. Pour le reste de la période litigieuse, il n’y a pas eu de reconnaissance explicite de violation de la Convention.

132. Sur le point de savoir s’il y a eu une réparation « adéquate » et « suffisante », la Cour relève que, après la communication de la requête puis à la suite de l’arrêt de la chambre, les instances nationales ont adopté des décisions favorables au requérant en lui octroyant en première instance une réparation financière pour le préjudice subi et en ordonnant la mise à sa disposition de professionnels parlant l’allemand. Toutefois, elle ne saurait ignorer que cette mise à disposition ne s’est concrétisée que pendant quelques mois en 2010, puis en 2014-2015 et fin 2017-début 2018, ni que la situation litigieuse à l’origine de la requête remonte aux débuts de l’internement du requérant et avait été constatée par la CDS dès 2006 (voir, mutatis mutandis, Y.Y. c. Turquie, no 14793/08, §§ 52-55, CEDH 2015 (extraits)). De plus, la réparation financière ordonnée ne couvre que la période allant de janvier 2010 à octobre 2014. Elle ne saurait donc être considérée comme intégrale, et ce d’autant que le jugement rendu en première instance le 9 septembre 2016 n’est pas définitif, qu’il a notamment été frappé d’appel et que la procédure était toujours pendante devant la cour d’appel de Bruxelles à la date de l’adoption du présent l’arrêt (paragraphes 58-59 ci-dessus).

133. Dès lors, la Cour conclut que le requérant n’a pas perdu la qualité de victime des violations alléguées des articles 3 et 5, au sens de l’article 34 de la Convention.

ARTICLE 3

1. Rappel des principes pertinents

141. La Cour l’a dit à maintes reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 81, CEDH 2015). Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime. Pour tomber sous le coup de cette disposition, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » en ce qu’il est de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale, ou à les conduire à agir contre leur volonté ou leur conscience. La question de savoir si le traitement a pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 201-203, CEDH 2012, et les affaires qui y sont citées).

142. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation.

143. Cela étant, l’article 3 impose à l’État de s’assurer que toute personne privée de liberté est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Stanev, précité, § 204). La Cour a souligné que les personnes privées de liberté sont dans une position vulnérable et que les autorités ont le devoir de les protéger (Enache c. Roumanie, no 10662/06, § 49, 1er avril 2014, M.C. c. Pologne, no 23692/09, § 88, 3 mars 2015, et A.Ş. c. Turquie, no 58271/10, § 66, 13 septembre 2016).

144. La Convention ne renferme aucune disposition spécifique à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori de celles d’entre elles qui sont malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser problème sous l’angle de l’article 3 (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004). En particulier, la Cour a jugé que la souffrance due à une maladie qui survient naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en elle-même relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (voir, notamment, Hüseyin Yıldırım c. Turquie, no 2778/02, § 73, 3 mai 2007, et Gülay Çetin c. Turquie, no 44084/10, § 101, 5 mars 2013). Ainsi, la détention d’une personne malade dans des conditions matérielles et médicales inappropriées peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, Rivière c. France, no 33834/03, § 74, 11 juillet 2006, et Claes, précité, §§ 94‑97).

145. Pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération la santé de l’intéressé et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution (voir, parmi d’autres, Matencio, précité, §§ 76-77, et Gülay Çetin, précité, §§ 102 et 105). Elle a dit que les conditions de détention ne doivent en aucun cas soumettre la personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance physique et morale (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 99, CEDH 1999‑V). Elle a reconnu à ce sujet que les détenus atteints de troubles mentaux sont plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et sont forcément source de stress et d’angoisse. Elle considère qu’une telle situation entraîne la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (Sławomir Musiał c. Pologne, no 28300/06, § 96, 20 janvier 2009 ; voir également Claes, précité, § 101). Outre leur vulnérabilité, l’appréciation de la situation des individus en cause doit tenir compte, dans certains cas, de leur incapacité à se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 106, 26 avril 2016).

146. La Cour tient également compte du caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention (Stanev, précité, § 204, Rivière, précité, § 63, et Sławomir Musiał, précité, §§ 85-88). Le manque de soins médicaux appropriés pour des personnes privées de liberté peut ainsi engager la responsabilité de l’État au regard de l’article 3 (Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Murray, précité, § 105). De plus, il n’est pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi, il faut encore qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi soit mise en œuvre (Claes, précité, §§ 94‑97, et Murray, précité, § 106), par un personnel qualifié (Keenan c. Royaume‑Uni, no 27229/95, §§ 115-116, CEDH 2001‑III, et Gülay Çetin, précité, § 112).

147. En la matière, la question du caractère « approprié » ou non des soins médicaux est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés. En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée, et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes. Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi. En outre, les soins dispensés en milieu carcéral doivent être appropriés, c’est-à-dire d’un niveau comparable à celui que les autorités de l’état se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population. Toutefois, cela n’implique pas que soit garanti à tout détenu le même niveau de soins médicaux que celui des meilleurs établissements de santé extérieurs au milieu carcéral (Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, 23 mars 2016, et les affaires qui y sont citées).

148. Dans l’hypothèse où la prise en charge n’est pas possible sur le lieu de détention, il faut que le détenu puisse être hospitalisé ou transféré dans un service spécialisé (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, §§ 58‑59, 21 décembre 2010 ; voir également, a contrario, Kudła, précité, §§ 82‑100, et Cocaign c. France, no 32010/07, 3 novembre 2011).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

149. La Cour observe d’abord que l’existence des problèmes de santé mentale à l’origine de l’internement du requérant n’est pas contestée en l’espèce. Le requérant a été interné sur la base de plusieurs rapports médicaux attestant qu’il présentait une personnalité narcissique et paranoïde et qu’il souffrait d’un déséquilibre mental le rendant incapable de contrôler ses actions. Pour ces raisons, il est interné à l’EDS de Paifve, où il est resté sans interruption depuis le 21 janvier 2004.

150. Ensuite, à la différence d’autres requérants qui avaient porté devant la Cour dans de précédentes affaires des griefs similaires contre la Belgique (voir, par exemple, Claes, précité, et Lankester c. Belgique, no 22283/10, 9 janvier 2014), le requérant ne se plaint pas que l’établissement de Paifve n’est pas adapté à accueillir des personnes internées, mais allègue qu’en raison d’un problème linguistique il ne recevait pas les soins devant lui être prodigués (paragraphe 137 ci-dessus).

151. La Cour note d’emblée que le fait pour un patient d’être soigné par un personnel parlant sa langue, fût-elle langue officielle de l’État, n’est pas un élément reconnu du droit visé par l’article 3, ou par une autre disposition de la Convention, notamment pour ce qui est de l’administration de soins appropriés aux personnes privées de leur liberté. Vu les obstacles linguistiques rencontrés par les autorités médicales, la Cour doit rechercher si, parallèlement à d’autres facteurs, des mesures nécessaires et raisonnables ont été prises pour assurer une communication favorisant l’administration effective du traitement approprié. En matière de traitement psychiatrique en relation avec l’article 3, l’élément purement linguistique pourrait s’avérer décisif s’agissant de la disponibilité ou de l’administration de soins appropriés, mais uniquement en l’absence d’autres éléments permettant de compenser le défaut de communication, et surtout, sous réserve de la coopération de la personne concernée (voir, mutatis mutandis, Dhoest c. Belgique, no 10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, Décisions et rapports (DR), § 124, affaire dans laquelle le requérant parlait le néerlandais, une des langues officielles de l’État, et était placé dans un établissement de défense sociale dans la région de langue française de la Belgique).

152. Ci-dessous, la Cour examinera le grief du requérant en deux temps, en tenant compte du dispositif thérapeutique que le Gouvernement indique avoir mis en place à partir du mois d’août 2017.

a)  La situation des soins de début 2004 au mois d’août 2017

153. La Cour constate que la thèse du Gouvernement consistant à dire que le requérant a reçu des soins répondant à ses besoins ne tient pas factuellement. Tous les éléments du dossier tendent au contraire à démontrer un défaut de prise en charge thérapeutique dû à l’impossibilité pour le personnel soignant et le requérant de communiquer. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement dans ses observations devant la Grande Chambre selon lesquelles le requérant a été suffisamment suivi sur le plan psychiatrique (paragraphes 68 et 138 ci‑dessus), il ressort clairement du dossier que tant les psychiatres qui ont été en contact avec le requérant que les autorités juridictionnelles ont reconnu une absence de traitement. Ils ont indiqué de manière suffisamment claire, dès le mois de septembre 2005, que l’intéressé présentait un besoin particulier et devait pouvoir bénéficier d’un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique permanent sur plusieurs années en langue allemande, seule langue parlée et comprise par lui (paragraphe 14 ci-dessus). L’obstacle linguistique a été l’unique facteur limitant l’accès effectif du requérant aux soins normalement disponibles (paragraphes 18, 23, 25, 29, 40, 51 et 55 ci‑dessus). La Cour note que de plus, il était question depuis 2006 de rechercher une prise en charge thérapeutique en allemand en dehors de l’établissement de Paifve (paragraphes 16, 21-22 et 25-26 ci-dessus). À plusieurs reprises, l’examen des demandes de mise en liberté du requérant a été reporté par la CDS en raison de la difficulté de commencer une thérapie du fait du problème linguistique (paragraphes 16, 19, 22 et 26 ci-dessus). Le rapport du 27 mars 2015 indique que l’état neuropsychique du requérant était quasi superposable à celui dans lequel celui-ci se trouvait en 2009 (paragraphe 44 ci-dessus). Dans son rapport du 12 janvier 2017, l’équipe psycho‑sociale de l’EDS de Paifve a dit que la barrière linguistique entravait l’observation clinique visant à évaluer la dangerosité du requérant (paragraphe 60 ci‑dessus). Enfin, la CPS a reconnu une violation de l’article 3 pendant les périodes sans suivi par des soignants de langue allemande (paragraphe 64 ci-dessus).

154. La Cour note que le requérant a certes pu rencontrer, au cours de la période en cause, du personnel qualifié parlant allemand. Toutefois, comme l’a souligné la CDS elle-même, les contacts qu’il a eus avec ces personnes, que ce soit les experts à la prison de Verviers ou l’infirmier et l’assistante sociale parlant allemand à Paifve, n’avaient pas de visée thérapeutique (paragraphes 20, 21, et 25-29 ci-dessus). Seul l’accès à un psychologue extérieur parlant allemand entre mai et novembre 2010 (paragraphe 51 ci‑dessus) s’inscrit dans le cadre des soins invoqués par le Gouvernement ; toutefois, considérées par rapport à la durée totale de la privation de liberté du requérant, ces consultations ne peuvent s’analyser en une véritable prise en charge, d’autant qu’il y a été mis fin pour défaut de paiement par l’État des frais et honoraires correspondants. De plus, aucun élément du dossier ne fait état d’une quelconque intervention psychiatrique thérapeutique pendant cette période, ni de prise en charge individualisée, compte tenu notamment du caractère indéterminé de la durée du placement du requérant.

155. Ensuite, pour ce qui est de l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le requérant serait resté en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations et n’indiquerait pas quels soins ne lui ont pas été administrés ou proposés (paragraphe 138 ci-dessus), la Cour relève que le requérant s’est plaint devant les instances de défense sociale du défaut de prise en charge thérapeutique et de l’impact sur son état de santé de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer (paragraphe 27 ci-dessus). La Cour a écarté à de multiples reprises une telle approche formaliste et souligné qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient compatibles avec les exigences de l’article 3 dans le cas des malades mentaux, tenir compte de la vulnérabilité de ceux-ci et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Claes, précité, § 93, Murray, précité, § 106, et W.D., précité, § 105).

156. La Cour observe que les instances de défense sociale ont engagé des démarches pour trouver une solution au problème posé par le cas particulier du requérant (paragraphes 24 et 26 ci-dessus). Toutefois, ces démarches sporadiques se sont heurtées au fait que l’administration n’a pas pris de mesures adéquates pour faire évoluer la situation sur le plan de la communication. Il a en effet fallu attendre la décision de la CSDS et l’ordonnance du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles en 2014 pour que soient prises des mesures concrètes, pourtant préconisées depuis des années, telles que la mise à disposition d’une psychologue parlant allemand (paragraphes 43 et 51 ci-dessus). Il semble toutefois que cette mise à disposition ait cessé à la fin de l’année 2015 (paragraphe 53 ci-dessus), et n’ait repris qu’en août 2017 (paragraphe 64 ci‑dessus). Il apparaît clairement que le retard accusé dans la mise à disposition de mesures facilitant la communication avec le requérant a eu pour conséquence de priver celui-ci des soins que nécessitait son état de santé. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas soutenu que d’autres éléments dans le suivi médical du requérant aient permis de compenser le défaut de communication en langue allemande, et la Cour ne décèle dans le dossier aucune démarche en ce sens. Elle considère notamment que les contacts avec l’assistante sociale et les entretiens avec l’infirmier ne sauraient constituer une telle mesure compensatoire : l’intervention de ces derniers, même si elle a été importante pour l’accompagnement du requérant, ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un suivi psychothérapeutique. Il apparaît ainsi à la Cour que les seuls moyens envisagés par les autorités pour pallier le problème de communication avec le requérant consistaient à rechercher soit des soignants parlant eux-mêmes l’allemand soit un autre établissement, les deux sans résultats (paragraphe 40 ci-dessus). Les autorités ont en effet elles-mêmes constaté qu’aucune des deux solutions n’était réalisable car, d’une part, elles estimaient ne pas disposer de personnel germanophone et, d’autre part, la dangerosité du requérant excluait son placement dans un établissement germanophone, moins sécurisé. Ainsi, il semble plutôt que, pendant toute cette période, les autorités en charge du requérant se soient satisfaites de l’excuse de l’absence à Paifve de spécialistes parlant allemand pour justifier le fait que l’intéressé ne bénéficiait pas de soins adaptés.

157. La Cour estime que ces éléments suffisent à démontrer que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’état de santé du requérant. Le maintien de celui-ci à l’EDS de Paifve sans espoir réaliste de changement et sans encadrement médical approprié pendant une période d’environ treize ans doit dès lors, nonobstant les quelques consultations organisées pendant quelques périodes brèves à l’échelle de toute cette durée, être vu comme une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

158. Quelles qu’aient été les entraves, mentionnées par le Gouvernement, que le requérant a pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime qu’elles ne pouvaient dispenser l’État de ses obligations vis-à-vis de l’intéressé pendant une privation de liberté aussi longue. Par ailleurs, la Cour ne peut ignorer les constats préoccupants formulés de manière plus générale par la commission de surveillance de Paifve et par le CPT, qui ont tous deux fait état de déficiences profondes dans le système de soins à l’EDS de Paifve (paragraphes 115 et 120 ci‑dessus).

159. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention pour la période allant de début 2004 au mois d’août 2017.

b) La situation des soins depuis le mois d’août 2017

160. Pour ce qui est de l’évolution de la situation à partir du mois d’août 2017, la Cour observe plusieurs éléments.

161. Pour commencer, concernant les rencontres mensuelles avec une psychologue germanophone (paragraphes 67 et 74 ci-dessus), la Cour remarque que les parties présentent des versions des faits divergentes. Lors de l’audience devant la Grande Chambre, les représentants du requérant ont affirmé que le dernier rendez-vous avec cette psychologue avait eu lieu en février 2018 et que de toute manière ces rencontres ne s’inscrivaient pas dans un cadre thérapeutique. Le Gouvernement a contesté ces affirmations. Ni l’une ni l’autre partie n’ont soumis de preuves écrites à l’appui de leurs allégations sur ce point. Même à supposer que le requérant n’ait pas rencontré la psychologue entre mars et mai 2018, la Cour estime que l’intervalle de dix mois écoulé entre le début de la mise en œuvre des nouvelles mesures en août 2017 et l’audience devant la Cour du 6 juin 2018 ne permet pas de conclure que la thérapie psychologique engagée ne s’avère pas appropriée dans le cas du requérant.

162. Ensuite, une psychiatre parlant l’allemand aurait été contactée et aurait exprimé sa disponibilité pour assurer un suivi à tout moment. Le recours à un interprète aurait été également mis en place pour les entretiens mensuels avec le médecin généraliste, ainsi que pour toutes les autres mesures de prise en charge pour lesquelles cela aurait été jugé nécessaire. Enfin, une réunion multidisciplinaire de l’équipe soignante se serait tenue, en présence du requérant et d’un interprète, le 25 novembre 2017. Ces mesures peuvent être considérées comme correspondant a priori à la notion de « soins adéquats » (paragraphe 146 ci-dessus).

163. Concernant le suivi psychiatrique, en particulier, il est vrai qu’il apparaît qu’une psychiatre parlant allemand a simplement été mise à disposition et que l’on peut estimer regrettable l’absence d’initiatives plus poussées de la part des autorités en vue de proposer un calendrier thérapeutique. Cependant, il ne ressort ni des éléments du dossier ni des dires du requérant que celui-ci ait sollicité pouvoir bénéficier de la consultation psychiatrique proposée et que les autorités médicales n’aient pas donné suite à une telle demande.

164. La Cour ne perd pas de vue que le requérant est une personne vulnérable en raison de son état de santé et du fait de sa privation de liberté, que sa coopération n’est qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’examen de l’effectivité des soins requis et qu’il incombe en premier lieu aux autorités compétentes de lui assurer des soins adéquats selon un suivi individualisé. Néanmoins, il a bénéficié tout au long de la procédure d’une représentation juridique effective et ses allégations ont été exposées aussi bien devant la Cour que dans les nombreuses procédures internes dans le cadre desquelles il a réclamé pendant de longues années un accès à des professionnels de santé germanophones. Dès lors, dans les circonstances particulières de l’espèce, le requérant, assisté par un avocat dans toutes les procédures internes, aurait pu se montrer ouvert aux démarches des autorités s’efforçant de répondre à l’arrêt de violation de la chambre en lui proposant des mesures thérapeutiques dans sa langue.

165. Ainsi, il apparaît à la Cour que, d’un côté, le requérant a manifestement pris conscience de la nécessité de se soumettre à un traitement psychiatrique pour assurer sa libération et il affirme devant la Grande Chambre être ouvert à un traitement pour autant que celui-ci soit dispensé en allemand mais, de l’autre côté, il n’expose pas en quoi le suivi psychiatrique en allemand qui lui est proposé n’est pas efficace : il se contente d’affirmer que le psychiatre se tient uniquement « à disponibilité ». À défaut d’allégations concrètes à cet égard, la Cour estime donc que le requérant n’a pas suffisamment coopéré et qu’il ne s’est pas montré réceptif aux soins proposés. Elle juge opportun à ce sujet de rappeler que le requérant est certes en droit de ne pas accepter les soins qui lui sont proposés, ce qu’énonce égalent la Recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (paragraphe 119 ci-dessus, voir notamment l’exposé des motifs concernant l’article 17, point 133), mais qu’en ne coopérant pas, il prend le risque de diminuer les perspectives d’amélioration de son état de santé et, dès lors, celles d’une libération, puisqu’il ne pourra bénéficier d’une telle mesure que si les évaluations démontrent qu’il ne présente plus de danger pour la société.

166. Ainsi, si l’on peut reprocher aux autorités d’avoir considérablement tardé à prendre des mesures visant à assurer au requérant des soins adéquats, retard qui a amené la Cour à conclure à la violation de l’article 3 pour la période allant du début 2004 au mois d’août 2017 (paragraphes 153‑159 ci‑dessus), il apparaît qu’elles ont en revanche manifesté une volonté réelle de remédier à la situation après l’arrêt de la chambre, en engageant des mesures concrètes. Dans ce contexte, le manque de réceptivité du requérant face à la mise à sa disposition de soins psychiatriques ne peut être imputé aux autorités, compte tenu également de ce que la brièveté de la période écoulée depuis cette évolution n’offre guère de recul pour évaluer l’impact de la prise en charge. La Cour conclut donc que, même si l’ensemble de mesures proposé présente quelques lacunes organisationnelles, le seuil de gravité requis pour le déclenchement de l’article 3 n’a pas été atteint pour ce qui est des allégations du requérant relatives à la période postérieure au mois d’août 2017.

167. Au vu de l’ensemble de ces considérations, la Cour juge qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de ce chef.

168. Elle tient cependant à souligner que ce constat ne libère pas le Gouvernement de l’obligation de continuer à prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre, sans délai, l’encadrement médical annoncé, selon une prise en charge thérapeutique individualisée et appropriée (voir, mutatis mutandis, De Schepper c. Belgique, no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009).

ARTICLE 5-1

1. Remarques préliminaires et méthode suivie

187. Le requérant, interné depuis janvier 2004 dans un établissement de défense sociale, a formulé ses griefs déduits du fait qu’il n’y reçoit aucun soin psychologique ou psychiatrique en raison d’un problème linguistique tant sur le terrain de l’article 3 que de l’article 5 de la Convention. La Grande Chambre, à l’instar de la chambre, vient de constater une violation de l’article 3 en raison de l’absence de soins adaptés à la situation du requérant pour la période entre janvier 2004 et août 2017 (paragraphes 135 et 159 ci-dessus). Concernant l’article 5, en revanche, la chambre a conclu à la non-violation estimant que le lien entre le motif de l’internement et la maladie mentale du requérant n’avait jamais été rompu (paragraphe 170 ci‑dessus).

188. Dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 5, la question devant la Grande Chambre est double. D’une part, elle est appelée à éclaircir le point de savoir si l’article 5 § 1 e), paralèllement à sa fonction de protection de la société, comporte une fonction thérapeutique afin de réaliser le but de l’internement. En d’autres termes, elle doit préciser s’il pèse ou non sur les autorités une obligation de fournir des soins psychiatriques et psychologiques à la personne internée, et dans l’affirmative, de délimiter la portée du contrôle de la Cour sur le caractère adéquat des soins en question. D’autre part, il lui appartient de clarifier les relations entre les articles 3 et 5 pour ce qui est du contrôle du respect de ces dispositions lorsque les deux griefs portent sur l’absence de soins médicaux appropriés et pourraient donc être vus comme superposables.

189. Pour ce faire, ci-dessous la Cour examinera d’abord les principes jurisprudentiels applicables sur le terrain de l’article 5 § 1 e), ainsi que leur évolution dans le cadre de l’examen d’affaires soumises à son contrôle. Elle procédera ensuite à un affinement de ces principes afin de préciser le contenu des obligations des autorités au regard de cette disposition. Elle décrira aussi les interactions entre les articles 3 et 5 dans une situation telle que celle de la présente espèce. Enfin, elle procédera à l’examen des circonstances relatives au grief du requérant sous l’angle de l’article 5, au regard notamment de l’affinement de ces principes.

2. Les principes applicables

a)  Les principes généraux relatifs à la privation de liberté des aliénés

190. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que l’article 5 § 1 requiert d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. Outre le respect du droit interne, cette disposition exige la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. La condition d’absence d’arbitraire exige par ailleurs que non seulement l’ordre de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1 (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129, O’Hara c. Royaume‑Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001-X, Saadi c Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 67 et 69, CEDH 2008, et Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 186, 28 novembre 2017). Il faut en outre un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour justifier la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de détention (Stanev, précité, § 147).

191. Bien que seuls les alinéas c) et d), dans leur version anglaise, se réfèrent au « but » (« purpose ») du type de privation de liberté qu’ils visent, il ressort clairement de leur libellé et de l’économie générale de l’article 5 § 1 que cette exigence est implicite dans tous les alinéas (Merabishvili, précité, § 299).

192. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp, précité, § 39, Stanev, précité, § 145, et les affaires qui y sont citées).

193. Quant à la deuxième condition citée ci-dessus, relative notamment au but de la privation de liberté d’une personne souffrant de troubles mentaux, elle signifie que la détention peut s’imposer non seulement lorsque la personne concernée a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV, et Stanev, précité, § 146). Comme rappelé ci-dessus, un certain lien doit exister entre le motif justifiant la détention et les conditions dans lesquelles elle est exécutée (Stanev, précité, § 147, voir paragraphe 190 ci-dessus). Par conséquent, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité (Ashingdane, précité, § 44, Pankiewicz c. Pologne, no 34151/04, §§ 42‑45, 12 février 2008, et Stanev, précité, § 147). Par ailleurs, la Cour a eu l’occasion de préciser que cette règle s’applique même lorsque la maladie ou la condition ne peut être guérie ou que la personne concernée n’est pas susceptible de répondre à un traitement (Hutchison Reid, précité, §§ 52 et 55). Sous réserve de ce qui précède, le traitement ou régime adéquats ne relèvent pourtant pas, en principe, de l’article 5 § 1 e) (Ashingdane, précité, § 44, Hutchison Reid, précité, § 49, et Stanev, précité, § 147).

b) L’interprétation de la notion de caractère « approprié » des établissements destinés à accueillir des personnes atteintes de maladies psychiques

194. Cela étant, la Cour tient à rappeler que dans sa jurisprudence, les conditions de soins d’une personne atteinte de troubles psychiques ne sont pas sans importance pour la régularité de la privation de liberté de cette personne. Sur ce point, elle a développé son analyse depuis ses premières décisions dans ce domaine, citées ci-dessus (notamment celles, précitées, rendues dans les affaires Winterwerp et Ashingdane), en accordant plus de poids à la nécessité de fournir des soins appropriés aux personnes privées de liberté dans le but de soulager leur maladie ou de réduire leur dangerosité.

195. Dans l’affaire Winterwerp, qui a donné lieu à l’arrêt de principe précité, aussi bien la Commission que la Cour ont considéré que le droit d’un patient à un traitement adapté à son état ne pouvait se déduire en tant que tel de l’article 5 § 1 (Winterwerp, précité, § 51). La Commission a en effet estimé qu’il était vrai que le placement obligatoire dans un hôpital psychiatrique devait avoir une double fonction, thérapeutique et sociale, mais que la Convention assurait uniquement la fonction sociale de protection en permettant la privation de liberté d’une personne aliénée sous certaines conditions (Winterwerp c. Pays-Bas, no 6301/73, rapport de la Commission du 15 décembre 1977, (DR), § 84, voir aussi Ashingdane c. Royaume-Uni, no 8225/78, rapport de la Commission du 12 mai 1983, § 77 et Dhoest, précité, § 145). Dans l’affaire Ashingdane (arrêt et rapport précités), la Cour a reconnu que les conditions d’internement étaient plus libérales dans un hôpital normal et, eu égard à l’amélioration de l’état mental de l’intéressé, plus propices à sa complète guérison, mais elle a estimé que néanmoins, le lieu et les modalités de l’internement n’avaient pas cessé de correspondre à « la détention régulière d’un aliéné » malgré la détention prolongée du requérant dans un hôpital de l’établissement spécial de sécurité. Dès lors, l’intéressé n’avait pas subi de limitations de son droit à la liberté et à la sûreté plus sévères que celles prévues à l’article 5 § 1 e). Elle a jugé également que, même si la cause du retard mis à le transférer (d’un hôpital à haute sécurité à un autre proposant un environnement plus libéral) tenait à des questions de relations de travail et non à la thérapeutique, il ne s’agissait manifestement pas d’une indifférence consciente pour son bien-être, et que les autorités s’étaient efforcées de trouver une solution dès que possible : les éléments du dossier donnaient à penser qu’elles avaient probablement suivi la seule voie praticable (Ashingdane, précité, §§ 47 et 48).

196. L’approche de l’application de l’article 5 § 1 e) a connu un développement significatif déjà dans l’arrêt Aerts. Dans cet arrêt, la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 1 au motif que le requérant n’avait bénéficié, dans l’annexe psychiatrique de la prison où il avait été détenu, ni d’un suivi médical, ni d’un environnement thérapeutique. Elle a considéré qu’il y avait eu rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci avait eu lieu, en raison notamment du fait que le requérant n’avait pas bénéficié des soins que nécessitait l’état à l’origine de son internement (Aerts, précité, § 49).

197. Par la suite, la Cour a eu l’occasion de préciser que d’un point de vue général, il paraît de prime abord inconcevable de ne pas interner une personne souffrant d’une maladie mentale dans un environnement thérapeutique approprié même si l’on estime que la maladie est incurable. En effet, l’intéressé pourrait tirer profit de l’environnement hospitalier, tandis que ses symptômes pourraient s’aggraver en dehors d’une structure de soutien (Hutchison Reid, précité, §§ 52 et 55).

198. La Cour a admis que le seul fait qu’un individu ne soit pas interné dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention. Un certain délai d’admission dans une clinique ou un hôpital est acceptable s’il est lié à l’écart entre la capacité disponible et la capacité requise des établissements psychiatriques. Toutefois, un délai important d’admission dans de telles institutions retarde le début du traitement de la personne concernée, ce qui emporte forcément des conséquences pour les chances de succès de ce traitement et peut entraîner une violation de l’article 5 (Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, §§ 66-69, 11 mai 2004, Brand c. Pays‑Bas, no 49902/99, §§ 62-66, 11 mai 2004 ; voir aussi Pankiewicz, précité, § 45, où la Cour a jugé excessif un délai d’admission de deux mois et vingt-cinq jours, compte tenu notamment de l’effet néfaste sur la santé du requérant de son incarcération dans un centre de détention ordinaire).

199. Par ailleurs, la Cour a observé que, dans le contexte d’une détention de sûreté « retrospective », les conditions de détention d’une personne peuvent évoluer au fil de sa privation de liberté alors même que celle‑ci reste fondée sur une seule et unique ordonnance. La détention d’un aliéné sur le fondement d’une seule et même ordonnance de placement en détention peut, pour la Cour, devenir régulière, et donc conforme à l’article 5 § 1, dès lors que la personne est transférée dans un établissement adapté. Selon cette interprétation du terme « régularité », il existe bien un lien intrinsèque entre la régularité d’une privation de liberté et ses conditions d’exécution. Cette position est de surcroît comparable à l’analyse adoptée dans l’examen de la conformité des conditions de détention à l’article 3, où une évolution des conditions de détention joue également un rôle déterminant dans l’appréciation du respect de l’interdiction des traitements dégradants. Il en résulte que le moment ou la période à retenir lorsqu’il s’agit de rechercher si une personne a été détenue dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux est la période de détention en cause dans la procédure devant la Cour, et non le moment où l’ordonnance de placement en détention a été prise (Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 139 et 141, 4 décembre 2018).

200. Ainsi, lorsqu’elle a été saisie d’affaires portant sur la détention d’auteurs d’infractions pénales atteints de troubles psychiques, la Cour a tenu compte pour vérifier le caractère approprié de l’établissement en cause, non pas tellement du but premier de celui-ci, mais plutôt des conditions spécifiques de la détention et de la possibilité pour les intéressés d’y bénéficier d’un traitement adapté (Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, § 124, 7 janvier 2016, W.P. c. Allemagne, no 55594/13, §§ 65-66, 6 octobre 2016, Lorenz, précité, §§ 61 et 64, et Kadusic c. Suisse, no 43977/13, §§ 56 et 59, 9 janvier 2018). Par ailleurs, même si les hôpitaux psychiatriques sont par définition des institutions appropriées pour la détention des individus atteints de maladies psychiques, la Cour a mis l’accent sur la nécessité d’accompagner le placement dans ces hôpitaux de mesures thérapeutiques efficaces et cohérentes, afin de ne pas priver les individus en question de la perspective d’une libération (Frank c. Allemagne (déc.), no 32705/06, 28 septembre 2010).

201. Dans plusieurs affaires dirigées contre la Belgique, la Cour a conclu que les ailes psychiatriques des prisons belges n’étaient pas des endroits appropriés pour la détention prolongée de personnes atteintes de maladies psychiques au sens de l’article 5 § 1 e) car les détenus n’y recevaient pas de soins et de traitement appropriés à leur état de santé, ce qui les privait de toute perspective réaliste de reclassement. Elle a estimé que cette situation avait pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci avait lieu. Elle a considéré que les violations constatées dans ces affaires résultaient d’un problème structurel lié essentiellement au manque de places disponibles dans les établissements psychiatriques externes ou au refus de ceux-ci d’admettre des individus considérés comme indésirables (voir les quatre arrêts de principe L.B., Claes, Dufoort, et Swennen, précités, ainsi que huit arrêts du 9 janvier 2014 – Van Meroye c. Belgique, no 330/09, Oukili c. Belgique, no 43663/09, Caryn c. Belgique, no 43687/09, Moreels c. Belgique, no 43717/09, Gelaude c. Belgique, no 43733/09, Saadouni c. Belgique, no 50658/09, Plaisier c. Belgique, no 28785/11, Lankester, précité – et, plus récemment, l’arrêt pilote W.D., précité).

202. Pour déterminer si le requérant a ou non bénéficié de soins psychiatriques appropriés, la Cour tient compte des avis des professionnels de la santé et des décisions rendues par les autorités internes dans le cas individuel, ainsi que des conclusions plus générales des institutions au niveau national et international sur le caractère approprié ou inapproprié des ailes psychiatriques pour la détention des personnes souffrant de problèmes psychiques (voir, par exemple, L.B., précité, § 96, et Claes, précité, § 98, ainsi que Hadžić et Suljić c. Bosnie-Herzégovine, nos 39446/06 et 33849/08, § 41, 7 juin 2011 – où la Cour a conclu, sur la base des conclusions de la Cour constitutionnelle et du CPT, qu’une annexe psychiatrique pénitentiaire n’était pas une institution appropriée pour la détention de patients atteints de troubles psychiques – et, mutatis mutandis, O.H., précité, § 88, – où la Cour a tenu compte de l’avis de la Cour constitutionnelle fédérale sur le point de savoir quelles institutions étaient appropriées pour les personnes placées en détention préventive).

203. Dans le cadre de la notion de « soins appropriés » aux fins de l’article 5, la Cour vérifie, conformément aux informations disponibles dans le dossier, s’il existe une prise en charge thérapeutique individualisée et spécialisée dans le traitement des troubles psychiques en question. Elle considère que des informations indiquant que les requérants avaient un accès à des professionnels de santé et à des médicaments peuvent attester que les intéressés n’ont pas été manifestement délaissés mais ne sont pas suffisantes pour lui permettre d’évaluer la mesure de la prise en charge thérapeutique (Oukili, précité, § 50, Moreels, précité, § 52, et Plaisier, précité, § 50 ; voir aussi, mutatis mutandis, pour des exemples de constats de « soins appropriés », Bergmann, précité, §§ 125-128, concernant un centre de détention préventive, et Papillo c. Suisse, no 43368/08, § 48, 27 janvier 2015, concernant une prison ordinaire). De surcroît, même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, elle ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à recouvrer sa liberté (De Schepper, précité, § 48, mutatis mutandis, O.H., précité, § 89, et Swennen, précité, § 80).

204. Enfin, la Cour a aussi précisé que dans le cas des délinquants atteints de maladies mentales, les autorités ont l’obligation de mettre en place des moyens permettant de préparer les personnes concernées à leur libération, par exemple en les encourageant à poursuivre la thérapie au moyen d’un transfert dans une institution où elles peuvent effectivement recevoir le traitement nécessaire, ou en leur accordant certaines facilités si la situation le permet (Lorenz, précité, § 61).

c)  Affinement des principes jurisprudentiels et précision du sens de l’obligation de soins incombant aux autorités

205. La Cour estime, eu égard aux observations des parties (paragraphes 171-186 ci-dessus) ainsi qu’à la jurisprudence actuelle (paragraphes 190-204 ci-dessus), qu’il y a lieu de préciser et d’affiner les principes de sa jurisprudence pour pouvoir tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles l’individu se trouve interné. Elle estime, au vu de l’évolution de sa jurisprudence et des standards internationaux actuels qui accordent un poids important à la nécessité de prendre en charge la santé mentale des personnes internées (paragraphes 116-119 ci‑dessus), qu’il faut reconnaître expressément, outre la fonction sociale de protection, la fonction thérapeutique du but visé par l’article 5 § 1 e) et, ainsi, l’existence d’une obligation pour les autorités d’assurer une prise en charge appropriée et individualisée, sur la base des spécificités de l’internement, telles que les conditions du régime, les soins proposés, ou encore la durée de la détention. En revanche, la Cour considère que l’article 5 tel qu’interprété aujourd’hui ne contient pas une interdiction de la détention fondée sur l’incapacité, à la différence de ce que propose le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU dans les points 6-9 de ses directives concernant l’article 14 de la CDPH de 2015 (paragraphe 117 ci-dessus).

206. Lors de l’examen des premières requêtes portées devant elle sur ce terrain, la Cour, comme évoqué ci-dessus, s’est interrogée sur la question de principe de savoir si et dans quelle mesure l’expression « détention régulière d’un aliéné » pouvait s’interpréter comme visant non seulement le simple fait de priver de liberté des malades mentaux, mais aussi les modalités d’exécution de l’internement telles que le lieu, le cadre et le régime de celui‑ci. Elle a estimé que la « détention » d’une personne comme malade mental ne serait « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroulait dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité, mais que le traitement ou régime adéquats ne relevaient pas, en principe, de cette disposition. Elle en a conclu que celle-ci ne permettait pas de déduire en tant que telle l’existence d’un droit pour le patient à un traitement adapté à son état (paragraphes 193 et 195 ci-dessus). Cependant, dans ces premières affaires, elle a posé une réserve à cette analyse en utilisant le terme « en principe ». Cette formulation démontre qu’elle n’excluait pas l’existence de situations particulières dans lesquelles le but de la mesure pour lequel la Convention autorise la restriction du droit à la liberté, à savoir la protection de la société et l’administration d’un traitement, ne serait plus vraiment poursuivi, et dans lesquelles, donc, le lien entre ce but et les conditions de détention serait rompu.

207. La Cour a ainsi été amenée à étendre la portée de l’article 5 § 1 e) au fil de sa jurisprudence (paragraphes 196-204 ci-dessus). Il y a eu en la matière non pas un revirement de jurisprudence mais une élaboration progressive, au fil du temps, d’une interprétation du sens à donner aux obligations contenues dans cette disposition.

208. L’analyse de cette jurisprudence, développée notamment au cours des quinze dernières années, démontre clairement qu’il faut aujourd’hui considérer qu’il existe un lien étroit entre la « régularité » de la détention des personnes atteintes de troubles psychiques et le caractère approprié du traitement de leur état de santé mentale. Si cette exigence n’apparaissait pas encore dans les premiers arrêts rendus dans ce domaine (Winterwerp, § 51, et Ashingdane, §§ 47 et 48, précités), d’où il ressortait que la fonction thérapeutique de l’internement n’était pas garantie comme telle sur le terrain de l’article 5, il est clair dans la jurisprudence récente que l’administration d’une thérapie adéquate est devenue une exigence dans le cadre de la notion plus large de « régularité » de la privation de liberté. Toute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental, y compris, le cas échéant, la réduction ou la maîtrise de la dangerosité. La Cour a souligné que quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant pour but de les préparer à une éventuelle libération (paragraphes 199 et 201 ci‑dessus).

209. Pour ce qui est de la portée des soins prodigués, la Cour estime que le niveau de traitement médical requis pour cette catégorie de détenus doit aller au-delà des soins de base. Le simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé approprié et, dès lors, satisfaisant au regard de l’article 5. Le rôle de la Cour n’est cependant pas d’analyser le contenu des soins proposés et administrés. Il importe qu’elle soit en mesure de vérifier l’existence d’un parcours individualisé tenant compte des spécificités de l’état de santé mentale de la personne internée dans l’objectif de préparer celle-ci à une éventuelle future réinsertion (paragraphe 203 ci‑dessus). Dans ce domaine, la Cour accorde aux autorités une certaine marge de manœuvre à la fois pour la forme et pour le contenu de la prise en charge thérapeutique ou du parcours médical en question.

210. Ensuite, l’analyse visant à déterminer si un établissement particulier est « approprié » doit comporter un examen des conditions spécifiques de détention qui y règnent, et notamment du traitement prodigué aux personnes atteintes de pathologies psychiques. Ainsi, les cas examinés au fil de la jurisprudence montrent qu’il est possible qu’une institution a priori inappropriée, telle une structure pénitentiaire, s’avère en l’espèce satisfaisante car elle fournit des soins adéquats (paragraphe 203 ci-dessus), et qu’à l’inverse, un établissement spécialisé en psychiatrie, qui, par définition, devrait être approprié, peut se révéler inapte à prodiguer les soins nécessaires (paragraphe 199 ci-dessus). Ces exemples permettent de conclure que l’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’« établissement approprié ». Cette conclusion découle du constat à présent inéluctable que la privation de liberté visée à l’article 5 § 1 e) a une double fonction : d’une part une fonction sociale de protection, d’autre part une fonction thérapeutique liée à l’intérêt individuel pour la personne aliénée de bénéficier d’une thérapie ou d’un parcours de soins appropriés et individualisés. La nécessité d’assurer la première fonction ne devrait pas a priori justifier l’absence de mesures visant à accomplir la seconde. Il s’ensuit que, au regard de l’article 5 § 1 e), une décision refusant de libérer une personne internée peut devenir incompatible avec l’objectif initial de détention préventive contenu dans la décision de condamnation si la personne concernée est privée de liberté parce qu’elle risque de récidiver mais qu’en même temps, elle ne bénéficie pas des mesures – telles qu’une thérapie appropriée – nécessaires pour démontrer qu’elle n’est plus dangereuse (Lorenz, précité, § 58, voir aussi, mutatis mutandis, sur le terrain de l’article 5 § 1 a), Ostermünchner, précité, § 74, H.W., précité, § 112, et Klinkenbuß, précité, § 47).

211. Enfin, la Cour estime que d’éventuelles conséquences négatives sur les chances d’évolution de la situation personnelle du requérant ne conduiraient pas nécessairement à un constat de violation de l’article 5 § 1, sous réserve que les autorités aient déployé des efforts suffisants pour surmonter tout problème entravant la thérapie du requérant.

d) Articulation de l’analyse des griefs tirés de l’absence alléguée de « soins appropriés » soulevés aussi bien en relation avec l’article 3 qu’avec l’article 5 § 1

212. Dans trois des affaires belges précitées (paragraphe 201 ci-dessus), les requérants avaient formulé des griefs tirés tant de l’article 3, que de l’article 5 § 1, dénonçant une absence de soins adaptés à leur état de santé et la Cour a constaté une violation de l’article 3 considérant que les conditions de détention sans de tels soins étaient constitutives de traitements dégradants (Claes, précité, § 100, Lankester, précité, § 68 et W.D., précité, § 116). Dans son examen des griefs sous l’angle de l’article 5 § 1, la Cour a opéré un rapprochement d’analyse des allégations sur le plan des deux dispositions conventionnelles. En effet, elle a conclu que l’internement des requérants pendant de longues périodes dans un environnement inapproprié en terme de soins médicaux au regard de l’article 3 avait également pour conséquence la rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle doit avoir lieu (Claes, précité, § 120, Lankester, précité, §§ 93-95 et W.D., précité, §§ 132-134). Par ailleurs, dans une série d’affaires contre l’Allemagne, la Cour a trouvé que des ailes de prison séparées ne représentaient pas des établissements appropriés au sens de l’article 5 § 1 e) en raison de l’absence d’environnement médical et thérapeutique nécessaire. La Cour est parvenue à cette conclusion après s’être livrée à un examen notamment des conditions de détention dans ces unités de prison en relevant le manque de traitement approprié à la condition mentale des détenus, sans pourtant avoir été saisie de griefs tirés de l’article 3 (voir, par exemple, O.H. c. Allemagne, no 4646/08, §§ 88‑91, 24 novembre 2011, B. c. Allemagne, no 61272/09, §§ 82-84, 19 avril 2012, S. c. Allemagne, no 3300/10, §§ 97-99, 28 juin 2012, et Glien c. Allemagne, no 7345/12, §§ 93-96, 28 novembre 2013).

213. Dans ce contexte, la Cour considère que lors de la vérification de la mise en place d’une thérapie médicale, l’intensité du contrôle de la Cour peut différer selon des allégations présentées sous l’angle de l’article 3 ou de l’article 5 § 1. En effet, la question du maintien du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, d’un côté, et celle de savoir si un seuil de gravité du traitement est atteint par ces conditions, de l’autre côté, sont d’une intensité différente. Cela implique qu’il pourrait y avoir des situations dans lesquelles un parcours thérapeutique peut correspondre aux exigences de l’article 3, mais ne pas être suffisant au regard du besoin de maintenir le but de l’internement et donc conduire à un constat de violation de l’article 5 § 1. Un constat de non‑violation de l’article 3 ne conduit dès lors pas automatiquement à un constat de non-violation de l’article 5 § 1, alors qu’un constat de violation de l’article 3 en raison de manque de soins appropriés pourrait aussi se traduire par un constat de violation de l’article 5 § 1 pour les mêmes motifs.

214. Cette articulation d’analyse des griefs similaires mais examinés selon l’une ou l’autre disposition, s’impose naturellement par l’essence même des droits protégés. La recherche d’un seuil pour la mise en jeu de l’article 3 garantissant un droit absolu est relative et dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (paragraphe 141 ci-dessus). Pour ce qui est de l’article 5 § 1 e), la privation de liberté est décidée, entre autres, en raison de l’existence d’un trouble mental. Afin que le lien entre le but de cette privation de liberté et les conditions d’exécution de la mesure soit maintenu, la Cour apprécie le caractère approprié de l’établissement, y compris ses capacités à fournir au malade les soins dont il a besoin (paragraphes 194-204 ci-dessus).

3. Application de ces principes au cas d’espèce

215. Il convient de noter d’abord que la situation du requérant se rapproche de celles exposées dans les quatre arrêts de principe (L.B., Claes, Dufoort, et Swennen, précités), l’arrêt W.D. et les huit autres arrêts concernant la Belgique précités (paragraphe 201 ci‑dessus). Elle s’en distingue par un seul aspect, à savoir le fait que le requérant n’est pas détenu dans une aile psychiatrique pénitentiaire, mais interné dans un établissement de défense sociale. Les requérants dans les affaires précitées étaient pour leur part en attente de transfert vers de tels établissements ou d’autres structures a priori adaptées à leur état de santé psychiatrique. Toutefois, le point décisif dans ces affaires était celui de savoir si les personnes concernées étaient placées dans un environnement permettant l’administration de soins adéquats, appropriés à la situation de leur état de santé, et individualisés de manière à leur offrir des perspectives réalistes de libération. La Cour estime que la question qui se pose en l’espèce est comparable. Elle examinera donc la présente affaire à la lumière de sa jurisprudence précitée telle qu’affinée, ainsi qu’au regard du contexte mis en lumière par les affaires belges susmentionnées. Elle note toutefois que la situation du requérant ne relève pas du problème structurel constaté dans ces autres affaires belges et ayant donné lieu à l’arrêt pilote W.D. précité.

216. En l’espèce en effet, le requérant se plaint de l’absence de soins et de thérapie psychiatriques adaptés à sa situation, avançant que le principal obstacle à la fourniture de tels soins est la barrière de la langue. Il est germanophone, et l’EDS de Paifve, où il est interné, ne proposait pas de soins psychiatriques administrés par des médecins parlant l’allemand. Le grief qu’il formule sur le terrain de l’article 5 présente de ce point de vue des similitudes avec celui qu’il fonde sur l’article 3, dans la mesure où il concerne également une absence de soins. La Cour renverra donc dans le cadre de l’examen de ce grief à l’analyse exposée ci-dessus quant au grief concernant l’article 3.

217. Elle observe d’abord qu’il ne fait pas controverse en l’espèce que le placement du requérant à l’EDS de Paifve constitue une mesure privative de liberté et que l’article 5 trouve à s’appliquer.

218. Cette mesure, mise en œuvre à partir du 21 janvier 2004, est fondée sur la décision d’internement rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance le 16 juin 2003 et confirmée par la cour d’appel de Liège le 1er août 2003, ainsi que sur la décision du ministre de la Justice en date du 15 janvier 2004. Ces décisions étaient motivées par la dangerosité et les troubles mentaux du requérant, qui avait été reconnu coupable de faits de vol et de violence sexuelle et faisait en outre l’objet de nouvelles poursuites pour des faits commis en détention (paragraphes 9, 10, 12 and 13 ci-dessus). Le requérant a été interné sans interruption, étant donné que ses demandes de libération ont toutes été rejetées et que sa privation de liberté a été maintenue (paragraphes 21, 30-37, 46 et 65 ci-dessus).

219. Les parties s’accordent à considérer la privation de liberté du requérant comme une mesure relevant de l’article 5 § 1 e) de la Convention. La Cour note que la décision d’internement rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance a été adoptée, sur le fondement de la législation de défense sociale, quelques mois avant la fin de la peine d’emprisonnement à laquelle le requérant avait été condamné par la cour d’appel de Liège et le tribunal correctionnel d’Eupen. Comme le précise la décision ministérielle, l’internement venait se substituer à la poursuite de l’exécution des peines infligées au requérant (paragraphes 10 et 12 ci‑dessus). Par conséquent, le placement du requérant à l’EDS de Paifve relevait de l’article 5 § 1 e) de la Convention (voir, parmi d’autres, L.B., précité, § 89). De plus, la Cour note que cette privation de liberté est constitutive d’une situation continue puisque le requérant a été interné sans interruption depuis le 15 janvier 2004.

220. La Cour observe ensuite qu’il n’est pas contesté non plus que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

221. Pour ce qui est de la régularité de la mesure d’internement, elle observe qu’à première vue les trois conditions de la jurisprudence Winterwerp (paragraphe 192 ci-dessus) sont réunies en l’espèce. En effet, le requérant souffre de troubles liés à une psychose paranoïde attestés médicalement depuis 2001. Les expertises médicales réalisées tout au long de la mesure d’internement révèlent une personnalité psychotique et paranoïaque représentant un danger social (paragraphes 149 ci-dessus). La dernière évaluation de l’état de santé du requérant, en date du 12 janvier 2017, a confirmé la nécessité de le maintenir en internement, en raison notamment de sa dangerosité et des risques de récidive qu’il présentait (paragraphes 12, 14, 21, 23 et 39 ci‑dessus). Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de remettre en question les conclusions des autorités internes quant à sa dangerosité.

222. Cela étant, la Cour estime, à la lumière des principes jurisprudentiels affinés en relation avec l’article 5 § 1 e), que l’examen de la régularité impose en outre de rechercher si tout au long de la mesure d’internement le but pour lequel celle-ci a été imposée a perduré. Plus précisément, il faut vérifier si le lien entre le motif initial de l’internement et le caractère approprié du traitement de l’interné a été maintenu : ce n’est qu’à cette condition que la privation de liberté pourra être considérée comme régulière. En l’espèce, eu égard aux allégations du requérant selon lesquelles il n’a pas bénéficié d’un traitement médical approprié, la Cour examinera la question du caractère approprié de l’établissement et, dans ce cadre, les éléments du parcours de soins offert au requérant. Elle recherchera si les soins fournis étaient propres à conduire à une amélioration de l’état de santé du requérant et une diminution de sa dangerosité, et à favoriser la perspective d’une libération.

223. Le Gouvernement soutient que compte tenu de son profil le requérant est interné dans un établissement approprié, et que malgré l’obstacle linguistique qui entrave sa communication avec le personnel soignant de Paifve, il a toujours bénéficié de soins adéquats depuis son placement en 2004.

224. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer in abstracto sur la capacité de l’EDS de Paifve à assurer un environnement de qualité pour les personnes internées. Le caractère approprié de cette institution doit être examiné au regard des circonstances particulières de l’espèce. L’EDS de Paifve est une structure de haute sécurité consacrée exclusivement à la prise en charge de malades mentaux, dotée de personnel médical psychiatrique et psychologique, et qui a par définition pour tâche d’assurer le suivi de la santé mentale des patients. Néanmoins, c’est aussi une institution ayant fait l’objet de critiques exprimées par la commission de surveillance de Paifve en novembre 2016 en relation avec des défaillances alléguées dans la prise en charge médicale (paragraphe 115 ci-dessus). Son analyse a été confirmée récemment par le CPT, qui a formulé dans son rapport du mois de mars 2018 de vives critiques concernant notamment un défaut de suivi thérapeutique adéquat. Selon le CPT, les défaillances constatées étaient à rapprocher de celles des annexes psychiatriques pénitentiaires qui avaient été examinées dans les affaires belges précitées (paragraphe 120 ci-dessus).

225. La Cour ne saurait spéculer sur la question de savoir si cet aspect critiqué de la prise en charge des patients de manière générale à l’EDS de Paifve a pu avoir une influence dans le cas concret du requérant, lequel ne se plaint pas des soins dispensés en général dans cet établissement.

226. En toute hypothèse, les allégations concrètes du requérant dans son cas précis sont que les autorités ont tardé et tardent encore à prendre les mesures adéquates qui s’imposent à son égard – c’est-à-dire à lui offrir l’accès à des soins psychiatriques et psychologiques –, au prétexte de l’absence de soignants aptes à communiquer en allemand. Pour répondre à la question du caractère approprié de l’EDS de Paifve en l’espèce, il convient de vérifier si les autorités belges ont déployé tous les efforts raisonnables en vue d’assurer une prise en charge thérapeutique appropriée et individualisée au requérant, dont elles considèrent qu’il présente un niveau de risque élevé (De Schepper, précité, § 48).

227. Comme pour le grief tiré d’une violation de l’article 3, la Cour considère que la situation litigieuse se répartit en deux périodes distinctes, eu égard aux faits récents et aux allégations formulées à cet égard par le requérant dans ses observations devant la Grande Chambre.

a) La privation de liberté du requérant du début 2004 au mois d’août 2017

228. La Cour ne saurait suivre l’analyse faite par le Gouvernement qu’en dépit du problème linguistique, le requérant a bénéficié des soins proposés à l’EDS de Paifve. Elle renvoie au raisonnement qui l’a conduite à conclure à la violation de l’article 3 au motif que le requérant n’avait pas bénéficié de soins adaptés à son état de santé au cours des treize années de détention (paragraphes 149-159 ci-dessus). Il est aussi apparent que le défaut d’accès aux soins en l’espèce est dû à un problème linguistique (paragraphes 153‑156 ci-dessus).

229. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer de façon générale sur les types de solutions qui auraient pu être jugées suffisantes pour répondre au besoin linguistique particulier du requérant afin qu’il puisse suivre un traitement adapté à son état de santé mentale. Les autorités internes jouissent à cet égard d’une certaine marge de manœuvre, qui leur permet de choisir les modalités de communication.

230. La Cour estime nécessaire de préciser également que l’article 5 § 1 e) ne garantit pas le droit pour la personne internée à bénéficier de soins dans sa langue (voir aussi paragraphe 151 ci-dessus). Elle note en l’espèce que même si l’allemand a le statut de langue officielle en Belgique, il est peu parlé dans la région où se trouve l’EDS de Paifve, à savoir la région linguistique française. Par ailleurs, la législation applicable n’exige pas de ce type d’établissements qu’ils emploient du personnel bilingue français/allemand (paragraphe 107 ci-dessus). Toutefois, la Cour se doit de relever que le droit du requérant à parler, à se faire comprendre et à être soigné en allemand a été explicitement reconnu par la CDS dans une décision du 13 octobre 2009 (paragraphe 26 ci-dessus). Dans ces conditions, elle s’étonne de l’allégation du Gouvernement selon laquelle il serait impossible d’assurer au requérant un traitement dans cette langue. Il est vrai que la CDS a constaté, le 26 janvier 2007, qu’il n’existait en Belgique aucun établissement à même de répondre à la fois au besoin linguistique du requérant et à son niveau de dangerosité (paragraphes 21 et 22 ci-dessus), et la Cour ne saurait mettre en cause ce constat – lequel demeure d’ailleurs pertinent compte tenu d’une part de ce que la situation du requérant est demeurée la même tout au long de sa privation de liberté et d’autre part de l’organisation du réseau des soins psychiatriques (paragraphes 29, 60 et 106-114 ci-dessus). Il ressort aussi des éléments du dossier que des recherches ont été engagées pour étudier les possibilités de traitement en Allemagne (paragraphe 25 ci-dessus). Les résultats de ces recherches ne figurent toutefois pas dans le dossier.

231. La Cour n’est pas insensible non plus au fait que malgré ces contraintes organisationnelles, la CDS a souligné le besoin impératif de soins en allemand à l’occasion des procédures engagées par le requérant au fil des années et indiqué des mises à disposition de psychiatres et de thérapeutes germanophones (paragraphes 18, 23, 25, 26 et 28 ci-dessus).

232. Cependant, la Cour ne peut que constater que ces indications et conclusions sont restées quasiment lettre morte. Ainsi, le 13 janvier 2010, la CDS a constaté que l’on ne pouvait espérer que le requérant obtienne des soins appropriés, que ce soit dans un établissement sécurisé ou dans un autre établissement. Le 29 avril 2010, elle a noté que le ministre de la Justice n’avait pas donné suite à l’interpellation qu’elle lui avait adressée pour qu’il intervienne et qu’il « dénonce » la situation du requérant (paragraphes 28 et 29 ci-dessus). Enfin, en 2014, la CDS a semblé se rallier à l’idée que l’absence de thérapie en allemand ne constituait pas un obstacle déterminant à une évolution positive, et elle s’est déclarée incompétente pour adresser des injonctions à l’administration ou sanctionner des actes ou défaillances de la part de celle‑ci à l’égard du requérant (paragraphes 40 et 41 ci-dessus).

233. Ce n’est qu’en septembre 2014 que des soins comprenant une communication en allemand ont pu être prodigués. Toutefois, il apparaît qu’ils n’ont pas été poursuivis au-delà de la fin de l’année 2015 (paragraphes 44, 51, 53 et 55 ci-dessus).

234. Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état de santé du requérant et l’échec de la prise en charge de celui-ci à son attitude et à son type de pathologie ; selon lui, l’absence de traitement en allemand n’en est pas le facteur déterminant.

235. La Cour ne saurait spéculer sur le point de savoir à quels résultats un traitement aurait abouti s’il avait été dispensé, pendant la période en cause, en allemand, comme le préconisait le rapport psychiatrique de 2005 (paragraphe 14 ci-dessus). Elle doit se borner à constater l’absence d’un tel traitement.

236. Pour ce qui est de l’attitude du requérant, la Cour n’est pas convaincue que celui-ci se soit comporté de manière à empêcher toute évolution de sa situation. S’il est vrai qu’en 2007 il refusait tout soin (paragraphe 21 ci-dessus), il est à relever que, dès sa deuxième demande de libération à l’essai en 2009, il a exprimé le désir de s’engager dans des démarches visant à faire évoluer son état. Ainsi, il a demandé qu’il soit imposé aux autorités concernées de lui offrir un traitement dans sa langue (paragraphes 23 et 27 ci-dessus). La Cour estime que cette demande raisonnable et appropriée eu égard au problème linguistique reconnu dans cette affaire, et qu’elle paraît prima facie correspondre à des « soins adaptés » au cas du requérant, compte tenu des multiples recommandations des psychiatres en ce sens ainsi que des troubles de la personnalité que présentait l’intéressé et de la faible conscience qu’il en avait (voir, mutatis mutandis, W.D., précité, § 131). Partant, compte tenu des demandes de soins et de libération formulées par le requérant, il appartenait aux autorités de trouver les moyens de résoudre le blocage lié à la communication entre ses soignants et lui (voir, mutatis mutandis, Lorenz, précité, § 64).

237. Ce que la Cour juge préoccupant à cet égard, c’est que dans les circonstances de la présente affaire, les autorités chargées du cas du requérant ont négligé, voire ignoré, le rôle évident que joue en matière de santé mentale le dialogue entre le patient et le thérapeute, dans une langue commune à l’un et à l’autre. Ce rôle a été souligné dans le rapport psychiatrique de 2014 (paragraphe 50 ci-dessus), et les besoins linguistiques du requérant ont été clairement énoncés dans les décisions des autorités internes. Les autorités n’ayant pas donné au requérant la possibilité de suivre un tel traitement, la Cour éprouve des difficultés à adhérer à l’argument selon lequel l’intéressé ne présentait pas de perspectives d’évolution positive, d’autant que le Gouvernement lui-même n’a pas complètement exclu une telle évolution (paragraphe 184 ci-dessus). Elle note d’ailleurs que l’obligation de soins n’est pas moindre lorsque l’état de la personne concernée peut être jugé incurable (paragraphe 197 ci-dessus).

238. De plus, la Cour note l’importance croissante qu’accordent aujourd’hui les instruments internationaux de protection des personnes atteintes de troubles mentaux au besoin pour les personnes internées par la contrainte de pouvoir bénéficier d’une prise en charge personnalisée et appropriée aux fins d’assurer le but thérapeutique de la privation de liberté. La Cour renvoie à cet égard à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (13 décembre 2006) ainsi qu’à la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Elle admet qu’il est naturel de concevoir que les personnes internées doivent recevoir, autant que possible, toutes les informations nécessaires au sujet des projets de traitement personnalisé proposés. Ainsi, la Cour note en particulier que l’exposé des motifs relatif à l’article 7 de cette recommandation attire l’attention sur l’importance du facteur linguistique comme moyen de communiquer les informations relatives au traitement. Négliger cet aspect pourrait placer les personnes concernées en situation de vulnérabilité (paragraphes 116‑118 ci‑dessus).

239. La Cour note également que depuis le 1er octobre 2016, la nouvelle loi relative à l’internement des personnes prévoit l’obligation de proposer aux personnes internées un trajet de soins.

240. Par ailleurs, la Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle la situation en l’espèce est semblable à celle de l’affaire De Schepper (arrêt précité). M. De Schepper était lui aussi jugé en état de dangerosité persistante. Cependant, les autorités avaient mis en place une pré-thérapie en prison, suivant les conseils des spécialistes, dans le but de le faire admettre dans un établissement spécialisé qui pourrait assurer la thérapie nécessaire. Le défaut d’admission dans un tel établissement était dû à l’absence d’évolution de l’état de l’intéressé malgré la pré-thérapie pratiquée, et à l’impossibilité thérapeutique pour les institutions contactées de le traiter au moment de la demande. À l’inverse, en l’espèce, même s’il n’existe pas en Belgique d’établissement qui corresponde au degré de dangerosité du requérant et où il pourrait recevoir une thérapie en langue allemande, force est de constater que, sauf pendant une courte période de septembre 2014 à fin 2015, aucun traitement n’a été mis en place dans le but de diminuer cette dangerosité dans l’institution choisie pour l’intéressé, sous prétexte que l’établissement ne dispose pas de personnel médical germanophone.

241. La conclusion qui s’impose inévitablement est celle que, malgré les constats répétés des autorités médicales et des autorités de défense sociale quant à l’importance pour le requérant de recevoir un traitement psychiatrique en langue allemande afin d’avoir une chance d’évoluer et de se réinsérer, il n’a pas été pris de mesures pour mettre en place un tel traitement. Force est de constater que l’absence d’une thérapie individualisée adaptée à son état de santé pendant environ treize ans a constitué une négligence considérable qui a entravé les potentialités d’évolution positive du requérant, si tant est qu’elles aient existé (voir, mutatis mutandis, O.H., précité, § 89). La Cour estime que, compte tenu d’une part du caractère indéterminé de la durée de la mesure privative de liberté et d’autre part de l’état de santé du requérant et des demandes qu’il a formulées aux fins d’obtenir des soins psychiatriques et psychologiques appropriés lui permettant un espoir de sortie, les démarches entreprises par les autorités se sont révélées insuffisantes pour la prise en charge thérapeutique de l’intéressé (paragraphe 226 ci-dessus). Le Gouvernement n’avance pas d’arguments suffisants pour justifier le délai de mise en place du traitement seulement en 2014, ni l’interruption des soins fin 2015. Les autorités belges ont entrepris des démarches sporadiques pour remédier à la situation du requérant, mais ces démarches ne se sont pas inscrites dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique ou d’un trajet de soins. De surcroît, le défaut de prise en charge thérapeutique du requérant semble d’autant plus injustifiable que celui-ci était capable de communiquer dans une langue qui est l’une des langues officielles de la Belgique : surmonter un problème lié à l’emploi de cette langue ne paraît donc pas irréaliste.

242. En conclusion, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’absence de traitement adapté à l’état de santé du requérant et l’absence de démarches effectives entre début 2004 et août 2017 par les autorités en vue d’assurer un tel traitement ont eu pour conséquence une rupture du lien entre le but de la privation de liberté et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu à l’EDS de Paifve, établissement ne pouvant dès lors être considéré comme approprié.

243. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 à raison de la manière dont a été exécutée la mesure privative de liberté depuis début 2004 jusqu’au mois d’août 2017.

b) La privation de liberté du requérant depuis le mois d’août 2017

244. La Cour estime que, pour ce qui est de cette seconde période, l’appréciation du respect de l’article 5 doit se faire à la lumière des changements intervenus dans la situation du requérant, tels que décrits dans le contexte de l’article 3. Eu égard aux principes rappelés ci-dessus et affinés, elle est d’avis que la principale question qui se pose est celle de savoir si l’ensemble de soins offert au requérant correspond à un parcours médical propre à constituer une prise en charge thérapeutique individualisée et spécialisée dans le traitement des troubles psychiques dont il souffre (paragraphes 205-210 ci-dessus).

245. La Cour renvoie à l’analyse des circonstances exposées par les parties quant à la période de soins débutant en août 2017 qu’elle a livrée sur le terrain de l’article 3 (paragraphes 160-166 ci-dessus). Elle rappelle qu’il ressort des éléments du dossier que les autorités ont fait preuve d’une volonté de faire évoluer la situation du requérant en mettant en place un cadre de suivi psychiatrique, psychologique et social dans un contexte linguistique approprié à ses capacités de communication, et que cette situation était en conformité avec les exigences de l’article 3 (paragraphe 167 ci-dessus).

246. La Cour est disposée à admettre l’argument du Gouvernement consistant à dire qu’étant donné que le requérant est jugé en capacité de discernement, le droit interne interdit qu’une mesure thérapeutique lui soit imposée contre son gré. L’exposé des motifs relatifs à l’article 17 de la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres affirme également le droit pour la personne internée de ne pas accepter les offres de traitement (paragraphe 119 ci-dessus). Toutefois, il est reconnu également que le requérant présente des troubles psychiques, qui motivent son internement, et que dès lors, par définition, son discernement est fragilisé. La Cour estime que ces circonstances peuvent rendre le requérant vulnérable, même s’il a la capacité de consentir ou non à son traitement (ibidem, voir en particulier l’exposé des motifs relatifs à l’article 7, point 56, de la recommandation). Compte tenu de cet aspect, l’obligation pour les autorités consiste toujours à tenter d’intégrer le requérant autant que possible dans un parcours médical individualisé susceptible de conduire à une amélioration de son état de santé. La Cour se réfère à ce sujet à l’article 12 de la même recommandation, qui préconise l’élaboration d’un plan de traitement personnalisé approprié, dans la mesure du possible après consultation de la personne concernée (paragraphe 118 ci-dessus). Cela étant, il faut également admettre que la personne de confiance ou le représentant légal du requérant, le cas échéant, a un rôle actif à jouer pour l’aider à exercer ses droits de consentir et de bénéficier d’un plan de traitement (voir l’exposé des motifs de la recommandation, en particulier quant à l’article 17, point 134, au paragraphe 119 ci-dessus).

247. La Cour accorde du poids au refus du requérant – qui a été représenté devant les autorités internes comme devant elle – d’accepter la collaboration entre la psychologue externe et l’équipe chargée d’établir une évaluation de ses perspectives de réinsertion, ce refus confrontant inévitablement les autorités compétentes en charge de sa situation à un obstacle sérieux.

248. Tout au long de son séjour à l’EDS de Paifve, le requérant s’est plaint de l’absence de soins en allemand et non des soins proposés dans cet établissement en tant que tels. Il revenait dès lors aux autorités de lui assurer un parcours thérapeutique individualisé en tenant compte notamment des particularités liées aux problèmes de communication entre lui et l’équipe soignante. En même temps, il ne peut s’agir d’imposer au requérant, apte à donner son consentement, un traitement médical mais d’offrir un éventail de mesures thérapeutiques et de réadaptation appropriées à sa situation individuelle. En l’espèce, la Cour constate qu’une série d’activités, en langue allemande, afin d’assurer une prise en charge adaptée aux troubles dont souffre le requérant lui ont été proposées à partir d’août 2017. En relèvent la mise à disposition d’une psychiatre, d’une psychologue et d’une assistante sociale germanophones. Elle voit dans cette offre une réponse des autorités à la demande particulière du requérant. Pour la Cour, les démarches entreprises sont de nature à faciliter la communication et la construction d’une relation de confiance. Elles peuvent dès lors être considérées prima facie suffisantes pour un suivi approprié, compte tenu également de la brièveté de la période examinée. Le requérant, assisté par ses représentants, n’a dès lors pas été laissé sans choix thérapeutique, de sorte qu’il ne peut être conclu que son placement ne poursuivait pas un but thérapeutique pendant cette période (voir l’exposé des motifs de la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres, en particulier quant à l’article 17, point 133, au paragraphe 119 ci-dessus).

249. Pourtant, le requérant semble maintenir ses allégations précédentes de manque de soins mais ne pas exploiter les possibilités qui lui sont offertes à présent. La Cour note à cet égard que la personne de confiance ou le représentant légal d’un interné peuvent jouer un rôle constructif dans l’établissement du plan de traitement (ibidem, point 134). Or, il n’apparaît pas des éléments disponibles dans le dossier que le requérant a coopéré avec le personnel médical pour l’élaboration du trajet de soins. Dans une telle situation, en l’absence d’informations – telles par exemple qu’un refus de la psychiatre germanophone de rencontrer le requérant et d’établir avec lui un projet thérapeutique selon ses besoins – indiquant que le suivi proposé par l’EDS de Paifve n’est pas efficace, et compte tenu du refus de l’intéressé d’associer la psychologue externe parlant sa langue au travail de l’équipe psycho-sociale interne, il est difficile de conclure à ce stade que l’État n’ait pas introduit les mesures nécessaires pour assurer au requérant un suivi approprié. Au contraire, rappelant qu’il ne lui appartient pas d’apprécier le contenu des soins particuliers proposés et tenant compte de la marge d’appréciation des États dans ce domaine (paragraphe 209 ci-dessus), la Cour est d’avis que le cadre thérapeutique mis en place, qui comprend des aspects aussi bien médicaux que sociaux aux fins de la préparation, dans la langue parlée par le requérant, de la réinsertion de celui-ci, démontre que des efforts suffisants ont, à ce stade, été entrepris par les autorités. Pour les mêmes raisons, elle considère que les autorités se sont efforcées dans la mesure du possible, conformément à l’article 12 de la Recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, d’intégrer le requérant dans l’élaboration du plan de traitement et d’obtenir son avis (paragraphes 118 et 246 ci-dessus).

250. Il apparaît ainsi que, en conformité avec l’exigence de soins thérapeutiques appropriés, les autorités ont adopté une approche multidisciplinaire et a priori cohérente, en s’efforçant de mettre l’accent sur la coopération entre les différents acteurs, et en veillant à ce que le « trajet de soins » du requérant soit individualisé compte tenu de ses besoins de communication et de sa pathologie.

251. Au vu de ce qui précède et compte tenu notamment de l’attitude affichée par l’intéressé, assisté par ses représentants face à l’ensemble des soins proposé, la Cour conclut que l’obligation de moyens qui pèse sur l’État a été remplie.

252. Ainsi, eu égard notamment aux efforts significatifs déployés par les autorités pour offrir au requérant un accès à des soins a priori cohérents et adaptés à sa situation, de la brièveté de la période pendant laquelle elles ont eu l’occasion de mettre en œuvre ces mesures de soins, ainsi que du fait que le requérant ne s’y montre pas toujours réceptif, la Cour peut conclure que le suivi médical désormais disponible correspond au but thérapeutique de l’internement du requérant. Il s’ensuit pour la Cour que, pour ce qui est de cette période d’internement du requérant à l’EDS de Paifve, il existe un lien entre le but de la privation de liberté et les conditions de son exécution.

253. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention pour ce qui est de la période postérieure au mois d’août 2017.

4. Conclusion

254. La Cour conclut que la privation de liberté du requérant au cours de la période du début 2004 au mois d’août 2017 ne s’est pas déroulée selon les exigences de l’article 5 § 1 dans un établissement approprié capable de lui assurer des soins adaptés à son état de santé.

255. En revanche, il apparaît à la Cour que les autorités compétentes ont tiré les conclusions de l’arrêt de chambre du 18 juillet 2017 et ont mis en place un ensemble de soins permettant de conclure à une non violation de cette disposition pour la période après le mois d’août 2017.

Toutefois, elle estime opportun de souligner l’importance pour les autorités de s’assurer, compte tenu de la vulnérabilité du requérant et de ses capacités amoindries à prendre des décisions en dépit d’être considéré comme capable de discernement sur le plan formel en droit interne, que toutes les initiatives nécessaires soient prises, à moyen et à long terme, pour la réalisation d’une véritable prise en charge, englobant des soins psychiatriques, un suivi psychologique et un accompagnement social, en conformité avec les exigences de l’article 5 § 1 e) de la Convention, afin de lui offrir l’espoir d’une future libération.

Arrêt de chambre Rooman C. Belgique du 18 juillet 2017 requête 18052/11

Violation de l'article 3 car le requérant a été interné sans être soigné correctement mais non violation de l'article 5-1 car il était enfermé en raison de sa maladie mentale et que la CEDH a condamné sous l'angle de l'article 3

Article 3 :

1. Principes généraux applicables

82. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la responsabilité des États de fournir des soins de santé aux personnes en détention en général et aux personnes détenues présentant des troubles mentaux en particulier énoncés dans les arrêts Bamouhammad c. Belgique (no47687/13, §§ 115-123, 17 novembre 2015) et Murray c. Pays-Bas ([GC], no10511/10, §§ 105-106, CEDH 2016), respectivement.

2. Application au cas d’espèce

83. La Cour constate que l’existence de problèmes de santé mentale à l’origine de l’internement du requérant n’est pas contestée. Il fut interné sur la base de plusieurs rapports médicaux attestant qu’il était affublé d’une personnalité narcissique et paranoïde et qu’il souffrait d’un état grave de déséquilibre mental le rendant incapable de contrôler ses actions. De ce fait, le requérant est détenu à l’EDS de Paifve depuis le 21 janvier 2004 sans interruption.

84. Le requérant explique que, tout au long de son internement, il n’a bénéficié d’aucune prise en charge thérapeutique de ses problèmes de santé mentale. La Cour note qu’à la différence d’autres affaires soulevant des griefs similaires qu’elle a déjà eu à trancher (voir, par exemple, Claes, précité, et Lankester c. Belgique, no22283/10, 9 janvier 2014), le requérant ne se plaint pas du fait que l’établissement de Paifve en tant que tel n’est pas adapté à son état de santé mentale et à son profil. Il se plaint que lui en particulier ne bénéficie d’aucune prise en charge au motif que l’établissement où il est interné, situé dans la région de langue française de Belgique, ne dispose d’aucun personnel soignant parlant l’allemand, une des langues officielles en Belgique et seule langue qu’il maîtrise. De ce fait et de l’absence de toute perspective de voir la situation évoluer, il en a résulté, selon le requérant, une détérioration de son état de santé mentale.

85. Le Gouvernement ne conteste pas l’absence de personnel médical de langue allemande au sein de l’établissement de Paifve ni la difficile prise en charge thérapeutique des problèmes de santé mentale du requérant. Toutefois, il fait valoir qu’il n’y a pas de lien de causalité entre ces deux éléments. Les raisons de cette dernière carence sont dues, selon lui, au type de pathologie dont souffre le requérant et à son manque de collaboration avec l’équipe soignante et de proactivité envers le service psycho-social de l’établissement. Il souligne également que les problèmes linguistiques n’empêchent pas l’administration, par ailleurs, de soins nécessités par les problèmes de santé physique dont souffre le requérant. De plus, le requérant n’est pas privé de toute forme de communication ni laissé sans suivi puisqu’il rencontre régulièrement un infirmier et une assistante sociale parlant allemand.

86. La Cour ne saurait suivre la thèse du Gouvernement. Tous les éléments du dossier tendent au contraire à démontrer que la raison principale, sinon l’unique, du défaut de prise en charge thérapeutique de l’état de santé mentale du requérant est l’impossible communication entre le personnel soignant et le requérant. À plusieurs reprises, les demandes de mise en liberté du requérant ont, régulièrement, été remises par la CDS en raison de la difficulté de commencer une thérapie du fait du problème linguistique (voir paragraphes 13 et 16, ci-dessus). Il est, de plus, question depuis 2006 de rechercher une prise en charge thérapeutique en dehors de l’établissement de Paifve qui serait effectuée en allemand (voir paragraphes 13, 18-19, 22-23 ci-dessus). Dans plusieurs rapports, la CDS et les professionnels qui ont rencontré le requérant ont attesté que la prise en charge thérapeutique se heurtait à la seule langue comprise et parlée par le requérant et que l’absence d’évolution du requérant résultait de l’absence de soins. Le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et le tribunal même ont également constaté que c’était l’absence de dispense de soins en allemand qui limitait l’accès effectif aux soins normalement disponibles (voir paragraphes 45 et 49, ci-dessus).

87. Le requérant a pu certes rencontrer au cours de sa détention du personnel qualifié parlant allemand. Toutefois, comme l’a souligné la CDS elle-même, ces contacts, qu’il s’agisse des experts à la prison de Verviers ou l’infirmier et l’assistante sociale parlant allemand à Paifve, n’avaient pas de visée thérapeutique (voir paragraphes 17-18, et 22- 26, ci-dessus). Seul l’accès à un psychologue extérieur parlant allemand entre mai et novembre 2010 (voir paragraphe 45, ci-dessus) s’inscrit dans la ligne de défense du Gouvernement ; toutefois, outre que rapportées à la durée totale de la détention, ces consultations ne peuvent être analysées en une véritable prise en charge, la Cour relève qu’il y a été mis fin pour défaut de paiement des frais et honoraires par l’État.

88. Ensuite, le Gouvernement affirme que le requérant est resté en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations et n’indique pas quels soins ne lui sont pas administrés ou proposés.

89. La Cour n’a pas la même analyse de la situation. Elle note que le requérant s’est référé devant les instances de défense sociale au défaut de prise en charge thérapeutique et à l’impact sur son état de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer (voir paragraphe 24, ci-dessus). Elle rappelle de plus avoir écarté à de multiples reprises une telle approche formaliste et souligné qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient compatibles avec les exigences de l’article 3 dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Claes, précité, § 93, Murray, précité, § 106, et W.D. c. Belgique, no73548/13, § 105, 6 septembre 2016).

90. La Cour ne sous-estime pas les démarches entreprises par les instances de défense sociale pour trouver une solution au cas particulier du requérant (voir paragraphes 21 et 23, ci-dessus). Toutefois, ces démarches se sont heurtées à l’absence de prise de mesures adéquates par l’administration pour faire évoluer la situation. Il a en effet fallu attendre la décision de la CSDS et l’ordonnance du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles en 2014 (voir paragraphes 40 et 45, ci‑dessus) pour que des mesures concrètes, préconisées depuis des années, soient prises avec la mise à disposition d’une psychologue parlant allemand. Il semble toutefois que cette mise à disposition a cessé à la fin de 2015 (voir paragraphe 47, ci-dessus).

91. Dans ces conditions, et tenant compte en particulier de ce que l’allemand est une des trois langues officielles en Belgique, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant. Son maintien à l’EDS de Paifve sans espoir réaliste de changement, sans encadrement médical approprié et pendant treize ans constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

92. Quelles que soient les entraves, soulignées par le Gouvernement, que le requérant ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime que celles-ci ne dispensaient pas l’État de ses obligations vis-à-vis du requérant.

93. Dans ces circonstances, et ainsi que le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et le tribunal même l’ont également constaté dans respectivement l’ordonnance du 10 octobre 2014 et le jugement du 9 septembre 2016 (voir paragraphes 45 et 49, ci-dessus), la Cour conclut à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant dans les conditions examinées ci-dessus pendant une période allant du 21 janvier 2004, date de son placement à l’EDS de Paifve à ce jour, à l’exception de deux périodes, entre mai et novembre 2010 et entre juillet 2014 et fin 2015, durant lesquelles fut mise à sa disposition une psychologue germanophone. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Article 5-1

99. La Cour renvoie aux quatre arrêts de principe qu’elle a adoptés en ce qui concerne la situation en Belgique de l’internement des délinquants souffrant de troubles mentaux et dans lesquels elle expose les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence permettant d’évaluer la régularité de la privation de liberté et du maintien en détention d’une personne atteinte de troubles mentaux (L.B. c. Belgique, précité, §§ 91-94, Claes, précité, §§ 112-115, Dufoort c. Belgique, no43653/09, §§ 76, 77 et 79, 10 janvier 2013, Swennen c. Belgique, no53448/10, §§ 69‑72, 10 janvier 2013 ; voir également Papillo c. Suisse, no43368/08, §§ 41-43, 27 janvier 2015).

100. En l’espèce, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que l’internement a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

101. La Cour rappelle que, pour qu’une détention puisse être considérée comme « régulière », il faut notamment qu’il existe un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de la détention (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no13229/03, § 69, CEDH 2008, et Stanev c. Bulgarie [GC], no36760/06, § 147, CEDH 2012).

102. Elle constate ensuite qu’à la différence des affaires de principe précitées (voir paragraphe 99, ci-dessus), le requérant est détenu dans un établissement de défense sociale a priori adapté tant à son état de santé mentale qu’à sa dangerosité (paragraphe 52, ci-dessus).

103. La Cour a également constaté, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, qu’il n’y a pas été entouré de soins appropriés et s’est trouvé confiné pendant treize ans dans des conditions inappropriées qu’elle considère contraires à l’article 3 (paragraphe 93, ci‑dessus). Cela étant, la Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle, pourvu que la détention d’une personne comme malade mental ait lieu dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié, le caractère adéquat du traitement ou du régime ne relève pas de l’article 5 § 1 e) de la Convention (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 51, série A no 33, Ashingdane, précité, § 44, et Stanev, précité, § 147). En l’espèce, il y a eu toujours un lien entre le motif de l’internement et la maladie mentale du requérant. L’absence de soins appropriés, pour des raisons qui sont en l’espèce étrangères à la nature même de l’établissement dans lequel le requérant a été détenu, n’a pas rompu ce lien et n’a pas rendu la détention irrégulière (voir Ashingdane, précité, § 49).

104. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1.

KADUSIC c. SUISSE du 9 janvier 2018 requête 43977/13

Article 5 § 1 : Le requérant a été interné dans des lieux non conformes pour soigner ses troubles mentaux, sur la foi d'expertises trop anciennes. La Cour rappelle que l'auteur n'a subi les premiers traitements que sept ans après son incarcération. La prolongation de sa détention après l'exécution de sa peine n'est pas conforme à la Conv EDH.

a) Rappel des principes pertinents

38. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soit aussi ; une privation de liberté peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’un alinéa (M. c. Allemagne, no 19359/04, § 86, CEDH 2009, et Silva Rocha c. Portugal, 15 novembre 1996, § 27, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V ; Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, § 62, 11 mai 2004).

39. Par la notion de « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention, il faut entendre à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement d’une infraction et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, série A no 50, et M. c. Allemagne, précité, § 87). L’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre la condamnation et la mesure, mais un lien de causalité suffisant.

40. Le lien de causalité exigé par l’alinéa a) peut néanmoins finir par se rompre au cas où une décision de ne pas libérer ou de réincarcérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale (de la juridiction de jugement) ou sur une appréciation non raisonnable eu égard à ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 (M. c. Allemagne, précité, § 88, Van Droogenbroeck, précité, § 40, Eriksen c. Norvège, 27 mai 1997, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III et Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 49, série A no 114).

41. Selon l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention, la détention d’une personne peut se justifier « lorsqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ». La mesure ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne, mais a seulement pour but d’empêcher une infraction concrète et déterminée (idem, §§ 89 et 102).

42. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux dans le sens de l’article 5 § 1 e), un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33), § 39, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X, et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

43. À ce propos, aucune privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l’article 5 de la Convention si elle a été décidée sans que l’avis d’un médecin expert ait été demandé. Toute autre approche reste en deçà de la protection requise contre l’arbitraire (Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 57, 14 décembre 2006, et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 67, 19 juin 2012). Concernant les qualifications du médecin expert, la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle pour les apprécier (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010, Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010, et Biziuk v. Pologne (no 2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012). Toutefois, elle a déjà relevé que, dans certains cas particuliers, et notamment lorsque la personne internée n’avait pas d’antécédents de troubles psychiques, il était indispensable que l’évaluation fût menée par un expert psychiatre (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 29, série A no 75, C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010, et Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 47, 26 mai 2011).

44. En outre, l’expertise doit être suffisamment récente pour permettre aux autorités compétentes d’apprécier la condition clinique de la personne concernée au moment où la légalité de la détention est examinée. Dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 50, 12 juin 2003), par exemple, la Cour a considéré qu’une expertise psychiatrique datant d’un an et demi ne suffisait pas à elle seule pour justifier une mesure privative de liberté (voir également, mutatis mutandis, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 114, 19 septembre 2013).

45. Enfin, il doit exister un certain lien entre le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et les lieu et régime de la privation de liberté. En principe, la « détention » d’une personne en tant que malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 de la Convention que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (Aerts c. Belgique, no 25357/94, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 49, CEDH 2003‑IV, Haidn c. Allemagne, no 6587/04, § 78, 13 janvier 2011, et O.H. c. Allemagne, no 4646/08, 24 novembre 2011).

b) Application des principes susmentionnés

46. À la lumière des principes susmentionnés, la Cour doit trancher la question de savoir si, au cours de sa détention subie après le 22 août 2012 – date de l’arrêt du tribunal d’appel ordonnant la mesure thérapeutique institutionnelle et suspendant la durée de la peine restant à exécuter –, le requérant a été privé de sa liberté conformément à l’un ou plusieurs des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle exclut d’emblée que la mesure litigieuse soit assimilable à une privation de liberté relevant de l’alinéa c) de ladite disposition.

47. La Cour estime que la présente affaire est particulière dans la mesure où les autorités suisses ont, dans le cadre d’une procédure à laquelle ont été appliquées par analogie les règles sur la révision d’un jugement pénal (article 65 § 2 CP), soumis le requérant à une mesure thérapeutique institutionnelle qui n’était pas initialement prévue par ledit jugement. La mesure litigieuse a été ordonnée en application de l’article 59 du CP, qui prévoit ce type de mesures pour les auteurs d’infractions souffrant de graves troubles mentaux.

48. La Cour considère dès lors approprié d’examiner la question de savoir si cette mesure se justifiait au regard de l’article 5 § 1 d’abord en vertu de l’alinéa a). La Cour doit alors rechercher d’abord si la mesure litigieuse est intervenue « après condamnation » du requérant, autrement dit s’il existe un lien de causalité suffisant entre la condamnation du requérant prononcée le 27 mai 2005 et confirmée le 12 janvier 2007, d’une part, et la mesure litigieuse, ordonnée par le tribunal d’appel le 22 août 2012, d’autre part.

49. À cet égard, la Cour rappelle que le tribunal pénal a condamné le requérant à une peine de réclusion de huit ans par un jugement du 27 mai 2005, qu’à la suite de ce jugement l’intéressé a été transféré dans l’établissement pénitentiaire Bostadel pour purger sa peine (paragraphe 6 ci‑dessus) et que ce jugement ne prévoyait aucune mesure thérapeutique, ni ambulatoire ni institutionnelle. Elle relève que les parties s’accordent sur ce point et que la peine d’emprisonnement arriva à son terme en mars 2013. La Cour en conclut que, dans la mesure où l’arrêt du 22 août 2012 a remplacé le jugement initial, ou a pour le moins suspendu son exécution, la privation de liberté du requérant à partir du 22 août 2012 ne pouvait plus être couverte par le jugement initial.

50. La Cour est a priori prête à accepter, comme le prétend le Gouvernement, que le prononcé de la mesure thérapeutique est une correction du jugement initial à la suite de la découverte de faits pertinents nouveaux et que le fait selon lequel la mesure thérapeutique ait été ordonnée dans le cadre d’une procédure de révision quant à la sanction imposée par un jugement antérieur peut constituer un lien de causalité entre la condamnation initiale et la mesure litigieuse, comme exigé par la jurisprudence pertinente de la Cour quant à l’alinéa a) de l’article 5 § 1.

51. En même temps, la Cour rappelle que le lien de causalité exigé par l’alinéa a) peut néanmoins finir par se rompre au cas où une décision de ne pas libérer ou de réincarcérer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visés par la décision initiale ou sur une appréciation non raisonnable eu égard à ces objectifs. En pareil cas, un internement régulier à l’origine se muerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l’article 5 (M. c. Allemagne, précité, § 88 ; paragraphe 40 ci-dessus, avec d’autres références).

52. La Cour rappelle que le droit suisse est particulier dans le sens où il permet d’appliquer des mesures thérapeutiques institutionnelles sur la base d’une procédure sur laquelle s’appliquent les règles sur la révision (65 § 2 CP) s’il s’avère qu’il y a lieu d’adapter le jugement initial à la suite de la découverte d’un fait pertinent nouveau. Elle estime dès lors approprié, pour la question de savoir si la privation de liberté est intervenue arbitrairement, de prendre en compte des éléments qui relèvent a priori plus de l’alinéa e) dans l’analyse de la justification de la mesure en vertu de l’alinéa a) de l’article 5 § 1.

53. S’agissant du cas d’espèce, la Cour observe que la mesure litigieuse était ordonnée par arrêt du 22 août 2012, à savoir plus de sept ans après la condamnation initiale du requérant (27 mai 2005) et seulement sept mois avant sa libération prévue pour mars 2013. Même si cet ordre chronologique et le laps du temps considérable écoulé entre la condamnation initiale du requérant et l’imposition de la mesure litigieuse à son encontre ne sont pas seuls déterminants pour la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 5 dans le cas d’espèce, ceux-ci sont néanmoins des indices à prendre en compte dans l’appréciation par la Cour de l’ensemble des circonstances pertinentes.

54. La Cour rappelle, ensuite, que le docteur R. A., psychiatre et psychothérapeute, après avoir examiné en personne le requérant, a rédigé une expertise psychiatrique, le 24 septembre 2008, dans laquelle il posait le diagnostic de troubles de la personnalité de caractère paranoïde et narcissique de degré moyen (selon la Classification internationale des maladies [CIM-10 ou ICD‑10] de l’Organisation mondiale de la santé), avec pleine responsabilité pénale (paragraphe 9 ci‑dessus), et que ces conclusions ont ultérieurement été confirmées par un rapport complémentaire de la professeure A. E. en date du 30 juin 2010, rédigé également après examen du requérant. Enfin, avant de rendre son arrêt du 22 août 2012, le tribunal d’appel avait adressé une demande de renseignements à la professeure A. E. Dans sa réponse du 25 juin 2012, celle-ci avait affirmé que, étant donné le genre, la gravité et la complexité du trouble mental présenté par le requérant, seule une mesure institutionnelle était susceptible de tenir compte, de manière adéquate, des exigences thérapeutiques. La Cour constate que la question posée à l’expert était limitée, ayant en particulier trait aux institutions appropriées pour le requérant.

55. Compte tenu de ce qui précède, entrent en ligne de compte l’expertise psychiatrique du docteur R. A. en date du 24 septembre 2008, et le rapport complémentaire de la professeure A.E. en date du 30 juin 2010. Or, la mesure litigieuse ayant été décidée par le tribunal d’appel le 22 août 2012, à savoir presque deux ans et deux mois après l’établissement du rapport complémentaire et presque 3 ans et 11 mois après l’expertise de la professeure R. A., la Cour estime qu’il s’agit des laps de temps excessifs (voir, par exemple, les arrêts Herz, précité, § 50, et Yaikov c. Russie, no 39317/05, § 64, 18 juin 2015, dans lesquels la Cour a jugé excessif un laps de temps d’un an et demi).

56. Par ailleurs, la Cour note que, par un courrier du 25 juin 2012, la professeure A. E. a indiqué que les centres pénitentiaires de Thorberg et de Pöschwies disposaient de services de thérapie (« Therapieabteilungen ») au sens de l’article 59 § 3 du CP et qu’il convenait d’en tenir compte. Or, dans sa requête introduite le 1er juillet 2013, le requérant a indiqué qu’il était incarcéré à la prison Bostadel, à Menzingen. L’intéressé a également informé la Cour, par une lettre du 26 mai 2016, qu’il se trouvait toujours à la prison Bostadel. Le Gouvernement n’a pas contesté ce point, et il n’a pas non plus soutenu que le requérant avait été ultérieurement transféré dans l’un des deux établissements cités par la professeure.

57. Dès lors, la Cour, rappelant l’article 62c) du code pénal selon lequel la mesure litigieuse doit a priori être levée s’il n’y a pas ou plus d’établissement approprié (paragraphe 24 ci-dessus), conclut que le requérant n’est pas soigné dans un milieu adéquat compte tenu de son trouble mental. La Cour estime par ailleurs que le refus du requérant de se soumettre à un traitement psychiatrique quelconque ne peut pas justifier l’inadéquation de son lieu de placement depuis des années.

58. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la mesure litigieuse, qui a été imposée seulement vers la fin de l’exécution de la peine initiale et qui reste en vigueur jusqu’à aujourd’hui, ne se fondait pas sur des expertises suffisamment récentes et que le requérant se trouve, depuis plus de quatre ans et demi après l’expiration de sa peine d’emprisonnement (mars 2013), dans une institution manifestement inadaptée aux troubles dont il souffre. Il s’ensuit que la privation du requérant subie à la suite de l’arrêt du 22 août 2012 n’était pas compatible avec les objectifs de la condamnation initiale.

59. Essentiellement pour les mêmes raisons, la partie défenderesse ne peut pas se prévaloir de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, dont les conditions d’application sont analogues comme exposées ci-dessus (paragraphes 42-45 ci‑dessus).

60. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

PARASCINETI C. ROUMANIE requête 32060/05 du 13 mars 2012

Conditions inhumaines et dégradantes d’un internement psychiatrique en Roumanie

47.La Cour examinera le présent grief à la lumière des principes bien établis en matière d’interdiction des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance (voir, entre autres, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, § 55, 19 janvier 2010).

48.  Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, un traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). Bien que le but du traitement soit un élément à prendre en compte, pour ce qui est de savoir en particulier s’il visait à humilier ou rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Peers, précité, § 74).

49.  L’État doit s’assurer que toute personne privée de sa liberté – y compris les personnes internées involontairement pour des raisons de santé psychique – est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté et que, eu égard aux exigences pratiques de l’internement, la santé et le bien-être du malade sont assurés de manière adéquate (mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 86).

50.  En particulier, pour apprécier la compatibilité avec les exigences de l’article 3 des conditions offertes à une personne privée de liberté, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et aussi de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets de ces conditions sur leur personne (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil 1998-V).

51.  Les personnes atteintes de troubles mentaux risquent incontestablement de se sentir davantage en situation d’infériorité et d’impuissance. C’est pourquoi une vigilance accrue s’impose dans le contrôle du respect de la Convention. S’il appartient aux autorités médicales de décider – sur la base des règles reconnues de leur science – des moyens thérapeutiques à employer pour préserver la santé physique et mentale des malades incapables d’autodétermination et dont elles ont donc la responsabilité, ceux-ci n’en demeurent pas moins protégés par l’article 3 (Sławomir Musiał, précité, § 96).

52.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant se plaint notamment du surpeuplement et des très mauvaises conditions d’hygiène auxquels il aurait été confrontés durant son séjour d’une semaine dans la section de psychiatrie de l’hôpital municipal de Sighetu Marmaţiei.

A cet égard, elle considère que les observations présentées par le Gouvernement au sujet de la situation dans le service de psychiatrie de l’hôpital de Sighetu Marmaţiei à l’époque où le requérant a été interné, qui vont dans le même sens que les constats faits par le CRJ en 2009, fournissent une base suffisante pour étayer le grief. En outre, le Gouvernement n’a pas été en mesure de fournir les documents, tels la feuille d’internement ou la feuille d’observation clinique (voir le paragraphe 35 ci-dessus), qui auraient pu fournir des indications quant aux conditions d’internement du requérant, notamment quant aux éventuelles affections qu’il a pu accuser durant son internement.

Enfin, le requérant a donné une description détaillée et cohérente de ce dont il a souffert pendant la période de son internement (voir a contrario Aerts, précité, § 66).

53.  La Cour estime que, déjà inadéquates pour toute personne privée de sa liberté (voir Colesnicov, précité, §§ 46 et 83), ces conditions l’étaient encore davantage pour une personne comme le requérant, chez qui un diagnostic de troubles mentaux avait été posé et, par conséquent, avait besoin non seulement d’un traitement spécialisé, mais aussi de conditions d’hygiène minimales. La Cour reconnaît que la nature même de l’état de santé du requérant le rendait plus vulnérable et que son internement dans les conditions susmentionnées a pu aggraver dans une certaine mesure son sentiment de détresse et d’angoisse, nonobstant la durée limitée de son internement. La Cour est déjà arrivée à des constats de violation en présence de conditions particulièrement mauvaises, voire inappropriées, de détention nonobstant la durée brève de cette détention, dans les affaires Koktysh c. Ukraine, no 43707/07, §§ 93-95, 10 décembre 2009, et Gavrilovici c. Moldova, no 25464/05, §§ 30 et 43, 15 décembre 2009 (a contrario, Gorea c. Moldova, no 21984/05, §§ 48-51, 17 juillet 2007, et Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 42, 15 janvier 2004).

54.  En ce qui concerne l’absence de lit individuel, la Cour note que le requérant était atteint d’une déficience fonctionnelle grave, de nature permanente ; que l’on avait suspecté chez lui d’autres maladies pour lesquelles il avait été hospitalisé dans le service d’endocrinologie de l’hôpital départemental de Baia Mare au moment de son internement. De ce fait, les mauvaises conditions d’hygiène dénoncées ont été encore plus difficiles à supporter. A cela s’ajoutent les sentiments d’humiliation et de rabaissement, ressentis par le requérant du fait qu’il a dû dormir dans le même lit que d’autres malades internés dans la section de psychiatrie, sans aucune considération pour les risques engendrés, y compris ceux de transmission des maladies contagieuses, dont la présence était reconnue par l’hôpital même.

55.Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 3 de la Convention.

CLAES c. BELGIQUE du 10 janvier 2013 Requête 43418/09

88.  La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la responsabilité des Etats quant aux soins de santé des personnes en détention en général tels qu’ils se trouvent énoncés dans l’arrêt Cara-Damiani c. Italie (no 2447/05, §§ 65 à 68, 7 février 2012) et quant aux soins de santé des personnes détenues présentant des troubles mentaux en particulier tels qu’ils sont énoncés notamment dans les arrêts Rivière c. France (no 33834/03, §§ 59 à 63, 11 juillet 2006) et Sławomir Musiał c. Pologne (no 28300/06, §§ 85 à 88, 94 et 96, 20 janvier 2009).

89.  En l’espèce, la Cour constate que nul ne conteste l’existence des problèmes de santé du requérant, à savoir des troubles de comportement sévères et chroniques (paragraphe 12) diagnostiqués par un médecin psychiatre dès 1977 (paragraphe 6). Le requérant présente de sérieuses déficiences mentales et est considéré par les autorités comme souffrant d’un « handicap mental » (paragraphe 14).

90. Elle constate que le requérant a été en détention continue en annexe psychiatrique depuis 1994 à l’exception d’une interruption entre septembre 2009 et juin 2011. De 1994 à 2009, il était à la prison de Merksplas et depuis 2011, il est détenu à l’annexe psychiatrique de la prison de Louvain.

91.  Le requérant explique qu’en dehors de l’accès au psychiatre ou psychologue de la prison, aucune thérapie ni surveillance médicale particulière ne fut jamais prescrite à son endroit. Il est resté dans un pavillon ordinaire et a tenté en vain de faire venir la CDS sur son lieu de détention pour en vérifier les conditions et leur caractère inapproprié.

92.  Une controverse existe entre les parties en ce qui concerne le passage du requérant à la section sécurisée « De Haven » (paragraphe 37). Etant donné que ce séjour aurait été de deux mois tout au plus, la Cour n’y voit pas un élément déterminant dans son appréciation de la situation.

93.  Le raisonnement du Gouvernement laisse penser que le requérant serait en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations. A ce sujet, la Cour rappelle avoir déjà écarté une approche aussi formaliste (Elefteriadis c. Roumanie, no 38427/05, § 54, 25 janvier 2011) et avoir souligné à de multiples reprises qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient incompatibles avec les exigences de l’article 3, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Aerts, précité, § 66, Keenan c. Royaume-Uni, n27229/95, § 111, CEDH 2001-III, Rivière, précité, § 63).

94.  En tout état de cause, en l’espèce, la Cour note que rien dans les rapports établis par les médecins et le service psycho-social ne vient étayer la nature de l’encadrement thérapeutique du requérant à la prison de Merksplas. De même, devant elle, le Gouvernement reste en défaut de démontrer qu’un traitement approprié à la pathologie du requérant lui ait été prodigué.

95.  Les seuls éléments concrets dont dispose la Cour relatifs à l’encadrement thérapeutique du requérant sont le nombre et la fréquence des consultations psychiatriques ou psychologiques dont il bénéficia. Or, la Cour rappelle qu’il n’est guère suffisant que le détenu soit examiné et un diagnostic établi et qu’il est par contre primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient également mis en œuvre (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, § 59, 21 décembre 2010).

96.  La Cour observe que dès 2002 le requérant put bénéficier de participation aux activités proposées par l’association « ’t Zwart Goor » et qu’en septembre 2005, le service psycho-social, relayé par la CDS, constata une amélioration de l’état du requérant et évoqua la perspective d’un reclassement (paragraphe 18). Son placement à l’annexe psychiatrique fut toutefois maintenu jusqu’en 2009 car aucun établissement acceptant sa prise en charge n’avait pu été trouvé.

97.  La prolongation de cette situation, qui perdurait depuis 1994 (paragraphe 12), eut manifestement des effets négatifs sur l’état psychique du requérant. L’avis rendu par le docteur G. le 27 décembre 2007 (paragraphe 22) et le rapport psycho-social du 27 juin 2008 (paragraphe 27) concordent pour souligner que le requérant était en souffrance du fait de l’absence de perspective de reclassement, qu’il n’avait pas évolué dans la compréhension de ses problèmes et qu’il nécessitait un suivi particulier et intensif. La Cour reconnaît que la nature même de l’état mental du requérant le rendait plus vulnérable qu’un détenu ordinaire et que le maintien en annexe psychiatrique pendant un laps de temps aussi long a pu aggraver dans une certaine mesure son sentiment de détresse (voir, mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 96).

98.  La Cour ne sous-estime pas les efforts déployés au sein de la prison de Merksplas pour améliorer l’encadrement des internés. Néanmoins, elle accorde également une grande importance au fait que les allégations du requérant sont confortées par un constat unanime fait tant au niveau national qu’international. Est dénoncée l’inadéquation des annexes psychiatriques comme lieu de détention des personnes atteintes de troubles mentaux en raison de l’insuffisance généralisée de personnel, de la mauvaise qualité et de l’absence de continuité des soins, de la vétusté des lieux, de la surpopulation ainsi que du manque structurel de capacité d’accueil dans le circuit psychiatrique extérieur. Cet état de fait est constaté par le ministre de la Justice lui-même (paragraphe 70). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 71). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 72).

99.  La Cour ne sous-estime pas non plus les démarches entreprises par les autorités pour trouver une prise en charge externe et adaptée aux troubles du requérant. Ces démarches, recommandées par les professionnels qui étaient en contact avec le requérant (paragraphes 16 et 27), ont été effectuées régulièrement depuis 1998 (paragraphe 13). Toutefois, elle note également que la situation dont est victime le requérant résulte, en réalité, d’un problème structurel. D’une part, l’encadrement des internés dans les annexes psychiatriques des prisons n’est pas suffisant et, d’autre part, le placement à l’extérieur des prisons s’avère souvent impossible soit en raison du manque de place au sein des hôpitaux psychiatriques soit du fait que le dispositif législatif ne permet pas aux instances de défense sociale d’imposer le placement dans une structure extérieure.

100.  Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant lui permettant d’éviter de se trouver dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention. Son maintien en annexe psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

101.  Quelles que soient les entraves, soulignées par le Gouvernement, que le requérant ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime que celles-ci ne dispensaient pas l’Etat de ses obligations vis-à-vis du requérant. Elle rappelle que la situation d’infériorité et d’impuissance qui caractérise les patients internés dans des hôpitaux psychiatriques exige une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244). Il en est d’autant plus ainsi de personnes souffrant de troubles de la personnalité et placées en milieu carcéral.

102.  La Cour conclut, en l’espèce, à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant pendant une période significative dans les conditions examinées ci-dessus. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

UN INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE SERT A SOIGNER

UNE DÉTENTION TROP LONGUE EST PAR CONSÉQUENT INUTILE

R.D. et I.M.D. c. Roumanie du 12 octobre 2021 requête no 35402/14

Art 5-1 et 8 : L’internement des requérants en hôpital psychiatrique et leur traitement médical forcé a violé la Convention

L’affaire concerne l’internement forcé des requérants dans un hôpital psychiatrique visant à les contraindre à suivre un traitement médical et leur obligation d’y suivre ce traitement. La Cour note que les expertises médico-légales psychiatriques des requérants ont été réalisées le 4 octobre 2011, soit plus de trois ans avant la mesure ordonnant leur placement en hôpital psychiatrique. De l’avis de la Cour, l’absence d’une évaluation médicale récente suffit pour conclure que le placement des requérants n’était pas régulier au regard de la Convention. A titre surabondant, le défaut de motivation détaillée dans les décisions internes ordonnant l’internement ne permet pas d’établir suffisamment que les requérants étaient dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres, en raison notamment de leur pathologie psychiatrique. La Cour considère que si la mesure en cause s’appuyait bien sur une base légale en droit roumain, l’absence de garanties suffisantes contre l’administration forcée de médicaments a privé les requérants de la protection minimale à laquelle ils avaient droit dans une société démocratique.

FAITS

Les requérants M. R.D. et Mme I.M.D. sont un couple de ressortissants roumains, nés en 1967 et 1982 et résidant à Ştei. Le 27 septembre 2011, ils furent interpellés par des agents de police qui leur demandèrent de décliner leur identité. Ils refusèrent et auraient commencé à frapper un agent. Une enquête pénale fut ouverte pour outrage aux bonnes mœurs et troubles à l’ordre public. Le 3 octobre 2011, le parquet près le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei chargé de l’enquête demanda à l’hôpital public de Zalău de réaliser une expertise médico-légale psychiatrique de M. R.D. et Mme I.M.D. Deux rapports d’expertise médico-légale du 4 octobre 2011, réalisés par le département de médecine légale de l’hôpital de Sălaj, établirent que les deux requérants souffraient de troubles délirants persistants et que, de manière générale, leur discernement était aboli. La commission d’expertise recommanda à M. R.D. et Mme I.M.D. de se soumettre à un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique ambulatoire dans une unité médicale spécialisée.

Par une ordonnance du 11 octobre 2011, le parquet prononça un non-lieu en faveur des intéressés, estimant que leur état de santé mentale les rendait pénalement irresponsables des faits qui leur étaient reprochés. Par un jugement rendu le 6 juin 2013 qui se fondait principalement sur les rapports d’expertise médico-légale du 4 octobre 2011 et sur l’article 113 du CP tel qu’en vigueur à l’époque des faits, le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei prit une mesure de sûreté d’obligation de soins à l’encontre des requérants. Le tribunal départemental de Sălaj confirma le jugement rendu. M. R.D. et Mme I.M.D. ne s’étant pas présentés à l’hôpital pour y recevoir le traitement médical qui leur avait été prescrit, le Bureau de l’exécution des peines du tribunal de première instance forma un recours contre l’exécution du jugement du 6 juin 2013. Il sollicita le remplacement de la mesure de sûreté d’obligation de soins par une mesure d’internement médical, faisant valoir que les intéressés refusaient de suivre leur traitement médical. Par un jugement du 10 novembre 2014, le tribunal de première instance ordonna le remplacement de la mesure de sûreté d’obligation de soins par l’internement médical des intéressés, jusqu’à leur guérison ou jusqu’à une amélioration de leur état de santé propre à faire cesser le danger qu’ils présentaient pour l’ordre public. M. R.D. et Mme I.M.D. formèrent un recours contre ce jugement, soutenant qu’ils étaient en bonne santé et que les autorités voulaient les interner pour d’autres raisons. Le tribunal départemental rejeta le recours. Le 30 décembre 2014, M. R.D. et Mme I.M.D. furent internés contre leur gré dans un hôpital psychiatrique. Ils y suivent encore aujourd’hui un traitement médical à base de sédatifs et de neuroleptiques. Par un jugement du 23 février 2017 fondé sur des documents médicaux et sur un rapport d’expertise médico-légale du 13 avril 2016, le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei fit droit à la demande de la mère de Mme I.M.D. tendant à la mise sous tutelle de sa fille et à sa désignation en qualité de tutrice. À la demande de l’hôpital psychiatrique, la mairie de Pericei sollicita la mise sous tutelle de M. R.D. Un rapport d’expertise médico légale psychiatrique du 11 janvier 2017 établit que celui-ci souffrait de troubles délirants persistants et que son discernement était aboli. Le maire adjoint de Pericei fut nommé tuteur du requérant.

Article 5 § 1

La Cour note que deux rapports d’expertise médico-légale ont établi que les requérants souffraient de troubles délirants persistants, qu’ils souffraient d’un défaut de discernement et qu’ils devaient suivre un traitement médical. Toutefois, ces expertises ont été réalisées le 4 octobre 2011, soit plus de trois ans avant la mesure d’internement ordonnée le 17 décembre 2014. De l’avis de la Cour, l’absence d’une évaluation médicale récente suffit pour conclure que le placement des requérants n’était pas régulier au regard de l’article 5 § 1 e). De plus, la Cour rappelle que l’internement d’une personne doit être dûment justifié par la gravité de l’état de santé de celle-ci afin d’assurer sa propre protection ou la protection d’autrui. Or, en l’espèce, et faute de motivation détaillée à ce sujet dans les décisions internes ordonnant leur internement, la Cour considère qu’il n’est pas établi que les requérants étaient dangereux pour euxmêmes ou pour les autres, en raison notamment de leur pathologie psychiatrique. La Cour note cependant que les expertises qui ont été réalisées à partir de 2018 sont beaucoup plus détaillées et que les décisions des autorités motivent de manière précise la nécessité de poursuivre cette mesure d’internement. Il ressort de ces expertises et décisions versées au dossier que les autorités nationales ont vérifié si le trouble mental des requérants persistait ou s’il s’était stabilisé. Elles ont estimé que l’état des requérants nécessitait le maintien de la mesure, mais il ne ressort pas concrètement de ces décisions une évaluation du degré de danger que les intéressés pouvaient représenter pour eux-mêmes ou pour autrui. La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 8

La Cour rappelle que l’administration forcée de médicaments constitue une grave atteinte à l’intégrité physique d’une personne, raison pour laquelle pareille mesure doit se fonder sur une « loi » contenant des garanties adéquates contre l’arbitraire. La Cour observe que la mesure d’internement ordonnée contre les requérants par le jugement rendu le 10 novembre 2014 était fondé sur des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale et qu’il avait donc une base en droit roumain. Toutefois, la Cour note qu’aucune des dispositions légales pertinentes en l’espèce ne fixe le régime applicable au traitement médical effectif des maladies mentales. Les textes ne règlementent pas le cadre dans lequel est assurée la prise en charge dans les hôpitaux psychiatriques des personnes obligées à une mesure de sûreté, ils ne précisent pas qui est habilité à décider du traitement à administrer et ne définissent pas la manière dont le traitement doit être administré, en particulier dans le cas où le patient ne souhaite pas recevoir le traitement prescrit. Par ailleurs, il ne ressort pas desdits textes de loi que la décision d’un médecin concernant les médicaments à administrer à un patient soit susceptible de recours. Dans ces conditions, la Cour constate que les requérants ne disposaient d’aucun recours leur permettant de demander à un tribunal de statuer sur la régularité de l’administration forcée de médicaments, sa proportionnalité, ou d’en ordonner la cessation. Enfin, la Cour note que les deux requérants ont été mis sous tutelle. Cela soulève des questions quant à la gravité de leur trouble mental et quant à leur capacité à donner un consentement éclairé à l’administration du traitement qui leur a été prescrit. Or, il ne ressort pas des dispositions légales applicables, que celles-ci encadraient la manière dont le consentement des personnes était recueilli ni la procédure à suivre en cas de refus de leur part de suivre un traitement. En conclusion, la Cour considère que même si la mesure en cause s’appuyait sur une base en droit roumain, l’absence de garanties suffisantes contre l’administration forcée de médicaments a privé les requérants de la protection minimale à laquelle ils avaient droit dans une société démocratique.

Dans ces conditions, la Cour juge que l’on ne peut dire que l’ingérence en question était « prévue par la loi » comme le veut l’article 8 § 2 de la Convention. Il y a eu par conséquent violation de l’article 8 de la Convention.

CEDH

Article 5-1

a)      Sur le motif de privation de liberté

57.  Si le fait que l’internement des requérants dans un hôpital psychiatrique constitue une privation de liberté ne prête pas à controverse entre les parties, la Cour note que ces dernières-ci sont en désaccord sur le motif qui fonde cette privation de liberté : les requérants prétendent que leur privation de liberté relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention, alors que le Gouvernement commence l’analyse de ce grief sous l’angle de l’article 5 § 1 b) de la Convention.

58.  La Cour rappelle que l’article 5 § 1 b) de la Convention autorise la détention d’une personne pour insoumission à une décision rendue conformément à la loi par un tribunal (voir, par exemple, X. c. Autriche, no 8278/78, décision de la Commission du 13 décembre 1979, DR 18, p. 154, pour l’obligation de se soumettre à un examen sanguin et, en ce qui concerne l’obligation de se soumettre à un examen psychiatrique, Nowicka c. Pologne, no 30218/96, 3 décembre 2002, et Beiere c. Lettonie, no 30954/05, 29 novembre 2011). Elle rappelle aussi que l’internement d’un aliéné dans un hôpital psychiatrique public contre son gré relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention et que la responsabilité de l’État est engagée de ce chef (Storck c. Allemagne, no 61603/00, § 74, CEDH 2005‑V, et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 110, CEDH 2008). Dans l’affaire Berliński c. Pologne, ((déc.), no 27715/95, § 5 de la partie « En droit », 18 janvier 2001), il a été jugé que la privation de liberté imposée au requérant par décision de justice en vue de le soumettre à un examen psychiatrique devait être examinée sous l’angle de l’article 5 § 1 b) de la Convention, et non sous l’angle de l’article 5 § 1 e) de la Convention, dès lors que l’intéressé n’avait pas été placé en détention pour être isolé en vue du traitement d’une maladie mentale.

59.  En l’espèce, par un jugement rendu le 6 juin 2013, le tribunal de première instance de Sălaj a pris d’abord une mesure d’obligation de soins contre les requérants (paragraphe 13 ci-dessus). Constatant que ces derniers n’avaient pas respecté cette obligation imposée par une décision de justice et s’appuyant sur des expertises psychiatriques qui établissaient que les intéressés souffraient de troubles délirants persistants (paragraphe 8 ci‑dessus), le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei, par un jugement du 10 novembre 2014, a ensuite ordonné leur internement dans un hôpital psychiatrique pour qu’ils suivent le traitement médical qui leur avait été prescrit (paragraphe 19 ci-dessus). Les requérants ayant donc été déclarés « aliénés » à la suite d’un examen psychiatrique et isolés afin de suivre un traitement médical, l’article 5 § 1 e) de la Convention trouve seul à s’appliquer en l’espèce (comparer avec Berliński, décision précitée, et avec Denis et Irvine c. Belgique [GC], nos 62819/17 et 63921/17, § 141, 1er juin 2021).

b)     Sur la conformité de la privation de liberté à l’article 5 § 1 de la Convention

60.  La Cour a rappelé dans les arrêts Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, § 155, CEDH 2012), Ilnseher c. Allemagne ([GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 126-141, 4 décembre 2018) et Denis et Irvine (précité, §§ 135-137) les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1, sur lesquels elle se fonde pour évaluer la régularité de la privation de liberté et du maintien en détention d’une personne atteinte de troubles mentaux. En particulier, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si son aliénation a été établie de manière probante, c’est-à-dire que l’existence d’un trouble mental réel doit avoir été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective (Ilnseher, précité, § 127, et les références qui y sont citées, et Denis et Irvine, précité, § 135). Pour passer pour objective, l’expertise médicale doit de plus être suffisamment récente. La réponse à la question de savoir si l’expertise médicale est suffisamment récente dépend des circonstances particulières de la cause (Ilnseher, précité, § 131, et les références qui y sont citées).

61.  En l’espèce, l’internement des requérants a été ordonné par un tribunal en application de l’article 568 § 1 du nouveau CPP combiné avec l’article 109 § 2 du nouveau CP (paragraphe 19 ci-dessus), qui énoncent qu’une personne qui ne respecte pas l’obligation de soins peut faire l’objet d’un internement sur décision de justice.

62.  Il reste à savoir si l’internement des requérants satisfait aux conditions voulues par la jurisprudence de la Cour. À cet égard, la Cour note qu’en l’occurrence deux rapports d’expertise médico-légale ont établi le 4 octobre 2011 que les requérants souffraient de troubles délirants persistants, qu’en ce qui concernait les faits qui leur étaient reprochés, et de manière plus générale, leur discernement était aboli et qu’ils devaient suivre un traitement médical (paragraphes 8-11 ci-dessus). Toutefois, la Cour note que ces expertises ont été réalisées le 4 octobre 2011, soit plus de trois ans avant la mesure d’internement ordonnée le 17 décembre 2014. Il convient par ailleurs de relever que les autorités nationales n’avaient pas l’obligation légale d’ordonner une expertise psychiatrique au moment de l’internement compte tenu de l’arrêt imposant l’obligation de soins (paragraphe 48 ci‑dessus). De l’avis de la Cour, l’absence d’une évaluation médicale récente suffirait pour conclure que le placement des requérants n’était pas régulier au regard de l’article 5 § 1 e) (voir en ce sens, Stanev, précité, § 156, et Mihailovs c. Lettonie, no 35939/10, § 146, 22 janvier 2013).

63.  À titre surabondant, la Cour rappelle que l’internement d’une personne doit être dûment justifié par la gravité de l’état de santé de celle-ci afin d’assurer sa propre protection ou la protection d’autrui (Stanev, précité, § 157). Faute de motivation détaillée à ce sujet dans les décisions internes ordonnant l’internement, la Cour considère qu’en l’espèce il n’est pas établi que les requérants étaient dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres, en raison notamment de leur pathologie psychiatrique. D’ailleurs, ni la notion de danger social justifiant la nécessité d’imposer une mesure de sûreté au sens du droit pénal, ni la notion distincte de danger social de l’infraction commise par la personne mise en cause n’ont été explicitées (paragraphe 47 ci-dessus ; voir, en ce sens, N. c. Roumanie, no 59152/08, §§ 151-154, 28 novembre 2017). De même, les juridictions internes n’ont aucunement essayé de déterminer et de prendre en compte les motifs qui fondaient le refus des requérants de suivre le traitement médical ambulatoire (Plesó c. Hongrie, no 41242/08, §§ 66 et suiv., 2 octobre 2012).

64.  La Cour note enfin que les expertises médico-légales psychiatriques réalisées les années suivant immédiatement l’internement des requérants sont très sommaires, qu’elles renferment des informations insuffisantes sur le raisonnement médical et l’examen clinique des intéressés et qu’elles n’établissent pas que les requérants sont dangereux pour eux-mêmes ou pour la société (paragraphes 24, 27 et 33 ci-dessus ; Ilnseher, précité, § 133, Stanev, précité, § 146, et Stefan Stankov c. Bulgarie, no 25820/07, § 102, 17 mars 2015). Dès lors que les parties, bien qu’y ayant été invitées par la Cour (paragraphe 41 ci-dessus), n’ont pas versé au dossier les décisions de justice qui avaient maintenu la mesure d’internement des requérants de 2015 à 2018, la Cour ne croit pas devoir spéculer sur le contenu de ces décisions et les raisons qui ont conduit les juridictions nationales à maintenir l’internement des intéressés.

65.  Il est vrai que les expertises réalisées sur la personne des requérants à partir de 2018 sont beaucoup plus détaillées et que les jugements maintenant la mesure d’internement motivent de manière précise la nécessité de maintenir après cette dernière date cette mesure (paragraphes 29-32 et 36-37 ci-dessus). En effet, il ressort de ces expertises et décisions versées au dossier que les autorités nationales ont vérifié si le trouble mental des requérants persistait ou s’il s’était suffisamment stabilisé. Elles ont estimé, au regard des éléments en leur possession, que l’état des requérants nécessitait le maintien de la mesure (voir, mutatis mutandis, Denis et Irvine, précité, §§ 169 et 175), sans qu’il ressorte concrètement de leurs décisions le degré de danger des intéressés et s’ils étaient dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui (paragraphes 29-32 et 36-37 ci-dessus). Toutefois, il n’en demeure pas moins que les éléments décrits aux paragraphes 62-63 ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que la mesure d’internement ordonnée contre les intéressés en 2014 n’a pas été prise de manière régulière au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

66.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 8

72.  La Cour rappelle que les principes applicables en la matière ont été énoncés dans les arrêts Glass c. Royaume-Uni (no 61827/00, § 70, CEDH 2004‑II), X c. Finlande (no 34806/04, §§ 212-213, CEDH 2012 (extraits)) et Atudorei c. Roumanie (no 50131/08, §§ 160-163, 16 septembre 2014). La Cour rappelle aussi que l’administration forcée de médicaments constitue une grave atteinte à l’intégrité physique d’une personne, raison pour laquelle pareille mesure doit se fonder sur une « loi » contenant des garanties adéquates contre l’arbitraire (X c. Finlande, précité, §§ 215 et 220).

73.  Se tournant vers la présente espèce, la Cour observe que le jugement du 10 novembre 2014 par lequel le tribunal de première instance avait ordonné l’internement des intéressés pour qu’ils suivent un traitement médical était fondé sur des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale (paragraphe 19 ci-dessus). Dès lors, la mesure d’internement ordonnée contre les requérants avait une base en droit roumain.

74.  Reste à savoir si cette base légale satisfait aux exigences de qualité de la loi au sens de la jurisprudence de la Cour. À cet égard, la Cour relève d’emblée que l’exigence d’accessibilité de la loi ne soulève en l’espèce aucun problème.

75.  La Cour note ensuite que les dispositions du code pénal applicables en l’espèce définissent les conditions dans lesquelles une personne ayant commis un fait pénal peut se voir imposer une mesure de sûreté. Les articles pertinents du code de procédure pénale décrivent de manière détaillée la procédure par laquelle une mesure de sûreté d’obligation de soins ou d’internement peut être ordonnée, prolongée ou levée à l’égard d’une personne ainsi que les droits et garanties procéduraux dont la personne concernée bénéficie au cours de ces procédures (paragraphes 48–51 ci‑dessus).

76.  Toutefois, la Cour note qu’aucune de ces dispositions légales ne fixe le régime applicable au traitement médical effectif des maladies mentales. En effet, ces textes ne règlementent pas le cadre dans lequel est assurée la prise en charge dans les hôpitaux psychiatriques des personnes obligées à une mesure de sûreté, ils ne précisent pas qui est habilité à décider du traitement à administrer et ne définissent pas la manière dont le traitement doit être administré, en particulier dans le cas où le patient ne souhaite pas recevoir le traitement prescrit (comparer avec X c. Finlande, précité, § 216, où la Cour a noté que la loi finlandaise applicable précisait qu’il revenait au médecin traitant du patient de décider du traitement à prescrire, indépendamment des souhaits du patient). Par ailleurs, il ne ressort pas desdits textes de loi que la décision d’un médecin concernant les médicaments à administrer à un patient soit susceptible de recours (ibidem, § 219) : dans ces conditions, les requérants ne disposaient d’aucun recours leur permettant de demander à un tribunal de statuer sur la régularité de l’administration forcée de médicaments, y compris sa proportionnalité, ou d’en ordonner la cessation.

77.  La Cour prend également note des observations du Gouvernement selon lesquelles les dispositions de la loi no 487/2002 sur la santé mentale, qui prévoient certaines procédures pour l’administration d’un traitement aux personnes internées de force sur le fondement de cette loi, ne sont pas applicables aux internements découlant d’une mesure de sûreté (paragraphe 56 ci-dessus).

78.  La Cour note enfin que les deux requérants ont été mis sous tutelle (paragraphes 38 et 39 ci-dessus), ce qui soulève des questions quant à la gravité de leur trouble mental et à leur capacité à donner un consentement éclairé à l’administration du traitement qui leur avait été prescrit. En tout état de cause, il ne ressort pas des dispositions légales applicables qu’elles encadraient la manière dont le consentement des personnes se trouvant dans la situation des requérants était recueilli ni la procédure à suivre en cas de refus de leur part de suivre un traitement.

79.  Pour ces raisons, la Cour considère que, même si l’on peut dire que la mesure en cause s’appuyait sur une base en droit roumain, l’absence de garanties suffisantes contre l’administration forcée de médicaments a privé les requérants de la protection minimale à laquelle ils avaient droit dans une société démocratique régie par la prééminence du droit (X c. Finlande, précité, § 221). Dans ces conditions, la Cour juge que l’on ne peut dire que l’ingérence en question était « prévue par la loi » comme le veut l’article 8 § 2 de la Convention.

80.  Eu égard aux conclusions ci-dessus, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de vérifier si les autres exigences prévues à l’article 8 § 2 ont été respectées en l’espèce.

81.  La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAPILLO c. SUISSE du 27 janvier 2014 requête 43368/08

La détention psychiatrique a servi à soigner, par conséquent elle est conforme à la convention.

41.  La Cour rappelle que pour respecter l’article 5 § 1, la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39 et 45, série A no 33, et Bizzotto c. Grèce, 15 novembre 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

42.  La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Stanev c. Bulgarie [GC], précité, § 147 ; Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93 ; Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 49, CEDH 2003‑IV).

43.  La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, § 66-68, 11 mai 2004 ; Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62-65, 11 mai 2004 ; Claes c. Belgique, n43418/09, § 115, 10 janvier 2013). Dans le même esprit, elle a pris en compte dans l’affaire De Schepper (no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009) les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique d’un requérant au profil à haut risque pour évaluer la régularité de son maintien en détention au sein d’une annexe psychiatrique de prison (Claes c. Belgique, précité, §§ 115-119).

b.  Application de ces principes en l’espèce

44.  La Cour note en premier lieu que l’article 59 du Code pénal prévoit expressément la possibilité que la mesure institutionnelle soit effectuée soit dans un établissement psychiatrique approprié soit dans un établissement d’exécution des mesures (paragraphe 29 ci-dessus) (voir, a contrario, Lankester c. Belgique, no 22283/10, § 92, 9 janvier 2014). En outre, la détention du requérant et la prolongation de celle-ci avaient été ordonnées par les décisions du 28 mars 2006 et du 23 mai 2006 (paragraphes 16 et 20 ci-dessus). La privation de liberté en question avait donc été décidée « selon les voies légales ».

45.  La question se pose alors de savoir si la privation de liberté du requérant répondait au but de l’article 5 § 1 de la Convention. La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §78, CEDH 2000-III et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012, Claes c. Belgique, précité, § 112).

46.  À cet égard, la Cour relève que, concernant la Suisse, elle n’a jamais conclu à l’existence d’un problème structurel dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (voir, a contrario, Lankester c. Belgique, précité, § 93). Elle constate par ailleurs que les autorités ont pris contact avec plusieurs institutions susceptibles d’accueillir le requérant dès que celui-ci s’est dit prêt à suivre un traitement. Ces démarches s’interrompirent lorsque le requérant refusa de se rendre à l’entretien proposé par la clinique de Rheinau.

47.  Pour autant, la Cour considère que même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48 et Claes c. Belgique, précité, §119).

48.   En l’espèce, durant sa détention, le requérant a bénéficié de consultations médicales régulières et d’un traitement par neuroleptiques. Ce traitement eu pour conséquence une stabilisation de son état de santé et, subséquemment, sa remise en liberté le 25 janvier 2007. La Cour considère donc que les soins dont a bénéficié le requérant lors de sa détention peuvent être considérés comme appropriés (voir, a contrario, Claes c. Belgique, précité, §116).

49.  Par conséquent, la Cour constate que la détention du requérant durant la période du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007 était conforme au but de l’article 5 § 1 e).

50.  Au vu de ce qui précède et dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

DUFOORT c. BELGIQUE Requête 43653/09 du 10 JANVIER 2013

UN INTERNEMENT SERT A SOIGNER, 13 ANS D'INTERNEMENT SANS RESULTATS, EST TROP LONG.

74.  La Cour observe qu’en l’espèce, la privation de liberté litigieuse du requérant est fondée sur le jugement de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Turnhout du 2 janvier 1999, décision confirmée, le 18 février 1999, par la cour d’appel d’Anvers. En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés.

75.  La Cour note qu’il n’est pas contesté, en l’espèce, que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

76.  Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 72-73, CEDH 2000-III). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (idem, § 78 et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012).

77.  En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

78.  Rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions sont remplies en l’espèce. Le requérant souffre de troubles de la personnalité attestés médicalement depuis 1998. Un test effectué en 2001 révéla en outre une personnalité psychopathe impliquant un risque de récidive important. Une nouvelle évaluation de sa dangerosité effectuée en 2011 confirma la nécessité de maintenir son internement dans un environnement moyennement sécurisé.

79.  La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention. Elle rappelle à ce sujet qu’en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts, précité, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, n50272/99, § 48, CEDH 2003-IV). La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink précité, §§ 66 à 68, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62 à 65, 11 mai 2004).

80.  Le Gouvernement estime qu’il faut tenir compte du fait que la CDS n’a pas désigné d’autres lieux que la prison de Merksplas puis celle de Turnhout pour l’internement du requérant et qu’il y a donc lieu de distinguer la présente affaire de l’affaire Aerts. La Cour rappelle que, dans cette affaire, elle avait conclu à une violation de l’article 5 § 1 e) au motif que l’annexe psychiatrique de Lantin où était détenu le requérant ne pouvait pas être considérée comme appropriée à la détention d’aliénés (Aerts précité, § 49). Pour parvenir à cette conclusion, elle avait tenu compte du fait que la CDS compétente avait désigné l’établissement de défense sociale de Paifve pour l’internement du requérant et que son transfert avait été retardé en raison du manque de place.

81.  La Cour estime que l’approche proposée par le Gouvernement est trop formaliste. Elle observe qu’en l’espèce la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre adapté est envisagée indirectement par la CDS depuis 2002 (paragraphe 11). Il ressort également des circonstances de la cause que, dès 2003, les autorités pénitentiaires prirent elles-mêmes contact avec plusieurs établissements psychiatriques de sécurité moyenne et que de pareilles démarches furent réitérées en 2009. A cela s’ajoute qu’à la différence de l’affaire Aerts, en l’espèce, aucune place n’a été trouvée jusqu’en 2011 au sein des établissements contactés en raison de leur refus d’admettre le requérant. De plus, et en tout état de cause, la Cour constate que la loi de défense sociale n’accorde pas aux instances de défense sociale le pouvoir d’imposer l’acceptation des internés par l’établissement approprié qu’elles auraient désigné. Il s’avère donc que l’internement du requérant s’est en réalité prolongé au sein de l’annexe psychiatrique de la prison de Turnhout à défaut pour les autorités belges d’alternative.

82.  Le Gouvernement soutient que le requérant y est entouré des soins adéquats. Les éléments auxquels se réfère le Gouvernement pour étayer sa thèse sont l’accès du requérant aux professionnels de santé présents dans l’établissement, les consultations du requérant auprès du psychiatre, les rapports établis par des psychologues et psychiatres en vue d’évaluer le danger de récidive qu’il représente ainsi que la prise en charge du requérant après sa crise de psychose en 2008.

83. D’après les données mentionnées par le Président du tribunal de première instance de Turnhout dans son ordonnance du 9 avril 2009, le requérant a bénéficié de vingt consultations auprès du psychiatre de la prison entre 2008 et 2009 et, à l’occasion de ces consultations, son état d’esprit était discuté. Il bénéficia également de vingt-deux consultations auprès du psychiatre entre 2009 et 2011 selon les informations récoltées par les services pénitentiaires en 2011. Le requérant ne conteste pas ces données. Dans sa demande en référé, il se plaignait toutefois du caractère fugace des consultations psychiatriques (paragraphe 20). Aux yeux de la Cour, si ces informations chiffrées attestent que le requérant a effectivement eu accès sur une base régulière à un psychiatre, elles ne sont pas suffisantes pour lui permettre d’évaluer la mesure de la prise en charge thérapeutique du requérant.

84.  Le Gouvernement fait ensuite valoir que le caractère approprié de l’établissement résulte de l’administration de médicaments au requérant. La Cour constate toutefois que le Gouvernement omet de mentionner le type de médicaments et leurs visées thérapeutiques. Sachant qu’au vu de leur composition, les médicaments mentionnés dans la fiche établie par les services pénitentiaires en juin 2011 (paragraphe 34) n’ont a priori aucun lien avec le traitement de pathologies mentales, la Cour estime que la médication invoquée par le Gouvernement ne saurait entrer en ligne de compte.

85.  Quant à l’amélioration de l’état du requérant à la suite de son séjour dans la section C de l’annexe psychiatrique, invoquée par le Gouvernement, la Cour n’y voit pas non plus un élément déterminant. Rien ne permet en effet d’exclure que la détérioration de l’état de santé du requérant qui avait conduit à ce séjour ait en réalité été le résultat de son internement sans perspective de reclassement.

86.  En bref, aucun des arguments invoqués par le Gouvernement ne convainc la Cour que le requérant ait été dans une situation différente de celle de nombreux internés qui se trouvent dans une annexe psychiatrique de prison dans l’attente d’un transfert dans un établissement de défense sociale ou un établissement privé et se trouvent privés des soins thérapeutiques pouvant contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Cet état de fait est constaté par le ministre de la Justice lui-même (paragraphe 63). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 64). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 65).

87.  Restent, selon le Gouvernement, les troubles spécifiques du requérant et son attitude pour expliquer l’échec de la prise en charge par des établissements spécialisés.

88. La Cour constate que les scores élevés obtenus par le requérant en 2001 au test de psychopathie ont effectivement clairement joué contre son admission à l’extérieur de la prison (paragraphes 15 et 29). Toutefois, elle constate également qu’une réévaluation n’a été envisagée qu’en 2007 et qu’ensuite s’est encore découlé un délai de quatre ans avant qu’un nouveau test soit effectué en 2011 (paragraphes 21 et 33). Compte tenu du poids particulier qu’elle accorde au droit à la liberté du requérant, la Cour estime que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, les efforts déployés par les autorités n’apparaissent pas avoir été à la hauteur des enjeux pour le requérant.

89.  S’agissant du comportement du requérant, la Cour rappelle, que si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48). En tout état de cause, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude telle qu’elle empêchait toute évolution de sa situation vers une prise en charge résidentielle. Au contraire, les circonstances de la cause montrent que le requérant a pris son implication en vue de son reclassement au sérieux et qu’il effectuait un travail régulier et apprécié (paragraphe 16). Si les problèmes de discipline qu’il a rencontrés et son addiction à l’alcool et à la drogue ont pu être un obstacle légitime à un suivi ambulatoire (paragraphe 22), ceux-ci n’apparaissent pas avoir motivé les refus d’admission opposés par les établissements résidentiels contactés (paragraphes 15 et 29).

90. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le maintien de l’internement du requérant pendant treize ans, de 1999 à ce jour, dans un établissement, où il ne bénéficie pas de l’encadrement approprié à sa pathologie, a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

91.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

UN INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE

NE PEUT PAS ÊTRE SUIVI DANS UNE AILE D'UNE PRISON

W.A. c. Suisse du 2 novembre 2021 requête no 38958/16

Art 5-1 : Violations résultant de l’internement d’un délinquant dangereux atteint de troubles mentaux

Au début des années 1990, la cour d’assises de Zürich le condamna à une peine de vingt ans d’emprisonnement pour deux homicides. W.A. souffrait d’un trouble de la personnalité difficile à traiter et un expert psychiatre déclara que son discernement avait été altéré au moment de la commission des crimes qui lui étaient reprochés. Le tribunal estima toutefois que W.A. représentait pour la société une menace qui ne pouvait être écartée que par une peine de longue durée, plutôt que par un internement qui durait en pratique rarement plus de cinq ans. W.A. purgea sa peine jusqu’en 2010, puis il fut placé en détention provisoire après que le procureur eut demandé son internement en application de nouvelles dispositions du code pénal. En 2012, le Tribunal fédéral, contrairement aux juridictions de première et deuxième instance, décida de rouvrir la procédure au vu de certains faits dont il estimait que le jury n’avait pas eu connaissance dans la procédure initiale, notamment le fait qu’aucun traitement ne pouvait guérir W.A. En 2013, le tribunal de district de Zürich ordonna l’internement de W.A. À cette fin, il ne réexamina pas les infractions qui avaient été initialement reprochées à l’intéressé mais s’appuya sur un rapport d’expertise psychiatrique récent et estima que les conditions de l’internement étaient déjà remplies au début des années 1990 et continuaient de l’être. Il jugea également que W.A. risquait fort de commettre à nouveau des infractions violentes et que le traitement psychiatrique qui lui était administré avait peu de chances de succès. W.A. continua à être incarcéré à la prison de Pöschwies. W.A. forma contre cette décision des recours qui furent rejetés en appel et au niveau fédéral. Le Tribunal fédéral estima que la non-rétroactivité des peines s’appliquait aux ordonnances d’internement adoptées au titre des articles 64 et 65 du code pénal, au motif que l’internement et l’imposition d’une peine sont similaires dans leur effet punitif. Il jugea toutefois que les nouvelles dispositions du code relatives à l’internement n’étaient pas plus sévères que les anciennes et pouvaient donc être appliquées rétroactivement. Il releva, en effet, que le code permettait la révision d’une procédure au détriment de la personne condamnée tant dans son ancienne version que dans la nouvelle. Partant, il considéra que le principe « pas de peine sans loi » n’avait pas été violé et souligna qu’à raison de la gravité de la maladie de W.A. et du risque que celui-ci représentait, son internement était nécessaire.

Article 5 § 1

Le terme « condamnation » au sens de la jurisprudence de la Cour désigne à la fois la constatation d’une infraction et l’imposition de la peine qui en découle. Seul un jugement déclarant une personne coupable d’une infraction répond aux exigences d’une « condamnation » aux fins de l’article 5 § 1 a). La Cour note que, contrairement au procès initial dirigé contre le requérant et au jugement qui en est résulté, l’ordonnance d’internement adoptée en 2013 n’a pas satisfait aux exigences de la Convention relatives à une « condamnation » autonome. La Cour estime, par ailleurs, que la procédure de révision n’a pas créé de lien suffisant entre la condamnation initiale de W.A. et son internement ultérieur. Les infractions initiales n’ont pas été réexaminées et aucun fait nouveau n’a été établi dans le cadre de cette procédure. Seule la question de savoir si le requérant satisfaisait aux conditions d’internement a été examinée, ce qui s’analyse de fait en une peine supplémentaire. S’agissant de la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, la Cour précise que le requérant peut être qualifié d’« aliéné » aux fins de l’article 5 § 1 e), mais que pour que sa détention puisse passer pour régulière, il aurait fallu qu’elle se déroule dans un établissement adapté au traitement des patients souffrant de troubles mentaux et non dans une prison ordinaire, même si W.A. n’était pas susceptible de répondre à un traitement. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 7 § 1

La Cour qualifie l’internement du requérant de « peine ». Elle considère que l’ordonnance d’internement s’analyse en une peine « plus forte » infligée à W.A. En particulier, à l’époque de la commission des infractions, il n’avait pas été possible d’interner W.A. au moyen d’une ordonnance rétroactive après que les condamnations prononcées à son égard dans les années 1990 étaient devenues définitives. En outre, étant donné qu’en vertu de la nouvelle version du code pénal la peine d’emprisonnement prononcée est désormais exécutée avant que l’internement ne soit ordonné, la personne concernée est susceptible d’être détenue pendant une période plus longue. Il y a donc eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention.

Article 4 du Protocole n o 7

La Cour réaffirme que la sécurité juridique ne peut être absolue. La Convention autorise expressément la réouverture d’une affaire pénale en cas de survenance de faits nouveaux d’une importance telle qu’ils sont susceptibles d’affecter « l’issue de l’affaire ». La Cour constate toutefois qu’en l’espèce l’affaire n’a pas été rouverte conformément à la Convention car aucun fait nouveau n’a été établi et aucune nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation n’a été rendue ni ne devait l’être. Il y a donc eu violation de l’article 4 du Protocole n o 7 à la Convention.

Venken et autres c. Belgique du 6 avril 2021 requête no 46130/14 et quatre autres requêtes

Des internés détenus dans les ailes psychiatriques de prisons : la Cour fait le point sur les développements ultérieurs à son arrêt pilote W.D. c. Belgique

Violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’homme concernant trois requérants.

La Cour note que lors de l’introduction de leur requête, les cinq requérants étaient privés de leur liberté dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire où ils ne bénéficiaient pas d’une thérapie adaptée. Ils séjournent désormais tous dans un établissement a priori adapté à leur état de santé mentale. Leur détention, dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention, a pris fin. À cet égard, elle estime que la réparation accordée par les juridictions internes à trois requérants ne couvre pas l’intégralité de la période pendant laquelle ils ont été maintenus dans l’aile psychiatrique d’une prison sans espoir réaliste d’un changement et sans encadrement médical approprié. Pour la Cour, cette période significative a constitué une épreuve particulièrement pénible les ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérence à la détention. Toutefois, deux requérants, qui ont obtenu une réparation adéquate et suffisante pour l’intégralité des périodes pendant lesquelles ils avaient été internés, dans des conditions contraires à la Convention, ont perdu la qualité de victime.

Violation de l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) concernant trois requérants, et violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 concernant deux de ces mêmes requérants.

La Cour juge que ces trois requérants, qui se plaignaient des procédures qui se sont déroulées sous l’empire de la loi de 1930 de défense sociale, n’ont pas bénéficié d’un recours préventif effectif, pour les mêmes motifs que ceux identifiés par elle dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique, et ce à tout le moins jusqu’à la création de places supplémentaires dans les centres de psychiatrie légale de Gand et Anvers et dans le circuit extérieur. - à la majorité (six voix contre une), qu’il y a eu : Non-violation de l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention), et de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 concernant deux requérants qui se plaignaient des procédures qui se sont déroulées après l’entrée en vigueur de la loi de 2014 relative à l’internement.

La Cour estime que les recours devant les instances de protection sociale tels qu’ils sont organisés par la loi relative à l’internement ne constituaient pas des recours susceptibles de redresser rapidement la situation dont les deux requérants se plaignaient. Ces recours ne pouvaient donc passer pour effectifs. Toutefois, la Cour juge que le recours en référé constituait et constitue a priori un recours accessible et susceptible de redresser la situation dont ces deux requérants étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées.

Elle rappelle que la Cour de cassation a précisément rappelé la complémentarité des recours devant les instances de protection sociale et ceux devant le juge judiciaire (recours en référé). La Cour rappelle aussi que les requêtes similaires aux présentes ont été ajournées pendant le délai octroyé par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique. Elle estime opportun de poursuivre l’examen au regard des principes établis dans le présent arrêt, dès qu’il sera devenu définitif.

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Internement d’aliénés délinquants pendant une période significative dans l’annexe psychiatrique d’une prison sans espoir de changement et sans encadrement médical approprié

Art 34 • Perte de la qualité de victime du fait de la réparation d’un montant suffisant couvrant l’intégralité de la période de l’internement • Requérants toujours victimes en l’absence de réparation adéquate et suffisante • Mesures encourageantes des autorités suite à l’arrêt pilote W.D. c. Belgique de 2016, mais poursuite nécessaire des efforts pour résoudre définitivement le problème structurel

Art 5 § 4 et Art 13 (+ Art 3) • Effectivité ou non en pratique des recours préventifs

Les faits en l’espèce

Les cinq requérants sont des délinquants ayant été reconnus pénalement irresponsables de leurs actes et pour lesquels une mesure d’internement fut prononcée à différentes dates, entre 1992 et 2011, en application des articles 1 et 7 de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels, telle que modifiée par la loi du 1 er juillet 1964 (« loi de défense sociale »). Les requérants furent internés pour des faits qualifiés de coups et blessures volontaires dans le cas de MM. Venken et Rogiers, pour des faits qualifiés de vol, de faux en écritures et d’escroquerie dans le cas de M. Neirynck, pour des faits d’incendie criminel d’un bien immobilier dans le cas de M. Clauws, et pour des faits qualifiés d’homicide volontaire dans le cas de M. Van Zandbergen. Ces mesures d’internement ont à chaque fois été ordonnées dans le but, d’une part, de protéger la société et, d’autre part, d’offrir un soutien thérapeutique adapté à la personne internée en vue de sa réinsertion dans la société. Les requérants alléguaient ne pas avoir bénéficié d’une prise en charge thérapeutique adaptée à leur état de santé mentale dans les ailes psychiatriques des prisons ordinaires et se plaignaient de l’absence d’un recours effectif pour faire évoluer leur situation

L’évolution de la situation depuis l’arrêt W.D. c. Belgique

L’offre d’accueil des internés en Belgique a déjà été décrite dans l’arrêt W.D. c. Belgique et mise à jour dans Rooman c. Belgique3 ainsi que les mesures prises par les autorités nationales pour modifier le cadre légal et améliorer la situation (W.D. c. Belgique). C’est notamment dans le cadre de l’exécution des arrêts de principe précités que les autorités belges ont pris des mesures générales pour améliorer la situation des internés. Les différents « Masterplan » ont notamment abouti à la création d’un grand nombre de places d’accueil pour les internés dans des institutions de soins (entre autres des centres de psychiatrie légale) avec un contrôle de la façon dont sont traités les internés. Il est prévu que des places supplémentaires soient encore créées dans les prochaines années. D’après les informations fournies par le Gouvernement, en avril 2016, la Belgique comptait environ 4 230 personnes ayant le statut d’interné, parmi lesquelles 807 étaient détenues en prison. Selon une communication du Gouvernement du 19 mars 2020 au Comité des Ministres, dans le cadre du suivi du groupe d’arrêts L.B. c. Belgique et W.D. c. Belgique, le 1 er décembre 2019, le nombre d’internés incarcérés en prison était de 537

Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté)

Ce grief porte sur les périodes pendant lesquelles les requérants ont été détenus dans les ailes psychiatriques de prisons sans bénéficier d’une thérapie adaptée à leur situation. La Cour note que lors de l’introduction de leur requête, les cinq requérants étaient privés de leur liberté dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire où ils ne bénéficiaient pas d’une thérapie adaptée. Ils séjournent désormais tous dans un établissement a priori adapté à leur état de santé mentale dans lequel ils ne contestent pas recevoir un traitement approprié. Leur détention dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention a donc pris fin. Pour l’ensemble des requérants, les juridictions internes ont reconnu la violation de la Convention, et en ont déduit que l’État avait commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil. Dès lors, la Cour considère qu’il y a eu une reconnaissance explicite de la violation. En ce qui concerne la question de savoir si les requérants ont obtenu une réparation adéquate et suffisante, la Cour note ce qui suit. Dans les cas de MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen, les juridictions internes ont appliqué un délai de prescription de cinq ans en considérant que la créance à laquelle ils pouvaient prétendre naissait chaque jour à nouveau et faisait courir le délai de prescription. La Cour estime que la durée de séjour de ces trois requérants dans les ailes psychiatriques de prison a largement excédé la durée raisonnable pour leur placement dans un établissement approprié. Dans la mesure où ils n’ont à aucun moment fait l’objet d’une mise en liberté définitive et que leur statut d’interné n’a pas changé, les périodes de privation de liberté consécutives doivent être considérées comme un tout, et donc comme une violation continue. Constatant que la réparation accordée par les juridictions internes à MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ne couvre pas l’intégralité de la période de violation continue litigieuse, la Cour estime qu’ils n’ont pas perdu la qualité de victime. La Cour note que ces trois requérants ont été détenus pendant plusieurs années dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans lesquelles ils n’ont pas bénéficié de soins et de traitement appropriés à leur état de santé mentale. Cette situation a eu pour effet de rompre le lien entre le motif de leur détention et le lieu et les conditions dans lesquelles la détention a eu lieu. Leur maintien en aile psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative a également constitué une épreuve particulièrement pénible les ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérence à la détention. La Cour observe par ailleurs que lors de sa dernière visite périodique en Belgique en 2017, le CPT5 a relevé que les ailes psychiatriques pénitentiaires souffraient toujours de ces problèmes systémiques bien connus. Il y a donc eu violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention à l’égard de ces trois requérants.

Dans le cas de MM. Venken et Clauws, la Cour constate qu’ils ont obtenu une réparation pour l’intégralité des périodes pour lesquelles ils ont demandé une indemnisation, et que le montant de 1 250 EUR par année de détention, dans des conditions contraires à la Convention, n’est pas déraisonnable. Ces deux requérants ont donc obtenu un redressement adéquat et suffisant pour les violations qu’ils ont subies et ne peuvent plus se prétendre victimes d’une violation des articles 3 et 5 § 1. Leurs griefs tirés de ces dispositions sont donc rejetés

Articles 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) et 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3

Ce grief porte sur l’effectivité des recours préventifs mis à la disposition des cinq requérants en vue de faire évoluer leurs conditions matérielles de détention qui étaient contraires à la Convention. Les procédures dont se plaignent MM. Venken, Rogiers et Neirynck se sont déroulées sous l’empire de la loi de 1930 de défense sociale : La Cour note que pendant toute la période pendant laquelle MM. Venken, Rogiers et Neirynck étaient détenus dans un établissement pénitentiaire et dans des conditions inappropriés, ils n’ont pas bénéficié d’un recours préventif effectif, pour les mêmes motifs que ceux identifiés par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique, et ce à tout le moins jusqu’à la création de places supplémentaires dans les centres de psychiatrie légale de Gand et Anvers et dans le circuit extérieur. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard de MM. Venken, Rogiers et Neirynck. Il y a aussi violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard de MM. Rogiers et Neirynck. Les procédures dont se plaignent MM. Clauws et Van Zandbergen se sont déroulées après l’entrée en vigueur de la loi de 2014 relative à l’internement : les intéressés estiment que ces recours préventifs n’étaient pas effectifs en ce qu’elles ne leur ont pas permis d’obtenir une amélioration de leur situation ou leur transfert vers un établissement adapté. À cet égard la Cour note ce qui suit.

1. L’examen périodique annuel prévu par la loi

La Cour observe que la loi relative à l’internement prévoit désormais un système de contrôle périodique automatique de la privation de liberté de la personne internée, qui doit être entamé dans un délai qui ne peut excéder un an après la décision précédente de la chambre de protection sociale du tribunal de l’application des peines (« CPS »). La CPS peut prévoir dans son jugement un délai plus court si elle l’estime nécessaire. Elle peut reporter une seule fois le traitement de l’affaire à une audience ultérieure, sans que cette audience puisse être tenue plus de deux mois après le report. En principe, une période maximale de seize mois et demi sépare ainsi deux décisions de la CPS. De l’avis de la Cour, l’intervalle prévu par la loi relative à l’internement ne peut pas être considéré comme raisonnable pour les personnes internées qui sont privées de liberté dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. En effet, le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 e) de la Convention, ce qui n’est manifestement pas le cas de l’examen périodique annuel prévu par la loi relative à l’internement. En l’occurrence, dans le cas de M. Van Zandbergen, la CPS a estimé, lors de son contrôle périodique, qu’elle n’avait pas la compétence pour se prononcer sur un éventuel manquement de l’État à l’obligation de transférer le requérant dans un établissement approprié dans un délai raisonnable. Malgré la constatation de la CPS que les différents acteurs préconisaient le transfert du requérant dans un autre établissement, elle a dû constater qu’il n’y avait pas de plan de reclassement concret et elle a rejeté la demande de transfèrement vers un établissement approprié en fixant le délai pour un nouvel avis du directeur de la prison, à exactement un an plus tard.

2. La procédure d’urgence

La procédure d’urgence, qui est prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement et dont s’est prévalu M. Clauws, constitue désormais la seule possibilité d’initiative laissée à l’interné et son avocat dans le cadre des procédures devant les instances de protection sociale. Cette disposition donne compétence à la CPS pour prendre, en cas d’urgence, une décision concernant une demande de transfèrement de la personne internée, de permission de sortie, de congé, de détention limitée, de surveillance électronique, de libération à l’essai et de libération anticipée en vue de l’éloignement du territoire ou en vue de la remise. La Cour constitutionnelle a considéré que cette procédure contient une garantie très forte quant au respect de l’article 5 de la Convention. La Cour constate toutefois que dans le cas de M. Clauws, la CPS a refusé de reconnaître que sa détention dans des conditions contraires à la Convention constituait une situation urgente. Elle a estimé que M. Clauws n’avait pas présenté un plan de reclassement concret et que, partant, son transfèrement vers un autre établissement ne pouvait être ordonné ni d’autres modalités d’internement reconnues. La Cour de cassation a ensuite confirmé que le fait que l’interné soit détenu dans des conditions inappropriées à son état de santé mentale au sens des articles 3 et 5 de la Convention ne constitue pas, en soi, une raison de considérer que la situation requiert une décision urgente de la CPS. Sur ce point, la Cour insiste sur le fait qu’il appartient aux autorités de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer aux personnes internées une prise en charge appropriée et individualisée adaptée à leur état de santé mentale. Il s’agit là d’une obligation mise à la charge de l’État. Il n’appartient pas aux internés d’organiser eux-mêmes la possibilité de leur reclassement dans un tel établissement. En effet, dans le cas de délinquants souffrant de troubles mentaux n’ayant pour la plupart pas bénéficié d’un suivi psychiatrique régulier et indépendant pendant plusieurs années, l’identification de la « solution appropriée », qui est également tributaire du profil des intéressés et du danger qu’ils représentent pour la société, est impossible à faire par les intéressés eux-mêmes. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les internés souffrent de troubles mentaux et peuvent donc être incapables de se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux.

Dans ces conditions, l’interprétation faite par les juridictions internes de la notion d’« urgence » dans le cas de M. Clauws, combiné à la durée de l’intervalle entre deux décisions de la CPS dans le cadre du contrôle périodique automatique, a pour conséquence que les recours devant les instances de protection sociale tels qu’ils sont organisés par la loi relative à l’internement ne constituaient pas des recours susceptibles de redresser rapidement la situation dont MM. Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées. Ces recours ne pouvaient donc passer pour effectifs.

3. Le recours en référé (article 584 du code judiciaire)

La Cour rappelle que l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences d’effectivité, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul. Or en droit belge, la Cour de cassation a précisément rappelé la complémentarité des recours devant les instances de protection sociale et ceux devant le juge judiciaire. La Cour a déjà considéré que le recours en référé pouvait en théorie se révéler complémentaire au recours devant les instances de défense sociale et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention. Cette procédure permet à une personne internée de demander que le juge judiciaire constate l’éventuel manquement de l’État belge à son obligation de transférer l’interné dans un délai raisonnable vers un établissement approprié et qu’il ordonne à l’État belge d’y procéder sous peine d’astreinte ou, à tout le moins, que des soins adéquats lui soient fournis. En l’espèce, compte tenu en particulier de la création d’un nombre important de places dans des centres de psychiatrie légale vers lesquels des détenus pouvaient et peuvent effectivement être transférés et de l’évolution positive de la jurisprudence du juge des référés, qui n’hésite pas à assortir ces ordonnances d’une astreinte, la Cour estime que le recours en référé constituait et constitue a priori un recours accessible et susceptible de redresser la situation dont les requérants Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées. Dès lors, eu égard à la possibilité qu’avaient ces requérants d’introduire un recours en référé en vertu de l’article 584 du code judiciaire et en l’absence d’éléments récents démontrant l’ineffectivité de facto de cette voie de recours, la Cour conclut qu’ils avaient à leur disposition un recours effectif. Cette conclusion ne préjuge en rien d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en référé par la Cour à la lumière des décisions rendues par les juridictions nationales et de leur exécution effective. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard de ces deux requérants.

Requêtes similaires

La Cour rappelle que les requêtes similaires aux présentes ont été ajournées pendant le délai octroyé par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique. La Cour estime opportun de poursuivre leur examen au regard des principes établis dans le présent arrêt, dès qu’il sera devenu définitif.

CEDH

RECEVABILITE

Principes généraux applicables

132.  La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 179, CEDH 2006‑V, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 259, CEDH 2012 (extraits)).

133.  Il convient pour cela de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010, et Rooman, précité, § 128).

134.  Une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de sa qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention sauf si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Scordino, précité, § 180, et Gäfgen, précité, § 115). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête (Rooman, précité, § 129).

135.  En ce qui concerne la réparation adéquate et suffisante pour remédier au niveau interne à la violation du droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen, précité, § 116). Le statut de victime d’un requérant peut dépendre du montant de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (Gäfgen, précité, § 118, et O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)).

136.  Dans une affaire relative à la longueur excessive des procédures, la Cour a dit qu’elle pouvait accepter qu’un État qui s’est doté de différents recours, et dont les décisions conformes à la tradition juridique et au niveau de vie du pays sont rapides, motivées, et exécutées avec célérité, accorde des sommes qui, tout en étant inférieures à celles fixées par la Cour, ne sont pas déraisonnables (Scordino, précité, § 206).

137.  Enfin, dans le contexte spécifique d’allégations de conditions de détention d’un interné considérées comme contraires aux articles 3 et 5 de la Convention, la Cour a tenu compte, pour conclure au maintien de la qualité de victime, du fait que la reconnaissance de violation de la Convention et la réparation financière offerte ne couvraient pas la totalité de la période litigieuse. Elle en a déduit que la réparation ne pouvait pas être considérée comme intégrale, ce d’autant plus que le jugement reconnaissant la violation et octroyant une réparation n’était pas définitif (Rooman, précité, §§ 131‑133).

b)     Application au cas d’espèce

138.  Conformément aux principes rappelés ci-dessus, il convient de vérifier, d’une part, si les autorités ont reconnu les violations de la Convention à l’égard des requérants et, d’autre part, si elles leur ont offert une réparation adéquate et suffisante. Cela étant, dans la mesure où les requérants étaient toujours détenus dans les conditions qu’ils dénonçaient lors de l’introduction de leur requête devant la Cour, il y a d’abord lieu de vérifier dans quelle mesure les recours qu’ils ont introduits étaient de nature à pouvoir offrir une réparation adéquate et suffisante.

  1. Les recours étaient-ils susceptibles de pouvoir ôter la qualité de victime aux requérants ?

139.  Lors de l’introduction de leur requête, les cinq requérants étaient privés de leur liberté dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire où ils ne bénéficiaient pas d’une thérapie adaptée. Ils séjournent désormais tous dans un établissement a priori adapté à leur état de santé mentale dans lequel ils ne contestent pas recevoir un traitement approprié. Leur détention dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 a donc pris fin.

140.  Dans ces conditions, la Cour n’exclut pas qu’ils puissent avoir perdu la qualité de victime, celle-ci s’appréciant à chaque stade de la procédure. Il échet de déterminer si la perte de la qualité de victime a pu être la conséquence des recours qu’ils ont introduits avec succès.

141.  La Cour a déjà eu l’occasion à maintes reprises d’expliquer la complémentarité des recours préventifs et compensatoires en matière de conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention (voir, pour un rappel récent de ces principes, Ulemek c. Croatie, no 21613/16, §§ 71-74, 31 octobre 2019, et Shmelev et autres c. Russie (déc.), nos 41743/17 et 16 autres, §§ 85-104, 17 mars 2020). Ces principes s’appliquent également à la problématique structurelle relative aux internés en Belgique. Si les recours préventifs et compensatoires sont étroitement liés et doivent en principe être combinés pour être effectifs, ils peuvent néanmoins être examinés séparément, en particulier lorsque, comme en l’espèce, les requérants ne sont plus, au moment de l’examen par la Cour, internés dans des conditions qu’ils estiment contraires à la Convention et que se pose la question du maintien de leur qualité de victime.

142.  Ainsi, dès lors que les requérants ne sont plus détenus dans des conditions qu’ils allèguent être contraires à la Convention, un recours compensatoire est en principe suffisant pour redresser la violation alléguée (voir, mutatis mutandis, les affaires relatives aux conditions matérielles de détention, Ulemek, précité, § 82, J.M.B. et autres c. France, nos 9671/15 et 31 autres, § 168, 30 janvier 2020, et Shmelev et autres, décision précitée, § 87).

143.  Cela étant dit, la Cour rappelle qu’un recours préventif effectif est exigé pour les personnes se trouvant encore dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1, c’est-à-dire un recours susceptible de redresser la situation dénoncée et d’empêcher la continuation des violations alléguées (voir, dans ce sens, W.D. c. Belgique, précité, §§ 153-154, et les références qui y sont citées). Dès lors, dans la mesure où, lors de l’introduction de leur requête, les requérants se trouvaient toujours dans les conditions litigieuses, la Cour examinera séparément la question de l’effectivité du recours préventif qu’ils avaient à leur disposition, aux fins des articles 5 § 4 et 13 de la Convention (voir mutatis mutandis, Yengo c. France, no 50494/12, §§ 56‑57, 21 mai 2015 ; paragraphes 172 et suivants ci-dessous).

144.  Il résulte de ce qui précède que, pour déterminer si les requérants peuvent toujours se prétendre victimes d’une violation des articles 3 et 5 § 1, la Cour va concentrer son examen sur l’appréciation du recours compensatoire prévu à l’article 1382 du code civil.

  1. Les autorités ont-elles reconnu les violations de la Convention ?

145.  Dans les cas de MM. Rogiers, Neirynck, Clauws et Van Zandbergen, tant l’État belge dans ses conclusions devant les juridictions internes que ces juridictions elles-mêmes ont reconnu de manière explicite les violations de la Convention en se référant à la jurisprudence de la Cour (paragraphes 30, 42, 58 et 71 ci-dessus). La reconnaissance de la violation est formulée de telle manière qu’elle n’est pas limitée à la période pour laquelle une indemnisation leur a été octroyée.

146.  S’agissant de M. Venken, les juridictions internes ont reconnu la violation de l’article 5 § 1 de la Convention et ont estimé qu’il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner l’article 3 (paragraphe 14 ci-dessus). M. Venken n’ayant pas invoqué l’article 3 dans sa requête devant la Cour, il y a lieu de considérer que la violation dénoncée a bien été reconnue par les autorités.

147.  Ainsi, pour l’ensemble des requérants, les juridictions internes ont reconnu la violation de la Convention et en ont déduit que l’État avait commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil. Dès lors, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, il y a lieu de considérer qu’il y a eu une reconnaissance explicite de la violation (a contrario, Rooman, précité, § 131).

  1. Les requérants ont-ils obtenu une réparation adéquate et suffisante ?

148.  Afin de donner une réponse à la question de savoir si les requérants ont obtenu une réparation adéquate et suffisante, la Cour vérifiera, d’une part, si la réparation couvre l’intégralité de la période dénoncée et, d’autre part, si le montant octroyé par les autorités juridictionnelles n’est pas déraisonnable par rapport à ce que la Cour octroierait au titre de la satisfaction équitable.

1)        La réparation couvrait-elle l’intégralité de la période dénoncée ?

    MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen

149.  Dans les cas de MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen, les juridictions internes ont appliqué un délai de prescription de cinq ans en considérant que la créance à laquelle ils pouvaient prétendre naissait chaque jour à nouveau et faisait courir le délai de prescription (paragraphes 31, 44 et 71 ci-dessus). Elles ont ainsi limité la période prise en compte pour le calcul de l’indemnisation accordée aux requérants, selon le cas, au 1er janvier de la quatrième année avant celle de l’introduction de la demande (article 100 des lois sur la comptabilité) ou à cinq ans avant l’introduction de la demande (article 2262bis du code civil ; paragraphes 97 et suivants ci‑dessus).

150.  Le Gouvernement soutient que l’application du délai de prescription est conforme à la jurisprudence de la Cour (paragraphe 127 ci‑dessus).

151.  La Cour ne peut suivre ce raisonnement. Elle constate en effet que les requérants Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ont été détenus pendant plusieurs années dans les ailes psychiatriques de prisons ordinaires. S’ils ont parfois fait l’objet d’une mise en liberté à l’essai pendant de courtes périodes dans des établissements externes, ils ont à chaque fois été réincarcérés. La durée de leur séjour dans les ailes psychiatriques de prison a largement excédé la durée raisonnable pour leur placement dans un établissement approprié. Dès lors, dans la mesure où ils n’ont à aucun moment fait l’objet d’une mise en liberté définitive et que leur statut d’interné n’a pas changé, les périodes de privation de liberté consécutives doivent être considérées comme un tout (Van Meroye, précité, § 74), et donc comme une violation continue.

152.  La Cour estime qu’exiger des requérants qu’ils aient introduit un recours indemnitaire avant la cessation de la violation continue alléguée leur aurait imposé une charge procédurale excessive. Une telle exigence ne tiendrait pas compte de la vulnérabilité des personnes internées du fait de leur état de santé mentale et de leur privation de liberté, et du fait qu’au moment où les requérants étaient détenus dans les conditions dénoncées, leur préoccupation principale était de faire évoluer lesdites conditions en demandant leur transfert vers un établissement approprié ou leur mise en liberté (voir et comparer avec Nikitin et autres c. Estonie, nos 23226/16 et 6 autres, §§ 136 et 141, 29 janvier 2019).

153.  La Cour rappelle à cet égard que pendant la durée de la privation de liberté dans des conditions incompatibles avec la Convention, seul un recours préventif permettant de mettre fin à la situation dénoncée pouvait passer pour être effectif (W.D. c. Belgique, précité, § 153).

154.  Dès lors, constatant que la réparation accordée par les juridictions internes à MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen ne couvre pas l’intégralité de la période de violation continue litigieuse, la Cour estime qu’ils n’ont pas perdu la qualité de victime (dans le même sens, Rooman, précité, § 132, et, a contrario, J.M.B. et autres c. France, précité, § 168).

    M. Venken

155.  La Cour constate, à l’instar du Gouvernement, que M. Venken a obtenu une réparation pour l’intégralité de la période pour laquelle il a demandé une indemnisation et pendant laquelle il a été interné dans des conditions contraires à la Convention. Il y a donc lieu, en ce qui le concerne, de vérifier si le montant de la réparation qu’il a reçue était adéquat et suffisant (paragraphes 158 et suivants ci-dessous).

    M. Clauws

156.  M. Clauws a été privé de liberté le 18 mars 2007. La Cour observe qu’il a bénéficié de mises en liberté à l’essai pendant deux longues périodes pendant lesquelles il a été détenu dans un établissement dont il ne conteste pas le caractère approprié : du 9 mai 2007 au 13 novembre 2012, et du 14 mars 2013 au 13 mars 2015. Le requérant a ainsi séjourné dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire dans des conditions contraires à la Convention du 18 mars 2007 au 8 juillet 2007, du 16 novembre 2012 au 14 mars 2013, puis du 13 mars 2015 au 3 septembre 2018. Il a obtenu une indemnisation pour la période à compter du 14 janvier 2013 jusqu’au 3 septembre 2018, à l’exclusion de la période du 14 mars 2013 au 13 mars 2015 pendant laquelle il était interné dans un établissement approprié (paragraphe 58 ci-dessus). La réparation accordée par les juridictions internes couvre ainsi l’intégralité de la période pour laquelle il a demandé une indemnisation.

157.  Il y a donc lieu, en ce qui concerne ce requérant également, de vérifier si le montant de la réparation qu’il a reçue était adéquat et suffisant.

2)  Le montant de la réparation était-il adéquat et suffisant ?

158.  M. Venken a obtenu un montant de 3 800 EUR pour une période de détention litigieuse de trois ans et un peu moins d’un mois. Ce faisant, les juridictions internes lui ont octroyé une somme de 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention, tel qu’il est désormais usuel (paragraphe 101 ci-dessus). M. Clauws a quant à lui obtenu un montant ex aequo et bono de 8 000 EUR pour une période de détention litigieuse de trois ans et huit mois, ce qui correspond à plus de 2 000 EUR par année de détention dans les conditions dénoncées.

159.  La question de savoir si ces montants peuvent passer pour adéquats et suffisants est étroitement liée à l’application que pourrait faire la Cour de l’article 41 de la Convention. Elle implique de vérifier, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, si le montant octroyé par les juridictions internes n’était pas déraisonnable en comparaison avec celui qu’octroierait la Cour dans des situations comparables (Scordino, précité, § 206, et Nikitin et autres, précité, § 197).

160.  Aussi, dans la décision Shmelev et autres (précitée), la Cour a rappelé qu’en vertu du principe de subsidiarité, une large marge d’appréciation doit être laissée aux autorités nationales en ce qui concerne l’évaluation du montant de l’indemnisation. Elle a précisé que cette évaluation doit être effectuée de façon cohérente avec leur propre système juridique et leurs traditions et compte tenu du niveau de vie du pays même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires (§§ 91-94).

161.  La Cour doit également prendre en compte les mesures prises par les autorités pour mettre un terme au problème structurel dénoncé (Shmelev et autres, décision précitée, § 96), ces mesures ayant en l’espèce profité aux requérants.

162.  Tenant compte de ces éléments, de la durée des situations litigieuses, des montants octroyés par la Cour dans les affaires similaires et des circonstances de l’espèce, la Cour estime que le montant de 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention n’est pas déraisonnable (voir et comparer avec Barbotin c. France, no 25338/16, § 57, 19 novembre 2020). Il en résulte que de l’avis de la Cour les requérants Venken et Clauws ont obtenu un redressement adéquat et suffisant pour les violations qu’ils ont subies.

163.  S’agissant enfin de la compensation des frais de justice et du partage des autres frais de procédure à l’égard de M. Clauws (paragraphe 58 ci-dessus), la Cour rappelle que si les règles en matière de frais de procédure poursuivent un but légitime, elles ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur le détenu dont l’action est fondée (Ulemek, précité, §§ 107‑108, et les références qui y sont citées). En l’espèce, le partage des frais de procédure à part égale entre les parties a été décidé par le tribunal en tenant compte de tous les éléments de la cause, notamment du fait que le requérant Clauws n’avait que partiellement obtenu gain de cause et qu’il avait bénéficié de l’aide juridique. La Cour n’y décèle aucune charge disproportionnée (voir et comparer avec Slavtcho Kostov c. Bulgarie, no 28674/03, § 62, 27 novembre 2008, et Barbotin, précité, § 57).

c)      Conclusions sur la recevabilité

164.  Pour les raisons indiquées ci-dessus, les requérants Venken et Clauws ne peuvent plus se prétendre victimes d’une violation des articles 3 et 5 § 1 au sens de l’article 34 de la Convention. Il s’ensuit que la requête de M. Venken en ce qu’elle a trait au grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention et celle de M. Clauws en ce qu’elle a trait aux griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention sont incompatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et que cette partie des requêtes doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

165.  En ce qui concerne les trois autres requérants, MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement. Elle constate par ailleurs que les griefs tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Elle les déclare donc recevables.

LE FOND

a)      Principes généraux

182.  La Cour rappelle que la Convention impose aux États contractants l’obligation d’instaurer des voies de recours internes effectives pour se plaindre des violations des droits et libertés qu’elle contient. Plus précisément, l’article 5 § 4 offre une garantie fondamentale contre les détentions arbitraires en exigeant qu’un individu privé de sa liberté ait le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 64, CEDH 2003‑IV, Claes, précité, § 127, et Dufoort, précité, § 98). En vertu de l’article 13, les griefs tirés d’une allégation de traitements contraires à l’article 3 doivent eux aussi pouvoir faire l’objet d’un recours effectif (W.D. c. Belgique, précité, § 144).

183.  En cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 55, série A no 33, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, CEDH 2012, Claes, précité, § 129, et Dufoort, précité, § 100).

b)     Application de ces principes dans des affaires antérieures

184.  Dans les arrêts prononcés par la Cour dans des affaires relatives à la même problématique structurelle que les présentes requêtes, la Cour a mis en exergue, d’une part, le manque de compétence des instances de défense sociale pour imposer à des établissements extérieurs d’accepter un interné et, d’autre part, l’incompétence ou le manque d’action des juridictions civiles saisies en référé.

185.  En effet, la Cour a constaté que les instances de défense sociale étaient empêchées de facto d’effectuer un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention, à savoir le caractère approprié du lieu de détention, et de jure de redresser la violation alléguée par les requérants (voir, par exemple, Claes, §§ 133-134, Moreels, §§ 70-71, Gelaude, §§ 65-66, Oukili, §§ 67-68, et Saadouni, §§ 76-77, tous précités).

186.  S’agissant de l’effectivité du recours en référé, la Cour a considéré que ce recours pouvait en théorie se révéler complémentaire au recours devant les instances de défense sociale et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention (Aerts, précité, § 55, et W.D. c. Belgique, précité, § 150). Elle a constaté que cette voie de recours s’était avérée utile dans certaines affaires (Claes, précité, § 135).

187.  Toutefois, dans les circonstances particulières d’autres affaires, la Cour a estimé que le recours en référé n’avait pas été effectif. Dans l’arrêt Claes (précité, § 135), la Cour a observé que le requérant n’avait pas eu accès au juge judiciaire qui s’était déclaré incompétent pour statuer sur le caractère approprié de l’aile psychiatre de la prison de Merksplas. Dans l’arrêt Van Meroye (précité, § 106), elle a conclu que cette voie n’avait pas été effective au motif que le président du tribunal de première instance avait affirmé que le pouvoir de contrôle du juge judiciaire des conditions réelles de détention était marginal et qu’il ne pouvait intervenir que si la prise en charge et les soins étaient totalement absents.

188.  En revanche, dans l’arrêt Dufoort (précité, § 108), la Cour a considéré ne pas disposer de suffisamment d’éléments pour considérer que la procédure en référé n’était pas un recours conforme à cette disposition. Rien ne montrait que, si le juge des référés avait conclu à l’insuffisance des soins, il n’aurait pas pu y remédier.

189. Dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité), la Cour a estimé qu’à supposer que les recours invoqués par le Gouvernement puissent en théorie se révéler complémentaires et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention, on ne saurait prétendre qu’un interné ayant obtenu une décision favorable doive multiplier les recours afin de voir ses droits fondamentaux finalement respectés en pratique (§ 150). Elle a rappelé qu’en réalité, l’ineffectivité de ces recours était largement dépendant de la nature structurelle du phénomène rencontré en Belgique et que c’était le manque de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié dans les ailes psychiatriques des prisons, plus que les recours eux‑mêmes, qui étaient à l’origine de l’ineffectivité du recours aux instances de défense sociale et compromettaient l’exécution des éventuelles décisions favorables prononcées par le juge judiciaire (§ 151). La Cour en a déduit que même si les instances de défense sociale avaient exercé leur pouvoir de contrôle de manière assez ample et examiné de manière circonstanciée les conditions de détention du requérant, cela n’aurait pas pu mener à un redressement de la situation dénoncée par lui vu que son transfèrement était de toute façon tributaire de l’admission dans un établissement extérieur et était bloqué par les refus d’admission (§ 152).

c) Application au cas d’espèce

190.  Tel qu’indiqué ci-dessus (paragraphe 143), dans la mesure où, lors de l’introduction de leur requête, les requérants se trouvaient toujours dans des conditions contraires à la Convention, la Cour examine la question de l’effectivité des recours préventifs qu’ils avaient à leur disposition. Cela vaut également pour les requérants Venken et Clauws, nonobstant leur perte de la qualité de victime au regard des articles 3 et 5 § 1 de la Convention. En effet, les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 étant des dispositions distinctes, l’inobservation de l’un n’emporte pas nécessairement inobservation de l’autre (Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 88, 9 juillet 2009), et seul un recours préventif peut passer pour effectif lorsque les personnes concernées se trouvent dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 lors de l’introduction de leur requête devant la Cour (paragraphe 143 ci‑dessus).

191. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour a déjà dit à de nombreuses reprises que le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (voir, parmi d’autres, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres, § 97, 8 janvier 2013, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et 5 autres, § 183, 27 janvier 2015, Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, § 132, 15 septembre 2015, et J.M.B. et autres c. France, précité, § 208). La Cour estime qu’il en va de même lorsque des personnes internées conformément à l’article 5 § 1 e) de la Convention sont détenues dans des conditions incompatibles avec cette disposition et/ou avec l’article 3 de la Convention.

192.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note que les procédures devant les instances de défense sociale dont se plaignent les requérants se sont déroulées, pour ce qui concerne les requérants Venken, Rogiers et Neirynck, sous l’empire de la loi de 1930 de défense sociale. Leurs requêtes ont été introduites avant l’entrée en vigueur de la loi de 2014 relative à l’internement. Les procédures dont se plaignent les requérants Clauws et Van Zandbergen se sont quant à elles déroulées après l’entrée en vigueur de ladite loi. Il y a donc lieu d’examiner séparément l’effectivité des recours concernés.

  1. Sur l’effectivité des recours prévus par la loi de 1930 de défense sociale (MM. Venken, Rogiers et Neirynck)

193.  La Cour prend note de l’évolution positive de la situation qui ressort des documents dont elle dispose et qui font état de la création d’un nombre important de places dans des centres de psychiatrie légale depuis le prononcé de l’arrêt W.D. c. Belgique (précité) et l’entrée en vigueur de la loi relative à l’internement le 1er octobre 2016 (paragraphes 104 et suivants ci‑dessus).

194.  Les requérants Venken, Rogiers et Neirynck semblent d’ailleurs avoir bénéficié de cette amélioration dans la mesure où ils ont tous, après l’introduction de leur requête, été transférés vers un établissement a priori approprié.

195.  Il n’en demeure pas moins que pendant toute la période pendant laquelle MM. Venken, Rogiers et Neirynck étaient détenus dans un établissement pénitentiaire et dans des conditions inappropriées, ils n’ont pas bénéficié d’un recours préventif effectif, pour les mêmes motifs que ceux identifiés par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité, §§ 150‑152 ; voir aussi paragraphe 189 ci-dessus), et ce à tout le moins jusqu’à la création de places supplémentaires dans les centres de psychiatrie légale de Gand et Anvers et dans le circuit extérieur.

196.  Par conséquent, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard des requérants Venken, Rogiers et Neirynck, et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants Rogiers et Neirynck.

  1. Sur l’effectivité des recours organisés par la loi de 2014 relative à l’internement (MM. Clauws et Van Zandbergen)

197.  Les requérants Clauws et Van Zandbergen se plaignent que les procédures dont ils ont fait l’objet après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement n’ont pas non plus constitué un recours préventif effectif en ce qu’elles ne leur ont pas permis d’obtenir une amélioration de leur situation ou leur transfert vers un établissement adapté.

198. La Cour observe que la loi relative à l’internement prévoit désormais un système de contrôle périodique automatique de la privation de liberté de la personne internée, qui doit être entamé dans un délai qui ne peut excéder un an après la décision précédente de la CPS (paragraphes 82 et suivants ci-dessus). La CPS peut prévoir dans son jugement un délai plus court si elle l’estime nécessaire. Elle peut reporter une seule fois le traitement de l’affaire à une audience ultérieure, sans que cette audience puisse être tenue plus de deux mois après le report. En principe, une période maximale de seize mois et demi sépare ainsi deux décisions de la CPS.

199.  Le Gouvernement insiste sur le fait qu’il s’agit d’un délai maximum et que la CPS peut ordonner qu’un réexamen ait lieu à intervalles plus réguliers. Le CPT a toutefois observé qu’en pratique, les réexamens ne se faisaient généralement que tous les ans, le minimum prévu par la loi. Il a par ailleurs invité les autorités à augmenter la fréquence minimale de ces réexamens à deux par an (paragraphe 115 ci-dessus).

200.  La Cour rappelle que l’appréciation de la régularité de l’internement doit se faire à des intervalles raisonnables pour qu’il soit satisfait à l’exigence d’une décision prise à bref délai telle que prévue par l’article 5 § 4 de la Convention. De plus, en vertu de cette disposition, toute personne privée de liberté doit pouvoir introduire un recours afin qu’un « tribunal » décide « à bref délai » si la privation de liberté est devenue irrégulière eu égard à de nouveaux facteurs survenus après la décision initiale de son placement en détention (Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, § 215, 2 octobre 2012, et Kuttner c. Autriche, no 7997/08, § 37, 16 juillet 2015).

201.  De l’avis de la Cour, l’intervalle prévu par la loi relative à l’internement ne peut pas être considéré comme raisonnable pour les personnes internées qui sont privées de liberté dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. En effet, comme il a été rappelé ci-dessus (paragraphe 191), dans un tel cas, le recours préventif doit être susceptible de mettre rapidement fin à l’incarcération dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1 e) de la Convention, ce qui n’est manifestement pas le cas de l’examen périodique annuel prévu par la loi relative à l’internement.

202.  La Cour constate d’ailleurs que, dans le cas de M. Van Zandbergen, la CPS a estimé, lors de son contrôle périodique, qu’elle n’avait pas la compétence pour se prononcer sur un éventuel manquement de l’État à l’obligation de transférer le requérant dans un établissement approprié endéans un délai raisonnable. Malgré la constatation de la CPS que les différents acteurs préconisaient le transfert du requérant dans un autre établissement, elle a dû constater qu’il n’y avait pas de plan de reclassement concret et elle a partant rejeté la demande de transfèrement vers un établissement approprié en fixant le délai pour un nouvel avis du directeur de la prison à exactement un an plus tard (paragraphes 64 et suivants ci‑dessus).

203.  Reste la procédure d’urgence prévue par l’article 54 de la loi relative à l’internement dont s’est prévalu M. Clauws (paragraphes 49 et suivants ci-dessus) et qui constitue désormais la seule possibilité d’initiative laissée à l’interné et son avocat dans le cadre des procédures devant les instances de protection sociale.

204.  Cette disposition donne compétence à la CPS pour prendre, en cas d’urgence, une décision concernant une demande de transfèrement de la personne internée, de permission de sortie, de congé, de détention limitée, de surveillance électronique, de libération à l’essai et de libération anticipée en vue de l’éloignement du territoire ou en vue de la remise (paragraphe 87 ci-dessus). La Cour constitutionnelle a considéré que cette procédure contient une garantie très forte quant au respect de l’article 5 de la Convention (paragraphes 85 et 86 ci-dessus).

205.  La Cour constate toutefois que dans le cas de M. Clauws, la CPS a refusé de reconnaître que sa détention dans des conditions contraires à la Convention constituait une situation urgente. Elle a estimé que M. Clauws n’avait pas présenté un plan de reclassement concret et que, partant, son transfèrement vers un autre établissement ne pouvait être ordonné ni d’autres modalités d’internement reconnues (paragraphe 50 ci-dessus). La Cour de cassation a ensuite confirmé que le fait que l’interné soit détenu dans des conditions inappropriées à son état de santé mentale au sens des articles 3 et 5 de la Convention ne constitue pas, en soi, une raison de considérer que la situation requiert une décision urgente de la CPS (paragraphes 53 et suivants ci-dessus).

206.  Sur ce point, la Cour insiste sur le fait qu’il appartient aux autorités de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer aux personnes internées une prise en charge appropriée et individualisée adaptée à leur état de santé mentale. Il s’agit là d’une obligation mise à la charge de l’État (dans ce sens, Rooman, précité, § 205). Il n’appartient pas aux internés d’organiser eux-mêmes la possibilité de leur reclassement dans un tel établissement. En effet, dans le cas de délinquants souffrant de troubles mentaux n’ayant pour la plupart pas bénéficié d’un suivi psychiatrique régulier et indépendant pendant plusieurs années, l’identification de la « solution appropriée », qui est également tributaire du profil des intéressés et du danger qu’ils représentent pour la société, est impossible à faire par les intéressés eux‑mêmes (W.D. c. Belgique, précité, § 149). Il ne faut pas non plus perdre de vue que les internés souffrent de troubles mentaux et peuvent donc être incapables de se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux (Rooman, précité, § 145, et la jurisprudence qui y est citée).

207.  Dans ces conditions, l’interprétation faite par les juridictions internes de la notion d’« urgence » dans le cas de M. Clauws, combiné à la durée de l’intervalle entre deux décisions de la CPS dans le cadre du contrôle périodique automatique, a pour conséquence que les recours devant les instances de protection sociale tels qu’ils sont organisés par la loi relative à l’internement ne constituaient pas des recours susceptibles de redresser rapidement la situation dont MM. Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées. Ces recours ne pouvaient donc passer pour effectifs.

208.  Cela étant dit, la Cour doit également tenir compte de la possibilité qu’avaient les requérants d’introduire un recours en référé en vertu de l’article 584 du code judiciaire.

209.  Elle rappelle en effet que l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences d’effectivité, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 268, 15 décembre 2016, et Mugemangango c. Belgique [GC], no 310/15, § 131, 10 juillet 2020). Or en droit belge, la Cour de cassation a précisément rappelé la complémentarité des recours devant les instances de protection sociale et ceux devant le juge judiciaire (paragraphe 93 ci-dessus).

210.  La Cour a déjà considéré que le recours en référé pouvait en théorie se révéler complémentaire au recours devant les instances de défense sociale et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention (paragraphe 186 ci-dessus ; voir également, pour des exemples de la jurisprudence interne faisant droit aux demandes de personnes internées, paragraphe 94 ci-dessus). Cette procédure permet à une personne internée de demander que le juge judiciaire constate l’éventuel manquement de l’État belge à son obligation de transférer l’interné dans un délai raisonnable vers un établissement approprié et qu’il ordonne à l’État belge d’y procéder sous peine d’astreinte ou, à tout le moins, que des soins adéquats lui soient fournis (paragraphes 93-95 ci-dessus).

211.  La Cour rappelle que dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique (précité), elle a néanmoins considéré qu’à supposer que les recours puissent en théorie se révéler complémentaires, leur ineffectivité était largement dépendante de la nature structurelle du phénomène rencontré en Belgique et que c’était le manque de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié dans les ailes psychiatriques des prisons, plus que les recours eux-mêmes, qui étaient à l’origine de l’ineffectivité du recours aux instances de défense sociale et compromettaient l’exécution des éventuelles décisions favorables prononcées par le juge judiciaire (paragraphe 189 ci‑dessus).

212.  Plus de quatre ans se sont écoulés depuis le prononcé de l’arrêt W.D. c. Belgique (précité). La Cour doit donc prendre en compte et apprécier l’évolution de la situation depuis lors. Conformément au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention, il appartient en effet aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention (Rooman, précité, § 128). Un des buts importants de la procédure d’arrêt pilote est d’ailleurs d’inciter l’État défendeur à trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel (W.D. c. Belgique, précité, § 160).

213.  En l’espèce, compte tenu en particulier de la création d’un nombre important de places dans des centres de psychiatrie légale vers lesquels des détenus pouvaient et peuvent effectivement être transférés (paragraphes 104 et suivants ci-dessus) et de l’évolution positive de la jurisprudence du juge des référés, qui n’hésite pas à assortir ces ordonnances d’une astreinte (paragraphe 95 ci-dessus), la Cour estime que le recours en référé constituait et constitue a priori un recours accessible et susceptible de redresser la situation dont les requérants Clauws et Van Zandbergen étaient victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées.

214.  Dès lors, eu égard à la possibilité qu’avaient les requérants Clauws et Van Zandbergen d’introduire un recours en référé en vertu de l’article 584 du code judiciaire et en l’absence d’éléments récents démontrant l’ineffectivité de facto de cette voie de recours, la Cour conclut qu’ils avaient à leur disposition un recours effectif. Cette conclusion ne préjuge en rien d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en référé par la Cour à la lumière des décisions rendues par les juridictions nationales et de leur exécution effective.

215.  Dans ces conditions, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants Clauws et Van Zandbergen.

W.D. c. BELGIQUE du 6 septembre 2016 requête 73548/16

violation de l'article 5-1, 5-4, 13 et 3 de la Convention, un aliéné n'a rien à faire en prison !

Violation de l'article 5-1 de la Convention

a) Principes généraux

121. La Cour a rappelé dans les quatre arrêts précités les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 et qui lui permettent d’évaluer la régularité de la privation de liberté et du maintien en détention d’une personne atteinte de troubles mentaux (L.B. c. Belgique, §§ 91-94, Claes, §§ 112-115, Dufoort, §§ 76, 77 et 79, et Swennen, §§ 69‑72, précités, et les références qui y sont citées ; voir également Papillo c. Suisse, no 43368/08, §§ 41-43, 27 janvier 2015).

b) Application des principes en l’espèce

122. La Cour observe que l’internement du requérant a été ordonné, en application de la loi de défense sociale, par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Malines, par ordonnance du 27 février 2007, pour des faits qualifiés d’attentat à la pudeur sur un mineur âgé de moins de seize ans. En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention pour autant qu’il concerne la détention des aliénés.

123. La Cour note qu’il n’est pas contesté que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

124. Rien ne permet, par ailleurs, à la Cour de douter que les conditions énoncées dans sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33) pour qualifier le requérant d’« aliéné » et maintenir sa privation de liberté sont réunies en l’espèce. Le requérant souffre de troubles de la personnalité et du comportement présentant un danger pour la société ainsi que d’un retard mental, attestés médicalement depuis 2006 et confirmés ensuite. Des tests effectués en 2009, 2013 et en 2014 confirmèrent que le requérant présentait un risque de récidive de délinquance sexuelle et révélaient qu’il souffrait de problèmes d’autisme.

125. La Cour doit donc examiner si, conformément à sa jurisprudence, la détention du requérant a lieu dans un établissement approprié.

126. Le Gouvernement fait valoir que compte tenu de son profil, le requérant est détenu dans un endroit approprié et qu’il a toujours été entouré de soins adéquats en particulier depuis qu’il a été transféré au pavillon De Haven de la section de défense sociale de Merksplas.

127. La Cour ne saurait partager l’analyse faite par le Gouvernement. Elle relève en effet que la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre adapté est envisagée depuis 2009. Les instances de défense sociale ont constamment motivé le maintien du requérant à Merksplas dans l’attente de l’intégrer dans un foyer sous surveillance dépendant de l’Agence flamande pour les personnes avec un handicap (voir paragraphes 20 et 25, ci-dessus). Les autorités ont pris contact à plusieurs reprises avec des établissements extérieurs mais ces démarches se sont révélées infructueuses en raison du refus opposé par ces structures d’admettre le requérant.

128. À cela s’ajoute que dans sa décision du 16 mars 2015, la CSDS a constaté expressément que le délai dans lequel le requérant avait droit à des soins et à un encadrement adapté avait expiré, et a ordonné aux autorités belges son transfert vers un tel établissement (voir paragraphe 27, ci‑dessus).

129. La Cour en déduit que le maintien du requérant en aile psychiatrique est conçu par les autorités elles-mêmes comme une solution « transitoire » dans l’attente de trouver une structure appropriée et adaptée à ses besoins, que l’inadéquation thérapeutique du maintien du requérant en milieu carcéral est avérée, et que, s’il y est maintenu, c’est en raison d’un défaut structurel d’alternative (voir, mutatis mutandis, L.B. c. Belgique, § 95, Claes, § 116, Dufoort, § 81, précités, et Saadouni, no 50658/09, § 56, 9 janvier 2014).

130. Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état du requérant et l’échec de la prise en charge extérieure à son attitude, à son manque de motivation et à son type de pathologie.

131. La Cour n’est pas, quant à elle, convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude visant à empêcher toute évolution de sa situation. Au contraire, elle relève que dans le cadre de la procédure en référé, le requérant a formulé ses desiderata en vue de faire évoluer son état. Il demandait que l’État soit condamné à lui prodiguer un traitement spécialisé pour comportement sexuel déviant. Cette demande n’est pas, aux yeux de la Cour, manifestement déraisonnable et apparaît prima facie correspondre à des « soins adaptés » dans le cas d’une personne qui en plus d’être délinquant sexuel souffre de troubles de la personnalité, d’un retard mental et n’a qu’une conscience très faible de sa problématique (voir, mutatis mutandis, Swennen, précité, § 80). Ce qui est préoccupant, selon la Cour, c’est qu’une telle prise en charge ne fasse pas partie des soins prodigués au requérant à la prison de Merksplas.

132. La Cour rappelle que dans les quatre arrêts de principe, L.B. c. Belgique, Claes, Dufoort, et Swennen précités, elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention au motif que la détention des requérants, déclarés pénalement irresponsables de leurs actes, pendant une période significative, dans une aile psychiatrique de prison reconnue comme étant inadaptée à leurs besoins, avait eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu.

133. Aucun élément du dossier du requérant ni de l’argumentation du Gouvernement ne permet à la Cour de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

134. En conclusion, la Cour considère que l’internement du requérant dans un lieu inadapté à son état de santé depuis 2006, a rompu le lien requis par l’article 5 § 1 e) de la Convention entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

135. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

VIOLATION DE L'ARTICLE 5-4, 13 ET 3 DE LA CONVENTION

143. La Cour constate qu’à l’instar des autres affaires dont elle a déjà eu à connaître, le requérant s’est adressé aux instances de défense sociale, juges des libertés en matière d’internement, pour se plaindre d’une violation de l’article 3 ou 5 § 1 de la Convention et demander son transfert dans un établissement approprié; il a demandé que la CDS effectue une visite sur le lieu de détention pour constater de visu son caractère inapproprié. Invoquant les mêmes dispositions, le requérant a également saisi le juge judiciaire siégeant en référé pour se plaindre de la violation de ces mêmes dispositions et demander notamment qu’une thérapie adaptée soit mise en place (voir Claes, précité, et Van Meroye c. Belgique, no 330/09, 9 janvier 2014).

144. La Cour rappelle que la Convention impose que les États contractants instaurent des voies de recours internes efficaces pour se plaindre des violations des droits et libertés qu’elle contient. En vertu de l’article 13, disposition générale relative au droit de recours effectif, les griefs tirés d’une allégation de traitements contraires à l’article 3 doivent pouvoir faire l’objet d’un recours effectif (voir Bamouhammad, précité, §§ 165-166, pour les principes généraux relatifs à l’article 13 combiné à l’article 3 en matière de conditions de détention). Toute personne internée a également le droit, sur pied de l’article 5 § 4, de faire examiner à bref délai la régularité de sa privation de liberté (voir, parmi d’autres, Dufoort, précité, §§ 97-101, pour l’énoncé des principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux). Cette disposition constitue une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, CEDH 2009, et Dufoort, précité, § 92).

145. Bien que ces dispositions fassent en général l’objet d’un examen distinct (voir, parmi d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, CEDH 2012), en l’espèce, étant donné que dans le système belge, les articles 3 et 5 § 1 de la Convention peuvent être invoquées ensemble tant devant les instances de défense sociale que devant le juge judiciaire (voir paragraphe 142, ci-dessus), il est justifié, selon la Cour, que la problématique de l’effectivité du contentieux de l’internement soit abordée globalement sous l’angle des articles 5 § 4 et 13 combiné avec l’article 3 de la Convention

146. Le requérant allègue qu’il n’a pas disposé d’une voie de recours qui aurait permis un contrôle sérieux de sa situation et du caractère inapproprié de son lieu de détention et qui pouvait mener à un redressement de sa situation et empêcher sa continuation.

147. Il se plaint que ni les instances de défense sociale ni le juge saisi en référé n’ont estimé utile d’effectuer une visite sur son lieu de détention au motif que les circonstances qu’il dénonçait étaient « connues ».

148. La CDS s’est contentée pendant plus de huit ans de prolonger sa détention dans l’attente qu’un transfèrement soit possible dans un établissement extérieur et de constater qu’en l’absence d’une attestation de prise en charge par un tel établissement, il était inutile d’ordonner son transfèrement vers une telle institution (voir paragraphes 20 et 25, ci‑dessus). Le recours au juge en référé ne s’est pas avéré plus fructueux.

149. À sujet de cette dernière voie de recours, la Cour constate qu’en dépit de l’affirmation par le Gouvernement selon laquelle le juge judiciaire est devenu une voie de recours effective pour les internés qui demandent la mise en place d’un cadre thérapeutique, la jurisprudence citée à l’appui est loin d’être consolidée. Cette voie s’est d’ailleurs longtemps avérée inutile pour le requérant qui s’est vu reprocher de ne pas avoir démontré en quoi le cadre dans lequel il évoluait n’était pas adapté à sa pathologie ni identifié la voie thérapeutique appropriée (voir paragraphes 29-30, ci-dessus). Or, la Cour est d’avis que dans le cas de délinquants souffrant de troubles mentaux n’ayant pour la plupart pas bénéficié d’un suivi psychiatrique régulier et indépendant, l’identification de la « solution appropriée », qui est également tributaire du profil des intéressés et du danger qu’ils représentent pour la société, est impossible à faire par les intéressés eux-mêmes.

150. Quant à la décision de la CSDS du 16 mars 2015 ordonnant finalement le placement du requérant dans le circuit externe, la Cour observe qu’elle est toujours inexécutée et que le requérant a été contraint de diligenter une procédure devant le juge judiciaire pour en obtenir l’exécution. Aux yeux de la Cour, il est difficile de concilier cette situation avec l’effectivité alléguée des recours existants. À supposer que ceux-ci puissent en théorie se révéler complémentaires et permettre, dans certains cas, aux intéressés d’obtenir une décision conforme aux exigences d’effectivité prévues par la Convention, on ne saurait prétendre qu’un interné ayant obtenu une décision favorable doive multiplier les recours afin de voir ses droits fondamentaux finalement respectés en pratique.

151. En réalité, la Cour l’a déjà observé, le dysfonctionnement de ces recours est largement dépendant de la nature structurelle du phénomène rencontré en Belgique. C’est le manque de places adaptées dans le circuit extérieur et le manque de personnel qualifié dans les ailes psychiatriques de prison, plus que les recours eux-mêmes, qui sont à l’origine de l’ineffectivité du recours aux instances de défense sociale et compromettent l’exécution des éventuelles décisions favorables prononcées par le juge judiciaire.

152. Il s’ensuit que même si les instances de défense sociale ou le juge en référé avaient exercé leur pouvoir de contrôle de manière assez ample et examiné de manière circonstanciée les conditions de détention du requérant, cela n’aurait pas pu mener à un redressement de la situation dénoncée par lui vu que son transfèrement était de toute façon tributaire de l’admission dans un établissement extérieur et était bloqué par les refus d’admission (voir, mutatis mutandis, Claes, précité, §§ 133-134, Dufoort, précité, §§ 106-107, Van Meroye, précité, §§ 100-101).

153. Enfin, le Gouvernement évoque la possibilité d’introduire une demande en indemnisation sur pied de l’article 1382 du code civil. La Cour relève que ce recours ne permettrait pas une amélioration immédiate et concrète des conditions de détention du requérant ou un quelconque changement d’établissement. Une décision favorable des tribunaux aurait simplement pour effet d’octroyer une indemnisation financière au requérant pour le préjudice subi du fait d’une faute des autorités compétentes. La Cour en conclut que l’action en dommages et intérêts ne remplit pas les conditions exigées pour être considérée, dans les circonstances de l’affaire, comme un recours effectif (voir, mutatis mutandis, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 50, 8 janvier 2013, et Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 75, 25 novembre 2014).

154. Au vu de l’analyse du système belge tel qu’il était en vigueur au moment des faits de la présente affaire, la Cour conclut que le requérant ne disposait pas, pour faire valoir ses griefs tirés de la Convention, d’un recours effectif en pratique, c’est-à-dire susceptible de redresser la situation dont il est victime et d’empêcher la continuation des violations alléguées.

155. Partant il y a eu violation de l’article 5 § 4 et de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

SAADOUNI C. BELGIQUE du 9 janvier 2014 requête 50658/09

Un internement dans un lieu non adapté à son état de santé est non conforme à la Convention.

Cet arrêt est confirmé le même jour par Morrels C. Belgique requête 43717/09, Ouliki C. Belgique requête 43663/09, Gelaude C. Belgique requête 43733/09, Van Meroye C. Belgique requête 330/09, Plaisier C. Belgique requête 28785/11, Lankaster C. Belgique requête 22283/10 et Caryn C. Belgique requête 43687/09.

LA CEDH CONSTATE DANS L'ARRÊT CARYN C. BELGIQUE § 41

Il y a un problème structurel en Belgique dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Nombre d’entre elles sont maintenues dans des ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans l’attente de trouver une place dans une structure extérieure leur offrant des soins thérapeutiques pouvant contribuer à l’amélioration de leur état de santé et à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Ce problème est reconnu par les autorités belges et plusieurs instances internationales ont, de manière récurrente, exprimé leur préoccupation à ce sujet (L.B., § 95, Claes, § 116, Dufoort, § 81, et Swennen, § 81).

L'ARRÊT

50.  La Cour observe que l’internement du requérant a été ordonné une première fois en application des articles 1er à 7 de la loi de défense sociale par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers par arrêt du 30 mai 2000 pour faits de vol, escroquerie et recel. Cet arrêt faisait suite à un rapport psychiatrique qui constatait que le requérant était en état de démence au moment des faits.

51.  En l’absence de « condamnation », la Cour estime que la détention subie par l’intéressé relève de l’article 5 § 1 e) de la Convention pour autant qu’il concerne la détention des aliénés. Ni la décision ultérieure du ministre de la Justice du 7 novembre 2000, selon laquelle le requérant purgerait durant son internement le reliquat des peines d’emprisonnement auxquelles il avait été condamné antérieurement, ni la condamnation du requérant le 29 novembre 2002 par la cour d’appel d’Anvers n’amène à une approche différente. De fait, il ressort de la formulation de la décision de la CDS du 18 février 2003 qui ordonna sa réintégration en annexe psychiatrique et des décisions ultérieures que ces évènements sont restés sans impact sur la justification et le maintien de l’internement du requérant.

52.  La Cour note qu’il n’est pas contesté devant elle que l’aliénation du requérant légitimait son internement. Elle observe toutefois que les avis médicaux ont divergé sur cette question. Contrairement à l’expertise psychiatrique de 1999 sur laquelle se basèrent les juridictions d’instruction pour ordonner l’internement du requérant (paragraphe 8, ci-dessus), deux rapports, établis en 1997 et 2002 respectivement, constatèrent que, si le requérant présentait en effet des troubles mentaux, il ne pouvait pas être considéré comme « en état de démence » (paragraphes 7 et 13, ci-dessus). Ces divergences autorisent la Cour à se demander si l’aliénation du requérant a été établie de manière probante et si le trouble constaté revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008, et Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X). La question peut, cependant, être laissée ouverte car le problème principal que la Cour doit examiner – et cela n’est pas contesté par les parties – est celui de savoir si, conformément à sa jurisprudence, la détention du requérant a lieu dans un établissement approprié.

53.  La Cour observe que le requérant a fait l’objet de plusieurs mesures d’internement au sein d’annexes psychiatriques de prison depuis l’arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 30 mai 2000. Ces périodes d’internement furent interrompues pendant quelques mois à deux reprises, une première fois d’octobre 2001 à avril 2002 à la suite d’une mise en liberté qui échoua et une deuxième fois en 2005 en raison d’une fuite à l’occasion d’une permission de sortie. Depuis, le requérant est détenu de façon continue en annexe psychiatrique et séjourne depuis le 8 octobre 2009 à la prison de Louvain. La Cour constate que, depuis 2000, le requérant n’a pas fait l’objet d’une mise en liberté définitive et son statut n’a pas changé. Elle estime donc que les périodes d’internement multiples et consécutives du requérant doivent être considérées comme un tout.

54.  Le Gouvernement fait valoir que le requérant, à la différence notamment du requérant dans l’affaire Aerts précitée, a toujours été interné dans un lieu que la CDS a désigné et considéré comme approprié.

55.  La Cour note toutefois, à l’examen des faits de l’espèce, que la perspective d’un reclassement et la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre structuré ont été envisagées par les autorités de manière certaine en 2007 et 2008 et poursuivies concrètement depuis 2010. Plusieurs plans de reclassement ont été proposés à la CDS par le service psychosocial de la prison, des autorisations de sortie ont été accordées par la CDS dans cette perspective et des établissements psychiatriques ont été contactés pour la prise en charge résidentielle du requérant.

56.  La Cour en déduit que le maintien du requérant en annexe psychiatrique est conçu par les autorités elles-mêmes comme une solution « transitoire » dans l’attente de trouver une structure appropriée et adaptée à ses besoins, ce qui, implicitement, souligne l’inadéquation thérapeutique du maintien du requérant en milieu carcéral et que, si aucun autre établissement n’a été désigné par la CDS, c’est, en réalité, à défaut d’alternative (voir, mutatis mutandis, L.B., § 95, Claes, § 116, et Dufoort, § 81).

57.  Le Gouvernement soutient qu’au sein des annexes psychiatriques, le requérant a toujours bénéficié d’un encadrement adéquat et des soins appropriés.

58.  La Cour relève que les seules informations figurant dans le dossier concernent le nombre de consultations en psychiatrie dont le requérant a bénéficié et qui ont eu lieu, entre 2008 et 2011, sur une base presque mensuelle et de manière plus intense en 2009. Il n’est nulle part question d’une prise en charge thérapeutique individuelle et spécialisée dans le traitement des troubles dont souffre le requérant. Au contraire, il ressort du rapport du service psychosocial de la prison du 22 février 2007 qu’aucune thérapie n’avait été entamée et qu’elle n’était pas recommandée à ce stade. Aucune information du dossier n’indique que la voie thérapeutique ait été envisagée par la suite.

59.  Le Gouvernement attribue l’échec du reclassement et de la prise en charge extérieure du requérant à sa personnalité et à son attitude.

60.  La Cour n’est, quant à elle, pas convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude visant à empêcher toute évolution de sa situation. Les problèmes de discipline et de comportement ont certes pu ralentir l’élaboration d’un plan de reclassement mais cette circonstance ne saurait, de l’avis de la Cour, être interprétée comme dispensant les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper c. Belgique, no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009). Il ne ressort d’ailleurs pas du dossier que les établissements psychiatriques extérieurs qui ont été contactés aient refusé l’admission du requérant pour cette raison. En outre, il est clairement établi que le comportement du requérant s’est nettement amélioré depuis 2010 et qu’il collabore activement à la mise en place d’un plan de reclassement. Or, la CDS a, jusqu’à présent, refusé les plans qui lui ont été soumis au motif qu’ils ne présentaient pas de garanties suffisantes de sécurité et trois ans après, selon les informations versées au dossier, aucun progrès ne semble avoir été réalisé dans la prise en charge du requérant en dehors du milieu carcéral.

61.  Il résulte des affaires ayant donné lieu aux quatre arrêts de principe précités que le cas du requérant n’est pas isolé. Il y a un problème structurel en Belgique dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux. Nombre d’entre elles sont maintenues dans des ailes psychiatriques de prisons ordinaires dans l’attente de trouver une place dans une structure extérieure leur offrant des soins thérapeutiques pouvant contribuer à l’amélioration de leur état de santé et à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Ce problème est reconnu par les autorités belges et plusieurs instances internationales ont, de manière récurrente, exprimé leur préoccupation à ce sujet (L.B., § 95, Claes, § 116, Dufoort, § 81, et Swennen, § 81).

62.  La Cour rappelle que dans l’affaire L.B., elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 de la Convention au motif que la détention du requérant, déclaré pénalement irresponsable de ses actes, pendant sept ans dans une annexe psychiatrique de prison reconnue comme étant inadaptée à ses besoins, avait eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu (§§ 101 et 102). La Cour est parvenue à la même conclusion dans les affaires Claes (§§ 120 et 121), Dufoort (§§ 90 et 91) et Swennen (§§ 82 et 83).

63.  Aucun élément du dossier du requérant ni de l’argumentation du Gouvernement ne permet à la Cour de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

64.  En conclusion, la Cour considère que l’internement du requérant depuis 2000, avec deux interruptions de quelques mois en 2001 et en 2005, dans un lieu inadapté à son état de santé, a rompu le lien requis par l’article 5 § 1 e) entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

65.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Arrêt SWENNEN c. BELGIQUE du 10 janvier 2013 Requête 53448/10

UN INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE SANS SOINS ADEQUATS EST UNE VIOLATION DE LA CONVENTION

67.  La Cour observe qu’en l’espèce, la privation de liberté litigieuse du requérant est fondée sur la décision prise par le ministre de la Justice le 28 juin 1999. La décision fut adoptée quelques mois avant la fin de la peine de huit ans d’emprisonnement à laquelle avait été condamné le requérant par la cour d’assises du Limbourg le 29 avril 1992 et qu’il purgeait à la prison de d’Anvers. Comme le précise la décision ministérielle, l’internement du requérant en établissement de défense sociale devait permettre dans un premier temps seulement la mise en œuvre du reliquat de la peine d’emprisonnement. Par conséquent, à partir de la fin de la peine d’emprisonnement en 1999, la détention subie par le requérant relevait de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

68.  La Cour note qu’il n’est pas contesté, en l’espèce, que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

69.  Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 72-73, CEDH 2000-III). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (idem, § 78 et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012).

70.  En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

71.  Rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions sont remplies en l’espèce, ce qui ne fait d’ailleurs pas l’objet de controverse entre les parties à la différence de l’affaire Dhoest citée par le Gouvernement (§§ 84 à 86). Le requérant souffre de troubles sexuels et de la personnalité, attestés médicalement depuis 1999. La CDS a refusé la mise en liberté du requérant conformément à l’article 18 de la loi de défense sociale qui conditionne la mise en liberté des internés à l’amélioration suffisante de l’état mental de l’interné et à la réalisation des conditions de sa réadaptation sociale.

72.  La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention. Elle rappelle à ce sujet qu’en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts, précité, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, n50272/99, § 48, CEDH 2003-IV). La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink précité, §§ 66 à 68, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62 à 65, 11 mai 2004).

73.  La Cour convient avec le Gouvernement que le profil du requérant en l’espèce est comparable à celui du requérant dans l’affaire De Schepper précitée. Dans les deux affaires, les intéressés, considérés comme pénalement responsables de leurs actes, ont été condamnés. Dans les deux cas, ce sont des délinquants sexuels présentant un danger pour la société. La Cour rappelle toutefois que dans l’affaire De Schepper, la période de privation de liberté litigieuse correspondait à une peine supplémentaire (mise à disposition du Gouvernement) à la peine d’emprisonnement à laquelle avait été condamné le requérant et relevait de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 (De Schepper précité, §§ 6 et 35). La question posée à la Cour dans cette affaire n’était pas celle des modalités de la peine mais du lien de causalité voulu par la notion de régularité figurant à l’article 5 § 1 a) entre la dangerosité du requérant et la peine supplémentaire (§§ 39 à 42). En l’espèce, la situation est différente : le requérant avait quasiment achevé de purger sa peine lorsque fut prise la décision de l’interner en 1999, avec pour conséquence que la période de privation de liberté litigieuse relève principalement de l’article 5 § 1 e) et que la question de savoir si le requérant est interné dans un établissement approprié est la question centrale que la Cour doit examiner.

74.  Le Gouvernement estime qu’il faut tenir compte du fait que la CDS n’a pas désigné d’autre lieu que la prison de Merksplas pour l’internement du requérant et qu’il y a donc lieu de distinguer la présente affaire de l’affaire Aerts. La Cour rappelle que, dans cette affaire, elle avait conclu à une violation de l’article 5 § 1 e) au motif que l’annexe psychiatrique de Lantin où était détenu le requérant ne pouvait pas être considérée comme appropriée à la détention d’aliénés (Aerts précité, § 49). Pour parvenir à cette conclusion, elle avait tenu compte du fait que la CDS compétente avait désigné l’établissement de défense sociale de Paifve pour l’internement du requérant et que son transfert avait été retardé en raison du manque de place.

75.  La Cour estime que l’approche proposée par le Gouvernement est trop formaliste. Elle observe qu’en l’espèce la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre adapté au traitement des délinquants sexuels est envisagée par la CDS depuis 2001 (paragraphe 9). De plus, il ressort des circonstances de la cause que, dès 2002, les autorités pénitentiaires prirent elles-mêmes contact avec plusieurs établissements psychiatriques, que de pareilles démarches furent poursuivies jusqu’en 2009 mais qu’elles furent toutes infructueuses. A cela s’ajoute que, à la différence de la situation qui se présentait dans l’affaire Aerts, il n’y a pas à ce jour d’établissement de défense sociale susceptible d’accueillir une personne au profil à haut risque comme le requérant. Il s’avère donc que l’internement du requérant s’est en réalité prolongé au sein de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas à défaut pour les autorités belges d’alternative. Cela ressort d’ailleurs clairement du rapport du 8 août 2008 (paragraphe 17) qui recommandait le maintien du requérant dans un environnement sécurisé dans l’attente de la construction d’un établissement de haute sécurité.

76.  La Cour prend note avec intérêt des démarches effectuées par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique du requérant. Elle accueille également positivement les efforts en cours pour augmenter le nombre de places en hôpital psychiatrique public à Anvers et à Gand (paragraphe 44). Toutefois, il s’agit de projets qui ne sont pas encore opérationnels. La Cour doit donc concentrer son examen sur le caractère approprié à la détention des aliénés de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas où le requérant est placé depuis treize ans.

77.  Le Gouvernement soutient que le requérant y est entouré des soins adéquats. Les éléments auxquels se réfère le Gouvernement pour étayer sa thèse sont l’accès du requérant aux professionnels de santé présents dans l’établissement, les rapports établis par des psychologues et psychiatres en vue d’évaluer sa dangerosité et la pré-thérapie entamée en 2008 sous la forme de cours par correspondance. D’après les informations versées au dossier, le requérant a bénéficié de douze consultations auprès du psychiatre de la prison entre 2005 et 2011.

78.  La Cour considère que ce nombre de consultations, sur une période de sept ans, est particulièrement faible et constate qu’il n’est nulle part question d’une prise en charge thérapeutique ni d’un suivi médical individualisés au sein de la prison en vue de faire évoluer la situation particulière du requérant.

79.  Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état du requérant et l’échec de la prise en charge extérieure à la prison à son attitude hostile et à son manque de motivation en vue d’une thérapie. Il souligne notamment l’absence d’évolution dans la compréhension de ses troubles, son refus de se faire administrer un traitement en vue de diminuer sa libido et le maintien, en dépit du bon sens, de son souhait d’intégrer une structure ambulatoire.

80. La Cour rappelle, à ce sujet, que si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48). En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude visant à empêcher toute évolution de sa situation. Au contraire, elle relève que, dans le cadre de la procédure en référé (paragraphe 16), il a clairement formulé ses desiderata en vue de faire évoluer sa situation. Il demandait que l’Etat soit condamné, dans l’attente de son transfert, à une prise en charge thérapeutique individualisée au sein de la prison à raison de deux heures deux fois par semaine. Il a également, à plusieurs reprises, spécifié que sa demande de traitement ambulatoire avait pour objet de consulter un sexologue (paragraphes 15 et 17). Ces demandes ne sont pas, aux yeux de la Cour, manifestement déraisonnables et apparaissent prima facie correspondre à des « soins adaptés » dans le cas d’un personne souffrant de troubles de la personnalité en plus d’être pédophile et d’avoir une conscience très faible de ses troubles.

81.  Ce qui est préoccupant, selon la Cour, c’est qu’une telle prise en charge n’ait pas été disponible au sein de la prison et que le cas du requérant n’est pas isolé. D’après les documents versés au dossier par les parties et ceux qu’elle a consultés d’office (paragraphes 54 à 56), il est en effet notoire, en Belgique, que de nombreux internés sont dans l’attente d’un transfert dans un établissement de défense sociale ou un établissement privé et se trouvent dans une situation comparable au requérant, privés des soins thérapeutiques pouvant contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Cet état de fait est constaté par le ministre de la Justice lui-même (paragraphe 54). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 55). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 56).

82. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le maintien du requérant pendant treize ans dans un établissement pénitentiaire, où il ne bénéficiait pas de l’encadrement approprié à sa pathologie, a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

83.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Strazimiri c. Albanie du 21 janvier 2019 Requête n° 34602/16

Détention psychiatrique en prison : Les autorités albanaises doivent résoudre le problème d’absence d’établissement médical pour les personnes atteintes de troubles mentaux soumises à une injonction judiciaire de soins

violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme en raison des conditions de vie inadéquates de M. Strazimiri dans l’hôpital pénitentiaire où il est incarcéré et de l’insuffisance des soins psychiatriques qui lui sont administrés,

violation de l’article 5 §§ 1, 4 et 5 (droit à la liberté et à la sûreté/droit à ce qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité d’une détention/droit à réparation) en raison notamment du maintien de la détention du requérant dans un établissement pénitentiaire plutôt que dans un établissement médical et du fait que le recours formé par l’intéressé contre sa détention est pendant devant la Cour suprême depuis 2016. La Cour juge en particulier que les autorités albanaises manquent depuis longtemps à leur obligation de créer un établissement médical spécialement destiné aux personnes atteintes de troubles mentaux privées de liberté en application d’une injonction judiciaire de soins. Ce manquement contrevient aux prescriptions du droit interne et révèle l’existence d’un problème structurel.

Au titre de l’article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts), la Cour conclut en outre que les autorités doivent veiller non seulement à ce que M. Strazimiri bénéficie d’une psychothérapie – et pas uniquement d’un traitement pharmacologique – mais aussi à créer un établissement approprié pour les personnes se trouvant dans une situation analogue.

FAITS

Le requérant, Arben Strazimiri, est un ressortissant albanais né en 1973. Il est détenu dans l’hôpital pénitentiaire de Tirana depuis 2011. M. Strazimiri fut arrêté en 2008 pour tentative de meurtre avec préméditation. Le tribunal de district de Tirana estima toutefois que M. Strazimiri ne pouvait être tenu pour pénalement responsable de ses actes car il souffrait de schizophrénie paranoïde, et il ordonna son hospitalisation dans un établissement médical afin qu’il puisse y recevoir un traitement. Le requérant fut envoyé dans la prison de Kruja en 2009, puis transféré dans l’hôpital pénitentiaire de Tirana en 2011.

Par la suite, les juridictions internes examinèrent le cas de M. Strazimiri à plusieurs reprises, concluant à chaque fois qu’il représentait toujours un danger pour lui-même et pour les autres, et que s’il était remis en liberté, sa famille n’aurait pas les moyens de s’occuper de lui dans des conditions satisfaisantes. Elles ordonnèrent par conséquent la poursuite de son traitement hospitalier obligatoire, qui consistait principalement en la prise de médicaments psychotropes. En 2014, M. Strazimiri contesta en justice son maintien en détention, arguant que son placement dans un établissement pénitentiaire était contraire au droit interne dès lors qu’il n’avait pas été condamné ou placé en détention provisoire, et qu’il devait être détenu dans un établissement médical spécialisé, conformément à la décision des tribunaux. Il allégua également que son traitement médical et les conditions de sa détention n’étaient pas adaptés. Ses deux griefs furent rejetés pour défaut manifeste de fondement. Les recours dont il a saisi la Cour suprême sont pendants depuis avril 2015 et janvier 2016. Le requérant forma des recours similaires devant les autorités de poursuite, sans succès. Les juridictions internes et les organes de poursuite estimèrent en particulier que tant que les autorités n’auraient pas construit de centre spécialisé pour les aliénés déclarés pénalement irresponsables et soumis à une injonction de soins prononcée par un tribunal, il ne serait pas contraire à la loi de placer ces personnes dans un établissement ayant été adapté pour répondre à leurs besoins, comme c’était le cas de l’aile spéciale de l’hôpital pénitentiaire de Tirana.

Article 3 (conditions de détention et soins médicaux inadéquats)

La Cour note qu’il ressort des rapports établis entre 2015 et 2019 par l’Avocat du peuple (ombudsman) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) que l’hôpital pénitentiaire de Tirana est un établissement en état de délabrement avancé, gagné par l’humidité et pratiquement dépourvu de chauffage central. Le CPT a d’ailleurs signalé récemment que l’état de cet hôpital s’était encore détérioré. M. Strazimiri, qui y est interné depuis 2011, est directement affecté par la détérioration générale de cet établissement. En outre, si M. Strazimiri a toujours reçu un traitement pharmacologique pour soulager ses troubles mentaux, il n’a jamais bénéficié d’un protocole de traitement individualisé comportant une prise en charge psychiatrique. Le CPT signale depuis au moins 2014 que de nombreux patients qui, comme M. Strazimiri, souffrent de troubles mentaux se trouvent dans une situation d’« abandon thérapeutique ». De plus, après avoir examiné les griefs de M. Strazimiri, les juridictions internes et les autorités de poursuite ont elles-mêmes reconnu qu’il n’existait aucun établissement médical spécialement destiné aux aliénés soumis à une injonction de soins prononcée par un tribunal. La Cour estime que l’effet cumulé des mauvaises conditions de vie à l’hôpital pénitentiaire de Tirana et l’insuffisance des soins psychiatriques s’analyse en un traitement inhumain et dégradant. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Article 5 § 1 (maintien de la mesure privative de liberté)

Il ne prête pas à controverse entre les parties que l’internement de M. Strazimiri relève de l’article 5 § 1 de la Convention, et il n’y a aucune raison de remettre en cause la conclusion des autorités selon laquelle les troubles mentaux dont le requérant est atteint le rendent dangereux et justifient l’injonction de soins dont il fait l’objet. Toutefois, M. Strazimiri est détenu depuis 2011 dans un hôpital pénitentiaire, c’est-à-dire dans un établissement qui fait partie du système carcéral et non d’un système de santé intégré. Le CPT a critiqué à maintes reprises le placement des « aliénés » déclarés pénalement irresponsables dans des établissements pénitentiaires, et l’Avocat du peuple a relevé que cette pratique contrevenait au droit interne. En outre, la Cour constate que les autorités se sont régulièrement bornées à relever que la famille de M. Strazimiri était dans l’incapacité de s’occuper de lui dans des conditions satisfaisantes, et qu’elles n’ont pas envisagé d’autres mesures telles que l’internement de l’intéressé dans un établissement psychiatrique civil. Par ailleurs, la Cour doute que M. Strazimiri reçoive des soins psychiatriques appropriés. Le traitement qu’il suit consiste principalement en la prise de médicaments psychotropes et l’hôpital pénitentiaire de Tirana ne compte qu’un psychiatre pour 84 patients. En conséquence, la Cour conclut que le maintien de la mesure privative de liberté imposée à M. Strazimiri est irrégulier et donc contraire à l’article 5 § 1.

Article 5 § 4 (droit à ce qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité d’une détention)

En 2014, M. Strazimiri a formé un recours en justice contre sa détention. En 2015, il a obtenu une décision, dont il a interjeté appel devant la Cour suprême. Rien ne donne à penser que le requérant a provoqué des retards dans cette procédure qui est pendante depuis plus de trois ans devant la Cour suprême. Pour sa part, le Gouvernement n’a fourni aucune explication propre à justifier ce retard. Dans ces conditions, la Cour estime que celui-ci est entièrement imputable aux autorités et qu’il est incompatible avec l’obligation de célérité imposée par l’article 5 § 4.

Article 5 § 5 (droit à réparation)

La Cour constate que la législation albanaise ne prévoit aucun droit à réparation en cas de détention illégale infligée à des personnes se trouvant dans une situation analogue à celle de M. Strazimiri, et elle relève que le Gouvernement n’a fourni aucun exemple tiré de la jurisprudence interne susceptible de démontrer le contraire. En conséquence, elle conclut que le requérant n’a pas bénéficié d’un droit à réparation, en violation de l’article 5 § 5.

Article 46 (force obligatoire et exécution des arrêts)

La Cour estime que les autorités doivent fournir d’urgence à M. Strazimiri une thérapie individualisée et envisager de le placer dans un autre établissement, non pénitentiaire. Elle juge par ailleurs que l’Albanie doit prendre aussitôt que possible des mesures destinées à assurer des conditions de vie et des soins appropriés aux personnes atteintes de troubles mentaux privées de liberté sur le fondement d’une injonction judiciaire de soins. Les mesures en question doivent notamment prévoir la rénovation des établissements existants ou la création d’établissements spécialisés ayant pour objectif de guérir ou de soulager les troubles mentaux des détenus, de réduire leur dangerosité et de faciliter leur réinsertion sociale. Chaque détenu doit bénéficier d’un protocole de soins individuel combinant un traitement pharmacologique et une psychothérapie. Enfin, les autorités doivent recruter dans ces établissements un nombre suffisant de professionnels de la santé mentale disposant des qualifications requises et examiner, le cas échéant, la possibilité de proposer des soins ambulatoires.

DROIT DE FAIRE EXAMINER LA LÉGALITÉ

DE SON INTERNEMENT A BREF DÉLAI PUIS RÉGULIÈREMENT

N. c. ROUMANIE du 28 novembre 2017 requête 59152/08

Articles 5 § 1, 5 § 2, 5 § 4 et 5 § 5 : Dans sa requête, le requérant dénonçait notamment l’internement psychiatrique, selon lui illégal et non justifié, auquel il est soumis depuis plus de seize ans.

Contestation des causes de son internement psychiatrique : Pour les conditions de son arrestation au sens de l'article 5 § 1 et 5 § 2, la CEDH considère qu'il a eu connaissance des motifs de son internement dès 2002 et que par conséquent, il aurait dû saisir la CEDH dès sa connaissance des motifs de son arrestation pour s'être vanté à la télévision roumaine, d'avoir couché avec sa fille de 16 ans et demander à ses deux autres filles plus jeunes de le regarder faire l'amour à son épouse.

La CEDH a ainsi déclaré qu'elle est incompétente pour examiner les causes d'une arrestation. Comment saisir la CEDH avec une requête spéciale en pdf, alors que le requérant subit un internement psychiatrique ou une détention, seul le CDH de Genève est par conséquent compétent pour examiner la qualité arbitraire d'une arrestation.

Sur le maintien en détention psychiatrique en 2007 et sa continuation en 2016, au sens de l'article 5 § 1 de la Convention, la CEDH condamne pour absence de contrôle régulier.

Au sens de l'article 5 § 4 de la Convention, le requérant n'a pas eu l'assistance juridique nécessaire, pour faire vérifier régulièrement les conditions de sa détention.

Au sens de l'article 5 § 5 de la Convention, la CEDH constate que la jurisprudence interne corrige le Code de Procédure Pénale et indemnise les détentions arbitraires

"206. Toutefois, la Cour note l’argument du Gouvernement (paragraphe 201 ci-dessus) selon lequel il a été pallié en pratique par les tribunaux au cadre restrictif du CPP, plusieurs décisions de justice internes montrant une nette tendance des tribunaux à octroyer une réparation en cas de privation illégale de liberté, par la référence à la Constitution ou à la Convention (Dragomir, décision précitée, §§ 10-14 et 28)."

Cette constatation est importante car des États comme la France ne prévoient pas la réparation d'une détention arbitraire. La CEDH demande aux juridictions internes de réparer non seulement, le caractère inutile d'une détention, mais aussi le caractère arbitraire d'une détention par application directe de l'article 5 de la Conv EDH.

Article 46 : La Cour estime que, pour effacer les conséquences de la violation des droits de N., les autorités devraient mettre à exécution sans retard l’arrêt définitif du tribunal départemental de Buzău du 21 février 2017 ordonnant la mise en liberté de N. dans des conditions adaptées à ses besoins. La Cour constate également que les lacunes identifiées en l’espèce sont susceptibles de donner lieu à l’avenir à d’autres requêtes bien fondées. Elle recommande donc à l’État roumain d’envisager des mesures générales garantissant que l’internement des individus dans des hôpitaux psychiatriques soit légal, justifié et dépourvu d’arbitraire. De même, les personnes internées doivent bénéficier devant un tribunal d’un recours présentant des garanties adéquates, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de la détention.

DÉLAI DE SIX MOIS DÉPASSÉ POUR EXAMINER LE CARACTÈRE ARBITRAIRE D'UNE ARRESTATION

ARTICLE 5 § 1

120. La Cour rappelle que la règle des six mois a pour finalité de servir la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires soulevant des questions au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable, tout en évitant aux autorités et autres personnes concernées d’être pendant longtemps dans l’incertitude (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 39, 29 juin 2012, et Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 74, CEDH 2016). En outre, cette règle fournit au requérant potentiel un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’introduire une requête et, le cas échéant, de déterminer les griefs et arguments précis à présenter (O’Loughlin et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 23274/04, 25 août 2005), indiquant aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle le contrôle de la Cour ne s’exerce plus (Tahsin Ipek c. Turquie (déc.), no 39706/98, 7 novembre 2000). Seuls les recours normaux et effectifs peuvent être pris en compte, car un requérant ne peut pas repousser le délai strict imposé par la Convention en essayant d’adresser des requêtes inopportunes à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la compétence nécessaires pour accorder sur le fondement de la Convention une réparation effective concernant le grief en question (Fernie c. Royaume-Uni (déc.), no 14881/04, 5 janvier 2006).

121. En outre, s’agissant d’apprécier si un requérant s’est conformé à l’article 35 § 1, il importe de garder à l’esprit que les exigences contenues dans cette disposition concernant la règle des six mois et celle de l’épuisement des voies de recours internes doivent être entendues en étroite corrélation (Jeronovičs, précité, § 75). Lorsqu’il est clair d’emblée qu’un requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois commence à courir à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice. Il incombe alors à la Cour de déterminer, compte tenu des différents enjeux, à quel moment un requérant qui entend porter un grief devant elle est censé introduire sa requête (Sabri Güneş, précité, § 54).

122. La Cour rappelle qu’elle n’a pas la possibilité de ne pas appliquer la règle des six mois (Belaousof et autres c. Grèce, no 66296/01, § 38, 27 mai 2004). Il ne saurait dès lors être reproché au Gouvernement d’avoir soulevé cette exception tardivement dans ses observations supplémentaires du 6 juillet 2015.

123. En l’espèce, la Cour note que la mesure de l’internement définitif a été ordonnée par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest dans sa décision du 22 avril 2002, qui a été affichée sur la porte du domicile du requérant ainsi que dans les locaux de la mairie du 6e arrondissement, dans lequel se situait le domicile du requérant (paragraphe 18 ci-dessus). Le recours que le requérant a formé contre cette décision a été rejeté par un arrêt du 24 novembre 2008 du tribunal départemental de Bucarest comme étant tardif au motif que la décision rendue en première instance avait été communiquée au requérant selon les dispositions légales en vigueur et que celui-ci avait omis de la contester dans le délai imparti (paragraphe 26 ci-dessus). Il convient donc d’établir la date à laquelle le requérant a effectivement pris connaissance de la décision du 22 avril 2002.

124. À cet égard, elle note qu’il ressort de l’attestation délivrée en mars 2007 par l’hôpital de Săpoca à N.T., l’ami du requérant qui entendait entreprendre des démarches en vue de la nomination d’un curateur pour celui-ci, qu’il fut informé que le requérant était interné à l’hôpital susmentionné en vertu de la décision du 22 avril 2002. Qui plus est, il apparaît que le département juridique de l’hôpital a fait droit à la demande du requérant du 17 décembre 2007, par laquelle il sollicitait la communication d’une copie de la décision de justice « qui le tenait enfermé ». En effet, le lendemain, la conseillère juridique de l’hôpital a apposé sur la demande la mention « copie fournie » (paragraphe 23 ci‑dessus). Or la Cour n’a pas de raison valable de douter qu’à cette date-là la personne chargée des affaires juridiques de l’hôpital avait effectivement communiqué au requérant une copie de la décision du 22 avril 2002.

125. Dès lors, la Cour conclut que le requérant, qui a introduit la présente requête le 26 novembre 2008, n’a pas respecté le délai de six mois pour porter devant elle le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention, pour autant que celui-ci concerne la conformité de la mesure initiale d’internement du 22 avril 2002 avec cette disposition. En conséquence, elle accueille l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois et elle considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner de surcroît l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il s’ensuit que cette partie du grief est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

126. En revanche, pour autant que le grief se rapporte au maintien de l’internement après la décision du tribunal de première instance de Buzău du 11 septembre 2007, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle déclare donc cette partie du grief recevable.

ARTICLE 5 § 2 : NON INFORMÉ DES CAUSES DE SON ARRESTATION

169. Le requérant reproche aux autorités de ne pas l’avoir informé des raisons de son arrestation le 29 janvier 2001, et ce alors qu’il aurait été entendu le même jour et le lendemain par les autorités judiciaires.

170. Le Gouvernement ne soumet pas d’observations à cet égard.

171. Comme elle l’a rappelé ci-dessus, la Cour n’a pas la possibilité d’écarter l’applicabilité de la règle des six mois, par exemple au motif qu’un Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire fondée sur cette règle (paragraphe 122 ci-dessus).

172. Elle observe que le requérant a bien été entendu par la police judiciaire et par le procureur les 29 et 30 janvier 2001, en présence d’un avocat commis d’office, mais uniquement au sujet des accusations portées contre lui. En revanche, le 11 septembre 2007, il était présent aux débats devant le tribunal de première instance de Buzău qui se prononçait pour la première fois sur l’opportunité de maintenir la mesure d’internement. À cette occasion, le requérant, assisté par un avocat, a été entendu par le tribunal au sujet de son internement (paragraphe 35 ci-dessus). La Cour considère que les renseignements qui ont alors été fournis au requérant sur les motifs de sa privation de liberté remplissaient les exigences de l’article 5 § 2 de la Convention.

173. Compte tenu de ce que la présente requête a été introduite le 26 novembre 2008, soit plus de six mois après l’audience du 11 septembre 2007, la Cour considère que le grief du requérant tiré de l’article 5 § 2 de la Convention est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

ARTICLE 5 § 1 SUR LE MAINTIEN EN DÉTENTION EN 2007 ET SA CONTINUATION EN 2016

i. Principes généraux

141. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. De plus, seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 88, CEDH 2016).

142. La Cour rappelle en outre que l’article 5 § 1 de la Convention requiert d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 63, série A no 244).

143. De plus, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il ne suffit donc pas que la privation de liberté soit conforme au droit national, encore faut-il qu’elle soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III).

144. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X, et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

145. Quant à la deuxième condition citée ci-dessus, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux peut s’imposer non seulement lorsque l’intéressé a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de le surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 146, CEDH 2012).

146. La Cour rappelle également que, dans certaines circonstances, le bien-être d’une personne atteinte de troubles mentaux peut constituer un facteur additionnel à prendre en compte, outre des éléments médicaux, lors de l’évaluation de la nécessité de placer cette personne dans une institution. Néanmoins, le besoin objectif d’un logement et d’une assistance sociale ne doit pas conduire automatiquement à l’imposition de mesures privatives de liberté. Aux yeux de la Cour, toute mesure de protection devrait refléter autant que possible les souhaits des personnes capables d’exprimer leur volonté. Le manquement à solliciter l’avis de l’intéressé peut donner lieu à des situations d’abus et entraver l’exercice des droits des personnes vulnérables ; dès lors, toute mesure prise sans consultation préalable de la personne concernée exige en principe un examen rigoureux (Stanev, précité, § 153).

147. Enfin, la Cour souligne qu’elle dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune. C’est à la Cour qu’il appartient de décider des instruments et rapports internationaux qu’elle juge dignes d’attention ainsi que du poids qu’elle entend leur accorder (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 176, CEDH 2010, et A.-M.V. c. Finlande, no 53251/13, § 74, 23 mars 2017). Dans la présente affaire, la Cour considère comme étant pertinentes les dispositions de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (paragraphe 101 ci-dessus), telle qu’interprétée par le Comité des droits des personnes handicapées (paragraphes 102-103 ci-dessus), ainsi que les autres documents internationaux pertinents cités aux paragraphes 100 et 106-108 ci-dessus.

ii. Application de ces principes en l’espèce

148. Pour examiner si le maintien de l’internement psychiatrique du requérant était régulier au regard de l’article 5 § 1 de la Convention, la Cour doit vérifier si cette mesure était conforme au droit interne, si elle entrait dans le champ d’application de l’une des exceptions à la liberté individuelle prévues aux alinéas a) à f) de cette disposition et, enfin, si elle était justifiée au regard de l’une de ces exceptions.

149. La Cour constate d’emblée que nul ne conteste que le requérant fait l’objet d’une privation de liberté qui tombe dans le champ d’application de l’article 5 § 1 e) de la Convention, l’intéressé ayant été atteint de troubles mentaux confirmés par un bon nombre d’expertises médico-légales. Dès lors, la première des conditions requises par la jurisprudence de la Cour pour la détention d’un « aliéné » (paragraphe 144 ci-dessus) est remplie. Il reste à examiner si la maladie du requérant revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et si, dans les circonstances particulières de l’affaire relatives aux conclusions des dernières expertises médico‑légales, l’internement du requérant pouvait être prolongé valablement.

α) Sur le point de savoir si le trouble dont est atteint le requérant justifiait le maintien de son internement après 2007

150. La Cour constate que le premier contrôle de la légalité de l’internement prolongé du requérant, qui a eu lieu le 11 septembre 2007, est intervenu après des changements législatifs tendant à la consolidation des droits des personnes handicapées. Il s’agissait d’un premier contrôle après la confirmation de cette mesure par un tribunal, le 22 avril 2002. Dans ces conditions, un examen extrêmement rigoureux et complet s’imposait pour permettre de répondre à la question de savoir si le trouble psychiatrique du requérant revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement. Or l’analyse des contrôles effectués en l’espèce révèle que cela n’a pas été le cas.

151. La Cour observe que la législation nationale requiert, pour justifier l’internement, que la maladie mentale rende la personne concernée dangereuse pour la société (paragraphes 83-84 ci-dessus). Elle rappelle également que, si l’article 5 § 1 e) autorise le placement d’une personne souffrant de troubles mentaux sans qu’il y ait nécessairement un traitement médical en vue (Hutchison Reid, précité, § 52), une telle mesure doit toutefois être dûment justifiée par la gravité de l’état de santé de l’intéressé afin que sa propre protection ou la protection d’autrui soit assurée.

152. S’agissant du premier contrôle de la mesure d’internement, la Cour note que le tribunal de première instance de Buzău a fondé sa décision sur le simple renvoi à deux éléments principaux. Premièrement, il a fait référence aux accusations pénales portées initialement contre le requérant, à savoir l’inceste et la corruption sexuelle. Deuxièmement, il s’est référé aux conclusions de l’expertise médicale réalisée en juillet 2007, laquelle était fondée essentiellement sur le fait que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde (paragraphe 36 ci-dessus).

153. S’agissant des accusations portées contre le requérant, la lecture de la décision du 11 septembre 2007 laisse apparaître que le tribunal s’est reposé entièrement sur les pièces du dossier pénal constitué par le parquet. Or force est de constater que le procureur avait écarté l’accusation d’inceste pour défaut de preuves, ne retenant que l’accusation de corruption sexuelle. Il a ultérieurement décidé de classer la procédure en ce qui concerne ce dernier chef en raison de l’absence de discernement du requérant. Ce classement n’a jamais été soumis à un contrôle juridictionnel. À supposer que la référence à ces accusations puisse correspondre aux considérations du tribunal quant à la dangerosité requise par l’article 114 du CP, la Cour note que ces accusations n’ont pas fait l’objet d’un examen contradictoire par une juridiction. Aussi ce renvoi apparaît-il aux yeux de la Cour comme ne suffisant pas pour établir la dangerosité du requérant.

154. Pour le reste, il apparaît que le tribunal s’est référé purement et simplement aux conclusions de l’expertise médico-légale, qui proposait le maintien de l’internement, une approche que la Cour a critiquée dans plusieurs affaires (Plesó c. Hongrie, no 41242/08, § 64, 2 octobre 2012 – affaire concernant la légalité de l’internement –, et Ivinović c. Croatie, no 13006/13, § 40, 18 septembre 2014 – affaire concernant la déclaration d’incapacité juridique).

155. La Cour considère que cette approche a conduit le tribunal à ne pas procéder à un examen rigoureux du point essentiel pour l’internement, à savoir la dangerosité du requérant. En effet, le tribunal n’a aucunement établi que le requérant était dangereux pour lui-même ou pour les autres, en raison notamment de sa pathologie psychiatrique (voir, mutatis mutandis, Gajcsi c. Hongrie, no 34503/03, § 21, 3 octobre 2006). En outre, ni le tribunal ni les autorités médicales ne rapportent d’actes de violence de la part du requérant pendant son internement (voir, mutatis mutandis, Stanev, précité, § 157). Tout au contraire, l’examen médical effectué en juillet 2007 a conclu que le requérant avait un comportement calme, qu’il ne s’opposait pas au traitement, qu’il ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients et qu’il présentait un faible degré d’hostilité au cours du traitement (paragraphe 33 ci-dessus).

156. La Cour observe ensuite que les contrôles ultérieurs n’ont pas apporté de clarification quant à la potentielle dangerosité du requérant, le tribunal de première instance de Buzău ayant suivi dans son examen la même approche formaliste et superficielle. Les recours formés à deux reprises par le requérant devant le tribunal départemental de Buzău contre les décisions du premier tribunal ou les procédures séparées entamées par le requérant lui-même n’ont pas non plus apporté d’éclaircissement.

157. Qui plus est, ni les autorités médicales ni le tribunal lui-même n’ont examiné si des mesures alternatives auraient pu être appliquées en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Mihailovs c. Lettonie, no 35939/10, § 149 in fine, 22 janvier 2013, et Atudorei c. Roumanie, no 50131/08, § 153, 16 septembre 2014).

158. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’internement du requérant va à l’encontre du droit national. En effet, selon l’article 114 du CP et l’article 110 du nouveau CP, une mesure d’internement ne peut être prise à l’encontre d’une personne que lorsque celle-ci présente un danger pour la société.

159. De surcroît, la Cour considère une telle détention sujette à caution surtout au vu des dispositions de l’article 14 § 1 b) de la CDPH, qui énoncent qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie en soi une privation de liberté (paragraphe 101 ci-dessus).

160. En tout état de cause, la Cour observe avec intérêt que la question de la dangerosité du requérant a fait récemment l’objet du contrôle par les autorités nationales. En effet, il ressort des dernières expertises médico‑légales qu’aucune présomption de danger social ne pouvait caractériser la situation du requérant (paragraphes 58, 61 et 70 ci-dessus). La Cour observe que les autorités nationales n’ont toutefois pas mis en évidence les éléments factuels à l’origine de ce changement d’appréciation quant à la dangerosité du requérant.

161. Dans ces conditions, il apparaît que, à tout le moins depuis 2007, quand le premier des contrôles périodiques a été effectué, l’internement du requérant était dépourvu de base légale et qu’il n’était pas justifié par l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

β) Sur la nécessité de prolonger l’internement du requérant après le 29 août 2016

162. La Cour observe que les conclusions des dernières expertises médico-légales ont placé les médecins face à un dilemme d’ordre psychiatrique et déontologique quant à l’éventuelle libération du requérant, compte tenu de ce que les dispositions légales nationales portant sur les mesures de sûreté exigeaient que l’interné présentât un danger pour la société, ce qui n’était pas le cas de celui-ci. Dans un premier temps, en août 2016, le tribunal départemental de Buzău a fait preuve de prudence et a déclaré qu’en principe il devait être mis un terme à l’internement du requérant dans un hôpital psychiatrique, mais il continuait toutefois d’y être interné de manière transitoire, en attendant une place dans une structure appropriée et adaptée à ses besoins (paragraphe 64 ci-dessus). Dans un deuxième temps, six mois plus tard, en février 2017, le tribunal de première instance de Buzău a ordonné la mise en liberté du requérant (paragraphe 72 ci-dessus).

163. La Cour rappelle qu’elle a déjà été appelée à examiner la compatibilité des circonstances de l’élargissement des personnes internées avec l’article 5 § 1 e) de la Convention. Ainsi, dans les affaires Luberti c. Italie (23 février 1984, série A no 75) et Johnson c. Royaume-Uni (24 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII), les requérants devaient être libérés étant donné qu’ils ne souffraient plus d’un trouble mental exigeant l’internement. Dans l’affaire Kolanis c. Royaume-Uni (no 517/02, CEDH 2005‑V), la libération de la requérante n’était considérée comme opportune qu’à la condition que le traitement fût maintenu ou qu’un suivi fût mis en place, ce qui était nécessaire pour protéger la santé de l’intéressée et la sécurité d’autrui. La Cour a conclu que, s’il n’était pas exclu que la fixation de conditions puisse justifier le report d’une libération qui, au regard du droit interne, est appropriée ou réalisable, il est essentiel que des garanties adéquates existent afin que toute prolongation de la détention soit conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention.

Dans l’arrêt Johnson (précité), la Cour s’est exprimée ainsi :

« 63. Pour la Cour, il faut aussi reconnaître à l’autorité responsable une latitude comparable pour décider si, eu égard à toutes les circonstances pertinentes et aux intérêts en jeu, il convient réellement d’ordonner la libération immédiate et absolue d’une personne ne présentant plus le trouble mental qui lui a valu d’être internée. Cette autorité doit pouvoir conserver un certain contrôle sur les progrès de cette personne après son retour à la vie dans la communauté et donc assortir sa libération de certaines conditions. On ne saurait non plus exclure qu’une condition particulière nécessite dans certains cas un ajournement de l’élargissement en raison de la nature de cette condition et des motifs qui ont conduit à l’imposer. L’existence de garanties revêt donc la plus haute importance, en sorte que le report de la libération soit conforme au but de l’article 5 § 1 et à la restriction énoncée à l’alinéa e) (paragraphe 60 ci-dessus), et en particulier qu’il n’ait pas une durée excessive. »

Dans l’arrêt Kolanis (précité), la Cour s’est exprimée dans ces termes :

« 71. Ainsi que le montrent les événements survenus en l’espèce, le traitement jugé nécessaire pour la libération sous conditions peut ne pas être disponible, auquel cas on ne saurait interpréter l’article 5 § 1 e) comme exigeant la libération de la requérante sans que les conditions nécessaires à sa propre protection et à celle du public soient remplies, ou comme imposant aux autorités une obligation absolue de veiller à ce que les conditions soient respectées. Il n’y a pas non plus lieu de rechercher en l’espèce à quel niveau se situe l’obligation d’assurer un traitement hors milieu hospitalier pour que les décisions de libération rendues par la commission de contrôle psychiatrique deviennent effectives. Dans la situation à l’étude, le fait qu’une autorité locale ne mette pas en œuvre tous les moyens qui sont à sa disposition (best efforts) ou le fait qu’un psychiatre commette un manquement à son devoir en refusant de suivre un patient en dehors d’un établissement hospitalier seraient l’objet d’un contrôle juridictionnel. La Cour n’a donc pas la conviction que les autorités locales ou les médecins aient pu délibérément ou arbitrairement faire obstacle à la sortie de patients sans fournir de justification ou d’excuse adéquate, ni que les choses se soient passées ainsi dans la présente affaire. »

En l’absence de garanties adéquates pour la protection des requérants, et notamment en l’absence d’un contrôle juridictionnel assurant que la libération des intéressés ne souffrait d’aucun retard excessif, la Cour a conclu soit à la violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention dans l’arrêt Johnson (précité) soit à la violation de l’article 5 § 4 dans l’arrêt Kolanis (précité).

164. Dans la présente affaire, la Cour note d’emblée que, dans son arrêt définitif du 29 août 2016, le tribunal départemental de Buzău, bien qu’il eût souligné la nécessité de mettre fin à l’internement du requérant, n’indiquait aucune base légale pour ordonner le maintien de l’internement de celui-ci dans l’hôpital psychiatrique (comparer avec Johnson, § 59, et Stanev, §§ 149-150, arrêts précités). De plus, après l’adoption du jugement définitif du 21 février 2017 ordonnant la mise en liberté du requérant, ni les autorités nationales ni le Gouvernement n’ont fait référence à la procédure applicable à la situation du requérant, permettant d’abord l’évaluation de ses besoins et, ensuite, sa mise en liberté ou son transfert vers un autre centre adapté à ses besoins ainsi identifiés. La possibilité d’une libération graduelle ou conditionnelle n’a pas été évoquée non plus.

165. La Cour considère que, même si le requérant a consenti à rester interné aussi longtemps que les services sociaux n’avaient pas trouvé de solution adaptée à sa situation (paragraphe 73 ci-dessus), accord auquel s’ajoute la lettre qu’a rédigée son représentant dans le même sens (paragraphe 74 ci-dessus), le requérant devrait bénéficier des garanties adéquates pour sa protection, lesquelles devraient notamment mener sans retard injustifié à sa libération.

166. À la lumière des circonstances factuelles de la présente affaire, la Cour estime que la mise à exécution des décisions susmentionnées soulève des problèmes supplémentaires sur le terrain de l’article 5 § 1 de la Convention. Bien que ces décisions s’inspirent des pratiques qui tendent à être adoptées ces dernières années au niveau international et qui militent pour que les personnes handicapées soient traitées et soignées, dans la mesure du possible, au sein de la société (voir l’article 19 de la CDPH –paragraphe 101 ci-dessus –, les Lignes directrices du Comité des droits des personnes handicapées – paragraphe 102 ci-dessus –, la Stratégie du Conseil de l’Europe sur le handicap 2017-2023 – paragraphe 106 ci-dessus, et, mutatis mutandis, W.D. c. Belgique, no 73548/13, § 113, 6 septembre 2016), en pratique, la libération du requérant ne s’est pas réalisée.

167. En tout état de cause, d’après les informations dont la Cour dispose, il apparaît qu’aucune évaluation rigoureuse des besoins concrets du requérant et des mesures appropriées de protection sociale n’a encore été effectuée à ce jour. De plus, les démarches effectuées par les autorités nationales se sont révélées infructueuses en raison du manque de structures d’accueil. Cette situation reflète des réalités ayant cours en Roumanie qui ont déjà été décrites par des organismes internationaux (paragraphes 104‑105 et 107 ci-dessus). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le maintien de l’internement du requérant après l’adoption par le tribunal départemental de Buzău de l’arrêt du 29 août 2016 était arbitraire au regard de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

γ) Conclusion

168. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention, tant pour ce qui est du maintien de l’internement du requérant après 2007 que pour ce qui est de sa continuation après le 29 août 2016.

ARTICLE 5 § 4 : PAS DE CONTRÔLE RÉGULIER DES CAUSES DE  LA DÉTENTION POUR MANQUE D'ASSISTANCE JURIDIQUE

i. Principes généraux

184. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181-A). La « juridiction » chargée de ce contrôle ne doit pas posséder des attributions simplement consultatives, mais doit être dotée de la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (Stanev, § 168, et Khlaifia et autres, § 128, arrêts précités).

185. Les formes de contrôle juridictionnel qui satisfont aux exigences de l’article 5 § 4 peuvent varier d’un domaine à l’autre et dépendent du type de privation de liberté en question. Il ne revient pas à la Cour de demander quel pourrait être le système le plus approprié dans le domaine examiné (Chtoukatourov, précité, § 123).

186. Il n’en demeure pas moins que l’article 5 § 4 garantit un recours qui doit être accessible à l’intéressé et permettre de contrôler le respect des conditions à remplir pour qu’il y ait, au regard de l’article 5 § 1 e), « détention régulière » d’une personne pour aliénation mentale (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93). L’exigence de la Convention selon laquelle un acte de privation de liberté doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel indépendant revêt une importance fondamentale eu égard à l’objectif qui sous-tend l’article 5 de la Convention, à savoir la protection contre l’arbitraire. Sont en jeu ici la protection de la liberté physique des individus ainsi que la sûreté de la personne (Varbanov, précité, § 58). En cas de détention pour maladie mentale, des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (voir, entre autres, Winterwerp, § 60, et Stanev, § 170, arrêts précités).

187. Parmi les principes concernant les « aliénés » qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 4 figurent notamment les suivants :

a) en cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement ;

b) l’article 5 § 4 exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et qu’il offre à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint ; pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule ;

c) les instances judiciaires relevant de l’article 5 § 4 ne doivent pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A, et Stanev, précité, § 171).

ii. Application de ces principes en l’espèce

188. La Cour observe d’abord que la procédure instituée par la législation roumaine pertinente, entrée en vigueur en septembre 2006 (paragraphes 90-91 ci-dessus), s’analyse en un contrôle judiciaire périodique et automatique des motifs de l’internement similaire à celui qui était en cause dans d’autres affaires examinées auparavant par la Cour (Herczegfalvy, précité, §§ 74-78, et Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, §§ 40-51, CEDH 2002‑I). Par ailleurs, l’interné dispose, à tout moment, de la possibilité de demander la levée de la mesure et sa mise en liberté (paragraphes 44, 47 et 89-90 ci-dessus).

189. La Cour se doit maintenant d’analyser si les deux procédures offertes par le système national remplissent les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Au vu des principes dégagés par sa jurisprudence (paragraphes 184-187 ci-dessus), et tenant compte des arguments du requérant, la Cour examinera notamment la périodicité des contrôles de la mesure d’internement et la question du caractère suffisant de l’assistance juridique offerte au requérant.

α) La périodicité des contrôles

190. La Cour rappelle que, dans son arrêt Herczegfalvy (précité, § 75), elle a dit que la seconde condition de l’article 5 § 4 implique non seulement que les juridictions compétentes statuent « à bref délai », mais aussi que leurs décisions se suivent à un rythme raisonnable. Dans cette affaire, ainsi que dans l’affaire Magalhães Pereira (précitée, § 48), des contrôles intervenus au bout de quinze mois, de deux ans ou de plus de deux ans et demi ont amené la Cour à conclure à la violation de cette disposition.

191. En l’espèce, la Cour note que des contrôles judiciaires de la nécessité du maintien de l’internement ont été réalisés en septembre 2007, octobre 2008, février et avril 2010, décembre 2013, février 2014, février 2015 et mai 2016. Elle constate que le tribunal a eu besoin de longs laps de temps, de quinze mois (février 2015 – mai 2016), de seize mois (octobre 2008 – février 2010) voire de trois ans et huit mois (avril 2010 ‑ décembre 2013) pour examiner s’il était nécessaire de maintenir l’internement. Or, le Gouvernement n’a pas démontré l’existence, en l’espèce, de motifs exceptionnels de nature à justifier la durée des périodes en question (Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 48, CEDH 1999‑II).

192. En outre, la Cour observe avec inquiétude la pratique consistant à vérifier la nécessité du maintien de la mesure d’internement de manière rétrospective, sur la base d’éléments médicaux obtenus longtemps à l’avance (par exemple plus d’un, deux ou trois ans auparavant) et ne reflétant donc pas nécessairement l’état de la personne internée au moment de la décision. Elle estime que pareil intervalle entre l’examen médico-légal et la décision subséquente peut se heurter en soi au principe qui sous-tend l’article 5 de la Convention, à savoir prémunir l’individu contre l’arbitraire quand une mesure privative de liberté se trouve en jeu (Musiał, précité, § 50, et Magalhães Pereira, précité, § 49).

193. De surcroît, la Cour souligne que, en procédant ainsi, le tribunal de première instance n’a pas satisfait non plus aux normes de procédure de la législation nationale concernant le contrôle périodique obligatoire des motifs de l’internement ; le délai de six mois ou, à compter du 1er février 2014, celui de douze mois, prévus par le CPP, qui sont à cet égard sans équivoque, n’ont pas été respectés (paragraphes 90-91 ci-dessus) (Magalhães Pereira, précité, § 50).

194. Enfin, pour autant que les retards susmentionnés puissent être expliqués par la nécessité d’obtenir les expertises médico-légales requises, la Cour observe qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal se soit enquis de l’avancement du travail des experts (comparer avec Kuttner c. Autriche, no 7997/08, § 42, 16 juillet 2015). Force est en outre de constater que, selon les dispositions du droit roumain applicables, il était loisible au tribunal d’infliger des amendes aux experts ne respectant pas leur obligation de soumettre un rapport, mais qu’il n’en a rien fait en l’occurrence (paragraphe 93 ci-dessus).

195. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les intervalles auxquels les tribunaux se sont prononcés sur la nécessité de maintenir l’internement du requérant n’ont pas rempli l’exigence de « bref délai » prévue à l’article 5 § 4 de la Convention.

β) L’assistance juridique

196. La Cour rappelle qu’une personne détenue dans un établissement psychiatrique pour avoir accompli des actes constitutifs d’infractions pénales, mais dont les troubles mentaux empêchent de la juger responsable, doit, sauf circonstances exceptionnelles, jouir de l’assistance d’un homme de loi dans les procédures ultérieures relatives à la poursuite, la suspension ou la fin de son internement. L’importance de l’enjeu pour elle – sa liberté – combinée à la nature même de son mal – une aptitude mentale diminuée – dicte cette conclusion (Megyeri, précité, § 23). Nul ne conteste que, en l’espèce, le requérant présentait des troubles mentaux qui l’empêchaient de mener une instance judiciaire de manière adéquate et qu’il a bénéficié, au cours des contrôles périodiques de son internement, de l’assistance d’un avocat commis d’office. Or, comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’intéressé (Magalhães Pereira, précité, § 60), parce qu’une assistance juridique effective des personnes handicapées appelle un devoir de contrôle renforcé de leurs représentants en justice par les juridictions internes compétentes (M.S. c. Croatie (no 2), no 75450/12, § 154, 19 février 2015).

197. En l’espèce, la Cour constate que dans la grande majorité des cas, les avocats commis d’office soit ont plaidé en faveur du maintien de l’internement, soit s’en sont remis à la sagesse des tribunaux. Loin de dicter la manière dont un avocat devrait traiter les affaires dans lesquelles il représente une personne atteinte de troubles mentaux, la Cour considère qu’il y a eu un manque d’assistance effective tout au long des procédures de contrôle de la nécessité de l’internement du requérant. À l’appui de ce constat, la Cour observe que, lors de chaque procédure, le requérant a été représenté par un avocat différent. De plus, elle prend en compte l’argument du requérant, non démenti par le Gouvernement, qui évoque l’absence de toute entrevue avec ses différents avocats avant les audiences tenues par les tribunaux, ce qui dénote un manque total de concertation entre le requérant et ceux-ci (voir, mutatis mutandis, Sýkora c. République tchèque, no 23419/07, § 108, 22 novembre 2012, et les affaires qui y sont citées, ainsi que M.S. c. Croatie (no 2), précité, § 155).

198. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, dans les procédures menées en vue du contrôle juridictionnel périodique de la nécessité de son internement, le requérant n’a pas bénéficié d’une assistance juridique adéquate.

γ) Conclusion

199. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les procédures menées en vue du contrôle juridictionnel du maintien de l’internement du requérant n’ont pas offert des garanties suffisantes au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

ARTICLE 5 § 5

200. Le requérant se plaint ensuite de ne pas avoir la possibilité d’obtenir une réparation pour le préjudice qu’il estime avoir subi en raison de la privation de sa liberté, irrégulière à ses yeux.

201. Le Gouvernement rétorque que le requérant peut saisir les tribunaux internes d’une action en réparation du préjudice allégué, soit sur le fondement des dispositions pénales relatives à la réparation pour privation illégale de liberté (l’article 504 de l’ancien CPP ou l’article 539 du nouveau CPP) soit directement sur le fondement de la Constitution et de la Convention (Dragomir c. Roumanie (déc.), no 59064/11, 3 juin 2014).

202. La Cour rappelle que l’article 5 § 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série A no 185-A, et Houtman et Meeus c. Belgique, no 22945/07, § 43, 17 mars 2009). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention. À cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garanti par cette dernière disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Ciulla c. Italie, 22 février 1989, § 44, série A no 148; N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X, et Stanev, précité, § 182).

203. Se tournant vers la présente espèce, la Cour relève que, eu égard à son constat de violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 5, le paragraphe 5 de cette disposition trouve à s’appliquer.

204. Elle rappelle que, pour qu’elle conclue à la violation de l’article 5 § 5, il doit être établi que le constat de violation d’un des autres paragraphes de l’article 5 ne pouvait, avant l’arrêt concerné de la Cour, ni ne peut, après cet arrêt, donner lieu à une demande d’indemnité devant les juridictions nationales (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, §§ 66-67, série A no 145‑B, et Stanev, précité, § 184).

205. À cet égard, la Cour note que, selon les dispositions du CPP, toute réparation est envisagée dans le contexte d’une procédure pénale menée contre l’intéressé et qu’elle est conditionnée à la constatation de l’illégalité de la détention par une ordonnance du parquet ou par la décision d’un tribunal (paragraphe 97 et 98 ci-dessus). Or il ressort du dossier que les autorités judiciaires roumaines n’ont à aucun moment considéré la mesure d’internement en cause comme illégale ou autrement contraire à l’article 5 de la Convention. La thèse du Gouvernement consiste d’ailleurs à dire que l’internement du requérant était conforme au droit interne. Dès lors, la Cour conclut qu’aucune compensation ne peut être réclamée par le requérant en vertu des dispositions susmentionnées pour la violation de l’article 5 § 1, faute de reconnaissance de l’irrégularité de la détention par les autorités nationales.

206. Toutefois, la Cour note l’argument du Gouvernement (paragraphe 201 ci-dessus) selon lequel il a été pallié en pratique par les tribunaux au cadre restrictif du CPP, plusieurs décisions de justice internes montrant une nette tendance des tribunaux à octroyer une réparation en cas de privation illégale de liberté, par la référence à la Constitution ou à la Convention (Dragomir, décision précitée, §§ 10-14 et 28).

207. En outre, la Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil 1996‑IV, et Tomuleţ c. Roumanie (déc.), no 1558/05, 16 novembre 2010).

208. En l’espèce, sur la base des informations produites par le Gouvernement dans l’affaire Dragomir précitée, la Cour considère que le requérant ne saurait alléguer qu’il est certain de l’échec d’une action tendant à l’octroi d’une réparation, fondée sur les dispositions de la Constitution et celles de la Convention, à tout le moins après le prononcé du présent arrêt. En définitive, la Cour rappelle que s’il y a un doute sur l’efficacité d’un recours interne, c’est là un point qui doit être soumis aux tribunaux (Roseiro Bento c. Portugal (déc.), no 29288/02, 30 novembre 2004, et Kirilov c. Bulgarie (déc.), no 15158/02, 29 avril 2008).

209. N’apercevant pas d’arguments permettant de conclure de prime abord à l’inefficacité du recours précité dans le cas particulier du requérant de la présente affaire, la Cour conclut que le présent grief est manifestement mal fondé. Il s’ensuit qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

DERUNGS c. SUISSE du 10 mai 2016 requête 52089/09

Violation de l'article 5-4 pour le délai d'examen des conditions de l'internement du requérant. Une durée de onze mois, pour obtenir une décision de justice en matière d’internement, ne respecte pas l’exigence de « bref délai ». En revanche, pas de violation, pour l'absence d'audience. Une nouvelle audience n'aurait rien apporté à la procédure.

DÉLAI D'EXAMEN DE LA DEMANDE

45. La Cour note qu’il ressort de sa jurisprudence que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière, et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181‑A ; Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002 ; et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Boucheras et Groupe Information Asiles c. France, no 14438/88, décision de la Commission du 11 avril 1991, Décisions et rapports (DR) 69, p. 242). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’État doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

46. La Cour note par ailleurs que dans l’affaire Herz c. Allemagne (no 44672/98, § 72, 12 juin 2003), elle a considéré que l’exigence de célérité devait également être respectée lorsque les États signataires ont instauré des voies de recours contre les décisions contrôlant la régularité de la privation de liberté.

47. Par rapport au critère de la complexité du dossier médical, plus spécifiquement, la Cour a statué que même un degré de complexité exceptionnel ne dégage pas les autorités nationales de leurs obligations essentielles sous l’article 5 § 4 de la Convention et que la responsabilité primaire pour les retards provoqués par l’ordonnance d’une expertise pèse sur l’État défendeur (Musiał v. Poland [GC], no 24557/94, §§ 46 et suiv., ECHR 1999‑II ; et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 72, CEDH 2000‑III).

b) Application des principes mentionnés ci-dessus au cas d’espèce

48. La Cour estime d’emblée que l’affaire Fuchser, précitée, revêt une pertinence toute particulière pour la présente affaire, dans la mesure où est à nouveau en cause la durée d’une procédure relative à une demande de libération dans le canton de Zurich. Elle rappelle que dans cet arrêt (paragraphes 46 et suiv.), un délai de quatre mois et six jours entre le moment où le requérant a demandé sa libération et celui où elle a été octroyée par le tribunal de district de Zurich, au terme de la procédure de recours contre une décision de l’office de l’exécution judiciaire, a été jugé excessif par la Cour.

49. La Cour rappelle que, dans le cas d’espèce, un délai de presque onze mois s’est écoulé entre la demande de libération du requérant du 21 août 2008 et la première décision judiciaire, du tribunal administratif, intervenue le 15 juillet 2009. De prime abord, une telle durée, plus de deux fois supérieure à celle de l’affaire Fuchser, précitée, paraît difficilement compatible avec l’exigence de « bref délai » de l’article 5 § 4 de la Convention. Le Tribunal fédéral, quant à lui, a estimé que la durée de la procédure devant le tribunal administratif était « longue, mais pas injustifiable ».

50. La Cour note, à ce sujet, que le Gouvernement allègue que l’exigence de célérité de la procédure n’est pas la même dans une procédure administrative déclenchée par l’examen d’office annuel de la détention du requérant que dans une procédure qui aurait été initiée par le requérant lui‑même pour cause d’une modification des circonstances de sa détention. Elle constate cependant qu’il ne s’agissait en l’espèce pas d’une simple procédure d’examen annuel d’office, comme le soutient le Gouvernement, mais également d’une demande formelle de libération, déposée par le requérant le jour de son audition dans le cadre de l’examen annuel mené d’office, à savoir le 21 août 2008.

51. Cela étant, il faut examiner si, en l’espèce, on se trouve en présence de motifs exceptionnels propres à justifier un retard pour statuer sur la demande de libération du requérant (Musiał, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 81). La Cour note, à ce sujet, que les motifs principaux invoqués par le Gouvernement résident dans le fait que le requérant a exercé différents recours, ce qui aurait mené à des procédures parallèles, ainsi que dans l’obligation des autorités cantonales de statuer non seulement sur une demande de libération, mais également sur les mesures d’assouplissement requises par le requérant.

52. La Cour constate que la partie la plus importante du retard à statuer a été causée par l’exigence, dans le canton de Zurich, d’épuiser une voie de recours hiérarchique ne présentant pas en soi les garanties propres à celles d’un « tribunal » au sens de la Convention. Or, la complexité de la procédure interne ne saurait servir de motif apte à justifier un retard dans la procédure, étant donné que la Convention oblige les États contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition, notamment quant au délai raisonnable (voir, mutatis mutandis, Werz c. Suisse, no 22015/05, § 44, 17 décembre 2009, § 44 ; Salesi c. Italie, 26 février 1993, § 24, série A no 257-E ; Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V ; et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006‑V).

53. La Cour note que le Gouvernement ne prétend pas non plus que le cas du requérant aurait été particulièrement complexe du point de vue matériel, notamment s’agissant de sa dimension médicale.

54. Compte tenu de ce qui précède, la Cour, constatant que le retard le plus important dans la présente affaire ne peut s’expliquer ni par la complexité de l’affaire ni par les particularités de la procédure interne ou le comportement du requérant, ne décèle aucun motif exceptionnel propre à justifier le retard à statuer sur la demande de libération (Musiał, précité, § 44, Hutchison Reid, § 81, Fuchser, précité, §52). Dans ces circonstances, la Cour estime pouvoir laisser ouverte la question de savoir s’il y a eu des retards injustifiés dans les autres stades des procédures, constatant que le requérant, dans ses observations devant la Cour, ne le prétend pas.

55. Dès lors, la décision du tribunal administratif, confirmant la légalité de l’internement, n’est pas intervenue « à bref délai » comme le prescrit l’article 5 § 4. La Cour constate que le requérant se plaint également de la conformité à la Convention du « système » en vigueur dans le canton de Zurich en tant que tel. Le grief du requérant se confond largement avec le grief relatif au « bref délai », de sorte qu’il ne se justifie pas de l’examiner séparément.

56. Compte tenu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 5 § 4.

DÉFAUT D'AUDIENCE

69. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 171, 17 janvier 2012 ; et Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 67, 18 février 2014).

70. Un aliéné interné dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitée ou prolongée a donc, en principe, le droit, au moins en l’absence de contrôle juridictionnel périodique et automatique, d’introduire à des intervalles raisonnables un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement (Ruiz Rivera, précité, § 68 ; Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 31, Série A no 75 ; Rakevitch c. Russie, no 58973/00, §§ 43 et suivants, 28 octobre 2003). Il n’en va pas autrement lorsque la détention avait à l’origine été validée par une autorité judiciaire (X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 52, Série A no 46).

71. En outre, si une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les litiges civils ou pénaux (Ruiz Rivera, précité, § 69, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 203, CEDH 2009), elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 57, série A no 33 ; Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, §§ 57 et 60, série A no 129 ; Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000-XI ; Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII ; Allen c. Royaume-Uni, no 18837/06, §§ 40-48, 30 mars 2010). Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp, précité, § 57; Hertz, précité, § 64).

72. En particulier, la personne internée doit avoir accès à un tribunal et l’occasion d’être entendue elle-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Ruiz Rivera, précité, § 70, Winterwerp, précité, § 60 ; Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A ; Stanev, précité, § 171). La procédure doit être contradictoire et respecter « l’égalité des armes » entre les parties (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 51, Série A no 107 ; Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, Série A no 224 ; Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, Série A no 318‑B ; Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 44, CEDH 2001‑I ; Reinprecht, précité, § 31). À cet égard, la Cour rappelle que la tenue d’une audience, dans le cadre d’une procédure contradictoire prévoyant la possibilité d’être représenté et d’interroger des témoins, est nécessaire, lorsqu’il s’agit pour l’autorité judiciaire d’examiner la personnalité et le degré de maturité de la personne concernée, en vue d’en mesurer la dangerosité (Waite c. Royaume‑Uni, no 53236/99, § 59, 10 décembre 2002).

b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

73. La Cour relève que le requérant avait demandé explicitement la tenue d’une audience devant le tribunal administratif. Le Gouvernement note que le requérant a déjà eu l’occasion de s’exprimer oralement lors de l’audition qui s’est tenue le 21 août 2008 devant l’office de l’exécution judiciaire (paragraphe 16 ci-dessus). Il prétend qu’aucun fait nouveau de nature à justifier la tenue d’une audience devant le tribunal administratif du canton de Zurich n’est intervenue par la suite.

74. La Cour constate que dans la présente affaire, le requérant se trouvait détenu depuis plus de quatre ans, ce qui constitue une durée conséquente, d’autant plus qu’il avait été soumis préalablement à d’autres mesures et notamment à une mesure thérapeutique institutionnelle.

75. Par contre, il découle de la jurisprudence citée ci-dessus qu’une procédure relevant de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles de l’article 6 § 1. Par ailleurs, la Cour estime qu’une audience n’est pas indispensable dans toutes les circonstances, notamment si aucune clarification additionnelle n’est censée en résulter.

76. La Cour estime également que la présente affaire se distingue sensiblement de l’affaire Ruiz Rivera, précitée, qui a soulevé des questions d’interprétation importantes relatives à des expertises psychiatriques et des rapports de thérapie (§§ 71-76). Dans ladite affaire, l’essence même du grief principal visait à mettre en doutes les opinions des experts et de demander une nouvelle expertise. C’est seulement à titre subsidiaire que le requérant souhaitait la tenue d’une audience, devant le tribunal administratif, au cours de laquelle il aurait pu présenter oralement ses observations et poser toutes questions utiles à l’auteur du rapport d’expertise psychiatrique de 2001. En effet, le requérant avait toujours contesté la validité scientifique des expertises psychiatriques sur lesquelles se fondaient les décisions litigieuses et soutenait qu’il n’y avait aucun lien de confiance avec l’équipe chargée de son suivi.

Comparée à cette affaire-là, la situation du requérant semble moins litigieuse. Il est vrai que les dernières expertises concernant le requérant ont été établies en 2002 et 2003 (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). En même temps, le tribunal administratif a constaté, dans son arrêt du 15 juillet 2009, que la situation du requérant n’avait plus évolué de manière significative depuis l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 2004 (paragraphe 20 ci-dessus), ce que le requérant ne prétendait par ailleurs pas. Il n’apparaît pas non plus qu’il ait demandé l’établissement d’une nouvelle expertise. Ce dernier arrêt s’appuyait par ailleurs sur les deux expertises mentionnées, constatant en particulier l’échec des thérapies antérieures et l’absence d’évolution positive chez le requérant.

Compte tenu des différences à la fois factuelles et résidant dans les griefs présentés par les requérants dans ces deux affaires, la Cour estime qu’elle a suffisamment de motifs pour s’écarter en l’espèce des conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire Ruiz Rivera, précitée.

77. Par ailleurs, dans une affaire examinée par la Cour sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, la question de la durée excessive entre la condamnation du requérant et le moment où le tribunal cantonal a été amené à examiner le maintien de la mesure institutionnelle, le 19 avril 2010, s’est posée de manière similaire que dans l’affaire Ruiz-Rivera, précitée (C.W. c. Suisse, no 67725/10, §§ 45-51, 23 septembre 2014). Dans ladite affaire, la Cour a conclu que le tribunal cantonal avait pu valablement s’appuyer sur un avis du 16 mars 2010 et les rapports d’expertise psychiatrique de 2008 et 2009 afin d’établir quelle devait être la durée de la thérapie en milieu fermé la mieux à même de limiter les risques de récidive liés à l’état de santé du requérant.

78. La Cour rappelle également que le requérant a été entendu personnellement en présence de son avocat par l’administration pénitentiaire, le 21 août 2008, dans le cadre de l’examen annuel d’office, soit seulement quelques mois avant sa demande d’être entendu. Le 7 octobre 2008, tenant compte de cette audition ainsi que d’un rapport de thérapie du 22 juillet 2008 et d’un rapport du service psychiatrique-psychologique du 30 juillet 2008, l’office a refusé la libération du requérant. La Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel le requérant n’a invoqué aucun élément pertinent survenu après l’audition susmentionnée ni aucun aspect relatif à sa personnalité qui aurait rendu une nouvelle audition nécessaire.

79. Par ailleurs, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le droit du requérant à être entendu a été respecté dans le cas d’espèce, celui-ci ayant eu accès à tous les éléments de la procédure et ayant pu s’exprimer, avec l’aide de son représentant, lors des différentes étapes de la procédure. Il a en effet pu faire valoir son point de vue de manière adéquate et a en particulier pu prendre position sur les arguments de l’autre partie. Le principe de l’égalité des armes a donc été respecté en l’espèce. Dès lors, la Cour conclut que le requérant a bénéficié d’une procédure judiciaire qui, considérée dans sa globalité, était adaptée à la nature de sa privation de liberté. Le requérant ne conteste par ailleurs pas cet état de fait.

80. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances particulières du présent cas et bien que l’audience du 21 août 2008 ait eu lieu devant une autorité qui n’est pas un tribunal au sens de la Convention, le tribunal administratif pouvait se dispenser de tenir une audience afin d’entendre le requérant en personne.

81. Par conséquent, la Cour conclut que l’article 5 § 4 de la Convention n’a pas été violé en raison de l’absence d’audience devant le tribunal administratif.

Mader C. Suisse Arrêt du 8 décembre 2015 requêtes n° 6232/09 et 21261/10

Violation de l'article 5-4 :  Contraindre un interné d'obtenir l'autorisation d'une autorité tutélaire pour pouvoir saisir un tribunal est non conforme à la Convention.

61. La Cour rappelle qu’en principe, la Convention n’exclut pas la possibilité qu’une demande d’élargissement soit préalablement adressée à une autorité administrative pour autant cette demande puisse par la suite être examinée par un tribunal au sens de l’article 5 § 4 de la Convention (S.M. c. Suisse (déc), 26900/95, 21 janvier 1998).

62. En l’espèce, la décision de l’autorité de tutelle ou, le cas échéant, de l’autorité de surveillance des tutelles était susceptible de recours devant le tribunal administratif du canton de Thurgovie. Or il n’est pas contesté entre les parties que le tribunal administratif correspond aux exigences de l’article 5 § 4.

63. Cependant, la Cour remarque que le requérant a saisi le département de la justice et de la sécurité du canton de Thurgovie le 11 juin 2008. Celui‑ci a, à deux reprises, les 12 juin et 10 septembre 2008, invité l’autorité de tutelle à présenter ses observations. Face au silence de cette dernière, le département s’est finalement prononcé le 1er octobre 2008. Prenant acte de la levée des conditions à l’élargissement du requérant intervenue le 29 septembre 2008, le Département déclara le recours dépourvu d’objet. Par conséquent, ce n’est que presque cinq mois après qu’il a formulé sa première demande d’élargissement que le requérant a obtenu une décision lui permettant de s’adresser à un tribunal.

64. Quant à la possibilité pour le requérant d’introduire un recours tel que prévu par l’article 429a CC, ce recours, bien que permettant un examen de la légalité de la privation de liberté, n’a de vocation que réparatrice et ne permet notamment pas que soit prononcé l’élargissement.

65. Or la Cour rappelle que, de même que toute autre disposition de la Convention et de ses protocoles, l’article 5 § 4 doit s’interpréter de telle manière que les droits y consacrés ne soient pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits), Firoz Muneer c. Belgique, no 56005/10, § 77, 11 avril 2013).

66. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que l’obligation d’obtenir une décision administrative avant de pouvoir introduire un recours devant un tribunal a eu pour effet de priver le requérant de son droit à ce qu’il soit statué à bref délais sur sa privation de liberté.

67. Par conséquent, la Cour rejette l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

Arrêt D.N contre Suisse du 29/03/2001 Hudoc 2478 requête 27154/95

La requérante se plaint que le médecin qui a décidé de son internement soit aussi l'expert psychiatrique et aussi le juge rapporteur au sein de la Commission des recours administratifs; une légitime suspicion d'impartialité de la Commission des recours administratifs, est née du cumul des fonctions du médecin:

"§55: Les appréhensions de la requérante pouvaient  qu'être renforcées par la position occupée par R.W au sein de la Commission des recours administratifs où il était à la fois le seul expert psychiatrique et l'unique personne à avoir entendu la requérante. Celle-ci pouvait légitimement craindre que l'avis de R.W pesât d'un poids particulier dans la prise de décision.

§56: la Cour estime que, considérées globalement, ces circonstances sont objectivement de nature à justifier les craintes nourries par la requérante quant à l'impartialité de R.W siégeant comme juge au sein de la Commission des recours administratifs.

§57: En conséquence, il y a eu en l'espèce violation de l'article 5§4 de la Convention"

Arrêt DM contre France du 27 juin 2002 Hudoc 3737 requête 41376/98

Le requérant était interné au C.H.U de Lille sans avoir accès au T.G.I de Lille pour faire examiner la légalité de son internement

"§29: La Cour rappelle qu'en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l'article 5§4 consacre aussi le droit pour celles-ci d'obtenir, dans un bref délai à compter de l'introduction du recours, une décision judiciaire, concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale ()

§30: La Cour constate ainsi que, saisi de la demande le 4 ou le 10 juin 1997, le président radia l'affaire du rôle le 30 juin 1998, soit au moins un an et vingt jours plus tard.

§31: Elle relève encore que, qu'elle que soit la date retenue pour le dépôt de la demande de sortie immédiate du requérant, ce n'est plus de trois mois plus tard, soit le 17 septembre 1997, que le Président du T.G.I désigna un expert, alors même que la mesure d'internement avait été levée une semaine auparavant. La Cour estime qu'un tel délai ne peut être considéré comme "bref" au regard des dispositions de l'article 5§4 de la Convention. Partant, il y a eu en l'espèce violation de l'article 5§4 de la Convention"

Arrêt Laidin contre France du 05 novembre 2002 Hudoc 3920 requête 43191/98

Le requérant dépose un recours suite à son internement psychiatrique:

"§28: La Cour rappelle qu'en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l'article 5§4 consacre aussi le droit pour celles-ci d'obtenir, dans un bref délai à compter de l'introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale.

§29: La Cour constate qu'en l'espèce, le procureur, saisi le 8 décembre, demanda le lendemain à l'hôpital un certificat médical détaillé, qui lui fut fourni seulement le 26 décembre suivant.

Si le Procureur accusa réception de ce document le 02/01/1998 et saisit aussitôt le président du  Tribunal, ce qui témoigne de sa diligence, il n'en demeure pas moins qu'il s'est écoulé un mois entre la date où la requérante a envoyé sa lettre et celle où le président du tribunal fut saisi.

Quant au président du tribunal saisi lui-même le 02/01/1998, il fixa le 12/02/1998, une audience pour le 25/02/1998, soit presque un mois et demi après que la requérante fut sortie à l'essai et la veille de la levée définitive de la mesure d'internement.

§30: Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités compétentes, s'agissant d'une procédure particulière dont le but était de faire statuer sans délai sur une demande de sortie d'intervention, n'ont pas statué "à bref délai"

Partant, il y a violation de l'article 5§4 de la Convention.

Arrêt MATHIEU contre France du 27/10/2005 requête 68673/01

"32.  La Cour estime que le point de départ de la procédure engagée par la requérante doit être fixé au 9 juin 2000, date de dépôt de la demande par son avocate.

33.  Pour ce qui est de la date de la fin de la procédure, la Cour note que la requérante recouvra la liberté, aux fins de l’article 5, lors de sa sortie à l’essai le 11 juillet 2000, même si ce n’est que le 9 novembre 2000 que la mesure d’internement fut levée définitivement (voir arrêts Weeks c. Royaume-Uni du 2 mars 1987, série A no 114, p. 22, § 40 et Laidin c. France (n o 1), no 43191/98, § 26, 5 novembre 2002).

34.  Dès lors, la durée de la procédure à prendre strictement en considération est de plus de quatre semaines si l’on tient compte de la date à laquelle la requérante est sortie « à l’essai » de l’hôpital.

35.  La Cour rappelle toutefois qu’en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 14, § 35, Musial c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II et Laidin c. France (no 1), précité, § 28).

36.  Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d’une certaine célérité de la justice. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a donc lieu de prendre en compte les circonstances de l’affaire et notamment le délai à l’issue duquel une décision a été rendue par les autorités judiciaires (voir arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 27-28, § 64 et Delbec c. France no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, non publié).

37.  La Cour constate qu’en l’espèce, la requérante a déposé sa demande de sortie immédiate le 9 juin 2000, que le président du tribunal a désigné un expert le 27 juin suivant, celui-ci devant rendre son rapport avant le 4 août 2000.

Le 10 août 2000, un nouveau délai a été fixé au 21 août pour la remise du rapport d’expertise. Celui-ci fut finalement déposé le 6 octobre 2000 et le tribunal rendit sa décision le 20 octobre 2000, soit plus de quatre mois après avoir été saisi.

Il convient encore de noter que la cour d’appel de Lyon rendit, quant à elle, son arrêt le 2 octobre 2003.

38.  Bien que la requérante fût sortie à l’essai le 11 juillet 2000, il convient toutefois de souligner qu’elle était susceptible d’être réinternée à tout moment dès lors que l’arrêté préfectoral n’était pas levé et que le tribunal n’avait pas statué.

39.  Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités compétentes, s’agissant d’une procédure particulière dont le but était de faire statuer sans délai sur une demande de sortie d’internement immédiate, n’ont pas statué « à bref délai ».

Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention."

VAN GLABEKE c. FRANCE du 7 mars 2006 Requête no 38287/02

"29.  La Cour constate que la mère de la requérante a saisi le juge d’une demande de remise de sortie immédiate le 23 mars 2002. En effet, même si le Gouvernement indique que ce courrier n’a pu être retrouvé au greffe du tribunal (voir § 15 ci-dessus), il n’en demeure pas moins que la requérante produit copie du courrier que le Procureur de la République de Lille a adressé le 8 avril 2002 à sa mère, en réponse à cette demande.

30.  Il convient encore de relever que la demande de sortie immédiate adressée le 28 mars 2002 par l’Afcap au président du tribunal de grande instance n’a pas fait l’objet d’une décision judiciaire, le parquet ayant, le 22 avril 2002, classé cette demande comme étant sans objet.

31.  La Cour rappelle qu’en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 14, § 35, Musial c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II, Laidin c. France (no 1), précité, § 28 et Mathieu c. France, no 68673/01, § 35, 27 octobre 2005).

32.  Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d’une certaine célérité de la justice. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a donc lieu de prendre en compte les circonstances de l’affaire et notamment le délai à l’issue duquel une décision a été rendue par les autorités judiciaires (voir arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 27-28, § 64, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, non publié et Mathieu c. France, précité, § 36)

33.  Bien que la requérante fût sortie de l’hôpital le 8 avril 2002, force est de constater que, dans le cas d’espèce, aucun tribunal n’a jamais statué sur les deux demandes de sortie immédiate qui avaient été présentées en son nom au Président du tribunal de grande instance de Lille.

34.  Cet élément suffit à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention."

Arrêt FUCHSER c. SUISSE du 13 juillet 2006, Requête no 55894/00

"1.  Les principes élaborés dans la jurisprudence de la Cour

39.  La Cour rappelle d’emblée l’objet et le but de l’article 5, consistant à assurer que nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté (Lawless c. Irlande (no 3), arrêt du 1er juillet 1961, série A no 3, p. 52, § 14, et Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 16, § 37). Elle met également en exergue l’importance du droit à la liberté dans une société démocratique (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, p. 36, § 65).

40.  La Cour rappelle également le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (R.M.D. c. Suisse, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2015, § 51, et Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33).

41.  En garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi leur droit à voir rendre dans un « bref délai », à partir de son introduction, une décision judiciaire mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (Maizit c. Russie, no 63378/00, § 47, 20 janvier 2005, et Van der Leer c. Pays-Bas, arrêt du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 14, § 35).

42.  Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les procédures touchant à des questions de privation de liberté au sens de l’article 5 § 4 requièrent une diligence particulière et que les exceptions au principe d’une constatation « à bref délai » de la conformité de la détention appellent une interprétation stricte (dans ce sens, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV).

43.  La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie, non pas dans l’abstrait, mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, arrêt du 29 août 1990, série A no 181-A, p. 27 et suiv., § 64, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, arrêt du 23 février 1984, série A no 75, pp. 15 et suiv., § 33, pp. 17 et suiv., § 37), en particulier à la lumière de la complexité de la présente affaire, notamment du dossier médical, des particularités éventuelles de la procédure interne à suivre ainsi que du comportement du requérant dans celle-ci (Hutchison Reid, précité, § 77, et Boucheras et Groupe Information Asiles c. France, no 14438/88, décision de la Commission du 11 avril 2001, Décisions et rapports (DR) 69, p. 242). En principe cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Maizit, précité, § 49, et Zamir c. Royaume-Uni, no 9174/80, rapport de la Commission du 11 octobre 1983, DR 40, pp. 42 et suiv., 79, § 108).

44.  Par rapport au critère de la complexité du dossier médical, plus spécifiquement, la Cour a statué que même un degré de complexité exceptionnel ne dégage pas les autorités nationales de leurs obligations essentielles sous l’article 5 § 4 de la Convention et que la responsabilité primaire pour les retards provoqués par l’ordonnance d’une expertise pèse sur l’Etat défendeur (Musiał v. Poland [GC], no. 24557/94, §§ 46 et suiv., ECHR 1999-II, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 72, CEDH 2000-III).

Dans l’affaire Baranowski (précitée, § 73), un laps de temps de six semaines pour obtenir un rapport cardiologique ainsi que de quatre semaines pour recevoir des renseignements d’un neurologue et d’un psychiatre ont été jugés contraires au principe de « diligence particulière », élaboré par la Cour à la lumière de l’article 5 § 4.

45.  Compte tenu de ces critères, les organes de la Convention ont constaté un dépassement du « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 pour les durées respectives, indiquées entre parenthèses, par exemple dans les affaires suivantes : Koendjbiharie c. Pays-Bas (arrêt du 25 octobre 1990, série A no 185-B, pp. 40 et suiv., § 29) : durée en l’occurrence supérieure à quatre mois ; Van der Leer (précité, p. 15, § 36) : durée de cinq mois, et Maizit (précité, § 50) : durée de quatre mois et quinze jours ; voir aussi Boucheras et Groupe Information Asiles (précité) : durée de près de trois mois jugée a priori excessive.

2.  Application des principes au cas d’espèce

46.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour constate que le requérant ne se plaint que de la durée de procédure devant le tribunal de district de Zurich. En l’espèce, il a demandé à être libéré le 24 juin 1997. Cette juridiction a rendu une décision mettant fin à l’internement le 30 octobre 1997. La procédure litigieuse s’est donc étendue sur quatre mois et six jours, sans compter le délai qui s’est écoulé entre cette date et le 14 novembre 1997, date à laquelle le requérant a effectivement été remis en liberté.

47.  De prime abord, une telle durée cadre mal avec la notion de brièveté élaborée par la jurisprudence précitée de la Cour et la Commission européenne des droits de l’homme. Il faut donc examiner si, en l’espèce, on se trouve en présence de motifs exceptionnels propres à justifier un retard pour statuer sur la demande de libération du requérant (Musiał, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 81).

48.  La Cour note, à ce sujet, que le motif principal invoqué par le Gouvernement réside dans la complexité du dossier médical qui a prétendument rendu nécessaire une demande d’expertise médicale complémentaire. Elle n’estime pas indispensable de répondre à la question de savoir s’il existait, en effet, un besoin de compléter le dossier médical du requérant, dans la mesure où elle n’est pas convaincue qu’il existait un lien de causalité entre la complexité des questions médicales et le retard à statuer de la part du tribunal de première instance (critère évoqué dans l’affaire Musiał, précitée, § 47). A cet égard, elle rappelle que la clinique psychiatrique de Winterthour, institution à laquelle la rédaction de l’expertise a été ultérieurement confiée, a prouvé que celle-ci pouvait être élaborée dans un délai d’un peu plus de cinq semaines (du 8 septembre au 16 octobre 1997).

49.  Cela dit, la Cour constate que la partie la plus importante du retard à statuer a été causée par l’inactivité des autorités compétentes. La décision de l’Office, après avoir appris, le 23 juillet 1997, que la clinique psychiatrique de Rheinau ne serait pas en mesure de livrer une expertise avant le mois d’octobre 1997, de ne pas retirer le mandat à celle-ci et le fait de ne pas avoir essayé de trouver un autre spécialiste en la matière pèsent particulièrement lourd dans ce contexte (voir Baranowski, précité, § 73).

50.  La Cour rappelle aussi que la raison invoquée par le chef de la clinique de Rheinau pour l’impossibilité de soumettre l’expertise plus rapidement était le manque de personnel. Il échet de souligner que cette raison importe peu dans l’analyse du respect de l’attitude des autorités compétentes, dans la mesure où il incombe aux Etats d’agencer leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de l’article 5 § 4 (voir, mutatis mutandis, R.M.D. c. Suisse, précité, § 54).

51.  De surcroît, les périodes de deux fois deux semaines environ entre, d’une part, le dépôt de la demande de mise en liberté (24 juin 1997) et le jour où l’Office a chargé le médecin-chef de la clinique psychiatrique de Rheinau de l’expertise complémentaire (8 juillet 1997) ainsi que, d’autre part, la prise de connaissance du retrait de celle-ci (25 août 1997) et l’octroi du mandat à la clinique psychiatrique de Winterthour (8 septembre 1997), si elles n’emportent probablement pas, prises isolément, une atteinte à l’article 5 § 4, sont néanmoins susceptibles de renforcer l’impression de la Cour que les autorités internes n’ont en l’occurrence pas fait preuve de la « diligence particulière » exigée par la jurisprudence de la Cour précitée.

52.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour, constatant que les retards les plus importants dans la présente affaire ne peuvent s’expliquer ni par la complexité de l’affaire ni par les exigences de la procédure interne ou le comportement du requérant, ne décèle aucun motif exceptionnel propre à justifier le retard à statuer sur la demande de libération (Musiał, précité, § 44, et Hutchison Reid, précité, § 81).

53.  Dès lors, la décision du tribunal de district de Zurich, mettant fin à l’internement du requérant, n’est pas intervenue « à bref délai » comme le prescrit l’article 5 § 4.

Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition."

TREBOUX c. FRANCE Requête no 7217/05 du 3 octobre 2006

"33.  La Cour rappelle qu’en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 14, § 35 ; Musial c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II ; Laidin c. France (no 1), no 43191/98, § 28, 5 novembre 2002 ; Mathieu c. France, no 68673/01, § 35, 27 octobre 2005 et mutatis mutandis Van Glabeke c. France, no 38287/02, §§ 31 à 33, CEDH 2006-...).

34.  Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d’une certaine célérité de la justice. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a donc lieu de prendre en compte les circonstances de l’affaire et notamment le délai à l’issue duquel une décision a été rendue par les autorités judiciaires (voir arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990, série A no 181-A, pp. 27-28, § 64 ; Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, non publié ; Mathieu c. France, précité, § 36 ; Van Glabeke c. France, no 38287/02, §§ 31-32, CEDH 2006-...)

35.  La Cour relève qu’en l’espèce, la requérante a déposé sa demande de sortie immédiate le 3 avril 2004.

Bien qu’elle fût sortie à l’essai de l’hôpital le 15 avril 2004, elle est restée sous le coup de l’arrêté ordonnant son hospitalisation d’office jusqu’au 20 août 2004. Par ailleurs, c’est douze jours après le dépôt de la demande que le juge des libertés et de la détention désigna un expert et, alors même que la mesure d’internement était toujours en vigueur, le juge ne prit sa décision que le 9 juin 2004, soit plus de deux mois après le dépôt de la demande.

En outre, la cour d’appel statua plus de quatre mois et demi après avoir été saisie.

36.  La Cour estime que de tels délais ne peuvent être considérés comme « brefs » au regard des dispositions de l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention."

Arrêt Baudouin contre France du 18 novembre 2010 requête 35935/03

A.  Sur l'effectivité des recours dont le requérant a disposé en droit français

101.  La Cour rappelle qu'en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues l'article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d'obtenir, dans un bref délai à compter de l'introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à la privation de leur liberté si elle se révèle illégale (voir, parmi d'autres, Van der Leer c. Pays-Bas, 21 février 1990, § 35, série A no 170-A, et Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II). Dans le cas précis de l'internement des aliénés, la Cour a jugé qu'outre le contrôle de la décision privative de liberté il doit toujours y avoir place pour un contrôle ultérieur, à exercer à des intervalles raisonnables, car les motifs qui justifiaient à l'origine la détention peuvent cesser d'exister (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 31, série A no 75). En outre, le contrôle requis par l'article 5 § 4 doit être assez ample pour s'étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d'une personne, en l'occurrence pour aliénation mentale (voir, parmi d'autres, Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93, E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181-A, et Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 64, CEDH 2003-IV).

102.  La Cour constate qu'il s'agit en l'espèce de déterminer si le requérant a disposé d'un recours effectif lui permettant d'obtenir la mainlevée de la mesure d'hospitalisation d'office dont il faisait l'objet, alors que l'irrégularité formelle de l'acte fondant son internement était avérée. Elle estime qu'il lui faut à cette fin examiner l'ensemble des voies de recours exercées par le requérant.

103.  Tout d'abord, quant aux mécanismes de référé dont a usé l'intéressé, la Cour observe que ni le référé-suspension prévu par l'article L. 521-1-12 du code de justice administrative, qui doit être suivi d'un recours en annulation de l'arrêté contesté, ni le mécanisme de référé-liberté mis en place par la loi du 30 juin 2000 (paragraphe 71 ci-dessus), qui permet uniquement au juge de contrôler l'illégalité manifeste d'un acte de l'autorité administrative, ne peuvent donner lieu à un examen au fond de la légalité d'une décision d'internement. Dès lors, elle considère que ces recours ne tombent pas sous l'empire de l'article 5 § 4.

104.  Quant aux recours en annulation, la Cour rappelle que, dans l'affaire Delbec (précitée), où la requérante avait saisi tant les tribunaux administratifs que les juridictions judiciaires, elle a relevé que le recours en annulation pouvant être introduit devant les juridictions administratives afin de contester la légalité externe d'une mesure d'internement ne permettait pas aux internés d'obtenir la sortie immédiate de l'établissement hospitalier. Aussi a-t-elle conclu dans cette affaire que la voie de recours administrative n'était pas « un recours pertinent sous l'angle de l'article 5 § 4 » étant donné qu'il ne donnait pas au demandeur la possibilité d'être mis en liberté dans le cas où sa privation de liberté était déclarée illégale (Delbec, précité, § 30). En conséquence, elle a examiné uniquement si la procédure judiciaire relative à la demande de sortie immédiate était ou non conforme à l'article 5 § 4, pour finalement conclure à la violation de cette disposition en raison du non-respect de la condition du « bref délai ».

105.  La Cour observe d'emblée que rien dans la présente affaire ne peut l'amener à s'écarter de la conclusion à laquelle elle était parvenue dans l'affaire Delbec. Elle relève en effet que les juges administratifs ont opposé à plusieurs reprises au requérant leur incompétence s'agissant d'ordonner sa sortie immédiate, alors même qu'ils venaient de constater l'illégalité de l'arrêté fondant l'internement de l'intéressé (voir, notamment, la motivation du jugement rendu le 21 octobre 2004 par le tribunal administratif de Bordeaux – paragraphe 20 ci-dessus – annulant l'arrêté préfectoral du 17 mai 2004). La Cour remarque à cet égard que cette situation découle logiquement du partage de compétences opéré par le Tribunal des conflits dans son arrêt du 17 février 1997 (paragraphe 69 ci-dessus), selon lequel lorsque la juridiction administrative s'est prononcée sur la régularité de l'arrêté d'internement, c'est l'autorité judiciaire qui est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure d'hospitalisation d'office.

106.  Quant à la voie judiciaire ouverte aux personnes internées pour faire statuer sur leurs demandes de sortie immédiate, la Cour constate qu'en l'espèce le requérant a usé de cette possibilité. Elle relève que les juridictions judiciaires saisies se sont attachées à déterminer si l'hospitalisation d'office du requérant était justifiée par son état de santé, et n'ont abordé la question de la légalité externe des arrêtés d'hospitalisation que pour constater la compétence des juges administratifs en la matière. Ainsi, dans son arrêt du 8 juillet 2005, la cour d'appel de Bordeaux a annulé le jugement rendu précédemment par le juge des libertés et de la détention ordonnant la sortie immédiate du requérant au motif notamment que « l'appréciation du moyen tiré de l'irrégularité des arrêtés préfectoraux des 9 novembre 2004, 7 décembre 2004 (...) et 10 mars 2005 (...) n'est pas de la compétence du juge civil mais de celle du juge administratif » (paragraphe 40 ci-dessus). En conclusion, la cour d'appel a relevé qu'aucune voie de fait ne pouvait être retenue, et qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la sortie immédiate du requérant.

107.  Pour la Cour, il ressort donc des faits de l'espèce que le juge judiciaire n'est pas habilité à examiner les conditions de validité formelle des arrêtés litigieux.

108.  Certes, la Cour relève, avec le Gouvernement, la complémentarité des recours existants pouvant permettre de contrôler l'ensemble des éléments de la légalité d'un acte, puis aboutir à la libération de la personne internée. Toutefois, dans la présente affaire, la Cour ne peut que constater que les actes successifs fondant la privation de liberté du requérant ont été annulés par les juges administratifs, sans que jamais l'intéressé n'obtienne une décision des tribunaux judiciaires mettant fin à la mesure d'hospitalisation. Dès lors, la Cour parvient à la conclusion que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, l'articulation entre la compétence du juge judiciaire et celle du juge administratif quant aux voies de recours offertes n'a pas permis au requérant d'obtenir une décision d'un tribunal pouvant statuer « sur la légalité de sa détention et ordonner sa libération si la détention est illégale ».

109.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu'il y a lieu d'accueillir l'exception soulevée par le Gouvernement quant à l'inapplicabilité de l'article 5 § 4 aux procédures introduites par le requérant devant les juridictions de l'ordre administratif (recours en annulation et procédures de référé). Elle constate en outre que le requérant n'a disposé d'aucun recours effectif qui lui aurait permis d'obtenir une décision judiciaire constatant l'irrégularité de l'acte fondant son internement et mettant fin, par voie de conséquence, à sa privation de liberté irrégulière.

110.  Partant, elle conclut à la violation de l'article 5 § 4.

B.  Quant à la durée d'examen « à bref délai » des différents recours introduits par le requérant

116.  La Cour a souligné à de multiples reprises que le souci dominant que traduit l'article 5 § 4 est bien celui d'une certaine célérité (voir, notamment, Filip c. Roumanie, no 41124/02, § 79, 14 décembre 2006), et que l'Etat avait l'obligation de faire en sorte que les procédures mettant en jeu la liberté d'un individu se déroulent en un minimum de temps (Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005). Pour arriver à une conclusion définitive, il y a lieu de prendre en compte les circonstances de l'affaire et notamment le délai à l'issue duquel une décision a été rendue par les autorités judiciaires (E. c. Norvège, précité, § 64, et Delbec, précité, § 33)

117.  Quant aux recours dont le requérant a saisi les juridictions judiciaires, la Cour a réitéré dans sa décision sur la recevabilité de la présente cause que la règle du « bref délai » valait non seulement devant le juge de première instance mais s'étendait également aux stades ultérieurs de la procédure, et que, pour contrôler l'observation de cette règle, il fallait se livrer à une appréciation globale lorsque la procédure s'est déroulée devant deux degrés de juridiction (voir, par exemple, Navarra c. France, 23 novembre 1993, § 28, série A no 273-B, avec la jurisprudence y citée).

118.  Concernant les trois procédures judiciaires pertinentes décrites aux paragraphes 26-45 ci-dessus, il suffit à la Cour de relever que la procédure la plus courte (celle introduite le 19 octobre 2005, paragraphes 42-44 ci-dessus) a duré plus de quatre mois, du 19 octobre 2005 au 20 février 2006. Elle considère en outre que les délais litigieux sont imputables aux autorités, étant donné que rien ne permet de penser que le requérant, après avoir introduit ces recours, ait d'une manière quelconque retardé leur examen (voir, mutatis mutandis, Mayzit, précité, § 52). Compte tenu de sa jurisprudence concernant la détention des aliénés, dans laquelle des durées de huit semaines posent problème (voir, notamment, E. c. Norvège, précité, §§ 63 et suiv.), elle juge ces retards excessifs.

119.  Dès lors, la Cour estime qu'aucune des procédures judiciaires introduites par le requérant n'a respecté l'obligation d'examen à « bref délai ».

120.  Partant, elle conclut également à la violation de l'article 5 § 4 de ce chef.

Arrêt Patoux c. France requêtes numéro 35079/06 du 14 avril 2011

Le droit à la liberté et à la sûreté d’une femme hospitalisée d’office n’a pas été respecté puisque sa demande de sortie n'a pas été examinée avec un délai bref.

La Cour rappelle que l’article 5 § 4 garantit le droit pour les personnes arrêtées ou détenues d’obtenir à bref délai une décision judiciaire sur la régularité de leur détention, mettant fin à celle-ci si elle s’avère illégale, exigeant ainsi une certaine célérité de la justice.

Dans le cas de Mme Patoux, elle note que c’est plus de 20 jours après la demande de sortie immédiate que le juge des libertés et de la détention l’a entendue en audience et a ordonné une expertise psychiatrique. Après la procédure d’expertise, le juge a rendu une ordonnance de rejet le 19 mai 2006, soit 46 jours après le dépôt de la demande de sortie immédiate. La Cour note par ailleurs que la cour d’appel a statué un mois après avoir été saisie d’une requête contre l’ordonnance du juge des libertés.

Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités compétentes, dans le cadre d’une procédure particulière dont le but était de faire statuer sans délai sur une demande de sortie immédiate, n’ont pas statué « à bref délai », emportant donc violation de l’article 5 § 4.

LA CEDH

71.  La Cour rappelle qu’en garantissant aux personnes arrêtées ou détenues un recours pour contester la régularité de leur privation de liberté, l’article 5 § 4 de la Convention consacre aussi le droit pour elles, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (voir, par exemple, Menvielle c. France (no 2), précité, § 23, Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, 28 mars 2000, CEDH 2000-III).

72.  Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d’une certaine célérité de la justice. Pour arriver à une conclusion définitive, il y a donc lieu de prendre en compte les circonstances de l’affaire et notamment le délai à l’issue duquel une décision a été rendue par les autorités judiciaires (voir E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181-A, et Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002).

73.  La Cour constate qu’en l’espèce, la requérante a déposé sa demande de sortie immédiate le 3 avril 2006 et que c’est plus de vingt jours après que le juge des libertés et de la détention a entendu la requérante en audience et ordonné une expertise psychiatrique. Le rapport d’expertise a été ensuite déposé le 10 mai 2006 et la requérante a, une fois encore, été convoquée par le juge à l’audience du 17 mai suivant. Le juge a rendu une ordonnance de rejet le 19 mai 2006, soit quarante-six jours après le dépôt de la demande de sortie immédiate. La Cour note également que la cour d’appel a statué un mois après avoir été saisie.

74.  Bien que la requérante ait été autorisée à sortir du CHI le 13 mai 2006 sans l’avoir réintégré par la suite, il convient de souligner qu’elle était susceptible d’être réinternée à tout moment dès lors que l’arrêté d’hospitalisation d’office n’était pas levé et que le tribunal n’avait pas statué.

75.  Comparant le cas d’espèce avec d’autres affaires où elle a conclu au non-respect de l’exigence de « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 (voir, par exemple, L.R. c. France, no 33395/96, § 38, 27 juin 2002, et Mathieu c. France, no 68673/01, § 37, 27 octobre 2005, où il s’agissait, respectivement, de délais de vingt-quatre jours et de plus de quatre mois), la Cour estime que le retard dénoncé par la requérante est excessif.

76.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités compétentes, s’agissant d’une procédure particulière dont le but était de faire statuer sans délai sur une demande de sortie immédiate, n’ont pas statué « à bref délai ».

77.  Partant, il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

ARRÊT GRANDE CHAMBRE

IDALOV c. RUSSIE Requête n°5826/03 du 22 mai 2012

Un délai de 26 jours pour examiner un appel sur la régularité d'une détention est trop long

154.  La Cour rappelle que, en garantissant aux détenus un recours pour contester la régularité de leur incarcération, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour eux, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à celle-ci si elle se révèle illégale (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, CEDH 2000-III). Dans chaque cas, il convient d’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce si le droit à une décision rapide a bien été respecté (Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 84, CEDH 2000-XII).

155.  La Cour estime en outre qu’une décision rapide sur la légalité d’une détention s’impose d’autant plus lorsque le procès est en cours, l’accusé devant pleinement bénéficier du principe de la présomption d’innocence (Iłowiecki c. Pologne, no 27504/95, § 76, 4 octobre 2001).

156.  Pour en venir aux circonstances de la présente affaire, la Cour constate que le requérant a interjeté cinq appels : contre sa mise en détention prononcée le 29 octobre 2002 et contre ses quatre maintiens en détention ultérieurement ordonnés le 24 avril, le 19 juin, le 13 août et le 28 octobre 2003. Ces recours, introduits par le requérant le 30 octobre 2002, le 25 avril, le 24 juin, le 14 août et le 31 octobre 2003, ont été examinés par la juridiction d’appel respectivement le 22 janvier, le 16 juin, le 6 août et le 2 octobre 2003 et le 12 février 2004. Il a donc fallu au juge interne respectivement quatre-vingt-trois, cinquante-deux, quarante-trois, quarante-six et cent quatre jours pour programmer et tenir les audiences d’appel requises.

157.  La Cour estime que les questions dont la juridiction d’appel avait été saisie n’étaient pas excessivement complexes. Rien dans les éléments dont elle dispose ne permet non plus de dire que le requérant ou son conseil aient contribué à allonger la durée des procédures d’appel. De plus, le Gouvernement n’a donné aucune explication pour les retards ayant grevé les procédures en question et il reconnaît, à une exception près (fondée sur des motifs qui ne sont pas évidents), que celles-ci ont connu une durée excessive. Les lenteurs procédurales constatées en l’espèce sont donc entièrement imputables aux autorités. La Cour rappelle par ailleurs que dès lors que la liberté d’un individu est en jeu elle applique des critères très stricts pour déterminer si, comme il en a l’obligation, l’Etat a statué à bref délai sur la régularité de la détention (voir, par exemple, l’arrêt Kadem c. Malte, no 55263/00, §§ 44-45, 9 janvier 2003, dans lequel la Cour a jugé excessif un délai de dix-sept jours mis pour statuer sur la régularité de la détention du requérant, et l’arrêt Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 96, 1er juin 2006, dans lequel des délais d’examen d’appels – entre autres de vingt-six jours – ont été jugés contraires à l’exigence de « célérité » de l’article 5 § 4).

158.  Au vu de ces éléments, la Cour estime que les procédures d’appel par lesquelles il a été statué sur la régularité de la détention provisoire du requérant ne peuvent passer pour compatibles avec l’exigence de « célérité » prévue à l’article 5 § 4. Il y a donc eu violation de cette disposition.

2.  Quant à l’absence du requérant aux audiences d’appel consacrées à la question de la régularité de sa détention provisoire

161.  La Cour rappelle que, en vertu de l’article 5 § 4, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145-B). Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 de la Convention prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII). S’il s’agit d’une personne dont la détention relève de l’article 5 § 1 c), une audience s’impose (Nikolova c. Bulgarie[GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II). La possibilité pour un détenu d’être entendu lui-même ou moyennant une certaine forme de représentation figure parmi les garanties procédurales fondamentales appliquées en matière de privation de liberté (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, série A no 318-B).

162.  Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour constate que le requérant n’a pas assisté aux audiences d’appel tenues les 22 janvier, 16 juin, 6 août et 2 octobre 2003 et le 12 février 2004. Son représentant n’a pas non plus comparu à l’audience du 16 juin 2003. De surcroît, rien dans le dossier dont la Cour dispose ne permet de dire si la juridiction d’appel s’est au moins demandé si le requérant avait été convoqué à l’audience et si sa comparution en personne était nécessaire à l’examen effectif de la régularité de son maintien en détention.

163.  La Cour prend acte en outre de la reconnaissance par le Gouvernement d’une violation de l’article 5 § 4 faute pour les autorités d’avoir assuré la participation du requérant aux audiences d’appel consacrées au contrôle de la régularité de sa détention (paragraphe 160 ci-dessus).

164.  Au vu de sa jurisprudence constante en la matière et des circonstances de la présente affaire, la Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement. La non-participation du requérant aux audiences d’appel tenues les 22 janvier, 16 juin, 6 août et 2 octobre 2003 et le 12 février 2004 a emporté violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

CLAES c. BELGIQUE du 10 janvier 2013 Requête 43418/09

LE RECOURS N'EST PAS JUDICIAIRE. LE CONTRÔLE EST EXERCÉ PAR LE CDS QUI N'A PAS TOUT POUVOIR.

126.  La Cour a récemment rappelé les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux dans l’affaire Stanev c. Bulgarie [GC] (n36760/06, §§ 168 à 171, CEDH 2012 et jurisprudence citée). Ils peuvent se résumer comme suit en ce qui concerne la présente espèce.

127.  L’article 5 § 4 offre une garantie fondamentale contre les détentions arbitraires en exigeant qu’un individu privé de sa liberté ait le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1.  L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1.

128.  En cas de détention pour maladie mentale, des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte.

129.  En cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement.

130.  La Cour constate qu’en vertu de l’article 18 de la loi de défense sociale (paragraphe 51), le contrôle de la légalité de l’internement prévu par l’article 5 § 4 appartient aux instances de défense sociale. C’est donc à cette procédure que la Cour s’intéresse principalement sous l’angle de l’article 5 § 4. La CDS est compétente pour « statuer » sur la « légalité » de la détention et ordonner la libération d’un interné en cas de détention illégale. Ce contrôle peut être renouvelé tous les six mois. La CDS est également compétente pour ordonner le transfèrement dans un établissement approprié et admettre les internés à un régime de semi-liberté (articles 14 et 15 de la loi de défense sociale).

131.  La Cour rappelle que le recours à la CDS, tant du point de vue de son organisation que du point de vue de sa procédure et des droits de la défense, répond en principe aux exigences de l’article 5 § 4 (voir notamment Merkier c. Belgique, no 11200/84, décision de la Commission du 14 juillet 1987, Décisions et rapports 53, p. 50). Elle n’a aucune raison en l’espèce de se départir de cette conclusion.

132.  En ce qui concerne l’effectivité de la procédure devant la CDS en tant que mécanisme de protection contre les détentions arbitraires ou irrégulières, la Cour observe que, dans sa décision du 2 mars 2009, la CDS a refusé de faire suite à la demande du requérant d’effectuer une visite sur son lieu de détention pour constater de visu son caractère inapproprié. Elle rejeta la demande de mise en liberté du requérant au vu des avis du service psycho-médical de la prison et des rapports psychiatriques le concernant.

133.  De plus, il apparaît de la motivation de la décision (paragraphe 33) que même si une telle visite avait eu lieu, cela n’aurait pas pu mener la CDS à conclure autrement car la mise en liberté du requérant était tributaire d’une prise en charge extérieure et qu’à défaut de place, la CDS s’est estimée sans compétence pour ordonner la mise à disposition d’une place adaptée au requérant.

134.  Ces circonstances amènent la Cour à s’interroger sur la conformité de la portée du contrôle de la légalité que peut effectuer la CDS avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. A ses yeux, la limitation des compétences de la CDS a eu pour effet de priver le requérant d’un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention.

135.  A titre accessoire, le requérant ayant également invoqué l’article 5 devant le juge judiciaire, la Cour se penche sur cette procédure. Elle observe, à la lumière de la jurisprudence citée par le Gouvernement (paragraphes 73 et 126), que cette voie s’est avérée utile dans certaines affaires. Toutefois, elle constate qu’il n’en a pas été de même pour le requérant qui s’est vu débouté de sa demande en référé pour incompétence (paragraphes 26 et 36) et n’a donc pas eu accès au juge judiciaire pour statuer sur le caractère approprié de l’annexe psychiatrique de Merksplas. Certes, un pourvoi en cassation semble être encore pendant (paragraphe 40). Toutefois, eu égard à la durée de la procédure, introduite le 18 décembre 2007 (paragraphe 21), la Cour estime que même un arrêt de cassation ne pourrait plus combler la lacune, le requérant ayant en tout cas droit à une décision « à bref délai ».

136.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

MD C BELGIQUE du 14 novembre 2013 Requête 56026/10

LE REQUÉRANT N'A PAS PU FAIRE EXAMINER LA LÉGALITÉ DE SA DÉTENTION DE 4 MOIS ET HUIT JOURS

36.  La Cour rappelle l’importance de l’article 5 § 4 en matière d’éloignement du territoire (voir, parmi d’autres, Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, §§ 42-61, série A no 107). Elle rappelle également que, de même que toute autre disposition de la Convention et de ses protocoles, l’article 5 § 4 doit s’interpréter de telle manière que les droits y consacrés ne soient pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres,, arrêt du 13 mai 1980, § 33, série A no 37, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits)).

37.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant fut placé en détention le 26 avril 2010 et qu’il fut libéré le 3 septembre 2010. La durée globale de sa détention a donc été de quatre mois et huit jours.

38.  La Cour doit rechercher si, au cours de cette période, le requérant a pu faire examiner à bref délai la légalité de sa détention par un tribunal (Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 79).

39.  La Cour relève que le requérant fut placé en détention sur décision de l’OE le 26 avril 2010 contre laquelle il n’introduisit pas de requête de mise en liberté. La première requête de mise en liberté date du 31 mai 2010 lorsque le requérant saisit la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles visant le réquisitoire de ré-écrou du 6 mai 2010. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil rejeta la requête de mise en liberté. Le requérant déposa une nouvelle requête de mise en liberté le 20 juin 2010, qui fut rejetée par une ordonnance de la chambre du conseil du 25 juin 2010. La suite de la procédure avorta : le 7 juillet 2010, puis le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation considéra en effet que, du fait de la prolongation de la mesure de détention le 2 juillet 2010, titre autonome de privation de liberté, les recours contre les ordonnances respectives des 25 et 4 juin 2010 n’avaient plus d’objet.

40.  Le requérant introduisit une troisième requête de mise en liberté contre la mesure de prolongation décidée par l’OE le 2 juillet 2010. Il fut débouté par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles par une ordonnance du 15 juillet 2010, mais cette ordonnance fut réformée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 28 juillet 2010 qui ordonna la mise en liberté immédiate du requérant. Le requérant fut toutefois maintenu en détention car l’Etat avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par un arrêt du 31 août 2010, la Cour de cassation cassa ledit arrêt au motif qu’un mois ne s’était pas écoulé depuis la précédente décision sur une autre requête de mise en liberté. Elle renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée.

41.  Le requérant fut finalement mis en liberté le 3 septembre 2010 à l’expiration du délai légal de deux mois, avant que la chambre des mises en accusation autrement composée ait pu se prononcer sur le recours.

42.  La Cour ne peut que constater que le requérant a introduit une première requête de mise en liberté le 31 mai 2010 et qu’il n’a pas pu obtenir une décision finale sur la légalité de sa détention avant sa libération le 3 septembre 2010. La Cour prend note également du fait que la dernière décision juridictionnelle sur le bien-fondé de la requête de mise en liberté rendue par la chambre des mises en accusation le 28 juillet 2010 était favorable au requérant et que cette décision a été cassée par la Cour de cassation non pas pour un motif tenant à sa justification légale, mais pour un motif d’ordre procédural.

43.  En outre, la Cour est d’avis que ledit motif procédural retenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 août 2010, alors même que la légalité de la détention du requérant n’avait pas été examinée au fond dans le cadre des deux requêtes de mise en liberté précédentes, n’a fait qu’aggraver la situation du requérant au regard de son droit à obtenir une décision sur la légalité de sa détention à bref délai.

44.  Certes, le requérant a été remis en liberté alors que la troisième procédure de mise en liberté était encore pendante. Toutefois, la Cour rappelle que ce n’est que si un détenu est relâché « à bref délai » avant tout contrôle judiciaire que la Cour pourrait conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en particulier, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 45, série A no 182, Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 86).

45.  La Cour estime qu’en l’espèce on ne saurait considérer que le requérant a été mis en liberté « à bref délai ».

46.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale.

47. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

CASTRATION CHIMIQUE OU INTERNEMENT PSYCHIATRIQUE

DVOŘÁČEK c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE du 6 novembre 2014 requête 12927/13

non violation de l'article 3 : Le requérant hébéphile avait le choix pour protéger les adolescents, soit un internement permanant soit une castration sexuelle chimique. Il a lui même demandé cette castration pour échapper à un internement plus long. L'hébéphile aime les pré ados de 11 à 14 ans.

a)  Principes généraux

86.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir, entre autres, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006‑IX; Bogumil c  Portugal, no 35228/03, § 68, 7 octobre 2008).

87.  L’État doit s’assurer que toute personne privée de sa liberté – y compris les personnes internées involontairement pour des raisons de santé psychique – est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté et que, eu égard aux exigences pratiques de l’internement, la santé et le bien-être du malade sont assurés de manière adéquate (Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 49, 13 mars 2012).

88.  En particulier, pour apprécier la compatibilité avec les exigences de l’article 3 des conditions offertes à une personne privée de liberté, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et aussi de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets de ces conditions sur leur personne (Renolde c. France, no 5608/05, § 120, CEDH 2008 (extraits)). En outre, les personnes atteintes de troubles mentaux risquent incontestablement de se sentir davantage en situation d’infériorité et d’impuissance. C’est pourquoi une vigilance accrue s’impose dans le contrôle du respect de la Convention (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244 ; Bureš c. République tchèque, no 37679/08, § 87, 18 octobre 2012). S’il appartient aux autorités médicales de décider – sur la base des règles reconnues de leur science – des moyens thérapeutiques à employer pour préserver la santé physique et mentale des malades incapables d’autodétermination et dont elles ont donc la responsabilité, ceux-ci n’en demeurent pas moins protégés par l’article 3 (Sławomir Musiał c. Pologne, no 28300/06, § 96, 20 janvier 2009).

89.  Dans plusieurs affaires, la Cour a examiné des plaintes portant sur des mauvais traitements infligés dans le cadre d’interventions médicales auxquelles des requérants détenus avaient été soumis contre leur volonté.

Ainsi, dans l’affaire Chtoukatourov c. Russie (no 44009/05, CEDH 2008), concernant un majeur incapable souffrant de troubles mentaux et interné à la demande de sa mère-tutrice, la Cour a considéré que les allégations du requérant concernant un traitement médical forcé n’étaient pas étayées puisque le requérant n’avait fourni aucun élément démontrant qu’il avait bien été traité avec ces médicaments, que rien ne prouvait que lesdits médicaments aient eu les effets indésirables dont il se plaignait et qu’il ne prétendait pas que sa santé se soit détériorée du fait du traitement. Dans l’affaire Naoumenko c. Ukraine (no 42023/98, § 114, 10 février 2004), concernant un prisonnier sain d’esprit, la Cour a constaté, tout en déplorant le caractère très général des mentions du dossier médical, lesquelles ne précisaient pas si, dans chaque cas concret, l’intéressé avait accepté le traitement ou si, au contraire, l’administration de la prison avait dû recourir à la force pour l’administrer, que le requérant n’avait pas produit d’éléments de preuve suffisamment précis et crédibles permettant de conclure au caractère abusif de ce traitement médicamenteux, fût-il forcé.

90.  La Cour a notamment dit qu’une mesure dictée par une nécessité thérapeutique du point de vue des conceptions médicales établies ne saurait en principe passer pour inhumaine ou dégradante (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244). Elle a estimé qu’il lui incombait pourtant de s’assurer que la nécessité médicale avait été démontrée de manière convaincante (D.D. c. Lituanie, no 13469/06, § 173, 14 février 2012; Bureš, précité, § 87) et que les garanties procédurales dont doit s’entourer la décision existaient et avaient été respectées (Jalloh, précité, et autres références citées). Ainsi, une stérilisation ne répondant pas à une nécessité imminente du point de vue médical et effectuée sans un consentement éclairé de la requérante a été considérée comme un traitement atteignant le niveau de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 (voir V.C. c. Slovaquie, no 18968/07, §§ 117-119, CEDH 2011 (extraits)).

b)  Application des principes à la présente espèce

91.  Il convient d’abord de noter que, selon le Gouvernement, le grief tiré par le requérant du traitement médical prétendument forcé ou inadéquat doit être examiné sous l’angle de l’article 8 (voir paragraphe 81 ci-dessus). La Cour estime cependant que, eu égard à l’opposition explicite du requérant, dûment représenté, qui insiste sur sa qualification d’origine, il lui incombe de se limiter en l’espèce à examiner l’affaire sur le terrain de l’article 3.

i.  Les conditions matérielles de détention dans l’hôpital psychiatrique de Šternberk

92.  La Cour observe tout d’abord qu’en ordonnant au requérant un traitement sexologique protectif, le tribunal souhaitait le protéger, indiquant explicitement que cette mesure était aussi dans son intérêt (voir paragraphe 8 ci-dessus) ; en l’absence d’autres éléments, on ne saurait donc conclure que cet internement constituait une « peine » au sens de l’article 3. Il s’agit en l’occurrence d’examiner si les conditions auxquelles le requérant a été soumis à l’hôpital psychiatrique de Šternberk, pendant environ dix mois, constituaient en elles-mêmes un traitement « inhumain ou dégradant ».

93.  Le requérant formule en effet plusieurs doléances relatives à ses conditions d’internement, à savoir lit inadapté à ses besoins, impossibilité de se reposer au lit pendant la journée, impossibilité de participer régulièrement aux activités de plein air, absence d’un casier personnel ou encore obligation de se doucher avec d’autres patients en présence d’une infirmière. Ces difficultés démontrent selon lui l’absence d’« aménagements raisonnables » au sens de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. S’il est vrai que certaines de ces questions ont déjà été abordées dans la jurisprudence de la Cour, bien que dans des contextes différents (voir, par exemple, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 27, CEDH 2001‑VII ; Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, § 125, 9 octobre 2008 ; Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07, § 95, 12 mars 2009), et qu’il y a lieu, lorsqu’il s’agit d’évaluer les conditions d’une privation de liberté au regard de l’article 3, de prendre en compte leurs effets cumulatifs et la durée de la mesure (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, §§ 95 et 102, CEDH 2002‑VI ; Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, § 64, 18 janvier 2005), la Cour n’est pas convaincue que la situation subie par le requérant ait atteint le seuil de gravité élevé à partir duquel un traitement peut passer pour inhumain ou dégradant.

94.  A l’instar des autorités nationales, qui se basaient avant tout sur des avis médicaux, la Cour estime notamment que, même si elles lui ont sans doute causé du désagrément, la plupart des restrictions dénoncées par le requérant étaient justifiées par son état de santé et son comportement. On ne saurait à cet égard négliger les efforts des membres du personnel médical déployés aux fins de suivre et d’améliorer la situation du requérant, ni leur reprocher de ne pas avoir fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’eux à l’égard de la pathologie de celui-ci. En particulier, il ressort du dossier qu’il y avait en l’espèce une raison médicale, acceptée également par le médiateur, pour ne pas permettre au requérant de rester dans son lit toute la journée, en ce que le but du traitement était d’instaurer un régime correspondant à celui d’une vie courante et qu’il était nécessaire de maintenir la motricité du requérant et de prévenir des atrophies (voir paragraphes 34, 37 et 40 ci-dessus). En l’absence d’informations suffisantes soutenant la thèse que le requérant n’a pas été détenu dans des conditions décentes et respectant sa dignité, la Cour n’aperçoit aucune autre circonstance, quant à une éventuelle aggravation des souffrances inhérentes à l’internement, pour conclure que le requérant a été victime d’une épreuve exceptionnelle susceptible de constituer un traitement contraire à l’article 3.

ii.  Le traitement médical du requérant

95.  Le requérant se plaint que l’hôpital ne lui a pas prodigué les soins nécessaires, en particulier une psychothérapie adéquate, et qu’il l’a soumis à un traitement médicamenteux forcé ainsi qu’à une pression psychologique visant à ce qu’il consente à une castration chirurgicale.

96.  En l’espèce, la question principale sur laquelle la Cour est tenue de se prononcer est de savoir si le requérant a consenti ou non au traitement médicamenteux par anti-androgènes. Si en effet il y a eu consentement éclairé, comme l’allègue le Gouvernement, aucune question ne se pose sous l’angle de l’article 3 de la Convention (voir Bogumil, précité, § 71).

97.  Les parties sont en désaccord sur ce point. Tandis que le requérant nie avoir donné son consentement au traitement en question, tout en considérant que la décision du tribunal lui ordonnant un traitement protectif ne saurait remplacer un tel consentement, le Gouvernement affirme, en se fondant notamment sur le dossier médical du requérant (voir paragraphe 14 ci-dessus), qu’un consentement verbal a été obtenu. Il confirme par ailleurs que la décision ordonnant le traitement protectif ne remplaçait pas le consentement du requérant avec les interventions médicales composant le traitement et que la législation ne permettait pas d’administrer les anti-androgènes de manière forcée (voir paragraphe 82 ci-dessus). La Cour se doit toutefois de relever, à l’instar du médiateur tchèque (voir paragraphe 34 ci-dessus) et du CPT (voir points 18 et 19 du rapport CPT/Inf (2009) 8 et point 119 du rapport CPT/Inf (2014) 3, cités au paragraphe 67 ci-dessus), que la législation en vigueur à l’époque était lacunaire et peu claire à cet égard, et permettait ainsi à de nombreux professionnels de santé, voire aux tribunaux (voir paragraphe 42 ci-dessus), de considérer que le consentement des patients soumis à un traitement protectif ordonné par un tribunal n’était pas nécessaire.

98.  Sans oublier le contexte général de l’affaire, la Cour rappelle néanmoins que dans une espèce tirant son origine d’une requête individuelle, elle doit se borner autant que possible à examiner le cas concret dont elle est saisie. Dans la présente affaire, appréhendée sous l’angle de l’article 3, la Cour n’a donc point pour tâche d’examiner la qualité de la base légale mais de contrôler les circonstances et les modalités de son application au requérant.

99.  En l’espèce, il ressort du dossier médical (voir paragraphes 11-14 ci-dessus), et le requérant ne le conteste pas, que pendant les trois premières semaines de son internement, lorsqu’il s’opposait clairement au traitement par anti-androgènes, ceux-ci ne lui ont pas été administrés. Le changement s’est produit au moment de la grande visite médicale du 3 décembre 2007 où, selon la note faite dans le dossier médical par trois médecins, dont le médecin-chef, le requérant a accepté le traitement par anti-androgènes ; par la suite, celui-ci lui a été administré par voie intraveineuse une fois tous les quatorze jours. Or, devant les autorités nationales, le requérant alléguait qu’il avait consenti à ce traitement seulement par peur de ne pas pouvoir sortir de l’hôpital, voire par peur de la castration chirurgicale (voir paragraphes 27 et 85 ci-dessus). Il soutient désormais qu’on ne saurait parler d’un consentement libre et éclairé dans une situation où le choix s’opère uniquement entre une intervention médicale et un internement illimité (voir paragraphe 78 ci-dessus).

100.  Sur ce point, la Cour estime, en premier lieu, qu’il n’a pas été établi que le requérant avait subi une pression visant à ce qu’il se soumette à une castration chirurgicale. Ce faisant, elle se réfère notamment aux conclusions des tribunaux nationaux qui ont entendu tous les médecins impliqués ainsi que le requérant. De l’avis de la Cour, la note du 14 novembre 2007 (voir paragraphe 12 ci-dessus), constatant que le requérant refusait la castration par pulpectomie, ne saurait à elle seule être interprétée comme une pression. Il convient également de noter que la castration chirurgicale était à l’époque strictement réglementée et sujette à un consentement libre et éclairé (voir paragraphe 58 ci-dessus).

101.  En second lieu, il ne ressort pas du dossier que l’hôpital aurait entrepris une quelconque démarche afin de contraindre le requérant à se soumettre au traitement par anti-androgènes, telle une mesure de sanction interne ou une information adressée au tribunal pour l’avertir d’un manque de coopération du requérant dans l’exécution de la décision pertinente.

102.  Enfin, la Cour est d’avis que le fait pour le requérant de se trouver dans une situation où il pouvait choisir entre la prise d’anti-androgènes qui réduisent de manière significative la dangerosité de la personne, permettant ainsi une mise en liberté dans un délai relativement court, et entre le traitement uniquement par la psychothérapie et la sociothérapie qui n’éliminent la dangerosité qu’après un laps de temps plus long, peut être considéré comme une certaine pression. Même s’il s’agit d’une constatation de fait, le choix entre ces options représentait un dilemme difficile pour le requérant. Il ressort en revanche des différentes expertises que le traitement litigieux était justifié par les raisons médicales et particulièrement recommandé dans le cas du requérant, car plus efficace que la psychothérapie qui ne l’empêchait pas de récidiver (voir paragraphes 16 in fine, 19-23 et 32). Il convient en outre de noter que les conclusions du CPT auxquelles le requérant se réfère au paragraphe 78 ci-dessus concernent une autre situation, à savoir celle dans laquelle la personne concernée se trouve devant un choix extrêmement limité entre la castration chirurgicale et un internement d’une durée indéterminée.

103.  La Cour relève également que, à chaque fois que le requérant a exprimé des réserves sur le traitement par anti-androgènes, une solution a été trouvée (voir paragraphe 14 ci-dessus), sans qu’on puisse considérer comme établi qu’elle a été imposée au requérant. De plus, le traitement médicamenteux a été complété par une ergothérapie et une psychothérapie. On ne saurait donc conclure que les médecins de l’hôpital psychiatrique ont manqué à leur devoir de protéger la santé du requérant.

104.  Dans ces circonstances, la Cour estime que même si le choix difficile qui s’offrait au requérant entre l’acceptation du traitement par anti-androgènes et la perspective d’un internement plus long peut constituer une forme de pression, le traitement litigieux répondait en l’espèce à une nécessité thérapeutique. Mais, puisque ce traitement n’était pas sans alternatives, la question qui est malgré tout à décider et qui reste controverse est celle de savoir si on peut parler d’un consentement éclairé. À cet égard, elle note que les tribunaux nationaux se sont en l’espèce fondés sur les déclarations de l’hôpital selon lesquelles le requérant connaissait les effets secondaires du traitement par anti-androgènes puisqu’il l’avait déjà suivi auparavant, et qu’il en avait également été informé par le médecin soignant (voir paragraphe 37 in fine). Si rien ne permet à la Cour de mettre ces déclarations en cause, elle estime que la situation aurait été plus claire si le consentement du requérant était consigné par écrit sur un formulaire spécifique qui contiendrait tous les renseignements nécessaires sur les bénéfices et les effets secondaires du traitement en question et qui l’informerait sur son droit de retirer à tout moment son consentement initial (voir à cet égard les recommandations du CPT citées au paragraphe 67 ci-dessus). Selon la Cour, ce procédé ne pourrait que renforcer la sécurité juridique de tous les intéressés. Cependant, il s’agit d’un manquement de caractère plutôt procédural qui ne saurait suffire pour enfreindre les garanties de l’article 3 de la Convention.

105.  Dès lors, s’il rend compréhensibles les sentiments de détresse et de frustration allégués par le requérant, un examen des faits de la présente affaire ne fait pas ressortir des éléments permettant à la Cour d’établir au-delà de tout doute raisonnable que le requérant ait été soumis à un traitement médicamenteux forcé.

c)  Conclusion

106.  En résumé, les éléments dont la Cour dispose ne permettent pas d’établir au-delà de tout doute raisonnable que le requérant a été soumis à des traitements suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de l’article 3.

107.  Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition sous son volet matériel.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION SOUS SON VOLET PROCÉDURAL

108.  Sur le terrain de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural, le requérant soutient qu’aucune enquête effective n’a été menée sur ses allégations de mauvais traitements subis lors de son internement. Il souligne à cet égard que la police a classé sa plainte pénale sans avoir ouvert d’enquête et en se référant uniquement aux résultats de la procédure civile en protection des droits de la personnalité ; de plus, elle l’en a informé uniquement par une lettre contre laquelle il ne pouvait pas recourir. Or, selon le requérant, la police avait l’obligation d’ouvrir une procédure pénale, de rassembler des preuves ou d’obtenir d’autres informations qui lui auraient permis de rendre une décision formelle soit sur l’engagement des poursuites pénales soit sur le classement de l’affaire sans suite. En outre, aucune des autorités saisies n’a demandé l’ouverture d’une enquête pénale de sa propre initiative.

109.  Le Gouvernement conteste cette thèse. Il estime tout d’abord que le requérant n’a présenté aux autorités aucun grief crédible ou défendable relatif aux mauvais traitements. Il rappelle ensuite que l’État remplit son obligation positive de mener une enquête effective lorsque son système juridique offre au requérant un recours devant les juridictions civiles aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts (voir V.C., précité, § 125 ; Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002‑I). En l’espèce, le requérant disposait d’un tel recours puisqu’il a pu engager une procédure en protection des droits de la personnalité dans le cadre de laquelle les tribunaux ont réuni maints éléments de preuve et entendu un grand nombre de témoins ; le requérant a pris part à cette procédure en personne ainsi que par l’intermédiaire de son représentant et il a pu se prononcer sur toutes les preuves administrées. Les décisions judiciaires sont motivées de façon détaillée, soigneuse et convaincante ; de plus, la procédure ayant duré deux ans et huit mois devant trois degrés de juridiction, l’exigence de promptitude adéquate a été également remplie (voir, mutatis mutandis, V.C., précité, § 127 ; N.B. c. Slovaquie, no 29518/10, § 86, 12 juin 2012).

110.  La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit aussi être déclaré recevable. En effet, lorsqu’un individu formule une allégation défendable de violation des dispositions de l’article 3, la notion de recours effectif implique, de la part de l’Etat, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables (voir, entre autres, Henaf c. France, no 65436/01, § 36, CEDH 2003‑XI). En l’espèce, la Cour considère que les allégations du requérant concernant les mauvais traitements dans l’hôpital psychiatrique étaient suffisamment graves pour être qualifiées de défendables et pour justifier une telle enquête.

111.  La Cour rappelle également que, faisant référence aux affaires soulevant des questions sous l’angle de l’article 2 à propos d’allégations de faute médicale, elle a déjà conclu sur le terrain de l’article 3 que lorsque rien n’indique, comme en l’espèce, que les médecins ont agi de mauvaise foi dans l’intention de maltraiter le requérant, l’obligation positive découlant de la Convention de mettre en place un système judiciaire effectif n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux victimes un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de sanctions civiles appropriées, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de la décision (voir, mutatis mutandis, V.C., précité, §§ 123-129).

112.  Dans la présente affaire, le requérant a cherché, dès décembre 2009, à obtenir réparation au moyen d’une demande au titre des articles 11 et suivants du code civil en vue de la protection de ses droits de la personnalité, par laquelle il demandait à l’hôpital psychiatrique de Šternberk de lui présenter des excuses et de lui payer une indemnisation. Dans le cadre de cette procédure civile, il a pu présenter ses arguments avec l’aide d’un représentant averti, indiquer les éléments de preuve qui lui paraissaient pertinents et appropriés et participer à des audiences contradictoires portant sur le fond de l’affaire, lors desquelles toutes les personnes impliquées ont été entendues. Il a donc eu la possibilité de faire examiner par les autorités nationales les actions du personnel hospitalier qu’il considérait comme illégales. Les tribunaux internes ont examiné son affaire dans un délai qui ne prête à aucune critique particulière (voir, mutatis mutandis, V.C., précité, § 127).

113.  Dès lors, il y a lieu de considérer que, par le biais de la procédure en protection des droits de la personnalité, l’État a en l’espèce satisfait à son obligation de mener une enquête effective. On ne saurait dès lors reprocher à la police, vers laquelle le requérant s’est tourné après avoir perdu la procédure civile, de s’être référée aux résultats de cette procédure et de ne pas avoir ouvert une enquête pénale.

114.  La Cour conclut donc qu’il n’y a pas eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.

LES AUTORITÉS DOIVENT PROTEGER LA VIE DE L'INTERNÉ

FERNANDES DE OLIVEIRA c. PORTUGAL du 31 Janvier 2019 requête n° 78103/14

Non violation de l'article 2 sur le volet matériel (droit à la vie) et violation de l'article 2 sur le volet procédural car la procédure de réparation civile, pour réparer le suicide d'un interné avec son consentement.

La Grande Chambre conclut par 15 voix contre deux, à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) en son volet matériel de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qui concerne les mesures destinées à protéger la vie d’un malade mental hospitalisé avec son consentement qui s’est suicidé, et, à l’unanimité, à la violation de l’article 2 en son volet procédural de la Convention européenne à raison de la durée de la procédure en réparation engagée ultérieurement par la requérante devant les juridictions nationales. L’affaire concerne le suicide du fils adulte de la requérante alors qu’il était hospitalisé avec son consentement dans un hôpital psychiatrique et la procédure civile en réparation que la requérante engagea après le décès de son fils. La Cour conclut que le cadre réglementaire applicable à la prise en charge du fils de la requérante était en conformité avec les exigences découlant de l’article 2 de la Convention en matière de protection des patients. Elle dit, précisant sa jurisprudence, que les États doivent prendre des mesures raisonnables pour protéger les malades mentaux hospitalisés avec leur consentement, tout comme ceux hospitalisés sans leur consentement. Elle estime qu’en l’espèce les autorités ont fourni des garanties suffisantes, eu égard à l’absence de risque réel et imminent de suicide. Toutefois, elle considère que le Gouvernement n’a pas fourni de justifications convaincantes et plausibles pour expliquer la durée de la procédure en réparation – plus de onze ans – et elle conclut dès lors à la violation de cette disposition de la Convention en son volet procédural.

a) Remarques préliminaires et portée de l’appréciation de la Cour

103. La Cour note d’emblée que la présente affaire concerne des faits allégués de négligence médicale qui se seraient produits dans le contexte du suicide d’un patient survenu au cours d’une hospitalisation consentie dans un établissement psychiatrique public. En conséquence, deux obligations positives, distinctes quoique liées, découlant de l’article 2, qui sont déjà établies par la jurisprudence de la Cour, peuvent entrer en jeu. Premièrement, il s’agit de l’obligation positive qui incombe à l’État de mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux d’adopter des mesures appropriées pour protéger la vie des patients (paragraphes 104 à 107 ci-dessous). Deuxièmement, il s’agit de l’obligation positive pour les autorités de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances, contre lui‑même (paragraphes 108 à 115 ci-dessous).

b) Principes généraux

104. La Cour exposera les principes généraux relatifs aux deux obligations susmentionnées et examinera ensuite leur application en l’espèce. Elle rappelle que la première phrase de l’article 2, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe, impose à l’État l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 48, CEDH 2002‑I).

i. L’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire

105. Premièrement, dans le domaine particulier de la santé, la Cour a jugé que l’obligation positive matérielle incombant à l’État astreignait celui‑ci à mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades. Cette obligation positive requiert également l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant capable, en cas de décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, d’établir la cause du décès et d’obliger les responsables éventuels à répondre de leurs actes (voir, parmi beaucoup d’autres, Calvelli et Ciglio [GC], précité, et Dodov c. Bulgarie, no 59548/00, § 80, 17 janvier 2008).

106. Dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, § 165, 19 décembre 2017), la Grande Chambre a récemment rappelé et clarifié la portée de l’obligation positive découlant pour les États de l’article 2 dans le cas d’une allégation de faits de négligence médicale commis dans un hôpital. Elle a dit que, même lorsque la négligence médicale a été établie, la Cour ne conclut normalement à la violation du volet matériel de l’article 2 que si le cadre réglementaire applicable ne protégeait pas dûment la vie du patient. Elle a réaffirmé que, dès lors qu’un État contractant a pris les dispositions nécessaires pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (ibidem, § 187).

107. La question de savoir si l’État a failli à son obligation de réglementer appelle une appréciation concrète, et non abstraite, des défaillances alléguées. La Cour n’a pas normalement pour tâche d’examiner dans l’abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou à la personne décédée, ou les ont touchés, a donné lieu à une violation de la Convention (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 188). En conséquence, le simple fait que le cadre réglementaire puisse être défaillant par certains côtés ne suffit pas en lui-même à soulever une question sous l’angle de l’article 2 de la Convention. Il faut encore démontrer que cette défaillance a nui au patient.

ii. L’obligation positive de mettre en œuvre des mesures opérationnelles préventives

108. Deuxièmement, dans certaines circonstances bien définies, l’article 2 peut mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui (Osman, précité, § 115) ou, dans certaines conditions particulières, contre lui-même (Renolde, précité, et Haas c. Suisse, no 31322/07, § 54, CEDH 2011).

109. Dans l’affaire Osman, la Cour a estimé qu’il doit être établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque (ibidem, § 116).

110. Dans plusieurs affaires où le risque provenait non pas d’actes criminels accomplis par des tiers mais d’actes d’auto-agression commis par un détenu, la Cour a conclu qu’une obligation positive pesait sur les autorités dès lors qu’elles savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat de voir la personne attenter à ses jours. Dans les affaires où elle a établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance de ce risque, elle a ensuite examiné si celles-ci avaient fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour le prévenir (Hiller, précité, § 49, et Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 93, CEDH 2001‑III). Ainsi, la Cour détermine, en prenant en compte l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée, si le risque en question était à la fois réel et immédiat.

111. La Cour a déjà dit dans l’affaire Osman que, sans perdre de vue les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines, ni l’imprévisibilité du comportement humain ou les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, et que, dès lors, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation (Osman, précité, § 116).

112. En outre, la Cour réaffirme que la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention. À cet égard, les autorités doivent s’acquitter de leurs tâches de manière compatible avec les droits et libertés de l’individu concerné et de façon à diminuer les risques qu’une personne se nuise à elle-même, et ce sans empiéter sur l’autonomie individuelle (voir, mutatis mutandis, Mitić c. Serbie, no 31963/08, § 47, 22 janvier 2013). La Cour a reconnu que des mesures excessivement restrictives pouvaient soulever des problèmes au regard des articles 3, 5 et 8 de la Convention (Hiller, précité, § 55).

113. En ce qui concerne les malades mentaux, la Cour a estimé qu’il s’agissait de personnes particulièrement vulnérables (Renolde, précité, § 84). Lorsque les autorités décident de placer et de maintenir en détention une personne atteinte d’une maladie mentale, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques découlant de sa maladie. Il en va de même pour les personnes internées sans leur consentement en institution psychiatrique (Hiller, précité, § 48, et les références citées).

114. La Cour a également eu à connaître de griefs soulevés par des proches de personnes atteintes de troubles psychiatriques hospitalisées avec leur consentement. Ainsi, dans l’affaire Reynolds c. Royaume-Uni (no 2694/08, 13 mars 2012), le fils de la requérante, qui avait été admis dans un service hospitalier avec son consentement au motif qu’il présentait des symptômes psychotiques, s’était tué en se défenestrant du sixième étage. Lorsqu’elle a établi qu’il y avait eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention, la Cour a conclu que la requérante n’avait disposé d’aucun recours civil pour faire reconnaître une éventuelle responsabilité et obtenir réparation du préjudice qu’elle considérait avoir subi du fait de sa propre souffrance et du décès de son fils (Reynolds, précité, § 67) et elle a estimé que l’intéressée présentait un grief défendable de violation de l’article 2 relativement aux circonstances d’un décès intervenu à la suite d’une hospitalisation consentie dans un établissement psychiatrique. Dans l’affaire Reynolds, la Cour n’a pas expressément dit que l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique s’étendait aux malades mentaux hospitalisés avec leur consentement. Il apparaît toutefois clairement qu’elle n’a pas non plus exclu une telle conclusion. La Cour est à présent appelée à statuer sur cette question en l’espèce.

115. En ce qui concerne les risques de suicide en particulier, dans le cas de personnes privées de leur liberté par les autorités (principalement dans le cadre d’un placement en garde à vue ou d’une détention), la Cour a précédemment pris en compte divers facteurs afin d’établir si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie d’un individu donné un risque réel et immédiat, déclenchant l’obligation de prendre des mesures préventives adéquates. Ces facteurs incluent généralement :

i. les antécédents de troubles mentaux (Volk c. Slovénie, no 62120/09, § 86, 13 décembre 2012, Mitić, précité, et Younger c. Royaume-Uni (déc.), no 57420/00, CEDH 2003‑I) ;

ii. la gravité de la maladie mentale (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 75, 6 décembre 2011, et Keenan, précité) ;

iii. des tentatives de suicide ou des actes d’auto-agression antérieurs (Renolde, précité, § 86, Ketreb c. France, no 38447/09, § 78, 19 juillet 2012, et Çoşelav c. Turquie, no 1413/07, § 57, 9 octobre 2012, et comparer avec Hiller, précité, § 52) ;

iv. les pensées ou menaces suicidaires (voir, par exemple, Reynolds, précité, § 10) ;

v. les signes de détresse physique ou mentale (De Donder et De Clippel, précité, et comparer avec Younger (décision précitée)).

c) Application de ces principes en l’espèce

i. L’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire

116. La Cour rappelle tout d’abord qu’elle n’examine pas dans l’abstrait le cadre réglementaire interne mais qu’elle apprécie de quelle manière il a touché la personne dans l’affaire en question (paragraphe 107 ci-dessus).

117. Pour autant que la requérante se plaint de l’absence de clôtures et de murs de sécurité autour du HSC, la Cour, à l’instar des juridictions internes, ne voit aucune raison de mettre en cause l’approche adoptée par l’établissement à cet égard, laquelle était conforme aux dispositions de la loi sur la santé mentale en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 58 ci‑dessus). Cette loi énonçait que les soins de santé mentale devaient être dispensés dans l’environnement le moins restrictif possible. Ces principes généraux reflétaient la volonté thérapeutique d’instaurer un régime ouvert, préservant le droit du patient de circuler librement. L’approche adoptée cadrait avec les standards internationaux élaborés ces dernières années en matière de traitement des malades mentaux (voir la partie droit international ci-dessus et Hiller, § 54, précité). La Cour relève en outre que la législation interne – la loi sur la santé mentale du 24 juillet 1998 (paragraphe 58 ci‑dessus) – prévoyait la possibilité d’une hospitalisation d’office lorsque les besoins spécifiques du patient la justifiaient. Indépendamment du point de savoir si une hospitalisation d’office s’imposait pour prévenir un risque réel et immédiat pour la vie d’A.J., la Cour considère que le cadre réglementaire prévoyait clairement les moyens thérapeutiques nécessaires pour que le HSC pût répondre aux besoins d’A.J. sur les plans médical et psychiatrique.

118. La Cour relève que ce n’est qu’en 2011 que des lignes directrices sur les moyens de contention applicables aux malades mentaux ont été introduites (paragraphe 63 ci-dessus). Pour autant, elle estime que le cadre réglementaire n’en était pas en lui-même inapte à assurer les moyens requis pour protéger la vie d’A.J.

119. À cet égard, la Cour établit une distinction entre les exigences requises en matière de qualité de la loi sur le terrain des articles 3, 5 et 8 de la Convention, où l’aspect négatif des droits protégés se trouve en jeu, et l’obligation découlant de l’article 2 de mettre en place un cadre réglementaire destiné à protéger une personne contre tout dommage susceptible de lui être infligé par des tiers ou par elle-même. Sous l’angle de l’article 5 § 1, la « qualité de la loi » implique que lorsqu’une loi nationale autorise une privation de liberté, elle doit être suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application, afin d’éviter tout danger d’arbitraire (J.N. c. Royaume-Uni, no 37289/12, § 77, 19 mai 2016, avec les références citées). L’obligation découlant de l’article 2 de mettre en place un cadre réglementaire visant un but différent, à savoir fournir les moyens nécessaires à la protection de la vie d’un patient, l’absence de lignes directrices écrites sur le recours aux moyens de contention n’est pas déterminante pour l’appréciation de l’efficacité du cadre réglementaire et elle ne justifie pas en soi un constat de violation de l’article 2. De plus, on ne saurait oublier qu’A.J. a été hospitalisé avec son consentement et que le grief de la requérante ne se rapporte pas à la période pendant laquelle son fils était soumis à un régime restrictif. En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette question plus avant (Radomilja et autres, précité, § 126).

120. En outre, la Cour ne discerne dans la procédure de surveillance appliquée aux patients hospitalisés avec leur consentement aucun élément critiquable susceptible de justifier la conclusion que le décès d’A.J. était imputable aux défaillances alléguées. Dans le cadre de cette procédure, il était établi un emploi du temps précis, que tous les patients devaient respecter, et la présence de chacun d’eux aux heures des repas et de prise des médicaments était vérifiée ; de plus, le personnel du service assurait une surveillance générale des patients (paragraphes 50 et 51 ci-dessus). Il existait également un régime de surveillance plus restrictif, qui était appliqué aux patients au début de leur hospitalisation et à d’autres moments lorsque le médecin qui suivait le patient le jugeait nécessaire (paragraphe 54 ci‑dessus). Les patients soumis à ce régime n’étaient pas autorisés à quitter le pavillon et le personnel infirmier surveillait plus étroitement leurs mouvements. Enfin, dans les situations d’urgence, le HSC pouvait recourir à d’autres formes de contention, notamment une chambre d’isolement. La procédure de surveillance en vigueur et les mesures de contention disponibles fournissaient donc au HSC les moyens nécessaires au traitement d’A.J.

121. La Cour accepte également la conclusion rendue par les juridictions internes, selon laquelle la procédure de surveillance appliquée à A.J. était destinée à respecter sa vie privée et était conforme au principe voulant que les patients fussent traités dans l’environnement le moins restrictif possible. La Cour elle-même a estimé que l’application à des malades mentaux de mesures excessivement restrictives pouvait soulever des questions au regard des articles 3, 5 et 8 de la Convention (paragraphe 112 ci-dessus et Hiller, précité, § 55). En l’espèce, l’imposition à A.J. d’un régime de surveillance plus intrusif aurait très bien pu être contestée comme étant incompatible avec les droits protégés par ces dispositions, d’autant qu’A.J. avait été hospitalisé avec son consentement.

122. Quant à la procédure d’urgence, elle consistait à alerter le médecin d’astreinte, la police et la famille du patient (paragraphe 52 ci-dessus). À un moment donné, entre 19 et 20 heures, l’infirmier coordinateur signala la disparition d’A.J. au docteur M.J.P., le médecin qui suivait A.J. et qui était d’astreinte le jour en question (mais ne se trouvait pas au HSC à ce moment‑là) et il appela la garde nationale républicaine et la requérante. La Cour souscrit à la conclusion de la juridiction nationale selon laquelle la procédure d’urgence en vigueur était adéquate. Quoi qu’il en soit, elle n’aperçoit aucun lien de causalité entre une quelconque déficience alléguée de la procédure d’urgence et le décès d’A.J. Par conséquent, elle conclut que cette procédure n’était pas déficiente au point de soulever une question sous l’angle de l’article 2.

123. Enfin, la Cour relève que la requérante a eu recours à un système judiciaire apte à établir qui était responsable de la mort d’A.J. L’intéressée a engagé une procédure civile devant le tribunal administratif de Coimbra et fait appel auprès de la Cour administrative suprême d’un jugement qui lui était défavorable (paragraphes 29 à 46 ci‑dessus). Bien que des questions – que la Cour examinera sous l’angle du volet procédural de l’article 2 (paragraphes 134 à 140 ci-dessous) – soient soulevées relativement à la durée de cette procédure civile, rien dans le dossier soumis à la Cour n’indique l’existence d’une déficience systémique du système judiciaire qui aurait privé la requérante d’un examen effectif de sa demande civile.

ii. L’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique

124. Il ne fait aucun doute qu’A.J., en tant que personne atteinte de troubles mentaux graves, se trouvait dans une situation de vulnérabilité. La Cour estime qu’un malade mental est particulièrement vulnérable, même lorsqu’il consent à son traitement. En raison des troubles mentaux que présente un tel malade, sa capacité à prendre rationnellement la décision de mettre fin à ses jours peut dans une certaine mesure être amoindrie. En outre, toute hospitalisation d’une personne atteinte de troubles psychiatriques, qu’elle soit consentie ou non, implique inévitablement un certain niveau de contention lié à l’état de santé du patient et au traitement dispensé en conséquence par les professionnels de santé. Dans le processus de traitement, il est souvent possible de recourir à diverses mesures de contention, qui peuvent prendre différentes formes, notamment celle d’une restriction de la liberté personnelle et du droit à la vie privée. Tenant compte de tous ces facteurs et eu égard à la nature et à l’évolution de la jurisprudence citée aux paragraphes 108 à 115 ci-dessus, la Cour considère que, s’agissant d’un malade mental qui a été hospitalisé avec son consentement, les autorités ont une obligation générale de prendre des mesures raisonnables pour le protéger contre un risque réel et immédiat de suicide. Les mesures spécifiques requises dépendront des circonstances particulières de l’affaire et seront souvent différentes selon qu’il s’agit d’une hospitalisation avec consentement ou d’une hospitalisation sans consentement. Aussi cette obligation de prendre des mesures raisonnables pour empêcher une personne de se nuire à elle-même s’applique-t-elle aux deux catégories de patients. La Cour estime toutefois que dans le cas de patients hospitalisés en exécution d’une ordonnance judiciaire, et donc sans leur consentement, elle peut, dans sa propre appréciation, appliquer un critère de contrôle plus strict.

125. La Cour doit donc rechercher si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat de voir l’intéressé attenter à ses jours et, dans l’affirmative, si elles ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque en prenant les mesures de restriction dont elles disposaient (Keenan, précité, § 93). Elle ne perdra pas de vue les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources dans la fourniture des soins de santé publique et d’autres services publics, ni les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines (paragraphe 111 ci-dessus).

126. Ainsi qu’il est exposé au paragraphe 115 ci-dessus, la Cour a établi une liste de critères pertinents pour évaluer les risques de suicide. Elle examinera ces éléments à la lumière des circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie du fils de la requérante un risque réel et immédiat entraînant l’obligation de prendre les mesures préventives nécessaires.

127. Premièrement, en ce qui concerne les antécédents de troubles mentaux d’A.J., nul ne conteste que celui-ci avait été hospitalisé au HSC avec son consentement à huit reprises entre 1984 et 2000 (paragraphe 12 ci‑dessus). Ces séjours faisaient généralement suite à des crises ou à une intoxication alcoolique et seule sa dernière admission était due à une tentative de suicide. Les juridictions nationales établirent qu’A.J. était atteint de plusieurs maladies mentales causées par une addiction pathologique à l’alcool et aux médicaments. Elles reconnurent également qu’il souffrait parfois de dépression. Après le décès d’A.J., le psychiatre chargé de l’établissement d’une expertise (paragraphe 33 ci-dessus) estima qu’il était possible qu’A.J. présentât également un trouble de la personnalité limite. Deuxièmement, s’agissant de la gravité des troubles mentaux d’A.J., il est clair que celui-ci avait souffert de troubles mentaux graves pendant une longue période (Renolde, précité, § 109).

128. En ce qui concerne les pensées ou menaces suicidaires, la Cour n’a aucune raison de rejeter la conclusion de la juridiction interne selon laquelle, au cours des derniers jours de sa vie, A.J. n’avait manifesté aucun comportement ni humeur qui eût pu conduire le personnel de l’hôpital à soupçonner que le 27 avril 2000 son comportement serait différent des jours précédents (paragraphe 40 ci-dessus). Il y eut cinq audiences au cours desquelles la juridiction entendit de nombreux témoins et soumit les éléments recueillis à un examen approfondi. Par conséquent, la Cour admet que, pendant toute la durée de son séjour au HSC qui avait débuté le 2 avril 2000, A.J. n’avait présenté aucun signe donnant à penser qu’il était animé de pensées suicidaires (Hiller, précité, § 52). Dans la procédure interne, la requérante avança qu’A.J. avait une nouvelle fois tenté de se suicider le 25 avril 2000 en ingérant une quantité excessive d’alcool. Cette affirmation fut rejetée par les juridictions nationales, qui établirent qu’A.J. avait été admis au service des urgences de l’hôpital universitaire de Coimbra le 26 avril 2000 en raison d’un comportement « irresponsable » et non d’un comportement suicidaire (paragraphe 40 ci-dessus). Les juridictions internes parvinrent à cette conclusion après avoir procédé à une appréciation exhaustive, pertinente et convaincante des éléments de preuve qu’elles avaient minutieusement examinés. Compte tenu de l’alcoolisme chronique d’A.J. et du fait qu’il avait bu dans l’après-midi, principalement dans un café, la Cour souscrit à la conclusion de la juridiction nationale à cet égard. Elle admet par conséquent la conclusion selon laquelle, au cours des trois semaines ayant précédé sa mort, A.J. avait tenté de se suicider une fois, le 1er avril 2000.

129. Enfin, en ce qui concerne les signes de détresse physique ou mentale, les observations consignées pour la date du 27 avril 2000 dans le dossier médical indiquent qu’A.J. était calme, qu’il s’était promené autour du bâtiment où il était hospitalisé, qu’il avait bien mangé à l’heure du déjeuner et qu’il était présent pour le goûter de l’après-midi (paragraphe 22 ci‑dessus). La Cour accepte à cet égard également les conclusions des juridictions internes selon lesquelles le comportement d’A.J. n’avait rien de préoccupant dans les jours ayant immédiatement précédé son suicide (paragraphe 40 ci-dessus).

130. La Cour relève que le HSC savait qu’A.J. présentait depuis longtemps des troubles mentaux et qu’il risquait par moments d’attenter à ses jours. Toutefois, elle observe également qu’A.J. était certes vulnérable, mais qu’il se trouvait dans un environnement qui lui était devenu familier et où il avait des relations avec le personnel qu’il connaissait et qui le connaissait. Quand le HSC estimait que le risque qu’A.J. pouvait présenter pour lui-même avait diminué, il l’autorisait à circuler librement dans le périmètre de l’hôpital et à rentrer dans sa famille le week-end. Rien n’indique que la famille d’A.J. se fût opposée au retour de celui-ci le week‑end. Lorsque le risque était jugé important, A.J. était confiné en pyjama dans le pavillon et soumis à un régime plus strict. Cela avait été le cas après son admission au HSC le 2 avril 2000, pendant la première semaine de son séjour (paragraphe 18 ci-dessus), et au cours de précédentes hospitalisations. Le régime restrictif était toutefois toujours levé lorsque l’on estimait que les symptômes d’A.J. s’amélioraient. Cette façon de procéder correspondait à la philosophie générale du HSC consistant à accorder une grande liberté de mouvement aux patients afin de renforcer leur sens des responsabilités et de leur permettre de réintégrer leur famille et la société dans les meilleures conditions. Par ailleurs, la Cour ne voit aucune raison de mettre en cause l’avis formulé par le docteur A.A., la psychiatre qui suivait A.J., et accepté par les juridictions internes, selon lequel le traitement consistant à faire prendre à A.J. les médicaments prescrits, à l’amener à accepter son traitement et à établir avec lui une relation de confiance (paragraphe 35 ci-dessus), était approprié et proportionné vu la situation.

131. La Cour conclut, dans le sens de l’expertise établie par le psychiatre désigné par l’ordre des médecins (paragraphe 33 ci-dessus), que si l’on ne pouvait exclure le risque de suicide chez des malades hospitalisés tels qu’A.J., chez lesquels les troubles psychopathologiques ont donné lieu à de multiples diagnostics, l’immédiateté de ce risque peut varier. En l’espèce, le HSC s’était efforcé de s’adapter au risque que présentait l’état mental fluctuant d’A.J. en renforçant ou en allégeant le régime de surveillance en place, décision qui incombait à l’équipe médicale responsable d’A.J. (paragraphe 35 ci-dessus). La Cour renvoie aux facteurs mentionnés aux paragraphes 127 à 129 ci-dessus. Elle tient compte également de l’impossibilité, d’après l’expertise, de prévenir totalement le suicide chez un patient tel qu’A.J. (paragraphe 33 ci-dessus), et de la conclusion du tribunal administratif de Coimbra selon laquelle le suicide de l’intéressé n’était pas prévisible (paragraphe 40 ci-dessus). En outre, la Cour aborde la question du risque en cherchant à déterminer s’il était à la fois réel et immédiat et observe que l’obligation positive incombant à l’État doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. À la lumière de ces éléments, elle conclut qu’il n’a pas été établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque immédiat pour la vie d’A.J. dans les jours ayant précédé le 27 avril 2000.

132. En conséquence, la Cour peut se dispenser de rechercher si la deuxième partie du critère Osman/Keenan a été remplie, à savoir si les autorités avaient pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles.

d) Observations finales

133. En ce qui concerne l’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire, la Cour conclut que la manière dont le cadre réglementaire a été mis en œuvre n’a pas emporté violation de l’article 2 dans les circonstances de l’espèce. Pour ce qui est de l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives, elle considère qu’il n’a pas été établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir à l’époque qu’il existait un risque à la fois réel et immédiat pour la vie d’A.J. En conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet matériel dans les circonstances de l’espèce.

B. Sur le volet procédural

a) Principes généraux

137. L’obligation procédurale découlant de l’article 2 en matière de soins impose notamment que la procédure soit menée à terme dans un délai raisonnable (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 218). La connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir des erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, §196, 9 avril 2009). En particulier dans des affaires concernant des procédures engagées pour déterminer les circonstances d’un décès survenu à l’hôpital, la lenteur de la procédure est un indice solide de la présence d’une défaillance constitutive d’une violation par l’État défendeur des obligations positives qui lui incombent au titre de la Convention, à moins que l’État n’ait fourni des justifications très convaincantes et plausibles pour expliquer cette lenteur (voir, par exemple, Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 219, et Bilbija et Blažević c.Croatie, no 62870/13, § 107, 12 janvier 2016).

b) Application de ces principes en l’espèce

138. La procédure interne a duré onze ans, deux mois et quinze jours pour deux degrés de juridiction. La Cour relève que le Gouvernement concède que la procédure a été excessivement longue et qu’elle n’a pas été conduite dans un délai raisonnable, même si l’on tient compte de la complexité alléguée de la procédure et du report qui avait été demandé.

139. Le Gouvernement n’a pas fourni de justifications convaincantes et plausibles pour expliquer la durée de la procédure interne. En l’espèce, des témoins ont été entendus entre huit et neuf ans après le décès d’A.J. et entre six et sept ans après l’introduction de l’action par la requérante (paragraphe 35 ci-dessus). Le passage du temps a pu affecter la capacité des témoins à se remémorer des faits cruciaux concernant les évènements qui avaient précédé la mort d’A.J. Qui plus est, comme la Cour l’a reconnu, un prompt examen est important afin qu’il puisse être remédié pour l’avenir aux éventuelles défaillances ou erreurs établies (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 218).

140. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural.

JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANCAISE

COUR DE CASSATION Chambre civile 1 arrêt du 18 mars 2014 Pourvoi 14-15613 cassation sans renvoi

Vu les articles L. 3211-12-1 et L. 3213-1 du code de la santé publique ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée et les pièces de la procédure, que M. X... a été admis à l'Unité pour malades difficiles de Sarreguemines, le 4 janvier 2011 ; qu'un juge des libertés et de la détention a autorisé son maintien sous le régime de l'hospitalisation complète ;

Attendu que, pour confirmer cette décision, l'ordonnance retient, par motifs propres et adoptés, que, depuis l'hospitalisation de M. X..., les certificats médicaux de renouvellement de la poursuite de l'hospitalisation ont été régulièrement tenus, que les avis médicaux sont circonstanciés et récents, que « les conditions prévues par l'article L. 3213-1 du code de la santé publique sont toujours remplies » et qu'il est attesté par le collège convoqué par le directeur de l'établissement que l'hospitalisation complète « doit se poursuivre nécessairement en ce que l'état psychique de M. X... n'a pas évolué de manière significative » et qu'il n'a aucune conscience de ses troubles ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que la personne hospitalisée souffrait de troubles mentaux compromettant la sûreté des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Attendu que la cassation ainsi prononcée n'appelle pas de renvoi dès lors qu'au regard des délais prévus par les textes précités, il ne reste rien à juger

Le Décret n° 2014-897 du 15 août 2014 modifie la procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle des mesures de soins psychiatriques sans consentement

Code de la Santé Publique : Section 3 Procédures judiciaires de mainlevée et de contrôle des mesures de soins psychiatriques sans consentement

Sous-section 1 : Dispositions communes

Article R. 3211-7 du Code de la Santé Publique

La procédure judiciaire pour connaître des mesures de soins psychiatriques prononcées en application du titre Ier du livre II de la troisième partie de la partie législative du présent code ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale est régie par le code de procédure civile sous réserve des dispositions de la présente section.

Cour de Cassation, chambre civile 1 arrêt du 22 février 2017 pourvoi n° 16-13824 cassation sans renvoi

Vu les articles L. 3211-12-1, I, R. 3211-7 et R. 3211-10 du code de la santé publique, ensemble l'article 112 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ces textes qu'à peine d'irrecevabilité, la requête adressée au juge des libertés et de la détention est signée par le directeur d'établissement, ou le représentant de l'Etat dans le département, ayant qualité pour le saisir ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. X... a été hospitalisé sans son consentement, le 13 août 2015 à 19 heures, dans un établissement psychiatrique dont le directeur a pris, le lendemain, une décision d'hospitalisation complète, à la demande d'un tiers, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique ; qu'une requête émanant de l'établissement a été adressée, le 18 août suivant, au juge des libertés et de la détention afin qu'il statue sur la prolongation de cette mesure ;

Attendu que, pour déclarer cette saisine régulière, l'ordonnance retient que le code de la santé publique n'impose pas une intervention en personne du directeur de l'hôpital et que l'acte, comportant l'en-tête et le cachet adéquats, émane sans ambiguïté de la direction de l'établissement hospitalier ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier, comme il le lui était demandé, si le signataire de la requête avait qualité, le cas échéant au titre d'une délégation de signature, pour saisir le juge des libertés et de la détention, le premier président a privé sa décision de base légale

Article R. 3211-8 du Code de la Santé Publique

Devant le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d'appel, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est assistée ou représentée par un avocat. Elle est représentée par un avocat dans le cas où le magistrat décide, au vu de l'avis médical prévu au deuxième alinéa de l'article L. 3211-12-2, de ne pas l'entendre. Les autres parties ne sont pas tenues d'être représentées par un avocat.

Cour de Cassation, chambre civile 1 arrêt du 12 octobre 2017 pourvoi n° 17-18040 cassation sans renvoi

Vu les articles L. 3211-12-2, L. 3211-12-4 et R. 3211-8 du code de la santé publique ;

Attendu, selon ces textes, que le premier président de la cour d'appel ou son délégué, qui statue sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, entend la personne admise en soins psychiatriques, assistée ou représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office ; que s'il résulte de l'avis d'un médecin que des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à son audition, la personne est représentée par un avocat ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. X... a été admis en soins sans consentement, sur décision du représentant de l'Etat dans le département, sous la forme d'une hospitalisation complète ; que, dans le délai de douze jours à compter de l'admission, le préfet a sollicité le maintien de la mesure ;

Attendu que, pour prolonger cette mesure sans que M. X... ait été entendu, l'ordonnance relève que celui-ci, désormais hospitalisé à Albi, n'a pu être présent à l'audience en raison de son éloignement géographique ;

Qu'en statuant ainsi, en l'absence de tout motif médical constaté dans l'avis motivé d'un médecin et sans caractériser une circonstance insurmontable empêchant l'audition de la personne admise en soins sans consentement, le premier président a violé les textes susvisés ;

Article R. 3211-9 du Code de la Santé Publique

Les dispositions des articles 643 et 644 du code de procédure civile ne sont pas applicables.

Paragraphe 1 Procédure devant le juge des libertés et de la détention

Article R. 3211-10 du Code de la Santé Publique

Le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe l'établissement d'accueil est saisi par requête transmise par tout moyen permettant de dater sa réception au greffe du tribunal de grande instance.
La requête est datée et signée et comporte :
1° L'indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ou, s'il s'agit d'une personne morale, celle de sa forme, de sa dénomination, de son siège social et de l'organe qui la représente légalement ;
2° L'indication des nom et prénoms de la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques, de son domicile et, le cas échéant, de l'adresse de l'établissement où elle séjourne, ainsi que, s'il y a lieu, des coordonnées de son tuteur, de son curateur ou de ses représentants légaux s'il est mineur ;
3° L'exposé des faits et son objet.

Article R. 3211-11 du Code de la Santé Publique

Dès réception de la requête, le greffe l'enregistre et la communique :
1° A la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques, à moins qu'elle soit l'auteur de la requête, et, s'il y a lieu, à son tuteur ou son curateur ou, si elle est mineure, à ses représentants légaux;
2° Au ministère public ;
3° Au directeur de l'établissement, à moins qu'il ne l'ait lui-même transmise ou établie, à charge pour lui d'en remettre une copie à la personne concernée lorsqu'elle est hospitalisée dans son établissement ;
4° Le cas échéant, au tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques ou au préfet qui a ordonné ou maintenu la mesure de soins.

Article R. 3211-12 du Code de la Santé Publique

Sont communiqués au juge des libertés et de la détention afin qu'il statue :
1° Quand l'admission en soins psychiatriques a été effectuée à la demande d'un tiers ou en cas de péril imminent, une copie de la décision d'admission motivée et, le cas échéant, une copie de la décision la plus récente ayant maintenu la mesure de soins, les nom, prénoms et adresse du tiers qui a demandé l'admission en soins ainsi qu'une copie de sa demande d'admission ;
2° Quand l'admission en soins psychiatriques a été ordonnée par le préfet, une copie de l'arrêté d'admission en soins psychiatriques et, le cas échéant, une copie de l'arrêté le plus récent ayant maintenu la mesure de soins ;
3° Quand l'admission en soins psychiatriques a été ordonnée par une juridiction, une copie de la décision et de l'expertise mentionnées à l'article 706-135 du code de procédure pénale ;
4° Une copie des certificats et avis médicaux prévus aux chapitres II à IV du titre Ier du livre II de la troisième partie de la partie législative du présent code, au vu desquels la mesure de soins a été décidée et de tout autre certificat ou avis médical utile, dont ceux sur lesquels se fonde la décision la plus récente de maintien des soins ;
5° Le cas échéant :
a) L'avis du collège mentionné à l'article L. 3211-9 ;
b) L'avis d'un psychiatre ne participant pas à la prise en charge de la personne qui fait l'objet de soins, indiquant les motifs médicaux qui feraient obstacle à son audition.
Le juge peut solliciter la communication de tous autres éléments utiles.

Article R. 3211-13 du Code de la Santé Publique

Le juge fixe la date, l'heure et le lieu de l'audience.
Le greffier convoque aussitôt, par tout moyen, en leur qualité de parties à la procédure :
1° Le requérant et son avocat, s'il en a un ;
2° La personne qui fait l'objet de soins psychiatriques par l'intermédiaire du chef d'établissement lorsqu'elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s'il y a lieu, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux ;
3° Le cas échéant, le préfet qui a ordonné ou maintenu la mesure de soins ou le directeur d'établissement qui a prononcé l'admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent.
Dans tous les cas, sont également avisés le ministère public et, s'ils ne sont pas parties, le directeur de l'établissement et, le cas échéant, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques.
La convocation ou l'avis d'audience indique aux parties que les pièces mentionnées à l'article R. 3211-12 peuvent être consultées au greffe de la juridiction et que la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques, quand elle est hospitalisée, peut y avoir accès dans l'établissement où elle séjourne, dans le respect, s'agissant des documents faisant partie du dossier médical, des prescriptions de l'article L. 1111-7. Le greffe délivre une copie de ces pièces aux avocats qui en font la demande.
La personne qui fait l'objet de soins psychiatriques est en outre avisée qu'elle sera assistée par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office par le juge le cas échéant ou qu'elle sera représentée par un avocat si le magistrat décide de ne pas procéder à son audition au vu de l'avis médical prévu au deuxième alinéa de l'article L. 3211-12-2.

Article R. 3211-14 du Code de la Santé Publique

S'il l'estime nécessaire, le juge ordonne, le cas échéant sans débat, toute mesure d'instruction.
Lorsque le juge ordonne deux expertises, les deux experts procèdent à des examens séparés de la personne qui fait l'objet de soins.
Le ou les experts désignés ne peuvent exercer dans l'établissement d'accueil de la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques.
Les experts remettent leur rapport dans le délai fixé par le juge, qui ne peut excéder douze jours suivant leur désignation. Ils déterminent librement les modalités de conduite des opérations d'expertise. Par dérogation aux articles 160 et 276 du code de procédure civile, ils ne sont pas tenus de convoquer les parties ou de susciter leurs observations. Le rapport est déposé au secrétariat de la juridiction où les parties peuvent le consulter. Sur leur demande, le greffe leur en délivre une copie.

Article R. 3211-15 du Code de la Santé Publique

A l'audience, le juge entend le requérant et les personnes convoquées en application de l'article R. 3211-13 ou leur représentant ainsi que le ministère public lorsqu'il est partie principale. Les personnes avisées sont entendues si elles souhaitent s'exprimer.
Le cas échéant, le juge commet un avocat d'office à la personne faisant l'objet de soins psychiatriques.
Les personnes convoquées ou avisées peuvent faire parvenir leurs observations par écrit, auquel cas il en est donné connaissance aux parties présentes à l'audience.
Le juge peut toujours ordonner la comparution des parties.
Lorsqu'il n'est pas partie principale, le ministère public fait connaître son avis dans les conditions définies par le deuxième alinéa de l'article 431 du code de procédure civile.

Article R. 3211-16 du Code de la Santé Publique

L'ordonnance est notifiée sur place aux parties présentes à l'audience ainsi qu'au conseil de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques qui en accusent réception. Le juge leur fait connaître verbalement le délai d'appel et les modalités suivant lesquelles cette voie de recours peut être exercée. Il les informe que seul l'appel formé par le ministère public peut être déclaré suspensif par le premier président de la cour d'appel ou son délégué. La notification aux parties qui n'ont pas comparu en personne est faite dans les meilleurs délais par tout moyen permettant d'en établir la réception.
« Lorsque la décision a été mise en délibéré, les notifications prévues à l'alinéa précédent sont faites, selon les mêmes modalités, aux parties présentes à l'audience ainsi qu'au conseil de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques.
« Dans le cas où ils ne sont pas parties, le directeur d'établissement et, le cas échéant, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques sont avisés de la décision par tout moyen.

Article R. 3211-17 du Code de la Santé Publique

Si le juge décide la mainlevée de la mesure de soins et que le procureur de la République estime ne pas avoir à s'opposer à cette mainlevée, ce dernier retourne l'ordonnance au juge qui l'a rendue en mentionnant sur celle-ci qu'il ne s'oppose pas à sa mise à exécution. Il est alors mis fin sans délai à la mesure de maintien à la disposition de la justice, sauf dans le cas où le juge a différé l'effet de la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète.

Paragraphe 2 : Voies de recours

Article R. 3211-18 du Code de la Santé Publique

L'ordonnance est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué, dans un délai de dix jours à compter de sa notification.
Le ministère public peut, dans tous les cas, interjeter appel dans le même délai.

Article R. 3211-19 du Code de la Santé Publique

Le premier président ou son délégué est saisi par une déclaration d'appel motivée transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel. La déclaration est enregistrée avec mention de la date et de l'heure.
Le greffier de la cour d'appel avise sur-le-champ le greffier du tribunal de grande instance qui lui transmet sans délai le dossier.
Le greffier de la cour d'appel fait connaître par tout moyen la date et l'heure de l'audience aux parties, à leurs avocats et, lorsqu'ils ne sont pas parties, au tiers qui a demandé l'admission en soins et au directeur d'établissement. Les deux derniers alinéas de l'article R. 3211-13 sont applicables.

Article R. 3211-20 du Code de la Santé Publique

Lorsque le ministère public demande que son recours soit déclaré suspensif dans les conditions définies par l'article L. 3211-12-4, il fait notifier la déclaration d'appel, accompagnée de sa demande motivée, sans délai et par tout moyen permettant d'en établir la réception, au préfet ou au directeur d'établissement ayant prononcé l'admission, au requérant initial et à la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques ainsi qu'à leur avocat. La notification mentionne que des observations en réponse peuvent être transmises par tout moyen au secrétariat du premier président ou de son délégué dans un délai de deux heures.
Le premier président ou son délégué statue sans délai et sans débat sur la demande de déclaration d'appel suspensif après que la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques et son avocat ont été mis à même de transmettre leurs observations suivant les modalités définies à l'alinéa précédent. La décision est portée à la connaissance de la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques ainsi que de son avocat par le greffe de la cour d'appel et communiquée au procureur de la République qui veille à son exécution et en informe le directeur d'établissement et le préfet le cas échéant.

Article R. 3211-21 du Code de la Santé Publique

A l'audience, les parties et, lorsqu'il n'est pas partie, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques peuvent demander à être entendus ou faire parvenir leurs observations par écrit, auquel cas il en est donné connaissance aux parties présentes à l'audience. Le premier président ou son délégué peut toujours ordonner la comparution des parties.
Lorsqu'il n'est pas partie principale, le ministère public fait connaître son avis dans les conditions définies par le deuxième alinéa de l'article 431 du code de procédure civile.

Article R. 3211-22 du Code de la Santé Publique

A moins qu'il n'ait été donné un effet suspensif à l'appel, le premier président ou son délégué statue dans les douze jours de sa saisine. Ce délai est porté à vingt-cinq jours si une expertise est ordonnée.
L'ordonnance est notifiée sur place aux parties présentes à l'audience ainsi qu'au conseil de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques qui en accusent réception. La notification aux parties qui n'ont pas comparu en personne est faite dans les meilleurs délais par tout moyen permettant d'en établir la réception.
Lorsque la décision a été mise en délibéré, les notifications prévues à l'alinéa précédent sont faites aux parties ainsi qu'au conseil de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques selon les mêmes modalités.
Dans le cas où ils ne sont pas parties, le directeur d'établissement et, le cas échéant, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques sont avisés de la décision par tout moyen.

Article R. 3211-23 du Code de la Santé Publique

Le pourvoi en cassation est, dans tous les cas, ouvert au ministère public.
L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Sous-section 2 Dispositions particulières

Paragraphe 1 Dispositions particulières à la procédure de contrôle des mesures d'hospitalisation complète sans consentement

Article R. 3211-24 du Code de la Santé Publique

La saisine est accompagnée des pièces prévues à l'article R. 3211-12 ainsi que de l'avis motivé prévu au II de l'article L. 3211-12-1. Cet avis décrit avec précision les manifestations des troubles mentaux dont est atteinte la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques et les circonstances particulières qui, toutes deux, rendent nécessaire la poursuite de l'hospitalisation complète au regard des conditions posées par les articles L. 3212-1 et L. 3213-1.
Cet avis indique, le cas échéant, si des motifs médicaux font obstacle à l'audition de la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques.

Article R. 3211-25 du Code de la Santé Publique

Le premier alinéa de l'article 641 et le second alinéa de l'article 642 du code de procédure civile ne sont pas applicables à la computation des délais dans lesquels le juge doit être saisi et doit statuer.

Article R. 3211-26 du Code de la Santé Publique

Le directeur d'établissement communique par tout moyen l'avis du psychiatre se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète prévu à l'article L. 3211-12-4.
La cour d'appel saisie d'une ordonnance constatant la mainlevée d'une hospitalisation complète en application du deuxième alinéa du IV de l'article L. 3211-12-1 peut évoquer l'affaire lorsque les conditions prévues par ces dispositions n'étaient pas réunies.

Paragraphe 2 Dispositions particulières à la procédure de mainlevée des soins psychiatriques sans consentement

Article R. 3211-27 du Code de la Santé Publique

Le directeur d'établissement, soit d'office, soit sur invitation du juge, communique par tout moyen, dans un délai de cinq jours à compter de l'enregistrement de la requête, les pièces prévues à l'article R. 3211-12.

Article R. 3211-28 du Code de la Santé Publique

Lorsqu'elle émane de la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques, la requête peut être déposée au secrétariat de l'établissement d'accueil. La demande en justice peut également être formée par une déclaration verbale recueillie par le directeur de l'établissement qui établit un procès-verbal contenant les mentions prévues par l'article R. 3211-10, daté et revêtu de sa signature et de celle de l'intéressé. Si ce dernier ne peut signer, il en est fait mention.
Le directeur transmet sans délai la requête ou le procès-verbal au greffe du tribunal, par tout moyen permettant de dater sa réception au greffe du tribunal de grande instance, en y joignant les pièces justificatives que le requérant entend produire. Le directeur communique en outre au tribunal un dossier contenant les pièces mentionnées à l'article R. 3211-12 dans le délai de cinq jours suivant le dépôt de la requête.

Article R. 3211-29 du Code de la Santé Publique

Lorsque le juge des libertés et de la détention décide de se saisir d'office en application du dernier alinéa du I de l'article L. 3211-12, il met la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques, son avocat dès sa désignation et, le cas échéant, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques, le préfet qui l'a ordonnée ou maintenue, le directeur d'établissement qui a prononcé l'admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent, ainsi que le ministère public, en mesure de produire des observations. Il les fait aviser de la date, de l'heure et du lieu de l'audience. L'avis d'audience contient les informations prévues aux deux derniers alinéas de l'article R. 3211-13. Le directeur de l'établissement transmet au juge les pièces mentionnées à l'article R. 3211-12 dans le délai de cinq jours suivant l'avis de saisine.

Article R. 3211-30 du Code de la Santé Publique

L'ordonnance du juge est rendue dans un délai de douze jours à compter de l'enregistrement de la requête au greffe. Ce délai est porté à vingt-cinq jours si une expertise est ordonnée.

UN INTERNE VOLONTAIRE A DROIT DE PARTIR QUAND IL VEUT

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 29 mai 2013 Requête 12-21194 Rejet

Attendu que Mme J... Y..., Mme S... Y... et Mme Z... reprochent à l’arrêt attaqué (Toulouse, 23 janvier 2012) de rejeter leur action en responsabilité à l’encontre de la SAS Clinique Marigny à la suite du suicide, par absorption médicamenteuse de psychotropes, de leur père et beau-père P... Y..., victime d’un arrêt cardio-respiratoire le 18 novembre 2002 pendant qu’il était hospitalisé avec son consentement dans l’établissement,

Mais attendu que la cour d’appel a retenu exactement qu’il résulte de l’article L. 3211-2 du code de la santé publique qu’une personne hospitalisée sous le régime de l’hospitalisation libre pour des troubles mentaux dispose des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour d’autres causes, que, dans cette hypothèse, le principe applicable est celui de la liberté d’aller et venir ; qu’il ne peut être porté atteinte à cette liberté de manière contraignante par voie de "protocolisation" des règles de sortie de l’établissement ; que le grief n’est pas fondé

LA MESURE D'HOSPITALISATION DOIT ÊTRE EXAMINEE SOUS UN DELAI DE 12 JOURS OU 25 JOURS EN CAS D'EXPERTISE

COUR DE CASSATION, première chambre civile, arrêt du 19 décembre 2019 Pourvoi n° 19-22.946 Cassation partielle sans renvoi

Vu les articles L. 3213-1, L. 3216-1 du code de la santé publique et 112 du code de procédure civile :

5. Il résulte du deuxième de ces textes que, lorsque le juge des libertés et de la détention contrôle la régularité de la procédure de soins psychiatriques sans consentement, le moyen pris de l’irrégularité d’un certificat médical ne constitue pas une exception de procédure, au sens du dernier texte, mais une défense au fond.

6. Pour rejeter la demande de mainlevée présentée par le patient et statuer sur la poursuite de la mesure, l’ordonnance retient que M. X... n’a pas invoqué, in limine litis, d’exceptions de procédure de sorte que celles qu’il soulève pour la première fois en cause d’appel sont irrecevables.

7. En statuant ainsi, alors qu’il avait relevé que la contestation portait notamment sur l’irrégularité du certificat médical initial au regard de l’article L. 3213-1 précité, en tant que délivré par un médecin psychiatre de l’établissement d’accueil, de sorte qu’elle constituait une défense au fond, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

COUR DE CASSATION, première chambre civile, arrêt du 7 novembre 2018 Pourvoi n°17-27618 Cassation partielle sans renvoi

Vu les articles R. 3211-10, R. 3211-11 et R. 3211-30 du code de la santé publique, ensemble les articles L. 123-1 et R. 123-1 du code de l’organisation judiciaire ;

Attendu que le juge des libertés et de la détention est saisi d’une demande de mainlevée d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement par requête transmise par tout moyen permettant de dater sa réception au greffe du tribunal de grande instance et enregistrée dès sa réception ; qu’il statue dans les douze jours à compter de cet enregistrement ;

Attendu que, pour dire que le juge a statué dans le délai imparti, l’ordonnance retient que si la requête est parvenue au greffe du tribunal de grande instance le 26 janvier 2017, elle n’a été reçue par le service du juge des libertés et de la détention que le 31 janvier, lequel l’a enregistrée le 3 février, de sorte que sa décision du 9 février a été rendue dans les douze jours à compter de l’enregistrement ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, l’enregistrement devait intervenir dès réception de la requête par le greffe du tribunal de grande instance, de sorte que le délai de douze jours était expiré au moment où le juge a rendu sa décision, le premier président a violé les textes susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile;

COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, arrêt du 27 février 2013 N° Pourvoi 11-20405 Cassation sans renvoi

Attendu que, pour maintenir la mesure d’hospitalisation sans consentement de M. X..., la première ordonnance retient que le respect du délai de 12 jours n’est pas assorti d’une sanction ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune expertise n’avait été ordonnée, le premier président a violé le texte susvisé ;

Et attendu que la cassation de l’ordonnance du 13 mai 2011 entraîne l’annulation, par voie de conséquence, de celle du 27 mai 2011 ;

Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;

Et attendu qu’il a été mis fin à l’hospitalisation d’office de M. X..., il ne reste plus rien à juger

SEUL LE PREFET PEUT ORDONNER L'INTERNEMENT AUTOMATIQUE QUI SERA EXAMINE PAR LE JUGE DES LIBERTES

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 5 février 2014 Requête 11-28564 Rejet

Mais attendu que l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, par lequel s'ouvre le chapitre III dudit code, seul concerné en l'espèce et intitulé « Admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, dispose que le représentant de l'Etat dans le département prononce par arrêté motivé l'admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ;

le maire arrête, à l'égard de celles dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat qui prononce, s'il y a lieu, un arrêté « d'admission en soins psychiatriques» dans les formes prévues à l'article L. 3213-1,l'absence d'une telle décision rendant caduques ces mesures provisoires au terme d'une durée de quarante-huit heures

LE JUGE DES LIBERTES SE PRONONCENT EN APPLICATION DE L'ARTICLE L 3211-12-1 DU CODE DE LA SANTE PUBLIQUE

1°/ avant l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de l'admission prononcée en application du chapitre III

2°/ avant l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la décision par laquelle le représentant de l'Etat a modifié la forme de la prise en charge du patient en procédant à son hospitalisation complète, en application, respectivement, du dernier alinéa de l'article L. 3212-4 ou du III de l'article L. 3213-3

qu'il résulte de ces textes que seul le représentant de l'Etat est habilité à prendre, au sens de la loi, un arrêté "d'admission en soins", l'ordonnance, qui constate que le juge des libertés a statué le 4 octobre 2011, à propos d'un arrêté préfectoral « d'admission en soins psychiatriques » pris le 21 septembre 2011, se trouve ainsi légalement justifié

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 15 janvier 2015 Requête 13-24361 Cassation sans renvoi

Vu l'article L. 3211-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que, si l'autorité administrative qui prend une mesure de placement ou maintien en hospitalisation sans consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit, d'une manière appropriée à son état, l'informer le plus rapidement possible des motifs de cette décision, de sa situation juridique et de ses droits, le défaut d'accomplissement de cette obligation, qui se rapporte à l'exécution de la mesure, est sans influence sur sa légalité ;

Attendu que pour prononcer la nullité des arrêtés des 15 et 18 juin 2013 par lesquels le préfet a placé puis maintenu M. X... en régime d'hospitalisation complète, dire irrégulière la procédure et ordonner la mainlevée de cette mesure, l'ordonnance attaquée retient que ces décisions administratives ne reprennent pas les dispositions de l'article L. 3211-3 du code de la santé publique et qu'aucun élément ne permet de considérer que la personne hospitalisée a bénéficié d'une information complète sur les droits qui lui sont ainsi ouverts, ce dont il se déduit qu'elle n'en a pas été régulièrement informée

N'IMPORTE QUEL MÉDECIN A DROIT DE FAIRE INTERNER PAR LE PRÉFET

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 15 octobre 2014 Requête 13-12220 Cassation

Vu les articles L. 3213-1, L. 3211-2-1 dans sa version applicable en la cause, et L. 3211-11 du code de la santé publique ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que, si une personne ne peut être admise ni maintenue en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, sous la forme d'une hospitalisation complète ou sous une autre forme, qu'à la condition qu'il soit constaté qu'elle souffre de troubles mentaux compromettant la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public, les modalités de sa prise en charge peuvent être modifiées, sur proposition du psychiatre qui y participe, pour tenir compte de l'évolution de son état, notamment dans l'hypothèse où la mesure, décidée sous une autre forme que l'hospitalisation complète ne permet plus, du fait du comportement du patient, de lui dispenser les soins adaptés, sans qu'il soit alors nécessaire de constater qu'il a commis de nouveaux actes de nature à compromettre la sécurité des personnes ou à porter atteinte à l'ordre public ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée et les productions, que M. X..., qui avait commis une agression sur un de ses voisins le 26 mars 2011, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral ordonnant son hospitalisation d'office au sein d'un établissement psychiatrique ; que la prise en charge du patient s'est poursuivie sous des formes alternées d'hospitalisation complète et de programmes ambulatoires jusqu'à un arrêté préfectoral du 15 novembre 2012, ordonnant, à la demande du médecin dirigeant le service où ces soins ambulatoires étaient dispensés, sa réadmission en hospitalisation complète ;

Attendu que pour prononcer la mainlevée de cette mesure dans le délai de vingt-quatre heures afin de permettre l'établissement d'un programme de soins, l'ordonnance, rendue à l'occasion du contrôle des mesures d'hospitalisation sous contrainte, constate que, si, lors de sa première hospitalisation sans consentement, faisant suite à l'agression de son voisin, M. X... présentait des troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et pour autrui et causant un trouble grave à l'ordre public, et s'il s'était montré agressif envers un infirmier, ce qui avait fondé une décision de réadmission en hospitalisation complète le 2 décembre 2011, ces incidents remontaient respectivement à plus de vingt mois et à un an, que la dangerosité pour autrui du patient devait s'apprécier au moment de la décision, que le certificat du 14 novembre 2012 mentionnait que M. X..., depuis la sortie du milieu hospitalier, n'avait pas eu de troubles du comportement de type hétéro-agressivité ; que l'ordonnance ajoute qu'il n'est pas établi que le patient aurait, depuis la fin de la précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce fût de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public , ni qu'il présente un danger pour autrui, conformément aux exigences légales résultant des dispositions de l'article L. 3213-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle circonstance n'excluait pas la nécessité de faire suivre au patient un traitement sous la forme d'une hospitalisation complète, le premier président a méconnu les textes susvisés

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 15 juin 2017 Requête 17-50006 Cassation sans renvoi

Vu l'article L. 3213-1, I, du code de la santé publique ;

Attendu, selon ce texte, que le représentant de l'Etat dans le département prononce par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, l'admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que, le 26 novembre 2016, M. X... a été admis en hospitalisation complète sans consentement sur décision du préfet en application de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, sur le fondement d'un certificat médical émanant d'un médecin exerçant dans l'établissement hospitalier d'accueil ; que, le 2 décembre suivant, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de cette mesure ;

Attendu que pour confirmer la mainlevée de l'hospitalisation sans consentement, l'ordonnance retient que l'article L. 3213-1 précité impose une garantie de neutralité résultant de la nécessité d'une évaluation médicale pratiquée par un médecin extérieur, indépendant de l'établissement d'accueil ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, s'il ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, le certificat initial préalable à l'arrêté du représentant de l'État dans le département peut être établi par un médecin non psychiatre de cet établissement ou par un médecin extérieur à celui-ci, qu'il soit ou non psychiatre, le premier président, qui a ajouté une condition à la loi, a violé le texte susvisé ;

L'OBLIGATION DES SOINS

Article D. 47-33

L'obligation de soins prévue, à titre de mesure de sûreté, par l'article 706-136-1 est ordonnée par jugement pris conformément à l'article 712-6 avant la date prévue pour la libération de la personne condamnée.

Article. D. 47-34

Cette obligation de soins ne peut être ordonnée que s'il apparaît, au moment où la décision est rendue, au vu des éléments du dossier et notamment de l'avis médical concernant la personne condamnée dans les circonstances mentionnées au deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal, qu'elle est nécessaire pour prévenir le renouvellement des actes commis par la personne condamnée, pour la protéger, ou pour protéger la victime ou la famille de la victime.
Elle ne peut être ordonnée si le condamné fait l'objet ou est susceptible de faire l'objet d'une obligation ou d'une injonction de soins dans le cadre d'un aménagement de peine, d'une libération conditionnelle, d'une libération sous contrainte, d'un suivi socio-judiciaire, d'une contrainte pénale, d'un sursis avec mise à l'épreuve, d'une surveillance judiciaire ou d'une surveillance de sûreté.

Article. D. 47-35

L'avis médical mentionné par l'article 706-136-1 et par l'article D. 47-34 est constitué d'au moins une expertise psychiatrique ordonnée par le juge de l'application des peines.
Le juge de l'application des peines peut toutefois, avec l'accord du procureur de la République, dire par ordonnance ou jugement motivé qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise psychiatrique préalablement à une décision ordonnant une obligation de soins dès lors que figure au dossier du condamné une expertise datant de moins de deux ans, y compris si celle-ci est réalisée avant la condamnation.

Article. D. 47-36

Le juge de l'application des peines du ressort dans lequel la personne soumise à une obligation de soins dans le cadre de l'article 706-136-1 a sa résidence habituelle, assisté du service pénitentiaire d'insertion et de probation, et le cas échéant avec le concours des organismes habilités à cet effet, contrôle le respect de cette obligation.
En cas de non-respect de l'obligation, le juge de l'application des peines en informe le ministère public qui décidera de l'opportunité de poursuivre la personne concernée sur le fondement de l'article 706-139.

Article. D. 47-37

Lorsque la personne condamnée sollicite une modification ou une levée de l'obligation de soins, le juge des libertés et de la détention ne peut statuer qu'après avis du juge de l'application des peines suivant le déroulement de la mesure.

LA CONTINUITE DE L'INTERNEMENT NE PEUT PAS ÊTRE DECIDEE PAR UN MEDECIN DEPENDANT DU CENTRE D'ACCUEIL

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 4 décembre 2019 Requête 18-50.073 Cassation sans renvoi

Faits et procédure

1. Selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel (Paris, 24 juillet 2019), et les pièces de la procédure, M. X... a été conduit le 30 juin 2019 au Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (le CPOA) pour une évaluation psychique. Un médecin exerçant dans cet établissement a rédigé un certificat proposant son admission en soins psychiatriques, sur le fondement de l’article L. 3212-1 II, 2°, du code de la santé publique, en raison du péril imminent pour sa santé et en l’absence de tiers susceptible de formuler une telle demande. Le 1er juillet 2019, le directeur du groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie et neurosciences (le GHU) a pris une décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète.

2. Ce dernier a, ensuite, saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de la mesure, conformément à l’article L. 3211-12-1 du même code.

3. M. X... fait grief à l’ordonnance de décider la poursuite de l’hospitalisation complète...

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3212-1 II, 2° et L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique :

4. Il résulte du premier de ces textes, figurant au chapitre II du titre sur les modalités de soins psychiatriques, que, lorsqu’elle est prononcée en raison d’un péril imminent pour la santé de la personne soumise aux soins, la décision d’admission du directeur de l’établissement d’accueil doit être accompagnée d’un certificat médical circonstancié dont le médecin auteur ne peut exercer dans l’établissement accueillant le malade. Selon le second, l’irrégularité affectant une décision administrative prise en application des chapitres II à IV du titre précité n’entraîne la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne.

5. L’exigence d’extériorité du médecin auteur du certificat médical initial vise à garantir le droit fondamental selon lequel nul ne peut être arbitrairement privé de liberté. Il s’en déduit que la méconnaissance de cette exigence porte en soi atteinte aux droits de la personne au sens du second texte.

6. Pour prolonger la mesure, l’ordonnance retient que l’irrégularité tirée de ce que le certificat initial émane d’un médecin du CPOA, entité dépendant juridiquement du GHU Paris où a été accueilli le patient, n’a pas porté atteinte aux droits de celui-ci, qui n’a subi aucun grief, dès lors que son hospitalisation sous contrainte était nécessairement imposée par son état psychique et que tous les recours juridictionnels ont pu être exercés.

7. En statuant ainsi, alors que l’irrégularité constatée portait nécessairement atteinte aux droits de M. X..., le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

UNE PERSONNE INTERNEE POUR DANGEROSITE NE PEUT SORTIR QUE SUR DEUX EXPERTISES PSYCHIATRIQUES CONCLUANTES

Cour de Cassation 1ere chambre civile, arrêt du 4 décembre 2019 Requête 18-50.073 Cassation sans renvoi

Enoncé du moyen

3. Le préfet fait grief à l’ordonnance de mettre fin à la mesure, alors que « la mainlevée de la mesure de soins ordonnée en application de l’article 706-135 du code de procédure pénale à la suite d’un jugement d’irresponsabilité pénale prononcé sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, ne peut être ordonnée qu’après avoir recueilli deux expertises établies par les psychiatres inscrits ; qu’en ordonnant la mainlevée de la mesure de soins de M. X..., dont l’hospitalisation avait été ordonnée par un jugement du tribunal correctionnel du 29 avril 2015, qui avait reconnu son irresponsabilité pénale, pour des faits d’agression sexuelle pour lesquels il était poursuivi, en raison de l’abolition du discernement de l’intéressé lors de la commission des faits, sans avoir recueilli les deux expertises nécessaires, le premier président de la cour d’appel a violé l’article L. 3211-12, II, du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable ».

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique :

4. Il résulte de ces textes que le juge ne peut décider la mainlevée de la mesure ordonnée en application de l’article 706-135 du code de procédure pénale qu’après avoir recueilli deux expertises établies par les psychiatres inscrits sur les listes mentionnées à l’article L. 3213-5-1 du code de la santé publique.

5. Pour rejeter la demande de poursuite de la mesure à l’égard de M. X..., l’ordonnance retient qu’aucun renseignement n’a été fourni par l’administration sur sa situation actuelle, au point que l’on ignore si le patient se trouve toujours sur le territoire français, est encore en vie, s’il est possible de présumer que sa dangerosité n’a pas disparu, ou, au contraire, que plus rien dans son état de santé ne justifie un enfermement, de sorte qu’il n’est ni possible ni souhaitable de laisser perdurer durant des années cette situation.

6. En statuant ainsi, alors qu’il avait constaté l’absence des deux expertises requises par la loi en vue d’établir l’absence de dangerosité du patient, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 18 septembre 2018, entre les parties, par le premier président de la cour d’appel de Paris ;

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