SATISFACTION ÉQUITABLE

ARTICLE 41 DE LA CEDH

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"La CEDH réparera le préjudice matériel par une indemnisation plus juste pour les requérants"
Frédéric Fabre docteur en droit.

ARTICLE 41 DE LA CEDH

"Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il a lieu, une satisfaction équitable"

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 - la CEDH est une juridiction subsidiaire si une procédure interne existe, la CEDH renvoie à la procédure interne

- l'article 41 de la Conv EDH est la "lex generalis"

- pour obtenir une réparation, il faut demander une "satisfaction équitable"

- la CEDH répare en équité et non pas, par de savants calculs

- l'État peut proposer un accord amiable pour ne pas être condamné

- la CEDH considère tous les dommages subis et leurs conséquences, quand elle doit indemniser.

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LA CEDH EST UNE JURIDICTION SUBSIDAIRE

SI UNE PROCEDURE INTERNE EXISTE POUR REPARER

LA CEDH RENVOIE A LA PROCEDURE INTERNE

MOUSTAKIDIS c. GRÈCE du 29 octobre 2020 requête n° 58999/13

Article 41 : L'équité commande de fixer une satisfaction équitable soit une indemnisation dès maintenant par la CEDH sans attendre une décision de la cour de cassation

Art 41 • Satisfaction équitable • Dommage matériel • Inopportunité de surseoir à statuer dans l’attente d’une procédure interne en cours • Octroi d’une somme en équité, tous chefs de préjudice confondus

SUR LE FOND :

15.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un arrêt constatant une violation entraîne de manière générale pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 79, CEDH 2014). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1 de la Convention). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I et Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009). Dans l’exercice de ce pouvoir, elle dispose d’une certaine latitude ; l’adjectif « équitable » et le membre de phrase « s’il y a lieu » en témoignent (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000‑IV). Pour ce faire, elle peut se fonder sur des considérations d’équité (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable), no 71243/01, § 36, CEDH 2014, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 79, 28 novembre 2002, S.C. Granitul S.A. c. Roumanie (satisfaction équitable), no 22022/03, § 15, 24 avril 2012, et Kryvenkyy c. Ukraine, no 43768/07, § 52, 16 février 2017).

16.  La Cour note d’emblée que le dommage matériel dont le requérant réclame réparation comprend trois volets : a) la valeur de la partie expropriée de sa propriété, de 756 m², qui a été considérée comme auto-indemnisée, alors que les juridictions internes ont en même temps conclu qu’elle avait subi une dépréciation de 30% de sa valeur ; b) le dommage causé à la partie non-expropriée de sa propriété, en raison de la nature des travaux ; c) le coût du déménagement de son entreprise et la perte de recettes pendant la période nécessaire au redémarrage de l’activité de l’entreprise jusqu’à ce qu’elle atteigne un niveau d’activité comparable à celui d’avant l’expropriation.

17.  La Cour note aussi que les prétentions du requérant concernant son dommage matériel sont notamment fondées sur un rapport technique du 10 janvier 2008, rédigé à la demande de celui-ci par une ingénieure, et soumis devant la cour d’appel lors de la procédure qu’il avait engagée le 5 mars 2007. Le rapport constatait qu’à la suite de l’élargissement de la route, la propriété du requérant se trouvait coupée de cette route, située en contrebas de celle-ci et réduite quant à la possibilité d’y construire. Le rapport constatait aussi que le déménagement de l’entreprise du requérant serait coûteux. Le rapport chiffrait le préjudice du requérant par rapport à chacune des prétentions de celui-ci.

18.  La Cour relève que si le Gouvernement conteste les estimations chiffrées dans ce rapport il ne conteste pas les constats de celui-ci quant aux faits constitutifs du préjudice du requérant. Toutefois, le Gouvernement n’indique pas un autre mode de calcul pour l’indemnité à laquelle le requérant aurait droit et se limite à soutenir que les montants réclamés par lui sont excessifs et injustifiés.

19.  La Cour note que le requérant a bien indiqué et détaillé le montant estimé de son préjudice : a) une indemnité pour la partie de 756 m² calculée sur la base du montant accordé par la cour d’appel dans son arrêt no 2611/2000, soit 96 EUR/m² ; b) une indemnité pour la dépréciation de la partie non-expropriée de sa propriété ; c) une somme pour frais de déménagement et perte de chances, qui correspond à 60% de celle indiquée dans le rapport technique du 10 janvier 2008.

20.  Parmi ces trois prétentions, la Cour relève qu’en ce qui concerne la deuxième, la cour d’appel a, par son arrêt no 2611/2000, accordé au requérant une somme correspondant à 30% de celle accordée pour l’expropriation du terrain et que, par son arrêt postérieur no 2228/2015, elle lui a aussi accordé une somme de 6 740,60 EUR. Toutefois, le requérant ne s’est pas vu verser cette somme car l’État s’est pourvu en cassation contre cet arrêt qui est encore pendant, d’où l’objection du Gouvernement selon laquelle cette question est prématurée.

21.  À cet égard, la Cour n’estime pas devoir surseoir à statuer en raison du fait qu’une telle procédure est pendante devant la Cour de cassation. Elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle si après avoir épuisé en vain les voies de recours internes avant de se plaindre à la Cour d’une violation de leurs droits, puis à nouveau une deuxième fois, avec des résultats positifs, pour obtenir l’annulation de l’arrêt de condamnation, et enfin avoir subi un nouveau procès, on exigeait des requérants de les épuiser une troisième fois pour pouvoir obtenir de la Cour une satisfaction équitable, la longueur totale de la procédure se révélerait peu compatible avec une protection efficace des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir les arrêts Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 129, CEDH 2006-IX), S.L. et J.L. c. Croatie (satisfaction équitable), no 13712/11, § 15, 6 octobre 2016) et Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 20452/14 § 38, 18 juin 2020.

22.  La Cour rappelle aussi que, conformément aux principes dégagés par sa jurisprudence constante, la forme et le montant de la satisfaction équitable tendant à la réparation d’un préjudice matériel diffèrent selon les cas et dépendent directement de la nature de la violation constatée. Celle-ci se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l’État défendeur (voir Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 55, 2 octobre 2003).

23.  Force est de constater en l’espèce, que la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, en raison du fait que le refus des juridictions grecques d’examiner les demandes d’indemnisation supplémentaires du requérant ainsi que la sollicitation faite au requérant de saisir d’autres juridictions à cette fin, ont altéré le caractère adéquat de l’indemnité à laquelle celui-ci avait droit (paragraphe 53 de l’arrêt au principal).

24.  Toutefois, vu le grand nombre d’impondérables en l’espèce, la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eût été le montant que le requérant aurait reçu si les tribunaux internes avaient statué sur ses prétentions. D’un autre côté, la Cour estime que le requérant a subi une perte de chances réelles de voir statuer sur ses prétentions par un tribunal.

25.  Considérant qu’il est impossible de quantifier précisément cette perte de chances réelles sur la base des éléments contenus dans le dossier tels que fournis par les parties, la Cour décide de statuer en équité (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, §§ 220-222, CEDH 2012, Varfis c. Grèce (satisfaction équitable), no 40409/08, § 22, 13 novembre 2014, Kosmas et autres c. Grèce, no 20086/13, §§ 94-96, 29 juin 2017, et Kanaginis c. Grèce (satisfaction équitable), no 27662/09, § 26, 8 mars 2018).

26.  À la lumière de ces considérations, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 50 000 EUR tous chefs de préjudice confondus. Cette somme est allouée sans préjudice des sommes qui pourraient être accordées au requérant à l’issue de la procédure pendante devant les juridictions nationales (paragraphe 20 ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable), précité, § 46).

  1. Frais et dépens

27.  Pour frais et dépens devant les juridictions nationales, le requérant demande 1 826 EUR. Pour ceux relatifs à la procédure devant la Cour, le requérant admet que la somme convenue avec son avocat sera versée à ce dernier à la fin de la procédure mais, compte tenu du taux horaire de travail applicable aux avocats en Grèce, la somme de 2 000 EUR serait raisonnable.

28.  Le Gouvernement soutient que le requérant n’a droit à aucun remboursement pour ses frais devant les juridictions nationales car il aurait de toute manière participé à ces procédures dans le cadre de l’expropriation de sa propriété. Quant au montant pour les frais relatifs à la procédure devant la Cour, il ne devait pas dépasser 500 EUR.

29.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que le requérant produit deux factures : la première, d’un montant de 1 399 EUR, relative à la procédure devant la Cour de cassation (qui a pris fin avec l’arrêt no 446/2013), et la seconde, d’un montant de 427 EUR, relative à la procédure devant la cour d’appel de Thessalonique (qui a pris fin avec l’arrêt no 1131/2009). Estimant raisonnable la somme de 3 826 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure nationale et pour celle devant elle (compte tenu surtout du fait qu’il y a eu une procédure sur fond et une sur la satisfaction équitable), la Cour l’accorde en entier au requérant.

  1. Intérêts moratoires

30.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

UZAN ET AUTRES c. TURQUIE du 10 décembre 2019 Requêtes nos 19620/05 et 3 autres

Article 41 : La CEDH, renvoie vers les juridictions internes, pour obtenir réparation au sens de l'article 41 de la Conv EDH

A.  Dommage

27.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], no 40167/06, § 35, 12 décembre 2017). Les États contractants parties dans une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle‑même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I, et Guiso‑Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

28.  Dans son arrêt au principal, la Cour a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison du fait que l’imposition et le maintien automatique des mesures conservatoires sur les biens des requérants en application des lois mentionnées dans cet arrêt, justifiés, dans le cas des uns, par le seul fait de l’existence d’un lien de parenté avec les dirigeants de la banque et, dans le cas des autres, par le seul fait de l’exercice, à un moment donné, de responsabilités au sein de la banque – et ce en dépit du prononcé de décisions de non-lieu et d’acquittement pour tous les chefs d’accusation–, ne s’accordaient pas avec les principes mentionnés dans cet arrêt puisqu’ils ne permettaient pas au juge d’évaluer quels étaient les instruments les plus adaptés aux circonstances spécifiques de l’espèce ni, plus généralement, d’effectuer une mise en balance entre le but légitime sous-jacent et les droits des intéressés touchés par ladite sanction. La Cour a noté de plus que, les requérants n’ayant pas été parties à la procédure pénale principale, ils n’avaient bénéficié d’aucune des garanties procédurales visées au paragraphe 214 de l’arrêt au principal. Elle a ensuite estimé que la question de l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état, et a décidé de la réserver (idem, § 235 et point 6 du dispositif).

29.  La Cour estime qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer de manière objective les dommages matériels subis par les requérants en raison du préjudice que les mesures conservatoires ordonnées leur auraient causé.

30.  Par sa lettre du 2 août 2019, le Gouvernement a porté à la connaissance de la Cour que, postérieurement à l’arrêt au principal rendu par celle-ci, l’ordonnance présidentielle no 809 est entrée en vigueur, le 8 mars 2019. Selon le Gouvernement, cette disposition élargit la compétence de la commission d’indemnisation créée en janvier 2013 et énonce les principes et la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention mais ne s’est pas prononcée sur les demandes de dommages au titre de l’article 41 de la Convention ou a décidé de réserver la question de l’application de cet article. La Cour observe que la présente espèce rentre dans la deuxième catégorie d’affaires, à savoir celles dans lesquelles elle a conclu à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et a réservé la question de l’application de l’article 4l de la Convention. En se référant à l’arrêt Kaynar et autres c. Turquie, (nos 21104/06 et 2 autres, 7 mai 2019), il demande à la Cour de rayer des affaires du rôle au profit de la compétence de la commission.

31.  Par ailleurs, dans les affaires Turgut et autres (décision précitée) et Demiroğlu c. Turquie ((déc.), no 56125/10, 4 juin 2013), la Cour a procédé à un examen détaillé du fonctionnement de la commission d’indemnisation. Elle a estimé que les requérants devaient au préalable s’adresser à celle-ci dans la mesure où elle offrait un nouveau recours interne accessible et susceptible de donner réparation à leurs griefs (voir aussi Yıldız et Yanak c. Turquie (déc.), no 44013/07, 27 mai 2014, Bozkurt c. Turquie (déc.), n38674/07, 10 mars 2015, Çelik c. Turquie (déc.), no 23772/13, 16 juin 2015, et Özbil c. Turquie (déc.), no 45601/09, 29 septembre 2015). La Cour observe également que la commission d’indemnisation est compétente pour indemniser tous les individus conformément à sa pratique (Turgut et autres et Demiroğlu, décisions précitées). Les indemnités accordées par cette instance sont versées par le ministère de la Justice dans les trois mois suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive et sont exonérées de tout impôt ou charge. Par ailleurs, la décision de cette commission peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs, qui doivent statuer dans les trois mois. Le requérant peut également saisir la Cour constitutionnelle d’une requête individuelle contre les décisions des tribunaux administratifs (Ahmet Erol c. Turquie (déc.), no 73290/13, 6 mai 2014, et Sayan c. Turquie (déc.), no 49460/11, § 19, 14 juin 2016).

32.  La Cour prend note de cette initiative du Gouvernement turc et observe que ce développement renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, § 36, CEDH 2005‑IX).

33.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final est susceptible de donner lieu à une indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et, récemment, Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 48-50, 11 juillet 2017 ; voir aussi, mutatis mutandis, Kaynar et autres c. Turquie, précité, §§ 64-78, Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 9580/03, § 34, 7 février 2017, et Keçecioğlu et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37546/02, § 18, 20 juillet 2010).

34.  Ceci étant dit, la Cour tient à noter que le cas d’espèce se différencie des affaires citées au paragraphe précédent, eu égard au fait que la Cour a rappelé, dans son arrêt sur le fond, que la rétention des biens saisis par les autorités judiciaires dans le cadre d’une procédure pénale devait être examinée sous l’angle du droit pour l’État de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général, au sens du second alinéa de l’article 1 du Protocole n1 (§ 194 de l’arrêt sur le fond). À ce sujet, elle note que certaines mesures conservatoires seraient toujours en vigueur, selon les informations récentes versées au dossier.

Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que la levée des mesures conservatoires et des saisies sur les biens des requérants les placerait, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où ils se trouveraient si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues. À défaut pour l’État défendeur de procéder à la levée des mesures conservatoires et des saisies sur les biens des requérants, la Cour estime qu’il y aurait lieu d’octroyer aux requérants une indemnité pécuniaire appropriée, calculée en conformité avec les critères dégagés par sa jurisprudence.

35.  Après ce constat, la Cour rappelle qu’elle peut rechercher si la requête se prête à l’application de l’article 37 de la Convention (Gümrükçüler et autres, précité, § 37). En effet, elle peut décider de rayer une requête du rôle dans le cadre de article 37 § 1 c) de la Convention lorsqu’il est établi que la possibilité concrète d’indemniser le requérant existe au niveau national où les organes adéquats, qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation, comme dans le cas des requérants (idem, § 29).

36.  La Cour estime que les instances nationales sont les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences, notamment, comme dans le cas d’espèce, lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur des biens immobiliers dans un État contractant à une date donnée. En effet, pour la Cour, comme elle l’a constaté dans de nombreuses affaires similaires  au cas d’espèce contre la Turquie relative au droit de propriété, une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et les experts et juridictions nationaux sont les mieux placés pour la réaliser (voir, à titre d’exemple, Keçecioğlu et autres, précité, § 18).

37.  À la lumière de ce qui précède, s’agissant du dommage matériel allégué, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande présentée par les requérantes à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe en l’espèce pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de sa compétence en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention pour réinscrire la requête lorsqu’elle estime que les circonstances justifient une telle procédure (Gümrükçüler et autres, précité, § 42).

38.  En ce qui concerne le dommage moral, la Cour observe que, en vertu de l’ordonnance présidentielle précitée, la commission d’indemnisation est également compétente pour examiner les demandes pour préjudice moral et pour statuer sur celles-ci. Par conséquent, à la lumière de ses conclusions au regard du préjudice matériel, elle estime qu’il y a lieu également de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention concernant la demande pour dommage moral en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

39.  En conclusion, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention concernant la demande pour dommage matériel et pour dommage moral en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

DÜRRÜ MAZHAR ÇEVİK ET MÜNİRE ASUMAN ÇEVİK DAĞDELEN c. TURQUIE

du 29 octobre 2019 requête n° 2705/05

Article 41 : Si une procédure interne permet de réparer les violations de la convention constatée par la CEDH, les requérants doivent suivre la procédure interne, la CEDH n'a pas à fixer une indemnisation.

FAITS

2.  Par un arrêt du 14 avril 2015 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation des titres de propriété des requérants (Dürrü Mazhar Çevik et Münire Asuman Çevik Dağdelen c. Turquie, no 2705/05, § 38, 14 avril 2015).

3.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 41, et point 3 du dispositif).

5. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

DOMMAGE

6.  Les requérants réclament 5 586 188 euros (EUR) au titre du dommage matériel et se réfèrent, à ce titre, à un rapport d’expertise du 17 avril 2009, établi par une société anonyme spécialisée en évaluation immobilière. Ils demandent également 2 380 952 EUR pour le préjudice moral qu’ils auraient subi.

7.  Le Gouvernement juge injustifiées les sommes réclamées par les requérants. Il invite également la Cour à conclure à la radiation de la requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention au motif qu’un recours d’indemnisation a été instauré au niveau national avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance présidentielle no 809.

8.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 1999‑II). Les États contractants parties dans une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle‑même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I, et Guiso‑Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

9.  La Cour observe que les requérants ont présenté une demande au titre du dommage matériel, correspondant, selon eux, à la valeur marchande des biens objets du présent litige, et qu’ils ont produit un rapport émanant d’experts privés afin de justifier leur demande.

10.  La Cour estime qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer de manière objective la perte pécuniaire des requérants.

11.  Elle note que le Gouvernement vient de porter à sa connaissance que, le 8 mars 2019, l’ordonnance présidentielle no 809 est entrée en vigueur. Cette disposition élargit la compétence de la commission d’indemnisation créée en janvier 2013 et énonce les principes et la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 mais ne s’est pas prononcée sur les demandes de dommages au titre de l’article 41 de la Convention ou a décidé de réserver la question de l’application de cet article. La Cour observe que la présente espèce rentre dans la deuxième catégorie d’affaires, à savoir celles dans lesquelles elle a réservé la question de l’application de l’article 41 de la Convention.

12.  Par ailleurs, dans les affaires Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, 26 mars 2013) et Demiroğlu c. Turquie ((déc.), no 56125/10, 4 juin 2013), la Cour a procédé à un examen détaillé du fonctionnement de la commission d’indemnisation. Elle a estimé que les requérants devaient au préalable s’adresser à celle-ci dans la mesure où elle offrait un nouveau recours interne accessible et susceptible de donner réparation à leurs griefs (voir aussi Yıldız et Yanak c. Turquie (déc.), no 44013/07, 27 mai 2014, Bozkurt c. Turquie (déc.), no 38674/07, 10 mars 2015, Çelik c. Turquie (déc.), no 23772/13, 16 juin 2015, et Özbil c. Turquie (déc.), no 45601/09, 29 septembre 2015). La Cour observe également que la commission d’indemnisation est compétente pour indemniser tous les individus conformément à sa pratique (Turgut et autres et Demiroğlu, décisions précitées). Les indemnités accordées par cette instance sont versées par le ministère de la Justice dans les trois mois suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive et sont exonérées de tout impôt ou charge. Par ailleurs, la décision de cette commission peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs, qui doivent statuer dans les trois mois. Les requérants peuvent également saisir la Cour constitutionnelle d’une requête individuelle contre les décisions des tribunaux administratifs (Ahmet Erol c. Turquie (déc.), no 73290/13, 6 mai 2014, et Sayan c. Turquie (déc.), no 49460/11, § 19, 14 juin 2016).

13.  La Cour prend note de cette initiative du Gouvernement turc et observe que ce développement renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, § 36, CEDH 2005‑IX).

14.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final est susceptible de donner lieu à l’indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et, récemment, Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 48-50, 11 juillet 2017 ; voir aussi, mutatis mutandis, Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 9580/03, § 34, 7 février 2017, et Keçecioğlu et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37546/02, § 18, 20 juillet 2010).

15.  Après ce constat, la Cour rappelle qu’elle peut rechercher si la requête se prête à l’application de l’article 37 de la Convention (Gümrükçüler et autres, précité, § 37). En effet, elle peut décider de rayer une requête du rôle dans le cadre de article 37 § 1 c) de la Convention lorsqu’il est établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existe au niveau national où les organes adéquates, qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation, comme dans le cas des requérants (ibidem, § 29).

16.  La Cour estime que les instances nationales sont sans conteste les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences, notamment, comme dans le cas d’espèce, lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur des biens immobiliers dans un État contractant à une date donnée. En effet, pour la Cour, comme elle l’a constaté dans de nombreuses affaires contre la Turquie relative au droit de propriété, une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et les experts et juridictions nationaux sont les mieux placés pour la réaliser (voir, à titre d’exemple, Keçecioğlu et autres, précité, § 18).

17.  À la lumière de ce qui précède, s’agissant du dommage matériel allégué, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande présentée par les requérants à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe en l’espèce pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de sa compétence en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention pour réinscrire la requête lorsqu’elle estime que les circonstances justifient une telle procédure (Gümrükçüler et autres, précité, § 42).

18.  En conclusion, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage matériel en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir dans le même sens, Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06, § 78, 7 mai 2019).

19.  La Cour observe aussi que, en vertu de l’ordonnance présidentielle précitée, la commission d’indemnisation est également compétente pour examiner les demandes de dommages pour préjudice moral et statuer sur celles-ci. Par conséquent, à la lumière de ses conclusions au regard du préjudice matériel, il y a lieu également de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage moral en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no1 à la Convention.

SİLAHYÜREKLİ c. TURQUIE du 29 octobre 2019 requête n° 16150/06

Article 41 : Si une procédure interne permet de réparer les violations de la convention constatée par la CEDH, les requérants doivent suivre la procédure interne, la CEDH n'a pas à fixer une indemnisation.

FAITS

2.  Par un arrêt du 26 novembre 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation du titre de propriété du requérant (Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, §§ 35-50, 26 novembre 2013).

3.  S’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait la restitution de son titre de propriété ou, à défaut, une satisfaction équitable de vingt millions d’euros (EUR).

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité les parties à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (idem, § 54, et point 3 du dispositif).

5.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations. Aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé entre les parties.

EN DROIT

7.  Le requérant demande la restitution de son titre de propriété ou, à défaut, une satisfaction équitable s’élevant à 20 millions d’euros (« EUR »). Il s’appuie sur un rapport établi le 21 août 2014 par un expert ingénieur en cartographie et un expert immobilier.

8.  Le Gouvernement affirme que le montant réclamé par le requérant est manifestement excessif. Il explique qu’une action en constatation a été intentée devant le tribunal d’instance de Demre en vue de déterminer la valeur du terrain litigieux, et estime que l’évaluation du préjudice matériel doit être établie à la lumière des rapports établis dans le cadre de cette procédure. Il invite également la Cour à conclure à la radiation de la requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention au motif qu’un recours d’indemnisation a été instauré au niveau national avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance présidentielle no 809.

9.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 1999‑II). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I).

10.  En l’espèce, s’agissant d’abord de la partie du terrain classée en site naturel et archéologique, la Cour rappelle avoir conclu que l’ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (arrêt au principal, § 45). Dans ces circonstances, la restitution au requérant de la partie de son terrain classée en site naturel et archéologique et la réinscription de celle-ci au registre foncier à son nom placerait l’intéressé, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues. À défaut pour l’État défendeur de procéder à pareille réinscription dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu’il devra verser au requérant une indemnité pour le dommage matériel résultant de la perte du terrain. Suivant l’approche adoptée par la Cour dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 103, 22 décembre 2009), la Cour estime que la base du calcul du préjudice matériel doit être la valeur pleine et entière de cette partie du terrain à la date à laquelle le requérant a définitivement perdu son droit de propriété. En outre, étant donné que le caractère adéquat d’un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps considérable, la Cour juge que le montant correspondant à la valeur pleine et entière du terrain à la date de la perte de propriété devra être actualisé pour compenser les effets de l’inflation et qu’il faudra aussi l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession du terrain (Guiso‑Gallisay, précité, § 105).

11.  S’agissant de la partie du terrain appartenant au domaine public littoral, la Cour rappelle avoir conclu que l’ingérence litigieuse satisfaisait à la condition de légalité. En effet, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du fait que le requérant n’a reçu aucune indemnisation pour l’atteinte à ses biens et que, de ce fait, il a dû supporter une charge individuelle exorbitante (arrêt au principal, §§ 47-48). La Cour estime que la nature de la violation constatée dans la présente affaire ne lui permet pas de partir du principe d’une restitutio in integrum (N.A. et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37451/97, § 16, 9 janvier 2007). Il s’agit dès lors d’accorder une réparation par équivalent. L’indemnisation à fixer en l’espèce, selon la jurisprudence établie de la Cour en la matière (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 255, CEDH 2006‑V), n’aura pas à refléter l’idée d’un effacement total des conséquences de l’ingérence litigieuse.

12.  La Cour estime qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer de manière objective la perte pécuniaire du requérant.

13.  Elle note que le Gouvernement vient de porter à sa connaissance que, le 8 mars 2019, l’ordonnance présidentielle no 809 est entrée en vigueur. Cette disposition élargit la compétence de la commission d’indemnisation créée en janvier 2013 et énonce les principes et la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention mais ne s’est pas prononcée sur les demandes de dommages au titre de l’article 41 de la Convention ou a décidé de réserver la question de l’application de cet article. La Cour observe que la présente espèce rentre dans la deuxième catégorie d’affaires, à savoir celles dans lesquelles elle a réservé la question de l’application de l’article 4l de la Convention.

14.  Par ailleurs, dans les affaires Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, 26 mars 2013) et Demiroğlu c. Turquie ((déc.), no 56125/10, 4 juin 2013), la Cour a procédé à un examen détaillé du fonctionnement de la commission d’indemnisation. Elle a estimé dans ces affaires que les requérants devaient au préalable s’adresser à celle-ci dans la mesure où elle offrait un nouveau recours interne accessible et susceptible de donner réparation à leurs griefs (voir aussi Yıldız et Yanak c. Turquie (déc.), no 44013/07, 27 mai 2014, Bozkurt c. Turquie (déc.), no 38674/07, 10 mars 2015, Çelik c. Turquie (déc.), no 23772/13, 16 juin 2015, et Özbil c. Turquie (déc.), no 45601/09, 29 septembre 2015). La Cour observe également que la commission d’indemnisation est compétente pour indemniser tous les individus conformément à sa pratique (Turgut et autres et Demiroğlu, décisions précitées). Les indemnités accordées par cette instance sont versées par le ministère de la Justice dans les trois mois suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive et sont exonérées de tout impôt ou charge. Par ailleurs, la décision de cette commission peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs, qui doivent statuer dans les trois mois. Le requérant peut également saisir la Cour constitutionnelle d’un recours individuel contre les décisions des tribunaux administratifs (Ahmet Erol c. Turquie (déc.), no 73290/13, 6 mai 2014, et Sayan c. Turquie (déc.), n49460/11, § 19, 14 juin 2016).

15.  La Cour prend note de cette initiative du Gouvernement turc et observe que ce développement renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], n31443/96, § 36, CEDH 2005‑IX).

16.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final est susceptible de donner lieu à l’indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et, récemment, Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 48-50, 11 juillet 2017 ; voir aussi, mutatis mutandis, Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 9580/03, § 34, 7 février 2017, et Keçecioğlu et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37546/02, § 18, 20 juillet 2010, et plus récemment, Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06, § 74, 7 mai 2019).

17.  Après ce constat, la Cour rappelle qu’elle peut rechercher si la requête se prête à l’application de l’article 37 de la Convention (Gümrükçüler et autres, précité, § 37). En effet, elle peut décider de rayer une requête du rôle dans le cadre de article 37 § 1 c) de la Convention lorsqu’il est établi que la possibilité concrète d’indemniser le requérant existe au niveau national où les organes adéquates, qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation, comme dans le cas du requérant (ibidem, § 29).

18.  La Cour estime que les instances nationales sont sans conteste les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences, notamment, comme dans le cas d’espèce, lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur des biens immobiliers dans un État contractant à une date donnée. En effet, pour la Cour, comme elle l’a constaté dans de nombreuses affaires contre la Turquie relatives au droit de propriété, une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et les experts et juridictions nationaux sont les mieux placés pour la réaliser (voir, à titre d’exemple, Keçecioğlu et autres, précité, § 18).

19.  À la lumière de ce qui précède, s’agissant du dommage matériel allégué, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les demandes présentées par le requérant à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe en l’espèce pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de sa compétence en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention pour réinscrire la requête lorsqu’elle estime que les circonstances justifient une telle procédure (Gümrükçüler et autres, § 42).

20.  En conclusion, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage matériel en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir dans le même sens, Kaynar et autres, précité, § 78).

KOPER c. TURQUIE du 21 novembre 2017 requête 18538/05

Article 41 : La CEDH est une juridiction subsidiaire, quand une procédure interne existe pour se faire indemniser, il faut la saisir.

18. En ce qui concerne la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, la Cour note d’emblée que la requête a déjà été déclarée recevable dans son arrêt au principal du 13 septembre 2011 (point 1 du dispositif).

19. Ensuite, la Cour rappelle avoir indiqué à maintes reprises que, en règle générale, l’exigence d’épuiser les voies de recours internes ne s’appliquait pas aux demandes de satisfaction équitable présentées devant elle en vertu de l’article 41 de la Convention. En effet, si, après avoir épuisé, sans succès, les voies de recours internes préalablement à la saisine de la Cour, les requérants étaient tenus d’épuiser d’autres voies de droit afin d’obtenir de celle-ci une satisfaction équitable, la procédure prévue par la Convention se révélerait peu compatible avec une protection effective des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir, pour un exemple récent, S.L. et J.L. c. Croatie (satisfaction équitable), no 13712/11, § 17, 6 octobre 2016, et les affaires qui y sont citées). La Cour rejette donc la demande du Gouvernement.

20. Cela étant, la Cour rappelle également avoir décidé, dans l’arrêt Gümrükçüler et autres ((satisfaction équitable), précité), portant sur une question juridique identique à celle posée en l’espèce, la radiation d’une requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention dans la mesure où il était établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existait au niveau national. Dans cet arrêt, elle a en effet relevé que les organes compétents, « qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation (...) ». (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, §§ 28‑43).

21. L’examen de la présente affaire ne révèle aucune circonstance particulière pouvant conduire à une conclusion différente. Aussi, dans ces conditions, et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, la Cour estime-t-elle qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

22. La Cour est en outre d’avis que, en l’espèce, il n’existe pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine de la Convention).

23. La Cour précise que, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de la compétence que lui reconnaît l’article 37 § 2 de la Convention pour décider la réinscription d’une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, § 42).

24. En conséquence, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention concernant la demande d’indemnisation du dommage matériel découlant selon le requérant de la violation de l’article 1 du Protocole no1 à la Convention.

VUČKOVIĆ ET AUTRES c. SERBIE du 25 mars 2014

requêtes n°17153/11,17157/11, 17160/11, 17163/11, 17168/11, 17173/11, 17178/11, 17181/11, 17182/11, 17186/11, 17343/11, 17344/11, 17362/11, 17364/11, 17367/11, 17370/11, 17372/11, 17377/11, 17380/11, 17382/11, 17386/11, 17421/11, 17424/11, 17428/11, 17431/11, 17435/11, 17438/11, 17439/11, 17440/11 et 17443/11

70.  Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil . La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (voir la décision Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, dans laquelle la Cour a cité les principes exposés de manière détaillée aux paragraphes 66 à 69 de l’arrêt Akdivar et autres, dont les éléments pertinents en l’espèce sont rappelés ci‑après).

TRABELSI C. BELGIQUE du 4 septembre 2014 Requête n°140/10

88.  Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci. La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (Vučković et autres, précité, § 70, et références citées).

SI LE REQUÉRANT ENTAME LES PROCÉDURES INTERNES DE RÉPARATION

LA CEDH N'A PLUS A FIXER D'INDEMNITÉS ET RAIE DU RÔLE

Plechanow C. Pologne Requête 22279/04 du 15 Octobre 2013

Les recours internes initiés par les requérants ont toutes les chances d'aboutir, la procédure est rayée du rôle.

19.  De nouveaux éléments factuels ont été portés à la connaissance de la Cour après son arrêt constatant la violation. La Cour recherchera donc, si les faits en question permettent de conclure que, pour tout autre motif, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire (article 37 § 1 c) de la Convention) (voir Association SOS Attentats et Béatrix de Boëry c. France [GC] (radiation), n o 76642/01, § 37, 4 octobre 2006).

20.  L’article 37 § 1 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(...)

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.

(...) »

21.  Les parties ont confirmé à la Cour que les requérants avaient engagé une série de procédures administratives tendant à annuler les ventes successives par l’Etat dans les années 1970‑1990 des appartements constituant l’ensemble immobilier l’objet du litige. A l’issue de certaines procédures une décision d’annulation de la décision de vente comme contraire à la loi a été rendue et d’autres seraient en cours.

22.  Il demeure également indiscutable que l’annulation en question ne donnait pas droit à la restitution du bien dans la mesure où il avait été cédé entre temps à des tiers, acquéreurs de bonne foi.

Dès lors, la seule question qui restait ouverte et avait été soumise à la Cour était celle de savoir si les requérants disposaient d’une voie de recours pour obtenir une réparation suffisante pour le préjudice qu’ils ont subi, en violation de l’article 1 du Protocole no 1.

23.  Dans son arrêt au principal, la Cour a conclu que les requérants n’ont pas pu obtenir d’indemnisation pour les dommages subis. Elle a également rappelé qu’il incombait aux juridictions suprêmes de régler les divergences de jurisprudences existantes.

24.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Elle souligne aussi que, conformément aux principes dégagés par sa jurisprudence constante, la forme et le montant de la satisfaction équitable tendant à la réparation d’un préjudice diffèrent selon les cas et dépendent directement de la nature de la violation constatée (Sovtransavto Holding c. Ukraine (satisfaction équitable), no 48553/99 §§ 52- 55, 2 octobre 2003 ; Todorova et autres c. Bulgarie (satisfaction équitable), no 48380/99, 51362/99, 60036/00 et 73465/01, §§ 8 et suivants, 24 avril 2008).

25.  La Cour constate que les exemples de jurisprudence interne cités par le Gouvernement confirment l’efficacité des actions en dommages et intérêts engagées contre le trésor public dans différents types de litiges en général et dans celui concernant les requérants en particulier.

26.  Les intéressés disposent dès lors, d’une voie de recours de nature à redresser la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention constatée par la Cour, voie dans laquelle ils se sont engagés (§ 16 ci‑ dessus).

27.  Après ce constat, la Cour rappelle qu’elle peut rechercher, même à un stade avancé de la procédure, si la requête se prête à l’application de l’article 37 de la Convention. Pour conclure que le maintien de la requête par le requérant ne se justifie plus objectivement au sens de l’article 37 § 1 c), la Cour doit examiner, d’une part, la question de savoir si les faits dont les requérants tirent directement grief persistent ou non et, d’autre part, si les conséquences qui pourraient résulter d’une éventuelle violation de la Convention à raison de ces faits ont également été effacées (Pisano c. Italie [GC] (radiation), n o 36732/97, § 42, 24 octobre 2002).

28.  En l’espèce, la Cour avait conclu dans son arrêt sur le fond que les requérants n’avaient pas pu obtenir de réparation suffisante pour le préjudice qu’ils ont subi en violation de l’article 1 du Protocole no 1 du fait d’une incohérence de la jurisprudence. Or, depuis l’adoption de son arrêt, l’incohérence en question a été réglée et les voies de recours existantes se sont avérées efficaces dans des situations similaires (§ 15 ci-dessus). La Cour rappelle par ailleurs que les requérants ont choisi de s’engager dans cette voie et que la procédure est pendante devant le tribunal régional de Varsovie.

29.  La Cour estime alors qu’en vertu du principe de subsidiarité il ne se justifie pas pour elle de poursuivre l’examen d’une requête ayant exactement le même objet que celle menée devant les juridictions internes (article 37 § 1 c).

30.  La Cour observe également que les juridictions nationales sont sans conteste les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences.

31.  Par ailleurs, la Cour est convaincue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen des requêtes (article 37 § 1 in fine).

En conséquence, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention.

L'ARTICLE 41 EST LA LEX GENERALIS

L'article 41 est "la lex generalis" et prévoit la réparation pour toute violation d'un article ou d'un protocole de la Convention.

Berdzenishvili et autres c. Russie du 26 mars 2019 requête n° 14594/07 et six autres

La Russie doit verser des sommes allant de 2 000 à 15 000 euros (EUR) à des Géorgiens victimes d’une pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion en octobre 2006.

Dans son arrêt au principal, la Cour avait jugé que la plupart des 19 requérants en l’espèce avaient été victimes de violations de leurs droits garantis par divers articles de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle avait réservé sa décision sur la satisfaction équitable en attendant l’arrêt de la Grande Chambre sur la même question en l’affaire Géorgie c. Russie (I), qui concernait un grand nombre d’autres requérants géorgiens. La Grande Chambre avait rendu sa décision sur la satisfaction équitable en janvier 2019, accordant 10 millions d’euros à répartir entre les victimes dans cette affaire et fixant les principes aux fins de la distribution de cette somme. La chambre a appliqué les mêmes principes en l’espèce.

LES FAITS

Les requérants dans l’affaire Berdzenishvili et autres c. Russie (requêtes n os 14594/07, 14597/07, 14976/07, 14978/07, 15221/07, 16369/07 et 16706/07) sont 19 ressortissants géorgiens nés entre 1948 et 1991 et habitant à Kareli, Bagdady, Tbilissi, Rustavi, Zugdid et Telavi (Géorgie). L’une des requêtes a été poursuivie par le fils du requérant initial, décédé avant que la Cour ne statue. Les requérants disaient être parmi les Géorgiens qui avaient été arrêtés et expulsés de Russie en automne 2006, des incidents qui incitèrent le gouvernement géorgien à introduire une requête contre le gouvernement russe. En 2014, dans l’affaire interétatique (no 13255/07), la Grande Chambre avait jugé que la Russie avait mis en place une politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de Géorgiens qui s’analysait en une pratique administrative. En janvier 2019, elle avait dit que la Russie devait verser 10 millions d’euros à la Géorgie, à répartir entre au moins 1 500 de ressortissants géorgiens, pour dommage moral. En 2016, dans l’affaire Berdzenishvili et autres, une chambre de la Cour avait constaté des violations de l’article 4 du Protocole n o 4 (interdiction des expulsions collectives d’étrangers) à l’égard de 14 requérants. Elle avait également jugé que 13 requérants avaient été victimes de violations de l’article 5 §§ 1 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté/droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention), de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), et de l’article 13 (droit à un recours effectif) en combinaison avec l’article 3. La Cour avait relevé entre autres que la plupart des requérants avait été arrêtés par la police ou les services de l’immigration puis détenus pendant une certaine durée et condamnés à des amendes.

Application de l’article 41 (somme au titre de la satisfaction équitable)

La chambre applique les principes fixés par la Grande Chambre dans l’affaire Géorgie c. Russie (I) concernant la répartition de la somme qu’elle avait accordée dans cette affaire au titre de la satisfaction équitable. En particulier, la Grande Chambre avait dit qu’il fallait verser 2 000 EUR à chaque victime d’une violation de l’article 4 du Protocole n o 4 isolément, et une somme allant de 10 000 à 15 000 EUR à chaque victime d’une violation de l’article 5 § 1 et de l’article 3, selon la durée de détention. En l’espèce, la chambre accorde à tous les requérants détenus pendant une durée maximale de 48 heures le montant minimal de 10 000 EUR fixé dans l’arrêt Géorgie c. Russie (I) (satisfaction équitable). Elle accorde également 12 500 EUR à chaque requérant détenu entre 2 et 10 jours et 15 000 EUR à ceux détenus pendant plus de 10 jours. Sur ce fondement, elle dit qu’Eka Chkaidze et David Jaoshvili, qui ont été victimes d’une violation de leurs droits découlant de l’article 4 du Protocole n o 4 isolément, doivent recevoir 2 000 EUR chacun, et que Vaja Berdzenishvili, Abram Givishvili et Tato Norakidze, en sa qualité de successeur de Koba Norakidze, doivent recevoir 10 000 EUR chacun puisqu’ils ont été détenus jusqu’à 48 heures. Elle accorde également 12 500 EUR à Tengiz Kbilashvili, Irina Chokheli, David Latsabidze, Irina Kalandia, Kakha Tsikhistavi, Khatuna Dzadzamia et Inga Gigashvili puisqu’ils ont été détenus entre 2 et 10 jours, et 15 000 EUR à Liana Nachkebia, Levan Kobaidze et Koba Kobaidze puisqu’ils ont été détenus plus de 10 jours.

Grande Chambre Géorgie c. Russie du 31 janvier 2019 requête n° 13255/07

Article 41 : 10 millions d'euros doivent être versés, à titre de préjudice moral, aux 1 500 géorgiens qui bénéficient de la protection de leur Etat qui a saisi la CEDH contre la Fédération de Russie.

la Cour européenne des droits de l’homme dit, par seize voix contre une, que la Russie doit verser à la Géorgie 10 000 000 euros (EUR) pour dommage moral subi par un groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens ; que ce montant sera distribué aux victimes individuelles en versant 2 000 EUR aux ressortissants géorgiens qui ont été uniquement victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole n o 4 (expulsion collective), et en versant de 10 000 à 15 000 EUR à ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 (privation illégale de liberté) et 3 (conditions de détention inhumaines et dégradantes) de la Convention européenne des droits de l’homme, en prenant en compte la durée de leurs détentions respectives

I. APPLICABILITÉ DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION À LA PRÉSENTE AFFAIRE

19. La Cour observe que c’est la première fois depuis l’arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité qu’elle doit se pencher sur l’examen de la question de la satisfaction équitable dans une affaire interétatique.

20. Dans cet arrêt, la Cour s’est notamment référée au principe de droit international public relatif à l’obligation de réparation par un État d’une violation d’une obligation découlant d’un traité, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice en la matière, avant de conclure que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques.

21. L’extrait pertinent est ainsi rédigé :

« 40. La Cour rappelle par ailleurs que la logique générale de la règle de la satisfaction équitable (énoncée à l’article 41 et auparavant à l’article 50 de la Convention), voulue par ses auteurs, découle directement des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État et doit être interprétée dans ce contexte. C’est ce que confirment les travaux préparatoires à la Convention, aux termes desquels :

« [c]ette disposition est conforme au droit international en vigueur en matière de violation d’une obligation internationale par un État. La jurisprudence de la Cour européenne n’apportera donc sur ce point aucun élément nouveau ou contraire au droit international existant. (...) » (rapport du Comité d’experts au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, 16 mars 1950 (doc. CP/WP 1(50) 15)).

41. Le principe de droit international le plus important relativement à la violation par un État d’une obligation découlant d’un traité veut que « la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate » (voir l’arrêt rendu par la Cour permanente de justice internationale dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, série A no 9, p. 21). En dépit du caractère spécifique de la Convention, la logique globale de l’article 41 ne diffère pas fondamentalement de celle qui gouverne les réparations en droit international public : « [i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un État lésé est en droit d’être indemnisé, par l’État auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci » (voir l’arrêt de la Cour internationale de justice rendu dans l’affaire Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), CIJ Recueil 1997, p. 81, § 152). Il est également bien établi qu’une juridiction internationale qui a compétence pour connaître d’une allégation mettant en cause la responsabilité d’un État a le pouvoir, en vertu de cette compétence, d’octroyer une réparation pour le dommage subi (voir l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, CIJ Recueil 1974, pp. 203-205, §§ 71-76).

42. Dans ces conditions, gardant à l’esprit la spécificité de l’article 41 en tant que lex specialis par rapport aux règles et principes généraux du droit international, la Cour ne saurait interpréter cette disposition dans un sens étroit et restrictif excluant les requêtes interétatiques de son champ d’application. Au contraire, une interprétation large englobant les différents types de requête est confirmée par le libellé de l’article 41, qui dispose que « la Cour accorde à la partie lésée (en anglais, « to the injured party ») (...) une satisfaction équitable », le mot « partie » (avec un p minuscule) devant être compris comme désignant l’une des parties à la procédure devant la Cour. À cet égard, la référence au libellé actuel de l’article 60 § 1 du règlement opérée par le gouvernement défendeur (paragraphes 12 et 38 ci‑dessus) ne saurait passer pour convaincante. En réalité, ce texte, qui possède une valeur normative inférieure à celle de la Convention elle‑même, ne fait que refléter la réalité, qui est qu’en pratique toutes les sommes allouées par la Cour au titre de la satisfaction équitable l’ont jusqu’à présent été directement à des requérants individuels.

43. Dès lors, la Cour estime que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques. Toutefois, la question de savoir s’il se justifie d’accorder une satisfaction équitable à l’État requérant doit être examinée et tranchée par la Cour au cas par cas, eu égard notamment au type de grief formulé par le gouvernement requérant, à la possibilité d’identifier les victimes des violations et à l’objectif principal de la procédure, dans la mesure où il ressort de la requête initialement introduite devant la Cour. La Cour admet qu’une requête introduite devant elle en vertu de l’article 33 de la Convention peut renfermer différents types de griefs visant des buts différents. En pareil cas, chaque grief doit être examiné séparément afin de déterminer s’il y a lieu d’octroyer une satisfaction équitable.

44. Ainsi, une Partie contractante requérante peut par exemple se plaindre de problèmes généraux (problèmes et déficiences systémiques, pratique administrative, etc.) concernant une autre Partie contractante. L’objectif principal du gouvernement requérant est alors de défendre l’ordre public européen dans le cadre de la responsabilité collective qui incombe aux États en vertu de la Convention. En pareil cas, il peut ne pas être souhaitable d’accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 même si le gouvernement requérant formule une demande à cet effet.

45. Il existe aussi une autre catégorie de griefs interétatiques, où l’État requérant reproche à une autre Partie contractante de violer les droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes). En réalité, pareils griefs sont comparables en substance non seulement à ceux soulevés dans une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention mais aussi à ceux qui peuvent être présentés dans le cadre de la protection diplomatique, définie comme « l’invocation par un État, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre État pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit État à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier État en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité » (article premier du projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la Commission du droit international en 2006 – voir Assemblée générale, documents officiels, soixante et unième session, supplément no 10 (A/61/10), ainsi que l’arrêt de la Cour internationale de justice dans l’Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, CIJ Recueil 2007, p. 599, § 39). Si la Cour accueille des griefs de ce type et conclut à la violation de la Convention, il peut être opportun d’allouer une satisfaction équitable eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et aux critères exposés au paragraphe 43 ci-dessus.

46. Cela étant, il ne faut jamais oublier que, du fait de la nature même de la Convention, c’est l’individu et non l’État qui est directement ou indirectement touché et principalement « lésé » par la violation d’un ou de plusieurs des droits garantis par la Convention. Dès lors, si une satisfaction équitable est accordée dans une affaire interétatique, elle doit toujours l’être au profit de victimes individuelles. À cet égard, la Cour note que l’article 19 du projet d’articles sur la protection diplomatique précité recommande de « [t]ransférer à la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’État responsable, sous réserve de déductions raisonnables ». De surcroît, dans l’affaire Diallo précitée, la Cour internationale de justice a expressément tenu à rappeler que « l’indemnité accordée à [l’État requérant], dans l’exercice par [celui]-ci de sa protection diplomatique à l’égard de M. Diallo, [était] destinée à réparer le préjudice subi par celui-ci » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, CIJ Recueil 2012, p. 324, § 57). »

22. Dans cet arrêt (§§ 43 à 45, voir paragraphe 21 ci-dessus), la Cour a également énoncé trois critères pour établir s’il est justifié d’accorder une satisfaction équitable dans le cadre d’une affaire interétatique :

- le type de grief formulé par le gouvernement requérant, qui doit porter sur la violation de droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes),

- la possibilité d’identifier les victimes,

- l’objectif principal de la procédure.

23. En l’espèce, la Cour constate que le gouvernement requérant a soutenu dans sa requête, introduite en vertu de l’article 33 de la Convention, que le gouvernement défendeur avait permis ou causé l’existence d’une pratique administrative portant sur l’arrestation, la détention et l’expulsion collective de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie à l’automne 2006 et entraînant la violation des articles 3, 5, 8, 13, 14 et 18 de la Convention, ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1, de l’article 4 du Protocole no 4 et de l’article 1 du Protocole no 7. Il a également demandé à la Cour de déclarer qu’il avait droit « à une satisfaction équitable pour ces violations, qui devaient faire l’objet de mesures de réparation et d’indemnisation au profit de la partie lésée » et l’a priée « d’accorder une satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention, à savoir une indemnisation, une réparation et une restitutio in integrum, plus les frais et dépens et toute autre compensation à préciser, pour couvrir les dommages matériels et moraux subis par les parties lésées à raison des violations constatées ainsi que les frais encourus dans le cadre de la présente procédure » (Géorgie c. Russie (I) précité, § 78 in fine et §§ 79 et 239).

24. Suite à l’adoption de l’arrêt au principal, le gouvernement requérant a soumis des demandes de satisfaction équitable en réparation de violations de la Convention commises à l’égard de ressortissants géorgiens ayant été victimes d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006 (Géorgie c. Russie (I) précité, § 159).

25. À la demande de la Cour, le gouvernement requérant a également soumis une liste détaillée de 1 795 victimes alléguées des violations constatées dans l’arrêt au principal et qui sont identifiables (voir paragraphe 7 ci-dessus).

26. La réparation demandée ne vise donc pas à indemniser l’État d’une violation de ses droits à lui, mais à dédommager des victimes individuelles (voir Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 45, paragraphe 21 ci-dessus).

27. Les trois critères énoncés étant remplis en l’espèce, la Cour considère que le gouvernement requérant a le droit de présenter une demande au titre de l’article 41 de la Convention et que l’octroi d’une satisfaction équitable est justifié en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 47).

28. Il convient maintenant d’établir le groupe de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiable » (Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 47) sur lequel la Cour va effectivement se baser pour octroyer cette satisfaction équitable en fonction des violations constatées, ainsi que les critères à appliquer pour l’octroi d’une satisfaction équitable pour dommage moral.

II. PRÉTENTIONS DU GOUVERNEMENT REQUÉRANT AU TITRE DE LA SATISFACTION ÉQUITABLE

1. Détermination d’un groupe de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiable »

a) Considérations préliminaires

48. Le paragraphe 135 de l’arrêt au principal est ainsi rédigé :

« Dès lors, elle [la Cour] considère que rien ne permet d’établir que les allégations du gouvernement requérant quant au nombre de ressortissants expulsés au cours de la période litigieuse et à leur nette augmentation par rapport à la période antérieure au mois d’octobre 2006 ne sont pas crédibles. Dans l’examen de la présente affaire, elle part donc du principe qu’au cours de la période en question plus de 4 600 décisions d’expulsion ont été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 ont été détenus et expulsés par la force. »

49. En se référant à ce paragraphe, le gouvernement requérant soutient que 4 634 ressortissants géorgiens, dont 2 380 ont été détenus et expulsés par la force, représentent les groupes de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiables » sur lesquels la Cour doit se baser pour octroyer la satisfaction équitable.

50. Le gouvernement défendeur, de son côté, estime que le libellé du paragraphe 135 démontre que la Cour n’a pas encore établi le nombre exact des victimes, ce qui est cependant essentiel pour décider du montant des indemnisations à octroyer.

51. La Cour rappelle que dans l’arrêt au principal, elle a dit qu’il y a eu à l’automne 2006 la mise en place en Fédération de Russie d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens et qui a constitué une pratique administrative au sens de la jurisprudence de la Convention » (Géorgie c. Russie (I) précité, § 159).

52. Par la suite, faute de communication par le gouvernement défendeur de données statistiques mensuelles sur le nombre de ressortissants géorgiens expulsés de la Fédération de Russie au cours des années 2006 et 2007, la Cour s’est basée sur les chiffres avancés par le gouvernement requérant comme l’un des éléments de preuve de l’existence de cette pratique administrative (voir Géorgie c. Russie (I) précité, § 129). Or la formulation utilisée par la Cour dans son raisonnement au paragraphe 135 de l’arrêt au principal, et qui figure dans la partie « En droit », est prudente : si dans la première phrase elle estime que « rien ne permet d’établir » que les allégations du gouvernement requérant ne sont pas crédibles, elle n’affirme cependant pas qu’elles sont prouvées « au-delà de tout doute raisonnable », qui est le critère de preuve établi par la Cour dans sa jurisprudence (voir Géorgie c. Russie (I) précité, § 93). Dans la seconde phrase de ce paragraphe, la Cour se borne à indiquer qu’elle « part donc du principe » (en anglais : « it therefore assumes ») que plus de 4 600 décisions d’expulsion ont été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 ont été détenus et expulsés par la force. Or cela signifie qu’elle part d’un nombre approximatif de décisions d’expulsion et de mises en détention afin d’examiner l’existence d’une pratique administrative, ce qui est très différent de l’établissement de l’identité de victimes individuelles.

53. Par ailleurs, il convient de distinguer ces indications, qui définissent un cadre numérique général dans le contexte de l’examen de l’affaire sur le fond, de la question de l’application de l’article 41 de la Convention que la Cour a réservée dans l’arrêt au principal, considérant qu’elle ne se trouvait pas en état (voir paragraphe 3 ci-dessus).

54. De plus, la logique générale de la règle de la satisfaction équitable découle directement des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État (voir Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, §§ 40 et 41, paragraphe 21 ci-dessus). Or celui-ci comprend à la fois l’obligation pour l’État responsable du fait internationalement illicite « d’y mettre fin si ce fait continue » ainsi que l’obligation « de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite », telles qu’énoncées respectivement aux articles 30 et 31 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (Annuaire de la Commission du droit international, Volume II, Deuxième partie, pp. 94 et 97, A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2)) ».

55. Enfin, et c’est là un élément essentiel, l’application de l’article 41 de la Convention requiert de pouvoir identifier les victimes individuelles concernées (Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 46, voir paragraphe 21 ci-dessus).

56. À cet égard, on peut relever que l’affaire Chypre c. Turquie et la présente affaire concernent des contextes factuels différents. Alors que la première portait sur des violations multiples de la Convention suite aux opérations militaires de la Turquie dans le Nord de Chypre au cours de l’été 1974 et qui n’étaient pas basées sur des décisions individuelles, en l’espèce, le constat d’existence d’une pratique administrative contraire à la Convention résultait de décisions administratives individuelles d’expulsion de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie au cours de l’automne 2006.

57. Dès lors, la Cour estime que les parties doivent être en mesure d’identifier les ressortissants géorgiens concernés et de lui fournir les informations pertinentes.

58. C’est la raison pour laquelle, conformément à l’article 60 § 2 du règlement, elle a invité le gouvernement requérant à soumettre une liste de ressortissants géorgiens victimes de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006 (voir paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Elle a également demandé au gouvernement défendeur de soumettre tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice) concernant les ressortissants géorgiens victimes de ladite politique au cours de la période en question.

59. La Cour rappelle à cet égard l’obligation de coopération des Hautes Parties contractantes énoncée à l’article 38 de la Convention et à l’article 44A du règlement. En effet, « il est de la plus haute importance, pour un fonctionnement efficace du système de recours individuel instauré par l’article 34 de la Convention, que les États contractants coopèrent autant que possible pour permettre un examen sérieux et effectif des requêtes. Ils ont ainsi obligation de fournir toutes facilités nécessaires à la Cour, que celle-ci cherche à établir les faits ou à accomplir ses fonctions d’ordre général afférentes à l’examen des requêtes » (voir, mutatis mutandis, Janowiec et autres c. Russie [GC], nos 55508/07 et 29520/09, § 202, CEDH 2013).

60. Or cette obligation de coopération, qui s’applique également dans les affaires interétatiques (voir Géorgie c. Russie (I) précité, §§ 99-110), revêt une importance particulière pour la bonne administration de la justice lorsque la Cour est amenée à accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention dans ce type d’affaires. Elle s’applique aux deux parties contractantes : d’une part au gouvernement requérant, qui doit, conformément à l’article 60 du règlement, étayer ses prétentions, mais également au gouvernement défendeur, à l’égard duquel l’existence d’une pratique administrative en violation de la Convention a été constatée dans l’arrêt au principal.

61. En l’espèce, il incombait donc également au gouvernement défendeur de produire tous les informations et documents pertinents en sa possession et ce malgré les difficultés liées à l’écoulement du temps et au rassemblement d’un nombre important de données. D’ailleurs, à l’instar du gouvernement requérant, le gouvernement défendeur a bénéficié de plusieurs prorogations de délai pour soumettre ces documents et pour les faire traduire vers l’une des deux langues officielles de la Cour.

62. Suite aux demandes réitérées de la Cour, le gouvernement requérant a soumis une liste de 1 795 victimes individuelles, assortie d’annexes, et le gouvernement défendeur lui a adressé ses commentaires, également assortis d’annexes, à cet égard. En l’espèce, la Cour a procédé à un examen préliminaire de cette liste (voir paragraphes 68 à 72 ci-dessous), même si le gouvernement défendeur n’a pas soumis tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice) concernant les ressortissants géorgiens victimes de la politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006.

63. Le gouvernement défendeur demande également à la Cour d’identifier chacune des victimes individuelles des violations constatées par elle dans le cadre de procédures contradictoires, au motif que la fonction d’établissement des faits est une prérogative exclusive de la Cour.

64. À cet égard, la Cour relève tout d’abord qu’en l’espèce il y a eu un échange d’observations des parties sur la question de la satisfaction équitable dans le respect du principe du contradictoire, comme ce fut le cas dans l’affaire Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précitée.

65. La Cour rappelle ensuite qu’elle a souligné à plusieurs reprises, et notamment dans des affaires portant sur des violations systématiques de la Convention, qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base (« specific facts ») ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (voir notamment, mutatis mutandis, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres, § 69, CEDH 2010, Burmych et autres c. Ukraine (radiation) [GC], nos 46852/13 et al., § 159 in fine, 12 octobre 2017 (extraits), Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], no 40167/06, § 32, 12 décembre 2017, et Chiragov et autres c. Arménie (satisfaction équitable) [GC], no 13216/05, § 50, 12 décembre 2017).

66. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est des demandes de satisfaction équitable présentées dans le cadre d’une affaire interétatique, qui se distingue de par sa nature d’une affaire regroupant plusieurs requêtes individuelles où les circonstances propres à chacune des requêtes sont exposées dans l’arrêt (voir, parmi beaucoup d’autres, Berdzenishvili et autres c. Russie[2], nos 14594/07 et 6 autres, 20 décembre 2016, portant sur 7 requêtes, introduites par dix-neuf requérants, et liées à l’affaire Géorgie c. Russie (I)).

67. Enfin, les États parties ont l’obligation découlant de l’article 46 § 1 de la Convention de « se conformer aux arrêts définitifs de la Cour », le rôle de surveillance et la responsabilité à cet égard étant confiés au Comité des Ministres en vertu de l’article 46 § 2 (voir, mutatis mutandis, Burmych et autres précité, § 185).

b) Méthodologie appliquée par la Cour

68. En l’espèce, la Cour a procédé à un examen préliminaire de la liste de 1 795 victimes alléguées soumise par le gouvernement requérant, ainsi que des commentaires en réponse soumis par le gouvernement défendeur, afin de déterminer la liste des ressortissants géorgiens qui peuvent être considérés comme victimes d’une violation de la Convention.

69. Compte tenu du cadre numérique général sur lequel la Cour s’est fondée pour conclure aux violations de la Convention dans son arrêt au principal (voir paragraphe 48 ci-dessus), elle part du principe que les personnes mentionnées sur la liste du gouvernement requérant peuvent être considérées comme victimes de violations de la Convention pour lesquelles le gouvernement défendeur a été déclaré responsable. Eu égard au fait que les constats de violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 4 concernent des victimes individuelles et sont basés sur des événements qui se sont produits sur le territoire du gouvernement défendeur, la Cour estime que dans les circonstances particulières de la présente affaire, la charge de la preuve revient alors au gouvernement défendeur à qui il incombe de démontrer de manière effective que les personnes figurant sur la liste du gouvernement requérant n’ont pas le statut de victimes. Il en résulte que si l’examen préliminaire a permis à la Cour de conclure de manière satisfaisante qu’une personne a été victime d’une ou de plusieurs violations de la Convention, et que le gouvernement défendeur n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle n’avait pas le statut de victime, cette personne sera incluse sur la liste finale interne pour déterminer la somme globale à accorder au titre de la satisfaction équitable (voir paragraphe 71 ci-dessous).

70. Dans le cadre de cet examen préliminaire, la Cour s’est basée sur les documents qui lui ont été soumis par les parties ainsi que sur le fait que le gouvernement défendeur lui-même a reconnu qu’un certain nombre parmi les ressortissants géorgiens figurant sur la liste du gouvernement requérant pouvaient être considérées comme victimes. En revanche, 290 personnes mentionnées sur cette liste ne sauraient être considérées comme telles notamment aux motifs suivants, exposés à juste titre par le gouvernement défendeur : elles figurent plus d’une fois sur cette liste ; elles ont déposé des requêtes individuelles[3] devant la Cour ; elles ont soit acquis la nationalité russe, soit disposé dès le départ d’une nationalité autre que la nationalité géorgienne ; elles ont fait l’objet de décisions d’expulsion avant ou après la période en question ; elles ont utilisé avec succès les voies de recours disponibles ; elles n’ont pu être identifiées ou leurs griefs n’étaient pas suffisamment étayés en raison des informations insuffisantes soumises par le gouvernement requérant (voir, mutatis mutandis, Lisnyy c. Ukraine et Russie, nos 5355/15, 44913/15 et 50852/15, 5 juillet 2016, quant à l’obligation des requérants d’étayer leurs allégations devant la Cour).

71. Dès lors, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, la Cour considère qu’elle peut se baser sur un groupe « suffisamment précis et objectivement identifiable » d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens qui ont été victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4 (expulsion collective) dans le cadre de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006.

72. Parmi ceux-ci, un certain nombre ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 (privation illégale de liberté) et 3 (conditions de détention inhumaines et dégradantes) de la Convention.

2. Critères à appliquer pour l’octroi d’une satisfaction équitable pour dommage moral

73. La Cour rappelle qu’aucune disposition de la Convention ne prévoit expressément le versement d’une indemnité pour dommage moral. Dans les arrêts Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 224, CEDH 2009, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), § 56, et Sargsyan et Chiragov (respectivement §§ 39 et 57) précités, la Cour a confirmé les principes suivants, qu’elle a progressivement élaborés dans sa jurisprudence. Les situations où le requérant a subi un traumatisme évident, physique ou psychologique, des douleurs et souffrances, de la détresse, de l’angoisse, de la frustration, des sentiments d’injustice ou d’humiliation, une incertitude prolongée, une perturbation dans sa vie ou une véritable perte de chances peuvent être distinguées de celles où la reconnaissance publique, dans un arrêt contraignant pour l’État contractant, du préjudice subi par le requérant représente en elle‑même une forme adéquate de réparation. Dans certaines situations, le constat par la Cour de la non-conformité aux normes de la Convention d’une loi, d’une procédure ou d’une pratique est suffisant pour redresser la situation. Toutefois, dans d’autres situations, l’impact de la violation peut être considéré comme étant d’une nature et d’un degré propres à avoir porté au bien-être moral du requérant une atteinte telle que cette réparation ne suffit pas. Ces éléments ne se prêtent pas à un calcul ou à une quantification précise. La Cour n’a pas non plus pour rôle d’agir comme une juridiction nationale appelée, en matière civile, à déterminer les responsabilités et à octroyer des dommages‑intérêts. Elle est guidée par le principe de l’équité, qui implique avant tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, c’est‑à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise. Les indemnités qu’elle alloue pour dommage moral ont pour objet de reconnaître le fait qu’une violation d’un droit fondamental a entraîné un préjudice moral et elles sont chiffrées de manière à refléter approximativement la gravité de ce préjudice.

74. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens qui ont été victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, ainsi que ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention, dans le cadre de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006, ont subi des traumatismes et éprouvé des sentiments de détresse, d’angoisse et d’humiliation au cours de cette période.

75. Dès lors, malgré le nombre élevé de facteurs impondérables dus notamment à l’écoulement du temps qui entrent ici en jeu, une indemnité pour dommage moral peut être octroyée. Quant au calcul du niveau de la satisfaction équitable à accorder, la Cour jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation dont elle use en fonction de ce qu’elle estime équitable (voir, mutatis mutandis, Sargsyan et Chiragov précités, §§ 56 et 79). La Cour rappelle à cet égard qu’elle a toujours dans le passé exclu l’attribution de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires, même si ces demandes provenaient de victimes individuelles d’une pratique administrative (voir, en dernier lieu, Greens et M.T. c. Royaume-Uni, nos 60041/08 et 60054/08, § 97, CEDH 2010 (extraits), qui résume la jurisprudence de la Cour sur ce point).

76. Eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, la Cour, statuant en équité, juge raisonnable d’allouer au gouvernement requérant la somme globale de 10 000 000 EUR (10 millions d’euros) pour dommage moral subi par ce groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens.

77. Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que cette somme doit être distribuée par le gouvernement requérant aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal, qui devra verser un montant de 2 000 EUR aux ressortissants géorgiens qui ont été victimes uniquement d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, et un montant allant de 10 000 à 15 000 EUR à ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention. En effet, pour ces derniers, il convient de prendre en compte la durée de leurs détentions respectives, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir notamment Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 142, 10 janvier 2012, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 94, 22 mai 2012).

78. La Cour rappelle par ailleurs qu’il incombe au gouvernement défendeur de remplir ses obligations juridiques découlant de l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1, en se conformant à l’arrêt de la Cour ainsi qu’aux mesures concrètes prises par le Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution de cet arrêt (voir notamment, mutatis mutandis, Varnava et autres, précité, § 222, Ališić et autres c. Bosnie‑Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 142, CEDH 2014, et Burmych et autres, précité, §§ 185-192).

79. Dans les circonstances particulières de l’espèce, elle estime également qu’il appartient au gouvernement requérant de mettre en place un mécanisme effectif pour la distribution des sommes précitées aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal en tenant compte des indications données ci-dessus par la Cour (voir paragraphe 77), et en excluant les personnes qui ne sauraient être qualifiées de victimes conformément aux critères exposés ci-dessus (voir paragraphe 70). Ce mécanisme devra être mis en place sous la supervision du Comité des Ministres et en conformité avec toutes modalités pratiques fixées par celui‑ci afin de faciliter l’exécution de l’arrêt. Cette distribution devra être effectuée dans un délai de dix-huit mois à compter de la date du paiement par le gouvernement défendeur ou dans tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 59).

80. Enfin, la Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par seize voix contre une, que l’article 41 de la Convention s’applique en l’espèce ; 

2. Dit, par seize voix contre une, 

a) que l’État défendeur doit verser au gouvernement requérant, dans les trois mois, 10 000 000 EUR (dix millions d’euros) pour dommage moral subi par un groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens ; 

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 

c) que ce montant sera distribué par le gouvernement requérant aux victimes individuelles, en versant 2 000 EUR aux ressortissants géorgiens qui ont été uniquement victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, et de 10 000 à 15 000 EUR à ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention, en prenant en compte la durée de leurs détentions respectives ; 

d) que cette distribution sera effectuée sous la surveillance du Comité des Ministres, dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de versement ou dans tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié et en conformité avec toutes modalités pratiques fixées par celui-ci afin de faciliter l’exécution de l’arrêt. 

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 31 janvier 2019.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE DEDOV (Traduction)

Je me trouve au sein de la minorité en la présente affaire car j’ai voté contre les constats de violations dans l’arrêt au principal. Sur la question de la satisfaction équitable, le présent arrêt représente, dans une certaine mesure, une évolution progressive de la jurisprudence donnant des indications aux fins de l’exécution de l’arrêt au principal. Cependant, le principal problème reste non résolu. Je regrette que la Cour n’ait pas permis que la somme accordée à titre de satisfaction soit distribuée directement par l’État défendeur en collaboration avec le gouvernement requérant, comme cela devrait se passer dans le cadre des relations internationales entre États souverains. Au contraire, la Cour s’en est remise exclusivement à l’État requérant pour que celui-ci crée un mécanisme effectif de distribution des sommes postérieurement, et non antérieurement, au versement de celles-ci par l’État défendeur. Un tel algorithme exclut l’État défendeur de toute participation à la distribution et porte atteinte au statut de la Fédération de Russie en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe, l’assimilant à la situation de l’auteur d’une infraction condamné à verser une somme qui sera ensuite distribuée à la discrétion de l’État. La procédure d’exécution sur le plan national et international devrait en effet être différente.

Sociedad Anonima Del Ucieza c. Espagne du 20 décembre 2016 requête n°38963/08

Article 41 : La CEDH rappelle que l'État a obligation de réparer une violation de la convention. L'immeuble ne peut pas être rendu, Par conséquent l'État doit payer l'équivalent de sa valeur finacière.

i. Les principes généraux applicables

12. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 1999‑II). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés qui y sont garantis (article 1 de la Convention). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I).

ii. Application au cas d’espèce

13. En l’espèce, la Cour rappelle avoir conclu que la requérante a subi un préjudice en raison de l’immatriculation de son bien par l’Église catholique, que cette immatriculation était autorisée par la loi interne, que cette possibilité offerte à l’Église n’avait pas de justification apparente et que l’Évêché de Palencia n’avait pas contesté, dans les délais légaux (arrêt au principal, § 51), le droit de propriété de la requérante à l’époque de l’inscription par celle-ci de son bien au livre foncier. Dès lors, la requérante a « supporté une charge spéciale et exorbitante », que seule aurait pu rendre légitime la possibilité de contester utilement, et en tenant compte des dispositions applicables du droit hypothécaire, la mesure prise à son égard (arrêt au principal, § 101). Dans ces circonstances, seule la déclaration de nullité de l’inscription foncière en faveur de l’Évêché de Palencia placerait l’intéressée, autant que possible, dans une situation équivalente à celle où elle se trouverait si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues. Toutefois, la Cour note que, selon le Gouvernement, pour que ladite déclaration de nullité et l’inscription ultérieure de la propriété au registre foncier puissent intervenir, la requérante devrait introduire une nouvelle procédure devant les juridictions internes, l’Évêché de Palencia devrait être entendu dans le cadre de cette procédure et, à l’issue de cette dernière, la Cour devrait ordonner à l’État de procéder à l’inscription foncière en cause. Le cas échéant, la requérante devrait encore, afin de redonner effet utile à son titre de propriété à la suite de la réinscription foncière ainsi obtenue, entamer de nouveau une procédure judiciaire afin d’obtenir que soient déclarées nulles les décisions judiciaires rendues à son encontre (paragraphe 27 ci-dessous). La Cour note que, dans ses observations de septembre 2015, le Gouvernement indique en outre que la requérante devrait entamer une procédure en révision devant le Tribunal suprême contre les décisions judiciaires définitives rendues en l’espèce, conformément aux modifications apportées à la loi organique 6/1985 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire et au code de procédure civile, relatives au nouveau recours en révision, en vigueur depuis le 1er octobre 2015 (paragraphe 12 ci-dessus).

14. Dans ces conditions, la Cour estime que la restitutio in integrum du bien litigieux selon les modalités proposées par le Gouvernement ne paraît pas appropriée pour effacer les conséquences des violations constatées dans son arrêt au principal.

15. En premier lieu, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, la Cour ne peut en aucun cas inviter l’Évêché de Palencia à intervenir, en tant que tierce partie, dans la présente procédure relative à la satisfaction équitable, afin que ce dernier se prononce sur la déclaration de nullité de l’inscription foncière à l’origine du litige que la Cour a déjà jugée contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (arrêt au principal, § 102 et point 3 du dispositif).

16. En second lieu, la Cour constate que la requérante a déjà engagé une procédure visant à obtenir que la nullité de l’immatriculation en cause soit prononcée et qu’elle en a été déboutée par des décisions judiciaires que la Cour a estimées contraires à l’article 1 du Protocole no 1 et à l’article 6 de la Convention (arrêt au principal, § 10 et suivants). Il n’incombe pas à la Cour, à la suite des constats de violation en cause, de contraindre la requérante, dans une affaire qui remonte à 1994, à introduire, comme le Gouvernement l’indique, de nouvelles voies de recours internes en exécution de son arrêt définitif afin d’obtenir reconnaissance, par les juridictions internes, des droits que la Cour lui a déjà reconnus. La Cour ne peut obliger l’intéressée à engager, soit une nouvelle procédure afin d’obtenir que l’inscription foncière soit déclarée nulle et, au cas où elle obtiendrait gain de cause, à engager encore d’autres procédures en revendication de propriété, tel que le Gouvernement l’indique dans ses observations initiales, soit une procédure en révision comme le Gouvernement l’indique dans ses observations de septembre 2015. En tout état de cause, il faut rappeler que la règle selon laquelle les voies de recours internes doivent être épuisées ne s’applique pas aux demandes de satisfaction équitable soumises à la Cour en vertu de l’article 41 (anciennement 50) de la Convention (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (article 50), 10 mars 1972, § 16, série A no 14, Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 67, CEDH 2006‑IX (extraits), et Dimitrovi c. Bulgarie (satisfaction équitable), no 12655/09, § 16, 21 juillet 2016).

17. Dans ces circonstances, la Cour considère que la meilleure forme de réparation consiste en l’octroi par l’État d’une indemnité pour le dommage matériel et le dommage moral que l’intéressée a subi du fait de l’ingérence dans son droit de propriété.

18. Concernant le montant de l’indemnisation, la Cour rappelle que, dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Cour a jugé opportun de revoir la jurisprudence élaborée dans l’arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce ((article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B) en adoptant une nouvelle approche concernant les critères d’indemnisation dans les affaires relatives à une privation illégale du droit de propriété. Il en va de même pour les privations légales mais non justifiées dudit droit. La Cour a ainsi considéré que l’indemnisation devait correspondre à la valeur pleine et entière du bien immeuble en cause au moment de la privation des droits dérivés de l’inscription foncière, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne (Yianopulu c. Turquie (satisfaction équitable), no 12030/03, § 17, 31 mai 2016). En l’espèce, la Cour prend en compte le rapport établi en février 2000 par l’expert désigné par le tribunal de première instance no 5 de Palencia et dont l’estimation a servi de base au calcul des frais et dépens devant le Tribunal suprême.

19. La Cour observe que le caractère adéquat d’un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur tel que, en l’occurrence, l’écoulement d’un laps de temps considérable depuis la fixation de la valeur de l’église par l’expert auprès du Tribunal suprême. Elle rappelle toutefois qu’elle a conclu, dans son arrêt au principal, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 uniquement en ce que la requérante a été victime de l’exercice par l’Église catholique du droit d’immatriculation que lui reconnaissait de manière injustifiée la législation interne, alors même que l’Église n’a pas contesté, dans les délais légaux, le droit de propriété de la requérante à l’époque où cette dernière avait inscrit son bien au livre foncier. La Cour prend par ailleurs en considération le montant retenu par les tribunaux espagnols pour fixer les frais et dépens afférents à la procédure (paragraphe 8 ci-dessus) ainsi que le fait qu’il n’existe pas, en Espagne, de marché pour la vente d’une église cistercienne.

20. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante 600 000 EUR au titre du dommage matériel.

2. Dommage découlant de la violation de l’article 6 de la Convention

a) Les arguments des parties

21. La requérante estime avoir subi un préjudice patrimonial en raison des frais et dépens qu’elle a engagés devant les juridictions internes. Elle chiffre ce préjudice à 116 477,36 EUR. Elle indique que, même si son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable, le montant retenu pour fixer les frais et dépens était de 600 000 EUR.

22. Le Gouvernement s’oppose à cette prétention et considère que, la restitutio in integrum étant possible par divers moyens prévus dans la législation espagnole, il n’y a pas lieu d’accorder de satisfaction équitable en application de l’article 41 de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

23. Concernant l’indemnité pour préjudice matériel réclamée par la requérante au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans la procédure interne, la Cour renvoie à la conclusion figurant au paragraphe 124 de l’arrêt au principal ainsi qu’au point 6 du dispositif de cet arrêt.

B. Dommage moral

1. Les arguments des parties

24. Pour ce qui est du dommage moral qu’elle estime avoir subi, la requérante s’en remet à la sagesse de la Cour, tant pour les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 que pour ceux concernant l’article 6 de la Convention.

25. De son côté, le Gouvernement estime que la restituo in integrum est possible et que, après une déclaration de nullité de l’immatriculation faite par l’Église (paragraphe 9 ci-dessous), la requérante bénéficierait de nouveau de la présomption juris tantum de propriété. Il ajoute qu’elle pourrait ensuite revendiquer la propriété de l’église cistercienne en exerçant une action en revendication ou qu’elle pourrait, le cas échéant, s’opposer à une action déclarative de propriété exercée par l’Église. Dans son mémoire de septembre 2015, le Gouvernement fait référence au nouveau recours en révision censé être entré en vigueur le 1er octobre 2015 (paragraphe 11 ci‑dessus).

2. L’appréciation de la Cour

26. S’agissant des demandes de la requérante au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi, la Cour rappelle qu’elle ne peut pas exclure, au vu de sa propre jurisprudence et à la lumière de sa pratique, qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, §§ 31 et suivants, CEDH 2000‑IV).

27. Dans la présente affaire, la Cour estime que l’impossibilité de voir annuler l’immatriculation de l’église cistercienne en cause, intervenue plus de seize ans après que la requérante avait procédé à l’inscription foncière du même bien, a fait subir à celle-ci des désagréments considérables et une incertitude prolongée, ne serait-ce que sur la conduite des affaires courantes de la société, ainsi que des frais et dépens conséquents. S’agissant du préjudice moral, la Cour considère qu’il ne saurait être exigé de l’intéressée, pour les raisons exposées au paragraphe 13 ci-dessus, qu’elle exerce les voies de recours que nécessiterait, selon le Gouvernement, la restitutio in integrum qu’il suggère, après son constat de violation de la Convention. Elle estime que, compte tenu de la violation constatée en l’espèce, une indemnité pour préjudice moral doit être accordée à la requérante. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui allouer 15 600 EUR à ce titre.

C. Intérêts moratoires

28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

ÜNAL AKPINAR İNŞAAT, SANAYİ, TURİZM, MADENCİLİK VE TİCARET S.A. c. TURQUIE du 8 septembre 2015 Requête 41246/98

ARTICLE 41: La satisfaction équitable doit effacer les conséquences de la violation de la Convention pour se rapprocher le plus possible de la situation si la violation n'avait pas eu lieu. S'il s'agit d'une violation arbitraire, la réparation doit être totale, s'il s'agit d'une rupture d'un juste équilibre, la réparation peut ne pas être complète si la chose ne peut être rendue. En cas de compensation financière, les montants doivent avoir été invoqués devant les juridictions internes même si l'obligation d'épuisement des voies de recours internes n'existent pas en matière d'article 41 de la Convention. Une société commerciale peut obtenir une indemnisation de préjudice moral subi par ses administrateurs. En l'espèce la CEDH a librement fixé le préjudice à 5 000 euros. Le préjudice matériel est fixé à 1 million d'euros.

CEDH

49. Avant d’aborder ce chapitre, la Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (voir, par exemple, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 33, CEDH 2014, et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI). En d’autres termes, la réparation du dommage matériel doit aboutir à la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu.

Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un tel arrêt. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même (voir, parmi d’autres, Di Belmonte c. Italie (no 1), no 72638/01, § 54, 16 mars 2010, et Guiso-Gallisay c. Italie [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009) ; si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH
2001-I), étant entendu que le caractère illégitime de la situation à l’origine de la violation constatée se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l’État défendeur (Terazzi S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 27265/95, § 32, 26 octobre 2004, et Sovtransavto Holding c. Ukraine (satisfaction équitable), no 48553/99, § 55, 2 octobre 2003).

50. Au vu de ce qui précède, il convient de préciser que, dans son arrêt au principal, la Cour n’a pas conclu à la violation du principe de légalité, en raison d’une situation caractérisée par des mesures illégales en leurs motifs, sinon arbitraires, ayant frappé les biens de la requérante (voir, entre autres, Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, § 36, 11 décembre 2003) ; elle a seulement constaté une rupture du « juste équilibre », sachant que pareil constat ne justifie point une restitutio in integrum (voir, par exemple, Buffalo S.r.l. en liquidation c. Italie (satisfaction équitable), no 38746/97, § 24, 22 juillet 2004, et Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 20, 28 mai 2002
– comparer avec, Süzer et Eksen Holding A.Ş. c. Turquie, no 6334/05, § 169, 23 octobre 2012).

Dans ces conditions, le rétablissement de « la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu » se limite, en l’espèce, au paiement d’une indemnisation adéquate correspondant au préjudice matériel subi (damnum emergens), aucun fondement n’existant pour demander un quelconque manque à gagner (voir, mutatis mutandis, Vistiņš et Perepjolkins, précité, §§ 334 à 36, et Pialopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), no 37095/97, § 17, 27 juin 2002), ce que la requérante ne réclame d’ailleurs pas (paragraphe 36 in fine ci-dessus).

51. À cet égard, la requérante précise qu’elle vise à obtenir « l’actualisation de ses avoirs », soit « la réparation de l’intégralité de ses pertes dues à l’usure de l’inflation » (paragraphes 31 et 41 in fine ci-dessus). Pour la Cour, cette demande cadre avec les principes dégagés de sa jurisprudence relativement à l’actualisation des sommes en jeu afin de compenser les effets de l’inflation (voir, mutatis mutandis, Chinnici c. Italie (no 2), no 22432/03, § 62, 14 avril 2015, Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 105, 22 décembre 2009, et Beyeler, précité, § 23), étant donné que le caractère adéquat d’un dédommagement risque effectivement de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 258, CEDH 2006‑V, Buffalo S.r.l. en liquidation, précité, § 26, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 82, série A no 301‑B).

Toutefois, les circonstances très particulières de la présente cause dispensent la Cour de recourir aux méthodes d’évaluation préconisées par cette jurisprudence, pour les raisons qui suivent.

52. À l’époque pertinente, la voie ouverte par l’article 105 de l’ACO était fondée sur l’idée de remettre le créancier dans la situation qui aurait été la sienne si le débiteur s’était exécuté à l’échéance de sa dette. Elle constituait ainsi, en théorie, une voie de dédommagement adéquate permettant aux personnes lésées de faire valoir différentes sources de pertes et d’obtenir ainsi la réparation de leur préjudice non-compensé par les intérêts moratoires (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Dès lors que l’action-pilote diligentée par la requérante avait bel et bien été accueillie par le tribunal et la somme allouée au titre du préjudice excédentaire, confirmée par la 15ème Chambre de la Cour de cassation, force est de reconnaître que cette voie était également accessible et adéquate, en pratique (voir, Naci Balkar (Baltutan) et ANO İnşaat ve Ticaret Ltd. Şti. c. Turquie (déc.), no 9522/03, 7 juillet 2008, et Kat İnşaat Ticaret Kollektif Şirketi/İsmet Kamış ve Ortakları c. Turquie (déc.), no 74495/01, 31 janvier 2006).

53. Les éléments constitutifs du préjudice excédentaire allégué devant la Cour étant comparables, sinon identiques, à ceux de la perte que la requérante avait cherché à faire indemniser d’abord par le biais d’une action-pilote puis d’une action complémentaire, il y a donc chevauchement entre la nature des demandes présentées sur le plan de droit interne et à Strasbourg. Aussi la Cour ne peut-elle que souscrire à la thèse principale du Gouvernement (paragraphe 43 ci-dessus).

En l’espèce, le 13 décembre 2002, la requérante a saisi le tribunal d’une demande complémentaire qui, tout compte fait, s’élevait à 244 958 TRY (244 958 359 974 TRL) (paragraphes 15 et 24 in limine ci-dessus), somme qui alors équivalait environ à 160 000 USD[11]. La requérante n’ayant réservé aucun droit quelconque dans son mémoire introductif d’instance, la somme réclamée devait forcément représenter pour elle le montant total et définitif de son préjudice excédentaire.

54. Certes, ladite somme est sans commune mesure avec le capital de 34 124 621 USD que la requérante a constamment fait valoir au regard de l’article 41. Celle-ci n’a d’ailleurs jamais expliqué les raisons qui l’auraient conduite à limiter l’objet de son action complémentaire à 244 958 TRY.

Quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas à chercher une réponse à ce sujet, car, comme le Gouvernement le fait remarquer (paragraphe 35 ci-dessus), il y a lieu de présumer que, avant de saisir le tribunal, la requérante – en sa qualité de société commerciale – était censée avoir chiffré sa demande complémentaire après mûre réflexion et à l’issue de calculs précis réalisés à partir de ses propres documents comptables et livres de commerce.

55. À cet égard, il faut rappeler qu’une satisfaction équitable ne peut être accordée que s’il n’existe pas en droit interne un recours propre à déboucher sur un résultat aussi proche que possible d’une restitutio in integrum (Camp et Bourimi c. Pays-Bas, no 28369/95, § 44, CEDH 2000‑X). Or un tel recours existait en l’espèce, en vertu des dispositions de l’article 105 de l’ACO qui auraient sans doute permis d’effacer, fût-il en partie, les conséquences matérielles de la violation constatée en l’espèce.

Si la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne joue pas dans le domaine de l’article 41 (Matache et autres c. Roumanie (satisfaction équitable), no 38113/02, § 16, 17 juin 2008 ; Bozano c. France, 18 décembre 1986, § 66, série A no 111, et Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 113, série A no 39) il n’en demeure pas moins que la somme réclamée devant la Cour, à défaut d’avoir été revendiquée par le biais de la voie de dédommagement offerte par l’article 105 de l’ACO, reste une somme qui n’a jamais été constatée par une décision judiciaire ayant force de chose jugée (voir, notamment, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, précité).

Aussi la requérante ne peut-elle réclamer cette somme pour la première fois devant la Cour, au titre du dommage matériel (pour une situation comparable, voir Süzer et Eksen Holding A.Ş., précité, § 172, voir aussi, mutatis mutandis, Clinique Psychiatrique « Athina » Vrilission Sàrl et Clinique Lyrakou S.A. c. Grèce, no 32838/07, § 48, 2 juillet 2009, Castren-Niniou c. Grèce, no 43837/02, § 51, 9 juin 2005, Union des cliniques privées de Grèce et autres c. Grèce, no 6036/07, § 58, 15 octobre 2009, et Lo Tufo c. Italie, no 64663/01, §§ 67-69, CEDH 2005‑III).

56. La Cour conclut donc que le montant du capital relatif au préjudice excédentaire allégué en l’espèce ne peut que correspondre au montant chiffré devant les juridictions internes à ce même titre, soit à la somme de 244 958 TRY.

Ceci étant, elle est d’un avis différent de celui du Gouvernement (paragraphes 24 et 25 ci-dessus) quant à l’actualisation de la valeur de cette somme par l’application d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le laps de temps écoulé depuis le 13 décembre 2002.

Quant à la nature de ces intérêts, il convient de noter que, dans son action complémentaire, la requérante avait demandé l’application d’intérêts FPM, simples par définition (paragraphe 15 ci-dessus). Or la Cour observe que celle-ci ne pouvait faire autrement compte tenu de la prohibition de l’anatocisme posée par l’article 104 § 3 de l’ACO (paragraphe 21 ci-dessus). Partant, la Cour estime pouvoir s’en tenir à sa jurisprudence pertinente pour des cas similaires, selon laquelle, les intérêts en question doivent correspondre aux intérêts composés, c’est-à-dire à l’intérêt légal simple – en l’occurrence, les intérêts FPM – appliqué au capital progressivement réévalué (Guiso-Gallisay, précité, § 105, et Scordino c. Italie (no 1), précité, § 258).

57. Partant, la Cour estime pouvoir prendre pour base d’évaluation la somme de 2 801 452,44 TRY (équivalant environ à 956 127 EUR), inclusive d’intérêts composés, telle que fixée par le comité d’experts (paragraphe 38 ci-dessus). Ensuite, elle note que, cette somme ayant été déterminée pour la période du 13 décembre 2002 au 5 janvier 2013, il faut également tenir compte des intérêts à échoir pour la période subséquente allant du 5 janvier 2013 jusqu’à la date de ce présent arrêt. Elle note aussi que le montant de 2 974 093 750 TRL correspondant au préjudice excédentaire (paragraphes 30 et 40 ci-dessus), et qui était comprise dans le total de 288 446,89 TRY (paragraphe 3 ci-dessus) déjà versée par l’administration, est à déduire de la somme à décider au titre de l’article 41.

58. Tout compte fait, réaffirmant que son appréciation n’a pas à refléter l’idée d’un effacement total des conséquences de la violation constatée en l’espèce (paragraphe 50 ci-dessus), la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante, pour dommage matériel, la somme globale de 1 000 000 EUR plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur celle-ci.

B. Dommage moral

59. La requérante demande également une réparation morale, laissant à la Cour d’en décider du montant, en équité.

60. Le Gouvernement prie la Cour de rejeter cette prétention.

61. La Cour constate que la requérante n’a pas soumis de demande chiffrée, s’en remettant à la sagesse de la Cour (Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 48, CEDH 2004‑I). Celle-ci ne peut pas exclure, au vu de sa propre jurisprudence, qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire. Le préjudice autre que matériel peut en effet comporter, pour une telle société, des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs ». Parmi ces éléments, il faut reconnaître la réputation de l’entreprise, mais également l’incertitude dans la planification des décisions à prendre, les troubles causés à la gestion de l’entreprise elle-même, dont les conséquences ne se prêtent pas à un calcul exact, et enfin, quoique dans une moindre mesure, l’angoisse et les désagréments éprouvés par les membres des organes de direction de la société (voir, par exemple, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 35, CEDH 2000‑IV, et Buffalo S.r.l. en liquidation, précité, § 28).

62. Dans la présente affaire, le prolongement de la procédure litigieuse et le fait d’avoir été privée de la possibilité de bénéficier rapidement du recouvrement des créances en jeu ont dû causer, dans le chef de la requérante ainsi que de ses ad

ministrateurs et associés, des désagréments considérables, ne serait-ce que sur la conduite des affaires courantes de la société. À cet égard, on peut donc estimer que la requérante a longtemps été laissée dans une situation d’incertitude qui justifie l’octroi d’une indemnité.

63. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour lui alloue, à ce titre, la somme de 5 000 EUR.

Jusic contre Suisse du 2 décembre 2010 requête 4691/06

106.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

107.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

108.  Le Gouvernement est d’avis qu’un constat de violation du droit à la liberté et à la sûreté constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral dont le requérant aurait pu souffrir. A titre subsidiaire, il estime que l’octroi d’une somme de 5 000 CHF (environ 3 846 EUR) au titre du dommage moral serait équitable.

109.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme qu’il réclame, soit 10 000 EUR, au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ladite somme.

GUISO-GALLISAY c. ITALIE 22 décembre 2009 requête n° 58858/00

49.  Selon une règle de droit international général dégagée par la Cour permanente de justice internationale dans l'arrêt rendu le 13 septembre 1928 en l'affaire relative à l'usine de Chorzów (Affaire relative à l'usine de Chorzów (demande en indemnité) (fond), Recueil des arrêts de la CPJI, série A no 17), il y a lieu de distinguer entre « expropriation » et « mainmise » sur des biens :

« L'acte de la Pologne que la Cour a jugé être contraire à la Convention de Genève, n'est pas une expropriation à laquelle n'aurait manqué, pour être légitime, que le paiement d'une indemnité équitable ; c'est une mainmise sur des biens, droits et intérêts qui ne pouvaient être expropriés même contre indemnité, sauf dans les conditions exceptionnelles déterminées par l'article 7 de ladite Convention. Comme la Cour l'a expressément constaté dans son Arrêt no 8, la réparation est, en l'espèce, la conséquence non pas de l'application des articles 6 à 22 de la Convention de Genève, mais d'actes qui sont contraires aux dispositions de ces articles. »

50.  Le tribunal arbitral irano-américain a opéré la même distinction dans l'affaire Amoco International Finance Corporation (Amoco International Finance Corporation c. Iran, sentence interlocutoire du 14 juillet 1987, Recueil du tribunal arbitral irano-américain (1987-II), § 192) :

« (...) il convient de distinguer nettement entre expropriations licites et expropriations illicites, puisque les règles applicables à l'indemnité que devra verser l'Etat ayant procédé à l'expropriation varient en fonction de la qualification juridique de la dépossession. »

51.  En droit international général, la « mainmise » sur des biens, ou l'« expropriation illicite », donne lieu à l'application des principes suivants (Affaire relative à l'usine de Chorzów) :

« Il s'ensuit que l'indemnité due au Gouvernement allemand n'est pas nécessairement limitée à la valeur qu'avait l'entreprise au moment de la dépossession, plus les intérêts jusqu'au jour du paiement. Cette limitation ne serait admissible que si le Gouvernement polonais avait eu le droit d'exproprier et que si son tort se réduisait à n'avoir pas payé aux deux Sociétés le juste prix des choses expropriées ; dans le cas actuel, elle pourrait aboutir à placer l'Allemagne et les intérêts protégés par la Convention de Genève, et pour lesquels le Gouvernement allemand a pris fait et cause, dans une situation plus défavorable que celle dans laquelle l'Allemagne et ces intérêts se trouveraient si la Pologne avait respecté ladite Convention. Une pareille conséquence serait non seulement inique, mais aussi et avant tout incompatible avec le but visé par les articles 6 et suivants de la Convention, voire la défense, en principe, de liquider des biens, droits et intérêts des ressortissants allemands et des sociétés contrôlées par des ressortissants allemands en Haute-Silésie, car elle équivaudrait à identifier la liquidation licite et la dépossession illicite en ce qui concerne leurs effets financiers.

Le principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n'est pas possible, paiement d'une somme correspondant à la valeur qu'aurait la restitution en nature ; allocation, s'il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place ; tels sont les principes desquels doit s'inspirer la détermination du montant de l'indemnité due à cause d'un fait contraire au droit international. »

52.  La sentence arbitrale rendue le 19 janvier 1977 en l'affaire California Asiatic Oil Company et Texaco Overseas Petroleum Company c. République arabe de Libye ([1978] 17 International Legal Materials 1) ne portait pas sur une dépossession au sens strict mais sur le retrait de concessions d'exploitation de gisements de pétrole brut accordées depuis de nombreuses années. Dans cette affaire, l'arbitre unique a considéré que les concessions avaient un caractère contractuel et que, en nationalisant les intérêts des sociétés demanderesses, la Libye avait dénoncé de manière illicite des obligations qu'elle avait librement contractées dans l'exercice de sa souveraineté. Estimant que le principe de la restitutio in integrum trouvait à s'appliquer, il a déclaré que la Libye devait exécuter pleinement ses obligations contractuelles. L'affaire s'est terminée par une transaction aux termes de laquelle les sociétés ont pu disposer d'une quantité de pétrole brut correspondant à une somme déterminée, mais n'ont pas obtenu le rétablissement du statu quo ante.

53.  L'article 35 du projet d'articles sur la responsabilité des Etats, élaboré par la Commission du droit international des Nations unies, rappelle le principe de la restitutio in integrum en ces termes :

« L'Etat responsable du fait internationalement illicite a l'obligation de procéder à la restitution consistant dans le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu'une telle restitution :

a) n'est pas matériellement impossible ;

b) n'impose pas une charge hors de toute proportion avec l'avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l'indemnisation. »

54.  L'article 36 de ce même projet dispose :

« 1. L'Etat responsable du fait internationalement illicite est tenu d'indemniser le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n'est pas réparé par la restitution.

(...) »

EN DROIT

55.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.»

A.  Dommage matériel

1. L'arrêt de la chambre

56.  Dans son arrêt du 21 octobre 2008, la chambre a procédé à un revirement de jurisprudence concernant l'application de l'article 41 dans les cas d'expropriation indirecte. La chambre, par six voix contre une, a :

–  abandonné la méthode habituelle consistant à se fonder sur la valeur marchande actualisée du terrain, augmentée de la plus-value apportée par les bâtiments édifiés par l'expropriant ;

–  adopté une méthode nouvelle fondée sur la valeur marchande du bien à la date à laquelle les intéressés ont eu la certitude juridique d'avoir perdu leur droit de propriété, la somme ainsi obtenue étant majorée des intérêts dus au jour de l'adoption de l'arrêt de la Cour et minorée de l'indemnité éventuellement déjà reçue.

Elle a justifié son revirement par :

–  la crainte d'introduire des inégalités de traitement entre les requérants en fonction de la nature de l'ouvrage public bâti par l'administration, qui n'a pas nécessairement de lien avec le potentiel du terrain dans sa qualité originaire ;

–  le souci de ne pas laisser place à une marge d'arbitraire ;

–  le refus d'attribuer à l'indemnisation un but punitif ou dissuasif à l'égard de l'Etat défendeur, au lieu d'une fonction compensatoire pour le requérant ;

–  la prise en compte du changement de législation (loi de finances de 2007) intervenu à la suite des arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 et prévoyant qu'en cas d'expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n'étant admise.

57.  La Cour a alloué aux requérants 1 803 374 euros (EUR) pour dommage matériel, 45 000 EUR pour dommage moral et 30 000 EUR pour frais et dépens.

L'appréciation de la Grande Chambre

90.  Ainsi que la Cour l'a dit à plusieurs occasions, un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu précité).

91.  Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l'ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (paragraphes 93-97). L'acte de l'Etat défendeur que la Cour a tenu pour contraire à la Convention n'était pas en l'espèce une expropriation qui eût été légitime si une indemnité adéquate avait été versée ; au contraire, il s'agissait d'une mainmise de l'Etat sur les terrains des requérants (paragraphes 94-95 de l'arrêt au principal).

92.  A cet égard, la Cour a relevé que, le 14 juillet 1997, le tribunal de Nuoro avait pris note de la situation d'illégalité et déclaré les requérants privés de leurs biens au bénéfice de l'occupant (paragraphe 94 de l'arrêt au principal). En exécution de ce jugement, confirmé le 17 juillet 2003, les requérants ont reçu le 25 mars 1998, à titre de dédommagement, 970 746 447 lires italiennes chacun (environ 501 349 EUR). S'agissant de l'indemnité, la Cour a constaté que l'application rétroactive de la loi budgétaire no 662 de 1996 au cas d'espèce avait eu pour effet de priver les requérants d'une réparation intégrale du préjudice subi (paragraphe 95 de l'arrêt au principal).

93.  Il ressort clairement de ces éléments que la Cour a retenu le statut de « victime » des requérants pour parvenir ensuite au constat de violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suivants, série A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-III ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X). Par ailleurs, les requérants sont toujours « victimes », leur situation étant demeurée inchangée depuis le prononcé de l'arrêt au principal.

94.  En outre, la Cour constate que, dans tous les cas, l'expropriation indirecte tend à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration et permet ainsi à cette dernière de tirer bénéfice de son comportement illégal.

95.  Partant, la Cour réaffirme l'impossibilité de mettre sur le même plan l'expropriation régulière et l'expropriation indirecte, laquelle est en cause en l'espèce.

96.  La Cour note qu'en principe la restitution des terrains placerait les requérants, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où ils se trouveraient si les exigences de l'article 1 du Protocole n°1 n'avaient pas été méconnues. Toutefois, en l'espèce, compte tenu de ce que les requérants n'ont jamais demandé la restitution des terrains devant les juridictions nationales et du fait que pareille restitution n'est d'ailleurs pas possible, la Cour estime devoir allouer aux intéressés une indemnité correspondant à la valeur pleine et entière des terrains.

97.  Avant d'examiner les arguments des parties, fondés sur l'application de la jurisprudence Papamichalopoulos (affaire précitée), la Cour juge opportun de rappeler la genèse et le fondement de l'arrêt Papamichalopoulos, et la façon dont cette jurisprudence a été appliquée en pratique dans les affaires italiennes d'expropriation indirecte.

Résumé de la jurisprudence

98.  En matière de privation arbitraire de biens, la Cour a « amorcé » sa jurisprudence par l'arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), série A no 330-B). Elle a décidé que l'Etat défendeur devait verser aux intéressés, pour dommage et perte de jouissance depuis « l'usurpation » par les autorités de leurs terrains, une somme équivalente à la valeur actuelle de ceux-ci augmentée de la plus-value apportée par les bâtiments construits.

99.  Fondant son raisonnement sur les principes établis par la Cour permanente de justice internationale (paragraphe 50 ci-dessus), la Cour a conclu dans l'affaire Papamichalopoulos et autres à une violation en raison d'une expropriation de fait illégale (occupation de terres par la marine grecque depuis 1967) qui durait depuis plus de vingt-cinq ans à la date de l'arrêt au principal rendu le 24 juin 1993. Elle a en conséquence enjoint à l'Etat grec de verser aux requérants, pour dommage et perte de jouissance depuis la prise de possession par les autorités de ces terrains, une somme équivalant à la valeur actuelle des terrains augmentée de la plus-value apportée par l'existence de certains bâtiments qui avaient été édifiés depuis l'occupation.

100.  Cette jurisprudence a été suivie dans les arrêts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie ((satisfaction équitable), no 31524/96, 30 octobre 2003) et Carbonara et Ventura c. Italie ((satisfaction équitable), no 24638/94, 11 décembre 2003), qui portaient tous deux, comme la présente affaire, sur des cas de dépossession illicite.

A défaut de restitution des terrains, la Cour a alloué au titre du dommage matériel des sommes prenant en considération la valeur actuelle des biens au regard du marché immobilier au moment de l'adoption de son arrêt. En outre, elle a cherché à compenser les pertes subies qui ne seraient pas couvertes par le versement de ce montant, en tenant compte du potentiel du terrain en cause, calculé à partir du coût de construction des immeubles érigés par l'Etat.

Cette jurisprudence a été entérinée par la Grande Chambre dans l'arrêt Scordino c. Italie (n° 1) ([GC], no 36813/97, §§ 250-254, CEDH 2006-V).

101.  Les arrêts Scordino c. Italie (no 3), précité, et Pasculli c. Italie ((satisfaction équitable), no 36818/97, 4 décembre 2007) ont suivi et appliqué cette jurisprudence. En cas de dépossession illicite d'un bien, la Cour a rappelé que l'indemnisation devait refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence de l'Etat. Elle a observé que la nature de la violation constatée dans l'arrêt au principal lui permettait de partir du principe d'une restitutio in integrum et que, concrètement, la restitution des terrains litigieux, y compris les bâtiments existants, aurait placé les requérants dans une situation équivalant le plus possible à celle où ils se trouveraient s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de l'article 1 du Protocole n°1. La Cour a décidé qu'à défaut de restitution, l'Etat devait verser aux intéressés une somme correspondant à la valeur actuelle du terrain, augmentée d'une somme au titre de la plus-value apportée par la présence de bâtiments.

Sur l'opportunité d'une évolution de la jurisprudence

102.  Comme la chambre, la Grande Chambre estime que l'application de la jurisprudence Papamichalopoulos aux affaires d'expropriation indirecte peut en soi déboucher sur des anomalies.

En premier lieu, la Cour rappelle qu'à la différence de la situation dans l'affaire Papamichalopoulos, où toutes les juridictions avaient reconnu le titre de propriété en faveur des requérants (Papamichalopoulos précité, § 33) sans que l'Etat eût offert de compensation monétaire, même partielle, dans le cas d'espèce les requérants ont perdu la propriété à la suite de la construction d'ouvrages publics, et n'ont pas demandé, dans la procédure interne, la restitution desdits biens.

En deuxième lieu, dans l'affaire ci-dessus il s'agissait d'un terrain ayant été occupé sans aucune base légale, alors que dans la présente affaire les terrains ont été occupés selon une procédure d'urgence et sur la base d'une déclaration d'utilité publique, aux fins de la construction d'habitations à loyer modéré et de centres de loisirs.

103.  La Cour est d'avis que les spécificités de l'affaire Papamichalopoulos rendent inappropriée l'application des principes qui s'en dégagent aux affaires d'expropriation indirecte. Tout en reconnaissant que les requérants ont droit à la valeur pleine et entière des biens, la Cour estime d'une part, que la date à prendre en considération pour chiffrer le dommage matériel ne doit pas être celle du prononcé de l'arrêt de la Cour mais celle de la perte de propriété des terrains. En effet, la première approche pourrait laisser place à une marge d'incertitude, voire d'arbitraire.

D'autre part, selon la Cour le chiffrage automatique des pertes subies par les requérants à la hauteur de la valeur brute des ouvrages réalisés par l'Etat ne se justifie pas. Cette méthode peut introduire des inégalités de traitement entre les requérants en fonction de la nature de l'ouvrage public bâti par l'administration, qui n'a pas nécessairement de lien avec le potentiel du terrain dans sa qualité originaire. De surcroît, cette méthode de dédommagement attribue à l'indemnisation pour dommage matériel un but punitif ou dissuasif à l'égard de l'Etat défendeur, au lieu d'une fonction compensatoire pour les requérants.

104.  La Grande Chambre juge opportun d'adopter une nouvelle approche, compte tenu également des développements intervenus en droit interne (paragraphes 44 et 45 ci-dessus) et de la prise en compte par les juridictions nationales de la jurisprudence de la Cour dans le domaine du droit de propriété. Elle estime que les nouveaux principes fixés dans le présent arrêt pourront être appliqués par les juridictions italiennes dans les litiges qu'elles ont ou auront à trancher .

105.  Dans ce contexte et pour ces raisons, la Cour décide d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains. En outre, contrairement à la solution retenue par la chambre dans son arrêt du 21 octobre 2008, la Grande Chambre estime qu'afin d'évaluer la valeur vénale des terrains, il y a lieu de se référer au jugement du tribunal de Nuoro du 14 juillet 1997, selon lequel les requérants ont perdu la propriété d'une partie de leurs terrains en 1982 et une autre partie en 1983 (paragraphe 16 de l'arrêt au principal). Telle qu'elle ressort des expertises ordonnées par le tribunal et effectuées au cours de la procédure nationale, ladite valeur correspond à 1 298 363 349 ITL, soit 670 549 EUR (montant qui, par ailleurs, n'a pas fait l'objet d'un appel devant les juridictions italiennes).

Etant donné que le caractère adéquat d'un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps considérable (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 82, série A no 301-B, et, mutatis mutandis, Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, §§ 20-21, 27 mai 2003), une fois que l'on aura déduit la somme octroyée au niveau national et obtenu ainsi la différence avec la valeur marchande des terrains en 1983, ce montant devra être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il faudra aussi l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Aux yeux de la Cour, ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

106.  Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder aux requérants la somme de 2 100 000 EUR plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

107.  Reste à évaluer la perte de chances subie par les requérants à la suite de l'expropriation litigieuse. La Cour juge qu'il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l'indisponibilité des terrains pendant la période allant du début de l'occupation légitime (1977) jusqu'au moment de la perte de propriété (1983). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme déjà obtenue par les requérantsau niveau interne à titre d'indemnité d'occupation. Statuant en équité, la Cour alloue aux trois requérants conjointement 45 000 EUR pour la perte de chances.

POUR OBTENIR UNE SATISFACTION ÉQUITABLE

IL FAUT LA DEMANDER ET LA JUSTIFIER

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- PAS DE DEMANDE PAS D'ARGENT

- LES ÉTATS ONT DES DÉLAIS PLUS IMPORTANTS POUR CALCULER UNE DEMANDE DE SATISFACTION ÉQUITABLE

- LA CEDH PEUT FAIRE VERSER UN ACOMPTE AVANT DE FIXER LES DOMMAGES MATÉRIELS.

PAS DE DEMANDE PAS D'ARGENT

TĂUTU c. ROUMANIE du 28 juillet 2015 requête n° 17299/05

La demande de satisfaction équitable au sens de l'article 41, doit être amplement justifiée et démontrée, même si la CEDH fixe l'indemnité à la louche sans aucune explication.

7. Dans son courrier du 16 janvier 2014, le requérant réclame l’octroi d’un montant de 1 848 751 EUR, représentant la moyenne des montants calculés dans les cinq rapports d’expertise établis à ce sujet. Il réclame également un montant de 60 970 EUR pour la privation d’usage du terrain litigieux entre le 4 novembre 2004 et le 31 décembre 2013, montant calculé selon les critères utilisés dans un rapport d’expert établi en septembre 2010. Dans sa lettre du 18 juillet 2014, le requérant présente l’opinion d’un expert en topographie selon laquelle les offres de vente d’un terrain similaire à celui en cause proposent des prix qui varient entre 225 EUR/m2 et 600 EUR/m2.

Dans le même courrier, le requérant fait également savoir qu’il renonce à sa demande au titre du dommage moral qu’il aurait subi.

8. Dans ses observations actualisées, le Gouvernement soumet à la Cour un rapport d’expert d’avril 2014, selon lequel la valeur du terrain litigieux est évaluée à 107 284 EUR, soit 32 EUR/m2. Il invite la Cour à rejeter la demande du requérant visant l’octroi d’un montant pour la privation d’usage du terrain litigieux, considérant cette demande comme spéculative et excessive.

9. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). En l’espèce, elle rappelle avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la remise en cause, à la suite d’un recours en annulation formé par le procureur général, de la solution donnée de manière définitive à un litige et à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison du défaut de légitimité de la privation du requérant d’un terrain de 3 350 m2 sis à Voluntari, acquis en toute légalité à la suite d’un litige civil définitivement tranché.

10. La Cour considère que le requérant en cause a subi un préjudice matériel en relation directe avec la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

11. Pour déterminer le préjudice éprouvé du fait de la privation de propriété subie, la Cour tient compte des circonstances de chaque espèce et jouit d’une grande marge d’appréciation (voir, par exemple, Agrokompleks c. Ukraine (satisfaction équitable), no 23465/03, §§ 81-84, 25 juillet 2013).

12. En l’espèce, la Cour estime qu’il y a lieu d’allouer au requérant une somme en rapport direct avec la valeur actuelle du bien (Loizidou c. Turquie (article 50), 29 juillet 1998, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV ; voir Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 81, CEDH 2005‑VII).

Eu égard aux informations en sa possession, la Cour considère qu’il y a lieu d’allouer au requérant la somme de 390 000 EUR à cet égard, pour dommage matériel.

13. En revanche, pour ce qui est de la somme demandée pour la privation d’usage du terrain litigieux entre le 4 novembre 2004 et le 31 décembre 2013, à défaut d’éléments de preuve suffisants à l’appui de leur demande, la Cour ne saurait spéculer sur le rendement du terrain en question (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005). Partant, elle rejette la demande faite à ce titre.

Arrêt AP, MP et TP contre Suisse du 29/08/1997 Hudoc 868 requête 19958/92

la Cour constate qu'elle ne peut accorder aucune indemnité, puisque le requérant ne réclame rien.

TETU CONTRE FRANCE DU 22 septembre 2011 REQUÊTE 60983/09

77.  Le requérant réclame 1 260 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral. Il explique qu’en raison de la durée excessive de la procédure de liquidation judiciaire, il se trouve interdit de toute reconstruction professionnelle. Il dénonce une confiscation de son patrimoine.

78.  Le Gouvernement avance que le requérant ne produit aucun élément financier ou comptable de nature à établir la réalité des préjudices. Selon lui, la somme de 10 000 EUR constituerait une satisfaction équitable adaptée.

79.  Concernant la demande de réparation du préjudice matériel, le requérant ayant omis de chiffrer et ventiler ses prétentions et de joindre les justificatifs nécessaires, comme l’exige l’article 60 du règlement, la Cour décide de ne rien accorder sous ce chef. Quant au dommage moral invoqué, elle considère que le requérant a subi un préjudice moral certain. Statuant en équité, la Cour lui accorde 15 000 EUR à ce titre.

S.C GRANITUL SA C. ROUMANIE du 24 avril 2012 requête n° 22022/03

8.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

9.  Dans ses observations du 17 avril 2009, la requérante réclamait, au titre de dommage matériel, l’octroi de la somme de 1 064 500 euros (EUR), représentant la valeur du bien litigieux, telle qu’établie par une expertise technique immobilière, datée du 20 mars 2009. Dans ses observations complémentaires du 17 octobre 2011, la requérante réitère sa demande formulée au titre de dommage matériel et fait valoir que le refus de la Cour de prendre en considération le rapport d’expertise établi en 2009 s’analyserait en une méconnaissance du principe de non-rétroactivité et de celui de la sécurité des rapports juridiques, puisqu’on méconnaîtrait ainsi toute la procédure qui a abouti à l’arrêt du 22 mars 2011. Elle produit néanmoins un nouveau rapport d’expertise établi le 19 juillet 2011, selon lequel la valeur du terrain variait à cette date de 630 000 à 700 000 EUR, en fonction des différentes méthodes de calcul utilisées (méthode de la comparaison des prix, méthode de la capitalisation des loyers et méthode par composants).

10.  Dans ses observations du 26 mais 2009, le Gouvernement indiquait que la valeur vénale du bien en cause était de 665 303 EUR, telle qu’elle ressortait d’un rapport d’expertise établi le 25 mai 2009. Dans ses observations du 12 décembre 2011, le Gouvernement mentionne que la valeur du terrain litigieux a considérablement baissé en raison de la crise économique qui a conduit à l’effondrement du marché immobilier. Il transmet à la Cour un nouveau rapport d’expertise établi le 9 novembre 2011 qui fixe à 399 182 EUR la valeur actuelle du terrain. Il produit également une lettre de la chambre des notaires publics de Bucarest du 18 octobre 2011 comportant en annexe les guides des prix estimatifs des biens immobiliers sis dans le département de Giurgiu pour les années 2009 et 2011 desquels il ressort que la valeur marchande des terrains a diminué au fil du temps.

11. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).

12.  En l’espèce, la Cour rappelle que l’acte de l’Etat qu’elle a estimé incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 n’était pas la mainmise illicite sur le bien de la société requérante, le transfert ayant eu une base légale et ayant poursuivi un but d’utilité publique (voir paragraphe 47 de l’arrêt au principal), mais l’absence totale d’indemnisation de la requérante. Dans ces conditions, elle estime que la nature de la violation constatée ne lui permet pas de partir du principe d’une restitutio in integrum (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 249, CEDH 2006-V, et Kozacıoğlu c. Turquie [GC], n2334/03, § 81, 19 février 2009). Force est de constater d’ailleurs, que la requérante ne demande pas non plus dans ses observations la restitution du terrain (voir paragraphe 9 ci-dessus).

13.  Pour déterminer le montant de la réparation adéquate, la Cour doit s’inspirer des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 1 et selon lesquels, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue d’ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98). La Cour réitère que dans de nombreux cas d’expropriation licite, comme l’expropriation isolée d’un terrain en vue de la construction d’une route ou pour d’autres fins « d’utilité publique », seule une indemnisation intégrale peut être considérée comme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Toutefois, cette règle n’est pas sans exception (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 78, 28 novembre 2002). En effet, des objectifs légitimes « d’utilité publique », tels qu’en poursuivent des mesures de réforme économique ou de justice sociale, peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir Scordino (no 1) précité, § 256).

14.  Dans la présente affaire, la Cour note que le transfert du bien a été réalisé en vue de la création d’une zone franche (voir paragraphe 47 de l’arrêt au principal) et donc d’une « expropriation isolée ». Il ne s’inscrit pas dans le contexte d’une politique plus large tendant à une réforme économique et sociale. Dans ces conditions, elle conclut que l’indemnisation adéquate en l’espèce est celle qui correspond à la valeur marchande du bien (voir, mutatis mutandis, Scordino (no 1) précité, § 257).

15.  A la lumière de ce qui précède, la Cour observe, d’une part, que les parties ne l’ont pas informée de la valeur marchande du terrain au moment du transfert litigieux en janvier 1997 et, d’autre part, que les tribunaux nationaux n’ont pas non plus ordonné des expertises (voir, a contrario, Scordino (no 1) précité, § 258, Kozacıoğlu, précité, § 85). Dans ces conditions, elle ne peut que prendre en compte les renseignements fournis par les parties quant à la valeur marchande actuelle du bien. Ainsi, elle note que la société requérante demande 1 064 500 EUR, sur la base d’un rapport établi en 2009, tout en fournissant un nouveau rapport d’expertise établi après l’adoption de l’arrêt au principal, dont il ressort qu’en juillet 2011, la valeur du terrain avait baissé à un montant variant entre 630 000 et 700 000 EUR, en fonction des méthodes de calcul utilisées. Le Gouvernement produit également deux rapports d’expertise, l’un de 2009 estimant la valeur du terrain à 665 303 EUR, et l’autre de décembre 2011 estimant la valeur du terrain à 399 182 EUR. La Cour estime en conséquence que la valeur marchande actuelle du bien ne se prête pas à une évaluation précise, vu l’écart important séparant les estimations fournies à cette fin par les parties (Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c. Grèce (satisfaction équitable), no 35332/05, § 19, 2 décembre 2010). Compte tenu de ces éléments – y compris l’objectif légitime d’utilité publique poursuivi par le transfert litigieux – et statuant en équité, elle juge raisonnable d’accorder à la requérante la somme de 500 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B.  Dommage moral

16.  La requérante demande également 50 000 EUR à titre de dommage moral pour les souffrances subies en raison de la privation de propriété qui a conduit à sa réorganisation, au licenciement d’une grande partie de son personnel et à la diminution du profit, ainsi que du stress provoqué par les nombreuses procédures judicaires engagées.

17.  Le Gouvernement estime en premier lieu qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage moral allégué et la prétendue violation de la Convention. Il argue également du fait qu’un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante sont excessives.

18.   La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 constitue en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral.

C.  Frais et dépens

19.  La requérante n’a formulé aucune demande à ce titre.

D.  Intérêts moratoires

20.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

LES ÉTATS ONT DROIT A DES DÉLAIS PLUS IMPORTANTS

POUR PRÉSENTER UNE DEMANDE DE SATISFACTION ÉQUITABLE

CHYPRE C. TURQUIE arrêt du 12 mai 2014 requête 25781/94

Article 41 de la Convention : CHYPRE présente contre la Turquie une demande de satisfaction équitable 9 ans après l'arrêt de condamnation de la Grande Chambre. Elle obtient 60 millions d'euros pour préjudice matériel plus 30 millions d'euros pour préjudice moral. Les sommes devront être redistribuées à ses citoyens sous le contrôle du Conseil des ministres.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

L’affaire concerne la situation dans le nord de Chypre depuis que la Turquie y a effectué des opérations militaires en juillet et août 1974 et la division continue du territoire de Chypre depuis cette date.

Dans son arrêt de Grande Chambre rendu le 10 mai 2001, la Cour a conclu que la Turquie avait commis de nombreuses violations de la Convention en raison des opérations militaires qu’elle avait menées dans le Nord de Chypre en juillet et août 1974, de la division continue du territoire de Chypre et des activités de la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN). Concernant la satisfaction équitable, la Cour avait dit à l’unanimité que la question n’était pas en état et en avait ajourné l’examen.

La procédure d’exécution de l’arrêt au principal est actuellement pendante devant le Comité des Ministres.

Le 31 août 2007, le gouvernement de Chypre a informé la Cour qu’il avait l’intention de soumettre une demande à la Grande Chambre en vue de la reprise de l’examen de la satisfaction équitable. Le 11 mars 2010, le gouvernement de Chypre a présenté à la Cour sa demande de satisfaction équitable pour les personnes disparues à l’égard desquelles la Cour avait conclu à la violation des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), et 5 (droit à la liberté et à la sûreté).

Le 25 novembre 2011, le gouvernement de Chypre a adressé à la Cour un document visant la procédure d’exécution de l’arrêt au principal par le Comité des Ministres et priant la Cour de prendre certaines mesures afin de faciliter l’exécution de cet arrêt. En réponse à des questions complémentaires posées par la Cour et à son invitation à soumettre la version définitive de sa demande de satisfaction équitable, le gouvernement de Chypre a présenté, le 18 juin 2012, ses prétentions au titre de l’article 41 concernant les personnes disparues et a soumis des demandes se rapportant aux violations commises à l’égard des Chypriotes grecs enclavés dans la péninsule du Karpas.

LA CEDH

23.  La Cour rappelle que les dispositions de la Convention ne peuvent s’interpréter et s’appliquer dans le vide. En dépit de son caractère particulier d’instrument de protection des droits de l’homme, la Convention est un traité international à interpréter conformément aux normes et principes du droit international public, et notamment à la lumière de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (« la Convention de Vienne »). Au demeurant, la Cour n’a jamais considéré les dispositions de la Convention comme le seul cadre de référence pour l’interprétation des droits et libertés qu’elle contient. Au contraire, elle doit également prendre en considération toute règle et tout principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (voir, parmi beaucoup d’autres, Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre 1996, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001‑XI, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 150, CEDH 2005‑VI, Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 67, CEDH 2008, et l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne).

24.  La Cour admet que le droit international général reconnaît en principe l’obligation pour le gouvernement requérant, dans un différend interétatique, d’agir sans délai pour garantir la sécurité juridique et ne pas causer de préjudice disproportionné aux intérêts légitimes de l’État défendeur. Ainsi, dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1992, p. 240), la Cour internationale de Justice a dit :

« 32.  La Cour reconnaît que, même en l’absence de disposition conventionnelle applicable, le retard d’un État demandeur peut rendre une requête irrecevable. Elle note cependant que le droit international n’impose pas à cet égard une limite de temps déterminée. La Cour doit par suite se demander à la lumière des circonstances de chaque espèce si l’écoulement du temps rend une requête irrecevable. (...)

36.  (...) La Cour estime que, eu égard tant à la nature des relations existant entre l’Australie et Nauru qu’aux démarches ainsi accomplies, l’écoulement du temps n’a pas rendu la requête de Nauru irrecevable. Toutefois, il appartiendra à la Cour, le moment venu, de veiller à ce que le retard mis par Nauru à la saisir ne porte en rien préjudice à l’Australie en ce qui concerne tant l’établissement des faits que la détermination du contenu du droit applicable. »

25.  Avant toute chose, la Cour rappelle que la présente requête a été introduite en 1994 devant l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme, conformément aux dispositions qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (paragraphe 1 ci-dessus). En vertu du règlement intérieur de la Commission alors en vigueur, ni le gouvernement requérant dans une affaire interétatique ni les requérants individuels n’étaient tenus d’exposer en termes généraux dans le formulaire de requête leur demande de satisfaction équitable. La Cour rappelle de plus que dans la lettre du 29 novembre 1999 qu’elle a adressée aux deux gouvernements, elle a expressément donné pour instruction au gouvernement requérant de ne pas soumettre de demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention au stade de l’examen au fond (paragraphe 3 ci-dessus). Il est donc compréhensible qu’il ne l’ait pas fait. La Cour note aussi que, dans son arrêt du 10 mai 2001, elle a dit « que la question de l’éventuelle application de l’article 41 de la Convention ne se trouv[ait] pas en état et qu’elle en ajourn[ait] l’examen » (chapitre VIII du dispositif). Aucun délai ne fut donné aux parties pour la présentation de leurs demandes de satisfaction équitable (paragraphes 2-4 ci-dessus). La Cour doit donc déterminer si, nonobstant l’absence de délai, le fait pour le gouvernement chypriote de n’avoir soumis ses prétentions que le 11 mars 2010 ne rend pas sa demande irrecevable au regard des critères définis dans l’affaire Nauru.

26.  La Cour estime que tel n’est pas le cas. Premièrement, contrairement au retard en cause dans l’affaire Nauru examinée par la Cour internationale de justice, le retard litigieux en l’espèce ne n’est pas produit avant l’introduction de la requête interétatique, mais entre l’arrêt rendu par la Cour sur le fond de l’affaire et le contrôle de l’exécution de cet arrêt par le Comité des Ministres. Dans cet intervalle, les deux gouvernements pouvaient croire que la question de l’octroi éventuel d’une satisfaction équitable était suspendue en attendant la suite des événements. En leur qualité de parties à la procédure, les deux gouvernements avaient alors une marge de manœuvre relativement limitée puisqu’ils devaient se conformer aux instructions émanant de la Cour. En outre, la question de la satisfaction équitable a été mentionnée à plusieurs reprises au cours de la procédure sur le fond de l’affaire (paragraphes 2-3 ci-dessus). Dans l’arrêt au principal, la question de l’octroi éventuel d’une satisfaction équitable a été ajournée, ce qui signifie de façon parfaitement claire que la Cour n’avait pas exclu d’en reprendre l’examen le moment venu. Ni l’une ni l’autre des parties ne pouvait donc raisonnablement penser que cette question échapperait à tout examen ou que l’écoulement du temps conduirait à son extinction ou la rendrait caduque. Enfin, ainsi qu’il le fait remarquer à juste titre, le gouvernement chypriote n’a jamais formulé de déclaration indiquant explicitement ou implicitement qu’il aurait renoncé à son droit à réclamer une satisfaction équitable. Tout au contraire, sa lettre du 31 août 2007 doit être considérée comme une réaffirmation claire et non équivoque de son intention d’exercer ce droit. Dans ces conditions, le gouvernement défendeur n’est pas fondé à dire que la reprise de l’examen des prétentions du gouvernement requérant porterait préjudice à ses intérêts légitimes, puisqu’il devait raisonnablement s’attendre à ce que la question revienne devant la Cour à un moment donné. À la lumière de l’arrêt Nauru précité, la Cour considère que, dans ce contexte, le « préjudice » en cause est avant tout lié aux intérêts procéduraux du gouvernement défendeur (« l’établissement des faits [et] la détermination du contenu du droit applicable ») et que c’est au gouvernement défendeur qu’il incombe de démontrer de manière convaincante que pareil préjudice est imminent ou probable. Or la Cour ne voit aucune preuve de cela en l’espèce.

27.  Pour autant que le gouvernement turc se réfère à la procédure de surveillance devant le Comité des Ministres, la Cour rappelle que les constats de violation énoncés dans ses arrêts sont essentiellement de nature déclaratoire et que, aux termes de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 61, CEDH 2009). À cet égard, il ne faut pas confondre, d’une part, la procédure devant la Cour, qui est compétente pour conclure à la violation de la Convention dans des arrêts définitifs auxquels les Parties contractantes sont tenues de se conformer (article 19 combiné avec l’article 46 § 1 de la Convention) et pour allouer, le cas échéant, une satisfaction équitable (article 41 de la Convention) et, d’autre part, le mécanisme de surveillance de l’exécution des arrêts placé sous la responsabilité du Comité des Ministres (article 46 § 2 de la Convention). En vertu de l’article 46, l’État partie est tenu non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées par la Cour à titre de satisfaction équitable, mais aussi de prendre dans son ordre juridique interne des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, des mesures générales propres à mettre un terme à la violation constatée par la Cour et à en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant dans une situation aussi proche que possible de celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT), précité, § 85). Bien qu’elles soient liées l’une à l’autre, l’obligation de prendre des mesures individuelles et/ou générales et celle de payer la somme allouée à titre de satisfaction équitable constituent deux formes de redressement distinctes, la première n’excluant en rien la seconde.

28.  Quant aux évolutions survenues entre 2001 et 2010 dans le cadre de la procédure de surveillance devant le Comité des Ministres ou en rapport avec celle-ci, la Cour considère qu’elles sont sans aucun doute pertinentes pour apprécier sur le fond la demande de satisfaction équitable formulée par le gouvernement requérant. Néanmoins, elles ne l’empêchent nullement d’examiner cette demande.

29.  A la lumière de ce qui précède, la Cour ne discerne aucune raison valable de considérer que la demande de satisfaction équitable émise par le gouvernement chypriote est tardive et de la déclarer irrecevable pour ce motif. Dès lors, elle rejette l’exception formulée par le gouvernement turc à cet égard.

30.  La Cour rappelle par ailleurs que le 14 mars 2012 elle a invité le gouvernement requérant à soumettre la version « définitive » de ses prétentions au titre de l’article 41, et que les observations fournies en réponse par ledit gouvernement le 18 juin 2012 doivent effectivement être considérées comme définitives. Elle considère dès lors que le présent arrêt met un terme à l’examen de la question.

LE GOUVERNEMENT CHYPRIOTE A DROIT DE PROTEGER SES RESSORTISSANTS

39.  La Cour observe que jusqu’à présent elle ne n’est penchée qu’une seule fois, dans l’affaire Irlande c. Royaume-Uni (précitée), sur la question de l’applicabilité de la règle de la satisfaction équitable dans une affaire interétatique. Elle avait alors estimé qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer cette règle (l’ancien article 50 de la Convention), le gouvernement requérant ayant expressément déclaré qu’il « ne pri[ait] pas la Cour d’accorder (...) une satisfaction équitable, sous la forme de dommages-intérêts, à telle personne victime d’une infraction à la Convention » (Irlande c. Royaume-Uni, précité, §§ 245-246).

40.  La Cour rappelle par ailleurs que la logique générale de la règle de la satisfaction équitable (énoncée à l’article 41 et auparavant à l’article 50 de la Convention), voulue par ses auteurs, découle directement des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État et doit être interprétée dans ce contexte. C’est ce que confirment les travaux préparatoires à la Convention, aux termes desquels :

« [c]ette disposition est conforme au droit international en vigueur en matière de violation d’une obligation internationale par un Etat. La jurisprudence de la Cour européenne n’apportera donc sur ce point aucun élément nouveau ou contraire au droit international existant. (....) » (rapport du Comité d’experts au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, 16 mars 1950 (doc. CP/WP 1(50) 15)).

41.  Le principe de droit international le plus important relativement à la violation par un État d’une obligation découlant d’un traité veut que « la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate » (voir l’arrêt rendu par la Cour permanente de Justice internationale dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, série A no 9, p. 21). En dépit du caractère spécifique de la Convention, la logique globale de l’article 41 ne diffère pas fondamentalement de celle qui gouverne les réparations en droit international public : « [i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un État lésé est en droit d’être indemnisé, par l’État auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci » (voir l’arrêt de la Cour internationale de Justice rendu dans l’affaire Projet Gabčikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), C.I.J. Recueil 1997, p. 81, § 152). Il est également bien établi qu’une juridiction internationale qui a compétence pour connaître d’une allégation mettant en cause la responsabilité d’un État a le pouvoir, en vertu de cette compétence, d’octroyer une réparation pour le dommage subi (voir l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, C.I.J. Recueil 1974, pp. 203-205, §§ 71-76).

42.  Dans ces conditions, gardant à l’esprit la spécificité de l’article 41 en tant que lex specialis par rapport aux règles et principes généraux du droit international, la Cour ne saurait interpréter cette disposition dans un sens étroit et restrictif excluant les requêtes interétatiques de son champ d’application. Au contraire, une interprétation large englobant les différents types de requête est confirmée par le libellé de l’article 41, qui dispose que « la Cour accorde à la partie lésée (en anglais, « to the injured party ») (...) une satisfaction équitable », le mot « partie » (avec un p minuscule) devant être compris comme désignant l’une des parties à la procédure devant la Cour. À cet égard, la référence au libellé actuel de l’article 60 § 1 du règlement opérée par le gouvernement défendeur (paragraphes 12 et 38 ci‑dessus) ne saurait passer pour convaincante. En réalité, ce texte, qui possède une valeur normative inférieure à celle de la Convention elle‑même, ne fait que refléter la réalité, qui est qu’en pratique toutes les sommes allouées par la Cour au titre de la satisfaction équitable l’ont jusqu’à présent été directement à des requérants individuels.

43.  Dès lors, la Cour estime que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques. Toutefois, la question de savoir s’il se justifie d’accorder une satisfaction équitable à l’État requérant doit être examinée et tranchée par la Cour au cas par cas, eu égard notamment au type de grief formulé par le gouvernement requérant, à la possibilité d’identifier les victimes des violations et à l’objectif principal de la procédure, dans la mesure où il ressort de la requête initialement introduite devant la Cour. La Cour admet qu’une requête introduite devant elle en vertu de l’article 33 de la Convention peut renfermer différents types de griefs visant des buts différents. En pareil cas, chaque grief doit être examiné séparément afin de déterminer s’il y a lieu d’octroyer une satisfaction équitable.

44.  Ainsi, une Partie contractante requérante peut par exemple se plaindre de problèmes généraux (problèmes et déficiences systémiques, pratique administrative, etc.) concernant une autre Partie contractante. L’objectif principal du gouvernement requérant est alors de défendre l’ordre public européen dans le cadre de la responsabilité collective qui incombe aux États en vertu de la Convention. En pareil cas, il peut ne pas être souhaitable d’accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 même si le gouvernement requérant formule une demande à cet effet.

45.  Il existe aussi une autre catégorie de griefs interétatiques, où l’État requérant reproche à une autre Partie contractante de violer des droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes). En réalité, pareils griefs sont comparables en substance non seulement à ceux soulevés dans une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention mais aussi à ceux qui peuvent être présentés dans le cadre de la protection diplomatique, définie comme « l’invocation par un État, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre État pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit État à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier État en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité » (article premier du projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la Commission du droit international en 2006 – voir Assemblée générale, documents officiels, soixante et unième session, supplément no 10 (A/61/10), ainsi que l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2007, p. 599, § 39). Si la Cour accueille des griefs de ce type et conclut à la violation de la Convention, il peut être opportun d’allouer une satisfaction équitable eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et aux critères exposés au paragraphe 43 ci-dessus.

46.  Cela étant, il ne faut jamais oublier que, du fait de la nature même de la Convention, c’est l’individu et non l’État qui est directement ou indirectement touché et principalement « lésé » par la violation d’un ou de plusieurs des droits garantis par la Convention. Dès lors, si une satisfaction équitable est accordée dans une affaire interétatique, elle doit toujours l’être au profit de victimes individuelles. À cet égard, la Cour note que l’article 19 du projet d’articles sur la protection diplomatique précité recommande de « [t]ransférer à la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’État responsable, sous réserve de déductions raisonnables » (ibidem). De surcroît, dans l’affaire Diallo précitée, la Cour internationale de Justice a expressément tenu à rappeler que « l’indemnité accordée à [l’État requérant], dans l’exercice par [celui]‑ci de sa protection diplomatique à l’égard de M. Diallo, [était] destinée à réparer le préjudice subi par celui‑ci » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, C.I.J. Recueil 2012, p. 324, § 57).

47.  En l’espèce, la Cour constate que le gouvernement chypriote a soumis des demandes de satisfaction équitable en réparation de violations de la Convention commises à l’égard de deux groupes de personnes suffisamment précis et objectivement identifiables, à savoir, d’une part, 1 456 personnes disparues et, d’autre part, les Chypriotes grecs enclavés dans la péninsule du Karpas. En d’autres termes, la réparation demandée ne vise pas à indemniser l’État d’une violation de ses droits à lui, mais à dédommager des victimes individuelles comme cela a été exposé au paragraphe 45 ci-dessus. Dans ces conditions, et pour autant que les personnes disparues et les habitants du Karpas sont concernés, la Cour considère que le gouvernement requérant a le droit de présenter une demande au titre de l’article 41 de la Convention et que l’octroi d’une satisfaction équitable serait justifié en l’espèce.

MONTANT DES SOMMES

56.  La Cour réitère la déclaration générale qu’elle a formulée dans l’arrêt Varnava et autres (précité) et qui est également pertinente pour l’octroi de dommages et intérêts dans une affaire interétatique :

« 224.  La Cour observe qu’aucune disposition ne prévoit expressément le versement d’une indemnité pour dommage moral. Dans son approche concernant l’octroi d’une satisfaction équitable, qui varie d’une affaire à l’autre, la Cour établit une distinction entre les situations où le requérant a subi un traumatisme évident, physique ou psychologique, des douleurs et souffrances, de la détresse, de l’angoisse, de la frustration, des sentiments d’injustice ou d’humiliation, une incertitude prolongée, une perturbation dans sa vie ou une véritable perte de chances (...) et les situations où la reconnaissance publique, dans un arrêt contraignant pour l’État contractant, du préjudice souffert par le requérant représente en soi une forme efficace de réparation. Dans de nombreuses affaires, le constat par la Cour de la non‑conformité aux normes de la Convention d’une loi, d’une procédure ou d’une pratique est suffisant pour redresser la situation (...). Toutefois, dans certaines situations, l’impact de la violation peut être considéré comme étant d’une nature et d’un degré propres à avoir porté au bien-être moral du requérant une atteinte telle que cette réparation ne suffit pas. Ces éléments ne se prêtent pas à un calcul ou à une quantification précise. La Cour n’a pas non plus pour rôle d’agir comme une juridiction nationale appelée, en matière civile, à déterminer les responsabilités et octroyer des dommages‑intérêts. Elle est guidée par le principe de l’équité, qui implique avant tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, c’est-à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise. Les indemnités qu’elle alloue pour préjudice moral ont pour objet de reconnaître le fait qu’une violation d’un droit fondamental a entraîné un dommage moral et elles sont chiffrées de manière à refléter approximativement la gravité de ce dommage. Elles ne visent pas et ne doivent pas viser à fournir au requérant, à titre compassionnel, un confort financier ou un enrichissement aux dépens de la Partie contractante concernée. »

La Cour a aussi souligné que « les requérants [dans cette affaire] [étaient] restés pendant des décennies dans l’ignorance, ce qui [avait] dû profondément les marquer » (Varnava et autres, précité, § 225).

57.  La Cour se bornera à ajouter à cela qu’il ne fait aucun doute que les habitants du Karpas que l’arrêt au principal a jugés victimes de violations de leurs droits garantis par les articles 3, 8, 9, 10 et 13 de la Convention et par l’article 2 du Protocole no 1 ont éprouvé des sentiments d’impuissance, de détresse et d’angoisse pendant de longues années.

58.  Eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, la Cour, statuant en équité, juge raisonnable d’allouer au gouvernement chypriote les sommes globales de 30 000 000 EUR pour le dommage moral subi par les parents survivants des personnes disparues et de 60 000 000 EUR pour le dommage moral subi par les habitants enclavés dans la péninsule du Karpas, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe sur ces sommes. Celles-ci doivent être distribuées par le gouvernement requérant aux victimes individuelles des violations de ces deux chefs constatées dans l’arrêt au principal (voir, mutatis mutandis, l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Diallo (indemnisation), précité).

59.  La Cour rappelle de surcroît que, conformément à l’article 46 § 2 de la Convention, il incombe au Comité des Ministres de surveiller l’exécution es arrêts de la Cour. Dans les circonstances particulières de l’espèce, elle estime qu’il appartient au gouvernement chypriote, sous la supervision du Comité des Ministres, de mettre en place un mécanisme effectif pour la distribution des sommes précitées aux victimes individuelles. Cette distribution devra être effectuée par le gouvernement défendeur dans un délai de dix-huit mois à compter de la date du versement ou dans tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié.

C.  Intérêts moratoires

60.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

LA CEDH PEUT VERSER UN ACOMPTE

AVANT DE FIXER LES DOMMAGES MATERIELS

Gera de Petri Testaferrata Bonici Ghaxaq c. Malte du 5 avril 2011 requête n° 26771/07

La requérante, Agnes Gera de Petri Testaferrata Bonici Ghaxaq, est une ressortissante maltaise née en 1949 et résidant à Balzan (Malte). Sa requête portait sur une mesure de transfert de la propriété et de l’usage du bien qu’elle possède à la Valette moyennant versement d’une compensation annuelle, mesure adoptée par le Gouvernement en 1958. La requérante se plaignait de la longueur excessive de la procédure – plus de 30 ans – qui s’est ensuivie ainsi que de l’absence d’indemnisation malgré le constat, par la Cour constitutionnelle, d’une violation de ses droits de propriété. A l’appui de ses griefs, elle invoquait l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) et l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Violation de l’article 6 § 1 (durée)

Violation de l’article 1 du Protocole n° 1

Non-violation de l’article 13

Satisfaction équitable : question réservée pour décision à une date ultérieure concernant le préjudice matériel ; 25 000 euros (EUR) (dommage moral) et 5 000 EUR (frais et dépens)

LA CEDH INDEMNISE EN ÉQUITÉ

ET NON PAS PAR DE SAVANTS CALCULS

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- UNE RÉPARATION A LA LOUCHE

- LA PERTE D'USAGE DE PROPRIÉTÉ PRIVÉ EST RÉPARÉE EN ÉQUITÉ

- Il FAUT UN LIEN DE CAUSALITÉ ENTRE LA VIOLATION CONSTATÉE ET LE PRÉJUDICE SUBI.

UNE RÉPARATION A LA LOUCHE

KALNĖNIENĖ c. BELGIQUE du 3 janvier 2017, requête 40233/17

Violation de l'article 8 dans la lutte contre le terrorisme à Molenbeck Saint Jean : perquisition décidée par la police sans obtenir un mandat du juge, manque de base légale interne pour porter atteinte au domicile de la requérante. En revanche pas de violation des articles 6-1?  6-2 et 13 de  la Convention, en ce qui concerne l'utilisation des preuves obtenues contre la requérante dans la perquisition illégale puisqu'elle a tout avoué sans "pression". Cet arrêt un peu confus mérite un appel. La Belgique doit adapter sa législation à la lutte contre le terrorisme.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

65. La requérante affirme avoir subi un préjudice matériel et moral et s’en remet à la Cour pour établir le montant de ce dommage.

66. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

67. En l’absence de développements de la requérante concernant le dommage matériel et moral allégué, la Cour considère que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice qu’elle aurait subi.

B. Frais et dépens

68. La requérante n’a présenté aucune demande concernant les frais et dépens engagés durant la procédure. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

J’ai voté contre le point 5 du dispositif, qui concerne l’article 41, car de mon point de vue la chambre aurait dû accorder une certaine somme à la requérante au titre du dommage moral.

Il est évident qu’au titre de l’article 41 la Cour décide d’allouer un certain montant pour dommage moral si elle considère qu’« il y a lieu » d’accorder réparation. Jouissant d’une grande latitude pour déterminer dans quels cas il y a lieu d’octroyer des dommages et intérêts aux requérants, la Cour conclut fréquemment que le constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante et que l’octroi d’une indemnité pécuniaire ne s’impose pas (voir, parmi beaucoup d’autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 76, CEDH 1999-II, Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, CEDH 2016). Pour arriver à cette conclusion, elle prend en compte l’ensemble des faits de la cause, notamment la nature des violations qu’elle a constatées ainsi que les éventuelles particularités du contexte dans lequel l’affaire s’inscrit (voir, par exemple, Vinter, précité, et l’opinion dissidente des juges Spielmann, Sajó, Karakaş et Pinto de Albuquerque dans l’arrêt Murray, précité). Si les circonstances de l’affaire le justifient, comme dans l’affaire McCann et autres c. Royaume-Uni (27 septembre 1995, § 219, série A no 324), où la Cour a refusé d’accorder une quelconque indemnité au titre d’un préjudice moral eu égard au fait que les trois terroristes présumés abattus avaient l’intention de poser une bombe à Gibraltar, ou si la nature de la violation constatée le justifie, comme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse ([GC], no 29217/12, CEDH 2014), elle décide que le constat de violation suffit pour tout préjudice moral. Autrement dit, c’est uniquement dans des cas très exceptionnels que la Cour décide de ne pas octroyer de somme au titre du dommage moral.

Il peut également y avoir des cas où la Cour décide d’octroyer une somme inférieure à celle accordée dans d’autres affaires relevant de l’article concerné, toujours en considération des particularités du contexte. L’exemple le plus typique en est l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 3455/05, CEDH 2009), dans le contexte du terrorisme, où la Cour a expliqué par de longs motifs (§ 252 ; voir aussi Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 145, CEDH 2013) les raisons qui justifiaient l’octroi d’une somme nettement inférieure à celles qu’elle avait accordées dans d’autres affaires de détention irrégulière.

Concernant le dommage moral dans la présente affaire, la majorité ne juge pas nécessaire d’accorder une somme à ce titre, considérant que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

En l’espèce, le domicile de la requérante a été perquisitionné sans base légale.

Cette violation grave de l’article 8 a certainement causé un dommage moral à la requérante, qui ne peut pas se satisfaire de la seule constatation de son préjudice. C’est la raison pour laquelle j’étais en faveur de l’octroi d’une somme au titre de la satisfaction équitable pour le préjudice moral subi par la requérante.

ANTONOPOULOU ET AUTRES c. GRÈCE requête 49000/06 du 7 octobre 2010

12.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI et Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), no 51473/99, § 17, 13 novembre 2003).

13.  Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de la réaliser elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).

14.  En outre, la Cour rappelle que seuls les préjudices causés pas les violations de la Convention qu’elle a constatées sont susceptibles de donner lieu à l’allocation d’une satisfaction équitable (Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 19, 27 mai 2003).

15.  S’agissant de la présente affaire, la Cour rappelle que, dans son arrêt au principal, elle s’est exprimée en ces termes : « La nature de l’ouvrage a directement contribué à une dépréciation des parties non expropriées. En effet, la réalisation de l’ouvrage public a entraîné la perte pour les parties en cause de l’avantage d’un accès direct à la route nationale. De ce fait, s’agissant des terrains sur lesquels les requérants avaient fait construire des immeubles utilisés à des fins commerciales, ceux-ci ont subi une baisse de leur valeur en raison de la perte de clientèle des entreprises et de la chute inhérente des profits. La Cour note sur ce point que la cour d’appel de Thessalonique a explicitement refusé d’indemniser les requérants pour la perte de clientèle et la baisse de leurs revenus, après avoir admis que l’indemnité pour la partie non expropriée de la propriété ne saurait prendre en compte la nature de l’ouvrage à réaliser sur la partie expropriée. Par conséquent, il est indéniable que pour les requérants l’exploitation de cette partie des parcelles se trouvait sérieusement compromise en raison de l’élargissement de la route nationale ».

16.  La Cour note dès lors que le constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 résulte du refus des juridictions internes d’indemniser les requérants pour la dévalorisation des parties non expropriées de leurs terrains sur lesquels ils avaient fait construire les deux stations-service, consécutive à la perte d’accès direct à la route nationale. Eu égard à la nature de la violation constatée, la Cour estime devoir accorder aux requérants une indemnité pour la dépréciation de la partie restante desdits terrains. Compte tenu des incertitudes inhérentes à toute tentative d’estimation de la dépréciation des terrains non expropriés ainsi que des immeubles construits sur ceux-ci et l’écart significatif constaté entre l’appréciation du Gouvernement et celle des requérants, la Cour estime approprié de fixer une somme forfaitaire à ce titre (voir Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), précité, § 21).

17.  A la lumière de ces considérations, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement aux requérants 145 000 EUR au titre du dommage matériel subi.

2.  Dommage moral

18.  Les requérants ne soumettent aucune demande au titre du dommage moral qu’ils auraient subi en raison de la violation constatée des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

19.   En conséquence, la Cour n’estime pas nécessaire d’accorder une somme à ce titre.

GRANDE CHAMBRE DINK c TURQUIE du 14 septembre 2010

requêtes nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09

LA MORT D'UN JOURNALISTE VAUT 100 000 EUROS

Le 19 janvier 2007, à Istanbul, Fırat Dink fut assassiné de trois balles dans la tête suite à des articles tendant à faire reconnaître le génocide arménien commis par les turcs en 1915. L’auteur présumé de l’attentat fut arrêté à Samsun (Turquie). En avril 2007, le parquet d’Istanbul intenta une action pénale contre dix-huit accusés. Cette procédure est toujours en cours. La CEDH condamne l'Etat pour défaut de protection de la vie du journaliste et défaut d'enquête effective.

Satisfaction équitable

La Cour dit que la Turquie doit verser, pour dommage moral, 100 000 euros (EUR) conjointement à la femme et aux enfants de Fırat Dink, et 5 000 EUR à son frère. Elle doit en outre verser 28 595 EUR conjointement aux requérants pour frais et dépens.

Goddi contre Italie du 09/04/1984 Hudoc 80 requête 8966/80

"Aucun de ces éléments ne se prête à un calcul exact. Les appréciant dans leur ensemble en équité, comme le veut l'article 50, la Cour estime devoir accorder à Monsieur Goddi une satisfaction équitable dont elle fixe le montant à 5 000 000 lires"

Raffineries grecques Stran et Stradis Andréatis contre Grèce du 09/12/1994 Hudoc 496 requête 13427/87

"La Cour rappelle qu'elle n'accorde une satisfaction équitable que s'il y a lieu sans être liée en la matière par une norme juridique nationale"

LA PERTE D'USAGE DE PROPRIÉTÉ PRIVÉ EST RÉPARÉE EN ÉQUITÉ

MORENO DIAZ PEÑA ET AUTRES c. PORTUGAL du 4 juin 2019 requête n° 44262/10

Article 41 : La CEDH accorde quatre millions d'euros à des requérants portugais.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Sur les intérêts légaux

14.  Les intérêts légaux entre le 20 octobre 1980 (date de l’expropriation) et le 4 juin 2015 (date de l’arrêt au principal) étaient les suivants : 

Base légale

Intérêt légal

Période d’application

Décret-loi no 200-C/80 du 24 juin 1980

et arrêté ministériel (Portaria) no 447/80 du 31 juillet

15 %

05/08/1980- 22/05/1983

Arrêté ministériel no 581/83 du 18 mai 1983

23 %

23/05/1983- 28/004/1987

Arrêté ministériel no 339/87 du 24 avril 1987

15 %

29/04/1987- 29/09/1995

Arrêté ministériel no 1171/95 du 25 septembre 1995

10 %

30/09/1995-16/04/1999

Arrêté ministériel no 263/99 du 12 avril 1999

7%

17/04/1999- 30/04/2003

Arrêté ministériel no 291/03 du 8 avril 2003

4%

Depuis le 1er mai 2003

B.  Sur le taux d’inflation

15. Selon les données de la Banque mondiale, les taux d’inflation entre les années 1980 et 2015 pour le Portugal étaient les suivants : 

Année

Inflation, prix à la consommation (% annuel)

1980

16.69

1981

20.04

1982

22.73

1983

25.11

1984

28.78

1985

19.65

1986

11.76

1987

9.34

1988

9.70

1989

12.62

1990

13.37

1991

10.93

1992

8.94

1993

6.50

1994

5.21

1995

4.12

1996

3.12

1997

2.16

1998

2.72

1999

2.30

2000

2.85

2001

4.39

2002

3.55

2003

3.28

2004

2.36

2005

2.29

2006

2.74

2007

2.81

2008

2.59

2009

-0.84

2010

1.40

2011

3.65

2012

2.77

2013

0.27

2014

-0.28

2015

0.49

III.  APPRÉCIATION DE LA COUR

A.  Rappel des principes

16.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que possible la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI). En d’autres termes, la réparation du dommage matériel doit aboutir à la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 33, CEDH 2014).

17.  Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I et Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009). Dans l’exercice de ce pouvoir, elle dispose d’une certaine latitude ; l’adjectif « équitable » et le membre de phrase « s’il y a lieu » en témoignent (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000‑IV). Pour ce faire, elle peut se fonder sur des considérations d’équité (Vistiņš et Perepjolkins, précité, § 36, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, 79, 28 novembre 2002, S.C. Granitul S.A. c. Roumanie (satisfaction équitable), no 22022/03, § 15, 24 avril 2012, et Kryvenkyy c. Ukraine, no 43768/07, § 52, 16 février 2017).

B.  Application à la présente espèce

18.  La Cour rappelle avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure d’expropriation, et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

1.  Dommage matériel

19.  S’agissant de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour s’est exprimée en ces termes dans l’arrêt au principal :

« 90. La Cour constate que les juridictions ont, en dernière instance, fait leurs les conclusions d’un rapport d’expertise non conforme aux indications qui avaient été données aux experts par la cour d’appel de Lisbonne dans ses arrêts du 7 juillet 1993, du 2 mai 1996 et du 7 mai 1998. En effet, ce rapport se plaçait en l’an 2001 pour apprécier la valeur du terrain alors que l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 7 mai 1998 prescrivait d’apprécier cette valeur à la date de la déclaration d’utilité publique de l’expropriation. En outre, ce rapport ne répondait pas à la question posée par la cour d’appel sur l’existence, au moment de l’expropriation, d’un plan d’urbanisation concernant ledit terrain, et ne faisait aucune référence au contrat d’urbanisation signé entre la mairie d’Oeiras et la société Habitat. Or, si dans son jugement du 15 décembre 2008, le tribunal d’Oeiras a reconnu qu’au moment de la déclaration d’utilité publique les terrains étaient inclus dans un plan d’urbanisation en vertu du contrat signé entre la mairie d’Oeiras et la société Habitat, il a en revanche considéré que le quantum constructible indiqué sur la carte topographique annexée audit contrat ne pouvait être retenu.

91. La Cour note que, pour justifier cette approche, qui a abouti, en l’occurrence, à retenir une surface de plancher constructible de 17 250 m², les experts ont indiqué que le long laps de temps écoulé depuis l’expropriation rendait difficile la détermination de la surface de plancher constructible à l’époque de celle-ci (voir ci-dessus paragraphe 44). Aux yeux de la Cour, cela revient à sanctionner les requérants pour la durée d’une procédure dont ils ne peuvent être tenus responsables (voir ci-dessus, paragraphe 58). Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue ci‑dessus aux paragraphes 59 et 60, la Cour estime que les juridictions auraient dû, au contraire, compenser le retard de la procédure en actualisant le montant de l’indemnité au regard de l’inflation et en ajoutant des intérêts, ces derniers devant correspondre aux intérêts légaux simples appliqués au capital progressivement réévalué (Guiso‑Gallisay, précité, § 105 ; Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 42, CE DH 2014 ; Scordino, précité, § 258; Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, §§ 219-220, CEDH 2012). Certes, dans son arrêt du 11 février 2010, la cour d’appel de Lisbonne a actualisé le montant de l’indemnité en tenant compte de l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Elle a toutefois omis d’assortir ce montant d’intérêts pour le retard dans la fixation et le paiement de l’indemnité depuis l’expropriation.

92. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit de chacun au respect de ses biens. »

20.  Notant que les parties font une interprétation divergente de ces paragraphes, la Cour rappelle qu’elle n’a pas jugé l’expropriation comme étant contraire au principe de la légalité (paragraphe 81 de l’arrêt au principal). En effet, le constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention s’est fondé, en l’espèce, sur une disproportion injustifiée entre les exigences de l’intérêt général et le droit des requérants au respect de leurs biens. Plus particulièrement, il a été reproché aux autorités internes, d’une part, de s’être fondées en dernière instance sur une expertise non conforme aux indications qui avaient été données aux experts par la cour d’appel de Lisbonne dans ses arrêts du 7 juillet 1993, du 2 mai 1996 et du 7 mai 1998 (paragraphe 90 de l’arrêt au principal) et, d’autre part, de ne pas avoir compensé le retard pris pour fixer et payer l’indemnité d’expropriation en versant une somme additionnelle correspondant aux intérêts de retard (paragraphe 91 de l’arrêt au principal in fine).

21.  Dans ces conditions, la Cour est d’avis qu’une restitutio in integrum n’est pas justifiée en l’espèce (voir, a contrario, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, §37-38, série A no 330‑B, et Brumărescu, précité, §§ 21-22). Elle estime que le rétablissement de « la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu » se limite au paiement d’une indemnisation adéquate qui aurait dû être versée à l’époque de l’expropriation. Aux termes du paragraphe 91 de l’arrêt au principal, l’indemnisation à octroyer au titre du dommage matériel devra donc correspondre à la valeur pleine et entière des terrains en cause au moment de l’expropriation, somme de laquelle devra être déduite celle ayant été versée aux requérants au niveau interne. Cette indemnisation, progressivement réévaluée en tenant compte du taux d’inflation, devra être assortie d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains (Guiso-Gallisay, précité, §§ 103-105).

22.  La Cour note que, pour formuler leur demande au titre du dommage matériel, les requérants s’appuient sur l’expertise unanime du 8 octobre 1996 ayant fondé le jugement du tribunal d’Oeiras du 11 septembre 1997 (voir, à cet égard, les paragraphes 36 à 41 de l’arrêt au principal). Or cette expertise ne saurait être retenue en l’espèce puisqu’elle a été invalidée par la cour d’appel de Lisbonne dans son arrêt du 7 mai 1998.

23.  Faute pour les parties d’avoir fourni une expertise actualisée rendant compte de la valeur marchande des terrains en cause au moment de l’expropriation, la Cour décide de tenir compte de celle qui a été retenue en dernière instance (paragraphes 44 et 46 de l’arrêt au principal) et de la rapporter à la date de l’expropriation, soit au 20 octobre 1980 (paragraphe 18 de l’arrêt au principal). En diminuant cette somme, pour les besoins du calcul, en fonction de l’inflation courue entre le 20 octobre 1980 et le 31 janvier 2001, en ayant égard aux taux d’intérêts légaux et aux taux d’inflation entre le 20 octobre 1980 et le 4 juin 2015 (paragraphes 14 et 15 ci-dessus) et, compte tenu de la somme versée aux requérants par les autorités internes en 2010 (paragraphe 47 de l’arrêt au principal), statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 4 000 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2.  Dommage moral

24.  La Cour reconnaît que les requérants ont subi un dommage certain en raison de la durée excessive de la procédure d’expropriation au niveau interne et des conséquences de ce retard sur la fixation de l’indemnité d’expropriation. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de leur allouer conjointement 21 000 EUR.

3.  Frais et dépens

25.  La Cour rappelle que, pour avoir droit à l’allocation des frais et dépens en vertu de l’article 41 de la Convention, la partie lésée doit les avoir réellement et nécessairement exposés. En particulier, l’article 60 § 2 du règlement prévoit que toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie. En outre, les frais et dépens ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Vistiņš et Perepjolkins, précité, § 50).

26.  En l’espèce, la Cour a conclu, d’une part, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure interne et, d’autre part, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 2 ci-dessus). Force est de constater que, même s’il n’y avait pas eu violation de ces dispositions, les requérants auraient encourus des frais pour la procédure d’expropriation engagée au niveau interne. Dès lors, eu égard aux documents versés par les requérants à l’appui de leur demande, la Cour estime qu’il y a lieu de leur rembourser une partie de la somme réclamée pour la procédure nationale, soit 400 000 EUR. Les requérants n’ayant pas demandé le remboursement des frais engagés devant elle, elle juge qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

4.  Intérêts moratoires

27.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

ROZALIA AVRAM c. ROUMANIE du 5 avril 2016 Requête 19037/07

La CEDH attendait que l'appartement spolié soit rendu à la requérante. Il ne le sera pas, elle fixe une indemnité en équité pour remplacer la valeur de l'appartement spolié.

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

7. La requérante allègue avoir subi un dommage tant matériel que moral. Pour le préjudice matériel, elle réclame la restitution de l’appartement litigieux. A défaut d’une telle restitution, elle sollicite l’octroi de la somme de 70 000 EUR qui représenterait la valeur marchande de l’appartement. Elle précise qu’elle ne dispose pas de moyens financiers pour réaliser une expertise de la valeur exacte de l’appartement.

8. Par ailleurs, au titre du dommage moral, elle réclame la somme de 5 000 EUR, en raison notamment du sentiment de désarroi dû au fait de devoir subir à un âge avancé les litiges concernant l’appartement.

9. La requérante expose, en outre, que le 18 mars 2015, elle a demandé la révision de l’arrêt de la cour d’appel de Timisoara qui avait prononcé l’annulation de la vente de l’appartement. Par un arrêt définitif rendu le 13 octobre 2015 par la même cour d’appel, sa demande a été rejetée au motif que la réouverture de cette procédure porterait atteinte à l’autorité de chose jugée de l’arrêt qui l’avait clôturée. Par ailleurs, la cour d’appel a estimé que le Gouvernement pouvait effacer les conséquences de la violation constatée en concluant un accord avec la requérante.

10. Le Gouvernement conteste les prétentions de la requérante. Pour le préjudice matériel, en se fondant sur les informations fournies par la chambre locale des notaires, il indique que la valeur de l’appartement litigieux serait évaluée à 33 903 EUR. Il précise que, par une décision du 25 novembre 2014, la Commission spéciale de restitution des immeubles ayant appartenu aux cultes religieux a restitué l’appartement litigieux à l’évêché catholique d’Oradea qui en réclamait la propriété.

11. Quant au préjudice moral, il considère excessif le montant réclamé par la requérante.

12. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du non-respect du droit de la requérante à un procès équitable.

13. La Cour rappelle également que, lorsqu’elle constate la violation des droits d’un requérant sous cet angle, le nouveau code de procédure civile roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne. Par conséquent, elle n’accorde pas d’indemnité au titre du dommage matériel (voir, mutatis mutandis, Sfrijan c. Roumanie, no 20366/04, § 48, 22 novembre 2007 et S.C. IMH Suceava S.R.L. c. Roumanie, no 24935/04, § 56, 29 octobre 2013).

14. Cependant, en l’espèce, la Cour ne saurait ignorer qu’après l’arrêt au principal, la demande de révision introduite par la requérante sur le fondement de l’arrêt de la Cour a été définitivement rejetée et que l’appartement litigieux a été restitué à l’évêché catholique.

15. Par conséquent, la Cour doit tenir compte du fait que la requérante n’a désormais plus aucune possibilité pratique de faire redresser au niveau interne la violation constatée en l’espèce.

16. Dès lors, statuant en équité, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 34 000 EUR tous dommages confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

Motais de Narbonne C. France du 27/05/2003 Hudoc 4359 requête 48161/99

le requérant obtient une indemnité supplémentaire par la Cour de 3 286 765, 70 euros pour l'expropriation de ses terrains qui ne seront utilisés que 19 ans plus tard; voir la section sous P1-1.

 Avant de fixer une satisfaction équitable, la Cour constate:

"La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation jurisprudentielle de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci.

Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même.

Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée.

La Cour rappelle ensuite que seuls les préjudices causés par les violations de la Convention qu'elle a constatées sont susceptibles de donner lieu à l'allocation d'une satisfaction équitable"

ANONYMOS TOURISTIKI ETAIRIA XENODOCHEIA KRITIS c. GRÈCE requête 35332/05 du 2 décembre 2010

LA GRECE DOIT REMBOURSER CINQ MILLIONS D'EUROS

14.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI et Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), no 51473/99, § 17, 13 novembre 2003).

15.  Les Etats contractants sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).

16.  En outre, la Cour rappelle que seuls les préjudices causés pas les violations de la Convention qu’elle a constatées sont susceptibles de donner lieu à l’allocation d’une satisfaction équitable (Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 19, 27 mai 2003).

17.  S’agissant de la présente affaire, la Cour rappelle que dans son arrêt au principal, elle s’est exprimée en ces termes sur le rejet du recours introduit contre le refus tacite de procéder à une expropriation, vu le blocage total de propriété aux fins de protection de l’environnement culturel : « (...) le motif retenu par le Conseil d’Etat (...) se distingue par sa rigueur particulière : en effet, assimiler tout terrain qui se trouve hors de la zone urbaine à un terrain destiné à un usage agricole, avicole, sylvicole ou de divertissement du public introduit une présomption irréfragable qui méconnaît les particularités de chaque terrain non inclus dans la zone urbaine. En particulier, la référence à la « destination » d’un terrain, terme per se vague et indéfini, ne permet pas au juge interne de tenir compte du droit qui, éventuellement, régissait in concreto son exploitation avant l’imposition de la restriction incriminée. Dans les cas où la législation pertinente ne prévoit que son exploitation agricole, la « destination » du terrain n’est, en effet, que l’agriculture. Or, dans les cas où le droit pertinent prévoit expressément la constructibilité d’un terrain, le juge interne ne saurait méconnaître cet élément en faisant simplement appel à la « destination » de tout terrain se situant hors de la zone urbaine ». La Cour a dès lors conclu que « dans le cas d’espèce, l’interdiction de construire a été le résultat d’une série d’actes administratifs rendant caduc ledit droit initialement reconnu par le droit interne » (Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c. Grèce, précité, §§ 47-48).

18.  Il ressort de ce raisonnement que la Cour s’est fondée, pour qualifier l’ingérence incriminée, sur l’impossibilité pour la société requérante d’exploiter sa propriété et, a fortiori, sur l’absence d’indemnisation de la part des juridictions internes à cet égard. En d’autres termes, la Cour n’a pas conclu à une privation, licite ou non, de sa propriété. Par conséquent, dans la présente affaire, la nature de la violation constatée dans l’arrêt au principal ne lui permet pas de partir du principe d’une restitutio in integrum (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, §§ 20-21, 28 mai 2002) et, partant, la Cour considère qu’une indemnisation est susceptible de compenser le préjudice allégué. Elle note que la société requérante a subi en l’espèce une restriction radicale à la possibilité de jouir pleinement de sa propriété, selon les droits qui lui avaient été reconnus par la législation pertinente au moment de son acquisition (voir Housing Association of War Disabled et Victims of War of Attica et autres c. Grèce (satisfaction équitable), no 35859/02, § 28, 27 septembre 2007). Elle considère que le blocage total de la propriété de la société requérante en raison de la limitation progressive de son droit de construire a, de fait, limité presque totalement la possibilité d’user de son droit de propriété. Elle relève sur ce point que le terrain litigieux avait été frappé d’une inconstructibilité totale depuis le 28 juin 1984, date à laquelle le ministre de la Culture a qualifié la région dans laquelle celui-ci se situait de « zone A - de protection absolue », à savoir une zone où toute construction était totalement interdite (voir Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c. Grèce, no 35332/05, précité, § 10). Il s’agit ainsi d’un élément que la Cour doit également prendre en compte dans le calcul de la compensation à allouer au titre du dommage matériel subi.

19.  Cela étant dit, la Cour estime que les circonstances de la cause ne se prêtent pas à une évaluation précise du dommage matériel. La présente affaire ayant pour origine la perte presque totale de l’usage de la propriété en cause pendant la période postérieure au 20 novembre 1985, date à laquelle l’Etat grec a reconnu le droit de recours individuel, à ce jour, ce préjudice présente un caractère intrinsèquement aléatoire, ce qui rend impossible un calcul précis de sa compensation (Lallement c. France (satisfaction équitable), no 46044/99, § 16, 12 juin 2003). Cela est d’autant plus vrai que l’écart séparant les méthodes de calcul employées à cette fin par les parties au litige est très important (Katsaros c. Grèce (satisfaction équitable), précité, § 21).

20.  A la lumière de ces considérations, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer à la société requérante 500 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B.  Dommage moral

21.  La société requérante réclame 70 000 EUR au titre du dommage moral subi en raison de la violation des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1.

22.  Le Gouvernement affirme que cette somme est exorbitante et que les constats de violation constituent une satisfaction équitable suffisante pour la réparation du préjudice moral de la société requérante.

23.  La Cour considère qu’en l’espèce les constats de violation des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 constituent en eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante.

II.  Frais et dépens

24.  La société requérante réclame 31 840 EUR, pour les frais et dépens qu’elle a engagés afin de faire valoir ses droits au titre de la Convention, somme qu’elle ventile de la façon suivante :

i.  7 000 EUR pour la procédure devant le Conseil d’Etat. Elle produit à cet égard une note d’honoraires de 1 173,90 EUR ;

ii.  22 095 EUR pour les frais relatifs à la réalisation des expertises, factures à l’appui ;

iii.  2 745 EUR pour la procédure devant la Cour, sans produire de justificatifs.

25.  Le Gouvernement estime que les montants réclamés sont exorbitants et que la rédaction des expertises n’était pas nécessaire. Selon le Gouvernement, la somme susceptible d’être allouée au titre des frais et dépens ne saurait dépasser 2 000 EUR.

26.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], précité, § 54). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 66, série A no 288).

27.  Compte tenu des circonstances de la cause, et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d’allouer à la société requérante un montant de 22 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû par elle à titre d’impôt.

III.  Intérêts moratoires

28.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

Arrêt Pascaud c. France du 8 novembre 2012 arrêt no 19535/08

A.  Dommage matériel

1.  Les arguments des parties

a)  Le requérant

7.  Le requérant précise d’emblée que l’établissement de sa filiation biologique n’étant plus contestable compte tenu de l’arrêt de la Cour du 16 juin 2011, cela lui permet, sans autre formalité, d’être héritier réservataire de son père dans les mêmes conditions qu’un enfant légitime. Il n’entend pas remettre en cause les testaments ou legs librement effectués par son père. Il constate qu’étant son seul descendant direct, la violation de l’article 8 a eu pour effet direct de le priver de la moitié de l’actif successoral qui devait automatiquement lui revenir, en vertu des dispositions pertinentes du code civil applicables au moment du décès, en particulier des articles 757 et 913.

8.  S’agissant du chiffrage du préjudice, le requérant informe la Cour que, depuis la procédure au fond, il a découvert un certain nombre de documents officiels, notamment judiciaires ou de caractère public, permettant de connaître l’actif successoral et l’exacte mesure de son préjudice. Ces documents sont les suivants :

-  déclaration de succession de l’actif successoral faite par la commune de Saint-Emilion, personne publique, par l’intermédiaire d’un notaire, officier public, pour un montant de 758 447,73 EUR ;

-  évaluation du Service des Domaines en 2007 de la valeur de la propriété viticole « Château Badette » (appellation Saint-Emilion Grand‑Cru), ayant permis à la commune de Saint-Emilion de fixer le montant de la demande de droit de préemption de la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural - société de droit privé sans but lucratif, avec des missions d’intérêt général, placée sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances) à 6 500 000 EUR, le cahier des charges dressé sous la forme authentique par un notaire précisant que la mise à prix, soit le minimum de la valeur, était de 3 700 000 EUR ;

-  un rapport d’expertise judiciaire, homologué par le tribunal de grande instance de Libourne par un jugement définitif du 26 janvier 2006 (dans le cadre d’une instance opposant la commune de Saint-Emilion à la SCEA ‑ société civile d’exploitation agricole ‑ Château Badette et son gérant), fixant à 7 942 EUR la valeur des parts de la SCEA du Château Badette à la date du décès de W.A., soit, pour 50 parts, 397 100 EUR, moins un abattement de 10%, la commune de Saint-Emilion étant une collectivité publique.

9.  Le requérant produit un état liquidatif établi à sa demande par un notaire le 9 novembre 2011, au vu de tous les éléments disponibles et dans les mêmes conditions qu’un règlement de succession qui se serait déroulé en 2002. Il en ressort qu’en sa qualité d’héritier réservataire de W.A., la somme de 3 452 001,67 EUR devait automatiquement lui revenir. Ce montant ne correspond pas à une évaluation, mais correspond au résultat de la prise en compte des documents, notamment judiciaires, opposables aux tiers et aux administrations.

10.  Le requérant convient de la nécessité de déduire les droits de succession. Après paiement de ces derniers, il aurait dû percevoir la somme de 3 184 080,67 EUR, qu’il demande à la Cour de lui accorder.

b)  Le Gouvernement

11.  Le Gouvernement prend acte de ce que la Cour a jugé dans son arrêt du 16 juin 2011 qu’il existe dans cette affaire un lien de causalité entre la violation constaté et le dommage allégué, résultant de la privation d’une partie de l’actif successoral de W.A.

12.  Il note que la demande du requérant au titre de la satisfaction équitable est passée d’un montant de deux millions d’euros à 3 184 080 EUR, et qu’il s’agit d’une évaluation qui repose sur un document dressé par un notaire le 9 novembre 2011 sur la base de documents produits par le requérant et dont le Gouvernement n’a pas connaissance.

13.  Il relève plusieurs différences entre la déclaration de succession établie le 30 septembre 2002 par la commune de Saint-Emilion et le projet liquidatif du 9 novembre 2011 produit par le requérant, en particulier la réévaluation de certains actifs et l’ajout de nouveaux actifs :

-  s’agissant de l’évaluation des 50 parts de la SCEA du Château Badette, le Gouvernement note que le jugement du tribunal de Libourne est largement postérieur au décès et à la liquidation de W.A., ce qui ne permet pas de déterminer si l’évaluation ne résulte pas d’une hausse ultérieure et conjoncturelle de la valeur des parts. Il relève en outre que si la valeur de la part a bien été fixée à 7 942 EUR, soit 397 100 EUR pour 50 parts, un abattement de 10% a été retenu en raison des difficultés éventuelles de négociation des parts : la qualité de l’héritier ne modifiant en rien ce constat du tribunal, la valeur des 50 parts ne pourrait excéder 397 100 EUR moins 10%, soit 357 400 EUR. Le Gouvernement souhaite néanmoins que la valeur de ces parts soit arrêtée dans le seul état de liquidation officielle établi par la commune de Saint-Emilion le 30 septembre 2002, soit 270 000 EUR ;

-  pour ce qui est des fermages dus, le Gouvernement les évalue à 66 570 EUR ;

-  concernant l’évaluation du Château Badette, ce bien a fait l’objet d’une donation à la commune du vivant de W.A. pour un montant de 1 171 601 EUR. Le Gouvernement constate que le requérant fait état d’une évaluation réalisée par le Service des Domaines en 2007 pour un montant de 6 500 000 EUR, mais il note que ce document n’est pas produit. En revanche, il constate que la propriété n’a pas trouvé acquéreur pour 3 700 000 EUR. Par ailleurs, une évaluation du Service des Domaines réalisée en 2011 à la demande du Gouvernement dans le cadre de la présente procédure fait état d’une valeur du bien de 3 500 000 EUR libre (le bien était loué au décès de W.A. et il est encore occupé) et 2 450 000 EUR occupé comme en l’espèce. Il estime donc que la juste appréciation doit se situer entre l’évaluation faite en 1998 à l’occasion de la donation et celle du bien occupé en 2011, soit, en équité, une valeur de 1 810 000 EUR ;

-  le Gouvernement ne dispose pas d’information sur la manière dont une parcelle de Saint-Emilion, évoquée par le requérant dans son évaluation, a été identifiée comme faisant partie du patrimoine de W.A. ou sur la méthode de sa valorisation. De plus, un immeuble situé au lieu-dit Balestard a été revendu pour la somme de 220 000 EUR en 2007, son estimation en 2002 étant inconnue. Le Gouvernement déduit de la déclaration de succession établie en 2002 que les biens légués par W.A. à des tiers autres que la commune de Saint-Emilion représentait une somme totale de 203 275 EUR et que les nouveaux actifs ne devraient pas excéder cette somme ;

-  enfin, quant à l’évaluation des droits de succession, l’état liquidatif de 2011 produit par le requérant exclue les « donations antérieures déjà taxées lors de leur signature », ce que le Gouvernement conteste : la demande du requérant reposant sur ce qu’il aurait touché si le lien de filiation avec W.A. aurait été reconnu, il convient de retrancher les droits de succession qu’il aurait dû acquitter sur l’intégralité de la réserve héréditaire.

14.  En conclusion, le Gouvernement estime que l’évaluation de la part successorale qui serait revenue au requérant ne saurait excéder 1 107 000 EUR.

c)  Réponse du requérant

15.  En réponse aux observations du Gouvernement, le requérant précise ce qui suit.

16.  La variation entre ses précédentes prétentions (deux millions d’euros) et sa demande actualisée (3 184 080,67 EUR) s’explique par le fait qu’il s’était initialement fondé sur le seul document disponible, à savoir la déclaration de succession rédigée par la commune de Saint-Emilion elle‑même auprès de l’administration fiscale. Or, il a par la suite découvert des documents officiels qui lui avaient été dissimulés et dont il ressort que les chiffres contenus dans la déclaration de succession sont erronés ou largement sous-évalués pour différentes raisons. Par ailleurs, il souligne que la Cour elle-même a jugé que la question de l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état.

17.  S’agissant de la discordance entre le chiffrage réalisé par un notaire à sa demande en novembre 2011 et la déclaration de succession de 2002, le requérant constate que cette dernière a été effectuée par la commune de Saint-Emilion qui, faute d’héritiers connus, a elle-même unilatéralement fixé les sommes qui allaient servir de base aux droits qu’elle allait devoir payer. Partant, le requérant estime qu’on ne peut prendre en compte la valeur déclarée par le débiteur fiscal des droits de succession en 2002, mais la valeur réelle des biens au jour d’ouverture de la succession, le 7 mars 2002.

18.  Concernant les nouveaux actifs ajoutés dans le document de novembre 2011, le requérant souligne que cela correspond au mode de calcul imposé en droit français et que le notaire s’est strictement conformé aux dispositions applicables pour être en mesure d’évaluer la masse active de la succession et la part qui lui revenait en qualité d’héritier réservataire. Pour déterminer sa part, il convient donc de déterminer comment un notaire chargé de régler la succession aurait procédé en 2002 en présence du requérant héritier réservataire.

19.  Sur l’évaluation des parts de la SCEA du Château Badette, le requérant relève que le Gouvernement indique à tort que l’expertise judiciaire ordonnée et homologuée par le tribunal de Libourne serait postérieure au décès de W.A. et à la liquidation de la succession : l’expert avait précisément reçu pour mission du président du tribunal de grande instance de Libourne d’évaluer la valeur à la date du 7 mars 2002 et son rapport a été ultérieurement homologué. Le requérant relève en outre que la décision de justice définitive du tribunal de Libourne prouve que la commune de Saint-Emilion, qui devait payer les droits de succession, avait sous-évalué la valeur des parts dans la déclaration de succession établie unilatéralement en 2002 et que l’on ne peut donc retenir cette dernière comme base de calcul. Le requérant conteste en outre la possibilité d’opérer un abattement de 10% sur la valeur des parts de la SCEA, l’expert ayant écrit à son conseil en janvier 2012 pour préciser qu’il aurait retenu la valeur de 397 100 EUR sans abattement de 10% en présence d’un héritier réservataire. Enfin, il précise avoir été informé d’une cession de parts à la suite de l’expertise judiciaire, suivant une délibération d’une assemblée générale extraordinaire de la SCEA du 5 décembre 2006, avec une valeur de la part fixée à 7 148 EUR, soit 357 400 EUR pour 50 parts. Le requérant considère que cette somme constitue donc un minimum à retenir.

20.  Il confirme que, s’agissant du montant des fermages dus, la somme indiquée par le Gouvernement (66 570 EUR) est exacte.

21.  Quant aux parcelles de Saint-Emilion, contrairement à ce qu’indique le Gouvernement, il précise qu’elles sont parfaitement connues puisqu’elles sont individualisées et visées dans le testament du 27 août 1998 établi devant notaire, puis dans une donation du 28 novembre 2000 également faite devant notaire et, enfin, dans l’acte de délivrance d’un legs. Absentes de la déclaration de succession et exploitées sous la marque « Château Bellerose Figeac », leur valeur peut en outre être facilement estimée, puisqu’elles sont situées en bordure de l’appellation « Pomerol » à Saint-Emilion et à proximité des châteaux Petrus et Cheval blanc, ce que vante le Château Bellerose Figeac lui-même dans sa promotion. Or, toutes les ventes sont notamment accessibles aux notaires et au Service des Domaines dans le fichier « Perval ». Il en ressort qu’au moment du décès, soit dans la période du 6 décembre 2001 au 8 août 2002, la valeur moyenne à la vente de l’hectare à Saint-Emilion était de 368 360,07 EUR, soit pour les parcelles concernées (1 hectare 10) 405 196 EUR. En outre, une maison d’habitation sur l’un des terrains devant être évaluée à 90 000 EUR selon le requérant, la somme de 495 000 EUR retenue par le notaire dans le chiffrage de novembre 2011 est justifiée.

22.  Le requérant précise que l’immeuble de Balestard a été revendu en 2007 par les donataires pour le prix de 200 000 EUR.

23.  A propos du Château Badette, il souligne que le Gouvernement conteste son évaluation en se fondant sur celle qu’il a lui-même demandé à ses services en août 2011 pour les besoins de la présente procédure. Il doute de la pertinence du montant de 2 400 000 EUR retenu à cette occasion par des fonctionnaires à la demande du Gouvernement. Par ailleurs, il produit l’estimation du Service des Domaines, sur papier à en-tête de la trésorerie générale de la Gironde, à la date du 14 février 2007, à 3 700 000 EUR pour le bien alors occupé (attestation qu’il s’est procurée par l’intermédiaire du maire de la commune de Saint-Emilion en décembre 2011).

24.  Sur le fait que le château n’ait pas trouvé preneur au prix de 3 700 000 EUR, le requérant estime que cela s’explique par le cahier des charges qui décourageait les éventuels acquéreurs en les informant d’un risque d’éviction future du fait de son action en reconnaissance de paternité. Il ajoute que l’absence de la vente ne lui est pas opposable.

25.  Le requérant considère qu’en tout état de cause la valeur exacte du bien était de 6 500 000 EUR, montant fixé pour l’exercice du droit de préemption de la SAFER, étant entendu qu’un bien agricole n’est proposé à une SAFER, de par le statut de celle-ci, qu’au prix le plus exact du marché.

26.  Il soutient que l’estimation réalisée en 2011 par le Service des Domaines à la demande du Gouvernement est manifestement une sous-estimation pour les besoins de la procédure. Il produit à cet égard une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux en date du 16 mars 2011 qui, en raison de l’urgence, a suspendu la vente de la propriété viticole du Château Badette pour la somme de 2 400 000 EUR, aux motifs notamment que tous les éléments du prix de vente ne sont pas clairement déterminés et que ce prix est inférieur à la valeur du bien.

27.  Il porte à la connaissance de la Cour un autre fait nouveau : la vente du Château Badette au mois de mars 2012 pour un prix de 4 770 547,41 EUR. Or, en suivant l’acte et en déduisant de cette somme des éléments qui ne le concernent pas, il obtient la somme de 3 705 800 EUR, ce qui correspond justement à l’évaluation faite par le Service des Domaines en 2007 et à ses premières écritures. Certes, le requérant reconnaît l’existence d’une décote lorsque le bien est loué : cette décote était fixée de 9 à 20% dans l’arrêté du 30 août 2001 et de 11 à 20% dans celui du 13 novembre 2002.

28.  Enfin, pour ce qui est des droits de succession, il précise que le calcul a été effectué conformément aux dispositions du code général des impôts. Par ailleurs, les rapports de donations effectuées du vivant du défunt ont déjà été taxés et ne peuvent donc pas l’être une seconde fois. Il ne doit régler que les droits dont l’assiette est constituée par les actifs qui lui revenaient effectivement au titre de sa réserve.

29.  Le requérant estime d’ailleurs que même en reprenant les évaluations du Gouvernement, qu’il conteste formellement comme étant manifestement sous-évaluées, on obtiendrait une valeur minimale de 2 461 634,67 EUR qu’il aurait dû percevoir.

30.  L’estimation de son préjudice correspond cependant aux évaluations réelles du marché, soit 3 184 080,67 EUR.

31.  Il considère de surcroît que cette somme en valeur 2002 devrait être assortie de légitimes intérêts.

2.  L’appréciation de la Cour

32.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I).

33.  La Cour rappelle également que, dans son arrêt au principal du 16 juin 2011, elle a considéré en l’espèce que le requérant avait subi une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée (§ 68), le droit de faire reconnaître son ascendance faisant partie intégrante de la notion de vie privée (§ 59). Après avoir constaté que ni la réalisation ni la fiabilité de l’expertise génétique qui concluait à une probabilité de paternité de 99,999 % de W.A. sur le requérant n’avaient jamais été contestées devant les juridictions internes (§ 66), elle a jugé que les résultats de l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du requérant (§ 68).

34.  Partant, la Cour a constaté l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué par le requérant (§ 82), à savoir la perte d’une partie de l’actif successoral de W.A. à laquelle il aurait pu prétendre s’il avait été reconnu comme son fils (§ 80). Le Gouvernement en prend acte dans ses observations.

35.  Les observations des parties amènent la Cour à relever ce qui suit.

36.  Quant au moment auquel il faut se placer pour déterminer la valeur de la part à laquelle aurait pu prétendre le requérant, la Cour estime qu’il correspond à la date du décès de W.A., le 7 mars 2002. Les parties en conviennent. Ces dernières se fondent également sur les dispositions du code civil applicables en matière successorale à cette date, dont il ressort que le requérant aurait été seul héritier réservataire et qu’à ce titre il aurait dû recevoir la moitié de l’actif successoral.

37.  La Cour note cependant que les parties s’opposent sur la composition de l’actif successoral et sa valeur, ainsi que sur la question de l’évaluation des droits de succession.

38.  La Cour entend, comme il se doit, apprécier le caractère raisonnable des différents éléments soumis à son appréciation concernant le préjudice matériel (voir, mutatis mutandis, Vermeire c. Belgique (article 50), 4 octobre 1993, § 13, série A no 270-A, Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), no 33985/96 et 33986/96, § 19, Recueil des arrêts et décisions 2000-IX, et Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 21, 27 mai 2003).

39.  Elle relève tout d’abord que les observations du Gouvernement reposent principalement sur la déclaration de succession établie le 30 septembre 2002 par la commune de Saint-Emilion et sur une évaluation réalisée à sa demande par le Service des Domaines, administration rattachée au ministère de l’Economie et des Finances, en 2011. Le requérant fournit quant à lui un état liquidatif réalisé par un notaire dans le cadre d’une consultation privée.

40.  La Cour constate ensuite que le désaccord sur les montants proposés par les parties s’explique largement par les différences d’estimations de la valeur de certains biens, en particulier la propriété viticole Château Badette et les parts de la SCEA Château Badette.

41.  S’agissant tout d’abord de la propriété viticole Château Badette, la Cour relève qu’elle a fait l’objet d’une donation à la commune du vivant de W.A. pour un montant de 1 171 601 EUR. Le Gouvernement produit également une attestation réalisée à sa demande en 2011 par le Service des Domaines qui indique une valeur de 2 450 000 EUR pour le bien évalué occupé et de 3 500 000 EUR libre. Par ailleurs, la Cour note que, par une ordonnance du 16 mars 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a suspendu la vente de la propriété viticole du Château Badette en raison notamment de la sous-évaluation du prix fixé à 2 400 000 EUR, montant très proche de l’estimation de 2011. Enfin, en 2007, le Service des Domaines avait estimé le bien libre à 3 700 000 EUR.

42.  Concernant la valeur des 50 parts de la SCEA du Château Badette, la Cour note que le requérant produit un rapport d’expertise judiciaire, homologué par le tribunal de grande instance de Libourne par un jugement définitif du 26 janvier 2006, dans le cadre d’une instance opposant la commune de Saint-Emilion à la SCEA Château Badette et son gérant, qui fixe à 7 942 EUR la valeur des parts de la SCEA du Château Badette à la date du décès de W.A., ce qui représente 397 100 EUR pour 50 parts.

43.  La Cour relève que d’autres éléments ont été pris en compte dans le document du 9 novembre 2011 versé au dossier par le requérant à l’appui de ses demandes.

44.  Le requérant retient tout d’abord une valeur de 66 570 EUR pour les fermages dus, point sur lequel les parties sont d’accord.

45.  Quant aux parcelles de Saint-Emilion qui étaient absentes de la déclaration de succession faite en 2002, après avoir fait part de ses interrogations sur leur intégration dans le patrimoine de W.A. et leur estimation, le Gouvernement n’a pas contesté les explications du requérant, dont il ressort, d’une part, que ces terrains apparaissent expressément dans le testament rédigé de son vivant par W.A. en 1998 et dans des actes authentiques ultérieurs et, d’autre part, que l’estimation qui en est faite repose sur la situation de ces parcelles et sur la valeur moyenne à la vente de l’hectare enregistrée dans le fichier Perval, ainsi que sur l’existence d’une maison d’habitation sur l’un des terrains. La Cour estime cependant que l’évaluation proposée par le requérant laisse subsister trop d’interrogations, dès lors qu’elle ne repose pas sur des éléments incontestables, mais sur une construction élaborée à partir, d’une part, de la proximité de châteaux prestigieux, dont il n’est pas justifié que la renommée soit susceptible de comparaison avec la marque « Bellerose Figeac » et, d’autre part, de prix moyens qui ne permettent pas de situer exactement le positionnement des parcelles concernées dans la fourchette des prix de vente constatés. En outre, il n’est pas fourni de démonstration convaincante de l’estimation de la maison d’habitation sur l’une des parcelles.

46.  S’agissant de l’immeuble situé au lieu-dit Balestard, les parties indiquent qu’il a été vendu en 2007, évoquant un prix sensiblement identique (soit 220 000 EUR selon le Gouvernement et 200 000 selon le requérant), sans préciser sa valeur à la date du 7 mars 2002.

47.  Enfin, tout en rappelant que le calcul des droits de succession ne relève pas de sa compétence, la Cour constate que cette question prête également à controverse entre les parties.

48.  Dans ces conditions, la Cour estime que les divers éléments constituant le préjudice matériel subi par le requérant ne peuvent se prêter à un calcul exact dans les circonstances de l’espèce. Or, dans une telle hypothèse, elle peut être amenée à les examiner globalement (B. c. Royaume-Uni (article 50), 9 juin 1988, §§ 10-12, série A no 136-D, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 40, série A no 274, et Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV).

49.  Dès lors, dans le cadre d’une appréciation globale et compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le montant du préjudice matériel subi par le requérant peut être fixé à 2 750 000 EUR.

B.  Frais et dépens

50.  Le requérant n’ayant pas présenté de demande pour cette partie de la procédure, aucune somme ne doit lui être allouée à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

51.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

Immobiliare Podere Trieste S.R.L. c. Italie du 23 octobre 2012 requête no 19041/04

Arrêt de Satisfaction équitable : 46 millions d'euros plus 1 700 000 euros soit 47 700 000 euros pour le requérant

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19041/04) dirigée contre la République italienne et dont une société de droit italien, la société Immobiliare Podere Trieste (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 mai 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 16 novembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la requérante avait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de ses biens, et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie, no 19041/04, §§ 43-44, 16 novembre 2006).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait en voie principale la restitution du terrain et une indemnité pour non jouissance du terrain, qu’elle évaluait à 56 616 062,10 EUR. A défaut, elle sollicitait le versement d’un dédommagement de 163 823 229,10 EUR, égal à la valeur vénale actuelle du terrain assortie de la plus-value apportée par les ouvrages entre-temps réalisés sur celui-ci. En outre, la requérante demandait une somme au titre de dommage moral et le remboursement des frais de procédure.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 62, et point 4 du dispositif).

5.  Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est venu à échéance sans que les parties n’aboutissent à un tel accord. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

6.  Le 12 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.

7.  Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.

EN FAIT

8.  Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.

9.  Par un jugement du 11 novembre 2010, le tribunal de Rome trancha les procédures réunies concernant respectivement la restitution du terrain et le paiement des dommages-intérêts pour la perte de propriété (voir paragraphes 21-24 de l’arrêt au principal).

10.  Le tribunal rejeta la demande de la requérante visant la restitution du terrain et condamna la municipalité au paiement des dommages-intérêts pour l’expropriation indirecte du terrain. Concernant la restitution, le tribunal affirma entre autre que la requérante, en introduisant une demande d’indemnisation pour l’expropriation de fait du terrain, avait reconnu la perte de la propriété de son bien au profit de l’administration. Par ailleurs, la restitution du terrain, comportant le transfert des œuvres publiques bâties par l’administration, constituerait une atteinte à l’intérêt général de la collectivité.

11.  Au sujet de l’indemnisation due à la requérante, s’appuyant sur une expertise technique produite par celle-ci le 7 juin 2006, le tribunal affirma que la valeur vénale du terrain à la date de son occupation, à savoir le 5 novembre 1984, était de 9 996 438,56 EUR. Le terrain avait été irréversiblement transformé entre 1987 et 1988. Aux fins du calcul du dédommagement, ledit montant devait être majoré d’une indemnité pour la perte de jouissance du bien découlant de son indisponibilité à compter de la date de l’occupation, calculée sur la base de la contrevaleur vénale du terrain actualisée. Au montant ainsi calculé, le tribunal ajouta la réévaluation et les intérêts légaux. Ainsi, le tribunal condamna la municipalité à payer à la requérante la somme de 40 924 326,13 EUR. L’administration fut par ailleurs condamnée à payer les frais de procédure.

12.  La requérante interjeta appel de ce jugement. Elle réitéra sa demande visant la restitution du terrain et contesta le montant du dédommagement alloué par le tribunal, affirmant que ce dernier avait commis une erreur de calcul. La procédure était, au jour de l’adoption de l’arrêt, pendante devant la cour d’appel de Rome.

13.  Il ressort du dossier que la requérante n’a reçu aucune somme de la part de l’administration.

EN DROIT

14.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

15.  Dans ses observations déposées en 2007, la requérante demandait la restitution de son terrain plus une indemnité pour non-jouissance du bien, qu’elle chiffrait à 56 616 062 EUR. A défaut, elle réclamait la somme de 112 699 344 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain au moment de son expropriation, réévaluée et augmentée de la plus-value dérivant de la réalisation de l’ouvrage public. Dans les observations présentées à la Cour en 2011, la requérante, tout en réitérant sa demande principale visant la restitutio in integrum de son terrain, demande une somme correspondant à la valeur vénale actuelle du terrain, à hauteur de 48 549 018 EUR, plus la somme de 64 730 406,60 EUR au titre de non jouissance du bien à la suite de l’occupation.

16.  Le Gouvernement fait observer que le tribunal de Rome a octroyé à la requérante une satisfaction équitable suffisante, calculée selon des critères conformes à la jurisprudence de la Cour. Il affirme que la municipalité s’exécutera prochainement. Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction équitable, la requérante pourrait être indemnisée deux fois.

17.  La Cour répond d’emblée à l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que la requérante reçoive une double indemnisation, étant donné que les juridictions nationales, lorsqu’elles décideront de la cause actuellement pendante en deuxième instance, vont inévitablement prendre en compte toute somme accordée à l’intéressée par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction équitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procédure nationale dure depuis plus de vingt ans, il serait déraisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction équitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Matthias et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 35174/03, § 14, 17 juillet 2012).

18.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, pareille restitution n’est pas possible, comme en l’espèce, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée.

19.  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

20.  Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

21.  La requérante a perdu la propriété de son terrain en 1984. Il ressort de l’expertise effectuée par la requérante au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain à cette date était de 9 996 438,56 EUR. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante 46 000 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

22.  Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (novembre 1984) jusqu’au moment de la perte de propriété (décembre 1987). Statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 1 700 000 EUR.

B.  Dommage moral

23.  La requérante demande 9 709 803,30 EUR.

24.  Le Gouvernement s’y oppose.

25.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé à la requérante un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

26.  Statuant en équité, la Cour accorde à la requérante 20 000 EUR pour le dommage moral.

C.  Frais et dépens

27.  La requérante demande 62 715,25 EUR pour frais de procédure devant les juridictions internes et réclame le remboursement des frais de procédure devant la Cour.

28.  Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants à titre de frais et dépens sont excessives.

29.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

30.  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.

D.  Intérêts moratoires

31.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  47 700 000 EUR (quarante sept millions sept cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii.  20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii.  20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt à la requérante, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 2.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

LIEN DE CAUSALITÉ ENTRE LA VIOLATION CONSTATÉE ET LE PRÉJUDICE

VOLCHKOVA ET MIRONOV c. RUSSIE du 15 octobre 2019 requêtes n° 45668/05 et 2292/06

Article 41 : La CEDH a indemnisé e calculant le lien de causalité et en déduisant les sommes et avantages déjà perçus

2.  Par un arrêt du 18 mars 2017 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’expropriation des biens des requérants situés à Lyoubertsy avait été effectuée en violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

3.  S’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante de la requête no 45668/05 et le requérant de la requête n2292/06 réclamaient respectivement 601 283 euros (EUR) et 2 569 896 EUR au titre du dommage matériel qu’ils estimaient avoir subi du fait de l’expropriation de leurs biens.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état pour le dommage matériel, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du moment où l’arrêt serait devenu définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 150, et point 7 du dispositif).

CEDH

1. Les principes généraux

17.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 de la Convention habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 69, 20 mars 2018, avec les références qui y sont citées).

18.  La base pour le calcul du dommage subi dépend de la nature de la violation constatée. La Cour a déjà jugé à cet égard qu’elle ne pouvait pas mettre sur le même plan une expropriation régulière et une expropriation contraire au principe de légalité (Arsovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (satisfaction équitable), n30206/06, § 19, 7 février 2019, avec les références qui y sont citées). Dans le cas où il s’agit d’une expropriation régulière en soi, le rétablissement de « la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu » se limite au paiement d’une indemnisation adéquate qui aurait dû être versée à l’époque de l’expropriation (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, § 34, CEDH 2014).

  1. La violation constatée dans l’arrêt au principal

19.  La Cour rappelle tout d’abord que, dans l’arrêt au principal, elle n’a jamais déclaré que l’expropriation des biens des requérants était contraire au principe de légalité. En revanche, elle a estimé que les aspects de « but d’utilité publique » et de proportionnalité de l’ingérence étaient étroitement imbriqués et les a examinés ensemble (Volchkova et Mironov, précité, §§ 103-107 et 114).

20.  Quant à l’utilité publique de la mesure d’expropriation, elle a considéré qu’un doute subsistait sur la question de savoir si la privation des biens des requérants aux fins de construction de logements collectifs poursuivait un intérêt général impérieux (ibidem, § 123).

21.  Quant à la proportionnalité de l’ingérence et, plus particulièrement, à l’indemnisation, elle a observé que, dans leur appel du jugement d’expropriation, les requérants avaient procédé à certains calculs et contesté les montants qui leur avaient été alloués par l’effet dudit jugement. Elle a estimé que ces calculs n’apparaissaient pas être dépourvus de substance ou de fondement (« devoid of substance or substantiation ») et que, partant, la cour d’appel avait l’obligation de porter une appréciation sur ces calculs et de motiver sa décision les rejetant. La Cour a considéré dans son jugement au principal que la juridiction d’appel a manqué à cette obligation (ibidem, §§ 126-127).

22.  Compte tenu de ces deux facteurs tenant, d’une part, aux doutes subsistants quant à un intérêt général impérieux de la mesure et, d’autre part, au défaut de traitement par la justice des arguments présentés par les requérants pour autant qu’ils concernaient l’évaluation des biens à exproprier, la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (ibidem, § 128).

23.  Dans ces conditions, elle estime que le rétablissement de « la situation la plus proche possible de celle qui existerait si la violation constatée n’avait pas eu lieu » se limite au paiement d’une indemnisation adéquate qui aurait dû être versée à l’époque de l’expropriation.

  1. Calcul des montants à allouer à titre de dommage matériel dans la présente affaire

24.  La Cour estime que, compte tenu de la nature de la violation, l’indemnisation à fixer en l’espèce ne doit refléter ni l’idée d’un effacement total des conséquences de l’ingérence litigieuse ni la valeur pleine et entière des biens expropriés (Vistiņš et Perepjolkins, précité, § 36). Pour déterminer la réparation adéquate, la Cour doit s’inspirer des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence relativement à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention selon lesquels, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constituerait en principe une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, elle juge approprié de fixer des sommes autant que faire se peut « raisonnablement en rapport » avec la valeur marchande des biens expropriés, c’est-à-dire des montants qu’elle aurait elle-même trouvés acceptables au regard de l’article 1 du Protocole no 1. Pour ce faire, elle doit procéder à une appréciation globale des conséquences de l’expropriation litigieuse, c’est-à-dire calculer le montant de l’indemnisation d’après la valeur des biens au moment où les requérants en ont perdu la propriété (ibidem).

25.  Elle note qu’aucune des parties n’a soumis de rapport d’expertise ou rapport similaire évaluant les biens expropriés. Le Gouvernement se réfère au rapport de février 2005 qui, selon lui, n’a pas été contesté par les requérants. Ceux-ci soumettent leurs propres calculs relatifs aux indemnités à accorder (paragraphes 7-12 ci-dessus).

26.  La Cour indique ne pas pouvoir s’appuyer sur les calculs proposés par les requérants car ceux-ci se fondent sur des données qui sont sans aucun rapport avec les biens dont ils ont été privés et comptent plusieurs fois les mêmes biens (paragraphes 8 et 11 ci-dessus).

27.  Elle estime par ailleurs qu’il convient de tenir compte du fait que les requérants ont obtenu, à la place de leurs biens expropriés, des baux sociaux pour d’autres logements situés à Lyoubertsy : un bail d’un appartement d’une pièce d’une surface de 31 m2 à la place de la surface de 24 m2 que la requérante de la requête no 45668/05 possédait dans la maison expropriée et un bail d’un appartement de quatre pièces d’une surface de 70 m2 à la place de la surface de 78 m2 que le requérant de la requête no 2292/06 possédait dans la même maison (comparer les paragraphes 7-8 et 35 de l’arrêt au principal). Ces nouveaux logements se situaient à proximité de la maison expropriée : à 2 et 2,5 km respectivement de la maison. Rien n’indique que ces nouveaux logements avaient une valeur inférieure aux parts respectives des requérants de la maison expropriée. Par ailleurs, rien n’empêche les intéressés d’obtenir gratuitement la propriété de leurs nouveaux logements sur le fondement de la loi fédérale relative à la privatisation des logements (paragraphe 16 ci-dessus).

28.  Enfin, la Cour note que, en plus desdits nouveaux logements, la requérante de la requête no 45668/05 et le requérant de la requête n2292/06 ont obtenu respectivement une indemnité de 28 500 USD et une indemnité de 85 600 USD, le total correspondant, selon le rapport d’expertise de février 2005, à la valeur des biens à exproprier (les parts de la maison ainsi que les parcelles de terrain) (paragraphes 32 et 35 de l’arrêt au principal). Il s’ensuit que les intéressés ont été indemnisés deux fois pour leurs parts dans la maison : en nature et en espèces.

29.  Dans ces circonstances, la Cour considère que les requérants ont été correctement indemnisés pour leurs parts de la maison (comparer avec Sigunovy c. Russie (déc.) [comité], no 18836/11, §§ 58-59, 12 février 2019).

30.  Reste à déterminer quelle indemnité aurait été raisonnablement en rapport avec la valeur marchande des parcelles de terrain en question. En l’absence de rapports d’expertise présentés par les parties, la Cour estime qu’il convient de se baser sur les montants initialement proposés par la société investisseuse lors des négociations de vente des parcelles appartenant aux requérants : jusqu’à 50 000 USD pour la requérante et jusqu’à 140 000 USD pour le requérant (paragraphe 26 de l’arrêt au principal). Elle considère que ces montants que la société investisseuse était prête à payer correspondaient à la valeur marchande desdites parcelles.

31.  Eu égard à toutes les circonstances pertinentes de l’affaire, et, en particulier, au fait que les requérants ont reçu une double indemnisation pour leurs parts de la maison (paragraphe 28 ci-dessus), ainsi qu’aux valeurs des biens à exproprier telles qu’indiquées dans le rapport de février 2005 (paragraphe 32 de l’arrêt au principal) et aux conclusions rendues dans l’arrêt au principal, notamment, à l’absence de constat d’illégalité de l’expropriation, la Cour estime appropriées les sommes respectives de 40 000 USD et 112 000 USD pour les parcelles expropriées.

32.  Elle considère en outre qu’il convient de déduire de ces sommes celles déjà versées aux requérants en vertu du jugement d’expropriation au titre de la valeur de leurs parcelles, à savoir 23 300 USD pour la requérante et 70 000 USD pour le requérant (paragraphes 32 et 35 de l’arrêt au principal), de sorte que l’on parvient aux montants de 16 700 USD et 42 000 USD.

33.  Eu égard au fait que tant les juridictions internes que les requérants ont calculé les indemnités en dollars américains, la Cour estime qu’il convient d’allouer les sommes à titre de satisfaction équitable en dollars américains également.

34.  Enfin, elle considère que l’augmentation considérable du cours du dollar depuis 2005 (l’année où le jugement d’expropriation a été rendu) par rapport à celui du rouble russe suffit en l’espèce à compenser les effets de l’inflation.

35.  En conclusion, la Cour alloue 16 700 USD à la requérante de la requête no 45668/05 et 42 000 USD au requérant de la requête n2292/06 pour dommage matériel.

36.  Elle juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

STEFANETTI ET AUTRES c. ITALIE du 1er juin 2017

Requêtes nos 21838/10, 21849/10, 21852/10, 21855/10, 21860/10, 21863/10, 21869/10, 21870/10

Article 41 : remboursement des pensions de retraite perdue par une loi nouvelle. L'arrêt principal avait constaté une double violation. Dans cet arrêt, la CEDH fixe les réparations.

2. L’appréciation de la Cour

13. La Cour rappelle que, dans l’arrêt au principal, elle a constaté une double violation. En premier lieu, l’intervention législative litigieuse, qui réglait définitivement, de manière rétroactive, le fond du litige opposant les requérants à l’État devant les juridictions internes, n’était pas justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, et il y avait donc violation de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 38-44 de l’arrêt au principal). En second lieu, avant l’intervention de la loi de finances pour 2007, les requérants étaient titulaires d’un intérêt patrimonial qui constituait, sinon une créance à l’égard de la partie adverse, du moins une « espérance légitime » de pouvoir obtenir le paiement des sommes litigieuses (paragraphe 65 de l’arrêt au principal). Dans cet arrêt, la Cour a ensuite jugé que l’adoption de la loi no 296 de 2006 avait fait peser sur les requérants une « charge exorbitante » et que l’atteinte portée à leurs biens avait revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des individus (paragraphe 66 de l’arrêt au principal).

14. La Cour rappelle aussi que le principe sous-tendant l’octroi d’une satisfaction équitable est bien établi : il faut, autant que faire se peut, placer l’intéressé dans une situation équivalente à celle où il se trouverait si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu. Par ailleurs, la condition sine qua non à l’octroi d’une réparation d’un dommage matériel est l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice allégué et la violation constatée (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 111, CEDH 2009, et Agrati et autres c. Italie (satisfaction équitable), nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, § 11, 8 novembre 2012).

15. La Cour tient à souligner que, dans la présente affaire, avant l’adoption de la loi litigieuse, la jurisprudence de la Cour de cassation était favorable à la position des requérants (Stefanetti et autres c. Italie, précité, §§ 17 et 42). Ainsi, si aucune violation de la Convention n’avait eu lieu, la situation des requérants aurait vraisemblablement été différente puisque ceux-ci auraient pu se voir reconnaître un montant de pension plus élevé. Partant, la Cour en déduit que la violation de la Convention constatée en l’occurrence est susceptible d’avoir causé aux requérants un dommage matériel (voir, mutatis mutandis, Agrati et autres (satisfaction équitable), précité, § 13).

16. Afin de calculer le préjudice subi, la Cour doit examiner les questions suivantes : a) la détermination de la différence entre les montants que les requérants auraient dû obtenir en l’absence de l’intervention de la loi litigieuse et ceux effectivement perçus par eux ; b) la détermination du préjudice à dédommager sur le total des sommes que les intéressés auraient dû percevoir en l’absence de l’adoption de la loi eu égard à la double violation constatée, à savoir la violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no1 à la Convention.

a) Sur la détermination des montants correspondant à la différence entre les sommes que les requérants auraient dû obtenir en l’absence de l’intervention de la loi litigieuse et celles effectivement perçues par eux et, notamment, sur la période de référence et sur les critères de calcul

17. La Cour note que le Gouvernement a chiffré, à l’aide de tableaux fournis par l’INPS, le préjudice subi par chacun des requérants. À titre d’exemple le Gouvernement fournit un tableau établi par l’INPS, dans lequel figurent les arriérés de pension arrêtés en 2012 qui auraient dû être versés aux requérants en l’absence de l’adoption de la loi de 2006 voir annexe II). La Cour remarque que, de leur côté, les requérants ont inclus dans leurs propositions la différence de montant entre les pensions qu’ils auraient pu obtenir jusqu’à la fin de leur vie selon une estimation de l’espérance de vie résiduelle et celles qu’ils percevront effectivement.

18. Pour ce qui est de la détermination de la période de référence, la Cour ne partage pas l’argument du Gouvernement selon lequel il conviendrait de prendre uniquement en compte la période comprise entre la date de départ à la retraite des requérants et la date de l’entrée en vigueur de la loi de 2006. À ses yeux, la violation des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention n’est pas liée exclusivement au caractère rétroactif de la loi ainsi qu’elle l’a déjà affirmé, uniquement par rapport à la première des deux dispositions ci-dessus citées, dans les affaires Cataldo et Biraghi (précitées, §§ 65 et 66 et 51et 52 respectivement).

19. La Cour rejette également les prétentions des requérants fondées sur la période allant jusqu’à la fin de leur vie basée sur une estimation de l’espérance de vie résiduelle. La Cour souligne que la satisfaction équitable ne peut être accordée au titre de l’article 41 que pour autant qu’elle se rapporte à une ou plusieurs violations constatées par la Cour. En l’espèce, la Cour a constaté la violation de la Convention pour la période allant du départ à la retraite des requérants jusqu’en 2014, moment où l’arrêt sur le fond a été adopté par la Cour. Elle estime que le reste du préjudice souffert est à déterminer et régler dans le cadre de la procédure d’exécution de l’arrêt au principal (voir article 46 §§ 1 et 2 de la Convention et § 20 ci-dessous).

20. À cet égard, la Cour constate que les dommages réclamés concernant la période postérieure à la publication de l’arrêt au principal de la Cour tirent leur origine du fait que la loi litigieuse, considérée par elle comme ayant emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, est toujours en vigueur. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 §§ 1 et 2 de la Convention, dans le cadre de l’exécution de ses arrêts, les États ont l’obligation de mettre un terme à la violation constatée et d’en effacer les conséquences (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI). Ainsi, en l’occurrence, sans préjudice de la possibilité pour les requérants de saisir à nouveau la Cour pour se plaindre de nouvelles violations de leur droit de propriété en raison de l’application de la loi litigieuse après le 15 avril 2014 – date de la publication de l’arrêt au principal –, l’indemnisation du dommage subi à partir de cette date devrait être tranchée, dans le cadre de la procédure sur l’exécution du présent arrêt et de l’arrêt au principal, par les autorités nationales (voir, mutatis mutandis, Agrati et autres (satisfaction équitable), précité, § 15 ; voir également la résolution CM/ResDH (2013)91 adoptée par le Comité des Ministres le 29 mai 2013, lors de la 1171e réunion des Délégués des Ministres, et son annexe dans l’affaire Lakićević et autres c. Monténégro et Serbie, nos 27458/06, 37205/06, 37207/06 et 33604/07, 13 décembre 2011, dans laquelle le Comité des Ministres a pris acte du rétablissement de la protection des droits prévue à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la modification de la loi intervenue entretemps).

21. Par conséquent, la Cour estime qu’il convient de prendre en considération, dans le cadre de la présente affaire, les arriérés de pension arrêtés en 2014.

22. Pour ce qui est des critères utilisés par les parties afin de déterminer la différence entre les sommes que les requérants auraient obtenu en l’absence de l’intervention de la loi litigieuse et celles effectivement perçues par eux, la Cour prend note de l’observation du Gouvernement selon laquelle les sommes demandées par les requérants prennent également en compte des cotisations versées à un titre autre que celui concernant les périodes de travail en Suisse. Les requérants ne formulent aucune observation sur ce point. Partant, la Cour décide de retenir comme base de calcul du dommage matériel les montants indiqués par le Gouvernement (figurant dans l’annexe III).

23. La Cour note, toutefois, que la période prise en compte par le Gouvernement afin de calculer les arriérés s’arrête au 29 août 2012 (paragraphe 9 ci-dessus). Par conséquent, pour la période allant de cette date jusqu’en 2014, la Cour estime qu’il y a lieu de prendre en compte comme base de calcul les sommes proposées par les requérants, ainsi qu’elle l’a fait dans les affaires Cataldo et Biraghi (précitées, §§ 66 et 52 respectivement ; voir annexe IV).

b) Sur la détermination du préjudice à dédommager sur le total du montant que les requérants auraient dû percevoir en l’absence de l’adoption de la loi eu égard à la violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no1 à la Convention

24. S’agissant de la thèse du Gouvernement selon laquelle le préjudice subi en l’occurrence doit être considéré comme une « perte de chance », la Cour souligne que, contrairement aux requérants des affaires Cataldo et Biraghi (précitées), les intéressés ont subi une atteinte à leur droit au respect de leurs biens qui a emporté non seulement violation de l’article 6 § 1 de la Convention, mais également celle de l’article 1 du Protocole no 1. Pour les mêmes raisons que celles exposées au paragraphe 15 ci-dessus, elle estime que les violations de la Convention constatées dans l’arrêt au principal ont causé aux requérants un dommage matériel qui va au-delà de la simple « perte de chance ».

25. De même, la Cour rejette l’argument avancé par les requérants selon lequel le préjudice matériel devrait être calculé sur la base de la différence de montant entre les pensions qu’ils auraient dû obtenir en l’absence de l’intervention législative litigieuse et celles effectivement perçues par eux.

26. À cet égard, elle rappelle que, dans la présente affaire, les requérants ont été amenés à supporter une charge excessive et disproportionnée qui ne saurait se justifier par la défense des intérêts légitimes de la collectivité en raison de la réduction de plus de la moitié de leur pension (paragraphe 66 de l’arrêt au principal). La conclusion de la Cour aurait été différente s’ils avaient eu à subir une réduction raisonnable et proportionnée de leurs droits (paragraphes 58 et 59 de l’arrêt au principal).

27. La Cour a ainsi déjà estimé qu’une réduction de moins de la moitié des pensions des requérants n’était pas déraisonnable (Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, 31 mai 2011, § 62, Cataldo et Biraghi, précitées ; voir également Cichopek c. Pologne et 1627 autres requêtes (déc.), no 15189/10, 14 mai 2013, § 152). Elle a par ailleurs estimé qu’il ne serait pas justifié d’accorder l’intégralité des pensions en cas de diminution dépassant ce seuil (voir, mutatis mutandis, Lakićević et autres c. Monténégro et Serbie, précité, § 80).

28. Par conséquent, la Cour ne peut leur allouer l’intégralité de la somme qu’ils réclament, précisément parce qu’une réduction raisonnable et proportionnée de leur droit à pension se serait conciliée avec leurs droits tels que garantis par la Convention (Kjartan Ásmundsson c. Islande, no 60669/00, §§ 45 et 51, CEDH 2004‑IX).

29. Eu égard à ce qui précède et compte tenu des circonstances spécifiques de l’affaire et du type de contentieux en cause (voir Stefanetti et autres c. Italie, précité, §§ 60-65), la Cour estime raisonnable de reconnaître à titre de dommage matériel la différence entre 55 % des sommes que les requérants auraient dû obtenir en l’absence de l’intervention de la loi litigieuse et celles effectivement perçues par eux (voir annexe V).

30. Par conséquent, elle décide d’accorder les sommes suivantes : 

Requête no

Requérant

Somme accordée au titre du préjudice matériel

21838/10

M. Stefanetti

146 508 EUR

21849/10

M. Rodelli

100 517 EUR

21852/10

M. Negri

159 922 EUR

21855/10

M. Della Nave

167 601 EUR

21860/10

M. Del Maffeo

166 158 EUR

21863/10

M. Cotta

72 088 EUR

21869/10

M. Curti

47 382 EUR

21870/10

M. Andreola

14 786 EUR

 31. Enfin, la Cour estime que les requérants ne sauraient être exonérés du paiement de l’impôt, calculé conformément au droit interne, sur les sommes accordées par elle, compte tenu du fait que les arriérés des pensions sont normalement assujettis à l’impôt sur le revenu.

B. Frais et dépens

32. Les requérants réclament 24 711,46 EUR chacun pour les frais et dépens engagés globalement devant la Cour.

33. Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur ce point.

34. Étant donné que, dans l’arrêt au principal, la Cour a considéré, pour rejeter la demande relative au remboursement des frais et dépens engagés devant elle, qu’il n’existait pas de preuve de la réalité de ceux-ci (paragraphe 77 de l’arrêt au principal et point 7 du dispositif), elle ne voit pas de raisons de s’écarter en l’occurrence de ce constat.

35. Toutefois, la Cour rappelle que, si nécessaire, elle alloue un montant pour frais et dépens en vue du remboursement des sommes que les requérants ont dû engager non seulement pour essayer de prévenir une violation et pour la faire constater par elle, mais aussi, au besoin, pour obtenir – après un arrêt favorable – une satisfaction équitable soit des autorités nationales compétentes soit, le cas échéant, d’elle-même (Neumeister c. Autriche (article 50), 7 mai 1974, § 43, série A no 17, König c. Allemagne (article 50), 10 mars 1980, § 20, série A no 36, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 284, CEDH 2006‑V et Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 127, CEDH 2014).

36. Par ailleurs, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Maktouf et Damjanović c Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 94, CEDH 2013).

37. En l’occurrence, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’octroyer à ce titre 5 000 EUR aux requérants conjointement pour la procédure menée devant elle après le prononcé de l’arrêt au principal.

C. Intérêts moratoires

38. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

WINTERSTEIN ET AUTRES c. FRANCE du 28 avril 2016 requête 27013/07

Indemnisation article 41 : démontage des camps et expulsions des gens du voyage du bois du Trou-Poulet à Herblay en 2006, pour faire plaisir aux plus imbéciles des électeurs. L'heure des comptes a sonné, les français doivent payer.

23. S’agissant de la demande au titre du préjudice matériel, la Cour rappelle qu’il doit y avoir un lien de causalité entre le dommage allégué par les requérants et la violation de la Convention (voir parmi d’autres Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 81, CEDH 2014). Pour déterminer en pareil cas le niveau de la satisfaction équitable qu’il est nécessaire d’allouer à chaque requérant pour ses pertes matérielles, la Cour jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation dont elle use en fonction de ce qu’elle estime équitable (ibidem, § 82 et la jurisprudence citée).

24. En l’espèce, la violation de l’article 8 constatée par la Cour tient au fait que les juridictions internes ont ordonné l’expulsion sous astreinte des requérants, sans avoir analysé la proportionnalité de cette mesure (§§ 156‑158 de l’arrêt au principal). Même si l’on ne peut spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure dans le cas contraire, la Cour estime néanmoins probable, comme le montrent les décision intervenues depuis l’adoption de l’arrêt au principal (paragraphes 9-13 ci-dessus), qu’au vu de l’ancienneté et de la stabilité de l’installation des requérants et de la longue tolérance de la commune, de l’intérêt supérieur des nombreux enfants scolarisés et de l’absence de mesures de relogement pour la plupart d’entre eux, la mesure d’expulsion aurait été, soit rejetée, soit assortie de délais et garanties leur permettant de préparer dans de meilleures conditions leur départ.

25. Or il ressort du dossier que les requérants qui sont partis dans l’urgence à la suite de la procédure d’expulsion ont dû abandonner, soit leur caravane, soit les chalets ou bungalows qu’ils avaient construits (qui ont été immédiatement détruits par les autorités communales) avec les effets personnels qu’ils contenaient. La Cour estime donc que cet aspect du préjudice matériel qu’ils ont subi est en lien avec la violation constatée et qu’il y a lieu de l’indemniser. En revanche, la somme réclamée par Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue-Bessin au titre de l’investissement sur le terrain qu’ils occupent ne peut être prise en compte à ce titre et la somme sollicitée sera réduite en conséquence.

26. Compte tenu de la difficulté de chiffrer précisément les pertes subies par les requérants et des éléments dont elle dispose, la Cour décide de leur allouer les montants suivants : 600 EUR à Catherine Herbrecht, 2 000 EUR chacun à Pierre Mouche, Rosita Ricono, Paul Mouche et Gypsy Debarre, 2 000 EUR à chacun des couples composés de Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin et Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin et 3 000 EUR à Solange Lefèvre.

2. Préjudice moral

27. Au titre du préjudice moral, ceux des requérants qui sont restés au bois du Trou-Poulet (Laetitia Winterstein, Germain Guiton, Michelle Perioche ainsi que Mario Guiton et Stella Huet) sollicitent 7 500 EUR ; les autres requérants réclament des sommes allant de 15 000 EUR (Martine Payen, Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin, Catherine Herbrecht, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Solange Lefèvre et Sandrine Plumerez) à 20 000 EUR (Pierre Mouche, Paul Mouche, Franck Mouche, Gypsy Debarre, Steeve Lefèvre et Graziella Avisse, Jessy Winterstein, Rosita Ricono, Philippe Lefèvre et Vanessa Ricono).

28. Se référant à l’arrêt au fond, le Gouvernement fait valoir que le préjudice moral dont peuvent se prévaloir les requérants est différent selon qu’ils ont souffert uniquement des effets de l’absence d’examen de la proportionnalité de la mesure d’expulsion ou qu’ils ont également souffert de l’absence de relogement sur des terrains familiaux. Le Gouvernement observe que Solange Lefèvre, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Sandrine Plumerez et Martine Payen ont été logées en logements sociaux et estime que la somme de 3 000 EUR serait de nature à indemniser leur préjudice moral. Il propose un montant de 7 000 EUR pour les autres requérants.

29. La Cour constate que les requérants se divisent en trois groupes pour la présentation de leurs demandes : un premier groupe de requérants (ceux qui sont restés au bois du Trou-Poulet, à savoir Laetitia Winterstein, Germain Guiton, Michelle Perioche ainsi que Mario Guiton et Stella Huet) limitent à 7 500 EUR leurs prétentions au titre du préjudice moral. Liée par ces demandes, la Cour y fait droit dans leur intégralité.

Le deuxième groupe de requérants, qui ont été relogés en logements sociaux ou ont trouvé une installation relativement stable (à savoir Martine Payen, Thierry Lefèvre et Sophie Clairsin, Patrick Lefèvre et Sylviane Huygue‑Bessin, Catherine Herbrecht, Catherine Lefèvre, Sabrina Lefèvre, Solange Lefèvre et Sandrine Plumerez) sollicitent pour leur part 15 000 EUR et le troisième groupe, correspondant à ceux qui n’ont pas d’hébergement fixe (Pierre Mouche, Paul Mouche, Franck Mouche, Gypsy Debarre, Steeve Lefèvre et Graziella Avisse, Jessy Winterstein, Rosita Ricono, Philippe Lefèvre et Vanessa Ricono) 20 000 EUR. La Cour estime que ces sommes correspondent au préjudice subi par les requérants et décide de les leur accorder.

B. Frais et dépens

30. Les requérants demandent conjointement 12 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, se décomposant comme suit : 5 000 EUR en remboursement des honoraires de leurs avocats (dont ils justifient par des notes d’honoraires), 2 500 EUR au titre de frais divers de déplacement et de transport et 2 500 EUR au titre du travail d’actualisation depuis le 17 octobre 2013 (date de l’arrêt au fond).

31. Le Gouvernement note qu’à part les justificatifs des honoraires d’avocats, aucune pièce justificative n’est produite. Il propose d’allouer aux requérants une somme globale de 5 000 EUR.

32. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des justificatifs en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 5 000 EUR pour la procédure devant elle.

C. Intérêts moratoires

33. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

LAGARDÈRE c. FRANCE du 12 avril 2012 Requête N° 18851/07

93.  Le requérant réclame 14 345 452,52 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, outre 50 000 EUR au titre du préjudice moral.

94.  Selon le Gouvernement, les demandes du requérant sont manifestement excessives et leur lien avec les violations alléguées de l’article 6 de la Convention n’est pas démontré.

95.  La Cour note qu’en l’espèce, la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable et qu’il a été porté atteinte au droit de son père à la présomption d’innocence, en violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

96.  Elle rappelle qu’elle n’octroie un dédommagement pécuniaire au titre de l’article 41 que lorsqu’elle est convaincue que la perte ou le préjudice dénoncé résulte réellement de la violation qu’elle a constatée (voir, parmi d’autres, Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, § 40, CEDH 2002-IV). En l’espèce, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si la violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention n’avait pas eu lieu (voir, notamment, Mantovanelli, précité, § 40). En conséquence, rien ne justifie qu’elle accorde au requérant une indemnité de ce chef. Quant au préjudice moral, la Cour estime qu’il a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle décide de lui allouer 10 000 EUR à ce titre.

Association Les Témoins de Jehovah c. France du 5 juillet 2012 requête N°8916/05

L'ETAT doit abandonner sa créance DE 65 M d'euros et rembourser 6 438 140 EUR correspondant à la somme de 4 590 295 EUR qui a déjà fait l’objet d’un paiement au Trésor public, assortie des intérêts calculés au taux de 4,80 % (qui serait appliqué couramment en France pour la réparation d’une erreur commise au préjudice d’un contribuable), correspondant à 1 798 893 EUR.

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8916/05) dirigée contre la République française, dont une association de cet Etat, l’association Les Témoins de Jéhovah (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 février 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 30 juin 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la taxation des dons manuels faits à la requérante de 1993 à 1996 constituait une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention non « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de cette disposition (Association Les Témoins de Jéhovah c. France, no 8916/05, §§ 66 à 72, 30 juin 2011).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait une satisfaction équitable consistant en l’annulation du redressement fiscal et la levée des mesures d’hypothèques prises sur ses biens. Elle réclamait en outre, au titre du préjudice matériel, la restitution des « sommes saisies » à l’occasion du contrôle fiscal, soit 4 590 295 euros (EUR) avec les intérêts correspondants, 250 000 EUR au titre du préjudice moral, et le remboursement des frais et dépens à hauteur de 182 746 EUR.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 76 et point 2 du dispositif).

5.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations, indiquant notamment qu’aucun accord n’avait pu être trouvé.

EN DROIT

6.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

7.  L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :

« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. (...) »

A.  Dommage

a)  Principes applicables

14.  Pour décider de la manière dont il convient d’envisager les demandes de la requérante, la Cour doit avant tout rappeler la portée des obligations de l’Etat au titre de l’article 46 de la Convention, à savoir l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI) et celle de prévenir de nouvelles violations (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 58, série A no 31).

15.  Aux termes de l’article 46 de la Convention, les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’Etat défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. Il est entendu en outre que l’Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 71, CEDH 2006‑IX (extraits) ; Kimlya et autres c. Russie, nos 76836/01 et 32782/03, § 109, CEDH 2009 ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 50, 4 octobre 2011).

16.  Au niveau individuel comme au niveau des mesures générales, le pouvoir d’appréciation des Etats quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) et faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec ceux-ci (Salah, précité, § 73). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence, ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée, la satisfaction qui lui semble appropriée (ibidem ; Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

17.  En outre, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par conséquent, il appartient à l’Etat défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant (Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 47, CEDH 2004‑I).

b)  Application au cas d’espèce

i.  Préjudice matériel

18.  Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l’ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité prévue au paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention. Elle a considéré que le redressement fiscal appliqué à la requérante en vertu de l’article 757 alinéa 2 du code général des impôts tel qu’en vigueur à l’époque des faits était « imprévisible » selon cette législation interne.

19.  La Cour rappelle qu’il faut démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le dommage subi et la violation dénoncée. Elle reconnaît que ce lien n’est pas facilement identifiable dans les matières autres que celles concernant la privation de propriété, et en particulier en cas d’ingérence dans les droits garantis par l’article 9 de la Convention (voir, par exemple, Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, no 40825/98, § 130, 31 juillet 2008 ; Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 118, 15 septembre 2009). Toutefois, force est de constater que le caractère illégal, au regard de la Convention, de l’ingérence litigieuse peut justifier l’octroi à la requérante d’une indemnisation entière. En effet, compte tenu de la nature de la violation, qui prend sa source dans un contentieux purement fiscal, seule la restitution de la somme de 4 590 295 EUR payée par l’association requérante (arrêt au principal, § 23) et perçue indûment, puisque illégalement au vu de la Convention, placerait celle-ci, le plus possible, dans une situation équivalente à celle où elle se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de l’article 9.

20.  A la connaissance de la Cour, les autorités françaises n’ont pas remboursé jusqu’ici à la requérante cette somme, à laquelle il convient d’ajouter des intérêts à partir du jour du paiement. La Cour observe à cet égard que le Gouvernement ne conteste pas le taux d’intérêt réclamé par la requérante. Dans ces conditions, elle fait intégralement droit à sa demande de remboursement telle que formulée au paragraphe 9 ci-dessus (Darby c. Suède, 23 octobre 1990, §§ 37-38, série A no 187 ; mutatis mutandis, Serif c. Grèce, no 38178/97, § 61, CEDH 1999‑IX).

ii.  Préjudice moral

21.  La Cour observe que la demande de l’association se fonde principalement sur le préjudice causé aux fidèles de la confession qu’elle représente. Or, elle seule, en tant que requérante, peut se prétendre victime de la violation de la Convention telle qu’appréciée par la Cour. Dans ces conditions, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder une indemnité pécuniaire au titre du préjudice moral.

iii.  Article 46

22.  Quant à la mesure de taxation toujours en cours, y compris les pénalités et les intérêts de retard (voir paragraphe 10 ci-dessus), la Cour estime qu’il incombe à l’Etat défendeur de mettre en œuvre les moyens propres à effacer les conséquences de sa contrariété à la Convention. Compte tenu de la nature de la violation, elle considère que la renonciation à la recouvrer constituerait une forme appropriée de réparation qui permettrait de mettre un terme à la violation constatée (mutatis mutandis, Zafranas, précité, § 51). Il est entendu cependant que l’Etat défendeur reste libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir d’autres moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (mutatis mutandis, Les témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie, no 302/02, § 206, 10 juin 2010).

B.  Frais et dépens

a)  Procédures internes

24.  La requérante demande le remboursement de la somme de 124 002 EUR au titre des procédures internes.

25.  Elle produit cinq notes d’honoraires relatives à son assistance au cours de la phase précontentieuse d’un montant total de 26 678 EUR.

26.  Les frais engagés au titre des procédures suivies devant les juridictions internes s’élèvent, selon les notes d’honoraires figurant au dossier, à 97 323 EUR décomposés de la manière suivante : 33 693 EUR et 33 630 EUR pour la procédure devant les juridictions du ressort de Versailles ; 30 000 EUR pour l’établissement du mémoire ampliatif devant la Cour de cassation.

b)  Procédure devant la Cour

27.  Quant aux frais exposés devant la Cour, la requérante demande le remboursement de 57 093 EUR.

28.  En premier lieu, cette somme correspond au travail effectué par son conseil qui présente une facture de 47 400 EUR, couvrant la préparation de la requête (27 000 EUR), l’étude des observations initiales et complémentaires du Gouvernement et la rédaction des réponses (9 400 EUR et 2 400 EUR), l’étude de la décision partielle de recevabilité du 17 juin 2008 (8 600 EUR) et la phase de règlement amiable. La lettre du conseil de la requérante indique un taux horaire de 250 EUR mais précise qu’au vu du nombre considérable d’heures nécessitées par le litige, le montant total a été réduit et une somme forfaitaire fixée.

29.  En second lieu, la requérante demande le remboursement de montants respectifs de 4 968 EUR et 4 725 EUR correspondant à des notes d’honoraires d’avocats britanniques et allemands pour des entretiens et la relecture de mémoires rédigés par son conseil.

34.  Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002). La Cour rappelle également que la preuve du paiement effectif des sommes réclamées n’est pas exigée. A tout le moins, l’absence d’une telle preuve ne peut justifier le rejet d’une demande en soi bien fondée (Krejčíř c. République tchèque, nos 39298/04 et 8723/05, § 137, 26 mars 2009).

35.  Quant aux frais exposés devant les juridictions internes, la Cour observe que les réclamations auprès de l’administration fiscale lors de la phase précontentieuse ne visaient pas à réparer les violations de la Convention alléguées (arrêt au principal, paragraphes 13, 17 et 18). Ces frais ne peuvent être donc pris en compte dans l’appréciation de la demande de coûts. Il n’en est pas de même, en revanche, des sommes réclamées pour la procédure devant les juridictions nationales car il n’est pas contesté que l’affaire de la requérante visait partiellement la violation de la Convention. A ce sujet, la Cour rappelle cependant qu’elle n’a conclu en l’espèce à la violation de la Convention que pour l’un des griefs développés par la requérante, celui tiré de l’article 9 de la Convention (voir les décisions sur la recevabilité de l’affaire des 17 juin 2008 et 21 septembre 2010). En outre, elle juge élevés les montants réclamés à titre d’honoraires et considère qu’il y lieu de les rembourser en partie seulement. Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 40 000 EUR de ce chef.

36.  Quant aux frais et dépens exposés au cours de la procédure devant elle, la Cour ne doute pas de leur nécessité et reconnaît la grande quantité de travail effectué au nom de la requérante. Elle trouve cependant excessifs les honoraires revendiqués. En particulier, le nombre d’heures de travail n’est pas précisé et le tarif horaire réclamé de 250 EUR va au-delà de ce qu’elle est disposée à considérer comme un quantum raisonnable (Geerings c. Pays-Bas (satisfaction équitable), no 30810/03, § 28, 14 février 2008). Par ailleurs, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel l’assistance juridique des avocats britanniques et allemands ne correspondait pas à une nécessité (Iatridi, précité, § 56). Eu égard à ce qui précède, elle considère dès lors qu’il n’y a lieu de rembourser les frais qu’en partie. Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 15 000 EUR de ce chef.

37.  En conclusion, la Cour alloue au total 55 000 EUR, hors TVA, à la requérante pour l’ensemble des frais exposés devant les juridictions nationales et à Strasbourg. Pour répondre aux demandes des parties concernant l’exonération fiscale (paragraphes 23 et 33 ci-dessus), la Cour tient à préciser ce qui suit. La Cour octroie, s’il y a lieu, des montants au titre de frais et dépens qui sont destinés à restituer aux requérants les sommes qu’ils ont dû exposer pour essayer de prévenir une violation, pour la faire constater par la Cour et (si besoin est) pour obtenir, après un arrêt favorable, une satisfaction équitable soit des autorités nationales compétentes soit, le cas échéant, de la Cour (Neumeister c. Autriche (article 50), 7 mai 1974, § 43, série A no 17 ; König c. Allemagne (article 50), 10 mars 1980, § 20, série A no 36 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 284, CEDH 2006‑V). Or, il est fréquent que des taxes viennent s’ajouter aux frais et dépens ; ainsi, notamment, la France comme la majorité des autres Hautes Parties Contractantes impose une taxe sur la valeur ajoutée, dite TVA, de certains biens et services. S’agissant des services des avocats, traducteurs et autres, s’il est vrai que la taxe est payée à l’Etat par ceux-ci, elle est néanmoins facturée aux requérants et en dernier lieu payable par eux. Il convient de protéger les requérants contre cet alourdissement de la facture. C’est pour cette seule raison que la Cour ordonne dans le dispositif de ses arrêts que les sommes accordées au titre de frais et dépens soient majorées de tout montant pouvant être dû au requérant à titre d’impôt ou de taxe.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit,

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention,

i.  le remboursement de la somme indûment payée au Trésor public, à savoir 4 590 295 EUR (quatre millions cinq cent quatre-vingt-dix mille deux cent quatre-vingt-quinze euros) assortie des intérêts moratoires au titre du préjudice matériel ;

ii.  55 000 EUR (cinquante-cinq mille euros) pour frais et dépens plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe sur cette somme à la requérante,

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 

2.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Nideröst-Hubert c. Suisse du 18/02/1997 Hudoc 614 requête 18990/91

"La Cour relève l'absence de lien de causalité entre la violation dénoncée et le préjudice matériel allégué; on ne saurait en spéculer sur l'issue d'une procédure conforme aux exigences de l'article 6§1"

Lacombe c. France du 07/11/2000 Hudoc 2002 requête 44211/98

"En l'absence de lien de causalité entre le dommage matériel invoqué et la violation constatée, il n'y a pas lieu d'indemniser ce chef de préjudice"

Stratégies Communications et Dumoulin c. Belgique du 15/07/2002 requête 37370/97

"La Cour souligne que les violations constatées concernent le délai non raisonnable.

Conformément à la Jurisprudence, la compensation du dommage matériel n'est possible que s'il existe un lien de causalité entre les violations et le préjudice matériel.

La Cour n'aperçoit pas un tel lien de causalité entre la violation de l'article 6 et de l'article 13 et le préjudice matériel réclamé. Elle rejette donc la demande sur ce point"

Perote c. Espagne du 25/07/2002 Hudoc 3839 requête 45238/99

"La Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure aurait abouti sans manquement aux exigences de la Convention.

Aucun Lien de causalité ne se trouve donc établi entre la violation constatée et le dommage matériel allégué"

L'ÉTAT PROPOSE UN ACCORD AMIABLE

POUR NE PAS ÊTRE CONDAMNÉ

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- LA CEDH REND UN ARRÊT POUR CONSTATER L'ACCORD

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LA CEDH REND UN ARRÊT POUR CONSTATER L'ACCORD

Arrêt Baudouin contre France du 18 novembre 2010 requête 35935/03

72.  Par une lettre du 23 mars 2010, à laquelle était jointe une déclaration, le Gouvernement a demandé à la Cour, en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention et de l'article 43 § 1 du règlement de la Cour, de rayer le restant de l'affaire du rôle, à savoir les griefs tirés des violations alléguées des articles 5 §§ 1 e) et 4 de la Convention, déclarés recevables par décision du 27 septembre 2007. La déclaration se lit comme suit :

« (...) le Gouvernement français offre de verser à M. Baudoin, à titre gracieux, la somme de 9 000 (neuf mille) euros au titre de la requête enregistrée sous le n35935/03.

Cette somme ne sera soumise à aucun impôt et sera versée sur le compte bancaire indiqué par le requérant dans les trois mois à compter de la date de l'arrêt de radiation rendu par la Cour sur le fondement de l'article 37 § 1 c) de la Convention. Le paiement vaudra règlement définitif de la cause.

Le Gouvernement reconnaît qu'en l'espèce, il y a eu violation des articles 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention du fait que la privation de liberté du requérant, pour la période du 21 octobre au 9 novembre 2004, n'avait pas de base légale. »

73.  Par une lettre du 20 avril 2010, le requérant a fait savoir qu'il entendait maintenir sa requête et qu'il s'opposait fermement à la demande de radiation formulée par le Gouvernement.

74.  La Cour observe d'emblée que les parties ne sont pas parvenues à s'entendre sur les termes d'un règlement amiable de l'affaire. Elle rappelle qu'en vertu de l'article 38 § 2 de la Convention, les négociations menées dans le cadre de règlements amiables sont confidentielles. L'article 62 § 2 du règlement dispose en outre à cet égard qu'aucune communication orale ou écrite, ni aucune offre ou concession intervenues dans le cadre des ces négociations ne peuvent être mentionnées ou invoquées dans la procédure contentieuse.

75.  La Cour partira donc de la déclaration faite le 23 mars 2010 par le Gouvernement en dehors du cadre des négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable.

76.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 37 de la Convention, elle peut à tout moment de la procédure décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conduire à l'une des conclusions exposées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cette disposition. L'article 37 § 1 c) permet en particulier à la Cour de rayer une requête du rôle si :

« pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête. »

L'article 37 § 1 in fine dispose :

« Toutefois, la Cour poursuit l'examen de la requête si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles l'exige. »

77.  La Cour rappelle que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une affaire du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.

78.  La Cour souligne cependant qu'une telle procédure ne vise pas, en soi, à contourner l'opposition de la partie requérante à un règlement amiable. Ce seront en effet les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de l'affaire.

79.  Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figurent la nature des griefs formulés, le point de savoir si les questions soulevées sont analogues à celles déjà tranchées par la Cour dans des affaires précédentes, la nature et la portée des mesures éventuellement prises par le gouvernement défendeur dans le cadre de l'exécution des arrêts rendus par la Cour dans ces affaires, et l'incidence de ces mesures sur l'affaire à l'examen.

D'autres éléments ont leur importance. La déclaration unilatérale du gouvernement défendeur doit notamment renfermer, selon les griefs soulevés, un aveu de responsabilité en ce qui concerne les allégations de violations de la Convention ou, à tout le moins, une concession en ce sens. Dans cette hypothèse, il faut alors déterminer quelle est l'ampleur de ces concessions et les modalités du redressement qu'il entend fournir au requérant (voir, entre autres, Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, §§ 76-82, CEDH 2003-VI et aussi Prencipe c. Monaco, no 43376/06, §§ 57 à 62, 16 juillet 2009).

80.  En l'espèce, la Cour note d'abord que la demande de radiation du Gouvernement, ainsi que la déclaration jointe contenant une offre financière, concernent l'ensemble des griefs déclarés recevables par sa décision du 27 septembre 2007. Par conséquent, la Cour examinera l'opportunité de rayer le restant de la requête du rôle.

81.  Elle relève ensuite que si le grief tiré de la violation de l'article 5 § 1 de la Convention relatif à l'illégalité de l'hospitalisation forcée du requérant demeure circonscrit à la période comprise entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004, tel n'est pas le cas du grief tiré de la violation de l'article 5 § 4 de la Convention. En effet, ce dernier soulève une problématique générale qui, sans se limiter à la période précitée, concerne avant tout l'effectivité des recours disponibles en droit français en matière d'hospitalisation d'office. Or, il s'agit d'une question de principe relative à la privation de liberté qui n'a pas encore été tranchée en tant que telle par la Cour dans des affaires précédentes.

82.  De plus, la Cour constate que la déclaration du Gouvernement français ne comporte qu'une simple mention de l'article 5 § 4 de la Convention, le texte se référant pour l'essentiel au grief tiré de l'article 5 § 1, à savoir à l'absence de base légale de la privation de liberté du requérant entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004. Or, dans les circonstances de la cause, une formulation aussi simplifiée ne saurait constituer une forme de reconnaissance suffisamment explicite de violation du droit du requérant à disposer d'un recours effectif.

83.  Dans ces conditions, la Cour considère que la présente déclaration unilatérale ne constitue pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas la poursuite de l'examen du restant de la requête.

84.  Partant, la Cour conclut au rejet de la demande du Gouvernement de rayer l'affaire du rôle au visa de l'article 37 § 1 in fine de la Convention, et estime nécessaire de poursuivre l'examen du fond des griefs tirés de la violation de l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

DECISION DU 15 MARS 2010 G.N. et autres c. Italie requête no 43134/05

La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt de chambre définitif qu’elle rend ce jour, raye du rôle l’affaire G.N. et autres c. Italie (requête no 43134/05) suite à la conclusion d’un règlement amiable conclu entre les parties, en vertu duquel l’Italie versera plus de deux millions d’euros aux familles des victimes/à la victime survivante de contaminations du sang suite à des transfusions dans les années 1980.

Cet arrêt fait suite à l’arrêt au principal rendu par la Cour le 1er décembre 2009 dans cette affaire, dans laquelle les requérants se plaignaient de ce que eux-mêmes ou leurs proches, thalassémiques, avaient été contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (« VIH ») ou celui de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang et d’administration de produits sanguins dans le cadre du service de santé national.

LES FAITS

Les requérants, M. G.N., Mme G.S., M. D.C., Mme G.D.M., M. S.C., Mme E.S. et Mme D.C., sont des ressortissants italiens nés respectivement en 1950, 1957, 1937, 1938, 1965, 1920 et 1973 et résidant en Italie.

Les six premiers requérants sont des proches de personnes décédées, qui ont été infectées dans les années 80 par le VIH ou de l’hépatite C, suite à des transfusions sanguines par le service de santé national. C’est également le cas de Mme D.C., la septième requérante, et la seule personne contaminée de ce groupe encore en vie. Les victimes souffraient d’une maladie génétique – la thalassémie – qui contraint les malades à recevoir du sang ou des produits sanguins pour survivre.

Invoquant l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, les requérants se plaignaient de la décision des tribunaux selon laquelle avant la découverte de l’hépatite C et du VIH par la communauté scientifique mondiale, il n’existait pas de lien de causalité entre le comportement du Ministère de la santé et les préjudices subis. Sous l’angle de l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention, ils se plaignaient également du refus des autorités de conclure avec eux des règlements à l’amiable, comme il leur était possible de le faire avec les personnes hémophiles ainsi contaminées, possibilité dont ne purent bénéficier les requérants en tant que thalassémiques.

Dans son arrêt du 1er décembre 2009, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 2 concernant l’obligation de protéger la vie des requérants/des proches des requérants, à la violation de l’article 2 concernant la conduite des procédures civiles et à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 2.

Au titre de la satisfaction équitable, la Cour a dit que l’Italie devait verser, pour le dommage moral, 39 000 euros (EUR) respectivement à : Mme D.C. ; M. D.C. et Mme G.D.M. conjointement ; M. G.N. et Mme G.S. conjointement ; Mme E.S. et M. S.C. conjointement, ainsi que, pour frais et dépens, 8 000 EUR aux requérants conjointement. Concernant le dommage matériel, la Cour a dit que la question de

l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état et l’a réservée pour une décision ultérieure.

Décision de la Cour

La Cour a été informée d’un règlement amiable conclu entre le gouvernement italien et les requérants, quant aux demandes de ces derniers au titre de l’article 41. Cet accord revêtant un caractère équitable au sens de l’article 75 § 4 du règlement de la Cour et s’inspirant du respect des droits de l’homme, la Cour en prend acte et estime approprié de rayer le restant de l’affaire du rôle. Elle prend acte de l’engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l’affaire en Grande Chambre.

En vertu du règlement amiable conclu entre les parties, l’Italie versera un total de 2 324 056,05 EUR aux requérants, répartis comme suit :

- 464 811,21 à Mme D.C.

- 619 748,28 EUR conjointement à M. G.N. et Mme G.S.

- 619 748,28 EUR conjointement à M. D.C. et Mme G.D.M.

- 619 748,28 EUR conjointement à M. S.C. et Mme E.S.

FABRIS c. FRANCE Requête no 16574/08du 28 juin 2013

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16574/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Henry Fabris («le requérant»), a saisi la Cour le 1er avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant est représenté par Me A. Ottan, avocat à Lunel. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

2.  Par un arrêt du 7 février 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la différence de traitement subie par le requérant, enfant « adultérin », vis-à-vis de son demi-frère et de sa demi-sœur légitimes, quant à leurs droits successoraux, et en particulier ceux auxquels le premier pouvait prétendre en vertu de la loi du 3 décembre 2001, était dénuée de justification objective et raisonnable, ce qui constitue une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (Fabris c. France [GC], no 16574/08).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 128 550,75 euros (EUR), correspondant au montant de la part successorale qui lui serait revenue s’il avait été traité à égalité avec son demi-frère et sa demi-sœur, augmentée des intérêts légaux. Il demandait également 30 000 EUR au titre du préjudice moral et 20 946 EUR au titre des frais et dépens.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 85, et point 3 du dispositif).

5.  Le 3 mai 2013, le Gouvernement a informé la Cour de « l’accord intervenu entre les parties pour un montant total de 165 097,77 EUR destiné à réparer l’ensemble des préjudices matériel et moral subis par M. Fabris ainsi que les frais et dépens engagés par ce dernier consécutivement à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 constatée par la Cour dans son arrêt du 7 février 2013 ». Il a envoyé la déclaration suivante signée par le requérant le 2 mai 2013 :

« M. Henry Fabris déclare accepter la somme de 165 097,77 euros (cent soixante- cinq mille quatre-vingt-dix-sept euros et soixante-dix-sept centimes) » que le gouvernement français offre de verser en vue de l’indemnisation de l’ensemble des préjudices ainsi que des frais et dépens ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la détermination de la satisfaction équitable ».

EN DROIT

6.  Le 3 mai 2013, la Cour a reçu le texte du règlement amiable conclu entre le Gouvernement et le requérant et portant sur les demandes de ce dernier au titre de l’article 41 de la Convention.

7.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle constate qu’il revêt un caractère équitable au sens de l’article 75 § 4 du règlement de la Cour et s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement). En conséquence, elle estime approprié de rayer le restant de l’affaire du rôle (articles 37 § 1 b) de la Convention et 43 § 3 du règlement de la Cour).

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Décide, par seize voix contre une, de rayer le restant de l’affaire du rôle.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 28 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement. 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Les Etats parties sont tenus de se conformer aux normes fixées par la jurisprudence de la Cour, même s’ils n’ont pas été concernés par tel ou tel différend ayant nourri la jurisprudence. Telle est la grande leçon à tirer de l’arrêt Fabris. En fait, l’Etat défendeur a lui-même quelquefois fourni des exemples louables de ce type de bonne conduite : en témoignent la réaction qu’a eue le Conseil d’Etat français après le prononcé de l’arrêt Moustaquim c. Belgique, lorsqu’en 1991 il a modifié sa jurisprudence sur l’expulsion des étrangers, ou, plus récemment, en avril 2011, la réaction de la Cour de cassation à l’arrêt Salduz c. Turquie (2008) sur la question de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Rappelons que dans ce second cas la Cour de cassation, siégeant dans sa formation la plus solennelle, a déclaré : « les Etats adhérents à [la] Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ».

L’arrêt litigieux de la Cour de cassation du 3 mai 2000 constitue un fait internationalement illicite dont les effets ont porté atteinte au droit du requérant à ne pas subir de discrimination et à hériter d’une part des biens de sa mère. Le devoir de l’Etat défendeur de mettre fin à cette discrimination et de reconnaître le droit du requérant aurait dû être inscrit dans l’ordre juridique national au sein duquel il y a eu atteinte à ce droit. Or ce n’est pas le résultat auquel aboutit l’accord amiable proposé.

Dès lors que l’Etat défendeur avait l’obligation, depuis Mazurek, de faire cesser sur-le-champ toute violation semblable dans une procédure pendante, notamment dans l’action en réduction qu’avait intentée M. Fabris et qui était alors pendante, et que le « droit interne de la Haute Partie contractante » évoqué à l’article 41 ne peut faire obstacle à l’obligation de mettre fin sur-le-champ au comportement illicite, l’Etat défendeur ne pouvait pas choisir de maintenir le traitement discriminatoire à l’égard des enfants nés hors mariage et verser une indemnité au requérant, au lieu de faire cesser la discrimination en cause et d’accorder la réduction de la donation-partage en vertu du principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage.

L’obligation de mettre fin à un fait judiciaire internationalement illicite vise à faire cesser une violation du droit international et à garantir que la règle sous-jacente qui se trouve enfreinte demeure valable et continue à produire ses effets. Cette obligation englobe aussi les situations dans lesquelles un Etat a violé la même règle à plusieurs reprises, avec le risque de répétition à l’avenir (commentaires relatifs à l’article 30 des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, adoptés par la Commission du droit international en 2001). La cessation de la violation n’est pas une question qui est laissée à la discrétion de la partie lésée, car la violation doit cesser même si la partie lésée ne l’exige pas. De plus, la cessation de la violation ne peut faire l’objet de restrictions ayant trait à la proportionnalité. Il faut veiller au respect de la règle qui a été violée, en particulier si l’atteinte prend la forme d’un acte judiciaire émanant de la plus haute juridiction de l’Etat fautif.

En l’espèce, l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2000 a porté atteinte au principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage. Avec le règlement amiable proposé, le fait judiciaire internationalement illicite (c’est-à-dire l’arrêt susmentionné de la Cour de cassation) demeurera valable, et ainsi le principe d’égalité n’aura pas été dûment protégé.

La pleine exécution de l’arrêt de Grande Chambre aurait appelé une autre réaction de la part de l’Etat défendeur. Pour atteindre ce but, l’arrêt aurait dû avoir trois conséquences concrètes : premièrement, l’Etat défendeur aurait dû se pencher sur l’arrêt litigieux de la Cour de cassation du 3 mai 2000 et instaurer, s’il n’en avait pas encore, une procédure en révision des jugements civils propre à mettre fin à la discrimination en question et à la violation consécutive de la Convention européenne des droits de l’homme ; deuxièmement, les juridictions nationales auraient dû procéder au partage ex novo des biens de Mme M., avec une réduction de la donation-partage effectuée en 1970, afin de protéger la part réservataire du requérant, conformément à l’article 922 du code civil français ; troisièmement, l’Etat défendeur aurait dû réexaminer la disposition de la loi du 3 décembre 2001 qui prévoit que les successions ouvertes au 4 décembre 2001 sont régies selon le principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage, excepté s’il y a eu partage des biens avant cette date. Aucune de ces conséquences ne dépend de la volonté de la partie lésée, puisqu’il s’agit d’effets juridiques découlant obligatoirement de l’arrêt de la Grande Chambre du 7 février 2013. Le fait que l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2000 demeure valable, de même dès lors que le partage discriminatoire des biens de Mme M., et, pire, que l’article 25 § 2 de la loi du 3 décembre 2001 reste applicable, permettant un traitement discriminatoire à l’égard des enfants nés hors mariage dans les successions ouvertes au 4 décembre 2001 si le partage a été effectué avant cette date, n’est pas conforme à l’arrêt susmentionné de la Grande Chambre et témoigne donc d’un grave irrespect envers l’autorité de la Cour.

Pour dire les choses simplement, l’Etat défendeur ne peut pas se contenter de verser une indemnité au titre de la situation continue de discrimination juridique subie par M. Fabris dans le cadre de l’ordre juridique interne ; au lieu de cela, il doit offrir au requérant, à son demi-frère et à sa demi-soeur un traitement juridique égal dans le partage des biens de Mme M. L’Etat défendeur ne peut pas non plus maintenir en vigueur une disposition discriminatoire qui porte atteinte au principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage.

Je désapprouve dès lors l’accord amiable proposé, car il ne s’inspire pas des principes posés à l’article 37 § 1 in fine de la Convention, et je réprouve la radiation de la demande de satisfaction équitable formée par le requérant.

GARDER LE SILENCE SUR LA TRANSACTION ENTRE L'ÉTAT ET VOUS

EST INDISPENSABLE, SINON LA REQUÊTE EST DÉCLARÉE IRRECEVABLE

L'AFFAIRE DES FAUCHEURS OGM, du 24 JANVIER 2012

DECISION D'IRRECEVABILITE Mandil c. France requête no 67037/09

LES FAITS

Le requérant, M. François Mandil est un ressortissant français, né en 1978 et résidant à Pontarlier (France).

Le 14 août 2004, plusieurs dizaines de personnes, dont le requérant, se réunirent à Dadonville (Loiret) à l’appel de l’organisation « Les faucheurs volontaires ». Elles se rendirent au lieu-dit Allevran, sur une parcelle où était cultivé du maïs génétiquement modifié pour piétiner, arracher et coucher sur le sol les plants de maïs.

M. Mandil et une quarantaine d’individus furent poursuivis pour détérioration et dégradation volontaire de parcelles de maïs génétiquement modifié.

Le tribunal correctionnel d’Orléans relaxa M. Mandil des fins de la poursuite. Le ministère public interjeta appel. Le 27 juin 2006, la cour d’appel d’Orléans déclara M. Mandil coupable des faits reprochés, le condamnant à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à 1 000 euros (EUR) d’amende. Le pourvoi de M. Mandil fut rejeté.

A la demande du parquet de Besançon, M. Mandil fut convoqué au commissariat de Pontarlier le 17 décembre 2007, afin d’y subir un prélèvement biologique, en application des articles 706-54 et 706-55 du code de procédure pénale. Il s’y rendit mais se refusa à l’opération. Le tribunal correctionnel de Besançon le déclara coupable du délit de refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique. Il fut condamné à 60 jours-amende de sept EUR. La cour d’appel de Besançon confirma le jugement et la Cour de cassation déclara le pourvoi de M. Mandil non admis.

Le 14 octobre 2011, le quotidien L’Est Républicain publia sur son site internet un article intitulé « Négociation - 1 500 € proposés à un conseiller municipal de Pontarlier pour qu’il retire sa plainte contre le gouvernement français - DU BLÉ POUR LE FAUCHEUR D’OGM ».

L’article était accompagné d’une photographie de M. Mandil présentant une lettre de son avocat, avec la légende suivante : « Le conseiller municipal de Pontarlier a reçu une proposition pécuniaire pour annuler ses poursuites. »

Le 17 octobre 2011, le greffe de la Cour fut contacté par un journaliste d’une agence de presse à ce sujet, pour savoir si ce genre de règlement amiable était conforme à l’esprit de la Convention européenne des droits de l’homme.

Alain Barreau et autres c. France, no 24697/09

Les requérants, Alain Barreau et 31 autres, habitent à Orléans et appartiennent au mouvement « Les faucheurs volontaires ». Le 14 août 2006, répondant à un appel de ce collectif, les requérants se réunirent dans la commune de Villereau (Loiret), investirent une parcelle d’essai cultivée par la société Monsanto et participèrent à l’arrachage de l’ensemble des plants de maïs génétiquement modifiés. Ils expliquèrent que leur action était symbolique et visait à attirer l’attention des pouvoirs publics sur la question de la culture des OGM en plein champ, leur risque sur la santé et l’environnement. Ils invoquèrent également le fait que la France n’avait pas transposé la directive 2001/18/CE du Parlement du 12 mars 2001 (relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement), directive qui prévoyait la limitation de ces disséminations et introduisait un contrôle de la mise sur le marché.

Les militants furent interpellés par la gendarmerie, placés en garde à vue puis renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de « destruction volontaire de biens en réunion ». Seize personnes parmi les prévenus refusèrent de se soumettre à des prélèvement biologiques destinés à leur identification. Poursuivis devant les juridictions pénales, les requérants invoquèrent l’état de nécessité pour justifier leur action. Le tribunal d’Orléans les condamna à des peines de trois à quatre mois d’emprisonnement et à des amendes délictuelles pour destruction des biens d’autrui.

Par un arrêt du 26 février 2008, la Cour d’appel confirma le jugement. Les requérants formèrent un pourvoi en cassation que la Cour de cassation déclara non admis par un arrêt du 4 novembre 2008.

Le 21 novembre 2001, la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature publièrent un communiqué sur leur site internet : « Plutôt que d’attendre sereinement l’arrêt, le ministère des Affaires étrangères a entrepris de leur proposer une somme d’argent afin qu’ils se désistent de leur action. Ils ont naturellement refusé, car ils sont de ceux qui pensent que les libertés publiques n’ont pas de prix. »

Le 22 novembre 2011, le quotidien national Libération publia un article : « Des faucheurs, ni à ficher, ni à acheter » avec le sous-titre suivant : « ADN : l’Etat cherche à éviter une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme ». L’article expliquait le contexte de l’affaire ainsi que de deux autres affaires similaires (Mandil c. France et Deceuninck c. France), pendantes devant la Cour.

Le 6 décembre 2011, le quotidien Ouest-France publia un article intitulé « Les faucheurs d’OGM refusent l’argent de l’Etat. » Avec le sous-titre suivant « Pour solder une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’Etat propose un chèque de 1 500 € à chacun des 32 destructeurs d’OGM de Villereau (Loiret). Ceux-ci dénoncent leur fichage ADN. »

Deceuninck c. France, no 47447/08

Le requérant, M. Benjamin Deceuninck est un ressortissant français, né en 1980, et résidant à Le Martint. Le 15 septembre 2001, M. Deceuninck, maraîcher engagé dans un mouvement syndical a, de concert avec une quarantaine de personnes, arraché les cultures expérimentales de betteraves transgéniques dans un champ appartenant à la société Advanta, dans le département du Nord. Onze personnes, dont M. Deceuninck, furent interpellées et poursuivies pour «dégradation grave du bien d’autrui commis en réunion». Il fut condamné à un mois d’emprisonnement avec sursis par un jugement du 3 novembre 2005.

A la suite de cette condamnation, le procureur de la République saisit les gendarmes afin d’effectuer un prélèvement d’ADN sur la personne de M. Deceuninck. Convoqué le 23 juin 2006, celui-ci se présenta à la gendarmerie mais refusa de se soumettre au prélèvement, au motif qu’il était une atteinte à la dignité et à l’intégrité physique, qu’il violait sa liberté individuelle, et que cet acte n’était pas nécessaire. M. Deceuninck fut condamné à une amende de 500 EUR par un jugement du 29 septembre 2006, lequel fut confirmé par la cour d’appel de Nîmes, qui releva que l’infraction était constituée par le refus de se soumettre à un prélèvement biologique. La cour d’appel constata, de plus, que le texte servant de base à la poursuite, devait s’analyser en une mesure de sûreté destinée à faciliter l’identification et la recherche d’auteurs d’infractions pénales. La Cour de cassation rejeta le pourvoi.

Le 21 novembre 2001, la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature publièrent le communiqué précité sur leur site internet et le 22 novembre 2011, le quotidien national Libération publia l’article : « Des faucheurs, ni à ficher, ni à acheter ».

LES DECLARATIONS D'IRRECEVABILITE DU 24 JANVIER 2012

Article 39 § 2 de la Convention et article 62 du Règlement

La Cour rappelle qu’aux termes des articles 39 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 62 du Règlement de la Cour, les négociations en vue de parvenir à un règlement amiable sont confidentielles.

Cette règle de confidentialité revêt un caractère absolu et exclut une appréciation au cas par cas de la quantité d’informations divulguées. Une violation de cette obligation de confidentialité peut être qualifiée d’abus de droit de recours individuel et aboutir au rejet de la requête.

La Cour a maintes fois jugé que les règles de procédures en droit interne visent à assurer la bonne administration de la justice et le respect du principe de sécurité juridique ; le même constat s’impose a fortiori au regard des dispositions procédurales de la Convention et du règlement de la Cour.

La règle de confidentialité des négociations du règlement amiable revêt une importance particulière dans la mesure où elle vise à préserver les parties et la Cour elle-même de toute tentative de pression politique ou de quelque ordre que ce soit. La violation de cette règle s’analyse en un abus de procédure.

Les articles 39 § 2 de la Convention et 62 § 2 du Règlement de la Cour relatifs au règlement amiable interdisent aux parties d’accorder la publicité aux informations litigieuses, que ce soit par le biais des médias, dans une correspondance susceptible d’être lue par un grand nombre de personnes ou de toute autre manière. Les requérants ont été informés de la stricte confidentialité des négociations menées en vue d’un règlement amiable. En l’espèce, les informations dont la Cour dispose permettent d’établir que les requérants et leurs avocats ont sciemment divulgué à la presse les détails de la négociation sur un éventuel règlement amiable de l’affaire. La Cour constate qu’un tel comportement illustre une intention malveillante et à tout le moins une exploitation déloyale dès lors que se sont ajoutés à la diffusion de ces informations des propos susceptibles de jeter le discrédit sur la démarche du Gouvernement qui s’était conformé aux règles en vigueur.

La Cour estime que les parties requérantes ont porté atteinte au principe de la confidentialité édicté par les articles 39 § 2 de la Convention et 62 du Règlement de la Cour, que leur comportement constitue un abus du droit de recours individuel au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Dès lors, ces requêtes sont rejetées et déclarées irrecevables.

QUAND LE REQUÉRANT EST TROP GOURMAND,

LA CEDH FIXE LES SOMMES SUR DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT

Donati c. Italie du 15 novembre 2012 requête no 63242/00

8.  Par une lettre du 29 juin 2012, le Gouvernement a informé la Cour que les négociations avec les requérants en vue d’aboutir à un règlement amiable n’ont pas abouti et a soumis une déclaration unilatérale afin de résoudre la question de la satisfaction équitable.

Dans sa déclaration, le Gouvernement indique notamment qu’il est prêt :

« À réparer la violation de l’article 1 du protocole no 1 et à verser aux requérants une indemnisation à hauteur de 8 000 000 EUR si la Cour, sous la condition du versement de ce montant, raye la requête du rôle conformément à l’article 37 § 1 c) de la Convention. Ainsi toutes les prétentions des requérants liées à la [présente] requête seront considérées comme réglées.

Ce montant sera payable dans un délai de trois mois après la notification de la décision de la Cour de rayer l’affaire du rôle. »

9.  Dans ses observations, le Gouvernement indique notamment que ce montant représente une indemnisation équitable eu égard au fait que la valeur du terrain au moment de la privation du bien telle qu’elle résulte de l’expertise déposée en juin 1971 devant le tribunal de Rome était de 430 000 000 ITL (environ 222 076, 47 EUR).

10.  Le Gouvernement précise que le montant proposé a été calculé en prenant en considération :

-  l’indemnité d’expropriation réévaluée et assortie d’intérêts, à partir de l’occupation matérielle du terrain jusqu’en juin 2012 ;

-  l’indemnité d’occupation, réévaluée et assortie d’intérêts pour la période 31 mars 1969 – 19 juin 1971 (date correspondant à la fin des travaux de construction de l’école) ;

-  le préjudice patrimonial subi en mesure de 10% de la valeur du bien plus réévaluation et intérêts à partir du 31 mars 1969.

11.  Par une lettre du 25 juillet 2012, les requérants ont exprimé l’avis que l’indemnisation proposée dans la déclaration du Gouvernement est beaucoup trop faible, incohérente et insuffisante.

12.  Ils réfutent tous les arguments du Gouvernement et demandent pour le préjudice matériel, 25 297 684,00 EUR, soit une somme correspondant à la valeur actuelle du terrain, plus réévaluation et intérêts. Ils réclament en outre 53 125 136,00 EUR, pour la non-jouissance du terrain et 2 529 768,00 pour le dommage non patrimonial.

13.  Les requérants contestent l’expertise déposée devant le tribunal de Rome, puisqu’elle n’aurait pas pris en considération les effectives possibilités de construction selon le plan d’Urbanisme. Ils rappellent en outre que la procédure interne s’est soldée par la prescription et qu’aucune évaluation sur le fond de l’affaire et donc sur la valeur du terrain n’a été faite par les juges. Le Gouvernement en outre n’aurait pas pris en considération le préjudice pour non-jouissance du terrain.

14.  La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 37 de la Convention, à tout moment de la procédure, elle peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances l’amènent à l’une des conclusions énoncées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. L’article 37 § 1 c) lui permet en particulier de rayer une affaire du rôle si :

« pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête  ».

15.  La Cour rappelle aussi que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. De plus, rien n’empêche un gouvernement défendeur de soumettre une déclaration unilatérale, comme c’est le cas en l’espèce, dans le cadre de la phase de la procédure se rapportant à l’article 41 de la Convention (voir notamment les arrêts Racu c. Moldova (satisfaction équitable – radiation), no 13136/07, 20 avril 2010, et Megadat.com SRL c. Moldova (satisfaction équitable – radiation), no 21151/04, 17 mai 2011). A cette fin, la Cour doit examiner de près la déclaration à la lumière des principes généraux applicables dans le cadre de l’article 41 de la Convention en matière d’expropriation indirecte (voir notamment Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI ; Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009).

16.  Or dans le calcul de la valeur de l’indemnisation à accorder aux requérants, la Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay, précitée, la Grande Chambre a révisé la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, celle-ci a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

17.  Suivant les critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation devrait correspondant à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant devrait être actualisé pour compenser les effets de l’inflation et être assortie d’intérêts.

18.  Eu égard à tous ces éléments et au montant de l’indemnisation proposé par le Gouvernement, qui paraît équitable dans la présente espèce, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen du restant de la requête (article 37 § 1 c) - voir les arrêts Racu et Megadat.com précités, §§ 18 et 14 respectivement).

19.  Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).

20.  A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen du restant de la requête (article 37 § 1 in fine).

LA CEDH CONSIDERE TOUS LES DOMMAGES SUBIS

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- LA COUR RÉPARE TOUS LES PRÉJUDICE JUSQU'A LA MORT DU REQUÉRANT

- LA COUR RÉPARE L'AUGMENTATION DE VALEUR DU BIEN

- LA COUR RÉPARE LA PERTE DE CHANCE

- LA COUR NE RÉPARE LE PRÉJUDICE MORAL QUE S'IL EST GRAVE

- LA COUR RÉPARE LA PERTE DE L'OUTIL DE TRAVAIL

- LES FRAIS DE PROCÉDURE INTERNE SONT PAYÉS QUAND ILS SONT JUSTIFIÉS ET LIÉS A LA VIOLATION.

LA COUR RÉPARE TOUS LES PRÉJUDICES JUSQU'A LA MORT DU REQUÉRANT

GHEDIR c. FRANCE du 15 février 2018 requête 20579/12

Article 41 : 6 500 000 euros de réparation de préjudice physique et moral pour une interpellation de la police d'une violence inouïe. Il s'est retrouvé dans le coma, au niveau 3 à l'échelle  fermée de Glasgow ( 0 = mort  - 15 = vie) Il subit des séquelles physiques et intellectuelles jusqu'à la fin de sa vie.

LES VIOLENCES DE LA POLICE FRANCAISE

A. L'interpellation

10. Le premier requérant fut mis au sol par les agents du SUGE, qui lui menottèrent les mains dans le dos, avant de procéder à une palpation de sécurité. Il fut ensuite placé dans un véhicule de police qui était à proximité. L’intervention se termina à 19 heures 59.

11. Lors de son transport et de son arrivée au commissariat, le premier requérant se plaignit de nausées et dut être soutenu par les policiers pour sortir du véhicule. Les fonctionnaires mentionnèrent l’existence d’une plaie au menton saignant abondamment.

12. Arrivé dans les locaux de garde à vue, le premier requérant perdit connaissance et tomba dans le coma. Un médecin présent sur place lui prodigua les premiers soins, avant l’arrivée des sapeurs-pompiers, à 20 heures 14, puis du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), à 20 heures 45. Il fut ensuite transféré au centre hospitalier de Lagny sur Marne, puis à l’hôpital Beaujon de Clichy.

13. Le premier requérant fut placé en garde à vue à 20 heures 15 pour des faits d’« outrage à AFP » et violences volontaires sur agent chargé d’une mission de service public, sans que la mesure ne puisse lui être notifiée compte tenu, selon le procès-verbal, de son état d’ébriété. Cette garde à vue fut levée à 22 heures 10 sur instruction du procureur de la République.

B. L’enquête de flagrance

14. Le magistrat de permanence du parquet de Meaux fut avisé à 20 heures 40. Il ordonna l’ouverture d’une enquête de flagrance, du chef de violences volontaires par personne chargée d’une mission de service public, qu’il confia à la direction régionale de la police judiciaire (« DRPJ ») de Versailles.

15. Les membres de la police et du SUGE étant intervenus ou ayant assisté à l’interpellation furent entendus. Leurs versions étaient contradictoires : les agents de la SNCF décrivirent une interpellation modèle, tandis que certains policiers la qualifièrent de « musclée ». Parmi ces derniers, N.T., D.F. et R.D. précisèrent avoir vu un employé du SUGE, identifié comme Y.F., porter un coup de genou au premier requérant, au niveau du visage, alors que celui-ci se trouvait au sol maintenu par deux autres agents. Ils ajoutèrent que voyant qu’il allait en porter un deuxième, le brigadier-chef A.H. lui avait mis la main sur le genou en lui disant « c’est bon ».

16. A.H. ne fit pas part de cet élément lors de sa première audition. Il fut réentendu et expliqua qu’en arrivant à la gare le soir des faits, il avait constaté la présence de cinq membres du SUGE autour du premier requérant qui gesticulait. L’un d’eux avait essayé de prendre le bras de l’intéressé qui avait alors fait un geste en lui disant de ne pas le toucher. L’agent identifié comme Y.F. avait répondu « toi, tu ne me frappes pas » et s’était « énervé » contre le premier requérant. Aidé par trois collègues, il l’avait amené au sol. Comme l’intéressé ne voulait pas se laisser menotter, il lui avait porté un coup avec son genou gauche au niveau de la tête. A.H. précisa s’être alors approché. Voyant Y.F. armer son genou droit pour porter un second coup, il l’en avait empêché. Interrogé sur l’absence de ces éléments dans son premier témoignage, le fonctionnaire de police indiqua avoir « pensé que c’était à l’intéressé de prendre ses responsabilités ».

17. N.T. précisa qu’avant d’être amené au sol, le premier requérant n’avait pas été violent mais avait essayé d’enlever la main qu’un agent du SUGE avait posée sur lui. L’un des membres de ce service avait alors tenté de lui porter un coup de poing au visage sans y parvenir.

18. Certains fonctionnaires de police et certains membres du SUGE mentionnèrent que le premier requérant portait la trace d’une coupure au menton avant son interpellation.

19. Le 2 décembre 2004, L.P., Y.F.et O.D.B. furent placés en garde à vue.

20. Le 3 décembre 2004, une remise en situation fut réalisée en présence de deux membres du parquet, ainsi que des cinq agents du SUGE et des six fonctionnaires de police intervenus le soir des faits. Les agents du SUGE décrivirent une interpellation sans difficulté notable avec menottage au sol du premier requérant, précisant que l’intéressé n’avait aucune blessure au moment où ils l’avaient remis aux policiers. Ces deniers maintinrent une version différente des faits en expliquant comment le coup de genou avait été porté.

21. Le docteur M.K., ayant opéré le premier requérant à l’hôpital Beaujon, indiqua aux enquêteurs que les lésions constatées sur celui-ci pouvaient être compatibles avec un seul coup d’une violence importante, tel qu’une gifle violente, un coup de pied ou de genou, un coup porté avec un objet non contondant ni trop lourd, voire une chute mal réceptionnée. Il ne pensait pas que la blessure puisse être compatible avec un coup de matraque.

C. Les examens et soins médicaux

22. À l’hôpital de Lagny sur Marne, un premier scanner cérébral mit en évidence un hématome sous-dural aigu hémisphérique gauche. Les examens sanguins montrèrent une alcoolémie de 1,51 grammes par litre de sang et une présence de cannabinoïdes actifs (THC) révélant une exposition à la drogue entre 2 et 24 heures avant le prélèvement.

23. Admis le 1er décembre 2004 à l’hôpital Beaujon, le premier requérant fut directement amené au bloc opératoire où il fut procédé en urgence à l’évacuation de l’hématome. Un premier scanner de contrôle réalisé le même jour mit en évidence un hématome sous-dural résiduel.

24. Un médecin légiste, requis le 1er décembre 2004 pour examiner le premier requérant, constata que celui-ci se trouvait dans un état de coma de stade 3 sur l’échelle fermée de Glasgow (le stade 0 correspondant à la mort et le stade 15 à l’état d’éveil). Il décrivit une fracture temporo-pariétale gauche, une plaie fermée de 3,4 centimètres au menton, côté droit, deux hématomes au tibia gauche et une griffure au niveau de la pommette gauche. Il mentionna également un hématome sous-dural hémisphérique gauche, étendu, compressif, ayant nécessité le transfert du requérant en urgence à l’hôpital.

25. Un deuxième scanner réalisé le 3 décembre 2004 révéla une fracture de l’odontoïde associée à une fracture de la masse latérale de la vertèbre C2.

26. Les 15 et 28 décembre 2004, le premier requérant fut à nouveau opéré.

27. Du 14 février au 12 décembre 2005, il fut hospitalisé au centre de rééducation fonctionnelle de Bouffémont.

28. Le bilan de sortie de cet établissement fit état de nombreuses séquelles neurologiques, dont une perte partielle des capacités motrices actives des quatre membres, ainsi que de troubles cognitifs et comportementaux graves (désinhibition, désadaptation, incapacité à se concentrer, désorientation temporelle, absence de motivation et d’initiative, opposition passive).

29. Le 12 décembre 2005, son état n’évoluant pas, le premier requérant fut transféré dans un autre centre de rééducation. Le 26 juin 2008, son taux séquellaire d’incapacité partielle permanente (IPP) fut estimé à 95 %, le premier requérant n’ayant aucune autonomie pour tous les gestes élémentaires de la vie quotidienne. Il était confiné dans un fauteuil et n’était capable d’aucune activité occupationnelle autonome.

CEDH

13. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I, et Pascaud c. France (satisfaction équitable), no 19535/08, § 32, 8 novembre 2012)

14. La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt au principal du 16 juillet 2015, elle a considéré en l’espèce que l’article 3 de la Convention avait été violé dans son volet matériel. Elle a jugé que les circonstances de l’espèce permettaient de caractériser l’existence d’un faisceau d’indices suffisant pour retenir une violation de l’article 3 de la Convention, en l’absence de fourniture par les autorités internes d’une explication satisfaisante et convaincante à l’origine des lésions du requérant dont les symptômes s’étaient manifestés alors qu’il se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police.

15. Partant, il existe un lien de causalité entre la violation constatée et les dommages qui en découlent pour le requérant. À ce titre, la Cour rappelle également que, dans son arrêt sur le fond du 16 juillet 2015, elle a expressément écarté l’hypothèse d’un traumatisme antérieur, en jugeant qu’elle « n’apparai[ssai]t pas suffisamment étayée pour être convaincante au vu des circonstances de l’espèce » (§ 122). Par conséquent, elle considère que la proposition du Gouvernement, qui consiste à appliquer un taux d’imputabilité de 75% aux sommes allouées au requérant pour en réduire le montant, au motif que l’hypothèse d’un traumatisme antérieur resterait plausible et que l’état du requérant ne serait donc pas exclusivement imputable aux faits ayant donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 9 ci-dessus), ne saurait être retenue.

16. La Cour entend, comme il se doit, apprécier le caractère raisonnable des différents éléments soumis à son appréciation concernant le préjudice matériel (voir, mutatis mutandis, Vermeire c. Belgique (article 50), 4 octobre 1993, § 13, série A no 270-A, Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 21, 27 mai 2003, et Pascaud, précité, § 38). Or, les observations des parties amènent la Cour à relever ce qui suit.

17. S’agissant tout d’abord des dépenses de santé passées et actuelles, elle note que les parties s’entendent sur le montant de 3 932 EUR.

18. Elle constate également que les parties s’accordent sur la nécessité de l’intervention quotidienne d’une tierce personne, 24h/24, ainsi que sur certaines bases de calcul, à savoir : un point de rente de 35,232 (basé sur l’espérance de vie), une durée annuelle de 412 jours, une majoration de 25% des taux horaires les dimanches et jours fériés. En revanche, elles s’opposent sur le taux horaire de jour comme de nuit pour la rémunération des tierces personnes spécialisées ou non, sur le nombre d’heures nécessitant l’intervention d’une tierce personne spécialisée, sur l’indemnisation de proches du requérant qui l’auraient assisté, ainsi que sur la déduction ou non de la prestation de compensation du handicap (PCH) allouée au niveau départemental depuis le 1er août 2006 et jusqu’au 31 juillet 2021. Ainsi, tant le requérant que le Gouvernement parviennent à une somme de 344 657,91 EUR pour une première période allant de novembre 2007 à mars 2016 (le Gouvernement proposant en outre une somme de 26 808,57 EUR pour la phase allant de février à novembre 2007), sous réserve toutefois pour le Gouvernement de déduire la PCH versée à hauteur de 260 384 EUR. Quant aux besoins actuels et futurs de tierces personnes, le requérant les évalue à 8 468 107 EUR, tandis que le Gouvernement les estime à 5 737 077 EUR, dont il entend notamment déduire la PCH d’un montant prévisible de 1 321 009 EUR jusqu’en 2021, soit 4 416 068 EUR.

19. En outre, les parties s’accordent sur l’existence d’un préjudice professionnel et de conséquences liées à la réduction d’autonomie du requérant entraînant l’achat de matériels techniques adaptés. Elles s’opposent toutefois sur le montant de la somme à accorder, le requérant sollicitant respectivement 748 800 EUR et 788 001,48 EUR, alors que le Gouvernement estime ces préjudices à respectivement 268 824 EUR et 124 000 EUR.

20. Dans ces conditions, la Cour estime que les divers éléments constituant le préjudice matériel subi par le requérant ne peuvent se prêter à un calcul exact dans les circonstances de l’espèce. Or, dans une telle hypothèse, elle peut être amenée à les examiner globalement (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 40, série A no 274, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV, et Pascaud, précité, § 48). Pour ce faire, elle entend tenir compte à la fois de la réalité de l’ensemble des préjudices matériels considérables subis par le requérant, en lien direct avec les faits ayant donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la Convention, mais également, d’une part, de ce qu’une partie de ses dépenses de santé et de matériel technique est prise en charge en sa qualité d’assuré social et, d’autre part, du fait qu’il perçoit des sommes au titre de la PCH, depuis le 1er août 2006 et jusqu’au mois d’août 2021, pour un total de 1 581 393 EUR.

21. Quant au dommage moral, la Cour estime qu’il a été considérable, de sorte que l’octroi d’une somme importante à ce titre est justifié. Par ailleurs, elle rappelle que la proposition du Gouvernement, qui consisterait à appliquer un taux d’imputabilité de 75% aux sommes allouées au requérant pour en réduire le montant, ne saurait être retenue (paragraphe 15 ci‑dessus). Toutefois, elle estime que le requérant ne justifie pas de toutes les sommes qu’il réclame à ce titre.

22. Dès lors, dans le cadre d’une appréciation globale et compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le montant du préjudice matériel et moral subi par le requérant peut être fixé à 6 500 000 EUR.

II. FRAIS ET DÉPENS

23. Les représentants du requérant demandent une somme de 77 889 EUR au titre des frais et dépens. Ils précisent qu’ils se sont élevés à 50 979 EUR pour la procédure devant les juridictions internes et qu’ils ont été pris en charge par les autorités de tutelle successives, à l’instar des honoraires relatifs à la défense du requérant devant la Cour, d’un montant respectif de 11 960 et 2 990 EUR pour ses deux avocats. Ils estiment qu’il serait inéquitable de laisser au requérant, ainsi qu’à ses proches, la charge des frais qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts.

24. Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive et que les factures produites ne mentionnent pas les actes effectués. Il propose d’allouer une somme de 25 000 EUR.

25. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des justificatifs en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 25 000 EUR pour la procédure devant les juridictions internes, ainsi que la somme demandée de 14 950 EUR pour la procédure devant elle, soit un total de 39 950 EUR.

LA COUR RÉPARE L'AUGMENTATION DE VALEUR DU BIEN

LA VALEUR D'UN BIEN PEUT VARIER DURANT LES LONGS DELAIS DES PROCEDURES INTERNES

Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis contre Grèce

du 09/12/1994 Hudoc 496 requête 13427/87

"Le caractère adéquat du dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci faisait abstraction d'éléments susceptibles d'en déduire la valeur, tel l'écoulement de 10 ans depuis le prononcé de la sentence arbitrale.

Il y a donc lieu d'accueillir en partie la demande des requérants et de leur accorder un intérêt non capitalisable de 6% sur les sommes susmentionnées pour la période allant du 27/02/1984 (date de la sentence arbitrale de droit interne) à la date du prononcé du présent arrêt"

Schuler-Zgraggen c. Suisse du 31/01/1995 Hudoc 503 requête 14518/89

la Cour constate l'existence d'une décision judiciaire interne de réparation.

Toutefois, celle-ci ne considère pas le délai de huit ans de réparation.

Le requérant demande une indemnité de 5% l'an. La Cour n'accorde que 25 000 FS.

Guillemin c. France du 02/09/1998 Hudoc 935 requête 19632/92

"La Cour a déjà jugé dans une affaire antérieure que le caractère adéquat d'un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps considérable. (Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreatis contre Grèce du 09/12/1994)

L'indemnisation du préjudice subi par l'intéressé ne peut constituer une réparation adéquate que lorsqu'elle prend aussi en considération le dommage tenant à la durée de la privation.

Elle doit en outre avoir lieu dans un délai raisonnable () La Cour considère que l'importance de la somme qui pourra être octroyée au terme de la procédure en cours ne compense pas l'absence de dédommagement constatée et ne saurait être déterminante eu égard à la durée de l'ensemble des instances déjà engagées par la requérante.

Sans préjudice du montant qui sera versé définitivement à Madame Guillemin à l'issue de la procédure devant la Cour de Cassation, la Cour peut accorder dès à présent à celle-ci une indemnité pour la perte de la disponibilité de la somme déjà octroyée depuis le 26 mai 1997, date du jugement du T.G.I, que lui a causée le refus  de la commune de se conformer au dit jugement.

Prenant notamment en considération la période écoulée depuis le 26 mai 1997 jusqu'à la date de l'adoption du présent arrêt, la Cour estime en équité que l'Etat défendeur doit payer 60 000 FF en sus des 30 000FF déjà accordés"

Azas contre Grèce du 19/09/2002 Hudoc 3842 requête 50824/99

le requérant perçoit 20 000 euros d'intérêts car les sommes ne sont pas encore perçues avant le constat de la violation de la Convention:

"Les procédures existantes compliquent plus que de raison la possibilité pour les propriétaires affectés par des mesures d'expropriation de revendiquer une indemnisation appropriée"

AVELLAR CORDEIRO ZAGALLO c. PORTUGAL du 8 juin 2010 Requête 30844/05

quand il y a expropriation pour cause d'utilité publique, la CEDH ne rembourse pas la valeur pleine et entière de la valeur du bien mais une somme s'y approchant le jour de la saisie du bien augmenté d'un taux d'intérêt fixé en équité par année passée

12.  La Cour rappelle d'emblée qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I).

13.  Dans la présente affaire, la Cour estime que la nature de la violation constatée ne lui permet pas de partir du principe d'une restitutio in integrum (voir, a contrario, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B). Il s'agit dès lors d'accorder une réparation par équivalent.

14.  Une telle réparation doit partir de l'idée qu'en l'occurrence, c'est l'absence d'une indemnité adéquate et non pas l'illégalité intrinsèque de la mainmise sur le terrain, qui a été à l'origine de la violation constatée sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 (voir l'arrêt au principal, § 43).

15.  Dans de tels cas, le montant de la réparation adéquate ne doit pas nécessairement refléter la valeur pleine et entière des biens. La Cour doit s'inspirer des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence relativement à l'article 1 du Protocole no 1 et selon lesquels, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constituerait d'ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1 (arrêt James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98). La Cour réitère que dans de nombreux cas d'expropriation licite, comme l'expropriation isolée d'un terrain en vue de la construction d'une route ou pour d'autres fins « d'utilité publique », seule une indemnisation intégrale peut être considérée comme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 78, 28 novembre 2002). Toutefois, des objectifs légitimes « d'utilité publique », tels qu'en poursuivent des mesures de réforme économique ou de justice sociale, peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (ibidem).

16.  En l'espèce, la Cour doit donc se baser sur la valeur marchande du bien au moment de l'expropriation (voir Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 258, CEDH 2006-V). Une telle valeur marchande, selon les experts, ne saurait être supérieure à 37 796,40 EUR (voir le paragraphe 11 ci-dessus). Etant donné cependant que le caractère adéquat d'un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps considérable, ce montant devra être actualisé pour compenser les effets de l'inflation (ibidem).

17.  Constatant que l'expropriation litigieuse a eu lieu dans le contexte plus général de la politique de l'Etat défendeur en matière de réforme agraire (voir l'arrêt au principal, § 43), la Cour juge approprié de procéder à la mise à jour du montant en cause moyennant l'application du taux d'intérêt compensatoire annuel de 6% qu'elle applique dans les affaires de réforme agraire dont elle a été saisie (voir Companhia Agrícola de Penha Garcia, S.A. et autres c. Portugal, nos 21240/02, 15236/03, 15490/03, 15504/03, 15508/03, 15512/03, 15843/03, 23256/03, 23659/03, 36434/03, 36438/03, 36445/03, 37729/03, 1999/04, 27600/04, 41904/04 et 44323/04, § 19, 19 décembre 2006, et, récemment, Sampaio de Lemos et 22 autres affaires « Réforme Agraire » c. Portugal, nos 41954/05, 42843/05, 3761/06, 6319/06, 6323/06, 7349/06, 7355/06, 7503/06, 8048/06, 10906/06, 11829/06, 11840/06, 12962/06, 14075/06, 14094/06, 14103/06, 14111/06, 15195/06, 15251/06, 16200/06, 19455/06, 24690/06 et 27603/06, § 23, 15 décembre 2009). Un tel taux compensatoire doit couvrir la période allant de la date d'entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 à l'égard du Portugal, le 9 novembre 1978, au prononcé du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'en déduire les montants reçus au niveau interne par les requérants, qui ne concernaient pas la privation définitive de la propriété (voir l'arrêt au principal, §§ 15 et 47).

18.  Prenant en considération ce qui précède, la Cour juge raisonnable d'allouer aux requérants la somme de 110 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme, au titre du préjudice matériel.

Les frais de procédures internes ne sont remboursés que s'ils ont été exposés pour tenter de corriger les violations de la convention.

LA COUR RÉPARE LA PERTE DE CHANCE

Goddi contre Italie du 09/04/1984 Hudoc 80 requête 8966/80

"Il y a lieu de considérer que la Cour d'Appel de Bologne a fortement aggravé la peine infligée en première instance; il aurait pu ne pas en aller de la sorte si Monsieur Goddi avait joui d'une défense concrète et effective.

Pareille perte de chances réelles justifie en l'espèce l'octroi d'une satisfaction équitable () A quoi s'ajoute le préjudice moral que la violation de l'article 6§3 a causé sans conteste à l'intéressé"

Delta contre France du 19/12/1990 Hudoc 231 requête 11444/85

"La Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu'eût été l'issue du procès dans le cas contraire, mais n'estime pas déraisonnable de penser que l'intéressé a éprouvé une perte de chances réelles" 

Vidal contre Belgique du 28/10/1992 Hudoc 382 requête 12351/86

"La Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel eût abouti le procès si la Cour d'Appel de Bruxelles avait consenti à entendre les quatre témoins à décharge proposés par la défense; ainsi que le souligne le Gouvernement, l'existence d'un lien de causalité entre l'infraction à l'article 6 et le préjudice allégué ne se trouve pas démontrée.

En revanche, le requérant a subi un tort moral, auquel il ne parait pas déraisonnable de considérer que s'ajoute une perte de chances réelles.

La Cour estime équitable de lui allouer de ce chef 250 000 FB"

Pelissier et Sassi c. France du 25/03/1999 Hudoc 966 requête 25444/94

la Cour constate la perte de chance du fait de la violation de l'article 6§1 de la Convention.

Elle accorde le remboursement de l'amende soit 90 000 FF, 60 000 FF au titre du préjudice moral et 70 000  FF pour les frais et dépends.

Quadrelli c. Italie du 11/01/2000 Hudoc 1416 requête 28168/95

le juge Barella émet une opinion dissidente car la Cour n'accorde aucune indemnité au titre de l'article 50 du fait d'une violation de l'article 6§1 de la Convention pour jugement inéquitable.

La Cour de Cassation italienne n'a pas examiné, au cours d'une procédure civile, le mémoire ampliatif du requérant. Le juge Barella considère que pareille violation entraîne un préjudice matériel qui doit être réparé.

PLALAM PSA contre Italie du 8/02/2011 requête 16021/02

17.  La Cour rappelle avoir estimé que la requérante, entreprise fabriquant des produits manufacturés, avait une espérance légitime d'obtenir une augmentation des subventions publiques proportionnelle à l'augmentation du coût de son investissement productif, et que cette espérance constituait un « bien » aux termes de la première phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 35-42 de l'arrêt principal). En particulier, le 19 février 1988 la requérante avait demandé une révision à la hausse des subventions et indiqué qu'elle avait augmenté son investissement, le portant de 7 048 000 000 ITL (environ 3 639 988 EUR) à 10 258 000 000 ITL (environ 5 297 814 EUR). Le 21 février 1989, l'agence avait qualifié ce changement de « perfectionnement du projet » pour lequel, elle « pouvait octroyer » une augmentation proportionnelle des subventions. Ces circonstances ont amené la Cour à conclure que la requérante pouvait légitimement s'attendre à bénéficier de la hausse proportionnelle de la subvention (paragraphes 11, 12 et 40-42 de l'arrêt principal).

18.  La Cour a ensuite conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 du fait que la requérante avait été privée d'un intérêt substantiel par une nouvelle législation – la loi no 488 du 19 décembre 1992. Cette loi était entrée en vigueur presque deux ans et six mois après la date à laquelle s'étaient terminés les travaux d'agrandissement de l'établissement industriel de la requérante, et son application au détriment de l'intéressée a découlé dans une mesure déterminante du retard de l'administration publique dans l'accomplissement des formalités devant précéder le versement du solde des subventions (paragraphes 43-53 de l'arrêt principal).

19.  La Cour souligne que, comme indiqué au paragraphe 17 ci-dessus, elle a estimé dans son arrêt principal qu'en l'espèce l'espérance légitime constituant un « bien » concernait la hausse des subventions par rapport à l'augmentation de l'investissement de la requérante de 7 048 000 000 ITL (environ 3 639 988 EUR) à 10 258 000 000 ITL (environ 5 297 814 EUR), et non par rapport au coût global final des travaux (12 781 200 000 ITL – environ 6 600 938 EUR) tel qu'établi le 13 octobre 1994 lors de la vérification menée par la commission de contrôle.

20.  Sous l'angle de l'article 41 de la Convention, le préjudice subi par la requérante doit donc être calculé uniquement en fonction de la différence entre le montant de l'investissement augmenté, tel qu'indiqué le 19 février 1988 (10 258 000 000 ITL) et le montant de l'investissement initialement déclaré (7 048 000 000 ITL), soit sur la base de 3 210 000 000 ITL (environ 1 657 826 EUR).

21.  Cette dernière somme représente l'augmentation de l'investissement pour laquelle la requérante avait une espérance légitime de bénéficier d'une révision à la hausse – égale à 20 % du montant, soit environ 331 565 EUR – de la subvention publique qu'elle avait sollicitée. De plus, elle pouvait s'attendre à obtenir un prêt à taux réduit. La perte de gain découlant de la non-obtention de ce prêt dépend de nombreux facteurs et la Cour n'estime pas nécessaire de se livrer à une analyse détaillée de chacun d'entre eux. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle est prête à présumer que le préjudice total subi par la requérante en conséquence de l'application à son détriment de la loi no 488 de 1992 s'élevait à environ 600 000 EUR fin juin 1990, date à laquelle l'intéressée pouvait légitimement espérer une hausse des subventions (paragraphe 42 de l'arrêt principal). A cet égard, la Cour observe que le Gouvernement lui-même chiffre le préjudice éventuellement subi à 592 190,14 EUR (paragraphes 13 et 16 ci-dessus).

22.  Comme la Cour l'a affirmé à maintes reprises, un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même (Guiso-Gallisay c. Italie [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009, et Di Belmonte c. Italie (no 1), no 72638/01, § 54, 16 mars 2010).

23.  L'octroi d'une somme équivalente au préjudice subi (600 000 EUR) placerait donc la requérante dans la situation où elle se serait trouvée si la violation n'avait pas eu lieu. En particulier, si l'administration publique n'avait pas indûment retardé les formalités devant précéder le versement du solde des subventions, la loi no 488 de 1992 n'aurait pas été appliquée au détriment de la requérante, et celle-ci n'aurait pas été privée du bénéfice découlant d'une hausse proportionnelle des subventions et de l'octroi d'un prêt à taux réduit.

24.  Etant donné que le caractère adéquat d'un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps considérable (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 82, série A no 301-B), ce montant devra être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il faudra aussi l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis juin 1990. Aux yeux de la Cour, ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué (Guiso-Gallisay précité, § 105).

25.  De plus, la Cour rappelle qu'elle peut octroyer une réparation pécuniaire pour dommage moral à une société commerciale. Ce type de dommage peut en effet comporter, pour une telle société, des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs ». Peuvent notamment être pris en considération la réputation de l'entreprise, mais également l'incertitude dans la planification des décisions à prendre, les troubles causés à la gestion de l'entreprise elle-même, dont les conséquences ne se prêtent pas à un calcul exact, et enfin, quoique dans une moindre mesure, l'angoisse et les désagréments éprouvés par les membres des organes de direction de la société (Comingersoll S.A. c. Portugal, no 35382/97, § 35, CEDH 2000-IV).

26.  En la présente espèce, la violation des droits de la requérante garantis par l'article 1 du Protocole no 1 a dû causer à l'intéressée, à ses directeurs et à ses associés une incertitude prolongée dans la conduction des affaires et des sentiments d'impuissance et de frustration. La Cour estime qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate ce préjudice moral (voir, mutatis mutandis, Rock Ruby Hotels Ltd c. Turquie (satisfaction équitable), no 46159/99, § 36, 26 octobre 2010).

27.  Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder à la requérante 1 900 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

CHIRO CONTRE ITALIE DU 27 JUILLET 2010 REQUETE N° 63630/00

Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

8.  Le requérants sollicitent le versement d'une indemnité de 128 806 EUR au titre de préjudice matériel pour la perte du terrain, somme qui correspond à la valeur du terrain litigieux réévaluée et assortie d'intérêts plus les dommages découlant de la non jouissance du terrain.

9.   Le Gouvernement fait tout d'abord remarquer qu'il y a cinq recours introduits par les mêmes requérants ayant pour objet plusieurs expropriations. Il demande donc à la Cour de traiter les cinq affaires conjointement

10.  Le Gouvernement observe ensuite que les requérants ont obtenu au niveau national une décision leur accordant une somme importante. Dans cette situation, la Cour ne devrait pas accorder une satisfaction équitable, qui entraînerait un enrichissement indu des requérants.

11.  Toutefois, au cas où la Cour parviendrait à une conclusion différente, le Gouvernement demande d'évaluer le préjudice matériel des requérants en prenant en considération l'indemnité due en cas d'expropriation formelle du terrain qui est inférieure à la somme que le tribunal a reconnu aux requérants. Cette somme ne devrait pas être supérieure à 72 261,00 EUR.

12.  La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'État défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

13.  Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'État sur les terrains.

14.  Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

15.  En l'espèce, les requérants ont perdu la propriété de leur terrain en 1988. Telle qu'elle ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale, la valeur du bien à cette date était de 96 480 000 ITL (paragraphe 13 de l'arrêt au principal).

16.  Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder 39 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

17.  Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants 1 000 EUR de ce chef.

B.  Dommage moral

18.  Les requérants sollicitent le versement de la somme de 35 000 EUR au titre de préjudice matériel pour chaque requérant.

19.  Le Gouvernement s'y oppose et affirme que celui-ci dépend de la durée excessive de la procédure devant les juridictions nationales.

20.  En outre, le Gouvernement rappelle que cinq recours ont été introduits par les mêmes requérants. Il s'ensuit que la Cour devrait procéder à une évaluation unique des dommages moraux relatifs à ces cinq recours. En tout état de cause, le Gouvernement estime que la somme réclamée par les requérants serait en tout cas excessive.

21.  La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.

22.  Statuant en équité, la Cour accorde 5 000 EUR à chaque requérant au titre du préjudice moral.

C.  Frais et dépens

23.  Justificatifs à l'appui, les requérants demandent les sommes de 13 741 EUR au titre de remboursement des frais encourus devant les juridictions nationales et de 19 397 EUR au titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.

24.  Le Gouvernement estime qu'aucun remboursement ne doit être reconnu aux requérants au motif qu'ils ont eu gain de cause et que les frais de la procédure ont été payés par l'administration.

25.  De plus, le Gouvernement rappelle que la procédure interne a été introduite contre l'administration et non contre l'État, lequel ne devrait pas être condamné à rembourser les frais d'une procédure à laquelle il n'était pas partie.

26.  La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).

27.  La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 20 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.

D.  Intérêts moratoires

28.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage. 

Décision d'irrecevabilité

Henry Helly et autres C. France Requête n°28216/09 du 24 octobre 2011

L'INDEMNISATION DE LA GROTTE CHAUVET EST SUFFISANTE

La Grotte Chauvet ne peut avoir de valeur marchande stricto sensu

"Au vu de ce qui précède, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que les expropriés ont obtenu une somme raisonnablement en rapport avec la valeur des biens dont ils ont été dépossédés. Elle conclut que le « juste équilibre » devant être ménagé entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et la protection du droit au respect des biens n’a pas été rompu."

Les requérants sont : M. Henri Helly, né en 1942 et résidant à Nice ; M. Pierre Peschier, né en 1956 et résidant à Vallon Pont d’Arc ; M. Georges Peschier, né en 1920 et résidant à Vallon Pont d’Arc ; Mme Odile Ozil, épouse Peschier, née en 1925 et résidant à Vallon Pont d’Arc ; Mme Olga Ollier, née en 1926 et résidant à Alès ; Mme Eliette Ollier, épouse Bacconnier, née en 1939 et résidant à Vallon Pont d’Arc ; Mme Henriette Ollier, épouse Galizzi, née en 1938 et résidant à Orgnac l’Aven ; M. Jean-Louis Ollier, né en 1936 et résidant à Barjac ; M. Léopold Ollier, né en 1933 et résidant à Vallon Pont d’Arc ; M. Patrick Gineste, né en 1957 et résidant à Vagnas ; M. Christian Gineste, né en 1945 et résidant à Vagnas ; M. Alain Gineste, né en 1950 et résidant à Vagnas ; M. Xavier Souche, né en 1977 et résidant à Saint Julien de Cassagnas ; Mme Isabelle Souche, née en 1989 et résidant à Saint Julien de Cassagnas. Tous ressortissants français, ils sont représentés devant la Cour par Me Dominique de Leusse, avocat à Paris.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

M. Henri Helly était propriétaire de plusieurs parcelles d’une surface totale de 39 832 m2, sises sur le territoire de Vallon Pont D’Arc, dans le périmètre du site classé des abords du Pont d’Arc. M Georges Peschier et son épouse, Mme Odile Ozile, étaient usufruitiers et M. Pierre Peschier, nu-propriétaire, de plusieurs parcelles situées sur ce même territoire, d’une surface totale de 52 810 m2.

Les autres requérants sont les héritiers de M. Sully Ollier, décédé le 8 juillet 1999, qui était propriétaire au même endroit d’un terrain de 8 840 m2. Mme Olga Ollier, Mme Eliette Ollier, Mme Henriette Ollier, M. Jean-Louis Ollier et M. Léopold Ollier sont ses frères et sœurs. M. Xavier Souche et Mme Isabelle Souche sont ses petits-neveux. M. Patrick Gineste, M. Christian Gineste et M. Alain Gineste, sont les héritiers de sa sœur, Yvette Ollier, décédée le 2 juin 2006.

Le 18 décembre 1994, trois spéléologues, Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel Deschamps et Christian Hillaire, découvrirent sous ces terrains une grotte ornée de dessins, peintures et gravures vieux de plus de 30 000 ans et remarquablement conservés. Désormais communément dénommée « Grotte Chauvet », elle se révéla être une découverte majeure. Ainsi, notamment, dans le rapport qu’il rédigea le 2 janvier 1995 à ce propos, le Conservateur Général du Patrimoine souligna que, parmi les trois cents grottes ornées européennes, seule la grotte de Lascaux pouvait s’y comparer ; il fit en particulier ce commentaire : « Par le nombre et la diversité des œuvres, par leur qualité esthétique et leur conservation, par leur originalité aussi (dominance d’espèces rares ailleurs), par la préservation du contexte, cette grotte est unique et d’une importance mondiale. C’est l’un des plus grands chefs d’œuvres de l’art préhistorique. A mon avis, elle devrait figurer en temps voulu sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ».

Des mesures de protection furent prises immédiatement. Dès janvier 1995, des arrêtés préfectoraux interdirent l’accès de la grotte (l’accès sera définitivement prohibé – sauf autorisation spéciale – par un arrêté du 26 juin 1996) et autorisèrent l’Etat à occuper les terrains pendant cinq ans.

La grotte Chauvet fut inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 15 mai 1995, puis classée le 13 octobre 1995. Un projet d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est en cours.

1. Le jugement du juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Privas du 4 février 1997

Afin d’assurer de manière efficace la protection de la grotte et de ses abords, l’Etat proposa aux propriétaires d’acquérir leurs terrains à l’amiable. En l’absence d’accord, il engagea une procédure d’expropriation.

L’expropriation des terrains constituant la grotte fut déclarée d’utilité publique (l’enquête d’utilité publique avait été ouverte 23 juin 1995) et leur cessibilité à l’Etat fut prononcée par des arrêtés préfectoraux du 8 août 1995, et l’ordonnance d’expropriation fut prise le 20 octobre 1995.

L’Etat saisit le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Privas en vue de la détermination de l’indemnisation. Dans des mémoires datés du 21 mai 1996, le préfet de l’Ardèche invita le juge à allouer les sommes suivantes à titre d’indemnités principales et de remploi : 2 770 francs (422,28 euros ; « EUR ») à M. Suly Ollier ; 12 450 francs (1 898 EUR) à M. Henri Helly ; 16 510 francs (2 517 EUR) aux consorts Peschier. Ces propositions étaient basées sur la valeur marchande des parcelles objets de l’expropriation. Elles ne prenaient pas en compte la présence de la grotte. Le préfet considérait notamment qu’il était généralement admis que l’expropriation du tréfonds ne générait pas de préjudice au propriétaire, sauf à démontrer la présence d’un sous-sol possédant une valeur d’utilité avérée ; or le fait que les terrains se trouvaient dans le site classé des abords du pont d’Arc et les dispositions de la loi du 27 septembre 1941 relative aux fouilles archéologiques faisaient obstacle à toute possibilité d’exploitation de la grotte.

De leur côté, les propriétaires demandaient que la présence de la grotte Chauvet soit prise en compte pour le calcul des indemnités, celle-ci étant la seule raison de l’expropriation dont ils faisaient l’objet. Ils réclamaient ensemble une somme globale de 87 500 000 francs (13 339 290 EUR), soit 70 000 000 de francs (10 671 431,20 EUR) au titre de l’indemnité principale et 17 500 000 de francs (2 667 858 EUR) au titre de l’indemnité de remploi. Ils parvenaient à ce montant en procédant à un rapprochement avec les modalités de la mutation de propriété dont la grotte de Lascaux avait été l’objet trois décennies auparavant, et en mettant en exergue l’originalité de la grotte Chauvet et son exceptionnelle valeur.

Dans son jugement du 4 février 1997, renvoyant à l’article L. 13-15 I du code de l’expropriation, le juge de l’expropriation rappela que les biens devaient être estimés selon leur usage effectif un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique. Il considéra ensuite que la cavité devait être considérée comme un « gisement archéologique » susceptible de générer une plus-value au terrain de surface (la propriété du sol emportant la propriété du dessus et du dessous) dans la mesure où il était exploité ou exploitable. Il constata cependant que tel n’était pas le cas en l’espèce à la date de référence : d’une part, la cavité n’était alors pas connue ; d’autre part, elle ne pouvait être exploitée pour des raisons juridiques, compte tenu du classement du site de Pont d’Arc en zone protégée et non constructible, des arrêtés de protection pris en application de la législation sur les vestiges archéologiques, du classement à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, et de la loi du 27 septembre 1941 susmentionnée, qui interdit aux particuliers toutes exploitations des gisements et impose une déclaration des découvertes aux autorités. Il en déduisit qu’il n’y avait pas de plus-value indemnisable, et que l’indemnité devait être limitée au prix du terrain, c’est-à-dire aux montants proposés par l’Etat.

2. L’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 19 janvier 1998 et l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 1999

Saisie par les propriétaires, la cour d’appel de Nîmes confirma le jugement déféré par un arrêt du 19 janvier 1998, au motif que, bien qu’elle ait été connue à la date de l’ordonnance d’expropriation et qu’elle fît partie de la consistance des biens expropriés, la grotte Chauvet ne conférait aucune plus-value aux terrains en surface.

Sur pourvoi des propriétaires, la Cour de cassation, par un arrêt du 14 avril 1999, cassa et annula cet arrêt. Elle jugea qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et avait violé l’article L. 13-13 du code de l’expropriation, aux termes duquel « les indemnités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation ». Elle renvoya cause et parties devant la cour d’appel de Toulouse.

3. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 26 mars 2001

Par un arrêt du 26 mars 2001, faisant droit aux prétentions des propriétaires, la cour d’appel de Toulouse condamna l’Etat à leur payer une indemnité principale de dépossession de 70 000 000 francs (10 671 431,20 EUR) et une indemnité de remploi de 17 500 000 francs (667 858 EUR).

Dans son arrêt, la cour d’appel souligna que les parois de la grotte Chauvet étaient ornées de plus de 500 signes, peintures et dessins datés de 30 000 ans environ, de la plus haute importance archéologique, tant en raison de leur diversité que de la qualité de la réalisation et de leur parfait état de conservation, dû au fait que le site n’avait sans doute pas été visité par des humains pendant des milliers d’années. Elle retint que le site était qualifié de « chapelle Sixtine » ou « cathédrale » de la préhistoire, certains historiens le considérant comme le plus bel ensemble de peintures rupestres connu dans le monde, et que les chercheurs considéraient qu’un siècle de découvertes attendait les archéologues dans les parties non encore explorées.

Ensuite, renvoyant à l’article 545 du code civil, la cour d’appel indiqua que, si l’indemnité d’expropriation devait permettre à l’exproprié de trouver une situation équivalente à celle qu’il avait avant l’expropriation, cela n’était pas possible en l’espèce puisqu’il n’existait pas de « marché des grottes ornées préhistoriques ». Elle en déduisit que pour évaluer le préjudice, il fallait chercher quelle aurait été la situation des expropriés s’ils n’avaient pas été dépossédés : en vertu des articles 544 et 552 du code civil, sauf prescriptions légales contraires, ils auraient pu jouir de leur fond, en disposer et faire en-dessous des constructions ou des fouilles et en tirer tous les produits qu’elles peuvent fournir. Ainsi, le préjudice résultait de la dépossession non seulement des terrains mais aussi de leur tréfonds, lequel constituait un patrimoine d’une « valeur historique, artistique, scientifique, culturelle et émotionnelle exceptionnelle ».

Selon la cour d’appel, l’article L. 13-15 du code de l’expropriation ne pouvant avoir pour effet de priver les propriétaires du bénéfice de l’article 522 du code civil, la nature du tréfonds devait être prise en considération même s’il n’était pas exploité à la date de référence. Par ailleurs, les servitudes affectant l’utilisation du site ne pouvaient priver les propriétaires du droit de jouir de leur patrimoine ou d’en disposer. La valeur des biens expropriés était ainsi constituée de la valeur des fruits que les propriétaires auraient pu en retirer ou du prix de vente qu’ils auraient pu en obtenir. Or, ils auraient pu du moins faire ce que faisait d’ores et déjà l’Etat c’est-à-dire, dans le respect du site, sous la surveillance de scientifiques et dans le cadre des normes de protection imposées, en commercialiser l’image ; ils auraient également pu vendre leur bien à une entreprise privée qui aurait elle-même exploité le droit à l’image. Elle jugea qu’un préjudice direct, matériel et certain résultait ainsi de l’expropriation, dont l’indemnisation devait être fixée en fonction de l’ampleur des profits dont les propriétaires auraient bénéficié s’ils avaient conservé leur bien. Prenant en compte l’engouement du public pour la grotte Chauvet, son caractère exceptionnel, son potentiel et ses spécificités, et procédant à une comparaison avec l’estimation dont la grotte de Lascaux avait fait l’objet au moment de sa donation à l’Etat, la cour d’appel jugea qu’il était cohérent d’évaluer le préjudice à quinze fois la valeur actualisée de cette dernière.

4. L’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2006

Saisie par l’Etat, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse. Elle constata que cette dernière avait alloué une indemnité aux parties expropriées alors qu’était en cours une instance relative à la propriété de la grotte (des personnes expropriés de terrains adjacents aux leurs avaient en effet saisi le juge civil d’une action tendant à se voir reconnaître la propriété de celle-ci), et que, bien qu’ayant relevé cette circonstance, elle avait retenu qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur l’identité des propriétaires dépossédés des cavités. Elle jugea qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations et avait violé l’article L. 13-8 du code de l’expropriation en ce qu’il exigeait que le juge règle l’indemnité indépendamment de telles contestations. Elle renvoya cause et parties devant la cour d’appel de Lyon.

La procédure évoquée ci-dessus aboutira à la conclusion que les requérants – ou, selon les cas, leur auteur – étaient effectivement propriétaires de la grotte Chauvet avant l’expropriation (arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 7 avril 2009).

5. L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 10 mai 2007

Dans son arrêt du 10 mai 2007, la cour d’appel de Lyon confirma que, présente « dans le tréfonds des parcelles expropriés », la grotte Chauvet faisait partie de la consistance des biens expropriés, et devait en conséquence être prise en considération dans la détermination du montant des indemnités.

Elle rechercha ensuite si, à la date de l’ordonnance de l’expropriation (le 20 octobre 1995), la présence de la grotte était de nature à apporter aux biens une plus-value. Elle constata à cet égard qu’ils faisaient alors l’objet de servitudes et contraintes administratives, résultant notamment : du classement en 1982 des abords du Pont d’Arc en application de la loi relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque ; du plan d’occupation des sols de la commune de Vallon Pont d’Arc approuvé en 1993 ; de la procédure de classement de la grotte sur la liste des monuments historiques initiée en janvier 1995, et de son inscription à l’inventaire supplémentaire en mai 1995 ; d’arrêtés préfectoraux pris en janvier 1995, interdisant l’accès de la grotte et autorisant l’Etat à occuper les terrains pendant cinq ans ; de l’arrêté ministériel du 30 janvier 1995 déclarant d’utilité publique l’étude des vestiges archéologiques de la grotte ; de l’arrêté préfectoral du 15 mai 1995 délimitant un périmètre au sein duquel les travaux dans le sol et le sous-sol devaient faire l’objet d’une autorisation spéciale du Ministère de l’Environnement. Elle jugea toutefois que ces servitudes et contraintes n’avaient pas entraîné une interdiction absolue et permanente de l’exploitation la grotte, et qu’il n’avait pas été établi que l’exploitation était matériellement impossible. Ainsi, dès lors qu’elle pouvait faire l’objet d’une exploitation à la date de l’ordonnance d’expropriation, la présence de la grotte dans les tréfonds des terrains apportait à ceux-ci une plus-value devant être indemnisée.

La cour d’appel précisa ensuite que ne pouvaient être pris en compte pour l’évaluation de cette plus-value ni les bénéfices que la mise en valeur et l’exploitation de la grotte auraient pu procurer (sauf à indemniser un préjudice éventuel) ni l’indemnisation des droits résultant de la reproduction d’images de la grotte, celle-ci faisant l’objet d’une autre procédure. Elle statua comme il suit sur ce dernier point :

« (...) doit également être écartée de l’évaluation de la plus-value l’indemnisation des droits résultant de la reproduction d’images de la grotte, qui fait l’objet d’une instance distincte engagée par les expropriés, ainsi que ces derniers en conviennent dans leurs mémoires déposés devant la cour ».

Enfin, elle conclut ainsi sur l’indemnité :

« (...) Attendu que la référence faite par [les expropriés] à la décision qui a condamné l’Etat à payer au propriétaire d’un tableau de Van Gogh 145 000 000 francs pour la perte de possibilité de vendre le tableau à l’étranger en raison de son classement n’est pas pertinente dès lors qu’elle a trait à un bien de toute autre nature, et que la valeur d’un tableau est soumise aux fluctuations importantes du marché de l’art ; que l’Etat souligne à juste titre que le tableau remis en vente quatre ans plus tard en 1996 n’a pas trouvé preneur à 32 000 000 de francs.

Attendu que les seules références utiles doivent être recherchées dans des évaluations de biens similaires ; que la seule soumise aux débats concerne la grotte de Lascaux, qui a fait l’objet en 1972 d’une évaluation à 1 100 000 francs à l’occasion de sa donation à l’Etat ; qu’aucun élément ne permet de considérer qu’il s’agissait d’une évaluation de convenance ;

Que si la grotte Chauvet est d’une superficie plus grande que la grotte de Lascaux, si elle renferme des gravures et peintures rupestres remontant à plus de 30 000 ans dont l’état de conservation est remarquable, et si la grotte de Lascaux a souffert de ses exploitations, la référence à cette évaluation doit néanmoins être considérée comme pertinente s’agissant du seul bien de même nature, dès lors qu’il doit être tenu compte du fait que la grotte de Lascaux était aménagée, alors que tout projet d’exploitation de la grotte Chauvet nécessite des investissements importants et coûteux, qui influent nécessairement sur l’évaluation ;

Que cette référence conduit, en tenant compte d’une réactualisation à la date du jugement entrepris, à retenir une valeur de 4 000 000 francs, soit 609 796,07 euros ;

Attendu que la fixation de cette valeur apparaît également comme une juste indemnisation de la plus-value apportée aux terrains si on la compare à l’indemnité de 3 000 000 de francs versée par l’Etat aux inventeurs de la grotte, dans le cadre d’un protocole d’accord établi le 15 février 2000 (...) ».

La cour d’appel fixa l’indemnité principale de manière alternative : 613 652,50 EUR (la valeur des terrains de surface étant prise en compte) dans l’hypothèse où les intéressés seraient reconnus propriétaires de la grotte ; 3 856,43 EUR (soit la valeur des terrains de surface) dans l’hypothèse contraire. Elle ajouta une indemnité de remploi (25 % de l’indemnité principale), soit 153 413,13 EUR dans la première hypothèse et 964,11 EUR dans la seconde.

6. L’arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2008

Par un arrêt du 18 novembre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par les requérants, au motif notamment que la cour d’appel de Lyon avait souverainement fixé le montant de l’indemnité d’expropriation.

Les requérants – ou, selon les cas, leur auteur – ayant été jugés propriétaires de la grotte Chauvet (arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 7 avril 2009), ils se virent finalement octroyer une indemnité principale de 613 652,50 EUR et une indemnité de remploi de 153 413 ,13 EUR, soit 767 065,63 EUR au total.

B.  Le droit interne pertinent

Les articles 544, 545 et 552 du code civil sont rédigés comme il suit :

Article 544

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Article 545

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Article 552

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.

Le propriétaire peut faire (...) au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et règlements de police. »

Les articles L. 13-13 et L. 13-15 du code de l’expropriation sont ainsi libellés :

Article L. 13-13

« Les indemnités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation. »

Article L. 13-15

« I-Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance ; toutefois, et sous réserve de l’application des dispositions du II du présent article, sera seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L. 11-1 ou, dans le cas visé à l’article L. 11-3, un an avant la déclaration d’utilité publique (...). Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la même date, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive.

(...) »

GRIEF

Invoquant l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, les requérants se plaignent du montant de l’indemnisation versée en compensation de l’expropriation de leurs biens – ou, selon les cas, du bien de leur auteur –, qu’ils jugent sans rapport avec la valeur de ceux-ci.

EN DROIT

Les requérants dénoncent une violation de l’article 1er du Protocole no 1, aux termes duquel :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) ».

Les requérants jugent l’indemnisation versée inadéquate au regard de la valeur considérable du bien exproprié. Ils estiment qu’aucune circonstance ne justifiait un remboursement inférieur à sa valeur marchande, soulignant que, contrairement à la thèse défendue par l’Etat devant le juge interne, les contraintes affectant le site n’en interdisaient pas toute exploitation commerciale. Ils considèrent que pour évaluer le « préjudice réel » il fallait, vu le caractère exceptionnel des dessins, peintures et gravures dont il était question, prendre en compte les prix que les travaux des artistes les plus réputés atteignent sur le marché de l’art. Ils donnent plusieurs exemples d’œuvres d’artistes tels que Chagall, Picasso ou Klimt, vendues à des prix allant de 3 600 000 USD et 104 000 000 EUR, et rappellent que la première juridiction de renvoi avait suivi un raisonnement de ce type et fixé les indemnités à plus de 11 000 000 EUR. Ils critiquent également le fait que le juge interne s’est fondé sur l’évaluation par l’Etat français de la grotte de Lascaux en 1972 ainsi que les modalités de cette évaluation, soulignant en particulier que la grotte de Lascaux est plus petite que la grotte Chauvet et que les gravures et peintures y figurant sont dégradées et moins anciennes. Selon eux, vu les caractéristiques de la grotte Chauvet, sa valeur vénale est 15 fois supérieure à celle de la grotte de Lascaux.

La Cour relève en premier lieu que les requérants ne contestent ni que les intéressés ont été privés de leur propriété « dans les conditions prévues par la loi » ni que l’expropriation dont il est question repose sur une « cause d’utilité publique », comme l’exige l’article 1er du Protocole no 1. S’agissant de ce dernier point, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que la préservation du patrimoine historique et culturel constitue un but légitime propre à justifier une expropriation (voir, notamment, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, §§ 52-55, 19 février 2009). L’impérieuse nécessité de garantir la protection de la grotte Chauvet qui, en l’espèce, constitue la cause d’utilité publique, est au demeurant une évidence au vu de l’importance de ce site archéologique.

Ensuite, la Cour rappelle qu’une mesure portant atteinte au droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ; en particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Ainsi, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive si elle ne s’accompagne pas du versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur des biens expropriés : un défaut total d’indemnisation ne saurait se justifier au regard de l’article 1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles. Cette disposition ne garantit cependant pas dans tous les cas le droit à une réparation intégrale : des objectifs légitimes « d’utilité publique » – dont la protection du patrimoine historique et culturel – peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur desdits biens (voir, notamment, Les saints monastères c. Grèce, série A no 301-A, § 71, 9 décembre 1994, et Kozacıoğlu précité, §§ 63-64). Les Etats jouissent en la matière d’une marge d’appréciation, et le rôle de la Cour se limite à rechercher si les modalités qu’ils ont choisies n’excèdent pas celle-ci (voir, par exemple, Dervaux c. France, no 40975/07, § 49, 4 novembre 2010, et Lallement c. France, n46044/99, § 18, 11 avril 2002).

En l’espèce, les requérants (ou, selon les cas, leur auteur) ont obtenu une indemnisation fixée à l’issue de la procédure devant le juge de l’expropriation à 767 065,63 EUR. Cette somme comprend une indemnité principale couvrant la valeur marchande des terrains expropriés et la plus-value que la grotte apporte à ceux-ci (évaluée à 609 796,07 EUR), ainsi qu’une indemnité de remploi, qui représente le montant des frais et droits que devraient supporter les expropriés pour reconstituer en nature leur patrimoine. Pour déterminer cette plus-value, le juge de l’expropriation s’est basé comparativement sur la valeur actualisée de la grotte de Lascaux telle qu’évaluée à l’occasion de sa donation à l’Etat en 1972 et a pris en compte l’indemnité versée aux trois découvreurs.

Ainsi, le juge de l’expropriation ne s’est pas borné à fixer l’indemnité à l’aune de la valeur vénale des seuls terrains, mais a pris en compte la plus-value générée par la présence de la grotte et, ce faisant, les caractéristiques spécifiques des biens expropriés (arrêt Kozacıoğlu précité, §§ 67-72).

S’agissant des modalités de fixation de l’indemnisation, en particulier de la détermination de la valeur de la grotte Chauvet, la Cour prend note de la critique formulée par les requérants, dirigée contre le fait que le juge de l’expropriation a pris pour référence la valeur (actualisée) retenue pour la grotte de Lascaux en 1972 plutôt que le prix atteint sur le marché de l’art par des œuvres majeures, les privant ainsi prétendument d’un remboursement correspondant à sa valeur marchande. Cette critique n’est toutefois pas fondée. En effet, il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux juridictions internes pour déterminer la base sur laquelle l’indemnisation doit être évaluée (Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 31, 24 mai 2006). Ensuite, s’il est vrai que c’est la valeur marchande des biens expropriés qui doit en principe servir de base à la détermination de l’indemnisation (voir, par exemple, Lallement précité, § 23, et Motais de Narbonne c. France, no 48161/99, § 19, 2 juillet 2002), il faut prendre en compte le fait qu’eu égard à l’impératif de sa protection, inhérente à ses caractéristiques exceptionnelles, ainsi qu’aux contraintes légales dans lesquelles elle se trouve de ce fait insérée, la grotte Chauvet ne se prête pas à une évaluation marchande stricto sensu.

Enfin, la Cour constate que les indemnités ont été fixées à l’issue d’une procédure assurant une appréciation globale des conséquences de l’expropriation dans le cadre de laquelle les intéressés ont dûment été en mesure de défendre leurs droits (Efstathiou et Michaïlidis & Cie Motel Amerika c. Grèce, no 55794/00, § 29, CEDH 2003-IX), et que le juge de l’expropriation a à cette fin mis en œuvre des critères qui n’apparaissent pas arbitraires (la Cour relève en particulier qu’il a pris soin d’actualiser le montant de référence).

Au vu de ce qui précède, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que les expropriés ont obtenu une somme raisonnablement en rapport avec la valeur des biens dont ils ont été dépossédés. Elle conclut que le « juste équilibre » devant être ménagé entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et la protection du droit au respect des biens n’a pas été rompu.

Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

LA COUR NE RÉPARE LE PRÉJUDICE MORAL QUE S'IL EST GRAVE

Bozano contre France du 02/12/1987 Hudoc 32 requête 9990/82

la Cour accorde 100 000 FF pour une extradition illégale vers l'Italie.

En revanche, le requérant subit une détention jusque 2005 sur l'île d'Elbe mais la Cour constate que la France n'y peut rien puisque la faute est du fait de l'Etat italien.

X contre France du 31/03/1992 Hudoc 385 requête 18020/91

le requérant qui a contacté le virus V.I.H par transfusion sanguine décède durant la procédure.

Ses parents obtiennent 150 000 FF au titre du préjudice moral.

Bellet contre France du 04/12/1995 Hudoc 534 requête 23805/94

la Cour accorde pour les mêmes faits que l'arrêt X contre France; 1 000 000 FF de préjudice moral et 50 000 FF de frais et dépends.

Khashuyeva C. Russie requête n°25555/07 du 19 juillet 2011

Une mère saisit la CEDH concernant la Mort d’un garçon de 11 ans, tué par des militaires russes qui ont ouvert le feu sur sa maison lors d’une opération spéciale en Tchétchénie

article 41 :

La Cour dit que la Russie doit verser à Mme Khashuyeva 45 000 euros pour dommage moral.

LA COUR RÉPARE LA PERTE DE L'OUTIL DE TRAVAIL

Van Marle et autres contre Pays Bas du 26/06/1986

Hudoc 173 requêtes 8593/79; 8674/79; 8675/89 et 8685/79

"Grâce à leur travail, les intéressés avaient réussi à constituer une clientèle, revêtant à beaucoup d'égards le caractère d'un droit privé, elle s'analysait en une valeur patrimoniale donc bien au sens de la première phrase de l'article 1 du protocole n°1 qui s'appliquait dès lors en l'espèce"

Tomassi contre France du 27/08/1992 Hudoc 380 requête 12850/87

le requérant perd son commerce du fait d'une détention préventive trop longue au sens de l'article 5§3 de la Convention.

La Cour accorde 700 000 FF pour indemniser le fonds de commerce et 300 000 FF pour les frais et dépends.

Lallement contre France du 12/06/2003 Hudoc 4401 requête 46044/99

le requérant a pu obtenir une grosse indemnisation :

"Selon la Cour, ce préjudice correspond à la perte de la part supplémentaire de revenus  que le requérant tireraient de l'exploitation de son fonds si celui-ci n'avait pas été amputé d'une partie de sa surface; il comprend les pertes réalisées à ce jour  ainsi que, dans une certaine mesure les pertes futures"

OAO NEFTYANAYA KOMPANIYA YUKOS v. RUSSIA

du 31 juillet 2014 Requête 14902/04

Réparation article 41 de la Convention : Suite à des irrégularités concernant l'affaire YUKOS, affaire qui avait permis à Poutine de mettre son opposant, Mikhaïl Khodorkovski, en prison pour 10 ans, la CEDH a condamné la Russie à la somme de 1,866,104,634 euros soit près de un milliard neuf cent millions d'euros. La Fédération de Russie doit payer en plus les taxes et charges pour que cette somme soit nette pour les actionnaires de Yukos.

La fédération de Russie a déclaré qu'elle fera appel devant la grande chambre. Par conséquent, il semblerait qu'elle n'a trop envie de payer !

SYNTHESE DE LA CEDH

L’affaire concernait les procédures fiscales de redressement et de recouvrement dirigées en 2004 contre la société pétrolière russe Yukos et s’étant soldées par sa liquidation en 2007.

Dans son arrêt de chambre sur le fond  rendu le 20 septembre 2011, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme concernant la procédure fiscale pour l’année 2000 dirigée contre Yukos au motif que cette société n’avait pas eu suffisamment de temps pour préparer son dossier devant les juridictions inférieures. La Cour a également constaté des violations de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (protection de la propriété). Elle a dit que le calcul des pénalités pour l’année 2000 et le doublement des pénalités dues pour l’année 2001 étaient illégaux et que dans le cadre de la procédure de recouvrement dirigée contre Yukos les autorités russes n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre le but légitime poursuivi et les mesures employées – en particulier en raison de l’inflexibilité dont les autorités avaient fait preuve dans la conduite de la procédure de recouvrement et l’obligation faite à Yukos de payer des frais excessifs.

La question de la satisfaction équitable n’ayant pas été en l’état au moment de l’adoption de l’arrêt sur le fond, la Cour l’a réservée et a invité le gouvernement russe et Yukos à lui soumettre par écrit leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir. Yukos et le Gouvernement ont chacun soumis des observations écrites le 13 juin 2012. Les deux parties ont présenté des observations complémentaires et ont répondu chacune aux observations de l’autre le 31 juillet 2012, le 1er mars et le 15 mai 2013.

EN DROIT

En ce qui concerne la violation de l’article 6 en raison de la hâte avec laquelle les juridictions russes ont conduit la procédure fiscale pour 2000 contre Yukos, la Cour ne peut spéculer sur l’issue qu’aurait connue la procédure si la violation de la Convention ne s’était pas produite. Elle estime donc insuffisamment établi le lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel prétendument subi par Yukos. Dès lors, rien ne justifie l’octroi d’une indemnité à cet égard.

La Cour conclut, à la majorité, que Yukos a subi un dommage matériel du fait des violations de l’article 1 du Protocole no 1 :

Yukos a payé dans le cadre des procédures fiscales pour les années 2000 et 2001 des pénalités que la Cour a jugées illégales, ainsi que des frais de recouvrement de 7 % sur ces pénalités. La Cour évalue le montant du dommage matériel subi par Yukos en raison de ces paiements à 1 299 324 198 EUR.

Par ailleurs, le caractère disproportionné de la procédure de recouvrement a largement contribué à la liquidation de Yukos – même si, contrairement aux allégations de la société, la liquidation n’a pas été provoquée par les seuls défauts de cette procédure. Dans son arrêt sur le fond, la Cour a estimé en particulier que les frais de recouvrement de 7 % que Yukos avait été tenu d’acquitter pour les années 2000 à 2003 étaient totalement disproportionnés à ce qui pouvait être escompté. La Cour admet que, comme le gouvernement russe l’indique, un taux approprié pour frais de recouvrement aurait été de 4 %. Elle a donc calculé la différence entre des frais de recouvrement au taux de 4 % et les frais effectivement payés, et soustrait de ce montant les frais pour 2000 et 2001, qu’elle a déjà jugés illégaux dans leur globalité. Sur cette base, la Cour évalue à 566 780 436 EUR le montant du dommage matériel ayant résulté pour Yukos des paiements effectués suite à la procédure de recouvrement disproportionnée.

Le montant total de l’indemnité pour dommage matériel s’élève donc à 1 866 104 634 EUR.

Eu égard au fait que Yukos a cessé d’exister, la Cour décide que ce montant doit être versé par le gouvernement russe aux actionnaires de Yukos et, le cas échéant, à leurs successeurs et héritiers légaux proportionnellement à leur participation nominale au capital de la société.

La Cour conclut également, à l’unanimité, que le constat d’une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par Yukos.

Enfin, elle dit, à la majorité, que la Russie doit verser pour frais et dépens une somme forfaitaire d’un montant de 300 000 EUR à la fondation internationale Yukos, qui a été créée par Yukos aux Pays-Bas en vue de la répartition entre ses actionnaires des fonds qu’elle recevrait.

LES FRAIS DE PROCÉDURE INTERNE SONT PAYÉS

QUAND ILS SONT JUSTIFIÉS ET LIÉS A LA VIOLATION

Arrêt Bozano contre France du 02/12/1987 Hudoc 32 requête 9990/82

Le requérant obtient 138 000 FF de frais d'avocat pour payer une procédure destinée à constater le caractère illégal d'une extradition vers l'Italie.  

Les frais d'avocat exposés devant la Cour ne sont remboursés que par une quote-part.

Arrêt X contre France du 31/03/1992 Hudoc 385 requête 18020/91

30 000 FF sont accordés pour payer les frais d'avocat exposés devant la Cour.

Maurice c. France du 06/10/2005 requête 11810/03

"134.  En ce qui concerne les frais et dépens exposés devant les juridictions nationales, les requérants demandent, justificatifs à l’appui, 17 600 EUR (6 400 EUR pour deux référés-provisions, un référé-expertise et une demande d’indemnité contre l’AP-HP, 2 800 EUR pour une demande d’indemnité contre l’Etat pour responsabilité du fait des lois, 2 800 EUR pour l’appel du référé-provision, 2 800 EUR pour les pourvois en cassation concernant le référé-provision et 2 800 EUR pour les deux appels actuellement pendants contre l’AP-HP et l’Etat). De ce montant, ils soustraient 5 762 EUR qu’ils ont perçus à titre d’indemnités en exécution des différentes décisions internes. La somme totale demandée est donc de 11 838 EUR. Quant aux frais et dépens exposés devant la Cour, les requérants demandent 15 000 EUR et fournissent l’état d’honoraires correspondant.

135.  Le Gouvernement expose que la Cour, lorsqu’elle constate une violation, n’accorde que le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. Or, en l’espèce, même sans l’intervention de la loi du 4 mars 2002, les frais relatifs aux procédures de référé et à l’action au fond en première instance auraient été exposés. Le Gouvernement estime donc que seuls les frais exposés en appel sur le fond et contre l’État pour responsabilité du fait des lois devraient être accordés aux requérants, soit 5 600 EUR.

136.  Quant aux frais exposés devant la Cour, le Gouvernement reconnaît que les requérants ont recouru aux services d’un avocat et que l’affaire présentait une certaine complexité. Il s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le montant pouvant être dû à ce titre, tout en considérant qu’il ne devrait pas dépasser 7 500 EUR.

137.  S’agissant de la procédure devant les juridictions internes, la Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, par exemple, Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63, et Carabasse c. France, no 59765/00, § 68, 18 janvier 2005).

En l’espèce, la violation retenue concernant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, la Cour considère que les requérants sont en droit de solliciter le remboursement des frais relatifs aux procédures dans le cadre desquelles ils ont dû contester une telle intervention. Tel est le cas des procédures engagées devant le tribunal administratif de Paris dirigées contre l’AP-HP et l’Etat, des appels interjetés et actuellement pendants devant la cour administrative d’appel de Paris, ainsi que des pourvois en cassation concernant le référé-provision. En ce qui concerne l’appel du référé-provision, la Cour relève que, s’il a été interjeté par l’AP-HP avant le 4 mars 2002, la loi litigieuse est toutefois intervenue en cours de procédure, et les requérants en ont d’ailleurs contesté l’applicabilité dans le cadre d’un de leurs mémoires. Une partie des frais engagés par les requérants dans cette procédure a donc été exposée pour prévenir la violation de la Convention reconnue par la Cour.

138.  Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour, au vu de ce qui précède, alloue aux requérants la somme de 11 400 EUR, moins 5 000 EUR déjà perçus à titre d’indemnités en exécution des différentes décisions internes pertinentes, soit 6 400 EUR, toutes taxes comprises.

139.  En ce qui concerne les frais afférents à la procédure devant elle, la Cour constate que les requérants justifient leurs prétentions par la production d’une note d’honoraires. Considérant que les montants réclamés ne sont pas excessifs au vu de la nature du litige, qui présentait incontestablement une certaine complexité, la Cour fait entièrement droit aux demandes des requérants et leur accorde la somme de 15 000 EUR, toutes taxes comprises.

C.  Intérêts moratoires

140.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, (  )

8.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois, la somme de 21 400 EUR (vingt et un mille quatre cents euros) correspondant aux frais et dépens exposés jusqu’au stade actuel de la procédure devant les juridictions nationales et la Cour.

LA REVISION AU SENS DE L'ARTICLE 80 DU REGLEMENT

KAR c. TURQUIE du 26 mars 2019 requête n° 25257/05

SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

5. Le représentant des héritiers du requérant demande la révision de l’arrêt du 21 novembre 2017, dont il n’a pu obtenir l’exécution en raison du décès du requérant avant l’adoption dudit arrêt. Mmes Keziban Kar et Mme Derya Deniz et MM. Mustafa Kar, Birol Kar et Necmettin Kar sont les héritiers de M. Hasan Kar. Ils devraient donc recevoir les sommes accordées au défunt.

6. Le Gouvernement n’a formulé aucune observation au sujet de la demande en révision.

7. La Cour constate que rien ne permet de distinguer la présente situation de celle ayant fait l’objet, par exemple, des arrêts de révision Lutz c. France (révision) (no 49531/99, 25 novembre 2003, et Hayati Çelebi et autres c. Turquie (révision), no 582/05, 24 janvier 2017).

8. La Cour estime qu’il y a lieu de réviser l’arrêt du 21 novembre 2017 par application de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé:

« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut (...) saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (...) »

9. Elle décide en conséquence qu’il y a lieu d’octroyer conjointement à Mmes Keziban Kar et Mme Derya Deniz et MM. Mustafa Kar, Birol Kar et Necmettin Kar, héritiers de M. Hasan Kar, la somme précédemment accordée à ce dernier, à savoir 5 000 EUR pour dommage moral.

10. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide d’accueillir la demande en révision de l’arrêt du 21 novembre 2017, quant à l’application de l’article 41 de la Convention ;

 en conséquence

 2. Dit

a) que l’État défendeur doit verser conjointement à Mmes Keziban Kar et Mme Derya Deniz et MM. Mustafa Kar, Birol Kar et Necmettin Kar, héritiers de M. Hasan Kar, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

GÜMRÜKÇÜLER ET AUTRES c. TURQUIE du 26 mars 2019 Requête no 9580/03

SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

5. Le représentant des héritiers des requérants demande la révision de l’arrêt du 7 février 2017, dont il n’a pu obtenir l’exécution en raison du décès des requérants avant l’adoption dudit arrêt. Mme Fatma Çevkiroğlu et MM. Hüseyin Demirci, Yusuf Demirci et Ali Demirci sont les héritiers de M. Ahmet Demirci ; M. Rifat Gümrükçüler (requérant) est l’héritier de Mme Fatma Hafize Gümrükçüler ; Mmes Tuba Demirci et Ayşen Demirci et M. Ahmet Demirci sont les héritiers de M. Ali Demirci (lui-même héritier de M. Ahmet Demirci) ; MM. Uğur Alanay (requérant) et Mehmet Nevzat Alanay (requérant) sont les héritiers Mme Hayriye Alanay ; M. Süleyman Alanay (requérant) et Mmes Emine Aydan Alanay (requérante), Akgül Latife Aydoğan (requérante) et Candan Sarıkadıoğlu (requérante) sont les héritiers de Mme Ayşe Alanay ; et Mmes Emine Tavlı (requérante), Latife Ağaoğlu (requérante), Fatma Mahigül Gümrükçüler (requérante), Saadet Gönüllü (requérante) et MM. Saadettin Gümrükçüler (requérant) et Mustafacan Gümrükçüler (requérant) sont les héritiers de Mehmet Tevfik Gümrükçüler. Ils devraient donc recevoir les sommes accordées aux défunts.

6. Le Gouvernement n’a formulé aucune observation au sujet de la demande en révision.

7. La Cour constate que rien ne permet de distinguer la présente situation de celle ayant fait l’objet, par exemple, des arrêts de révision Lutz c. France (révision) (no 49531/99, 25 novembre 2003, et Hayati Çelebi et autres c. Turquie (révision), no 582/05, 24 janvier 2017).

8. La Cour estime qu’il y a lieu de réviser l’arrêt du 7 février 2017 par application de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut (...) saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (...) »

9. Elle décide en conséquence qu’il y a lieu d’octroyer conjointement à Mme Fatma Çevkiroğlu et à MM. Hüseyin Demirci, Yusuf Demirci et Ali Demirci les sommes précédemment accordées à M. Ahmet Demirci ; à M. Rifat Gümrükçüler (requérant) les sommes précédemment accordées à Mme Fatma Hafize Gümrükçüler ; Mmes Tuba Demirci et Ayşen Demirci et M. Ahmet Demirci les sommes qui auraient été accordées M. Ali Demirci en tant qu’héritier de M. Ahmet Demirci ; à MM. Uğur Alanay (requérant) et Mehmet Nevzat Alanay (requérant) les sommes précédemment accordées à Mme Hayriye Alanay ; à M. Süleyman Alanay (requérant) et Mmes Emine Aydan Alanay (requérante), Akgül Latife Aydoğan (requérante) et Candan Sarıkadıoğlu (requérante) les sommes précédemment accordées à Mme Ayşe Alanay ; et à Mmes Emine Tavlı (requérante), Latife Ağaoğlu (requérante), Fatma Mahigül Gümrükçüler (requérante), Saadet Gönüllü (requérante) et MM. Saadettin Gümrükçüler (requérant) et Mustafacan Gümrükçüler (requérant) les sommes précédemment accordées à Mehmet Tevfik Gümrükçüler ; à savoir les parts qui leur reviennent de la somme de 17 000 EUR pour dommage moral et de la somme de 2 500 EUR pour frais et dépens.

10. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide d’accueillir la demande en révision de l’arrêt du 7 février 2017, quant à l’application de l’article 41 de la Convention ;

 en conséquence

 2. Dit

a) que l’État défendeur doit verser conjointement à Mme Fatma Çevkiroğlu et à MM. Hüseyin Demirci, Yusuf Demirci et Ali Demirci, les héritiers de M. Ahmet Demirci ; à M. Rifat Gümrükçüler (requérant), l’héritier de Mme Fatma Hafize Gümrükçüler ; Mmes Tuba Demirci et Ayşen Demirci et M. Ahmet Demirci, les héritiers de M. Ali Demirci (lui-même héritier de M. Ahmet Demirci) ; à MM. Uğur Alanay (requérant) et Mehmet Nevzat Alanay (requérant), les héritiers de Mme Hayriye Alanay ; à M. Süleyman Alanay (requérant) et Mmes Emine Aydan Alanay (requérante), Akgül Latife Aydoğan (requérante) et Candan Sarıkadıoğlu (requérante), les héritiers de à Mme Ayşe Alanay ; et à Mmes Emine Tavlı (requérante), Latife Ağaoğlu (requérante), Fatma Mahigül Gümrükçüler (requérante), Saadet Gönüllü (requérante) et MM. Saadettin Gümrükçüler (requérant) et Mustafacan Gümrükçüler (requérant), les héritiers de Mehmet Tevfik Gümrükçüler, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, à savoir les parts qui leur reviennent de la somme de 17 000 EUR (dix-sept mille euros) pour dommage moral et de la somme de 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

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