QPC JURISPRUDENCE 2018

Rédigé par Frédéric Fabre docteur en droit.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, pour l'année 2018 dans l'ordre chronologique.

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Décision n° 2017-683 QPC du 9 janvier 2018

M. François P.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 octobre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412365 du 6 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. François P. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-683 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 6 novembre 1986 (troisième chambre civile, n° 85-11.288) et du 18 janvier 1989 (troisième chambre civile, n° 87-16.112) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées le 15 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alice Munck, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Préalablement à la conclusion de toute vente d'un ou plusieurs locaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel, consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble par lots, le bailleur doit, à peine de nullité de la vente, faire connaître par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à chacun des locataires ou occupants de bonne foi, l'indication du prix et des conditions de la vente projetée pour le local qu'il occupe. Cette notification vaut offre de vente au profit de son destinataire.
« L'offre est valable pendant une durée de deux mois à compter de sa réception. Le locataire qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si dans sa réponse, il notifie au bailleur son intention de recourir à un prêt, son acceptation de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et, en ce cas, le délai de réalisation est porté à quatre mois. Passé le délai de réalisation de l'acte de vente, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est nulle de plein droit.
« Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le propriétaire n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ou occupant de bonne foi ces conditions et prix à peine de nullité de la vente. Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire ou occupant de bonne foi. Cette offre est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception. L'offre qui n'a pas été acceptée dans le délai d'un mois est caduque.
« Le locataire ou occupant de bonne foi qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire ou occupant de bonne foi de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est nulle de plein droit. Les termes des cinq alinéas qui précèdent doivent être reproduits, à peine de nullité, dans chaque notification.
« Nonobstant les dispositions de l'article 1751 du code civil, les notifications faites en application du présent article par le bailleur sont de plein droit opposables au conjoint du locataire ou occupant de bonne foi si son existence n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur.
« En cas d'absence d'acceptation par un des locataires ou occupants de bonne foi des offres de vente mentionnées aux premier et troisième alinéas, le bailleur communique sans délai au maire de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'immeuble le prix et les conditions de la vente de l'ensemble des locaux pour lesquels il n'y a pas eu acceptation de ces offres de vente. À défaut, toute vente à un autre acquéreur est réputée nulle.
« La commune dispose alors, pour assurer le maintien dans les lieux des locataires, d'un délai de deux mois à compter de cette notification pour décider d'acquérir le ou les logements au prix déclaré ou proposer de les acquérir à un prix inférieur. À défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation ; ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, notamment de l'indemnité de réemploi. Le prix est fixé, payé ou, le cas échéant, consigné selon les règles applicables en matière d'expropriation. En cas d'acquisition, la commune règle le prix au plus tard six mois après sa décision d'acquérir le bien au prix demandé, la décision définitive de la juridiction ou la date de l'acte ou du jugement d'adjudication. En l'absence de paiement ou, s'il y a obstacle au paiement, de consignation de la somme due à l'expiration du délai de six mois prévu au présent alinéa, le propriétaire reprend la libre disposition de son bien.
« II. - Lorsque la vente du local à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel a lieu par adjudication volontaire ou forcée, le locataire ou l'occupant de bonne foi doit y être convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception un mois au moins avant la date de l'adjudication.
« À défaut de convocation, le locataire ou l'occupant de bonne foi peut, pendant un délai d'un mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l'adjudication, déclarer se substituer à l'adjudicataire. Toutefois, en cas de vente sur licitation, il ne peut exercer ce droit si l'adjudication a été prononcée en faveur d'un indivisaire.
« III. - Le présent article s'applique aux ventes de parts ou actions des sociétés dont l'objet est la division d'un immeuble par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance à temps complet. Il ne s'applique pas aux actes intervenant entre parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclus. Il ne s'applique pas aux ventes portant sur un bâtiment entier ou sur l'ensemble des locaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel dudit bâtiment. Il ne s'applique ni aux ventes d'un ou de plusieurs locaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel d'un même immeuble à un organisme mentionné à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation, ni, pour les logements faisant l'objet de conventions conclues en application de l'article L. 351-2 du même code, aux ventes d'un ou de plusieurs locaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel d'un même immeuble à une société d'économie mixte mentionnée à l'article L. 481-1 dudit code ou à un organisme bénéficiant de l'agrément prévu à l'article L. 365-1 du même code ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions d'être entachées d'une incompétence négative qui affecte par elle-même le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques, en ce que le champ d'application du droit de préemption ne serait pas suffisamment défini, en raison de l'imprécision de la notion de vente « consécutive » à la division de l'immeuble et de l'imprécision des conditions auxquelles la commune peut exercer son droit de préemption. Il soutient par ailleurs que ces dispositions portent au droit de propriété une atteinte inconstitutionnelle, dans la mesure où elles ne prévoient pas de délai maximum entre la division des locaux et l'exercice du droit de préemption ni ne limitent l'exercice de ce droit aux seules ventes spéculatives. Le requérant critique également, au regard du droit de propriété, le régime du droit de préemption instauré au profit des communes, qui allongerait excessivement les délais de vente et ne serait pas justifié par un motif d'intérêt général. Enfin, le requérant estime que ces dispositions violent le principe d'égalité. Il critique la différence de traitement qui résulterait du fait qu'une vente consécutive à une cession à titre onéreux entre parents ne serait pas considérée comme une première vente soumise à droit de préemption alors qu'il en irait ainsi de la vente consécutive à une transmission, à titre gratuit, entre parents.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les quatre premiers et les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 10, ainsi que sur la deuxième phrase du paragraphe III de ce même article.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :

4. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

S'agissant du droit de préemption du locataire ou de l'occupant de bonne foi :

5. Les quatre premiers alinéas du paragraphe I de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 instaurent un droit de préemption au profit du locataire ou de l'occupant de bonne foi d'un local d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel, lorsque la mise en vente de ce local est « consécutive » à la division ou à la subdivision de l'immeuble qui l'inclut. Conformément à l'interprétation constante de la Cour de cassation, ce droit de préemption ne peut toutefois s'exercer qu'à l'occasion de la première vente consécutive à cette division ou subdivision.

6. En premier lieu, en instaurant ce droit de préemption, le législateur a entendu protéger le locataire ou l'occupant de bonne foi du risque de se voir signifier leur congé à l'échéance du bail ou à l'expiration du titre d'occupation par le nouvel acquéreur de l'immeuble, à la suite d'une opération spéculative, facilitée par la division de l'immeuble. L'exercice de ce droit de préemption leur permet ainsi de se maintenir dans les lieux. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général.

7. Toutefois, compte tenu de l'objectif ainsi poursuivi, la protection apportée par le législateur ne saurait, sans méconnaître le droit de propriété, bénéficier à un locataire ou à un occupant de bonne foi dont le bail ou l'occupation sont postérieurs à la division ou la subdivision de l'immeuble et qui ne sont donc pas exposés au risque décrit précédemment.

8. En deuxième lieu, le législateur a prévu que le droit de préemption s'exerce seulement dans un délai de deux mois après la notification de l'offre de vente et au prix notifié par le propriétaire. En outre, en vertu du paragraphe III de l'article 10, le droit de préemption ne s'applique ni à la vente d'un bâtiment entier, ni à celle intervenant entre parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclus, ni à celle relative à certains immeubles à destination de logement social.

9. Eu égard aux garanties ainsi prévues, et sous la réserve énoncée au paragraphe 7, le droit de préemption reconnu au locataire ou à l'occupant de bonne foi par les dispositions contestées ne porte pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit donc être écarté.

S'agissant du droit de préemption de la commune :

10. Les deux derniers alinéas de l'article 10 instaurent un droit de préemption au profit de la commune où est établi l'immeuble vendu, qui ne peut être mis en œuvre qu'à défaut d'exercice par le locataire ou l'occupant de bonne foi de son propre droit de préemption. La commune à laquelle le prix et les conditions de la vente sont, dans ce cas, notifiés, peut décider d'acquérir le bien, dans un délai de deux mois, au prix déclaré ou proposer de l'acquérir à un prix inférieur. À défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation.

11. D'une part, si en instaurant ce droit de préemption, le législateur a poursuivi le même objectif d'intérêt général que celui énoncé au paragraphe 6, il n'a en revanche pas restreint l'usage que la commune est susceptible de faire du bien ainsi acquis. En particulier, il n'a imposé à la commune aucune obligation d'y maintenir le locataire ou l'occupant de bonne foi à l'échéance du bail ou à l'expiration du titre d'occupation.

12. D'autre part, si l'exercice de ce droit de préemption par la commune répond aux mêmes garanties prévues au paragraphe III de l'article 10 énoncées au paragraphe 8 de la présente décision, le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 10 prévoit qu'à défaut d'accord amiable, le prix de vente est fixé par le juge de l'expropriation et que le propriétaire ne peut reprendre la libre disposition de son bien, en l'absence de paiement, qu'à l'échéance d'un délai de six mois après la décision de la commune d'acquérir ce bien au prix demandé, la décision définitive de la juridiction de l'expropriation ou la date de l'acte ou du jugement d'adjudication.

13. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 10 doivent être déclarés contraires à la Constitution.

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

14. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

15. La vente consécutive à une transmission, à titre gratuit entre parents, se distingue de la vente directe à un parent en ce qu'une cession à titre gratuit ne peut faire l'objet d'un droit de préemption. La différence de traitement entre ces deux opérations repose donc sur une différence de situation et elle est en rapport avec l'objet de la loi. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

16. Les quatre premiers alinéas du paragraphe I, sous la réserve énoncée au paragraphe 7, et la deuxième phrase du paragraphe III de l'article 10, qui ne sont pas entachés d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

17. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

18. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, sont contraires à la Constitution.

Article 2. - Sont conformes à la Constitution :
- sous la réserve énoncée au paragraphe 7, les quatre premiers alinéas du paragraphe I de l'article 10 de cette même loi du 31 décembre 1975, dans cette même rédaction ;
- la deuxième phrase du paragraphe III de ce même article, dans cette même rédaction.

Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 18 de cette décision.

Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 janvier 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-684 QPC du 11 janvier 2018

Associations La cabane juridique / Legal Shelter et autre

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 octobre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur 2° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Ces dispositions donnent au préfet, lorsque l'état d'urgence est déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone qu'il couvre, le pouvoir « d'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ».

Il était reproché à ces dispositions de méconnaître notamment la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale, le droit de propriété et la liberté d'entreprendre.

Par la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n'assurent pas une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

En effet, le législateur n'a, d'une part, soumis la création d'une zone de protection ou de sécurité à aucune autre condition que l'instauration de l'état d'urgence. D'autre part, il n'a pas défini la nature des mesures susceptibles d'être prises par le préfet pour réglementer le séjour des personnes à l'intérieur d'une telle zone et n'a encadré leur mise en œuvre d'aucune garantie.

Pour ces motifs, proches de ceux retenus dans la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 sur les interdictions de séjour dans le cadre de l'état d'urgence, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, avec effet immédiat, les dispositions du 2° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 2017. Cette décision s'attache ainsi au seul état du droit applicable au litige à l'origine de la question prioritaire de constitutionnalité qui avait été soumise au Conseil constitutionnel.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 octobre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412407 du 6 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations La cabane juridique / Legal Shelter et Le réveil voyageur par Me Lionel Crusoé, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-684 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par Me Crusoé, enregistrées le 2 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Gisti par Me Crusoé, enregistrées les 2 et 17 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour le Syndicat des avocats de France par Me Bertrand Couderc, avocat au barreau de Bourges, enregistrées le 2 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Crusoé, pour les associations requérantes et pour l'association Gisti, partie intervenante, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la Ligue des droits de l'Homme, partie intervenante, Me Couderc, pour le Syndicat des avocats de France, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 5 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit que la déclaration de l'état d'urgence donne certains pouvoirs aux préfets des départements dans lesquels s'applique l'état d'urgence. Selon le 2° de cet article 5, le préfet a le pouvoir : « D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ».

2. Les associations requérantes et intervenantes reprochent à ces dispositions de permettre aux préfets d'instituer des zones de protection ou de sécurité, dans lesquelles les déplacements des personnes et des véhicules peuvent être limités ou interdits, sans que la création de ces zones soit subordonnée à des circonstances ou à des menaces particulières ni que les mesures de réglementation du séjour dans ces zones soient définies et encadrées. Il en résulterait une violation de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée, du droit de mener une vie familiale normale, du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre, ainsi qu'une méconnaissance par le législateur de sa compétence de nature à affecter ces droits et libertés. Selon l'une des parties intervenantes, les dispositions contestées porteraient également atteinte à l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles permettraient de déléguer à des agents privés de sécurité le soin de procéder à des palpations de sécurité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages dans l'espace public.

- Sur le fond :

3. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

4. L'instauration d'une zone de protection ou de sécurité, prévue par les dispositions contestées, ne peut être ordonnée par le préfet dans le département que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans les circonscriptions territoriales couvertes par celui-ci. L'état d'urgence peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

5. Toutefois, d'une part, le législateur n'a soumis la création d'une zone de protection ou de sécurité à aucune autre condition. D'autre part, il n'a pas défini la nature des mesures susceptibles d'être prises par le préfet pour réglementer le séjour des personnes à l'intérieur d'une telle zone et n'a encadré leur mise en œuvre d'aucune garantie.

6. Dès lors, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le 2° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

7. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

8. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le 2° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 8 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 janvier 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018

Fédération bancaire française [Droit de résiliation annuel des contrats assurance-emprunteur]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 octobre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur certaines dispositions de l'article L. 313-30 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, ainsi que du paragraphe V de l'article 10 de cette même loi.

Les dispositions contestées de l'article L. 313-30 du code de la consommation prévoient que, pour le financement d'un bien immobilier, un emprunteur peut, après la conclusion du contrat de prêt, substituer au contrat d'assurance de groupe proposé par le prêteur un autre contrat d'assurance, en faisant usage du droit de résiliation mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité. Ces dispositions permettent ainsi à un assuré emprunteur de résilier un contrat d'assurance de groupe tous les ans en adressant à l'assureur une lettre recommandée au moins deux mois avant la date d'échéance. Le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 rend cette faculté annuelle de résiliation applicable aux contrats d'assurance en cours d'exécution au 1er janvier 2018.

La Fédération bancaire française, rejointe par certaines parties intervenantes, reprochait aux dispositions contestées de l'article L. 313-30 du code de la consommation de méconnaître la garantie des droits. Selon elle, le législateur aurait, en les adoptant, affecté le contexte juridique et économique dans lequel évoluent les assureurs proposant de tels contrats. Il en résulterait une atteinte à une situation légalement acquise et aux effets pouvant en être légitimement attendus. Par ailleurs, en prévoyant l'application de ces dispositions aux contrats en cours, le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 aurait également porté une atteinte au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues.

Par la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.

Faisant application de cette jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge qu'aucune disposition du droit applicable avant la loi du 21 février 2017 aux contrats d'assurance de groupe en cause n'a pu faire naître une attente légitime des établissements bancaires et des sociétés d'assurances proposant ces contrats quant à la pérennité de leurs conditions de résiliation. D'ailleurs, les évolutions successives apportées à ce droit par des lois de 2008, 2010 et 2013 avaient précédemment élargi les possibilités de résiliation de ces contrats par les assurés, rapprochant ainsi les règles qui leur sont applicables de celles communes aux contrats d'assurance. Elles avaient également étendu la possibilité de souscrire des contrats alternatifs. La seule circonstance que ces établissements bancaires et les sociétés d'assurance aient choisi d'établir l'équilibre économique de leur activité à travers une mutualisation de ces contrats, en se fondant sur les conditions restrictives de résiliation alors en vigueur, n'a pas non plus pu faire naître une attente légitime à leur profit. Le Conseil constitutionnel en déduit que la modification contestée de l'article L. 313-30 du code de la consommation n'a pas porté atteinte à une situation légalement acquise ni remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d'une telle situation.

S'agissant de l'application des nouvelles règles aux contrats en cours d'exécution au 1er janvier 2018, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

Il juge qu'au cas précis, en instituant un droit de résiliation annuel des contrats d'assurance de groupe au bénéfice des emprunteurs, le législateur a entendu renforcer la protection des consommateurs en assurant un meilleur équilibre contractuel entre l'assuré emprunteur et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs. En appliquant ce droit de résiliation aux contrats en cours, il a voulu, compte tenu de la longue durée de ces contrats, que cette réforme puisse profiter au grand nombre des emprunteurs ayant déjà conclu un contrat d'assurance collectif. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. En outre, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'entraîner directement la résiliation de contrats en cours, mais seulement d'ouvrir aux emprunteurs une faculté annuelle de résiliation. Par ailleurs, l'organisme prêteur ne peut se voir imposer un contrat d'assurance ne présentant pas un niveau de garantie équivalent au contrat d'assurance de groupe conclu. Enfin, le législateur a prévu que cette faculté ne s'appliquera aux contrats en cours qu'à compter du 1er janvier 2018, laissant ainsi un délai entre le vote de la loi et son application pour permettre notamment aux assureurs de prendre en compte les effets de cette modification sur leurs contrats en cours. Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de l'atteinte aux contrats légalement conclus.

L'ensemble des dispositions contestées sont ainsi jugées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 octobre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412827 du 6 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Fédération bancaire française par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-685 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « ou qu'il fait usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services, de la dernière phrase de ce même alinéa dans cette même rédaction et du paragraphe V de l'article 10 de cette même loi.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code des assurances ;
- le code de la consommation ;
- le code de la mutualité ;
- la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs ;
- la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation ;
- la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ;
- la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la fédération requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 30 octobre et 20 novembre 2017 ;
- les observations présentées pour les sociétés Assurances du Crédit Mutuel Vie SA, BPCE Vie SA, Cardif assurance vie, CNP assurances SA, HSBC Assurances Vie, Predica - Prévoyance dialogue du crédit agricole, SOGECAP et Suravenir, parties intervenantes devant le Conseil d'État, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 30 octobre et 20 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société La banque postale prévoyance, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 30 octobre et 20 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées par la société Réassurez-moi, enregistrées le 2 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour les syndicats Planète courtier Syndicat français du courtage d'assurance et Chambre syndicale des courtiers d'assurances et de réassurances et pour la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 2 et 20 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Assurance Emprunteur Citoyen et l'association Rose par la SCP Bruschi et associés, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 3 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association UFC-Que choisir par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Allianz Vie et autres par Mes Anne Bost, Matthieu Ragot, Nicolas Baverez, Nicolas Autet et Grégory Marson, avocats au barreau de Paris, enregistrées les 3 et 20 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la fédération requérante, les sociétés intervenantes devant le Conseil d'État et la société La banque postale prévoyance, partie intervenante, Me Baverez pour les sociétés Allianz Vie et autres, Me Jacques Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les syndicats Planète courtier Syndicat français du courtage d'assurance et autres, Me Jean de Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association UFC-Que choisir, Me Bruschi pour les associations Assurance Emprunteur Citoyen et autre, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit que, dans le cadre d'un contrat de crédit visé à l'article L. 313-1 du même code, le prêteur ne peut pas refuser en garantie un autre contrat d'assurance, dès lors que ce contrat présente un niveau de garantie équivalent au contrat d'assurance de groupe qu'il propose, lorsque l'emprunteur fait usage de son droit de résiliation dans le délai de douze mois à compter de la signature de l'offre de prêt :
« ou qu'il fait usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité. Toute décision de refus doit être motivée ».

2. Le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 prévoit :
« Le présent article est également applicable, à compter du 1er janvier 2018, aux contrats d'assurance en cours d'exécution à cette date ».

3. La fédération requérante, rejointe par certaines parties intervenantes, reproche à ces dispositions de méconnaître la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon elle, en permettant à un emprunteur de résilier tous les ans son contrat d'assurance de groupe souscrit aux fins d'assurer son prêt, le législateur aurait affecté le contexte juridique et économique dans lequel évoluent les assureurs proposant de tels contrats. Il en résulterait une atteinte à une situation légalement acquise et aux effets pouvant en être légitimement attendus. Par ailleurs, en prévoyant l'application de ces dispositions aux contrats en cours, il aurait également porté une atteinte au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, protégé par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur les mots « ou qu'il fait usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation et, d'autre part, sur le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017.

- Sur certaines interventions :

5. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

6. La fédération requérante conclut à l'irrecevabilité des interventions présentées par la société Réassurez-moi, l'association Assurance Emprunteur Citoyen et l'association Rose. Elle soutient que le mémoire en intervention de la société Réassurez-moi ne contiendrait ni moyens ni conclusions, que le président de l'association Assurance Emprunteur Citoyen n'aurait pas qualité à agir en justice au nom de cette dernière, faute d'avoir été habilité conformément aux statuts de cette association, et enfin que l'association Rose serait dépourvue d'intérêt à agir eu égard à son objet social.

7. Toutefois, il ressort des pièces versées au dossier que les irrecevabilités alléguées à l'encontre des demandes d'intervention de la société Réassurez-moi et de l'association Assurance Emprunteur Citoyen manquent en fait. Par ailleurs, compte tenu de l'objet social et de l'activité de l'association Rose, celle-ci dispose d'un intérêt spécial à intervenir. Par conséquent, les conclusions aux fins d'irrecevabilité de ces interventions sont rejetées.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne certaines dispositions du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation :

8. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution».

9. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.

10. Le premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à la loi du 21 février 2017, prévoit que, jusqu'à la signature de l'offre de prêt destiné à financer un bien immobilier, le prêteur ne peut refuser en garantie, pour couvrir le risque de défaut de remboursement, un autre contrat d'assurance que le contrat de groupe qu'il propose. Il en est de même lorsque l'emprunteur résilie le contrat dans un délai de douze mois à compter de la signature de l'offre de prêt dans les conditions définies au premier alinéa de l'article L. 113-12-2 du code des assurances ou au deuxième alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité.

11. La loi du 21 février 2017 a complété le premier alinéa de l'article L. 313-30 afin de prévoir que l'emprunteur peut également, après la conclusion du contrat de prêt, substituer au contrat d'assurance de groupe un autre contrat d'assurance, en faisant usage du droit de résiliation mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité. Ces dispositions permettent à un assuré de résilier un contrat d'assurance tous les ans en adressant une lettre recommandée au moins deux mois avant la date d'échéance.

12. En premier lieu, l'application des dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation aux contrats conclus avant leur entrée en vigueur résulte du paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017. En ce que ces dispositions s'appliquent aux contrats conclus après cette entrée en vigueur, elles sont insusceptibles de porter atteinte à des situations légalement acquises.

13. En second lieu, aucune disposition du droit applicable avant la loi du 21 février 2017 aux contrats d'assurance de groupe en cause n'a pu faire naître une attente légitime des établissements bancaires et des sociétés d'assurances proposant ces contrats quant à la pérennité des conditions de résiliation de ces derniers. D'ailleurs, les évolutions successives apportées à ce droit par les lois du 3 janvier 2008, du 1er juillet 2010 et du 26 juillet 2013 mentionnées ci-dessus ont élargi les possibilités de résiliation de ces contrats par les assurés, rapprochant ainsi les règles qui leur sont applicables de celles communes aux contrats d'assurance. Elles ont également élargi les possibilités de souscription de contrats alternatifs. La seule circonstance que ces établissements bancaires et les sociétés d'assurance aient choisi d'établir l'équilibre économique de leur activité à travers une mutualisation de ces contrats, en se fondant sur les conditions restrictives de résiliation alors en vigueur, n'a pas non plus pu faire naître une attente légitime à leur profit.

14. Par conséquent, les mots « ou qu'il fait usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation n'ont pas porté atteinte à une situation légalement acquise ni remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d'une telle situation. Ces dispositions, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 :

15. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

16. Le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 prévoit l'application, à compter du 1er janvier 2018, de la nouvelle rédaction du premier alinéa de l'article L. 313-30 aux contrats d'assurance en cours d'exécution à cette date.

17. En premier lieu, d'une part, en instituant un droit de résiliation annuel des contrats d'assurance de groupe au bénéfice des emprunteurs, le législateur a entendu renforcer la protection des consommateurs en assurant un meilleur équilibre contractuel entre l'assuré emprunteur et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs. D'autre part, en appliquant ce droit de résiliation aux contrats en cours, le législateur a voulu, compte tenu de la longue durée de ces contrats, que cette réforme puisse profiter au grand nombre des emprunteurs ayant déjà conclu un contrat d'assurance collectif. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

18. En second lieu, les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'entraîner directement la résiliation de contrats en cours, mais seulement d'ouvrir aux emprunteurs une faculté annuelle de résiliation. Par ailleurs, le prêteur ne peut se voir imposer un contrat d'assurance ne présentant pas un niveau de garantie équivalent au contrat d'assurance de groupe conclu. Enfin, le législateur a prévu que cette faculté ne s'appliquera aux contrats en cours qu'à compter du 1er janvier 2018, laissant ainsi un délai entre le vote de la loi et son application pour permettre notamment aux assureurs de prendre en compte les effets de cette modification sur leurs contrats en cours.

19. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, le grief tiré de ce que le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 méconnaît le droit au maintien des contrats légalement conclus doit être écarté. Ce paragraphe, qui ne méconnaît pas non plus les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :

- les mots « ou qu'il fait usage du droit de résiliation annuel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 113-12 du code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du code de la mutualité » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 313-30 du code de la consommation dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services ;
- le paragraphe V de l'article 10 de cette même loi.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 janvier 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI.

Décision n° 2017-686 QPC du 19 janvier 2018

Confédération générale du travail - Force ouvrière et autres [Proportion d'hommes et de femmes sur les listes de candidats aux élections du comité d'entreprise]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 octobre 2017 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2438 du 18 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération générale du travail - Force ouvrière, l'union départementale Force ouvrière de la Loire et Mme Manon C. par Me Zoran Ilic, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-686 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2324-22-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Ilic, enregistrées le 9 novembre 2017 ;
- les observations présentées pour la Confédération générale du travail - Force ouvrière et l'union départementale Force ouvrière de la Loire par Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 novembre 2017 ;
- les observations présentées pour l'union régionale de la construction et du bois CFDT de Rhône-Alpes, le syndicat CFDT construction bois Loire et monts du Lyonnais, MM. Jordi G., Rachid Z. et Rachid S., parties en défense, par la SCP Masse-Dessen - Thouvenin - Coudray, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ilic, pour les requérants, Me Hélène Masse-Dessen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 janvier 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 2324-22-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L. 2324-22 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.
« Lorsque l'application du premier alinéa du présent article n'aboutit pas à un nombre entier de candidats à désigner pour chacun des deux sexes, il est procédé à l'arrondi arithmétique suivant :
« 1° Arrondi à l'entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ;
« 2° Arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5.
« En cas de nombre impair de sièges à pourvoir et de stricte égalité entre les femmes et les hommes inscrits sur les listes électorales, la liste comprend indifféremment un homme ou une femme supplémentaire.
« Le présent article s'applique à la liste des membres titulaires du comité d'entreprise et à la liste de ses membres suppléants ».

2. Les requérants estiment que ces dispositions font obstacle, lorsque la proportion d'hommes et de femmes dans le collège électoral est très déséquilibrée, à ce qu'un salarié du sexe sous-représenté soit candidat au mandat de représentant du personnel au comité d'entreprise. Il en résulterait une méconnaissance du principe de participation des travailleurs énoncé au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'une différence de traitement injustifiée entre les hommes et les femmes, contraire au principe d'égalité devant la loi. En outre, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant la liberté syndicale ainsi que le principe d'égalité devant le suffrage.

3. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2324-22-1 du code du travail.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs :

4. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise.

5. Aux termes du second alinéa de l'article 1er de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ». Il ressort de ces dispositions que le constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. À cette fin, il est loisible au législateur d'adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Il lui appartient toutefois d'assurer la conciliation entre cet objectif et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger.

6. Le premier alinéa de l'article L. 2324-22-1 du code du travail impose à chaque liste de candidats aux élections des représentants du personnel au sein du comité d'entreprise de comporter un nombre de femmes et d'hommes proportionnel à leur part respective au sein du collège électoral. La liste se compose alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes. Les deuxième à quatrième alinéas de cet article fixent une règle d'arrondi arithmétique lorsque la proportion de femmes et d'hommes au sein du corps électoral ne permet pas d'aboutir à un nombre entier de candidats à désigner pour chaque sexe. Ainsi, dans l'hypothèse où la décimale est supérieure ou égale à cinq, il est procédé à l'arrondi à l'entier supérieur tandis que, dans l'hypothèse inverse, il est procédé à l'arrondi à l'entier inférieur.

7. En adoptant l'article L. 2324-22-1, le législateur a entendu assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les institutions représentatives du personnel afin de mettre en œuvre l'objectif institué au second alinéa de l'article 1er de la Constitution.

8. À cette fin, il était loisible au législateur de prévoir un mécanisme de représentation proportionnelle des femmes et des hommes au sein du comité d'entreprise et de l'assortir d'une règle d'arrondi pour sa mise en œuvre.

9. Toutefois, l'application de cette règle d'arrondi ne saurait, sans porter une atteinte manifestement disproportionnée au droit d'éligibilité aux institutions représentatives du personnel résultant du principe de participation, faire obstacle à ce que les listes de candidats puissent comporter un candidat du sexe sous-représenté dans le collège électoral.

10. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le législateur a ainsi assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre l'objectif institué au second alinéa de l'article 1er de la Constitution et le principe de participation énoncé au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

11. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

12. Les dispositions contestées traitent de la même manière tous les salariés, femmes ou hommes. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

13. Les deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2324-22-1 du code du travail, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté syndicale, l'égalité devant le suffrage et l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la réserve énoncée au paragraphe 9, être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 9, les deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2324-22-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 janvier 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 2 FÉVRIER 2018

Décision n° 2017-687 QPC du 2 février 2018

Association Wikimédia France et autre [Droit à l'image des domaines nationaux]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 novembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411005 du 25 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-687 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 621-42 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du patrimoine ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 24 novembre et 11 décembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'établissement public du domaine national de Chambord par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 24 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour les associations requérantes, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23 janvier 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 621-42 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« L'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l'autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat, assorti ou non de conditions financières.
« La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation.
« L'autorisation mentionnée au premier alinéa n'est pas requise lorsque l'image est utilisée dans le cadre de l'exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d'enseignement, de recherche, d'information et d'illustration de l'actualité.
« Un décret en Conseil d'État définit les modalités d'application du présent article ».

2. Les associations requérantes soutiennent en premier lieu qu'en soumettant l'utilisation commerciale de l'image des immeubles d'un domaine national à l'autorisation du gestionnaire de ce domaine, ces dispositions seraient contraires à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'exclusivité des droits patrimoniaux attachés à une œuvre intellectuelle doit nécessairement s'éteindre après l'écoulement d'un certain délai. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne seraient justifiées par aucun motif d'intérêt général et porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des personnes qui cherchent à commercialiser des images des domaines nationaux. En troisième lieu, ces dispositions porteraient également une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété des propriétaires de photographies des immeubles en cause et des titulaires de droits d'auteur sur de telles photographies. En quatrième lieu, les associations requérantes invoquent une violation du principe d'égalité devant la loi, au motif que les auteurs de clichés pourraient, à la discrétion du gestionnaire du domaine, bénéficier ou non d'une autorisation et devoir acquitter ou non une redevance. Elles dénoncent, en cinquième lieu, une méconnaissance du droit au maintien des contrats légalement conclus. En dernier lieu, elles reprochent au législateur de s'être mépris sur l'étendue de sa compétence. En particulier, celui-ci n'aurait pas suffisamment précisé la portée des exceptions au principe de l'autorisation, ni encadré les conditions financières de cette autorisation. Cette incompétence négative affecterait par elle-même la liberté d'entreprendre, le principe d'égalité devant la loi et le droit de propriété.

- Sur les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre, du droit de propriété et du principe d'égalité devant la loi et sur le grief tiré de l'incompétence négative :

. En ce qui concerne les normes de référence :

3. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

7. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » et détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ». Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.

. En ce qui concerne la constitutionnalité des dispositions contestées :

8. Selon l'article L. 621-34 du code du patrimoine, les domaines nationaux sont « des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation et dont l'État est, au moins pour partie, propriétaire. - Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l'État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique ». Selon le deuxième alinéa de l'article L. 621-35 du même code, les domaines nationaux « peuvent comprendre des biens immobiliers appartenant à l'État, à des collectivités territoriales, à des établissements publics ou à des personnes privées ».

9. Les dispositions contestées soumettent, sauf exceptions, l'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles qui constituent les domaines nationaux à l'autorisation préalable du gestionnaire de la partie du domaine national en cause. Cette autorisation prend la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat, assorti ou non d'une redevance.

10. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu protéger l'image des domaines nationaux afin d'éviter qu'il soit porté atteinte au caractère de biens présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation et détenus, au moins partiellement, par l'État. Il a également entendu permettre la valorisation économique du patrimoine que constituent ces domaines nationaux. Le législateur a ainsi poursuivi des objectifs d'intérêt général.

11. En second lieu, d'une part, il résulte de la combinaison des premier et troisième alinéas de l'article L. 621-42 du code du patrimoine que l'autorisation préalable du gestionnaire du domaine national n'est pas requise lorsque l'image est utilisée à des fins commerciales et qu'est également poursuivie une finalité culturelle, artistique, pédagogique, d'enseignement, de recherche, d'information, d'illustration de l'actualité ou liée à l'exercice d'une mission de service public.

12. D'autre part, compte tenu de l'objectif de protection poursuivi par le législateur, l'autorisation ne peut être refusée par le gestionnaire du domaine national que si l'exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l'image de ce bien présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation. Dans le cas contraire, l'autorisation est accordée dans les conditions, le cas échéant financières, fixées par le gestionnaire du domaine national, sous le contrôle du juge.

13. Enfin, si, en application des dispositions contestées, l'autorisation est délivrée gratuitement ou à titre onéreux, le montant de la redevance devant alors tenir compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation, il appartient aux autorités compétentes d'appliquer ces dispositions dans le respect des exigences constitutionnelles et, en particulier, du principe d'égalité.

14. Il résulte de ce qui précède que le législateur, qui n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, n'a pas porté d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété et n'a pas méconnu le principe d'égalité devant la loi. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2, 4 et 6 de la Déclaration de 1789 et de l'article 34 de la Constitution doivent donc être écartés.

- Sur les autres griefs :

15. En premier lieu, en accordant au gestionnaire d'un domaine national le pouvoir d'autoriser ou de refuser certaines utilisations de l'image de ce domaine, le législateur n'a ni créé ni maintenu des droits patrimoniaux attachés à une œuvre intellectuelle. Dès lors et en tout état de cause, manque en fait le grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République que les associations requérantes demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître.

16. En second lieu, en l'absence de disposition expresse contraire, les dispositions contestées n'affectent pas les contrats légalement conclus avant leur entrée en vigueur. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du droit au maintien des contrats légalement conclus doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - L'article L. 621-42 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018

M. Axel N. [Saisine d'office de l'agence française de lutte contre le dopage et réformation des sanctions disciplinaires prononcées par les fédérations sportives]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 novembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 413349 du 6 novembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Axel N. par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-688 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du sport ;
- l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, ratifiée par l'article 221 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, enregistrées le 14 décembre 2017 ;
- les observations présentées pour l'agence française de lutte contre le dopage, partie en défense, par la SCP Matuchansky-Poupot- Valdelièvre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 29 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'agence mondiale antidopage par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 13 décembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23 janvier 2018 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour la partie en défense par la SCP Matuchansky-Poupot-Valdelievre, enregistrée le 23 janvier 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 232-21 du code du sport confie aux fédérations sportives agréées le prononcé de sanctions disciplinaires en matière de dopage. L'article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 30 septembre 2015 mentionnée ci-dessus, détermine les cas dans lesquels l'agence française de lutte contre le dopage exerce un pouvoir de sanction. Son 3° prévoit :« Elle peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ces cas, l'agence se saisit, dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet, des décisions prises par les fédérations agréées ».

2. Le requérant soutient que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon lui, en ne distinguant pas, au sein de l'agence française de lutte contre le dopage, l'autorité décidant de la saisine d'office de l'agence et celle chargée du jugement à la suite de cette saisine, le législateur n'aurait pas garanti une séparation organique ou fonctionnelle entre les fonctions de poursuite et de jugement.

- Sur le fond :

3. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : «Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution».

4. Ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative ou publique indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

5. L'agence française de lutte contre le dopage, instituée par l'article L. 232-5 du code du sport, est une autorité publique indépendante chargée de définir et de mettre en œuvre les actions de lutte contre le dopage. Selon l'article L. 232-6 du même code, le collège de cette agence est composé de neuf membres nommés pour six ans.

6. En application de l'article L. 232-21 du code du sport, toute personne ayant contrevenu aux dispositions du même code en matière de lutte contre le dopage encourt des sanctions disciplinaires de la part de la fédération dont elle est licenciée. Les fédérations agréées informent sans délai l'agence française de lutte contre le dopage des décisions prises.

7. En vertu du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, l'agence peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ce cas, elle se saisit d'office dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet de la décision de la fédération. Conformément à l'article L. 232-23 du code du sport, l'agence peut ensuite, en cas de condamnation, prononcer un avertissement, une interdiction temporaire ou définitive de participer à une manifestation sportive ou à l'organisation ou au déroulement d'une telle compétition, une interdiction d'exercer certaines fonctions ainsi que des sanctions pécuniaires.

8. Les dispositions contestées confient ainsi à l'agence française de lutte contre le dopage le pouvoir de se saisir d'office des décisions de sanctions rendues par les fédérations sportives qu'elle envisage de réformer. Ce pouvoir n'est pas attribué à une personne ou à un organe spécifique au sein de l'agence alors qu'il appartient ensuite à cette dernière de juger les manquements ayant fait l'objet de la décision de la fédération.

9. Dès lors, les dispositions contestées n'opèrent aucune séparation au sein de l'agence française de lutte contre le dopage entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements ayant fait l'objet d'une décision d'une fédération sportive en application de l'article L. 232-21 et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Elles méconnaissent ainsi le principe d'impartialité.

10. Par conséquent, le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

12. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.

13. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, pour préserver le rôle régulateur confié par le législateur à l'agence française de lutte contre le dopage jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er septembre 2018, le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport impose à l'agence française de lutte contre le dopage de se saisir de toutes les décisions rendues en application de l'article L. 232-21 du même code postérieurement à la présente décision et de toutes les décisions rendues antérieurement à cette décision dont elle ne s'est pas encore saisie dans les délais légaux. Il y a lieu de juger, en outre, que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances relatives à une décision rendue sur le fondement de l'article L. 232-21 dont l'agence s'est saisie en application des dispositions contestées et non définitivement jugées à la date de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2015-1207 du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 et 13 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 8 FÉVRIER 2018

Décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018

M. Gabriel S. [Inscription au registre du commerce et des sociétés des loueurs en meublé professionnels]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 novembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 408176 du 20 novembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gabriel S. par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-689 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 et de l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
- l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 décembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 30 janvier 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les dispositions des articles 150 U à 150 VH sont applicables aux plus-values réalisées lors de la cession de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés et faisant l'objet d'une location directe ou indirecte par des personnes autres que les loueurs professionnels. Les loueurs professionnels s'entendent des personnes inscrites en cette qualité au registre du commerce et des sociétés qui réalisent plus de 23 000 euros de recettes annuelles ou retirent de cette activité au moins 50 % de leur revenu ».

2. Le paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les articles 150 U à 150 VH sont applicables aux plus-values réalisées lors de la cession de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés et faisant l'objet d'une location directe ou indirecte lorsque cette activité n'est pas exercée à titre professionnel. L'activité de location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :
« 1° Un membre du foyer fiscal au moins est inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;
« 2° Les recettes annuelles retirées de cette activité par l'ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 € ;
« 3° Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l'article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l'activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62.
« Pour l'application de la troisième condition, les recettes afférentes à une location ayant commencé avant le 1er janvier 2009 ou portant sur un local d'habitation acquis ou réservé avant cette date dans les conditions prévues aux articles L. 261-2, L. 261-3, L. 261-15 ou L. 262-1 du code de la construction et de l'habitation sont comptées pour un montant quintuple de leur valeur, diminué de deux cinquièmes de cette valeur par année écoulée depuis le début de la location, dans la limite de dix années à compter du début de celle-ci.
«La location du local d'habitation est réputée commencer à la date de son acquisition ou, si l'acquisition a eu lieu avant l'achèvement du local, à la date de cet achèvement. L'année où commence la location, les recettes y afférentes sont, le cas échéant, ramenées à douze mois pour l'appréciation des seuils mentionnés aux 2° et 3°. Il en est de même l'année de cessation totale de l'activité de location».

3. Le paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 30 janvier 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les articles 150 U à 150 VH sont applicables aux plus-values réalisées lors de la cession de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés et faisant l'objet d'une location directe ou indirecte lorsque cette activité n'est pas exercée à titre professionnel. L'activité de location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :
« 1° Un membre du foyer fiscal au moins est inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;
« 2° Les recettes annuelles retirées de cette activité par l'ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 € ;
« 3° Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l'article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l'activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62.
« Pour l'application de la troisième condition, les recettes afférentes à une location ayant commencé avant le 1er janvier 2009 ou portant sur un local d'habitation acquis ou réservé avant cette date dans les conditions prévues aux articles L. 261-2, L. 261-3, L. 261-15 ou L. 262-1 du code de la construction et de l'habitation sont comptées pour un montant quintuple de leur valeur, diminué de deux cinquièmes de cette valeur par année écoulée depuis le début de la location, dans la limite de dix années à compter du début de celle-ci.
«La location du local d'habitation est réputée commencer à la date de son acquisition ou, si l'acquisition a eu lieu avant l'achèvement du local, à la date de cet achèvement. L'année où commence la location, les recettes y afférentes sont, le cas échéant, ramenées à douze mois pour l'appréciation des seuils mentionnés aux 2° et 3°. Il en est de même l'année de cessation totale de l'activité de location».

4. Le requérant soutient qu'en subordonnant le bénéfice de l'exonération des plus-values de cession prévue par l'article 151 septies du code général des impôts en faveur des loueurs en meublé professionnels à une condition d'inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a institué une formalité impossible à satisfaire par les personnes physiques exerçant cette activité, dès lors qu'elles ne sont pas autorisées à s'inscrire en cette qualité. Il en résulterait une atteinte à la garantie des droits. Le requérant reproche également à ces dispositions de créer, en méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, une différence de traitement injustifiée entre les personnes physiques et les personnes morales exerçant l'activité de loueur en meublé à titre professionnel, seules ces dernières pouvant satisfaire à la condition d'inscription ouvrant droit au bénéfice de l'exonération.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « inscrites en cette qualité au registre du commerce et des sociétés » figurant à la seconde phrase du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2005, sur le mot « trois » figurant dans la seconde phrase du premier alinéa et sur le 1° du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans ses rédactions résultant de la loi du 27 décembre 2008 et de l'ordonnance du 30 janvier 2009.

- Sur le fond :

6. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. L'article 151 septies du code général des impôts prévoit une exonération des plus-values de cession en faveur des redevables de l'impôt sur le revenu exerçant une activité de location d'appartements meublés à titre professionnel. Dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2005, son paragraphe VII subordonne la reconnaissance de la qualité de loueur professionnel au sens du droit fiscal à l'inscription de l'intéressé au registre du commerce et des sociétés en cette qualité et à une condition relative aux recettes tirées de l'activité. Dans ses rédactions résultant de la loi du 27 décembre 2008 et de l'ordonnance du 30 janvier 2009, ce paragraphe subordonne la reconnaissance de cette qualité à l'inscription au registre du commerce et des sociétés « en qualité de loueur professionnel » d'un des membres du foyer fiscal, ainsi qu'à deux conditions relatives aux recettes tirées de l'activité par ce même foyer.

8. En subordonnant le bénéfice de l'exonération à l'inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a entendu empêcher que des personnes exerçant l'activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient.

9. Toutefois, l'article L. 123-1 du code de commerce prévoit que seules peuvent être inscrites au registre du commerce et des sociétés les personnes physiques « ayant la qualité de commerçant », laquelle est, en vertu de l'article L. 121-1 du même code, conférée à « ceux qui exercent des actes de commerce ... ». Dès lors, en subordonnant le bénéfice de l'exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l'activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l'article L. 110-1 du même code, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques.

10. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les mots « inscrites en cette qualité au registre du commerce et des sociétés » figurant à la seconde phrase du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2005, ainsi que le mot « trois » figurant dans la seconde phrase du premier alinéa et le 1° du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans ses rédactions résultant de la loi du 27 décembre 2008 et de l'ordonnance du 30 janvier 2009, doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

12. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - : Sont contraires à la Constitution :
- les mots « inscrites en cette qualité au registre du commerce et des sociétés » figurant dans la seconde phrase du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
- le mot « trois » figurant dans la seconde phrase du premier alinéa et le 1° du paragraphe VII de l'article 151 septies du code général des impôts, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 et de l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018

M. Abdelkader K. [Condition de nationalité française pour le bénéfice du droit à pension en cas de dommage physique du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d'Algérie]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 novembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016.

L'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 crée un régime d'indemnisation des personnes de nationalité française victimes de dommages physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit de nationalité française. Ne peuvent bénéficier de cette indemnisation les personnes ayant participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou autres actes de violence en relation avec les événements dont il s'agit ou ayant incité à les commettre, ainsi que leurs ayants droit.

Il était reproché à ces dispositions de méconnaître le principe d'égalité devant la loi, en ce qu'elles réservent le bénéfice de ce droit à pension aux victimes, ou à leurs ayants droit, de nationalité française.

Le Conseil constitutionnel relève que l'objet des dispositions contestées est, suivant un objectif de solidarité nationale, de garantir le paiement de rentes aux personnes ayant souffert de préjudices résultant de dommages qui se sont produits sur un territoire français à l'époque. Il juge, d'une part, que le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, établir, au regard de cet objet de la loi, une différence de traitement entre les victimes françaises et celles, de nationalité étrangère, qui résidaient sur le territoire français au moment du dommage qu'elles ont subi. D'autre part, l'objet de la pension servie à l'ayant droit étant de garantir à celui-ci la compensation de la perte de la pension servie au bénéficiaire décédé, le législateur ne pouvait établir, au regard de ce même objet, une différence de traitement entre les ayants droit selon leur nationalité.

Pour ces motifs, le Conseil constitutionnel censure les mots « de nationalité française » figurant deux fois au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 novembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 414421 du 22 novembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Abdelkader K. par Me Jennifer Cambla, avocat au barreau de Rennes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-690 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction résultant de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 ;
- la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des Français ayant résidé en Algérie ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Cambla, enregistrées les 4 et 29 décembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15 décembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cambla, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 30 janvier 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1964 mentionnée ci-dessus, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel du 23 mars 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sous réserve de la subrogation de l'État dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française, ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité française, droit à pension.
« Ouvrent droit à pension, les infirmités ou le décès résultant :
« 1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements d'Algérie mentionnés à l'alinéa premier ;
« 2° De maladies contractées du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements précités ;
« 3° De maladies contractées ou aggravées du fait de mauvais traitement ou de privations subis en captivité en relation avec les mêmes évènements.
« Sont réputés causés par les faits prévus à l'alinéa précédent les décès, même par suite de maladie, s'ils sont survenus pendant la captivité.
« Lorsque la blessure, l'accident, la maladie ou la mort sont dus à une faute inexcusable de la victime, ils ne donnent droit à aucune indemnité.
« Les personnes qui auront participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou autres actes de violence en relation avec les évènements mentionnés à l'alinéa premier ou auront incité à les commettre seront, ainsi que leurs ayants cause, exclues du bénéfice des dispositions du présent alinéa.
« Des règlements d'administration publique détermineront les dispositions nécessaires à l'application du présent article, et notamment les règles relatives au mode de calcul de la pension, à la date de son entrée en jouissance, ainsi qu'à l'attribution des allocations et avantages accessoires susceptibles d'y être rattachés ; ils fixeront en outre les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article ».

2. Selon le requérant, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, en ce qu'elles réservent aux personnes de nationalité française ou à leurs ayants cause de nationalité française le bénéfice du droit à pension qu'elles instaurent en faveur des victimes ayant subi en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence survenus sur ce territoire.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « de nationalité française » figurant deux fois au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963.

- Sur le fond :

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Par l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, le législateur a créé un régime d'indemnisation des personnes de nationalité française victimes de dommages physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit de nationalité française. Poursuivant un objectif de solidarité nationale, le législateur a ainsi entendu garantir le paiement de rentes aux personnes ayant souffert de préjudices résultant de dommages qui se sont produits sur un territoire français à l'époque.

6. Toutefois, d'une part, le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, établir, au regard de l'objet de la loi, une différence de traitement entre les victimes françaises et celles de nationalité étrangère résidant sur le territoire français au moment du dommage qu'elles ont subi.

7. D'autre part, l'objet de la pension servie à l'ayant droit étant de garantir à celui-ci la compensation de la perte de la pension servie au bénéficiaire décédé, le législateur ne pouvait établir, au regard de cet objet, une différence de traitement entre les ayants droit selon leur nationalité.

8. Par suite, les mots « de nationalité française » figurant deux fois au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

10. La déclaration d'inconstitutionnalité du paragraphe 8 de la présente décision prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « de nationalité française » figurant deux fois au premier alinéa de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction résultant de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des français ayant résidé en Algérie, modifiée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016, sont contraires à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 10 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 16 FEVRIER 2018

Décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018

M. Farouk B. [Mesure administrative d'assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2017 par le juge des référés du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi n° 2017 1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 1er novembre 2017, à l'issue d'une période au cours de laquelle avait été déclaré l'état d'urgence.

Cet article autorise le ministre de l'intérieur, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, à interdire à certaines personnes de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé. Cette assignation à résidence peut être assortie d'une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d'une obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de ce lieu.

Il était reproché à ces dispositions de méconnaître la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit au recours effectif. En outre, le requérant estimait que, cette mesure d'assignation à résidence étant analogue à celle prévue par l'article 6 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, le législateur aurait dû prévoir des dispositions transitoires entre ces deux régimes d'assignation à résidence.
Dans sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel s'est attaché au champ d'application de la mesure contestée et aux garanties dont est assortie sa mise en œuvre.

En premier lieu, quant à son champ d'application, la mesure d'assignation à résidence ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. Le ministre de l'intérieur ne peut la prononcer qu'à la double condition, d'une part, d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne visée par la mesure constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et, d'autre part, de prouver soit que cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des « organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit qu'elle soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

En deuxième lieu, le périmètre géographique de l'assignation à résidence ne peut être inférieur au territoire de la commune et doit permettre à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle. L'obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie ne peut excéder une présentation par jour.
En troisième lieu, la durée de la mesure d'assignation à résidence est limitée dans le temps. Elle peut être initialement prononcée ou renouvelée que pour une durée maximale de trois mois, chaque renouvellement étant subordonné, au-delà d'une durée cumulée de six mois, à la production par le ministre de l'intérieur d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de ces obligations ne peut excéder douze mois.
Énonçant à ce titre une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu de la rigueur de la mesure prévue par les dispositions contestées, cette dernière ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit à une vie familiale normale, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

Une dernière série de garanties tient au contrôle du juge administratif auquel peut être soumise la mesure. À ce titre, le Conseil constitutionnel procède à une double censure partielle des dispositions contestées.

D'une part, s'agissant du recours pour excès de pouvoir, qui est le recours « de droit commun » contre un acte de l'administration, l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure prévoyait qu'il pouvait être formé devant le tribunal administratif dans un délai d'un mois après la notification de la mesure ou la notification de son renouvellement. Toutefois, le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé, en limitant à un mois le délai dans lequel l'intéressé peut demander l'annulation de cette mesure et en laissant ensuite au juge un délai de deux mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Par conséquent, les mots « dans un délai d'un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure sont censurés. Il juge que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur l'annulation de la mesure dans de brefs délais.

D'autre part, l'article contesté prévoyait que toute décision de renouvellement de la mesure étant notifiée à la personne en cause au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci pouvait saisir, dans les quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses droits et libertés. Ce recours est suspensif. Le Conseil constitutionnel relève qu'aux termes du même article L. 521-2, le contrôle mis en œuvre par le juge des référés est limité aux atteintes graves et manifestement illégales. Il juge en conséquence qu'en permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Pour ces motifs, il censure les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Compte tenu du caractère manifestement excessif des conséquences que cette censure pourrait avoir, il reporte au 1er octobre 2018 la date de cette abrogation.

Au total, le Conseil constitutionnel prononce ainsi deux censures partielles des dispositions contestées. Pour le reste, sous la réserve d'interprétation relative à la durée maximale de la mesure, le Conseil constitutionnel juge qu'au regard de ce qui précède, le reste des dispositions contestées, qui ont à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure d'assignation à résidence et apporté les garanties nécessaires, assurent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Il juge enfin que la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l'état d'urgence, et n'a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une puis à l'autre de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI  le 4 décembre 2017 par le juge des référés du Conseil d'État (ordonnance n° 415740 du 1er décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Farouk B. par Mes William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-691 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure en tant qu'elles ne prévoient pas de régime particulier pour les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance susceptibles d'être prises à l'égard de personnes ayant fait l'objet de mesures d'assignation à résidence de longue durée sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 ».

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Mes Bourdon et Brengarth, enregistrées le 19 décembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 décembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 décembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. David P. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 décembre 2017 et 10 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Brengarth, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la Ligue des droits de l'Homme, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 février 2018 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 12 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les articles L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017 mentionnée ci-dessus, fixent le régime juridique des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance pouvant être ordonnées par le ministre de l'intérieur aux fins de lutte contre le terrorisme.

2. L'article L. 228-1 prévoit : « Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ».

3. L'article L. 228-2 prévoit :« Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de :
« 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ;
« 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ;
« 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation.
« Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

4. L'article L. 228-3 prévoit : « À la place de l'obligation prévue au 2° de l'article L. 228-2, le ministre de l'intérieur peut proposer à la personne faisant l'objet de la mesure prévue au 1° du même article L. 228-2 de la placer sous surveillance électronique mobile, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent. Ce placement est subordonné à l'accord écrit de la personne concernée. Dans ce cas, le périmètre géographique imposé en application du même 1° ne peut être inférieur au territoire du département.
« Le placement sous surveillance électronique mobile est décidé pour la durée de la mesure prise en application dudit 1°. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l'intéressé, qui peut alors être assujetti à l'obligation prévue au 2° dudit article L. 228-2.
« La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d'un dispositif technique permettant à tout moment à l'autorité administrative de s'assurer à distance qu'elle n'a pas quitté le périmètre défini en application du 1° du même article L. 228-2. Le dispositif technique ne peut être utilisé par l'autorité administrative pour localiser la personne, sauf lorsque celle-ci a quitté ce périmètre ou en cas de fonctionnement altéré dudit dispositif technique.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. Il peut déterminer les conditions dans lesquelles la mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance prévu au troisième alinéa, pour lequel peut être mis en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, peut être confiée à une personne de droit privé habilitée à cet effet ».

5. L'article L. 228-4 prévoit : « S'il ne fait pas application des articles L. 228-2 et L. 228-3, le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1 de :
« 1° Déclarer son domicile et tout changement de domicile ;
« 2° Signaler ses déplacements à l'extérieur d'un périmètre déterminé ne pouvant être plus restreint que le territoire de la commune de son domicile ;
« 3° Ne pas paraître dans un lieu déterminé, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Cette obligation tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée.
« Les obligations mentionnées aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de six mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

6. L'article L. 228-5 prévoit : « Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1, y compris lorsqu'il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique.
« L'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de l'obligation prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder douze mois. L'obligation est levée dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise à l'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

7. L'article L. 228-6 prévoit : « Les décisions du ministre de l'intérieur prises en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 sont écrites et motivées. À l'exception des mesures prises sur le fondement de l'article L. 228-3, le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours à compter de la notification de la décision ».

8. L'article L. 228-7 prévoit : « Le fait de se soustraire aux obligations fixées en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende ».

9. Le requérant reproche au législateur d'avoir méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier la liberté d'aller et de venir. En effet, selon lui, la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure étant analogue à celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus, le législateur aurait dû prévoir des dispositions transitoires en faveur des personnes susceptibles d'être assignées à résidence en vertu du premier article après l'avoir été, dans le cadre de l'état d'urgence, sur le fondement du second.

10. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure.

11. L'une des parties intervenantes rejoint le requérant dans ses griefs. L'autre partie intervenante reproche au législateur, s'agissant des dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité, d'avoir insuffisamment défini les conditions justifiant le recours à la mesure d'assignation à résidence. Il aurait ainsi méconnu, à la fois, sa propre compétence, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit au recours effectif.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée, du droit de mener une vie familiale normale et du droit à un recours juridictionnel effectif :

12. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de cette déclaration et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

13. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.

14. L'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure autorise le ministre de l'intérieur, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, à interdire à certaines personnes de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé. Cette assignation à résidence peut être assortie d'une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d'une obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de ce lieu. Ces dispositions portent donc, en tant que telles, une atteinte à la liberté d'aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.

15. En premier lieu, en vertu de l'article L. 228-1 du même code, la mesure d'assignation à résidence ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. En outre, deux conditions cumulatives doivent être réunies. D'une part, il appartient au ministre de l'intérieur d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne visée par la mesure constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. Cette menace doit nécessairement être en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme. D'autre part, il lui appartient également de prouver soit que cette personne « entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit qu'elle « soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ». En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Il a également défini avec précision, à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, les conditions de recours à la mesure d'assignation à résidence prévue par les dispositions contestées et limité son champ d'application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

16. En deuxième lieu, l'article L. 228-2 prévoit que le périmètre géographique de l'assignation à résidence ne peut être inférieur au territoire de la commune et qu'il doit permettre à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle. L'obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie ne peut excéder une présentation par jour.

17. En troisième lieu, le législateur a limité la durée de la mesure prévue à l'article L. 228-2. Elle ne peut être initialement prononcée ou renouvelée que pour une durée maximale de trois mois. Son renouvellement fait l'objet d'une décision motivée. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à la production par le ministre de l'intérieur d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de ces obligations ne peut excéder douze mois. Compte tenu de sa rigueur, la mesure prévue par les dispositions contestées ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

18. En dernier lieu, d'une part, la mesure prévue à l'article L. 228-2, qui peut faire l'objet d'un recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, est susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, dans un délai d'un mois après sa notification ou la notification de son renouvellement, devant le tribunal administratif. Ce dernier doit alors se prononcer dans un délai de deux mois. Toutefois, compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé, en limitant à un mois le délai dans lequel l'intéressé peut demander l'annulation de cette mesure et en laissant ensuite au juge un délai de deux mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Par conséquent, les mots « dans un délai d'un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure et la deuxième phrase du même alinéa doivent être déclarés contraires à la Constitution. En outre, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais.

19. D'autre part, toute décision de renouvellement de la mesure étant notifiée à la personne en cause au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci peut saisir, dans les quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses droits et libertés. Ce recours est suspensif. Aux termes du même article L. 521-2, le contrôle mis en œuvre par le juge des référés est limité aux atteintes graves et manifestement illégales. En permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Dès lors, les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure doivent être déclarés contraires à la Constitution.

20. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, en adoptant le reste des dispositions contestées, le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.

. En ce qui concerne le grief tiré de l'incompétence négative :

21. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

22. La mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l'état d'urgence, lequel ne peut être déclaré qu'« en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou « en cas d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ». Elle n'a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une puis à l'autre de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession.

23. Il résulte de ce qui précède et des motifs énoncés aux paragraphes ?16 à ?20 de la présente décision que le grief tiré d'une méconnaissance par le législateur de sa compétence doit être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, le reste des dispositions contestées, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

25. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration

26. En premier lieu, l'abrogation immédiate des mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative », figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, aurait des conséquences manifestement excessives. En effet, la combinaison du caractère suspensif du recours avec le fait qu'aucun délai n'est fixé au juge pour statuer pourrait avoir pour conséquence d'empêcher l'exécution de la décision de renouvellement en temps utile. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l'abrogation de ces mots.

27. En second lieu, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité relative aux mots « dans un délai d'un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ainsi qu'à la deuxième phrase du même alinéa. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :
- les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- les mots « dans un délai d'un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa du même article, dans cette même rédaction ;
- la deuxième phrase du même alinéa, dans cette même rédaction.

Article 2. - Sous les réserves énoncées aux paragraphes 17 et 18, le reste de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans cette même rédaction, est conforme à la Constitution.

Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 26 et 27 de cette décision.

Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-692 QPC du 16 février 2018

Amende pour défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 décembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 409358 du 22 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Francis F. par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-692 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées du IV de l'article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction issue du IV de l'article 52 de la loi de finances rectificative pour 2008 et de l'article L. 152-5 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à la loi de finances rectificative pour 2016 ».

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code monétaire et financier ;
- l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier, ratifiée par l'article 31 de la loi n° 2003-591 du 21 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-481 QPC du 17 septembre 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, enregistrées les 16 et 31 janvier 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts impose aux personnes physiques, associations et sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger. L'article 1649 A bis du même code impose aux administrations, établissements, organismes ou personnes visés au premier alinéa de l'article 1649 A qui octroient ou qui gèrent des avances remboursables ne portant pas intérêt ou des prêts ne portant pas intérêt de déclarer ces opérations à l'administration des impôts. Le paragraphe IV de l'article 1736 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les infractions aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A et de l'article 1649 A bis sont passibles d'une amende de 1 500 € par compte ou avance non déclaré. Toutefois, pour l'infraction aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A, ce montant est porté à 10 000 € par compte non déclaré lorsque l'obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales permettant l'accès aux renseignements bancaires ».

2. L'article L. 152-2 du code monétaire et financier prévoit que les personnes physiques, les associations et les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont soumises aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts. L'article L. 152-5 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 14 décembre 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les infractions aux dispositions de l'article L. 152-2 sont passibles d'une amende de 750 euros par compte non déclaré ».

3. Selon les requérants, en permettant à l'administration de choisir discrétionnairement de sanctionner la méconnaissance de l'obligation déclarative instituée par l'article 1649 A du code général des impôts d'une amende dont le montant diffère selon qu'elle est infligée sur le fondement du paragraphe IV de l'article 1736 de ce code ou sur celui de l'article L. 152-5 du code monétaire et financier, ces dispositions institueraient une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur les mots « du deuxième alinéa de l'article 1649 A et » et « compte ou » figurant dans la première phrase du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008, et sur la seconde phrase de ce même paragraphe IV et, d'autre part, sur l'article L. 152-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 14 décembre 2000.

- Sur la recevabilité :

. En ce qui concerne les dispositions contestées du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts :

5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

6. Dans sa décision du 17 septembre 2015, mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « du deuxième alinéa de l'article 1649 A et » et « compte ou » figurant dans la première phrase du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008, ainsi que la seconde phrase de ce même paragraphe IV. Il les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Dès lors et en l'absence de changement des circonstances, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de réexaminer la conformité de ces dispositions à la Constitution.

. En ce qui concerne l'article L. 152-5 du code monétaire et financier :

7. Le Premier ministre fait valoir qu'en portant de 750 à 1 500 euros le montant de l'amende prévue par le paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts pour sanctionner le défaut de déclaration d'un compte bancaire ouvert, détenu ou clos à l'étranger, alors que le montant de l'amende prévue par l'article L. 152-5 du code monétaire et financier pour sanctionner le même manquement est demeuré inchangé à 750 euros, la loi du 30 décembre 2008 a implicitement procédé à l'abrogation de ce dernier article. Il fait valoir qu'il n'y a donc pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 152-5, pour la période postérieure au 31 décembre 2008.

8. Toutefois, la seule circonstance que, à compter du 1er janvier 2009, le même manquement était susceptible d'être sanctionné d'une amende dont le montant différait selon que celle-ci était fondée sur le paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts ou sur l'article L. 152-5 du code monétaire et financier ne saurait autoriser à considérer que ce dernier article aurait été implicitement abrogé par la loi du 30 décembre 2008.

9. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 152-5 du code monétaire et financier est recevable.

- Sur le fond :

10. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit

11. En premier lieu, à compter de son entrée en vigueur et avant celle de la loi du 30 décembre 2008, l'article L. 152-5 du code monétaire et financier a eu pour seul objet de reproduire à l'identique la sanction prévue au troisième alinéa de l'article 1768 bis du code général des impôts puis au paragraphe IV de l'article 1736 du même code. Par conséquent, l'article L. 152-5 du code monétaire et financier n'a institué aucune différence de traitement entre les personnes ayant manqué à l'obligation déclarative prévue à l'article 1649 A du code général des impôts. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté. En outre, durant la même période, l'article L. 152-5 du code monétaire et financier n'a méconnu aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.

12. En second lieu, à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2008 et jusqu'à l'abrogation expresse de l'article L. 152-5 du code monétaire et financier par la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, cet article sanctionnait d'une amende de 750 euros le manquement à l'obligation déclarative prévue par l'article 1649 A du code général des impôts. Ce même manquement était sanctionné par le paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts d'une amende de 1 500 euros. Ainsi, un même manquement pouvait être sanctionné par une amende dont le montant était différent selon la disposition en vertu de laquelle elle était infligée. Cette différence de traitement n'est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Durant cette période, l'article L. 152-5 du code monétaire et financier était donc contraire au principe d'égalité devant la loi.

13. Il résulte de ce qui précède que l'article L. 152-5 du code monétaire et financier doit être déclaré conforme à la Constitution avant le 1er janvier 2009, puis contraire à celle-ci à compter de cette date.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

14. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

15. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mots « du deuxième alinéa de l'article 1649 A et » et « compte ou » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ainsi que sur la seconde phrase du même paragraphe IV.

Article 2. - L'article L. 152-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier est conforme à la Constitution avant le 1er janvier 2009.

Article 3. - L'article L. 152-5 du code monétaire et financier, dans cette même rédaction, est contraire à la Constitution à compter du 1er janvier 2009.

Article 4. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 3 prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 15 de cette décision.

Article 5. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 février 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 2 MARS 2018

Décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018

Association de la presse judiciaire [Présence des journalistes au cours d'une perquisition]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 11 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, et de l'article 56 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale pose le principe du secret de l'enquête et de l'instruction. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui a servi de base à la circulaire contestée devant le Conseil d'État, il résulte de cet article que « constitue une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'un tel acte par un juge d'instruction ou un officier de police judiciaire en présence d'un tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l'image ».

Selon l'association de la presse judiciaire, ces dispositions méconnaîtraient la liberté d'expression et de communication protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Dans sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel juge, en premier lieu, que, en instaurant le secret de l'enquête et de l'instruction, le législateur a entendu, d'une part, garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Le législateur a entendu, d'autre part, protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résultent des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil constitutionnel relève, en second lieu, les tempéraments que le législateur a lui-même apportés à l'interdiction résultant des dispositions contestées.

Le premier est que la portée du secret est limitée aux actes d'enquête et d'instruction et à la durée des investigations correspondantes. Ces dispositions ne privent pas les tiers, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte d'une procédure pénale et de relater les différentes étapes d'une enquête et d'une instruction. L'atteinte portée à l'exercice de la liberté d'expression et de communication est ainsi limitée.

Un second tempérament se trouve dans des possibilités de déroger au secret de l'enquête et de l'instruction, notamment dans le cadre des « fenêtres de publicité » prévues au troisième alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale, qui permettent au procureur de la République de rendre publics certains éléments objectifs à la condition qu'ils ne comportent aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues. Enfin, au titre des droits de la défense, les parties et leurs avocats peuvent communiquer des informations sur le déroulement de l'enquête ou de l'instruction.

Par conséquent, le Conseil constitutionnel juge que l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi et conclut à la conformité à la Constitution de ces dispositions. Il relève par ailleurs qu'il n'est pas interdit au législateur d'autoriser la captation par un tiers du son et de l'image à certaines phases de l'enquête et de l'instruction dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 décembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411915 du 27 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association de la presse judiciaire par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-693 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 11 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, et de l'article 56 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ;
- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ;
- l'arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2017 (chambre criminelle, n° 16-84.740) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 19 janvier et 5 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 janvier 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour Mme Huguette P. par Me Laurent Pasquet-Marinacce, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, Me Pasquet-Marinacce, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 11 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.
« Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause».

2. L'article 56 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés, l'officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y procéder à une perquisition dont il dresse procès-verbal. L'officier de police judiciaire peut également se transporter en tous lieux dans lesquels sont susceptibles de se trouver des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal, pour y procéder à une perquisition aux fins de saisie de ces biens ; si la perquisition est effectuée aux seules fins de rechercher et de saisir des biens dont la confiscation est prévue par les cinquième et sixième alinéas de ce même article, elle doit être préalablement autorisée par le procureur de la République.
« Il a seul, avec les personnes désignées à l'article 57 du présent code et celles auxquelles il a éventuellement recours en application de l'article 60, le droit de prendre connaissance des papiers, documents ou données informatiques avant de procéder à leur saisie.
« Toutefois, sans préjudice de l'application des articles 56-1 à 56-5, il a l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense.
« Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font l'objet de scellés fermés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition suivant les modalités prévues à l'article 57.
« Il est procédé à la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation de la vérité en plaçant sous main de justice soit le support physique de ces données, soit une copie réalisée en présence des personnes qui assistent à la perquisition.
« Si une copie est réalisée, il peut être procédé, sur instruction du procureur de la République, à l'effacement définitif, sur le support physique qui n'a pas été placé sous main de justice, des données informatiques dont la détention ou l'usage est illégal ou dangereux pour la sécurité des personnes ou des biens.
« Avec l'accord du procureur de la République, l'officier de police judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et données informatiques utiles à la manifestation de la vérité, ainsi que des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal.
« Le procureur de la République peut également, lorsque la saisie porte sur des espèces, lingots, effets ou valeurs dont la conservation en nature n'est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des personnes intéressées, autoriser leur dépôt à la Caisse des dépôts et consignations ou à la Banque de France ou sur un compte ouvert auprès d'un établissement bancaire par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
« Lorsque la saisie porte sur des billets de banque ou pièces de monnaie libellés en euros contrefaisants, l'officier de police judiciaire doit transmettre, pour analyse et identification, au moins un exemplaire de chaque type de billets ou pièces suspectés faux au centre d'analyse national habilité à cette fin. Le centre d'analyse national peut procéder à l'ouverture des scellés. Il en dresse inventaire dans un rapport qui doit mentionner toute ouverture ou réouverture des scellés. Lorsque les opérations sont terminées, le rapport et les scellés sont déposés entre les mains du greffier de la juridiction compétente. Ce dépôt est constaté par procès-verbal.
« Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'il n'existe qu'un seul exemplaire d'un type de billets ou de pièces suspectés faux, tant que celui-ci est nécessaire à la manifestation de la vérité.
« Si elles sont susceptibles de fournir des renseignements sur les objets, documents et données informatiques saisis, les personnes présentes lors de la perquisition peuvent être retenues sur place par l'officier de police judiciaire le temps strictement nécessaire à l'accomplissement de ces opérations ».

3. L'association requérante reproche à ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, d'interdire toute présence d'un journaliste ou d'un tiers lors d'une perquisition, pour en capter le son ou l'image, même lorsque cette présence a été autorisée par l'autorité publique et par la personne concernée par la perquisition. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d'expression et de communication protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que du « droit du public à recevoir des informations d'intérêt général », qui en constituerait le corollaire.

4. Le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale pose le principe du secret de l'enquête et de l'instruction. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de l'arrêt mentionné ci-dessus auquel se réfère la circulaire attaquée devant le Conseil d'État, il résulte de cet article que « constitue une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne, l'exécution d'un tel acte par un juge d'instruction ou un officier de police judiciaire en présence d'un tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l'image ».

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale.

6. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.

7. En vertu du premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète, sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense. Ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, interdisent notamment qu'un tiers à la procédure capte par le son et l'image le déroulement d'une perquisition.

8. En premier lieu, en instaurant le secret de l'enquête et de l'instruction, le législateur a entendu, d'une part, garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Il a entendu, d'autre part, protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.

9. En second lieu, d'une part, la portée du secret instauré par les dispositions contestées est limitée aux actes d'enquête et d'instruction et à la durée des investigations correspondantes. Ces dispositions ne privent pas les tiers, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte d'une procédure pénale et de relater les différentes étapes d'une enquête et d'une instruction. Dès lors, l'atteinte portée à l'exercice de la liberté d'expression et de communication est limitée.

10. D'autre part, le législateur a prévu plusieurs dérogations au secret de l'enquête et de l'instruction. En particulier, le troisième alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale permet au procureur de la République, soit d'office, soit à la demande de la juridiction ou des parties, de rendre publics des « éléments objectifs tirés de la procédure », à la condition qu'ils ne comportent aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

11. Enfin, il ressort des dispositions contestées que le secret de l'enquête et de l'instruction s'entend « sans préjudice des droits de la défense ». Les parties et leurs avocats peuvent en conséquence communiquer des informations sur le déroulement de l'enquête ou de l'instruction.

12. Il résulte de ce qui précède que, sans que cela interdise au législateur d'autoriser la captation par un tiers du son et de l'image à certaines phases de l'enquête et de l'instruction dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles mentionnées ci-dessus, l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 11 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

13. Le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018

M. Ousmane K. et autres [Motivation de la peine dans les arrêts de cour d'assises]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale.

Les requérants et les parties intervenantes reprochaient à ces dispositions, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine prononcée, de porter atteinte aux principes de nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel juge qu'il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.

Or, en application de l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises. Selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que, en n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789. Il déclare donc contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale.

Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait l'application immédiate de cette décision, il reporte au 1er mars 2019 la date de cette abrogation, tout en précisant que, pour les procès ouverts après la date de sa décision et sans attendre le 1er mars 2019, le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doit être interprété comme imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments, l'ayant convaincue dans le choix de la peine.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 décembre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3356 du 13 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour MM. Ousmane K., Kodjo B. et Youssef C. par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-694 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 362 et 365-1 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-635 DC du 4 août 2011 ;
- la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 8 février 2017 (chambre criminelle, n° 15-86.914, n° 16-80.389 et n° 16-80.391) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Bernard C. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 janvier et 5 février 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la SCI Baraka par la SCP Waquet-Farge-Hazan, enregistrées le 22 janvier 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants et la SCI Baraka, partie intervenante, Me Éric Dupont-Moretti, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. Bernard C., partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 février 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion de pourvois en cassation contre des arrêts de cour d'assises rendus en 2017. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 362 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus, et de l'article 365-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2011 mentionnée ci-dessus.

2. L'article 362 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, fixe les règles relatives à la formation de la décision de la cour d'assises sur la peine. Il prévoit :
« En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président donne lecture aux jurés des dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. La cour d'assises délibère alors sans désemparer sur l'application de la peine. Le vote a lieu ensuite au scrutin secret, et séparément pour chaque accusé.
« La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants. Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu'à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et qu'à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d'assises statue en appel. Si le maximum de la peine encourue n'a pas obtenu cette majorité, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité et une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle lorsque la peine encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Les mêmes règles sont applicables en cas de détention criminelle. Si la cour d'assises a répondu positivement à la question portant sur l'application des dispositions du second alinéa de l'article 122-1 du même code, les peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure aux deux tiers de la peine initialement encourue ne peuvent être prononcées qu'à la majorité qualifiée prévue par la deuxième phrase du présent alinéa.
« Si, après deux tours de scrutin, aucune peine n'a réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un troisième tour au cours duquel la peine la plus forte proposée au tour précédent est écartée. Si, à ce troisième tour, aucune peine n'a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est procédé à un quatrième tour et ainsi de suite, en continuant à écarter la peine la plus forte, jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée.
« Lorsque la cour d'assises prononce une peine correctionnelle, elle peut ordonner à la majorité qu'il soit sursis à l'exécution de la peine avec ou sans mise à l'épreuve.
« La cour d'assises délibère également sur les peines accessoires ou complémentaires.
« Dans les cas prévus par l'article 706-53-13, elle délibère aussi pour déterminer s'il y a lieu de se prononcer sur le réexamen de la situation du condamné avant l'exécution de la totalité de sa peine en vue d'une éventuelle rétention de sûreté conformément à l'article 706-53-14 ».

3. L'article 365-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, est relatif à la motivation de l'arrêt de la cour d'assises. Il prévoit : « Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt.
« En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions.
« La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364.
« Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision ».

4. Les requérants et les parties intervenantes soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles n'imposent pas à la cour d'assises de motiver la peine, portent atteinte aux principes de nécessité et de légalité des peines, au principe d'individualisation des peines, au droit à une procédure juste et équitable, aux droits de la défense et au principe d'égalité devant la loi et devant la justice.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale.

- Sur la recevabilité :

6. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

7. L'article 365-1 du code de procédure pénale a été créé par la loi du 10 août 2011. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné cet article dans les considérants 29 à 31 de sa décision du 4 août 2011 mentionnée ci-dessus et l'a déclaré conforme à la Constitution. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, d'une part, la Cour de cassation a jugé, dans les trois arrêts du 8 février 2017 mentionnés ci-dessus, que les dispositions de l'article 365-1 du code de procédure pénale excluent la possibilité pour la cour d'assises de motiver la peine qu'elle prononce en cas de condamnation. D'autre part, le premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale a été modifié par la loi du 15 août 2014, afin de prévoir qu'en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président de la cour d'assises donne lecture aux jurés des articles 130-1 et 132-1 du code pénal, qui rappellent les finalités de la peine et la nécessité d'individualiser celle-ci. Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

- Sur le fond :

8. Il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'il appartient au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de cette déclaration, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine.

9. En application de l'article 365-1 du code de procédure pénale, le président ou l'un des magistrats assesseurs désigné par lui doit rédiger la motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises. Selon le deuxième alinéa de cet article, en cas de condamnation, la motivation doit comprendre l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises au terme des délibérations sur la culpabilité. En revanche, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'article 365-1 du code de procédure pénale interdit la motivation par la cour d'assises de la peine qu'elle prononce.

10. En n'imposant pas à la cour d'assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

12. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer les modalités selon lesquelles, en cas de condamnation, la motivation d'un arrêt de cour d'assises doit être rédigée en ce qui concerne la culpabilité. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er mars 2019 la date de cette abrogation.

13. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger, pour les arrêts de cour d'assises rendus à l'issue d'un procès ouvert après cette date, que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale doivent être interprétées comme imposant également à la cour d'assises d'énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l'ayant convaincue dans le choix de la peine.

14. Les arrêts de cour d'assises rendus en dernier ressort avant la publication de la présente décision et ceux rendus à l'issue d'un procès ouvert avant la même date ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 365-1 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 12 à 14 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018

M. Rouchdi B. et autre

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 décembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 226-1, L.227-1, L. 228-1, L. 228-2, L. 228-3, L. 228-4, L. 228-5 et L. 228-6, L. 229-1, L. 229-2, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure et sur certaines dispositions de ses articles L. 511-1, L. 613-1 et L. 613-2, issus de la loi n° 2017 1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Ont été ainsi soumises à l'examen du Conseil constitutionnel quatre séries de dispositions.

- Les premières dispositions contestées étaient celles permettant au préfet d'instituer un périmètre de protection, au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés à des fins de sécurisation d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque terroriste.

L'accès et la circulation peuvent y être conditionnés à la nécessité pour les personnes de se soumettre à des palpations de sécurité, à l'inspection visuelle ou à la fouille de leurs bagages et à la visite de leur véhicule.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution sous trois réserves d'interprétation.

Le Conseil constitutionnel relève que s'il a permis d'associer des personnes privées à l'exercice de missions de surveillance générale de la voie publique, le législateur a prévu que ces personnes ne peuvent qu'assister les agents de police judiciaire et sont « placées sous l'autorité d'un officier de police judiciaire ». Par une première réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu'il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s'assurer que soit continûment garantie l'effectivité du contrôle exercée sur ces personnes par les officiers de police judiciaire.

Par la voie d'une deuxième réserve, il juge que s'il était loisible au législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre, au sein des périmètres de protection, les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages et de visite de véhicules, la mise en œuvre de ces vérifications ne saurait s'opérer qu'en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.

Par la voie d'une troisième réserve d'interprétation, il juge également que si le renouvellement d'un périmètre de protection est subordonné à la nécessité d'assurer la sécurité du lieu ou de l'événement et à la condition qu'il demeure exposé à un risque d'actes de terrorisme, à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation, ce renouvellement ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans que celui-ci établisse la persistance du risque.

- Le deuxième ensemble de dispositions contestées étaient celles autorisant le préfet à fermer provisoirement des lieux de culte pour prévenir la commission d'actes de terrorisme, à raison de certains propos, idées, théories ou activités qui s'y tiennent.

Rappelant qu'il résulte de l'article 1er de la Constitution et de l'article 10 de la Déclaration de 1789 que le principe de laïcité impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes, le Conseil constitutionnel juge que le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

Il relève à cet égard, en particulier, que lorsque la justification de la mesure de fermeture d'un lieu de culte repose sur la provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il appartient au préfet d'établir que cette provocation est bien en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme. En autorisant la fermeture provisoire d'un lieu de culte, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. En outre, le Conseil constitutionnel a souligné l'existence de plusieurs garanties : le législateur a limité à six mois la durée de la mesure et n'a pas prévu qu'elle puisse être renouvelée. L'adoption ultérieure d'une nouvelle mesure de fermeture ne peut reposer que sur des faits intervenus après la réouverture du lieu de culte. La fermeture du lieu de culte doit être justifiée et proportionnée, notamment dans sa durée, aux raisons l'ayant motivée. Enfin, elle peut faire l'objet d'un recours en référé devant le juge administratif. Elle est alors suspendue jusqu'à la décision du juge de tenir ou non une audience publique. S'il décide de tenir cette audience, la suspension de la mesure se prolonge jusqu'à sa décision sur le référé, qui doit intervenir dans les quarante-huit heures.

- Le troisième ensemble de dispositions contestées étaient celles relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance susceptibles d'être prononcées par le ministre de l'intérieur aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme et, en particulier, l'interdiction de fréquenter certaines personnes.

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait pas lieu pour lui à statuer sur les dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure qu'il avait déjà spécialement examinées dans sa décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018.

Il a également jugé que les conditions de recours à ces mesures, fixées à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, sont suffisamment précises.

S'agissant de la mesure d'interdiction de fréquenter certaines personnes, le Conseil constitutionnel relève que, en l'instaurant, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme et qu'il en a limité le champ d'application aux personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il juge que la menace présentée par les personnes nommément désignées, dont la fréquentation est interdite, doit être en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme.

Formulant trois réserves d'interprétation, le Conseil constitutionnel souligne qu'il appartient au ministre de l'intérieur de tenir compte, dans la détermination des personnes dont la fréquentation est interdite, des liens familiaux de l'intéressé et de s'assurer en particulier que l'interdiction de fréquentation ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale. Par ailleurs, comme il l'avait jugé dans sa décision du 16 février 2018 précitée, à propos de l'assignation à résidence, le Conseil constitutionnel indique que, compte tenu de sa rigueur, l'interdiction de fréquenter ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

Enfin, comme dans la décision du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel censure, pour méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, la disposition prévoyant que le juge administratif doit statuer sur les recours pour excès de pouvoir dirigés contre ces mesures dans un délai de quatre mois, en jugeant que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais. En outre, il censure pour le même motif la disposition permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement. Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait l'application immédiate de la censure sur ce point, le Conseil constitutionnel juge que, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l'abrogation correspondante.

- Enfin était contesté un ensemble de dispositions instituant un régime de visites et de saisies à des fins de prévention du terrorisme.
Ces dispositions définissent les conditions dans lesquelles ces visites et saisies peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention, sur saisine du préfet. Elles permettent également de retenir sur place, pendant le déroulement des opérations, la personne en cause. Elles fixent enfin les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut, à l'occasion de la visite, procéder à la saisie de documents, objets et données qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur exploitation.

Le Conseil constitutionnel juge que le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et la liberté d'aller et de venir. Il relève notamment à cet égard que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Le législateur a énoncé un ensemble de garanties propres à limiter l'atteinte, notamment en définissant avec précision les conditions de recours aux visites et saisies et limité leur champ d'application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il a soumis toute visite et saisie à l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi par une requête motivée du préfet et statuer par une ordonnance écrite et motivée, après avis du procureur de la République. Les visites et saisies ne peuvent concerner les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes et les domiciles de ces personnes. La visite doit être effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant et lui permet de se faire assister d'un conseil de son choix. En l'absence de l'occupant, les agents ne peuvent procéder à la visite qu'en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité.

En revanche, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées permettent la saisie, au cours de la visite, non seulement de données et des systèmes informatiques et équipements terminaux qui en sont le support, mais aussi de « documents » et d'« objets ». Toutefois, à la différence du régime qu'il a défini pour les données et les supports, le législateur n'a fixé aucune règle encadrant l'exploitation, la conservation et la restitution des documents et objets saisis au cours de la visite. Ces dispositions relatives à la saisie de documents et d'objets méconnaissent donc le droit de propriété et sont déclarées contraires à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 décembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 415434, 415697 du 28 décembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Rouchdi B. par Me Bruno Vinay, avocat au barreau de Paris, et pour la Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-695 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, des mots « ou à celle des périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au sixième alinéa de l'article L. 511-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la même loi, des mots « y compris dans les périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au premier alinéa de l'article L. 613-1 du même code, dans la même rédaction, et des mots « ou lorsqu'un périmètre de protection a été institué en application de l'article L. 226-1 » figurant à la première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 du même code, dans la même rédaction ;
- de l'article L. 227-1 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi ;
- des articles L. 228-1, L. 228-2, L. 228-3, L. 228-4, L. 228-5 et L. 228-6 du même code, dans la même rédaction ;
- des articles L. 229-1, L. 229-2, L. 229-4 et L. 229-5 du même code, dans la même rédaction.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 25 janvier et 9 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 25 janvier 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Mohamed M. par Me Raphaël Kempf, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 25 janvier 2018 ;
- la lettre du 15 mars 2018 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties des griefs susceptibles d'être relevés d'office ;
- les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 mars 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Pinatel et Me Patrice Spinosi, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, le premier pour le requérant, le second pour l'association requérante, Me Kempf, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 mars 2018 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 27 mars 2018 ;
Et après avoir entendu les rapporteurs ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation, le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut instituer par arrêté motivé un périmètre de protection au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés.
« L'arrêté est transmis sans délai au procureur de la République et communiqué au maire de la commune concernée.
« L'arrêté définit ce périmètre, limité aux lieux exposés à la menace et à leurs abords, ainsi que ses points d'accès. Son étendue et sa durée sont adaptées et proportionnées aux nécessités que font apparaître les circonstances. L'arrêté prévoit les règles d'accès et de circulation des personnes dans le périmètre, en les adaptant aux impératifs de leur vie privée, professionnelle et familiale, ainsi que les vérifications, parmi celles mentionnées aux quatrième et sixième alinéas et à l'exclusion de toute autre, auxquelles elles peuvent être soumises pour y accéder ou y circuler, et les catégories d'agents habilités à procéder à ces vérifications.
« L'arrêté peut autoriser les agents mentionnés aux 2° à 4° de l'article 16 du code de procédure pénale et, sous la responsabilité de ces agents, ceux mentionnés à l'article 20 et aux 1°, 1° bis et 1° ter de l'article 21 du même code à procéder, au sein du périmètre de protection, avec le consentement des personnes faisant l'objet de ces vérifications, à des palpations de sécurité ainsi qu'à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages. La palpation de sécurité est effectuée par une personne de même sexe que la personne qui en fait l'objet. Pour la mise en œuvre de ces opérations, ces agents peuvent être assistés par des agents exerçant l'activité mentionnée au 1° de l'article L. 611-1 du présent code, placés sous l'autorité d'un officier de police judiciaire.
« Après accord du maire, l'arrêté peut autoriser les agents de police municipale mentionnés à l'article L. 511-1 à participer à ces opérations sous l'autorité d'un officier de police judiciaire.
« Lorsque, compte tenu de la configuration des lieux, des véhicules sont susceptibles de pénétrer au sein de ce périmètre, l'arrêté peut également en subordonner l'accès à la visite du véhicule, avec le consentement de son conducteur. Ces opérations ne peuvent être accomplies que par les agents mentionnés aux 2° à 4° de l'article 16 du code de procédure pénale et, sous la responsabilité de ces agents, par ceux mentionnés à l'article 20 et aux 1°, 1° bis et 1° ter de l'article 21 du même code.
« Les personnes qui refusent de se soumettre, pour accéder ou circuler à l'intérieur de ce périmètre, aux palpations de sécurité, à l'inspection visuelle ou à la fouille de leurs bagages ou à la visite de leur véhicule s'en voient interdire l'accès ou sont reconduites d'office à l'extérieur du périmètre par les agents mentionnés au sixième alinéa du présent article.
« La durée de validité d'un arrêté préfectoral instaurant un périmètre de protection en application du présent article ne peut excéder un mois. Le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police ne peut renouveler l'arrêté au-delà de ce délai que si les conditions prévues au premier alinéa continuent d'être réunies ».

2. Le sixième alinéa de l'article L. 511-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 octobre 2017, prévoit notamment que les agents de police municipale peuvent être affectés sur décision du maire à la sécurité de certaines manifestations « ou à celle des périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 ».

3. Le premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit notamment que les agents exerçant une activité privée de sécurité ne peuvent exercer leurs fonctions qu'à l'intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde, « y compris dans les périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 ».

4. La première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit les conditions dans lesquelles les agents exerçant une activité privée de sécurité peuvent procéder, avec le consentement exprès des personnes, à des palpations de sécurité, en cas de circonstances particulières liées à l'existence de menaces graves pour la sécurité publique « ou lorsqu'un périmètre de protection a été institué en application de l'article L. 226-1 ».

5. L'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017, prévoit :« Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes.
« Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée et qui ne peut excéder six mois, est prononcée par arrêté motivé et précédée d'une procédure contradictoire dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration.
« L'arrêté de fermeture est assorti d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l'expiration duquel la mesure peut faire l'objet d'une exécution d'office. Toutefois, si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d'office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience publique en application du deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d'une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande ».

6. L'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit : « Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ».

7. L'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit :« Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de :
« 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ;
« 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ;
« 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation.
« Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

8. L'article L. 228-3 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit : « À la place de l'obligation prévue au 2° de l'article L. 228-2, le ministre de l'intérieur peut proposer à la personne faisant l'objet de la mesure prévue au 1° du même article L. 228-2 de la placer sous surveillance électronique mobile, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent. Ce placement est subordonné à l'accord écrit de la personne concernée. Dans ce cas, le périmètre géographique imposé en application du même 1° ne peut être inférieur au territoire du département.
« Le placement sous surveillance électronique mobile est décidé pour la durée de la mesure prise en application dudit 1°. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l'intéressé, qui peut alors être assujetti à l'obligation prévue au 2° dudit article L. 228-2.
« La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d'un dispositif technique permettant à tout moment à l'autorité administrative de s'assurer à distance qu'elle n'a pas quitté le périmètre défini en application du 1° du même article L. 228-2. Le dispositif technique ne peut être utilisé par l'autorité administrative pour localiser la personne, sauf lorsque celle-ci a quitté ce périmètre ou en cas de fonctionnement altéré dudit dispositif technique.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article. Il peut déterminer les conditions dans lesquelles la mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance prévu au troisième alinéa, pour lequel peut être mis en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, peut être confiée à une personne de droit privé habilitée à cet effet ».

9. L'article L. 228-4 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit : « S'il ne fait pas application des articles L. 228-2 et L. 228-3, le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1 de :
« 1° Déclarer son domicile et tout changement de domicile ;
« 2° Signaler ses déplacements à l'extérieur d'un périmètre déterminé ne pouvant être plus restreint que le territoire de la commune de son domicile ;
« 3° Ne pas paraître dans un lieu déterminé, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Cette obligation tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée.
« Les obligations mentionnées aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de six mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

10. L'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit : « Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1, y compris lorsqu'il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique.
« L'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, le renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de l'obligation prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder douze mois. L'obligation est levée dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites.
« Toute décision de renouvellement est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande.
« La personne soumise à l'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures ouvertes aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ».

11. L'article L. 228-6 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit : « Les décisions du ministre de l'intérieur prises en application des articles L. 228-2 à L. 228-5 sont écrites et motivées. À l'exception des mesures prises sur le fondement de l'article L. 228-3, le ministre de l'intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours à compter de la notification de la décision ».

12. L'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit :« Sur saisine motivée du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris peut, par une ordonnance écrite et motivée et après avis du procureur de la République de Paris, autoriser la visite d'un lieu ainsi que la saisie des documents, objets ou données qui s'y trouvent, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.
« Ces opérations ne peuvent concerner les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes et les domiciles des personnes concernées.
« La saisine du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris est précédée d'une information du procureur de la République de Paris et du procureur de la République territorialement compétent, qui reçoivent tous les éléments relatifs à ces opérations. L'ordonnance est communiquée au procureur de la République de Paris et au procureur de la République territorialement compétent.
« L'ordonnance mentionne l'adresse des lieux dans lesquels les opérations de visite et de saisie peuvent être effectuées, le service et la qualité des agents habilités à y procéder, le numéro d'immatriculation administrative du chef de service qui nomme l'officier de police judiciaire territorialement compétent présent sur les lieux, chargé d'assister à ces opérations et de tenir informé le juge des libertés et de la détention de leur déroulement, ainsi que la faculté pour l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix, sans que l'exercice de cette faculté n'entraîne la suspension des opérations autorisées sur le fondement du premier alinéa.
« L'ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute ».

13. L'article L. 229-2 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit :« L'ordonnance est notifiée sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant, qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal de visite. En l'absence de l'occupant des lieux ou de son représentant, l'ordonnance est notifiée après les opérations, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l'avis. À défaut de réception, il est procédé à la signification de l'ordonnance par acte d'huissier de justice.
« L'acte de notification comporte mention des voies et délais de recours contre l'ordonnance ayant autorisé la visite et contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.
« La visite est effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui peut se faire assister d'un conseil de son choix. En l'absence de l'occupant des lieux, les agents chargés de la visite ne peuvent procéder à celle-ci qu'en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité.
« La visite ne peut être commencée avant 6 heures ni après 21 heures, sauf autorisation expresse, écrite et motivée accordée par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, fondée sur l'urgence ou les nécessités de l'opération.
« Elle s'effectue sous l'autorité et le contrôle du juge des libertés et de la détention qui l'a autorisée. À cette fin, ce dernier donne toutes instructions aux agents qui participent à l'opération. Il peut, s'il l'estime utile, se rendre dans les locaux pendant l'opération et, à tout moment, sur saisine de l'occupant des lieux ou de son représentant, ou de son propre chef, en décider la suspension ou l'arrêt. Afin d'exercer ce contrôle, lorsque la visite a lieu en dehors du ressort du tribunal de grande instance de Paris, il peut délivrer une commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s'effectue la visite.
« Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République territorialement compétent.
« Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents qui ont procédé à la visite. Le procès-verbal est signé par ces agents et par l'officier de police judiciaire territorialement compétent présent sur les lieux, qui peuvent s'identifier par le numéro d'immatriculation administrative mentionné à l'article 15-4 du code de procédure pénale, leur qualité et leur service ou unité d'affectation, ainsi que par l'occupant des lieux ou, le cas échéant, son représentant ou les témoins. En cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal.
« L'original du procès-verbal est, dès qu'il a été établi, adressé au juge qui a autorisé la visite. Une copie de ce même document est remise ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'occupant des lieux ou à son représentant.
« Le procès-verbal mentionne le délai et les voies de recours.
« Si, à l'occasion de la visite, les agents qui y procèdent découvrent des éléments révélant l'existence d'autres lieux répondant aux conditions fixées au premier alinéa de l'article L. 229-1, ils peuvent, sur autorisation du juge qui a pris l'ordonnance, délivrée en cas d'urgence par tout moyen, procéder sans délai à la visite de ces lieux. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal mentionné au septième alinéa du présent article.
« Le juge qui a autorisé la visite et les juridictions de jugement saisies à cet effet ont accès aux nom et prénom de toute personne identifiée par un numéro d'immatriculation administrative dans le procès-verbal mentionné au même septième alinéa ».

14. L'article L. 229-4 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit :« I.- Lorsqu'elle est susceptible de fournir des renseignements sur les objets, documents et données présents sur le lieu de la visite ayant un lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié la visite, la personne pour laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics peut, après information sans délai du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, être retenue sur place par l'officier de police judiciaire pendant le temps strictement nécessaire au déroulement des opérations.
« La retenue ne peut excéder quatre heures à compter du début de la visite et le juge des libertés et de la détention peut y mettre fin à tout moment.
« Lorsqu'il s'agit d'un mineur, la retenue fait l'objet d'un accord exprès du juge des libertés et de la détention. Le mineur doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité dûment justifiée.
« Mention de l'information ou de l'accord exprès du juge des libertés et de la détention est portée au procès-verbal mentionné au premier alinéa du III.
« II.- La personne retenue est immédiatement informée par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend :
« 1° Du fondement légal de son placement en retenue ;
« 2° De la durée maximale de la mesure ;
« 3° Du fait que la retenue dont elle fait l'objet ne peut donner lieu à audition et qu'elle a le droit de garder le silence ;
« 4° Du fait qu'elle bénéficie du droit de faire prévenir par l'officier de police judiciaire toute personne de son choix ainsi que son employeur.
« Si l'officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités liées à la retenue, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au juge des libertés et de la détention qui décide, s'il y a lieu, d'y faire droit.
« Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant à l'officier de police judiciaire en application du premier alinéa du présent 4° doivent intervenir, au plus tard, dans un délai de deux heures à compter du moment où la personne a formulé sa demande.
« III.- L'officier de police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui justifient la retenue. Il précise le jour et l'heure à partir desquels la retenue a débuté, le jour et l'heure de la fin de la retenue et la durée de celle-ci.
« Ce procès-verbal est présenté à la signature de l'intéressé. Si ce dernier refuse de le signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci.
« Le procès-verbal est transmis au juge des libertés et de la détention, copie en ayant été remise à l'intéressé.
« La durée de la retenue s'impute, s'il y a lieu, sur celle de la garde à vue ».

15. L'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction, prévoit :« I.- Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, si la visite révèle l'existence de documents, objets ou données relatifs à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne concernée, il peut être procédé à leur saisie ainsi qu'à celle des données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la visite soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la visite.
« La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l'officier de police judiciaire. Le procès-verbal mentionné à l'article L. 229-2 indique les motifs de la saisie et dresse l'inventaire des objets, documents ou données saisis. Copie en est remise aux personnes mentionnées au troisième alinéa du même article L. 229-2 ainsi qu'au juge ayant délivré l'autorisation. Les éléments saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la visite. À compter de la saisie, nul n'y a accès avant l'autorisation du juge.
« II.- Dès la fin de la visite, l'autorité administrative peut demander au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris d'autoriser l'exploitation des données saisies. Au vu des éléments révélés par la visite, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l'autorité administrative. Sont exclus de l'autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié la visite.
« L'ordonnance est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l'avis. À défaut de réception, il est procédé à la signification de l'ordonnance par acte d'huissier de justice.
« L'acte de notification comporte mention des voies et délais de recours contre l'ordonnance ayant autorisé l'exploitation des données saisies.
« L'ordonnance autorisant l'exploitation des données saisies peut faire l'objet, dans un délai de quarante-huit heures, d'un appel devant le premier président de la cour d'appel de Paris selon les modalités mentionnées aux trois premiers alinéas du I de l'article L. 229-3. Le premier président statue dans un délai de quarante-huit heures.
« L'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Le délai de pourvoi en cassation est de quinze jours.
« En cas de décision de refus devenue irrévocable, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués, dans l'état dans lequel ils ont été saisis, à leur propriétaire.
« Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée selon la procédure mentionnée au présent article, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la visite et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu'il a été procédé à la copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge, saisi dans ce délai, a autorisé l'exploitation des données qu'ils contiennent. Les données copiées sont détruites à l'expiration d'un délai maximal de trois mois à compter de la date de la visite ou de la date à laquelle le juge, saisi dans ce délai, en a autorisé l'exploitation.
« En cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis ou dans l'exploitation des données copiées, lorsque cela est nécessaire, les délais prévus à l'avant-dernier alinéa du présent II peuvent être prorogés, pour la même durée, par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, saisi par l'autorité administrative au moins quarante-huit heures avant l'expiration de ces délais. Le juge statue dans un délai de quarante-huit heures sur la demande de prorogation présentée par l'autorité administrative. Si l'exploitation ou l'examen des données et des supports saisis conduit à la constatation d'une infraction, ces données et supports sont conservés selon les règles applicables en matière de procédure pénale ».

16. En premier lieu, l'association requérante soutient que l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure ne définirait pas avec suffisamment de précision les conditions de mise en place par le préfet des périmètres de protection. En outre, ces dispositions ne comporteraient pas les garanties légales appropriées permettant d'encadrer les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, les palpations de sécurité et les fouilles de bagages et de véhicules effectuées dans ces périmètres. Ce défaut de garanties légales priverait les personnes faisant l'objet de ces mesures de la possibilité de bénéficier d'un contrôle juridictionnel effectif. Il en résulterait une violation de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence de nature à affecter ces mêmes droits et libertés.

17. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office, d'une part, le grief tiré de ce que, en ne précisant pas les critères en fonction desquels sont mises en œuvre, au sein des périmètres de protection, les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages et de visites de véhicules, les dispositions de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. Il a relevé d'office, d'autre part, le grief tiré de ce que, en permettant de confier à des agents exerçant des activités privées de sécurité la mise en œuvre de certaines opérations de contrôle au sein des périmètres de protection, ces dispositions méconnaîtraient les exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

18. En deuxième lieu, l'association requérante soutient qu'en permettant à l'autorité administrative de fermer des lieux de culte, pour prévenir la commission d'actes de terrorisme, à raison de certains propos qui y sont tenus, de certaines idées ou théories qui y sont diffusées ou de certaines activités qui s'y déroulent, l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure méconnaîtrait la liberté religieuse, la liberté d'expression et de communication, le droit d'expression collective des idées et des opinions, la liberté d'association et le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle dénonce, à cet égard, l'imprécision de la notion d'« idées ou théories » et le fait que la provocation « à la haine ou à la discrimination », qui peut justifier la fermeture du lieu de culte, ne présente pas nécessairement de lien avec la prévention du terrorisme. Elle reproche également à ce titre au législateur de ne pas avoir interdit le renouvellement indéfini de la mesure de fermeture et de n'avoir pas prévu les garanties de nature à assurer le respect des exigences constitutionnelles mentionnées ci-dessus, ce qui serait constitutif d'une incompétence négative.

19. En troisième lieu, d'après l'association requérante, les dispositions relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues aux articles L. 228-1 à L. 228-6 du code de la sécurité intérieure méconnaîtraient la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit à un recours juridictionnel effectif et seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes droits et libertés. Elle reproche au législateur de ne pas avoir défini avec suffisamment de précision, à l'article L. 228-1, les conditions de recours à ces mesures ainsi que, à l'article L. 228-5, la portée de l'interdiction de « se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes ». En outre, l'association requérante estime que le législateur aurait dû prévoir des dispositions transitoires en faveur des personnes susceptibles d'être assignées à résidence en vertu de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, après l'avoir été, dans le cadre de l'état d'urgence, sur le fondement de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus. Le requérant estime qu'en instaurant cette mesure d'assignation à résidence le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs dès lors que le contrôle d'une telle mesure aurait dû échoir au juge judiciaire. Il dénonce également le fait qu'en autorisant le prononcé d'une mesure d'assignation à résidence à raison de l'adhésion à une idéologie terroriste, le législateur aurait méconnu la liberté d'opinion, la liberté d'aller et de venir et, compte tenu de l'imprécision des notions employées, l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ainsi que sa propre compétence.

20. En dernier lieu, selon l'association requérante et la partie intervenante, les dispositions relatives aux visites et saisies seraient dépourvues de nécessité, ne définiraient pas avec suffisamment de précision les conditions de déclenchement et de mise en œuvre de ces mesures et ne prévoiraient pas de garanties légales suffisantes, en particulier lorsque la visite se déroule hors la présence de l'occupant des lieux ou lorsqu'elle se poursuit en d'autres lieux. L'association requérante reproche également à ces dispositions de permettre la retenue sur place de l'occupant des lieux sans autorisation préalable d'un juge. Il en résulterait une violation du droit au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile et du droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu'une incompétence négative de nature à affecter ces mêmes droits. Selon la partie intervenante, ces dispositions porteraient également atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense, au motif que la procédure suivie devant le juge des libertés et de la détention, en vue d'autoriser l'exploitation des données saisies au cours d'une visite domiciliaire, n'est ni publique ni contradictoire.

21. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que, en permettant, au cours d'une visite prévue à l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, la saisie de « documents » et d'« objets », sans prévoir de règles encadrant leur exploitation, leur conservation et leur restitution, les dispositions de l'article L. 229-5 du même code méconnaîtraient le droit de propriété.

22. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions suivantes du code de la sécurité intérieure :- l'article L. 226-1, les mots « ou à celle des périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au sixième alinéa de l'article L. 511-1, les mots « y compris dans les périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au premier alinéa de l'article L. 613-1 et les mots « ou lorsqu'un périmètre de protection a été institué en application de l'article L. 226-1 » figurant à la première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 ;
- l'article L. 227-1 ;
- les articles L. 228-1, L. 228-2 et L. 228-5 ;
- l'article L. 229-1, les troisième et dixième alinéas de l'article L. 229-2, le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et l'article L. 229-5.

- Sur la recevabilité :

23. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

24. Dans sa décision du 16 février 2018 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Il a prononcé la censure de trois dispositions de cet article et a déclaré le reste de l'article conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Dès lors, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur les dispositions de cet article déjà censurées ni, en l'absence de changement de circonstances, de réexaminer les dispositions déjà déclarées conformes à la Constitution.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure et les dispositions contestées du sixième alinéa de l'article L. 511-1, du premier alinéa de l'article L. 613-1 et de la première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 du même code :

25. L'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure permet au représentant de l'État dans le département ou au préfet de police, à Paris, d'instituer un périmètre de protection au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés à des fins de sécurisation d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque terroriste. L'accès et la circulation dans ce périmètre peuvent être conditionnés à la nécessité pour les personnes de se soumettre à des palpations de sécurité, à l'inspection visuelle ou à la fouille de leurs bagages et à la visite de leur véhicule.

- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 :

26. Selon l'article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.

27. Les dispositions contestées confèrent aux agents de la force publique la possibilité de se faire assister, pour la mise en œuvre des palpations de sécurité et des inspections et fouilles de bagages, par des agents agréés exerçant une activité privée de sécurité. Ce faisant, le législateur a permis d'associer des personnes privées à l'exercice de missions de surveillance générale de la voie publique. Il résulte des dispositions contestées que ces personnes ne peuvent toutefois qu'assister les agents de police judiciaire et sont placées « sous l'autorité d'un officier de police judiciaire ». Il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s'assurer que soit continûment garantie l'effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire. Sous cette réserve, ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences découlant de l'article 12 de la Déclaration de 1789.

- S'agissant des griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du principe d'égalité devant la loi :

28. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, et le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de cette déclaration.

29. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

30. En permettant au préfet d'instituer des périmètres au sein desquels l'accès et la circulation des personnes sont réglementés et des mesures de contrôle mises en œuvre, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et au droit au respect de la vie privée.

31. En premier lieu, un périmètre de protection ne peut être institué par le préfet, par arrêté motivé, qu'aux fins d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation. En outre, ce périmètre doit être limité aux lieux exposés à la menace et à leurs abords. Enfin, son étendue et sa durée doivent être adaptées et proportionnées aux nécessités que font apparaître les circonstances. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Il a également défini avec précision les conditions de mise en place d'un périmètre de protection et a limité le champ d'application d'un tel dispositif.

32. En deuxième lieu, les règles d'accès et de circulation au sein du périmètre, définies par l'arrêté préfectoral, doivent être adaptées aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale des personnes. Cet arrêté détermine également les mesures de vérification, limitativement définies par les dispositions contestées, auxquelles les personnes peuvent être soumises pour y accéder ou y circuler. Ces mesures correspondent à des palpations de sécurité, des inspections visuelles et fouilles de bagages et des visites de véhicules. Elles ne peuvent être opérées que par des autorités de police judiciaire ou, en leur présence et sous leur contrôle effectif, par des agents de police municipale ou des agents agréés exerçant une activité privée de sécurité, avec le consentement des personnes faisant l'objet de ces vérifications.

33. Toutefois, s'il était loisible au législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre, au sein des périmètres de protection, les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages et de visite de véhicules, la mise en œuvre de ces vérifications ainsi confiées par la loi à des autorités de police judiciaire ou sous leur responsabilité ne saurait s'opérer, conformément aux droits et libertés mentionnés ci-dessus, qu'en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.

34. En dernier lieu, les dispositions contestées limitent à un mois la durée de validité de l'arrêté préfectoral. Celui-ci ne peut être renouvelé que si les conditions justifiant l'institution du périmètre de protection continuent d'être réunies. Ce renouvellement est ainsi subordonné à la nécessité d'assurer la sécurité du lieu ou de l'événement et à la condition qu'il demeure exposé à un risque d'actes de terrorisme, à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation. Toutefois, compte tenu de la rigueur des mesures prévues par les dispositions contestées, un tel renouvellement ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans que celui-ci établisse la persistance du risque.

35. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 33 et 34, en adoptant les dispositions contestées, le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. Sous la réserve énoncée au paragraphe 33, les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant la loi.

36. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 27, 33 et 34, les dispositions de l'article L. 226-1, les mots « ou à celle des périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au sixième alinéa de l'article L. 511-1, les mots « y compris dans les périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au premier alinéa de l'article L. 613-1 et les mots « ou lorsqu'un périmètre de protection a été institué en application de l'article L. 226-1 » figurant à la première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 du code de la sécurité intérieure, qui ne méconnaissent ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et qui ne sont pas entachés d'incompétence négative, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure :

37. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Il en résulte la liberté de conscience. L'article 1er de la Constitution dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Il résulte de cet article et de l'article 10 de la Déclaration de 1789 que le principe de laïcité impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes.

38. L'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure autorise le préfet, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, à fermer provisoirement des lieux de culte sous certaines conditions. Cette disposition porte donc atteinte à la liberté de conscience et au libre exercice des cultes.

39. En premier lieu, la mesure de fermeture d'un lieu de culte ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. En outre, une seconde condition doit être remplie : les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent doivent soit provoquer à la violence, à la haine ou à la discrimination soit provoquer à la commission d'actes de terrorisme ou en faire l'apologie. Il résulte de la combinaison de ces deux conditions, que, lorsque la justification de cette mesure repose sur la provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il appartient au préfet d'établir que cette provocation est bien en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme. En autorisant l'adoption d'une telle mesure de fermeture provisoire d'un lieu de culte, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

40. En deuxième lieu, le législateur a limité à six mois la durée de la mesure prévue à l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure et n'a pas prévu qu'elle puisse être renouvelée. L'adoption ultérieure d'une nouvelle mesure de fermeture ne peut que reposer sur des faits intervenus après la réouverture du lieu de culte.

41. En troisième lieu, la mesure de fermeture du lieu de culte doit être justifiée et proportionnée, notamment dans sa durée, aux raisons l'ayant motivée. À ce titre, il appartient au préfet de tenir compte des conséquences d'une telle mesure pour les personnes fréquentant habituellement le lieu de culte et de la possibilité qui leur est offerte ou non de pratiquer leur culte en un autre lieu. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.

42. En dernier lieu, la mesure de fermeture d'un lieu de culte peut faire l'objet d'un recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative. Elle est alors suspendue jusqu'à la décision du juge de tenir ou non une audience publique. S'il décide de tenir cette audience, la suspension de la mesure se prolonge jusqu'à sa décision sur le référé, qui doit intervenir dans les quarante-huit heures.

43. Il résulte de ce qui précède que le législateur, qui n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. L'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, qui ne méconnaît pas non plus la liberté d'expression et de communication, le droit d'expression collective des idées et des opinions, la liberté d'association ou le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

. En ce qui concerne les articles L. 228-1 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure :

44. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent le droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit au respect de la vie privée et la liberté d'aller et de venir.

45. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.

- S'agissant de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure :

46. En vertu de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. En outre, deux conditions cumulatives doivent être réunies. D'une part, il appartient au ministre de l'intérieur d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne visée par la mesure constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. Cette menace doit être nécessairement en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme. D'autre part, il lui appartient également de prouver soit que cette personne « entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit qu'elle « soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ». En adoptant les dispositions contestées, le législateur a défini avec précision les conditions de recours aux mesures de contrôle administratif ou de surveillance.

47. L'article L. 228-1, qui n'est pas entaché d'incompétence négative dans des conditions de nature à affecter les exigences constitutionnelles mentionnées ci-dessus et qui ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

- S'agissant de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure :

48. L'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure permet au ministre de l'intérieur d'interdire à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1 de se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique. Ces dispositions portent donc atteinte au droit de mener une vie familiale normale, au droit au respect de la vie privée et à la liberté d'aller et de venir.

49. En premier lieu, toutefois, la mesure prévue à l'article L. 228-5 n'est susceptible de s'appliquer que si les conditions fixées à l'article L. 228-1 sont remplies. En adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public, et a limité le champ d'application de cette mesure aux personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

50. En deuxième lieu, compte tenu des conditions ainsi retenues par le législateur, la menace présentée par les personnes nommément désignées, dont la fréquentation est interdite, doit être en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme.

51. En troisième lieu, il appartient au ministre de l'intérieur de tenir compte, dans la détermination des personnes dont la fréquentation est interdite, des liens familiaux de l'intéressé et de s'assurer en particulier que la mesure d'interdiction de fréquentation ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale.

52. En quatrième lieu, le législateur a limité la durée de la mesure prévue à l'article L. 228-5. Elle ne peut être initialement prononcée ou renouvelée que pour une durée maximale de six mois. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, son renouvellement est subordonné à la production par le ministre de l'intérieur d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de l'interdiction de fréquenter ne peut excéder douze mois. Compte tenu de sa rigueur, cette mesure ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

53. En dernier lieu, d'une part, la mesure prévue à l'article L. 228-5, qui peut faire l'objet d'un recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, est susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, dans un délai de deux mois après sa notification ou la notification de son renouvellement, devant le tribunal administratif. Ce dernier doit alors se prononcer dans un délai de quatre mois. Toutefois, compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé, en laissant au juge un délai de quatre mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Par conséquent, la deuxième phrase du dernier alinéa de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure doit être déclarée contraire à la Constitution. En outre, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais.

54. D'autre part, toute décision de renouvellement de la mesure étant notifiée à la personne en cause au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci peut saisir, dans les quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses droits et libertés. Ce recours est suspensif. Aux termes du même article L. 521-2, le contrôle mis en œuvre par le juge des référés est limité aux atteintes graves et manifestement illégales. En permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de six mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Dès lors, les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure doivent être déclarés contraires à la Constitution.

55. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux paragraphes 51, 52 et 53, en adoptant le reste des dispositions contestées, le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le droit de mener une vie familiale normale, le droit au respect de la vie privée et la liberté d'aller et de venir. Il n'a pas non plus méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.

56. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 51, 52 et 53, le reste de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

. En ce qui concerne l'article L. 229-1, les troisième et dixième alinéas de l'article L. 229-2, le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure :

- S'agissant des griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, de l'inviolabilité du domicile, de la liberté d'aller et de venir et du droit à un recours juridictionnel effectif :

57. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent l'inviolabilité du domicile, protégée par l'article 2 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée et la liberté d'aller et de venir.

58. Les articles L. 229-1, L. 229-2, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure instituent un régime de visites et de saisies à des fins de prévention du terrorisme. L'article L. 229-1 définit les conditions dans lesquelles ces visites et saisies peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, sur saisine du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police. L'article L. 229-2 détermine les modalités de mise en œuvre des visites. L'article L. 229-4 permet de retenir sur place, pendant le déroulement des opérations, la personne en cause. L'article L. 229-5 fixe les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut, à l'occasion de la visite, procéder à la saisie de documents, objets et données qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur exploitation.

59. En premier lieu, en vertu de l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, les visites et saisies ne peuvent être autorisées qu'aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme. En outre, deux conditions cumulatives doivent être réunies. D'une part, il appartient au préfet d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics. Cette menace doit être en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme. D'autre part, il lui appartient également de prouver soit que cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit qu'elle soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Il a également défini avec précision les conditions de recours aux visites et saisies et limité leur champ d'application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

60. En deuxième lieu, d'une part, le législateur a soumis toute visite et saisie à l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi par une requête motivée du préfet et statuer par une ordonnance écrite et motivée, après avis du procureur de la République. D'autre part, les visites et saisies ne peuvent concerner les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes et les domiciles de ces personnes.

61. En troisième lieu, en application du troisième alinéa de l'article L. 229-2 du code de la sécurité intérieure, la visite doit être effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant et lui permet de se faire assister d'un conseil de son choix. En l'absence de l'occupant, les agents ne peuvent procéder à la visite qu'en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité.

62. En quatrième lieu, si le dixième alinéa de l'article L. 229-2 permet aux agents chargés d'une visite, en cas de découverte d'éléments révélant l'existence d'autres lieux répondant aux conditions fixées au premier alinéa de l'article L. 229-1, de procéder sans délai à la visite de ces lieux sur autorisation du juge des libertés et de la détention, ces dispositions ne dispensent pas du respect des autres conditions prévues à l'article L. 229-2. Les voies de recours prévues à l'article L. 229-3 sont également applicables.

63. En cinquième lieu, la mesure de retenue sur place prévue par le premier alinéa de l'article L. 229-4 ne peut s'appliquer qu'à la personne pour laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité et à la condition qu'elle soit susceptible de fournir des renseignements sur les objets, documents et données présents sur le lieu de la visite ayant un lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié cette visite. Cette retenue, dont la durée est limitée à quatre heures et qui ne peut concerner que la personne fréquentant le lieu visité, est précédée de l'information sans délai du juge des libertés et de la détention, qui peut y mettre fin à tout moment. Lorsqu'il s'agit d'un mineur, la retenue fait l'objet d'un accord exprès du juge des libertés et de la détention.

64. En dernier lieu, d'une part, la copie des données informatiques permise par l'article L. 229-5 n'est possible que lorsque la visite révèle l'existence de données relatives à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne. Réalisée en présence de l'officier de police judiciaire, cette copie ne peut être effectuée sans que soit établi un procès-verbal indiquant ses motifs et dressant l'inventaire des données saisies, et sans qu'une copie en soit remise à l'occupant du lieu, à son représentant ou à deux témoins ainsi qu'au juge ayant délivré l'autorisation.

65. D'autre part, l'exploitation des données saisies nécessite l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par l'autorité administrative à l'issue de la visite. Cette autorisation ne peut porter sur des éléments dépourvus de tout lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié la visite. Dans l'attente de la décision du juge, les données sont placées sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la visite et nul ne peut y avoir accès. Si l'ordonnance autorisant l'exploitation des données saisies est prise par le juge des libertés et de la détention sans débat contradictoire ni audience publique, elle est susceptible d'un recours, non suspensif, devant le premier président de la cour d'appel, qui se prononce alors dans les quarante-huit heures.

66. Il résulte de ce qui précède que le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et la liberté d'aller et de venir. Il n'a pas non plus méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.

- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :

67. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

68. Les dispositions contestées permettent la saisie, au cours de la visite, non seulement de données et des systèmes informatiques et équipements terminaux qui en sont le support, mais aussi de « documents » et d'« objets ». Toutefois, à la différence du régime qu'il a défini pour les données et les supports, le législateur n'a fixé aucune règle encadrant l'exploitation, la conservation et la restitution des documents et objets saisis au cours de la visite. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété.

69. Dès lors, les mots « des documents, objets ou » figurant au premier alinéa de l'article L. 229-1, les mots « objets, documents et » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et les mots « documents, objets ou » et « objets, documents ou » figurant respectivement aux premier et second alinéas du paragraphe I de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure doivent être déclarés contraires à la Constitution.

70. Il résulte de tout ce qui précède que le reste de l'article L. 229-1, les troisième et dixième alinéas de l'article L. 229-2, le reste du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et le reste de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, qui ne sont pas entachés d'incompétence négative et qui ne méconnaissent ni les droits de la défense, ni le droit à un procès équitable, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

71. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

72. En premier lieu, l'abrogation immédiate des mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative », figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, aurait des conséquences manifestement excessives. En effet, la combinaison du caractère suspensif du recours avec le fait qu'aucun délai n'est fixé au juge pour statuer pourrait avoir pour conséquence d'empêcher l'exécution en temps utile de la décision de renouvellement de l'interdiction de fréquenter. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l'abrogation de ces mots.

73. En second lieu, aucun motif ne justifie de reporter les effets des déclarations d'inconstitutionnalité mentionnées aux paragraphes 53 et 69. Celles-ci interviennent donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Article 2. - Sont contraires à la Constitution :
- les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-5 et la deuxième phrase du dernier alinéa du même article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- les mots « des documents, objets ou » figurant au premier alinéa de l'article L. 229-1, les mots « objets, documents et » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et les mots « documents, objets ou » et « objets, documents ou » figurant respectivement aux premier et second alinéas du paragraphe I de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction.

Article 3. - Sont conformes à la Constitution :
- sous les réserves énoncées aux paragraphes 27, 33 et 34, les dispositions de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, les mots « ou à celle des périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au sixième alinéa de l'article L. 511-1, les mots « y compris dans les périmètres de protection institués en application de l'article L. 226-1 » figurant au premier alinéa de l'article L. 613-1 et les mots « ou lorsqu'un périmètre de protection a été institué en application de l'article L. 226-1 » figurant à la première phrase du second alinéa de l'article L. 613-2 du même code, dans leur rédaction résultant de la même loi ;
- sous les réserves énoncées aux paragraphes 51, 52 et 53, le reste de l'article L. 228-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la même loi.

Article 4. - Sont conformes à la Constitution :
- l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction ;
- le reste de l'article L. 229-1, les troisième et dixième alinéas de l'article L. 229-2, le reste du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 229-4 et le reste de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans la même rédaction.

Article 5. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 72 et 73 de cette décision.

Article 6. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018

M. Malek B. [Pénalisation du refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 janvier 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3478 du 10 janvier 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Malek B. par Me Karim Morand-Lahouazi, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-696 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 434-15-2 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Morand-Lahouazi, enregistrées les 5 et 20 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 février 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Lamine M. par Me Yves Levano, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 2 février 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association La Quadrature du Net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 5 et 20 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Morand-Lahouazi, pour le requérant, Me Levano, pour M. Lamine M., et Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour l'association La Quadrature du Net, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 mars 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 434-15-2 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 270 000 € d'amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.
« Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit ou d'en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 450 000 € d'amende ».

2. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, soutient que les dispositions contestées, en ce qu'elles sanctionnent le refus pour une personne suspectée d'une infraction de remettre aux autorités judiciaires, ou de mettre en œuvre à leur demande, une clé de déchiffrement susceptible d'avoir été utilisée pour commettre cette infraction, porteraient atteinte au droit au silence et au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Elles seraient ainsi contraires au droit à une procédure juste et équitable garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe de présomption d'innocence garanti par l'article 9 de cette même déclaration. Enfin, selon les parties intervenantes, ces mêmes dispositions violeraient également le droit au respect de la vie privée et, selon l'une des parties intervenantes, le secret des correspondances, les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d'expression.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 434-15-2 du code pénal.

4. Selon l'article 2 de la Déclaration de 1789, « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. Pour être conformes à la Constitution, les atteintes à ces droits doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.

5. Selon l'article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire.

6. Le premier alinéa de l'article 434-15-2 du code pénal sanctionne d'une peine de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 270 000 euros le fait pour « quiconque » ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre une infraction, de refuser de la délivrer ou de la mettre en œuvre. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette obligation pèse sur toute personne, y compris celle suspectée d'avoir commis l'infraction à l'aide de ce moyen de cryptologie.

7. En premier lieu, en imposant à la personne ayant connaissance d'une convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre uniquement si ce moyen de cryptologie est susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit et uniquement si la demande émane d'une autorité judiciaire, le législateur a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des infractions et de recherche des auteurs d'infractions, tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle.

8. En second lieu, aux termes de la première phrase de l'article 29 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus constitue un moyen de cryptologie « tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu'il s'agisse d'informations ou de signaux, à l'aide de conventions secrètes ou pour réaliser l'opération inverse avec ou sans convention secrète ». Les dispositions critiquées n'imposent à la personne suspectée d'avoir commis une infraction, en utilisant un moyen de cryptologie, de délivrer ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement que s'il est établi qu'elle en a connaissance. Elles n'ont pas pour objet d'obtenir des aveux de sa part et n'emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées. En outre, l'enquête ou l'instruction doivent avoir permis d'identifier l'existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. Enfin, ces données, déjà fixées sur un support, existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée.

9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit de ne pas s'accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.

10. Le premier alinéa de l'article 434-15-2 du code pénal, qui ne méconnaît pas non plus les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d'expression, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 434-15-2 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 mars 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 6 AVRIL 2018

Décision n° 2018-697 QPC du 6 avril 2018

Époux L. [Résiliation des contrats de location d'habitation par certains établissements publics de santé]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 janvier 2018 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 136 du 16 janvier 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Philippe L. par Me Franck Peter, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-697 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une part, de l'article 14-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et, d'autre part, du paragraphe II de l'article 137 de cette même loi.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 6 et 22 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me François Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 mars 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant du paragraphe I de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« La résiliation du contrat de location peut être prononcée par le bailleur Assistance publique-hôpitaux de Paris, le bailleur hospices civils de Lyon ou le bailleur Assistance publique-hôpitaux de Marseille en vue d'attribuer ou de louer le logement à une personne en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi dans l'un de ces établissements publics de santé et dont le nom figure sur la liste des personnes ayant formulé une demande de logement.
« La résiliation prononcée en application du premier alinéa ne peut produire effet avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de sa décision par l'un des établissements publics de santé susmentionnés à l'occupant. Cette décision comporte le motif de la résiliation et la nature des fonctions occupées par la ou les personnes auxquelles le bailleur envisage d'attribuer ou de louer le logement.
« Dans le cas où le bien n'est pas attribué ou loué à l'une des personnes mentionnées au premier alinéa, l'établissement public de santé concerné est tenu, sur simple demande de l'ancien occupant, de conclure avec ce dernier un nouveau contrat de location pour la durée prévue à l'article 10 ».

2. Le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 prévoit : « Le I est applicable aux contrats de location en cours à la date de publication de la présente loi. La notification de la décision de l'établissement public de santé concerné doit alors intervenir dans un délai de huit mois avant la date d'effet de la résiliation. Le locataire qui répond aux conditions de ressources annuelles équivalentes ou inférieures au plafond prévu pour les prêts locatifs sociaux, mentionné au III de l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, titulaire d'un contrat de location à la date de publication de la présente loi, n'est pas concerné par les présentes dispositions ».

3. Les requérants soutiennent qu'en conférant un pouvoir de résiliation des contrats de location à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, aux hospices civils de Lyon et à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, l'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 instituerait, au détriment des locataires de ces trois bailleurs, une différence de traitement injustifiée par rapport aux autres locataires, notamment ceux d'autres établissements publics, ainsi qu'une différence de traitement injustifiée selon le mode de gestion retenu pour les biens immobiliers de ces établissements. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. Par ailleurs, ils soutiennent qu'en prévoyant l'application de ce pouvoir de résiliation aux contrats en cours, le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 porterait une atteinte injustifiée au droit au maintien des conventions légalement conclues et méconnaîtrait la garantie des droits.

- Sur l'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 :

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. L'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 permet à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, aux hospices civils de Lyon et à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille de résilier les contrats de location de logements dont ils sont propriétaires, afin de les attribuer à leurs agents en activité. Il en résulte une différence de traitement entre les établissements bailleurs mentionnés ci-dessus et les autres bailleurs ainsi que, par voie de conséquence, entre leurs locataires respectifs.

6. Ces dispositions visent à permettre d'attribuer un logement aux agents de ces trois établissements publics de santé à proximité du lieu d'exercice de leurs fonctions. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre à ces trois groupes hospitaliers situés dans des zones où le marché du logement est particulièrement tendu de loger leurs agents à proximité de leurs différents sites pour assurer la continuité du service public. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

7. Toutefois, le législateur n'a pas exclu que ce pouvoir de résiliation puisse être exercé par les établissements hospitaliers bailleurs à l'égard de leurs propres agents, ni défini les critères suivant lesquels il pourrait, dans ce cas, s'exercer. Or, compte tenu de l'objet de la loi, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être appliquées aux agents en activité employés par les établissements bailleurs. Sous cette réserve, la différence de traitement contestée est en rapport avec l'objet de la loi.

8. Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté. L'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit doit être déclaré conforme à la Constitution.

- Sur le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 :

9. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

10. Le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 prévoit l'application, à compter de la date de publication de cette loi, du droit de résiliation institué par l'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 aux contrats en cours à cette date.

11. En premier lieu, en permettant d'appliquer ce droit de résiliation aux contrats en cours, le législateur a voulu, compte tenu du nombre important et de la durée des baux en cours conclus avec des personnes sans lien avec ces établissements publics de santé, augmenter significativement le nombre de logements susceptibles d'être mis à la disposition de leur personnel. Il a ainsi poursuivi le même motif d'intérêt général que celui mentionné au paragraphe 6.

12. En second lieu, d'une part, s'agissant de baux en cours à la date de publication de la loi, le législateur a prévu un délai de préavis de huit mois entre la notification de la décision de l'établissement public de santé et la date d'effet de la résiliation. D'autre part, lorsque le logement n'a finalement pas été attribué à un agent de l'établissement bailleur, ce dernier doit conclure un nouveau contrat de location d'une durée de six ans avec le locataire évincé, sur simple demande de sa part. Enfin, le législateur a exclu l'application de ce pouvoir de résiliation aux contrats en cours dans le cas des locataires dont les ressources annuelles sont équivalentes ou inférieures au plafond des ressources requis pour l'attribution des logements locatifs conventionnés.

13. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, le grief tiré de ce que le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 méconnaît le droit au maintien des contrats légalement conclus doit être écarté. Ce paragraphe, qui n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 7, l'article 14-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de l'article 137 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Le paragraphe II de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 est conforme à la Constitution.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018

Syndicat secondaire Le Signal [Exclusion de la procédure d'expropriation pour risques naturels majeurs en cas d'érosion dunaire]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 janvier 2018 par le Conseil d'État (décision n° 398671 du 17 janvier 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat secondaire Le Signal par la SCP Potier de la Varde - Buk Lament - Robillot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-698 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Potier de la Varde - Buk Lament - Robillot, enregistrées le 8 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Pierre Robillot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 mars 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une décision administrative du 30 janvier 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juillet 2010 mentionnée ci-dessus.

2. Le premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, dans cette rédaction, prévoit :« Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'État peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation ».

3. Le syndicat requérant soutient que les dispositions contestées seraient inconstitutionnelles en ce qu'elles ne s'appliquent pas au propriétaire d'un bien exposé au risque d'érosion côtière. Elles méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi dès lors qu'elles créeraient une différence de traitement injustifiée entre le propriétaire d'un bien situé sur un terrain exposé au risque d'érosion côtière et le propriétaire d'un bien menacé par l'un des risques mentionnés à l'article L. 561-1 du code de l'environnement. Elles seraient également contraires au droit de propriété dès lors que, faute de pouvoir bénéficier des dispositions précitées, le propriétaire d'un bien immobilier évacué par mesure de police en raison du risque d'érosion côtière se trouverait exproprié sans indemnisation. Enfin, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant les droits et libertés précités.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines » figurant au premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. En premier lieu, le premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement permet à l'État de déclarer d'utilité publique l'expropriation des habitations exposées à un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine dès lors qu'il menace gravement des vies humaines. Ces dispositions n'incluent pas le risque d'érosion côtière.

7. En second lieu, d'une part, il ressort des travaux préparatoires que, lorsque le législateur a créé cette procédure spécifique d'expropriation pour cause d'utilité publique, il a entendu protéger la vie des personnes habitant dans les logements exposés à certains risques naturels, tout en leur assurant une indemnisation équitable. Ainsi, le législateur n'a pas entendu instituer un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires d'un bien exposé à un risque naturel, mais uniquement permettre d'exproprier, contre indemnisation, ceux exposés à certains risques naturels.

8. D'autre part, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. S'il est loisible au législateur, prenant en compte notamment les données scientifiques disponibles, d'étendre la mesure prévue par la disposition contestée à d'autres risques naturels, il pouvait traiter différemment le propriétaire d'un bien exposé à un risque d'érosion côtière et le propriétaire d'un bien exposé à un risque mentionné au premier alinéa de l'article L. 561-1, lesquels sont placés dans des situations différentes.

9. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :

10. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

11. D'une part, si la procédure d'expropriation s'accompagne d'une indemnisation du propriétaire, son objet principal est de priver le propriétaire de son bien. Dès lors, il ne saurait résulter de l'absence d'application de cette procédure au propriétaire d'un bien soumis à un risque d'érosion côtière une atteinte au droit de propriété. D'autre part, si le maire peut, dans le cadre de son pouvoir de police, prescrire l'exécution des mesures de sûreté exigées par la prévention des accidents naturels, au nombre desquels figure l'érosion côtière, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel, qui n'est pas saisi des dispositions en vertu desquelles de telles mesures peuvent être ordonnées, d'examiner l'argument tiré de ce qu'il en résulterait une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété.

12. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte au droit de propriété doit être écarté.

13. Les mots « lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines » figurant au premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et ne sont pas entachés d'incompétence négative, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines » figurant au premier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'environnement dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 13 AVRIL 2018

Décision n° 2018-699 QPC du 13 avril 2018

Société Life Sciences Holdings France [Application de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus d'une société établie en dehors de l'Union européenne]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 janvier 2018 par le Conseil d'État (décision n° 415726 du 24 janvier 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Life Sciences Holdings France par la SELARL Intervista, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-699 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 49 ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015, n° C-386/14 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 8 février et 2 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 16 février et 13 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Carrefour par Me Éric Meier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 16 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fabien Joly, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Meier, avocat au barreau de Paris, pour la société intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus, porte sur la détermination du résultat d'ensemble soumis à l'impôt sur les sociétés d'un groupe de sociétés fiscalement intégré. Son deuxième alinéa prévoit :« Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa ».

2. La société requérante reproche à ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État en conformité avec le droit de l'Union européenne, de méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Elle dénonce à ce titre la différence de traitement instaurée entre les groupes de sociétés fiscalement intégrés, selon que leurs autres filiales sont ou non implantées dans un État membre de l'Union européenne, pour la prise en compte, dans leur résultat d'ensemble, de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus de ces filiales. Selon elle, le critère ainsi retenu ne serait pas objectif et rationnel et cette différence de traitement, non justifiée par une différence de situation ou un motif d'intérêt général, serait sans rapport avec l'objet de la loi. La société intervenante critique également, sur le fondement du principe d'égalité devant la loi, la différence de traitement instaurée par ces dispositions entre les groupes de sociétés fiscalement intégrés et ceux relevant seulement du régime fiscal des sociétés mères.

3. Dans sa décision du 2 septembre 2015 mentionnée ci-dessus, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé contraire à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne une législation « en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option ». Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, tirant les conséquences de cette décision, que cette neutralisation bénéficie non seulement aux groupes fiscalement intégrés dont toutes les filiales sont établies en France, mais aussi à ceux dont certaines filiales sont établies dans un autre État membre de l'Union européenne, sous réserve que ces filiales remplissent les autres conditions d'éligibilité au régime de l'intégration fiscale.

4. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, une double différence de traitement au regard de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés. D'une part, sont traités différemment les groupes fiscalement intégrés, selon que leurs filiales étrangères sont établies ou non dans un État membre de l'Union européenne. D'autre part, une différence de traitement est opérée entre les groupes de sociétés placés sous le régime des sociétés mères, selon qu'ils relèvent par ailleurs ou non du régime de l'intégration fiscale.

8. En premier lieu, lors de leur adoption, l'objet des dispositions contestées était de définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. En application du droit de l'Union européenne, cet avantage doit également bénéficier aux sociétés mères d'un groupe fiscalement intégré, pour ce qui concerne leurs filiales établies dans un autre État membre. Dès lors, d'une part, les groupes de sociétés dont les filiales sont établies dans un État membre et ceux dont les filiales sont établies dans un État tiers ne sont pas placés dans la même situation. D'autre part, compte tenu de l'objet initial des dispositions contestées, il ne résulte pas de la modification de leur portée une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi.

9. En second lieu, en réservant aux groupes fiscalement intégrés le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges instituée par les dispositions contestées, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d'intégration. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement établie entre les groupes fiscalement intégrés et les autres est également en rapport direct avec l'objet de la loi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-700 QPC du 13 avril 2018

Société Technicolor [Report en avant des déficits des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés en cas d'abandons de créances]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 janvier 2018 par le Conseil d'État (décision n° 415695 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Technicolor par Mes Stéphane Austry et Philippe Zoubritzky, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-700 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 17 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Zoubritzky, enregistrées les 19 et 26 février 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Austry, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus prévoit que, pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances dans le cadre d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à leur nom, la limite d'un million d'euros prise en compte pour le calcul du montant déductible du bénéfice soumis à l'impôt sur les sociétés, en application du dispositif de report en avant des déficits, est majorée du montant desdits abandons de créances. Le paragraphe II du même article 17, prévoit : « Les dispositions du I ont un caractère interprétatif ».

2. Selon la société requérante, les dispositions contestées donneraient une portée rétroactive aux dispositions du dernier alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts, tel qu'il résulte du paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, selon lequel le plafond de déficit imputable sur le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés, au titre d'un report en avant, peut être majoré, pour une société ayant bénéficié d'abandons de créances, du montant de ces abandons. Or, ces dernières dispositions n'auraient pas la même portée que celles auxquelles elles se sont substituées, qui permettaient au contraire, selon la société requérante, de faire bénéficier d'une telle majoration les sociétés ayant consenti des abandons de créances. Ainsi, en modifiant rétroactivement les modalités de calcul du déficit imputable sur le bénéfice fiscal, le législateur aurait, sans motif d'intérêt général suffisant, porté atteinte à des situations légalement acquises et aux effets qui peuvent légitimement en être attendus. Il en résulterait une méconnaissance de la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

3. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.

4. Le troisième alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts institue un mécanisme de report en avant des déficits en faveur des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés. Celui-ci leur permet, lorsqu'elles ont subi un déficit au titre d'un exercice, de le déduire du bénéfice imposable qu'elles réalisent au titre des exercices suivants. Ce déficit ne peut, en principe, être déduit du bénéfice d'un exercice que dans la limite d'un montant million d'euros majoré de 50 % du bénéfice excédant ce montant. Cette limite peut cependant être majorée dans les conditions prévues par le dernier alinéa du même paragraphe I, qui a connu deux rédactions successives.

5. Dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, cet alinéa prévoit que la limite d'un million d'euros « est majorée du montant des abandons de créances consentis à une société en application d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à son nom ». Ces dispositions étaient applicables à partir des exercices clos à compter du 31 décembre 2012.

6. Dans sa rédaction résultant du paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts prévoit que, pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances, dans le cadre d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à leur nom, la limite d'un million d'euros est majorée du montant de ces abandons de créances. Les dispositions contestées confèrent à ces dispositions un caractère interprétatif.

7. En premier lieu, en complétant le paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts par la loi du 29 décembre 2012, le législateur a, ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires, entendu donner aux sociétés auxquelles ont été consentis des abandons de créances dans le cadre d'une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires la possibilité de majorer la limite de déficit déductible du bénéfice d'un exercice, à hauteur du montant des abandons de créances qui leur ont été consentis au cours de cet exercice. Il a ainsi entendu soutenir les entreprises en difficultés.

8. En second lieu, afin de lever toute ambiguïté sur la détermination des sociétés bénéficiaires de cette majoration, la loi du 29 décembre 2016 a remplacé ces dispositions par d'autres, plus claires, ayant le même objet et la même portée. Dès lors, compte tenu de leur caractère interprétatif, le législateur pouvait, sans porter d'atteinte à des situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations, rendre ces nouvelles dispositions rétroactivement applicables à compter des exercices clos à partir du 31 décembre 2012. Le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

9. Le paragraphe II de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, qui ne méconnait aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le paragraphe II de l'article 17 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 20 AVRIL 2018

Décision n° 2018-701 QPC du 20 avril 2018

Société Mi Développement 2 [Réintégration de certaines charges financières dans le résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 février 2018 par le Conseil d'État (décision n° 412155 du 1er février 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Mi Développement 2 par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-701 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées les 26 février et 13 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Guillaume Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2007 mentionnée ci-dessus, est relatif à la détermination du résultat d'ensemble soumis à l'impôt sur les sociétés d'un groupe fiscalement intégré. Le septième alinéa de cet article prévoit :« Lorsqu'une société a acheté, après le 1er janvier 1988, les titres d'une société qui devient membre du même groupe aux personnes qui la contrôlent, directement ou indirectement, ou à des sociétés que ces personnes contrôlent, directement ou indirectement, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, les charges financières déduites pour la détermination du résultat d'ensemble sont rapportées à ce résultat pour une fraction égale au rapport du prix d'acquisition de ces titres à la somme du montant moyen des dettes, de chaque exercice, des entreprises membres du groupe. Le prix d'acquisition à retenir est réduit du montant des fonds apportés à la société cessionnaire lors d'une augmentation du capital réalisée simultanément à l'acquisition des titres à condition que ces fonds soient apportés à la société cessionnaire par une personne autre qu'une société membre du groupe ou, s'ils sont apportés par une société du groupe, qu'ils ne proviennent pas de crédits consentis par une personne non membre de ce groupe. La réintégration s'applique pendant l'exercice d'acquisition des titres et les huit exercices suivants ».

2. La société requérante soutient que, en faisant obstacle à la déduction des charges financières exposées en cas de « rachat à soi-même » d'une société ensuite intégrée au groupe, ces dispositions priveraient le contribuable de la possibilité d'apporter la preuve que cette opération ne revêt pas un caractère fictif, dans un but uniquement fiscal. Il en résulterait une présomption irréfragable de fraude fiscale, contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts.

4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. Lorsqu'une société membre d'un groupe fiscalement intégré acquiert, auprès d'un de ses actionnaires, les titres d'une société qui devient ensuite membre de ce groupe, les dispositions contestées imposent, pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe soumis à l'impôt sur les sociétés, la réintégration des charges financières exposées pour cette acquisition.

6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire obstacle à ce que, dans une telle opération financée en tout ou partie par l'emprunt, la prise en compte des bénéfices de la société rachetée, pour la détermination du résultat d'ensemble, soit compensée par la déduction des frais financiers exposés pour cette acquisition. Il a ainsi entendu éviter un cumul d'avantages fiscaux.

7. Dès lors, d'une part, les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale. D'autre part, la situation visée par ces dispositions étant effectivement susceptible de donner lieu à un cumul d'avantages fiscaux, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit donc être écarté.

8. La première phrase du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La première phrase du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 20 avril 2018.

Décision n° 2018-702 QPC du 20 avril 2018

Société Fnac Darty [Pouvoirs du président de l'autorité de la concurrence en matière d'opérations de concentration]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 février 2018 par le Conseil d'État (décision nos 414654, 414657 du 1er février 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Fnac Darty par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-702 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « , des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l'article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures » figurant à la seconde phrase du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Périer, enregistrées les 27 février et 14 mars 2018 ;
- les observations présentées pour l'Autorité de la concurrence, partie en défense, par la SCP Baraduc Duhamel Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 27 février et 14 mars 2018 ;
- les observations présentées pour M. Richard Dray et les sociétés Galeries Cardinet, Les 3 D et Terrada, parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Gadiou, Chevallier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 27 février et 14 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Pascal Wilhelm, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Jean-Pierre Chevallier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Élisabeth Baraduc, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 avril 2018 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Périer, Me Wilhelm et Me Olivier Billard, avocats au barreau de Paris, pour la société requérante, enregistrée le 11 avril 2018 ;
- la note en délibéré présentée par la SCP Baraduc Duhamel Rameix, pour la partie en défense, enregistrée le 11 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La première phrase du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit que le président de l'Autorité de la concurrence, ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul certaines décisions. La seconde phrase du même alinéa prévoit qu'il peut faire de même s'agissant des décisions prévues à l'article L. 430-5 ainsi que : «, des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l'article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures ».

2. La société requérante reproche à ces dispositions de permettre au président de l'Autorité de la concurrence de prendre seul les décisions de révision et de mise en œuvre des engagements, injonctions et prescriptions décidés par cette autorité dans le cadre de l'examen approfondi des opérations de concentration économique. En ne garantissant pas que ces décisions soient prises collégialement, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le droit de propriété. La société requérante soutient également que, en conférant au président de l'Autorité de la concurrence le pouvoir de décider discrétionnairement de prendre seul les décisions en cause ou de les renvoyer à une formation collégiale, le législateur aurait permis de traiter différemment des entreprises se trouvant pourtant dans la même situation. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. Les parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée formulent les mêmes griefs.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

3. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

4. L'article L. 430-7 du code de commerce définit les conditions selon lesquelles l'Autorité de la concurrence procède à l'examen approfondi des opérations de concentration économique. En application de son paragraphe III, cette autorité peut, par une décision motivée, soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante, soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions « de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». En application du paragraphe IV du même article, l'Autorité de la concurrence peut également, par une décision motivée, autoriser l'opération et, le cas échéant, la subordonner à la réalisation effective d'engagements pris par les parties.

5. En application des dispositions contestées, le président de l'Autorité de la concurrence, ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul les décisions de révision des mesures mentionnées aux paragraphes III et IV de l'article L. 430-7 et les décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures. Le président peut également renvoyer à une formation collégiale de l'Autorité de la concurrence le soin de prendre une telle décision.

6. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l'exécution effective et rapide des décisions de l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration, en permettant à son président, ou à un vice-président, de décider seul lorsque l'affaire ne présente pas de difficultés particulières ou lorsque des exigences de délai le justifient.

7. Dans ces conditions, les dispositions contestées n'instaurent aucune différence de traitement entre les personnes intéressées par les décisions en cause. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre :

8. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

9. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur, ainsi qu'il a été dit au paragraphe 6, a entendu assurer l'exécution effective et rapide des décisions de l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration. Ces décisions ont pour objet d'assurer un fonctionnement concurrentiel du marché dans un secteur déterminé. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général.

10. En second lieu, d'une part, les dispositions contestées permettent au président ou à un vice-président de l'Autorité de la concurrence de réviser ou de mettre en œuvre, dans le respect des décisions d'autorisation ou d'interdiction d'une opération de concentration, les engagements, injonctions et prescriptions dont ces décisions peuvent être assorties. D'autre part, le législateur a conféré au président et aux vice-présidents de l'Autorité de la concurrence des garanties statutaires équivalentes à celles des autres membres de cette autorité. Enfin, la liberté d'entreprendre n'impose pas que les décisions en cause soient prises par une autorité collégiale.

11. Les dispositions contestées ne portent ainsi pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard de l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni la liberté contractuelle, ni le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « , des décisions de révision des mesures mentionnées aux III et IV de l'article L. 430-7 ou des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures » figurant à la seconde phrase du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 4 MAI 2018

Décision n° 2018-703 QPC du 4 mai 2018

Société People and Baby [Pénalité pour défaut d'accord collectif ou de plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 février 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 296 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société People and Baby par Me David Calvayrac, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-703 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 138-24, L. 138-25 et L. 138-26 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 2 et 19 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Arecia par Me Romain Guichard, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 20 février 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alexandre Roumieu, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Guichard pour la société intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article L. 138-24 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 17 décembre 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les entreprises, y compris les établissements publics, mentionnées aux articles L. 2211-1 et L. 2233-1 du code du travail employant au moins cinquante salariés ou appartenant à un groupe au sens de l'article L. 2331-1 du même code dont l'effectif comprend au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés.
« Le montant de cette pénalité est fixé à 1 % des rémunérations ou gains, au sens du premier alinéa de l'article L. 242-1 du présent code et du deuxième alinéa de l'article L. 741-10 du code rural, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre desquelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action mentionné à l'alinéa précédent.
« Le produit de cette pénalité est affecté à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés.
« Les articles L. 137-3 et L. 137-4 du présent code sont applicables à cette pénalité ».

2. L'article L. 138-25 du même code, dans cette même rédaction, prévoit : « L'accord d'entreprise ou de groupe portant sur l'emploi des salariés âgés mentionné à l'article L. 138-24 est conclu pour une durée maximale de trois ans. Il comporte :
« 1° Un objectif chiffré de maintien dans l'emploi ou de recrutement des salariés âgés ;
« 2° Des dispositions favorables au maintien dans l'emploi et au recrutement des salariés âgés portant sur trois domaines d'action au moins choisis parmi une liste fixée par décret en Conseil d'État et auxquelles sont associés des indicateurs chiffrés ;
« 3° Des modalités de suivi de la mise en œuvre de ces dispositions et de la réalisation de cet objectif ».

3. L'article L. 138-26 du même code, dans cette même rédaction, prévoit : « Les entreprises mentionnées au premier alinéa de l'article L. 138-24 ne sont pas soumises à la pénalité lorsque, en l'absence d'accord d'entreprise ou de groupe, elles ont élaboré, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, un plan d'action établi au niveau de l'entreprise ou du groupe relatif à l'emploi des salariés âgés dont le contenu respecte les conditions fixées à l'article L. 138-25. La durée maximale de ce plan d'action est de trois ans. Il fait l'objet d'un dépôt auprès de l'autorité administrative dans les conditions définies à l'article L. 2231-6 du code du travail.
« En outre, les entreprises dont l'effectif comprend au moins cinquante salariés et est inférieur à trois cents salariés ou appartenant à un groupe dont l'effectif comprend au moins cinquante salariés et est inférieur à trois cents salariés ne sont pas soumises à cette pénalité lorsque la négociation portant sur l'emploi des salariés âgés mentionnée à l'article L. 2241-4 du code du travail a abouti à la conclusion d'un accord de branche étendu, respectant les conditions mentionnées à l'article L. 138-25 du présent code et ayant reçu à ce titre un avis favorable du ministre chargé de l'emploi. Cet avis est opposable aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-4 du présent code et à l'article L. 725-3 du code rural ».

4. La société requérante soutient que ces dispositions, qui institueraient une sanction ayant le caractère d'une punition, méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. En effet, la pénalité encourue serait excessive et sans rapport avec la nature des faits réprimés. Elle reproche également à ces dispositions de méconnaître le principe d'individualisation des peines dès lors qu'elles ne permettraient pas au juge de moduler la pénalité.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article L. 138-24 du code de la sécurité sociale.

6. La société intervenante soulève les mêmes griefs que la société requérante à l'encontre des dispositions contestées. Ses autres griefs ne portent pas sur ces dernières.

- Sur le fond :

7. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

8. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

9. Le premier alinéa de l'article L. 138-24 du code de la sécurité sociale soumet certaines entreprises ou groupes employant au moins cinquante salariés à l'obligation de conclure un accord d'entreprise ou de groupe ou, à défaut, d'élaborer un plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés. La méconnaissance de cette obligation est sanctionnée par une pénalité.

10. En édictant cette pénalité, le législateur a entendu réprimer le manquement à l'obligation ainsi instituée. Dès lors, cette pénalité constitue une sanction ayant le caractère d'une punition.

11. Au soutien de l'emploi des salariés âgés, qui constitue un objectif d'intérêt général, les dispositions contestées, qui ne sont plus en vigueur, fixent, quelle que soit la situation de l'emploi de ces salariés au sein de l'entreprise, le montant de cette pénalité à 1 % des rémunérations versées aux salariés au cours des périodes pendant lesquelles l'entreprise n'a pas été couverte par l'accord ou le plan exigé. En vertu des articles L. 138-25 et L. 138-26 du même code, les obligations dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée consistent en la conclusion d'un accord ou, à défaut, en l'élaboration d'un plan d'action comportant un objectif chiffré de maintien dans l'emploi ou de recrutement de salariés âgés, des dispositions favorables à ce maintien dans l'emploi ou à ce recrutement ainsi que des modalités de suivi. Au regard de telles obligations, le législateur a instauré une sanction susceptible d'être sans rapport avec la gravité du manquement réprimé.

12. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées méconnaissent le principe de proportionnalité des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

13. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

14. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article L. 138-24 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 14 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 4 mai 2018.

Décision n° 2018-704 QPC du 4 mai 2018

M. Franck B. et autre [Obligation pour l'avocat commis d'office de faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par le président de la cour d'assises]

Le président de la cour d'assises peut être compétent pour approuver les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office

Le Conseil constitutionnel a été saisi 9 février 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

En vertu des articles 274 et 317 du code de procédure pénale, lorsque le président de la cour d'assises constate que l'accusé n'est pas défendu, il lui commet d'office un avocat. L'article 9 de la loi du 31 décembre 1971, tel qu'interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le reconnaît dans ce cas seul compétent pour admettre ou refuser les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat qui souhaite refuser son ministère. L'avocat qui ne respecte pas sa commission d'office encourt une sanction disciplinaire.

Selon les requérants et parties intervenantes, le pouvoir ainsi reconnu au président de la cour d'assises de juger des motifs d'excuse ou d'empêchement présentés par l'avocat commis d'office méconnaîtrait les droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'impartialité des juridictions.

Faisant application de sa jurisprudence sur les principes et règles qui viennent d'être mentionnés, le Conseil constitutionnel écarte les critiques formulées contre les dispositions contestées par quatre séries de motifs.

Il relève en premier lieu que le pouvoir conféré au président de la cour d'assises de commettre un avocat d'office, pour la défense d'un accusé qui en serait dépourvu, vise à garantir les droits de la défense. L'article 309 du code de procédure pénale confie au président de la cour d'assises la police de l'audience et la direction des débats. En lui donnant compétence pour se prononcer sur les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office, les dispositions contestées lui permettent d'apprécier si, compte tenu de l'état d'avancement des débats, de la connaissance du procès par l'avocat commis d'office et des motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués, il y a lieu, au nom des droits de la défense, de commettre d'office un autre avocat au risque de prolonger le procès. En lui permettant ainsi d'écarter des demandes qui lui paraîtraient infondées, ces dispositions mettent en œuvre l'objectif de bonne administration de la justice ainsi que les exigences qui s'attachent au respect des droits de la défense.

En deuxième lieu, l'avocat commis d'office est tenu d'assurer la défense de l'accusé tant qu'il n'a pas été relevé de sa mission par le président de la cour d'assises. Dans ce cadre, il exerce son ministère librement. Les obligations de son serment lui interdisent de révéler au président de la cour d'assises, au titre d'un motif d'excuse ou d'empêchement, un élément susceptible de nuire à la défense de l'accusé. Enfin, en vertu de l'article 274 du code de procédure pénale, l'accusé peut à tout moment choisir son avocat, ce qui rend alors non avenue la désignation effectuée par le président de la cour d'assises.

En troisième lieu, si le refus du président de la cour d'assises de faire droit aux motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat commis d'office n'est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l'accusé, en cassation de son procès, et par l'avocat, à l'occasion de l'éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d'assises.

Enfin, le pouvoir conféré au président de la cour d'assises d'apprécier, compte tenu du rôle qui est le sien dans la conduite du procès, les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office ne met pas en cause son impartialité.

Le Conseil constitutionnel en déduit que les dispositions contestées, qui mettent en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, ne méconnaissent pas les exigences qui résultent de la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration de 1789.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 février 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 279 du 7 février 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Franck B. par Me Hubert Delarue, avocat au barreau d'Amiens et Me François Saint-Pierre, avocat au barreau de Lyon, et pour l'ordre des avocats au barreau de Lille par Me Stéphane Dhonte, avocat au barreau de Lille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-704 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
- l'arrêt de la Cour de cassation du 9 février 1988 (1ère chambre civile, n° 86-17.786) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 5 et 20 mars 2018 ;
- les observations présentées pour l'ordre requérant par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 9 avril 2018 ;
- les observations présentées pour le Conseil national des barreaux et le syndicat des avocats de France, parties intervenantes devant la Cour de cassation, respectivement par la SCP Waquet, Farge, Hazan et la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Grand Barreau de France par Me Philippe Krikorian, avocat au barreau de Marseille, les 26 février et 20 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour les ordres des avocats aux barreaux des Hauts-de-Seine, de Lyon et de Versailles, respectivement par Me Pierre-Ann Laugery, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, Me Farid Hamel, avocat au barreau de Lyon et Me Didier Bouthors, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées, pour les premières, le 1er mars 2018 et, les secondes, le 5 mars 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Dhonte, pour l'ordre requérant, Me Hélène Farge et Me Manuela Grévy, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, respectivement pour le Conseil national des barreaux et le syndicat des avocats de France, Me Krikorian pour l'association intervenante, Me Fabien Arakelian, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, pour l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, Mes Hamel et Jean-François Barre, avocat au barreau de Lyon, pour l'ordre des avocats au barreau de Lyon, Me Bouthors pour l'ordre des avocats au barreau de Versailles, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 avril 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 9 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus prévoit : « L'avocat régulièrement commis d'office par le bâtonnier ou par le président de la cour d'assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par le bâtonnier ou par le président ».

2. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, font valoir que le pouvoir discrétionnaire reconnu au président de la cour d'assises de juger des motifs d'excuse ou d'empêchement présentés par un avocat commis d'office méconnaîtrait les droits de la défense à plusieurs titres. D'une part, il porterait atteinte au libre choix de la défense et à l'indépendance de l'avocat. D'autre part, dans un contexte pouvant être conflictuel entre la défense et la juridiction, l'impartialité du président de la cour d'assises, chargé à la fois de conduire les débats, de désigner l'avocat et de connaître des motifs d'excuse ou d'empêchement, ne serait pas assurée. Enfin, l'avocat pourrait être obligé, pour faire valoir au juge ses motifs d'excuse ou d'empêchement, de révéler certains éléments couverts par le secret professionnel.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou par le président de la cour d'assises » et les mots « ou par le président » figurant à l'article 9 de la loi du 31 décembre 1971.

4. Le Conseil national des barreaux ajoute aux griefs des requérants l'atteinte portée au droit à un procès équitable et à « l'égalité des armes », ainsi que la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif compte tenu de l'impossibilité d'exercer un recours contre la décision du président de la cour d'assises. Le syndicat des avocats de France invoque également la méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions et l'association intervenante, celle de la liberté d'expression, de la liberté de conscience et du droit à un recours juridictionnel effectif.

5. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de ces dispositions qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que sont garantis le respect des droits de la défense et le droit à un procès équitable. Le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant la procédure pénale, d'assurer la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées.

6. En vertu des articles 274 et 317 du code de procédure pénale, lorsque le président de la cour d'assises constate que l'accusé n'est pas défendu, il lui commet d'office un avocat. L'article 9 de la loi du 31 décembre 1971, tel qu'interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le reconnaît dans ce cas seul compétent pour admettre ou refuser les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat qui souhaite refuser son ministère. L'avocat qui ne respecte pas sa commission d'office encourt une sanction disciplinaire.

7. En premier lieu, d'une part, le pouvoir conféré au président de la cour d'assises de commettre un avocat d'office, pour la défense d'un accusé qui en serait dépourvu, vise à garantir l'exercice des droits de la défense. D'autre part, l'article 309 du code de procédure pénale confie au président de la cour d'assises la police de l'audience et la direction des débats. En lui donnant compétence pour se prononcer sur les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office, les dispositions contestées lui permettent d'apprécier si, compte tenu de l'état d'avancement des débats, de la connaissance du procès par l'avocat commis d'office et des motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués, il y a lieu, au nom des droits de la défense, de commettre d'office un autre avocat au risque de prolonger le procès. En lui permettant ainsi d'écarter des demandes qui lui paraîtraient infondées, ces dispositions mettent en œuvre l'objectif de bonne administration de la justice ainsi que les exigences qui s'attachent au respect des droits de la défense.

8. En deuxième lieu, d'une part, l'avocat commis d'office est tenu d'assurer la défense de l'accusé tant qu'il n'a pas été relevé de sa mission par le président de la cour d'assises. Dans ce cadre, il exerce son ministère librement. D'autre part, les obligations de son serment lui interdisent de révéler au président de la cour d'assises, au titre d'un motif d'excuse ou d'empêchement, un élément susceptible de nuire à la défense de l'accusé. Enfin, en vertu de l'article 274 du code de procédure pénale, l'accusé peut à tout moment choisir un avocat, ce qui rend alors non avenue la désignation effectuée par le président de la cour d'assises.

9. En troisième lieu, si le refus du président de la cour d'assises de faire droit aux motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat commis d'office n'est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l'accusé à l'occasion d'un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l'avocat à l'occasion de l'éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d'assises.

10. En dernier lieu, le pouvoir conféré au président de la cour d'assises d'apprécier, compte tenu du rôle qui est le sien dans la conduite du procès, les motifs d'excuse ou d'empêchement de l'avocat qu'il a commis d'office ne met pas en cause son impartialité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui mettent en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, ne méconnaissent pas les exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

12. Les mots « ou par le président de la cour d'assises » et les mots « ou par le président » figurant à l'article 9 de la loi du 31 décembre 1971, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'expression ou la liberté de conscience, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « ou par le président de la cour d'assises » et les mots « ou par le président » figurant à l'article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 18 MAI 2018

Décision n° 2018-705 QPC du 18 mai 2018

Mme Arlette R. et autres [Possibilité de clôturer l'instruction en dépit d'un appel pendant devant la chambre de l'instruction]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 mars 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 531 du 28 février 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Arlette R., la société Cauchy et la société La Guardiola par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-705 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 187 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérantes par Me Jean-Marc Fédida, avocat au barreau de Paris, et la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées les 27 mars et 11 avril 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 mars 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Henri-Nicolas F. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 27 mars et 11 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, Me Fédida et Me Julie Fabreguettes, avocat au barreau de Paris, pour les requérantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 187 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsqu'il est interjeté appel d'une ordonnance autre qu'une ordonnance de règlement ou que la chambre de l'instruction est directement saisie, en application des articles 81, neuvième alinéa, 82-1, deuxième alinéa, 156, deuxième alinéa, ou 167, quatrième alinéa, le juge d'instruction poursuit son information, y compris, le cas échéant, jusqu'au règlement de celle-ci, sauf décision contraire du président de la chambre de l'instruction. Cette décision n'est pas susceptible de recours.
« Il en est de même lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'une requête en nullité en application de l'article 173 ».

2. Les requérantes reprochent à ces dispositions de permettre au juge d'instruction de poursuivre son information et, le cas échéant, de clôturer celle-ci, alors même que la chambre d'instruction est saisie en appel d'une décision du magistrat instructeur. Ainsi, dans l'hypothèse où l'instruction est close avant qu'il ait été statué sur l'appel, ce dernier serait privé d'effet. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits de la défense et du principe d'égalité devant la loi.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « il est interjeté appel d'une ordonnance autre qu'une ordonnance de règlement ou que » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article 187 du code de procédure pénale.

- Sur l'intervention :

4. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus : « Lorsqu'une personne justifiant d'un intérêt spécial adresse des observations en intervention relatives à une question prioritaire de constitutionnalité dans un délai de trois semaines suivant la date de sa transmission au Conseil constitutionnel, mentionnée sur son site internet, celui-ci décide que l'ensemble des pièces de la procédure lui est adressé et que ces observations sont transmises aux parties et autorités mentionnées à l'article 1er. Il leur est imparti un délai pour y répondre. En cas d'urgence, le président du Conseil constitutionnel ordonne cette transmission ».

5. Les observations présentées par M. Henri-Nicolas F. dans le délai de trois semaines mentionné ci-dessus ne comportent aucun grief à l'encontre des dispositions objets de la question prioritaire de constitutionnalité et demandent uniquement que « prospère » celle posée par la requérante. Seules de secondes observations présentées après le délai de trois semaines comportent des griefs et une argumentation juridique au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, l'intervention ne satisfaisant pas aux exigences posées par l'article 6 précité, elle n'est pas admise.

- Sur le fond :

6. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant la procédure pénale, d'assurer la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées.

7. Selon le premier alinéa de l'article 187 du code de procédure pénale, en cas d'appel d'une ordonnance rendue dans le cadre d'une information judiciaire, autre qu'une ordonnance de règlement, le juge d'instruction est autorisé à poursuivre son information et, le cas échéant, à la clôturer.

8. En premier lieu, en application du premier alinéa de l'article 187 du code de procédure pénale, lorsque la chambre de l'instruction est saisie en appel d'une ordonnance autre que de règlement, le président de la chambre de l'instruction a la faculté d'ordonner la suspension de l'information le temps que cette chambre statue sur cet appel. Par ailleurs, la clôture de l'instruction ne peut, conformément aux dispositions de l'article 175 du même code, intervenir en tout état de cause qu'à l'issue d'un délai minimum d'un mois et dix jours après que les parties ont été informées par le juge d'instruction de son intention de clore l'information. Dans cet intervalle, elles peuvent informer le président de la chambre de l'instruction, devant laquelle un appel est pendant, de l'imminence de la clôture de l'information.

9. En deuxième lieu, il peut être interjeté appel d'une ordonnance de mise en accusation et le mis en examen peut, à cette occasion, contester les dispositions des ordonnances critiquées devant la chambre de l'instruction au moment de la clôture de l'instruction. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qu'il se déduit du troisième alinéa de l'article 186-3 du code de procédure pénale que l'appel formé contre l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel est recevable lorsqu'un précédent appel du mis en examen contre une ordonnance du juge d'instruction ayant rejeté une demande d'acte est pendant devant la chambre de l'instruction saisie par le président de cette juridiction. Enfin, en cas d'ordonnance de non-lieu, la partie civile peut interjeter appel de cette ordonnance, ce qui lui permet de contester les dispositions des ordonnances critiquées devant la chambre de l'instruction au moment de la clôture de l'instruction.

10. En dernier lieu, en cas de saisine d'une juridiction de jugement à la suite d'une information judiciaire, les parties peuvent toujours solliciter un supplément d'information auprès de la cour d'assises, du tribunal correctionnel ou de la chambre des appels correctionnels. Cette faculté leur est également accordée devant le tribunal de police en cas de renvoi en jugement pour une contravention. Les parties peuvent ainsi contester utilement, dans des délais appropriés, les décisions du juge d'instruction sur lesquelles la chambre de l'instruction n'a pas statué avant l'ordonnance de règlement.

11. Par suite, les dispositions contestées, qui ont pour objet d'éviter les recours dilatoires provoquant l'encombrement des juridictions et l'allongement des délais de jugement des auteurs d'infraction et mettent ainsi en œuvre l'objectif de bonne administration de la justice, ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

12. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense ou le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - L'intervention de M. Henri-Nicolas F. n'est pas admise.

Article 2. - Les mots « il est interjeté appel d'une ordonnance autre qu'une ordonnance de règlement ou que » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article 187 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, sont conformes à la Constitution.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT

Décision n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018

Décision n° 2018-706 QPC du 18 mai 2018 - M. Jean-Marc R. [Délit d'apologie d'actes de terrorisme]

Les dispositions du code pénal réprimant l'apologie d'actes de terrorisme sont conformes à la Constitution

Le Conseil constitutionnel a été saisi 6 mars 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 421-2-5, 422-3 et 422-6 du code pénal.

Les dispositions contestées de l'article 421-2-5 du code pénal répriment le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, peine portée à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque le délit a été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. Quant aux dispositions contestées de l'article 422-3 du code pénal, elles instaurent des peines complémentaires susceptibles d'être prononcées à l'encontre des auteurs de ce délit. Sont ainsi encourues, pour une durée maximum de dix ans, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, ainsi que l'interdiction de séjour. Enfin, l'article 422-6 du code pénal punit les personnes « coupables d'actes de terrorisme », une peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition.

Selon le requérant, ces dispositions méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines, faute pour le législateur d'avoir suffisamment circonscrit le champ d'application de ce délit. Elles violaient la liberté d'expression, dès lors qu'elles incriminaient un comportement sans imposer que son auteur manifeste une intention terroriste et sans exiger un risque avéré de passage à l'acte terroriste. Enfin, les peines sanctionnant ce délit contrevenaient aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Faisant application de sa jurisprudence sur les principes et règles qui viennent d'être mentionnés, le Conseil constitutionnel écarte les critiques formulées contre les dispositions contestées, par trois séries de motifs.

Il relève en premier lieu qu'il résulte de la définition du délit d'apologie de terrorisme établie par l'article 421-5 du code pénal que le comportement incriminé doit inciter à porter un jugement favorable sur une infraction expressément qualifiée par la loi d'« acte de terrorisme » ou sur son auteur. D'autre part, ce comportement doit se matérialiser par des propos, images ou actes présentant un caractère public, c'est-à-dire dans des circonstances traduisant la volonté de leur auteur de les rendre publics. Dès lors, les dispositions contestées ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d'arbitraire. Le Conseil constitutionnel écarte par ces motifs le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

En deuxième lieu, s'agissant de la nécessité des peines contestées, le Conseil constitutionnel relève notamment qu'en aggravant le montant de la peine encourue par l'auteur du délit lorsque celui-ci a été commis en utilisant un service de communication au public en ligne, le législateur a pris en compte l'ampleur particulière de la diffusion des messages prohibés que permet ce mode de communication, ainsi que son influence dans le processus d'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre des actes de terrorisme. Le Conseil constitutionnel juge qu'au regard de la nature des comportements réprimés, les peines instituées, qui sont prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, ne sont pas manifestement disproportionnées.

En troisième lieu, s'agissant de l'atteinte à la liberté d'expression et de communication, le Conseil constitutionnel relève notamment qu'en instituant le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme, le législateur a entendu prévenir la commission de tels actes et éviter la diffusion de propos faisant l'éloge d'actes ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, dont participe l'objectif de lutte contre le terrorisme. En outre, l'apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle même un trouble à l'ordre public. Les actes de terrorisme dont l'apologie est réprimée sont des infractions d'une particulière gravité susceptibles de porter atteinte à la vie ou aux biens. L'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication par les dispositions contestées est donc nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur. Les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas cette liberté.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 400 du 27 février 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Marc R. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-706 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 421-2-5 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et des articles 422-3 et 422-6 du même code.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
- la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines ;
- la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 28 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mars 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 mai 2018 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrée le 2 mai 2018 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 16 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 422-3 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus et de l'article 422-6 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 27 mars 2012 mentionnée ci-dessus.

2. L'article 421-2-5 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 13 novembre 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.
« Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.
« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».

3. L'article 422-3 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008, prévoit : « Les personnes physiques coupables de l'une des infractions prévues par le présent titre encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26. Toutefois, le maximum de la durée de l'interdiction est porté à quinze ans en cas de crime et à dix ans en cas de délit ;
« 2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, le maximum de la durée de l'interdiction temporaire étant porté à dix ans, soit, pour les crimes prévus par les 1° à 4° de l'article 421-3, l'article 421-4, le deuxième alinéa de l'article 421-5 et l'article 421-6, d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement ;
« 3° L'interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l'article 131-31. Toutefois, le maximum de la durée de l'interdiction est porté à quinze ans en cas de crime et à dix ans en cas de délit ».

4. L'article 422-6 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 mars 2012, prévoit : « Les personnes physiques ou morales reconnues coupables d'actes de terrorisme encourent également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ».

5. Le requérant soutient, d'une part, que les dispositions réprimant l'apologie d'actes de terrorisme méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, faute pour le législateur d'avoir suffisamment circonscrit le champ d'application de ce délit. Il estime, d'autre part, que ces dispositions violeraient la liberté d'expression, au motif notamment qu'elles incrimineraient un comportement sans imposer que son auteur manifeste une intention terroriste et sans exiger un risque avéré de passage à l'acte terroriste. Enfin, les peines principales et complémentaires sanctionnant ce délit contreviendraient aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou de faire publiquement l'apologie de ces actes » figurant au premier alinéa de l'article 421-2-5 du code pénal, sur le 1° de l'article 422-3 du même code, sur les mots « soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, le maximum de la durée de l'interdiction temporaire étant porté à dix ans, soit, » figurant au 2° du même article, sur le 3° du même article, ainsi que sur l'article 422-6 du même code.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :

7. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, nul « ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.

8. Les dispositions contestées de l'article 421-2-5 du code pénal répriment l'apologie publique d'actes de terrorisme. Ce délit est constitué dès lors que plusieurs éléments sont réunis.

9. D'une part, le comportement incriminé doit inciter à porter un jugement favorable sur une infraction expressément qualifiée par la loi d'« acte de terrorisme » ou sur son auteur. D'autre part, ce comportement doit se matérialiser par des propos, images ou actes présentant un caractère public, c'est-à-dire dans des circonstances traduisant la volonté de leur auteur de les rendre publics.

10. Dès lors, les dispositions contestées de l'article 421-2-5 du code pénal ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d'arbitraire. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit donc être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines :

11. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

. En ce qui concerne les dispositions contestées des articles 421-2-5 et 422-3 du code pénal :

12. Les dispositions contestées de l'article 421-2-5 du code pénal punissent de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende l'apologie publique d'actes de terrorisme. En portant cette peine à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque le délit a été commis en utilisant un service de communication au public en ligne, le législateur a pris en compte l'ampleur particulière de la diffusion des messages prohibés que permet ce mode de communication, ainsi que son influence dans le processus d'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre des actes de terrorisme.

13. Les dispositions contestées de l'article 422-3 du code pénal instaurent des peines complémentaires susceptibles d'être prononcées à l'encontre des personnes physiques coupables de l'une des infractions prévues par le titre II du livre IV du même code, parmi lesquelles figure le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme. Sont ainsi encourues, pour une durée maximum de dix ans, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise et l'interdiction de séjour.

14. Au regard de la nature des comportements réprimés, les peines ainsi instituées, qui sont prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, ne sont pas manifestement disproportionnées. Le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines par les dispositions contestées des articles 421-2-5 et 422-3 du code pénal doit donc être écarté.

. En ce qui concerne l'article 422-6 du code pénal :

15. L'article 422-6 du code pénal instaure, à l'encontre des personnes « coupables d'actes de terrorisme », une peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition.

16. D'une part, si le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme est prévu par l'article 421-2-5 du code pénal, qui figure dans le chapitre Ier, intitulé « Des actes de terrorisme », du titre II du livre IV du même code, le législateur n'a pas expressément qualifié cette infraction d'acte de terrorisme. La peine complémentaire de confiscation instituée par l'article 422-6 n'est donc pas applicable aux personnes coupables d'apologie publique d'actes de terrorisme.

17. D'autre part, eu égard à la gravité des infractions constituant des actes de terrorisme, auxquelles elle est applicable, la peine complémentaire de confiscation instituée par l'article 422-6 n'est pas manifestement disproportionnée.

18. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines par l'article 422-6 du code pénal doit être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication :

19. Selon l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Il lui est également loisible d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions, avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Cependant, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.

20. En premier lieu, en instituant le délit d'apologie publique d'actes de terrorisme, le législateur a entendu prévenir la commission de tels actes et éviter la diffusion de propos faisant l'éloge d'actes ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Ce faisant, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, dont participe l'objectif de lutte contre le terrorisme.

21. En second lieu, d'une part, l'apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu'elle favorise, crée par elle-même un trouble à l'ordre public. Le juge se prononce en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction et des circonstances de cette dernière, notamment l'ampleur du trouble causé à l'ordre public.

22. D'autre part, pour les motifs énoncés au paragraphe 9 de la présente décision, les faits incriminés sont précisément définis et ne créent pas d'incertitude sur la licéité des comportements susceptibles de tomber sous le coup du délit.

23. Enfin, si, en raison de son insertion dans le code pénal, le délit contesté n'est pas entouré des garanties procédurales spécifiques aux délits de presse prévues par la loi du 29 juillet 1881 mentionnée ci-dessus, les actes de terrorisme dont l'apologie est réprimée sont des infractions d'une particulière gravité susceptibles de porter atteinte à la vie ou aux biens.

24. Par conséquent, pour ces motifs et ceux énoncés aux paragraphes 12 à 14, l'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication par les dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être rejeté.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées des articles 421-2-5 et 422-3 du code pénal et l'article 422-6 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :
- les mots « ou de faire publiquement l'apologie de ces actes » figurant au premier alinéa de l'article 421-2-5 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;
- le 1°, les mots « soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, le maximum de la durée de l'interdiction temporaire étant porté à dix ans, soit, » figurant au 2° et le 3° de l'article 422-3 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
- l'article 422-6 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-707 QPC du 25 mai 2018

Époux P. [Absence de rétrocession, dans les délais légaux, de biens préemptés ]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 mars 2018 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 325 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. et Mme Jean P. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-707 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 92-1283 du 11 décembre 1992 relative à la partie législative du livre Ier (nouveau) du code rural ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3 avril 2018 ;
- les observations présentées pour la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bretagne, partie en défense, par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 29 mars 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Dominique Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Frédéric Rocheteau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 mai 2018 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour les requérants par Me Foussard, enregistrée le 17 mai 2018 ;
- la note en délibéré présentée pour la partie en défense par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, enregistrée le 17 mai 2018 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 17 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi du 11 décembre 1992 mentionnée ci-dessus.

2. L'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime, dans cette rédaction, prévoit :« Pendant la période transitoire et qui ne peut excéder cinq ans, nécessaire à la rétrocession des biens acquis, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural prennent toutes mesures conservatoires pour le maintien desdits biens en état d'utilisation et de production. En particulier elles sont autorisées à consentir à cet effet les baux nécessaires, lesquels, à l'exception des baux en cours lors de l'acquisition, ne sont pas soumis aux règles résultant du statut des baux ruraux en ce qui concerne la durée, le renouvellement et le droit de préemption ».

3. Les requérants soutiennent que, faute de sanction lorsqu'il n'est pas respecté, le délai de rétrocession auquel ces dispositions conditionnent l'exercice du droit de préemption serait privé d'effectivité. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété, de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et qui ne peut excéder cinq ans » figurant à l'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime.

5. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

6. L'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime institue au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de certains biens immobiliers a? vocation agricole ou de certains biens ou droits qui leur sont attachés.

7. En premier lieu, d'une part, en vertu de l'article L. 143-2 du même code, l'exercice de ce droit a pour objet l'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs, la sauvegarde du caractère familial des exploitations agricoles, la lutte contre la spéculation foncière ainsi que certains objectifs de remembrement rural ou de mise en valeur et de protection des paysages. Sous peine de nullité, l'article L. 143-3 du même code fait obligation à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de justifier sa décision de préemption « par référence explicite et motivée » à l'un de ces objectifs. En subordonnant l'exercice de ce droit à la rétrocession, dans un délai de cinq ans, du bien préempté, le législateur a entendu garantir que ce droit ne soit utilisé que conformément à l'une des finalités d'intérêt général précitées.

8. D'autre part, si le dépassement du délai prévu par les dispositions contestées n'entraîne pas la cession automatique du bien préempté à l'acquéreur évincé ou l'annulation de la préemption, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural demeure tenue à une obligation de rétrocession conforme aux finalités d'usage du droit de préemption. L'éventualité d'un détournement de la loi ou d'un abus lors de son application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité. En outre, la personne à laquelle la rétrocession tardive ou l'absence de rétrocession du bien préempté cause préjudice peut exercer une action en responsabilité dans les conditions du droit commun afin d'en obtenir réparation. Enfin, il appartient à la juridiction compétente de veiller à ce que la durée de détention du bien préempté ne conduise pas à la méconnaissance de l'objet pour lequel la loi a institué le droit de préemption.

9. En second lieu, la durée de la détention d'un bien préempté en pleine propriété, au-delà du délai légal de rétrocession, par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, qui est tenue de prendre toute mesure conservatoire nécessaire, n'a pas à elle seule d'incidence sur sa valeur ni sur celle des biens détenus par d'autres personnes.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Les griefs tirés de la méconnaissance de ce droit et de ces libertés doivent donc être écartés.

11. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « et qui ne peut excéder cinq ans » figurant à l'article L. 142-4 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-1283 du 11 décembre 1992 relative à la partie législative du livre Ier (nouveau) du code rural, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

TROIS DÉCISIONS DU 1er JUIN 2018

Décision n° 2018-708 QPC du 1er juin 2018

Société Elengy et autre [Assujettissement des installations de gaz naturel liquéfié à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mars 2018 par le Conseil d'État (décision nos 416697, 416701, 417061 du 14 mars 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Elengy et la société Fosmax LNG par Me Blaise-Philippe Chaumont, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-708 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 1519 HA du code général des impôts, dans ses deux rédactions résultant du décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code et du décret n° 2016-775 du 10 juin 2016 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'énergie ;
- le code général des impôts ;
- le décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- le décret n° 2016-775 du 10 juin 2016 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par Me Chaumont, enregistrées les 5 et 20 avril 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Chaumont, pour les sociétés requérantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 1519 HA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret du 3 juin 2015 mentionné ci-dessus, prévoit que le montant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux est fixé à :« - 2 600 010 € par installation de gaz naturel liquéfié dont les tarifs d'utilisation sont fixés en application des articles L. 445-1 à L. 445-3, L. 445-5, L. 446-2 à L. 446-4, L. 452-1 et L. 452-5 du code de l'énergie ».

2. Les mêmes dispositions de cet article, dans sa rédaction résultant du décret du 10 juin 2016 mentionné ci-dessus, prévoient que le montant de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux est fixé à : « - 2 626 010 € par installation de gaz naturel liquéfié dont les tarifs d'utilisation sont fixés en application des articles L. 445-1 à L. 445-3, L. 445-5, L. 446-2 à L. 446-4, L. 452-1 et L. 452-5 du code de l'énergie ».

3. Les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions excluraient du champ d'application de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux les installations de gaz naturel liquéfié dont les tarifs d'utilisation sont fixés en application de l'article L. 452-6, alors que celles relevant des articles L. 452-1 et L. 452-5 du même code seraient soumises à cet impôt. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. Cette différence de traitement serait également contraire au principe d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'elle ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « , L. 452-1 et L. 452-5 » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 1519 HA du code général des impôts.

5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. Les dispositions contestées fixent le tarif de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux pour les installations dont les tarifs d'utilisation sont régis par les articles L. 452-1 et L. 452-5 du code de l'énergie. L'article L. 452-1 définit les règles de fixation des tarifs d'utilisation des installations de gaz naturel liquéfié. L'article L. 452-5 autorise le pouvoir réglementaire à y déroger en raison des modalités particulières d'utilisation des installations ou de la nécessité d'investir dans de nouvelles infrastructures. L'article L. 452-6 permet à l'autorité administrative d'autoriser l'exploitant d'une installation de gaz naturel liquéfié à déroger, notamment, aux règles précédentes.

8. D'une part, le paragraphe I de l'article 1519 HA du code général des impôts assujettit à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux l'ensemble des installations de gaz naturel liquéfié, quelles que soient les règles régissant la fixation de leur tarif d'utilisation. D'autre part, le deuxième alinéa du paragraphe III de cet article fixe le montant de cet impôt pour l'ensemble de ces installations. Dès lors, la circonstance que l'article L. 452-6 ne soit pas mentionné par les dispositions contestées n'exonère pas de cette imposition les installations qui relèvent de cet article.

9. Il en résulte que les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement entre les installations de gaz naturel liquéfié selon qu'elles relèvent, pour leurs tarifs d'utilisation, des articles L. 452-1 et L. 452-5 ou de l'article L. 452-6. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.

10. Les mots « , L. 452-1 et L. 452-5 » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 1519 HA du code général des impôts, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « , L. 452-1 et L. 452-5 » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 1519 HA du code général des impôts, dans ses deux rédactions résultant du décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code et du décret n° 2016-775 du 10 juin 2016 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018

Section française de l'observatoire international des prisons et autres [Délai de recours et de jugement d'une obligation de quitter le territoire français notifiée à un étranger]

Le Conseil constitutionnel juge que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la contestation par un étranger détenu d'une obligation de quitter le territoire français n'opèrent pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi par le législateur

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mars 2018 par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Il résulte des dispositions contestées que l'étranger en détention faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut en demander l'annulation dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification. Le juge administratif statue alors sur ce recours au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine.
Selon les requérants et parties intervenantes, ces dispositions méconnaissaient les exigences du droit au recours juridictionnel effectif en impartissant à l'étranger détenu et au juge des délais trop courts pour garantir le caractère effectif du recours contre une obligation de quitter le territoire français et l'exercice des droits de la défense. Le législateur n'aurait en outre pas prévu de garanties suffisantes de nature à assurer à l'étranger en détention un accès effectif à un interprète et à un avocat dans ces délais.
Faisant application de sa jurisprudence constante sur le droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions contestées en ce qu'elles fixent les délais impartis à l'étranger détenu pour former un recours et au juge pour statuer sur celui-ci.

Il a relevé que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français et éviter qu'un étranger détenu, objet d'une telle mesure, doive, à l'issue de sa détention, être placé en rétention administrative le temps que le juge se prononce sur son recours.
Toutefois, d'une part, les dispositions contestées prévoient un délai maximum de cinq jours entre la notification d'une obligation de quitter le territoire à un étranger détenu et le moment où le juge administratif se prononce sur la légalité de cette mesure s'il en est saisi. L'étranger dispose donc d'un délai particulièrement bref pour exposer au juge ses arguments et réunir les preuves au soutien de ceux-ci.
D'autre part, l'administration peut notifier une obligation de quitter le territoire français sans attendre les derniers temps de la détention, dès lors que cette mesure peut être exécutée tant qu'elle n'a pas été abrogée ou retirée. Il lui est donc possible, lorsque la durée de la détention le lui permet, de procéder à cette notification de le faire suffisamment tôt au cours de l'incarcération tout en reportant son exécution à la fin de celle-ci.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que, en enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l'étranger détenu afin de former son recours et pour le juge afin de statuer sur celui-ci, les dispositions contestées, qui s'appliquent quelle que soit la durée de la détention, n'opèrent pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter le placement de l'étranger en rétention administrative à l'issue de sa détention. Il a donc prononcé une censure à effet immédiat des règles de délai fixées par ces dispositions.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mars 2018 par le Conseil d'État (décisions nos 416737, 417314 du 14 mars 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations la section française de l'observatoire international des prisons, la Cimade et le Gisti par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et pour M. Boubacar B. par Me Cécile Madeline, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-709 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 6 et 23 avril 2018 ;
- les observations présentées pour le syndicat des avocats de France, l'union des jeunes avocats à la cour de Paris et la fédération nationale des unions des jeunes avocats, parties intervenantes devant le Conseil d'État, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 6 avril 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 avril 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association SOS Soutien Ô sans papiers par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, et Me Nawel Gafsia, avocat au barreau du Val-de-Marne, enregistrées le 6 avril 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Ali H. par Me Gafsia, enregistrées le 6 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Madeline pour les requérants et les parties intervenantes devant le Conseil d'État, Me Gafsia pour les parties intervenantes et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le paragraphe III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 mars 2016 mentionnée ci-dessus, détermine la procédure et les délais applicables en cas de contestation par un étranger de l'obligation de quitter le territoire français notifiée en même temps que son placement en rétention ou son assignation à résidence. Le paragraphe IV de ce même article, dans cette même rédaction, prévoit : « Lorsque l'étranger est en détention, il est statué sur son recours selon la procédure et dans les délais prévus au III. Dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger est informé, dans une langue qu'il comprend, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète ainsi que d'un conseil ».

2. Les requérants et les parties intervenantes soutiennent que le paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaîtrait les exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon eux, les délais impartis, par ce paragraphe, à un étranger détenu pour exercer son recours à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français, et ceux impartis au juge pour statuer sur cette contestation, seraient, au regard des conditions particulières de la détention, trop courts pour garantir le caractère effectif du recours et l'exercice des droits de la défense. En outre, en méconnaissance de sa compétence et du droit au recours juridictionnel effectif, le législateur n'aurait pas prévu de garanties suffisantes de nature à assurer à l'étranger en détention un accès effectif à un interprète et à un avocat dans ces délais.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et dans les délais » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

- Sur le fond :

4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

5. Le paragraphe III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que, lorsqu'un étranger se voit notifier une obligation de quitter le territoire français en même temps que son placement en rétention administrative ou son assignation à résidence, il peut demander l'annulation de cette obligation dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification. Le juge administratif statue alors sur ce recours au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. Le paragraphe IV de ce même article applique ces délais à l'étranger en détention auquel a été notifiée une obligation de quitter le territoire français.

6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français et éviter qu'un étranger détenu, objet d'une telle mesure, doive, à l'issue de sa détention, être placé en rétention administrative le temps que le juge se prononce sur son recours.

7. Toutefois, d'une part, les dispositions contestées prévoient un délai maximum de cinq jours entre la notification d'une obligation de quitter le territoire à un étranger détenu et le moment où le juge administratif se prononce sur la légalité de cette mesure s'il en est saisi. L'étranger dispose donc d'un délai particulièrement bref pour exposer au juge ses arguments et réunir les preuves au soutien de ceux-ci.

8. D'autre part, l'administration peut notifier à l'étranger détenu une obligation de quitter le territoire français sans attendre les derniers temps de la détention, dès lors que cette mesure peut être exécutée tant qu'elle n'a pas été abrogée ou retirée. Elle peut donc, lorsque la durée de la détention le permet, procéder à cette notification suffisamment tôt au cours de l'incarcération tout en reportant son exécution à la fin de celle-ci.

9. Dès lors, en enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l'étranger détenu afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, les dispositions contestées, qui s'appliquent quelle que soit la durée de la détention, n'opèrent pas une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter le placement de l'étranger en rétention administrative à l'issue de sa détention, tel qu'il a été analysé au paragraphe 6.

10. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les mots « et dans les délais » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

12. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « et dans les délais » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sont contraires à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-710 QPC du 1er juin 2018

Association Al Badr et autre [Infraction à l'obligation scolaire au sein des établissements privés d'enseignement hors contrat]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 mars 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 773 du 14 mars 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Al Badr et M. Abdelfattah R. par Me Samim Bolaky, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-710 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 227-17-1 du code pénal.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'éducation ;
- le code pénal ;
- le décret n° 2012-16 du 5 janvier 2012 relatif à l'organisation académique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Bolaky, enregistrées les 10 et 25 avril 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 10 et 25 avril 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Pierre-Alain B. par Me Michaël Bendavid, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 9 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bolaky, pour les requérants, Me Bendavid, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 227-17-1 du code pénal, dans sa rédaction résultant du décret du 5 janvier 2012 mentionné ci-dessus.

2. L'article 227-17-1 du code pénal, dans cette rédaction, prévoit :
« Le fait, par les parents d'un enfant ou toute personne exerçant à son égard l'autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l'inscrire dans un établissement d'enseignement, sans excuse valable, en dépit d'une mise en demeure de l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
« Le fait, par un directeur d'établissement privé accueillant des classes hors contrat, de n'avoir pas pris, malgré la mise en demeure de l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, les dispositions nécessaires pour que l'enseignement qui y est dispensé soit conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini par l'article L. 131-1-1 et L. 131-10 du code de l'éducation, et de n'avoir pas procédé à la fermeture de ces classes est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En outre, le tribunal peut ordonner à l'encontre de celui-ci l'interdiction de diriger ou d'enseigner ainsi que la fermeture de l'établissement ».

3. Les requérants, rejoints par la partie intervenante, soutiennent, en premier lieu, que l'incrimination du fait, pour un directeur d'un établissement privé d'enseignement accueillant des classes hors contrat, de n'avoir pas pris les dispositions nécessaires pour que l'enseignement y soit « conforme à l'objet de l'instruction obligatoire » et de n'avoir pas procédé à la « fermeture de ces classes » méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines en raison de l'imprécision de ces termes. Ils reprochent également à ces dispositions, sur le même fondement, de ne pas indiquer si la peine d'interdiction « de diriger ou d'enseigner » encourue par le directeur de l'établissement présente un caractère alternatif ou cumulatif. Ils estiment, en deuxième lieu, que le législateur n'a limité ni la durée de cette interdiction de diriger ou d'enseigner ni la durée de la fermeture de l'établissement, ce qui en ferait des sanctions définitives, en violation des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines. En dernier lieu, ils soutiennent que la peine de fermeture d'établissement contreviendrait au principe de personnalité des peines en ce qu'elle serait susceptible d'affecter les droits des tiers exploitant l'établissement d'enseignement.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le second alinéa de l'article 227-17-1 du code pénal.

- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :

5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, nul « ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.

. En ce qui concerne la légalité du délit :

6. Les dispositions contestées répriment le fait pour le directeur d'un établissement privé d'enseignement accueillant des classes hors contrat de n'avoir pas pris, malgré la mise en demeure de l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, les dispositions nécessaires pour assurer un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire et de n'avoir pas procédé à la fermeture de ces classes.

7. La caractérisation du délit suppose que l'établissement d'enseignement privé ait préalablement fait l'objet d'une mise en demeure adressée à son directeur par l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, comportant les dispositions nécessaires afin que l'enseignement qui y est dispensé soit conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que défini par les articles L. 131-1-1 et L. 131-10 du code de l'éducation. En particulier, l'article L. 131-1-1 dispose que le « droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté ».

8. D'une part, l'incrimination contestée réprime non le fait de ne pas s'être conformé à l'objet de l'instruction obligatoire, mais le fait de ne pas avoir respecté les obligations imposées par la mise en demeure ni, à défaut, procédé à la fermeture des classes.

9. D'autre part, pour que les dispositions contestées satisfassent au principe de légalité des délits et des peines, la mise en demeure adressée au directeur de l'établissement doit exposer de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires pour que l'enseignement dispensé soit mis en conformité avec l'objet de l'instruction obligatoire.

10. Enfin, en exigeant la fermeture « de ces classes » plutôt que celle de l'établissement dans son ensemble, le législateur a entendu seulement viser les classes hors contrat, dans la mesure où les établissements privés d'enseignement peuvent également accueillir des classes sous contrat avec l'État.

11. Dès lors, sous la réserve énoncée au paragraphe 9, les dispositions instituant le délit contesté ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d'arbitraire.

. En ce qui concerne la légalité des peines complémentaires d'interdiction de diriger ou d'enseigner :

12. Les dispositions contestées instaurent des peines complémentaires d'interdiction de diriger ou d'enseigner susceptibles d'être prononcées à l'encontre du directeur de l'établissement privé d'enseignement.

13. En prévoyant que le tribunal peut ordonner « l'interdiction de diriger ou d'enseigner », le législateur a permis au juge de prononcer l'une ou l'autre de ces peines, d'en ordonner le cumul ou de n'en prononcer aucune. Ces dispositions ne sont ainsi pas équivoques.

14. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 9, le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.

- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines :

15. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

16. Le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions.

17. Outre les peines complémentaires d'interdiction de diriger ou d'enseigner susceptibles d'être prononcées à l'encontre du directeur de l'établissement privé d'enseignement, les dispositions contestées instaurent une peine complémentaire de fermeture de cet établissement.

18. En premier lieu, d'une part, en vertu du premier alinéa de l'article 131-27 du code pénal : « Lorsqu'elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive, soit temporaire ; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans ». Il en résulte que la peine complémentaire d'interdiction de diriger ou d'enseigner prévue par les dispositions contestées peut être prononcée soit pour une durée temporaire ne pouvant excéder cinq ans, soit à titre définitif. D'autre part, la peine de fermeture de l'établissement prévue par les dispositions contestées peut être prononcée par le juge de manière temporaire ou définitive.

19. En second lieu, lorsqu'il décide de prononcer une ou plusieurs de ces peines complémentaires, le juge en fixe la durée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

20. Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines. En outre, au regard de la nature des comportements réprimés, les peines ainsi instituées ne sont pas manifestement disproportionnées. Les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines doivent donc être écartés.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait :

21. Selon l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est « présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Il résulte de cet article ainsi que de l'article 8 de la Déclaration de 1789 que nul n'est punissable que de son propre fait.

22. La peine complémentaire facultative de fermeture d'établissement prévue à l'article 227-17-1 du code pénal est une mesure réelle qui s'applique à l'établissement au sein duquel l'activité d'enseignement a été irrégulièrement exercée. Dans le cas où l'infraction a été commise par une personne morale, celle-ci peut être condamnée à la peine en cause sur le fondement de l'article 227-17-2 du code pénal.

23. Lorsque la personne exploitant l'établissement d'enseignement n'est pas celle poursuivie sur le fondement des dispositions contestées, la mesure de fermeture de l'établissement ne saurait, sans méconnaître le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait, être prononcée sans que le ministère public ait cité cette personne devant le tribunal correctionnel en indiquant la nature des poursuites exercées et la possibilité pour ce tribunal de prononcer cette mesure. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait doit être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que sous les réserves énoncées aux paragraphes 9 et 23, le second alinéa de l'article 227-17-1 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sous les réserves énoncées aux paragraphes 9 et 23, le second alinéa de l'article 227-17-1 du code pénal, dans sa rédaction résultant du décret n° 2012-16 du 5 janvier 2012 relatif à l'organisation académique, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mai 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 8 JUIN 2018

Décision n° 2018-711 QPC du 8 juin 2018

Communauté d'agglomération du Grand Sénonais [Garantie d'octroi d'une dotation d'intercommunalité à hauteur de 95 % de la dotation de l'année précédente]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mars 2018 par le Conseil d'État (décision n° 417024 du 28 mars 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la communauté d'agglomération du Grand Sénonais par Me Alexandre Ciaudo, avocat au barreau de Dijon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-711 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- du premier alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales ;
- de l'article L. 5211-29 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
- des mots « Les sommes affectées à chacune des catégories d'établissements publics de coopération intercommunale mentionnées au I de l'article L. 5211-29 sont réparties entre les établissements après prélèvement des sommes nécessaires à l'application des dispositions de l'article L. 5211-33 » figurant au premier alinéa de l'article L. 5211-30 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
- du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-33 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- et des mots « Un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui change de catégorie ... perçoit, les deux premières années d'attribution de la dotation dans la nouvelle catégorie ... , une attribution par habitant au moins égale à celle perçue l'année précédente, augmentée comme la dotation forfaitaire prévue à l'article L. 2334-7 » figurant à la première phrase du septième alinéa du paragraphe II du même article, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ;
- la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la communauté d'agglomération requérante par Me Ciaudo, enregistrées le 19 avril 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ciaudo, pour la communauté d'agglomération requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 mentionnée ci-dessus.

2. Le premier alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, dans cette rédaction, prévoit :« Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre reçoivent, à compter de l'année où ils perçoivent pour la première fois le produit de leur fiscalité, une attribution au titre de la dotation d'intercommunalité calculée selon les modalités définies aux articles L. 5211-30 à L. 5211-35-1 ».

3. L'article L. 5211-29 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :« I. Le montant total de la dotation d'intercommunalité visé à l'article L. 5211-28 est fixé chaque année par le comité des finances locales qui le répartit entre les cinq catégories de groupements suivants :
« 1° Les communautés urbaines, les métropoles, y compris celle d'Aix-Marseille-Provence, la métropole de Lyon ;
« 2° Les communautés de communes ne faisant pas application des dispositions de l'article 1609 nonies C du code général des impôts ;
« 3° Les communautés de communes faisant application des dispositions de l'article 1609 nonies C du code général des impôts ;
« 4° Les syndicats d'agglomération nouvelle ;
« 5° Les communautés d'agglomération créées avant le 1er janvier 2005 ;
« II. À compter de 2011, la dotation moyenne par habitant de la catégorie des communautés d'agglomération est égale à 45,40 €.
« À compter de 2011, la dotation moyenne par habitant de la catégorie des communautés de communes ne faisant pas application de l'article 1609 nonies C du code général des impôts est égale à 20,05 € par habitant.
« À compter de 2011, la dotation moyenne par habitant de la catégorie des communautés de communes faisant application des dispositions du même article 1609 nonies C est égale à 24,48 € par habitant.
« À compter de 2011, la dotation par habitant de la catégorie des communautés de communes qui remplissent les conditions visées à l'article L. 5214-23-1 du présent code est majorée d'une somme lui permettant d'atteindre 34,06 €.
« Les modalités de répartition de la majoration prévue au précédent alinéa sont précisées à l'article L. 5211-30.
« La dotation par habitant de la catégorie des communautés urbaines ayant opté pour les dispositions de l'article 1609 nonies C du code général des impôts ne peut être inférieure à celle fixée pour la catégorie des communautés urbaines ne faisant pas application de ces dispositions.
« Le montant de la dotation d'intercommunalité affecté à la catégorie définie au 1° du I du présent article est celui qui résulte de l'application du 2 du I de l'article L. 5211-30.
« À compter de 2002, la dotation moyenne par habitant des communautés de communes ne faisant pas application des dispositions de l'article 1609 nonies C du code général des impôts qui perçoivent la dotation d'intercommunalité dans cette catégorie au titre de la deuxième année au moins est majorée, le cas échéant, d'une somme lui permettant d'atteindre le montant de la dotation moyenne par habitant qui leur a été notifiée l'année précédente, augmentée comme la dotation forfaitaire visée à l'article L. 2334-7. Pour l'application de ces dispositions en 2002, la dotation moyenne par habitant prise en compte au titre de 2001 intègre la quote-part de la régularisation de la dotation globale de fonctionnement prévue par l'article L. 1613-2-1. À compter de 2011, le montant moyen par habitant correspondant à la majoration est égal à celui perçu en 2010.
« Cette majoration est répartie entre les établissements publics de coopération intercommunale bénéficiaires comme les dotations de base et de péréquation auxquelles elle s'ajoute ».

4. Le premier alinéa de l'article L. 5211-30 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les sommes affectées à chacune des catégories d'établissements publics de coopération intercommunale mentionnées au I de l'article L. 5211-29 sont réparties entre les établissements après prélèvement des sommes nécessaires à l'application des dispositions de l'article L. 5211-33 ».

5. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-33 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les communautés de communes et les communautés d'agglomération ne peuvent percevoir, à compter de la troisième année d'attribution de la dotation dans la même catégorie, une attribution par habitant inférieure à 95 % de la dotation par habitant perçue l'année précédente ».

6. La première phrase du septième alinéa du paragraphe II du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui change de catégorie », qui est issu d'une fusion dans le cadre des dispositions de l'article L. 5211-41-3 ou qui fait suite à un ou plusieurs autres établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre « perçoit, les deux premières années d'attribution de la dotation dans la nouvelle catégorie » ou après la fusion, « une attribution par habitant au moins égale à celle perçue l'année précédente, augmentée comme la dotation forfaitaire prévue à l'article L. 2334-7 ».

7. La communauté d'agglomération requérante relève qu'il résulte de ces dispositions que, au sein de la catégorie des communautés d'agglomération, celles qui ont plus de trois ans d'existence sont assurées de recevoir 95 % de la dotation d'intercommunalité qu'elles percevaient l'année précédente. Or, compte tenu du contexte de réduction du montant global de l'enveloppe financière consacrée à cette dotation, et à compétences exercées identiques, la différence de traitement qui en résulterait avec les communautés d'agglomération nouvellement créées ou celles résultant de la transformation de communautés de communes, qui ne bénéficient pas d'une garantie équivalente, serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et les communautés d'agglomération » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-33 du code général des collectivités territoriales.

9. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

10. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

11. En vertu de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre reçoivent, à compter de l'année où ils perçoivent pour la première fois le produit de leur fiscalité, une attribution au titre de la dotation d'intercommunalité. Le montant global de cette dotation est déterminé, pour chaque catégorie d'établissements publics de coopération intercommunale, par le produit de la population totale de cette catégorie et de la dotation moyenne par habitant fixée à l'article L. 5211-29 du même code. La dotation est ensuite répartie entre les établissements publics composant cette catégorie, en fonction de leur population, de leur coefficient d'intégration fiscale et de leur potentiel fiscal. Toutefois, plusieurs dispositions de l'article L. 5211-33 du même code visent à assurer à certains établissements publics un montant minimum de dotation d'intercommunalité. Ainsi, les dispositions contestées de l'article L. 5211-33 garantissent aux communautés d'agglomération ayant au moins trois ans d'ancienneté de percevoir une attribution par habitant au moins égale à 95 % de celle perçue l'année précédente.

12. Il résulte de la garantie ainsi prévue par les dispositions contestées une double différence de traitement. La première est établie entre les communautés d'agglomération d'au moins trois ans d'existence et celles nouvellement créées, dont, en vertu des articles L. 5211-32 et L. 5211-33, la dotation est déterminée la première année à partir d'un coefficient d'intégration fiscale moyen, sans application de cette garantie, et la seconde année sous réserve de la garantie de recevoir au moins 95 % de l'attribution par habitant de l'année précédente. La seconde différence de traitement est établie entre les communautés d'agglomération d'au moins trois ans et celles créées à l'issue d'une fusion d'établissements publics de coopération intercommunale ou d'un changement de catégorie d'établissements publics de coopération intercommunale, qui sont assurées, en vertu du septième alinéa du paragraphe II de l'article L. 5211-33, de recevoir, leurs deux premières années d'existence, une dotation au moins égale à celle perçue l'année précédente, dans le cadre de leur catégorie d'origine, augmentée selon la même proportion que la dotation forfaitaire instituée au sein de la dotation globale de fonctionnement.

13. Toutefois, d'une part, si la garantie contestée assure, selon les cas, une attribution individuelle par habitant supérieure à celle garantie aux communautés d'agglomération nouvellement créées, son montant diminue chaque année, puisqu'elle s'élève à 95 % de l'attribution individuelle par habitant de l'année précédente. La différence de traitement ainsi instaurée n'est donc pas pérenne.

14. D'autre part, en assortissant l'attribution de la dotation d'intercommunalité de garanties proportionnelles aux attributions individuelles par habitant perçues les années précédentes, le législateur a entendu assurer aux établissements publics de coopération intercommunale la stabilité et la prévisibilité de leurs ressources. Or, à cet égard, les communautés d'agglomération d'au moins trois ans d'existence ne sont pas placées dans la même situation que les établissements publics de coopération intercommunale nouvellement créés, qui n'ont jamais perçu une telle dotation. Elles ne sont pas davantage placées dans la même situation que les communautés d'agglomération issues de la fusion ou de la transformation d'établissements publics, dont l'attribution de dotation d'intercommunalité était, jusqu'alors, déterminée en fonction des règles et de la composition propres à la catégorie dont elles relevaient. Les différences de traitement contestées sont donc justifiées par une différence de situation. Elles sont également en rapport avec l'objet de la loi.

15. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

16. Les mots « et les communautés d'agglomération » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-33 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « et les communautés d'agglomération » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-33 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-712 QPC du 8 juin 2018

M. Thierry D. [Irrecevabilité de l'opposition à un jugement par défaut lorsque la peine est prescrite]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 avril 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 869 du 4 avril 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Thierry D. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-712 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 492 du code de procédure pénale et de l'article 133-5 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal ;
- la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 27 avril et 14 mai 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 avril 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Michel C. par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 27 avril 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 mai 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 492 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 1er juillet 2008 mentionnée ci-dessus.

2. L'article 492 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :
« Si la signification du jugement n'a pas été faite à la personne du prévenu, l'opposition doit être formée dans les délais ci-après, qui courent à compter de la signification du jugement faite à domicile, à étude d'huissier de justice ou à parquet : dix jours si le prévenu réside dans la France métropolitaine, un mois s'il réside hors de ce territoire.
« Toutefois, s'il s'agit d'un jugement de condamnation et s'il ne résulte pas, soit de l'avis constatant remise de la lettre recommandée ou du récépissé prévus aux articles 557 et 558, soit d'un acte d'exécution quelconque, ou de l'avis donné conformément à l'article 560, que le prévenu a eu connaissance de la signification, l'opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale reste recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine.
« Dans les cas visés à l'alinéa précédent, le délai d'opposition court à compter du jour où le prévenu a eu cette connaissance ».

3. L'article 133-5 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1992 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les condamnés par contumace ou par défaut dont la peine est prescrite ne sont pas admis à purger la contumace ou à former opposition ».

4. Le requérant soutient que ces dispositions seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif, dès lors qu'elles interdisent à une personne, condamnée par défaut pour un délit, de contester cette condamnation lorsque la peine est prescrite, y compris si elle n'en a pas eu connaissance avant cette prescription. Ces dispositions méconnaîtraient également les droits de la défense, dès lors que la personne condamnée serait également, dans une telle hypothèse, sanctionnée de manière définitive sans avoir pu à quelque moment que ce soit présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés. La partie intervenante, dont les griefs rejoignent ceux du requérant, soutient également que l'impossibilité de remettre en cause la décision de condamnation, en ce qu'elle porte sur les intérêts civils, violerait le droit de propriété.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine » figurant au deuxième alinéa de l'article 492 du code de procédure pénale et sur les mots « ou par défaut » et « ou à former opposition » figurant à l'article 133-5 du code pénal.

- Sur le fond :

6. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense.

7. Selon l'article 489 du code de procédure pénale, le jugement par défaut prononcé par le tribunal correctionnel est non avenu dans toutes ses dispositions si le prévenu forme opposition à son exécution. En application de l'article 491 du même code, si la signification du jugement a été faite à la personne du prévenu, l'opposition doit être formée, à compter de cette signification, dans un délai de dix jours si le prévenu réside en France métropolitaine ou dans celui d'un mois s'il réside hors de ce territoire. En application de l'article 492 du même code, si la signification du jugement n'a pas été faite à la personne du prévenu, l'opposition doit être formée dans les mêmes délais, « qui courent à compter de la signification du jugement faite à domicile, à étude d'huissier de justice ou à parquet ». Toutefois, conformément au deuxième alinéa de ce même article, s'il s'agit d'un jugement de condamnation et s'il ne résulte pas d'un acte de procédure ou d'un acte d'exécution quelconque que le prévenu a eu connaissance de la signification, l'opposition, tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale, reste recevable, sous réserve que la peine ne soit pas prescrite.

8. En premier lieu, la personne condamnée par défaut, qui n'a pas eu connaissance de la citation à comparaître devant la juridiction de jugement et n'a donc pas pu faire valoir ses moyens de défense devant elle, a cependant la possibilité de le faire, à l'occasion d'une nouvelle procédure, si elle est en mesure de former opposition contre cette condamnation ou d'interjeter appel.

9. En deuxième lieu, d'une part, en application des dispositions citées précédemment, la personne condamnée par défaut peut former opposition tant qu'elle n'a pas eu connaissance de la décision de condamnation. Toutefois, selon les dispositions contestées, lorsque la peine est prescrite, cette opposition n'est plus recevable, tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale, alors même que la personne condamnée n'a jamais eu connaissance de ce jugement avant cette prescription.

10. D'autre part, l'article 499 du code de procédure pénale prévoit que, si le jugement est rendu par défaut, la personne condamnée peut interjeter appel dans un délai de dix jours à compter de la signification du jugement, quel qu'en soit le mode. Ce délai d'appel peut donc commencer à courir à l'encontre d'une personne condamnée par défaut alors même qu'elle n'a pas eu connaissance de la signification du jugement.

11. Par conséquent, il résulte de ce qui précède que la personne condamnée par défaut peut, lorsqu'elle prend connaissance de la signification de la décision de condamnation postérieurement à la prescription de la peine, se trouver dans l'impossibilité de contester cette décision que ce soit par la voie de l'opposition ou par celle de l'appel.

12. En dernier lieu, une peine, même prescrite, est susceptible d'emporter des conséquences pour la personne condamnée. Ainsi, une peine correctionnelle constitue, en application des articles 132-9 et 132-10 du code pénal, un premier terme de la récidive légale jusqu'à cinq ou dix ans après sa prescription. De la même manière, en application de l'article 132-30 du code pénal, en matière correctionnelle ou criminelle, le sursis simple ne peut être ordonné à l'égard d'une personne que lorsqu'elle n'a pas été condamnée au cours des cinq ans précédant les faits pour crime ou délit de droit commun à une peine de réclusion ou d'emprisonnement, y compris si cette peine est prescrite. Enfin, lorsqu'une personne mise en examen a déjà été condamnée à une peine d'emprisonnement sans sursis supérieure à un an, même prescrite, l'article 145-1 du code de procédure pénale prévoit, sous certaines conditions, une durée maximale de détention provisoire supérieure à quatre mois. Par ailleurs, si la condamnation est assortie d'un jugement sur les intérêts civils, le créancier peut, conformément à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, poursuivre son exécution dans un délai d'au moins dix ans, même, le cas échéant, après prescription de la peine.

13. Dès lors, en privant la personne condamnée par défaut de la possibilité, lorsque la peine est prescrite, de former opposition, lorsqu'elle n'a pas eu connaissance de sa condamnation avant cette prescription et alors que des conséquences restent attachées à une peine même prescrite, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif.

14. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les mots « jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine » figurant au deuxième alinéa de l'article 492 du code de procédure pénale et les mots « ou par défaut » et « ou à former opposition » figurant à l'article 133-5 du code pénal doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

16. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine », figurant au deuxième alinéa de l'article 492 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines et les mots « ou par défaut » et « ou à former opposition », figurant à l'article 133-5 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal, sont contraires à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 16 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-713/714 QPC du 13 juin 2018

M. Mohamed M. [Mesure administrative d'exploitation des données saisies dans le cadre d'une visite aux fins de prévention du terrorisme ]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 avril 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 828 et 829 du 11 avril 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour M. Mohamed M. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-713 QPC et 2018-714 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau et Me Raphaël Kempf, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 30 avril et 22 mai 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 mai 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Patrice Spinosi et François Sureau, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

2. L'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017 mentionnée ci-dessus, est relatif aux saisies réalisées lors d'une visite administrative aux fins de lutte contre le terrorisme. Son paragraphe II prévoit :« Dès la fin de la visite, l'autorité administrative peut demander au juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris d'autoriser l'exploitation des données saisies. Au vu des éléments révélés par la visite, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l'autorité administrative. Sont exclus de l'autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la finalité de prévention de la commission d'actes de terrorisme ayant justifié la visite.
« L'ordonnance est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l'avis. À défaut de réception, il est procédé à la signification de l'ordonnance par acte d'huissier de justice.
« L'acte de notification comporte mention des voies et délais de recours contre l'ordonnance ayant autorisé l'exploitation des données saisies.
« L'ordonnance autorisant l'exploitation des données saisies peut faire l'objet, dans un délai de quarante-huit heures, d'un appel devant le premier président de la cour d'appel de Paris selon les modalités mentionnées aux trois premiers alinéas du I de l'article L. 229-3. Le premier président statue dans un délai de quarante-huit heures.
« L'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Le délai de pourvoi en cassation est de quinze jours.
« En cas de décision de refus devenue irrévocable, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués, dans l'état dans lequel ils ont été saisis, à leur propriétaire.
« Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée selon la procédure mentionnée au présent article, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la visite et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu'il a été procédé à la copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge, saisi dans ce délai, a autorisé l'exploitation des données qu'ils contiennent. Les données copiées sont détruites à l'expiration d'un délai maximal de trois mois à compter de la date de la visite ou de la date à laquelle le juge, saisi dans ce délai, en a autorisé l'exploitation.
« En cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis ou dans l'exploitation des données copiées, lorsque cela est nécessaire, les délais prévus à l'avant-dernier alinéa du présent II peuvent être prorogés, pour la même durée, par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, saisi par l'autorité administrative au moins quarante-huit heures avant l'expiration de ces délais. Le juge statue dans un délai de quarante-huit heures sur la demande de prorogation présentée par l'autorité administrative. Si l'exploitation ou l'examen des données et des supports saisis conduit à la constatation d'une infraction, ces données et supports sont conservés selon les règles applicables en matière de procédure pénale ».

3. Le requérant soutient que, si ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018 mentionnée ci-dessus, le seul fait que la Cour de cassation ait, postérieurement à cette décision, renvoyé deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur ces mêmes dispositions constituerait un changement des circonstances justifiant leur réexamen. Sur le fond, ces dispositions seraient contraires au droit au respect de la vie privée, à l'inviolabilité du domicile, au droit à un recours juridictionnel effectif, au droit à un procès équitable et aux droits de la défense.

4. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.

5. Dans sa décision du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du paragraphe II de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017. Il les a déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.

6. Aucun changement des circonstances n'est intervenu depuis la décision du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018. À cet égard, le seul fait que le Conseil d'État ou la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une disposition législative déjà déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ne saurait constituer un changement des circonstances.

7. Dès lors, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner ces questions prioritaires de constitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Il n'y a pas lieu de statuer sur les questions prioritaires de constitutionnalité portant sur le paragraphe II de l'article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-715 QPC du 22 juin 2018

Section française de l'Observatoire international des prisons [Restrictions des communications des personnes détenues]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 avril 2018 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Ces dispositions reconnaissent aux personnes placées en détention provisoire le droit de correspondre par écrit avec toute personne de leur choix, « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas ». Toutefois, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant l'exercice de ce droit.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, au regard des conséquences qu'entraîne ce refus pour une personne placée en détention provisoire, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat conduit à une méconnaissance du droit au recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Il a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas » figurant au premier alinéa de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2009.

Tout en reportant au 1er mars 2019 la date de cette abrogation, il a énoncé une réserve transitoire imposant dans l'intervalle que les personnes placées en détention provisoire puissent contester devant le président de la chambre de l'instruction les décisions de refus de l'autorité judiciaire.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 avril 2018 par le Conseil d'État (décision n° 417244 du 11 avril 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la section française de l'Observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-715 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 22 mai et 6 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 mai 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Laurent Stouffs, avocat au barreau de Paris, pour l'association requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 40 de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus fixe le régime de la correspondance écrite des détenus. Son premier alinéa prévoit :« Les personnes condamnées et, sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix ».

2. L'association requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif. Elle critique, d'une part, le fait que la décision par laquelle l'autorité judiciaire s'oppose à l'exercice, en détention, du droit de correspondre par écrit des personnes prévenues ne puisse être contestée. Elle relève, d'autre part, que les motifs susceptibles de justifier cette opposition ne sont pas précisés. Il en résulterait également une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale et du droit au respect de la vie privée. Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d'une incompétence négative de nature à porter atteinte à ces droits.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas » figurant au premier alinéa de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2009.

- Sur le fond :

4. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

5. Le premier alinéa de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2009 reconnaît aux personnes placées en détention provisoire le droit de correspondre par écrit avec toute personne de leur choix, sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas. Toutefois, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant l'exercice de ce droit.

6. Au regard des conséquences qu'entraîne ce refus pour une personne placée en détention provisoire, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat conduit dès lors à ce que les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

7. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas » figurant au premier alinéa de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2009 doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

9. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver l'autorité judiciaire de toute possibilité de refuser aux personnes placées en détention provisoire de correspondre par écrit. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er mars 2019 la date de cette abrogation.

10. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les décisions de refus prises après la date de cette publication peuvent être contestées devant le président de la chambre de l'instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas » figurant au premier alinéa de l'article 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 9 et 10 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-716 QPC du 29 juin 2018

Société Guillemin et Msika

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 mai 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 744 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Guillemin et Msika par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-716 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 28 mai et 11 juin 2018 ;
- les observations présentées pour la Caisse nationale des barreaux français, partie en défense, par la SCP Gatineau et Fattaccini, enregistrées les 24 mai et 11 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mai 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 25 juillet 1994 mentionnée ci-dessus.

2. L'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit :
« Dans la métropole et dans les départements mentionnés à l'article L. 751-1, les droits alloués aux avocats pour la plaidoirie et perçus par eux, au titre de leur activité propre comme de celle des avocats salariés qu'ils emploient, sont affectés au financement du régime d'assurance vieillesse de base de la Caisse nationale des barreaux français. Ils sont recouvrés auprès de chaque avocat non salarié ou société d'avocats par l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation et par chaque barreau et sont versés à la Caisse nationale des barreaux français, sans préjudice de la faculté, pour chaque avocat ou société d'avocats, de les verser directement à ladite caisse.
« Lorsque leur activité principale n'est pas la plaidoirie, les avocats non salariés et les sociétés d'avocats dont au moins un associé ou un salarié est affilié à la Caisse nationale des barreaux français versent une contribution équivalente aux droits de plaidoirie.
« Parmi ces derniers, sont réputés ne pas avoir pour activité principale la plaidoirie ceux dont l'activité, déterminée en fonction de leurs revenus professionnels d'avocats complétés des rémunérations nettes versées aux avocats salariés affiliés à la Caisse nationale des barreaux français, donne lieu à un nombre de droits de plaidoirie inférieur à un minimum fixé par ladite caisse. Les revenus professionnels non salariés et les rémunérations pris en compte pour le calcul de la contribution équivalente sont appréciés dans la limite d'un plafond fixé dans les conditions prévues au dernier alinéa du présent article.
« Les sommes recouvrées par application du présent article et des dispositions de l'article L. 723-4 couvrent le tiers des charges du régime d'assurance vieillesse de base de l'année courante.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article ».

3. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dans la mesure où la contribution au financement du régime d'assurance vieillesse des avocats n'est pas plafonnée lorsqu'elle est versée sous la forme de droits de plaidoirie alors qu'elle l'est, pour les avocats dont la plaidoirie n'est pas l'activité principale, lorsqu'ils acquittent la « contribution équivalente » à ces droits.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. L'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale porte sur deux des modalités de financement du régime d'assurance vieillesse de base des avocats, géré par la Caisse nationale des barreaux français. La première consiste en l'affectation à ce financement des droits alloués aux avocats pour la plaidoirie et perçus par eux, au titre de leur activité propre comme de celle des avocats salariés qu'ils emploient. La seconde correspond au versement d'une « contribution équivalente » aux droits de plaidoirie par les avocats dont la plaidoirie ne constitue pas l'activité principale.

8. Les droits de plaidoirie, qui sont dus, pour chaque plaidoirie, par les clients des avocats ou la partie condamnée aux dépens et sont ensuite reversés à la Caisse nationale des barreaux français, ne constituent pas une cotisation personnelle desdits avocats grevant leurs revenus professionnels. Il est indifférent à cet égard que les avocats perçoivent ces droits avant de les reverser, dans leur intégralité, à la caisse nationale. Il en va en revanche différemment de la « contribution équivalente ». Celle-ci pèse directement sur les revenus professionnels des avocats qui y sont assujettis. En instaurant une telle différence de traitement entre les avocats dont la plaidoirie est l'activité principale et leurs confrères, le législateur a entendu tenir compte de la participation particulière au service public de la justice que constitue l'activité de plaidoirie.

9. Afin, toutefois, de limiter la charge pesant ainsi sur les revenus professionnels des avocats dont la plaidoirie n'est pas l'activité principale, le législateur a instauré, par les dispositions contestées, un plafonnement de la « contribution équivalente ». Dès lors, la différence de traitement résultant de l'absence de plafonnement des droits de plaidoirie reversés est justifiée par le fait que, pour la raison évoquée au paragraphe précédent, la « contribution équivalente » pèse sur les avocats qui y sont assujettis, alors que les droits de plaidoirie pèsent sur les justiciables et non sur les avocats qui les reversent. Cette différence de traitement, qui est ainsi fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. La seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 723-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juin 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018

M. Cédric H. et autre [Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger]

Le Conseil constitutionnel consacre la valeur constitutionnelle du principe de fraternité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 mai 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 622-1 et L. 622-4 du CESEDA, dans leur rédaction issue de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

En application du premier alinéa de l'article L. 622-1 de ce code, le fait d'aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Toutefois, son article L. 622-4 prévoit plusieurs cas d'exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement de ce délit. Le 3° de ce même article accorde quant à lui une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci ».

Il était reproché à ces dispositions de méconnaître le principe de fraternité, faute que les exemptions pénales qu'elles prévoient s'appliquent à l'entrée et à la circulation d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français et faute de prévoir une immunité en cas d'aide au séjour irrégulier pour tout acte purement humanitaire n'ayant donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a jugé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Pour ce faire, il a rappelé qu'aux termes de son article 2 : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité". La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Il découle de ce principe la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.

Rappelant toutefois, selon sa jurisprudence constante, qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national et qu'en outre, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel juge qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public.

Au regard du cadre jurisprudentiel ainsi défini, le Conseil constitutionnel prononce, d'une part, la censure des mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du CESEDA, en jugeant que, en réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le Conseil constate, en revanche, qu'une telle exemption ne doit pas nécessairement être étendue à l'aide à l'entrée irrégulière, qui, à la différence de l'aide au séjour ou à la circulation, fait naître par principe une situation illicite.

D'autre part, formulant une réserve d'interprétation, il juge que les dispositions précédemment citées du 3° de l'article L. 622-4 du CESEDA, qui instaurent une immunité pénale en cas d'aide au séjour irrégulier, ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s'appliquant également à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire que ceux déjà énumérés par ces dispositions.

Rappelant qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel juge que l'abrogation immédiate des mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du CESEDA aurait pour effet d'étendre les exemptions pénales prévues par l'article L. 622-4 aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter l'entrée irrégulière sur le territoire français. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, sa décision de ce jour reporte au 1er décembre 2018 la date de cette abrogation. 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 mai 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 1163 et 1164 du 9 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour MM. Cédric H. et Pierre-Alain M. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-717 QPC et 2018-718 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 4 et 19 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 juin 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Théo B. et Bastien S. par la SCP Henri Leclerc et associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4 juin 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 4 et 19 juin 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association SOS Soutien ô sans papiers par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, et Me Nawel Gafsia, avocat au barreau du Val-de-Marne, enregistrées le 4 juin 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la Cimade et onze autres parties intervenantes par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 juin 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Zia Oloumi, avocat au barreau de Paris, le premier pour les requérants et la Ligue des droits de l'homme, partie intervenante, le second pour M. Cédric H., Me Henri Leclerc, avocat au barreau de Paris, pour MM. Théo B. et Bastien S., parties intervenantes, Me Braun pour l'association SOS Soutien ô sans papiers, partie intervenante, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la Cimade et onze autres parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

2. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction résultant de la loi du 31 décembre 2012 mentionnée ci-dessus.

3. L'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans cette rédaction, prévoit :
« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros.
« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu'il se trouvait sur le territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.
« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.
« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, sera puni de mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.
« Les dispositions du précédent alinéa sont applicables en France à compter de la date de publication au Journal officiel de la République française de ce protocole ».

4. L'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans cette même rédaction, prévoit :
« Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :
« 1° Des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l'étranger ou de leur conjoint ;
« 2° Du conjoint de l'étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;
« 3° De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci.
« Les exceptions prévues aux 1° et 2° ne s'appliquent pas lorsque l'étranger bénéficiaire de l'aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d'une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint ».

5. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutiennent que les dispositions renvoyées méconnaîtraient le principe de fraternité, en raison, d'une part, de ce que l'immunité prévue par le 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'applique uniquement lorsque la personne est mise en cause pour aide au séjour irrégulier, et non pour aide à l'entrée et à la circulation d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français. D'autre part, elles méconnaîtraient ce même principe dès lors qu'elles ne prévoient pas d'immunité en cas d'aide au séjour irrégulier pour tout acte purement humanitaire n'ayant donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte. Pour ces mêmes motifs, les dispositions renvoyées seraient également contraires aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Par ailleurs, les requérants soutiennent que ces dispositions violeraient également le principe de légalité des délits et des peines en ce que les termes du 3° précité seraient insuffisamment précis. Enfin, le principe d'égalité devant la loi serait également méconnu dès lors que seule l'aide au séjour d'un étranger en situation irrégulière peut faire l'objet de l'exemption en cause, et non l'aide à l'entrée ou à la circulation d'un étranger en situation irrégulière.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que sur le 3° de ce même article.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de fraternité :

7. Aux termes de l'article 2 de la Constitution : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité" ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle.

8. Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.

9. Toutefois, aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle.

10. Dès lors, il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public.

11. En application du premier alinéa de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le fait d'aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Toutefois, l'article L. 622-4 du même code prévoit plusieurs cas d'exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement du délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger. Les 1° et 2° de cet article excluent toute poursuite pénale de ce chef lorsque l'aide est apportée par la proche famille de l'étranger ou par celle de son conjoint ou de la personne qui vit en situation maritale avec lui. Le 3° de ce même article accorde quant à lui une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci ».

- S'agissant de la limitation à la seule aide au séjour irrégulier de l'exemption pénale prévue au 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

12. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 622-1, combinées avec les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 622-4, que toute aide apportée à un étranger afin de faciliter ou de tenter de faciliter son entrée ou sa circulation irrégulières sur le territoire national est sanctionnée pénalement, quelles que soient la nature de cette aide et la finalité poursuivie. Toutefois, l'aide apportée à l'étranger pour sa circulation n'a pas nécessairement pour conséquence, à la différence de celle apportée à son entrée, de faire naître une situation illicite.

13. Dès lors, en réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs à l'encontre de ces dispositions, les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doivent être déclarés contraires à la Constitution.

- S'agissant de la limitation de l'exemption pénale aux seuls actes de conseils juridiques, de prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes et aux actes visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger :

14. Il résulte du 3° de l'article L. 622-4 que, lorsqu'il est apporté une aide au séjour à un étranger en situation irrégulière sur le territoire français, sans contrepartie directe ou indirecte, par une personne autre qu'un membre de la famille proche de l'étranger ou de son conjoint ou de la personne vivant maritalement avec celui-ci, seuls les actes de conseils juridiques bénéficient d'une exemption pénale quelle que soit la finalité poursuivie par la personne apportant son aide. Si l'aide apportée est une prestation de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux, la personne fournissant cette aide ne bénéficie d'une immunité pénale que si cette prestation est destinée à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger. L'immunité n'existe, pour tout autre acte, que s'il vise à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s'appliquant en outre à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire.

15. Il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de fraternité par le 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines et de ceux de nécessité et de proportionnalité des peines :

16. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

17. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.

18. L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

19. D'une part, les dispositions du 3° de l'article L. 622-4 ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d'arbitraire. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.

20. D'autre part, il résulte de la réserve mentionnée au paragraphe 14 que l'immunité pénale prévue par le 3° de l'article L. 622-4 s'applique à tout acte d'aide au séjour apportée dans un but humanitaire. Dès lors, en ne prévoyant pas d'exemption pénale, hors du cercle familial, en cas d'aide au séjour irrégulier dans un but autre qu'humanitaire, le législateur n'a en tout état de cause pas méconnu les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces principes doivent être écartés.

21. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 14, le 3° de l'article L. 622-4, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

22. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

23. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet d'étendre les exemptions pénales prévues par l'article L. 622-4 aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter l'entrée irrégulière sur le territoire français. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er décembre 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.

24. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que l'exemption pénale prévue au 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit s'appliquer également aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter, hormis l'entrée sur le territoire, la circulation constituant l'accessoire du séjour d'un étranger en situation irrégulière en France lorsque ces actes sont réalisés dans un but humanitaire.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, sont contraires à la Constitution.

Article 2. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 14, le 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la même loi, est conforme à la Constitution.

Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 23 et 24 de cette décision.

Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juillet 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

QUATRE DÉCISIONS DU 13 JUILLET 2018

Décision n° 2018-719 QPC du 13 juillet 2018

Mme Estelle M. [Imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières issues d'un partage successoral]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 mai 2018 par le Conseil d'État (décision n° 417378 du 11 avril 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Estelle M. par Me Guillaume Martin, avocat au barreau de Dijon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-719 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des paragraphes I et IV de l'article 150-0 A du code général des impôts.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par Me Martin, enregistrées le 4 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5 juin 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 juin 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des paragraphes I et IV de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.

2. Le paragraphe I de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :
« 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu.
« 2. Le complément de prix reçu par le cédant en exécution de la clause du contrat de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux par laquelle le cessionnaire s'engage à verser au cédant un complément de prix exclusivement déterminé en fonction d'une indexation en relation directe avec l'activité de la société dont les titres sont l'objet du contrat, est imposable au titre de l'année au cours de laquelle il est reçu.
« Le gain retiré de la cession ou de l'apport d'une créance qui trouve son origine dans une clause contractuelle de complément de prix visée au premier alinéa est imposé dans les mêmes conditions au titre de l'année de la cession ou de l'apport.
« 3. Lorsque les droits détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants ainsi que leurs frères et sœurs dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, la plus-value réalisée lors de la cession de ces droits, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent alinéa, est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. À défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers.
« 4. Les sommes ou valeurs attribuées en contrepartie de titres pour lesquels l'option pour l'imputation des pertes a été exercée dans les conditions du deuxième alinéa du 12 de l'article 150-0 D sont imposables au titre de l'année au cours de laquelle elles sont reçues, à hauteur de la perte imputée ou reportée ».

3. Le paragraphe IV de l'article 150-0 A de ce même code, dans cette même rédaction, prévoit : « Le I ne s'applique pas aux partages qui portent sur des valeurs mobilières, des droits sociaux et des titres assimilés, dépendant d'une succession ou d'une communauté conjugale et qui interviennent uniquement entre les membres originaires de l'indivision, leur conjoint, des ascendants, des descendants ou des ayants droit à titre universel de l'un ou de plusieurs d'entre eux. Il en est de même des partages portant sur des biens indivis issus d'une donation-partage et des partages portant sur des biens indivis acquis par des partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité ou par des époux, avant ou pendant le pacte ou le mariage. Ces partages ne sont pas considérés comme translatifs de propriété dans la mesure des soultes ou plus-values ».

4. La requérante reproche à ces dispositions d'instituer une différence de traitement entre les co-indivisaires qui se sont vus attribuer, à l'issue d'un partage, la totalité des quotes-parts d'un bien auparavant indivis, selon que l'indivision est d'origine conventionnelle ou successorale. En effet, dans le premier cas, l'attributaire serait admis, pour l'imposition de la plus-value réalisée lors de la cession ultérieure du bien, à en déduire la soulte qu'il a versée à ses co-indivisaires, tandis que, dans le second cas, il n'y serait pas admis. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. La requérante reproche également à ces dispositions de méconnaître l'exigence de respect des capacités contributives et d'instituer une différence de traitement entre les co-indivisaires d'un bien successoral, selon qu'ils en sont ou non attributaires à l'issue du partage, dès lors qu'elles mettent à la charge du seul attributaire l'impôt dû sur la plus-value réalisée par l'ensemble des co-indivisaires. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « d'une succession ou » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article 150-0 A du code général des impôts.

6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. En application du 1 du paragraphe I de l'article 150-0 A du code général des impôts, en principe, en cas de partage de valeurs mobilières indivises avec versement d'une soulte par l'attributaire, la plus-value de cession réalisée par les autres co-indivisaires est imposée entre leurs mains. En cas de cession ultérieure de ces valeurs mobilières par l'attributaire, la plus-value de cession imposable est déterminée en tenant compte, pour la fraction de ces valeurs détenue depuis le partage, de la soulte versée aux autres co-indivisaires.

9. Par dérogation, les dispositions contestées du paragraphe IV de ce même article excluent l'application de cette règle aux partages de valeurs mobilières en indivision dépendant d'une succession. Par ailleurs, la dernière phrase de ce paragraphe précise que ces partages ne sont pas considérés comme translatifs de propriété « dans la mesure des soultes ou plus-values ». Il en résulte que, lors du partage, les co-indivisaires non attributaires ne sont pas imposés sur la plus-value correspondant à la soulte reçue. En cas de cession ultérieure de ces valeurs mobilières par l'attributaire, ce dernier étant ainsi réputé détenir le bien depuis l'origine de l'indivision, la plus-value de cession qu'il réalise est déterminée sans considération de la soulte versée aux co-indivisaires.

10. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu fixer des modalités spécifiques d'imposition des plus-values en vue de faciliter la conclusion d'accords familiaux permettant la sortie d'indivisions successorales.

11. En premier lieu, l'indivision conventionnelle résulte du choix des indivisaires alors que l'indivision résultant d'une succession s'impose à eux par détermination de la loi. Aussi, en instituant ce régime dérogatoire, le législateur a traité différemment des personnes placées dans des situations différentes. La différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la loi.

12. En second lieu, d'une part, l'attributaire d'un bien provenant d'une indivision successorale est seul en mesure d'en disposer à l'issue du partage et de réaliser une plus-value lors de la revente de ce bien. Par conséquent, il se trouve dans une situation différente de celle de ses co-indivisaires. D'autre part, la circonstance que la soulte versée par l'attributaire à ses co-indivisaires ne soit pas prise en compte pour le calcul de la plus-value réalisée lors de la revente du bien est une contrepartie du mécanisme dérogatoire institué par le législateur en vue de favoriser la conclusion d'accords familiaux. Enfin, lors de la revente ultérieure du bien, l'attributaire n'est pas imposé sur une autre plus-value que celle attachée à un bien dont il dispose effectivement. Par conséquent, en adoptant les dispositions contestées, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas méconnu l'exigence de prise en compte des capacités contributives.

13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

14. Les mots « d'une succession ou » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article 150-0 A du code général des impôts, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « d'une succession ou » figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC du 13 juillet 2018

Syndicat CFE-CGC France Télécom Orange et autres [Dérogation à la tenue d'élections partielles en cas d'annulation de l'élection de délégués du personnel ou de membres du comité d'entreprise]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI les 16, 18 et 23 mai 2018 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêts no 912, 914 et 918 du 16 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-720 QPC, 2018-723 QPC et 2018-726 QPC. Elles ont été posées par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le syndicat CFE-CGC France Télécom Orange (nos 2018-720 QPC, 2018-723 QPC et 2018-726 QPC), pour Mmes Marie-Noëlle M., Monique B., Véronique P., Laurence D., MM. Quentin B., Anthony S., Arnaud C., Frédéric H., Mmes Valérie G., Farida M., Nathalie R., MM. Patrick B., Sébastien M., Noël K., Daniel L., Jean H., Éric P. (n° 2018-723 QPC) et pour M. Denis G. (n° 2018-726 QPC). Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article L. 2314-7 et des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
Il a également été saisi le 17 mai 2018 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt no 913 du 16 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2018-721 QPC. Elle a été posée par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour le syndicat CFE-CGC France Télécom Orange et pour Mmes Anne-Valérie M., Michèle C., MM. Ouissame E., Grégory B., Didier A., Mme Patricia F., MM. Frédérick L., Philippe C., Frédéric B., Mme Hélène G. et M. Jean-Marc M. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article L. 2314-7, des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25, de l'article L. 2324-10 et des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la même loi du 17 août 2015.
Il a également été saisi les 18 et 22 mai 2018 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêts no 915, 916 et 917 du 16 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-722 QPC, 2018-724 QPC et 2018-725 QPC. Elles ont été posées par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour le syndicat CFE-CGC France Télécom Orange (nos 2018-722 QPC, 2018-724 QPC et 2018-725 QPC), pour Mme Marie-Noëlle M. (n° 2018-722 QPC), pour Mme Anne-Sophie C. (n° 2018-724 QPC) et pour Mme Céline P. et M. Mohand B. (n° 2018-725 QPC). Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2324-10 et des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la même loi du 17 août 2015.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Waquet, Farge, Hazan, enregistrées les 7, 9 et 11 juin 2018 ;
- les observations présentées pour les sociétés Orange, Orange Caraïbe et Orange Porte-à-porte, parties en défense, par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 6 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 juin 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hervé Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Damien Célice, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Il y a lieu de joindre les sept questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

2. Le premier alinéa de l'article L. 2314-7 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus, dispose que des élections partielles sont organisées à l'initiative de l'employeur pour désigner des délégués du personnel si un collège électoral n'est plus représenté ou si le nombre des délégués titulaires est réduit de moitié ou plus. Le second alinéa du même article prévoit :« Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque ces événements interviennent moins de six mois avant le terme du mandat des délégués du personnel ou lorsqu'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de délégués du personnel prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 ».

3. L'article L. 2314-25 du même code, dans cette même rédaction, est relatif aux contestations de l'élection des délégués du personnel. Ses troisième et dernier alinéas prévoient : « La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-24-1 entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats.
« La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la seconde phrase du premier alinéa du même article L. 2314-24-1 entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions ».

4. L'article L. 2324-10 du même code, dans cette même rédaction, est relatif à l'élection des représentants du personnel au comité d'entreprise. Il prévoit : « Des élections partielles sont organisées à l'initiative de l'employeur si un collège électoral n'est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel est réduit de moitié ou plus, sauf si ces événements interviennent moins de six mois avant le terme du mandat des membres du comité d'entreprise ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité d'entreprise prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23.
« Les élections partielles se déroulent dans les conditions fixées à l'article L. 2324-22 pour pourvoir aux sièges vacants dans les collèges intéressés, sur la base des dispositions en vigueur lors de l'élection précédente
« Les candidats sont élus pour la durée du mandat restant à courir ».

5. L'article L. 2324-23 du même code, dans cette même rédaction, est relatif aux contestations de l'élection des représentants du personnel au comité d'entreprise. Ses troisième et dernier alinéas prévoient : « La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2324-22-1 entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats.
La constatation par le juge, après l'élection, du non-respect par une liste de candidats des prescriptions prévues à la seconde phrase du premier alinéa du même article L. 2314-24-1 entraîne l'annulation de l'élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions ».

6. Les requérants reprochent à ces dispositions de ne pas prévoir un mécanisme permettant de pourvoir les sièges de délégués du personnel ou de membres du comité d'entreprise devenus vacants à la suite de l'annulation par le juge de l'élection des représentants des salariés pour méconnaissance des règles relatives à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein de ces institutions représentatives du personnel. Selon eux, le législateur aurait violé, d'une part, le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales garanti par l'article 1er de la Constitution et, d'autre part, le principe de participation des travailleurs garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Ces dispositions seraient également entachées d'incompétence négative, dans des conditions de nature à affecter ces mêmes principes.

7. Par conséquent, les questions prioritaires de constitutionnalité portent sur les mots « ou lorsqu'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de délégués du personnel prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 » figurant au second alinéa de l'article L. 2314-7 du code du travail et sur les mots « ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité d'entreprise prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2324-10 du même code.

- Sur le fond :

8. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise.

9. Selon le troisième alinéa de l'article L. 2314-25 du code du travail, la constatation par le juge, après l'élection des délégués du personnel, de la méconnaissance, par une liste de candidats à cette élection, des prescriptions imposant à chaque liste de comporter un nombre de femmes et d'hommes proportionnel à leur part respective au sein du collège électoral entraîne l'annulation de l'élection « d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats ». Selon le dernier alinéa du même article, la constatation par le juge, après l'élection, de la méconnaissance par une liste des prescriptions imposant l'alternance d'un candidat de chaque sexe entraîne l'annulation de l'élection des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions. Les troisième et dernier alinéas de l'article L. 2324-23 du code du travail donnent au juge le même pouvoir d'annulation, pour les mêmes motifs, pour l'élection des représentants du personnel au comité d'entreprise.

10. Dans ces différents cas, les dispositions contestées des articles L. 2314-7 et L. 2324-10 du code du travail dispensent l'employeur d'organiser des élections partielles visant à pourvoir les sièges devenus vacants à la suite de l'annulation de l'élection de délégués du personnel ou de membres du comité d'entreprise, quelle que soit la durée des mandats restant à courir.

11. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d'une part, éviter que l'employeur soit contraint d'organiser de nouvelles élections professionnelles alors que l'établissement des listes de candidats relève des organisations syndicales et, d'autre part, inciter ces dernières à respecter les règles contribuant à la représentation équilibrée des femmes et des hommes parmi les délégués du personnel et au sein du comité d'entreprise.

12. Toutefois, les dispositions contestées peuvent aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants dans ces institutions représentatives du personnel, pour une période pouvant durer plusieurs années, y compris dans les cas où un collège électoral n'y est plus représenté et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus. Ces dispositions peuvent ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal de ces institutions soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs.

13. Par conséquent, même si les dispositions contestées visent à garantir, parmi les membres élus, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, l'atteinte portée par le législateur au principe de participation des travailleurs est manifestement disproportionnée. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

14. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

15. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :

- les mots « ou lorsqu'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de délégués du personnel prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2314-25 » figurant au second alinéa de l'article L. 2314-7 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;

- les mots « ou s'ils sont la conséquence de l'annulation de l'élection de membres du comité d'entreprise prononcée par le juge en application des deux derniers alinéas de l'article L. 2324-23 » figurant au premier alinéa de l'article L. 2324-10 du même code, dans cette même rédaction.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 15 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-727 QPC du 13 juillet 2018

Commune de Ploudiry [Régime indemnitaire de la fonction publique territoriale]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 mai 2018 par le Conseil d'État (décision n° 418726 du 18 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par la commune de Ploudiry. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-727 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la commune requérante par la SCP David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 juin 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour le centre de gestion de la fonction publique territoriale du Finistère par la SCP David Gaschignard, enregistrées le 14 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 juin 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune requérante et l'intervenant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 88 de la loi du 26 janvier 1984 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit que les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires de leurs agents, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'État. Ses deuxième et troisième phrases prévoient :
« Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel des agents. Lorsque les services de l'État servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'État ».

2. Selon la commune requérante, rejointe par l'intervenant, ces dispositions méconnaîtraient le principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce qu'elles contraignent celles qui mettent en place un régime indemnitaire tenant compte des conditions d'exercice des fonctions et de l'engagement professionnel de leurs agents publics, à l'organiser en deux parts distinctes, lorsque tel est le cas pour les services de l'État servant de référence aux services concernés des collectivités territoriales. La commune requérante et l'intervenant reprochent également au législateur d'avoir méconnu sa compétence, dans des conditions de nature à affecter les principes de libre administration des collectivités territoriales et d'égalité devant la loi, en subordonnant la portée de l'obligation ainsi faite aux collectivités territoriales au choix de l'État de structurer ou non le régime indemnitaire de ses propres services en deux parts distinctes.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la dernière phrase du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984.

4. L'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. En vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ».

5. Si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée.

6. En vertu du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, les collectivités territoriales ne peuvent établir de régimes indemnitaires en faveur de leurs agents que « dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'État ». Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que, lorsque les services de l'État servant de référence bénéficient d'un régime indemnitaire tenant compte, pour une part, des conditions d'exercice des fonctions et, pour l'autre part, de l'engagement professionnel des agents, les collectivités territoriales qui décident de mettre en place un régime indemnitaire tenant compte de l'un seulement de ces éléments sont tenues, en vertu des dispositions contestées, de prévoir également une part correspondant au second élément.

7. En premier lieu, les dispositions contestées visent à garantir une certaine parité entre le régime indemnitaire applicable aux agents de l'État et celui applicable aux agents des collectivités territoriales. En les adoptant, le législateur a entendu contribuer à l'harmonisation des conditions de rémunération au sein des fonctions publiques étatique et territoriale et faciliter les mobilités en leur sein ou entre elles deux. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.

8. En second lieu, les collectivités territoriales qui décident de mettre en place un tel régime indemnitaire demeurent libres de fixer les plafonds applicables à chacune des parts, sous la seule réserve que leur somme ne dépasse pas le plafond global des primes octroyées aux agents de l'État. Elles sont également libres de déterminer les critères d'attribution des primes correspondant à chacune de ces parts.

9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, ne méconnaissent pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. La dernière phrase du premier alinéa de l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La dernière phrase du premier alinéa de l'article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-728 QPC du 13 juillet 2018

Association hospitalière Nord Artois clinique [Indemnité de résiliation ou de non-renouvellement du contrat de prévoyance pendant la période transitoire]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 mai 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 821 du 17 mai 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association hospitalière Nord Artois clinique par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-728 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 31 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, enregistrées le 14 juin 2018 ;
- les observations présentées pour l'institut de prévoyance interprofessionnelle Humanis prévoyance, partie en défense, par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 7 juin 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 juin 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Solange Vigand, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, Me Damien Célice, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 31 de la loi du 31 décembre 1989 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction issue de la loi du 9 novembre 2010 mentionnée ci-dessus, prévoit :« I.- Les organismes mentionnés à l'article 1er peuvent répartir les effets de l'article 18 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites sur le niveau des provisions prévues en application de l'article 7 de la présente loi au titre des contrats, conventions ou bulletins d'adhésion conclus au plus tard à la date de promulgation de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 précitée, sur une période de six ans au plus à compter des comptes établis au titre de l'exercice 2010.
« À la clôture des comptes de l'exercice 2010, le niveau des provisions ne peut être inférieur à celui qui résulterait d'un provisionnement intégral des engagements jusqu'à l'âge mentionné à l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur au 1er janvier 2010, ainsi que, pour les assurés de la génération 1951, d'un provisionnement intégral des engagements correspondants jusqu'à l'âge prévu au même article pour cette génération.
« À compter de la clôture des comptes de l'exercice 2011, le niveau des provisions doit être constitué au moins linéairement.
« En cas de résiliation ou de non-renouvellement d'un contrat, d'une convention ou d'un bulletin d'adhésion pendant la période transitoire mentionnée au premier alinéa, l'organisme assureur poursuit le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées au jour de la résiliation ou du non-renouvellement ; dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent I, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur.
« Toutefois, cette indemnité n'est pas exigible si l'organisme assureur ne poursuit pas le maintien de cette couverture alors qu'un nouveau contrat, une nouvelle convention ou un nouveau bulletin d'adhésion est souscrit en remplacement du précédent et prévoit la reprise intégrale, par le nouvel organisme assureur, des engagements relatifs au maintien de la garantie incapacité de travail-invalidité du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion initial ; dans ce cas, la contre-valeur des provisions effectivement constituées au titre du maintien de cette garantie est transférée au nouvel organisme assureur.
« II.- Les organismes mentionnés à l'article 1er peuvent répartir les effets de l'article 18 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 précitée sur le niveau des provisions prévues en application de l'article 7-1 de la présente loi, au titre des contrats, conventions ou bulletins d'adhésion conclus au plus tard à la date de promulgation de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 précitée sur une période de six ans au plus à compter des comptes établis au titre de l'exercice 2010.
« À la clôture des comptes de l'exercice 2010, le niveau des provisions ne peut être inférieur à celui qui résulterait d'un provisionnement intégral des engagements jusqu'à l'âge prévu à l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur au 1er janvier 2010, ainsi que, pour les assurés de la génération 1951, d'un provisionnement intégral des engagements correspondants jusqu'à l'âge prévu au même article pour cette génération.
« À compter de la clôture des comptes de l'exercice 2011, le niveau des provisions doit être constitué au moins linéairement.
« En cas de résiliation ou de non-renouvellement d'un contrat, d'une convention ou d'un bulletin d'adhésion pendant la période transitoire, l'organisme assureur maintient la couverture décès ; dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7-1 à constituer et le montant de provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent II, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur.
« Toutefois, cette indemnité n'est pas exigible si l'organisme assureur ne poursuit pas le maintien de cette couverture alors qu'un nouveau contrat, une nouvelle convention ou un nouveau bulletin d'adhésion est souscrit en remplacement du précédent et prévoit la reprise intégrale, par le nouvel organisme assureur, des engagements relatifs au maintien de la garantie décès du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion initial ; dans ce cas, la contre-valeur des provisions effectivement constituées au titre du maintien de cette garantie est transférée au nouvel organisme assureur.
« III.- Un arrêté précise en tant que de besoin les modalités d'application du présent article ».

2. Selon l'association requérante, ces dispositions soumettraient le souscripteur d'un contrat de prévoyance complémentaire collective, ayant, pendant la période comprise entre le 1er janvier 2010 et l'entrée en vigueur de la loi du 9 novembre 2010, notifié à l'organisme assureur son intention de résilier ce contrat ou de ne pas le renouveler, à l'obligation de lui verser une indemnité non prévue par le contrat qu'il n'était pas en mesure d'anticiper. Il en résulterait une méconnaissance de la garantie des droits et une atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur les mots « dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent I, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur » figurant au quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 31 de la loi du 31 décembre 1989. Elle porte, d'autre part, sur les mots « dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7-1 à constituer et le montant de provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent II, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur » figurant au quatrième alinéa du paragraphe II du même article.

4. Les articles 7 et 7-1 de la loi du 31 décembre 1989 organisent le droit au maintien de la couverture des salariés en cas de résiliation ou de non-renouvellement d'un contrat de prévoyance complémentaire collective, à l'initiative de l'employeur souscripteur ou de l'organisme assureur. Ainsi, l'article 7 oblige l'organisme assureur à maintenir les prestations immédiates ou différées, acquises ou nées pendant la période de validité du contrat, au niveau atteint à la date d'effet de la résiliation ou du non-renouvellement. L'article 7-1 procède de même pour la garantie décès en cas de décès d'un salarié qui se trouvait en état d'incapacité de travail ou d'invalidité à la date d'effet de la résiliation. Par ailleurs, ces deux articles imposent aux organismes assureurs de constituer les provisions nécessaires à la couverture de ces engagements.

5. L'article 18 de la loi du 9 novembre 2010 a reporté de deux ans l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite. Il en est résulté la prolongation, à due proportion, de la durée du service des prestations dues par les organismes assureurs en application des articles 7 et 7-1 de la loi du 31 décembre 1989 et, partant, l'accroissement de leurs obligations de provisionnement correspondantes.

6. L'article 26 de la loi du 9 novembre 2010 a complété la loi du 31 décembre 1989 par un article 31 instituant un dispositif transitoire ayant vocation à permettre aux organismes assureurs de faire face à cet accroissement de leurs obligations de provisionnement. Ainsi, le premier alinéa de son paragraphe I et celui de son paragraphe II prévoient une période transitoire de six ans pendant laquelle il leur est possible d'étaler ces provisionnements supplémentaires. Il résulte également de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires, que le législateur a entendu fixer au 1er janvier 2010 le point de départ de cette période transitoire.

7. En vertu des dispositions contestées, en cas de résiliation ou de non-renouvellement du contrat pendant la période transitoire, le souscripteur est tenu de verser à l'organisme assureur une indemnité correspondant à la différence entre, d'une part, le montant des provisions permettant de couvrir intégralement les engagements de ce dernier et, d'autre part, le montant des provisions effectivement constituées à la date de cessation du contrat.

8. En premier lieu, selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

9. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.

10. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

11. L'indemnité due en cas de résiliation ou de non-renouvellement prévue par les dispositions contestées s'applique aux contrats en cours d'exécution à la date de leur entrée en vigueur, ainsi qu'aux contrats ayant pris fin entre le 1er janvier 2010 et cette date, tout en continuant à produire des effets après leur résiliation ou leur non-renouvellement.

12. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu compenser le surcoût provoqué, pour les organismes assureurs, par le report de l'âge de départ à la retraite. En effet, en cas de cessation du contrat pendant la période transitoire, ces organismes sont tenus de maintenir la couverture prévue par les articles 7 et 7-1 de la loi du 31 décembre 1989 et de constituer les provisions nécessaires. Les dispositions contestées visent ainsi à garantir l'effectivité et la pérennité de la couverture des salariés, tout en évitant une hausse brutale des cotisations versées par les autres souscripteurs. Le législateur a ainsi poursuivi un motif d'intérêt général.

13. Dès lors, compte tenu de ce motif d'intérêt général, en prévoyant le versement d'une indemnité dont le montant est limité à celui des provisions restant à constituer par l'organisme assureur, le législateur n'a méconnu ni la garantie des droits ni le droit au maintien des conventions légalement conclues.

14. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent ni la garantie des droits, ni le droit au maintien des conventions légalement conclues. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :

- les mots « dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent I, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur » figurant au quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 31 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ;
- les mots « dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7-1 à constituer et le montant de provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent II, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur » figurant au quatrième alinéa du paragraphe II de l'article 31 de la même loi.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-729 QPC du 7 septembre 2018

Société Tel and Com [Sanction de la nullité d'un licenciement économique]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 juin 2018 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1094 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution et selon les modalités fixées par la dernière phrase du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Tel and Com par Me Raphaël Rouleaux, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-729 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 1235-11 du code du travail.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Rouleaux, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 juillet 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

  1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 1235-11 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 juin 2013 mentionnée ci-dessus.

  2. L'article L. 1235-11 du code du travail, dans cette rédaction, prévoit :
    « Lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible.
    « Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois ».

  3. La société requérante soutient que le renvoi aux deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 du code du travail opéré par ces dispositions ne permettrait pas à l'employeur de déterminer si les mesures qu'elles prescrivent, en particulier le versement d'une indemnité au salarié à la place de la poursuite de son contrat de travail ou de sa réintégration, s'appliquent seulement au cas de nullité de la procédure de licenciement économique ou également à celui de nullité du licenciement économique lui-même. Cette incertitude empêcherait l'employeur d'anticiper la sanction à laquelle il s'expose. Il en résulterait une violation de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence de nature à affecter la liberté d'entreprendre et le droit de propriété. Par ailleurs, en prévoyant que cette indemnité ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois, ces dispositions seraient sans rapport avec la réalité du préjudice subi par le salarié, en méconnaissance du droit de propriété de l'employeur. Cette indemnité, qui constituerait une sanction ayant le caractère d'une punition, serait également contraire aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines. Enfin, la société requérante invoque une rupture d'égalité devant la loi, dans la mesure où la même sanction s'applique quel que soit le motif d'illicéité du licenciement économique, que celui-ci réside dans l'absence de toute élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou dans l'annulation par le juge d'un plan pourtant préalablement validé ou homologué par l'administration.

  4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur les mots « alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 » figurant au premier alinéa de l'article L. 1235-11 du code du travail et, d'autre part, sur le second alinéa du même article.

- Sur la recevabilité :

  1. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

  2. Dans sa décision du 17 janvier 2008 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions de l'article L. 1235-11 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007 mentionnée ci-dessus. Il les a déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Postérieurement à cette déclaration de conformité, l'article L. 1235-11 a été modifié par la loi du 14 juin 2013, s'agissant en particulier des hypothèses dans lesquelles le juge peut ordonner la poursuite du contrat de travail, prononcer la nullité du licenciement économique et ordonner la réintégration du salarié ou lui octroyer une indemnité. Les dispositions contestées étant ainsi différentes de celles ayant fait l'objet de la déclaration de conformité, la question prioritaire de constitutionnalité est recevable.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et de celle de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi :

  1. En premier lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

  2. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » et détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ». Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.

  3. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

  4. L'article L. 1235-10 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 juin 2013, prévoit deux cas de nullité du licenciement économique lorsqu'une entreprise d'au moins cinquante salariés projette d'en licencier au moins dix dans une même période de trente jours. Ainsi, en vertu de son premier alinéa, est nul le licenciement intervenu en l'absence de toute décision de l'autorité administrative relative, soit à la validation de l'accord collectif majoritaire déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, soit à l'homologation du document élaboré par l'employeur fixant le contenu de ce plan. Est également nul, en application du même alinéa, le licenciement intervenu alors que l'autorité administrative a rendu une décision refusant une telle validation ou homologation. En vertu du deuxième alinéa du même article L. 1235-10, la procédure de licenciement est nulle lorsque le juge administratif a annulé la décision de validation ou d'homologation en raison d'une absence ou d'une insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi.

  5. L'article L. 1235-11 du même code prescrit les mesures que le juge peut prendre « alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 ». Le premier alinéa de l'article L. 1235-11 permet au juge d'ordonner la poursuite du contrat de travail ou de prononcer la nullité du licenciement et d'ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible. Selon son second alinéa, si le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois.

  6. Ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 14 juin 2013, en adoptant les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 1235-11, le législateur a entendu attacher les mêmes conséquences au défaut de respect des dispositions relatives au plan de sauvegarde de l'emploi prévues à l'article L. 1235-10, tant en cas de nullité du licenciement au sens du premier alinéa de cet article qu'en cas de nullité de la procédure de licenciement au sens de son deuxième alinéa. Les mesures prescrites à l'article L. 1235-11 s'appliquent ainsi dans ces deux hypothèses.

  7. Dès lors, le législateur a suffisamment défini la portée des dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 1235-11. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre et le droit de propriété doit donc être écarté.

  8. En second lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de cet objectif n'est pas recevable.

. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines :

  1. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

  2. Dans les deux cas de nullité mentionnés ci-dessus, les dispositions contestées du second alinéa de l'article L. 1235-11 du code du travail prévoient que, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque sa réintégration dans l'entreprise est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, au moins égale aux douze derniers mois de salaire.

  3. Cette indemnité, versée au salarié, se substitue, soit à la poursuite de son contrat de travail, soit à sa réintégration et constitue ainsi une réparation par équivalent lorsqu'une réparation en nature n'est pas possible ou qu'elle n'est pas demandée par le salarié. Dès lors, cette indemnité, qui vise à assurer une réparation minimale du préjudice subi par le salarié du fait de la nullité de son licenciement économique, ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Les griefs tirés de la méconnaissance des principes résultant de cet article sont donc inopérants.

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

  1. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

  2. Les dispositions contestées du second alinéa de l'article L. 1235-11 du code du travail prévoient les mêmes conséquences indemnitaires dans les deux cas de nullité définis à l'article L. 1235-10. Le législateur n'ayant ainsi institué aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

  3. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 » figurant au premier alinéa de l'article L. 1235-11 du code du travail et le second alinéa du même article, qui ne méconnaissent ni le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 » figurant au premier alinéa de l'article L. 1235-11 du code du travail et le second alinéa du même article, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

DEUX DÉCISIONS DU 14 SEPTEMBRE 2018

Décision n° 2018-731 QPC du 14 septembre 2018

Mme Juliet I. [Peine minimale d'emprisonnement pour le délit de blanchiment douanier]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 juin 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1474 du 19 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Juliet I. par Me Gabriel Vejnar, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-731 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 415 du code des douanes.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Vejnar, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 septembre 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

  1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 415 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2011 mentionnée ci-dessus.

  2. L'article 415 du code des douanes, dans cette rédaction, prévoit :« Seront punis d'un emprisonnement de deux à dix ans, de la confiscation des sommes en infraction ou d'une somme en tenant lieu lorsque la saisie n'a pas pu être prononcée, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction et d'une amende comprise entre une et cinq fois la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds qu'ils savaient provenir, directement ou indirectement, d'un délit prévu au présent code ou d'une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants ».

  3. La requérante soutient que, en instaurant une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'individualisation des peines, en ce qu'elles font ainsi obstacle à la faculté pour le juge de prononcer une peine inférieure. Il en résulterait également une violation du principe de nécessité des peines.

  4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « deux à » figurant à l'article 415 du code des douanes.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines :

  1. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions.

  2. L'article 415 du code des douanes punit d'une peine d'emprisonnement de deux à dix ans, de peines de confiscation et d'une amende le blanchiment de produits financiers provenant d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que la fixation, par les dispositions contestées, d'une durée minimale de deux ans à la peine d'emprisonnement interdit au juge de prononcer une peine inférieure.

  3. Toutefois, en premier lieu, le délit de blanchiment qui fait l'objet de cette peine minimale d'emprisonnement présente une particulière gravité.

  4. En deuxième lieu, compte tenu, d'une part, de l'écart entre la durée minimale et la durée maximale de la peine d'emprisonnement et, d'autre part, du niveau des quantums ainsi retenus, la juridiction n'est pas privée de la possibilité de fixer, dans ces limites, la peine d'emprisonnement en fonction des circonstances de l'espèce.

  5. En dernier lieu, l'instauration de cette peine d'emprisonnement minimale n'interdit pas à la juridiction de faire usage d'autres dispositions d'individualisation de la peine lui permettant de prononcer les peines et de fixer leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Ainsi, en vertu de l'article 132-17 du code pénal, la juridiction peut ne prononcer que l'une des peines encourues mentionnées à l'article 415 du code des douanes. Elle peut également, sur le fondement de l'article 369 du code des douanes, dispenser le coupable de la peine d'emprisonnement, ordonner qu'il soit sursis à son exécution et décider que la condamnation ne sera pas mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

  6. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines doit être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines :

  1. En punissant d'une peine minimale d'emprisonnement de deux ans le délit de blanchiment de certains produits d'un délit douanier ou d'une infraction à la législation sur les stupéfiants, pour lequel la peine maximale d'emprisonnement encourue est de dix ans, le législateur n'a pas méconnu le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

  2. Les mots « deux à » figurant à l'article 415 du code des douanes, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « deux à » figurant à l'article 415 du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 septembre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018

M. Mehdi K. [Absence d'obligation légale d'aviser le tuteur ou le curateur d'un majeur protégé de son placement en garde à vue]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juin 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1780 du 19 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Mehdi K. par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-730 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 706-113 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

Au vu des pièces suivantes :

Après avoir entendu Me Bertrand Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 septembre 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

  1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 février 2008 mentionnée ci-dessus.

  2. L'article 706-113 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« Le procureur de la République ou le juge d'instruction avise le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, des poursuites dont la personne fait l'objet. Il en est de même si la personne fait l'objet d'une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d'une composition pénale ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou si elle est entendue comme témoin assisté.
    « Le curateur ou le tuteur peut prendre connaissance des pièces de la procédure dans les mêmes conditions que celles prévues pour la personne poursuivie.
    « Si la personne est placée en détention provisoire, le curateur ou le tuteur bénéficie de plein droit d'un permis de visite.
    « Le procureur de la République ou le juge d'instruction avise le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d'acquittement, d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation dont la personne fait l'objet.
    « Le curateur ou le tuteur est avisé de la date d'audience. Lorsqu'il est présent à l'audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin ».

  3. Selon le requérant, ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense au motif que, en cas de placement en garde à vue d'un majeur protégé, elles n'imposent pas à l'officier de police judiciaire d'aviser son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles. La personne protégée ne disposant pas toujours du discernement nécessaire à l'exercice de ses droits, l'absence de cette garantie ne saurait être suppléée, lors de son placement en garde à vue, par la seule notification de son droit de faire prévenir son curateur ou son tuteur.

  4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 706-113 du code de procédure pénale.

- Sur le fond :

  1. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de ces dispositions qu'est garanti le respect des droits de la défense.

  2. En application des dispositions contestées, lorsque des poursuites pénales sont engagées à l'encontre d'un majeur protégé, le procureur de la République ou le juge d'instruction doit en informer son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles. Il en va de même lorsque le majeur protégé fait l'objet d'une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d'une composition pénale ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou lorsqu'il est entendu comme témoin assisté. Le curateur ou le tuteur est alors autorisé à prendre connaissance des pièces de la procédure et bénéficie de plusieurs prérogatives visant à lui permettre d'assurer la préservation des droits du majeur protégé. Ces dispositions ne s'appliquent pas à la garde à vue.

  3. En cas de placement en garde à vue, il résulte en revanche du 3° de l'article 63-1 du code de procédure pénale que le majeur protégé est, comme tout autre suspect majeur, immédiatement informé par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de ses droits d'être assisté par un avocat, de faire prévenir certaines personnes de son entourage et, dans les conditions prévues à l'article 63-2 du même code, de communiquer avec elles. Le majeur protégé peut, à ce titre, demander à faire prévenir son curateur ou son tuteur. Les enquêteurs doivent alors, sauf circonstances insurmontables ou refus lié aux nécessités de l'enquête, prendre contact avec le curateur ou le tuteur dans les trois heures suivant la demande. Dans ce cas, le troisième alinéa de l'article 63-3-1 du même code prévoit que le curateur ou le tuteur peut désigner un avocat pour assister le majeur protégé au cours de la garde à vue, sous réserve de confirmation par ce dernier.

  4. Toutefois, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'imposent aux autorités policières ou judiciaires de rechercher, dès le début de la garde à vue, si la personne entendue est placée sous curatelle ou sous tutelle et d'informer alors son représentant de la mesure dont elle fait l'objet. Ainsi, dans le cas où il n'a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l'incapacité d'exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d'exprimer sa volonté en raison de l'altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d'opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l'exercice de son droit de s'entretenir avec un avocat et d'être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations.

  5. Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d'une personne font apparaître qu'elle fait l'objet d'une mesure de protection juridique, que l'officier de police judiciaire ou l'autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d'avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense.

  6. Par suite, le premier alinéa de l'article 706-113 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

  • Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait notamment pour effet de supprimer l'obligation pour le procureur de la République et le juge d'instruction d'aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, en cas de poursuites pénales à l'encontre d'un majeur protégé. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2019 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises ayant donné lieu, avant cette date, à l'application des dispositions déclarées contraires à la Constitution et les mesures de garde à vue prises avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

  • LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 706-113 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, est contraire à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 septembre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 21 SEPTEMBRE 2018

    Décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018

    Société d'exploitation de moyens de carénage [Exonération de certains ports de la cotisation foncière des entreprises]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 419930 du 29 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société d'exploitation de moyens de carénage par Me Xavier Moulière, avocat au barreau de Quimper. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-733 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code général des impôts ;

    • la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle ;

    • la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour la société requérante par Me Moulière, enregistrées les 24 et 31 juillet 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 juillet 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour la chambre de commerce et d'industrie Métropolitaine Bretagne Ouest par Me Laurent Chatel, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 23 juillet 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour les grands ports maritimes de Nantes Saint-Nazaire, Marseille, Le Havre, Dunkerque, Rouen, La Rochelle et Bordeaux et pour l'union des ports de France par Me Chatel, enregistrées le 23 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Moulière, pour la société requérante, Me Chatel, pour les parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit que sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises :« Les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance ».

    2. La société requérante reproche à ces dispositions de réserver le bénéfice de l'exonération de la cotisation foncière des entreprises aux collectivités territoriales, aux établissements publics et aux sociétés d'économie mixte gestionnaires d'un port, excluant ainsi, selon elle, les sociétés commerciales de droit commun à qui une collectivité publique a confié, en tout ou partie, la gestion d'un service public portuaire. Cette différence de traitement, fondée sur le seul mode d'exploitation du port, ne serait justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre.

    3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts.

    - Sur le fond :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    3. Les dispositions contestées exonèrent de la cotisation foncière des entreprises, au titre de la gestion des ports autres que de plaisance, les collectivités territoriales, les établissements publics et les sociétés d'économie mixte. Elles ont succédé aux dispositions, issues de la loi du 29 juillet 1975 mentionnée ci-dessus, instituant une exonération de taxe professionnelle au bénéfice des mêmes gestionnaires d'un port.

    4. D'une part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1975 que, en instituant cette exonération, le législateur a notamment entendu favoriser l'investissement public dans les infrastructures portuaires. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. À cette fin, il a réservé le bénéfice de l'exonération aux personnes publiques assurant elles-mêmes la gestion d'un port ainsi qu'aux sociétés à qui elles ont confié cette gestion et dont elles détiennent une part significative du capital.

    5. D'autre part, en excluant du bénéfice de l'exonération les sociétés, autres que les sociétés d'économie mixte, dont le capital est privé, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.

    6. Toutefois, les dispositions contestées excluent également de leur champ d'application d'autres sociétés susceptibles de gérer un port, n'ayant pas le statut de sociétés d'économie mixte, mais dont le capital peut être significativement, voire totalement, détenu par des personnes publiques. Tel est le cas en particulier des sociétés publiques locales, dont les collectivités territoriales ou leurs groupements détiennent la totalité du capital. En excluant de telles sociétés du bénéfice de l'exonération, le législateur a, compte tenu de l'objectif qu'il s'est assigné, méconnu les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

    7. Par conséquent, les mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts doivent être déclarés contraires à la Constitution.

    8. Il résulte de tout ce qui précède que le reste des dispositions contestées ne méconnaît pas les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Ces dispositions ne méconnaissent pas non plus la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre ou aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.

    - Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

    2. En l'espèce, l'abrogation immédiate des mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts aurait pour effet d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur. Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles d'imposition qui doivent être choisies pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2019 la date de cette abrogation.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Les mots « ou des sociétés d'économie mixte » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, sont contraires à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.

    Article 3. - Les mots « ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics » figurant au 2° de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, sont conformes à la Constitution.

    Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-732 QPC du 21 septembre 2018

    Grand port maritime de la Guadeloupe [Option irrévocable d'adhésion au régime d'assurance chômage pour certains employeurs publics]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juin 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 989 du 21 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le Grand port maritime de la Guadeloupe par Mes Jérôme Duvignau et Thomas Maitrot, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-732 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 5424-2 du code du travail.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code du travail ;

    • la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par l'AARPI Richer et associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 29 juin et 23 juillet 2018 ;

    • les observations présentées pour la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, partie en défense, par la SCP Gatineau - Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 16 et 30 juillet 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Maitrot pour le requérant, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 5424-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.

    2. L'article L. 5424-2 du code du travail, dans cette rédaction, prévoit :« Les employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1 assurent la charge et la gestion de l'allocation d'assurance. Ceux-ci peuvent, par convention conclue avec l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-1, lui confier cette gestion.
      « Toutefois, peuvent adhérer au régime d'assurance :
      « 1° Les employeurs mentionnés au 2° de l'article L. 5424-1 ;
      « 2° Par une option irrévocable, les employeurs mentionnés aux 3°, 4° et 6° de ce même article ;
      « 3° Pour leurs agents non titulaires, les établissements publics d'enseignement supérieur et les établissements publics à caractère scientifique et technologique ;
      « 4° Pour les assistants d'éducation, les établissements d'enseignement mentionnés à l'article L. 916-1 du code de l'éducation.
      « Les entreprises de la branche professionnelle des industries électriques et gazières soumises au statut national du personnel des industries électriques et gazières, adhérentes, avant leur assujettissement au statut national, au régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 5422-1 et suivants, ainsi que les entreprises en création sont considérées comme ayant exercé leur option irrévocable mentionnée au 2° ».

    3. Le requérant soutient que le 2° de cet article porterait atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, en ce qu'il prévoit une option irrévocable d'adhésion au régime de l'assurance chômage pour les employeurs publics mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1 du code du travail, notamment les établissements publics industriels et commerciaux de l'État.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail.

    5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

    6. En vertu de l'article L. 5422-13 du code du travail, les employeurs sont tenus d'adhérer au régime de l'assurance chômage. Par exception, l'article L. 5424-2 prévoit que les employeurs publics ainsi que certains employeurs privés dont le capital est pour partie public assurent eux-mêmes la charge et la gestion de l'allocation d'assurance chômage. Cependant, certains d'entre eux peuvent adhérer, sur option, au régime de l'assurance chômage. Cette option est révocable ou irrévocable, selon la nature juridique de l'employeur. Le 2° de l'article L. 5424-2 lui confère ainsi un caractère irrévocable lorsqu'elle est exercée par les employeurs mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1. Sont visés à ce titre les entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'État, parmi lesquelles figurent les établissements publics industriels et commerciaux de l'État, ainsi que les établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales et les sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire.

    7. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a, d'une part, entendu éviter que certains employeurs, intervenant dans le secteur concurrentiel, puissent révoquer leur adhésion au régime de l'assurance chômage afin d'optimiser le coût de la prise en charge de l'allocation due à leurs anciens agents ou salariés, le cas échéant au détriment de l'équilibre financier de ce régime. D'autre part, il a entendu limiter l'avantage compétitif procuré à ces employeurs par le caractère facultatif de leur adhésion, par rapport à leurs concurrents pour lesquels cette adhésion est obligatoire. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général. L'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le caractère irrévocable de l'adhésion n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre doit être écarté.

    8. La référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail, qui ne méconnaît pas, en tout état de cause, la liberté contractuelle, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - La référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, est conforme à la Constitution.
    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 27 SEPTEMBRE 2018

    Décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018

    M. Xavier B. et autres [Cotisation due au titre de la protection universelle maladie]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 417919 du 4 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour MM. Xavier B., Christophe C., Éric O., Mmes Anne-Caroline R., Caroline A., Isabelle R., MM. Éric R., Laurent R., Antoine H., Jacques-François B. et Mme Laure R. par CMS Bureau Francis Lefebvre, avocat au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-735 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, à l'exception des deuxième et troisième phrases de son quatrième alinéa, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code général des impôts ;

    • le code de la sécurité sociale ;

    • la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour les requérants par CMS Bureau Francis Lefebvre, enregistrées le 27 juillet 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 juillet 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour M. Jean C. et autres, par la SELARL Cabinet Bornhauser, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 19 juillet 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour M. Pierre B., par la société d'avocats FIDAL, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 23 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Mes Stéphane Austry et Sarah Dardour-Attali, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, pour les requérants, Me Nicolas Philippe, avocat au barreau de Paris, pour M. Jean C. et autres, parties intervenantes, Me Pierre-Henri Gout, avocat au barreau de Paris, pour M. Pierre B., partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. L'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, à l'exception des deuxième et troisième phrases de son quatrième alinéa, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 sont redevables d'une cotisation annuelle lorsqu'elles remplissent les conditions suivantes :
      « 1° Leurs revenus tirés, au cours de l'année considérée, d'activités professionnelles exercées en France sont inférieurs à un seuil fixé par décret. En outre, lorsqu'elles sont mariées ou liées à un partenaire par un pacte civil de solidarité, les revenus tirés d'activités professionnelles exercées en France de l'autre membre du couple sont également inférieurs à ce seuil ;
      « 2° Elles n'ont perçu ni pension de retraite, ni rente, ni aucun montant d'allocation de chômage au cours de l'année considérée. Il en est de même, lorsqu'elles sont mariées ou liées à un partenaire par un pacte civil de solidarité, pour l'autre membre du couple.
      « Cette cotisation est fixée en pourcentage du montant des revenus fonciers, de capitaux mobiliers, des plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature, des bénéfices industriels et commerciaux non professionnels et des bénéfices des professions non commerciales non professionnels, définis selon les modalités fixées au IV de l'article 1417 du code général des impôts, qui dépasse un plafond fixé par décret. … Un décret détermine le taux et les modalités de calcul de cette cotisation ainsi que les obligations déclaratives incombant aux assujettis.
      « Lorsque les revenus d'activité mentionnés au 1° sont inférieurs au seuil défini au même 1° mais supérieurs à la moitié de ce seuil, l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement dans des conditions fixées par décret. Cet abattement croît à proportion des revenus d'activité, pour atteindre 100 % à hauteur du seuil défini audit 1°.
      « La cotisation est recouvrée l'année qui suit l'année considérée, mentionnée aux 1° et 2° du présent article, selon les dispositions des sections 2 à 4 du chapitre III et du chapitre IV du titre IV du livre II du présent code, sous réserve des adaptations prévues par décret du Conseil d'État.
      « Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 les informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 380-2, conformément à l'article L. 152 du livre des procédures fiscales ».

    2. Les requérants soutiennent, à titre principal, que la cotisation prévue par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale serait une imposition de toute nature. Ils en concluent, d'une part, que cet article méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que la cotisation qu'il institue présenterait un caractère confiscatoire. En effet, selon eux, le taux de cette cotisation, qui est de 8 %, pourrait aboutir, en l'absence d'un mécanisme de plafonnement, à un cumul d'imposition à un taux de 72,5 % des revenus non professionnels d'un contribuable assujetti. D'autre part, l'article contesté serait également contraire à l'article 34 de la Constitution dès lors qu'il renvoie au pouvoir réglementaire les modalités de recouvrement de l'imposition qu'il crée.

    3. En outre, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et celui d'égalité devant les charges publiques au motif qu'elles instituent une différence de traitement entre les personnes exerçant une activité professionnelle et celles n'en exerçant pas ou exerçant une activité faiblement bénéficiaire ou déficitaire, sans que cette différence de traitement soit cohérente au regard de l'objectif poursuivi par le législateur. Elles contreviendraient à ces mêmes principes dès lors qu'elles traitent de manière différente les couples disposant de revenus analogues, selon la répartition de ces revenus au sein du couple.

    4. Les requérants soutiennent à titre subsidiaire que, si la cotisation instituée par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ne constitue pas une imposition de toute nature, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques seraient, pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment, pareillement méconnus. En outre, en l'absence de mécanisme de plafonnement, les dispositions de l'article L. 380-2 feraient peser une charge disproportionnée sur les personnes assujetties. Par ailleurs, il résulterait de ces dispositions que, pour un même régime de sécurité sociale, les assurés soumis à la cotisation qu'elles prévoient contribuent davantage à ce régime pour un droit à prestation égal à celui des autres assurés.

    5. Les intervenants soutiennent également que l'article L. 380-2 serait contraire au principe d'égalité devant les charges publiques, d'une part, en raison des effets de seuil qu'il créerait et, d'autre part, au motif qu'il s'appliquerait aux personnes dont l'activité est déficitaire, entraînant alors la taxation de leurs revenus non professionnels, y compris exceptionnels. Certains intervenants rejoignent par ailleurs les requérants pour estimer qu'il résulterait du taux de cette cotisation, compte tenu des autres impositions de toutes natures pesant sur les revenus non professionnels, une imposition confiscatoire. Enfin, selon certains intervenants, ces dispositions méconnaîtraient également l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

    6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 1°, les première et dernière phrases du quatrième alinéa et le sixième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale.

    - Sur la nature de la cotisation instituée par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale :

    1. L'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale dispose que toute personne travaillant ou, lorsqu'elle n'exerce pas d'activité professionnelle, résidant en France de manière stable et régulière bénéficie, en cas de maladie ou de maternité, de la prise en charge de ses frais de santé. En application des paragraphes I et II de l'article L. 241-2 du même code, la couverture des dépenses afférentes à la prise en charge de ces frais est notamment assurée par les cotisations acquittées, dans chacun des régimes, par les employeurs des professions agricoles et non agricoles, par les travailleurs indépendants des professions non agricoles et des personnes non salariées des professions agricoles et par les personnes mentionnées aux articles L. 380-2 et L. 380-3-1 du même code.

    2. Selon l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 sont redevables d'une cotisation annuelle lorsque leurs revenus tirés, au cours de l'année considérée, d'activités professionnelles exercées en France sont inférieurs à un seuil fixé par décret et lorsqu'elles n'ont perçu ni pension de retraite, ni rente, ni allocation de chômage au cours de l'année considérée. Cette cotisation est fixée en pourcentage du montant des revenus fonciers, de capitaux mobiliers, des plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature, des bénéfices industriels et commerciaux non professionnels et des bénéfices des professions non commerciales non professionnels, définis selon les modalités fixées au paragraphe IV de l'article 1417 du code général des impôts, qui dépasse un plafond fixé par décret.

    3. Les cotisations dues en application de l'article L. 380-2 sont acquittées exclusivement par des personnes bénéficiant, en cas de maladie ou de maternité, de la prise en charge de leurs frais de santé et sont affectées au financement de ces frais. Elles sont, pour les personnes qui en sont redevables, des versements à caractère obligatoire constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies par la branche maladie et maternité de la sécurité sociale.

    4. Par conséquent, la cotisation contestée ne revêt pas le caractère d'une imposition de toute nature.

    - Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :

    1. La cotisation contestée ne constituant pas une imposition de toute nature, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence en matière de détermination des règles de recouvrement de ces impositions doit être écarté.

    - Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    . En ce qui concerne la première phrase du 1° et les premières et dernières phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 :

    1. En premier lieu, les dispositions contestées créent une différence de traitement entre les assurés sociaux redevables de cotisations sociales sur leurs seuls revenus professionnels et ceux qui, dès lors que leur revenu d'activité professionnelle est inférieur au seuil fixé par le pouvoir réglementaire en application du 1° de l'article L. 380-2 et qu'ils n'ont perçu aucun revenu de remplacement, sont redevables d'une cotisation assise sur l'ensemble de leurs revenus du patrimoine.

    2. Toutefois, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge.

    3. Dès lors, en créant une différence de traitement entre les personnes pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l'assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se proposait.

    4. En deuxième lieu, d'une part, s'il résulte des dispositions contestées une différence de traitement entre deux assurés sociaux disposant d'un revenu d'activité professionnelle d'un montant proche, selon que ce revenu est inférieur ou supérieur au plafond prévu par le quatrième alinéa de l'article L. 380-2, cette différence est inhérente à l'existence d'un seuil. En outre, en application du cinquième alinéa de l'article L. 380-2, lorsque les revenus d'activité sont inférieurs au seuil en deçà duquel une personne est soumise à la cotisation prévue par l'article L. 380-2 mais supérieure à la moitié de ce seuil, l'assiette de la cotisation assise sur les revenus du patrimoine fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité.

    5. D'autre part, la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé par décret.

    6. Enfin, la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    7. En troisième lieu, la cotisation contestée n'entrant pas dans la catégorie des impositions de toutes natures, le grief tiré de ce que son cumul avec des impositions de toutes natures présenterait un caractère confiscatoire prohibé par l'article 13 de la Déclaration de 1789 est inopérant.

    8. Il résulte de tout ce qui précède que la première phrase du 1° et, sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les premières et dernières phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni celui d'égalité devant la loi.

    . En ce qui concerne la seconde phrase du 1° de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale :

    1. Le principe d'égalité ne saurait imposer au législateur, lorsqu'il s'efforce, comme en l'espèce, de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l'ensemble des disparités existantes. La différence de traitement entre les personnes bénéficiant de prestations en nature de la branche maladie et maternité de la sécurité sociale selon qu'elles en bénéficient au titre de leur activité professionnelle ou au titre de leur résidence en France est inhérente aux modalités selon lesquelles s'est progressivement développée l'assurance maladie en France.

    2. La personne dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à un seuil fixé par décret est redevable de la cotisation contestée à la condition, fixée à la seconde phrase du 1° de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, que, si elle est mariée ou a conclu un pacte civil de solidarité, les revenus professionnels de son conjoint ou partenaire, soient également inférieurs à ce seuil.

    3. Ainsi, deux couples disposant de revenus d'activité professionnelle identiques peuvent, selon la répartition de ces revenus au sein du couple, être soumis ou non à la cotisation contestée. Il en résulte une différence de traitement entre les couples selon la distribution des revenus en leur sein.

    4. En adoptant ces dispositions, le législateur a voulu maintenir une différence de traitement préexistante. En effet, avant l'instauration de ces dispositions, le conjoint ou le partenaire sans activité professionnelle d'une personne affiliée à un régime de sécurité sociale au titre de son activité professionnelle était affilié en tant qu'ayant-droit, sans avoir à acquitter de cotisation.

    5. Dès lors, la différence de traitement instituée entre les personnes bénéficiant des prestations en nature de la branche maladie et maternité de la sécurité sociale, selon les revenus de leur conjoint ou de leur partenaire est inhérente aux modalités selon lesquelles s'est progressivement développée l'assurance maladie en France. Le grief tiré de ce que la seconde phrase du 1° de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

    - Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales :

    1. La méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de cet objectif n'est pas recevable.

    2. Le 1°, le sixième alinéa et, sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les première et dernière phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les première et dernière phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, sont conformes à la Constitution.

    Article 2. - Le 1° et le sixième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, sont conformes à la Constitution.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-734 QPC du 27 septembre 2018

    Comité d'entreprise de l'établissement public d'aménagement de la Défense Seine Arche [Composition et droits de vote au sein du conseil d'administration]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 412374 du 29 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le comité d'entreprise de l'établissement public d'aménagement de la Défense Seine Arche par la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-734 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1754 du 25 décembre 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2017-717 du 3 mai 2017 portant création de l'établissement public Paris La Défense.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de l'urbanisme ;

    • la loi n° 2017-1754 du 25 décembre 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2017-717 du 3 mai 2017 portant création de l'établissement public Paris La Défense ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 18 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2017 mentionnée ci-dessus, est relatif à l'établissement public Paris La Défense. Il prévoit :« Paris La Défense est administré par un conseil d'administration composé majoritairement de représentants du département des Hauts-de-Seine. En outre, sont représentées les communes de Courbevoie, Nanterre, Paris et Puteaux, ainsi que la région d'Île-de-France et la métropole du Grand Paris ».

    2. Le quatrième alinéa du même paragraphe I, dans cette même rédaction, prévoit : « Si dans le cadre de ses missions mentionnées à l'article L. 328-2, Paris La Défense intervient sur le territoire de la commune de La Garenne-Colombes, un représentant de la commune assiste au conseil d'administration avec voix consultative à chaque fois que des décisions relatives à cette intervention lui sont soumises ».

    3. Le requérant soutient que les dispositions du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 méconnaîtraient les articles 34 et 72 de la Constitution, faute de définir exactement le nombre de sièges attribués à chacun des membres du conseil d'administration de l'établissement public Paris La Défense. Il soutient, ensuite, que, en n'accordant pas aux collectivités territoriales et au groupement représentés au sein de ce conseil d'administration le même nombre de représentants ou les mêmes droits de vote, notamment au bénéfice du département des Hauts-de-Seine et au détriment de la commune de La Garenne-Colombes, ces dispositions instaureraient une différence de traitement injustifiée entre eux, contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Il en résulterait également une violation du principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre, dans la mesure où le département des Hauts-de-Seine, majoritaire en voix, pourrait imposer ses décisions aux autres collectivités territoriales et au groupement représentés au sein du conseil d'administration de l'établissement public.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme et sur les mots « avec voix consultative » figurant au quatrième alinéa du même paragraphe.

    - Sur les griefs tirés de la méconnaissance par le législateur des articles 34 et 72 de la Constitution et du principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre :

    1. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe également les règles concernant ... la création de catégories d'établissements publics ... - La loi détermine les principes fondamentaux ... de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ... ». L'article 72 dispose que les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus « dans les conditions prévues par la loi ». Aux termes du cinquième alinéa de cet article : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ».

    2. L'article L. 328-1 du code de l'urbanisme instaure un établissement public industriel et commercial dénommé « Paris La Défense », compétent, au titre des articles L. 328-2 et L. 328-3 du même code, pour réaliser certaines opérations d'aménagement ou de gestion dans la limite des territoires couverts par les opérations d'intérêt national du quartier d'affaires de La Défense, de Nanterre et de La Garenne-Colombes mentionnées, respectivement, au 2° et au 6° de l'article R. 102-3 du même code.

    3. En premier lieu, les dispositions contestées du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme déterminent les collectivités territoriales et groupements qui sont représentés au conseil d'administration de l'établissement public. Il s'agit, en vertu du premier alinéa de ce paragraphe I, du département des Hauts-de-Seine, des communes de Courbevoie, Nanterre, Paris et Puteaux, ainsi que de la région Île-de-France et de la métropole du Grand Paris. Le quatrième alinéa du même paragraphe I y ajoute la commune de La Garenne-Colombes. Ces mêmes dispositions du paragraphe I précisent, d'une part, que le département des Hauts-de-Seine dispose au sein de ce conseil d'administration d'une représentation majoritaire et, d'autre part, que le représentant de la commune de La Garenne-Colombes n'assiste au conseil d'administration qu'avec une voix consultative et pour les seules décisions portant sur une intervention relative à son territoire. En vertu du paragraphe II du même article, seules les collectivités territoriales et le groupement mentionnés au paragraphe I peuvent disposer d'un droit de vote au sein de ce conseil d'administration, à la condition de signer une convention relative à leur contribution aux dépenses de l'établissement, dans les conditions prévues à l'article L. 328-10. Cette convention détermine alors la majoration de leurs droits de vote.

    4. En déterminant ainsi, à la fois, les collectivités territoriales et leurs groupements représentés au sein du conseil d'administration de l'établissement public ainsi que les principes régissant l'attribution des droits de vote à leurs représentants, le législateur a suffisamment précisé sur ce point les règles constitutives de l'établissement public qu'il a instauré. Il lui était ainsi loisible de renvoyer au pouvoir réglementaire la détermination du nombre de ces représentants.

    5. En second lieu, la compétence en matière d'aménagement urbain ou de gestion de certains aménagements relatifs aux opérations d'intérêt national mentionnées ci-dessus ayant été transférée, en vertu des articles L. 328-2 et L. 328-3, à l'établissement public Paris La Défense, le grief tiré de ce qu'il résulterait de la majorité délibérative conférée au département des Hauts-de-Seine au sein du conseil d'administration de cet établissement une méconnaissance du principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre est inopérant.

    6. Il résulte de tout ce qui précède que doivent être écartés les griefs tirés de la méconnaissance des articles 34 et 72 de la Constitution et du principe d'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.

    - Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :

    . En ce qui concerne le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. D'une part, l'attribution au département des Hauts-de-Seine d'une majorité de droits de vote au sein du conseil d'administration de l'établissement public Paris La Défense tient compte du fait que le périmètre des deux opérations d'intérêt national sur lesquelles s'exerce la compétence de cet établissement, qui recouvre le territoire de plusieurs des collectivités qui y sont représentées, est en totalité situé à l'intérieur de ce département.

    3. D'autre part, la majoration des droits de vote éventuellement accordée aux représentants des collectivités territoriales et du groupement mentionnés au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme est fixée par la convention prévue à l'article L. 328-10 pour déterminer leur contribution aux dépenses de l'établissement public. Dans ce cadre, le département des Hauts-de-Seine ne peut conserver la majorité des droits de vote qu'à la condition de contribuer majoritairement aux dépenses de l'établissement public.

    4. Enfin, en l'absence d'une telle convention ou de sa notification au ministre chargé de l'urbanisme, le département des Hauts-de-Seine conserve une majorité de droits de vote. Toutefois, il est alors soumis, en vertu du paragraphe II de l'article L. 328-10, à une contribution obligatoire aux dépenses de l'établissement public, déterminée selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, dont le montant rend compte du rôle qui lui est conféré au sein de cet établissement public.

    5. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement établie entre le département des Hauts-de-Seine et les autres collectivités territoriales représentées au sein du conseil d'administration de l'établissement public Paris La Défense est ainsi justifiée par une différence de situation. Elle est également en rapport avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

    . En ce qui concerne les mots « avec voix consultative » figurant au quatrième alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme :

    1. À la différence des autres collectivités territoriales et du groupement représentés au sein du conseil d'administration de l'établissement public Paris La Défense, mentionnés au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code l'urbanisme, qui disposent tous de voix délibératives au sein de ce conseil d'administration, la commune de La Garenne-Colombes n'y dispose, en vertu du quatrième alinéa du même paragraphe I, que d'une voix consultative.

    2. Toutefois, d'une part, elle n'est pas tenue à la contribution aux dépenses de l'établissement public déterminée, pour les autres collectivités territoriales et leurs groupements, dans le cadre de la convention prévue à L. 328-10. D'autre part, en vertu du premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 328-8, la collectivité ou le groupement qui refuse de signer cette convention perd le bénéfice de sa voix délibérative et se trouve alors placé dans la même situation que la commune de La Garenne-Colombes. Enfin, le dernier alinéa de ce paragraphe II prévoit, en l'absence de signature de la convention ou de sa notification au ministre chargé de l'urbanisme, que chaque collectivité territoriale ou groupement mentionné au premier alinéa du paragraphe I se voit attribuer une voix délibérative pour chacun de ses représentants. Cependant, cette attribution, qui maintient dans une telle hypothèse la différence de traitement entre la commune de La Garenne-Colombes et certaines autres communes, reste alors justifiée par la moindre emprise sur son territoire des opérations d'intérêt national en cause.

    3. Dès lors, la différence de traitement instaurée entre la commune de La Garenne-Colombes et les collectivités ou leurs groupements mentionnés au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme est justifiée par une différence de situation. Cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.

    4. Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme et les mots « avec voix consultative » figurant au quatrième alinéa du même paragraphe, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant les charges publiques ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le premier alinéa et les mots « avec voix consultative » figurant au quatrième alinéa du paragraphe I de l'article L. 328-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-1754 du 25 décembre 2017 ratifiant l'ordonnance n° 2017-717 du 3 mai 2017 portant création de l'établissement public Paris La Défense, sont conformes à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 5 OCTOBRE 2018

    Décision n° 2018-737 QPC du 5 octobre 2018

    M. Jaime Rodrigo F. [Transmission de la nationalité française aux enfants légitimes nés à l'étranger d'un parent français]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 juillet 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 830 du 4 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jaime Rodrigo F. par Me Vincent Lassalle-Byhet, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-737 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des 1° et 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • la loi du 10 août 1927 sur la nationalité ;

    • l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 31 juillet et 16 août 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le 1° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 mentionnée ci-dessus prévoit qu'est Français :« Tout enfant légitime né d'un Français en France ou à l'étranger ; ».

    2. Le 3° du même article 1er prévoit qu'est Français :« Tout enfant légitime né en France d'une mère française ; ».

    3. Le requérant reproche à ces dispositions de réserver au père français la transmission de la nationalité française à son enfant légitime né à l'étranger et, corrélativement, de priver l'enfant légitime né à l'étranger d'une mère française du bénéfice d'une telle transmission. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité entre les sexes.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « en France » figurant au 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927.

    - Sur le fond :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».

    3. Les dispositions contestées subordonnent l'attribution de la nationalité française à l'enfant légitime d'une mère française et d'un père étranger à la condition qu'il soit né en France. Au contraire, en application du 1° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927, l'enfant légitime né d'un père français est français quel que soit son lieu de naissance. Ainsi, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement entre enfants légitimes nés à l'étranger d'un seul parent français, selon qu'il s'agit de leur mère ou de leur père, ainsi qu'une différence de traitement entre les pères et mères.

    4. En prévoyant l'attribution par filiation maternelle de la nationalité française, les dispositions du 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 poursuivaient un objectif démographique d'élargissement de l'accès à la nationalité française. Le législateur a toutefois assorti cette mesure de la condition contestée, laquelle en restreint le bénéfice aux seuls enfants nés en France. Les motifs alors invoqués à l'appui de cette condition reposaient, d'une part, sur l'application des règles relatives à la conscription et, d'autre part, sur le souci d'éviter d'éventuels conflits de nationalité.

    5. Toutefois, aucun de ces motifs n'est de nature à justifier les différences de traitement contestées. Dès lors, les dispositions contestées méconnaissent les exigences résultant de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

    6. Les mots « en France » figurant au 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.

    - Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

    2. D'une part, l'article 1er de la loi du 10 août 1927 a été abrogé par l'article 2 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 mentionnée ci-dessus. À compter de son entrée en vigueur, le 22 octobre 1945, la nationalité française a été transmise aux enfants légitimes par filiation maternelle quel que soit leur lieu de naissance, y compris ceux nés avant cette ordonnance et encore mineurs à la date de son entrée en vigueur. D'autre part, la remise en cause des situations juridiques résultant de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait des conséquences manifestement excessives si cette inconstitutionnalité pouvait être invoquée par tous les descendants des personnes nées à l'étranger de mère française n'ayant pas obtenu la nationalité française du fait de ces dispositions, qui, dans la mesure où elles étaient applicables aux personnes mineures lors de leur entrée en vigueur, ont produit leurs effets à l'égard des enfants nés entre le 16 août 1906 et le 21 octobre 1924.

    3. Par conséquent, il y a lieu de prévoir que la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « en France » figurant au 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 prend effet à compter de la publication de la présente décision. Elle peut être invoquée par les seules personnes nées à l'étranger d'une mère française entre le 16 août 1906 et le 21 octobre 1924 à qui la nationalité française n'a pas été transmise du fait de ces dispositions. Leurs descendants peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant que, compte tenu de cette inconstitutionnalité, ces personnes ont la nationalité française. Cette déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement à cette date.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Les mots « en France » figurant au 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité française sont contraires à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-736 QPC du 5 octobre 2018

    Société CSF [Sanction du défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents pour l'établissement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1135 du 5 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société CSF par Me Alain Recoules, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-736 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de la sécurité sociale ;

    • la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour la société requérante par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 30 juillet et 13 août 2018 ;

    • les observations présentées pour la caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, partie en défense, par la SCP Delvolvé - Trichet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 juillet 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juillet 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Olivier Texidor, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Antoine Delvolvé, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 septembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le paragraphe II de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 décembre 2010 mentionnée ci-dessus, institue une procédure de demande de renseignements pouvant être mise en œuvre par l'organisme chargé du recouvrement de la contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés. Le paragraphe III de ce même article prévoit : « En cas de défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents ou à la mise en demeure mentionnée au II ou en cas de réponse insuffisante à la mise en demeure, il est appliqué une majoration dans la limite de 5 % du montant des sommes dues par le redevable ».

    2. La société requérante soutient que l'assiette de la sanction instituée par ces dispositions serait sans rapport avec le manquement réprimé dès lors qu'elle est encourue pour une simple réponse tardive et y compris lorsque le contrôle ne donne pas lieu à des rappels de contribution. Il en résulterait, s'agissant d'une sanction proportionnelle non plafonnée, une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.

    3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

    4. Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les sociétés assujetties à la contribution sociale de solidarité sont tenues, dans un délai de soixante jours, de fournir à l'organisme chargé de son recouvrement les renseignements et documents nécessaires à la détermination de son assiette et de son montant. En cas de réponse insuffisante, cet organisme les met en demeure de compléter leur réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse attendus.

    5. Les dispositions contestées sanctionnent d'une majoration, dans la limite de 5 % du montant total de la contribution due au titre de l'année, le défaut de réponse à la demande de renseignements et de documents ou à la mise en demeure, ainsi que la réponse insuffisante à cette dernière.

    6. En premier lieu, les obligations dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée ont trait à la délivrance de renseignements et documents nécessaires à l'établissement de la contribution. En réprimant la méconnaissance de telles obligations, le législateur a entendu renforcer la procédure de contrôle sur pièces de cette contribution. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

    7. En second lieu, d'une part, en punissant d'une majoration de la contribution due au titre de l'année le manquement à des obligations destinées à assurer l'établissement de cette contribution, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. D'autre part, en retenant un taux de 5 %, qui ne constitue qu'un taux maximal pouvant être modulé, sous le contrôle du juge, par l'organisme chargé du recouvrement, le législateur a retenu une sanction qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction.

    8. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté. Le paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le paragraphe III de l'article L. 651-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011, est conforme à la Constitution.
    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-738 QPC du 11 octobre 2018

    M. Pascal D. [Absence de prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 juillet 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 864 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Pascal D. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-738 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 22, 23 et 24 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

    • la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 1er et 16 août 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 août 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour M. Yann S. par la SCP David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 août 2018 ;

    • la lettre du 8 octobre 2018 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;

    • les observations en réponse présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 9 octobre 2018 ;

    • les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Jérôme Hercé, avocat au barreau de Rouen, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles 22, 23 et 24 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus, dans leur rédaction résultant de la loi du 11 février 2004 mentionnée ci-dessus.

    2. L'article 22 de la loi du 31 décembre 1971, dans cette rédaction, prévoit :
      « Un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis.
      « Toutefois, le Conseil de l'ordre du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline connaît des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits.
      « L'instance disciplinaire compétente en application des alinéas qui précèdent connaît également des infractions et fautes commises par un ancien avocat, dès lors qu'à l'époque des faits il était inscrit au tableau ou sur la liste des avocats honoraires de l'un des barreaux établis dans le ressort de l'instance disciplinaire ».

    3. L'article 23 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « L'instance disciplinaire compétente en application de l'article 22 est saisie par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle elle est instituée ou le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause.
      « Ne peut siéger au sein de la formation de jugement l'ancien bâtonnier qui, au titre de ses fonctions antérieures, a engagé la poursuite disciplinaire.
      « L'instance disciplinaire statue par décision motivée, après instruction contradictoire. Le conseil de l'ordre dont relève l'avocat poursuivi désigne l'un de ses membres pour procéder à l'instruction contradictoire de l'affaire. Ce dernier, s'il est membre titulaire ou suppléant de l'instance disciplinaire, ne peut siéger au sein de la formation de jugement réunie pour la même affaire.
      « Sa décision peut être déférée à la cour d'appel par l'avocat intéressé, le bâtonnier dont il relève ou le procureur général ».

    4. L'article 24 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Lorsque l'urgence ou la protection du public l'exigent, le conseil de l'ordre peut, à la demande du procureur général ou du bâtonnier, suspendre provisoirement de ses fonctions l'avocat qui en relève lorsque ce dernier fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire. Cette mesure ne peut excéder une durée de quatre mois, renouvelable.
      « Les membres du conseil de l'ordre, membres titulaires ou suppléants du conseil de discipline ou de la formation disciplinaire visée à l'article 22-2, ne peuvent siéger au sein du conseil de l'ordre ou de la formation disciplinaire susvisée lorsqu'ils se prononcent en application du présent article.
      « Le conseil de l'ordre peut, dans les mêmes conditions, ou à la requête de l'intéressé, mettre fin à cette suspension, hors le cas où la mesure a été ordonnée par la cour d'appel qui demeure compétente.
      « La suspension provisoire cesse de plein droit dès que les actions pénale et disciplinaire sont éteintes.
      « Les décisions prises en application du présent article peuvent être déférées à la cour d'appel par l'avocat intéressé, le bâtonnier dont il relève ou le procureur général ».

    5. Le requérant reproche aux dispositions contestées de ne pas enfermer dans un délai de prescription l'action disciplinaire susceptible d'être engagée à l'encontre d'un avocat. Il en résulterait une rupture d'égalité inconstitutionnelle avec les autres professions judiciaires ou juridiques réglementées pour lesquelles la loi prévoit un tel délai. Le requérant fait en outre valoir, avec l'intervenant, que cette absence de tout délai de prescription en matière disciplinaire porterait également atteinte aux droits de la défense ainsi qu'à la sécurité juridique et au droit à la sûreté.

    6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971.

    7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    8. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte que doit être assuré le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.

    9. En vertu du premier alinéa de l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971, un avocat ayant manqué à ses devoirs peut être poursuivi devant le conseil de discipline dont il relève par son bâtonnier ou le procureur général près la cour d'appel. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative n'enferment dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire.

    10. En premier lieu, d'une part, la faculté reconnue au procureur général ou au bâtonnier, par les dispositions contestées, de poursuivre un avocat devant le conseil de discipline, quel que soit le temps écoulé depuis la commission de la faute ou sa découverte ne méconnaît pas, en elle-même, les droits de la défense. Le grief tiré de leur méconnaissance doit être écarté.

    11. D'autre part, si les exigences constitutionnelles qui découlent de l'article 8 de la Déclaration de 1789, impliquent que le temps écoulé entre la faute et la condamnation puisse être pris en compte dans la détermination de la sanction, aucun droit ou liberté que la Constitution garantit n'impose que les poursuites disciplinaires soient nécessairement soumises à une règle de prescription, qu'il est loisible au législateur d'instaurer.

    12. En deuxième lieu, la profession d'avocat n'est pas placée, au regard du droit disciplinaire, dans la même situation que les autres professions juridiques ou judiciaires réglementées. Dès lors, la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées entre les avocats et les membres des professions judiciaires ou juridiques réglementées dont le régime disciplinaire est soumis à des règles de prescription repose sur une différence de situation. En outre, elle est en rapport avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

    13. Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa de l'article 23 de la loi du 31 décembre 1971, qui ne méconnaît pas non plus les autres exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ou le droit à la sûreté, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, est conforme à la Constitution.
    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-739 QPC du 12 octobre 2018

    Société Dom Com Invest [Sanction de la délivrance irrégulière de documents permettant à un tiers d'obtenir un avantage fiscal]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 419874 du 11 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Dom Com Invest par Me Michaël Taïeb, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-739 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1740 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code général des impôts ;

    • la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour la société requérante par Me Taïeb, enregistrées le 1er août 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 août 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Taïeb, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. L'article 1740 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit :
      « La délivrance irrégulière de documents, tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations, permettant à un contribuable d'obtenir une déduction du revenu ou du bénéfice imposables, un crédit d'impôt ou une réduction d'impôt, entraîne l'application d'une amende égale à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut d'une telle mention, d'une amende égale au montant de la déduction, du crédit ou de la réduction d'impôt indûment obtenu.
      « L'amende prévue au premier alinéa s'applique également en cas de délivrance irrégulière de l'attestation mentionnée à la seconde phrase du 2° du g du 1 de l'article 200 et à la seconde phrase du 2° du g du 1 de l'article 238 bis ».

    2. La société requérante soutient que l'amende instaurée par ces dispositions porterait atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines dès lors qu'il n'existerait pas de lien direct entre le manquement sanctionné et l'assiette de l'amende. Ces principes seraient également méconnus dès lors que l'amende est infligée indépendamment de la bonne foi de l'émetteur du document permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu.

    3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts.

    - Sur le fond :

    1. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

    2. Les dispositions contestées sanctionnent la délivrance irrégulière de documents permettant à un contribuable d'obtenir une déduction du revenu ou du bénéfice imposable, un crédit ou une réduction d'impôt. Le montant de cette amende correspond à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut d'une telle mention, au montant de l'avantage fiscal indûment obtenu par un tiers. L'amende est appliquée sans considération de la bonne foi de l'auteur du manquement sanctionné.

    3. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre la délivrance abusive ou frauduleuse d'attestations ouvrant droit à un avantage fiscal. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

    4. Toutefois, en sanctionnant d'une amende d'un montant égal à l'avantage fiscal indûment obtenu par un tiers ou à 25 % des sommes indûment mentionnées sur le document sans que soit établi le caractère intentionnel du manquement réprimé, le législateur a institué une amende revêtant un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de ce manquement.

    5. Par conséquent, le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts, qui méconnaît le principe de proportionnalité des peines, doit être déclaré contraire à la Constitution, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief.

    - Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

    2. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver de fondement la sanction de la délivrance irrégulière de documents permettant à un tiers d'obtenir indûment un avantage fiscal, même dans le cas où le caractère intentionnel du manquement sanctionné serait établi. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2019 la date de l'abrogation des dispositions contestées.

    3. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que l'amende instituée par le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts s'applique uniquement aux personnes qui ont sciemment délivré des documents permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, est contraire à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 10 et 11 de cette décision.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 19 OCTOBRE 2018

    Décision n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018

    Mme Simone P. et autre [Modification des documents d'un lotissement]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 juillet 2018 par le Conseil d'État (décision n° 421151 du 18 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Simone P. et M. Olivier P. par Me Alexandre Zago, avocat au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-740 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de l'urbanisme ;

    • la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;

    • le décret n° 77-860 du 26 juillet 1977 modifiant le code de l'urbanisme et relatif aux lotissements ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour les requérants par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 24 août 2018 ;

    • les observations présentées pour la commune d'Antibes, partie en défense, par la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 août 2018 ;

    • les observations présentées pour les sociétés Beval et Claire Fontaine, parties intervenantes devant le Conseil d'État, par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament-Robillot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 août 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 août 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour la société Marineland, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 3 et 27 août 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me François Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Denis Garreau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me Pierre Robillot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes devant le Conseil d'État, Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. L'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l'acceptent, l'autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé. Cette modification doit être compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable.
      « Le premier alinéa ne concerne pas l'affectation des parties communes des lotissements.
      « Jusqu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'achèvement du lotissement, la modification mentionnée au premier alinéa ne peut être prononcée qu'en l'absence d'opposition du lotisseur si celui-ci possède au moins un lot constructible ».

    2. Les requérants reprochent à ces dispositions de permettre à l'administration, avec l'accord seulement d'une majorité de propriétaires, de remettre en cause le cahier des charges d'un lotissement, sans que cette faculté soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ni entourée de garanties protectrices des droits des propriétaires minoritaires. Il en résulterait une violation du droit de propriété et du droit au maintien des conventions légalement conclues, ainsi qu'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter ces deux droits.

    3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme.

    4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

    5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.

    6. Le cahier des charges d'un lotissement a vocation à définir les droits et obligations régissant les rapports entre propriétaires colotis ainsi que les règles de gestion des parties communes du lotissement. L'article L. 442-10 du code de l'urbanisme institue une procédure de modification, d'une part, des cahiers des charges ayant fait l'objet d'une approbation par l'autorité administrative et, d'autre part, des clauses « de nature réglementaire » des cahiers des charges qui, en application du décret du 26 juillet 1977 mentionné ci-dessus, ne sont désormais plus soumis à une telle approbation. Cette modification est prononcée, à la demande ou après l'acceptation d'une majorité qualifiée de colotis, par l'autorité administrative compétente pour statuer sur les demandes de permis d'aménager.

    7. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faciliter l'évolution, dans le respect de la politique publique d'urbanisme, des règles propres aux lotissements contenues dans leurs cahiers des charges. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

    8. En deuxième lieu, en application du deuxième alinéa de l'article L. 442-10, la modification permise par les dispositions contestées ne peut concerner l'affectation des parties communes du lotissement. En outre, compte tenu de leur objet, ces dispositions autorisent uniquement la modification des clauses des cahiers des charges, approuvés ou non, qui contiennent des règles d'urbanisme. Elles ne permettent donc pas de modifier des clauses étrangères à cet objet, intéressant les seuls colotis.

    9. En troisième lieu, la modification est subordonnée au recueil de l'accord soit de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie du lotissement soit des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie. En outre, il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que la modification envisagée doit être précédée d'une information suffisamment précise des colotis intéressés.

    10. En dernier lieu, l'autorité administrative ne peut prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d'intérêt général en lien avec la politique publique d'urbanisme.

    11. Toutefois, cette modification du cahier des charges ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au droit au maintien des conventions légalement conclues, aggraver les contraintes pesant sur les colotis sans que cette aggravation soit commandée par le respect des documents d'urbanisme en vigueur.

    12. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées ne portent pas aux conditions d'exercice du droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi et qu'elles ne méconnaissent pas non plus le droit au maintien des conventions légalement conclues. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.

    13. Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, qui ne méconnaissent pas l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, sont conformes à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 octobre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-741 QPC du 19 octobre 2018

    M. Belkacem B. [Délai de recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er août 2018 par le Conseil d'État (décision n° 409630 du 18 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Belkacem B. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-741 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du dernier alinéa de l'article L. 533-1 du même code et des mots « et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » figurant à l'article L. 776-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

    • le code de justice administrative ;

    • la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 23 août 2018 ;

    • les observations présentées pour les associations Section française de l'observatoire international des prisons, Cimade et Gisti, parties intervenantes devant le Conseil d'État, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 23 août 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23 août 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour l'association Soutien Ô Sans-papiers par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 23 août 2018 ;

    • les observations complémentaires présentées par le Premier ministre à la demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l'instruction, enregistrées le 16 octobre 2018 ;

    • les observations complémentaires présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau à la demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l'instruction, enregistrées le 16 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant et les parties intervenantes devant le Conseil d'État, Me Cécile Madeline, avocat au barreau de Rouen, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT:

    1. Le paragraphe II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 16 juin 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit : « L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant.
      « Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus au I.
      « Toutefois, si l'étranger est placé en rétention en application de l'article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article ».

    2. L'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la même loi, détermine les cas dans lesquels un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut être pris à l'encontre d'un étranger. Son dernier alinéa prévoit : « Les articles L. 511-4, L. 512-1 à L. 512-3, le premier alinéa de l'article L. 512-4, le premier alinéa du I de l'article L. 513-1 et les articles L. 513-2, L. 513-3, L. 514-1, L. 514-2 et L. 561-1 du présent code sont applicables aux mesures prises en application du présent article ».

    3. L'article L. 776-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant de la même loi, prévoit :« Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les obligations de quitter le territoire français, les décisions relatives au séjour qu'elles accompagnent, les interdictions de retour sur le territoire français et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile obéissent, sous réserve des articles L. 514-1, L. 514-2 et L. 532-1 du même code, aux règles définies par les articles L. 512-1, L. 512-3 et L. 512-4 dudit code ».

    4. Le requérant et les parties intervenantes soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent les exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon eux, le délai de quarante-huit heures imparti à un étranger pour exercer son recours à l'encontre d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière est trop court pour garantir le caractère effectif du recours, en particulier lorsque l'étranger est détenu. En outre, en méconnaissance de sa compétence et du droit au recours juridictionnel effectif, le législateur n'aurait pas prévu de garanties suffisantes de nature à assurer à l'étranger en détention un accès effectif à un interprète et à un avocat dans ce délai.

    5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « L. 512-1 » figurant à l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur les mots « et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » figurant à l'article L. 776-1 du code de justice administrative.

    6. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

    7. Le paragraphe II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut demander l'annulation de cette obligation dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification. Il résulte de ce paragraphe, combiné avec les paragraphes I et III de ce même article, que le juge administratif statue alors sur ce recours dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Si l'intéressé est placé en rétention ou assigné à résidence, ce délai est de soixante-douze heures.

    8. Le dernier alinéa de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 776-1 du code de justice administrative rendent ces délais applicables au recours formé par un étranger contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Le délai de recours de quarante-huit heures précité est donc applicable à l'étranger faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, y compris s'il est détenu.

    9. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l'exécution des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et éviter la prolongation des mesures de rétention ou d'assignation à résidence imposées, le cas échéant, à l'étranger, afin de garantir la mise en œuvre de l'arrêté.

    10. En premier lieu, en application des dispositions contestées, l'étranger faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière ne dispose que d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification pour former son recours.

    11. Toutefois, d'une part, l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impose que, dès la notification de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, qui doit intervenir par voie administrative, l'étranger soit mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. Le même article prévoit également que l'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées. Il précise enfin que ces éléments lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. Il résulte de ces dispositions que l'étranger doit se voir informer, dès la notification de la mesure d'éloignement, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de son droit d'obtenir l'assistance d'un interprète et d'un conseil. Il appartient à l'administration, en particulier lorsque l'étranger est détenu ou placé en rétention, d'assurer l'effectivité de l'ensemble des garanties précitées.

    12. D'autre part, l'étranger peut, à l'appréciation du juge et pendant le délai accordé à ce dernier pour statuer, présenter tous éléments à l'appui de sa requête.

    13. Dès lors, le délai de quarante-huit heures contesté ne méconnaît pas, en lui-même, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, le droit à un recours juridictionnel effectif.

    14. En second lieu, d'une part, en vertu des dispositions contestées, le juge statue sur les recours formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière dans un délai de trois mois, y compris lorsque l'étranger est détenu. En enserrant dans un délai maximal de deux jours et trois mois le temps global imparti à l'étranger afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, le législateur a opéré, compte tenu des garanties énoncées précédemment, une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi.

    15. D'autre part, en vertu des dispositions contestées, le juge statue sur les recours formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière dans un délai de soixante-douze heures lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. Ces mesures sont susceptibles de se prolonger tant que l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière n'est pas exécuté. En enserrant dans un délai maximal de cinq jours le temps global imparti à l'étranger afin de former son recours et au juge afin de statuer sur celui-ci, le législateur a ainsi entendu, non seulement assurer l'exécution des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, mais aussi ne pas prolonger les mesures privatives ou restrictives de liberté précitées. Dès lors, compte tenu des garanties énoncées précédemment, le législateur a également opéré une conciliation équilibrée entre le droit à un recours juridictionnel effectif et l'objectif poursuivi.

    16. Le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté.

    17. La référence « L. 512-1 » figurant au dernier alinéa de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les mots « et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » figurant à l'article L. 776-1 du code de justice administrative, qui ne sont pas entachés d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - La référence « L. 512-1 » figurant au dernier alinéa de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les mots « et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » figurant à l'article L. 776-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, sont conformes à la Constitution.
    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 octobre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 26 OCTOBRE 2018

    Décision n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018

    M. Husamettin M. [Période de sûreté de plein droit]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2087 du 4 septembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Husamettin M. par Me Philippe Bonfils, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-742 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code pénal ;

    • la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par Me Bonfils, enregistrées le 3 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 septembre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Bonfils, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 décembre 2005 mentionnée ci-dessus.

    2. Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal, dans cette rédaction, prévoient :« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle.
      « La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées ».

    3. Le requérant soutient que les dispositions contestées, en ce qu'elles prévoient l'application automatique d'une période de sûreté en cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté d'une durée au moins égale à dix ans pour les infractions spécialement prévues par la loi, porteraient atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal.

    5. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions.

    6. Les dispositions contestées instaurent, pour certaines infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté attachée de plein droit à la condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans. Pendant toute la durée de la période de sûreté, la personne condamnée ne peut bénéficier d'une suspension ou d'un fractionnement de sa peine, d'un placement à l'extérieur, de permissions de sortir, d'une mesure de semi-liberté et d'une mesure de libération conditionnelle.

    7. Cette période de sûreté s'applique, lorsque les conditions légales en sont réunies, sans que le juge ait à la prononcer expressément.

    8. Toutefois, en premier lieu, la période de sûreté ne constitue pas une peine s'ajoutant à la peine principale, mais une mesure d'exécution de cette dernière, laquelle est expressément prononcée par le juge.

    9. En deuxième lieu, la période de sûreté ne s'applique de plein droit que si le juge a prononcé une peine privative de liberté, non assortie de sursis, supérieure ou égale à dix ans. Sa durée est alors calculée, en vertu du deuxième alinéa de l'article 132-23, en fonction du quantum de peine retenu par le juge. Ainsi, même lorsque la période de sûreté s'applique sans être expressément prononcée, elle présente un lien étroit avec la peine et l'appréciation par le juge des circonstances propres à l'espèce.

    10. En dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l'article 132-23 du code pénal, la juridiction de jugement peut, par décision spéciale, faire varier la durée de la période de sûreté dont la peine prononcée est assortie, en fonction des circonstances de l'espèce. En l'absence de décision spéciale, elle peut avertir la personne condamnée des modalités d'exécution de sa peine.

    11. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines doit être écarté. Le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal qui ne méconnaît par ailleurs ni le principe de nécessité des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, est conforme à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018

    Société Brimo de Laroussilhe [Inaliénabilité et imprescriptibilité des biens du domaine public]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 septembre 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 904 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Brimo de Laroussilhe par Me Alain Bénabent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-743 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code civil ;

    • le code général de la propriété des personnes publiques ;

    • l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour la société requérante par Me Bénabent, enregistrées le 25 septembre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 27 septembre et 12 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Bénabent, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. L'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 21 avril 2006 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

    2. La société requérante reproche à ces dispositions de ne pas prévoir de dérogation aux principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public en faveur des acquéreurs de bonne foi de biens mobiliers appartenant à ce domaine. En exposant ainsi ces acquéreurs, à tout moment, à une action en revendication de ces biens par les personnes publiques, ces dispositions menaceraient la « sécurité des transactions ». Il en résulterait une méconnaissance, d'une part, du droit à la protection des situations légalement acquises et à la préservation des effets pouvant légitimement être attendus de telles situations et, d'autre part, du droit au maintien des conventions légalement conclues.

    3. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

    4. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. De même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif.

    5. Les dispositions contestées prévoient l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité des biens, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant au domaine public de l'État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, et des établissements publics. En application de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, le domaine public immobilier est constitué des biens appartenant aux personnes précitées qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. Aux termes de l'article L. 2112-1 du même code, font partie du domaine public mobilier des mêmes personnes propriétaires les biens « présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique ». Afin d'assurer la protection du domaine public mobilier, les dispositions contestées dérogent à l'article 2276 du code civil relatif à la propriété des biens meubles relevant du droit commun, aux termes duquel « En fait de meubles, la possession vaut titre. - Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient ».

    6. L'inaliénabilité prévue par les dispositions contestées a pour conséquence d'interdire de se défaire d'un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit. L'imprescriptibilité fait obstacle, en outre, à ce qu'une personne publique puisse être dépossédée d'un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers.

    7. Il résulte de ce qui précède, d'une part, qu'aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et, d'autre part, qu'un tel bien ne peut faire l'objet d'une prescription acquisitive en application de l'article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à des situations légalement acquises, ni ne remettent en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus de telles situations. Elles ne portent pas davantage atteinte aux conventions légalement conclues. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.

    8. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - L'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, est conforme à la Constitution.
    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-744 QPC du 16 novembre 2018

    Mme Murielle Bolt. [Régime de la garde à vue des mineurs]

    Dans l'affaire "Gregory", Murielle Bolt a été contrainte de dire, lors de sa garde à vue subie à l'âge de 15 ans, que Bernard Laroche était le prétendu coupable de l'enlèvement et de la mort du jeune Grégory Villemin. Le jeune garçon a été retrouvé mort dans la Vologne, le 16 octobre 1984. Le Conseil Constitutionnel déclare sa garde à vue inconstitutionnel :

    Cependant, d'une part, l'état du droit alors en vigueur ne prévoyait aucune autre garantie légale afin d'assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non. D'autre part, aucune disposition législative ne prévoyait un âge en dessous duquel un mineur ne peut être placé en garde à vue.

    Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées permettaient que tout mineur soit placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable avec comme seul droit celui d'obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure. Dès lors, d'une part, le législateur, qui n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, a alors méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789. D'autre part, il a alors contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2090 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Murielle B. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-744 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1er, 5, 7, 8, 9 et 10 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante « dans leur rédaction en vigueur en 1984, à l'époque des faits ».

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de procédure pénale ;

    • l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;

    • la loi n° 51-687 du 24 mai 1951 portant modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;

    • la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 28 septembre et 17 octobre 2018 ;

    • les observations présentées pour M. Jean-Marie V. et Mme Christine B. épouse V., parties en défense, par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23 octobre 2018 ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 29 octobre 2018 ;

    • la note en délibéré présentée pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrée le 31 octobre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles 1er, 5, 7, 8 et 9 de l'ordonnance du 2 février 1945 mentionnée ci-dessus, dans leur rédaction résultant de la loi du 5 juillet 1974 mentionnée ci-dessus, et de l'article 10 de la même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mai 1951 mentionnée ci-dessus.

    2. L'article 1er de l'ordonnance du 2 février 1945, dans cette rédaction, prévoit :
      « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d'assises des mineurs.
      « Ceux auxquels est imputée une contravention de police de cinquième classe sont déférés aux juridictions pour enfants dans les conditions prévues à l'article 20-1 ».

    3. L'article 5 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans cette même rédaction, prévoit :
      « Aucune poursuite ne pourra être exercée en matière de crime contre les mineurs sans information préalable.
      « En cas de délit, le procureur de la République en saisira soit le juge d'instruction, soit par voie de requête le juge des enfants et, à Paris, le président du tribunal pour enfants.
      « En aucun cas, il ne pourra être suivi contre le mineur par la procédure de flagrant délit ou par voie de citation directe ».

    4. L'article 7 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans cette même rédaction, prévoit :
      « Le procureur de la République près le tribunal du siège du tribunal pour enfants est chargé de la poursuite des crimes et délits commis par des mineurs.
      « Toutefois, le procureur de la République, compétent en vertu des articles 43 et 696 du code de procédure pénale, et le juge d'instruction par lui requis ou agissant d'office conformément aux dispositions de l'article 72 du même code, procéderont à tous actes urgents de poursuite et d'information, à charge par eux d'en donner immédiatement avis au procureur de la République du siège du tribunal pour enfants et de se dessaisir de la poursuite dans le plus bref délai.
      « Lorsque le mineur est impliqué dans la même cause qu'un ou plusieurs majeurs, il sera procédé conformément aux dispositions de l'alinéa qui précède aux actes urgents de poursuite et d'information. Si le procureur de la République poursuit des majeurs en flagrant délit ou par voie de citation directe, il constituera un dossier spécial concernant le mineur et le transmettra au procureur de République près le tribunal du siège du tribunal pour enfants. Si une information a été ouverte, le juge d'instruction se dessaisira dans le plus bref délai à l'égard tant du mineur que des inculpés majeurs au profit du juge d'instruction du siège du tribunal pour enfants ».

    5. L'article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans cette même rédaction, prévoit :
      « Le juge des enfants effectuera toutes les diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que les moyens appropriés à sa rééducation.
      À cet effet il procédera à une enquête, soit par voie officieuse, soit dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale. Dans ce dernier, cas il ne sera pas tenu d'observer les dispositions des articles 114, 116 (alinéa 1er) et 118 dudit code.
      « Il pourra décerner tous mandats utiles ou prescrire le contrôle judiciaire en se conformant aux règles du droit commun, sous réserve des dispositions de l'article 11.
      « Il recueillera, par une enquête sociale, des renseignements sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents du mineur, sur sa fréquentation scolaire, son attitude à l'école, sur les conditions dans lesquelles il a vécu ou a été élevé.
      « Le juge des enfants ordonnera un examen médical et, s'il y a lieu un examen médico-psychologique. Il décidera, le cas échéant, le placement du mineur dans un centre d'accueil ou dans un centre d'observation.
      « Toutefois, il pourra, dans l'intérêt du mineur, n'ordonner aucune de ces mesures ou ne prescrire que l'une d'entre elles. Dans ce cas, il rendra une ordonnance motivée.
      « Ces diligences faites, le juge des enfants pourra soit d'office, soit à la requête du ministère public, communiquer le dossier à ce dernier.
      « Il pourra ensuite :
      « 1° Par ordonnance, renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants où, s'il y a lieu, devant le juge d'instruction ;
      « 2° Par jugement rendu en chambre du conseil, soit relaxer le mineur, s'il estime que l'infraction n'est pas établie, soit l'admonester, soit le remettre à ses parents, à son tuteur, à la personne qui en avait la garde ou à une personne digne de confiance en prescrivant, le cas échéant, qu'il sera placé jusqu'à un âge qui n'excédera pas celui de sa majorité sous le régime de la liberté surveillée.
      « Il pourra, avant de prononcer au fond, ordonner la mise en liberté surveillée à titre provisoire en vue de statuer après une ou plusieurs périodes d'épreuve dont il fixera la durée ».

    6. L'article 9 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans cette même rédaction, prévoit :
      « Le juge d'instruction procédera à l'égard du mineur dans les formes du chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et ordonnera les mesures prévues aux alinéas 4, 5, 6 de l'article 8 de la présente ordonnance.
      « Lorsque l'instruction sera achevée, le juge d'instruction, sur réquisitions du procureur de la République, rendra l'une des ordonnances de règlement suivantes :
      « 1° Soit une ordonnance de non-lieu ;
      « 2° Soit, s'il estime que le fait constitue une contravention, une ordonnance de renvoi devant le tribunal de police ou, s'il s'agit d'une contravention de 5° classe, devant le juge des enfants ou devant le tribunal pour enfants ;
      « 3° Soit, s'il estime que les faits constituent un délit, une ordonnance de renvoi devant le juge des enfants ou devant le tribunal pour enfants ;
      « 4° En cas de crime, soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants s'il s'agit d'un mineur de seize ans, soit, dans le cas visé à l'article 20, l'ordonnance de transmission de pièces au procureur général, prévue par l'article 181 du code de procédure pénale.
      « Si le mineur a des coauteurs ou complices majeurs ces derniers seront, en cas de poursuites correctionnelles, renvoyés devant la juridiction compétente suivant le droit commun ; la cause concernant le mineur sera disjointe pour être jugée conformément aux dispositions de la présente ordonnance. En cas de poursuites pour infraction qualifiée crime, il sera procédé à l'égard de tous les inculpés conformément aux dispositions de l'article 181 du code de procédure pénale ; la chambre d'accusation pourra, soit renvoyer tous les accusés âgés de seize ans au moins devant la cour d'assises des mineurs, soit disjoindre les poursuites concernant les majeurs et renvoyer ceux-ci devant la cour d'assises de droit commun ; les mineurs âgés de moins de seize ans seront renvoyés devant le tribunal pour enfants.
      « L'arrêt sera rédigé dans les formes du droit commun.
      « Au cas de renvoi devant la cour d'assises des mineurs, la chambre d'accusation pourra décerner une ordonnance de prise de corps contre les accusés mineurs ».

    7. L'article 10 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans la rédaction mentionnée ci-dessus, prévoit :
      « Le juge des enfants et le juge d'instruction préviendront des poursuites les parents, tuteur ou gardien connus. À défaut de choix d'un défenseur par le mineur ou son représentant légal, ils désigneront ou feront désigner par le bâtonnier un défenseur d'office. Si l'enfant a été adopté comme pupille de la nation ou s'il a droit à une telle adoption aux termes de la législation en vigueur, ils en donneront immédiatement avis au président de la section permanente de l'office départemental des pupilles de la nation.
      « Ils pourront charger de l'enquête sociale les services sociaux ou les personnes titulaires d'un diplôme de service social, habilités à cet effet.
      « Le juge des enfants et le juge d'instruction pourront confier provisoirement le mineur :
      « 1° À ses parents, à son tuteur ou à la personne qui en avait la garde, ainsi qu'à une personne digne de confiance ;
      « 2° À un centre d'accueil ;
      « 3° À une section d'accueil, d'une institution publique ou privée habilitée à cet effet ;
      « 4° Au service de l'assistance à l'enfance ou à un établissement hospitalier ;
      « 5° À un établissement ou à une institution d'éducation, de formation professionnelle ou de soins, de l'État ou d'une administration publique, habilité.
      « S'ils estiment que l'état physique ou psychique du mineur justifie une observation approfondie, ils pourront ordonner son placement provisoire dans un centre d'observation institué ou agréé par le ministère de la justice.
      « La garde provisoire pourra, le cas échéant, être exercée sous le régime de la liberté surveillée.
      « La mesure de garde est toujours révocable ».

    8. La requérante soutient que les dispositions mentionnées ci-dessus méconnaîtraient la présomption d'innocence et les droits de la défense garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, dès lors qu'elles permettraient, dans le cadre d'une instruction, le placement d'un mineur en garde à vue sans que celui-ci bénéficie des garanties nécessaires au respect de ses droits, notamment l'assistance d'un avocat, la notification du droit de garder le silence et l'information de son représentant légal.

    9. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « soit dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945 et sur les mots « procédera à l'égard du mineur dans les formes du chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et » figurant au premier alinéa de l'article 9 de cette même ordonnance.

    - Sur le fond :

    1. Aux termes de l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance ». Aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

    2. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre la recherche des auteurs d'infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et les exigences constitutionnelles protégées par l'article 9 de la même déclaration.

    3. L'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle. Ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante. Toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives. En particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention. Telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

    4. Selon les dispositions contestées de l'article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945, lorsque le juge des enfants est saisi par le procureur de la République aux fins d'instruire des faits délictuels commis par un mineur, il procède à une enquête dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale. Selon les dispositions contestées de l'article 9 de la même ordonnance, le juge d'instruction procède dans les mêmes formes lorsqu'il est saisi de faits criminels ou délictuels commis par un mineur.

    5. En application de l'article 154 du code de procédure pénale alors applicable, lequel article figure dans le chapitre 1er du titre III du livre 1er de ce code, un officier de police judiciaire peut, dans le cadre d'une procédure d'instruction, retenir une personne à sa disposition vingt-quatre heures, délai à l'issue duquel la personne doit être conduite devant le magistrat instructeur. La garde à vue peut être prolongée, sur décision de ce magistrat, pour une durée de vingt-quatre heures. En application de l'article 64, auquel renvoie l'article 154, la personne gardée à vue bénéficie du droit d'obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure.

    6. Cependant, d'une part, l'état du droit alors en vigueur ne prévoyait aucune autre garantie légale afin d'assurer le respect des droits, notamment ceux de la défense, de la personne gardée à vue, majeure ou non. D'autre part, aucune disposition législative ne prévoyait un âge en dessous duquel un mineur ne peut être placé en garde à vue.

    7. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées permettaient que tout mineur soit placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable avec comme seul droit celui d'obtenir un examen médical en cas de prolongation de la mesure. Dès lors, d'une part, le législateur, qui n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre la recherche des auteurs d'infractions et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, a alors méconnu les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789. D'autre part, il a alors contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.

    8. Par conséquent, les mots « soit dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945 et les mots « procédera à l'égard du mineur dans les formes du chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et » figurant au premier alinéa de l'article 9 de cette même ordonnance doivent être déclarés contraires à la Constitution.

    - Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

    2. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Les mots « soit dans les formes prévues par le chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article 8 et les mots « procédera à l'égard du mineur dans les formes du chapitre 1er du titre III du livre 1er du code de procédure pénale et » figurant au premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dans leur rédaction résultant de la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l'âge de la majorité, sont contraires à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 19 de cette décision.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    TROIS DÉCISIONS DU 23 NOVEMBRE 2018

    Décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018

    M. Thomas T. et autre [Pénalités fiscales pour omission déclarative et sanctions pénales pour fraude fiscale]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2266 du 12 septembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Thomas T. et Mme Sandra E., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-745 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
    - des a et b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités ;
    - des mots « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » figurant au premier alinéa de l'article 1741 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code général des impôts ;

    • l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;

    • la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ;

    • les décisions du Conseil constitutionnel nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 9 et 24 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 octobre 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour M. Alain B. et M. Alfred T. par Me Éric Planchat, avocat au barreau de Paris, enregistrées respectivement les 24 septembre et 11 octobre 2018, et les 1er et 17 octobre 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour M. Bruno L. par Me Jérôme Turot, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 9 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Planchat, pour MM. Alain B. et Alfred T., parties intervenantes, Me Turot, pour M. Bruno L., partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention. M. Alfred T. ne justifie pas d'un intérêt spécial à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par conséquent, son intervention n'est pas admise.

    2. Le 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, sanctionne d'une majoration des droits mis à la charge du contribuable certaines omissions déclaratives. Les a et b de ce 1 prévoient que cette majoration est respectivement égale à : « 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ;
      « 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ».

    3. Le premier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, punit d'une amende de 500 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans le fait pour quiconque de se soustraire frauduleusement ou de tenter de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement des impôts, notamment dans les conditions suivantes : « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits ».

    4. Les requérants, rejoints par les parties intervenantes, soutiennent que le fait qu'une même omission déclarative puisse faire l'objet, à la fois, des poursuites administratives et pénales prévues par les dispositions précitées des articles 1728 et 1741 du code général des impôts méconnaîtrait les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines. Ils font notamment valoir, sur le fondement de la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel aux paragraphes 21 de ses décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 mentionnées ci-dessus, que l'omission déclarative en matière fiscale ne présenterait pas le degré de gravité susceptible de justifier le cumul de ces deux poursuites. Selon les parties intervenantes, faute d'avoir défini des critères objectifs relatifs à la gravité des omissions déclaratives, le législateur aurait également violé le principe de légalité des délits et des peines.

    - Sur les conclusions aux fins de saisine de la Cour européenne des droits de l'homme :

    1. M. Alain B. demande au Conseil constitutionnel, sur le fondement du protocole n° 16 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif portant à plusieurs titres sur l'interprétation du protocole n° 7 à cette même convention. Toutefois, aucun motif ne justifie une telle saisine en l'espèce. Ces conclusions doivent être rejetées.

    - Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :

    1. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

    2. Il appartient au Conseil constitutionnel, au regard de ces exigences, d'examiner la constitutionnalité des dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts puis d'examiner la constitutionnalité de la combinaison de ces mêmes dispositions.

    . En ce qui concerne les dispositions contestées du 1 de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts prises isolément :

    1. Le 1 de l'article 1728 du code général des impôts institue, en cas de manquement du contribuable à son obligation déclarative dans les délais prescrits, une majoration de 10 %, si aucune mise en demeure ne lui a été notifiée par pli recommandé ou s'il a finalement satisfait à son obligation déclarative dans le délai de trente jours suivant la réception d'une telle mise en demeure. Cette majoration est portée à 40 % lorsque le document demandé n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception de la mise en demeure. Ces sanctions financières préviennent et répriment les omissions relatives à la déclaration de la base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt. La nature de ces sanctions financières est directement liée à celle des infractions réprimées. Les taux de majoration fixés par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnés.

    2. Prises isolément, les dispositions contestées du 1 de l'article 1728 du code général des impôts ne sont donc pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.

    3. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts punissent d'une amende de 500 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans quiconque a « volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits ». Lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen de l'une des manœuvres visées aux 1° à 5° de cet article, ces sanctions sont élevées à une amende de 2 000 000 euros et un emprisonnement de sept ans. Des peines complémentaires, d'une part, de privation des droits civiques, civils et de famille et, d'autre part, de publicité de la décision de condamnation peuvent également être prononcées par le juge pénal. Ces sanctions peuvent être appliquées aux contribuables qui se sont soustraits frauduleusement à l'impôt en omettant volontairement de déclarer des sommes qui y sont soumises. Au regard de l'incrimination prévue par les dispositions contestées, les peines instituées par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnées.

    4. Toutefois, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale.

    5. Sous cette réserve, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts prises isolément ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.

    . En ce qui concerne l'application combinée des dispositions contestées du 1 de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts :

    1. Les omissions relatives à la déclaration d'éléments servant à la détermination de l'assiette de l'impôt et à sa liquidation sont réprimées par les dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741. Ce dernier article précise que les sanctions qu'il prévoit s'appliquent « sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification » et « indépendamment des sanctions fiscales applicables ».

    2. Par conséquent, une personne sanctionnée sur le fondement de l'article 1728 est susceptible de faire également l'objet de poursuites pénales sur le fondement de l'article 1741.

    3. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il en découle l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

    4. Les dispositions contestées de l'article 1728 du code général des impôts permettent à l'administration fiscale d'infliger des sanctions pécuniaires aux contribuables en cas de défaut de dépôt ou de dépôt tardif de la déclaration ou de l'acte demandé, que ces manquements soient ou non intentionnels. Ces sanctions, dont le niveau varie selon la nature de l'infraction et en proportion des droits éludés, s'ajoutent à l'impôt dû et sont recouvrées suivant les mêmes règles. Elles visent à garantir la perception de la contribution commune et à préserver les intérêts financiers de l'État. Elles assurent le bon fonctionnement du système fiscal, qui repose sur la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites par les contribuables.

    5. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts répriment l'omission frauduleuse de déclaration dans les délais prescrits, principalement par des peines d'amende et d'emprisonnement. Elles visent ainsi à garantir l'accomplissement volontaire par les contribuables de leurs obligations fiscales. Les poursuites engagées sur le fondement de l'article 1741 ont un caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire pour l'ensemble des personnes susceptibles de manquer frauduleusement à leurs obligations fiscales. L'article 1741 du code général des impôts permet également de recouvrer la contribution commune dès lors que toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation sur son fondement est, par application de l'article 1745 du même code, solidairement tenue avec le redevable légal au paiement de l'impôt fraudé et des majorations afférentes.

    6. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées de l'article 1728 comme de l'article 1741 permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l'issue desquels l'administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s'ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi.

    7. Le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l'engagement de procédures conduisant à l'application de plusieurs sanctions afin d'assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission déclarative frauduleuse. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.

    8. La combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que, dans les conditions énoncées aux paragraphes 18 et 19, les contribuables auteurs des manquements les plus graves puissent faire l'objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application des dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741.

    9. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 11 et 19, l'application combinée des dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts ne peut donc être regardée comme conduisant à l'engagement de poursuites différentes aux fins de sanctions de faits identiques en application de corps de règles distincts et ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines.

    10. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Sous cette réserve, l'application combinée des dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines.

    11. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 11, 19 et 22, les dispositions contestées de l'article 1728 et de l'article 1741 du code général des impôts, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de légalité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - L'intervention de M. Alfred T. n'est pas admise.

    Article 2. - Sous les réserves énoncées aux paragraphes 11, 19 et 22, les a et b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, ainsi que les mots « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » figurant au premier alinéa de l'article 1741 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, sont conformes à la Constitution.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 novembre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-746 QPC du 23 novembre 2018

    M. Djamal Eddine C. [Amende pour défaut de déclaration de transfert international de capitaux]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2267 du 12 septembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Djamal Eddine C. par Me Nicolas Contis, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-746 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code des douanes ;

    • le code monétaire et financier ;

    • la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;

    • la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 9 et 22 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me Contis pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004 mentionnée ci-dessus, prévoit :
      « La méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l'article L. 152-1 est punie d'une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction ».

    2. Le même paragraphe, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 mentionnée ci-dessus, prévoit :
      « La méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l'article L. 152-1 et dans le règlement (CE) n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant ou sortant de la Communauté est punie d'une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction ».

    3. Le requérant reproche à ces dispositions de sanctionner le manquement à l'obligation de déclarer certains transferts internationaux de capitaux, prévue par l'article L. 152-1 du code monétaire et financier, par une amende disproportionnée, en méconnaissance du principe de proportionnalité des peines. Selon lui, en l'absence de toute fraude ou de toute autre infraction, le manquement à une simple obligation déclarative ne saurait être sanctionné d'une amende proportionnelle égale au quart du montant des capitaux transférés.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le paragraphe I de l'article L. 152-4, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004, et sur les mots « à l'article L. 152-1 » figurant au paragraphe I du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006.

    5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

    6. L'article L. 152-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2006, impose aux personnes physiques de déclarer les transferts de capitaux en provenance ou à destination de tout pays étranger dont le montant est égal ou supérieur à 7 600 euros et qui sont réalisés sans l'intermédiaire d'un établissement de crédit ou d'un organisme ou service autorisé à effectuer des opérations de banque. À compter de l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2006, cette obligation déclarative ne porte plus que sur les transferts de capitaux en provenance ou à destination d'un État membre de l'Union européenne dont le montant est égal ou supérieur à 10 000 euros.

    7. Le paragraphe I de l'article L. 152-4, dans ses deux rédactions contestées, sanctionne le manquement à cette obligation déclarative d'une amende proportionnelle fixée au quart du montant des sommes sur lesquelles a porté l'infraction ou sa tentative.

    8. En premier lieu, l'obligation déclarative ainsi sanctionnée vise à assurer l'efficacité de la surveillance par l'administration des mouvements financiers internationaux. En réprimant la méconnaissance d'une telle obligation, le législateur a entendu lutter contre le blanchiment de capitaux, la fraude fiscale et les mouvements financiers portant sur des sommes d'origine frauduleuse. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi que celui de sauvegarde de l'ordre public.

    9. En second lieu, d'une part, en punissant le manquement à l'obligation de déclarer certains transferts de capitaux financiers d'une amende proportionnelle au montant des sommes sur lesquelles a porté l'infraction ou sa tentative, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. D'autre part, en retenant un taux de 25 %, qui ne constitue qu'un taux maximal pouvant être modulé par le juge sur le fondement de l'article 369 du code des douanes, le législateur a retenu une sanction qui n'est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction.

    10. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit donc être écarté. Le paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004, et les mots « à l'article L. 152-1 du code monétaire et financier » figurant au paragraphe I du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le paragraphe I de l'article L. 152-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, et les mots « à l'article L. 152-1 du code monétaire et financier » figurant au paragraphe I du même article, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, sont conformes à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-747 QPC du 23 novembre 2018

    M. Kamel H. [Assujettissement à l'impôt sur le revenu des rentes viagères servies en réparation d'un préjudice corporel]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 septembre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 422059 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Kamel H. par Me Christophe Jolk, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-747 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 9° bis de l'article 81 du code général des impôts.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code général des impôts ;

    • la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;

    • la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire ;

    • la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 11 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 octobre 2018 ;

    • les pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 9° bis de l'article 81 du code général des impôts dans ses rédactions résultant de la loi du 29 décembre 2013, de la loi du 31 juillet 2014 et de la loi du 29 décembre 2015 mentionnées ci-dessus.

    2. Le 9° bis de l'article 81 du code général des impôts, dans ces rédactions, prévoit que sont affranchies de l'impôt sur le revenu :
      « Les rentes viagères servies en représentation de dommages-intérêts en vertu d'une condamnation prononcée judiciairement pour la réparation d'un préjudice corporel ayant entraîné pour la victime une incapacité permanente totale l'obligeant à avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie ».

    3. Le requérant reproche à ces dispositions de réserver l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficient les rentes viagères servies en vue de réparer un préjudice corporel ayant entraîné une incapacité permanente totale à celles résultant d'une décision de justice et d'exclure de ce fait celles versées en application d'une transaction. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques découlant respectivement des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « en vertu d'une condamnation prononcée judiciairement » figurant au 9° bis de l'article 81 du code général des impôts.

    - Sur le fond :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    3. En vertu du 9° bis de l'article 81 du code général des impôts, sont affranchies d'impôt sur le revenu les rentes viagères visant à réparer un préjudice corporel ayant entraîné une incapacité permanente totale lorsqu'elles sont versées en exécution d'une décision de justice. Celles versées en réparation d'un même préjudice en application d'une transaction ne bénéficient pas de ce régime fiscal. Les dispositions contestées instituent donc une différence de traitement entre les victimes d'un même préjudice corporel. Cette différence de traitement est sans rapport avec l'objet de la loi, qui est de faire bénéficier d'un régime fiscal favorable les personnes percevant une rente viagère en réparation du préjudice né d'une incapacité permanente totale. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

    4. Les mots « en vertu d'une condamnation prononcée judiciairement » figurant au 9° bis de l'article 81 du code général des impôts doivent être déclarés contraires à la Constitution.

    - Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

    2. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Les mots « en vertu d'une condamnation prononcée judiciairement » figurant au 9° bis de l'article 81 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire et de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, sont contraires à la Constitution.

    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 10 de cette décision.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 30 NOVEMBRE 2018

    Décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018

    Société Interdis et autres [Déséquilibre significatif dans les relations commerciales II]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 894 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Interdis, Carrefour hypermarchés, Carrefour administratif France, CSF et Carrefour proximité France par Mes Diego de Lammerville et Thomas Lambard, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-749 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce.

    Au vu des textes suivants :

    • la Constitution ;

    • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

    • le code de commerce ;

    • la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;

    • la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;

    • la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 ;

    • l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (chambre commerciale, n° 15-23.547) ;

    • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

    Au vu des pièces suivantes :

    • les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Delvolvé - Trichet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et la société Clifford Chance Europe LLP, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 19 et 31 octobre 2018 ;

    • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 19 octobre et 5 novembre 2018 ;

    • les observations en intervention présentées pour la société Fra-ma-pizz par Me Jean-Daniel Bretzner, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 18 octobre 2018 ;

    • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

    Après avoir entendu Me de Lammerville, pour les sociétés requérantes, Me Bretzner, pour la société intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus.

    2. Le 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans cette rédaction, prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :« De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

    3. Selon les sociétés requérantes et intervenante, ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2017 mentionné ci-dessus, permettraient au juge de contrôler le prix des biens faisant l'objet d'une négociation commerciale. Dans la mesure où la méconnaissance de l'obligation prévue par ces dispositions est sanctionnée par une amende civile, la notion de déséquilibre significatif serait privée de la précision exigée par le principe de légalité des délits et des peines. Les sociétés requérantes estiment également qu'un tel contrôle empêcherait la libre négociation du prix et permettrait sa remise en cause par le juge. Il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. Les sociétés requérantes font par ailleurs valoir que la présomption d'innocence serait méconnue, en raison de la possibilité d'établir un tel déséquilibre significatif à partir, non du comportement de l'une des parties, mais de circonstances objectives tenant à la structure économique du marché. Enfin, elles dénoncent une rupture d'égalité devant la loi entre les distributeurs pour lesquels l'application des dispositions contestées aboutit à l'interdiction de certaines clauses de leurs contrats et les autres distributeurs qui, échappant à cette application, peuvent insérer des clauses identiques.

    - Sur la recevabilité :

    1. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

    2. Dans sa décision du 13 janvier 2011 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les sociétés requérantes dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.

    3. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, la Cour de cassation a jugé, dans l'arrêt du 25 janvier 2017, que les dispositions du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce n'excluent pas que « le déséquilibre significatif puisse résulter d'une inadéquation du prix au bien vendu » et qu'elles autorisent ainsi « un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

    - Sur le fond :

    . En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :

    1. Les dispositions contestées interdisent aux producteurs, aux commerçants, aux industriels et aux personnes immatriculées au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. En application de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation dans sa décision du 25 janvier 2017, l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties peut notamment résulter d'une inadéquation du prix au bien faisant l'objet de la négociation. Cette obligation est sanctionnée notamment par une amende civile, prévue au deuxième alinéa du paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de commerce.

    2. Conformément à l'article 34 de la Constitution, le législateur détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales. Compte tenu des objectifs qu'il s'assigne en matière d'ordre public dans l'équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, il lui est loisible d'assortir la violation de certaines obligations d'une amende civile à la condition de respecter les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au rang desquelles figure le principe de légalité des délits et des peines qui lui impose d'énoncer en des termes suffisamment clairs et précis la prescription dont il sanctionne le manquement.

    3. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

    . En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle :

    1. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

    2. D'une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

    3. D'autre part, les dispositions contestées permettent au juge de se fonder sur le prix pour caractériser l'existence d'un déséquilibre significatif dans les obligations des partenaires commerciaux.

    4. Dès lors, le législateur a opéré une conciliation entre, d'une part, la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle et, d'autre part, l'intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales. L'atteinte portée à ces deux libertés par les dispositions contestées n'est donc pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Il s'ensuit que les griefs tirés de leur méconnaissance doivent être écartés.

    5. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni la présomption d'innocence, ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Le 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, est conforme à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-748 QPC du 30 novembre 2018

    Société Zimmer Biomet France Holdings [Limitation de la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 septembre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 421688 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Zimmer Biomet France Holdings par Mes Pascal Schiele, Didier Tixier et Morgan Vail, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-748 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1 du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011.

    Au vu des textes suivants :

    Au vu des pièces suivantes :

    Après avoir entendu Mes Schiele et Tixier, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Le 1 du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les charges financières afférentes à l'acquisition des titres de participation mentionnés au troisième alinéa du a quinquies du I de l'article 219 sont rapportées au bénéfice de l'exercice lorsque l'entreprise n'est pas en mesure de démontrer par tous moyens, au titre de l'exercice ou des exercices couvrant une période de douze mois à compter de la date d'acquisition des titres ou, pour les titres acquis au cours d'un exercice ouvert avant le 1er janvier 2012, du premier exercice ouvert après cette date, que les décisions relatives à ces titres sont effectivement prises par elle ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I de l'article L. 233-3 du code de commerce ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens du même article L. 233-3 et, lorsque le contrôle ou une influence est exercé sur la société dont les titres sont détenus, que ce contrôle ou cette influence est effectivement exercé par la société détenant les titres ou par une société établie en France la contrôlant au sens du I dudit article L. 233-3 ou par une société établie en France directement contrôlée par cette dernière au sens de ce même article ».

    2. La société requérante reproche à ces dispositions de réserver la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation aux cas dans lesquels les pouvoirs de décision et de contrôle sur la société acquise sont exercés par la société détentrice des titres, sa société mère ou une de ses sociétés sœurs établies en France, à l'exclusion des autres sociétés du même groupe même lorsqu'elles sont établies en France. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée, en méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Soutenant, par ailleurs, que ces dispositions institueraient un dispositif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la société requérante reproche également au législateur d'avoir institué une présomption irréfragable de fraude fiscale, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.

    3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    5. Le 1 du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts prévoit, par principe, la réintégration dans le résultat imposable des charges financières afférentes à l'acquisition de certains titres de participation. Par exception, ces mêmes dispositions permettent que ces charges soient déduites lorsqu'il est démontré que la société détentrice des titres, sa société mère ou l'une de ses sociétés sœurs, à condition qu'elles soient établies en France, exercent le pouvoir de décision sur les titres et, le cas échéant, exercent effectivement le pouvoir de contrôle ou d'influence sur la société acquise.

    6. En premier lieu, les dispositions contestées traitent différemment les sociétés détentrices des titres de participation au regard du droit à déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de ces titres selon la nature de leurs liens avec les sociétés qui exercent le pouvoir de décision et, le cas échéant, le pouvoir de contrôle sur les sociétés acquises.

    7. Il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire obstacle à une pratique d'optimisation fiscale consistant, pour une société établie à l'étranger, à rattacher des charges financières au résultat d'une société de son groupe établie en France afin de bénéficier du régime français de déduction de ces charges alors que les pouvoirs de décision et de contrôle sur la société acquise sont exercés à l'étranger. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.

    8. Les dispositions contestées ne sauraient, toutefois, sans instaurer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, interdire la déduction des charges financières afférentes à l'acquisition de titres de participation lorsqu'il est démontré que le pouvoir de décision sur ces titres et, le cas échéant, le pouvoir de contrôle effectif sur la société acquise sont exercés par des sociétés établies en France autres que les sociétés mère ou sœur de la société détentrice des titres et appartenant au même groupe que cette dernière.

    9. En second lieu, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur de faire obstacle à une pratique d'optimisation fiscale, les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscales. Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi.

    10. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le 1 de du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts ne méconnaît pas les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous cette même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le 1 du paragraphe IX de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre de finances rectificative pour 2011, est conforme à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 7 DÉCEMBRE 2018

    Décision n° 2018-750/751 QPC du 7 décembre 2018

    Société Long Horn International et autre [Régime juridique de l'octroi de mer]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêts nos 892 et 893 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour la société Long Horn International et la société de distribution martiniquaise par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2018-750 QPC et 2018-751 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 28, 29 et 37 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer, dans leur rédaction initiale.

    Au vu des textes suivants :

    Au vu des pièces suivantes :

    Après avoir entendu Me Guillaume Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les sociétés requérantes, Mes Pilczer et Brosemer, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 novembre 2018 ;

    Au vu des notes en délibéré présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, enregistrées les 27 et 30 novembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.

    2. L'article 1er de la loi du 2 juillet 2004 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction initiale, prévoit :
      « Dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion, les opérations suivantes sont soumises à une taxe dénommée octroi de mer :
      « 1° L'importation de marchandises ;
      « 2° Les livraisons de biens faites à titre onéreux par des personnes qui y exercent des activités de production.
      « La livraison d'un bien s'entend du transfert du pouvoir de disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire ».

    3. L'article 2 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Toute personne qui exerce de manière indépendante une activité de production dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique ou de La Réunion est assujettie à l'octroi de mer, quels que soient son statut juridique et sa situation au regard des autres impôts.
      « Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation de biens meubles corporels, ainsi que les opérations agricoles et extractives ».

    4. L'article 4 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Sont exonérées de l'octroi de mer :
      « 1° Les livraisons dans la région de La Réunion de biens expédiés ou transportés hors de cette région par l'assujetti, par l'acquéreur qui n'est pas établi dans cette région ou pour leur compte ;
      « 2° Les livraisons dans le territoire du marché unique antillais de biens expédiés ou transportés hors de ce territoire par l'assujetti, par l'acquéreur qui n'est pas établi dans ce territoire ou pour leur compte.
      « Cette exonération ne s'applique pas aux livraisons de biens expédiés ou transportés hors de ce territoire à destination de la région de Guyane ;
      « 3° Les livraisons dans la région de Guyane de biens expédiés ou transportés hors de cette région par l'assujetti, par l'acquéreur qui n'est pas établi dans cette région ou pour leur compte.
      « Cette exonération ne s'applique pas aux biens expédiés ou transportés hors de cette région à destination du territoire du marché unique antillais ;
      « 4° Les importations dans la région de Guyane de produits dont la livraison a été taxée dans l'une des régions formant le marché unique antillais et les importations dans le territoire du marché unique antillais de biens dont la livraison a été taxée dans la région de Guyane ».

    5. L'article 5 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Sont également exonérées de l'octroi de mer les livraisons de biens faites par des personnes assujetties à l'octroi de mer dont le chiffre d'affaires relatif à leur activité de production définie à l'article 2 est inférieur à 550 000 euros pour l'année civile précédente.
      « La limite de 550 000 euros est ajustée au prorata du temps d'exploitation pour les personnes qui ont débuté leur activité au cours de l'année de référence. Elle s'apprécie en faisant abstraction de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'octroi de mer lui-même.
      « Toutefois, lorsqu'une exonération résultant de l'application du premier alinéa aurait pour effet d'impliquer une réduction d'un taux d'octroi de mer perçu à l'importation, les conseils régionaux peuvent ne pas exonérer de l'octroi de mer les opérations des personnes mentionnées au premier alinéa afin d'éviter cette réduction de taux ».

    6. L'article 6 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Les conseils régionaux peuvent exonérer l'importation de marchandises, lorsqu'il s'agit :
      « 1° De matériels d'équipement destinés à l'industrie hôtelière et touristique ainsi que de produits, matériaux de construction, engrais et outillages industriels et agricoles figurant sur la liste prévue au a du 5° du 1 de l'article 295 du code général des impôts et qui sont destinés à une personne exerçant une activité économique au sens de l'article 256 A du même code ;
      « 2° De matières premières destinées à des activités locales de production ;
      « 3° D'équipements destinés à l'accomplissement des missions régaliennes de l'État ;
      « 4° D'équipements sanitaires destinés aux établissements de santé publics ou privés ;
      « 5° De biens réimportés, dans l'état où ils ont été exportés, par la personne qui les a exportés et qui bénéficient de la franchise des droits de douane ou en bénéficieraient s'ils étaient soumis à des droits de douane ».

    7. L'article 7 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Les conseils régionaux peuvent exonérer les livraisons de biens produits localement par des entreprises autres que celles visées à l'article 5.
      « Ces exonérations prennent la forme d'un taux réduit ou d'un taux zéro. Le taux est arrêté dans les limites fixées à l'article 28 ».

    8. L'article 28 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Lorsque le conseil régional exonère totalement ou partiellement les livraisons de biens faites par les personnes assujetties à l'octroi de mer dont le chiffre d'affaires relatif à leur activité de production mentionnée à l'article 2 est égal ou supérieur à 550 000 euros pour l'année civile précédente, la différence entre le taux applicable aux importations de marchandises et le taux zéro ou le taux réduit applicable aux livraisons de biens faites par ces personnes ne peut excéder :
      « 1° Dix points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie A de l'annexe à la décision 2004/162/CE du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE ;
      « 2° Vingt points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie B de la même annexe ;
      « 3° Trente points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie C de la même annexe.
      « Les dispositions du présent article sont également applicables lorsque le conseil régional fait usage, en application de l'article 5, de la possibilité de ne pas exonérer de l'octroi de mer les opérations des personnes mentionnées au même article ».

    9. L'article 29 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « Lorsque des biens sont produits localement par des assujettis dont les livraisons de biens sont exonérées en application de l'article 5, la différence de taux entre les importations de marchandises et les livraisons de biens produits localement par ces assujettis ne peut excéder :
      « 1° Quinze points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie A de l'annexe à la décision 2004/162/CE du 10 février 2004 du Conseil précitée ;
      « 2° Vingt-cinq points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie B de la même annexe ;
      « 3° Trente-cinq points de pourcentage pour les produits mentionnés dans la partie C de la même annexe ;
      « 4° Cinq points de pourcentage pour les autres produits ».

    10. L'article 37 de la même loi, dans la même rédaction, prévoit :
      « I. - Les conseils régionaux de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion peuvent instituer, au profit de la région, un octroi de mer régional ayant la même assiette que l'octroi de mer.
      « Sont exonérées de l'octroi de mer régional les opérations mentionnées aux articles 4 et 8 ainsi que celles exonérées en application de l'article 5.
      « Indépendamment des décisions qu'ils prennent au titre des articles 6 et 7, les conseils régionaux peuvent exonérer de l'octroi de mer régional les opérations mentionnées à ces articles dans les conditions prévues pour l'exonération de l'octroi de mer.
      « Sous réserve des dispositions du II et du III du présent article, le régime d'imposition à l'octroi de mer régional et les obligations des assujettis sont ceux applicables à l'octroi de mer.
      « II. - Les taux de l'octroi de mer régional ne peuvent excéder 2,5 %.
      « III. - L'institution de l'octroi de mer régional, les exonérations qui résultent de l'application du I et la fixation du taux de cette taxe ne peuvent avoir pour effet de porter la différence entre le taux global de l'octroi de mer et de l'octroi de mer régional applicable aux importations de marchandises et le taux global des deux mêmes taxes applicable aux livraisons de biens faites dans la région par les assujettis au-delà des limites fixées aux articles 28 et 29 ».

    11. Les sociétés requérantes et intervenante reprochent aux exonérations d'octroi de mer prévues par ces dispositions de méconnaître, à plusieurs titres, les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

    12. En premier lieu, des différences de traitement injustifiées seraient instaurées entre les producteurs de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion, qui vendent leur production sur place, et leurs concurrents de métropole, qui exportent leur production dans ces territoires. Ces différences de traitement inconstitutionnelles résulteraient de l'exonération d'octroi de mer bénéficiant aux marchandises produites localement, lorsqu'elles sont exportées en dehors de ces territoires ou dans un autre de ces territoires que celui de leur production. Elles résulteraient également de l'exonération d'octroi de mer profitant aux producteurs locaux dont le chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros. Elles résulteraient enfin de l'exonération facultative dont peuvent bénéficier les producteurs locaux dont le chiffre d'affaires est égal ou supérieur à ce même montant.

    13. En deuxième lieu, une différence de traitement injustifiée entre les entreprises ultramarines résulterait du fait que, contrairement aux livraisons de biens meubles, les prestations de services et les livraisons d'immeubles ne sont pas soumises à l'octroi de mer.

    14. En dernier lieu, le législateur aurait instauré une autre différence de traitement inconstitutionnelle en permettant que certaines importations de biens soient exonérées d'octroi de mer, sans justification au regard des secteurs bénéficiaires de ces importations.

    15. Les sociétés requérantes et intervenante réitèrent leurs critiques s'agissant des exonérations d'octroi de mer régional.

    16. Par conséquent, les questions prioritaires de constitutionnalité portent sur le 2° de l'article 1er de la loi du 2 juillet 2004, sur les mots « meuble corporel » et « meubles corporels » figurant respectivement au dernier alinéa de son article 1er et au dernier alinéa de son article 2, sur ses articles 4, 5 et 7, sur les 1° à 4° de son article 6, sur ses articles 28 et 29 ainsi que sur les deuxième et troisième alinéas du paragraphe I et sur le paragraphe III de son article 37.

    - Sur le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel :

    1. Le Premier ministre fait valoir que, dans la mesure où les dispositions contestées appliqueraient les dispositions inconditionnelles et précises de la décision du 10 février 2004 mentionnée ci-dessus, il n'y aurait pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, de se prononcer sur leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit.

    2. Toutefois, et en tout état de cause, la décision du 10 février 2004 ayant pour seul effet d'autoriser la République française à instaurer, sous certaines conditions, un régime d'exonération à l'octroi de mer, les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences de dispositions inconditionnelles et précises de cette décision.

    - Sur les conclusions aux fins de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne :

    1. Les sociétés requérantes demandent au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles portant sur la validité du paragraphe 4 de l'article 1er de la décision du 10 février 2004 et sur l'interprétation des paragraphes 1 et 2 de ce même article. Toutefois, la validité de cette décision est sans effet sur l'appréciation de la conformité de la disposition contestée aux droits et libertés que la Constitution garantit. Par suite, leurs conclusions doivent, sur ce point, être rejetées.

    - Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    . En ce qui concerne la différence de traitement entre les producteurs métropolitains et les producteurs ultramarins :

    1. L'article 1er de la loi du 2 juillet 2004 prévoit que l'octroi de mer frappe, de manière égale, les biens importés et les biens produits localement dans les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion. Toutefois, les articles 4, 5 et 7 prévoient des exonérations en faveur de certains biens.

    S'agissant des exonérations en faveur de certains biens exportés en dehors du territoire ultramarin où ils sont produits :

    1. En premier lieu, en vertu des 1° à 3° de l'article 4 de la loi du 2 juillet 2004, les produits livrés dans les quatre régions ultramarines précitées sont exonérés d'octroi de mer lorsque ces biens sont destinés à l'exportation en dehors de certains de ces territoires. Toutefois, les produits avec lesquels ces biens entrent en concurrence, sur les marchés extérieurs, ne sont pas non plus soumis à l'octroi de mer. L'exonération prévue par ces dispositions vise donc, non à établir une différence de traitement entre ces derniers biens et les premiers, mais au contraire, à garantir l'égalité de traitement entre eux.

    2. En second lieu, en vertu du 4° du même article, les biens déjà soumis à l'octroi de mer, lors de leur livraison, en Guyane ou dans le marché unique antillais, en sont exonérés lorsqu'ils sont ensuite importés dans l'un ou l'autre de ces territoires. Toutefois, en l'absence d'une telle exonération, les biens en cause se trouveraient taxés deux fois à l'octroi de mer, lors de leur livraison et lors de leur importation, ce qui en renchérirait le prix par rapport aux biens produits ailleurs et taxés une seule fois lors de leur importation. En instaurant une telle exonération, le législateur a entendu lever un obstacle au commerce entre ces territoires ultramarins situés à proximité les uns des autres. Il a donc poursuivi un motif d'intérêt général. En outre, la différence de traitement qui en résulte est en rapport avec l'objet de la loi.

    3. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

    S'agissant des exonérations en faveur de certains biens produits localement :

    1. En vertu des articles 5 et 7 de la loi du 2 juillet 2004, les livraisons de biens réalisées dans les régions d'outre-mer par les entreprises locales sont exonérées de plein droit de l'octroi de mer lorsque le montant de leur chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros et, sur décision des conseils régionaux, totalement ou partiellement, lorsque leur chiffre d'affaires est égal ou supérieur à ce montant. Pour ces dernières entreprises, l'article 28 de la même loi autorise les conseils régionaux à taxer différemment les biens importés et leurs équivalents, produits localement, qui appartiennent à l'une des catégories prévues dans l'annexe à la décision du 10 février 2004. L'écart de taxation est limité à dix, vingt ou trente points de pourcentage selon que les biens en cause relèvent de la partie A, B ou C de cette annexe. Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros, l'article 29 de cette loi autorise les conseils régionaux à retenir des écarts de taxation respectivement limités à quinze, vingt-cinq et trente-cinq points de pourcentage, pour ces mêmes biens. L'article 29 autorise également les conseils régionaux à prévoir, pour tous les autres biens livrés par de telles entreprises, un écart de taxation susceptible de s'élever à cinq points de pourcentage.

    2. Les exonérations ainsi prévues instaurent une différence de traitement entre les producteurs établis dans l'une des régions en cause, qui livrent leurs biens localement, et ceux établis ailleurs, qui exportent des biens concurrents dans ces territoires.

    3. Toutefois, d'une part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 2 juillet 2004 que, en réservant le bénéfice de ces exonérations aux livraisons de biens effectuées par des producteurs locaux, le législateur a entendu tenir compte des difficultés particulières auxquelles ces régions ultramarines sont confrontées, qui grèvent la compétitivité des entreprises qui y sont établies, et ainsi préserver le tissu économique local. Ce faisant, il a poursuivi un but d'intérêt général. La différence de traitement est par ailleurs en rapport avec l'objet de la loi.

    4. D'autre part, compte tenu de l'objectif ainsi poursuivi, les écarts de taxation à l'octroi de mer autorisés par les dispositions contestées, qui, selon les cas, ne peuvent dépasser entre 5 % et 35 %, ne sont pas constitutifs d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    5. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

    . En ce qui concerne la différence de traitement entre producteurs ultramarins :

    1. Selon les articles 1er et 2 de la loi du 2 juillet 2004, seules les livraisons de biens meubles corporels faites à titre onéreux par les personnes qui exercent des activités de production au sein des régions d'outre-mer sont assujetties à l'octroi de mer. Par conséquent, ni les prestations de services ni les livraisons d'immeubles ne sont soumises à cette taxe.

    2. Les activités de prestation de services ou de construction immobilière destinées au marché local ayant par nature vocation à être principalement effectuées sur place sont moins sujettes que celles de livraisons de biens meubles à la concurrence éventuelle d'entreprises établies en dehors des régions ultramarines en cause. La différence de traitement critiquée par les requérants, qui est ainsi fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

    . En ce qui concerne la différence de traitement entre certains biens importés :

    1. Les 1° à 4° de l'article 6 de la loi du 2 juillet 2004 autorisent les conseils régionaux à exonérer d'octroi de mer les importations de certains biens primaires, matériels et équipements destinés à l'industrie hôtelière et touristique, à des activités locales de production, à l'accomplissement des missions régaliennes de l'État ou aux établissements de santé publics ou privés.

    2. Ces dispositions visent à éviter que le coût de certaines activités se trouve augmenté par l'octroi de mer grevant le prix des importations indispensables à leur exercice. En les adoptant, le législateur, qui a ainsi entendu préserver la compétitivité de certains secteurs importants de l'économie locale ou limiter le coût de certaines missions de service public, a poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement ainsi instaurée étant par ailleurs en rapport avec l'objet de la loi, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

    . En ce qui concerne l'octroi de mer régional :

    1. L'article 37 de la loi du 2 juillet 2004 autorise les conseils régionaux à instituer un octroi de mer régional, dont l'assiette est la même que celle de l'octroi de mer, qui répond aux mêmes conditions d'exonération et dont le taux, combiné à celui de l'octroi de mer, ne peut jamais avoir pour effet de dépasser les écarts maximaux de taxation autorisés entre les produits importés et les produits locaux équivalents.

    2. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

    3. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer, dans sa rédaction initiale :

    • le 2° de l'article 1er ;

    • les mots « meuble corporel » et « meubles corporels » figurant respectivement au dernier alinéa de l'article 1er et au dernier alinéa de l'article 2 ;

    • les articles 4, 5 et 7 ;

    • les 1° à 4° de l'article 6 ;

    • les articles 28 et 29 ;

    • les deuxième et troisième alinéas du paragraphe I et le paragraphe III de l'article 37.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-752 QPC du 7 décembre 2018

    Fondation Ildys [Exonération de taxe d'habitation en faveur de certains établissements publics]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er octobre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 422050 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la fondation Ildys par Me Xavier Badin, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-752 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts.

    Au vu des textes suivants :

    Au vu des pièces suivantes :

    Après avoir entendu Me Badin, pour la fondation requérante, Me Pelletier, pour la fédération intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 novembre 2018 ;

    Au vu des pièces suivantes :

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 juillet 2006 mentionnée ci-dessus.

    2. Le 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit que sont exonérés de la taxe d'habitation :
      « Les établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les établissements visés aux articles 12 et 13 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ».

    3. La fondation requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, en ce qu'elles réservent le bénéfice de l'exonération de taxe d'habitation aux établissements publics d'assistance, en excluant ainsi les établissements privés d'assistance à but non lucratif.

    4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et d'assistance » figurant au 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts.

    - Sur l'intervention :

    1. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

    2. Si la fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif fait valoir qu'elle rassemble des établissements privés d'enseignement supérieur à but non lucratif, qui sont exclus du bénéfice de l'exonération de taxe d'habitation prévue au 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts, cette exclusion ne résulte pas des dispositions contestées, telles que définies au paragraphe 4. La fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif ne justifie pas d'un intérêt spécial à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par conséquent, son intervention n'est pas admise.

    - Sur le fond :

    1. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    2. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    3. Le champ d'application de la taxe d'habitation est défini par l'article 1407 du code général des impôts. Les dispositions contestées en exonèrent les locaux des établissements publics d'assistance. Elles instituent ainsi une différence de traitement avec ceux des établissements privés d'assistance à but non lucratif, qui ne bénéficient pas d'une telle exonération.

    4. Les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques n'imposent pas que les personnes privées soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux personnes morales de droit public.

    5. En instituant une exonération de taxe d'habitation au bénéfice des seuls établissements publics d'assistance, sans l'étendre aux établissements privés d'assistance, le législateur a pu traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.

    6. Par conséquent, les mots « et d'assistance » figurant au 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - L'intervention de la fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif n'est pas admise.

    Article 2. - Les mots « et d'assistance » figurant au 1° du paragraphe II de l'article 1408 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, sont conformes à la Constitution.

    Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    DEUX DÉCISIONS DU 14 DÉCEMBRE 2018

    Décision n° 2018-753 QPC du 14 décembre 2018

    M. Jean-Guilhem G. [Attribution de la majoration de quotient familial pour enfant mineur en résidence alternée

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er octobre 2018 par le Conseil d'État (décision n° 421941 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Guilhem G. par la SCP Hélène Didier et François Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-753 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 193 ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, et du cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 194 du même code.

    Au vu des textes suivants :

    Au vu des pièces suivantes :

    Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 décembre 2018 ;

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 194 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2007 mentionnée ci-dessus.

    2. L'article 193 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2002 mentionnée ci-dessus, prévoit :
      « À défaut de dispositions spécifiques, les enfants ou les personnes à charge s'entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d'entretien à titre exclusif ou principal, nonobstant le versement ou la perception d'une pension alimentaire pour l'entretien desdits enfants ».

    3. Le cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 194 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2007, prévoit :
      « En cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent. Cette présomption peut être écartée s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants ».

    4. Le requérant soutient que ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État dans sa décision du 28 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, institueraient une différence de traitement entre les contribuables accueillant leur enfant mineur en résidence alternée et contribuant, en sus, à la prise en charge de ses besoins lorsqu'il réside chez l'autre parent. En effet, elles empêcheraient, dans un tel cas, qu'il soit tenu compte du versement d'une pension alimentaire pour écarter la présomption de charge égale instituée par la loi et obtenir l'attribution de l'intégralité de la majoration de quotient familial à laquelle l'enfant ouvre droit. Elles traiteraient donc différemment les parents suivant que leur participation à la charge d'entretien de l'enfant est effectuée sous la forme d'une pension alimentaire ou d'une contribution n'en ayant pas le caractère. Cette différence de traitement serait aggravée du fait de l'absence de déductibilité de la pension alimentaire pour la détermination du revenu imposable. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

    5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 194 du code général des impôts.

    6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

    7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    8. L'article 194 du code général des impôts détermine le nombre de parts de quotient familial à prendre en considération, pour la division du revenu imposable, en fonction de la situation et des charges de famille du contribuable. En vertu de la première phrase du cinquième alinéa de son paragraphe I, l'enfant mineur en résidence alternée au domicile de chacun de ses parents séparés ou divorcés est, sauf disposition contraire, réputé être à la charge égale de l'un et l'autre. En ce cas, la majoration de quotient familial à laquelle l'enfant ouvre droit est attribuée pour moitié à chacun d'eux. Les dispositions contestées permettent d'écarter cette présomption si l'un des parents justifie assumer la charge principale de l'enfant. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État en combinaison avec celles de l'article 193 ter, que cette preuve ne peut résulter du versement d'une pension alimentaire.

    9. Le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

    10. En premier lieu, d'une part, l'attribution à l'un des parents de la majoration de quotient familial vise à tenir compte du fait qu'il assume la charge principale de l'enfant en s'acquittant directement des dépenses nécessaires à son entretien. La fixation d'une pension alimentaire à la charge de l'un des parents a pour objet d'équilibrer les contributions des parents à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Cette pension alimentaire tient compte des besoins de ce dernier au regard des ressources de ses deux parents. En excluant cette pension alimentaire pour apprécier si l'un des parents assume la charge principale de l'enfant, le législateur a entendu tenir compte de ce que cette pension opère un transfert de revenus dans le but de permettre au parent qui la reçoit de faire face aux besoins de l'enfant pour la charge qui lui incombe.

    11. D'autre part, l'attribution de cette majoration de quotient familial à parts égales entre les parents, séparés ou divorcés, d'un enfant en résidence alternée, résulte du fait qu'ils sont réputés s'acquitter à parts égales des dépenses liées à son entretien.

    12. Dès lors, en excluant également dans ce cas la prise en compte de la pension alimentaire versée par l'un des parents pour rapporter la preuve qu'il assume la charge principale de l'enfant, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi.

    13. En second lieu, d'une part, si le parent d'un enfant en résidence alternée ne peut pas déduire de ses revenus imposables la pension alimentaire qu'il verse, il bénéficie en tout état de cause de la moitié de la majoration de quotient familial. D'autre part, la présomption de prise en charge à parts égales peut être renversée sur le fondement des dépenses, autres que celles résultant de la pension alimentaire, acquittées pour l'entretien de l'enfant. Enfin, la convention de divorce homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents peuvent retenir une autre répartition que, celle, de principe, retenue par la loi. Les dispositions contestées n'entraînent donc pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

    14. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté. Il en va de même de celui tiré du principe d'égalité devant la loi.

    15. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - La seconde phrase du cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 194 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, est conforme à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

    Décision n° 2018-754 QPC du 14 décembre 2018

    Société Viagogo et autre [Délit de vente ou de cession irrégulière de titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant]

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 octobre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2458 du 26 septembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Viagogo Entertainment et Viagogo AG par Mes Emmanuel Gouge et Diane Mullenex, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-754 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 313-6-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles.

    Au vu des textes suivants :

    Au vu des pièces suivantes :

    Après avoir entendu Me Denis Garreau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les sociétés requérantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société Ticketbis, Me Papin, pour le syndicat national du spectacle musical et de variété Prodiss, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les associations Fédération française de football et Ligue de football professionnel, Me Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association Paris 2024 - Comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques, Me Killy, pour l'association Fédération internationale de football association et autres, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 décembre 2018 ;

    Au vu des pièces suivantes :

    Et après avoir entendu le rapporteur ;

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

    1. L'article 313-6-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mars 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 € d'amende. Cette peine est portée à 30 000 € d'amende en cas de récidive.
      « Pour l'application du premier alinéa, est considéré comme titre d'accès tout billet, document, message ou code, quels qu'en soient la forme et le support, attestant de l'obtention auprès du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation du droit d'assister à la manifestation ou au spectacle ».

    2. Les sociétés requérantes, rejointes par l'un des intervenants, reprochent à ces dispositions de méconnaître le principe de légalité des délits et des peines en raison de l'imprécision de la notion de vente « de manière habituelle ». Selon elles, ces dispositions violeraient également le principe de nécessité des délits et des peines dès lors qu'aucun des objectifs poursuivis par le législateur ne justifierait l'interdiction de la revente des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant. Elles font valoir, à cet égard, que d'autres dispositions législatives en vigueur permettraient d'éviter les troubles à l'ordre public lors des manifestations sportives ainsi que la revente frauduleuse ou spéculative de tels titres. Pour les mêmes motifs, elles dénoncent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Enfin, le droit de propriété serait également méconnu dès lors que ces dispositions auraient pour effet d'interdire à une personne ayant acheté un titre d'accès de le revendre. L'un des intervenants conclut également, pour ce même motif, à l'existence d'une atteinte inconstitutionnelle à la liberté contractuelle.

    - Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité et de légalité des délits et des peines :

    1. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

    2. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.

    3. En premier lieu, en instituant les dispositions contestées, le législateur a, d'une part, entendu prévenir les troubles à l'ordre public dans certaines manifestations, notamment sportives. En effet, la mise en œuvre de certaines mesures de sécurité, comme les interdictions administratives ou judiciaires d'accès à ces manifestations ou le contrôle du placement des spectateurs, qui reposent sur l'identification des personnes achetant ces titres, peut être entravée par la revente des titres d'accès.

    4. D'autre part, le législateur a également souhaité garantir l'accès du plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l'incrimination en cause doit permettre de lutter contre l'organisation d'une augmentation artificielle des prix des titres d'accès à ces manifestations et spectacles.

    5. En deuxième lieu, la vente de titres d'accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels titres, ne sont prohibées que si elles s'effectuent sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de la manifestation ou du spectacle.

    6. En dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu'en ne visant que les faits commis « de manière habituelle », le législateur n'a pas inclus dans le champ de la répression les personnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation ou à un spectacle.

    7. Il résulte de ce qui précède que l'infraction ainsi définie ne méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni celui de légalité des délits et des peines.

    - Sur les autres griefs :

    1. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

    2. Compte tenu, d'une part, des objectifs de valeur constitutionnelle et d'intérêt général énoncés aux paragraphes 5 et 6 et, d'autre part, de ce que le législateur a réprimé la seule revente de titres d'accès, sa facilitation et celle de la cession de tels titres, uniquement lorsqu'elles sont réalisées à titre habituel et sans l'accord préalable des organisateurs, producteurs ou propriétaires des droits d'exploitation, le législateur n'a méconnu ni la liberté d'entreprendre ni la liberté contractuelle ni le droit de propriété.

    3. L'article 313-6-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

    LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

    Article 1er. - L'article 313-6-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles, est conforme à la Constitution.

    Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

    Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

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