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Publié par Frédéric Fabre docteur en droit.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, dans l'ordre chronologique.
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M. Luc F. [Calcul du plafonnement de l'impôt sur la fortune immobilière]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 octobre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 422618 du 12 octobre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Luc F. par Me Marc Bornhauser, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-755 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe II de l'article 979 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Me Bornhauser, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « Les plus-values ainsi que » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 979 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 janvier 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 octobre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2508 du 16 octobre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Pierre F. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-756 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 697-1 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant et la partie intervenante, Me Arié Alimi, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « elles restent néanmoins compétentes à leur égard pour les infractions commises dans le service du maintien de l'ordre » figurant au troisième alinéa de l'article 697-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 janvier 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Société Ambulances-taxis du Thoré [Prise en charge des frais de transport sanitaire]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 octobre 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1431 du même jour) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Ambulances-taxis du Thoré par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-757 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la sécurité sociale ;
la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 ;
l'arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2017 (deuxième chambre civile, n° 16-11606) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn, partie en défense, par la SCP Foussard - Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 novembre 2018 ;
les observations présentées pour la société requérante par Me Aurélie Laclau, avocat au barreau de Toulouse, enregistrées le 16 novembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 16 novembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour la partie en défense, par la SCP Foussard - Froger, enregistrées le 29 novembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Me Laclau, enregistrées le 3 décembre 2018 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me André Thalamas, avocat au barreau de Toulouse, pour la société requérante, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2007 mentionnée ci-dessus.
Le premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit :« Les frais de transport sont pris en charge sur la base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l'état du bénéficiaire ».
La société requérante reproche à ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, de prévoir que la prise en charge, par l'assurance maladie, des prestations de transport assis professionnalisé réalisées en taxi par une entreprise disposant d'une flotte mixte composée de véhicules sanitaires légers et de taxis est limitée au tarif conventionné applicable aux véhicules sanitaires légers, lorsque le tarif conventionné applicable aux taxis est supérieur. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée au détriment de telles entreprises, qui se répercuterait sur les assurés sociaux bénéficiaires de ces prestations, dès lors que les mêmes prestations effectuées par les entreprises disposant seulement de taxis sont prises en charge sur la base du tarif conventionné applicable à ce mode de transport, même s'il est supérieur au tarif conventionné applicable aux véhicules sanitaires légers. Par ailleurs, le surcoût pour l'assuré social du fait de la limitation de la prise en charge par l'assurance maladie constituerait une atteinte au droit à la protection de la santé. Enfin, ce surcoût provoquerait une distorsion de concurrence entre les entreprises disposant d'une flotte mixte et les entreprises de taxis, en méconnaissance de la liberté d'entreprendre.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et du mode de transport » figurant au premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale.
- Sur le fond :
Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle d'une façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Le 2° de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale prévoit, sous certaines conditions, la prise en charge par l'assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux ou de leurs ayants droit obligés de se déplacer pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou se soumettre à un contrôle. Il en va ainsi, en application de l'article R. 322-10-1 de ce code, du transport assis professionnalisé, qui peut être effectué en véhicule sanitaire léger ou en taxi. Le niveau de prise en charge est déterminé à partir du tarif conventionné applicable, c'est-à-dire s'agissant des véhicules sanitaires légers, le tarif défini par la convention nationale prévue par l'article L. 322-5-2 de ce code et, s'agissant des taxis, le tarif déterminé par la convention conclue entre l'entreprise et la caisse primaire d'assurance maladie, sur le fondement du second alinéa de l'article L. 322-5.
Les frais de transport ne sont, en application du premier alinéa de l'article L. 322-5, pris en charge que dans la limite du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l'état du bénéficiaire. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, que les prestations de transport assis professionnalisé effectuées par une entreprise disposant d'une flotte composée de véhicules sanitaires légers et de taxis sont prises en charge par l'assurance maladie dans la limite du tarif conventionné applicable à celui de ces deux modes de transport qui est le moins onéreux, y compris lorsqu'elle prouve que, au moment de la prise en charge du bénéficiaire, aucun des véhicules correspondant à ce mode de transport le moins onéreux n'était disponible.
Dans la mesure où ces mêmes prestations, lorsqu'elles sont réalisées par des entreprises disposant d'une flotte uniquement composée de véhicules sanitaires légers ou de taxis, sont prises en charge sur la base du tarif conventionné applicable à chacun de ces modes de transport, il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées, une différence de traitement entre ces entreprises et celles disposant d'une flotte mixte.
Il résulte des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu maîtriser les dépenses liées à la prise en charge par l'assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux. Une entreprise disposant d'une flotte mixte qui, pour une prestation donnée, n'est en mesure de proposer qu'un type de véhicules en raison de l'indisponibilité de l'autre type de véhicules n'est pas placée, au regard de l'objet de la loi, dans une situation différente d'une entreprise disposant d'un seul type de véhicules. La différence de traitement contestée n'est pas davantage justifiée par l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur.
Il en résulte une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les mots « et du mode de transport » figurant au premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
En l'espèce, la déclaration d'inconstitutionnalité intervient à compter de la date de la publication de la présente décision. Toutefois, elle ne peut être invoquée que dans les instances introduites à cette date, dans lesquelles sont applicables les dispositions contestées, dans leur rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2007, et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et du mode de transport » figurant au premier alinéa de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 janvier 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
M. Suat A. et autres [Absence d'appel d'une décision de placement sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence avec surveillance électronique dans le cadre d'une convocation par procès-verbal]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 octobre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 2834, 2835 et 2836 du 24 octobre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées par MM. Suat A. et Nihat A. et Mme Gulten C. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-758 QPC, 2018-759 QPC et 2018-760 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 394 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ;
l'arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 2016 (chambre criminelle, n° 16-80.738) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour M. Nihat A. et Mme Gulten C. par Me Fabian Lahaie, avocat au barreau de Rennes, enregistrées le 13 novembre 2018 ;
les observations présentées pour M. Suat A. par Me Camille Ernstberger, avocat au barreau de Rennes, enregistrées le 14 novembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 novembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour M. Suat A. par Me Ernstberger, enregistrées le 3 décembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour M. Nihat A. et Mme Gulten C. par Me Lahaie, enregistrées le 3 décembre 2018 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lahaie, pour les parties requérantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
Il y a lieu de joindre les trois questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 394 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus.
L'article 394 du code de procédure pénale, dans cette
rédaction, prévoit :
« Le procureur de la République peut inviter la personne déférée à
comparaître devant le tribunal dans un délai qui ne peut être inférieur à
dix jours, sauf renonciation expresse de l'intéressé en présence de son
avocat, ni supérieur à six mois. Il lui notifie les faits retenus à son
encontre ainsi que le lieu, la date et l'heure de l'audience. Il informe
également le prévenu qu'il doit comparaître à l'audience en possession des
justificatifs de ses revenus ainsi que de ses avis d'imposition ou de
non-imposition. Cette notification, mentionnée au procès-verbal dont copie
est remise sur-le-champ au prévenu, vaut citation à personne.
« L'avocat choisi ou le bâtonnier est informé, par tout moyen et sans délai,
de la date et de l'heure de l'audience ; mention de cet avis est portée au
procès-verbal. L'avocat ou la personne déférée lorsqu'elle n'est pas
assistée d'un avocat peut, à tout moment, consulter le dossier.
« Si le procureur de la République estime nécessaire de soumettre le prévenu
jusqu'à sa comparution devant le tribunal à une ou plusieurs obligations du
contrôle judiciaire ou de le placer sous assignation à résidence avec
surveillance électronique, il le traduit sur-le-champ devant le juge des
libertés et de la détention, statuant en chambre du conseil avec
l'assistance d'un greffier. Ce magistrat peut, après audition du prévenu,
son avocat ayant été avisé et entendu en ses observations, s'il le demande,
prononcer l'une de ces mesures dans les conditions et suivant les modalités
prévues par les articles 138, 139, 142-5 et 142-6. Cette décision est
notifiée verbalement au prévenu et mentionnée au procès-verbal dont copie
lui est remise sur-le-champ. Si le prévenu placé sous contrôle judiciaire ou
sous assignation à résidence avec surveillance électronique se soustrait aux
obligations qui lui sont imposées, les dispositions du deuxième alinéa de
l'article 141-2 sont applicables, ainsi que celles de l'article 141-4 ; les
attributions confiées au juge d'instruction par cet article sont alors
exercées par le procureur de la République.
« Lorsque le tribunal correctionnel a été saisi en application du présent
article, il peut, à la demande des parties ou d'office, commettre par
jugement l'un de ses membres ou l'un des juges d'instruction du tribunal
désigné dans les conditions prévues à l'article 83 pour procéder à un
supplément d'information ; l'article 463 est applicable. Le tribunal peut,
dans les mêmes conditions, s'il estime que la complexité de l'affaire
nécessite des investigations supplémentaires approfondies, renvoyer le
dossier au procureur de la République afin que celui-ci requière l'ouverture
d'une information ».
Les requérants soutiennent que ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le prévenu, convoqué par procès-verbal, de faire appel de la décision le plaçant sous contrôle judiciaire. Le ministère public pouvant en revanche faire appel d'une décision de refus de placement sous contrôle judiciaire, ces dispositions contreviendraient également au principe d'égalité devant la justice. Enfin, elles méconnaîtraient le principe de clarté de la loi du fait de leur imprécision.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la troisième phrase du troisième alinéa de l'article 394 du code de procédure pénale.
Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.
Il résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789 qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
En application de l'article 394 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut recourir, pour le jugement des délits, à la procédure de convocation par procès-verbal. Il invite alors la personne déférée devant lui à comparaître devant le tribunal correctionnel dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à six mois. Si le procureur estime nécessaire de placer le prévenu, jusqu'à sa comparution devant le tribunal, sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, il le traduit ensuite devant le juge des libertés et de la détention. Celui-ci peut, après audition du prévenu, ordonner l'une de ces deux mesures. Cette décision est notifiée verbalement au prévenu et mentionnée au procès-verbal dont copie lui est remise sur-le-champ.
Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, que le prévenu convoqué par procès-verbal ne peut former appel de la décision du juge des libertés et de la détention de le placer sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique.
Toutefois, en premier lieu, en application des dispositions combinées des articles 140, 141-1 et 142-8 du code de procédure pénale, le prévenu ainsi placé sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique peut, à tout moment, saisir le tribunal correctionnel d'une demande de mainlevée ou de modification de ces mesures. À cette occasion, il peut notamment faire valoir l'irrégularité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné la mesure. Conformément aux dispositions de l'article 148-2 du même code, le tribunal correctionnel statue sur cette demande de mainlevée ou de modification dans les dix jours de la réception de la demande. La décision rendue est susceptible d'appel.
Dès lors, si la personne convoquée par procès-verbal ne peut faire appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui l'a placée sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, elle dispose d'autres moyens de procédure lui permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions de cette ordonnance.
En second lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention refusant de placer un prévenu convoqué par procès-verbal sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence. Toutefois, à la différence du prévenu, le ministère public ne peut saisir le tribunal correctionnel lorsque le juge des libertés et de la détention n'a pas fait droit à sa demande.
Il résulte de tout ce qui précède que la différence de traitement contestée ne procède pas de discriminations injustifiées et que sont assurées au prévenu des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense. Les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus en tout état de cause le droit à un recours juridictionnel effectif. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doivent donc être écartés.
Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La troisième phrase du troisième alinéa de l'article 394 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 janvier 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Association Médecins du monde et autres [Pénalisation des clients de personnes se livrant à la prostitution]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 novembre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 423892 du 12 novembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations Médecins du monde, Syndicat du travail sexuel, Aides, Fédération parapluie rouge, Les amis du bus des femmes, Cabiria, Griselidis, Paloma et Acceptess-t et pour M. Thierry S. et Mmes Giovanna R., Marie S., Christine D. et Marianne C., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-761 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 9° bis de l'article 131-16, de l'article 225-12-1, du 9° du paragraphe I de l'article 225-20 et de l'article 611-1 du code pénal, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code pénal ;
la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées pour l'association Coalition pour l'abolition de la prostitution et la fondation Jean et Jeanne Scelles par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 novembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour les associations Amicale du nid, Zéromacho-Des hommes contre la prostitution, La maison des femmes de Paris et Mémoire traumatique et victimologie par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées par l'association Regards de femmes, enregistrées le 3 décembre 2018 ;
les observations présentées pour les associations Médecins du monde, Syndicat du travail sexuel, Aides, Fédération parapluie rouge, Cabiria, Griselidis et Acceptess-t et pour M. Thierry S. et Mmes Giovanna R., Marie S., Christine D. et Marianne C., parties requérantes, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 4 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Les roses d'acier par Me Tewfik Bouzenoune, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Le mouvement du nid, Osez le féminisme et La clef par Me Lorraine Questiaux, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour Mmes Lauren S., Ambrose T., M. Awen M., Mmes Gaëlle F., Célia R., Céleste V., Esther K., MM. Alan Felipe O., Jimmy P., Juan F., Kay D., Mmes Louna K., Stella J., Chloé L., MM. Carlos Alberto M., Juan Carlos G., Mmes Mélanie B., Virginie H., MM. Juan Francisco O., Grégory A., Segundo Servando S., Timothée A., Nathan L. et Mme Ysé F., par Me Nicolas Gardères, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 décembre 2018 ;
les observations présentées pour l'association Les amis du bus des femmes, partie requérante, par Me Marine Thisse, avocat au barreau de Créteil, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations présentées pour l'association Paloma, partie requérante, par Me Amandine Le Roy, avocat au barreau de Nantes, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Équipes d'action contre le proxénétisme et d'aide aux victimes par Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Inter-LGBT par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association SOS Homophobie par Me Rémy Rubaudo, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Le planning familial par Me Safya Akorri, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Act Up Paris par Me Yehudi Pelosi, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Agir Conseiller Travailler Unifier Protéger Sud-Ouest par Mes Sara Khoury et Benjamin Francos, avocats au barreau de Toulouse, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail et l'association Collectif féministe contre le viol par Me Frédérique Pollet Rouyer, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour les associations Arcat, Arap-Rubis, Autres regards, Avec nos aînées, Élus locaux contre le sida et Sidaction par Me Camille Escuillié, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Trans Inter Action par Me Benjamin Gourvez, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 décembre 2018 ;
les secondes observations en intervention présentées pour les associations Amicale du nid, Zéromacho-Des hommes contre la prostitution, La maison des femmes de Paris et Mémoire traumatique et victimologie par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, enregistrées le 13 décembre 2018 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association Coalition pour l'abolition de la prostitution et la fondation Jean et Jeanne Scelles par la SCP Delamarre et Jéhannin, enregistrées le 19 décembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour les associations Médecins du monde, Syndicat du travail sexuel, Aides, Fédération parapluie rouge, Cabiria, Griselidis, et Acceptess-t et pour M. Thierry S. et Mmes Giovanna R., Marie S., Christine D. et Marianne C., parties requérantes, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 20 décembre 2018 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association Équipes d'action contre le proxénétisme et d'aide aux victimes par Me Haas, enregistrées le 20 décembre 2018 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Médecins du monde et onze autres parties requérantes ainsi que pour Inter-LGBT, Me Thisse, pour Les amis du bus des femmes, Me Le Roy, pour Paloma, Me Bouzenoune, pour Les roses d'acier, Me Gardères, pour Mme Lauren S. et vingt-trois autres parties intervenantes, Me Rubaudo, pour SOS Homophobie, Me Akorri, pour Le planning familial, Me Pelosi, pour Act Up Paris, Mes Célia Richard et Jérôme Richard, avocats au barreau de Paris, pour Agir Conseiller Travailler Unifier Protéger Sud-Ouest, Me Escuillié, pour Arcat et cinq autres associations intervenantes, Me Gourvez, pour Trans Inter Action, Me Manuel Delamarre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Coalition pour l'abolition de la prostitution et une autre partie intervenante, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Amicale du nid et trois autres associations intervenantes, Me Questiaux, pour Le mouvement du nid et deux autres associations intervenantes, Me Pollet Rouyer, pour l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail et une autre association intervenante, Me Vanina Méplain, avocat au barreau de Paris, pour Équipes d'action contre le proxénétisme et d'aide aux victimes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 611-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de
la loi du 13 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature
sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon
occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération,
de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage
est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent
article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires
mentionnées à l'article 131-16 et au second alinéa de l'article 131-17 ».
L'article 225-12-1 du même code, dans sa rédaction
résultant de la même loi, prévoit :
« Lorsqu'il est commis en récidive dans les conditions prévues au second
alinéa de l'article 132-11, le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des
relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y
compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse
de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse
d'un tel avantage est puni de 3 750 € d'amende.
« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de
solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une
promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la
promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'une
personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle,
lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité,
apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un
handicap ou à un état de grossesse ».
Le 9° bis de l'article 131-16 du même code, dans la même
rédaction, prévoit que le règlement qui réprime une contravention peut
prévoir, lorsque le coupable est une personne physique, la peine
complémentaire suivante :
« L'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de
sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels ».
Le 9° du paragraphe I de l'article 225-20 du même code,
dans la même rédaction, prévoit que les personnes physiques coupables des
infractions prévues par les sections 1 bis, 2, 2 bis, 2 ter et 2 quater du
chapitre V du même code, relatif aux atteintes à la dignité de la personne,
encourent également la peine complémentaire suivante :
« L'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de
sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels ».
Les requérants, rejoints par certaines parties intervenantes, reprochent, en premier lieu, à ces dispositions de réprimer tout achat d'actes sexuels, y compris lorsque ces actes sont accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé. Cette interdiction générale et absolue porterait à la liberté des personnes prostituées et de leurs clients une atteinte non susceptible d'être justifiée par la sauvegarde de l'ordre public, la lutte contre le proxénétisme et le trafic des êtres humains ou la protection des personnes prostituées. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée, ainsi que du droit à l'autonomie personnelle et à la liberté sexuelle qui en découleraient. Il en résulterait, en deuxième lieu, une méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle. Il est soutenu, en dernier lieu, que la pénalisation de tout recours à la prostitution contreviendrait aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 225-12-1 et l'article 611-1 du code pénal.
Par ailleurs, certaines parties intervenantes soutiennent que les dispositions contestées auraient pour conséquence d'aggraver l'isolement et la clandestinité des personnes prostituées, les exposant ainsi à des risques accrus de violences de la part de leurs clients et les contraignant, pour continuer à exercer leur métier, à accepter des conditions d'hygiène portant atteinte à leur droit à la protection de la santé.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle :
Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Son article 4 proclame que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
Le premier alinéa de l'article 611-1 du code pénal institue une contravention réprimant le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage. Le premier alinéa de l'article 225-12-1 du même code érige en délit ces mêmes faits lorsqu'ils sont commis en situation de récidive légale.
D'une part, il ressort des travaux préparatoires que, en faisant le choix par les dispositions contestées de pénaliser les acheteurs de services sexuels, le législateur a entendu, en privant le proxénétisme de sources de profits, lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l'asservissement de l'être humain. Il a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d'asservissement et poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions.
D'autre part, l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si le législateur a réprimé tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, il a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite et que ces infractions sont rendues possibles par l'existence d'une demande de relations sexuelles tarifées. En prohibant cette demande par l'incrimination contestée, le législateur a retenu un moyen qui n'est pas manifestement inapproprié à l'objectif de politique publique poursuivi.
Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d'autre part, la liberté personnelle. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
- Sur les autres griefs :
En premier lieu, l'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
Les dispositions contestées punissent le recours à la prostitution d'une amende de 1 500 euros, portée à 3 750 euros en cas de récidive, ainsi que de certaines peines complémentaires. Au regard de la nature des comportements réprimés, les peines ainsi instituées ne sont pas manifestement disproportionnées. Par conséquent, et pour les motifs énoncés aux paragraphes 11 et 12, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines doivent être écartés.
En deuxième lieu, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé … ». Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate. Le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé doit donc être écarté.
En dernier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 11 et 12, les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle doivent être écartés.
Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa de l'article 225-12-1 et l'article 611-1 du code pénal, qui ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 225-12-1 et l'article 611-1 du code pénal, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 janvier 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
M. Berket S. [Régime de l'audition libre des mineurs] Non conformité totale - effet différé
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 décembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3319 du 27 novembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Berket S. par Me Pascal Rouiller, avocat au barreau d'Angers. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-762 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 61-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par Me Rouiller, enregistrées le 19 décembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 décembre 2018 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jean de Bary, avocat au barreau d'Angers, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 61-1 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction issue de la loi du 27 mai 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être
entendue librement sur ces faits qu'après avoir été informée :
« 1° De la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction
qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre ;
« 2° Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;
« 3° Le cas échéant, du droit d'être assistée par un interprète ;
« 4° Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui
sont posées ou de se taire ;
« 5° Si l'infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit
puni d'une peine d'emprisonnement, du droit d'être assistée au cours de son
audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles
63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné
d'office par le bâtonnier de l'ordre des avocats ; elle est informée que les
frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d'accès à l'aide
juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter
expressément de poursuivre l'audition hors la présence de son avocat ;
« 6° De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils
juridiques dans une structure d'accès au droit.
« La notification des informations données en application du présent article
est mentionnée au procès-verbal.
« Si le déroulement de l'enquête le permet, lorsqu'une convocation écrite est
adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique
l'infraction dont elle est soupçonnée, son droit d'être assistée par un avocat
ainsi que les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, les modalités de
désignation d'un avocat d'office et les lieux où elle peut obtenir des
conseils juridiques avant cette audition.
« Le présent article n'est pas applicable si la personne a été conduite, sous
contrainte, par la force publique devant l'officier de police judiciaire ».
Le requérant soutient que les dispositions contestées seraient contraires au principe d'égalité devant la procédure pénale garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles ne prévoient pas, lorsqu'un mineur soupçonné d'avoir commis une infraction est entendu librement au cours d'une enquête pénale, des garanties équivalentes à celles qui sont prévues lorsqu'il est entendu dans le cadre d'une garde à vue. De la même manière, en ne prévoyant pas, notamment, qu'un mineur entendu librement bénéficie de l'assistance obligatoire d'un avocat et d'un examen médical et que ses représentants légaux sont informés de la mesure, ces dispositions contreviendraient au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
- Sur le fond :
L'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle. Toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives. En particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention. Telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
Selon les dispositions contestées, la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut, au cours de l'enquête pénale, être entendue librement sur les faits. L'audition ne peut avoir lieu que si la personne y consent et si elle n'a pas été conduite, sous contrainte, devant l'officier de police judiciaire. En outre, la personne ne peut être entendue qu'après avoir été informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction, du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, du droit d'être assistée par un interprète, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire, de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit et, si l'infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, du droit d'être assistée au cours de son audition par un avocat. Elle peut accepter expressément de poursuivre l'audition hors la présence de son avocat.
Toutefois, l'audition libre se déroule selon ces mêmes modalités lorsque la personne entendue est mineure et ce, quel que soit son âge. Or, les garanties précitées ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l'audition libre ni à éviter qu'il opère des choix contraires à ses intérêts. Dès lors, en ne prévoyant pas de procédures appropriées de nature à garantir l'effectivité de l'exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d'une enquête pénale, le législateur a contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, l'article 61-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l'audition libre de toutes les personnes soupçonnées, majeures ou mineures. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 61-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales à la Constitution, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 8 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Section française de l'Observatoire international des prisons [Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement] Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 décembre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 424970 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la section française de l'Observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-763 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 34 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 27 décembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 décembre 2018 ;
les secondes observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 10 janvier 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 janvier 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur
comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un
rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de
jugement ».
Selon l'association requérante, les dispositions contestées méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle leur reproche, d'une part, de ne prévoir aucune voie de recours permettant au détenu prévenu de contester l'avis conforme par lequel l'autorité judiciaire peut s'opposer au bénéfice du rapprochement familial. Elle leur reproche, d'autre part, de ne pas préciser les motifs susceptibles de justifier cette opposition. Il en résulterait également une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale. Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d'une incompétence négative de nature à porter atteinte à ces mêmes droits.
- Sur le fond :
Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
L'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 reconnaît aux prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement la possibilité de bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à cette comparution.
Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que la décision administrative relative au rapprochement familial est nécessairement subordonnée à l'accord du magistrat judiciaire saisi du dossier de la procédure. Il en résulte également que, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision administrative de refus de rapprochement familial, d'exercer un contrôle de légalité sur celle-ci, il ne lui appartient pas de contrôler la régularité et le bien-fondé de l'avis défavorable du magistrat judiciaire qui en constitue, le cas échéant, le fondement.
Dans la mesure où aucune autre voie de recours ne permet de contester cet avis, il n'existe pas de recours juridictionnel effectif contre la décision administrative de refus de rapprochement familial lorsque celle-ci fait suite à l'avis défavorable du magistrat judiciaire.
Au regard des conséquences qu'entraîne un tel refus, cette absence méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement de la possibilité d'obtenir un rapprochement familial. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de cette abrogation.
Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les avis défavorables pris sur le fondement des dispositions litigieuses par les magistrats judiciaires après la date de cette publication peuvent être contestés devant le président de la chambre de l'instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 34 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 10 et 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
M. Paulo M. [Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 décembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3510 du 5 décembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Paulo M. par Me Emmanuel Marsigny, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-764 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du i du 1° de l'article 65 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code des douanes ;
le code des postes et des communications électroniques ;
la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 ;
la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;
la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ;
les décisions du Conseil constitutionnel nos 2011-214 QPC du 27 janvier 2012 et 2015-715 DC du 5 août 2015 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par Me Marsigny, enregistrées le 28 décembre 2018 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 décembre 2018 ;
les observations en intervention présentées pour les associations La Quadrature du Net, Franciliens.net, FAImaison, Midway's Network et Rézine par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 31 décembre 2018 ;
les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15 janvier 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marsigny, pour le requérant, Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5 février 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
Le i du 1° de l'article 65 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit que les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, quel qu'en soit le support :« chez les opérateurs de télécommunications et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, pour les données conservées et traitées par ces derniers, dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et télécommunications ».
Le requérant et les parties intervenantes reprochent aux dispositions contestées de ne pas entourer l'exercice du droit de communication des données de connexion, qu'elles instaurent au profit des agents des douanes, de garanties suffisantes de nature à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et la prévention des atteintes à l'ordre public ainsi que la recherche des auteurs d'infractions.
- Sur la recevabilité :
Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
Dans sa décision du 27 janvier 2012 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du i du 1° de l'article 65 du code des douanes, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004 mentionnée ci-dessus, ainsi que dans sa rédaction modifiée par l'article 91 de cette même loi. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, le Conseil constitutionnel a jugé contraires au droit au respect de la vie privée, dans sa décision du 5 août 2015 mentionnée ci-dessus, des dispositions instaurant un droit de communication des données de connexion au profit des agents de l'Autorité de la concurrence analogue à celui prévu par les dispositions contestées. Cette décision constitue un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figure le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En application des dispositions contestées, les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service. Le paragraphe VI de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques prévoit que les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques « portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux ». Ces données « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications ». En vertu du premier alinéa du paragraphe II de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus, les fournisseurs d'accès et les hébergeurs « détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires ».
La communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée. Si le législateur a réservé à certains agents des douanes soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d'obtenir ces données dans le cadre d'opérations intéressant leur service et ne leur a pas conféré un pouvoir d'exécution forcée, il n'a assorti la procédure prévue par les dispositions en cause d'aucune autre garantie. Dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions.
Par conséquent, le i du 1° de l'article 65 du code des douanes doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
D'une part, les dispositions contestées ont été abrogées par la loi du 23 octobre 2018 mentionnée ci-dessus.
D'autre part, la remise en cause des mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le i du 1° de l'article 65 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
M. Charles-Henri M. [Droit des parties non assistées par un avocat et accès au rapport d'expertise pénale]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 décembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3318 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Charles-Henri M.. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-765 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article 167 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le requérant, enregistrées le 31 décembre 2018 et le 7 janvier 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées par le requérant, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5 février 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des deux premiers alinéas de l'article 167 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 16 février 2015 mentionnée ci-dessus.
Les deux premiers alinéas de l'article 167 du code de procédure pénale,
dans cette rédaction, prévoient :
« Le juge d'instruction donne connaissance des conclusions des experts aux
parties et à leurs avocats après les avoir convoqués conformément aux
dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. Il leur donne également
connaissance, s'il y a lieu, des conclusions des rapports des personnes
requises en application des articles 60 et 77-1, lorsqu'il n'a pas été fait
application des dispositions du quatrième alinéa de l'article 60. Une copie de
l'intégralité du rapport est alors remise, à leur demande, aux avocats des
parties.
« Les conclusions peuvent également être notifiées par lettre recommandée ou,
lorsque la personne est détenue, par les soins du chef de l'établissement
pénitentiaire qui adresse, sans délai, au juge d'instruction l'original ou la
copie du récépissé signé par l'intéressé. L'intégralité du rapport peut aussi
être notifiée, à leur demande, aux avocats des parties par lettre recommandée.
Si les avocats des parties ont fait connaître au juge d'instruction qu'ils
disposent d'une adresse électronique, l'intégralité du rapport peut leur être
adressée par cette voie, selon les modalités prévues au I de l'article 803-1
».
Le requérant soutient que ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les parties assistées d'un avocat et les autres en ce qu'elles réservent aux avocats la possibilité de demander au juge d'instruction la copie intégrale de ce rapport par lettre recommandée. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la justice, du droit à un procès équitable et des droits de la défense.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « avocat des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect du principe des droits de la défense.
En application de l'article 166 du code de procédure pénale, lorsque les opérations d'une expertise ordonnée par un juge d'instruction sont terminées, l'expert rédige un rapport qui doit contenir la description de ces opérations ainsi que ses conclusions. Selon l'article 167 du même code, le juge d'instruction doit donner connaissance de ces conclusions aux parties. En application du deuxième alinéa de cet article, il peut le faire sous la forme d'une notification par lettre recommandée. Si les avocats des parties le demandent, l'intégralité du rapport leur est notifiée par lettre recommandée. Dans tous les cas, le juge d'instruction fixe un délai aux parties pour leur permettre de présenter des observations ou formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise.
Les dispositions contestées ont ainsi pour effet de priver les parties non assistées par un avocat du droit d'avoir connaissance de l'intégralité d'un rapport d'expertise pendant le délai qui leur est accordé pour présenter des observations ou formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise.
Or, dans la mesure où est reconnue aux parties la liberté d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules et sauf à ce qu'une restriction d'accès soit jugée nécessaire au respect de la vie privée, à la sauvegarde de l'ordre public ou à l'objectif de recherche des auteurs d'infractions, toutes les parties à une instruction doivent pouvoir avoir connaissance de l'intégralité du rapport d'une expertise ordonnée par le juge d'instruction afin de leur permettre de présenter des observations ou de formuler une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise.
La différence dans l'accès au rapport d'expertise résultant des dispositions contestées n'étant pas limitée aux cas où elle serait justifiée par la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infractions, le principe d'égalité devant la justice est méconnu.
Par conséquent, les mots « avocats des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet d'accorder aux parties sans avocat le droit d'obtenir la notification de l'intégralité de tous les rapports d'expertise, y compris lorsque cette communication est susceptible de porter atteinte à la protection du respect de la vie privée, à la sauvegarde de l'ordre public ou à l'objectif de recherche des auteurs d'infraction. Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent intervenir pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « avocats des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Mme Sylviane D. [Majoration du dépôt de garantie restant dû à défaut de restitution dans les délais prévus]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 décembre 2018 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 1173 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Sylviane D. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-766 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du septième alinéa de l'article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code civil ;
la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;
l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ;
l'arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2018 (3ème chambre civile, n° 17-26.986) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 2 janvier 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour la requérante par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 30 janvier 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 février 2019 ;
Au vu des pièces suivantes :
la note en délibéré, présentée par le Premier ministre, enregistrée le 18 février 2019 ;
la note en délibéré, présentée pour la requérante par Me Farge, enregistrée le 20 février 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 22 de la loi du 6 juillet 1989 mentionnée ci-dessus, dans sa
rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, fixe le
régime juridique du dépôt de garanti prévu par le contrat de location ainsi
que les conditions de sa restitution. Son septième alinéa prévoit :
« À défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant
dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en
principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. Cette majoration
n'est pas due lorsque l'origine du défaut de restitution dans les délais
résulte de l'absence de transmission par le locataire de l'adresse de son
nouveau domicile ».
Selon la requérante, les dispositions contestées seraient contraires aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, dans la mesure où elles sanctionnent le défaut de restitution dans les délais du dépôt de garantie d'une majoration du montant de ce dernier, automatique et indépendante des sommes effectivement dues. La majoration ainsi instaurée, qui ne tiendrait pas compte du préjudice réellement subi par le locataire, méconnaîtrait également le droit de propriété.
Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
L'article 22 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit l'obligation pour le bailleur de restituer le dépôt de garantie, qui ne peut être supérieur à un mois de loyer en principal, au locataire dans un délai maximal de deux mois à compter de la remise des clés par ce dernier. Ce délai est réduit à un mois lorsque l'état des lieux de sortie est conforme à l'état des lieux d'entrée. Le montant du dépôt de garantie devant être restitué s'entend déduction faite des sommes restant dues au bailleur ou dont celui-ci pourrait être tenu, en lieu et place du locataire, sous réserve d'être dûment justifiées. Le septième alinéa de cet article prévoit qu'à défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard.
D'une part, la majoration contestée est versée au locataire lésé. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que cette majoration ne peut se cumuler avec les intérêts moratoires au taux légal prévus par l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 mentionnée ci-dessus. En l'instaurant, le législateur a entendu compenser le préjudice résultant pour le locataire du défaut ou du retard de restitution du dépôt de garantie et favoriser ainsi un règlement rapide des nombreux contentieux qui en découlent.
D'autre part, en prévoyant que cette majoration est égale à une somme forfaitaire correspondant à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard, le législateur s'est fondé sur un élément en lien avec l'ampleur du préjudice, dans la mesure où le montant du loyer mensuel est pris pour référence comme plafond du dépôt de garantie, et a pris en compte la durée de ce préjudice.
Par conséquent, la majoration contestée, qui présente un caractère indemnitaire, ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés comme inopérants. Par ailleurs, pour les motifs énoncés aux paragraphes précédents, le grief tiré de l'atteinte au droit de propriété doit être écarté.
Il résulte de tout ce qui précède que le septième alinéa de l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le septième alinéa de l'article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Société ODDO BHF [Exclusion de l'assiette des cotisations sociales des actions attribuées gratuitement ]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 décembre 2018 par la Cour de cassation (2ème chambre civile, arrêt n° 1582 du 13 décembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société ODDO BHF par Me Aurore Guido-Deaïbes, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-767 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 et de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la sécurité sociale ;
la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 ;
la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 ;
la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 ;
la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 ;
la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Île-de-France, partie en défense, par la SCP Gatineau - Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3 janvier 2019 ;
les observations en intervention présentées pour les sociétés Sanofi Wintrop Industrie, Sanofi, Sanofi Pasteur, Sanofi Chimie, Sanofi Aventis Recherche et Développement, Sanofi Aventis Groupe et Sanofi Aventis France, par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 janvier 2019 ;
les observations présentées pour la société requérante par Me Guido-Deaïbes, enregistrées le 7 janvier 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 janvier 2019 ;
les observations en intervention présentées pour la société Arkema France par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, enregistrées le 7 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales d'Île-de-France, par la SCP Gatineau - Fattaccini, enregistrées le 21 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Me Guido-Deaïbes, enregistrées le 22 janvier 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour les sociétés Sanofi Wintrop Industrie, Sanofi, Sanofi Pasteur, Sanofi Chimie, Sanofi Aventis Recherche et Développement, Sanofi Aventis Groupe et Sanofi Aventis France, par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, enregistrées le 22 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société Arkema par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, enregistrées le 22 janvier 2019 ;
Après avoir entendu Me Guido-Deaïbes pour la société requérante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me Damien Célice, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation pour les sociétés intervenantes et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 février 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction
résultant de la loi du 20 décembre 2010 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du
travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations
toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du
travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le
montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes,
gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature,
ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre
de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite
par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme
une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément
différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire.
« Lorsque le bénéficiaire d'une option accordée dans les conditions prévues
aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce ne remplit pas les
conditions prévues au I de l'article 163 bis C du code général des impôts, est
considéré comme une rémunération le montant déterminé conformément au II du
même article. Toutefois l'avantage correspondant à la différence définie au II
de l'article 80 bis du code général des impôts est considéré comme une
rémunération lors de la levée de l'option.
« Il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant
au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et
des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que
dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne
pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d'atelier que
dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel.
« Ne seront pas comprises dans la rémunération les prestations de sécurité
sociale versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs
ayants droit par l'entremise de l'employeur.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions mises à la charge des employeurs en application d'une
disposition législative ou réglementaire ou d'un accord national
interprofessionnel mentionné à l'article L. 921-4, destinées au financement
des régimes de retraite complémentaire mentionnés au chapitre Ier du titre II
du livre IX ou versées en couverture d'engagements de retraite complémentaire
souscrits antérieurement à l'adhésion des employeurs aux institutions mettant
en œuvre les régimes institués en application de l'article L. 921-4 et dues au
titre de la part patronale en application des textes régissant ces couvertures
d'engagements de retraite complémentaire.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions des employeurs destinées au financement des prestations
complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs
salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par les organismes régis
par les titres III et IV du livre IX du présent code ou le livre II du code de
la mutualité, par des entreprises régies par le code des assurances ainsi que
par les institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances
et proposant des contrats mentionnés à l'article L. 143-1 dudit code, à la
section 9 du chapitre II du titre III du livre IX du code de la sécurité
sociale ou au chapitre II bis du titre II du livre II du code de la mutualité
lorsque ces garanties entrent dans le champ des articles L. 911-1 et L. 911-2
du présent code, revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre
collectif à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux sous réserve
qu'ils appartiennent à une catégorie établie à partir de critères objectifs
déterminés par décret en Conseil d'État :
« 1° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
d'opérations de retraite déterminées par décret ; l'abondement de l'employeur
à un plan d'épargne pour la retraite collectif exonéré aux termes du deuxième
alinéa de l'article L. 443-8 du code du travail est pris en compte pour
l'application de ces limites ;
« 2° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
de prestations complémentaires de prévoyance, à condition, lorsque ces
contributions financent des garanties portant sur le remboursement ou
l'indemnisation de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un
accident, que ces garanties ne couvrent pas la participation mentionnée au II
de l'article L. 322-2 ou la franchise annuelle prévue au III du même article.
« Toutefois, les dispositions des trois alinéas précédents ne sont pas
applicables lorsque lesdites contributions se substituent à d'autres éléments
de rémunération au sens du présent article, à moins qu'un délai de douze mois
ne se soit écoulé entre le dernier versement de l'élément de rémunération en
tout ou partie supprimé et le premier versement desdites contributions.
« Les personnes visées au 20° de l'article L. 311-3 qui procèdent par achat et
revente de produits ou de services sont tenues de communiquer le pourcentage
de leur marge bénéficiaire à l'entreprise avec laquelle elles sont liées.
« Sont également pris en compte, dans les conditions prévues à l'article L.
242-11, les revenus tirés de la location de tout ou partie d'un fonds de
commerce, d'un établissement artisanal, ou d'un établissement commercial ou
industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que
la location, dans ce dernier cas, comprenne ou non tout ou partie des éléments
incorporels du fonds de commerce ou d'industrie, lorsque ces revenus sont
perçus par une personne qui réalise des actes de commerce au titre de
l'entreprise louée ou y exerce une activité.
« Est exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans
la limite d'un montant fixé à trois fois la valeur annuelle du plafond
mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de
la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de
mandataires sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du code
général des impôts qui n'est pas imposable en application de l'article 80
duodecies du même code. Toutefois, les indemnités d'un montant supérieur à
trente fois le plafond annuel défini par l'article L. 241-3 du présent code
sont intégralement assimilées à des rémunérations pour le calcul des
cotisations visées au premier alinéa du présent article. Pour l'application du
présent alinéa, il est fait masse des indemnités liées à la rupture du contrat
de travail et de celles liées à la cessation forcée des fonctions.
« Les attributions gratuites d'actions effectuées conformément aux
dispositions des articles L. 225-197-1 à L. 225-197-3 du code de commerce sont
exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa si elles
sont conservées dans les conditions mentionnées au I de l'article 80
quaterdecies du code général des impôts et si l'employeur notifie à son
organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux
auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de
l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions
attribuées à chacun d'entre eux. À défaut, l'employeur est tenu au paiement de
la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
« Les dispositions de l'avant-dernier alinéa sont également applicables
lorsque l'attribution est effectuée, dans les mêmes conditions, par une
société dont le siège est situé à l'étranger et qui est mère ou filiale de
l'entreprise dans laquelle l'attributaire exerce son activité.
« Les dispositions des deux alinéas précédents ne donnent pas lieu à
application de l'article L. 131-7 ».
L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction
résultant de la loi du 21 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du
travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations
toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du
travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le
montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes,
gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature,
ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre
de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite
par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme
une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément
différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire.
« Lorsque le bénéficiaire d'une option accordée dans les conditions prévues
aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce ne remplit pas les
conditions prévues au I de l'article 163 bis C du code général des impôts, est
considéré comme une rémunération le montant déterminé conformément au II du
même article. Toutefois l'avantage correspondant à la différence définie au II
de l'article 80 bis du code général des impôts est considéré comme une
rémunération lors de la levée de l'option.
« Il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant
au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et
des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que
dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne
pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d'atelier que
dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel.
« Ne seront pas comprises dans la rémunération les prestations de sécurité
sociale versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs
ayants droit par l'entremise de l'employeur.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions mises à la charge des employeurs en application d'une
disposition législative ou réglementaire ou d'un accord national
interprofessionnel mentionné à l'article L. 921-4, destinées au financement
des régimes de retraite complémentaire mentionnés au chapitre Ier du titre II
du livre IX ou versées en couverture d'engagements de retraite complémentaire
souscrits antérieurement à l'adhésion des employeurs aux institutions mettant
en œuvre les régimes institués en application de l'article L. 921-4 et dues au
titre de la part patronale en application des textes régissant ces couvertures
d'engagements de retraite complémentaire.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions des employeurs destinées au financement des prestations
complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs
salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par les organismes régis
par les titres III et IV du livre IX du présent code ou le livre II du code de
la mutualité, par des entreprises régies par le code des assurances ainsi que
par les institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances
et proposant des contrats mentionnés à l'article L. 143-1 dudit code, à la
section 9 du chapitre II du titre III du livre IX du code de la sécurité
sociale ou au chapitre II bis du titre II du livre II du code de la mutualité
lorsque ces garanties entrent dans le champ des articles L. 911-1 et L. 911-2
du présent code, revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre
collectif à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux sous réserve
qu'ils appartiennent à une catégorie établie à partir de critères objectifs
déterminés par décret en Conseil d'État :
« 1° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
d'opérations de retraite déterminées par décret ; l'abondement de l'employeur
à un plan d'épargne pour la retraite collectif exonéré aux termes du deuxième
alinéa de l'article L. 443-8 du code du travail est pris en compte pour
l'application de ces limites ;
« 2° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
de prestations complémentaires de prévoyance, à condition, lorsque ces
contributions financent des garanties portant sur le remboursement ou
l'indemnisation de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un
accident, que ces garanties ne couvrent pas la participation mentionnée au II
de l'article L. 322-2 ou la franchise annuelle prévue au III du même article.
« Toutefois, les dispositions des trois alinéas précédents ne sont pas
applicables lorsque lesdites contributions se substituent à d'autres éléments
de rémunération au sens du présent article, à moins qu'un délai de douze mois
ne se soit écoulé entre le dernier versement de l'élément de rémunération en
tout ou partie supprimé et le premier versement desdites contributions.
« Les personnes visées au 20° de l'article L. 311-3 qui procèdent par achat et
revente de produits ou de services sont tenues de communiquer le pourcentage
de leur marge bénéficiaire à l'entreprise avec laquelle elles sont liées.
« Sont également pris en compte, dans les conditions prévues à l'article L.
242-11, les revenus tirés de la location de tout ou partie d'un fonds de
commerce, d'un établissement artisanal, ou d'un établissement commercial ou
industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que
la location, dans ce dernier cas, comprenne ou non tout ou partie des éléments
incorporels du fonds de commerce ou d'industrie, lorsque ces revenus sont
perçus par une personne qui réalise des actes de commerce au titre de
l'entreprise louée ou y exerce une activité.
« Est exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans
la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond
mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de
la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de
mandataires sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du code
général des impôts qui n'est pas imposable en application de l'article 80
duodecies du même code. Toutefois, les indemnités d'un montant supérieur à
trente fois le plafond annuel défini par l'article L. 241-3 du présent code
sont intégralement assimilées à des rémunérations pour le calcul des
cotisations visées au premier alinéa du présent article. Pour l'application du
présent alinéa, il est fait masse des indemnités liées à la rupture du contrat
de travail et de celles liées à la cessation forcée des fonctions.
« Les attributions gratuites d'actions effectuées conformément aux
dispositions des articles L. 225-197-1 à L. 225-197-3 du code de commerce sont
exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa si elles
sont conservées dans les conditions mentionnées au I de l'article 80
quaterdecies du code général des impôts et si l'employeur notifie à son
organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux
auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de
l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions
attribuées à chacun d'entre eux. À défaut, l'employeur est tenu au paiement de
la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
« Les dispositions de l'avant-dernier alinéa sont également applicables
lorsque l'attribution est effectuée, dans les mêmes conditions, par une
société dont le siège est situé à l'étranger et qui est mère ou filiale de
l'entreprise dans laquelle l'attributaire exerce son activité.
« Les dispositions des deux alinéas précédents ne donnent pas lieu à
application de l'article L. 131-7 ».
L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction
résultant de la loi du 16 août 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du
travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations
toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du
travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le
montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes,
gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature,
ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre
de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite
par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme
une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément
différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire.
« Lorsque le bénéficiaire d'une option accordée dans les conditions prévues
aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce ne remplit pas les
conditions prévues au I de l'article 163 bis C du code général des impôts, est
considéré comme une rémunération le montant déterminé conformément au II du
même article. Toutefois l'avantage correspondant à la différence définie au II
de l'article 80 bis du code général des impôts est considéré comme une
rémunération lors de la levée de l'option.
« Il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant
au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et
des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que
dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne
pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d'atelier que
dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel.
« Ne seront pas comprises dans la rémunération les prestations de sécurité
sociale versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs
ayants droit par l'entremise de l'employeur.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions mises à la charge des employeurs en application d'une
disposition législative ou réglementaire ou d'un accord national
interprofessionnel mentionné à l'article L. 921-4, destinées au financement
des régimes de retraite complémentaire mentionnés au chapitre Ier du titre II
du livre IX ou versées en couverture d'engagements de retraite complémentaire
souscrits antérieurement à l'adhésion des employeurs aux institutions mettant
en œuvre les régimes institués en application de l'article L. 921-4 et dues au
titre de la part patronale en application des textes régissant ces couvertures
d'engagements de retraite complémentaire.
« Sont exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les
contributions des employeurs destinées au financement des prestations
complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs
salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par les organismes régis
par les titres III et IV du livre IX du présent code ou le livre II du code de
la mutualité, par des entreprises régies par le code des assurances ainsi que
par les institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances
et proposant des contrats mentionnés à l'article L. 143-1 dudit code, à la
section 9 du chapitre II du titre III du livre IX du code de la sécurité
sociale ou au chapitre II bis du titre II du livre II du code de la mutualité
lorsque ces garanties entrent dans le champ des articles L. 911-1 et L. 911-2
du présent code, revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre
collectif à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux sous réserve
qu'ils appartiennent à une catégorie établie à partir de critères objectifs
déterminés par décret en Conseil d'État :
« 1° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
d'opérations de retraite déterminées par décret ; l'abondement de l'employeur
à un plan d'épargne pour la retraite collectif exonéré aux termes du deuxième
alinéa de l'article L. 443-8 du code du travail est pris en compte pour
l'application de ces limites ;
« 2° Dans des limites fixées par décret, pour les contributions au financement
de prestations complémentaires de prévoyance, à condition, lorsque ces
contributions financent des garanties portant sur le remboursement ou
l'indemnisation de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un
accident, que ces garanties ne couvrent pas la participation mentionnée au II
de l'article L. 322-2 ou la franchise annuelle prévue au III du même article.
« Toutefois, les dispositions des trois alinéas précédents ne sont pas
applicables lorsque lesdites contributions se substituent à d'autres éléments
de rémunération au sens du présent article, à moins qu'un délai de douze mois
ne se soit écoulé entre le dernier versement de l'élément de rémunération en
tout ou partie supprimé et le premier versement desdites contributions.
« Les personnes visées au 20° de l'article L. 311-3 qui procèdent par achat et
revente de produits ou de services sont tenues de communiquer le pourcentage
de leur marge bénéficiaire à l'entreprise avec laquelle elles sont liées.
« Sont également pris en compte, dans les conditions prévues à l'article L.
242-11, les revenus tirés de la location de tout ou partie d'un fonds de
commerce, d'un établissement artisanal, ou d'un établissement commercial ou
industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que
la location, dans ce dernier cas, comprenne ou non tout ou partie des éléments
incorporels du fonds de commerce ou d'industrie, lorsque ces revenus sont
perçus par une personne qui réalise des actes de commerce au titre de
l'entreprise louée ou y exerce une activité.
« Est exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans
la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond
mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de
la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de
mandataires sociaux, dirigeants et personnes visées à l'article 80 ter du code
général des impôts qui n'est pas imposable en application de l'article 80
duodecies du même code. Toutefois, les indemnités d'un montant supérieur à dix
fois le plafond annuel défini par l'article L. 241-3 du présent code sont
intégralement assimilées à des rémunérations pour le calcul des cotisations
visées au premier alinéa du présent article. Pour l'application du présent
alinéa, il est fait masse des indemnités liées à la rupture du contrat de
travail et de celles liées à la cessation forcée des fonctions.
« Les attributions gratuites d'actions effectuées conformément aux
dispositions des articles L. 225-197-1 à L. 225-197-3 du code de commerce sont
exclues de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa si elles
sont conservées dans les conditions mentionnées au I de l'article 80
quaterdecies du code général des impôts et si l'employeur notifie à son
organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux
auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de
l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions
attribuées à chacun d'entre eux. À défaut, l'employeur est tenu au paiement de
la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
« Les dispositions de l'avant-dernier alinéa sont également applicables
lorsque l'attribution est effectuée, dans les mêmes conditions, par une
société dont le siège est situé à l'étranger et qui est mère ou filiale de
l'entreprise dans laquelle l'attributaire exerce son activité.
« Les dispositions des deux alinéas précédents ne donnent pas lieu à
application de l'article L. 131-7 ».
La société requérante soutient que les dispositions précitées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. En premier lieu, en subordonnant le bénéfice de l'exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement à une condition de notification à l'organisme de recouvrement de certaines informations relatives aux actions distribuées, le législateur aurait fondé le bénéfice de l'exonération sur un critère dépourvu de caractère objectif et rationnel. En deuxième lieu, elle critique le fait que la perte du bénéfice de l'exonération entraîne le paiement par l'employeur de la totalité des cotisations sociales, y compris dans leur part salariale, et se cumule avec le paiement de la contribution patronale établie par l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale. Par ailleurs, la société reproche au législateur de ne pas avoir épuisé sa compétence et d'avoir méconnu le droit de propriété, les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et si l'employeur notifie à son organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d'entre eux. À défaut, l'employeur est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale » figurant au treizième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines :
Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
Les dispositions du treizième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale instituent une exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement. Cette exonération est subordonnée à plusieurs conditions. En particulier, les dispositions contestées prévoient que l'employeur est tenu de notifier à son organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d'entre eux. Ces dispositions prévoient que l'employeur, qui n'a pas satisfait à cette condition, est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.
D'une part, en mettant à la charge de l'employeur les cotisations sociales dans leur part patronale, ces dispositions se bornent à tirer les conséquences de la perte du bénéfice de l'exonération. D'autre part, en faisant peser sur l'employeur la part salariale de ces cotisations, elles visent à garantir le recouvrement des redressements de cotisations. Ainsi, ces dispositions n'édictent aucune peine ou sanction ayant le caractère de punition.
Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines ne peuvent qu'être écartés.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2005 mentionnée ci-dessus que l'exigence de notification aux organismes de recouvrement prévue par les dispositions contestées a pour objet de permettre une évaluation du montant de la perte de recettes pour la sécurité sociale résultant de l'exonération de cotisations sociales.
Si cette exigence de notification a été créée à une date à laquelle l'État était tenu de compenser la perte de recettes sociales résultant de cette exonération, la circonstance que cette obligation de compensation a été supprimée par la loi du 19 décembre 2007 n'a pas privé d'objet le dispositif contesté dès lors que le législateur a estimé nécessaire, en l'état, de maintenir une évaluation du coût de l'exonération. La faculté qu'auraient les organismes sociaux d'évaluer par d'autres voies le montant de cette perte de recettes est sans incidence à cet égard.
Par ailleurs, la notification permet aux organismes de recouvrement de procéder, le cas échéant, à des contrôles et des vérifications.
Par conséquent, en subordonnant le bénéfice de l'exonération à une formalité de notification, le législateur s'est en fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts poursuivis.
En second lieu, d'une part, l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale institue au profit des régimes obligatoires d'assurance maladie dont relèvent les bénéficiaires une contribution due par l'employeur sur les actions attribuées gratuitement. La perte du bénéfice de l'exonération ne remet pas en cause les sommes versées par l'employeur au titre de cette contribution patronale. Toutefois, cette contribution patronale est destinée à participer au financement des dépenses des régimes obligatoires d'assurance maladie et n'ouvre pas de droits aux prestations et avantages servis par ce régime. Celle-ci n'a pas pour objet de compenser l'exacte perte de recettes résultant, pour chacun des régimes de sécurité sociale, de l'exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement. Dès lors, le cumul de ces prélèvements n'entraîne pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
D'autre part, le grief tiré de ce que le cumul des cotisations sociales éventuellement redressées avec des impositions de toutes natures présenterait un caractère confiscatoire est inopérant.
Enfin, en application des dispositions contestées, l'employeur qui n'a pas rempli l'obligation de notification est tenu d'acquitter la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale. Toutefois, compte tenu du taux des cotisations salariales, il n'en résulte pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Par conséquent, le grief tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi dès lors que les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement.
Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et si l'employeur notifie à son organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions gratuites ont été attribuées définitivement au cours de l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d'entre eux. À défaut, l'employeur est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale » figurant au treizième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 et de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 février 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
M. Adama S. [Examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 décembre 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1242 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Adama S. par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-768 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code civil ;
la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les observations en intervention présentées pour les associations Groupe d'information et de soutien des immigrés, Cimade, Médecins du monde, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, Avocats sans frontières France, le Secours catholique et pour le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Brigitte Jeannot, avocat au barreau de Nancy, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Ligue des droits de l'homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour les associations Groupe d'information et de soutien des immigrés, Cimade, Médecins du monde, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, Avocats sans frontières France, le Secours catholique et pour le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
les secondes observations présentées pour l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Jeannot, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Isabelle Zribi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant et pour l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés et d'autres parties intervenantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association Ligue des droits de l'homme, partie intervenante, Me Jeannot, pour l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT:
L'article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 14
mars 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le mineur est l'individu de l'un ou
l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis.
« Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en
l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas
vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité
judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé.
« Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne
peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le
doute profite à l'intéressé.
« En cas de doute sur la minorité de l'intéressé, il ne peut être procédé à
une évaluation de son âge à partir d'un examen du développement pubertaire des
caractères sexuels primaires et secondaires ».
Selon le requérant, ces dispositions méconnaîtraient tout d'abord l'exigence de protection de l'intérêt de l'enfant fondée sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que le manque de fiabilité des examens radiologiques osseux conduirait à juger comme majeurs des mineurs étrangers isolés et à les exclure en conséquence du bénéfice des dispositions législatives destinées à les protéger. Il est également soutenu que le droit à la protection de la santé serait méconnu par les dispositions contestées, en ce qu'elles autoriseraient le recours à un examen radiologique comportant des risques pour la santé, sans finalité médicale et sans le consentement réel de l'intéressé. Ces dispositions contreviendraient, pour les mêmes motifs, au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Elles seraient également contraires au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elles aboutiraient à la divulgation de données médicales concernant les mineurs isolés, sans que ceux-ci y aient consenti. Enfin, les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d'égalité devant la loi en tant qu'elles permettraient le recours à des examens osseux en l'absence de « documents d'identité valables » sans préciser cette notion ni renvoyer à d'autres dispositions législatives qui le feraient.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et troisième alinéas de l'article 388 du code civil.
Les intervenants soulèvent des griefs similaires à ceux du requérant. Selon certains, les dispositions contestées méconnaîtraient également le droit au respect de l'intégrité physique et le principe de précaution.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant :
Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
Il en résulte une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge. Il s'ensuit que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.
Les dispositions contestées autorisent le recours à un examen radiologique osseux aux fins de contribuer à la détermination de l'âge d'une personne. En l'état des connaissances scientifiques, il est établi que les résultats de ce type d'examen peuvent comporter une marge d'erreur significative.
Toutefois, en premier lieu, seule l'autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen.
En deuxième lieu, cet examen ne peut être ordonné que si la personne en cause n'a pas de documents d'identité valables et si l'âge qu'elle allègue n'est pas vraisemblable. Il appartient à l'autorité judiciaire de s'assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen.
En troisième lieu, cet examen ne peut intervenir qu'après que le consentement éclairé de l'intéressé a été recueilli, dans une langue qu'il comprend. À cet égard, la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux.
En dernier lieu, le législateur a pris en compte, dans les garanties qu'il a établies, l'existence de la marge d'erreur entourant les conclusions des examens radiologiques. D'une part, il a imposé la mention de cette marge dans les résultats de ces examens. D'autre part, il a exclu que ces conclusions puissent constituer l'unique fondement dans la détermination de l'âge de la personne. Il appartient donc à l'autorité judiciaire d'apprécier la minorité ou la majorité de celle-ci en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l'évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance. Enfin, si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.
Il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de donner leur plein effet aux garanties précitées.
Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux à des fins de détermination de l'âge, le législateur n'a pas méconnu l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence doit donc être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé :
En premier lieu, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sur la santé de la réalisation d'un examen radiologique osseux, dès lors que cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate.
En second lieu, un examen radiologique osseux ne peut être ordonné que dans les conditions déterminées aux paragraphes 8, 9 et 10 et en tenant compte d'un avis médical qui le déconseillerait à raison des risques particuliers qu'il pourrait présenter pour la personne concernée.
Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé doit être écarté.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de l'inviolabilité du corps humain :
Le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
Les examens radiologiques osseux contestés visent uniquement à déterminer l'âge d'une personne et ne peuvent être réalisés sans son accord. Ils n'impliquent aucune intervention corporelle interne et ne comportent aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes. En conséquence, manquent en fait les griefs tirés de l'atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine et à l'inviolabilité du corps humain.
- Sur les autres griefs :
En premier lieu, la notion de « documents d'identité valables », qui fait référence aux documents dont l'authenticité est établie au regard des règles prévues notamment par l'article 47 du code civil, étant suffisamment précise, le législateur n'a en tout état de cause pas méconnu l'étendue de sa compétence.
En second lieu, les dispositions contestées, qui permettent uniquement la réalisation d'examens radiologiques osseux en vue de la détermination de son âge avec l'accord de la personne, ne contreviennent pas non plus au droit au respect de la vie privée.
Les deuxième et troisième alinéas de l'article 388 du code civil, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de précaution ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 mars 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.
Mme Ruth S. [Calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 janvier 2019 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 139 du 10 janvier 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Ruth S., par Me Marc Bornhauser, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-769 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe II de l'article 885 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
les décisions du Conseil constitutionnel nos 2012-662 DC du 29 décembre 2012 et 2016-538 QPC du 22 avril 2016 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par Me Bornhauser, enregistrées le 1er février 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 1er février 2019 ;
les secondes observations présentées pour la requérante par Me Bornhauser, enregistrées le 15 février 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Aurélie Monteiro, avocat au barreau de Paris, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 885 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction
résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, soumet l'impôt
de solidarité sur la fortune à un plafonnement en fonction des revenus du
contribuable. Précisant les modalités selon lesquelles ces revenus sont pris
en compte, le premier alinéa de son paragraphe II prévoit :
« Les plus-values ainsi que tous les revenus sont déterminés sans
considération des exonérations, seuils, réductions et abattements prévus au
présent code, à l'exception de ceux représentatifs de frais professionnels ».
La requérante reproche à ces dispositions d'inclure dans le revenu en fonction duquel est plafonné l'impôt de solidarité sur la fortune le montant brut des plus-values réalisées par le contribuable, sans leur appliquer ni abattement pour durée de détention, ni aucun autre correctif tenant compte de l'érosion monétaire affectant leur valeur réelle. Ces dispositions auraient, dès lors, pour effet de majorer artificiellement les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement. Il en résulterait une méconnaissance des capacités contributives des redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune et donc une rupture d'égalité devant les charges publiques.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Les plus-values ainsi que » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 885 V bis du code général des impôts.
- Sur la recevabilité :
Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
Dans sa décision du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 885 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012. Il a jugé conformes à la Constitution, dans les motifs et le dispositif de cette décision, les dispositions de cet article contestées par la requérante dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, le Conseil constitutionnel a énoncé, dans sa décision du 22 avril 2016 mentionnée ci-dessus, une réserve d'interprétation selon laquelle la soumission au barème progressif de l'impôt sur le revenu, à compter du 1er janvier 2013, des plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés ne saurait priver les plus-values placées en report d'imposition avant cette date, qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut, de l'application d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. Cette décision constitue un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
En application de l'article 885 V bis du code général des impôts, le cumul de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impositions sur les revenus ne peut excéder 75 % du total des revenus du contribuable. En application des dispositions contestées, les plus-values sont incluses dans ces revenus, à hauteur de leur montant brut, sans application d'aucune exonération ou réduction ni d'aucun seuil ou abattement.
En premier lieu, l'impôt de solidarité sur la fortune ne figure pas au nombre des impositions sur le revenu. En instituant cet impôt, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits. Les dispositions contestées n'ont ainsi pas pour objet de déterminer les conditions d'imposition des plus-values, mais les modalités selon lesquelles ces plus-values sont prises en compte dans les revenus en fonction desquels est plafonné l'impôt de solidarité sur la fortune.
En second lieu, en prenant en compte, dans le calcul de ce plafonnement, les plus-values à hauteur de leur montant brut, le législateur a intégré aux revenus du contribuable des sommes correspondant à des revenus que ce dernier a réalisés et dont il a disposé au cours de la même année.
Par conséquent, le fait que les dispositions contestées incluent dans ces revenus les plus-values réalisées par le contribuable, sans prendre en compte l'érosion monétaire entre la date d'acquisition des biens ou droits et celle de leur cession, ne méconnaît pas l'exigence de prise en compte des facultés contributives résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789.
Le grief tiré de la violation du principe d'égalité devant les charges publiques doit ainsi être écarté. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « Les plus-values ainsi que » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 885 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 mars 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Chamsoudine C. [Lecture donnée aux jurés par le président de la cour d'assises avant le vote sur l'application de la peine]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 janvier 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3678 du 9 janvier 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Chamsoudine C. par Me Céline Cooper, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-770 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 362 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code pénal ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 février 2019 ;
les observations présentées pour le requérant, par Me Cooper, enregistrées le 19 février 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cooper, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 362 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus.
L'article 362 du code de procédure pénale, dans cette
rédaction, prévoit :
« En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture
aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal.
La cour d'assises délibère alors sans désemparer sur l'application de la
peine. Le vote a lieu ensuite au scrutin secret, et séparément pour chaque
accusé.
« La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants.
Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être
prononcé qu'à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises
statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la
cour d'assises statue en appel. Si le maximum de la peine encourue n'a pas
obtenu cette majorité, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente
ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est la réclusion
criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de réclusion
criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion
criminelle. Les mêmes règles sont applicables en cas de détention criminelle.
Si la cour d'assises a répondu positivement à la question portant sur
l'application des dispositions du second alinéa de l'article 122-1 du même
code, les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux
deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à
la majorité qualifiée prévue par la deuxième phrase du présent alinéa.
« Si, après deux tours de scrutin, aucune peine n'a réuni la majorité des
suffrages, il est procédé à un troisième tour au cours duquel la peine la plus
forte proposée au tour précédent est écartée. Si, à ce troisième tour, aucune
peine n'a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est procédé à un
quatrième tour et ainsi de suite, en continuant à écarter la peine la plus
forte, jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée.
« Lorsque la cour d'assises prononce une peine correctionnelle, elle peut
ordonner à la majorité qu'il soit sursis à l'exécution de la peine avec ou
sans mise à l'épreuve.
« La cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou
complémentaires.
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour
déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du
condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle
rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14 ».
Le requérant soutient que, faute de prévoir la lecture aux jurés des dispositions de l'article 132-23 du code pénal relatives à la période de sûreté, l'article 362 du code de procédure pénale ne garantirait pas que ceux-ci soient mis à même de connaître la portée et les effets de la peine qu'ils décident d'infliger. Il en résulterait une méconnaissance des principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, de celui d'individualisation des peines, des droits de la défense et du droit au procès équitable, propres à exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
Il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
En application de l'article 362 du code de procédure pénale, en cas de réponse affirmative sur la culpabilité de l'accusé, la cour d'assises statue immédiatement sur l'application de la peine. Avant de procéder au vote, le président de la cour donne lecture aux jurés de l'article 130-1 du code pénal qui énonce les finalités de la peine, de l'article 132-1 du même code qui rappelle l'exigence d'individualisation de la peine et de l'article 132-18 du même code qui détermine les planchers et les plafonds des peines de réclusion ou de détention criminelles.
L'article 132-23 du code pénal instaure, pour certaines infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté attachée de plein droit à la condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans. Pendant toute la durée de la période de sûreté, la personne condamnée ne peut bénéficier d'une suspension ou d'un fractionnement de sa peine, d'un placement à l'extérieur, de permissions de sortir, d'une mesure de semi-liberté et d'une mesure de libération conditionnelle.
Comme le Conseil constitutionnel l'a jugé aux paragraphes 7 à 11 de sa décision du 26 octobre 2018 mentionnée ci-dessus, d'une part, la période de sûreté ne constitue pas une peine s'ajoutant à la peine principale, mais une mesure d'exécution de cette dernière présentant un lien étroit avec celle-ci, d'autre part, le fait que la période de sûreté s'applique de plein droit, en vertu de l'article 132-23 du code pénal, lorsque les conditions légales en sont réunies, ne méconnaît pas le principe d'individualisation des peines.
Toutefois, lorsqu'une cour d'assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s'attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler.
Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus. La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale doit donc être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver les jurés de la garantie d'être informés de l'étendue des pouvoirs de la cour d'assises quant au choix de la peine. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 mars 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 mars 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Vermilion REP [Barème de la redevance progressive de mines d'hydrocarbures liquides]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 janvier 2019 par le Conseil d'État (décisions nos 424920 et 424921 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Vermilion REP par Me Ruxandra Lazar, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-771 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 132-16 du code minier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
le code minier ;
la loi n° 80-1094 du 30 décembre 1980 de finances pour 1981 ;
la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 février 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 février 2019 ;
les observations en intervention présentées respectivement pour la société BridgeOil et pour la société IPC Petroleum France SA, par Me Sabine Naugès, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 février 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 18 février 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Lazar, pour la société requérante, Me Naugès, pour la société BridgeOil, Me Charlotte Michellet, avocat au barreau de Paris, pour la société IPC Petroleum France, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article L. 132-16 du code minier, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures
liquides ou gazeux, à l'exception des gisements en mer, sont tenus de payer
annuellement à l'État une redevance à taux progressif et calculée sur la
production. Cette redevance est due rétroactivement au jour de la première vente
des hydrocarbures extraits à l'intérieur du périmètre qui délimite la
concession. 28,5 % du produit de cette redevance est versé à la caisse autonome
nationale de sécurité sociale dans les mines.
« Le barème de la redevance est fixé comme suit :
« Nature des produits, en pourcentage de la valeur de la production au départ du
champ.
« Huile brute :
« Par tranche de production annuelle (en tonnes) :
Production |
Taux |
Inférieure à 1 500 |
0 % |
Égale ou supérieure à 1 500 |
8% |
« Gaz :
« Par tranche de production annuelle (en millions de mètres cubes) :
Production |
Taux |
Inférieure à 150 |
0 % |
Égale ou supérieure à 150 |
30% |
« Le recouvrement de la redevance instituée au présent article, dont la
perception incombe aux comptables publics chargés des recettes domaniales de
l'État, s'opère dans les conditions prévues en matière domaniale à l'article L.
2321-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
« Un décret en Conseil d'État contresigné par les ministres chargés
respectivement des hydrocarbures et du budget précise les modalités
d'application du présent article, notamment les garanties assurées au titulaire
du titre d'exploitation en ce qui concerne la détermination de la base de calcul
de la redevance ».
La société requérante et les sociétés intervenantes soutiennent que ces dispositions, dont l'adoption aurait entraîné une forte augmentation de la redevance progressive des mines et rendu plus onéreuse l'exploitation d'hydrocarbures liquides, porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Elles emporteraient également une charge excessive, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la dernière ligne du tableau figurant au sixième alinéa de l'article L. 132-16 du code minier.
Les sociétés intervenantes soutiennent que le caractère confiscatoire de cette redevance résulterait également de son cumul avec d'autres taxes. Elles font aussi valoir que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et le droit de propriété.
Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
L'article L. 132-16 du code minier soumet les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides à une redevance progressive assise sur la production annuelle d'huile brute. En application des dispositions contestées, cette production est imposée au taux de 8 % pour sa part de production égale ou supérieure à 1 500 tonnes.
En premier lieu, la loi du 28 décembre 2017, qui a établi ce barème, a pour objet de mettre fin à la fiscalité incitative dont bénéficiaient les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides depuis la loi du 30 décembre 1980 mentionnée ci-dessus. Le législateur, qui a ainsi entendu frapper la capacité contributive des titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides, s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en faisant porter la redevance sur la production annuelle d'huile brute.
En deuxième lieu, en appliquant, à la valeur de la production annuelle de cette huile supérieure à 1 500 tonnes, un taux de 8 %, au demeurant déjà appliqué à une part de la production extraite de puits mis en service avant 1980, les dispositions contestées ne font pas peser sur les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides une charge excessive au regard de leurs facultés contributives et ne présentent pas un caractère confiscatoire.
En dernier lieu, d'une part, la taxe tréfoncière ne constitue pas une imposition de toute nature mais la contrepartie versée par le titulaire de la concession au propriétaire du terrain qu'il exploite. La taxe sur l'exploration d'hydrocarbures prévue par l'article 1590 du code général des impôts porte quant à elle sur les permis de recherche d'hydrocarbures. Ainsi, le grief tiré du caractère confiscatoire résultant de leur cumul avec la redevance progressive des mines est inopérant. D'autre part, le cumul de la redevance progressive des mines avec les redevances communale et départementale des mines prévues par les articles 1519 et 1587 du code général des impôts, compte tenu de leur assiette, taux et tarifs respectifs, ne présente pas un caractère confiscatoire.
Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
Par ailleurs, il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté d'entreprendre.
Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la loi ou le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La dernière ligne du tableau figurant au sixième alinéa de l'article L. 132-16 du code minier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 mars 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Sing Kwon C. et autre [Visite des locaux à usage d'habitation par des agents municipaux]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 janvier 2019 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 102 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sing Kwon C. et Mme Xaingwen C. par Me Laurent Dixsaut, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-772 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 651-4, L. 651-6 et L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la construction et de l'habitation ;
la loi n° 83-440 du 2 juin 1983 donnant force de loi à la première partie (législative) du code de la construction et de l'habitation et modifiant certaines dispositions de ce code ;
l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
le décret n° 78-621 du 31 mai 1978 portant codification des textes concernant la construction et l'habitation (première partie : Législative) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par Me Dixsaut, enregistrées le 7 février 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 février 2019 ;
les observations présentées pour la ville de Paris, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Dominique Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 février 2019 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par Me Dixsaut, enregistrées le 25 février 2019 ;
les secondes observations présentées pour la ville de Paris par Me Foussard, enregistrées le 25 février 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Dixsaut pour le requérant, Me Foussard pour la partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 mars 2019 ;
**Au vu des pièces suivantes : **
la note en délibéré présentée pour la partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée par Me Foussard, enregistrée le 27 mars 2019 ;
la note en délibéré présentée pour les requérants par Me Dixsaut, enregistrée le 28 mars 2019 ;
la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 29 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 651-4 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 mentionnée ci-dessus, de l'article L. 651-6 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juin 1983 mentionnée ci-dessus, et de l'article L. 651-7 du même code, dans sa rédaction résultant du décret du 31 mai 1978 mentionné ci-dessus.
L'article L. 651-4 du code de la construction et de l'habitation, dans
cette rédaction, prévoit :« Quiconque ne produit pas, dans les délais fixés,
les déclarations prescrites par le présent livre et par les dispositions
prises pour son application est passible d'une amende de 2 250 euros.
« Le ministère public poursuit d'office l'application de cette amende devant
le président du tribunal de grande instance du lieu de l'immeuble, statuant en
référé ».
L'article L. 651-6 du code de la construction et de l'habitation, dans
cette rédaction, prévoit :« Les agents assermentés du service municipal du
logement sont nommés par le maire. Ils prêtent serment devant le juge du
tribunal d'instance de leur résidence et sont astreints aux règles concernant
le secret professionnel.
« Leur nombre est fixé à 1 par 30 000 habitants ou fraction de ce chiffre. Ce
nombre peut être augmenté par décision ministérielle.
« Ils sont habilités à visiter les locaux à usage d'habitation situés dans le
territoire relevant du service municipal du logement.
« Ils doivent être munis d'un ordre de mission personnel ainsi que d'une carte
d'identité revêtue de leur photographie.
« La visite des locaux ne peut avoir lieu que de huit heures à dix-neuf heures
; l'occupant ou le gardien du local est tenu de laisser visiter sur
présentation de l'ordre de mission ; la visite s'effectue en sa présence.
« En cas de carence de la part de l'occupant ou du gardien du local, l'agent
assermenté du service municipal du logement peut, au besoin, se faire ouvrir
les portes et visiter les lieux en présence du maire ou du commissaire de
police. Les portes doivent être refermées dans les mêmes conditions ».
L'article L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation, dans
cette rédaction, prévoit :« Les agents assermentés du service municipal du
logement constatent les conditions dans lesquelles sont effectivement occupés
les locaux qu'ils visitent. Ils sont habilités à recevoir toute déclaration et
à se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants des
lieux toute pièce ou document établissant ces conditions. Sans pouvoir opposer
le secret professionnel, les administrations publiques compétentes et leurs
agents sont tenus de communiquer aux agents du service municipal du logement
tous renseignements nécessaires à l'accomplissement de leur mission de
recherche et de contrôle.
« Quiconque fait volontairement obstacle, en violation des prescriptions
ci-dessus, à la mission des agents du service municipal du logement, est
passible de l'amende civile prévue à l'article L. 651-4 ».
Les requérants critiquent ces dispositions au motif qu'elles rendraient possible l'exercice du droit de visite d'un logement par les agents assermentés du service municipal du logement, sans l'accord de l'occupant ou du gardien du local. Faute d'une autorisation judiciaire préalable pour surmonter ce défaut d'accord, il en résulterait une méconnaissance de la liberté individuelle et du principe d'inviolabilité du domicile. En outre, ils dénoncent le pouvoir conféré à ces agents de recevoir toute déclaration et de se faire communiquer tout document établissant les conditions d'occupation du local visité, sans obligation d'informer la personne des griefs dont elle fait l'objet ni de son droit d'être assisté d'un avocat ou de garder le silence. Il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties et du droit de ne pas s'auto-incriminer.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le sixième alinéa de l'article L. 651-6 du code de la construction et de l'habitation et sur la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 651-7 du même code.
- Sur les conclusions aux fins de saisine de la Cour européenne des droits de l'homme :
Les requérants demandent au Conseil constitutionnel, sur le fondement du protocole n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif portant sur l'interprétation de certains articles de cette convention. Toutefois, aucun motif ne justifie une telle saisine en l'espèce. Ces conclusions doivent être rejetées.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le sixième alinéa de l'article L. 651-6 du code de la construction et de l'habitation :
Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile.
En vertu de l'article L. 651-6 du code de la construction et de l'habitation, les agents assermentés du service municipal du logement sont habilités à visiter les locaux à usage d'habitation situés dans leur ressort de compétence, aux fins de constater les conditions d'occupation de ces locaux et, notamment, le respect des autorisations d'affectation d'usage. Le cinquième alinéa du même article prévoit que le gardien ou l'occupant du local est tenu de laisser les agents effectuer cette visite, qui ne peut avoir lieu qu'entre huit heures et dix-neuf heures, en sa présence.
Le sixième alinéa de l'article L. 651-6 autorise les agents du service municipal du logement, en cas de refus ou d'absence de l'occupant du local ou de son gardien, à se faire ouvrir les portes et à visiter les lieux en présence du maire ou d'un commissaire de police. En prévoyant ainsi que les agents du service municipal du logement peuvent, pour les motifs exposés ci-dessus, procéder à une telle visite, sans l'accord de l'occupant du local ou de son gardien, et sans y avoir été préalablement autorisés par le juge, le législateur a méconnu le principe d'inviolabilité du domicile. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre grief, le sixième alinéa de l'article L. 651-6 doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation :
Selon l'article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte un principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser.
Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition les droits de la défense et le droit à un procès équitable.
En premier lieu, le droit reconnu aux agents assermentés du service municipal du logement, en vertu de la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 651-7, de recevoir toute déclaration et de se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants toute pièce ou document établissant les conditions dans lesquelles les lieux sont occupés ne saurait, en lui-même, méconnaître les droits de la défense ni le droit à un procès équitable.
En second lieu, le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser ne fait pas obstacle à ce que l'administration recueille les déclarations faites par une personne en l'absence de toute contrainte. En outre, le droit reconnu aux agents assermentés du service municipal du logement de se faire présenter des documents tend non à l'obtention d'un aveu, mais seulement à la présentation d'éléments nécessaires à la conduite d'une procédure de contrôle du respect de l'autorisation d'affectation d'usage du bien. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
Il résulte de ce qui précède que la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le sixième alinéa de l'article L. 651-6 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 83-440 du 2 juin 1983 donnant force de loi à la première partie (législative) du code de la construction et de l'habitation et modifiant certaines dispositions de ce code, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 651-7 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant du décret n° 78-621 du 31 mai 1978 portant codification des textes concernant la construction et l'habitation (première partie : Législative), est conforme à la Constitution.
Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 17 de cette décision.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Uber B.V. et autre [Frais irrépétibles devant les juridictions pénales II]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 janvier 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 81 du 15 janvier 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Uber B.V. et Uber France SAS par Mes Éric Dezeuze et Guillaume Pellegrin, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-773 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 800-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 février 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 février 2019 ;
les secondes observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, enregistrées le 25 février 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Pellegrin pour les sociétés requérantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 mars 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 800-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant
de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« À la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une
relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu'une condamnation ou une
déclaration d'irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie
pénalement ou civilement responsable une indemnité qu'elle détermine au titre
des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci.
« Cette indemnité est à la charge de l'État. La juridiction peut toutefois
ordonner qu'elle soit mise à la charge de la partie civile lorsque l'action
publique a été mise en mouvement par cette dernière.
« Les deux premiers alinéas sont applicables devant la Cour de cassation en
cas de rejet d'un pourvoi portant sur une décision mentionnée au premier
alinéa.
« Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du
présent article ».
Les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la justice en ce qu'elles privent la personne citée devant une juridiction pénale en qualité de civilement responsable, si elle a finalement été mise hors de cause, de la faculté d'obtenir le remboursement des frais « irrépétibles » lorsque la personne poursuivie pénalement a été condamnée. Il en résulterait une atteinte à l'équilibre des droits entre les parties au procès pénal dans la mesure où la partie civile a, elle, toujours la possibilité de réclamer à la personne reconnue civilement responsable le remboursement de ses frais irrépétibles en cas de condamnation de cette dernière.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.
Aucune exigence constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance. Toutefois, la faculté d'un tel remboursement affecte l'exercice du droit d'agir en justice et les droits de la défense.
D'une part, en application des articles 375 et 475-1 du code de procédure pénale, une juridiction de jugement peut condamner l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci pour sa défense.
D'autre part, l'article 800-2 du code de procédure pénale permet à la juridiction de jugement prononçant une décision de relaxe ou d'acquittement d'accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité, supportée par l'État ou la partie civile, au titre des frais non payés par l'État et exposés par cette personne pour sa défense. En revanche, lorsque la personne poursuivie a été condamnée, ni ces dispositions ni aucune autre ne permettent à la personne citée comme civilement responsable d'obtenir devant la juridiction pénale le remboursement de tels frais, alors même qu'elle a été mise hors de cause.
Dans ces conditions, les dispositions du premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer le droit reconnu à la personne poursuivie et à la personne civilement responsable de se voir accorder des frais irrépétibles en cas de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou de toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 31 mars 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les décisions rendues par les juridictions pénales après cette date, que les dispositions du premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme permettant aussi à une juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement, d'accorder à la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, une indemnité au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 800-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 10 et 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Magenta Discount et autre [Contrôle des prix et des marges en Nouvelle-Calédonie]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 janvier 2019 par le Conseil d'État (décision nos 425813, 425814, 425815, 426254, 426387 du 25 janvier 2019) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Magenta Discount par Me Sylvain Justier, avocat au barreau de Paris, et pour la société Super Auteuil par Me Raphaële Charlier, avocat au barreau de Nouméa. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-774 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles Lp. 411-2 et Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans leur rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions.
Au vu des textes suivants :
la Constitution, notamment ses articles 76 et 77 ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
le code de commerce applicable à la Nouvelle-Calédonie ;
la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix » ;
la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société Super Auteuil, partie requérante, par Me Charlier, enregistrées le 18 février 2019 ;
les observations présentées pour la société Magenta Discount, partie requérante, par Me Justier et Me François Molinié, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
les observations présentées pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
les observations en intervention présentées pour le syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour le syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 5 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société Super Auteuil, partie requérante, par Me Charlier, enregistrées le 6 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société Magenta Discount, partie requérante, par Mes Justier et Molinié, enregistrées le 6 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, enregistrées le 6 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Charlier pour la société Super Auteuil, Me Justier pour la société Magenta Discount, Me Molinié pour la partie intervenante, et Me Guillaume Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à l'audience publique du 2 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie,
dans sa rédaction résultant de la loi du pays du 7 septembre 2018 mentionnée
ci-dessus, prévoit :
« I.- Par exception aux dispositions de l'article Lp. 410-2, les prix des
produits alimentaires et non alimentaires d'origine locale ou importée et des
prestations de services peuvent être fixés :
« 1° en valeur absolue ;
« 2° par application d'un coefficient multiplicateur de marge commerciale ou
par une marge commerciale en valeur absolue, au coût de revient licite ou au
prix d'achat net ;
« 3° par application d'un taux directeur de révision annuel ;
« 4° sous forme d'engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix ou de
marges approuvé et étendu par le gouvernement ;
« 5° par application d'un coefficient maximum appliqué à un prix de vente ou
une marge antérieurement pratiqués, et dont la date de référence est fixée par
arrêté du gouvernement ;
« 6° dans le cadre du régime de liberté surveillée, les prix sont déposés
auprès du service compétent du gouvernement au moins quinze jours avant leur
entrée en vigueur ;
« 7° dans le cadre du régime de la liberté contrôlée, les évolutions de prix
sont soumises à l'accord préalable du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
« Pour l'application du 2°, le coût de revient licite pour les produits
importés et le prix d'achat net pour les produits locaux sont calculés selon
les modalités définies par délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
« II.- Une délibération du congrès détermine la liste des produits et services
ou des familles de produits ou de services susceptibles d'être réglementés
selon les modalités visées au premier alinéa, en tenant compte de leur impact
sur le budget des ménages, s'agissant en particulier de produits et services
de première nécessité ou de grande consommation et/ou de la situation de
secteurs ou de zones pour lesquels les conditions de concurrence peuvent
justifier une réglementation des prix.
« III.- Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie peut décider de régimes de
prix dérogatoires pour les commerces dont la surface de vente ou le chiffre
d'affaires sont inférieurs aux seuils respectivement fixés par arrêté.
« IV.- Les producteurs, fabricants et distributeurs doivent mentionner les
prix maxima de vente au détail sur leurs factures.
« V.- Les modalités de calcul des éléments constitutifs des prix mentionnés au
présent article sont fixées par arrêté du gouvernement ».
L'article Lp. 412-4 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Il est créé une application internet "observatoiredesprix.nc" dont l'objet
est de diffuser auprès des consommateurs les prix des produits et des
prestations pratiqués en Nouvelle-Calédonie.
« Les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale
à 350 m² ont l'obligation de transmettre auprès du gouvernement de la
Nouvelle-Calédonie les prix de leurs produits alimentaires et non
alimentaires, conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du
gouvernement.
« Les commerçants en gros sont tenus de transmettre au service compétent du
gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour chaque produit commercialisé, les
prix de revient licite, les prix de vente hors taxes, ainsi que les prix
maximal de vente licite, conformément aux modalités et aux délais fixés par
arrêté du gouvernement.
« Les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale
à 350 m², les commerçants en gros sont tenus de transmettre au service
compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, la marge en valeur
pratiquée au 1er mai 2018 ainsi que le coût de revient licite ou le prix
d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés au 1er mai 2018,
conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les producteurs installés en Nouvelle-Calédonie sont tenus de transmettre au
service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour chaque
produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximal de
vente licite, ainsi que ces mêmes prix pratiqués au 1er mai 2018, conformément
aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les informations communiquées en vertu des deux alinéas précédents ne sont
pas diffusées auprès des consommateurs ni rendues publiques.
« En cas de non-respect des obligations susmentionnées, les commerçants, les
producteurs installés en Nouvelle-Calédonie, personnes physiques ou morales,
peuvent faire l'objet d'une amende administrative prononcée par le
gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
« Le montant de l'amende encourue ne peut dépasser 20 000 F CFP et en cas de
récidive, 300 000 F CFP, par catégorie de produits. Le montant de cette amende
vaut pour chaque défaut de transmission de prix ».
L'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 mentionnée ci-dessus,
dans la même rédaction, prévoit :
« I.- À compter de la date de la suppression des taxes à l'importation
remplacées par la taxe générale sur la consommation (TGC), les entreprises
retirent de leur coût de revient licite ou de leur prix d'achat net le montant
des taxes supprimées.
« II.- À compter de cette même date pendant une durée de 12 mois, les
entreprises ne peuvent appliquer sur leurs coûts de revient licites ou leurs
prix d'achat nets une marge en valeur supérieure à celle appliquée au 30 avril
2018.
« Les entreprises des secteurs de l'alimentaire, des fruits et légumes, de
l'hygiène, de l'entretien, des pièces de rechange automobile et des matériaux
de construction dont les produits ou services sont soumis aux dispositions de
l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie,
doivent appliquer la plus favorable au prix de vente finale consommateur entre
les dispositions résultant de l'alinéa précédent et celles résultant des
mesures prises en application de l'article Lp. 411-2 susvisé.
« III.- En cas de dérives sur les prix manifestement excessives constatées
suite à la date de suppression des taxes à l'importation remplacées par la
taxe générale sur la consommation, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
est habilité par délibération du congrès, pour une durée maximale de dix-huit
mois, à intervenir dans les secteurs d'activités où ces dérives sont
constatées afin de mettre en place une réglementation sur les prix visant à
maîtriser l'inflation.
« Les mesures prises par le gouvernement en application de l'alinéa précédent
sont celles visées au I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable
en Nouvelle-Calédonie.
« Une dérive sur les prix manifestement excessive est caractérisée dès lors
que, sur un nombre significatif de produits, il est constaté que la marge en
valeur ou le prix de vente excède le niveau pratiqué avant la suppression des
taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation.
« Lorsqu'une dérive sur les prix manifestement excessive est constatée alors
que la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018 n'a pas été dépassée, le
gouvernement consulte sous quinze jours les organisations professionnelles et
les syndicats de salariés afin d'obtenir des engagements permettant de mettre
un terme à la dérive constatée. À défaut d'engagements suffisants, ou de
respect desdits engagements, une réglementation des prix peut être mise en
place.
« Les dispositions du III s'appliquent aux engagements annuels de stabilité ou
de baisse des prix ou des marges, mentionnés au 4° de l'article Lp. 411-2 du
code de commerce, lorsqu'il est constaté une dérive sur les prix manifestement
excessive.
« IV.- Le gouvernement informe le congrès des mesures de réglementation des
prix prises en application des dispositions du II et du III du présent
article, en présentant un bilan de ce dispositif à l'issue des neuf premiers
mois d'application et à la fin des douze mois.
« V.- Le non-respect des dispositions du I et II du présent article est
sanctionné, comme en matière d'infraction à la réglementation des prix, par
une peine d'amende prévue pour les contraventions de 5e classe, conformément à
l'article 131-13 du code pénal.
« VI.- En cas de manquement aux dispositions prévues aux I et II du présent
article, le contrevenant peut être assujetti au versement d'une amende
administrative d'un montant maximal de 1 750 000 F CFP par manquement
constaté.
« Le plafond de l'amende est doublé en cas de réitération du manquement au
cours de la période de douze mois susvisée.
« Les agents des services compétents de la Nouvelle-Calédonie sont habilités à
constater les manquements aux dispositions prévues aux I et II du présent
article passibles de sanctions administratives.
« Les sanctions administratives prévues au présent VI sont prononcées par
arrêté du gouvernement après que l'intéressé a été mis à même de présenter ses
observations.
« VII.- En cas de non-respect des dispositions d'un engagement annuel de
stabilité ou de baisse des prix ou des marges, au sens du 4° de l'article Lp.
411-2 du code de commerce, le contrevenant peut être assujetti au versement
d'une amende administrative d'un montant maximum de 1 750 000 F CFP par
manquement constaté.
« Le plafond de l'amende est doublé en case de réitération du manquement au
cours de la période de douze mois susvisée.
« Les manquements prévus au présent VII sont constatés dans les mêmes
conditions qu'au VI. Les sanctions prévues au présent VII sont prononcées dans
les mêmes conditions qu'au VI.
« VIII.- Les professionnels réalisant une activité de service à la personne et
vendant accessoirement des produits ne sont pas soumis aux dispositions du
présent article. Il en est de même des commerces spécialisés dont la liste est
fixée par arrêté du gouvernement ».
Les deux sociétés requérantes, rejointes par la partie intervenante, soutiennent tout d'abord que le mécanisme pérenne de réglementation des prix et des marges commerciales prévu par l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, conduirait à supprimer toute forme de concurrence et mettrait en péril la pérennité financière des entreprises. Il en résulterait une atteinte à la liberté d'entreprendre, qui ne pourrait être justifiée par les circonstances locales en Nouvelle-Calédonie et qui, en tout état de cause, serait disproportionnée au regard de l'objectif de lutte contre l'éventuelle hausse des prix consécutive à l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. Le législateur du pays aurait, en outre, méconnu l'étendue de sa compétence, dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre, en ne déterminant ni le champ d'application ni les critères devant guider l'élaboration par le congrès de la Nouvelle-Calédonie de la liste des produits et services soumis à cette réglementation des marges.
Elles critiquent ensuite les obligations déclaratives incombant aux commerçants et producteurs depuis la loi du pays du 7 septembre 2018, prévues à l'article Lp. 412-4 du même code, aux motifs que leur durée d'application ne serait pas limitée, que le périmètre des informations à fournir serait très large, créant ainsi une lourde charge pour les entreprises, et qu'aucune garantie ne permettrait d'assurer l'effectivité du secret des affaires protégeant les informations commerciales ainsi collectées. Il en résulterait une violation de la liberté d'entreprendre. L'une des sociétés requérantes, rejointe par la partie intervenante, ajoute que, faute d'avoir fait l'objet de mesures transitoires permettant aux entreprises de se préparer à leur mise en œuvre, ces obligations déclaratives auraient été édictées en méconnaissance des principes de « sécurité juridique » et de protection des attentes légitimes.
Les deux sociétés requérantes contestent, par ailleurs, le mécanisme général de plafonnement temporaire des marges en valeur absolue, à leur niveau constaté le 30 avril 2018, prévu par le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016. En particulier, ce mécanisme ne tiendrait pas compte des conditions normales de rentabilité de chaque entreprise et méconnaîtrait ainsi la liberté d'entreprendre.
Enfin, elles soutiennent que le mécanisme prévu en cas de dérive excessive sur les prix, instauré par le paragraphe III du même article 19, contreviendrait, lui aussi, à la liberté d'entreprendre, en ce qu'il pourrait être déclenché à tout moment, sur le fondement de critères insuffisamment définis et en visant potentiellement tout secteur d'activité.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 2° du paragraphe I et le paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, sur les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du même code et sur les paragraphes II et III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016.
- Sur l'intervention du syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie :
Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
Le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie concluent à l'irrecevabilité de l'intervention du syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie au motif que le bureau de ce syndicat n'aurait pas autorisé son président à agir à cette fin, comme l'exigent pourtant ses statuts.
Toutefois, l'intervenant a produit une pièce attestant l'existence de cette autorisation. Par conséquent, les conclusions aux fins d'irrecevabilité de cette intervention sont rejetées.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le 2° du paragraphe I et le paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :
Le 2° du paragraphe I de l'article Lp. 411-2 permet au pouvoir réglementaire de fixer les prix de certains produits d'origine locale ou importés et de certaines prestations de services en encadrant les marges commerciales des entreprises, soit en fonction d'un taux, soit en valeur absolue. Le paragraphe II du même article prévoit qu'une délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie détermine la liste des produits et services ou des familles de produits ou de services susceptibles d'être ainsi soumis à réglementation, « en tenant compte de leur impact sur le budget des ménages, s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation et/ou de la situation de secteurs ou de zones pour lesquels les conditions de concurrence peuvent justifier une réglementation des prix ».
Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
En application du 10° de l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 mentionnée ci-dessus, il appartient au législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de déterminer les principes fondamentaux concernant le régime des obligations civiles et commerciales.
Les dispositions contestées, qui permettent de fixer les prix de certains produits et services, définis par le pouvoir réglementaire, en encadrant les marges commerciales des entreprises, portent atteinte à la liberté d'entreprendre.
Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu, eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et aux insuffisances de la concurrence sur de nombreux marchés, lutter contre la hausse des prix touchant certains produits et services afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.
En second lieu, d'une part, dans la mesure où elles visent uniquement les marges commerciales, les dispositions contestées n'interdisent pas aux entreprises de répercuter sur le prix de vente de leurs produits et services l'éventuelle augmentation de leur coût de revient.
D'autre part, le champ d'application des mesures en cause est limité à certains produits et services. Si leur liste est déterminée par le pouvoir réglementaire, il incombe à ce dernier de respecter les deux critères alternatifs définis au paragraphe II de l'article Lp. 411-2. L'un repose sur l'état de la concurrence dans certains secteurs ou certaines zones. L'autre réside dans l'impact des produits et services sur le budget des ménages, « s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation ».
Cependant, en retenant les termes « en particulier », le législateur du pays a permis qu'un nombre indéterminé de produits ou services, autres que de première nécessité ou de grande consommation, puissent faire l'objet d'une réglementation, au seul motif de leur impact sur le budget des ménages. Il a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre. Les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du champ d'application des mesures en cause tel qu'il résulte de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe précédent et des particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le reste des dispositions contestées de l'article Lp. 411-2 ne revêt pas un caractère disproportionné. Les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de l'incompétence négative doivent ainsi être écartés.
Le 2° du paragraphe I et le reste du paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :
Les dispositions contestées de l'article Lp. 412-4 soumettent certaines entreprises à l'obligation de déclarer auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie plusieurs informations commerciales.
En application du troisième alinéa de cet article, les commerçants en gros sont tenus de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de revient licites, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites. En vertu du quatrième alinéa, les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m2 et les commerçants en gros transmettent la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018, ainsi que le coût de revient licite ou le prix d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés à la même date. Le cinquième alinéa impose aux producteurs locaux de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites, y compris au 1er mai 2018. Les modalités et les délais de déclaration sont fixés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
D'une part, les informations collectées en application de chacun des alinéas contestés sont transmises « au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ». Ce dernier est ainsi l'unique destinataire de ces informations, qui ne peuvent être rendues publiques. D'autre part, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, de veiller à ce que la périodicité et la durée de la collecte des informations n'excèdent pas les besoins liés à la mise en œuvre de la politique de réglementation des prix et des marges. Ainsi, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre.
Par ailleurs, le fait que les obligations déclaratives contestées, instituées par la loi du 7 septembre 2018, soient entrées en vigueur dès le 1er octobre 2018 n'a entraîné aucune remise en cause des effets pouvant légitimement être attendus d'une situation légalement acquise. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
Par conséquent, les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 :
En application du premier alinéa du paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016, à compter du 1er octobre 2018, date de la suppression des taxes à l'importation et de leur remplacement par la taxe générale sur la consommation, les entreprises ne peuvent, pendant douze mois, appliquer sur leurs coûts de revient licites ou leurs prix d'achat nets, une marge en valeur supérieure à celle qu'elles appliquaient au 30 avril 2018. Le second alinéa du même paragraphe ajoute une disposition propre aux entreprises des secteurs de l'alimentaire, des fruits et légumes, de l'hygiène, de l'entretien et des pièces de rechange automobile et des matériaux de construction dont les produits ou services sont soumis à la réglementation des marges prévue au 2° du paragraphe I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Pendant cette période de douze mois, ces entreprises doivent, pour déterminer leurs prix de vente, retenir la plus faible des marges entre celle résultant de l'application du 2° précité et celle constatée au 30 avril 2018.
En plafonnant ainsi les marges commerciales, constatées à une date donnée, de l'ensemble des entreprises et en permettant d'imposer à certaines d'entre elles une réduction supplémentaire de leur marge, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d'entreprendre.
Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu parer aux risques inflationnistes liés à l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, qui se substitue aux anciennes taxes à l'importation. En particulier, il a entendu veiller à ce que l'allègement de fiscalité en résultant soit répercuté dans les prix de vente des biens et services plutôt que dans les marges des entreprises. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.
En second lieu, les dispositions contestées ne sont applicables que pour une durée de douze mois. En outre, en retenant une date déjà passée, celle du 30 avril 2018, comme point de référence pour le plafonnement des marges, le législateur a entendu éviter les effets d'aubaine que le choix d'une date postérieure à l'entrée en vigueur de la loi aurait pu provoquer. Enfin, les dispositions contestées ne privent pas les entreprises, selon l'état de la concurrence dans leur secteur, de la possibilité d'ajuster leurs prix en fonction de l'évolution de leurs coûts de revient ni de celle de gagner des parts de marché en diminuant leurs marges.
Dès lors, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du caractère exceptionnel et transitoire des dispositions contestées, qui constituent des mesures d'accompagnement d'une réforme fiscale d'ampleur, et eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 ne revêt pas un caractère disproportionné. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent ainsi être déclarées conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 :
Le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 prévoit un dispositif renforcé de réglementation des prix « en cas de dérives sur les prix manifestement excessives constatées suite à la date de suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation ». Il permet alors au congrès d'habiliter le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour une durée maximale de dix-huit mois, à intervenir dans les secteurs d'activités où de telles dérives sont constatées, afin de mettre en place une réglementation sur les prix visant à maîtriser l'inflation. Les mesures susceptibles d'être prises par le gouvernement sont celles prévues au paragraphe I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
En adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu prévoir un mécanisme de sauvegarde temporaire afin de faire face à des situations d'inflation qui surviendraient à la suite de l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, en dépit des autres dispositifs de réglementation des prix et des marges déjà mis en œuvre. Il a ainsi poursuivi l'objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.
Toutefois, en premier lieu, alors qu'il vise à lutter contre des dérives sur les prix manifestement excessives, le mécanisme contesté peut être mis en œuvre pour le seul motif que, sur un nombre significatif de produits, la marge en valeur ou le prix de vente constaté « excède » le niveau pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. Il suffit donc, pour que la hausse des prix soit qualifiée de manifestement excessive, que la marge en valeur ou le prix de vente pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation soit dépassé dans des proportions minimes, quelles que soient la justification ou la durée de ce dépassement. Dès lors, le fait générateur du déclenchement du mécanisme contesté, laissé à l'appréciation du congrès, est défini de manière large et peu précise.
En deuxième lieu, les dispositions contestées permettent au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de fixer les prix des produits et services, dans les secteurs d'activités où les dérives sont constatées, au moyen de plusieurs mesures : la fixation d'un prix en valeur absolue ; l'encadrement des marges commerciales ; l'application d'un taux directeur de révision annuel ; un engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix et des marges ; l'application d'un coefficient maximum appliqué à un prix de vente ou une marge antérieurement pratiqués ; la mise en œuvre du régime de « liberté surveillée », dans lequel les prix doivent être déclarés auprès du gouvernement ; l'application du régime de « liberté contrôlée », qui soumet les évolutions de prix à l'accord de ce dernier. Le législateur du pays a ainsi accordé au gouvernement de larges prérogatives, applicables dans tout secteur d'activité gagné par l'inflation, qui sont susceptibles d'affecter les conditions d'exercice de la liberté d'entreprendre.
En dernier lieu, le mécanisme de sauvegarde contesté peut être mis en œuvre à tout moment, quel que soit le temps écoulé depuis l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. En outre, si les dispositions contestées prévoient que l'habilitation donnée au gouvernement ne peut excéder dix-huit mois, aucune disposition n'interdit au congrès de renouveler cette habilitation, le cas échéant à plusieurs reprises.
Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le paragraphe III de l'article 19 doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet des déclarations d'inconstitutionnalité mentionnées aux paragraphes 20 et 38. Celles-ci interviennent donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :
les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans sa rédaction résultant de la même loi du 7 septembre 2018.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 40 de cette décision.
Article 3. - Sont conformes à la Constitution :
le 2° du paragraphe I et le reste du paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du même code, dans la même rédaction ;
le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans la même rédaction.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Joseph R. [Imposition au nom du donataire de la plus-value en report d'imposition]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 425447 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Joseph R. par Mes Éric Ginter et Éric Chartier, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-775 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième, troisième et quatrième alinéas du paragraphe II de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par Mes Ginter et Chartier, enregistrées le 25 février 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 février 2019 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par Mes Ginter et Chartier, enregistrées le 13 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ginter, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue
de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, détermine les conditions
de report d'imposition d'une plus-value réalisée dans le cadre d'un apport de
titres à une société contrôlée par l'apporteur. En cas de transmission par
voie de donation ou de don manuel des titres reçus en rémunération de
l'apport, le paragraphe II du même article prévoit :
« La plus-value en report est imposée au nom du donataire et dans les
conditions prévues à l'article 150-0 A :
« 1° En cas de cession, d'apport, de remboursement ou d'annulation des titres
dans un délai de dix-huit mois à compter de leur acquisition ;
« 2° Ou lorsque les conditions mentionnées au 2° du I du présent article ne
sont pas respectées. Le non-respect de la condition de réinvestissement met
fin au report d'imposition au titre de l'année au cours de laquelle le délai
de deux ans expire. L'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la
date de l'apport des titres par le donateur, est applicable ».
Le requérant soutient que ces dispositions, en ce qu'elles feraient peser sur les donataires de valeurs mobilières une imposition liée à l'enrichissement antérieur des donateurs, seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques. Le requérant ajoute que ce transfert d'imposition ne saurait être justifié par la nécessité de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales dès lors qu'il ne peut être considéré en lui-même comme abusif.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au nom du donataire » figurant au deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 150-0 B ter du code général des impôts.
Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value d'une cession de titres est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable bénéficie, en vertu de l'article 150-0 B ter du même code, d'un report d'imposition de plein droit de cette plus-value si celle-ci est réalisée dans le cadre d'un apport de titres à une société qu'il contrôle. Il est notamment mis fin à ce report d'imposition à l'occasion de la cession à titre onéreux des titres reçus en rémunération de l'apport ou lors de la cession des titres apportés à la société bénéficiaire lorsque cette cession intervient dans un délai de trois ans à compter de l'apport des titres et que le produit de cette cession ne fait pas l'objet d'un réinvestissement par la société. Lorsque les titres reçus en rémunération de l'apport font l'objet d'une donation auprès d'une personne qui contrôle également la société bénéficiaire de l'apport, les dispositions contestées prévoient d'imposer la plus-value en report au nom de ce donataire, en cas de cession ultérieure des titres reçus dans un délai de dix-huit mois à compter de la donation ou en cas de cession des titres apportés à la société bénéficiaire dans les trois ans de l'apport, sauf réinvestissement du produit de la cession.
En premier lieu, les dispositions contestées s'inscrivent dans un mécanisme de report d'imposition qui vise à favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échanges de titres, en évitant que le contribuable soit contraint de vendre une partie des titres qu'il a reçus lors de l'échange pour acquitter la plus-value qu'il a réalisée, à cette occasion, sur les titres apportés. Afin de maintenir le bénéfice du report d'imposition, en cas de donation, le législateur a transféré la charge d'imposition du donateur au donataire.
En deuxième lieu, le premier alinéa du paragraphe II de l'article 150-0 B ter du code général des impôts prévoit que la plus-value réalisée à l'occasion de l'échange est constatée et déclarée par le contribuable et placée en report d'imposition. Au moment de la donation des titres reçus en échange de l'apport, le donataire mentionne, dans la proportion des titres transmis, le montant de la plus-value en report dans la déclaration de revenus. Ainsi, lorsqu'il accepte la donation, le donataire a une connaissance exacte du montant et des modalités de l'imposition des plus-values placées en report qui grève les titres qu'il reçoit.
En dernier lieu, il n'est mis fin au report de l'imposition de ces plus-values que lorsque le donataire cède les titres qui lui ont été donnés ou lorsque la société bénéficiaire, qu'il contrôle, cède les titres apportés. Au surplus, la plus-value placée en report d'imposition est définitivement exonérée lorsque le donataire cède les titres au-delà d'un délai de dix-huit mois. Il en est de même en cas de cession des titres apportés, par la société, au-delà d'un délai de trois ans ou lorsque le produit de la cession fait l'objet d'un réinvestissement.
Par conséquent, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas méconnu l'exigence de prise en compte des capacités contributives. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
Les mots « au nom du donataire » figurant au deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « au nom du donataire » figurant au deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Engie [Validation des conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d'électricité]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 février 2019 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 242 du 7 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Engie par Me Hélène Blachier-Fleury, avocat au barreau de Paris, et Me Christophe Barthélemy, avocat au barreau de Nanterre. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-776 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la consommation ;
le code de l'énergie ;
la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement ;
la décision du Conseil d'État n° 388150 du 13 juillet 2016 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 février 2019 ;
les observations présentées pour la société Enedis, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Christine Le Bihan-Graf, avocat au barreau de Paris, et Me Gilles Thouvenin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 mars 2019 ;
les observations en intervention présentées pour la société Joul par Me Olivier Fréget, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 4 et 6 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Me Sureau, enregistrées le 18 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société Enedis par Mes Le Bihan-Graf et Thouvenin, enregistrées le 19 mars 2019 ;
les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 mars 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour la société Joul par Me Fréget, enregistrées le 19 mars 2019 ;
les nouvelles observations présentées pour la société requérante par Me Sureau, enregistrées le 28 mars 2019 ;
les nouvelles observations présentées pour la société Enedis par Me Le Bihan-Graf, enregistrées le 4 avril 2019 ;
les nouvelles observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 avril 2019 ;
les nouvelles observations en intervention présentées pour la société Joul par Me Fréget, enregistrées le 4 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Sureau, pour la société requérante, Mes Le Bihan-Graf et Thouvenin, pour la société Enedis, Me Fréget, pour la société Joul, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
Le paragraphe II de l'article L. 452-3-1 du code de
l'énergie, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 mentionnée
ci-dessus, prévoit :
« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont
validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les
gestionnaires de réseaux de distribution mentionnés à l'article L. 111-52 du
code de l'énergie et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient
contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la
gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à
la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la
gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux
antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi.
« Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation ».
La société requérante soutient que, en validant les conventions relatives à l'accès aux réseaux d'électricité conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs, ces dispositions méconnaîtraient le principe de séparation des pouvoirs, la garantie des droits et le droit à un recours juridictionnel effectif. En effet, cette validation qui porte sur le contentieux relatif aux coûts supportés par les fournisseurs d'électricité pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution ne serait pas justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. La société requérante dénonce également la violation du principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre qui en résulterait.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie.
Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.
Dans le cadre des contrats uniques portant sur la fourniture et la distribution d'électricité, prévus par l'article L. 121-92 du code de la consommation, le fournisseur d'électricité assure, pour le compte du gestionnaire de réseau public de distribution, la gestion des relations de clientèle de ce dernier avec le consommateur. Par sa décision du 13 juillet 2016 mentionnée ci-dessus, le Conseil d'État a jugé que les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau.
En validant les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d'électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux, les dispositions contestées ont pour objet de mettre un terme ou de prévenir les litiges indemnitaires engagés ou susceptibles de l'être, sur le fondement de la décision du Conseil d'État précitée.
En premier lieu, les conventions en cause ne sont validées que dans la mesure où elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Le législateur a ainsi strictement limité la portée de cette validation en adéquation avec l'objectif poursuivi.
En deuxième lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu prévenir les conséquences financières pour les gestionnaires de réseaux et, indirectement, les consommateurs, susceptibles de résulter du remboursement des frais de gestion de clientèle mis à la charge des fournisseurs d'électricité.
D'une part, les fournisseurs d'électricité peuvent soit être soumis aux tarifs réglementés de vente soit décider eux-mêmes, sur le marché, des prix qu'ils pratiquent. Selon la situation dans laquelle ils se trouvent et le prix ou le tarif pratiqué, la réalité et l'ampleur de leur préjudice résultant des coûts de gestion de clientèle supportés par eux pour le compte des gestionnaires de réseaux sont susceptibles d'appréciations différentes. L'incertitude quant au montant exact du risque financier global est donc inhérente aux procédures en cours ou à celles susceptibles d'être introduites, qui portent sur des cas d'espèce différents.
D'autre part, les gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité, lesquels sont investis d'une mission de service public, sont rémunérés sur la base du tarif prévu à l'article L. 341-2 du code de l'énergie. Dès lors, le remboursement des frais de gestion, qui fait l'objet des litiges soumis à la validation contestée, serait susceptible de provoquer un renchérissement de ces tarifs, qui se répercuterait sur le prix payé par les consommateurs finaux d'électricité.
Par suite, eu égard aux conséquences financières susceptibles de résulter des litiges visés par la validation et à leur répercussion sur le coût de l'électricité acquitté par l'ensemble des consommateurs, l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des fournisseurs d'électricité ayant conclu les conventions validées est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général.
En dernier lieu, d'une part, le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée. D'autre part, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, les conventions validées ne méconnaissent pas les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre ni aucune autre exigence constitutionnelle.
Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, qui ne méconnaît pas non plus les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Bouchaïd S. [Caducité de la requête introductive d'instance en l'absence de production des pièces nécessaires au jugement]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 424146 du 8 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bouchaïd S. par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-777 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de justice administrative ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté ;
la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées le 1er mars 2019 ;
les observations présentées pour la commune de Pinsaguel, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mars 2019 ;
les observations présentées pour les sociétés Les terrains du lac et Alteal, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Poulet-Odent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Christophe Nicolaÿ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune de Pinsaguel, Me Laurent Poulet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les sociétés Les terrains du lac et Alteal, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la
loi du 27 janvier 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« La requête introductive d'instance est caduque lorsque, sans motif légitime,
le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l'affaire
dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai
qui lui a été imparti par le juge.
« La déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait
connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu'il
n'a pas été en mesure d'invoquer en temps utile ».
Le requérant soutient que les dispositions contestées porteraient une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, en matière de contentieux de l'urbanisme, dès lors que la déclaration de caducité prononcée par le juge fait obstacle à ce que l'instance se poursuive, alors même qu'elle a été introduite dans les délais légaux. Il soutient également que, en ne définissant pas la notion de « pièces nécessaires au jugement de l'affaire », le législateur aurait méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi affectant ainsi le droit à un recours juridictionnel effectif.
- Sur le fond :
Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
En permettant au juge administratif de déclarer caduque une requête en matière de contentieux de l'urbanisme lorsque son auteur n'a pas produit, dans un délai déterminé et sans motif légitime, les pièces nécessaires au jugement de l'affaire, le législateur a entendu limiter les recours dilatoires. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
Cependant, la caducité, qui a pour effet d'éteindre l'instance, est susceptible de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
Or, en premier lieu, d'une part, la notion de « pièces nécessaires au jugement d'une affaire » est insuffisamment précise pour permettre à l'auteur d'une requête de déterminer lui-même les pièces qu'il doit produire. D'autre part, le juge administratif peut, sur le fondement des dispositions contestées, prononcer la caducité de la requête sans être tenu, préalablement, ni d'indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu'il considère comme nécessaires au jugement de l'affaire.
En second lieu, d'une part, si la déclaration de caducité peut être rapportée lorsque le demandeur fait connaître, dans un délai de quinze jours, un motif légitime justifiant qu'il n'a pas produit les pièces nécessaires au jugement de l'affaire dans le délai imparti, elle ne peut en revanche être rapportée par la seule production des pièces jugées manquantes. D'autre part, dès lors que la caducité a été régulièrement prononcée, le requérant ne peut obtenir l'examen de sa requête par une juridiction ; il ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n'est pas expiré.
Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées portent au droit à un recours juridictionnel effectif une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi. Par suite, elles méconnaissent les exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre grief, l'article L. 600-13 du code de l'urbanisme doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
D'une part, les dispositions contestées ont été abrogées par la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus.
D'autre part, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Époux B. et autres [Vente ou changement d'usage des biens d'une section de commune décidé par le conseil municipal]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 410714 du 8 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Gérald B. et autres par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-778 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des collectivités territoriales ;
la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ;
la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 mars 2019 ;
les observations présentées pour les requérants par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, enregistrées le 14 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Le Prado, pour la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans
sa rédaction résultant de la loi du 27 mai 2013 mentionnée ci-dessus, relatif
aux sections de commune, prévoit :« Lorsque la commission syndicale n'est pas
constituée, le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de
la section est décidé par le conseil municipal statuant à la majorité absolue
des suffrages exprimés, après accord de la majorité des électeurs de la
section convoqués par le maire dans les six mois de la transmission de la
délibération du conseil municipal.
« En l'absence d'accord de la majorité des électeurs de la section, le
représentant de l'État dans le département statue, par arrêté motivé, sur le
changement d'usage ou la vente ».
Les requérants soutiennent que, en prévoyant que seuls les membres d'une section de commune inscrits sur les listes électorales de la commune sont appelés à donner leur accord à la vente des biens appartenant à cette section, ces dispositions institueraient une différence de traitement contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant le suffrage. Par ailleurs, selon eux, dès lors que le transfert à la commune des biens de la section est prononcé sur demande conjointe du conseil municipal et de la moitié des membres de la section, y compris ceux non inscrits sur les listes électorales, il en résulterait la possibilité de traiter différemment les membres de la section en choisissant l'une ou l'autre de ces procédures.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales.
Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
En vertu de l'article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales, la section de commune est une partie d'une commune qui possède à titre permanent et exclusif des biens ou droits distincts de ceux de la commune. Les habitants ayant leur domicile réel et fixe sur le territoire de cette section en sont membres et ont, en application de l'article L. 2411-10 du même code, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature. L'article L. 2411-2 du même code prévoit que la gestion des biens et droits de la section est assurée par le conseil municipal et le maire, sous réserve des compétences dévolues à la commission syndicale. Outre le maire de la commune qui est membre de droit, les membres de la commission syndicale sont élus par les membres de la section inscrits sur les listes électorales de la commune. Lorsque cette commission syndicale est constituée, l'article L. 2411-15 prévoit que le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section ne peut être décidé que par un vote concordant du conseil municipal et de la commission syndicale qui se prononce à la majorité de ses membres.
En application de l'article L. 2411-16 du même code, lorsque la commission syndicale n'a pas été constituée, le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section est décidé par le conseil municipal après accord de la majorité des électeurs de la section convoqués par le maire. En l'absence d'accord de la majorité des électeurs de la section, le préfet statue par arrêté motivé.
En prévoyant que, lorsque la commission syndicale n'est pas constituée, seuls les membres de la section qui sont inscrits sur les listes électorales de la commune sont appelés à se prononcer sur le changement d'usage ou la vente de biens de la section, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les membres de la section selon qu'ils sont inscrits ou non sur les listes électorales de la commune.
Toutefois, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 9 janvier 1985 mentionnée ci-dessus et de celle du 27 mai 2013 que le législateur a, de manière constante, entendu renforcer le lien qui unit les sections à leur commune pour favoriser une gestion des biens des sections compatible avec les intérêts de la commune.
Or, les membres de la section qui, jouissant de leurs droits civiques, sont électeurs de la commune participent, en cette qualité, aux affaires communales. Ils ne sont donc pas placés dans la même situation que les membres de la section qui n'ont pas cette qualité.
Dès lors, en réservant aux seuls membres d'une section inscrits sur les listes électorales de la commune la possibilité de donner leur accord au changement d'usage ou à la vente de biens de cette section, le législateur a institué une différence de traitement en rapport avec l'objet de la loi.
Par ailleurs, la circonstance que l'article L. 2411-11 du code général des collectivités territoriales prévoit l'accord « des membres de la section » avant le prononcé du transfert des biens de la section à la commune par le représentant de l'État est sans incidence sur l'appréciation de la conformité des dispositions contestées au principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où les deux procédures prévues par les articles L. 2411-11 et L. 2411-16 n'ont pas le même objet.
Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
Les mots « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant le suffrage ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. François PILLET et Michel PINAULT.
M. Hendrik A. et autre [Amende pour défaut de déclaration de transfert international de capitaux II]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 février 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts n° 278 et 279 du 13 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour MM. Hendrik A. et Franck K. par Me Sébastien Binet, avocat au barreau de Bayonne. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2019-779 QPC et 2019-780 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code des douanes ;
le code monétaire et financier ;
la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées respectivement pour MM. Hendrik A. et Franck K. par Me Binet, enregistrées le 8 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Binet, pour les requérants, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
Le paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et
financier, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée
ci-dessus, prévoit :
« La méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l'article L. 152-1
et dans le règlement (CE) n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil, du
26 octobre 2005, relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant ou sortant
de la Communauté est punie d'une amende égale à 50 % de la somme sur laquelle
a porté l'infraction ou la tentative d'infraction ».
Les requérants contestent ces dispositions, dans la mesure où elles sanctionnent le manquement à l'obligation de déclarer certains transferts internationaux de capitaux, prévue par l'article L. 152-1 du code monétaire et financier. Selon eux, en réprimant le manquement à une simple obligation déclarative par une amende proportionnelle égale à la moitié de la somme non déclarée, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « à l'article L. 152-1 » figurant au paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier.
Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
L'article L. 152-1 du code monétaire et financier impose aux personnes physiques de déclarer les transferts de capitaux en provenance ou à destination d'un État membre de l'Union européenne dont le montant est égal ou supérieur à 10 000 euros et qui sont réalisés sans l'intermédiaire d'un établissement de crédit ou d'un organisme ou service autorisé à effectuer des opérations de banque. Cette obligation de déclaration est réputée n'être pas exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes ou, lorsque les sommes en cause sont supérieures à 50 000 euros, si la déclaration n'est pas accompagnée des documents dont la production permet de justifier de leur provenance.
Le paragraphe I de l'article L. 152-4 sanctionne le manquement à cette obligation déclarative d'une amende proportionnelle fixée à la moitié du montant des sommes sur lesquelles a porté l'infraction ou sa tentative.
En premier lieu, l'obligation déclarative ainsi sanctionnée vise à assurer l'efficacité de la surveillance par l'administration des mouvements financiers internationaux. En réprimant la méconnaissance d'une telle obligation, le législateur a entendu lutter contre le blanchiment de capitaux, la fraude fiscale et les mouvements financiers portant sur des sommes d'origine frauduleuse. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi que celui de sauvegarde de l'ordre public.
En second lieu, d'une part, en punissant le manquement à l'obligation de déclarer certains transferts de capitaux financiers d'une amende proportionnelle au montant des sommes sur lesquelles a porté l'infraction ou sa tentative, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. D'autre part, en retenant un taux de 50 %, qui ne constitue qu'un taux maximal pouvant être modulé par le juge sur le fondement de l'article 369 du code des douanes, le législateur a retenu une sanction qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction.
Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté. Les mots « à l'article L. 152-1 » figurant au paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « à l'article L. 152-1 » figurant au paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Grégory M. [Sanctions disciplinaires au sein de l'administration pénitentiaire]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 425521 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Grégory M. par la SELAFA Cassel avocats, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-781 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 3 de l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;
la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SELAFA Cassel avocats, enregistrées le 14 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour MM. Patrick G. et Yann L. par Me Camille Manya-Sebile, avocat au barreau de Perpignan, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour Mme Laurie C. par Me Cécile Janura, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 19 mars 2019 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par la SELAFA Cassel avocats, enregistrées le 26 mars 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour Mme Laurie C. par Me Janura, enregistrées le 29 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Vincent Derer, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, Me Manya-Sebile pour MM. Patrick G. et Yann L., Me Janura pour Mme Laurie C. et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 avril 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présenté par le Premier ministre, enregistré le 3 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
L'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 mentionnée ci-dessus, dans sa
rédaction résultant de la loi du 6 février 1992 mentionnée ci-dessus, prévoit
:
« Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline
caractérisée de la part des personnels des services déconcentrés de
l'administration pénitentiaire est interdit. Ces faits, lorsqu'ils sont
susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, pourront être sanctionnés en
dehors des garanties disciplinaires ».
Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, soutient que ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense en ce qu'elles privent l'agent des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, poursuivi à titre disciplinaire pour avoir enfreint l'interdiction du droit de grève, du bénéfice des garanties disciplinaires. Ces dispositions porteraient également atteinte, selon eux, au principe de légalité des délits et des peines.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958.
- Sur le fond :
Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Cette disposition implique notamment qu'aucune sanction ayant le caractère d'une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés.
En application de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, peut être sanctionné disciplinairement l'agent des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire qui prend part à une cessation concertée du service ou à tout acte collectif d'indiscipline caractérisée, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public. Toutefois, en prévoyant que cette sanction peut être prononcée « en dehors des garanties disciplinaires », le législateur a méconnu le principe du contradictoire.
Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 doit être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 8 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Élise D. [Déductibilité de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune des dettes du redevable à l'égard de ses héritiers ou de personnes interposées]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 février 2019 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 301 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Élise D. par Mes Pierre Le Roux et André Loup, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-782 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 885 D du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 de finances pour 1989 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 28 mars 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jacques Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT:
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 885 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 décembre 1988 mentionnée ci-dessus.
L'article 885 D du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :« L'impôt de solidarité sur la fortune est assis et les bases d'imposition déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre ».
La requérante soutient que cet article serait inconstitutionnel en ce qu'il rend applicable à l'impôt de solidarité sur la fortune le 2° de l'article 773 du code général des impôts, relatif aux droits de succession, et a ainsi pour effet d'interdire à un assujetti à l'impôt de solidarité sur la fortune de déduire de l'assiette de cet impôt les dettes qu'il a contractées auprès d'un de ses héritiers.
Ce renvoi au 2° de l'article 773 contreviendrait tout d'abord au principe d'égalité devant la loi. En effet, il introduirait une différence de traitement entre les redevables de cet impôt selon que le redevable a contracté une dette auprès d'un membre de sa famille ou auprès d'un tiers. Or, cette différence de traitement serait injustifiée dès lors que l'article 773 aurait pour seul objet d'éviter les fraudes aux droits de succession. Par ailleurs, à supposer même que le législateur ait entendu poursuivre un objectif de lutte contre la fraude fiscale dans le cadre de l'impôt de solidarité sur la fortune, cette différence de traitement ne serait pas cohérente avec cet objectif dès lors que le risque de fraude serait identique, que le prêteur soit un héritier ou une autre personne proche de l'emprunteur. Enfin, cette différence de traitement serait dépourvue de toute justification lorsque le prêt est consenti par un héritier lui-même soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune et qui doit à ce titre inclure sa créance dans sa déclaration de patrimoine.
Le renvoi opéré par l'article 885 D au 2° de l'article 773 violerait également le principe d'égalité devant les charges publiques. Pour les raisons exposées précédemment, la différence de traitement contestée ne serait pas non plus fondée sur des critères objectifs et rationnels. Par ailleurs, ce renvoi aurait pour conséquence une situation dans laquelle le même prêt serait considéré, pour l'emprunteur, comme une dette fictive non déductible de son patrimoine et, pour le prêteur, comme une créance réelle imposable. Il en résulterait une double imposition contraire au principe d'égalité devant les charges publiques. La requérante soutient également que ce dispositif ferait peser une charge excessive sur le contribuable qui devrait intégrer dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune un bien sans pouvoir déduire de cette assiette la dette effectivement contractée pour l'achat de ce bien.
Enfin, pour ces mêmes raisons, la requérante soutient que les dispositions en cause méconnaîtraient le droit de propriété.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le renvoi opéré par l'article 885 D du code général des impôts au 2° de l'article 773 du même code.
Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Par exception au principe, fixé à l'article 768 du code général des impôts, suivant lequel les dettes du défunt au jour de l'ouverture de la succession sont déductibles de l'actif successoral pour l'établissement des droits de mutation à titre gratuit, le premier alinéa du 2° de l'article 773 du même code exclut la déduction des dettes contractées par le défunt à l'égard de ses héritiers ou de personnes interposées. Le second alinéa de ce 2° prévoit un tempérament à cette exclusion, en permettant aux héritiers et aux personnes interposées de prouver la sincérité et l'existence de la dette à condition que celle-ci ait fait l'objet d'un acte authentique ou d'un acte sous seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession.
L'article 885 D du code général des impôts prévoit que l'impôt de solidarité sur la fortune obéit aux mêmes règles que les droits de mutation par décès. Il résulte ainsi du renvoi opéré par cet article au 2° de l'article 773 du même code que les dettes contractées par le redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune à l'égard de ses héritiers ou de personnes interposées ne peuvent être déduites de l'assiette de cet impôt, sauf si la dette a fait l'objet d'un acte authentique ou d'un acte sous seing privé ayant date certaine avant la date du fait générateur de l'impôt.
En premier lieu, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune selon que la dette qu'ils ont contractée l'a été à l'égard d'un de leurs héritiers ou d'une personne interposée, d'une part, ou à l'égard d'un tiers, d'autre part. Toutefois, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et ainsi réduire les risques de minoration de l'impôt de solidarité sur la fortune qu'il a jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens unissant une personne et ses héritiers. Le législateur a donc poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
Par conséquent, et dès lors qu'un tel risque de minoration de l'impôt demeure y compris lorsque les héritiers auprès desquels l'emprunt a été contracté sont eux-mêmes redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, la différence de traitement opérée par les dispositions contestées repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objet de la loi.
En second lieu, d'une part, les dispositions contestées n'ont pas pour objet d'interdire à un redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui souhaite déduire de son patrimoine la dette contractée auprès d'un héritier ou d'une personne interposée, d'en prouver l'existence et la sincérité. Elles ont seulement pour objet d'exiger à cette fin qu'elle ait fait l'objet d'un acte authentique ou d'un acte sous seing privé ayant date certaine.
D'autre part, dans l'hypothèse où cette formalité n'a pas été respectée et où l'héritier ou la personne interposée ayant consenti le prêt sont eux-mêmes redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'imposer deux fois une même personne sur un même patrimoine.
Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'égalité devant les charges publiques doit être écarté. Il en est de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.
Le renvoi opéré par l'article 885 D du code général des impôts au 2° de l'article 773 du même code, qui ne méconnaît ni le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le renvoi opéré par l'article 885 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 de finances pour 1989, au 2° de l'article 773 du même code est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mai 2019, où siégeaient : M. Alain JUPPÉ exerçant les fonctions de Président, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Nicolas Sarkozy. [Cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l'élection présidentielle]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 février 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 448 du 19 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Nicolas S. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-783 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code électoral ;
la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;
la loi organique n° 2012-272 du 28 février 2012 relative au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle ;
l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
les décisions du Conseil constitutionnel n° 2006-536 DC du 5 avril 2006 et nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 18 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 mentionnée ci-dessus et de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 dans sa rédaction résultant de la loi organique du 28 février 2012 mentionnée ci-dessus.
Le 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, dans cette rédaction, prévoit que sera puni d'une amende de 3 750 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui :« Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l'article L. 52-11 ».
L'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, dans la rédaction mentionnée
ci-dessus, prévoit : « L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi
organique relative à l'élection du Président de la République est remplacée
par les dispositions suivantes ayant valeur organique.
« I. Quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin ouvert pour
l'élection du Président de la République, le Gouvernement assure la
publication de la liste des candidats.
« Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu
des présentations qui lui sont adressées par au moins cinq cents citoyens
membres du Parlement, des conseils régionaux, de l'Assemblée de Corse, des
conseils généraux des départements, de Mayotte, des conseils territoriaux de
Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Conseil
de Paris, de l'assemblée de la Polynésie française, du congrès et des
assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée territoriale
des îles Wallis-et-Futuna, maires, maires délégués des communes associées,
maires des arrondissements de Lyon et de Marseille ou membres élus de
l'Assemblée des Français de l'étranger. Les présidents des organes délibérants
des communautés urbaines, des communautés d'agglomération, les présidents des
communautés de communes, le président de la Polynésie française, le président
du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les ressortissants français
membres du Parlement européen élus en France peuvent également, dans les mêmes
conditions, présenter un candidat à l'élection présidentielle. Les
présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le
sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures.
Lorsqu'il est fait application des dispositions du cinquième alinéa de
l'article 7 de la Constitution, elles doivent parvenir au plus tard le
troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures. Une
candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la
présentation, figurent des élus d'au moins trente départements ou
collectivités d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent
être les élus d'un même département ou d'une même collectivité d'outre-mer.
« Pour l'application des dispositions de l'alinéa précédent, les sénateurs
représentant les Français établis hors de France et les membres élus de
l'Assemblée des Français de l'étranger sont réputés être les élus d'un même
département. Pour l'application des mêmes dispositions, les députés et le
sénateur élus en Nouvelle-Calédonie et les membres des assemblées de province
de la Nouvelle-Calédonie sont réputés être élus d'un même département
d'outre-mer ou d'une même collectivité d'outre-mer. Pour l'application des
mêmes dispositions, les ressortissants français membres du Parlement européen
élus en France sont réputés être les élus d'un même département. Aux mêmes
fins, les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des
communautés d'agglomération ou des communautés de communes sont réputés être
les élus du département auquel appartient la commune dont ils sont délégués.
Aux mêmes fins, les conseillers régionaux sont réputés être les élus des
départements correspondant aux sections départementales mentionnées par
l'article L. 338-1 du code électoral. Aux mêmes fins, les conseillers à
l'Assemblée de Corse sont réputés être les élus des départements entre
lesquels ils sont répartis en application des dispositions des articles L.
293-1 et L. 293-2 du même code.
« Le Conseil constitutionnel doit s'assurer du consentement des personnes
présentées qui, à peine de nullité de leur candidature, doivent lui remettre,
sous pli scellé, une déclaration de leur situation patrimoniale conforme aux
dispositions de l'article L.O. 135-1 du code électoral et l'engagement, en cas
d'élection, de déposer deux mois au plus tôt et un mois au plus tard avant
l'expiration du mandat ou, en cas de démission, dans un délai d'un mois après
celle-ci, une nouvelle déclaration conforme à ces dispositions qui sera
publiée au Journal officiel de la République française dans les huit jours de
son dépôt.
« Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur
la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au
moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour
la validité de la candidature.
« II. Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par
les articles L. 1er, L. 2, L. 5 à L. 7, L. 9 à L. 21, L. 23, L. 25, L. 27 à L.
40, L. 42, L. 43, L. 45, L. 47 à L. 52-2, L. 52-4 à L. 52-11, L. 52-12, L.
52-14, L. 52-15, quatrième alinéa, L. 52-16 à L. 52-18, L. 53 à L. 55, L. 57 à
L. 78, L. 85-1 à L. 111, L. 113 à L. 114, L. 116, L. 117, L.O. 127, L. 199, L.
200, L. 203, L. 385 à L. 387, L. 389, L. 393, L. 451 à L. 453, L. 477, L. 504
et L. 531 du code électoral, sous réserve des dispositions suivantes :
« Le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L. 52-11 du code
électoral est fixé à 13,7 millions d'euros pour un candidat à l'élection du
Président de la République. Il est porté à 18,3 millions d'euros pour chacun
des candidats présents au second tour.
« Les personnes physiques ne peuvent, dans le cadre de l'application des
dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, accorder des prêts et
avances remboursables aux candidats.
« L'obligation de dépôt du compte de campagne ainsi que la présentation de ce
compte par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables
agréés s'imposent à tous les candidats. Les frais d'expertise comptable liés à
l'application de l'article L. 52-12 du code électoral sont inscrits dans le
compte de campagne.
« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les
comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu au
V du présent article. Elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes.
« Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales est
constaté, la commission fixe une somme, égale au montant du dépassement, que
le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée
comme les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine.
« Par dérogation au quatrième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral,
les comptes de campagne des candidats sont publiés par la commission au
Journal officiel dans le mois suivant l'expiration du délai prévu au deuxième
alinéa du même article L. 52-12.
« Pour l'application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 52-5
et du quatrième alinéa de l'article L. 52-6 du code électoral, le délai pour
la dissolution de plein droit de l'association de financement électoral et
pour la cessation des fonctions du mandataire financier est fixé à un mois à
compter de la publication prévue au dernier alinéa du V du présent article.
« Le solde positif éventuel des comptes des associations électorales et
mandataires financiers des candidats est dévolu à la Fondation de France.
« Le montant de l'avance prévue au deuxième alinéa du paragraphe V du présent
article doit figurer dans les recettes retracées dans le compte de campagne.
« Par dérogation aux dispositions de l'article L. 55 du code électoral, le
scrutin est organisé le samedi en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à
Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie
française et dans les ambassades et les postes consulaires situés sur le
continent américain.
« III. Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations et
examine les réclamations dans les mêmes conditions que celles fixées pour les
opérations de référendum par les articles 46, 48, 49, 50 de l'ordonnance n°
58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel.
« Le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection
qui sont publiés au Journal officiel de la République française dans les
vingt-quatre heures de la proclamation. La déclaration de situation
patrimoniale du candidat proclamé élu est jointe à cette publication.
« Les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des
financements politiques mentionnées au II du présent article peuvent faire
l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel
par le candidat concerné, dans le mois suivant leur notification. Pour
l'examen des comptes comme des réclamations visées au premier alinéa du
présent paragraphe, le président du Conseil constitutionnel désigne des
rapporteurs, choisis parmi les membres du Conseil et les rapporteurs adjoints
mentionnés au second alinéa de l'article 36 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Les agents
de l'administration des impôts sont déliés du secret professionnel à l'égard
des membres du Conseil constitutionnel et de ses rapporteurs adjoints à
l'occasion des enquêtes qu'ils effectuent pour contrôler les comptes de
campagne des candidats à l'élection du Président de la République.
« IV. Tous les candidats bénéficient, de la part de l'État, des mêmes
facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle.
« V. Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application des
présentes dispositions organiques ; il détermine notamment les conditions de
la participation de l'État aux dépenses de propagande.
« Lors de la publication de la liste des candidats au premier tour, l'État
verse à chacun d'entre eux une somme de 153 000 euros, à titre d'avance sur le
remboursement forfaitaire de leurs dépenses de campagne prévu à l'alinéa
suivant. Si le montant du remboursement n'atteint pas cette somme, l'excédent
fait l'objet d'un reversement.
« Une somme égale à 4,75 % du montant du plafond des dépenses de campagne qui
leur est applicable est remboursée, à titre forfaitaire, à chaque candidat ;
cette somme est portée à 47,5 % dudit plafond pour chaque candidat ayant
obtenu plus de 5 % du total des suffrages exprimés au premier tour. Elle ne
peut excéder le montant des dépenses du candidat retracées dans son compte de
campagne.
« Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de
campagne n'est possible qu'après l'approbation définitive de ce compte. Le
remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ne se sont pas
conformés aux prescriptions du deuxième alinéa du II du présent article, qui
n'ont pas déposé leur compte de campagne au plus tard à 18 heures le onzième
vendredi suivant le premier tour de scrutin ou dont le compte de campagne est
rejeté pour d'autres motifs. Dans les cas où les irrégularités commises ne
conduisent pas au rejet du compte, la décision concernant ce dernier peut
réduire le montant du remboursement forfaitaire en fonction du nombre et de la
gravité de ces irrégularités.
« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques ou, en cas de recours, le Conseil constitutionnel fait publier au
Journal officiel les décisions prises pour approuver, rejeter ou réformer les
comptes de campagne et arrêter le montant du remboursement ».
Le requérant soutient que ces dispositions contreviendraient, en méconnaissance du principe non bis in idem, aux exigences de nécessité et de proportionnalité des peines, dans la mesure où elles permettraient des poursuites et des sanctions pénales à l'égard de candidats à l'élection présidentielle ayant déjà été sanctionnés financièrement pour des faits identiques de dépassement du plafond des dépenses électorales par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et, en cas de recours, par le Conseil constitutionnel.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et, d'autre part, sur la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II du même article 3.
- Sur la recevabilité :
Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
Dans sa décision du 5 avril 2006 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné le premier alinéa et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, le Conseil constitutionnel a jugé, dans ses décisions du 24 juin 2016 mentionnées ci-dessus, que, dans certaines hypothèses, le principe de nécessité des délits et des peines pouvait faire obstacle à des cumuls de poursuites. Ces décisions constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
En application des deux premiers alinéas du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article L. 52-11 du code électoral, les candidats à l'élection du Président de la République sont tenus, au cours de la campagne, de respecter un plafond des dépenses électorales. Lorsque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques constate un dépassement de ce plafond par un candidat, celui-ci est, en vertu des dispositions contestées du sixième alinéa du même paragraphe II, tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant du dépassement. En application du paragraphe III du même article 3, la décision de cette commission peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat en cause. En outre, en application des dispositions contestées du premier alinéa du paragraphe II du même article, qui renvoient au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral, le candidat ayant dépassé le plafond des dépenses électorales encourt également une amende de 3 750 euros et une peine d'emprisonnement d'un an.
Par conséquent, les dispositions contestées tendent à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique.
Toutefois, en premier lieu, la sanction financière prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques intervient à l'issue de l'examen par cette commission, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, des comptes de campagne de chacun des candidats à l'élection du Président de la République. En conférant à cette sanction un caractère systématique et en prévoyant que son montant est égal au dépassement du plafond des dépenses électorales, le législateur a entendu assurer le bon déroulement de l'élection du Président de la République et, en particulier, l'égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale. En revanche, en instaurant une répression pénale des mêmes faits, qui exige un élément intentionnel et permet de tenir compte des circonstances de l'infraction et d'adapter la sévérité de la peine à la gravité de ces faits, le législateur a entendu sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus.
En second lieu, la sanction prononcée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une pénalité financière, strictement égale au montant du dépassement constaté. Sa nature est donc différente de la peine d'emprisonnement encourue par le candidat poursuivi pour le délit de dépassement du plafond des dépenses électorales.
Il résulte de ce qui précède que les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
Par suite, le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II du même article 3, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :
le renvoi opéré, par le premier alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2012-272 du 28 février 2012 relative au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle, au 3° du paragraphe I de l'article L. 113-1 du code électoral ;
la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la même loi du 6 novembre 1962, dans la même rédaction.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Cosfibel Premium [Retenue à la source sur la rémunération de sociétés étrangères pour des prestations fournies ou utilisées en France]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 février 2019 par le Conseil d'État (décision n° 412497 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Cosfibel Premium par la SCP Bouzidi - Bouhanna, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-784 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle (partie législative) ;
la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
le décret n° 2010-421 du 27 avril 2010 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
la décision du Conseil d'État n° 148038 du 13 mars 1996 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées pour les sociétés NR-COMS et Smartcoms Outsourcing par Me Philippe Derouin, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 7 mars 2019 ;
les observations en intervention présentées pour la société d'économie mixte de gestion du port Vauban par Mes Richard Foissac et Rita Adady, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 15 mars 2019 ;
les observations présentées pour la société requérante par Mes Valéry Brisson et Aurélie Carrara, avocats au barreau de Lyon, enregistrées le 19 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées pour les sociétés NR-COMS et Smartcoms Outsourcing par Me Derouin, enregistrées le 27 mars 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour la société d'économie mixte de gestion du port Vauban par Mes Foissac et Adady, enregistrées le 2 avril 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Brisson et Carrara, enregistrées le 3 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Brisson, pour la société requérante, Me Derouin, pour les deux premières parties intervenantes, Me Foissac, pour la dernière partie intervenante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts, dans ses rédactions résultant des lois du 1er juillet 1992, du 30 décembre 2008 et du 30 décembre 2009 et du décret du 27 avril 2010 mentionnés ci-dessus.
2. Le c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des impôts, dans ces rédactions, prévoit que donnent lieu à l'application d'une retenue à la source, lorsqu'elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente :« Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ».
3. La société requérante et les sociétés intervenantes soutiennent que les dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques. Faute de prévoir la déduction des charges acquittées par le prestataire, elles taxeraient une assiette brute en méconnaissance de ses facultés contributives. Le principe d'égalité devant les charges publiques serait également méconnu dès lors que, en cas de rappel résultant de l'absence de retenue à la source par le débiteur de la rémunération, la retenue est calculée sur les sommes versées, augmentées du montant de la prise en charge de la retenue à la source par ce débiteur. Deux des sociétés intervenantes se prévalent en outre du principe d'égalité devant la loi, faisant état de deux différences de traitement injustifiées. La première distinguerait les personnes résidentes imposées sur une assiette nette et les personnes non-résidentes imposées sur une assiette brute. La seconde serait établie, au sein des personnes qui n'ont pas d'installation professionnelle permanente en France, entre celles qui, étant par ailleurs assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, peuvent imputer le montant de la retenue à la source et celles qui, non assujetties à ces impôts, ne le peuvent pas. Enfin, certains intervenants font valoir que ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'article 182 B du code général des impôts, qui s'applique sous réserve des stipulations des conventions fiscales, instaure une retenue à la source. Cette retenue, dont le taux est de 33 1/3 %, est calculée, en application des dispositions contestées, sur une assiette brute constituée par les sommes payées par un débiteur, qui exerce une activité en France, à des personnes ou des sociétés relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés n'ayant pas en France d'installation professionnelle permanente, en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. Il appartient au débiteur de la rémunération d'opérer cette retenue et de la verser au Trésor public. En l'absence de versement de la retenue à la source par le débiteur, l'administration est en droit d'exiger de ce dernier un rappel de droits correspondant au montant de la retenue à la source non prélevée. Dans ce cas, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, que l'assiette de la retenue à la source est constituée du montant de la rémunération versée au prestataire étranger augmenté de « l'avantage résultant, pour ce dernier, de ce que la somme reçue n'a pas supporté la retenue ».
7. En premier lieu, en imposant les personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations fournies ou utilisées en France, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement avec les personnes qui, disposant en France d'une telle installation, sont admises à déduire les charges engagées pour leur activité et ne sont donc imposables que sur leur seul bénéfice.
8. Toutefois, en instituant la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, le législateur a entendu garantir le montant et le recouvrement de l'imposition due, à raison de leurs revenus de source française, par des personnes à l'égard desquelles l'administration fiscale française ne dispose pas du pouvoir de vérifier et de contrôler la réalité des charges déductibles qu'elles ont éventuellement engagées.
9. Dès lors, en faisant peser l'imposition des revenus des personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas institué une différence de traitement injustifiée.
10. En deuxième lieu, dans le cas d'un rappel résultant du défaut de retenue à la source par le débiteur de la rémunération, l'intégration, dans le montant de l'assiette de la retenue, de l'avantage qu'a constitué, pour le créancier, la prise en charge de la retenue, a pour objet de reconstituer la rémunération brute réellement perçue par le prestataire et d'empêcher ainsi des ententes de nature à minorer le montant de l'impôt.
11. En troisième lieu, en retenant une assiette brute constituée du montant de la rémunération perçue par les personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France, les dispositions contestées ne font pas peser sur ces personnes, compte tenu du taux de 33 1/3 % applicable, une imposition confiscatoire.
12. En dernier lieu, la possibilité d'imputer la retenue à la source sur le montant de ces impôts, qui a pour objet d'éviter les doubles impositions et ne crée donc aucune différence de traitement, ne résulte, en tout état de cause, pas des dispositions contestées.
13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
14. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le c du paragraphe I de l'article 182 B du code général des
impôts, dans ses rédactions résultant des lois n° 92-597 du 1er juillet 1992
relative au code de la propriété intellectuelle (partie législative), n°
2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 et n°
2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 et du décret
n° 2010-421 du 27 avril 2010 portant incorporation au code général des impôts
de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code,
est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mai 2019, où siégeaient : MM. Laurent FABIUS, Président, Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Mario S. [Point de départ du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er mars 2019 par le Conseil d'État (décision n° 424993 du 28 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Mario S. par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-785 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 7 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi du 9 mars 1928 portant révision du code de justice militaire pour l'armée de terre ;
la loi du 13 janvier 1938 portant révision du code de justice militaire pour l'armée de mer ;
la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs ;
l'arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 2018 (chambre criminelle, n° 17-86.340) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, enregistrées le 22 mars 2019 ;
les observations présentées pour la République argentine, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Sophie Thonon-Wesfreid, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 25 mars 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la République argentine par la SCP Zribi et Texier et Me Thonon-Wesfreid, enregistrées le 9 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Isabelle Zribi, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Thonon-Wesfreid, pour la République argentine, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 14 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 avril 2006 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 7 du
code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« En matière de crime
et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action
publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été
commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de
poursuite.
« S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix
années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des
personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de
poursuite.
« Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à
l'article 706-47 du présent code et le crime prévu par l'article 222-10 du code
pénal, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs, est de vingt ans et ne commence à
courir qu'à partir de la majorité de ces derniers ».
3. Le requérant conteste la conformité à la Constitution de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation. Selon cette interprétation, le délai de prescription de l'action publique pour les infractions continues ne commence à courir qu'à compter du jour où elles ont cessé. Une infraction continue serait dès lors imprescriptible « lorsque la partie poursuivie a échoué à démontrer qu'elle n'a pas été commise ou qu'elle a pris fin ». Il en résulterait, en premier lieu, une méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que le requérant demande au Conseil constitutionnel de reconnaître, imposant au législateur de prévoir un délai de prescription de l'action publique pour les infractions « dont la nature n'est pas d'être imprescriptible ». Le requérant estime, en deuxième lieu, que ces dispositions ainsi interprétées seraient contraires au principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles institueraient une différence de traitement inconstitutionnelle entre les règles de prescription applicables aux infractions instantanées et celles applicables aux infractions continues « dont le terme ne peut être fixé avec certitude ». En troisième lieu, il résulterait de l'imprescriptibilité alléguée une méconnaissance des exigences de nécessité et de proportionnalité des peines. En quatrième lieu, la jurisprudence critiquée serait également contraire à la présomption d'innocence dès lors que la personne poursuivie devrait, pour invoquer la prescription de l'action publique, démontrer que l'infraction a pris fin, renversant ainsi la charge de la preuve. En cinquième lieu, ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense dans la mesure où la personne poursuivie ne pourrait plus, à l'issue d'un certain délai, disposer des preuves nécessaires à sa défense. En dernier lieu, la jurisprudence précitée contreviendrait au principe de sécurité juridique.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « à compter du jour où le crime a été commis » figurant au premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale.
5. En application des dispositions contestées, le délai de prescription de l'action publique en matière de crimes court à compter du jour où le crime a été commis. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la prescription des infractions continues, dont l'élément matériel se prolonge dans le temps par la réitération constante de la volonté coupable de l'auteur, ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets.
6. Si, dans leur très grande majorité, les textes pris en matière de procédure pénale dans la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 comportent des dispositions relatives à la prescription de l'action publique en matière criminelle, la prescription a été écartée, deux fois au moins, par les lois du 9 mars 1928 et du 13 janvier 1938 mentionnées ci-dessus pour certains crimes. Dès lors, le principe invoqué ne saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
7. En revanche, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte du principe de nécessité des peines, protégé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l'article 16 de la même déclaration, un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions.
8. Les dispositions contestées ont pour seul effet de fixer le point de départ du délai de prescription des infractions continues au jour où l'infraction a pris fin dans ses actes constitutifs et dans ses effets. En prévoyant que ces infractions ne peuvent commencer à se prescrire tant qu'elles sont en train de se commettre, les dispositions contestées fixent des règles qui ne sont pas manifestement inadaptées à la nature de ces infractions.
9. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte pas de ces dispositions une impossibilité pour une personne poursuivie pour une infraction continue de démontrer que cette infraction a pris fin, le juge pénal appréciant souverainement les éléments qui lui sont soumis afin de déterminer la date à laquelle l'infraction a cessé.
10. Par suite, les dispositions contestées ne contreviennent pas aux exigences relatives à la prescription de l'action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789.
11. Les mots « à compter du jour où le crime a été commis » figurant au premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la loi ni la présomption d'innocence, non plus qu'aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « à compter du jour où le crime a été commis » figurant au premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Association Sea Shepherd [Délai entre la citation et la comparution devant un tribunal correctionnel en matière d'infractions de presse]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 450 du 5 mars 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Sea Shepherd par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-786 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
l'ordonnance n° 45-2090 du 13 septembre 1945 modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 28 mars 2019 ;
les observations présentées pour l'association Océan Prévention Réunion, M. Amaury L. et M. Jean-François N., parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Boutet - Hourdeaux, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 12 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, Me Clémence Hourdeaux, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 14 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 13 septembre 1945 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 54
de la loi du 29 juillet 1881, dans cette rédaction, prévoit : « Le délai entre
la citation et la comparution sera de vingt jours outre un jour par cinq
myriamètres de distance.
« Toutefois, en cas de diffamation ou d'injure pendant la période électorale
contre un candidat à une fonction électorale, ce délai sera réduit à
vingt-quatre heures, outre le délai de distance, et les dispositions des
articles 55 et 56 ne seront pas applicables ».
3. La requérante soutient tout d'abord que ces dispositions seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif de la victime d'une infraction de presse dès lors que, en raison du délai de distance d'un jour par cinq myriamètres qui doit être respecté entre la citation et la comparution, elles pourraient conduire, en fonction du lieu de résidence de la personne citée à comparaître, à retarder excessivement la date de comparution. Elle soutient ensuite que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la justice au motif qu'elles introduiraient une distinction injustifiée entre les victimes d'infractions de presse selon le lieu de résidence de la personne poursuivie. Elle soutient enfin que ces dispositions méconnaîtraient le droit à la protection de la réputation qui découlerait du droit au respect de la vie privée.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « outre un jour par cinq myriamètres de distance » figurant au premier alinéa de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881.
- Sur le fond :
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
6. En vertu des articles 48 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, la poursuite des délits et contraventions commis par voie de presse peut être exercée par la partie lésée au moyen d'une citation directe. Dans ce cas, l'article 54 précité prévoit que le délai entre la délivrance de la citation et la comparution devant la juridiction de jugement doit être de vingt jours, augmenté d'un délai de distance. Les dispositions contestées prévoient que ce délai de distance est d'un jour par cinq myriamètres de distance, soit un jour par cinquante kilomètres, entre le lieu de résidence de la personne poursuivie et celui du tribunal devant lequel elle est citée à comparaître.
7. En instaurant un délai de distance, en plus de celui de vingt jours fixé pour la préparation de la défense, le législateur a entendu garantir à la partie poursuivie un temps nécessaire à son déplacement vers le lieu où elle est citée à comparaître.
8. La prise en compte, par l'instauration d'un délai spécifique, de la distance séparant le lieu de résidence de la personne poursuivie du lieu où elle est citée à comparaître n'est, par elle-même, pas contraire au principe d'égalité devant la justice. Toutefois, en raison de l'étendue du territoire de la République, les modalités de détermination de ce délai définies par les dispositions contestées sont susceptibles de conduire à des délais de distance très différents. Compte tenu des moyens actuels de transport, ces différences dépassent manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte les contraintes de déplacement, et ce quelle que soit la distance séparant le lieu de résidence du prévenu de celui de sa comparution. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les justiciables.
9. Dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, les mots « outre un jour par cinq myriamètres de distance » figurant au premier alinéa de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, qui méconnaissant le principe d'égalité devant la justice, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer tout délai de distance pour les citations directes délivrées en application de la loi du 29 juillet 1881. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 31 mars 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
12. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les citations délivrées en application de la loi du 29 juillet 1881 après cette date sont soumises aux délais de distance déterminés aux deux derniers alinéas de l'article 552 du code de procédure pénale.
13. La déclaration d'inconstitutionnalité ne peut être invoquée dans les instances engagées par une citation délivrée avant la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « outre un jour par cinq myriamètres de distance » figurant au premier alinéa de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 45-2090 du 13 septembre 1945 modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 à 13 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. B. [Absence de sursis à exécution du licenciement d'un salarié protégé]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 mars 2019 par le Conseil d'État (décision n° 425779 du 7 mars 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M.B par la SCP Krivine et Viaud, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-787 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de justice administrative ;
le code du travail ;
la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société Fiducial private security, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 mars 2019 ;
les observations en intervention présentées pour Mme Christiane COLONNA D'ISTRIA par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 mars 2019 ;
les observations présentées pour le requérant par la SCP Krivine et Viaud, enregistrées le 1er avril 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées pour Mme Christiane COLONNA D'ISTRIA par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 16 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jérôme Krivine, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Gatineau, pour la société Fiducial private security, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L.
1232-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi 29 mars 2018
mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque l'employeur décide de licencier un
salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de
réception.
« Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
« Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue
de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.
« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent
article. Un arrêté du ministre chargé du travail fixe les modèles que
l'employeur peut utiliser pour procéder à la notification du licenciement ».
2. Selon le requérant, rejoint par l'intervenante, lorsqu'elles s'appliquent à un salarié protégé dont l'autorité administrative a autorisé le licenciement, ces dispositions ne garantiraient pas à ce salarié l'effectivité de son recours en suspension de l'exécution de cette autorisation, formé devant le juge administratif des référés, dans la mesure où ce recours se trouve privé d'objet dès l'envoi de la lettre de licenciement par l'employeur. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et une incompétence négative, faute pour le législateur d'avoir prévu un mécanisme préservant l'effet utile de la demande de suspension. En outre, ces dispositions contreviendraient au principe d'égalité devant la loi, dès lors qu'un salarié non protégé pourrait contester son licenciement devant le juge judiciaire des référés sans que ce recours puisse, à la différence de celui exercé devant le juge administratif par un salarié protégé, être privé d'effet par l'envoi de la lettre de licenciement.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article L. 1232-6 du code du travail.
- Sur le grief tiré de l'incompétence négative et de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. Selon l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.
6. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
7. Lorsque les salariés bénéficient, en application des articles L. 2411-1 et L. 2411-2 du code du travail, d'une protection particulière à raison du mandat de représentation dont ils sont investis, le licenciement ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est susceptible de recours, dans les conditions de droit commun, devant le juge administratif. En vertu de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets. Cependant, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, l'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit être regardée comme entièrement exécutée à compter de l'envoi de la lettre de licenciement par l'employeur, dans les conditions prévues par les dispositions contestées. La demande de suspension formée devant le juge des référés est alors privée d'objet, ce qui conduit à son rejet.
8. Dès lors, à compter de la notification par l'employeur de son licenciement, le salarié protégé ne peut plus obtenir la suspension, par le juge administratif, de l'exécution de la décision administrative ayant autorisé ce licenciement. Il ne peut pas davantage obtenir le maintien de son contrat de travail auprès du juge judiciaire des référés, dans la mesure où celui-ci est tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge administratif se prononce sur l'autorisation administrative de licenciement.
9. Toutefois, en premier lieu, le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
10. En deuxième lieu, en dépit de l'absence de suspension de la décision administrative autorisant le licenciement, le juge administratif saisi du recours au fond contre cette autorisation peut, le cas échéant, en prononcer l'annulation.
11. Dans ce cas, d'une part, le salarié investi d'un des mandats de représentation mentionnés à l'article L. 2422-1 du code du travail bénéficie, sur sa demande, d'une réintégration de plein droit dans son emploi ou dans un emploi équivalent.
12. D'autre part, en application de l'article L. 2422-2 du même code, le membre de la délégation du personnel au comité social et économique, le représentant de proximité et le membre de la délégation du personnel au comité social et économique interentreprises bénéficient d'une réintégration de plein droit dans leur mandat si l'institution n'a pas été renouvelée entre-temps. À défaut, ils bénéficient de la protection contre le licenciement pendant une durée de six mois, à compter du jour où ils retrouvent leur place dans l'entreprise. Si ce droit à réintégration dans le mandat ne s'étend pas au délégué syndical, ce dernier peut faire l'objet d'une nouvelle désignation par son organisation syndicale.
13. Enfin, l'article L. 2422-4 du même code prévoit que le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit à une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration. S'il n'a pas demandé cette réintégration, l'indemnisation couvre la période écoulée entre le licenciement et les deux mois suivant la notification de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement.
14. Il résulte de ce qui précède que le législateur a institué des garanties suffisantes visant à remédier aux conséquences, pour le salarié protégé, de l'exécution de l'autorisation administrative de licenciement.
15. En dernier lieu, en cas de licenciement, le membre titulaire de la délégation du personnel au comité social et économique est remplacé, en application de l'article L. 2314-37, par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale. En l'absence d'un tel suppléant élu, le remplacement est assuré par un candidat non élu présenté par la même organisation ou, à défaut, par un suppléant élu appartenant à la même catégorie professionnelle et ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Si la loi ne prévoit pas de dispositif de suppléance des délégués syndicaux, une organisation syndicale peut, dans les conditions prévues à l'article L. 2143-7, remplacer le délégué syndical licencié qu'elle avait désigné.
16. De telles garanties permettent de remédier aux conséquences, pour les institutions représentatives du personnel, de l'exécution de l'autorisation administrative de licenciement.
17. Il résulte de tout ce qui précède que, en ne garantissant pas l'effet suspensif du recours formé contre cette autorisation, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif et ne sont pas entachées d'incompétence négative.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
18. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
19. En vertu du premier alinéa de l'article L. 1232-6 du code du travail, la décision de l'employeur de licencier un salarié prend effet lors de sa notification par lettre recommandée avec avis de réception. Ces dispositions s'appliquent à l'ensemble des salariés, que leur licenciement soit ou non subordonné à une autorisation administrative préalable. Le législateur n'ayant ainsi institué aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
20. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Lara A. [Absence de recours juridictionnel à l'encontre de la décision de placement d'animaux vivants prise par le procureur de la République>
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 mars 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 694 du 19 mars 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Lara A. par Me Frédéric Volpato, avocat au barreau des Hautes-Alpes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-788 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premier et troisième alinéas de l'article 99-1 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010 créant un livre IX du code rural relatif à la pêche maritime et à l'aquaculture marine ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 15 avril 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la requérante par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, enregistrées le 30 avril 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Rameix-Seguin, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 28 mai 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des premier et troisième alinéas de l'article 99-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 6 mai 2010 mentionnée ci-dessus.
2. Le premier alinéa de l'article 99-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« Lorsque, au cours d'une procédure judiciaire ou des contrôles mentionnés à l'article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime, il a été procédé à la saisie ou au retrait, à quelque titre que ce soit, d'un ou plusieurs animaux vivants, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction ou, lorsqu'il est saisi, le juge d'instruction peut placer l'animal dans un lieu de dépôt prévu à cet effet ou le confier à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée. La décision mentionne le lieu de placement et vaut jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'infraction ».
3. Le deuxième alinéa du même article prévoit les conditions dans lesquelles le juge d'instruction ou le président du tribunal de grande instance peut, par ordonnance, décider que l'animal ainsi placé sera cédé à titre onéreux ou confié à un tiers ou qu'il sera procédé à son euthanasie. Son troisième alinéa prévoit :« Cette ordonnance est notifiée au propriétaire s'il est connu, qui peut la déférer soit au premier président de la cour d'appel du ressort ou à un magistrat de cette cour désigné par lui, soit, lorsqu'il s'agit d'une ordonnance du juge d'instruction, à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99 ».
4. Selon la requérante, faute de permettre l'exercice d'un recours contre la décision du procureur de la République de placer un animal faisant l'objet d'une saisie judiciaire, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire. Il en résulterait également une méconnaissance du droit de propriété.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction ou » figurant au premier alinéa de l'article 99-1 du code de procédure pénale.
6. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
7. En vertu du premier alinéa de l'article 99-1 du code de procédure pénale, lorsque, au cours d'une procédure judiciaire ou d'une procédure de contrôle conduite par des agents des services vétérinaires ou du ministère de l'agriculture, il a été procédé à la saisie ou au retrait d'un animal vivant, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction peut placer l'animal dans un lieu de dépôt prévu à cet effet ou le confier à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée.
8. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'il n'existe pas de recours spécifique à l'encontre de cette décision de placement.
9. Toutefois, en application des articles 41-4 et 99 du code de procédure pénale, une personne dont les biens ont été saisis peut en demander la restitution au juge d'instruction au cours d'une information judiciaire et au procureur de la République dans les autres cas.
10. Dès lors, dans la mesure où le placement d'un animal effectué sur le fondement de l'article 99-1 intervient nécessairement à la suite d'une décision de saisie ou de retrait, son propriétaire peut en demander la restitution sur le fondement des articles 41-4 ou 99. Cette restitution a pour effet de mettre un terme à la mesure de placement. Le refus éventuellement opposé à sa demande peut également faire l'objet d'un recours juridictionnel.
11. Il en résulte que le propriétaire en cause dispose d'un recours lui permettant d'obtenir qu'il soit mis fin à la mesure de placement. Le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté. Il en va de même de ceux tirés de la violation du droit à un procès équitable, des droits de la défense et du droit de propriété.
12. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction ou » figurant au premier alinéa de l'article 99-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010 créant un livre IX du code rural relatif à la pêche maritime et à l'aquaculture marine, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Hanen S. [Droit de communication des organismes de sécurité sociale]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 mars 2019 par le Conseil d'État (décision n° 424289 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Hanen S. par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-789 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 114-19, L. 114-20 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code des postes et des communications électroniques ;
le code de la sécurité sociale ;
le livre des procédures fiscales ;
la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 ;
la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par la SCP Delamarre et Jéhannin, enregistrées le 16 avril 2019 ;
les observations présentées pour la caisse d'allocations familiales de l'Isère, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 17 avril 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18 avril 2019 ;
les observations en intervention présentées pour la caisse nationale d'allocations familiales par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour les associations La Quadrature du Net et Franciliens.net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la caisse d'allocations familiales de l'Isère par Me Gatineau, enregistrées le 2 mai 2019 ;
les secondes observations présentées pour la caisse nationale d'allocations familiales par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 9 mai 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Manuel Delamarre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, Me Gatineau, pour la caisse d'allocations familiales de l'Isère, Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour les associations intervenantes, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la caisse nationale d'allocations familiales, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2015 mentionnée ci-dessus et des articles L. 114-20 et L. 114-21 du même code dans leur rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2007 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
114-19 du code de la sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit :
« Le droit de communication permet d'obtenir, sans que s'y oppose le secret
professionnel, les documents et informations nécessaires :
« 1° Aux agents des organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de
sécurité sociale pour contrôler la sincérité et l'exactitude des déclarations
souscrites ou l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution et du
paiement des prestations servies par lesdits organismes ;
« 2° Aux agents chargés du contrôle mentionnés aux articles L. 243-7 du présent
code et L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime pour accomplir leurs
missions de contrôle définies aux mêmes articles et leur mission de lutte contre
le travail dissimulé définie à l'article L. 324-12 du code du travail ;
« 3° Aux agents de contrôle des organismes de sécurité sociale pour recouvrer
les prestations versées indûment à des tiers.
« Le droit prévu au premier alinéa peut porter sur des informations relatives à
des personnes non identifiées, dans des conditions fixées par décret en Conseil
d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des
libertés.
« Le droit prévu au premier alinéa s'exerce quel que soit le support utilisé
pour la conservation des documents et peut s'accompagner de la prise immédiate
d'extraits et de copies.
« Les documents et informations sont communiqués à titre gratuit dans les trente
jours qui suivent la réception de la demande.
« Le refus de déférer à une demande relevant du présent article est puni d'une
amende de 1 500 € par cotisant, assuré ou allocataire concerné, sans que le
total de l'amende puisse être supérieur à 10 000 €.
« Ce délit peut faire l'objet de la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale
prévue aux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale ».
3. L'article L.
114-20 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du
19 décembre 2007, prévoit :
« Sans préjudice des autres dispositions législatives applicables en matière
d'échanges d'informations, le droit de communication défini à l'article L.
114-19 est exercé dans les conditions prévues et auprès des personnes
mentionnées à la section 1 du chapitre II du titre II du livre des procédures
fiscales à l'exception des personnes mentionnées aux articles L. 82 C, L. 83 A,
L. 83 B, L. 84, L. 84 A, L. 91, L. 95 et L. 96 B à L. 96 F ».
4. L'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2007, prévoit : « L'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision. Il communique, avant la mise en recouvrement ou la suppression du service de la prestation, une copie des documents susmentionnés à la personne qui en fait la demande ».
5. La requérante et les associations intervenantes reprochent de méconnaître le droit au respect de la vie privée à ces dispositions, qui régissent l'usage par les agents des organismes de sécurité sociale de leur droit d'obtenir communication de certains documents ou informations relatifs à des bénéficiaires de prestations ou à des assujettis à des cotisations sociales. Selon elles, les garanties apportées à l'exercice de ce droit de communication seraient insuffisantes, pour ce qui concerne les données bancaires et les données de connexion. Elles dénoncent également le fait que ces agents ne sont tenus d'informer la personne contrôlée de la teneur et de l'origine des documents obtenus auprès de tiers que si une décision a été prise à son encontre sur le fondement de ces documents. Pour les mêmes raisons, la requérante reproche au législateur d'avoir méconnu l'étendue de sa propre compétence dans des conditions qui affecteraient le droit au respect de la vie privée.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les articles L. 114-20 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale.
- Sur le fond :
7. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il lui incombe d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figure le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
. En ce qui concerne l'article L. 114-20 du code de la sécurité sociale :
8. Par le renvoi général qu'il opère, sous réserve de quelques exceptions, à la section I du chapitre II du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales, l'article L. 114-20 du code de la sécurité sociale étend à certains agents des organismes de sécurité sociale le droit de communication de certains documents et informations reconnu à l'administration fiscale.
9. Il résulte en particulier de ce renvoi aux articles L. 83 et L. 85 du livre des procédures fiscales que ce droit de communication peut notamment s'exercer auprès des établissements bancaires afin d'obtenir d'eux, sans qu'ils puissent opposer le secret professionnel, les relevés de comptes et les autres documents bancaires relatifs au bénéficiaire d'une prestation sociale ou à son ayant droit ou à un cotisant. Il résulte également du renvoi opéré par les dispositions contestées aux articles L. 83 et L. 96 G du même livre que les agents des organismes de sécurité sociale disposent du droit de se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service. La communication de telles données est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée.
10. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale.
11. En deuxième lieu, d'une part, en vertu de l'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale, il ne peut être fait usage du droit de communication que pour le contrôle de la sincérité et de l'exactitude des déclarations souscrites ou de l'authenticité des pièces produites en vue de l'attribution et du paiement des prestations servies par les organismes de sécurité sociale, pour l'exercice des missions de contrôle des cotisants aux régimes obligatoires de sécurité sociale et de lutte contre le travail dissimulé et pour le recouvrement de prestations versées indûment à des tiers.
12. D'autre part, ce droit de communication, qui n'est pas assorti d'un pouvoir d'exécution forcée, n'est ouvert qu'aux agents des organismes de sécurité sociale, lesquels sont soumis, dans l'utilisation de ces données, au secret professionnel.
13. En dernier lieu, la communication de données bancaires permet à titre principal aux organismes sociaux d'avoir connaissance des revenus, des dépenses et de la situation familiale de la personne objet de l'investigation. Elle présente un lien direct avec l'évaluation de la situation de l'intéressé au regard du droit à prestation ou de l'obligation de cotisation.
14. Si ces données peuvent révéler des informations relatives aux circonstances dans lesquelles la personne a dépensé ou perçu ses revenus, l'atteinte ainsi portée au droit au respect de la vie privée n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Il résulte de ce qui précède que le législateur a assorti le droit de communication contesté de garanties propres à assurer, entre le respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée.
15. En revanche, compte tenu de leur nature et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée. Par ailleurs, elles ne présentent pas de lien direct avec l'évaluation de la situation de l'intéressé au regard du droit à prestation ou de l'obligation de cotisation. Dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et la lutte contre la fraude en matière de protection sociale.
16. Par conséquent, l'article L. 114-20 du code de la sécurité sociale, qui concerne notamment les données bancaires et les données de connexion, doit être déclaré contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne l'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale :
17. L'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale prévoit les conditions dans lesquelles la personne visée par l'exercice du droit de communication est informée de sa mise en œuvre. Il réserve l'obligation pour les organismes de sécurité sociale de procéder à cette information aux situations dans lesquelles la décision a été prise de supprimer le bénéfice d'une prestation ou de recouvrer des sommes réclamées.
18. Toutefois, l'objet d'une telle disposition étant de permettre à la personne contrôlée de prendre connaissance des documents communiqués afin de pouvoir contester utilement les conclusions qui en ont été tirées par l'organisme de sécurité sociale, l'absence d'information de la personne visée par l'exercice du droit de communication ne méconnaît pas, en elle-même, le droit au respect de la vie privée.
19. L'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
20. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
21. En l'espèce, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
22. La remise en cause des mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 114-20 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, est contraire à la Constitution.
Article 2. - L'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008, est conforme à la Constitution.
Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 21 et 22 de cette décision.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société ENR Grenelle Habitat et autres [Répression pénale des pratiques commerciales trompeuses et autorité compétente pour prononcer des amendes administratives en matière de consommation]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 avril 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 841 du 2 avril 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société ENR Grenelle Habitat, M. Laurent A. et Mme Julie A. par Me Audrey Téani, avocate au barreau de Bordeaux. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-790 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 132-2 et L. 522-1 du code de la consommation.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la consommation ;
l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les requérants par Me Bertrand Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Téani, enregistrées le 30 avril 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour les requérants par Mes Perier et Téani, enregistrées le 15 mai 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Téani, pour les requérants, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles L. 132-2 et L. 522-1 du code de la consommation dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
132-2 du code de la consommation, dans cette rédaction, prévoit :« Les pratiques
commerciales trompeuses mentionnées aux articles L. 121-2 à L. 121-4 sont punies
d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros.
« Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages
tirés du délit, à 10 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois
derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des
dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique
constituant ce délit ».
3. L'article L. 522-1 du même code, dans la même rédaction, prévoit :« L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 et l'inexécution des mesures d'injonction relatives à des manquements constatés avec les pouvoirs mentionnés aux mêmes articles ».
4. Les requérants soutiennent que l'application combinée des articles L. 132-2 et L. 522-1 du code de la consommation méconnaîtrait les principes de nécessité et de proportionnalité des peines en permettant un cumul de sanctions administrative et pénale à raison des mêmes faits. En effet, selon eux, l'article L. 522-1 du code de la consommation permet à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de prononcer des amendes administratives pour sanctionner les pratiques commerciales trompeuses, qui sont, par ailleurs, réprimées pénalement par l'article L. 132-2 du même code.
5. Il découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Le contrôle de la conformité d'un cumul de poursuites à ce principe impose de déterminer les faits qui sont poursuivis et sanctionnés, les intérêts sociaux qui sont protégés par l'instauration des sanctions et la nature de ces dernières. Ainsi, pour que le Conseil constitutionnel puisse, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, contrôler la conformité à ce principe d'une disposition législative instituant une sanction ayant le caractère de punition, il est nécessaire que le requérant désigne, au cours de la procédure, la disposition instituant l'autre sanction entraînant le cumul dénoncé.
6. Or, les articles L. 121-2 à L. 121-4 du code de la consommation, qui figurent à la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre Ier de ce code, définissent les pratiques commerciales trompeuses. L'article L. 132-2 du même code réprime pénalement ces pratiques.
7. L'article L. 522-1 du code de la consommation se borne à donner compétence à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 du même code. Il n'a ni pour objet ni pour effet d'instituer une sanction administrative. Le renvoi à l'article L. 511-5, lequel mentionne la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de la consommation, n'a, en tout état de cause, pas davantage cet effet.
8. Dès lors, il ne saurait résulter des articles L. 132-2 et L. 522-1 du code de la consommation un cumul de poursuites.
9. Par suite, en l'absence de désignation par les requérants de l'autre disposition législative entraînant le cumul dénoncé, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 132-2 et L. 522-1 du code de la consommation.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Section française de l'Observatoire international des prisons [Autorisation de sortie sous escorte d'une personne détenue]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 avril 2019 par le Conseil d'État (décision n° 427252 du 5 avril 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la section française de l'Observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-791 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 148-5, 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale ;
la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;
la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 30 avril 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 14 mai 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 148-5 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993 mentionnée ci-dessus, de l'article 712-5 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus et de l'article 723-6 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 148-5 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« En toute matière et en tout état de la procédure d'instruction, la juridiction d'instruction ou de jugement peut, à titre exceptionnel, accorder une autorisation de sortie sous escorte à la personne mise en examen, au prévenu ou à l'accusé».
3. L'article
712-5 du code de procédure pénale, dans la rédaction mentionnée ci-dessus,
prévoit :« Sauf en cas d'urgence, les ordonnances concernant les réductions de
peine, les autorisations de sorties sous escortes et les permissions de sortir
sont prises après avis de la commission de l'application des peines.
« Cette commission est réputée avoir rendu son avis si celui-ci n'est pas
intervenu dans le délai d'un mois à compter du jour de sa saisine.
« La commission de l'application des peines est présidée par le juge de
l'application des peines ; le procureur de la République et le chef
d'établissement en sont membres de droit. Le service pénitentiaire d'insertion
et de probation y est représenté ».
4. L'article 723-6 du code de procédure pénale, dans la rédaction mentionnée ci-dessus, prévoit :« Tout condamné peut, dans les conditions de l'article 712-5, obtenir, à titre exceptionnel, une autorisation de sortie sous escorte ».
5. L'association requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif. D'une part, elle critique le fait que ne peut être contestée la décision par laquelle l'autorité judiciaire refuse une autorisation de sortie sous escorte à une personne placée en détention provisoire. D'autre part, la requérante relève que si la personne détenue condamnée peut faire appel d'un refus d'autorisation de sortie sous escorte, aucun délai n'est prescrit au premier juge saisi pour statuer sur la demande d'autorisation de sortie. En outre, compte tenu de la nature particulière de la mesure en cause, le législateur aurait dû imposer au juge de se prononcer avec célérité. Enfin, la requérante fait valoir que les dispositions contestées ne précisent pas les motifs pour lesquels une autorisation de sortie sous escorte peut être refusée. Il résulterait également de tout ce qui précède une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale. Pour les mêmes raisons, ces dispositions seraient aussi entachées d'une incompétence négative de nature à porter atteinte aux droits mentionnés ci-dessus.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les articles 148-5 et 723-6 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne la contestation du refus opposé à une demande d'autorisation de sortie sous escorte formée par une personne placée en détention provisoire :
7. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
8. L'article 148-5 du code de procédure pénale prévoit que les personnes placées en détention provisoire peuvent, en toute matière et en tout état de la procédure d'instruction, bénéficier à titre exceptionnel d'une autorisation de sortie sous escorte octroyée par la juridiction d'instruction ou de jugement. Toutefois, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction le refus d'une telle autorisation.
9. Au regard des conséquences qu'entraîne ce refus pour une personne placée en détention provisoire, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision de la juridiction d'instruction ou de jugement méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article 148-5 du code de procédure pénale doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne la contestation du refus opposé à une demande d'autorisation de sortie sous escorte formée par une personne condamnée :
10. L'article 723-6 du code de procédure pénale prévoit que les personnes condamnées détenues peuvent bénéficier, à titre exceptionnel, d'une autorisation de sortie sous escorte. La décision d'octroi ou de refus d'une telle mesure est prise par le juge de l'application des peines, qui statue par ordonnance. En application des articles 712-1 et 712-12 du même code, cette décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le président de la chambre de l'application des peines.
11. En premier lieu, selon l'article 802-1 du code de procédure pénale, lorsque, en application de ce code, une juridiction est saisie d'une demande à laquelle il doit être répondu par une décision motivée susceptible de recours, il est possible d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande, qui naît à l'issue d'un délai de deux mois. Il en résulte que, en l'absence de réponse du juge de l'application des peines durant un délai de deux mois, le condamné ayant sollicité une autorisation de sortie sous escorte peut contester devant le président de la chambre de l'application des peines le refus implicite qui lui est opposé.
12. En deuxième lieu, il appartient au juge de tenir compte de l'éventuelle urgence de la demande pour rendre une décision avant l'expiration du délai de deux mois mentionné ci-dessus.
13. En dernier lieu, le droit à un recours juridictionnel effectif n'impose pas au législateur de déterminer les motifs d'octroi ou de refus d'une autorisation de sortie sous escorte.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté. L'article 723-6 du code de procédure pénale, qui n'est pas non plus entaché d'incompétence négative et ne méconnaît ni le droit de mener une vie familiale normale ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
16. En l'espèce, les dispositions de l'article 148-5 du code de procédure pénale déclarées contraires à la Constitution, dans sa rédaction contestée, ne sont plus en vigueur. La déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 148-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, est contraire à la Constitution.
Article 2. - L'article 723-6 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, est conforme à la Constitution.
Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 16 de cette décision.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Clinique Saint Cœur et autres [Dépassement d'honoraires dans le cadre de l'activité libérale des praticiens des établissements publics de santé]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 avril 2019 par le Conseil d'État (décision n° 427173 du 12 avril 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la clinique Saint Cœur, la clinique des Grainetières et la Fédération de l'hospitalisation privée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-792 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la santé publique ;
le code de la sécurité sociale ;
l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ratifiée par l'article unique de la loi n° 2017-1487 du 23 octobre 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 mai 2019 ;
les observations présentées pour les parties requérantes par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrées le 22 mai 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 juin 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour les parties requérantes par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrée le 13 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 4° du paragraphe I de l'article L. 6112-2 du code de la santé publique garantit, au sein du service public hospitalier, l'absence de facturation des dépassements d'honoraires et des dépassements des tarifs réglementaires. L'article L. 6154-2 du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 12 janvier 2017 mentionnée ci-dessus, définit les conditions d'exercice de l'activité libérale de certains praticiens des établissements publics de santé. Le dernier alinéa de son paragraphe II prévoit :« Des dispositions réglementaires, qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l'article L. 6112-2, fixent les modalités d'exercice de l'activité libérale ».
2. Les parties requérantes reprochent à ces dispositions de réserver aux praticiens des établissements publics de santé la possibilité d'exercer, au sein de leur établissement, une activité libérale non soumise à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires. Elles soutiennent, en premier lieu, qu'il en résulterait une double différence de traitement, contraire au principe d'égalité devant la loi. La première serait établie entre les patients des établissements publics de santé. Selon qu'ils sont soignés par un praticien exerçant ou non à titre libéral, ces patients ne bénéficieraient pas tous de la garantie d'absence de dépassements d'honoraires. La seconde différence de traitement distinguerait entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier, dans la mesure où seuls les premiers peuvent recruter des médecins autorisés à pratiquer des dépassements d'honoraires dans le cadre de l'exercice d'une activité libérale au sein de l'établissement. Les parties requérantes font valoir, en second lieu, qu'en réservant une telle possibilité de recrutement aux établissements publics de santé, sans l'étendre aux établissements de santé privés, ces dispositions rendraient trop difficile l'habilitation de ces derniers à l'exercice du service public hospitalier. Elles en concluent à une méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l'article L. 6112-2 » figurant au dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. D'une part, en application de l'article L. 6112-3 du code de la santé publique, le service public hospitalier est assuré, notamment, par les établissements publics de santé et, sur leur demande, par les établissements de santé privés habilités par le directeur général de l'agence régionale de santé. Selon le 4° du paragraphe I de l'article L. 6112-2 du même code, les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services l'absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l'autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du paragraphe I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale.
6. D'autre part, en vertu des articles L. 6154-1 et L. 6154-2 du code de la santé publique, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé peuvent être autorisés à exercer, dans leur établissement, une activité libérale.
7. Les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir, en faveur de ces praticiens, des dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires.
8. En premier lieu, lorsqu'ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n'interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier. Le patient accueilli dans un tel établissement peut ainsi bénéficier d'une prestation assurée soit par un praticien exerçant à titre libéral en dehors du cadre du service public hospitalier, sans garantie d'absence de dépassements d'honoraires, soit par un praticien intervenant dans le cadre du service public hospitalier, alors tenu à l'absence de facturation de tels dépassements. À cet égard, le paragraphe II de l'article L. 6154-2 garantit l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique. Les dispositions contestées n'instaurent ainsi aucune différence de traitement entre les patients accueillis dans un établissement public de santé.
9. En second lieu, d'une part, les praticiens publics qui peuvent bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions contestées sont, en raison de leur situation statutaire, tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et universitaires. Il en va différemment des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier, qui n'ont pas nécessairement vocation à y consacrer l'intégralité de leur carrière et qui ne sont pas tenus d'exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ces derniers peuvent donc exercer, dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, d'autres activités médicales, non soumises à l'interdiction de dépassements d'honoraires, dans le cadre de la médecine de ville ou dans un établissement de santé n'assurant pas le service public hospitalier. La différence de traitement contestée, entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés, repose donc sur une différence de situation.
10. D'autre part, la possibilité pour les praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé d'exercer une activité libérale au sein de l'établissement est soumise à plusieurs conditions. Elle ne doit pas entraver l'accomplissement des missions du service public hospitalier. Les praticiens doivent être adhérents à la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins, mentionnée à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, relative à l'encadrement des tarifs. Ils doivent exercer personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public. La durée de l'activité libérale ne doit pas excéder 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints. Le nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale doit être inférieur au nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique. Enfin, aucun lit ni aucune installation médico-technique ne doit être réservé à l'activité libérale. L'exercice, dans de telles conditions, d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé. Il permet ainsi d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé.
11. Dans la mesure où la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires contribue à cette attractivité, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
13. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l'article L. 6112-2 » figurant au dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Époux C. [Majoration de 25 % de l'assiette de l'impôt sur le revenu applicable à des revenus de capitaux mobiliers particuliers]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 avril 2019 par le Conseil d'État (décision n° 428401 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Étienne C. par Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-793 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Me Mossé pour les requérants et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts dans ses rédactions résultant respectivement de la loi du 28 décembre 2011 et de la loi du 29 décembre 2013 mentionnées ci-dessus.
2. L'article 158 du code général des impôts, dans ces rédactions, fixe les règles de détermination des différentes catégories de revenus entrant dans la composition du revenu net global soumis à l'impôt sur le revenu. Son 7 dispose que le montant de certains revenus et charges est, pour le calcul de cet impôt, multiplié par 1,25. Selon le 2° de ce 7, ces dispositions s'appliquent :« Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ».
3. Les requérants reprochent à ces dispositions d'instaurer une majoration d'assiette de 25 % pour l'imposition des revenus distribués résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice et pour l'imposition des rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du code général des impôts. Ils soutiennent, en premier lieu, que cette majoration devrait être considérée comme une sanction ayant le caractère d'une punition, compte tenu de la finalité répressive qu'elle aurait acquise du fait des augmentations successives du barème de l'impôt sur le revenu. En l'absence de toute modulation, l'application systématique de ce coefficient de majoration contreviendrait au principe de légalité des peines. Ils font valoir, en deuxième lieu, que cette majoration d'assiette constituerait, par son application automatique, une présomption irréfragable de culpabilité, au mépris de l'article 9 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen de 1789. Ils invoquent, en dernier lieu, le principe d'égalité devant les charges publiques, qui serait doublement méconnu. D'une part, une distinction injustifiée serait établie entre les titulaires de revenus de capitaux mobiliers soumis à cette majoration d'assiette et les autres titulaires de revenus de capitaux mobiliers. D'autre part, le cumul de l'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des contributions sociales ferait peser sur les revenus soumis à cette assiette majorée une imposition revêtant un caractère confiscatoire.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « c » et les mots « et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice » figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. D'une part, le 7 de l'article 158 du code général des impôts prévoit que, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, le montant de certains revenus et charges est multiplié par 1,25.
7. En vertu des dispositions contestées, cette majoration d'assiette de 25 % s'applique à deux catégories de revenus de capitaux mobiliers perçus par les personnes physiques. Sont ainsi visés les rémunérations et avantages occultes distribués par une société passible de l'impôt sur les sociétés. Sont également visés les revenus réputés distribués par une telle société, au motif qu'ils correspondent soit à des bénéfices ou produits qui n'ont pas été mis en réserve ou incorporés au capital social soit à des sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices, lorsque ces revenus sont réintégrés dans les résultats de la société à la suite d'un contrôle fiscal.
8. D'autre part, cette majoration d'assiette s'applique également, compte tenu de la définition du revenu fiscal de référence prévue au paragraphe IV de l'article 1417 du code général des impôts, pour l'assujettissement de ces deux catégories de revenus à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus prévue à l'article 223 sexies du même code, qui soumet notamment à un taux de 4 % la fraction du revenu fiscal de référence supérieure à 500 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés et à un million d'euros pour les contribuables faisant l'objet d'une imposition commune. En revanche, ainsi qu'il résulte des décisions du Conseil constitutionnel des 10 février et 7 juillet 2017 mentionnées ci-dessus, cette majoration ne s'applique pas pour l'assujettissement des mêmes revenus à la contribution sociale généralisée prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, à la contribution au remboursement de la dette sociale prévue à l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 mentionnée ci-dessus, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine prévu à L. 245-14 du code de la sécurité sociale, à la contribution additionnelle à ce prélèvement social prévue à l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles et au prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts. Le taux global de ces contributions sociales était de 15,5 % au cours des périodes d'imposition en cause.
9. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu soumettre à une imposition plus forte certains revenus de capitaux mobiliers distribués dans des conditions irrégulières ou occultes, afin de dissuader de telles opérations. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. En opérant une distinction selon que les revenus sont distribués à la suite d'une décision régulière des organes compétents de la société ou que les revenus distribués résultent de décisions occultes ou irrégulières et en soumettant seulement ces derniers à la majoration d'assiette contestée, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi. Il n'en résulte aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre les bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers soumis à cette majoration et les autres bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers.
10. En second lieu, pour apprécier l'existence d'une charge excessive au regard des facultés contributives, il convient de prendre en compte l'ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable. En l'occurrence, pour les revenus de capitaux mobiliers visés par les dispositions contestées, il convient de cumuler l'impôt sur le revenu et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, tous deux calculés en fonction d'une assiette majorée de 25 %, ainsi que les contributions sociales, puis de tenir compte de la déductibilité d'une fraction de la contribution sociale généralisée, prévue à l'article 154 quinquies du code général des impôts. Il en résulte que, sous l'empire de l'article 158 dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011, les revenus en cause étaient soumis à un taux marginal maximal d'imposition de 68,9 %. Sous l'empire du même article dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013, ce taux s'établissait à 73,6 %.
11. Ces taux, qui ne s'appliquent qu'à de hauts niveaux de revenus imposables, portent sur des revenus de capitaux mobiliers dissimulés, non spontanément déclarés par le contribuable. Il ne résulte pas de ces taux une charge excessive au regard des facultés contributives des contribuables.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
13. Par ailleurs, la majoration contestée ne constituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés comme inopérants. Dès lors, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La référence « c » et les mots « et aux revenus distribués
mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la
société distributrice » figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général
des impôts, dans ses rédactions résultant respectivement de la loi n°
2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 et de la loi n° 2013-1279
du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Union syndicale des magistrats administratifs et autre [Demande en appréciation de la légalité externe d'une décision administrative non réglementaire]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 mai 2019 par le Conseil d'État (décision n° 427650 du 6 mai 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par l'union syndicale des magistrats administratifs et le syndicat de la juridiction administrative. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-794 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 54 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
le code de la santé publique ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les syndicats requérants par Me Aloïs Ramel, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 29 mai 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ramel pour les syndicats requérants et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 juin 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 54
de la loi du 10 août 2018 mentionnée ci-dessus prévoit :« I. - À titre
expérimental, le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non
réglementaire entrant dans l'une des catégories définies au deuxième alinéa du
présent I peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à
apprécier la légalité externe de cette décision.
« Le premier alinéa du présent I est applicable aux décisions précisées par le
décret en Conseil d'État prévu au V, prises sur le fondement du code de
l'expropriation pour cause d'utilité publique, du code de l'urbanisme ou des
articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique et dont
l'éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions
seraient devenues définitives, à l'appui de conclusions dirigées contre un acte
ultérieur.
« Le premier alinéa n'est pas applicable aux décisions prises par décret.
« II. - La demande en appréciation de régularité est formée dans un délai de
trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en
cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne
ayant intérêt à agir contre cette décision d'intervenir à la procédure.
« La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le
code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires
nécessaires. Elle suspend l'examen des recours dirigés contre la décision en
cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à
l'exclusion des référés prévus au livre V du code de justice administrative.
« Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire. Il se prononce
sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout
motif d'illégalité externe qu'il estime devoir relever d'office, y compris s'il
n'est pas d'ordre public.
« III. - La décision du tribunal n'est pas susceptible d'appel mais peut faire
l'objet d'un pourvoi en cassation.
« Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun
moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d'action
ou par voie d'exception à l'encontre de cette décision.
« Par dérogation à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et
l'administration, l'autorité administrative peut retirer ou abroger la décision
en cause, si elle estime qu'elle est illégale, à tout moment de la procédure et
jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois après que la décision du juge lui a
été notifiée.
« IV. - L'expérimentation est menée, pour une durée de trois ans à compter de la
publication du décret en Conseil d'État prévu au V, dans le ressort des
tribunaux administratifs, au nombre maximal de quatre, désignés par ce décret.
Elle fait l'objet d'une évaluation dans les conditions fixées par le même
décret.
« V. - Un décret en Conseil d'État précise les décisions entrant dans le champ
du deuxième alinéa du I et pouvant faire l'objet d'une demande en appréciation
de régularité, en tenant compte notamment de la multiplicité des contestations
auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu.
« Le décret prévu au premier alinéa du présent V fixe également les modalités
d'application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles les
personnes intéressées sont informées, d'une part, des demandes tendant à
apprécier la régularité d'une décision et de leurs conséquences éventuelles sur
les recours ultérieurs et, d'autre part, des réponses qui sont apportées à ces
demandes par le tribunal ».
2. Les syndicats requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient la séparation des pouvoirs et le principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la compétence de la juridiction administrative dès lors qu'elles conduisent le juge administratif à se prononcer sur la légalité externe d'une décision administrative, à l'initiative de son auteur et en dehors de tout litige. Ils font également valoir que ces dispositions seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où, d'une part, lorsque le juge administratif a constaté la légalité externe de cette décision, aucun vice tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué à son encontre et où, d'autre part, les conditions dans lesquelles le juge administratif apprécie la légalité externe de la décision ne lui permettraient pas d'en relever tous les vices potentiels ni aux personnes éventuellement intéressées de faire valoir leurs arguments. Enfin, les requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître le principe d'impartialité puisque le juge ayant apprécié la légalité externe d'une décision pourrait être conduit à se prononcer ultérieurement sur son bien-fondé.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du paragraphe I et le deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 54 de la loi du 10 août 2018.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
5. Les dispositions contestées prévoient que le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non réglementaire peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à en apprécier la légalité externe, c'est-à-dire le respect des règles de compétence, de forme et de procédure. Lorsque le tribunal constate la légalité externe de cette décision, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué à son encontre, notamment par voie d'exception.
6. Ainsi, les dispositions contestées sont susceptibles de priver les requérants de la faculté d'invoquer certains moyens pour contester une décision administrative non réglementaire définitive s'insérant dans une opération complexe.
7. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu limiter l'incertitude juridique pesant sur certains projets de grande ampleur qui nécessitent l'intervention de plusieurs décisions administratives successives constituant une opération complexe et dont les éventuelles illégalités peuvent être, de ce fait, invoquées jusqu'à la contestation de la décision finale. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
8. En deuxième lieu, cette procédure ne peut porter que sur certaines décisions administratives non réglementaires qui, s'insérant dans une opération complexe, sont prises sur le fondement du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du code de l'urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique. Conformément à l'objectif qu'il a poursuivi, le législateur a prévu que le pouvoir réglementaire détermine les décisions en cause en tenant compte de la multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu.
9. En troisième lieu, la constatation par le tribunal de la légalité externe d'une décision administrative non réglementaire a seulement pour effet de priver un requérant de la possibilité d'invoquer ultérieurement des vices de légalité externe. En revanche, il lui est possible de contester, par voie d'action ou d'exception, la légalité interne de cette décision, c'est-à-dire son bien-fondé.
10. En quatrième lieu, la demande en appréciation de légalité externe est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant un intérêt à agir d'être informée des conséquences éventuelles de cette demande sur les recours ultérieurs et d'intervenir à la procédure.
11. En dernier lieu, le tribunal, saisi de la demande, se prononce sur tous les vices de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif de légalité externe qu'il estime devoir relever d'office, y compris si ce motif n'est pas d'ordre public. À cet égard, il appartient au juge administratif, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des questions qui lui sont soumises, et notamment de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, la communication des documents qui lui permettent d'établir sa conviction.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Par conséquent, ce grief doit être écarté.
- Sur les autres griefs :
13. En premier lieu, le juge saisi d'une demande formée sur le fondement des dispositions contestées ne se prononce que sur les vices relevant de la légalité externe de la décision qui lui est soumise et ne porte aucune appréciation sur son bien-fondé. Dès lors, la circonstance que ce même juge pourrait être saisi ultérieurement de la légalité interne de cette même décision ne porte aucune atteinte au principe d'impartialité garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
14. En second lieu, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier la répartition des compétences entre les ordres juridictionnels administratif et judiciaire. Dès lors et en tout état de cause, manque en fait le grief tiré de la méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République et les organismes placés sous leur autorité ou leur contrôle.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe I et le deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 54 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juin 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Commune de Sainte-Rose et autre [Monopole du ministère public pour l'exercice des poursuites devant les juridictions financières]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 mai 2019 par le Conseil d'État (décision n° 424115 du 10 mai 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune de Sainte-Rose et Mme Claudine B. par la SCP Monod - Colin - Stoclet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-795 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code des juridictions financières ;
la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 ;
la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les requérantes par la SCP Monod - Colin - Stoclet, enregistrées le 29 mai 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 mai 2019 ;
les secondes observations présentées pour les requérantes par la SCP Monod - Colin - Stoclet, enregistrées le 14 juin 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mathieu Stoclet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérantes et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 juin 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 1er juillet 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières dans sa rédaction résultant de la loi du 28 octobre 2008 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
242-1 du code des juridictions financières, dans cette rédaction, prévoit :« I.
- Les rapports d'examen des comptes à fin de jugement ou ceux contenant des
faits soit susceptibles de conduire à une condamnation à l'amende, soit
présomptifs de gestion de fait sont communiqués au représentant du ministère
public près la chambre régionale des comptes.
« II. - Lorsque le ministère public ne relève aucune charge à l'égard d'un
comptable public, il transmet ses conclusions au président de la formation de
jugement ou à son délégué. Celui-ci peut demander un rapport complémentaire.
Lorsque le ministère public ne relève aucune charge après communication de ce
dernier, le président de la formation de jugement ou son délégué rend une
ordonnance déchargeant le comptable de sa gestion.
« Si aucune charge ne subsiste à l'encontre du comptable public au titre de ses
gestions successives et s'il a cessé ses fonctions, quitus lui est donné dans
les mêmes conditions.
« III. - Lorsque le ministère public relève, dans les rapports mentionnés au I
ou au vu des autres informations dont il dispose, un élément susceptible de
conduire à la mise en jeu de la responsabilité personnelle et pécuniaire du
comptable, ou présomptif de gestion de fait, il saisit la formation de jugement.
« La procédure est contradictoire. À leur demande, le comptable et l'ordonnateur
ont accès au dossier.
« Les débats ont lieu en audience publique. Toutefois, le président de la
formation de jugement peut, à titre exceptionnel et après avis du ministère
public, décider que l'audience aura lieu ou se poursuivra hors la présence du
public si la sauvegarde de l'ordre public ou le respect de l'intimité des
personnes ou de secrets protégés par la loi l'exige.
« Le délibéré des juges est secret. Le magistrat chargé de l'instruction et le
représentant du ministère public n'y assistent pas.
« IV. - Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret
en Conseil d'État ».
3. Les requérantes soutiennent que ces dispositions porteraient une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense. Selon elles, en interdisant aux collectivités territoriales victimes d'une erreur du comptable public de soumettre au jugement des chambres régionales des comptes d'autres griefs que ceux retenus par le ministère public, ces dispositions les priveraient de toute possibilité d'exercer un recours auprès des juridictions financières pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Elles font valoir qu'aucun autre mécanisme de mise en jeu de la responsabilité des comptables publics ne serait susceptible de pallier cette absence de recours et que la restriction ainsi apportée au droit des collectivités territoriales d'obtenir réparation de leur préjudice ne serait pas justifiée. Elles estiment, pour les mêmes raisons, que ces dispositions porteraient atteinte au droit de propriété des collectivités en cause.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « il saisit la formation de jugement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières.
5. Aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
6. L'article 60 de la loi du 23 février 1963 mentionnée ci-dessus instaure, dans l'intérêt de l'ordre public financier, un régime spécial de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics devant les juridictions financières, dès lors qu'est constaté un déficit, une recette non recouvrée ou une dépense irrégulièrement payée. Dans ce cadre, les dispositions contestées confient au ministère public le monopole des poursuites des comptables publics devant les chambres régionales des comptes. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que, ce faisant, elles font obstacle à ce qu'une collectivité publique puisse contester devant l'une de ces juridictions les manquements du comptable lui ayant causé un préjudice lorsque de tels manquements n'ont pas été visés dans le réquisitoire du ministère public.
7. Toutefois, en premier lieu, même si ce régime spécial de responsabilité des comptables publics peut conduire à l'indemnisation des préjudices subis par les collectivités publiques, son objet principal est, dans l'intérêt de l'ordre public financier, de garantir la régularité des comptes publics. Au vu de cet objet, il était loisible au législateur de confier au ministère public près les juridictions financières un monopole des poursuites en la matière.
8. En second lieu, le législateur a expressément prévu à l'article 60 de la loi du 23 février 1963 que ce régime spécial de responsabilité n'est pas exclusif de la responsabilité des mêmes comptables attachée à leur qualité d'agent public. Dès lors, les collectivités publiques victimes d'une faute du comptable ont la possibilité, si le ministère public près les juridictions financières n'a pas entendu saisir la chambre régionale des comptes de cette faute et de toutes ses conséquences, d'agir en responsabilité, selon les voies du droit commun, contre l'État ou contre le comptable lui-même.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas d'atteinte disproportionnée au droit des collectivités publiques victimes d'obtenir réparation de leur préjudice ni au droit à un recours juridictionnel effectif.
10. Ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense et le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « il saisit la formation de jugement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 242-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 juillet 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Autolille [Annulation des réductions ou exonérations des cotisations et contributions sociales des donneurs d'ordre en cas de travail dissimulé]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mai 2019 par le Conseil d'État (décision n° 428206 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Autolille par Mes Stéphane Austry et Dov Milsztajn, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-796 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la sécurité sociale ;
le code du travail ;
la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;
la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 mai 2019 ;
les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 31 mai 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 mai 2019 ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 12 juin 2019 ;
les secondes observations présentées pour l'agence centrale des organismes de sécurité sociale par Me Gatineau, enregistrées le 13 juin 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Austry et Milsztajn, pour la société requérante, Me Gatineau, pour la partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 juin 2019 ;
**Au vu de la note en délibéré présentée pour la société requérante par Mes Austry et Milsztajn, enregistrées le 26 juin 2019 ; **
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L.
133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du
17 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une des
obligations définies à l'article L. 8222-1 du code du travail et que son
cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé par
dissimulation d'activité ou d'emploi salarié, l'organisme de recouvrement
procède à l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou
contributions dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations
versées à ses salariés. Le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage encourt la
même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu'il est constaté qu'il a manqué
à l'obligation mentionnée à l'article L. 8222-5 du code du travail.
« L'annulation s'applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions
mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est
calculée selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas de l'article L.
133-4-2, sans que son montant global puisse excéder 15 000 € pour une personne
physique et 75 000 € pour une personne morale.
« Les modalités d'application du présent article, en particulier la manière dont
est assuré le respect du principe du contradictoire, sont déterminées par décret
en Conseil d'État ».
2. La société requérante soutient en premier lieu que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. En effet, elles privent le donneur d'ordre des exonérations et réductions de cotisations sociales dont il a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés dès lors qu'il n'a pas respecté ses obligations de vigilance et de diligence à l'égard de son cocontractant, qui s'est rendu coupable d'un travail dissimulé. Ce faisant, le législateur aurait institué une sanction fondée sur une assiette dépourvue de lien avec le comportement sanctionné. La disproportion de cette sanction résulterait également de l'absence de caractère intentionnel du comportement réprimé. La société requérante se prévaut en second lieu du principe d'égalité devant la loi, alléguant une différence de traitement non justifiée entre donneurs d'ordre, selon leur nombre de salariés alors pourtant que leur cocontractant a commis dans les mêmes proportions l'infraction de travail dissimulé.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines :
3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
4. D'une part, l'article L. 8222-1 du code du travail impose, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, de vérifier que son cocontractant s'acquitte des formalités dont l'omission caractérise le délit de travail dissimulé. Cette obligation se poursuit périodiquement lors de l'exécution du contrat. D'autre part, en vertu de l'article L. 8222-5 du même code, le donneur d'ordre est tenu d'enjoindre aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai la situation de travail dissimulé dont il aura préalablement été informé.
5. Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une de ces obligations et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé, les dispositions contestées prévoient de sanctionner le donneur d'ordre. Cette sanction, qui présente le caractère d'une punition, consiste en l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions sociales dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés.
6. En premier lieu, les dispositions contestées répriment des manquements par un donneur d'ordre à ses obligations de vigilance ou de diligence dont l'effet est de faciliter la réalisation du travail dissimulé par son cocontractant ou de contribuer à celle-ci. En prévoyant que le donneur d'ordre est, dans cette hypothèse, privé des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont il a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés, le législateur a entendu lutter contre le travail dissimulé tout en responsabilisant spécifiquement les donneurs d'ordre bénéficiant de telles réductions ou exonérations. Il a entendu tenir compte des liens économiques entre les cocontractants résultant du recours à la sous-traitance.
7. En deuxième lieu, la sanction contestée est plafonnée à un montant de 15 000 euros pour une personne physique et de 75 000 euros pour une personne morale, quel que soit le montant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dues aux organismes de sécurité sociale obtenues par le donneur d'ordre.
8. En dernier lieu, l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, précise que, lorsque les rémunérations dissimulées au cours du mois sont inférieures à la rémunération mensuelle minimale prévue par la loi, l'annulation des réductions et exonérations est réduite à due proportion en leur appliquant un coefficient égal au rapport entre les rémunérations dues ou versées en contrepartie du travail dissimulé et la rémunération mensuelle minimale. En outre, cette annulation ne s'applique que pour chacun des mois au cours desquels le cocontractant a exercé un travail dissimulé. La sanction prononcée est donc modulée en fonction de l'ampleur et de la durée du travail dissimulé que le manquement sanctionné a pu faciliter.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le législateur a retenu une sanction en adéquation avec l'objectif poursuivi et qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
10. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
11. Les dispositions contestées prévoient une sanction identique, dans son principe, pour tout donneur d'ordre ayant manqué à ses obligations de diligence et de vigilance en matière de travail dissimulé à l'égard de son cocontractant, sans distinguer entre les donneurs d'ordre selon le montant des réductions ou exonérations dont ils ont bénéficié pour l'emploi de leurs salariés. Le législateur n'ayant ainsi institué aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
12. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 juillet 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Unicef France et autres [Création d'un fichier des ressortissants étrangers se déclarant mineurs non accompagnés]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 mai 2019 par le Conseil d'État (décision nos 428478 et 428826 du 15 mai 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations Unicef France, Convention nationale des associations de protection de l'enfance, Défense des enfants international - France, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Secours catholique, Fédération des acteurs de la solidarité, Cimade, Gisti, Fédération des associations de solidarité avec tous les immigrés, Ligue des droits de l'homme, Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, Fédération de l'entraide protestante, Association nationale des assistants de service social et Avocats pour la défense des droits des étrangers, pour la fondation de l'Armée du salut et pour le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et l'union syndicale Solidaires, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, ainsi que pour le Conseil national des barreaux par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-797 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le Conseil national des barreaux, partie requérante, par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 6 juin 2019 ;
les observations présentées pour Unicef France et les autres parties requérantes par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 7 juin 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour les associations Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne et Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples par Me Anita Bouix, avocate au barreau de Toulouse, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour l'association Hors la rue par Me Hélène Martin-Cambon, avocate au barreau de Toulouse, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour l'association La quadrature du net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour les associations, fondation et syndicats requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 24 juin 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association Hors la rue par Me Martin-Cambon, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Unicef France et dix-huit autres parties requérantes, Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Conseil national des barreaux, partie requérante, Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour La quadrature du net, partie intervenante, Me Martin-Cambon, pour Hors la rue, partie intervenante, Me Bouix, pour la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 juillet 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L.
611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit
:« Afin de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre
l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, les empreintes
digitales ainsi qu'une photographie des ressortissants étrangers se déclarant
mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille
peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé
dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Le traitement de données ne comporte pas de dispositif de reconnaissance
faciale à partir de la photographie.
« Les données peuvent être relevées dès que la personne se déclare mineure. La
conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée
strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant
compte de leur situation personnelle.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis publié et motivé de la Commission
nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du
présent article. Il précise la durée de conservation des données enregistrées et
les conditions de leur mise à jour, les catégories de personnes pouvant y
accéder ou en être destinataires ainsi que les modalités d'exercice des droits
des personnes concernées ».
2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutiennent que ces dispositions, qui instaurent un fichier des étrangers se déclarant mineurs, porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et au droit au respect de la vie privée. En premier lieu, ils critiquent l'absence de définition de la notion de « personnes reconnues mineures » qui rendrait possible que, sur la base d'une évaluation administrative erronée de l'âge de l'intéressé, ce dernier fasse l'objet d'une mesure d'éloignement en dépit de sa minorité. Il résulterait également de cette absence de définition une atteinte à la présomption de minorité qui découlerait de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. En deuxième lieu, les requérants relèvent que, en ne limitant pas l'objet du traitement automatisé à la seule finalité de protection de l'enfance, le législateur n'aurait pas exclu la réutilisation des données aux fins de lutte contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France. En dernier lieu, les requérants font valoir que le législateur n'aurait pas suffisamment encadré les conditions de conservation des données personnelles et les conséquences susceptibles d'être tirées d'un refus opposé au recueil de ces données. Par ailleurs, une des parties requérantes fait valoir que le droit à un recours juridictionnel effectif serait méconnu au motif que l'exercice d'un recours contre la décision déclarant une personne majeure ne ferait pas obstacle à son éloignement. Pour les mêmes raisons, ces dispositions seraient aussi entachées d'une incompétence négative de nature à porter atteinte aux exigences constitutionnelles mentionnées ci-dessus.
3. Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Il en résulte une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant. Cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge. Il s'ensuit que les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.
4. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
5. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière qui participe de la sauvegarde de l'ordre public, objectif de valeur constitutionnelle, et le droit au respect de la vie privée.
6. Les dispositions contestées créent un traitement automatisé comportant les empreintes digitales et la photographie des ressortissants étrangers qui se déclarent mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Ces données peuvent être recueillies dès que l'étranger sollicite une protection en qualité de mineur. Dans un tel cas, la collecte, l'enregistrement et la conservation des empreintes digitales et de la photographie d'un étranger permet aux autorités chargées d'évaluer son âge de vérifier qu'une telle évaluation n'a pas déjà été conduite.
7. En premier lieu, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu et aux protections attachées à la qualité de mineur, notamment celles interdisant les mesures d'éloignement et permettant de contester devant un juge l'évaluation réalisée. À cet égard, la majorité d'un individu ne saurait être déduite ni de son refus opposé au recueil de ses empreintes ni de la seule constatation, par une autorité chargée d'évaluer son âge, qu'il est déjà enregistré dans le fichier en cause ou dans un autre fichier alimenté par les données de celui-ci. Elles ne méconnaissent pas l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.
8. En second lieu, en évitant la réitération par des personnes majeures de demandes de protection qui ont déjà donné lieu à une décision de refus, le traitement automatisé mis en place par les dispositions contestées vise à faciliter l'action des autorités en charge de la protection des mineurs et à lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France. Ce faisant, et alors qu'aucune norme constitutionnelle ne s'oppose par principe à ce qu'un traitement automatisé poursuive plusieurs finalités, le législateur a, en adoptant les dispositions contestées, entendu mettre en œuvre l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l'immigration irrégulière.
9. Par ailleurs, les dispositions contestées prévoient le recueil, l'enregistrement et le traitement des empreintes digitales et de la photographie des ressortissants étrangers qui sollicitent le bénéfice des dispositifs de protection de l'enfance et excluent tout dispositif de reconnaissance faciale. Ainsi, les données recueillies sont celles nécessaires à l'identification de la personne et à la vérification de ce qu'elle n'a pas déjà fait l'objet d'une évaluation de son âge.
10. Enfin, d'une part, les dispositions contestées prévoient que la conservation des données des personnes reconnues mineures est limitée à la durée strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle. D'autre part, le fichier instauré par les dispositions contestées est mis en œuvre dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus.
11. Il résulte de ce qui précède que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a opéré entre la sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée une conciliation qui n'est pas disproportionnée.
12. Par suite, l'article L. 611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'est pas entaché d'incompétence négative et ne méconnaît pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 juillet 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Windy B. [Compétence de l'agence française de lutte contre le dopage pour prononcer des sanctions disciplinaires à l'égard des personnes non licenciées]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 mai 2019 par le Conseil d'État (décision n° 426461 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Windy B. par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-798 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l'article L. 232-22 du code du sport.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code du sport ;
l'ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage ;
l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, ratifiée par l'article 221 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
l'ordonnance n° 2018-603 du 11 juillet 2018 relative à la procédure disciplinaire devant l'Agence française de lutte contre le dopage ;
la décision du Conseil d'État n° 332045 du 25 mai 2010 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées le 7 juin 2019 ;
les observations présentées pour l'agence française de lutte contre le dopage, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Matuchansky - Poupot - Valdelièvre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 13 juin 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées le 25 juin 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 juillet 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Aux termes de l'article 1er de sa décision du 27 mai 2019 mentionnée ci-dessus, le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions du 1° de l'article L. 232-22 du code du sport, « dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et la mise en conformité du code du sport avec les principes du code mondial antidopage ». Toutefois, il résulte de l'extrait de cet article cité au point 3 de cette même décision que la « rédaction applicable au litige », sur laquelle le Conseil d'État a fondé son examen, est celle résultant de l'ordonnance du 30 septembre 2015 mentionnée ci-dessus. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 1° de l'article L. 232-22 du code du sport dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 30 septembre 2015.
2. Le 1° de
l'article L. 232-22 du code du sport, dans cette rédaction, prévoit, à propos de
l'agence française de lutte contre le dopage :« 1° Elle est compétente pour
infliger des sanctions disciplinaires aux personnes non licenciées :
« a) Participant à des manifestations ou entraînements mentionnés aux 2° ou 3°
du I de l'article L. 232-5 ;
« b) Organisant ou participant à l'organisation des manifestations ou
entraînements mentionnés aux 2° ou 3° du I de l'article L. 232-5 ».
3. Selon le requérant, ces dispositions permettent à l'agence française de lutte contre le dopage de prononcer des sanctions à l'encontre de sportifs non licenciés au terme d'une procédure qui ne garantirait pas la séparation entre les fonctions de poursuite et les fonctions de jugement. Il en résulterait une violation des principes d'impartialité et d'indépendance protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. Ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative ou publique indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
6. L'agence française de lutte contre le dopage, instituée par l'article L. 232-5 du code du sport, est une autorité publique indépendante chargée de définir et de mettre en œuvre les actions de lutte contre le dopage. Selon l'article L. 232-6 du même code, le collège de cette agence est composé de neuf membres nommés pour six ans.
7. En application des dispositions contestées, l'agence française de lutte contre le dopage est compétente pour sanctionner les infractions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 232-22 du code du sport, commises par les personnes non licenciées d'une fédération sportive, qui participent à certaines manifestations sportives ou entraînements ou qui organisent ou participent à l'organisation de ces manifestations et entraînements.
8. Selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, telle qu'elle ressort de la décision du 25 mai 2010 mentionnée ci-dessus, dans le cas où un sportif, qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire à raison de faits commis alors qu'il était licencié d'une fédération, a cessé d'être licencié par cette fédération à la date à laquelle les organes de la fédération devraient se prononcer, le dossier est transmis à l'agence française de lutte contre le dopage, seule compétente en vertu du 1° de l'article L. 232-22 du code du sport pour exercer le pouvoir disciplinaire à l'égard de ce sportif.
9. Ainsi, dans une telle situation, l'agence française de lutte contre le dopage se prononce sur les sanctions éventuelles après que les poursuites ont été engagées par une fédération. Il n'en résulte donc aucune confusion entre les fonctions de poursuite et de jugement.
10. En revanche, dans les autres situations, dans lesquelles les poursuites sont engagées par l'agence française de lutte contre le dopage elle-même, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'opèrent de séparation, au sein de cette agence, entre les fonctions de poursuite des éventuels manquements commis par les personnes non licenciées et les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Il en résulte que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'impartialité.
11. Par conséquent, le 1° de l'article L. 232-22 du code du sport doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, en premier lieu, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
14. En second lieu, depuis le 1er septembre 2018, en application de l'ordonnance du 11 juillet 2018 mentionnée ci-dessus, il résulte des articles L. 232-5-1, L. 232-22 et L. 232-23 du code du sport que l'agence française de lutte contre le dopage comprend un collège, compétent pour engager les poursuites, et une commission des sanctions, chargée de prononcer les sanctions. Le dixième alinéa de l'article L. 232-7-2 du même code prévoit que les « fonctions de membre de la commission des sanctions sont incompatibles avec celles de membre du collège ». À titre de mesure transitoire, le second alinéa de l'article 15 de la même ordonnance dispose que, lorsque des griefs notifiés par l'agence n'ont pas encore, au 1er septembre 2018, « donné lieu à décision de son collège, la commission des sanctions de l'agence est saisie du dossier en l'état. La notification des griefs est réputée avoir été transmise par le collège à la commission des sanctions ». Ces dispositions garantissent que les personnes poursuivies ne seront pas jugées par celles qui ont exercé les poursuites ni par des personnes qui en dépendraient. Dès lors, il y a lieu de juger que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut être invoquée dans les instances dans lesquelles des griefs ont été notifiés par l'agence française de lutte contre le dopage sur le fondement des dispositions contestées sans avoir donné lieu à décision de son collège au 1er septembre 2018, instances pour lesquelles la commission des sanctions de l'agence est saisie du dossier en application de l'article 15 de l'ordonnance du 11 juillet 2018.
15. En revanche, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances relatives à une sanction prononcée sur le fondement des dispositions contestées avant la publication de la présente décision et non définitivement jugées à cette date, à l'exception des instances relatives à des sanctions prononcées par l'agence à la suite de poursuites engagées par une fédération sportive dans les conditions énoncées au paragraphe 8.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le 1° de l'article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 13 à 15 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 juillet 2019 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Alaitz A. et autre [Conditions de la libération conditionnelle pour les étrangers condamnés pour terrorisme]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juin 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 1228 et 1229 du 5 juin 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été respectivement posées pour Mme Alaitz A. par Me Maritxu Paulus Basurco, avocate au barreau de Bayonne, et pour M. Hussen A. par Me Caroline Goussé, avocate au barreau de Paris. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2019-799 QPC et 2019-800 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Mes Paulus Basurco et Goussé, pour les parties requérantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23 juillet 2019 ;
Au vu des pièces suivantes :
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article
730-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin
2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque la personne a été condamnée à une
peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux
articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l'exclusion de celles définies aux
articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code, la libération conditionnelle ne peut
être accordée :
« 1° Que par le tribunal de l'application des peines, quelle que soit la durée
de la peine de détention restant à exécuter ;
« 2° Qu'après avis d'une commission chargée de procéder à une évaluation
pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée.
« Le tribunal de l'application des peines peut s'opposer à la libération
conditionnelle si cette libération est susceptible de causer un trouble grave à
l'ordre public.
« Lorsque la libération conditionnelle n'est pas assortie d'un placement sous
surveillance électronique mobile, elle ne peut être accordée qu'après
l'exécution, à titre probatoire, d'une mesure de semi-liberté, de placement à
l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période
d'un an à trois ans. Cette mesure ne peut être exécutée avant la fin du temps
d'épreuve prévu à l'article 729 du présent code.
« Un décret précise les conditions d'application du présent article ».
3. Selon les requérants, rejoints par la partie intervenante, ces dispositions méconnaîtraient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines. En effet, elles imposent aux personnes condamnées pour certaines infractions terroristes d'accomplir, pour bénéficier d'une libération conditionnelle, certaines mesures probatoires. Or, les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire ou d'une interdiction du territoire n'étant pas éligibles à de telles mesures probatoires, ils seraient, selon les requérants, privés de toute possibilité d'obtenir une libération conditionnelle, ce qui rendrait incompressible, même en cas de réclusion criminelle à perpétuité, la peine à laquelle ils ont été condamnés. Il en résulterait également, selon eux, une atteinte à un principe de réinsertion qui découlerait de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et une violation du principe d'individualisation des peines et du principe de sauvegarde de la dignité humaine. L'une des parties requérantes dénonce également les différences de traitement inconstitutionnelles qui seraient ainsi instaurées entre les condamnés étrangers selon la nature de l'infraction pour laquelle ils ont été condamnés et selon qu'ils font ou non l'objet d'une mesure d'éloignement ou d'interdiction du territoire national.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le cinquième alinéa de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
5. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. À ce titre, il est notamment tenu compte du régime juridique d'exécution de cette peine.
6. L'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion.
7. En application de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale, l'octroi d'une libération conditionnelle à une personne condamnée à une peine privative de liberté pour des faits de terrorisme autres que la provocation, l'apologie ou l'entrave au blocage de sites internet terroristes est subordonné, lorsqu'elle n'est pas assortie d'un placement sous surveillance électronique mobile, à l'exécution préalable, à titre probatoire, d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d'un an à trois ans. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que ces dispositions font obstacle, pour les condamnés étrangers sous le coup d'une décision d'éloignement du territoire, telle qu'une expulsion ou une interdiction du territoire français, à toute mesure de libération conditionnelle, dès lors que l'exécution de mesures probatoires est incompatible avec la décision d'éloignement du territoire.
8. Dès lors que les dispositions contestées ont pour conséquence de priver les personnes en cause de toute possibilité d'aménagement de leur peine, en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines.
9. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le cinquième alinéa de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de dispenser toutes les personnes condamnées pour certains faits de terrorisme de l'obligation, prévue par le législateur, d'accomplir des mesures probatoires avant de pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le cinquième alinéa de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 septembre. 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 6 septembre 2019.
M. Jean-Claude F. [Notes d'audience établies par le greffier lors des débats devant le tribunal correctionnel]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 juin 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1431 du 25 juin 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Claude F. par Mes Dominique Dumoulin et Jean-Paul Le Moigne, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-801 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 453 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
l'ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale, prise sur le fondement de l'ancien article 92 de la Constitution ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées par M. Bernard K., enregistrées le 8 juillet 2019 ;
les observations présentées pour le requérant par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 juillet 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées par M. Bernard K., enregistrées le 22 juillet 2019 ;
les secondes observations présentées pour le requérant par Mes Dumoulin et Le Moigne, enregistrées le 5 août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Dumoulin et Le Moigne pour le requérant et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 septembre 2019;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 453
du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23
décembre 1958 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le greffier tient note du déroulement des débats et principalement, sous la
direction du président, des déclarations des témoins ainsi que des réponses du
prévenu.
« Les notes d'audience sont signées par le greffier. Elles sont visées par le
président, au plus tard dans les trois jours qui suivent chaque audience ».
2. Le requérant, rejoint en cela par l'intervenant, soutient que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable et les droits de la défense. En effet, dans la mesure où elles n'imposent pas au greffier de retranscrire intégralement les débats qui se déroulent lors d'une audience devant le tribunal correctionnel, le prévenu serait dans l'impossibilité de démontrer que le procès ne s'est pas déroulé dans le respect des formes prescrites. Par ailleurs, le requérant soutient que ces dispositions violeraient également les principes d'égalité devant la justice et devant la loi. D'une part, le choix des propos faisant l'objet d'une transcription dans les notes d'audience serait soumis à la subjectivité du greffier et du président de la juridiction, créant ainsi une situation inégalitaire entre les justiciables. D'autre part, dès lors que la cour d'assises, devant laquelle des règles distinctes s'appliquent pour les notes d'audience, est compétente pour juger des faits de nature correctionnelle en application du principe de plénitude de juridiction, il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre des personnes poursuivies pour des délits selon que ces derniers sont jugés par un tribunal correctionnel ou par une cour d'assises. Il en serait de même, s'agissant de personnes ayant commis des faits de nature criminelle, selon que ces faits sont renvoyés devant la cour d'assises ou font l'objet d'une correctionnalisation.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 453 du code de procédure pénale.
4. En premier lieu, selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition les droits de la défense et le droit à un procès équitable.
5. Les dispositions contestées prévoient qu'il appartient au greffier, lors de l'audience devant le tribunal correctionnel, de tenir des notes rendant compte du déroulement des débats et, principalement, des déclarations des témoins et des réponses de la personne prévenue. Si certaines mentions relatives au déroulement de l'audience doivent également figurer dans ces notes en application de plusieurs dispositions du code de procédure pénale, aucune disposition légale n'impose une retranscription intégrale des débats tenus lors de l'audience.
6. Toutefois, d'une part, toute partie à une audience correctionnelle peut établir par tout moyen la preuve de l'irrégularité de la procédure suivie lors de cette audience correctionnelle, le cas échéant par la voie de l'inscription de faux. D'autre part, l'article 459 du code de procédure pénale permet de déposer devant le tribunal correctionnel des conclusions faisant état d'une telle irrégularité. Selon ce même article, le dépôt de ces conclusions est obligatoirement mentionné dans les notes d'audience et le tribunal est tenu d'y répondre dans son jugement. En outre, les parties à l'audience peuvent demander auprès du président du tribunal correctionnel qu'il leur soit donné acte dans les notes d'audience de propos tenus ou d'incidents.
7. Dès lors, il ne résulte pas des dispositions contestées l'impossibilité pour une partie d'apporter la preuve de l'existence d'une irrégularité ayant affecté le déroulement d'une audience correctionnelle. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à un procès équitable et des droits de la défense doivent en conséquence être écartés.
8. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles de l'article 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
9. D'une part, les dispositions contestées n'instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement dans la tenue des notes d'audience entre les personnes poursuivies devant le tribunal correctionnel. D'autre part, le fait qu'une personne puisse être jugée pour un délit par la cour d'assises ou pour un crime requalifié en délit jugé par le tribunal correctionnel ne résulte pas des dispositions contestées. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit donc être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa de l'article 453 du code de procédure pénale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 453 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 septembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Abdelnour B. [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d'audiences relatives au contentieux de la détention provisoire]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 juin 2019 par la Cour de cassation (arrêt n° 1484 du 26 juin 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Abdelnour B., par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-802 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
l'ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d'enquête européenne en matière pénale ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées pour le syndicat des avocats de France par Me Amélie Morineau, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 16 juillet 2019 ;
les observations en intervention présentées pour le syndicat de la magistrature par Me Maxime Cessieux, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 18 juillet 2019 ;
les observations en intervention présentées pour la ligue des droits de l'homme et la section française de l'observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations présentées pour le requérant par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, enregistrées le 19 juillet 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour l'association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux et la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux et la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 31 juillet 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Morineau, pour le syndicat des avocats de France, Me Cessieux, pour le syndicat de la magistrature, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la ligue des droits de l'homme et la section française de l'observatoire international des prisons, Me Henri Leclerc, avocat au barreau de Paris, pour l'association des avocats pénalistes, Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Conseil national des barreaux et la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 septembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du troisième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 1er décembre 2016 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 706-71 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, fixe les conditions de recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle dans le cadre d'une procédure pénale. Son troisième alinéa prévoit :« Ces dispositions sont également applicables à l'audition ou à l'interrogatoire par un juge d'instruction d'une personne détenue, au débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d'une personne détenue pour une autre cause, au débat contradictoire prévu pour la prolongation de la détention provisoire, aux audiences relatives au contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement, à l'interrogatoire de l'accusé par le président de la cour d'assises en application de l'article 272, à la comparution d'une personne à l'audience au cours de laquelle est rendu un jugement ou un arrêt qui avait été mis en délibéré ou au cours de laquelle il est statué sur les seuls intérêts civils, à l'interrogatoire par le procureur ou le procureur général d'une personne arrêtée en vertu d'un mandat d'amener, d'un mandat d'arrêt, d'un mandat d'arrêt européen, d'une demande d'arrestation provisoire, d'une demande d'extradition ou d'une demande d'arrestation aux fins de remise, à la présentation au juge des libertés et de la détention, au premier président de la cour d'appel ou au magistrat désigné par lui en application des articles 627-5, 695-28, 696-11 et 696-23 si la personne est détenue pour une autre cause, ou à l'interrogatoire du prévenu devant le tribunal de police si celui-ci est détenu pour une autre cause. Lorsqu'il s'agit d'une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé, refuser l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion ».
3. Selon le requérant, rejoint par les parties intervenantes, faute de prévoir que le détenu qui a déposé une demande de mise en liberté puisse s'opposer à ce que son audition devant la chambre de l'instruction ait lieu par visioconférence, ces dispositions porteraient atteinte aux droits de la défense et au droit, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge. Il fait également valoir que les garanties encadrant le recours à la visioconférence seraient insuffisantes. Il soutient en outre que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et l'article 34 de la Constitution, en raison de l'absence de critères précis permettant de déterminer les cas dans lesquels le recours à la visioconférence peut être imposé à la personne détenue. Par ailleurs, certains intervenants reprochent à ces dispositions de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, le principe d'égalité devant la justice et l'indépendance de l'autorité judiciaire.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « la chambre de l'instruction » figurant à la première phrase du troisième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.
6. Les dispositions contestées fixent les conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de la chambre de l'instruction relatives au contentieux de la détention provisoire.
7. En premier lieu, en vertu de l'article 148 du code de procédure pénale, une personne placée en détention provisoire peut demander sa mise en liberté à tout moment. La chambre de l'instruction peut être saisie d'une telle demande soit par voie d'appel, soit directement, si le juge des libertés et de la détention saisi de la demande n'a pas statué dans le délai qui lui était imparti ou si la personne détenue n'a pas été entendue depuis plus de quatre mois par le juge d'instruction. Conformément à l'article 199 du même code, lorsque la chambre de l'instruction est ainsi saisie, la comparution personnelle de l'intéressé est de droit s'il le demande. Il en découle que la chambre de l'instruction est susceptible d'être saisie, par une même personne, de nombreuses demandes de mise en liberté successives, accompagnées d'une demande de comparution personnelle, qui impliquent alors l'organisation d'autant d'extractions de l'intéressé lorsqu'il n'est pas recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle.
8. Si le sixième alinéa de l'article 199 permet au président de la chambre de l'instruction, saisie en appel, de refuser cette comparution, lorsque l'intéressé a déjà comparu personnellement devant cette chambre moins de quatre mois auparavant, il s'agit d'une simple faculté à laquelle le président peut renoncer s'il estime nécessaire d'entendre la personne détenue, notamment par un moyen de télécommunication audiovisuelle.
9. Dès lors, en prévoyant que, lorsque l'audience porte sur une demande de mise en liberté, l'intéressé ne peut s'opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle, les dispositions contestées visent à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Elles contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics.
10. En second lieu, d'une part, la décision de recourir ou non à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour assurer la comparution personnelle de la personne qui a formé une demande de mise en liberté appartient au juge. Celui-ci peut donc toujours privilégier la comparution physique de l'intéressé devant lui s'il l'estime nécessaire.
11. D'autre part, en vertu de l'article 706-71 du code de procédure pénale, en cas de recours à un tel moyen, l'avocat de la personne placée en détention provisoire, comme l'interprète, choisit de se trouver auprès de la juridiction ou auprès de l'intéressé. Dans le premier cas, l'avocat doit pouvoir s'entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le même procédé audiovisuel. Dans le second cas, une copie de l'intégralité du dossier est mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie lui en a déjà été remise. Par ailleurs, la communication doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations.
12. Enfin, en dehors des cas où le transport de la personne détenue paraît devoir être évité en raison de risques graves de troubles à l'ordre public ou d'évasion, l'intéressé a le droit de s'opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lorsqu'il est statué sur son placement en détention provisoire ou sur la prolongation de cette détention. Cette faculté lui garantit donc la possibilité d'être présenté physiquement devant la chambre de l'instruction appelée à statuer sur sa détention provisoire, dès le début de sa détention, puis à intervalles réguliers, tous les quatre mois en matière délictuelle et tous les six mois en matière criminelle, à chaque prolongation de celle-ci.
13. Toutefois, par exception, en matière criminelle, en application de l'article 145-2 du code de procédure pénale, la première prolongation de la détention provisoire peut n'intervenir qu'à l'issue d'une durée d'une année. Il en résulte qu'une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire. Pour ce motif, eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique de l'intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce le recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense.
14. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
16. D'une part, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
17. D'autre part, la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « la chambre de l'instruction » figurant à la première phrase du troisième alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d'enquête européenne en matière pénale, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 16 et 17 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 septembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Fabienne V. [Mise en mouvement de l'action publique en cas d'infraction commise par un militaire lors d'une opération extérieure]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 juin 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1568 du 26 juin 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Fabienne V. par Me Élodie Maumont, avocate au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-803 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de procédure pénale ;
la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par Me Maumont, enregistrées le 8 juillet 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 juillet 2019 ;
les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Maumont pour la requérante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 septembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 698-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, est relatif à la poursuite des infractions commises par des militaires en temps de paix. Son premier alinéa dispose que, pour ces infractions, la partie lésée peut mettre en mouvement l'action publique en portant plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Son second alinéa prévoit :« Toutefois, l'action publique ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République lorsqu'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer ».
2. La requérante reproche à ces dispositions de conférer au procureur de la République un monopole pour mettre en mouvement l'action publique à l'égard de toute infraction commise par un militaire en opération hors du territoire national. D'une part, en privant les victimes d'une telle infraction de la possibilité de déclencher elles-mêmes l'action publique en se constituant partie civile, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif. D'autre part, elles institueraient une distinction injustifiée entre victimes, selon que l'infraction est commise à l'étranger ou en France et selon qu'elle est commise, à l'étranger, par un militaire ou un civil. Il en résulterait une violation du principe d'égalité devant la justice.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
4. Les dispositions contestées réservent au ministère public la mise en mouvement de l'action publique à l'égard de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises. Elles font donc obstacle à la mise en mouvement de l'action publique par une personne qui se prétend lésée par une infraction commise dans un tel cadre.
5. Toutefois, même en l'absence d'engagement de poursuites par le ministère public, les dispositions contestées ne privent pas la partie lésée de la possibilité d'obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits commis par le militaire devant, selon le cas, le juge administratif ou le juge civil.
6. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice :
7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles de l'article 16 de la Déclaration de 1789 que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
8. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter le risque de poursuites pénales abusives, de nature à déstabiliser l'action militaire de la France à l'étranger. À cette fin, il a confié au procureur de la République un monopole de poursuites circonscrit aux faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises.
9. Ce faisant, le législateur a tenu compte de la spécificité de ces opérations et n'a pas instauré de discrimination injustifiée entre, d'une part, les victimes d'infractions commises par un militaire dans l'accomplissement de sa mission lors de telles opérations et, d'autre part, les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l'étranger par un civil.
10. En outre, les victimes des infractions visées par les dispositions contestées peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces infractions, dans les conditions énoncées au paragraphe 5 de la présente décision. Elles peuvent également, dans le cas où l'action publique a été mise en mouvement par le procureur de la République, se constituer partie civile au cours de l'instruction ou à l'audience devant la juridiction de jugement. Leur sont ainsi assurées des garanties équivalentes pour la protection de leurs intérêts.
11. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.
12. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le second alinéa de l'article 698-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Association française des entreprises privées [Dénonciation obligatoire au procureur de la République de certains faits de fraude fiscale]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision n° 429742 du 1er juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Association française des entreprises privées par Mes Stéphane Austry et Sarah Dardour-Attali, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, et Me Gauthier Blanluet, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-804 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le livre des procédures fiscales ;
la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour l'association requérante par Mes Austry, Blanluet et Dardour-Attali, enregistrées le 23 juillet 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 juillet 2019 ;
les secondes observations présentées pour l'association requérante par Mes Austry, Blanluet et Dardour-Attali, enregistrées le 1er août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Austry et Blanluet pour l'association requérante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 septembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L.
228 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi du
23 octobre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Sans préjudice des plaintes dont elle prend l'initiative,
l'administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits
qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l'article L.
10 qui ont conduit à l'application, sur des droits dont le montant est supérieur
à 100 000 € :
« 1° Soit de la majoration de 100 % prévue à l'article 1732 du code général des
impôts ;
« 2° Soit de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728, aux b ou
c de l'article 1729, au I de l'article 1729-0 A ou au dernier alinéa de
l'article 1758 du même code ;
« 3° Soit de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l'article 1728 ou aux a
ou b de l'article 1729 dudit code, lorsqu'au cours des six années civiles
précédant son application le contribuable a déjà fait l'objet lors d'un
précédent contrôle de l'application des majorations mentionnées aux 1° et 2° du
présent I et au présent 3° ou d'une plainte de l'administration.
« L'administration est également tenue de dénoncer les faits au procureur de la
République lorsque des majorations de 40 %, 80 % ou 100 % ont été appliquées à
un contribuable soumis aux obligations prévues à l'article LO 135-1 du code
électoral et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie publique, sur des droits dont le montant
est supérieur à la moitié du montant prévu au premier alinéa du présent I.
« L'application des majorations s'apprécie au stade de la mise en recouvrement.
Toutefois, lorsqu'une transaction est conclue avant la mise en recouvrement,
l'application des majorations s'apprécie au stade des dernières conséquences
financières portées à la connaissance du contribuable dans le cadre des
procédures prévues aux articles L. 57 et L. 76 du présent livre.
« Lorsque l'administration dénonce des faits en application du présent I,
l'action publique pour l'application des sanctions pénales est exercée sans
plainte préalable de l'administration.
« Les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant
déposé spontanément une déclaration rectificative.
« II. - Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes portant sur des faits autres
que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I et tendant à
l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la
valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits
d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont
déposées par l'administration à son initiative, sur avis conforme de la
commission des infractions fiscales.
« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre
chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui
l'invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations
qu'il jugerait nécessaires.
« Le ministre est lié par les avis de la commission.
« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions de fonctionnement de la
commission.
« Toutefois, l'avis de la commission n'est pas requis lorsqu'il existe des
présomptions caractérisées qu'une infraction fiscale a été commise pour laquelle
existe un risque de dépérissement des preuves et qui résulte :
« 1° Soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes
ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger ;
« 2° Soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout
organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger ;
« 3° Soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de
l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;
« 4° Soit d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;
« 5° Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer l'administration.
« Cette commission est également chargée de donner un avis à l'administration
lorsque celle-ci envisage de rendre publiques des sanctions administratives, en
application de l'article 1729 A bis du code général des impôts ».
2. L'association requérante reproche à plusieurs titres à ces dispositions d'instaurer des différences de traitement inconstitutionnelles. En premier lieu, elle considère injustifiée la distinction établie entre les contribuables pour lesquels l'administration est tenue de dénoncer au procureur de la République des faits susceptibles de caractériser le délit de fraude fiscale et les autres contribuables. En deuxième lieu, en prévoyant que cette dénonciation, qui ne requiert pas l'avis conforme de la commission des infractions fiscales, dépend de l'application par l'administration de certaines pénalités fiscales, ces dispositions subordonneraient le bénéfice de la garantie que constitue cet avis à l'appréciation discrétionnaire de l'administration. En troisième lieu, en retenant également, comme critère de dénonciation obligatoire, le montant des droits éludés, elles établiraient une différence de traitement injustifiée entre les sociétés bénéficiaires et déficitaires. En dernier lieu, une autre différence de traitement inconstitutionnelle serait établie entre les sociétés contribuables ayant fait l'objet d'une majoration de 40 % en situation de réitération, selon qu'elles appartiennent ou non à un groupe fiscalement intégré. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant la procédure pénale. Par ailleurs, l'association requérante dénonce une méconnaissance du principe de personnalité des peines.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa et les 1° à 3° du paragraphe I de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». S'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
5. Les dispositions contestées du paragraphe I de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales imposent à l'administration de dénoncer au procureur de la République les faits qu'elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle et qui l'ont conduite à appliquer, sur des droits d'un certain montant, une pénalité fiscale. Pour les autres faits, l'administration ne peut déposer plainte que sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
6. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu soumettre systématiquement au procureur de la République, aux fins de poursuites pénales, les faits de fraude fiscale les plus graves dont a connaissance l'administration. À cette fin, il a retenu comme critères de dénonciation obligatoire le fait que les droits éludés sont supérieurs à 100 000 euros et qu'ils sont assortis de l'une des pénalités prévues dans les cas suivants : l'opposition à contrôle fiscal ; la découverte d'une activité occulte faisant suite à une omission déclarative ; l'abus de droit ou les manœuvres frauduleuses constatés au titre d'une insuffisance de déclaration ; la rectification à raison du défaut de déclaration d'avoirs financiers détenus à l'étranger ; la taxation forfaitaire à partir des éléments du train de vie en lien avec des trafics illicites ou, en cas de réitération, le défaut de déclaration dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, le manquement délibéré ou l'abus de droit, dans l'hypothèse où le contribuable n'a pas eu l'initiative principale de cet abus ou n'en a pas été le principal bénéficiaire. Ces critères, objectifs et rationnels, sont en lien avec le but poursuivi par le législateur.
7. En deuxième lieu, l'administration est soumise, pour l'application des pénalités fiscales correspondant aux agissements précités, au respect des principes de légalité et d'égalité.
8. En dernier lieu, d'une part, les sociétés contribuables dont le résultat apparaît bénéficiaire ne sont pas dans la même situation que celles déficitaires dont les manquements ne causent pas de préjudice financier au Trésor public. De ce fait, ces manquements n'entrent pas dans les catégories retenues par le législateur pour définir les cas de fraude fiscale les plus graves appelant une transmission automatique au parquet.
9. D'autre part, le caractère réitéré des manquements des contribuables faisant l'objet d'une majoration de 40 % pour certaines omissions ou insuffisances déclaratives ne pouvant être établi qu'à l'égard d'un même contribuable, les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré, au sein duquel chaque société demeure contribuable, ne sont pas traitées différemment des autres sociétés.
10. Il résulte de ce qui précède que, en retenant les critères de dénonciation obligatoire précités, le législateur n'a pas instauré de discrimination injustifiée entre les contribuables.
11. Par ailleurs, dès lors que les dispositions contestées instituent un mécanisme de dénonciation de plein droit au procureur de la République, l'absence d'avis conforme de la commission des infractions fiscales, qui a pour objet de filtrer parmi les dossiers transmis par l'administration ceux justifiant effectivement des poursuites pénales, ne prive les contribuables d'aucune garantie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe d'égalité devant la procédure pénale. Ces dispositions qui ne méconnaissent ni le principe de personnalité des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa et les 1° à 3° du paragraphe I de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.
Union de défense active des forains et autres [Obligation d'accueil des gens du voyage et interdiction du stationnement des résidences mobiles ]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision n° 430064 du 1er juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'union de défense active des forains, France liberté voyage, la fédération nationale des associations solidaires d'action avec les tsiganes et gens du voyage et l'association nationale des gens du voyage citoyens, par Me Olivier Le Mailloux, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-805 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ;
la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les requérants par Me Le Mailloux, enregistrées le 22 juillet 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association Rromeurope par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 23 juillet 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association de développement et de promotion des fêtes foraines en France par Me Braun, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 25 juillet 2019 ;
les secondes observations présentées pour les requérants par Me Le Mailloux, enregistrées le 7 août 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association Rromeurope et l'association de développement et de promotion des fêtes foraines en France par Me Braun, enregistrées le 9 août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Le Mailloux pour les requérants, Me Braun pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 septembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 9 de
la loi du 5 juillet 2000 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la
loi du 7 novembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I.- Le maire d'une commune membre d'un établissement public de coopération
intercommunale compétent en matière de création, d'aménagement, d'entretien et
de gestion des aires d'accueil des gens du voyage et des terrains familiaux
locatifs définis aux 1° à 3° du II de l'article 1er peut, par arrêté, interdire
en dehors de ces aires et terrains le stationnement sur le territoire de la
commune des résidences mobiles mentionnées au même article 1er, dès lors que
l'une des conditions suivantes est remplie :
« 1° L'établissement public de coopération intercommunale a satisfait aux
obligations qui lui incombent en application de l'article 2 ;
« 2° L'établissement public de coopération intercommunale bénéficie du délai
supplémentaire prévu au III du même article 2 ;
« 3° L'établissement public de coopération intercommunale dispose d'un
emplacement provisoire agréé par le préfet ;
« 4° L'établissement public de coopération intercommunale est doté d'une aire
permanente d'accueil, de terrains familiaux locatifs ou d'une aire de grand
passage, sans qu'aucune des communes qui en sont membres soit inscrite au schéma
départemental prévu à l'article 1er ;
« 5° L'établissement public de coopération intercommunale a décidé, sans y être
tenu, de contribuer au financement d'une telle aire ou de tels terrains sur le
territoire d'un autre établissement public de coopération intercommunale ;
« 6° La commune est dotée d'une aire permanente d'accueil, de terrains familiaux
locatifs ou d'une aire de grand passage conformes aux prescriptions du schéma
départemental, bien que l'établissement public de coopération intercommunale
auquel elle appartient n'ait pas satisfait à l'ensemble de ses obligations.
« L'agrément prévu au 3° du présent I est délivré pour une durée ne pouvant
excéder six mois, en fonction de la localisation, de la capacité et de
l'équipement de l'emplacement concerné, dans des conditions définies par décret.
« L'agrément d'un emplacement provisoire n'exonère pas l'établissement public de
coopération intercommunale des obligations qui lui incombent dans les délais
prévus à l'article 2.
« I bis.- Le maire d'une commune qui n'est pas membre d'un établissement public
de coopération intercommunale compétent en matière de création, d'aménagement,
d'entretien et de gestion des aires d'accueil des gens du voyage et des terrains
familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l'article 1er peut, par arrêté,
interdire en dehors de ces aires et terrains le stationnement sur le territoire
de la commune des résidences mobiles mentionnées au même article 1er, dès lors
que l'une des conditions suivantes est remplie :
« 1° La commune a satisfait aux obligations qui lui incombent en application de
l'article 2 ;
« 2° La commune bénéficie du délai supplémentaire prévu au III du même article 2
;
« 3° La commune dispose d'un emplacement provisoire agréé par le préfet, dans
les conditions prévues aux deux derniers alinéas du I du présent article ;
« 4° La commune, sans être inscrite au schéma départemental prévu à l'article
1er, est dotée d'une aire permanente d'accueil, de terrains familiaux locatifs
ou d'une aire de grand passage ;
« 5° La commune a décidé, sans y être tenue, de contribuer au financement d'une
telle aire ou de tels terrains sur le territoire d'une autre commune.
« II.- En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I ou
au I bis, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain
occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les
lieux.
« La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à
porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
« La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être
inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous
forme d'affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée
au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain.
« Cette mise en demeure reste applicable lorsque la résidence mobile se retrouve
à nouveau, dans un délai de sept jours à compter de sa notification aux
occupants, en situation de stationnement illicite sur le territoire de la
commune ou de tout ou partie du territoire de l'intercommunalité concernée en
violation du même arrêté du maire ou, s'il est compétent, du président de
l'établissement public de coopération intercommunale prévu au I et de nature à
porter la même atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité
publiques.
« Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets
dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours dans les conditions
fixées au II bis, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences
mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du
terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure.
« Lorsque le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain fait
obstacle à l'exécution de la mise en demeure, le préfet peut lui demander de
prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l'atteinte à la
salubrité, à la sécurité ou la tranquillité publiques dans un délai qu'il fixe.
« Le fait de ne pas se conformer à l'arrêté pris en application de l'alinéa
précédent est puni de 3 750 Euros d'amende.
« II bis.- Les personnes destinataires de la décision de mise en demeure prévue
au II, ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain
peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal
administratif. Le recours suspend l'exécution de la décision du préfet à leur
égard. Le président du tribunal ou son délégué statue dans un délai de
quarante-huit heures à compter de sa saisine.
« III.- Les dispositions du I, du II et du II bis ne sont pas applicables au
stationnement des résidences mobiles appartenant aux personnes mentionnées à
l'article 1er de la présente loi :
« 1° Lorsque ces personnes sont propriétaires du terrain sur lequel elles
stationnent ;
« 2° (abrogé) ;
« 3° Lorsqu'elles stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues
à l'article L. 444-1 du même code.
« IV.- En cas d'occupation, en violation de l'arrêté prévu au I ou au I bis,
d'un terrain privé affecté à une activité à caractère économique, et dès lors
que cette occupation est de nature à entraver ladite activité, le propriétaire
ou le titulaire d'un droit réel d'usage sur le terrain peut saisir le président
du tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée
des résidences mobiles. Dans ce cas, le juge statue en la forme des référés. Sa
décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut
ordonner que l'exécution aura lieu au seul vu de la minute. Si le cas requiert
célérité, il fait application des dispositions du second alinéa de l'article 485
du code de procédure civile ».
2. En premier lieu, les requérants, rejoints par les parties intervenantes, reprochent à ces dispositions de permettre à un établissement public de coopération intercommunale ou une commune d'interdire le stationnement des résidences mobiles des gens du voyage et, en cas de stationnement irrégulier, de solliciter du préfet leur évacuation forcée, alors même que son territoire ne comporte aucune aire d'accueil. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d'aller et venir et du principe de fraternité.
3. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que, en prévoyant que la mise en demeure de quitter les lieux adressée par le préfet en cas de stationnement irrégulier reste applicable sur l'ensemble du territoire couvert par l'interdiction de stationnement pendant un délai de sept jours consécutifs, l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 instituerait un « bannissement administratif » méconnaissant le droit d'égal accès aux soins, le principe d'égal accès à l'instruction, le droit de mener une vie familiale normale et l'objectif de sauvegarde de « l'ordre public immatériel ».
4. En troisième lieu, les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutiennent que le délai de recours de vingt-quatre heures contre une telle mise en demeure et le délai de quarante-huit heures laissé au juge administratif pour statuer sur ce recours seraient trop brefs et méconnaîtraient ainsi le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense.
5. En dernier lieu, les requérants critiquent le fait que le législateur aurait permis à certaines communes d'interdire aux gens du voyage de stationner sur un terrain dont ils sont propriétaires, méconnaissant ainsi le principe d'égalité devant la loi et le droit de propriété.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les 2°, 4° et 5° des paragraphes I et I bis, le quatrième alinéa du paragraphe II, les mots « dans le délai fixé par celle-ci » figurant à la première phrase du paragraphe II bis, les mots « quarante-huit heures » figurant à la troisième phrase du même paragraphe et le paragraphe III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000.
7. Par ailleurs, les parties intervenantes soutiennent que les dispositions de l'article 9 seraient contraires au principe d'égalité au motif que leur champ d'application serait déterminé par des critères ethniques.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les 2°, 4° et 5° des paragraphes I et I bis de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 :
8. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré.
9. Par ailleurs, les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d'aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif.
10. L'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 impose à certaines communes de créer des aires et terrains destinés à accueillir les gens du voyage, « dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles ». L'article 9 de cette même loi permet notamment aux communes et établissements publics de coopération intercommunale qui ont rempli leurs obligations d'accueil à ce titre, d'interdire, en dehors de tels aires et terrains, le stationnement des gens du voyage sur leur territoire et, en cas de stationnement irrégulier, au préfet de procéder à une évacuation forcée.
11. Les 2°, 4° et 5° des paragraphes I et I bis de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 permettent à certains autres établissements publics de coopération intercommunale et certaines autres communes de prononcer la même interdiction éventuellement suivie d'une évacuation forcée dans trois cas. Il en va ainsi lorsque ces établissements ou communes bénéficient d'un délai supplémentaire pour remplir leurs obligations d'accueil, lorsque, sans y être tenus, ils se sont dotés d'une aire permanente d'accueil ou lorsque, sans non plus y être tenus, ils ont décidé de contribuer au financement d'une aire permanente d'accueil, d'une aire de grand passage ou de terrains familiaux locatifs sur le territoire d'un autre établissement ou d'une autre commune.
12. En premier lieu, d'une part, la loi du 5 juillet 2000 a prévu l'établissement dans chaque département d'un schéma d'accueil des gens du voyage dans lequel figurent obligatoirement les communes de plus de 5 000 habitants. Ce schéma est établi au vu d'une évaluation préalable des besoins et de l'offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, de l'évolution de leur mode de vie et de leur ancrage ainsi que des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques. Il prévoit les secteurs géographiques d'implantation et les communes où doivent être réalisés des aires permanentes d'accueil ayant pour objet de permettre aux gens du voyage de s'installer quelques semaines dans le cadre de leur itinérance, des aires de grands passage qui ont pour objet d'accueillir les gens du voyage à l'occasion de grands rassemblements traditionnels et des terrains familiaux locatifs destinés à accueillir durablement des gens du voyage souhaitant se sédentariser. Les communes figurant au schéma départemental ainsi que les établissements publics compétents en matière d'accueil des gens du voyage sont tenus dans un délai de deux ans de participer à la mise en œuvre de ce schéma.
13. D'autre part, afin d'inciter les communes et établissements publics à remplir leurs obligations d'accueil et les gens du voyage à s'installer sur les aires et terrains qui leur sont destinés, le législateur a prévu que les communes et établissements publics qui ont rempli leurs obligations peuvent interdire, sur leur territoire, le stationnement des gens du voyage hors des aires d'accueil et faire procéder, en cas de stationnement irrégulier de nature à porter atteinte à l'ordre public, à leur évacuation forcée au terme d'une procédure rapide et dérogatoire au droit commun. Ainsi, le législateur a entendu garantir l'accueil des gens du voyage dans des conditions compatibles avec l'ordre public et les droits des tiers.
14. En deuxième lieu, d'une part, si le législateur a conféré, par dérogation, de telles prérogatives à des communes ou établissements publics qui bénéficient d'une prorogation du délai pour se conformer aux prescriptions du schéma départemental, il a strictement encadré les conditions de cette dérogation. Il résulte en effet du paragraphe III de l'article 2 de la loi du 9 juillet 2000 que cette prorogation du délai ne peut être accordée par le préfet que pour une durée de deux ans et à la condition que la commune ou l'établissement ait manifesté sa volonté de se conformer à ses obligations, soit par la transmission au préfet d'une délibération ou d'une lettre d'intention comportant la localisation de l'opération de réalisation ou de réhabilitation de l'aire permanente d'accueil, des terrains familiaux locatifs ou de l'aire de grand passage, soit par l'acquisition des terrains ou le lancement d'une procédure d'acquisition des terrains sur lesquels les aménagements sont prévus, soit par la réalisation d'une étude préalable.
15. D'autre part, en étendant la possibilité d'interdiction et de mise en œuvre de la procédure spécifique d'évacuation à des communes ou établissements publics qui, sans y être tenus par le schéma départemental, se sont dotés d'une aire permanente d'accueil, d'une aire de grand passage ou de terrains familiaux locatifs ou ont décidé de contribuer au financement de tels aires et terrains sur le territoire d'un autre établissement ou d'une autre commune, le législateur a entendu accroître les offres d'accueil des gens du voyage au-delà des besoins recensés et satisfaits par les schémas départementaux en incitant les communes et établissements publics à engager volontairement des actions en faveur des gens du voyage. De telles dispositions n'ont, par ailleurs, pas pour effet de permettre à des communes et établissements qui n'ont pas rempli leurs obligations inscrites au schéma départemental d'interdire le stationnement des gens du voyage sur leur territoire et de mettre en œuvre la procédure spécifique d'évacuation forcée.
16. Ainsi, eu égard à l'objectif qu'il s'est assigné, le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les droits des tiers et, d'autre part, la liberté d'aller et venir. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'aller et venir doit être écarté.
17. Par conséquent, les 2°, 4° et 5° des paragraphes I et I bis de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 qui n'instituent aucune discrimination fondée sur une origine ethnique et ne méconnaissent pas non plus le principe de fraternité ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le quatrième alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 :
18. Le paragraphe II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 prévoit qu'en cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté d'interdiction de stationner, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Cette mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement irrégulier est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Le quatrième alinéa de ce même paragraphe prévoit que cette mise en demeure reste applicable lorsque la résidence mobile se retrouve à nouveau, dans un délai de sept jours à compter de sa notification aux occupants, en situation de stationnement illicite sur le territoire de la commune ou de tout ou partie du territoire de l'intercommunalité en violation du même arrêté d'interdiction de stationner.
19. Comme il a été dit au paragraphe 12, l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 garantit une offre d'accueil des gens du voyage sur le territoire départemental conforme à leurs besoins et tenant compte notamment des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques. Ainsi, les gens du voyage qui font l'objet d'une mise en demeure de quitter leur lieu de stationnement irrégulier bénéficient, sur ce territoire, d'aires et terrains d'accueil permettant un accès aux soins et à l'enseignement.
20. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le droit de mener une vie familiale normale, ni l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, ni le droit à la santé. Le quatrième alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne les mots « dans le délai fixé par celle-ci » figurant à la première phrase du paragraphe II bis et les mots « quarante-huit heures » figurant à la troisième phrase du même paragraphe de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 :
21. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense.
22. Le premier alinéa du paragraphe II bis de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 prévoit que les personnes destinataires d'une mise en demeure de quitter les lieux ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif qui statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine. Le recours suspend l'exécution de la mise en demeure.
23. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir l'exécution à bref délai des arrêtés d'interdiction de stationnement des gens du voyage lorsque leur méconnaissance est de nature à porter atteinte à l'ordre public.
24. En deuxième lieu, il résulte du troisième alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 que le délai de recours pour contester la décision de mise en demeure ne peut être inférieur à vingt-quatre heures et qu'il ne commence à courir qu'à compter de sa notification régulière aux occupants des résidences mobiles et, le cas échéant, au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain. En outre, les requérants peuvent présenter tous moyens à l'appui de leur requête en annulation jusqu'à la clôture de l'instruction qui n'intervient qu'à l'issue de l'audience publique.
25. Dès lors, il résulte de ce qui précède que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi.
26. Par conséquent, les mots « dans le délai fixé par celle-ci » figurant à la première phrase du paragraphe II bis et les mots « quarante-huit heures » figurant à la troisième phrase du même paragraphe de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, qui ne méconnaissent ni les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne le paragraphe III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 :
27. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
28. Faute de viser le paragraphe I bis, le premier alinéa du paragraphe III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 exclut que l'interdiction de stationnement soit appliquée aux terrains dont les gens du voyage sont propriétaires dans toutes les communes à l'exception de celles qui n'appartiennent pas un établissement public de coopération intercommunale.
29. En permettant ainsi, sans aucun motif tiré notamment d'une atteinte à l'ordre public, qu'un propriétaire soit privé de la possibilité de stationner sur le terrain qu'il possède, les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété.
30. Par conséquent, le paragraphe III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
31. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
32. En l'espèce, l'abrogation immédiate du paragraphe III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 aurait pour effet de rendre applicable, dans les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d'accueil des gens du voyage, l'interdiction de stationnement et la mise en œuvre d'une procédure d'évacuation forcée à des personnes qui stationnent sur des terrains dont elles sont propriétaires ou des terrains aménagés dans les conditions prévues à l'article L. 444-1 du code de l'urbanisme. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2020 la date de l'abrogation de ces dispositions.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le paragraphe III de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 32 de cette décision.
Article 3. - Les 2°, 4° et 5° des paragraphes I et I bis, le quatrième alinéa du paragraphe II et les mots « dans le délai fixé par celle-ci » figurant la première phrase du paragraphe II bis et les mots « quarante-huit heures » figurant à la troisième phrase du même paragraphe II bis de l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites, sont conformes à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Gilbert A. [Taux dérogatoires des cotisations sociales des assurés sociaux non fiscalement domiciliés en France]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 juillet 2019 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1116 du 4 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gilbert A. par Me Loïc Demarest, avocat au barreau de Nancy. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-806 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de la sécurité sociale ;
la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 ;
la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 29 juillet 2019 ;
les observations présentées pour le requérant par Me Demarest, enregistrées le 7 août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 septembre 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 2 octobre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2015 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
131-9 du code de la sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit :« Les
cotisations d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès à la charge des
assurés qui ne sont pas dues par les personnes visées à l'alinéa suivant sont
supprimées lorsque le taux de ces cotisations, en vigueur au 31 décembre 1997,
est inférieur ou égal à 2,8 % pour les revenus de remplacement, à 4,75 % pour
les revenus d'activité.
« Des taux particuliers de cotisations d'assurance maladie, maternité,
invalidité et décès à la charge des assurés sont applicables aux revenus
d'activité et de remplacement perçus par les personnes qui ne remplissent pas
les conditions de résidence définies à l'article L. 136-1 et qui bénéficient à
titre obligatoire de la prise en charge de leurs frais de santé en application
de l'article L. 160-1. Ces taux particuliers sont également applicables aux
personnes bénéficiant de la prise en charge de leurs frais de santé en
application de l'article L. 160-1 exonérés en tout ou partie d'impôts directs en
application d'une convention ou d'un accord international, au titre de leurs
revenus d'activité définis aux articles L. 131-6 et L. 242-1 et de leurs revenus
de remplacement qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu. Ils sont
également applicables aux redevances mentionnées au IV de l'article L. 136-6
versées aux personnes qui ne remplissent pas la condition de résidence fiscale
fixée au I du même article ».
3. Le requérant soutient que ces dispositions seraient contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en ce qu'elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les assurés sociaux relevant d'un même régime obligatoire d'assurance maladie, selon qu'ils satisfont ou non aux critères de résidence fiscale définis à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du second alinéa de l'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale.
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir des taux particuliers de cotisations d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès applicables aux revenus d'activité et de remplacement des assurés d'un régime obligatoire de sécurité sociale français qui, ne remplissant pas les conditions de résidence fiscale définies à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur ces mêmes revenus. Ces dispositions créent donc, au sein d'un même régime obligatoire, une différence de traitement entre les assurés sociaux selon qu'ils sont ou non résidents fiscaux en France.
8. Toutefois, depuis plusieurs années, le financement de la protection sociale n'est plus assuré par les seules cotisations sociales mais pour partie par l'impôt. À cet effet, la loi du 19 décembre 1997 mentionnée ci-dessus, qui a introduit dans le code de la sécurité sociale les dispositions à l'origine des dispositions contestées, a augmenté le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et de remplacement, qui est une imposition de toute nature dont le produit est affecté aux régimes obligatoires d'assurance maladie. La même loi a supprimé les cotisations salariales d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès dont le taux est inférieur à un certain seuil et a laissé au pouvoir réglementaire le soin de réduire à due proportion le taux des cotisations restantes.
9. D'une part, il ressort des travaux préparatoires que, en autorisant le pouvoir réglementaire à prévoir des taux particuliers de cotisations sociales pour les assurés sociaux qui, n'étant pas des résidents fiscaux en France, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et de remplacement, le législateur a cherché à éviter que ceux-ci puissent bénéficier de la baisse attendue des taux de cotisations sociales sans subir, en contrepartie, la hausse de la contribution sociale généralisée. Ce faisant, il a entendu que les assurés sociaux participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires d'assurance maladie. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
10. D'autre part, la différence de traitement ainsi instaurée est en rapport direct avec l'objet des cotisations sociales, tel qu'il doit s'entendre dans le cadre d'un système de financement mixte de la protection sociale, pour des prestations d'assurance maladie, maternité, invalidité ou décès dont le niveau n'est pas nécessairement lié à la durée pendant laquelle ces cotisations ont été versées ou à leur montant.
11. Cependant, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à retenir des taux particuliers de cotisations sociales de nature à créer des ruptures caractérisées de l'égalité dans la participation des assurés sociaux au financement des régimes d'assurance maladie dont ils relèvent.
12. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doit être écarté. La première phrase du second alinéa de l'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit, sous la même réserve, être déclarée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, la première phrase du second alinéa de l'article L. 131-9 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Lamin J. [Compétence du juge administratif en cas de contestation de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formulée en rétention]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juillet 2019 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 778 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Lamin J. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-807 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen ;
l'arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2019 (première chambre civile, n° 18-13.908) ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 2 août 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour l'association Cimade par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 19 août 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant et la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 septembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 20 mars 2018 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
cette rédaction, prévoit :« Lorsqu'un étranger placé en rétention en application
de l'article L. 551-1 présente une demande d'asile, l'autorité administrative
peut procéder pendant la rétention à la détermination de l'État membre
responsable de l'examen de cette demande conformément à l'article L. 742-1 et,
le cas échéant, à l'exécution d'office du transfert dans les conditions prévues
à l'article L. 742-5. Si la France est l'État membre responsable de l'examen de
cette demande et si l'autorité administrative estime, sur le fondement de
critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire
échec à l'exécution de la mesure d'éloignement, elle peut prendre une décision
de maintien en rétention de l'étranger pendant le temps strictement nécessaire à
l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés
et apatrides et, en cas de décision de rejet ou d'irrecevabilité de celle-ci,
dans l'attente de son départ. Cette décision de maintien en rétention n'affecte
ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de
placement en rétention en application de l'article L. 512-1 ni sa compétence
pour examiner la prolongation de la rétention en application du chapitre II du
titre V du livre V. La décision de maintien en rétention est écrite et motivée.
À défaut d'une telle décision, il est immédiatement mis fin à la rétention et
l'autorité administrative compétente délivre à l'intéressé l'attestation
mentionnée à l'article L. 741-1.
« L'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation
de la décision de maintien en rétention dans les quarante-huit heures suivant sa
notification pour contester les motifs retenus par l'autorité administrative
pour estimer que sa demande d'asile a été présentée dans le seul but de faire
échec à l'exécution de la mesure d'éloignement. Le président du tribunal
administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa
juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à
l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue après la
notification de la décision de l'office relative au demandeur, dans un délai qui
ne peut excéder soixante-douze heures, dans les conditions prévues au III de
l'article L. 512-1 du présent code.
« Si, saisi dès le placement en rétention de l'étranger en application du même
article L. 512-1, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il
désigne à cette fin n'a pas encore statué sur ce premier recours, il statue sur
les deux requêtes par une seule décision.
« En cas d'annulation de la décision de maintien en rétention, il est
immédiatement mis fin à la rétention et l'autorité administrative compétente
délivre à l'intéressé l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1. L'article
L. 561-1 est applicable.
« À l'exception des cas mentionnés aux 4° et 5° de l'article L. 743-2, la mesure
d'éloignement ne peut être mise à exécution avant que l'Office français de
protection des réfugiés et apatrides ait rendu sa décision ou, en cas de saisine
du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat
désigné à cette fin ait statué.
« La demande d'asile est examinée selon la procédure accélérée prévue à
l'article L. 723-2. L'office statue dans les conditions prévues aux articles L.
723-2 à L. 723-16 dans un délai de quatre-vingt-seize heures. Il tient compte de
la vulnérabilité du demandeur d'asile.
« Il est mis fin à la rétention si l'office considère qu'il ne peut examiner la
demande selon la procédure prévue à l'article L. 723-2 ou s'il reconnaît à
l'étranger la qualité de réfugié ou lui accorde le bénéfice de la protection
subsidiaire.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent
article. Il précise les modalités de prise en compte de la vulnérabilité du
demandeur d'asile et, le cas échéant, de ses besoins particuliers ».
3. Le requérant, rejoint par la partie intervenante, soutient que ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, priveraient le juge judiciaire de son rôle de gardien de la liberté individuelle en donnant compétence exclusive au juge administratif pour apprécier la légalité des décisions de maintien en rétention prises à la suite d'une demande d'asile formée par un étranger retenu. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 66 de la Constitution. Le requérant et la partie intervenante font également valoir que le droit à un recours juridictionnel effectif serait méconnu en raison de l'insuffisance des voies de recours contre la décision de maintien en rétention et de la complexité résultant du partage de compétence entre les juridictions administratives et judiciaires dans le contrôle de la rétention.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution :
5. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter.
6. Conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle.
7. L'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que, lorsqu'un étranger a été placé en rétention en vue de l'exécution d'une mesure d'éloignement et qu'il formule ensuite une demande d'asile qui doit être examinée par la France, l'autorité administrative peut le maintenir en rétention pendant le temps nécessaire à l'examen de cette demande si elle l'estime présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement. À défaut de décision de maintien, il est mis fin à la rétention de l'étranger. Les dispositions contestées prévoient que la décision de maintien en rétention peut faire l'objet d'un recours devant le président du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures.
8. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, dans ce cas, le juge judiciaire est incompétent pour connaître, à l'occasion de son contrôle de la rétention administrative, de toute contestation portant sur la légalité de l'arrêté de maintien en rétention.
9. En premier lieu, le dépôt de la demande d'asile qui, en application des articles L. 741-1 et L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, donne droit à la délivrance d'une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour est de nature à mettre fin à la procédure d'éloignement et donc à la rétention. Ainsi, alors même qu'elle a pour effet de laisser perdurer une mesure privative de liberté, la décision par laquelle l'autorité administrative décide de maintenir en rétention un étranger au motif que sa demande d'asile a été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement constitue une décision relative au séjour des étrangers. Or, l'annulation ou la réformation d'une décision relative à une telle matière, prise dans l'exercice de prérogative de puissance publique par une autorité administrative, relève, en application du principe fondamental mentionné ci-dessus, de la compétence de la juridiction administrative.
10. En deuxième lieu, d'une part, le premier alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la décision de maintien en rétention n'affecte ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de placement en rétention ni sa compétence pour examiner la prolongation de la rétention. D'autre part, les dispositions contestées ne privent pas le juge judiciaire de la faculté d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient et pour tout autre motif que celui tiré de l'illégalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement de l'étranger qui relèvent de la compétence du juge administratif.
11. En dernier lieu, si le législateur peut, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé, il n'est pas tenu de le faire.
12. Dès lors, le législateur n'a pas méconnu l'article 66 de la Constitution.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
13. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
14. D'une part, l'étranger qui a demandé l'asile postérieurement à son placement en rétention peut déférer au juge administratif la décision de maintien en rétention. Lorsqu'aucune décision de maintien n'a été prise et qu'il n'a pourtant pas été procédé à sa libération, il peut saisir le juge administratif d'un référé-liberté afin qu'il soit enjoint à l'administration de se prononcer sur sa situation. D'autre part, il ne saurait résulter de la seule répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Dès lors, le grief tiré d'une méconnaissance de ce droit doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Total raffinage France [Soumission des biocarburants à base d'huile de palme à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision no 431589 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Total raffinage France par Mes Claire Vannini et Stéphane Austry, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-808 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du 2 du B du paragraphe V de l'article 266 quindecies du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE ;
le code des douanes ;
la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par Mes Vannini et Austry, enregistrées le 16 août 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la société requérante par Mes Vannini et Austry, enregistrées le 2 septembre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Vannini et Austry pour la société requérante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 1er octobre 2019;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 266
quindecies du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi du 28
décembre 2018 mentionnée ci-dessus, instaure une taxe incitative relative à
l'incorporation de biocarburants. Le dernier alinéa du 2 du B de son paragraphe
V prévoit :
« Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de
palme ».
2. La société requérante reproche à ces dispositions d'exclure les carburants produits à partir d'huile de palme du régime favorable prévu dans le cadre de la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants. En premier lieu, elle soutient que cette exclusion de principe, sans possibilité de démontrer une absence de nocivité pour l'environnement de certains modes de culture de l'huile de palme, ne serait pas en adéquation avec l'objectif du législateur d'accroître l'incorporation d'énergies renouvelables dans les carburants afin de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. En second lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées institueraient une différence de traitement injustifiée entre les carburants à base d'huile de palme et ceux issus d'autres plantes oléagineuses, dont la production ne serait pas toujours moins émettrice de gaz à effet de serre. Il en résulterait une violation des principes d'égalité devant les charges publiques et devant la loi.
3. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
4. La taxe prévue à l'article 266 quindecies du code des douanes vise à inciter les entreprises produisant ou important des carburants à y incorporer une quantité minimale de biocarburants. Elle est assise sur le volume total, respectivement, des essences et des gazoles destinés à la consommation au cours de l'année civile. Son montant est calculé en appliquant à cette assiette un tarif, puis en multipliant le produit ainsi obtenu par un coefficient égal à la différence entre un « pourcentage national cible d'incorporation d'énergie renouvelable dans les transports » et la proportion d'énergie renouvelable effectivement contenue dans les carburants mis à la consommation par le redevable. Si cette proportion est égale ou supérieure au pourcentage national cible, le montant de la taxe est nul.
5. L'énergie incorporée n'est considérée comme renouvelable que si les carburants correspondants remplissent les « critères de durabilité » définis à l'article 17 de la directive du 23 avril 2009 mentionnée ci-dessus. En revanche, en vertu du B du paragraphe V de l'article 266 quindecies, n'est pas prise en compte au-delà d'un certain seuil l'énergie issue de matières premières qui, bien que satisfaisant à ces critères de durabilité, nuisent à l'environnement pour les deux motifs cumulés suivants : d'une part, la culture de ces matières premières et leur utilisation pour la production de biocarburants présentent un risque élevé d'induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre neutralisant la réduction des émissions qui résulte de la substitution de ces biocarburants aux carburants fossiles ; d'autre part, l'expansion des cultures s'effectue sur des terres présentant un important stock de carbone, telles que certaines forêts et zones humides. Toutefois, ce dispositif de suppression de la minoration de la taxe au-delà d'un certain seuil ne s'applique pas aux biocarburants issus de telles matières premières lorsque celles-ci ont été produites dans « des conditions particulières » permettant d'éviter le risque élevé précité.
6. Les dispositions contestées, qui interdisent de considérer comme des biocarburants les seuls carburants issus de l'huile de palme, ont notamment pour effet d'exclure toute possibilité de démontrer que cette huile a été produite dans de telles conditions particulières permettant d'éviter le risque de hausse indirecte des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, l'énergie produite à partir de cette matière première n'est pas prise en compte dans la proportion d'énergie renouvelable et ne permet donc pas de diminuer le montant de la taxe.
7. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en instituant la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants, le législateur a entendu lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. À ce titre, il a cherché à réduire tant les émissions directes, notamment issues des carburants d'origine fossile, que les émissions indirectes, causées par la substitution de cultures agricoles destinées à produire des biocarburants à celles destinées à l'alimentation, conduisant à la mise en culture, à des fins alimentaires, de terres non agricoles présentant un important stock de carbone, telles que les forêts ou les tourbières.
8. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur s'est fondé sur le constat que l'huile de palme se singularise par la forte croissance et l'importante extension de la surface mondiale consacrée à sa production, en particulier sur des terres riches en carbone, ce qui entraîne la déforestation et l'assèchement des tourbières. Il a ainsi tenu compte du fait que la culture de l'huile de palme présente un risque élevé, supérieur à celui présenté par la culture d'autres plantes oléagineuses, d'induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l'appréciation par le législateur des conséquences pour l'environnement de la culture des matières premières en question, dès lors que cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de l'objectif d'intérêt général de protection de l'environnement poursuivi.
9. Dès lors, en excluant pour le calcul de la taxe la possibilité de démontrer que l'huile de palme pourrait être produite dans des conditions particulières permettant d'éviter le risque de hausse indirecte des émissions de gaz à effet de serre, le législateur a, en l'état des connaissances et des conditions mondiales d'exploitation de l'huile de palme, retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit donc être écarté.
10. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le dernier alinéa du 2 du B du paragraphe V de l'article 266 quindecies du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres [Droits d'inscription pour l'accès aux établissements publics d'enseignement supérieur]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision n° 430121 du 24 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales, le bureau national des élèves ingénieurs et la fédération nationale des étudiants en psychologie par Me Florent Verdier, avocat au barreau de Bordeaux. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-809 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées pour l'union nationale des étudiants de France, Solidaires étudiant-e-s - syndicats de luttes, la fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France, l'association des étudiants égyptiens en France, l'association des étudiants péruviens en France, l'association des jeunes guinéens de France, le syndicat national de l'enseignement supérieur, l'union nationale des syndicats CGT des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, la fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT et le syndicat national Force ouvrière de l'enseignement supérieur et de la recherche par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 août 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 août 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT et la fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale CFDT par la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour la ligue des droits de l'homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations présentées pour les associations requérantes par Me Verdier, enregistrées le 2 septembre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Verdier pour les associations requérantes, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'union nationale des étudiants de France et neuf autres associations et syndicats intervenants, Me Olivier Coudray pour l'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT et la fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale CFDT, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation pour la ligue des droits de l'homme, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 1er octobre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le troisième
alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951 mentionnée ci-dessus prévoit que
sont fixés par arrêté :
« Les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité,
d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'État ».
2. Les associations requérantes soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. D'une part, le principe de gratuité de l'enseignement public, qui découlerait selon elles de cet alinéa, ferait obstacle à la perception de droits d'inscription pour l'accès à l'enseignement supérieur. D'autre part, en se bornant à habiliter le pouvoir réglementaire à fixer les taux et modalités des droits d'inscription sans considération des ressources des étudiants, le législateur n'aurait pas entouré cette habilitation de garanties suffisantes, en violation du principe d'égal accès à l'instruction. Pour ces mêmes motifs, les dispositions renvoyées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant les exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction.
- Sur les interventions :
3. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
4. L'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT ne justifie pas, au regard de son objet social, d'un intérêt spécial à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par conséquent, son intervention n'est pas admise.
5. Les autres parties intervenantes développent les mêmes griefs que les associations requérantes.
- Sur le fond :
6. Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation garantit l'égal accès … de l'adulte à l'instruction … L'organisation de l'enseignement public gratuit … à tous les degrés est un devoir de l'État ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public. Cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.
7. Les dispositions contestées se limitent à prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les montants annuels des droits perçus par les établissements publics d'enseignement supérieur et acquittés par les étudiants. Il appartient aux ministres compétents de fixer, sous le contrôle du juge, les montants de ces droits dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction.
8. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles doivent être écartés.
9. Le troisième alinéa de l'article 48 de la loi du 24 mai 1951, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'intervention de l'union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT n'est pas admise.
Article 2. - Le troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l'exercice 1951 est conforme à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Air France [Responsabilité du transporteur aérien en cas de débarquement d'un étranger dépourvu des titres nécessaires à l'entrée sur le territoire national]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 juillet 2019 par le Conseil d'État (décision nos 427744, 427745 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Air France par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-810 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Stéphane-Laurent Texier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 octobre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction résultant de l'ordonnance du 24 novembre 2004 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
cette rédaction, prévoit :« Est punie d'une amende d'un montant maximum de 5 000
euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le
territoire français, en provenance d'un autre État, un étranger non
ressortissant d'un État de l'Union européenne et démuni du document de voyage
et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui
est applicable en raison de sa nationalité.
« Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui
débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un État
membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis
par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa
nationalité et de sa destination ».
3. L'article L.
625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
la même rédaction, prévoit :« Les amendes prévues aux articles L. 625-1, L.
625-3 et L. 625-4 ne sont pas infligées :
« 1° Lorsque l'étranger a été admis sur le territoire français au titre d'une
demande d'asile qui n'était pas manifestement infondée ;
« 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont
été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas
d'élément d'irrégularité manifeste ».
4. La société requérante, rejointe par l'association intervenante, reproche à ces dispositions de permettre qu'un transporteur aérien soit sanctionné pour avoir débarqué sur le territoire français un étranger démuni de documents de voyage ou de visa, même lorsqu'il a procédé au contrôle de ces documents à l'embarquement et que l'irrégularité qui les affecte n'a pas été détectée par les services compétents de l'État lors de leur délivrance. Elles auraient ainsi pour effet de déléguer au transporteur, en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'accomplissement d'opérations de contrôle incombant aux seules autorités publiques. Il en résulterait également, selon la société requérante, une atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines et une violation du principe de la responsabilité personnelle en matière pénale. La société requérante soutient, par ailleurs, qu'il résulterait de l'article L. 5421-1 du code des transports une différence de traitement inconstitutionnelle entre les transporteurs aériens et maritimes.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 2° de l'article L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
- Sur le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel :
6. Le Premier ministre fait valoir que, dans la mesure où les dispositions contestées appliqueraient les dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 28 juin 2001 mentionnée ci-dessus, il n'y aurait pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, de se prononcer sur leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit. La société requérante et l'association intervenante soutiennent, pour leur part, que ces dispositions adapteraient en droit interne les stipulations de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, qui ne constitue ni une directive ni un règlement européen, de sorte qu'il n'y aurait pas lieu pour le Conseil constitutionnel de limiter son contrôle sur ces dispositions.
7. Aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». La transposition d'une directive ou l'adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l'absence de mise en cause d'une telle règle ou d'un tel principe, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou des dispositions d'un règlement de l'Union européenne. Dans cette hypothèse, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne.
8. En application de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent, par voie aérienne ou maritime, d'un État tiers vers leur territoire des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis. L'exigence qui en découle a été reprise et, s'agissant du montant des sanctions applicables aux transporteurs, complétée par la directive du 28 juin 2001.
9. Les articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile visent à assurer la transposition de cette directive. Le premier punit d'une amende l'entreprise de transport aérien qui débarque sur le territoire français un étranger non ressortissant d'un État de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par le droit applicable. Les dispositions contestées du second prévoient que cette amende n'est pas infligée lorsque l'entreprise établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
10. Dès lors, les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 28 juin 2001. En conséquence, le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
11. En premier lieu, selon l'article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.
12. Les irrégularités manifestes qu'il appartient au transporteur de déceler sous peine d'amende, en application des dispositions contestées, lors, au moment de l'embarquement, du contrôle des documents requis, sont celles susceptibles d'apparaître à l'occasion d'un examen normalement attentif de ces documents par un agent du transporteur. En instaurant cette obligation, le législateur n'a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l'État en vue de leur délivrance et lors de l'entrée de l'étranger sur le territoire national. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
13. En deuxième lieu, les dispositions contestées sont sans incidence sur le quantum de la sanction encourue et les règles de son individualisation. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines ne peuvent qu'être écartés.
14. En troisième lieu, le fait que le transporteur puisse être sanctionné alors même que l'irrégularité manifeste affectant le document présenté par l'étranger en cause n'a pas été détectée par les autorités publiques compétentes pour délivrer ce document n'a pas pour effet de rendre le transporteur responsable du manquement imputable à ces autorités. Le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait doit donc être écarté.
15. En dernier lieu, en tout état de cause, la différence de traitement dénoncée par la société requérante entre les transporteurs aériens et maritimes ne résulte pas des dispositions contestées. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne peut donc qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du 2° de l'article L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le 2° de l'article L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Fairouz H. et autres [Seuil de représentativité applicable aux élections européennes]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er août 2019 par le Conseil d'État (décision nos 431482, 431501 et 431564 du 31 juillet 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée, d'une part, pour Mme Fairouz H., M. Yves G., Mme Laurence G., M. Quentin M., Mme Sheila Z. et MM. Douglas Edward W. et Michael Charles S. par Me Julien Fouchet, avocat au barreau de Bordeaux, d'autre part, pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Caroline Lanty, avocate au barreau de Paris et, enfin, par M. Jérémy A.. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-811 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le traité sur l'Union européenne ;
le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
la décision 2002/772/CE Euratom du Conseil du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 modifiant l'acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 78/787/CECA, CEE, Euratom ;
la décision 2018/994/UE Euratom du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du 20 septembre 1976 ;
la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations en intervention présentées pour M. François A. et l'union populaire républicaine par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 août 2019 ;
les observations présentées pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Lanty, enregistrées le 22 août 2019 ;
les observations présentées pour Mme Fairouz H. et autres par Me Fouchet, enregistrées le 23 août 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour Mme Hélène T. et le parti animaliste par Me Lanty, enregistrées le 8 septembre 2019 ;
les secondes observations présentées pour Mme Fairouz H. et autres par Me Fouchet, enregistrées le 9 septembre 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour M. François A. et l'union populaire républicaine par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fouchet pour Mme Fairouz H et autres, Me Lanty pour Mme Hélène T. et le parti animaliste, Me Jérémy Afane-Jacquart, avocat au barreau de Paris, pour lui-même, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 octobre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 3 de
la loi du 7 juillet 1977 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la
loi du 25 juin 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :« L'élection a lieu au
scrutin de liste à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote
préférentiel.
« Les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des
suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la
plus forte moyenne. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l'attribution
du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre
de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué à la liste
dont la moyenne d'âge est la moins élevée.
« Les sièges sont attribués aux candidats d'après l'ordre de présentation sur
chaque liste ».
2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, contestent le seuil de 5 % des suffrages exprimés conditionnant l'accès à la répartition des sièges lors de l'élection, en France, des représentants au Parlement européen. En premier lieu, en raison de la nature particulière des élections européennes, ce seuil n'aurait selon eux aucune justification. En particulier, l'objectif de dégager une majorité stable et cohérente ne serait pas pertinent, dès lors que le nombre de députés européens élus en France ne permettrait pas, à lui seul, la formation d'une majorité au sein du Parlement européen. En outre, ces mêmes députés étant des représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France, et non des représentants de la nation française, l'objectif de lutte contre l'éparpillement de la représentation nationale serait dépourvu de pertinence. En second lieu, ce seuil aurait des conséquences disproportionnées, en ce qu'il empêcherait l'accès au Parlement européen de mouvements politiques importants et priverait un grand nombre d'électeurs de toute représentation au niveau européen. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant le suffrage et de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi du 7 juillet 1977.
- Sur les conclusions aux fins de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne :
4. Certains requérants demandent au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles portant sur la validité de la décision du Conseil de l'Union européenne des 25 juin et 23 septembre 2002 mentionnée ci-dessus ou sur celle de la décision du Conseil de l'Union européenne du 13 juillet 2018 mentionnée ci-dessus. Toutefois, la validité de ces décisions est sans effet sur l'appréciation de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit. Par suite, leurs conclusions doivent, sur ce point, être rejetées.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
5. L'article 3 de la loi du 7 juillet 1977 définit les conditions dans lesquelles sont élus au Parlement européen les représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France. Il prévoit que cette élection a lieu, dans le cadre d'une circonscription nationale unique, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne. Aux termes des dispositions contestées, seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sont admises à la répartition des sièges.
6. Selon le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant le suffrage, qui s'applique aux élections à des mandats et fonctions politiques, est applicable à l'élection des représentants au Parlement européen.
7. Aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions est un fondement de la démocratie.
8. S'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales, d'arrêter des modalités tendant à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes, toute règle qui, au regard de cet objectif, affecterait l'égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
9. Selon l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».
10. En premier lieu, en instituant un seuil pour accéder à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a, dans le cadre de la participation de la République française à l'Union européenne prévue à l'article 88-1 de la Constitution, poursuivi un double objectif. D'une part, il a entendu favoriser la représentation au Parlement européen des principaux courants d'idées et d'opinions exprimés en France et ainsi renforcer leur influence en son sein. D'autre part, il a entendu contribuer à l'émergence et à la consolidation de groupes politiques européens de dimension significative. Ce faisant, il a cherché à éviter une fragmentation de la représentation qui nuirait au bon fonctionnement du Parlement européen. Ainsi, même si la réalisation d'un tel objectif ne peut dépendre de l'action d'un seul État membre, le législateur était fondé à arrêter des modalités d'élection tendant à favoriser la constitution de majorités permettant au Parlement européen d'exercer ses pouvoirs législatifs, budgétaires et de contrôle.
11. En second lieu, l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi.
12. Il résulte de ce qui précède que, en fixant à 5 % des suffrages exprimés le seuil d'accès à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a retenu des modalités qui n'affectent pas l'égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée et qui ne portent pas une atteinte excessive au pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
13. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et d'égalité devant le suffrage doivent être écartés.
14. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 octobre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
M. Sébastien M. et autre [Suppression de l'abattement pour durée de détention sur les gains nets retirés des cessions d'actions et de parts sociales]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 septembre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 431686 du 11 septembre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sébastien M. et Mme Karine V. par Me Delphine Parigi, avocate au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-812 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour les requérants par Me Parigi, enregistrées le 3 octobre 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Louise Rambaud, avocate au barreau de Nice, pour les requérants et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article
150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du
14 mars 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I.-1. L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux
d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions
ou parts peut être reportée si les conditions prévues au II du présent article
sont remplies.
« Le report est subordonné à la condition que le contribuable en fasse la
demande et déclare le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à
l'article 170.
« 2. Le complément de prix prévu au 2 du I de l'article 150-0 A, afférent à la
cession de titres ou droits mentionnés au 1 du présent I, fait également l'objet
du report d'imposition prévu à ce même 1 et appliqué lors de cette cession.
« II.- Le bénéfice du report d'imposition prévu au 1 du I est subordonné au
respect des conditions suivantes :
« 1° Les titres ou droits cédés doivent avoir été détenus de manière continue
depuis plus de huit ans ;
« 1° bis Les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne
interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et
descendants ou de leurs frères et sœurs, doivent avoir représenté, de manière
continue pendant les huit années précédant la cession, au moins 10 % des droits
de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres
ou droits sont cédés ;
« 2° La société dont les actions, parts ou droits sont cédés :
« a) Est passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou
soumise sur option à cet impôt ;
« b) Exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale,
agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine
mobilier ou immobilier, ou a pour objet social exclusif de détenir des
participations dans des sociétés exerçant les activités précitées. Cette
condition s'apprécie de manière continue pendant les huit années précédant la
cession ;
« c) A son siège social dans un État membre de l'Union européenne ou dans un
autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec
la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la
fraude et l'évasion fiscales ;
« 3° Le report d'imposition est, en outre, subordonné au respect des conditions
suivantes :
« a) Le produit de la cession des titres ou droits doit être investi, dans un
délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net
des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial
ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ;
« b) La société bénéficiaire de l'apport doit exercer l'une des activités
mentionnées au b du 2° du présent II et répondre aux conditions prévues aux a et
c du même 2° ;
« c) Les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être entièrement
libérés au moment de la souscription ou de l'augmentation de capital ou, au plus
tard, à l'issue du délai mentionné au a du présent 3° et représenter au moins 5
% des droits de vote et des droits dans les bénéfices sociaux de la société ;
« d) Les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être détenus
directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq
ans.
« Lorsque les titres font l'objet d'une transmission, d'un rachat ou d'une
annulation ou, si cet événement est antérieur, lorsque le contribuable transfère
son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l'article 167
bis, avant le délai prévu au premier alinéa du présent d, le report d'imposition
prévu au I du présent article est remis en cause dans les conditions du deuxième
alinéa du III ;
« e) (abrogé)
« f) La société bénéficiaire de l'apport ne doit pas avoir procédé à un
remboursement d'apport au bénéfice du cédant, de son conjoint, de leurs
ascendants et descendants ou de leurs frères et sœurs au cours des douze mois
précédant le remploi du produit de la cession.
« III.- Le report d'imposition prévu au présent article est exclusif de
l'application des articles 199 terdecies-0 A et 885-0 V bis.
« Le non-respect de l'une des conditions prévues au II du présent article
entraîne l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value, sans préjudice de
l'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la date à laquelle cet
impôt aurait dû être acquitté.
« L'imposition de la plus-value antérieurement reportée peut, à la demande du
contribuable, être reportée de nouveau lorsque les titres souscrits conformément
au 3° du II du présent article font l'objet d'une opération d'échange dans les
conditions prévues à l'article 150-0 B. Dans ce cas, le délai de cinq ans est
apprécié à compter de la date de souscription des titres échangés.
« III bis.- Lorsque les titres ayant fait l'objet de l'apport prévu au a du 3°
du II sont détenus depuis plus de cinq ans, la plus-value en report d'imposition
est définitivement exonérée. Cette exonération est applicable avant l'expiration
du délai de cinq ans en cas de licenciement, d'invalidité correspondant au
classement dans les deuxième ou troisième des catégories prévues à l'article L.
341-4 du code de la sécurité sociale, du décès du contribuable ou de l'un des
époux soumis à imposition commune ou en cas de liquidation judiciaire de la
société.
« Le premier alinéa du présent III bis ne s'applique pas en cas de remboursement
des apports avant la dixième année suivant celle de l'apport en numéraire.
« IV.- En cas de cession de titres ou droits mentionnés au 1 du I appartenant à
une série de titres ou droits de même nature, acquis ou souscrits à des dates
différentes, les titres ou droits cédés sont ceux acquis ou souscrits aux dates
les plus anciennes.
« V.- Pour l'application du 1° du II, la durée de détention est décomptée à
partir du 1er janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres ou
droits, et :
« 1° En cas de cession de titres ou droits effectuée par une personne
interposée, à partir du 1er janvier de l'année d'acquisition ou de souscription
des titres ou droits par la personne interposée ;
« 2° En cas de vente ultérieure de titres ou droits reçus à l'occasion
d'opérations mentionnées à l'article 150-0 B ou au II de l'article 150 UB, à
partir du 1er janvier de l'année d'acquisition des titres ou droits remis à
l'échange ;
« 3° En cas de cession de titres ou droits après la clôture d'un plan d'épargne
en actions défini à l'article 163 quinquies D ou leur retrait au-delà de la
huitième année, à partir du 1er janvier de l'année au cours de laquelle le
cédant a cessé de bénéficier, pour ces titres, des avantages prévus aux 5° bis
et 5° ter de l'article 157 ;
« 4° En cas de cession à titre onéreux de titres ou droits reçus en rémunération
d'un apport réalisé sous le régime prévu au I ter de l'article 93 quater, au a
du I de l'article 151 octies ou aux I et II de l'article 151 octies A, à partir
du 1er janvier de l'année au cours de laquelle l'apporteur a commencé son
activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
« 5° (abrogé)
« 6° (abrogé)
« 7° (supprimé)
« 8° En cas de cession de titres ou droits effectuée par une fiducie :
« a) Lorsque les titres ou droits ont été acquis ou souscrits par la fiducie, à
partir du 1er janvier de l'année d'acquisition ou de souscription de ces titres
ou droits par la fiducie ;
« b) Lorsque les titres ou droits ont été transférés dans le patrimoine
fiduciaire dans les conditions prévues à l'article 238 quater N, à partir du 1er
janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres par le
constituant ;
« 9° En cas de cession de titres ou droits reçus dans les conditions prévues à
l'article 238 quater Q :
« a) Lorsque le cédant est le constituant initial de la fiducie :
« - lorsque les titres ou droits ont été transférés par le constituant dans le
patrimoine fiduciaire dans les conditions de l'article 238 quater N, à partir du
1er janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres ou droits par
le constituant ;
« - lorsque les titres ou droits n'ont pas été transférés dans le patrimoine
fiduciaire dans les conditions de l'article 238 quater N, à partir du 1er
janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres ou droits par la
fiducie ;
« b) Lorsque le cédant n'est pas le constituant initial de la fiducie, à partir
du 1er janvier de l'année d'acquisition de droits représentatifs des biens ou
droits du patrimoine fiduciaire si les titres ou droits cédés figuraient dans le
patrimoine fiduciaire lors de l'acquisition de ces droits, et à partir du 1er
janvier de l'année d'acquisition ou de souscription des titres ou droits par la
fiducie dans les autres situations ».
2. En premier lieu, les requérants font valoir que ces dispositions méconnaîtraient l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon les requérants, en remplaçant le dispositif d'abattement pour durée de détention, prévu par l'article 150-0 D bis du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, par un autre dispositif, les dispositions renvoyées de l'article 150-0 D bis auraient privé les contribuables de la possibilité de bénéficier de cet abattement alors qu'ils avaient conservé leurs titres à cette fin. Elles auraient ainsi remis en cause les effets qu'ils pouvaient légitimement attendre de cette conservation. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que, en supprimant cet abattement, tout en maintenant à l'article 150-0 D ter du code général des impôts le dispositif d'abattement pour les dirigeants de certaines sociétés faisant valoir leurs droits à la retraite, le législateur aurait créé une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi. En dernier lieu, les requérants considèrent que la disparition de l'abattement pour durée de détention conduirait à faire peser sur les gains de cessions de titres une imposition confiscatoire, méconnaissant ainsi le principe d'égalité devant les charges publiques.
3. Les requérants contestent donc l'absence de ce dispositif d'abattement dans les dispositions renvoyées et non le dispositif de report d'imposition qui l'a remplacé. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les mots « L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe I de l'article 150-0 D bis du code général des impôts.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits :
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.
6. Dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011, l'article 150-0 D bis du code général des impôts prévoyait que les gains nets retirés des cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, soumis au titre de l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel, bénéficieraient d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième année, conduisant à une exonération totale à l'expiration de la huitième année. La durée de détention était décomptée à partir du 1er janvier de l'année d'acquisition pour les titres acquis après le 1er janvier 2006 et, à partir du 1er janvier 2006, pour les titres acquis avant cette date.
7. La loi du 28 décembre 2011 a modifié cet article 150-0 D bis en remplaçant, pour les gains de cessions réalisés à compter du 1er janvier 2011, le dispositif d'abattement par un dispositif de report d'imposition subordonné notamment au réinvestissement d'une partie des gains de cessions.
8. D'une part, il résulte de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011, que le bénéfice d'un abattement ne pouvait être légalement acquis qu'au jour de la cession, fait générateur de l'imposition, de titres détenus depuis au moins six années révolues, décomptées au plus tôt à partir du 1er janvier 2006. Ainsi, aucun droit à abattement n'a pu être légalement acquis avant le 1er janvier 2012. Dès lors, les dispositions contestées, qui trouvent leur origine dans la loi du 28 décembre 2011, laquelle a supprimé ce dispositif d'abattement, ne portent pas atteinte à des situations légalement acquises.
9. D'autre part, la simple conservation de titres durant une période inférieure à la durée exigée par l'article 150-0 D bis du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 n'a pu, à elle seule, faire naître une attente légitime de bénéficier de l'abattement en cause.
10. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
11. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
12. L'article 150-0 D ter du code général des impôts, dans ses rédactions applicables depuis le 1er janvier 2006, prévoit que les dirigeants de certaines sociétés peuvent bénéficier d'un abattement sur les gains retirés de la cession d'actions ou de parts de ces sociétés à la condition notamment de faire valoir leurs droits à la retraite dans les deux années qui suivent la cession.
13. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus que, en prévoyant un tel abattement, le législateur a entendu faciliter la transmission des entreprises françaises au moment du départ à la retraite de leurs dirigeants, lesquels ne sont pas dans la même situation que les autres cédants de titres. Dès lors, le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts » figurant au premier alinéa du 1 du paragraphe I de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 septembre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 431784 du 16 septembre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Calogero G. par Me Hugues Martin, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-813 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, issu de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002, dans la rédaction de cet article résultant de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un État membre à un autre ;
le code général des impôts ;
la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002 ;
la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer ;
la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 octobre 2019 ;
les observations présentées pour le requérant par Me Martin, enregistrées le 23 octobre 2019 ;
les secondes observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 octobre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Martin pour le requérant et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, tel qu'issu de la loi du 29 décembre 2001 mentionnée ci-dessus, dans la rédaction de cet article résultant de la loi du 21 juillet 2003 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les dispositions prévues au 2 de l'article 115 sont applicables en cas d'apport partiel d'actif par une société étrangère et placé sous un régime fiscal comparable au régime de l'article 210 A ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, de soumettre les associés d'une société étrangère, non établie dans un État membre de l'Union européenne, à une procédure d'agrément pour bénéficier du régime fiscal favorable, prévu par l'article 115 du code général des impôts, en matière de distribution de titres consécutive à un apport partiel d'actif. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée selon l'État dans lequel la société est établie, en violation des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Par ailleurs, le requérant estime que les associés privés du bénéfice de ce régime fiscal favorable se trouveraient imposés sur un revenu qui ne correspond pas à un enrichissement réel, en méconnaissance du droit de propriété et du principe d'égalité devant les charges publiques.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « en cas d'apport partiel d'actif par une société étrangère » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Aux termes du 2 de l'article 115 du code général des impôts, l'attribution de titres représentatifs d'un apport partiel d'actif aux membres de la société apporteuse n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu. Ces dispositions, dans leurs rédactions antérieures à la loi du 28 décembre 2017 mentionnée ci-dessus, soumettaient toutefois le bénéfice de ce régime fiscal favorable à l'obtention préalable, par la société apporteuse, d'un agrément délivré par le ministre du budget afin de s'assurer, notamment, que l'opération est justifiée par un motif économique et qu'elle n'a pas pour objectif la fraude ou l'évasion fiscales.
6. Le troisième alinéa de l'article 121 du code général des impôts étend aux sociétés étrangères, sous certaines conditions, le bénéfice de ce régime fiscal favorable. Il résulte toutefois de la jurisprudence constante du Conseil d'État, tirant les conséquences de la directive européenne du 19 octobre 2009 mentionnée ci-dessus, que l'exigence d'un agrément ministériel n'est pas applicable aux attributions de titres effectuées par des sociétés étrangères établies dans un État membre de l'Union européenne.
7. Il s'ensuit que, avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2017, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, instauraient, pour l'accès au régime fiscal favorable des distributions consécutives à un apport partiel d'actif, une différence de traitement entre les associés des sociétés étrangères, selon que ces sociétés étaient établies dans un État membre de l'Union européenne ou un État tiers, seules les premières étant dispensées de l'exigence d'agrément préalable.
8. Toutefois, ces dispositions, ainsi interprétées, ont pour objet d'assurer la neutralité fiscale des seules opérations d'apport partiel d'actif effectuées à des fins de restructuration économique, en dehors de toute volonté de fraude ou d'évasion fiscales, dans le respect du droit de l'Union européenne. Ce dernier, qui instaure un régime fiscal commun pour ces opérations au sein de l'Union européenne, s'oppose à ce que la législation d'un État membre soumette l'octroi de tels avantages fiscaux à une procédure d'agrément préalable reposant sur une présomption générale de fraude ou d'évasion fiscales.
9. D'une part, il ne résulte pas de cette exigence découlant du droit de l'Union européenne une dénaturation de l'objet initial de la loi. D'autre part, au regard de l'objet de la loi, telle que désormais interprétée, il existe une différence de situation, tenant au lieu d'établissement de la société apporteuse, entre les associés des sociétés établies dans un État membre et ceux des autres sociétés étrangères. La différence de traitement instaurée par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi.
10. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « en cas d'apport partiel d'actif par une société étrangère » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 121 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Société Prato Corbara [Conditions d'octroi du crédit d'impôt au titre de certains investissements réalisés en Corse]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 septembre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 432018 du 16 septembre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Prato Corbara par Me Bernard Dumas, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-814 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « Le capital des sociétés doit être entièrement libéré » figurant à la troisième phrase du quatrième alinéa du 1° du paragraphe I de l'article 244 quater E du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code général des impôts ;
l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs ;
la décision du Conseil d'État n° 418526 du 27 juin 2018 ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 octobre 2019 ;
les observations présentées pour la société requérante par Me Dumas, enregistrées le 25 octobre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Dumas pour le requérant et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des mots « Le capital des sociétés doit être entièrement libéré » figurant à la troisième phrase du quatrième alinéa du 1° du paragraphe I de l'article 244 quater E du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus.
2. Le 1° du paragraphe I de l'article 244 quater E du code général des impôts, dans cette rédaction, fixe les conditions d'éligibilité des petites et moyennes entreprises au crédit d'impôt au titre des investissements réalisés et exploités en Corse. La troisième phrase de son quatrième alinéa prévoit, au nombre de ces conditions, que « Le capital des sociétés doit être entièrement libéré ».
3. La société requérante reproche à ces dispositions de subordonner le bénéfice du crédit d'impôt pour investissement en Corse à la libération complète du capital social, appréciée à la clôture de l'exercice de la société qui réalise l'investissement. Dans la mesure où certaines catégories de sociétés commerciales ne sont plus soumises qu'à l'exigence d'un montant minimal de capital social symbolique, un tel critère de libération complète du capital ne serait pas objectif et rationnel. En outre, selon la société requérante, se placer à la date de clôture de l'exercice comptable pour apprécier si cette condition est satisfaite créerait une différence de traitement injustifiée entre les sociétés selon le moment où elles réalisent leur investissement. Enfin, la différence de traitement résultant de ces dispositions serait sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur de favoriser la réalisation de certains investissements en Corse.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'article 244 quater E fixe les conditions dans lesquelles les petites et moyennes entreprises peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des investissements réalisés et exploités en Corse pour les besoins de certaines activités industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole. Parmi ces conditions, les dispositions contestées prévoient que ne sont éligibles à ce crédit d'impôt que les sociétés dont les associés ont intégralement libéré le capital social qu'ils ont souscrit.
7. En premier lieu, une société dont le capital a été entièrement libéré dispose de l'intégralité des fonds propres que ses associés s'étaient engagés à lui fournir. Ainsi, en retenant une telle condition de libération intégrale pour bénéficier du crédit d'impôt, le législateur a entendu réserver l'aide publique à l'investissement aux sociétés dont les associés ont versé, pour les financer, les apports qu'ils avaient souscrits et estimés nécessaires lors de la détermination du capital social.
8. Le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. Dès lors, même si toutes les catégories de sociétés commerciales ne sont pas soumises à une exigence de montant minimal de capital social, le critère retenu par le législateur, qui repose sur les prévisions et les engagements des associés, n'est pas manifestement inapproprié à l'objectif poursuivi par le législateur.
9. En second lieu, il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d'État que cette condition de libération complète du capital s'apprécie non à la date de réalisation de l'investissement, mais à la clôture de l'exercice comptable au titre duquel l'impôt sur les sociétés est liquidé. Cette date correspond au fait générateur de l'impôt sur les sociétés sur lequel s'impute le crédit d'impôt.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de loi. Les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent donc être écartés. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « Le capital des sociétés doit être entièrement libéré » figurant à la troisième phrase du quatrième alinéa du 1° du paragraphe I de l'article 244 quater E du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Carole L. [Révocation du sursis à exécution d'une sanction disciplinaire]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 octobre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 432723 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Carole L. par Me André-François Bouvier-Ferrenti, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-815 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 53 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2016-1809 du 22 décembre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de professions réglementées.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable ;
l'ordonnance n° 2016-1809 du 22 décembre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de professions réglementées, ratifiée par l'article 206 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ;
le décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par Me Bouvier-Ferrenti et Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 octobre 2019 ;
les observations présentées pour le Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
les secondes observations présentées pour la requérante par Mes Bouvier-Ferrenti et Waquet, enregistrées le 31 octobre 2019 ;
les secondes observations présentées pour le Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, enregistrées le 4 novembre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Waquet pour la requérante, Me Fabrice Sebagh, avocat au barreau de Paris, pour le Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 53
de l'ordonnance du 19 septembre 1945 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction
résultant de l'ordonnance du 22 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :«
En dehors de l'avertissement dans le cabinet du président de la chambre
régionale de discipline ou de la commission prévue à l'article 49 bis pour les
faits qui ne paraissent pas justifier d'autre sanction, les peines
disciplinaires sont :
« 1° La réprimande ;
« 2° Le blâme avec inscription au dossier ;
« 3° La suspension pour une durée déterminée avec sursis ;
« 4° La suspension pour une durée déterminée ;
« 5° La radiation du tableau comportant interdiction définitive d'exercer la
profession.
« En outre, pour les associations de gestion et de comptabilité, la commission
peut également prononcer la déchéance du mandat d'un ou de plusieurs dirigeants
ou administrateurs.
« La réprimande, le blâme et la suspension peuvent comporter, en outre, pour le
membre de l'ordre, la privation, par la décision qui prononce la peine
disciplinaire, du droit de faire partie des conseils de l'ordre pendant une
durée n'excédant pas dix ans.
« Sans préjudice des dispositions du premier alinéa de l'article 54, les
instances disciplinaires peuvent, à titre de sanction accessoire, ordonner la
publicité, sans ses motifs, de toute peine disciplinaire dans la presse
professionnelle.
« Le sursis décidé en application du 3° ne s'étend pas aux mesures accessoires
prises en application des septième, huitième et neuvième alinéas ci-dessus. Si,
dans le délai de cinq ans à compter du prononcé de la peine, le membre de
l'ordre, la succursale, l'association de gestion et de comptabilité ou le
professionnel ayant été autorisé à exercer partiellement l'activité d'expertise
comptable a commis une infraction ou une faute ayant conduit au prononcé d'une
nouvelle peine disciplinaire, celle-ci entraîne l'exécution de la première peine
sans confusion avec la seconde.
« Les membres de l'ordre, les succursales, les associations de gestion et de
comptabilité et les professionnels ayant été autorisés à exercer partiellement
l'activité d'expertise comptable suspendus ou radiés du tableau sont remplacés,
le cas échéant, soit d'office, soit à la requête de la partie la plus diligente
dans les missions qui leur avaient été confiées, soit par autorité de justice,
soit par une administration publique. Les particuliers peuvent également, sans
indemnité de part ni d'autre, mais à charge par les membres de l'ordre, les
succursales, les associations de gestion et de comptabilité ou les
professionnels ayant été autorisés à exercer partiellement l'activité
d'expertise comptable en cause de restituer tous les documents ainsi que les
sommes déjà touchées qui ne correspondent pas au remboursement de frais
effectivement exposés, retirer aux membres de l'ordre, aux succursales, aux
associations de gestion et de comptabilité ou aux professionnels ayant été
autorisés à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable suspendus ou
radiés du tableau les missions dont ils les avaient chargés.
« Le membre de l'ordre, la succursale, la société pluri-professionnelle
d'exercice, l'association de gestion et de comptabilité ou le professionnel
ayant été autorisé à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable
radié du tableau doit payer à ses employés quittant son service une indemnité de
délai-congé dans les conditions fixées par le titre III du livre II de la
première partie du code du travail et par la convention collective applicable.
« Le membre de l'ordre, la succursale, la société pluri-professionnelle
d'exercice, l'association de gestion et de comptabilité ou le professionnel
ayant été autorisé à exercer partiellement l'activité d'expertise comptable
suspendu doit payer à ses employés, pendant la durée de sa suspension, les
salaires et indemnités de toute nature prévus par les conventions particulières
ou collectives et par les règlements en vigueur. Toutefois, il a la faculté de
payer à ses employés qui, à cette occasion, quittent son service, l'indemnité de
délai-congé prévue au paragraphe précédent.
« Sont nuls et de nul effet tous actes, traités ou conventions tendant à
permettre, directement ou indirectement, l'exercice de tout ou partie de la
profession d'expert-comptable aux professionnels radiés du tableau ou, pendant
la durée de leur peine, à ceux qui sont temporairement suspendus.
« Les personnes intervenant à ces actes, à quelque titre que ce soit peuvent
être poursuivies comme complices des professionnels suspendus ou radiés,
reconnus coupables d'exercice illégal de la profession, et elles sont passibles
des mêmes peines.
« Les décisions de la chambre régionale de discipline doivent être notifiées à
l'intéressé et au commissaire régional du Gouvernement dans les dix jours francs
de leur date.
« L'affaire est portée entière devant la chambre nationale de discipline.
« Le délai d'appel et l'appel sont suspensifs.
« La décision de la chambre nationale de discipline peut faire l'objet de
recours devant le Conseil d'État. Ce recours n'est pas suspensif, sous réserve
de la possibilité de demander le sursis à exécution de la décision dans les
conditions prévues au code de justice administrative ».
2. La requérante soutient que ces dispositions seraient contraires au principe d'individualisation des peines au motif qu'elles prévoient que le sursis assortissant une peine disciplinaire est automatiquement et obligatoirement révoqué en cas de nouvelle peine disciplinaire prononcée dans un délai de cinq ans, sans que le juge prononçant cette nouvelle peine puisse y faire échec ou moduler les effets de la révocation.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du dixième alinéa de l'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires … ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction disciplinaire ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
5. L'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 détermine les peines disciplinaires qui peuvent être prononcées à l'égard des experts-comptables en cas de manquements aux obligations légales, réglementaires et déontologiques auxquelles ils sont soumis. Au nombre de ces peines, la juridiction disciplinaire peut prononcer celle de suspension, qui emporte interdiction d'exercice de la profession d'expert-comptable pendant un délai que la juridiction détermine. Elle peut assortir cette suspension d'un sursis. Dans ce cas, l'exécution de la peine est suspendue pendant un délai de cinq ans à compter de son prononcé. Si, dans ce délai, la personne sanctionnée commet une infraction ou une faute conduisant au prononcé d'une nouvelle peine disciplinaire, le sursis est révoqué et la peine de suspension est exécutée.
6. Le sursis constitue une mesure de suspension de l'exécution d'une peine. Cette mesure est subordonnée à l'absence, durant un délai d'épreuve, de la commission de nouvelles fautes. Lorsqu'elle prononce une peine et qu'elle décide de l'assortir d'un sursis, la juridiction disciplinaire tient compte des circonstances propres à chaque espèce et de l'adéquation de la peine aux fautes commises. La révocation du sursis n'a pas pour objet de sanctionner de nouvelles fautes mais de tirer les conséquences de la méconnaissance des conditions auxquelles était subordonnée la suspension de l'exécution de la peine précédemment prononcée.
7. Toutefois, en premier lieu, d'une part, il résulte de la combinaison des dispositions contestées et de celles du décret du 30 mars 2012 mentionné ci-dessus que la révocation du sursis intervient pour toute nouvelle sanction disciplinaire. Une telle sanction peut être prononcée en raison d'une contravention aux lois et règlements qui régissent l'activité de l'expertise comptable, d'une infraction aux règles professionnelles ou d'un manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits non liés à l'activité professionnelle. Cette révocation peut donc intervenir quelles que soient la nature et la gravité du manquement sanctionné et de la peine prononcée. D'autre part, le délai d'épreuve durant lequel un tel manquement est susceptible d'entraîner cette révocation est de cinq ans.
8. En second lieu, en vertu des dispositions contestées, le prononcé d'une nouvelle peine disciplinaire entraîne la révocation automatique du sursis sans que la juridiction disciplinaire puisse alors s'y opposer ou en moduler les effets.
9. Dans ces conditions, eu égard à la gravité de la peine de suspension temporaire d'exercice professionnel, la seconde phrase du dixième alinéa de l'article 53 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 méconnaît le principe d'individualisation des peines et doit donc être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer toute possibilité de révocation du sursis assortissant une peine disciplinaire de suspension. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
12. Afin de préserver l'effet utile de la présente décision à la solution des instances en cours ou à venir, il y a lieu de juger que, jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, le juge disciplinaire peut décider que la peine qu'il prononce n'entraîne pas la révocation du sursis antérieurement accordé ou n'entraîne que sa révocation partielle.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase du dixième alinéa de l'article 53 de
l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre
des experts-comptables et réglementant le titre et la profession
d'expert-comptable, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2016-1809
du 22 décembre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications
professionnelles de professions réglementées, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend
effet dans les conditions fixées aux paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et autre [Restructuration des branches professionnelles]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 octobre 2019 par le Conseil d'État (décision n° 431750 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle CGT et pour le syndicat français des artistes-interprètes CGT par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-816 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I et V de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et des articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 novembre 2019 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 23 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe
I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la
loi du 5 septembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le ministre chargé du
travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des
branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ
d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche
de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues :
« 1° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés ;
« 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la
faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de
négociations couverts ;
« 3° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement
régional ou local ;
« 4° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une
organisation professionnelle représentative des employeurs ;
« 5° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à
l'article L. 2232-9 ;
« 6° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses
compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.
« Cette procédure peut également être engagée pour fusionner plusieurs branches
afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions
collectives.
« Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes
intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs
observations sur ce projet de fusion.
« Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la
Commission nationale de la négociation collective.
« Lorsque deux organisations professionnelles d'employeurs ou deux organisations
syndicales de salariés représentées à cette commission proposent une autre
branche de rattachement, par demande écrite et motivée, le ministre consulte à
nouveau la commission dans un délai et selon des modalités fixés par décret.
« Une fois le nouvel avis rendu par la commission, le ministre peut prononcer la
fusion ».
2. Le paragraphe V de l'article L. 2261-32 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :« Sauf dispositions contraires, un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du présent article ».
3. L'article L.
2261-33 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016
mentionnée ci-dessus, prévoit :« En cas de fusion des champs d'application de
plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 ou
en cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs
conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant la
fusion ou le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes,
sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à
compter de la date d'effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la
branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs
conventions collectives.
« Eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches
professionnelles, les différences temporaires de traitement entre salariés
résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées
pendant le délai mentionné au premier alinéa du présent article.
« À défaut d'accord conclu dans ce délai, les stipulations de la convention
collective de la branche de rattachement s'appliquent ».
4. L'article L.
2261-34 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :« Jusqu'à la mesure de
la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs qui suit la
fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L.
2261-32 ou de la conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de
plusieurs conventions préexistantes, sont admises à négocier les organisations
professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une
branche préexistant à la fusion ou au regroupement.
« La même règle s'applique aux organisations syndicales de salariés.
« Les taux mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 2261-19 et à l'article
L. 2232-6 sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du
regroupement ».
5. Les parties requérantes, rejointes par les parties intervenantes, reprochent, en premier lieu, aux dispositions des premier et douzième alinéas du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail de permettre au ministre du travail d'imposer la fusion de branches professionnelles. Elles critiquent en outre certains des critères, prévus aux 1°, 2°, 3° et 5° et au huitième alinéa du même paragraphe I, caractérisant les situations dans lesquelles une telle fusion peut être prononcée. Ces critères sont relatifs à la faiblesse des effectifs salariés ou de l'activité conventionnelle de la branche, au champ d'application géographique de la convention de branche et à l'absence d'activité de la commission paritaire de branche, ainsi qu'au renforcement de la cohérence du champ d'application des conventions collectives. Elles reprochent également à ces dispositions, ainsi qu'à certaines dispositions du premier alinéa de l'article L. 2261-33, d'imposer aux organisations syndicales et patronales le périmètre de négociation de l'accord de remplacement appelé à se substituer aux anciennes conventions de branche, périmètre auquel les partenaires sociaux n'auraient pas le droit de déroger à l'avenir. Il résulterait de tous ces éléments une méconnaissance d'un « principe de liberté de la négociation collective », que les parties requérantes demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître, qui serait fondé sur le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatif au principe de participation des travailleurs et sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 protégeant la liberté contractuelle. Les dispositions relatives au critère tenant à la faiblesse de l'activité conventionnelle de la branche seraient, de surcroît, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ce même principe de liberté de la négociation collective.
6. En deuxième lieu, les parties requérantes et intervenantes reprochent à certaines dispositions de l'article L. 2261-34 du code du travail d'entraîner la dilution, au sein de la branche née de la fusion, de l'audience des organisations syndicales et patronales représentatives, ce qui diminuerait à court terme leur poids lors de la négociation de l'accord de remplacement, mais aussi, à plus long terme, leur capacité à maintenir leur représentativité lors des mesures d'audience ultérieures. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté de la négociation collective, de la liberté syndicale et de la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
7. En dernier lieu, les parties requérantes et intervenantes contestent le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, en ce qu'il prévoit, à défaut d'accord de remplacement conclu par les partenaires sociaux dans un délai de cinq ans à compter de la fusion des branches, l'application de plein droit de la convention de la branche de rattachement, au détriment des stipulations conventionnelles propres à la branche absorbée. Il en résulterait une méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues.
8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions suivantes du code du travail :
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail :
9. Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Aux termes du huitième alinéa du même préambule : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».
10. En matière de négociation collective, la liberté contractuelle découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 4 de la Déclaration de 1789. Il est loisible au législateur d'y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
11. Selon l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.
12. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
13. Le paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail permet au ministre du travail d'engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche professionnelle avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues. En application des 1°, 2°, 3° et 5° de ce paragraphe I, cette procédure peut être engagée lorsque la branche à rattacher compte moins de cinq mille salariés, lorsqu'elle a une faible activité conventionnelle, lorsque son champ d'application géographique est uniquement régional ou local ou encore en l'absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation compétente dans cette branche. Cette procédure peut également être engagée, en vertu du huitième alinéa du même paragraphe I, « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives ».
14. Une fois la procédure engagée, un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations sur le projet de fusion. Le ministre du travail procède à la fusion après avis motivé de la commission nationale de la négociation collective, au sein de laquelle siègent notamment des représentants des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés. Si deux de ces organisations d'employeurs ou deux de ces organisations de salariés proposent une autre branche de rattachement, le ministre consulte à nouveau la commission. Une fois le nouvel avis rendu par la commission, le ministre peut prononcer la fusion, sans être lié par la proposition de rattachement à une autre branche.
15. En application du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs habilitées à négocier dans les branches fusionnées sont invitées à engager une négociation en vue de parvenir, dans un délai de cinq ans, à un accord remplaçant, par des stipulations communes, les stipulations des conventions collectives des branches fusionnées régissant des situations équivalentes.
16. Il résulte des dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail que, lorsque le ministre du travail prononce la fusion de branches professionnelles, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs qui souhaitent négocier un tel accord de remplacement sont, d'une part, contraintes de le faire dans le champ professionnel et géographique ainsi déterminé par le ministre et, d'autre part, tenues d'adopter des stipulations communes pour régir les situations équivalentes au sein de cette branche. Ce faisant, ces dispositions portent atteinte à la liberté contractuelle.
17. Toutefois, en premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que le législateur a estimé que la seule négociation collective laissée à l'initiative des partenaires sociaux ne suffisait pas à limiter l'éparpillement des branches professionnelles. En adoptant les dispositions contestées, il a entendu remédier à cet éparpillement, dans le but de renforcer le dialogue social au sein de ces branches et de leur permettre de disposer de moyens d'action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d'emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général.
18. En deuxième lieu, la procédure de fusion des branches ne peut être engagée qu'à certaines conditions. D'abord, elle ne peut concerner que des branches présentant des conditions sociales et économiques analogues. Ensuite, elle ne peut être engagée, sous le contrôle du juge administratif, qu'« eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration » des branches en cause. Enfin, la branche à rattacher doit être dans une situation répondant à l'un des critères fixés aux 1° à 6° du paragraphe I de l'article L. 2261-32. Or, les critères contestés sont en rapport avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. En effet, en visant, au 1°, les branches de moins de cinq mille salariés, le législateur a retenu un critère cohérent avec l'objectif de faire émerger des branches disposant d'une taille suffisante pour remplir leurs missions. De même, au 2°, le critère relatif à la faiblesse de l'activité conventionnelle au sein de la branche est le corollaire de l'objectif poursuivi de renforcement du dialogue social. Le législateur a précisé que cette faiblesse devait être appréciée au regard du nombre d'accords ou d'avenants conclus et du nombre de thèmes de négociation couverts par ces accords, de sorte qu'il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. En visant, au 3°, les branches dont le champ d'application est uniquement régional ou local, le législateur a retenu un critère cohérent avec le principe posé à l'article L. 2232-5-2 du code du travail selon lequel les branches ont un champ d'application national. En se fondant, au 5° de l'article L. 2261-32, sur l'absence de mise en place ou de réunion de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, le législateur a fixé un critère témoignant de la faiblesse de la négociation collective au sein d'une branche.
19. En troisième lieu, la fusion des branches ne peut être prononcée par le ministre du travail sans que les organisations et personnes intéressées aient été préalablement invitées à faire connaître leurs observations. La commission nationale de la négociation collective doit, en outre, avoir rendu un avis motivé. Le ministre est tenu de la consulter une nouvelle fois si deux organisations d'employeurs ou de salariés qui y sont représentées proposent une autre branche de rattachement. La fusion ne peut alors intervenir qu'une fois ce nouvel avis rendu.
20. En quatrième lieu, si les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-33 prévoient que l'accord de remplacement négocié par les partenaires sociaux doit comporter des stipulations communes applicables aux situations équivalentes, ces dispositions ne font pas obstacle au maintien ou à l'adoption, notamment dans l'accord de remplacement, de stipulations spécifiques régissant des situations distinctes.
21. En dernier lieu, les effets de l'arrêté du ministre du travail prononçant la fusion et contraignant les partenaires sociaux cessent au terme du délai de cinq ans suivant la date de cette fusion. Ainsi, les dispositions contestées ne s'opposent pas à ce que, une fois que l'arrêté a produit tous ses effets, les partenaires sociaux révisent l'accord de remplacement ou, à défaut d'avoir conclu un tel accord, qu'ils révisent la convention collective de la branche de rattachement rendue applicable de plein droit, afin notamment de modifier les champs géographique ou professionnel de cet accord ou de cette convention.
22. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu du motif d'intérêt général poursuivi et des différentes conditions et garanties précitées, l'atteinte portée à la liberté contractuelle par le premier alinéa, les 1°, 2°, 3° et 5° et le douzième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 ainsi que par les mots « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2261-33, n'est pas disproportionnée. Le grief tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, de cette liberté doit donc être écarté.
23. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
24. En revanche, en prévoyant, au huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, que la procédure de fusion peut également être engagée « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d'application des conventions collectives », le législateur n'a pas déterminé au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée. Il a ainsi laissé à l'autorité ministérielle une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion. Il a, ce faisant, méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle.
25. Le huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail :
26. Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, ainsi que, s'agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
27. En application du troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, à défaut de conclusion d'un accord de remplacement dans le délai de cinq ans suivant la date d'effet de la fusion, seules s'appliquent dans la branche issue de cette fusion les stipulations de la convention collective de la branche de rattachement.
28. Ainsi, en mettant fin de plein droit à l'application de la convention collective de la branche rattachée, ces dispositions portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.
29. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, en cas d'absence ou d'échec de la négociation collective à l'issue du délai qu'il a imparti aux partenaires sociaux, assurer l'effectivité de la fusion, en soumettant les salariés et les entreprises de la nouvelle branche à un statut conventionnel unifié. Dès lors, et compte tenu de l'objectif d'intérêt général énoncé au paragraphe 17 de la présente décision, la privation d'effet des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent, non des situations propres à cette branche, mais des situations équivalentes à celles régies par la convention collective de la branche de rattachement, ne méconnaît pas le droit au maintien des conventions légalement conclues.
30. En revanche, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues, mettre fin de plein droit à l'application des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent des situations spécifiques à cette branche.
31. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues doit être écarté. Par conséquent, le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit, sous la même réserve, être déclaré conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne les dispositions contestées de l'article L. 2261-34 du code du travail :
32. L'article L. 2261-34 du code du travail précise les conséquences qu'emporte la restructuration des branches sur la capacité des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés, représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion, à prendre part à la négociation collective au sein de la nouvelle branche. Ses deux premiers alinéas prévoient que ces organisations conservent la possibilité de négocier jusqu'à la prochaine mesure de la représentativité suivant la fusion. Son troisième alinéa dispose, quant à lui, que, pour l'application des règles de validité de la conclusion ou de l'extension d'une convention de branche, l'audience de ces organisations est appréciée au niveau de la branche issue de la fusion.
- S'agissant des dispositions contestées du troisième alinéa de l'article L. 2261-34 :
33. Les dispositions contestées du troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du code du travail prévoient que, même avant la prochaine mesure de leur audience, le poids de chacune des organisations d'employeurs et de salariés admises à négocier s'apprécie, pour la conclusion de l'accord ou pour son extension, au niveau de la branche issue de la fusion. S'il en résulte une dilution du poids relatif de ces organisations, ces dispositions garantissent que les nouvelles stipulations conventionnelles soient définies par les partenaires sociaux en tenant compte de leur niveau de représentativité à l'échelle de la nouvelle branche, plutôt qu'en fonction de leur poids dans les anciennes branches.
34. Par conséquent, les mots « de la fusion » figurant au troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du code du travail ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles résultant des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
- S'agissant des dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34 :
35. Lors de la mesure de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés faisant suite à une fusion de branches, certaines des organisations qui, dans les branches fusionnées, étaient représentatives, au sens des articles L. 2122-5 et L. 2152-1 du code du travail, sont susceptibles de ne plus l'être dans la nouvelle branche. Cela les prive notamment, pour les organisations de salariés, de la possibilité de signer une convention de branche ou de s'y opposer et, pour les organisations d'employeurs, de la faculté de s'opposer à l'extension d'une telle convention.
36. Toutefois, de telles conséquences sont conformes à l'objet des règles de représentativité syndicale, qui visent, s'agissant des syndicats de salariés, à assurer que la négociation collective soit conduite par des organisations dont la représentativité est notamment fondée sur le résultat des élections professionnelles. En outre, la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n'impose pas que toutes les organisations syndicales de salariés et toutes les organisations professionnelles d'employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience.
37. Dès lors, le fait de priver les organisations syndicales de salariés représentatives dans les anciennes branches de la possibilité de signer l'accord de remplacement ou une nouvelle convention de branche lorsqu'elles ont perdu leur représentativité dans la nouvelle branche ne méconnaît pas la liberté contractuelle et le droit au maintien des conventions légalement conclues. Il en va de même, en cas de perte de représentativité, de la faculté pour les organisations professionnelles d'employeurs de s'opposer à l'extension de l'accord de remplacement.
38. En revanche, dans le cas particulier où les organisations représentatives dans chacune des branches fusionnées ont, dans le délai de cinq ans, entamé la négociation de l'accord de remplacement avant la mesure de l'audience suivant la fusion, les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34, applicables tant aux organisations d'employeurs que de salariés, pourraient aboutir si ces organisations ne satisfaisaient plus aux critères de représentativité à l'issue de la nouvelle mesure de l'audience, à les exclure de la négociation alors en cours. Or, d'une part, la participation de ces organisations à la négociation de cet accord garantit la prise en compte des spécificités de chacune de ces branches. D'autre part, la fusion peut conduire à remettre en cause les stipulations des conventions des branches fusionnées régissant des situations équivalentes.
39. Par conséquent, les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 2261-34 ne sauraient, sans méconnaître la liberté contractuelle, être interprétées comme privant les organisations d'employeurs et de salariés, en cas de perte de leur caractère représentatif à l'échelle de la nouvelle branche à l'issue de la mesure de l'audience suivant la fusion, de la possibilité de continuer à participer aux discussions relatives à l'accord de remplacement, à l'exclusion de la faculté de signer cet accord, de s'y opposer ou de s'opposer à son éventuelle extension.
40. Sous cette réserve, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doivent donc être écartés. Les mots « la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2261-34, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
41. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
42. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe 24. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le huitième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 42 de cette décision.
Article 3. - Sous les réserves énoncées ci-dessous, sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
sous la réserve énoncée au paragraphe 30, le troisième alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
sous la réserve énoncée au paragraphe 39, les mots « la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2261-34 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi du 8 août 2016.
Article 4. - Sont conformes à la Constitution :
le premier alinéa, les 1°, 2°, 3° et 5° et le douzième alinéa du paragraphe I de l'article L. 2261-32 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ;
les mots « En cas de fusion des champs d'application de plusieurs conventions collectives en application du I de l'article L. 2261-32 » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
les mots « de la fusion » figurant au troisième alinéa de l'article L. 2261-34 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi du 8 août 2016.
Article 5. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 novembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Claire L. [Interdiction générale de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 octobre 2019 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2161 du 1er octobre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Claire L. par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-817 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code du patrimoine ;
la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 9 octobre 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association de la presse judiciaire par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 23 octobre 2019 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 octobre 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association de la presse judiciaire par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 8 novembre 2019 ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 38
ter de la loi du 29 juillet 1881, dans cette rédaction, prévoit :« Dès
l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires,
l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre
la parole ou l'image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de
tout appareil et du support de la parole ou de l'image utilisés en violation de
cette interdiction.
« Toutefois, sur demande présentée avant l'audience, le président peut autoriser
des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que
les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
« Toute infraction aux dispositions du présent article sera punie de 4 500 euros
d'amende. Le tribunal pourra en outre prononcer la confiscation du matériel
ayant servi à commettre l'infraction et du support de la parole ou de l'image
utilisé.
« Est interdite, sous les mêmes peines, la cession ou la publication, de quelque
manière et par quelque moyen que ce soit, de tout enregistrement ou document
obtenu en violation des dispositions du présent article ».
3. La requérante et l'association intervenante reprochent à ces dispositions d'interdire tant l'utilisation d'un appareil photographique ou d'enregistrement sonore ou audiovisuel au cours des audiences des juridictions administratives ou judiciaires, que la cession ou la publication du document ou de l'enregistrement obtenu au moyen de cet appareil. Selon elles, l'évolution des techniques de captation et d'enregistrement ainsi que le pouvoir de police de l'audience du président de la juridiction suffiraient à assurer la sérénité des débats, la protection des droits des personnes et l'impartialité des magistrats. L'association intervenante dénonce également le fait que le législateur n'ait pas prévu d'exception à cette interdiction afin de tenir compte de la liberté d'expression des journalistes et du « droit du public de recevoir des informations d'intérêt général ». Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d'expression et de communication. L'interdiction étant sanctionnée d'une peine d'amende, ces dispositions contreviendraient, pour les mêmes motifs, au principe de nécessité des délits et des peines.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase des premier et troisième alinéas de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que sur son quatrième alinéa.
5. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. Les dispositions contestées interdisent, sous peine d'amende, à quiconque d'employer, dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, tout appareil photographique ou d'enregistrement sonore ou audiovisuel et de céder ou publier l'enregistrement ou le document obtenu en violation de cette interdiction.
7. En premier lieu, en instaurant cette interdiction, le législateur a, d'une part, entendu garantir la sérénité des débats vis-à-vis des risques de perturbations liés à l'utilisation de ces appareils. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. D'autre part, il a également entendu prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d'innocence de la personne poursuivie.
8. En deuxième lieu, d'une part, s'il est possible d'utiliser des dispositifs de captation et d'enregistrement qui ne perturbent pas en eux-mêmes le déroulement des débats, l'interdiction de les employer au cours des audiences permet de prévenir la diffusion des images ou des enregistrements, susceptible quant à elle de perturber ces débats. D'autre part, l'évolution des moyens de communication est susceptible de conférer à cette diffusion un retentissement important qui amplifie le risque qu'il soit porté atteinte aux intérêts précités.
9. En dernier lieu, l'interdiction résultant des dispositions contestées, à laquelle il a pu être fait exception, ne prive pas le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve du pouvoir de police du président de la formation de jugement.
10. Il résulte de ce qui précède que l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 11 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de nécessité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La première phrase des premier et troisième alinéas de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, et le quatrième alinéa du même article, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 décembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Mme Saisda C. [Assistance de l'avocat dans les procédures de refus d'entrée en France et de maintien en zone d'attente]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 octobre 2019 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 900 du 2 octobre 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Saisda C. par Me Catherine Herrero, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-818 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 213-2 et L. 221-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;
la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la requérante par Me Herrero, enregistrées le 23 octobre 2019 ;
les observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les observations en intervention présentées pour l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Patrick Berdugo, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 octobre 2019 ;
les observations en intervention présentées pour l'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, pour le syndicat des avocats de France, pour l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés et pour l'ordre des avocats au barreau de la Seine-Saint-Denis par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
les secondes observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, enregistrées le 30 octobre 2019 ;
les secondes observations présentées pour la requérante par Me Herrero, enregistrées le 8 novembre 2019 ;
les secondes observations en intervention présentées pour l'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, pour le syndicat des avocats de France, pour l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés et pour l'ordre des avocats au barreau de la Seine-Saint-Denis par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le même jour ;
les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Herrero, pour la requérante, Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Conseil national des barreaux, Me Isabelle Zribi, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les autres parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 novembre 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 10 septembre 2018 mentionnée ci-dessus et de l'article L. 221-4 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L.
213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
cette rédaction, prévoit :« Tout refus d'entrée en France fait l'objet d'une
décision écrite motivée prise, sauf en cas de demande d'asile, par un agent
relevant d'une catégorie fixée par voie réglementaire.
« Cette décision est notifiée à l'intéressé avec mention de son droit d'avertir
ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu'il devait se
rendre, son consulat ou le conseil de son choix. En cas de demande d'asile, la
décision mentionne également son droit d'introduire un recours en annulation sur
le fondement de l'article L. 213-9 et précise les voies et délais de ce recours.
La décision et la notification des droits qui l'accompagne doivent lui être
communiquées dans une langue qu'il comprend.
« L'étranger peut refuser d'être rapatrié avant l'expiration du délai d'un jour
franc, ce dont il est fait mention sur la notification prévue au deuxième
alinéa. L'étranger mineur non accompagné d'un représentant légal ne peut être
rapatrié avant l'expiration du même délai. Le présent alinéa n'est pas
applicable aux refus d'entrée notifiés à Mayotte ou à la frontière terrestre de
la France.
« Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application de
l'article L. 111-7.
« La décision prononçant le refus d'entrée peut être exécutée d'office par
l'administration.
« Une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment
aux mineurs, accompagnés ou non d'un adulte ».
3. L'article L.
221-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans
cette rédaction, prévoit :« L'étranger maintenu en zone d'attente est informé,
dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et
d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et
quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de
France. Il est également informé des droits qu'il est susceptible d'exercer en
matière de demande d'asile. Ces informations lui sont communiquées dans une
langue qu'il comprend. Mention en est faite sur le registre mentionné au
deuxième alinéa de l'article L. 221-3, qui est émargé par l'intéressé.
« En cas de maintien simultané en zone d'attente d'un nombre important
d'étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s'effectue
dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d'agents de l'autorité
administrative et d'interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes
circonstances particulières, les droits notifiés s'exercent dans les meilleurs
délais.
« Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application de
l'article L. 111-7 ».
4. Selon la requérante, rejointe par les parties intervenantes, faute de prévoir que l'étranger peut exiger d'être assisté d'un avocat lorsqu'il est entendu par l'administration avant qu'un refus d'entrée en France lui soit opposé ou pendant son maintien en zone d'attente, ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense ainsi que les exigences résultant des articles 7, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou le conseil de son choix » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et « un conseil ou » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 221-4 du même code.
- Sur le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel :
6. Le Premier ministre fait valoir que, dans la mesure où l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile appliquerait les dispositions inconditionnelles et précises du règlement du 9 mars 2016 mentionné ci-dessus, il n'y aurait pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, de se prononcer sur la conformité des dispositions contestées de cet article aux droits et libertés que la Constitution garantit.
7. En l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou des dispositions d'un règlement de l'Union européenne.
8. Toutefois, le règlement du 9 mars 2016 ne comporte aucune disposition relative aux conditions dans lesquelles un étranger qui sollicite son entrée en France peut être assisté d'un avocat. Dès lors, les dispositions contestées de l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui déterminent de telles conditions ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions dudit règlement. En conséquence, le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
9. Aux termes de l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance ». Aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
10. Selon l'article 16 de la même déclaration : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par ces dispositions le respect des droits de la défense.
11. Les dispositions contestées de l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que la notification à un étranger du refus de son entrée en France doit s'accompagner de la mention de son droit de faire avertir le conseil de son choix. En vertu des dispositions contestées de l'article L. 221-4 du même code, l'étranger est informé, lors de son maintien en zone d'attente, qu'il peut communiquer avec le conseil de son choix. En revanche, ces dispositions ne consacrent pas un droit de l'étranger à exiger l'assistance d'un avocat lors des auditions organisées par l'administration dans le cadre de l'instruction de sa demande d'entrée en France ou pendant son maintien en zone d'attente.
12. Toutefois, d'une part, les auditions effectuées dans le cadre de l'instruction administrative des décisions de refus d'entrée en France ou organisées pendant le maintien de l'étranger en zone d'attente n'ont pour objet que de permettre de vérifier que l'étranger satisfait aux conditions d'entrée en France et d'organiser à défaut son départ. Elles ne relèvent donc pas d'une procédure de recherche d'auteurs d'infractions. D'autre part, la décision de refus d'entrée, celle de maintien en zone d'attente et celles relatives à l'organisation de son départ ne constituent pas des sanctions ayant le caractère de punition mais des mesures de police administrative. Dès lors, la circonstance que les auditions mentionnées ci-dessus puissent se dérouler sans l'assistance d'un avocat ne peut être contestée sur le fondement des articles 7, 9 et 16 de la Déclaration de 1789.
13. Au demeurant, l'étranger peut être assisté d'un avocat dans le cadre des instances juridictionnelles relatives à de telles mesures.
14. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ou le conseil de son choix » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, et les mots « un conseil ou » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 221-4 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 décembre 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
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