Rédigé par Frédéric Fabre docteur en droit.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, pour l'année 2016 dans l'ordre chronologique.
À l'occasion des deux décisions QPC rendues publiques le 10 mai 2016 (décisions nos 2016-539 QPC et 2016-540 QPC), le Conseil constitutionnel a décidé de moderniser le mode de rédaction de ses décisions.
Ce nouveau mode de rédaction a pour objectifs de simplifier la lecture des décisions du Conseil constitutionnel et d'en approfondir la motivation.
Ce mode de rédaction s'appliquera désormais à l'ensemble des décisions rendues par le Conseil constitutionnel.
Laurent Fabius
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, dans l'ordre chronologique.
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DEUX DÉCISIONS DU 7 JANVIER 2016
Décision n° 2015-510 QPC du 7 janvier 2016
Association Expert-comptable média associat ion [Sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité de la concurrence]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 octobre 2015 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième
alinéa du paragraphe I de l'article L. 464-2 du code de commerce.
Les dispositions contestées prévoient, en matière de pratiques anticoncurrentielles, un plafond de trois millions d'euros pour les sanctions
pécuniaires prononcées par l'Autorité de la concurrence lorsque le contrevenant n'est pas une entreprise.
L'association requérante faisait valoir que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en prévoyant un maximum de la sanction
pécuniaire en valeur absolue lorsque la personne qui a commis l'infraction n'est pas une entreprise, alors que ce maximum est fixé en pourcentage du chiffre
d'affaires lorsque cette personne est une entreprise. Elle soutenait également que la définition insuffisante de l'entreprise au sens des dispositions
contestées porte atteinte au principe de légalité des peines.
Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs.
Il a d'abord relevé qu'au stade de la détermination du montant de la sanction pécuniaire infligée et pour son individualisation, le législateur a, en se
référant à la notion d'entreprise, entendu distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives. Il a ainsi
fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire proportionné au montant du chiffre d'affaires pour celles qui sont constituées selon l'un des statuts ou
formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et fixé en valeur absolue le montant de ladite sanction pour les autres contrevenants. Le Conseil
constitutionnel en a déduit que la différence de traitement résultant des dispositions contestées est en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit et il a écarté le grief tiré du principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé qu'en différenciant, pour fixer le montant maximum de la sanction, les contrevenants qui sont constitués sous l'un
des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et les autres, le législateur s'est référé à des catégories juridiques précises
permettant de déterminer la peine encourue avec une certitude suffisante. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des peines a donc été écarté.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé conformes à la Constitution les dispositions de la première phrase du quatrième alinéa de l'article L. 464-2 du code de commerce.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante par la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, enregistrées les 29 octobre et 13 novembre 2015 ;
Vu les observations produites pour l'Autorité de la concurrence, partie en défense, par la SCP Baraduc Duhamel Rameix, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées les 29 octobre et 13 novembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la Fédération nationale des associations de gestion agréées, partie en défense, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 29 octobre et 13 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 octobre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Joseph Vogel, avocat au barreau de Paris, et Me Denis Garreau pour l'association requérante, Me Jean-Philippe Duhamel pour l'Autorité de la
concurrence, Me François Molinié pour la Fédération nationale des associations de gestion agréées et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 8 décembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe I de l'article L. 464-2 du code de commerce est relatif aux sanctions pécuniaires pouvant être infligées par l'Autorité de la concurrence aux personnes responsables de pratiques anticoncurrentielles ; qu'aux termes du quatrième alinéa de ce paragraphe I dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 susvisée : « Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, en prévoyant un maximum de la sanction pécuniaire en valeur absolue lorsque la personne qui a commis l'infraction n'est pas une entreprise, alors que ce maximum est fixé en pourcentage du chiffre d'affaires lorsque cette personne est une entreprise, les dispositions contestées créent une différence de traitement injustifiée en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ; que la définition insuffisante de l'entreprise au sens et pour l'application des dispositions contestées porterait également atteinte au principe de légalité des peines ;
- SUR LA RECEVABILITÉ :
3. Considérant qu'il ressort des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et du troisième alinéa de son article 23-5 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;
4. Considérant que le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les deuxième et troisième phrases du quatrième alinéa de l'article L. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 dans les considérants 13 à 22 de sa décision du 14 octobre 2015 susvisée et les a déclarées conformes à la Constitution dans le dispositif de cette décision ; qu'en l'absence de changement de circonstances, il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de ces dispositions ;
- SUR LE FOND :
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant qu'en instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les pratiques anticoncurrentielles, le législateur a poursuivi l'objectif de préservation de l'ordre public économique ; qu'un tel objectif implique que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition ;
7. Considérant qu'au stade de la détermination du montant de la sanction pécuniaire infligée et pour son individualisation, le législateur a, en se référant à la notion d'entreprise, entendu distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives ; qu'il a ainsi fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire proportionné au montant du chiffre d'affaires pour celles qui sont constituées selon l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et fixé en valeur absolue le montant de ladite sanction pour les autres contrevenants ; que la différence de traitement résultant des dispositions contestées est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des peines :
8. Considérant que l'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le respect de ce principe impose au législateur d'indiquer précisément le montant maximum de la peine encourue ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
9. Considérant qu'en différenciant, pour fixer le montant maximum de la sanction, les contrevenants qui sont constitués sous l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et les autres, le législateur s'est référé à des catégories juridiques précises permettant de déterminer la peine encourue avec une certitude suffisante ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des peines doit être écarté ;
10. Considérant que les dispositions de la première phrase du quatrième alinéa de l'article L. 464-2 du code de commerce, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- La première phrase du quatrième alinéa de l'article L. 464-2 du code de commerce est conforme à la Constitution.
Article 2.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les deux dernières phrases du quatrième alinéa de
l'article L. 464-2 du code de commerce.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 octobre 2015 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 6° de l'article 18-6 de la loi n°47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des
entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.
Les dispositions contestées prévoient que le conseil supérieur des messageries de presse délègue à une commission spécialisée composée d'éditeurs le soin de
décider des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de chalandise.
Cette commission spécialisée dispose ainsi du pouvoir de résilier tout contrat conclu entre une société de messagerie de presse et un dépositaire central de
presse, soit qu'elle retire l'agrément du dépositaire, soit qu'elle modifie la zone de chalandise de ce dernier.
La société requérante faisait grief aux dispositions contestées de porter une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé qu'il était loisible au législateur de prévoir les conditions dans lesquelles un organisme indépendant composé
d'éditeurs, tiers au contrat conclu entre une société de messagerie de presse et un dépositaire central de presse, peut prendre des décisions aboutissant à la
résiliation de ce contrat, afin de mettre en œuvre l'objectif de pluralisme et d'indépendance des quotidiens d'information politique et générale.
Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé, toutefois, que les décisions de retrait d'agrément d'un dépositaire et de modification de la zone de chalandise
prises par la commission spécialisée composée d'éditeurs, qui ne sont subordonnées à aucune condition tenant à l'exécution ou à l'équilibre du
contrat, ne font l'objet d'aucune procédure d'examen contradictoire. Il a également relevé que la commission n'est pas tenue de motiver sa décision. Le
Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur a insuffisamment encadré les conditions dans lesquelles la décision d'un tiers au contrat conclu entre
une société de messagerie de presse et un dépositaire central de presse peut conduire à la résiliation de ce contrat. Le Conseil constitutionnel a jugé, par
suite, que le législateur a porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution les mots « , des nominations et des mutations de dépositaires
centraux de presse, avec ou sans modification de la zone de chalandise » figurant au 6° de l'article 18-6 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947.
Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 31 décembre 2016 la date d'effet de sa déclaration d'inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques ;
Vu la loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par Me Olivier Bechet, avocat au barreau d'Albi, enregistrées les 19 octobre et 13 novembre 2015 ;
Vu les observations produites pour le conseil supérieur des messageries de presse, partie en défense, par Me Rémi Sermier, avocat au barreau de Paris,
enregistrées les 28 octobre et 24 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 octobre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites par l'association Syndicat national des dépositaires de presse enregistrées le 29 octobre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Olivier Bechet pour la société requérante, Me Rémi Sermier pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 8 décembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le 6° de l'article 18-6 de la loi du 2 avril 1947 susvisée, dans sa rédaction issue de la loi du 20 juillet 2011 susvisée, prévoit que, pour l'exécution de ses missions, le conseil supérieur des messageries de presse : « Délègue, dans des conditions fixées par son règlement intérieur, à une commission spécialisée composée d'éditeurs le soin de décider, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, de l'implantation des points de vente de presse, des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de chalandise » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté contractuelle en permettant qu'une convention légalement conclue entre une messagerie de presse et un dépositaire central de presse soit résiliée sans le consentement des parties contractantes ; que, selon l'association intervenante, elles portent également atteinte à la liberté d'entreprendre en plaçant entre les mains des seuls éditeurs la possibilité de refuser l'accès à la profession de dépositaire central de presse ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « , des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse, avec ou sans modification de la zone de chalandise » figurant au 6° de l'article 18-6 de la loi du 2 avril 1947 ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE À LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE :
4. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que la libre communication des pensées et des opinions garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789 ne serait pas effective si le public auquel s'adressent les quotidiens d'information politique et générale n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; que le pluralisme et l'indépendance des quotidiens d'information politique et générale constituent des objectifs de valeur constitutionnelle ;
6. Considérant qu'afin d'assurer une distribution libre et impartiale de la presse au numéro, la loi du 2 avril 1947 a instauré, pour les entreprises de presse ne souhaitant pas assurer elles-mêmes la distribution de leurs publications, un système coopératif de distribution des journaux et publications périodiques ; que, dans ce cadre, le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse soumises aux dispositions de la loi du 2 avril 1947 ; que ces sociétés concluent des contrats avec les dépositaires centraux de presse afin d'assurer l'acheminement des journaux et publications périodiques vers les points de vente au public ; que le contrôle et la régulation du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau sont confiés au conseil supérieur des messageries de presse, personne morale de droit privé, ainsi qu'à l'autorité de régulation de la distribution de la presse, autorité administrative indépendante ;
7. Considérant qu'en vertu des dispositions du 6° de l'article 18-6 de la loi du 2 avril 1947, le conseil supérieur des messageries de presse délègue à une commission spécialisée composée d'éditeurs le soin de décider notamment des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de chalandise ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 2011, entendu préserver les équilibres économiques du système de distribution de la presse ; que, dans la mesure où ce système concourt à garantir le pluralisme et l'indépendance des quotidiens d'information politique et générale, le législateur a ainsi poursuivi un objectif de valeur constitutionnelle ;
8. Considérant qu'il résulte des dispositions contestées que la commission spécialisée composée d'éditeurs dispose du pouvoir de résilier tout contrat conclu entre une société de messagerie de presse et un dépositaire central de presse, soit qu'elle retire l'agrément du dépositaire soit qu'elle modifie la zone de chalandise de ce dernier ; que les conditions dans lesquelles cette commission se voit déléguer ce pouvoir par le conseil supérieur des messageries de presse sont fixées par le règlement intérieur de ce conseil ; que cette commission est tenue de se prononcer selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges ;
9. Considérant qu'il était loisible au législateur de prévoir les conditions dans lesquelles un organisme indépendant composé d'éditeurs, tiers au contrat conclu entre une société de messagerie de presse et un dépositaire central de presse, peut prendre des décisions aboutissant à la résiliation de ce contrat, afin de mettre en œuvre l'objectif de pluralisme et d'indépendance des quotidiens d'information politique et générale ;
10. Considérant, toutefois, que les décisions de retrait d'agrément d'un dépositaire et de modification de la zone de chalandise prises par la commission spécialisée composée d'éditeurs, qui ne sont subordonnées à aucune condition tenant à l'exécution ou à l'équilibre du contrat, ne font l'objet d'aucune procédure d'examen contradictoire ; que la commission n'est pas tenue de motiver sa décision ; qu'ainsi, le législateur a insuffisamment encadré les conditions dans lesquelles la décision d'un tiers au contrat conclu entre une société de messagerie de presse et un dépositaire central de presse peut conduire à la résiliation de ce contrat ; qu'il a porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté contractuelle ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
- SUR LES EFFETS DANS LE TEMPS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :
11. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
12. Considérant que l'abrogation immédiate des mots « , des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse, avec ou sans modification de la zone de chalandise » figurant au 6° de l'article 18-6 de la loi du 2 avril 1947 aurait pour effet de faire disparaître des dispositions contribuant à la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme et d'indépendance des quotidiens d'information politique et générale ; que, par suite, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2016 la date de cette abrogation,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « , des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse, avec ou sans modification de la zone de chalandise »
figurant au 6° de l'article 18-6 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au considérant 12.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 octobre 2015 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Ces dispositions répriment pénalement la contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité, tels qu'ils sont définis par l'article 6 du
statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, dès lors qu'ils ont été commis soit par les membres d'une
organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Le requérant soutenait que ces dispositions portent atteinte, d'une part, au principe d'égalité devant la loi pénale, dès lors que la négation des crimes
contre l'humanité autres que ceux qu'elles mentionnent n'est pas pénalement réprimée et, d'autre part, aux libertés d'expression et d'opinion. Le Conseil
constitutionnel a rejeté ces griefs et déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution.
En ce qui concerne les libertés d'expression et d'opinion, le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que les propos contestant l'existence de faits
commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale
constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l'antisémitisme. Par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de
l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui porte atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Le Conseil constitutionnel a ensuite
relevé que les dispositions contestées visent à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d'antisémitisme et de haine raciale. Le
Conseil a également relevé que seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée et que les dispositions
contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire les débats historiques. Le Conseil constitutionnel en a déduit qu'ainsi, l'atteinte à l'exercice de la
liberté d'expression qui en résulte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur. Il a, par suite, écarté le grief tiré
de l'atteinte à cette liberté et à la liberté d'opinion.
En ce qui concerne le principe d'égalité devant la loi pénale, le Conseil constitutionnel a relevé que, d'une part, la négation de faits qualifiés de
crime contre l'humanité par une décision d'une juridiction française ou internationale reconnue par la France se différencie de la négation de faits
qualifiés de crime contre l'humanité par une juridiction autre ou par la loi. D'autre part, la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde
guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite. Ainsi, en réprimant pénalement la seule
contestation des crimes contre l'humanité commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du
tribunal militaire international de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, le
législateur a traité différemment des agissements de nature différente. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette différence de traitement est en rapport
avec l'objet de la loi du 13 juillet 1990, dite « loi Gayssot », qui a institué l'incrimination contestée et qui visait à réprimer tout acte raciste, antisémite
ou xénophobe et il a, en conséquence, écarté le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'accord entre le Gouvernement provisoire de la République française et les Gouvernements des États-Unis d'Amérique, du Royaume Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande du Nord et de l'Union des Républiques socialistes soviétiques concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des
puissances européennes de l'Axe et statut du Tribunal international militaire signé le 8 août 1945 à Londres ;
Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Vu la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ;
Vu la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ;
Vu la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour l'Association pour la Neutralité de l'Enseignement de l'Histoire Turque dans les Programmes Scolaires
(ANEHTPS) par M. Dominique Chagnollaud, enregistrées les 26 octobre et 26 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Robert P. et autre par Me Bernard Kuchukian, avocat au barreau de Marseille, enregistrées les 29 octobre et 26 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 30 octobre et 27 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Grégoire K. et autres par Me Philippe Krikorian, avocat au barreau de Marseille, enregistrées les 30 octobre et 27 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour les associations La ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et Mouvement contre
le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 octobre 2015 ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Wilfried Paris, avocat au barreau de Rouen, enregistrées les 16 et 27 novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Paris pour le requérant, Me Patrice Spinosi pour les associations LICRA et MRAP, Me Krikorian pour M. K. et autres, Me Kuchukian pour M. P. et autre, Me
Jean Barthélemy, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association ANEHTPS, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 8 décembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 susvisée dans sa rédaction issue de la loi du 13 novembre 2014
susvisée : « Seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un
ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8
août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne
reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.« Le tribunal pourra en outre ordonner :
« 1° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal » ;
2. Considérant que le requérant et les intervenants M. Robert P. et autre, M. Grégoire K. et autres, soutiennent que les dispositions contestées portent atteinte au principe d'égalité devant la loi dès lors que la négation des crimes contre l'humanité autres que ceux mentionnés à l'article 24 bis n'est pas pénalement réprimée ; que le requérant soutient qu'est également méconnue la liberté d'expression ;
3. Considérant que les associations MRAP, LICRA et ANEHTPS, intervenantes, concluent à la conformité de la disposition contestée à la Constitution ; que l'ANEHTPS demande en outre l'abrogation de la loi du 29 janvier 2001 susvisée dont le Conseil constitutionnel n'est pas saisi ; que, les conclusions de cette dernière sur ce point doivent être rejetées ;
4. Considérant que M. Grégoire K. et autres demandent au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur « la validité de l'article 1er paragraphe 4 de la décision cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal et sur l'interprétation du droit de l'Union » ; que, toutefois, la validité de la décision cadre précitée est sans effet sur l'appréciation de la conformité de la disposition contestée aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, par suite, leurs conclusions doivent, sur ce point, être rejetées ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE AUX LIBERTÉS D'EXPRESSION ET D'OPINION :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que l'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer ; qu'il lui est également loisible, à ce titre, d'instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers ; que, cependant, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; qu'il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
6. Considérant, en premier lieu, que le tribunal militaire international, dont le statut est annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 susvisé, a été établi « pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe » ; que les crimes contre l'humanité dont la contestation est réprimée par les dispositions contestées sont définis par l'article 6 du statut de ce tribunal comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime » ; qu'en réprimant les propos contestant l'existence de tels crimes, le législateur a entendu sanctionner des propos qui incitent au racisme et à l'antisémitisme ;
7. Considérant que les propos contestant l'existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l'antisémitisme ; que, par suite, les dispositions contestées ont pour objet de réprimer un abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui porte atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers ;
8. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées , en incriminant exclusivement la contestation de l'existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale, qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale, visent à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d'antisémitisme et de haine raciale ; que seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée ; que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire les débats historiques ; qu'ainsi, l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression qui en résulte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à cette liberté et à la liberté d'opinion doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE AU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI PÉNALE :
9. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu'une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente ;
10. Considérant que, d'une part, la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une décision d'une juridiction française ou internationale reconnue par la France se différencie de la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une juridiction autre ou par la loi ; que, d'autre part, la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite ; que, par suite, en réprimant pénalement la seule contestation des crimes contre l'humanité commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, le législateur a traité différemment des agissements de nature différente ; que cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi du 13 juillet 1990 susvisée qui vise à réprimer des actes racistes, antisémites ou xénophobes ; que le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale doit être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 dans sa rédaction issue de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la
lutte contre le terrorisme est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14
octobre et le 10 décembre 2015 par la Cour de cassation de trois questions
prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article L. 621-15 du code monétaire
et financier (CMF) dans ses versions successives issues de la loi n° 2006-1770
du 30 décembre 2006, de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 et de l'ordonnance n°
2010-76 du 21 janvier 2010.
Par sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, le Conseil
constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution certaines
dispositions de l'article L. 621-15 du CMF relatif au manquement d'initié
réprimé par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF),
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de
modernisation de l'économie. Le Conseil constitutionnel avait toutefois reporté
au 1er septembre 2016 la date d'abrogation de ces dispositions.
En l'espèce, les affaires soumises au Conseil constitutionnel posaient la
question de savoir si la même solution devait s'appliquer à des dispositions
identiques à celles censurées mais figurant dans des versions de l'article L.
621-15 du CMF, pour l'une antérieure et pour les deux autres postérieures à
celle censurée en mars 2015.
S'agissant des versions issues de la loi du 12 mai 2009 et de l'ordonnance du 21
janvier 2010, le Conseil constitutionnel a constaté que les dispositions
contestées étaient identiques à celles censurées et que l'état du droit
applicable à la poursuite et à la répression du délit d'initié et du manquement
d'initié était demeuré analogue. En l'absence de changement de circonstances, le
Conseil constitutionnel a par suite jugé qu'il n'y a pas lieu de procéder à un
nouvel examen de ces dispositions. Celles-ci ne sont pas conformes à la
Constitution pour les mêmes raisons que celles qui avaient justifié la censure
prononcée par la décision du 18 mars 2015.
En ce qui concerne la version de l'article L. 621-15 issue de la loi du 30
décembre 2006, les dispositions contestées ne sont pas différentes de celles
figurant dans la version censurée le 18 mars 2015. Cependant, lorsque la version
résultant de la loi de 2006 était applicable, la sanction pécuniaire du
manquement d'initié était d'un montant de 1,5 million d'euros, alors qu'elle
s'élevait à 10 millions d'euros lorsqu'était applicable la version issue de la
loi du 4 août 2008. Les circonstances de droit étaient ainsi différentes de
celles examinées par le Conseil constitutionnel lors de sa décision du 18 mars
2015. En raison de ce changement de circonstances, il revenait au Conseil
d'examiner ces dispositions et de se prononcer sur leur conformité à la
Constitution.
À la différence de l'affaire jugée le 18 mars 2015, les sanctions pécuniaires
applicables en cas de délit d'initié et de manquement d'initié commis par une
personne physique étaient donc identiquement fixées à 1,5 million d'euros.
Toutefois, le juge pénal pouvait également condamner la personne physique auteur
d'un délit d'initié à une peine d'emprisonnement. Par ailleurs, ce même juge
pouvait, lorsque l'auteur des faits était une personne morale, prononcer sa
dissolution et une amende cinq fois supérieure. Appliquant les critères fixés
par sa jurisprudence issue de sa décision du 18 mars 2015, le Conseil
constitutionnel a jugé que le délit d'initié et le manquement d'initié devaient
ainsi être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature
différente. Il a, par suite, jugé conformes à la Constitution les dispositions
contestées de l'article L. 621-15 du CMF dans sa rédaction issue de la loi n°
2006-1770 du 30 décembre 2006.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation
de l'économie ;
Vu la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la
participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions
d'ordre économique et social ;
Vu l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 relative aux marchés d'instruments
financiers ;
Vu la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier ;
Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
Vu la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures ;
Vu l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 portant fusion des autorités
d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance ;
Vu la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière,
notamment son article 12 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du
18 mars 2015 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5
novembre et 21 décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour M. Alain D. par la SCP Piwnica et Molinié,
enregistrées les 5 et 19 novembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la société Intouch Investments Limited, MM.
Kavit H., Alykhan L. et Mukesh V., par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées
les 5 et 19 novembre 2015 ;
Vu les observations produite pour l'Autorité des marchés financiers, partie en
défense dans les procédures à l'origine des questions prioritaires de
constitutionnalité, par la SCP Vincent et Ohl, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées les 5 novembre et 28 décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour M. Guy W.-P. par la SCP Piwnica et Molinié,
enregistrées les 21 et 28 décembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Emmanuel Piwnica, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 7 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions prioritaires de constitutionnalité pour y répondre par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code
monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006
susvisée : « I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi
par les services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée
par le gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire,
ou par le président de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.«
S'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux
personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des
sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des
sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a
été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur
constatation ou à leur sanction.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 14° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
613-21 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 14° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 613-21 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent un instrument financier émis par une personne ou une entité
faisant appel public à l'épargne ou admis aux négociations sur un marché
d'instruments financiers ou pour lequel une demande d'admission aux négociations
sur un tel marché a été présentée, dans les conditions déterminées par le
règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un
instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre
Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur
un tel marché a été présentée.
« III. - Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11° et 12° du II de l'article
L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la commission
des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros
ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont
versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne sanctionnée ou, à
défaut, au Trésor public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11° et 12° du II de
l'article L. 621-9, et l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros
ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques
mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits
éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour le
compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« IV. - La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la
présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la
personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment
appelé.
« V. - La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne. Les frais sont supportés par
les personnes sanctionnées » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code
monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009
susvisée : « I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi
par les services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée
par le gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire,
ou par le président de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.«
S'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux
personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des
sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des
sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a
été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur
constatation ou à leur sanction.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
613-21 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 613-21 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un
marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet
aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les
investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la
diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux
négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions
déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un
instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre
Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur
un tel marché a été présentée ;
« e) Toute personne qui, sur le territoire français ou étranger, s'est livrée ou
a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information lors d'une
opération d'offre au public de titres financiers.
« III. - Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire
ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la
commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces
sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10
millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ;
les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne
sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1, 5 million
d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de
pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des
profits éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au
fonds de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour
le compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« Le fonds de garantie mentionné aux a et b peut, dans des conditions fixées par
son règlement intérieur et dans la limite de 300 000 euros par an, affecter à
des actions éducatives dans le domaine financier une partie du produit des
sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions qu'il perçoit.
« III bis. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, la
récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande
de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute
l'impartialité de ce membre.
« IV. - La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la
présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la
personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment
appelé.
« V. - La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette
publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer
un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par
les personnes sanctionnées. »
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code
monétaire et financier dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 21 janvier
2010 susvisée : « I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle
établi par les services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande
formulée par le président de l'Autorité de contrôle prudentiel.« S'il décide
l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux personnes
concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des
sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des
sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a
été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur
constatation ou à leur sanction.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
612-39 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 612-39 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un
marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet
aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les
investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la
diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux
négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions
déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un
instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre
État membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur
un tel marché a été présentée ;
« e) Toute personne qui, sur le territoire français ou étranger, s'est livrée ou
a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information lors d'une
opération d'offre au public de titres financiers.
« III. - Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire
ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la
commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces
sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10
millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ;
les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne
sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1, 5 million
d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de
pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des
profits éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au
fonds de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour
le compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« Le fonds de garantie mentionné aux a et b peut, dans des conditions fixées par
son règlement intérieur et dans la limite de 300 000 euros par an, affecter à
des actions éducatives dans le domaine financier une partie du produit des
sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions qu'il perçoit.
« III bis. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, la
récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande
de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute
l'impartialité de ce membre.
« IV. - La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la
présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la
personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment
appelé.
« V. - La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette
publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer
un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par
les personnes sanctionnées.
5. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses différentes rédactions résultant de la loi du 30 décembre 2006, de la loi du 12 mai 2009 et de l'ordonnance du 21 janvier 2010 doivent, compte tenu de l'autorité qui s'attache à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 susvisée, être déclarées contraires à la Constitution ; qu'un non-lieu à statuer ne saurait être prononcé dès lors que les dispositions contestées, identiques à celles censurées, sont issues d'une loi distincte de celle dont sont issues les dispositions déclarées contraires à la Constitution ; qu'ils estiment également que ces dispositions, dès lors qu'elles permettent qu'une même personne puisse faire l'objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant le juge pénal pour le délit d'initié, prévu par l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, et devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers pour le manquement d'initié, prévu par l'article L. 621-15 du même code, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines et celui de « sécurité juridique » ;
6. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses rédactions résultant de la loi du 30 décembre 2006, de la loi du 12 mai 2009 et de l'ordonnance du 21 janvier 2010 ;
- SUR LES DISPOSITIONS CONTESTÉES DE L'ARTICLE L. 621-15 DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER DANS SA RÉDACTION RÉSULTANT DE LA LOI DU 30 DÉCEMBRE 2006 :
. En ce qui concerne la recevabilité :
7. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ; que l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ;
8. Considérant que l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel fait obstacle à ce qu'il soit saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition déclarée contraire à la Constitution, sauf changement de circonstances ;
9. Considérant que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 18 mars 2015, examiné les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 susvisée et les a déclarés contraires à la Constitution ; qu'il a jugé que ces dispositions, qui répriment le manquement d'initié, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines dès lors, d'une part, que « les sanctions du délit d'initié et du manquement d'initié ne peuvent, pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction » et, d'autre part, que « ni les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier, ni aucune autre disposition législative, n'excluent qu'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 puisse faire l'objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement de l'article L. 621-15 et devant l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article L. 465-1 » ;
10. Considérant que si la rédaction de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier a été modifiée postérieurement à la loi du 30 décembre 2006 par l'ordonnance du 12 avril 2007 susvisée, par la loi du 17 décembre 2007 susvisée et par la loi du 4 août 2008, les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de cet article sont demeurés inchangés ; que, toutefois, le c) du paragraphe III de l'article L. 621-15 dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 prévoyait « Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ; que le même c) de l'article L. 621-15 dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 disposait que le montant de la sanction pécuniaire « ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ; que cette modification du montant maximal de la sanction pouvant être prononcée en cas de manquement d'initié constitue un changement de circonstances de droit justifiant, en l'espèce, le réexamen des mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 ;
. En ce qui concerne le fond :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;
12. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2005 susvisée, demeurée en vigueur jusqu'au 24 octobre 2010, l'auteur d'un délit d'initié peut être puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros qui peut être portée au décuple du montant du profit éventuellement réalisé ; qu'en vertu des articles 131-38 et 131-39 du code pénal et L. 465-3 du code monétaire et financier, s'il s'agit d'une personne morale, le taux maximum de l'amende est égal au quintuple de celui prévu par l'article L. 465-1 et le juge pénal peut, sous certaines conditions, prononcer la dissolution de celle-ci ; qu'en vertu du c) du paragraphe III de l'article L. 621-15 dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006, l'auteur d'un manquement d'initié, qu'il soit ou non soumis à certaines obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers, encourt une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, qui peut être portée au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; qu'ainsi, d'une part, les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers pour le manquement d'initié à l'encontre d'une personne physique sont identiques à celles encourues devant la juridiction pénale pour le délit d'initié ; qu'en revanche, le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit d'initié à une peine d'emprisonnement lorsqu'il s'agit d'une personne physique ; que, d'autre part, lorsque l'auteur d'un délit d'initié est une personne morale, le juge pénal peut prononcer sa dissolution et une amende cinq fois supérieure à celle pouvant être prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ; qu'il résulte de ce qui précède que les faits prévus et réprimés par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006, qui ne méconnaissent ni la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR LES DISPOSITIONS CONTESTÉES DE L'ARTICLE L. 621-15 DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER DANS SES RÉDACTIONS RÉSULTANT DE LA LOI DU 12 MAI 2009 ET DE L'ORDONNANCE DU 21 JANVIER 2010 :
14. Considérant que si la loi du 12 mai 2009 et l'ordonnance du 21 janvier 2010 ont modifié l'article L. 621-15 du code monétaire et financier postérieurement au 4 août 2008, les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de cet article sont demeurés inchangés ; que l'état du droit applicable à la poursuite et à la répression du délit d'initié et du manquement d'initié pendant la période durant laquelle l'article L. 621-15 dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008 était en vigueur est analogue à l'état du droit applicable pendant la période durant laquelle ce même article dans ses rédactions issues de la loi du 12 mai 2009 et de l'ordonnance du 21 janvier 2010 était en vigueur ; que, par suite, en l'absence de changement de circonstances, il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de ces dispositions,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du
code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de
l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mots « s'est livrée ou a tenté de se livrer à
une opération d'initié ou » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses rédactions résultant
de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures et de l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier
2010 portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 janvier 2016 où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 octobre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « et
appliqués lors de cette cession » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Jusqu'au 31 décembre 2012, les plus-values réalisées lors de la cession à titre
onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux et les éventuels compléments
de prix étaient soumis à l'impôt sur le revenu à un taux forfaitaire. À compter
du 1er janvier 2013, ils ont été soumis au barème progressif de l'impôt sur le
revenu après la prise en compte, le cas échéant, d'un abattement pour durée de détention.
En se fondant sur différentes exigences constitutionnelles, le requérant
critiquait l'exclusion du complément de prix du bénéfice de l'abattement pour
durée de détention lorsque cet abattement n'a pas été appliqué à la plus-value
réalisée lors de la cession.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution sous la réserve d'interprétation suivante.
Il a jugé que les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture
caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ni méconnaître le
principe d'égalité devant la loi, avoir pour effet de faire obstacle à
l'application de l'abattement pour durée de détention lorsque, à la date de la
cession des titres, la condition de durée de détention était satisfaite, soit
que cette cession a été réalisée avant le 1er janvier 2013, soit qu'elle n'a pas
dégagé de plus-value.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
Vu la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Mes Obadia et Bourgeois,
enregistrées les 28 octobre et 19 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Frédéric D. et autres par
Mes Obadia et Bourgeois, enregistrées le 4 novembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Éric S., par Me Rodolphe
Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées les 23 octobre et 19 novembre
2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 5 et 27
novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Mes Obadia et Bourgeois pour le requérant ainsi que pour M. D. et autres, Me
Mossé pour M. S. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 7 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans ses rédactions applicables aux revenus perçus jusqu'au 31 décembre 2012, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux ainsi que les compléments de prix y afférents, visés respectivement aux 1 et 2 du paragraphe I de l'article 150-0 A du même code, étaient soumis à l'impôt sur le revenu à un taux forfaitaire ;
2. Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 200 A, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 susvisée, lesdits plus-values et compléments de prix sont pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu ; que le deuxième alinéa du 1 de l'article 150-0 D prévoit cependant que ces plus-values sont réduites d'un abattement pour durée de détention déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du même article ;
3. Considérant que le troisième alinéa de ce même 1, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2013 susvisée, prévoit que le complément de prix est lui-même réduit de l'abattement prévu au deuxième alinéa du 1 de cet article « et appliqué lors de cette cession » ;
4. Considérant que le requérant et les parties intervenantes soutiennent qu'en excluant le complément de prix du bénéfice de l'abattement pour durée de détention lorsque cet abattement n'a pas été appliqué à la plus-value réalisée lors de la cession, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises et remettent en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations ; que, selon eux, cette exclusion porte également atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ; qu'elles méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
6. Considérant que les dispositions contestées, qui déterminent les conditions auxquelles est subordonnée l'application d'une règle d'assiette de l'impôt sur le revenu au complément de prix reçu par le cédant des titres d'une société, n'ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle ou à la liberté d'entreprendre ; que, par suite, les grief tirés de la méconnaissance de la liberté contractuelle et de la liberté d'entreprendre doivent être écartés ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
8. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ;
9. Considérant, que, d'une part, les dispositions contestées modifient, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, des règles d'assiette applicables à des faits générateurs postérieurs à leur entrée en vigueur ; que, d'autre part, la soumission à un taux forfaitaire, au titre de l'impôt sur le revenu, de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ne peut être regardée comme ayant fait naître l'attente légitime que le complément de prix y afférent soit soumis aux mêmes règles d'imposition ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
10. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
11. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer qu'en toute hypothèse la durée de détention ouvrant droit à abattement soit appréciée à la date de la cession des titres ; qu'ainsi, en excluant du bénéfice de l'abattement pour durée de détention les compléments de prix lorsque, à la date de la cession des titres, la condition de durée de détention n'était pas satisfaite, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi ;
12. Considérant, toutefois, que les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, avoir pour effet de faire obstacle à l'application de l'abattement pour durée de détention lorsque, à la date de la cession des titres, la condition de durée de détention était satisfaite, soit que cette cession a été réalisée avant le 1er janvier 2013, soit qu'elle n'a pas dégagé de plus-value ; que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ; qu'il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ;
13. Considérant que, sous la réserve énoncée au considérant
12, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 12, les mots « et appliqué
lors de cette cession » figurant au troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D
du code général des impôts sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 janvier 2016, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 octobre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.
3121-10 du code des transports.
Selon la seconde phrase de cet article, l'exercice de l'activité de conducteur
de taxi est incompatible avec l'exercice de l'activité de conducteur de voiture
de transport avec chauffeur (VTC).
Les requérants soutenaient que ces dispositions portent atteinte à la liberté
d'entreprendre. Le Conseil constitutionnel a fait droit à cette argumentation.
Il a relevé qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur avait
entendu lutter contre la fraude à l'activité de taxi, notamment dans le secteur
du transport de malades, et assurer la pleine exploitation des autorisations de
stationnement délivrées aux taxis.
Or, d'une part, l'activité de conducteur de taxi et celle de conducteur de VTC
sont exercées au moyen de véhicules comportant des signes distinctifs. Par
ailleurs, seuls les véhicules sanitaires légers et les taxis peuvent être
conventionnés avec les régimes obligatoires d'assurance maladie pour assurer le
transport des malades.
D'autre part, l'incompatibilité, prévue par les dispositions contestées, qui ne
concerne que les activités de conducteur de taxi et de conducteur de VTC, ne
fait pas obstacle à un cumul entre l'activité de conducteur de taxi et
l'activité de conducteur de véhicules motorisés à deux ou trois roues ou celle
de conducteur d'ambulance. En outre, cette incompatibilité ne s'applique pas au
titulaire d'une autorisation de stationnement qui n'exerce pas lui-même
l'activité de conducteur de taxi.
Le Conseil constitutionnel en a déduit qu'en instituant l'incompatibilité prévue
par les dispositions contestées, le législateur a porté à la liberté
d'entreprendre une atteinte qui n'est justifiée ni par les objectifs qu'il s'est
assignés ni par aucun autre motif d'intérêt général.
Il a, en conséquence, déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase de
l'article L. 3121-10 du code des transports.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des transports ;
Vu la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de
transport avec chauffeur ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Lyon-Caen et
Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 9
et 23 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 9
novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Frédéric Thiriez, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 7 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3121-10 du code des transports dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 susvisée : « L'exercice de l'activité de conducteur de taxi est subordonné à la délivrance d'une carte professionnelle par l'autorité administrative. Il est incompatible avec l'exercice de l'activité de conducteur de voiture de transport avec chauffeur » ;
2. Considérant que, selon les requérants, en interdisant aux conducteurs de taxi de cumuler leur activité avec celle de conducteur de voiture de transport avec chauffeur, ces dispositions portent une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'entreprendre ; qu'en particulier, ils font valoir que cette interdiction n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général ; qu'ils soutiennent également que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports ;
4. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
5. Considérant qu'en vertu de la première phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports, l'activité de conducteur de taxi est subordonnée à la délivrance d'une carte professionnelle par l'autorité administrative ; qu'en outre, l'article L. 3121-1 du même code prévoit que le propriétaire ou l'exploitant de taxi doit être titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 3122-3 du même code, les exploitants de voitures de transport avec chauffeur sont inscrits sur un registre régional dont les modalités de gestion sont définies par voie réglementaire ; que la première phrase de l'article L. 3122-8 du même code subordonne l'exercice de l'activité de conducteur de voiture de transport avec chauffeur à la délivrance d'une carte professionnelle par l'autorité administrative ;
6. Considérant qu'en prévoyant que l'exercice de l'activité de conducteur de taxi est incompatible avec l'exercice de l'activité de conducteur de voiture de transport avec chauffeur, le législateur a entendu, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 1er octobre 2014, d'une part, lutter contre la fraude à l'activité de taxi, notamment dans le secteur du transport de malades et, d'autre part, assurer la pleine exploitation des autorisations de stationnement sur la voie publique ;
7. Considérant, toutefois, que, d'une part, l'activité de conducteur de taxi et celle de conducteur de voiture de transport avec chauffeur sont exercées au moyen de véhicules comportant des signes distinctifs ; que seuls les véhicules sanitaires légers et les taxis peuvent être conventionnés avec les régimes obligatoires d'assurance maladie pour assurer le transport des malades ; que, d'autre part, l'incompatibilité, prévue par la seconde phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports, qui ne concerne que les activités de conducteur de taxi et de conducteur de voiture de transport avec chauffeur, ne fait pas obstacle à un cumul entre l'activité de conducteur de taxi et l'activité de conducteur de véhicules motorisés à deux ou trois roues ou celle de conducteur d'ambulance ; qu'en outre, cette incompatibilité ne s'applique pas au titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique qui n'exerce pas lui-même l'activité de conducteur de taxi ; que, dans ces conditions, en instituant l'incompatibilité prévue par les dispositions contestées, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui n'est justifiée ni par les objectifs qu'il s'est assignés ni par aucun autre motif d'intérêt général ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions de la seconde phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de
la seconde phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports prend effet à
compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être
invoquée dans toutes les instances introduites à sa date de publication et non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- La seconde phrase de l'article L. 3121-10 du code des transports est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 octobre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
Fédération des promoteurs immobiliers relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article L. 4231-1 du code du travail.
Les dispositions du deuxième alinéa de cet article imposent au maître d'ouvrage
ou au donneur d'ordre de prendre à sa charge l'hébergement collectif des
salariés de son cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou
indirecte, lorsque ces salariés sont soumis à des conditions d'hébergement
collectif incompatibles avec la dignité humaine.
La fédération requérante soutenait que les dispositions de l'article L. 4231-1
du code du travail créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les
charges publiques. Le Conseil constitutionnel avait en outre soulevé d'office le
grief tiré de ce qu'elles porteraient atteinte au principe de responsabilité.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution en assortissant sa décision de deux réserves d'interprétation.
D'une part, la mise en œuvre de la responsabilité du maître d'ouvrage ou du
donneur d'ordre est nécessairement subordonnée au constat par les agents de
contrôle compétents d'une infraction aux dispositions de l'article 225-14 du
code pénal imputable à l'un de ses cocontractants ou d'une entreprise
sous-traitante directe ou indirecte.
D'autre part, l'obligation de prise en charge de l'hébergement collectif des
salariés de l'entreprise cocontractante ou sous-traitante par le maître
d'ouvrage ou le donneur d'ordre est limitée aux salariés qui sont employés à
l'exécution du contrat direct ou de sous-traitance et à la durée d'exécution
dudit contrat.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 73-548 du 27 juin 1973 relative à l'hébergement collectif ;
Vu la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence
déloyale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16
novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la lettre du 22 décembre 2015 par laquelle le Conseil constitutionnel a
soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Me Frédéric Blancpain pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 4231-1 du code
du travail dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2014 susvisée : «
Tout maître d'ouvrage ou tout donneur d'ordre, informé par écrit, par un agent
de contrôle mentionné à l'article L. 8271-1-2 du présent code, du fait que des
salariés de son cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou
indirecte sont soumis à des conditions d'hébergement collectif incompatibles
avec la dignité humaine, mentionnées à l'article 225-14 du code pénal, lui
enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation.
« À défaut de régularisation de la situation signalée, le maître d'ouvrage ou le
donneur d'ordre est tenu de prendre à sa charge l'hébergement collectif des
salariés, dans des conditions respectant les normes prises en application de
l'article L. 4111-6 du présent code.
« Le présent article ne s'applique pas au particulier qui contracte avec une
entreprise pour son usage personnel, celui de son conjoint, de son partenaire
lié par un pacte civil de solidarité, de son concubin ou de ses ascendants ou
descendants » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, en imposant au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre de prendre à sa charge l'hébergement collectif des salariés de son cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou indirecte, lorsque ces salariés sont soumis à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, les dispositions contestées créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe de responsabilité qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article L. 4231-1 du code du travail ;
4. Considérant, d'une part, que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ;
5. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » ;
6. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ;
8. Considérant, en outre, qu'aux termes du seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales » ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE RESPONSABILITÉ :
9. Considérant qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789 que la loi peut prévoir l'engagement de la responsabilité d'une personne autre que celle par la faute de laquelle le dommage est arrivé à la condition que l'obligation qu'elle crée soit en rapport avec un motif d'intérêt général ou de valeur constitutionnelle et proportionnée à cet objectif ;
10. Considérant qu'il ressort des dispositions contestées que, lorsque le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre a été informé par écrit par l'autorité administrative du fait que des salariés de son cocontractant ou d'une entreprise sous-traitante directe ou indirecte sont soumis à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, à défaut de régularisation par le cocontractant ou l'entreprise sous-traitante, le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu de prendre à sa charge l'hébergement collectif de ces salariés ; qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a principalement entendu assurer la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation et poursuivre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ;
11. Considérant, en premier lieu, que la mise en œuvre de la responsabilité du maître d'ouvrage ou du donneur d'ordre est nécessairement subordonnée au constat par les agents de contrôle compétents d'une infraction aux dispositions de l'article 225-14 du code pénal imputable à l'un de ses cocontractants ou d'une entreprise sous-traitante directe ou indirecte ; que les salariés victimes de cette infraction et restant soumis à des conditions d'hébergement indignes sont employés à l'exécution d'un contrat visant à la production de biens ou à la fourniture de services pour le compte du donneur d'ordre et destinés au maître d'ouvrage ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que l'agent de contrôle qui a constaté l'infraction notifie cette situation au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre, en désignant les salariés victimes, le cocontractant ou l'entreprise sous-traitante en cause et en décrivant les conditions d'hébergement estimées incompatibles avec la dignité humaine, en lui impartissant de les faire cesser dans un délai compatible avec la situation d'urgence constatée ; que le destinataire de la notification peut contester l'engagement de sa responsabilité devant la juridiction compétente ; qu'il a la faculté d'agir auprès de son cocontractant ou de l'entreprise sous-traitante, par les moyens contractuels dont il dispose, aux fins de régularisation ;
13. Considérant, en troisième lieu, que les frais et préjudices engendrés par la prise en charge de l'hébergement collectif des salariés dans des conditions conformes à la réglementation applicable, par le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre, en raison de la défaillance de leur cocontractant ou sous-traitant, peuvent donner lieu aux procédures de recouvrement de droit commun à l'égard de l'entreprise débitrice de l'obligation principale d'hébergement ;
14. Considérant, toutefois, que le principe de responsabilité serait méconnu si les dispositions déférées imposaient au maître d'ouvrage ou au donneur d'ordre une obligation de prise en charge de l'hébergement collectif des salariés autres que ceux qui sont employés à l'exécution du contrat direct ou de sous-traitance et pendant une durée excédant celle de l'exécution dudit contrat
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 14, l'obligation de prise en charge de l'hébergement collectif, par le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre, de salariés soumis par leur cocontractant ou sous-traitant direct ou indirect à une situation incompatible avec la dignité humaine, qui est en relation avec l'objectif de satisfaire les exigences constitutionnelles précitées, n'est pas manifestement disproportionnée à la réalisation de cet objectif ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe de responsabilité doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES :
16. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que si le principe d'égalité devant les charges publiques, qui résulte de l'article 13 de la Déclaration de 1789, n'interdit pas au législateur de mettre à la charge de certaines catégories de personnes des charges particulières en vue d'améliorer les conditions de vie d'autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
17. Considérant qu'indépendamment de la mise en œuvre par l'administration des pouvoirs d'injonction, de fermeture des lieux d'hébergement collectif qui ne satisfont pas aux prescriptions légales ou réglementaires applicables et de relogement des occupants par voie de réquisition en application de la loi du 27 juin 1973 susvisée, l'obligation pour le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre de prendre en charge l'hébergement collectif des salariés soumis par son cocontractant ou par une entreprise sous-traitante à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, fait supporter aux personnes tenues à cette obligation une charge particulière ; que cette charge, instituée dans le cadre de relations contractuelles directes ou indirectes, vise à améliorer les conditions de vie des salariés exposés à un hébergement collectif incompatible avec la dignité humaine ;
18. Considérant que, dans les conditions décrites ci-dessus et compte tenu des réserves énoncées aux considérants 11 et 14, il ne résulte pas de cette obligation une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 14, le deuxième alinéa de l'article L. 4231-1 du code du travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 14, le deuxième alinéa de l'article L. 4231-1 du code du travail est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 novembre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
l'association Avenir Haute Durance et plusieurs autres requérants, relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° de
l'article L. 323-4 du code de l'énergie.
En vertu de ces dispositions, la déclaration d'utilité publique relative à
l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou
de distribution d'électricité confère au concessionnaire le droit « d'établir à
demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs
aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ».
L'association requérante faisait notamment valoir que ces dispositions portent
atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation en assortissant sa décision d'une réserve.
Il a jugé, d'une part, que les servitudes instituées par les dispositions
contestées n'entraînent pas une privation de propriété au sens de l'article 17
de la Déclaration de 1789 mais une limitation apportée à l'exercice du droit de
propriété. Le Conseil a néanmoins relevé qu'il en serait toutefois autrement si
la sujétion ainsi imposée devait aboutir, compte tenu de l'ampleur de ses
conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à
vider le droit de propriété de son contenu. Sous cette réserve, les dispositions
contestées ne méconnaissent pas les dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil constitutionnel a relevé, d'autre part, les garanties qui
proportionnent l'atteinte portée au droit de propriété par les dispositions
contestées à l'objectif poursuivi de réalisation des infrastructures de
transport et de distribution de l'électricité. En particulier, en vertu de
l'article L. 323-6 du code de l'énergie, la servitude ne fait pas obstacle au
droit du propriétaire de se clore ou de bâtir. Par ailleurs, l'exercice de ce
droit suppose qu'il conserve la possibilité d'opérer toute modification de sa
propriété conforme à son utilisation normale. Enfin, lorsque l'établissement de
cette servitude entraîne un préjudice direct, matériel et certain, il ouvre
droit, en vertu de l'article L. 323-7 du même code, à une indemnité au profit
des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. Le
Conseil constitutionnel a, en conséquence, écarté le grief fondé sur l'article 2 de la Déclaration de 1789.
Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la
Constitution les dispositions du 3° de l'article L. 323-4 du code de l'énergie.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu l'ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 portant codification de la partie
législative du code de l'énergie ;
Vu la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement
durable, notamment son article 38 ;
Vu la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour
la croissance verte ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Tête, enregistrées les
22 novembre et 8 décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la société Réseau de Transport d'Électricité,
partie en défense, par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 25 novembre et 10 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 25 novembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Tête pour les requérants, Me Paul Mathonnet pour la partie en défense et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-3 du code de
l'énergie, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 susvisée : «
Les travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la
concession de transport ou de distribution d'électricité peuvent être, sur
demande du concédant ou du concessionnaire, déclarés d'utilité publique par l'autorité administrative.
« La déclaration d'utilité publique est précédée d'une étude d'impact et d'une
enquête publique dans les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre
II du livre Ier du code de l'environnement. Si le projet de travaux n'est pas
soumis à enquête publique en application du même code, une consultation du
public sur le dossier de déclaration d'utilité publique est organisée dans les
mairies des communes traversées par l'ouvrage, pendant une durée qui ne peut
être inférieure à quinze jours, afin d'évaluer les atteintes que le projet
pourrait porter à la propriété privée. La consultation est annoncée par voie de
publication dans au moins un journal de la presse locale et par affichage en
mairie, l'information précisant les jours, heures et lieux de consultation. Un
registre est mis à la disposition du public afin de recueillir ses observations.
Le maître d'ouvrage adresse une synthèse appropriée de ces observations et de
celles reçues, par ailleurs, au service instructeur avant la décision de
déclaration d'utilité publique.
« S'il y a lieu à expropriation, il y est procédé conformément aux dispositions
du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-4 du code de
l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 susvisée : « La
déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des
travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et
règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le
concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui
dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements.
« La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit :
« 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens
d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie
publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments, à la condition qu'on y
puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra être
exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité
qu'au point de vue de la commodité des habitants, par les décrets en Conseil
d'État prévus à l'article L. 323-11. Ces décrets doivent limiter l'exercice de
ce droit au cas de courants électriques tels que la présence de ces conducteurs
d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter,
nonobstant les précautions prises conformément aux décrets des dangers graves
pour les personnes ou les bâtiments ;
« 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés
privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus ;
« 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour
conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés
de murs ou autres clôtures équivalentes ;
« 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des
conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur
mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-5 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux » ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-6 du code de
l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 : « La
servitude établie n'entraîne aucune dépossession.
« La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des
bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou
surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non
bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir » ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-7 du code de
l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Lorsque
l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice
direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des
propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit.
« L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut
d'accord amiable, par le juge judiciaire » ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-8 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Les actions en indemnité sont prescrites dans un délai de deux ans à compter du jour de la déclaration de mise en service de l'ouvrage lorsque le paiement de l'indemnité incombe à une collectivité publique » ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-9 du code de
l'énergie, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 mai 2011 : « Un décret
en Conseil d'État précise les conditions et modalités d'application de la
présente section. Il détermine notamment les formes de la déclaration d'utilité
publique prévue à l'article L. 323-3. Il fixe également :
« 1° Les conditions d'établissement des servitudes auxquelles donnent lieu les
travaux déclarés d'utilité publique et qui n'impliquent pas le recours à l'expropriation ;
« 2° Les conditions dans lesquelles le propriétaire peut exécuter les travaux
mentionnés à l'article L. 323-6 » ;
8. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent l'article 7 de la Charte de l'environnement dès lors que les terrains concernés par le tracé de détail d'une ligne électrique et les servitudes d'implantation de pylônes supportant une ligne électrique aérienne qui en résultent ne sont pas déterminés à la date à laquelle est organisée, selon les cas, l'enquête publique ou la consultation du public qui précède la déclaration d'utilité publique nécessaire à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité ; que l'implantation d'un pylône sur une propriété privée aurait des conséquences d'une ampleur telle qu'il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que serait enfin méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif dès lors que le propriétaire dont le terrain accueille un pylône ne peut, à aucun moment, contester le bien-fondé de la création de la ligne électrique, son tracé et l'implantation de ce pylône ;
9. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 3° de l'article L. 323-4 du code de l'énergie ;
10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions ;
11. Considérant que les décisions établissant les servitudes instituées par les dispositions contestées sont des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement ;
12. Considérant que, dans les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement, l'article L. 323-3 du code de l'énergie prévoit que la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité est précédée d'une étude d'impact et d'une enquête publique ; que, si le projet de travaux n'est pas soumis à enquête publique en application du code de l'environnement, l'article L. 323-3 prévoit l'organisation d'une consultation du public sur le dossier de déclaration d'utilité publique et en fixe les modalités ; que cette consultation est organisée dans les mairies des communes traversées par l'ouvrage ; que la durée de cette consultation ne peut être inférieure à quinze jours ; que cette consultation est annoncée par voie de publication dans au moins un journal de la presse locale et par affichage en mairie, l'information précisant les jours, heures et lieux de consultation ; qu'un registre est mis à la disposition du public afin de recueillir ses observations ; que le maître de l'ouvrage adresse une synthèse de ces observations et de celles reçues, par ailleurs, au service instructeur avant la décision de déclaration d'utilité publique ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement doit être écarté ;
13. Considérant, en deuxième lieu, que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
14. Considérant, d'une part, que les servitudes instituées par les dispositions contestées n'entraînent pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation apportée à l'exercice du droit de propriété ; qu'il en serait toutefois autrement si la sujétion ainsi imposée devait aboutir, compte tenu de l'ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;
15. Considérant, d'autre part, qu'en instituant ces servitudes le législateur a entendu faciliter la réalisation des infrastructures de transport et de distribution de l'électricité ; qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général ; que l'établissement de la servitude est subordonné à la déclaration d'utilité publique susmentionnée ; que cette servitude ne peut grever que des terrains non bâtis qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; qu'en vertu de l'article L. 323-6 du code de l'énergie, elle ne fait pas obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ; que l'exercice de ce droit suppose qu'il conserve la possibilité d'opérer toutes modifications de sa propriété conformes à son utilisation normale ; que lorsque l'établissement de cette servitude entraîne un préjudice direct, matériel et certain, il ouvre droit, en vertu de l'article L. 323-7 du même code, à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit ; qu'il s'ensuit que l'atteinte portée au droit de propriété par les dispositions contestées est proportionnée à l'objectif poursuivi ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
16. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif ;
17. Considérant que le propriétaire dont le terrain est grevé de l'une des servitudes instituées par les dispositions contestées n'est privé de l'exercice d'aucune des voies de recours prévues à l'encontre de la déclaration d'utilité publique susmentionnée et des actes subséquents, notamment de la décision établissant la servitude ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté ;
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que,
sous la réserve énoncée au considérant 14, les dispositions du 3° de l'article
L. 323-4 du code de l'énergie, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté
que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 14, les dispositions du 3°
de l'article L. 323-4 du code de l'énergie sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2016, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 novembre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée par le
Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et plusieurs autres requérants,
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
6° de l'article L. 2151-1, du 3° de l'article L. 2152-1 et du 3° de l'article L. 2152-4 du code du travail.
Ces dispositions prévoient que la représentativité des organisations
professionnelles d'employeurs est déterminée notamment selon leur audience,
laquelle se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes à
l'organisation professionnelle. Les requérants reprochaient à ces dispositions
de ne pas prendre en considération d'autres éléments tels que le nombre de
salariés ou le chiffre d'affaires des entreprises adhérentes. Les requérants en
déduisaient en particulier qu'étaient méconnues la liberté syndicale et les
exigences du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Les requérants reprochaient également aux seuils d'audience nécessaire à la
représentativité, prévus par ces dispositions, de méconnaître ces exigences constitutionnelles.
Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs.
S'agissant du grief relatif à la liberté syndicale, le Conseil constitutionnel a
relevé, d'une part, qu'en prévoyant que l'audience de ces organisations se
mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a
entendu assurer un égal accès à la représentativité des organisations
professionnelles d'employeurs, quel que soit le nombre des salariés employés par
les entreprises adhérentes ou leur chiffre d'affaires.
Le Conseil constitutionnel a relevé, d'autre part, que la liberté d'adhérer au
syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946,
n'impose pas que toutes les organisations professionnelles d'employeurs soient
reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience. En fixant
à 8 % le seuil minimum d'audience permettant l'accès à la représentativité des
organisations professionnelles d'employeurs, le législateur a entendu éviter la
dispersion de la représentativité patronale et n'a pas fait obstacle au pluralisme.
En ce qui concerne le grief fondé sur le huitième alinéa du Préambule de 1946,
le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition, qui consacre un droit
des travailleurs, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la participation et à
la détermination collective de leurs conditions de travail, ne confère aucun
droit équivalent au bénéfice des employeurs, lesquels fixent les conditions de
travail des salariés.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré conformes à la Constitution
le 6° de l'article L. 2151-1, le 3° de l'article L. 2152-1 et le 3° de l'article
L. 2152-4 du code du travail.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à
l'emploi et à la démocratie sociale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Gatineau Fattaccini,
enregistrées les 30 novembre et 16 décembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association Confédération
Générale des Petites et Moyennes Entreprises par Mes Arnaud Charvin et Aymeric
Hamon, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées le 30 novembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 1er
décembre 2015 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association Union
Professionnelle Artisanale par Me Jean-Michel Leprêtre, avocat au barreau de
Paris, enregistrées les 1er et 16 décembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Jacques Gatineau pour les requérants, Me Leprêtre pour l'Union
Professionnelle Artisanale, partie intervenante et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article L. 2151-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2014 susvisée, définit les critères de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs ; que l'un de ces critères est, aux termes du 6° de cet article, « L'audience, qui se mesure en fonction du nombre d'entreprises adhérentes et, selon les niveaux de négociation, en application du 3° des articles L. 2152-1 ou L. 2152-4 » ;
2. Considérant que l'article L. 2152-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2014, définit les critères de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs au niveau de la branche professionnelle ; qu'au nombre de ces critères figure celui prévu par le 3° de cet article aux termes duquel sont représentatives les organisations professionnelles d'employeurs « Dont les entreprises adhérentes à jour de leur cotisation représentent au moins 8 % de l'ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d'employeurs de la branche satisfaisant aux critères mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 2151-1 et ayant fait la déclaration de candidature prévue à l'article L. 2152-5. Le nombre d'entreprises adhérant à ces organisations est attesté, pour chacune d'elles, par un commissaire aux comptes, qui peut être celui de l'organisation, dans des conditions déterminées par voie réglementaire. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans » ;
3. Considérant que l'article L. 2152-4 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2014, définit les critères de la représentativité patronale au niveau national et interprofessionnel ; qu'au nombre de ces critères figure celui prévu par le 3° de cet article aux termes duquel sont représentatives les organisations professionnelles d'employeurs « Dont les entreprises et les organisations adhérentes à jour de leur cotisation représentent au moins 8 % de l'ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles d'employeurs satisfaisant aux critères mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 2151-1 et ayant fait la déclaration de candidature prévue à l'article L. 2152-5. Le nombre d'entreprises adhérant à ces organisations est attesté, pour chacune d'elles, par un commissaire aux comptes, qui peut être celui de l'organisation, dans des conditions déterminées par voie réglementaire. La mesure de l'audience s'effectue tous les quatre ans » ;
4. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaissent les exigences des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et le principe d'égalité devant la loi ; qu'ils soutiennent également que ces dispositions méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA LIBERTÉ SYNDICALE ET DU PRINCIPE DE PARTICIPATION :
5. Considérant que, selon les requérants, en prévoyant que la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs est déterminée notamment selon leur audience, laquelle se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes à l'organisation professionnelle, sans prendre en considération le nombre des salariés ou le chiffre d'affaires de ces entreprises, le législateur a méconnu la liberté syndicale garantie par le sixième alinéa du Préambule de 1946 ; qu'il aurait aussi méconnu les exigences du huitième alinéa de ce Préambule dans la mesure où la participation des employeurs à la négociation collective ne serait ainsi pas garantie ; qu'enfin, les seuils d'audience nécessaires à la représentativité méconnaîtraient également ces mêmes exigences constitutionnelles ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; qu'il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, de fixer les conditions de mise en œuvre de ce droit dans le respect du principe énoncé au sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
7. Considérant que les organisations professionnelles d'employeurs ont pour objet la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des employeurs ; que le 6° de l'article L. 2151-1 du code du travail prévoit que pour apprécier la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs, il est tenu compte de leur audience, laquelle se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes à ces organisations ; qu'en vertu du 3° de l'article L. 2152-1 et du 3° de l'article L. 2152-4, pour être représentatives au niveau de la branche ou au niveau national et interprofessionnel, ces organisations doivent représenter au moins 8 % de l'ensemble des entreprises adhérant à des organisations professionnelles dans le champ d'activité considéré ;
8. Considérant qu'il était loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en œuvre de la liberté syndicale, de définir des critères de représentativité des organisations professionnelles d'employeurs ;
9. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant que l'audience de ces organisations se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a entendu assurer un égal accès à la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs quel que soit le nombre des salariés employés par les entreprises adhérentes ou leur chiffre d'affaires ; qu'en outre, en vertu du troisième alinéa de l'article L. 2261-19 du code du travail, le nombre de salariés des entreprises adhérant aux organisations professionnelles d'employeurs est pris en compte en matière de négociation collective ;
10. Considérant, d'autre part, que la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946, n'impose pas que toutes les organisations professionnelles d'employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience ; qu'en fixant à 8 % le seuil minimum d'audience permettant l'accès à la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs, le législateur a entendu éviter la dispersion de la représentativité patronale et n'a pas fait obstacle au pluralisme ; qu'il résulte de tout ce qui précède que, dans ces conditions, le législateur n'a pas méconnu les exigences découlant du sixième alinéa du Préambule de 1946 ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté syndicale doit être écarté ;
11. Considérant, en second lieu, que le Préambule de la Constitution de 1946 dispose en son huitième alinéa que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'il ressort notamment de ces dispositions qu'il incombe au législateur de déterminer, dans le respect de ce principe et de la liberté syndicale, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise ; qu'à cette fin, le droit de participer « par l'intermédiaire de leurs délégués » à « la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés ; que le huitième alinéa, qui consacre un droit aux travailleurs, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la participation et à la détermination collectives de leurs conditions de travail, ne confère aucun droit équivalent au bénéfice des employeurs ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance des exigences du huitième alinéa du Préambule de 1946 est inopérant ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI :
12. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où l'adhésion d'une entreprise à une organisation professionnelle d'employeurs est prise en compte de manière identique pour la détermination de sa représentativité quel que soit le nombre de salariés employés par l'entreprise ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
14. Considérant qu'en prévoyant que l'audience d'une organisation professionnelle d'employeurs se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes à cette organisation, le législateur a traité de la même manière l'ensemble des entreprises ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté ;
Considérant que les dispositions du 6° de l'article L.
2151-1, du 3° de l'article L. 2152-1 et du 3° de l'article L. 2152-4 du code du
travail, qui ne sont en tout état de cause pas inintelligibles, ne sont
contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ;
qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 6° de l'article L. 2151-1, le 3° de l'article L. 2152-1 et le
3° de l'article L. 2152-4 du code du travail sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 novembre 2015
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée
par la société Metro Holding France SA, relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du b ter du 6 de l'article 145 du code
général des impôts dans sa version issue de la loi de finances pour 1993.
La société requérante se plaignait de la discrimination, résultant de
l'interprétation par le Conseil d'État de ces dispositions, entre les sociétés
recevant des produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés
des droits de vote selon que ces produits sont versés par une filiale établie en
France, auquel cas elles ne bénéficient pas du régime fiscal des sociétés mères,
ou par une filiale établie dans un autre État membre de l'Union européenne,
auquel cas elles bénéficient de ce régime fiscal.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'en édictant une condition relative aux
droits de vote attachés aux titres des filiales pour pouvoir bénéficier du
régime fiscal des sociétés mères, le législateur a entendu favoriser
l'implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs
filiales. Il en a déduit que la différence de traitement entre les produits de
titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales,
est sans rapport avec un tel objectif.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraire à la
Constitution le b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la directive n° 90/435/CE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal
commun applicable aux sociétés mères et aux filiales d'États membres différents,
ensemble sa modification par la directive n° 2003/123/CE du 22 décembre 2003 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Piwnica et
Molinié, enregistrées les 7 et 21 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 décembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Marc Priol, avocat au barreau des Hauts-de-Seine pour la société
requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 26 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; que la société requérante a contesté la remise en cause de l'application du régime fiscal des sociétés mères aux produits retirés de la cession de titres de participation pour l'exercice clos en 2003 ; qu'ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts dans sa version issue de la loi du 30 décembre 1992 susvisée ;
2. Considérant que l'article 145 du code général des impôts détermine les conditions requises pour bénéficier de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue, en faveur des sociétés mères, par l'article 216 du même code ; que le 6 de l'article 145 énumère les cas dans lesquels les produits des titres de participation versés par une filiale à sa société mère sont exclus du bénéfice du régime des sociétés mères ; qu'aux termes du b ter de ce 6, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1992, ce régime fiscal n'est pas applicable : « Aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote » ;
3. Considérant que, selon la société requérante, il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, une différence de traitement entre les sociétés recevant des produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés des droits de vote selon que ces produits sont versés par une filiale établie en France, auquel cas elles ne bénéficient pas du régime fiscal des sociétés mères, ou par une filiale établie dans un autre État membre de l'Union européenne, auquel cas elles bénéficient de ce régime fiscal ; que cette différence de traitement serait contraire au principe d'égalité devant la loi ; que les dispositions contestées méconnaîtraient également le principe d'égalité devant les charges publiques en raison de la double imposition économique à laquelle seraient soumis les produits des titres de participation reçus par une société mère de la part de sa filiale établie en France ;
4. Considérant qu'il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d'État que l'exclusion, instituée par les dispositions contestées, de la déduction du bénéfice net total de la société mère des produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n'est attaché est seulement applicable aux produits des titres de participation de sociétés établies en France ou dans des États autres que les États membres de l'Union européenne ;
5. Considérant qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
8. Considérant qu'il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères selon que les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droits de vote sont versés soit par une filiale établie en France ou dans un État autre qu'un État membre de l'Union européenne soit, à l'inverse, par une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne ; que ces sociétés se trouvent, au regard de l'objet de ce régime fiscal, dans la même situation ;
9. Considérant que l'exclusion de l'application des dispositions contestées aux produits des titres de participation de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France tire les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive n° 90/435/CE susvisée et ne met en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France ; qu'en revanche, l'application des dispositions contestées aux produits des titres de participation de filiales établies en France ou dans un État non membre de l'Union européenne ne procède pas de la transposition de la directive n° 90/435/CE ;
10. Considérant qu'en édictant une condition relative aux droits de vote attachés aux titres des filiales pour pouvoir bénéficier du régime fiscal des sociétés mères, le législateur a entendu favoriser l'implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales ; que la différence de traitement entre les produits de titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales, est sans rapport avec un tel objectif ; qu'il en résulte une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ; que le b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution ;
11. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
12. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité du
b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts prend effet à compter de
la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée
dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Le b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts dans sa
rédaction issue de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 12.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi les 30 novembre et 18
décembre 2015 par le Conseil d'État de deux questions prioritaires de
constitutionnalité posées par la commune d'Éguilles et la commune de Pertuis
relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales.
La loi du 27 janvier 2014 a créé la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Cette
métropole constitue un nouvel établissement public de coopération intercommunale
(EPCI) qui regroupe les communes membres de plusieurs EPCI pour leur permettre d'exercer en commun des compétences.
Les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code
général des collectivités territoriales sont relatives à la répartition entre
les communes des sièges de conseiller communautaire au sein de l'organe
délibérant de la métropole.
Elles instituent un système d'attribution de sièges supplémentaires à certaines
communes membres propre à la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Elles prévoient
ainsi l'attribution de plein droit de sièges supplémentaires, répartis à la
représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, entre les communes de la
métropole d'Aix-Marseille-Provence qui ont bénéficié de la répartition des
sièges en vertu des dispositions du 1° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1
du code général des collectivités territoriales. Elles fixent le nombre de
sièges supplémentaires ainsi répartis à 20 % du total des sièges précédemment
répartis en vertu des dispositions des 1° à 4° du paragraphe IV de l'article L.
5211-6-1.
Les communes requérantes reprochaient notamment à ces dispositions de
méconnaître le principe d'égalité devant le suffrage.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation.
Il a d'abord relevé qu'en adoptant les dispositions contestées le législateur a
entendu, pour la métropole d'Aix-Marseille-Provence, réduire les écarts de
représentation entre les communes les plus peuplées et les autres communes de
cette métropole, lesquels résultent des écarts démographiques particulièrement
prononcés entre les communes membres de cette métropole et de l'application de
la règle fixée par le 2° du paragraphe IV à un nombre important de communes peu
peuplées.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé qu'en attribuant des sièges
supplémentaires à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aux
communes qui se sont vu allouer des sièges lors de la première répartition selon
la même règle, le législateur a permis que la représentation des communes les
plus peuplées de la métropole se rapproche de la représentation moyenne de
l'ensemble des communes de la métropole. L'attribution de ces sièges a pour
effet de réduire substantiellement l'écart entre le rapport du nombre de membres
de l'organe délibérant alloués à une commune et sa population et le rapport du
nombre total de membres de l'organe délibérant et la population de la métropole.
Si, dans le même temps, cette attribution a pour conséquence d'accroître «
l'écart à la moyenne » pour certaines communes, ces dernières ne représentent
qu'une faible part de l'ensemble des communes et de l'ensemble de la population
de la métropole. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il s'ensuit que les
dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général
des collectivités territoriales, qui ont pour effet d'améliorer la
représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole
Aix-Marseille-Provence, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant le
suffrage.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conforme à la Constitution
le 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des
collectivités territoriales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique
territoriale et d'affirmation des métropoles ;
Vu la loi n° 2015-264 du 9 mars 2015 autorisant l'accord local de répartition
des sièges de conseiller communautaire ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la commune d'Éguilles par Me Bluteau,
enregistrées les 21 et 22 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 22
décembre 2015 et 11 janvier 2016 ;
Vu les observations produites pour la commune de Pertuis par la SELARL Abeille
et Associés, le 11 janvier 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour la commune de Marseille par
la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat au Conseil d'État et
à la Cour de cassation, enregistrées les 22 décembre 2015, 6 et 11 janvier 2016
;
Vu les observations du Président du Sénat, enregistrées le 19 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Philippe Bluteau pour les communes d'Éguilles et de Pertuis, Me Claire
Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la commune de
Marseille, partie intervenante et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 11 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions prioritaires de constitutionnalité pour y répondre par une seule décision ;
2. Considérant que les dispositions des paragraphes II à IV et VI de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales fixent les règles selon lesquelles est composé l'organe délibérant des métropoles ; que le nombre des sièges à pourvoir est en premier lieu fixé en proportion de la population totale de l'établissement public de coopération intercommunale, selon un tableau figurant au paragraphe III de cet article ; qu'en vertu du 1° du paragraphe IV, ces sièges sont répartis entre les communes membres de la métropole à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'en vertu du 2° de ce même paragraphe IV, les communes qui n'ont pu bénéficier de cette répartition se voient attribuer un siège au-delà de l'effectif fixé par le tableau ; qu'en vertu du 3° de ce même paragraphe IV, si une commune obtient plus de la moitié des sièges, le nombre de sièges qui lui sont attribués est plafonné à la moitié et les sièges en surplus sont répartis entre les autres communes à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'en vertu du 4° de ce même paragraphe IV, si une commune se voit attribuer un nombre de sièges supérieur à celui de ses conseillers municipaux, le nombre de sièges est réduit à due concurrence tant pour l'organe délibérant dans son ensemble que pour la commune dont il s'agit ;
3. Considérant qu'en vertu du premier alinéa du paragraphe VI de l'article L. 5211-6-1, les communes de la métropole peuvent créer et répartir un nombre de sièges supplémentaires inférieur ou égal à 10 % du nombre total des sièges issu de l'application des paragraphes III et IV ; que toutefois, cette faculté est ouverte, aux termes de cet alinéa dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2015 susvisée, aux métropoles « à l'exception de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » ;
4. Considérant qu'aux termes du 4° bis du paragraphe IV du même article L. 5211-6-1, dans sa rédaction issue de la loi du 27 janvier 2014 susvisée : « Dans la métropole d'Aix-Marseille-Provence, sont attribués en supplément, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, aux communes ayant bénéficié de la répartition des sièges prévue au 1° du présent IV, 20 % de la totalité des sièges, répartis en application des 1° et 2° du même IV » ;
5. Considérant que, selon les communes requérantes, si les dispositions contestées ont pour effet d'améliorer la représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole issus des communes les plus peuplées de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, elles altèrent la représentativité de ceux des autres communes désignés à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ; qu'ainsi, ces dispositions amplifieraient les inégalités de représentation dans une proportion telle qu'il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage ; que, selon la commune de Pertuis, en permettant que la commune de Marseille bénéficie d'un nombre de conseillers métropolitains supérieur à celui de ses conseillers municipaux, ces dispositions méconnaissent également le droit de suffrage ; qu'enfin, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et porteraient une atteinte manifestement disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales ;
6. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE :
7. Considérant que, selon le premier alinéa de l'article 72 de la Constitution : « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi » ; que le troisième alinéa du même article dispose que ces collectivités « s'administrent librement par des conseils élus » dans les conditions prévues par la loi ; que selon le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret » ; que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ;
8. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent aux lieu et place de celles-ci des compétences qui leur sont dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques ; que s'il s'ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale membre de l'établissement public de coopération, il peut être toutefois tenu compte, dans une mesure limitée, d'autres considérations d'intérêt général ;
9. Considérant que les dispositions contestées prévoient l'attribution de plein droit de sièges supplémentaires, répartis à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne entre les communes de la métropole d'Aix-Marseille-Provence qui ont bénéficié de la répartition des sièges en vertu des dispositions du 1° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales ; qu'elles fixent le nombre de sièges supplémentaires ainsi répartis à 20 % du total des sièges précédemment répartis en vertu des dispositions des 1° à 4° du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 ;
10. Considérant qu'ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 27 janvier 2014, le législateur a entendu, en instituant cette règle complémentaire réservée à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, réduire les écarts de représentation entre les communes les plus peuplées et les autres communes de cette métropole, lesquels résultent des écarts démographiques particulièrement prononcés entre les communes membres de cette métropole et de l'application de la règle fixée par le 2° du paragraphe IV à un nombre important de communes peu peuplées ;
11. Considérant qu'en attribuant des sièges supplémentaires à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aux communes qui se sont vu allouer des sièges lors de la première répartition selon la même règle, le législateur a permis que la représentation des communes les plus peuplées de la métropole se rapproche de la représentation moyenne de l'ensemble des communes de la métropole ; que l'attribution de ces sièges a pour effet de réduire substantiellement l'écart entre le rapport du nombre de membres de l'organe délibérant alloués à une commune et sa population et le rapport du nombre total de membres de l'organe délibérant et la population de la métropole ; que si, dans le même temps, cette attribution a pour conséquence d'accroître « l'écart à la moyenne » pour certaines communes, ces dernières ne représentent qu'une faible part de l'ensemble des communes et de l'ensemble de la population de la métropole ; qu'il s'ensuit que les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ont pour effet d'améliorer la représentativité des membres de l'organe délibérant de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant le suffrage ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
12. Considérant que les dispositions contestées ne fixent pas les modalités selon lesquelles sont élues les personnes appelées à pourvoir les sièges de conseillers métropolitains attribués à chaque commune ; que le grief tiré de la méconnaissance du droit de suffrage, dirigé contre les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1, est, par suite, inopérant ;
13. Considérant que, si les règles relatives au rattachement de communes à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre affectent la libre administration de ces communes, les règles relatives à la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant de l'établissement public entre les communes membres de cet établissement public ne portent en revanche, en elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration de ces collectivités ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 4° bis du paragraphe IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 janvier 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 novembre 2015
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
Mme Josette B.-M. relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre
2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et
portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Les dispositions du paragraphe I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013
ont pour effet d'exclure du bénéfice des allocations et rentes de reconnaissance
prévues par la loi du 16 juillet 1987 en faveur des anciens harkis, moghaznis et
personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie ceux d'entre eux
qui relevaient du statut civil de droit commun.
Les dispositions contestées du paragraphe II du même article prévoient
l'application de cette exclusion aux demandes d'allocation de reconnaissance
présentées avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013 qui n'ont pas
donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée.
Le Conseil constitutionnel a censuré cette validation rétroactive des décisions
de refus opposées par l'administration aux demandes d'allocations et de rentes
formées par les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations
supplétives relevant du statut civil de droit commun.
Il a relevé, tout d'abord, que le droit des intéressés à bénéficier d'une
allocation de reconnaissance avait été ouvert pendant plus de trente-quatre
mois. Ensuite, les dispositions contestées ont pour effet d'entraîner
l'extinction totale de ce droit, y compris pour les personnes ayant engagé une
procédure administrative ou contentieuse en ce sens à la date de leur entrée en
vigueur. Enfin, l'existence d'un enjeu financier n'est pas démontrée.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que la volonté du législateur de rétablir
un dispositif d'indemnisation correspondant pour partie à son intention initiale
ne constitue pas en l'espèce un motif impérieux d'intérêt général.
Faisant application des critères habituels de sa jurisprudence en matière de
lois de validation, le Conseil constitutionnel a déclaré le paragraphe II de
l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 contraire à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation
des rapatriés ;
Vu la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire
pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la
défense et la sécurité nationale ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-504/505 QPC du 4 décembre 2015
;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22
décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP Jérôme Rousseau et
Guillaume Tapie, enregistrées le 6 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 11 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 16
juillet 1987 susvisée, dans sa rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013
susvisée : « Une allocation de 60 000 F est versée, à raison de 25 000 F en 1989
et 1990, et de 10 000 F en 1991, aux anciens harkis, moghaznis et personnels des
diverses formations supplétives de statut civil de droit local ayant servi en
Algérie, qui ont fixé leur domicile en France.
« En cas de décès de l'intéressé, l'allocation est versée sous les mêmes
conditions au conjoint survivant.
« À défaut de conjoint survivant, l'allocation est versée à parts égales aux
enfants lorsqu'ils ont fixé leur domicile en France.
« La date limite pour demander l'allocation prévue au présent article est fixée
au 31 décembre 1997 » ;
2. Considérant que le paragraphe I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 a inséré au premier alinéa de l'article 9 précité les mots « de statut civil de droit local » ; qu'aux termes du paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 : « Les dispositions du I sont applicables aux demandes d'allocation de reconnaissance présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée » ;
3. Considérant que, selon la requérante, en interdisant aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie qui ont fixé leur domicile en France de pouvoir prétendre à l'attribution de l'allocation de reconnaissance dès lors qu'ils n'avaient pas le statut civil de droit local, les dispositions contestées de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 méconnaissent l'autorité de la chose jugée attachée à une décision du Conseil constitutionnel et le principe d'égalité devant la loi ; que, par ailleurs, les dispositions du paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 méconnaîtraient la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité devant la loi ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « de statut civil de droit local » figurant au premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 et sur le paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 ;
- SUR LES DISPOSITIONS CONTESTÉES DE L'ARTICLE 9 DE LA LOI DU 16 JUILLET 1987 :
5. Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que peut être renvoyée au Conseil constitutionnel une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
6. Considérant que, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « de statut civil de droit local » figurant au premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 dans les considérants 5 à 16 de sa décision du 4 décembre 2015 susvisée et qu'il les a déclarés conformes à la Constitution ; que, par suite il n'y a pas lieu d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions ;
- SUR LE PARAGRAPHE II DE L'ARTICLE 52 DE LA LOI DU 18 DÉCEMBRE 2013 :
7. Considérant que la requérante soutient que les dispositions du paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, qui prévoient une application rétroactive de dispositions législatives, méconnaissent l'article 16 de la Déclaration de 1789 dès lors qu'elles ne sont pas justifiées par un motif impérieux d'intérêt général ; que ces dispositions violeraient également le principe d'égalité devant la loi dès lors qu'elles instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les personnes ayant présenté une demande d'allocation de reconnaissance ayant donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée à la date d'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013 et les autres ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
9. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 décembre 2013, peuvent bénéficier des allocations et rentes de reconnaissance, les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie ; qu'en vertu de ce même alinéa dans sa rédaction résultant du paragraphe I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, peuvent uniquement bénéficier des allocations et rentes de reconnaissance les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit local ; que ces dispositions de la loi du 18 décembre 2013 ont pour effet d'exclure du bénéfice de ces allocations et rentes les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit commun ; qu'en prévoyant l'application de ces dispositions aux demandes d'allocation de reconnaissance présentées avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013, qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, le paragraphe II de l'article 52 a pour objet de valider, de façon rétroactive, les décisions de refus opposées par l'administration aux demandes d'allocations et de rentes formées par les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives relevant du statut civil de droit commun ;
10. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011 susvisée, réserver aux seuls anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie, qui ont connu des difficultés particulières d'insertion après leur arrivée sur le territoire national, le dispositif d'indemnisation qu'il avait institué et qui privait de son bénéfice, à l'origine, entre autres, les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives de statut civil de droit commun ; qu'il a également entendu prévenir les conséquences financières de l'octroi d'allocations de reconnaissance à ces derniers ;
11. Considérant, toutefois, que les dispositions législatives ouvrant un droit à allocation de reconnaissance aux anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit commun sont restées en vigueur plus de trente-quatre mois ; que les dispositions contestées ont pour effet d'entraîner l'extinction totale de ce droit, y compris pour les personnes ayant engagé une procédure administrative ou contentieuse en ce sens à la date de leur entrée en vigueur ; que l'existence d'un enjeu financier important pour les finances publiques lié à ces dispositions n'est pas démontrée ; que, par suite, la volonté du législateur de rétablir un dispositif d'indemnisation correspondant pour partie à son intention initiale ne constitue pas en l'espèce un motif impérieux d'intérêt général justifiant l'atteinte au droit des personnes qui avaient engagé une procédure administrative ou contentieuse avant cette date ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
12. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
13. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité du
paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 prend effet à
compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être
invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er. - Le paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 13.
Article 3. - Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mots « de statut civil de droit local »
figurant au premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés.
Article 4. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
Ligue des droits de l'homme relative à la conformité aux droits et libertés que
la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du
3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
Ces dispositions permettent à l'autorité administrative lorsque l'état d'urgence
a été déclaré, d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle,
débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ainsi que d'interdire les
réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
L'argumentation dont était saisi le Conseil constitutionnel portait
principalement sur l'atteinte portée par ces dispositions au droit d'expression
collective des idées et des opinions.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que les dispositions contestées n'ont
ni pour objet ni pour effet de régir les conditions dans lesquelles sont
interdites les manifestations sur la voie publique.
Il a ensuite relevé, en premier lieu, que les mesures de fermeture provisoire et
d'interdiction de réunions prévues par les dispositions contestées ne peuvent
être prononcées que lorsque l'état d'urgence a été déclaré, c'est-à-dire en cas
de péril imminent ou de calamité publique, et uniquement pour les lieux situés
dans la zone couverte par cet état d'urgence ou pour des réunions devant s'y
tenir.
Le Conseil constitutionnel a relevé, en deuxième lieu, que, d'une part, tant la
mesure de fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et
lieux de réunion de toute nature que sa durée doivent être justifiées et
proportionnées aux nécessités de la préservation de l'ordre public ayant motivé
une telle fermeture. D'autre part, la mesure d'interdiction de réunion doit être
justifiée par le fait que cette réunion est « de nature à provoquer ou
entretenir le désordre » et proportionnée aux raisons l'ayant motivée. Celles de
ces mesures qui présentent un caractère individuel doivent être motivées. Enfin,
le juge administratif est chargé de s'assurer que chacune de ces mesures est
adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a relevé qu'en vertu de l'article
14 de la loi du 3 avril 1955, les mesures de fermeture provisoire et
d'interdiction de réunions prises en application de cette loi cessent au plus
tard en même temps que prend fin l'état d'urgence. Il a rappelé que l'état
d'urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai
de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée et que cette durée
ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique
ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Le Conseil constitutionnel a
jugé enfin que, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle
loi, les mesures de fermeture provisoire et d'interdiction de réunions prises
antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.
Se fondant sur l'ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que
les dispositions contestées opèrent une conciliation qui n'est pas manifestement
déséquilibrée entre le droit d'expression collective des idées et des opinions
et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.
Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'article 8 de
la loi n°55-385 du 3 avril 1955.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la
qualité du droit ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante par la SCP Spinosi
et Sureau, enregistrées les 26 janvier et 1er février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 26
janvier 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Pierre B., Mmes Cléa A. et
Claire G., M. Adam S., Mme Alice B. et M. Matthieu Q. par Mes Alice Becker,
Raphaël Kempf et Marie Roch, avocats au barreau de Paris, enregistrées les 26
janvier et 1er février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour
l'association requérante, Mes Becker et Kempf pour les parties intervenantes et
M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus
à l'audience publique du 11 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 susvisée dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 susvisée : « Le ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l'article 2.« Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante et les intervenants, en confiant à l'autorité administrative le pouvoir d'ordonner la fermeture provisoire de lieux de réunion et d'interdire des réunions sans préciser les conditions d'édiction de ces mesures et les motifs les justifiant ni prévoir leur durée maximale et l'existence de voies de recours, les dispositions contestées méconnaissent la liberté d'expression et de communication, le droit d'expression collective des idées et des opinions, la liberté de manifestation, la liberté d'association, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre ainsi que le droit au recours effectif ; que, pour les mêmes motifs, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés précédemment mentionnés ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR L'ARTICLE 11 DE LA DÉCLARATION DE 1789 ET DE L'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION :
3. Considérant que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence ; qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que parmi ces droits et libertés figure le droit d'expression collective des idées et des opinions, protégé par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
4. Considérant que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant...les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ;
5. Considérant que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de régir les conditions dans lesquelles sont interdites les manifestations sur la voie publique ;
6. Considérant que les dispositions contestées permettent à l'autorité administrative d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ainsi que d'interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ; qu'en ce qu'elles restreignent la liberté de se réunir, ces dispositions portent atteinte au droit d'expression collective des idées et des opinions ;
7. Considérant, en premier lieu, que les mesures de fermeture provisoire et d'interdiction de réunions prévues par les dispositions contestées ne peuvent être prononcées que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone couverte par cet état d'urgence ou pour des réunions devant s'y tenir ; que l'état d'urgence ne peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, qu'« en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou « en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, tant la mesure de fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature que sa durée doivent être justifiées et proportionnées aux nécessités de la préservation de l'ordre public ayant motivé une telle fermeture ; que, d'autre part, la mesure d'interdiction de réunion doit être justifiée par le fait que cette réunion est « de nature à provoquer ou entretenir le désordre » et proportionnée aux raisons l'ayant motivée ; que celles de ces mesures qui présentent un caractère individuel doivent être motivées ; que le juge administratif est chargé de s'assurer que chacune de ces mesures est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article 14 de la loi du 3 avril 1955, les mesures de fermeture provisoire et d'interdiction de réunions prises en application de cette loi cessent au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence ; que l'état d'urgence, déclaré par décret en conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée ; que cette durée ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; que, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle loi, les mesures de fermeture provisoire et d'interdiction de réunions prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, opèrent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le droit d'expression collective des idées et des opinions et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR L'ARTICLE 4 DE LA DÉCLARATION DE 1789 :
11. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
12. Considérant que les dispositions contestées permettent à l'autorité administrative, dans le cadre de l'état d'urgence et dans la zone couverte par cet état d'urgence, d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ; qu'il en résulte une atteinte à la liberté d'entreprendre ;
13. Considérant que, pour les motifs mentionnés aux considérants 7 à 9, les dispositions contestées opèrent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
14. Considérant que les dispositions contestées ne privent pas les personnes affectées par une mesure de fermeture provisoire ou une mesure d'interdiction de réunion de la possibilité de la contester devant le juge administratif, y compris par la voie du référé ; qu'il appartient à ce dernier d'apprécier, au regard des éléments débattus contradictoirement devant lui, l'existence des motifs justifiant la fermeture ou l'interdiction contestée ; que, par suite, ne sont pas méconnues les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
15. Considérant que les dispositions contestées, qui n'ont ni pour objet ni pour effet d'encadrer les conditions dans lesquelles les associations se constituent et exercent leur activité, ne portent aucune atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté d'association ;
16. Considérant que l'article 8 de la loi du 3 avril 1955, qui n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article 8 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
Ligue des droits de l'homme relative à la conformité aux droits et libertés que
la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du
3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
Ces dispositions permettent à l'autorité administrative, lorsque l'état
d'urgence a été déclaré, d'ordonner des perquisitions et de copier des données
stockées dans un système informatique auxquelles les perquisitions donnent
accès.
S'agissant des dispositions permettant les perquisitions, le Conseil
constitutionnel a d'abord jugé qu'elles relèvent de la seule police
administrative et qu'elles n'affectent pas la liberté individuelle au sens de
l'article 66 de la Constitution, pour en déduire qu'elles n'ont pas à être
placées sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire.
Le Conseil constitutionnel s'est ensuite prononcé sur l'atteinte portée par les
dispositions contestées à la vie privée et au droit à un recours juridictionnel
effectif.
Il a relevé, en premier lieu, que les mesures prévues par les dispositions
contestées ne peuvent être ordonnées que lorsque l'état d'urgence est déclaré,
soit en cas de péril imminent ou de calamité publique, et uniquement pour des
lieux situés dans la zone couverte par cet état d'urgence.
Le Conseil constitutionnel a relevé, en deuxième lieu, les règles s'appliquant
aux perquisitions : la décision ordonnant la perquisition en précise le lieu et
le moment ; le procureur de la République est informé sans délai de cette
décision ; la perquisition est conduite en présence d'un officier de police
judiciaire et ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de
son représentant ou de deux témoins ; enfin elle donne lieu à l'établissement
d'un compte-rendu communiqué sans délai au procureur de la République.
En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a jugé que la décision ordonnant
une perquisition sur le fondement des dispositions contestées et les conditions
de sa mise en œuvre doit être justifiée et proportionnée aux raisons ayant
motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la
déclaration de l'état d'urgence. En particulier, une perquisition se déroulant
la nuit dans un domicile doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de
l'effectuer le jour. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette
mesure, qui doit être motivée, est adaptée, nécessaire et proportionnée à la
finalité qu'elle poursuit.
En quatrième lieu, si les voies de recours prévues à l'encontre d'une décision
ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées ne
peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l'intervention de la mesure,
elles permettent à l'intéressé d'engager la responsabilité de l'État. Ainsi les
personnes intéressées ne sont pas privées de voies de recours, lesquelles
permettent un contrôle de la mise en œuvre de la mesure dans des conditions
appropriées au regard des circonstances particulières ayant conduit à la
déclaration de l'état d'urgence.
S'agissant d'une mesure s'inscrivant dans un régime de pouvoirs exceptionnels
dont les effets doivent être limités dans le temps et l'espace et qui contribue
à prévenir le péril imminent ou les conséquences de la calamité publique
auxquels le pays est exposé, le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé
les dispositions contestées permettant les perquisitions administratives
conformes à la Constitution.
S'agissant des dispositions qui permettent à l'autorité administrative de copier
toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d'accéder au
cours de la perquisition, le Conseil constitutionnel a relevé que cette mesure
est assimilable à une saisie. Ni cette saisie ni l'exploitation des données
ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque l'occupant du
lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s'y oppose et alors même
qu'aucune infraction n'est constatée. Au demeurant peuvent être copiées des
données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une
menace pour la sécurité et l'ordre publics ayant fréquenté le lieu où a été
ordonnée la perquisition.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, ce faisant, le législateur n'a pas prévu
de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre
l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le
droit au respect de la vie privée. Il a, par suite, jugé contraires à la
Constitution les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du
paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé conformes à la Constitution les
dispositions de ce paragraphe I qui organisent un régime dérogatoire de
perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence, mais en
revanche censuré les dispositions de ce paragraphe qui permettaient de copier
des données informatiques dans le cadre de ces perquisitions.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
Vu la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses
dispositions ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante par la SCP Spinosi
et Sureau, enregistrées les 26 janvier et 1er février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 26
janvier et 1er février 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Julien G. par la SCP
Xavier Iochum et Me Vincent Guiso, avocats au barreau de Metz, enregistrées les
20 janvier et 1er février 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour Mme Jeanne F., M. Roch J.,
Mmes Fantine V.-P. et Anna L., M. Jamel L., Mmes Laure P. et Héloïse C., M.
Renaud M. de B., Mme Cynthia Kolsin D., MM. Richard R., José-Xavier M., Pierre
V., Romain T. et Mathieu B. par Mes Alice Becker, Raphaël Kempf et Marie Roch,
avocats au barreau de Paris, enregistrées le 26 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour
l'association requérante, Me Guiso pour M. Julien G., Mes Becker et Kempf pour
Mme Jeanne F. et autres, et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 11 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe I de l'article 11
de la loi du 3 avril 1955 susvisée dans sa rédaction résultant de la loi du 20
novembre 2015 susvisée : « Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état
d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités
administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des
perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans
un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité
professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il
existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une
personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre
publics.« La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de
la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est
informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence
d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se
dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de
deux témoins.
« Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal
présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans
ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement
terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial
ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été
possible d'accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être
copiées sur tout support.
« La perquisition donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans
délai au procureur de la République.
« Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de police judiciaire en dresse
procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le
procureur de la République.
« Le présent I n'est applicable que dans les zones fixées par le décret prévu à
l'article 2 » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante et les intervenants, en permettant à l'autorité administrative de procéder à une perquisition dans un domicile dans le cadre de l'état d'urgence, les dispositions contestées méconnaissent l'exigence constitutionnelle de contrôle judiciaire des mesures affectant l'inviolabilité du domicile, laquelle est protégée au titre de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée ; qu'ils soutiennent également que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle, au droit au respect de la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif ; que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés précédemment mentionnés ; qu'enfin, selon M. Julien G., les dispositions contestées portent atteinte à la séparation des pouvoirs dès lors qu'elles permettent à l'autorité administrative d'effectuer des opérations de police judiciaire pouvant aboutir à des mesures répressives ;
- SUR LES DISPOSITIONS DES PREMIER, DEUXIÈME, QUATRIÈME À SIXIÈME ALINÉAS AINSI QUE DE LA PREMIÈRE PHRASE DU TROISIÈME ALINÉA DU PARAGRAPHE I DE L'ARTICLE 11 :
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l'article 66 de la Constitution :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que la liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
4. Considérant que les dispositions du premier alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permettent à l'autorité administrative, lorsque l'état d'urgence a été déclaré et si le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence l'a expressément prévu, « d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » ; que les dispositions de la première phrase de son troisième alinéa permettent également à l'autorité administrative d'accéder, sur le lieu de la perquisition, à des données stockées dans un système informatique ; que, d'une part, ces mesures de perquisition, qui relèvent de la seule police administrative, y compris lorsqu'elles ont lieu dans un domicile, ne peuvent avoir d'autre but que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions ; que, d'autre part, ces mesures n'affectent pas la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution ; que, par suite, ces perquisitions administratives n'ont pas à être placées sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire ; que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution doit être écarté ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des exigences découlant des articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789 et de l'article 34 de la Constitution :
5. Considérant que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence ; qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que parmi ces droits et libertés figurent le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile, protégés par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
7. Considérant que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » ;
8. Considérant, en premier lieu, que les mesures prévues par le premier alinéa et la première phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 ne peuvent être ordonnées que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone couverte par cet état d'urgence ; que l'état d'urgence ne peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, qu'« en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou « en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que la décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées en précise le lieu et le moment ; que le procureur de la République est informé sans délai de cette décision ; que la perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire ; qu'elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins ; qu'elle donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République ;
10. Considérant, en troisième lieu, que la décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées et les conditions de sa mise en œuvre doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ; qu'en particulier, une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer le jour ; que le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure qui doit être motivée est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit ;
11. Considérant, en quatrième lieu, que si les voies de recours prévues à l'encontre d'une décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l'intervention de la mesure, elles permettent à l'intéressé d'engager la responsabilité de l'État ; qu'ainsi les personnes intéressées ne sont pas privées de voies de recours, lesquelles permettent un contrôle de la mise en œuvre de la mesure dans des conditions appropriées au regard des circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions des premier, deuxième, quatrième à sixième alinéas ainsi que de la première phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, opèrent, s'agissant d'un régime de pouvoirs exceptionnels dont les effets doivent être limités dans le temps et l'espace et qui contribue à prévenir le péril imminent ou les conséquences de la calamité publique auxquels le pays est exposé, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789 et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ; que ne sont pas non plus méconnues les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions des premier, deuxième, quatrième à sixième alinéas ainsi que de la première phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR LA SECONDE PHRASE DU TROISIÈME ALINÉA DU PARAGRAPHE I DE L'ARTICLE 11 :
14. Considérant que les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permettent à l'autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d'accéder au cours de la perquisition ; que cette mesure est assimilable à une saisie ; que ni cette saisie ni l'exploitation des données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque l'occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s'y oppose et alors même qu'aucune infraction n'est constatée ; qu'au demeurant peuvent être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition ; que, ce faisant, le législateur n'a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui méconnaissent l'article 2 de la Déclaration de 1789, doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
15. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
16. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E
Article 1er.- Les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du
paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 sont contraires à la Constitution.
Article 2.- Le surplus des dispositions du paragraphe I de cet article est conforme à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 16.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 décembre 2015 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième
alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail.
Ces dispositions privent le salarié licencié pour faute lourde de l'indemnité
compensatrice de congé payé.
Le Conseil constitutionnel a relevé que, par application de l'article L. 3141-28
du code du travail, cette règle ne s'applique pas lorsque l'employeur est tenu
d'adhérer à une caisse de congés en application de l'article L. 3141-30 du même
code.
Le législateur a ainsi traité différemment les salariés licenciés pour faute
lourde, selon que leur employeur est ou non affilié à une caisse de congés.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette différence de traitement est sans
rapport tant avec l'objet de la législation relative aux caisses de congés
qu'avec l'objet de la législation relative à la privation de l'indemnité
compensatrice de congé payé.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence et pour ce motif, déclaré
contraires à la Constitution les mots « dès lors que la rupture du contrat de
travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au
deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail. Cette déclaration
d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel et peut être invoquée dans toutes les instances
introduites à cette date et non jugées définitivement.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie
législative) ;
Vu la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12
mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de
Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 17 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24
décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la société Subrini et compagnie, partie en
défense, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 24 décembre 2015 ;
Vu la lettre du 2 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis
aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour le requérant, par la SCP
Nicolaÿ-de Lanouvelle-Hannotin, enregistrées le 5 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites pour la société Subrini et compagnie,
par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 9 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées
le 9 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la
partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 16 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé payé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé ; qu'aux termes du deuxième alinéa de cet article dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007 susvisée : « L'indemnité est due dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en privant le salarié licencié pour faute lourde de l'octroi de l'indemnité compensatrice de congé payé, les dispositions contestées portent atteinte, d'une part, au droit au repos et au droit à la protection de la santé qui découlent des exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, d'autre part, au principe d'individualisation des peines ;
3. Considérant qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que leur application est exclue lorsque l'employeur est tenu d'adhérer à une caisse de congés en application de l'article L. 3141-30 du code du travail ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant qu'en vertu des dispositions contestées, le salarié licencié pour faute lourde est privé de l'indemnité compensatrice de congé payé ; que, toutefois, cette règle ne s'applique pas lorsque l'employeur est tenu d'adhérer à une caisse de congés ; que l'article L. 3141-30 du même code prévoit que des décrets déterminent les professions pour lesquelles l'application des dispositions relatives aux congés payés prend la forme d'une adhésion de l'employeur à une caisse de congés et que ces dispositions concernent en particulier les salariés qui ne sont pas habituellement occupés de façon continue chez un même employeur au cours de la période reconnue par l'employeur pour l'appréciation du droit au congé ;
7. Considérant que les salariés qui n'ont pas encore bénéficié de l'ensemble des droits à congé qu'ils ont acquis lorsqu'ils sont licenciés se trouvent placés, au regard du droit à congé, dans la même situation ; que, par suite, en prévoyant qu'un salarié ayant travaillé pour un employeur affilié à une caisse de congés conserve son droit à indemnité compensatrice de congé payé en cas de licenciement pour faute lourde, alors que tout autre salarié licencié pour faute lourde est privé de ce droit, le législateur a traité différemment des personnes se trouvant dans la même situation ;
8. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires que, d'une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prendre en compte la gravité de la faute ayant justifié le licenciement ; que, d'autre part, en adoptant les dispositions des articles L. 3141-28 et L. 3141-30, le législateur a entendu régler de façon spécifique le régime de gestion des droits à congé payé des salariés exerçant une activité discontinue chez une pluralité d'employeurs afin de garantir l'effectivité de leur droit à congé ;
9. Considérant que, la différence de traitement entre les salariés licenciés pour faute lourde selon qu'ils travaillent ou non pour un employeur affilié à une caisse de congés est sans rapport tant avec l'objet de la législation relative aux caisses de congés qu'avec l'objet de la législation relative à la privation de l'indemnité compensatrice de congé payé ; que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des
mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par
la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 3141-26
du code du travail prend effet à compter de la date de la publication de la
présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances
introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas
été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de
l'article L. 3141-26 du code du travail sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au considérant 11.
Article 3. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 décembre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L.
562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier.
L'article L. 562-1 du code monétaire et financier permet au ministre chargé de
l'économie de décider le gel de tout ou partie des fonds, instruments financiers
et ressources économiques détenus auprès notamment des établissements du secteur
bancaire et des établissements de paiement régis par ce code, dès lors que ces
fonds, instruments et ressources appartiennent soit à des personnes physiques ou
morales qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, les
facilitent ou y participent, soit à des personnes morales détenues par ces
personnes physiques ou contrôlées par elles.
L'article L. 562-2 du code monétaire et financier permet au ministre chargé de
l'économie, en application des résolutions adoptées dans le cadre du chapitre
VII de la Charte des Nations unies ou des actes pris en application de l'article
15 du traité sur l'Union européenne, de décider d'une mesure de gel similaire
des fonds, instruments financiers et ressources économiques appartenant soit à
des personnes physiques ou morales qui ont commis, commettent ou, de par leurs
fonctions, sont susceptibles de commettre des actes sanctionnés ou prohibés par
ces résolutions ou ces actes, les facilitent ou y participent soit à des
personnes morales détenues ou contrôlées par ces personnes physiques.
Le requérant reprochait notamment à ces dispositions de porter une atteinte
disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a, d'une part, relevé que les mesures prévues par les
dispositions contestées poursuivent l'objectif de prévention des atteintes à
l'ordre public et des infractions.
D'autre part, il a constaté que la loi définit précisément les avoirs et
ressources susceptibles de faire l'objet de mesures de gel, que le ministre doit
prendre en compte la nécessité pour la personne faisant l'objet de la mesure de
couvrir les frais du foyer familial et d'assurer la conservation de son
patrimoine, que le législateur a fixé une durée maximale de six mois pour ces
mesures, soumises au respect d'une procédure contradictoire, et encadré les
conditions de leur renouvellement et, enfin, que l'Etat est responsable des
conséquences dommageables de la mise en œuvre de bonne foi des mesures de gel.
Compte tenu de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en permettant
le gel des avoirs appartenant à des personnes qui ont commis, commettent,
incitent à la commission, facilitent ou participent à la commission d'actes de
terrorisme ou des actes sanctionnés ou prohibés par une résolution du Conseil de
sécurité des Nations unies ou par un acte du Conseil européen, le législateur a
prévu des mesures nécessaires et fixé des critères en adéquation avec l'objectif
poursuivi.
En revanche, il a jugé qu'en permettant le gel des avoirs appartenant à des
personnes qui, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre de tels
actes sans qu'il soit nécessaire d'établir que celles-ci ont commis, commettent,
incitent à la commission, facilitent ou participent à la commission de ces
actes, le législateur a porté à l'exercice du droit de propriété une atteinte
manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la
Constitution les mots « ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de
commettre » figurant à l'article L. 562-2 du code monétaire et financier. Cette
déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la
décision du Conseil constitutionnel.
Pour le reste, les dispositions contestées sont déclarées conformes à la
Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le code des relations entre le public et l'administration ;
Vu l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de
l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme;
Vu la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures ;
Vu la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte
contre le terrorisme ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 janvier
2016 ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Woll, enregistrées le 13
janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Woll pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 16 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; que le requérant a contesté l'arrêté ministériel du 29 octobre 2014 par lequel, en application des articles L. 562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier, il a été procédé au gel de ses avoirs ; qu'ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions de l'article L. 562-1 de ce code dans leur rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2012 susvisée et des dispositions de l'article L. 562-2 de ce code dans leur rédaction résultant de l'ordonnance du 30 janvier 2009 susvisée ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2012 : « Sans préjudice des mesures restrictives spécifiques prises en application de règlements du Conseil de l'Union européenne et des mesures prononcées par l'autorité judiciaire, le ministre chargé de l'économie peut décider le gel, pour une durée de six mois, renouvelable, de tout ou partie des fonds, instruments financiers et ressources économiques détenus auprès des organismes et personnes mentionnés à l'article L. 562-3 qui appartiennent à des personnes physiques ou morales qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, définis comme il est dit au 4 de l'article 1er du règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, y incitent, les facilitent ou y participent et à des personnes morales détenues par ces personnes physiques ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles au sens des 5 et 6 de l'article 1er du règlement (CE) n° 2580/2001 du Conseil, du 27 décembre 2001, précité. Les fruits produits par les fonds, instruments et ressources précités sont également gelés » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 30 janvier 2009 : « En application des résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies ou des actes pris en application de l'article 15 du traité sur l'Union européenne, le ministre chargé de l'économie peut décider le gel, pour une durée de six mois, renouvelable, de tout ou partie des fonds, instruments financiers et ressources économiques détenus auprès des personnes mentionnées à l'article L. 561-2 qui appartiennent à des personnes physiques ou morales, organismes ou entités qui ont commis, commettent ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre des actes sanctionnés ou prohibés par ces résolutions ou ces actes, les facilitent ou y participent et à des personnes morales détenues par ces personnes physiques ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles. Les fruits produits par les fonds, instruments et ressources susmentionnés sont également gelés » ;
4. Considérant que, selon le requérant, en autorisant l'autorité administrative à geler les avoirs des personnes qui commettent ou tentent de commettre une infraction pénale, les dispositions contestées lui permettent de se substituer au juge pénal, en méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs ; qu'elles méconnaîtraient également les droits de la défense et la présomption d'innocence, en permettant que la décision de gel des avoirs soit fondée sur les allégations de l'administration ; qu'enfin, en permettant de prononcer un gel de l'ensemble des avoirs d'une personne, ces dispositions porteraient au droit de propriété protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 une atteinte excessive au regard de l'objectif poursuivi ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES EXIGENCES DE L'ARTICLE 16 DE LA DÉCLARATION DE 1789 :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que cet article implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement ; que le respect des droits de la défense découle de ce même article ;
6. Considérant qu'en vertu de l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, le ministre chargé de l'économie peut décider le gel de tout ou partie des fonds, instruments financiers et ressources économiques détenus auprès des organismes et personnes mentionnés à l'article L. 561-2 du même code, soit notamment les établissements du secteur bancaire et les établissements de paiement régis par ce code, dès lors que ces fonds, instruments et ressources appartiennent soit à des personnes physiques ou morales qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, soit à des personnes morales détenues par ces personnes physiques ou contrôlées par elles ;
7. Considérant qu'en vertu de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier, le ministre chargé de l'économie peut également, en application des résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies ou des actes pris en application de l'article 15 du traité sur l'Union européenne, décider d'une mesure de gel similaire des fonds, instruments financiers et ressources économiques appartenant soit à des personnes physiques ou morales qui ont commis, commettent ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre des actes sanctionnés ou prohibés par ces résolutions ou ces actes, les facilitent ou y participent soit à des personnes morales détenues ou contrôlées par ces personnes physiques ;
8. Considérant qu'en vertu du second alinéa de l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, le gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques s'entend « comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert ou utilisation de fonds, instruments financiers et ressources économiques qui aurait pour conséquence un changement de leur montant, de leur localisation, de leur propriété ou de leur nature, ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation par les personnes faisant l'objet de la mesure de gel » ;
9. Considérant, en premier lieu, que les mesures de police administrative prises à l'encontre de personnes physiques ou morales sur le fondement des dispositions contestées n'ont pas d'autre finalité que la préservation de l'ordre public et la prévention des infractions ; qu'en faisant référence à des comportements susceptibles de caractériser des infractions pénales pour autoriser l'édiction de ces mesures, les dispositions contestées n'emportent aucune conséquence en cas de poursuites pénales ; qu'en confiant au ministre chargé de l'économie le soin de prononcer ces mesures de police administrative, les dispositions contestées n'empiètent pas sur l'exercice des fonctions juridictionnelles ;
10. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées se bornent à énumérer les motifs et à prévoir les modalités selon lesquels sont arrêtées des décisions administratives de gel temporaire des avoirs de personnes physiques ou morales ; que les personnes intéressées ne sont pas privées de la possibilité de contester ces décisions devant le juge administratif, y compris par la voie du référé ; qu'il appartient à ce dernier d'apprécier, au regard des éléments débattus contradictoirement devant lui, l'existence des motifs justifiant la mesure de gel temporaire des avoirs ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE :
12. Considérant qu'en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ;
13. Considérant que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer une présomption de culpabilité ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d'innocence doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ :
14. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
15. Considérant, en premier lieu, que les mesures de gel des avoirs prévues par les dispositions contestées, qui ont pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme ou d'actes sanctionnés ou prohibés par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies prise en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ou par un acte du Conseil européen, poursuivent l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle
16. Considérant, en deuxième lieu, que le législateur a précisément défini les avoirs et ressources susceptibles de faire l'objet des mesures de gel ;
17. Considérant, en troisième lieu, que les articles L. 562-1 et L. 562-2 prévoient, à titre préventif, le gel de tout ou partie des fonds, instruments financiers et ressources économiques qui appartiennent aux personnes visées ; que dans la détermination des biens et ressources soumis au gel, le ministre chargé de l'économie doit prendre en compte la nécessité pour la personne faisant l'objet de la mesure de couvrir les frais du foyer familial et d'assurer la conservation de son patrimoine ;
18. Considérant, en quatrième lieu, que les mesures de gel peuvent être prononcées pour une durée maximale de six mois ; qu'elles doivent être levées dès lors qu'il apparaît que les conditions nécessaires à leur édiction ne sont plus remplies ; que, si elles peuvent être renouvelées, il appartient au ministre de vérifier que les conditions justifiant leur prononcé sont toujours satisfaites lors de ce renouvellement ; qu'en outre, ces mesures sont soumises au respect d'une procédure contradictoire conformément aux dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
19. Considérant, en cinquième lieu, qu'en vertu de l'article L. 562-9 du code monétaire et financier, l'État est responsable des conséquences dommageables de la mise en œuvre de bonne foi, par les personnes mentionnées à l'article L. 561-2, des mesures de gel des avoirs prévues par les dispositions contestées ;
20. Considérant qu'en permettant le gel des avoirs appartenant à des personnes qui ont commis, commettent, incitent à la commission, facilitent ou participent à la commission d'actes de terrorisme ou des actes sanctionnés ou prohibés par une résolution du conseil de sécurité des Nations unies ou par un acte du Conseil européen, le législateur a prévu des mesures nécessaires et fixé des critères en adéquation avec l'objectif poursuivi ; qu'en revanche, en permettant le gel des avoirs appartenant à des personnes qui, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre de tels actes sans qu'il soit nécessaire d'établir que celles-ci ont commis, commettent, incitent à la commission, facilitent ou participent à la commission de ces actes, le législateur a porté à l'exercice du droit de propriété une atteinte manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi ; que, par suite, les mots : « ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre » figurant à l'article L. 562-2 du code monétaire et financier doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
21. Considérant que l'article L. 562-1 et le surplus de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier ne méconnaissent pas le droit de propriété ;
22. Considérant que l'article L. 562-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2012 et le surplus de l'article L. 562-2 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution ;
- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :
23. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
24. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des
mots : « ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre » figurant à
l'article L. 562-2 du code monétaire et financier prend effet à compter de la
date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans
toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots : « ou, de par leurs fonctions, sont susceptibles de commettre » figurant à l'article L. 562-2 du code monétaire et financier sont contraires à la Constitution.
Article 2.- L'article L. 562-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à
la lutte contre le terrorisme et le surplus de l'article L. 562-2 du même code sont conformes à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 24.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 décembre 2015 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III
de l'article 32 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances
rectificative pour 2014.
Les dispositions contestées procèdent à une validation destinée à limiter les
conséquences d'une décision du Conseil d'Etat du 5 février 2014 qui, pour
l'application de la méthode d'évaluation de la valeur locative des locaux
commerciaux prévue au 2° de l'article 1498 du code général des impôts, a jugé
qu'un local-type qui a été entièrement restructuré ou détruit ne peut plus
servir de terme de comparaison pour évaluer la valeur locative d'un bien soumis
à la taxe foncière.
Les dispositions contestées excluent ainsi, sous réserve des décisions de
justice passées en force de chose jugée, la possibilité pour les contribuables
de se prévaloir du motif d'irrégularité tiré de ce que le terme de comparaison
utilisé, directement ou indirectement, pour fonder l'évaluation de la valeur
locative d'un local commercial ou d'un local à usage d'habitation ou
professionnel autre que commercial a été détruit ou a changé de consistance,
d'affectation ou de caractéristiques physiques, en vue d'une remise en cause de
l'évaluation de la valeur locative des immeubles concernés, y compris pour les
impositions postérieures au 1er janvier 2015, dès lors que cette évaluation a
été réalisée avant le 1er janvier 2015.
Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions contestées.
Il a jugé, d'une part, qu'il n'est pas établi que, du fait de la décision du
Conseil d'État du 5 février 2014, le nombre de contestations de la fixation des
valeurs locatives s'accroisse dans des conditions de nature à perturber
l'activité de l'administration fiscale et de la juridiction administrative. Il a
jugé, d'autre part, que compte tenu de l'incertitude pesant sur l'issue d'une
contestation de la valeur locative d'un local fondée sur le caractère
inapproprié du terme de comparaison utilisé par l'administration quant au
montant de la cotisation d'impôt fixée finalement, l'existence d'un risque
financier pour l'État et les collectivités territoriales n'est pas établie.
Le Conseil constitutionnel, faisant application de sa jurisprudence établie en
matière de lois de validation, en a déduit qu'aucun motif impérieux d'intérêt
général ne justifie l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des contribuables.
Il a en conséquence déclaré contraire à la Constitution le paragraphe III de l'article 32 de la loi du 29 décembre 2014.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 305305 du 19 novembre 2008 ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 367995 du 5 février 2014 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Boutet -
Hourdeaux et Me Julien Thiry, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 4
janvier 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 4 et 19
janvier 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour les sociétés PGA Motors et
SAFI, par Mes Stéphane Austry et Laurent Chatel, avocats au barreau des
Hauts-de-Seine, enregistrées les 4 et 26 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Thiry pour la société requérante, Mes Austry et Chatel pour les parties
intervenantes et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 16 février 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe III de l'article 32 de la loi du 29 décembre 2014 susvisée : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, pour la détermination de la valeur locative des locaux mentionnés à l'article 1496 du code général des impôts et de ceux évalués en application du 2° de l'article 1498 du même code, sont validées les évaluations réalisées avant le 1er janvier 2015 en tant que leur légalité serait contestée au motif que, selon le cas, le local de référence ou le local-type ayant servi de terme de comparaison, soit directement, soit indirectement, a été détruit ou a changé de consistance, d'affectation ou de caractéristiques physiques » ;
2. Considérant que la société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que la validation rétroactive qu'elles prévoient n'est pas justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; que, selon les sociétés intervenantes, les dispositions contestées portent à l'équilibre des droits des parties une atteinte contraire aux exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 dès lors qu'elles ont pour effet de priver à titre rétroactif le seul contribuable de la possibilité d'utiliser comme terme de comparaison un local de référence ou un local-type ayant été détruit ou ayant changé de consistance, d'affectation ou de caractéristiques physiques ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
4. Considérant que la valeur locative des locaux d'habitation et à usage professionnel autre que commercial est déterminée, en vertu de l'article 1496 du code général des impôts, par comparaison avec celle de locaux de référence ; que la valeur locative des locaux commerciaux est déterminée, en vertu des 1°, 2° ou 3° de l'article 1498 du même code, par référence au loyer de ces locaux ou, à titre subsidiaire, par comparaison avec celle d'un local-type ou, à défaut, par voie d'appréciation directe ;
5. Considérant que, par la décision du 5 février 2014 susvisée, le Conseil d'État a jugé, pour l'application de la méthode d'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux prévue au 2° de l'article 1498, « qu'un local-type qui, depuis son inscription régulière au procès-verbal des opérations de révision foncière d'une commune, a été entièrement restructuré ou a été détruit ne peut plus servir de terme de comparaison, pour évaluer directement ou indirectement la valeur locative d'un bien soumis à la taxe foncière au 1er janvier d'une année postérieure à sa restructuration ou à sa disparition » ;
6. Considérant que les dispositions contestées excluent, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, la possibilité pour les contribuables de se prévaloir du motif d'irrégularité tiré de ce que le terme de comparaison utilisé pour fonder l'évaluation d'une valeur locative, soit directement, soit indirectement, a été détruit ou a changé de consistance, d'affectation ou de caractéristiques physiques, en vue d'une remise en cause de l'évaluation de la valeur locative des immeubles concernés, y compris pour les impositions postérieures au 1er janvier 2015, dès lors que cette évaluation a été réalisée avant le 1er janvier 2015 ;
7. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2014 qu'en adoptant les dispositions contestées le législateur a entendu éviter le développement d'un contentieux de masse susceptible, d'une part, de perturber l'activité de l'administration fiscale et du juge administratif et, d'autre part, d'engendrer un risque financier pour l'État et les collectivités territoriales affectataires des impositions assises sur la valeur locative des propriétés bâties ;
8. Considérant, toutefois, d'une part, qu'il n'est pas établi que, du fait de la décision du Conseil d'État du 5 février 2014, le nombre de contestations de la fixation des valeurs locatives s'accroisse dans des conditions de nature à perturber l'activité de l'administration fiscale et de la juridiction administrative ;
9. Considérant, d'autre part, que selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, le recours à un terme de comparaison jugé inapproprié pour fixer la valeur locative d'un local visé par l'article 1496 ou l'article 1498 du code général des impôts ne conduit pas à la décharge de l'impôt assis sur cette valeur locative ; que, dans le cas d'un local d'habitation ou à usage professionnel autre que commercial, il est substitué au terme de comparaison jugé inapproprié un autre terme de comparaison ; que, dans le cas d'un local commercial, il est substitué au terme de comparaison jugé inapproprié un autre terme de comparaison ou, si aucun terme de comparaison ne peut fonder une évaluation pertinente, il est procédé à une évaluation par voie d'appréciation directe ; que, dès lors, l'issue d'une contestation de la valeur locative d'un local visé à l'article 1496 ou à l'article 1498 du code général des impôts, fondée sur le caractère inapproprié du terme de comparaison utilisé à cette fin par l'administration, est incertaine quant au montant de la cotisation d'impôt fixée finalement ; que, par suite, l'existence d'un risque financier pour l'État et les collectivités territoriales n'est pas établie ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun motif impérieux d'intérêt général ne justifie l'atteinte au droit des contribuables de se prévaloir du motif d'irrégularité tiré de ce que le terme de comparaison utilisé pour fonder l'évaluation d'une valeur locative, soit directement, soit indirectement, a été détruit ou a changé de consistance, d'affectation ou de caractéristiques physiques en vue d'une remise en cause de l'évaluation de la valeur locative des immeubles concernés ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le paragraphe III de l'article 32 de la loi du 29 décembre 2014 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
11. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
12. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité du
paragraphe III de l'article 32 de la loi du 29 décembre 2014 prend effet à
compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être
invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe III de l'article 32 de la loi du 29 décembre 2014 est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 12.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 décembre 2015 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986.
Ces dispositions obligent les distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que le satellite n'utilisant pas de fréquences attribuées par le
Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à mettre à disposition de leurs abonnés des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale.
La société requérante reprochait notamment à ces dispositions de méconnaître la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation.
Il a relevé que les dispositions contestées doivent être entendues comme imposant aux distributeurs de services audiovisuels en cause une obligation de
mise à disposition gratuite qui ne s'applique qu'aux abonnés situés dans la zone géographique de la collectivité ou du groupement qui édite le service. Cette
obligation est par ailleurs limitée au transport et à la diffusion de programmes de ces services sans que soit imposée la réalisation de travaux de raccordement
ou de génie civil. En outre le législateur a entendu expressément exclure du champ de cette obligation la prise en charge de la numérisation des programmes.
Compte tenu de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle par
l'obligation prévue par les dispositions contestées n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi qui est de garantir le
maintien et favoriser le développement des services d'initiative publique locaux.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé conforme à la Constitution le paragraphe II de l'article L. 34-2 de la loi du 30 septembre 1986.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Vu la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les sociétés requérantes par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 14 et 29 janvier 2016 ;
Vu les observations produites pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, partie en défense, par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 14 janvier 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 janvier 2016 ;
Vu la lettre du 19 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour les sociétés requérantes, par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties requérantes, Me Elisabeth Baraduc-Benabent, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 15 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2009 susvisée : « Tout distributeur de services par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel met à disposition de ses abonnés les services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale. Le décret mentionné à l'article 34 définit les limites et conditions de cette obligation. « Les coûts de diffusion et de transport depuis le site d'édition sont à la charge du distributeur » ;
2. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en obligeant les distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel à mettre à disposition de leurs abonnés des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, les dispositions contestées méconnaissent la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle, le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques ;
3. Considérant qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition des limites et conditions de l'obligation de mise à disposition des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, méconnaîtraient l'étendue de la compétence du législateur dans des conditions qui affectent la liberté d'entreprendre ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE, DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET DE L'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION :
4. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
5. Considérant que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux... des obligations civiles et commerciales » ;
6. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en faisant peser sur les distributeurs de services audiovisuels une obligation de reprise des services d'initiative publique locale destinés aux informations sur la vie locale, sans aménager ni encadrer cette obligation, les dispositions contestées méconnaissent la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle ;
7. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1426-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent éditer un service de télévision destiné aux informations sur la vie locale et diffusé par voie hertzienne terrestre ou par un réseau n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; que les dispositions contestées imposent aux distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel de mettre ces services à disposition de leurs abonnés ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu garantir le maintien et favoriser le développement de ces services publics locaux ;
8. Considérant que les dispositions contestées doivent être entendues comme imposant aux distributeurs de services audiovisuels précités une obligation de mise à disposition gratuite qui ne s'applique qu'aux abonnés situés dans la zone géographique de la collectivité ou du groupement qui édite le service ; que, par ailleurs, cette obligation est limitée au transport et à la diffusion des programmes de ces services sans que soit imposée la réalisation de travaux de raccordement ou de génie civil ; qu'en outre le législateur a entendu expressément exclure du champ de cette obligation la prise en charge de la numérisation des programmes ; qu'ainsi, les dispositions contestées portent une atteinte limitée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle de ces distributeurs de services audiovisuels ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le législateur, d'une part, n'a pas méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et, d'autre part, n'a pas porté à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle doivent être écartés ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
10. Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'obligation qu'elles instituent ne fait pas l'objet d'une compensation financière ;
11. Considérant, en premier lieu, que l'article 13 de la Déclaration de 1789 dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que, si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
12. Considérant que l'obligation instituée par les dispositions contestées, qui pèse sur l'ensemble des distributeurs de services audiovisuels par un réseau autre que satellitaire n'utilisant pas de fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, poursuit un objectif d'intérêt général ; qu'il n'en résulte aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;
13. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées, lesquelles instituent une obligation en faveur d'un service public dans le cadre de la relation contractuelle entre le distributeur de services audiovisuel et ses abonnés, ne portent aucune atteinte au droit de propriété ;
14. Considérant que les dispositions du paragraphe II de l'article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe II de l'article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2015 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963.
Cet article a institué un droit à pension au bénéfice des personnes de nationalité française à la date de promulgation de la loi qui ont subi en
Algérie, entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962, des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec
les évènements survenus sur ce territoire, ainsi qu'au bénéfice de leurs ayants cause de nationalité française à la même date.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en réservant le bénéfice de l'indemnisation aux personnes de nationalité française à la date de promulgation de la loi, soit
le 31 juillet 1963, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution les mots « à la date de promulgation de la présente loi » et les
mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi n°63-778 du 31 juillet 1963.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 ;
Vu la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des français ayant résidé en Algérie ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 19 janvier et 3 février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 19 janvier 2016 ;
Vu la lettre du 15 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 15 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 susvisée dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1964
susvisée : « Sous réserve de la subrogation de l'État dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française à la
date de promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait
d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité
française à la même date, droit à pension.« Ouvrent droit à pension, les infirmités ou le décès résultant:
« 1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements d'Algérie mentionnés à l'alinéa premier ;
« 2° De maladies contractées du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements précités ;
« 3° De maladies contractées ou aggravées du fait de mauvais traitements ou de privations subis en captivité en relation avec les mêmes événements.
« Sont réputés causés par les faits prévus à l'alinéa précédent les décès, même par suite de maladie, s'ils sont survenus pendant la captivité.
« Lorsque la blessure, l'accident, la maladie ou la mort sont dus à une faute inexcusable de la victime, ils ne donnent droit à aucune indemnité.
« Les personnes qui auront participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou autres actes de violence en
relation avec les événements mentionnés à l'alinéa premier ou auront incité à les commettre seront, ainsi que leurs ayants cause, exclues du bénéfice des dispositions du présent article.
« Des règlements d'administration publique détermineront les dispositions nécessaires à l'application du présent article, et notamment les règles
relatives au mode de calcul de la pension, à la date de son entrée en jouissance, ainsi qu'à l'attribution des allocations et avantages accessoires
susceptibles d'y être rattachés ; ils fixeront en outre les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française
pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article » ;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions contestées instaurent, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement entre les personnes de nationalité française victimes d'attentats ou d'actes de violence survenus sur le territoire algérien entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 ainsi qu'entre leurs ayants droit de nationalité française, selon que ces personnes possèdent ou non cette nationalité à la date du 31 juillet 1963 ; qu'en outre, en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en instituant un droit à pension uniquement pour celles des personnes de nationalité française qui possèdent cette nationalité à la date de promulgation de la loi, méconnaîtraient le principe d'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales, qui découle du douzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et les mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant que par l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, le législateur a créé un régime d'indemnisation des personnes de nationalité française victimes de dommages physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit ; que, poursuivant un objectif de solidarité nationale, il a ainsi entendu garantir le paiement de rentes aux personnes ayant souffert de préjudices résultant de ces dommages ou à leurs ayants droit ; qu'au regard de l'objet de la loi, ces personnes ne sont pas dans une situation différente selon qu'elles possédaient ou non la nationalité française à la date de promulgation de la loi créant le régime d'indemnisation, dès lors qu'elles satisfont aux autres conditions posées par le législateur ; qu'en réservant le bénéfice de l'indemnisation aux personnes de nationalité française à la date de promulgation de cette loi, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui n'est justifiée ni par une différence de situation ni par l'objectif de solidarité nationale poursuivi par le législateur ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
7. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et des mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et les mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi
n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 7.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 janvier 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
Il résulte de ces dispositions une différence de traitement dans les conditions d'engagement de la responsabilité pour obtenir la réparation des dommages liés à
une infection nosocomiale n'ouvrant pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale par l'office national d'indemnisation des accidents
médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Un régime de responsabilité sans faute s'applique si cette infection a été
contractée dans un établissement, service ou organisme de santé. En revanche, si une telle infection est contractée auprès d'un professionnel de santé exerçant
en ville, la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée qu'en cas de faute.
Le Conseil constitutionnel a jugé, contrairement à l'argumentation du requérant, que cette différence de traitement ne méconnaît pas le principe d'égalité.
Il a en particulier relevé que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se
caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé, tant en raison des caractéristiques
des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu'en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur avait entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic
ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé et la spécificité des risques en milieu hospitalier. La différence de
traitement dans les conditions d'engagement de la responsabilité issue des dispositions contestées repose ainsi sur une différence de situation.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé conforme à la Constitution le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, enregistrées les 28 janvier et 12 février 2016 ;
Vu les observations produites pour M. André G., la société Centre de radiologie Adoue Henri IV et la société La Médicale de France, parties en défense, par la
SCP Yves Richard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 janvier 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Yves Richard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
pour les parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 22 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.« Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en subordonnant la réparation du préjudice résultant d'une infection nosocomiale à la commission d'une faute par le professionnel de santé lorsqu'une telle infection est contractée à l'occasion de soins dispensés en ville, alors que les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'une telle infection sauf à ce qu'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère, les dispositions contestées créent une discrimination injustifiée ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant qu'il ressort des paragraphes I et II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que le législateur a entendu fixer un régime de réparation des préjudices résultant des infections nosocomiales contractées tant chez les professionnels de santé exerçant en ville que dans les établissements, services ou organismes de santé à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins ;
6. Considérant que les dispositions contestées prévoient l'engagement de la responsabilité des établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés de tels actes pour la réparation des dommages qui résultent d'infections nosocomiales, lorsque les patients ne remplissent pas les conditions définies à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique pour en obtenir réparation, au titre de la solidarité nationale, par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ; que seule la preuve d'une cause étrangère permet à ces établissements, services et organismes de ne pas voir leur responsabilité engagée ; qu'à l'inverse, pour la réparation de tels dommages, la responsabilité des professionnels de santé qui n'exercent pas dans un établissement ayant le caractère d'un établissement de santé n'est engagée qu'en cas de faute ; qu'il en résulte une différence de traitement dans l'engagement de la responsabilité pour obtenir la réparation des dommages liés à une infection nosocomiale n'ouvrant pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale, selon que cette infection a été contractée dans un établissement, service ou organisme de santé ou auprès d'un professionnel de santé exerçant en ville ;
7. Considérant que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu'en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections ; qu'au surplus, les établissements, services et organismes de santé sont tenus, en vertu des articles L. 6111-2 et suivants du code de la santé publique, de mettre en œuvre une politique d'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d'organiser la lutte contre les évènements indésirables, les infections associées aux soins et l'iatrogénie ; qu'ainsi, le législateur a entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé et la spécificité des risques en milieu hospitalier ; que la différence de traitement qui découle des conditions d'engagement de la responsabilité pour les dommages résultant d'infections nosocomiales repose sur une différence de situation ; qu'elle est en rapport avec l'objet de la loi ; qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 janvier 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 836 du code de procédure pénale et L. 532-8 du code de l'organisation judiciaire.
Ces dispositions fixent la composition de la formation collégiale du tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna.
Faisant application de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale,
qui permettent la présence d'une majorité de juges non professionnels au sein d'une formation correctionnelle de droit commun compétente pour prononcer des
peines privatives de liberté, méconnaissent les exigences de l'article 66 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré contraire à la Constitution le second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. À compter de cette date,
le tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna statuant en formation collégiale siégera selon la règle prévue par l'article 398 du code
de procédure pénale, laquelle prévoit une formation de jugement composée d'une majorité de magistrats professionnels.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'organisation judiciaire ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 portant refonte du code de l'organisation judiciaire et modifiant le code de commerce, le code rural et le
code de procédure pénale (partie législative) ;
Vu la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, notamment son article 138 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les parties requérantes par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 29 janvier 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 janvier 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Jean-Yves Le Borgne, avocat au barreau de Paris, pour les parties requérantes et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 22 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 836 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 19 mars 1999 susvisée
: « En Nouvelle-Calédonie, le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale est complété par deux assesseurs dans les conditions prévues au code
de l'organisation judiciaire.
« Dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale est composé d'un magistrat du siège et de deux
assesseurs, dans les conditions prévues au code de l'organisation judiciaire » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 532-8 du code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 8 juin 2006 susvisée : « Lorsqu'il statue en formation collégiale, le tribunal de première instance est composé d'un magistrat du siège, président du tribunal, et d'assesseurs choisis, pour une durée de deux ans, parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité » ;
3. Considérant que, selon les requérants, l'application combinée des articles 836 du code de procédure pénale et L. 532-8 du code de l'organisation judiciaire, en ce qu'elle conduit à la présence majoritaire de juges non professionnels au sein de la formation collégiale du tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, compétente pour prononcer des peines privatives de liberté, méconnaît le principe d'égalité devant la justice, le principe d'impartialité et les exigences de l'article 66 de la Constitution ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, si ces dispositions s'opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n'interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ; que, s'agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire ;
6. Considérant, d'une part, qu'il résulte des articles 381 et 382 du code de procédure pénale que le tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna statuant en formation collégiale est compétent pour connaître des délits, autres que ceux visés au paragraphe II de l'article 837 du code de procédure pénale, commis sur ce territoire ou lorsque le prévenu y réside, y a été arrêté ou y est détenu ; qu'il constitue ainsi une formation correctionnelle de droit commun compétente pour prononcer une peine privative de liberté ;
7. Considérant, d'autre part, qu'en vertu des dispositions contestées, le tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna statuant en formation collégiale est composé d'un magistrat du siège et de deux assesseurs dans les conditions prévues au code de l'organisation judiciaire ; que les dispositions de l'article L. 532-8 de ce code prévoient que ces assesseurs sont choisis parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité ; qu'aucune disposition législative ne garantit que cette formation de jugement comprend une majorité de juges professionnels ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale, qui permettent la présence d'une majorité de juges non professionnels au sein d'une formation correctionnelle de droit commun compétente pour prononcer des peines privatives de liberté, méconnaissent les exigences découlant de l'article 66 de la Constitution ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité du second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la présente décision ; que, par suite, à compter de cette date, pour exercer la compétence que lui reconnaît le code de procédure pénale, le tribunal correctionnel dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna statuant en formation collégiale siégera selon la règle prévue par l'article 398 du code de procédure pénale, laquelle garantit que la formation de jugement sera composée d'une majorité de magistrats professionnels,
D É C I D E :
Article 1er.- Le second alinéa de l'article 836 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au considérant 10.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 janvier 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des
accidents et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer.
Ces dispositions portent sur le régime d'indemnisation des accidents du travail dans certaines collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie. Le requérant
contestait la limitation de la réparation de l'accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur au seul versement d'une indemnité forfaitaire
majorée. Les dispositions contestées faisaient en effet obstacle à la possibilité pour la victime d'obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices.
Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution mais avec une réserve d'interprétation.
Le Conseil constitutionnel a d'abord appliqué le raisonnement suivi dans ses décisions précédentes n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 et n° 2010-8 QPC du 18 juin
2010 pour juger que les dispositions contestées pouvaient mettre en place une réparation forfaitaire sans porter une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité.
En revanche, toujours dans le prolongement de la décision n° 2010-8 QPC, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte
disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts
par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret du 24 février 1957, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages.
Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le premier alinéa de l'article 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la
réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires
d'outre-mer, approuvé par l'Assemblée nationale le 12 avril 1957 et par le Conseil de la République le 25 juin 1957 ;
Vu la loi du pays de la Polynésie française n° 2010-10 du 19 juillet 2010 relative à la santé au travail, notamment son article LP 18 ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2006 (2ème chambre civile, n° 05-15805) ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP UCJ - Arcus Usang et Tauniua Ceran-Jerusalemy, enregistrées le 5 février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 février 2016 ;
Vu les observations produites pour la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, partie en défense, par la SCP Baraduc Duhamel Rameix,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 5 et 22 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Arcus Usang, avocat au barreau de Papeete, pour le requérant, Me Elisabeth Baraduc, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en
défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 5 avril 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 34 du décret du 24 février 1957 susvisé dans sa rédaction résultant de la loi du pays du 19 juillet
2010 susvisée : « Lorsque l'accident est dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, les indemnités
dues à la victime ou à ses ayants droits, en vertu du présent décret, sont majorées.
« Le montant de la majoration est fixé par l'organisme assureur en accord avec la victime et l'employeur ou, à défaut, par le tribunal du travail compétent
sans que la rente ou le total des rentes allouées puisse dépasser soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le
montant de ce salaire. La majoration est payée par l'organisme assureur qui en récupère le montant au moyen d'une cotisation supplémentaire imposée à
l'employeur et dont le taux et la durée sont fixés par lui, sauf recours de l'employeur devant le tribunal du travail compétent. Dans le cas de cession ou
de cessation de l'entreprise, le total des arrérages de la cotisation à échoir est immédiatement exigible.
« Les conditions dans lesquelles est fixée et perçue cette cotisation supplémentaire sont déterminées par arrêté du chef de territoire en conseil de gouvernement.
« L'employeur peut s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu'il s'est substitué dans la direction
de l'entreprise ou de l'établissement » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en limitant la réparation de l'accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur au seul versement d'une indemnité forfaitaire majorée et en faisant ainsi obstacle à la possibilité pour la victime d'obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices causés par la faute inexcusable de l'employeur, les dispositions contestées portent atteinte au principe de responsabilité ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 34 du décret du 24 février 1957 ;
4. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que ces dispositions sont les seules applicables pour assurer la réparation des dommages résultant d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur dans les collectivités d'outre-mer où sont applicables les dispositions du décret du 24 février 1957 ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
6. Considérant que les dommages qui résultent des accidents du travail survenus par le fait ou à l'occasion du travail dans les collectivités d'outre-mer auxquelles les dispositions du décret du 24 février 1957 sont applicables ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie donnent droit à une indemnisation forfaitaire, en vertu de l'article 27 de ce décret, au titre de l'incapacité ou du décès de la victime ; que les caisses de compensation des prestations familiales et des accidents du travail prennent en charge cette indemnisation ;
7. Considérant que les dispositions contestées confèrent à la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur ou à ses ayants droit un droit à majoration de ces indemnités ; que cette victime ou ses ayants droit ne peuvent engager une action en responsabilité contre l'employeur afin d'obtenir la réparation des dommages objets de ces indemnités, lesquelles compensent forfaitairement la perte de salaire résultant de l'incapacité ou du décès ;
8. Considérant, d'une part, qu'en instaurant un régime d'assurance sociale des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer, le décret du 24 février 1957 a mis en œuvre les exigences énoncées par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » ; que, pour concilier le droit des victimes d'actes fautifs d'obtenir la réparation de leur préjudice avec la mise en œuvre des exigences résultant du onzième alinéa du Préambule de 1946, il était loisible au législateur d'instaurer un régime spécifique de réparation de l'accident du travail dû à une faute inexcusable de l'employeur se substituant partiellement à la responsabilité de ce dernier ;
9. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées, en garantissant l'automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail dus à une faute inexcusable de l'employeur, poursuivent un objectif d'intérêt général ; que, compte tenu de la situation particulière d'un salarié dans le cadre de son activité professionnelle, la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant de la réparation forfaitaire de la perte de salaire, n'institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que, toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret du 24 février 1957, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de responsabilité ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant précédent, les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni au principe de responsabilité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 9, le premier alinéa de l'article 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la
réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 janvier 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 341-10 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret du 17 décembre 1985.
Le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur a traité différemment les personnes titulaires d'une pension d'invalidité servie par le régime général de
sécurité sociale selon la nature de l'activité professionnelle qu'elles reprennent. En cas de reprise d'une activité salariée, l'article L. 341-12 du
code de la sécurité sociale prévoit une suspension en tout ou partie de la pension d'invalidité. En cas de reprise d'une activité non-salariée, les
dispositions contestées prévoient que les arrérages de la pension sont entièrement supprimés lorsque le revenu issu de l'activité reprise excède un plafond fixé par décret.
Si, en adoptant ces règles, le législateur a poursuivi un objectif d'équilibre des comptes de la sécurité sociale, cet objectif ne constitue pas une raison
d'intérêt général de nature à justifier une telle différence de traitement entre les personnes titulaires d'une pension d'invalidité qui reprennent une activité professionnelle.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité et les a déclarées non conformes à la Constitution.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité, relative à une disposition abrogée en 2011, prend effet immédiatement.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 87-598 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d'ordre social, notamment son article 1er ;
Vu le décret n° 85-1353 du 17 décembre 1985 relatif au code de la sécurité sociale (partie législative et partie décrets en Conseil d'État) ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP d'Avocats Faugère-Lavigne, enregistrées les 4 et 22 février 2016 ;
Vu les observations produites pour la caisse primaire d'assurance-maladie du Lot, partie en défense, par la SPC Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et
à la Cour de cassation, enregistrées le 4 février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 5 avril 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 341-10 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret du 17 décembre 1985 susvisé : « Les arrérages des pensions d'invalidité sont supprimés à l'expiration de la période de versements des arrérages au cours de laquelle le bénéficiaire a exercé une activité professionnelle non-salariée, lorsque cette activité procure à l'intéressé ou au ménage un revenu qui, ajouté au montant de la pension, excède un plafond déterminé par décret » ;
2. Considérant que, selon la requérante, en prévoyant la suppression des arrérages d'une pension d'invalidité servie par le régime général de sécurité sociale en cas d'exercice d'une activité professionnelle non-salariée, lorsque le revenu tiré de cette activité excède un plafond fixé par décret, la disposition contestée crée une différence de traitement entre les titulaires d'une pension d'invalidité de ce même régime selon qu'ils exercent une activité professionnelle salariée ou une activité professionnelle non-salariée ; que cette différence de traitement ne serait justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général ; qu'il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ; qu'en prévoyant la suppression du versement de la pension d'invalidité alors même que le plafond des revenus tirés de la reprise d'une activité professionnelle non-salariée, déterminé par décret, est très faible, cette disposition méconnaîtrait également les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
4. Considérant qu'en vertu de la disposition contestée, les arrérages d'une pension d'invalidité servie par le régime général de sécurité sociale sont entièrement supprimés lorsque la personne reprend une activité professionnelle non-salariée qui lui procure un revenu excédant un plafond fixé par décret ; qu'en revanche, l'article L. 341-12 du code de la sécurité sociale prévoit une suspension en tout ou partie de la pension d'invalidité en cas de reprise d'une activité salariée, en raison du salaire de l'intéressé, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État ; qu'il en résulte une différence de traitement entre les personnes titulaires d'une pension d'invalidité servie par le régime général de sécurité sociale selon la nature de l'activité professionnelle reprise ; que ces personnes, qui sont dans les deux cas affiliées au régime général de sécurité sociale et titulaires d'une pension d'invalidité servie par ce régime, sont dans la même situation ;
5. Considérant qu'en adoptant la disposition contestée, le législateur, poursuivant un objectif d'équilibre des comptes de la sécurité sociale, a entendu limiter le cumul d'une pension d'invalidité et de revenus du travail ; qu'un tel objectif ne constitue pas une raison d'intérêt général de nature à justifier la différence de traitement entre les personnes titulaires d'une pension d'invalidité qui reprennent une activité professionnelle ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la disposition contestée, qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi, doit être déclarée contraire à la Constitution ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
7. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 341-10 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret du 17 décembre 1985 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 341-10 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant du décret n° 85-1353 du 17 décembre 1985 relatif au code de
la sécurité sociale est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 7.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 février 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 4 du paragraphe II de l'article 266 sexies et de l'article 268 ter du code des douanes.
Est institué, s'agissant du redevable de la taxe générale sur les activités polluantes, une différence de traitement entre les personnes qui procèdent à une
première livraison de lubrifiants, produits pour lessives et matériaux d'exctraction, selon l'origine et la destination de la livraison.
Le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur a entendu rendre équivalent le traitement fiscal des produits visés, en assurant
l'assujettissement à la taxe des produits utilisés sur le territoire national, qu'ils aient été importés dans un département d'outre-mer depuis la métropole,
un autre département d'outre-mer ou l'étranger ou qu'ils aient été importés en métropole depuis un département d'outre-mer ou l'étranger. La différence de
traitement instituée étant en rapport avec l'objet de la loi, le Conseil constitutionnel a jugé qu'elle n'est pas contraire au principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé conformes à la Constitution les mots « de la taxe prévue à l'article 266 sexies et » figurant au premier
alinéa de l'article 268 ter du code des douanes dans sa rédaction résultant de la loi n°2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des douanes ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 ;
Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP Nicolas Boullez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 3 et 18 mars 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 3 mars 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Philippe Carpentier, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 12 avril 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; que la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée par la société requérante à l'occasion de la contestation de cotisations supplémentaires de taxe générale sur les activités polluantes mises en recouvrement au titre des années 2008 à 2011 ; qu'ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du 4 du paragraphe II de l'article 266 sexies du code des douanes dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 susvisée et des dispositions de l'article 268 ter de ce code dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 susvisée ;
2. Considérant qu'aux termes du 4 du paragraphe II de l'article 266 sexies du code des douanes dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006, la taxe générale sur les activités polluantes ne s'applique pas « Aux lubrifiants, aux préparations pour lessives, y compris les préparations auxiliaires de lavage, aux produits adoucissants ou assouplissants pour le linge, aux matériaux d'extraction, mentionnés respectivement au a du 4 et aux 5, et 6 du I du présent article lorsque la première livraison après fabrication nationale consiste en une expédition directe à destination d'un État membre de la Communauté européenne ou en une exportation » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 268 ter du code des douanes dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 : « Pour l'application de la taxe prévue à l'article 266 sexies et du droit prévu à l'article 268 ci-dessus, les échanges entre la France métropolitaine et chacun des départements d'outre-mer sont assimilés à des opérations d'importation ou d'exportation.« Il en est de même pour les échanges réalisés entre ces départements sauf entre la Guadeloupe et la Martinique » ;
4. Considérant que, selon la société requérante, en prévoyant que les personnes qui livrent, pour la première fois, des produits pour lessives dans un département d'outre-mer depuis la métropole sont exonérées du paiement de la taxe générale sur les activités polluantes, les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, sont entachées d'incompétence négative et méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
5. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « de la taxe prévue à l'article 266 sexies et » figurant au premier alinéa de l'article 268 ter du code des douanes ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI ET DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES :
6. Considérant que, selon la société requérante, la disposition contestée crée une différence de traitement entre les personnes qui reçoivent des produits pour lessives en métropole, qui sont exonérées de taxe générale sur les activités polluantes, et celles qui en reçoivent dans un département d'outre-mer, qui sont soumises à cette taxe dès lors qu'elles les livrent ou les utilisent par la suite ; que la disposition contestée créerait, en outre, une seconde différence de traitement entre les personnes qui livrent pour la première fois des produits pour lessives de fabrication nationale en France métropolitaine, qui sont soumises à la taxe, et celles qui livrent pour la première fois de tels produits de la métropole vers un département d'outre-mer, qui en sont exonérées ; que ces différences ne seraient justifiées ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général ; qu'il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être assujettis les contribuables ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
8. Considérant qu'en vertu de la disposition contestée, la taxe générale sur les activités polluantes assise sur les lubrifiants, les lessives, les préparations assimilées et les matériaux d'extraction ne s'applique pas lorsque la première livraison, après fabrication nationale ou importation, consiste en un échange entre la France métropolitaine et un département d'outre-mer ou entre deux départements d'outre-mer, sauf s'il s'agit d'un échange entre la Guadeloupe et la Martinique ; que dans ces hypothèses, conformément au a) du 4 et aux 5 et 6 du paragraphe I de l'article 266 sexies, est redevable de la taxe celui qui, ayant reçu ces produits, les livre ensuite en métropole ou dans un département d'outre-mer ou qui les y utilise ; que, dans les autres cas, est redevable de la taxe celui qui réalise la première livraison ; qu'il en résulte une différence de traitement entre les personnes qui procèdent à une première livraison de ces produits selon l'origine et la destination de la livraison ; que, compte tenu, d'une part, de la distance entre le territoire d'importation ou de fabrication des produits et le territoire d'utilisation et, d'autre part, de la spécificité géographique des départements d'outre-mer, la différence de traitement repose sur une différence de situation ;
9. Considérant qu'en adoptant la disposition contestée, le législateur a entendu rendre équivalent le traitement fiscal des produits visés, en assurant l'assujettissement à la taxe des produits utilisés sur le territoire national, qu'ils aient été importés dans un département d'outre-mer depuis la métropole, un autre département d'outre-mer ou l'étranger ou qu'ils aient été importés en métropole depuis un département d'outre-mer ou l'étranger ; que la différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi ; qu'il n'en résulte aucune forme de double imposition ou d'absence d'imposition des produits utilisés sur le territoire français ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
10. Considérant que la société requérante soutient que la disposition contestée est entachée d'incompétence négative dans des conditions affectant le principe d'égalité et méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dès lors qu'elle ne permet pas, du fait de son imprécision, de déterminer le redevable de la taxe générale sur les activités polluantes, lorsque l'auteur de la première livraison est exonéré ;
11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures... » ;
13. Considérant que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence en matière de règles concernant l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes doit être écarté ;
14. Considérant que la disposition contestée, qui n'est en tout état de cause pas inintelligible, ne méconnaît aucun autre droit ou liberté
que la Constitution garantit ; qu'elle doit être déclarée conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « de la taxe prévue à l'article 266 sexies et » figurant au premier alinéa de l'article 268 ter du code des douanes dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 février 2016 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit des 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Les requérants reprochaient à ces dispositions de ne pas prévoir l'application des abattements pour durée de détention qu'elles instaurent aux plus-values
mobilières placées en report d'imposition avant l'entrée en vigueur de ces règles d'abattement.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution en formulant toutefois deux réserves d'interprétation.
La première réserve d'interprétation impose, pour la taxation des plus-values
placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013, qui ne font l'objet d'aucun abattement d'assiette sur leur montant brut et dont le montant de
l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, l'application d'un coefficient d'érosion monétaire
pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition.
La seconde réserve exige, lorsque trouve à s'appliquer un mécanisme de report d'imposition obligatoire, de ne pas appliquer des règles de taux autres que
celles applicables au fait générateur de l'imposition des plus-values mobilières en cause.
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution
les trois premiers alinéas du 1 ter et le A du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
Vu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
Vu la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 226886 du 10 avril 2002 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par Mes Dillemann et Buffa, enregistrées les 1er et 18 mars 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 3 mars 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Marc S., par la SELARL Cabinet Bornhauser, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 2 mars 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour Mme Albertine de G. D., par la SELARL Cabinet Bornhauser, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 2 mars 2016 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. et Mme Pascal Q., par Mes Louis-Marie Bourgeois et Eve Obadia, avocats au barreau de Paris, enregistrées les 2 et 23 mars 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Buffa, pour les requérants, Me Marc Bornhauser pour M. S. et Mme de G. D., parties intervenantes, Mes Bourgeois et Obadia pour les époux Q., partie
intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 avril 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; que les requérants ont formé un recours pour excès de pouvoir à l'encontre du paragraphe n° 370 de l'instruction BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 publiée au bulletin officiel des finances publiques du 2 juillet 2015 relatif à l'application de l'article 150-0 D du code général des impôts ; qu'ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions des 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2014 susvisée ;
2. Considérant qu'en vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 susvisée, les plus-values sont prises en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu ; que le deuxième alinéa du 1 de l'article 150-0 D prévoit cependant que ces plus-values sont réduites d'un abattement pour durée de détention déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du même article ;
3. Considérant qu'aux termes du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre
2014 : « L'abattement mentionné au 1 est égal à :« a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont
détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ;
« b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution.
« Cet abattement s'applique aux gains nets de cession à titre onéreux ou de rachat de parts ou d'actions d'organismes de placement collectif en valeurs
mobilières ou de placements collectifs, relevant des articles L. 214-24-24 à L. 214-32-1, L. 214-139 à L. 214-147 et L. 214-152 à L. 214-166 du code monétaire
et financier, ou de dissolution de tels organismes ou placements, à condition qu'ils emploient plus de 75 % de leurs actifs en parts ou actions de sociétés.
Ce quota doit être respecté au plus tard lors de la clôture de l'exercice suivant celui de la constitution de l'organisme ou du placement collectif et, de
manière continue, jusqu'à la date de la cession ou du rachat des actions, parts ou droits ou de la dissolution de cet organisme ou placement collectif.
Toutefois, cette condition ne s'applique pas aux gains nets mentionnés au 8 du II de l'article 150-0 A du présent code et aux gains nets de cession ou de
rachat de parts de fonds communs de placement à risques mentionnés aux articles L. 214-28 , L. 214-30 et L. 214-31 du code monétaire et financier et de parts ou
actions de fonds professionnels de capital investissement mentionnés à l'article L. 214-159 du même code.
« L'abattement précité s'applique aux distributions mentionnées aux 7 et 7 bis du II de l'article 150-0 A du présent code, à condition que les fonds mentionnés
à ce même 7 et les organismes ou les placements collectifs mentionnés à ce même 7 bis emploient plus de 75 % de leurs actifs en actions ou parts de sociétés ou
en droits portant sur ces actions ou parts. Ce quota doit être respecté au plus tard lors de la clôture de l'exercice suivant celui de la constitution du fonds,
de l'organisme ou du placement collectif et de manière continue jusqu'à la date de la distribution. Toutefois, cette condition ne s'applique pas aux
distributions effectuées par des fonds communs de placement à risques mentionnés aux articles L. 214-28, L. 214-30 et L. 214-31 du code monétaire et financier et
de fonds professionnels de capital investissement mentionnés à l'article L. 214-159 du même code.
« Les conditions mentionnées aux quatrième et cinquième alinéas du présent 1 ter
s'appliquent également aux entités de même nature constituées sur le fondement d'un droit étranger.
« Par dérogation aux mêmes quatrième et cinquième alinéas, pour les organismes constitués avant le 1er janvier 2014, le quota de 75 % doit être respecté au
plus tard lors de la clôture du premier exercice ouvert à compter de cette même
date et de manière continue jusqu'à la date de la cession, du rachat ou de la dissolution ou jusqu'à la date de la distribution.
4. Considérant qu'aux termes du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre
2014 : « A.-Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à :« 1° 50 % de leur
montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins un an et moins de quatre ans à la date de la cession ;
« 2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ;
« 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession.
« B.-L'abattement mentionné au A s'applique :
« 1° Lorsque la société émettrice des droits cédés respecte l'ensemble des conditions suivantes :
« a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n'est pas issue d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension ou d'une reprise
d'activités préexistantes. Cette condition s'apprécie à la date de souscription ou d'acquisition des droits cédés ;
« b) Elle répond à la définition prévue au e du 2° du I de l'article 199 terdecies-0 A. Cette condition est appréciée à la date de clôture du dernier
exercice précédant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ou, à défaut d'exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de
souscription ou d'acquisition de ces droits ;
« c) Elle respecte la condition prévue au f du même 2° ;
« d) Elle est passible de l'impôt sur les bénéfices ou d'un impôt équivalent ;
« e) Elle a son siège social dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu
avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ;
« f) Elle exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou
agricole, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.
« Lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice, au sens du troisième alinéa du V de l'article 885-0 V bis, le
respect des conditions mentionnées au présent 1° s'apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations.
« Les conditions prévues aux quatrième à avant-dernier alinéas du présent 1° s'apprécient de manière continue depuis la date de création de la société ;
« 2° Lorsque le gain est réalisé dans les conditions prévues à l'article 150-0 D ter ;
« 3° Lorsque le gain résulte de la cession de droits, détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et descendants
ainsi que leurs frères et sœurs, dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège
dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une
convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment
quelconque au cours des cinq dernières années, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent 3°, si tout ou partie de ces droits
sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. À défaut, la plus-value, réduite, le cas échéant, de l'abattement mentionné au 1 ter, est
imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers.
« C.-L'abattement mentionné au A ne s'applique pas :
« 1° Aux gains nets de cession ou de rachat de parts ou d'actions d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières ou de placements collectifs,
relevant des articles L. 214-24-24 à L. 214-32-1, L. 214-139 à L. 214-147 et L. 214-152 à L. 214-166 du code monétaire et financier, ou d'entités de même nature
constituées sur le fondement d'un droit étranger, ou de dissolution de tels organismes, placements ou entités ;
« 2° Aux distributions mentionnées aux 7 et 7 bis, aux deux derniers alinéas du 8 du II de l'article 150-0 A, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163
quinquies C, y compris lorsqu'elles sont effectuées par des entités de même nature constituées sur le fondement d'un droit étranger ;
« 3° Aux gains mentionnés aux 3, 4 bis, 4 ter et 5 du II et, le cas échéant, au 2 du III de l'article 150-0 A » ;
5. Considérant que, selon les requérants et les parties intervenantes, en ne prévoyant pas l'application des abattements pour durée de détention aux plus-values placées en report d'imposition avant l'entrée en vigueur de ces règles d'abattement, les dispositions contestées méconnaissent l'égalité devant la loi et devant les charges publiques ; que les requérants et les parties intervenantes soutiennent également qu'il résulte de l'application du barème progressif de l'impôt sur le revenu aux plus-values placées en report d'imposition avant l'entrée en vigueur des dispositions contestées, sans aucune mesure d'atténuation, une méconnaissance des exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
6. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que, lorsqu'une plus-value mobilière fait l'objet d'un report d'imposition, notamment pour tenir compte du fait que le contribuable n'a pas disposé des liquidités provenant de l'opération effectuée, l'assiette de l'imposition est déterminée selon les règles applicables à la date de cette opération ; qu'en revanche, le montant de l'imposition est arrêté selon les règles applicables à la date de l'événement mettant fin au report d'imposition ;
7. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les trois premiers alinéas du 1 ter et sur le A du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts ;
8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
9. Considérant, d'une part, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l'application de nouvelles règles d'assiette favorisant la détention des valeurs mobilières sur une longue durée ; que l'importance de l'abattement applicable pour la détermination de l'imposition due est proportionnelle à la durée de détention de ces valeurs mobilières ; qu'ainsi, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi ;
10. Considérant, d'autre part, que ces nouvelles règles de détermination de l'assiette des plus-values mobilières sont applicables aux plus-values réalisées à compter de l'entrée en vigueur de ces règles, soit le 1er janvier 2013 ; qu'il en résulte que les plus-values mobilières placées en report d'imposition avant cette date sont exclues du bénéfice des abattements pour durée de détention prévus aux 1 ter et 1 quater de l'article 150-0 D ; que cette différence de traitement, qui repose sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de loi ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de l'assujettissement des plus-values mobilières à l'impôt sur le revenu prévu par l'article 200 A du code général des impôts, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus prévue par l'article 223 sexies du même code ainsi qu'aux prélèvements sociaux prévus par l'article 16 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 susvisée, par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et par les articles L. 136-7 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale qu'un taux marginal maximal d'imposition de 62,001 % s'applique à la plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013 qui a été placée en report d'imposition et dont le report expire postérieurement à cette date ; que les valeurs mobilières qui ont donné lieu à la réalisation cette plus-value, fait générateur de l'imposition, ont pu être détenues sur une longue durée avant cette réalisation ; que, faute de tout mécanisme prenant en compte cette durée pour atténuer le montant assujetti à l'impôt sur le revenu, l'application du taux marginal maximal à cette plus-value méconnaîtrait les capacités contributives des contribuables ; que, par suite, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013 qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition ; que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;
12. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ;
13. Considérant que l'imposition due par le contribuable à raison de plus-values placées en report d'imposition est liquidée selon des règles fixées par le législateur postérieurement à la période au cours de laquelle le fait générateur de l'imposition est intervenu ; que les dispositions contestées excluent, de manière rétroactive, le bénéfice de l'abattement pour durée de détention aux plus-values placées en report d'imposition avant la date de leur entrée en vigueur ;
14. Considérant que lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, d'obtenir le report de l'imposition d'une plus-value, le contribuable doit être regardé comme ayant accepté les conséquences du rattachement de cette plus-value à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition ; qu'en particulier, l'imposition de la plus-value selon le taux applicable l'année de cet évènement ne porte, par elle-même, atteinte à aucune exigence constitutionnelle ;
15. Considérant, en revanche, que si le report d'imposition d'une plus-value s'applique de plein droit, dès lors que sont satisfaites les conditions fixées par le législateur, le montant de l'imposition est arrêté, sans option du contribuable, selon des règles, en particulier de taux, qui peuvent ne pas être celles applicables l'année de la réalisation de la plus-value ; que, dans cette hypothèse, seul un motif d'intérêt général suffisant peut justifier que la plus-value soit ainsi rétroactivement soumise à des règles de liquidation qui n'étaient pas déterminées à la date de sa réalisation ; qu'en l'espèce aucun motif d'intérêt général ne justifie l'application rétroactive de telles règles de liquidation à une plus value placée, antérieurement à leur entrée en vigueur, en report d'imposition obligatoire ; que par suite, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d'assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l'imposition de plus-values mobilières obligatoirement placées en report d'imposition ; que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;
D É C I D E :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 15, les trois premiers alinéas du 1 ter et le A du 1 quater de l'article 150-0 D du code
général des impôts sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
À l'occasion des deux décisions QPC rendues publiques le 10 mai 2016 (décisions nos 2016-539 QPC et 2016-540 QPC), le Conseil constitutionnel a décidé de moderniser le mode de rédaction de ses décisions.
Ce nouveau mode de rédaction a pour objectifs de simplifier la lecture des décisions du Conseil constitutionnel et d'en approfondir la motivation.
Ce mode de rédaction s'appliquera désormais à l'ensemble des décisions rendues par le Conseil constitutionnel.
Laurent Fabius
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 février 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième
alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie.
Les dispositions contestées prévoient que l'imposition commune des époux et, par
conséquent, l'attribution d'un quotient conjugal de deux parts, est soumise à la
condition que les deux époux sont fiscalement domiciliés en Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette différence de traitement entre les
couples mariés, selon le lieu des domicile des époux, n'est pas justifiée par
une différence de situation en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur de la Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé les dispositions contestées contraires au principe d'égalité devant la loi.
Il a déclaré contraires à la Constitution les mots « ayant chacun leur domicile
fiscal en Nouvelle-Calédonie » figurant dans la première phrase du deuxième
alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la
Nouvelle-Calédonie. Cette abrogation prend effet dès la publication de la
décision du Conseil constitutionnel. Ainsi, les contribuables concernés pourront s'en prévaloir.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL a été saisi le 11 février 2016 par le Conseil d'État (décision n° 394701 du 10 février 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Ève G.. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-539 QPC.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
le code civil de la Nouvelle-Calédonie ;
le code des impôts de la Nouvelle-Calédonie ;
la loi du pays n° 2010-3 du 21 janvier 2010 portant diverses dispositions d'ordre fiscal ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 19 avril 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL s'est fondé sur ce qui suit :
1. L'impôt sur le revenu des personnes physiques fiscalement domiciliées en Nouvelle-Calédonie est établi selon un barème progressif. Pour l'application de ce barème, l'article 133 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie divise le revenu en un certain nombre de parts, fixé d'après la situation et les charges de famille. Le deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 de ce code prévoit que les couples mariés sont, en principe, soumis à une imposition commune et l'article 133 dispose que les couples mariés bénéficient d'un quotient conjugal de deux parts. Par dérogation au principe de l'imposition commune, les époux font, en vertu du paragraphe III de l'article Lp. 52, l'objet d'impositions distinctes « a. lorsqu'ils sont séparés de biens judiciairement et ne vivent pas sous le même toit ; / b. lorsqu'étant en instance de séparation de corps ou de divorce, ils ont été autorisés à avoir des résidences séparées ; / c. lorsqu'en cas d'abandon du domicile conjugal par l'un ou l'autre des époux, chacun dispose de revenus distincts ».
2. Le deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays du 21 janvier 2010 mentionnée ci-dessus dispose que : « Sauf application des dispositions figurant aux paragraphes III. et IV., les personnes mariées ayant chacune leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles et ceux de leurs enfants et des personnes à charge constituant le foyer fiscal. Cette imposition est établie aux noms de chacun des époux ou épouses, séparés par le mot : "ou ". Le terme contribuable employé au premier alinéa s'entend de la personne ou des époux faisant l'objet d'une même imposition ».
3. La requérante soutient que ces dispositions portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques dès lors qu'elles réservent l'imposition commune et, par conséquent, le quotient conjugal aux couples mariés au seul cas où chacun des deux époux est fiscalement domicilié en Nouvelle-Calédonie.
4. La question prioritaire de constitutionnalité porte ainsi sur les mots « ayant chacun leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie » figurant dans la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie.
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Les dispositions contestées ont pour objet de déroger au principe de l'imposition commune des couples mariés lorsque l'un des époux est fiscalement domicilié hors de Nouvelle-Calédonie. Elles ont pour effet de priver chacun des conjoints de l'application du quotient conjugal pour ceux de leurs revenus taxables en Nouvelle-Calédonie.
7. Les dispositions contestées instituent de ce fait une différence de traitement entre les couples mariés selon que chacun des deux époux est ou non fiscalement domicilié en Nouvelle-Calédonie.
8. Le législateur de la Nouvelle-Calédonie a institué le principe de l'imposition commune afin de prendre en compte la mise en commun des ressources par les époux, qui traduit des obligations pesant sur eux en application du code civil de la Nouvelle-Calédonie. À lui seul, le fait que les époux ne résident pas dans le même lieu est sans incidence sur cette mise en commun, comme le confirme l'article 108 du code civil de la Nouvelle-Calédonie, qui dispose que « Le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans qu'il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de la vie ». En dehors des cas de dissolution de la communauté de vie visés au paragraphe III de l'article Lp. 52, les couples mariés sont donc, au regard de l'application du principe de l'imposition commune, dans la même situation qu'ils aient ou non des domiciles distincts.
9. En excluant l'application du quotient conjugal aux revenus taxables en Nouvelle-Calédonie des couples mariés dont l'un des époux n'a pas son domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie, le législateur de la Nouvelle-Calédonie a voulu neutraliser les effets favorables susceptibles de résulter de l'application du quotient conjugal aux seuls revenus imposables en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, la différence de traitement instituée n'est pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objectif poursuivi de neutralisation de l'effet du quotient conjugal qui est le corollaire, en l'état du droit, de l'imposition commune des époux. Ainsi, elle méconnaît le principe d'égalité devant la loi. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'autre grief, les mots « ayant chacun leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie » figurant dans la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
10. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». Si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et si la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « ayant chacun leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie » figurant dans la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie prend effet à compter de la date de la publication de la décision n° 2016-539 QPC. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à sa date de publication et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « ayant chacun leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie » figurant dans la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de
l'article Lp. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son paragraphe 11.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 mai 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM.
Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 février 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme.
Ces dispositions permettent à l'autorité administrative de subordonner la
délivrance d'un permis de construire ou l'absence d'opposition à une déclaration
de travaux à l'institution d'une servitude restreignant l'usage, en période
hivernale, des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par des voies et réseaux.
La société requérante soutenait notamment que ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées ont pour
objectif de ne pas créer de nouvelles obligations de desserte des bâtiments en
cause par les voies et réseaux et de garantir la sécurité des personnes en
période hivernale.
Compte tenu du caractère circonscrit du champ d'application des dispositions
contestées et des conditions dans lesquelles la servitude peut être instituée,
le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne portent pas
une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conforme à la Constitution
le second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction résultant de la loi n°2003-590 du 2 juillet 2003.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil d'État (décision n° 394839 du 10 février 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la société civile Groupement foncier rural Namin et Co, par la SELARL Redlink, avocat au barreau de Paris. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-540 QPC.
Au vu des textes suivants :
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par la SELARL Redlink, enregistrées les 7 et 22 mars 2016 ;
les observations présentées pour la commune des Fourgs, partie en défense, par
Me Gregory Mollion, avocat au barreau de Grenoble, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association nationale des élus
de la montagne, enregistrées le 29 février 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association France nature
environnement, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alexandre Le Mière, avocat au barreau de Paris, pour la
société requérante, Me Mollion, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 19 avril 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL s'est fondé sur ce qui suit :
1. La société requérante a saisi le tribunal administratif d'un recours. Ce recours tend, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 6 mars 2015 par laquelle le maire de la commune des Fourgs a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 5 mars 2004 instituant, sur la parcelle cadastrée ZE 27 dont elle est propriétaire dans cette commune, la servitude prévue au paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme. Ce recours tend, d'autre part, à l'abrogation de cet arrêté du 5 mars 2004. La question prioritaire de constitutionnalité devant être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée, le Conseil constitutionnel est saisi du second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003 mentionnée ci-dessus.
2. Le second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003 dispose : « Lorsque des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu'ils sont desservis par des voies qui ne sont pas utilisables en période hivernale, l'autorité compétente peut subordonner la réalisation des travaux faisant l'objet d'un permis de construire ou d'une déclaration de travaux à l'institution d'une servitude administrative, publiée au bureau des hypothèques, interdisant l'utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l'absence de réseaux. Lorsque le terrain n'est pas desservi par une voie carrossable, la servitude rappelle l'interdiction de circulation des véhicules à moteur édictée par l'article L. 362-1 du code de l'environnement ».
3. La société requérante soutient qu'en permettant à l'autorité administrative d'instituer une servitude interdisant l'usage des chalets d'alpage et des bâtiments d'estive en période hivernale sans prévoir une indemnisation du propriétaire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette servitude, qui ne serait ni justifiée par un motif d'intérêt général ni proportionnée à l'objectif poursuivi et dont l'institution ne serait entourée d'aucune garantie procédurale, méconnaîtrait également les exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789. Il en résulterait enfin une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et à la liberté d'aller et de venir.
- SUR L'ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ :
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Les dispositions contestées permettent à l'autorité administrative de subordonner la délivrance d'un permis de construire ou l'absence d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution d'une servitude interdisant ou limitant l'usage, en période hivernale, des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par des voies et réseaux.
6. D'une part, la servitude instituée en vertu des dispositions contestées n'entraîne pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation à l'exercice du droit de propriété.
7. D'autre part, en permettant d'instituer une telle servitude, le législateur a voulu éviter que l'autorisation de réaliser des travaux sur des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive ait pour conséquence de faire peser de nouvelles obligations de desserte de ces bâtiments par les voies et réseaux. Il a également voulu garantir la sécurité des personnes en période hivernale. Ainsi le législateur a poursuivi un motif d'intérêt général.
8. Le champ d'application des dispositions contestées est circonscrit aux seuls chalets d'alpage et bâtiments d'estive conçus à usage saisonnier et qui, soit ne sont pas desservis par des voies et réseaux, soit sont desservis par des voies et réseaux non utilisables en période hivernale. La servitude qu'elles prévoient ne peut être instituée qu'à l'occasion de la réalisation de travaux exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux. Elle s'applique uniquement pendant la période hivernale et ne peut excéder ce qui est nécessaire compte tenu de l'absence de voie ou de réseau.
9. La décision d'établissement de la servitude, qui est subordonnée à la réalisation, par le propriétaire, de travaux exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux, est placée sous le contrôle du juge administratif. Le propriétaire du bien objet de la servitude dispose de la faculté, au regard des changements de circonstances, d'en demander l'abrogation à l'autorité administrative à tout moment.
10. Il résulte des motifs exposés aux paragraphes 7 à 9 que les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
11. Le seul fait de permettre dans ces conditions l'institution d'une servitude ne crée aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Les dispositions contestées, qui se bornent à apporter des restrictions à l'usage d'un chalet d'alpage ou d'un bâtiment d'estive, ne portent aucune atteinte à la liberté d'aller et de venir.
12. De l'ensemble de ces motifs, il résulte que les dispositions du second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le second alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de
l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003
urbanisme et habitat est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 mai 2016 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 février 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62
et 63 du code des douanes dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-742 du 1er
juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires.
Les articles 62 et 63 du code des douanes permettent aux agents de
l'administration des douanes de visiter les navires dans la zone maritime du
rayon des douanes, soit qu'ils naviguent, soit qu'ils stationnent à quai.
Par sa décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, le Conseil constitutionnel
avait jugé contraires à la Constitution ces articles dans leur rédaction
antérieure à la loi du 1er juillet 2014.
Les nouvelles dispositions des articles 62 et 63 étaient notamment contestées
sur le fondement du droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel a rejeté ce grief.
Les dispositions contestées prévoient en effet une voie de recours au profit de
l'occupant des locaux d'un navire, affectés à un usage privé ou d'habitation,
pour faire contrôler par les juridictions compétentes la régularité des
opérations conduites en application des articles 62 ou 63 du code des douanes.
En outre, le propriétaire du navire ou d'un objet saisi à l'occasion des
opérations de visite dispose, s'il n'occupe pas les locaux et fait l'objet de
poursuites pénales, de la faculté de faire valoir, par voie d'exception, la
nullité de ces opérations, sur le fondement des articles 173 ou 385 du code de
procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé conformes à la Constitution le premier
alinéa du paragraphe V de l'article 62 et le premier alinéa du paragraphe V de
l'article 63 du code des douanes.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 février 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 285 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-541 QPC. Elle est posée pour la société Euroshipping Charter Company Inc et la société Cherokee Bay Ltd, par la SCP Gatineau Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62 et 63 du code des douanes dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code des douanes ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2014-742 du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de
protection des navires, notamment son article 28 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Gatineau
Fattaccini, enregistrées les 10 et 25 mars 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 mars
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jean-Jacques Gatineau, pour les sociétés requérantes, et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3
mai 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 62 du code des douanes dans sa rédaction
résultant de la loi 1er juillet 2014 mentionnée ci-dessus prévoit : « I. Pour
l'application du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents
des douanes peuvent, à toute heure, accéder à bord et visiter tout navire se
trouvant dans la zone maritime du rayon des douanes, ou dans la zone définie à
l'article 44 bis dans les conditions prévues à ce même article, ou circulant sur
les voies navigables.
« II. Lorsque l'accès à bord s'est trouvé matériellement impossible ou que des
investigations approfondies qui ne peuvent être effectuées doivent être
diligentées à bord, les agents des douanes exerçant les fonctions de capitaine à
la mer peuvent ordonner le déroutement du navire vers une position ou un port
appropriés.
« III. Chaque visite se déroule en présence du capitaine du navire ou de son
représentant.
« Lorsque la visite concerne des locaux affectés à un usage privé ou
d'habitation, la visite est effectuée en présence de l'occupant des lieux. En
l'absence de l'occupant des lieux, les agents des douanes ne peuvent procéder à
celle-ci qu'en présence du capitaine du navire ou de son représentant.
« IV. Chaque visite fait l'objet d'un procès-verbal relatant le déroulement des
opérations de contrôle, dont une copie est immédiatement remise au capitaine du
navire ou à son représentant et à l'occupant des locaux affectés à un usage
privé ou d'habitation visités.
« V. L'occupant des locaux à usage privé ou d'habitation visités dispose d'un
recours contre le déroulement des opérations de visite devant le premier
président de la cour d'appel du lieu de la direction des douanes dont dépend le
service chargé de la procédure.
« Le procès-verbal rédigé à l'issue des opérations de visite mentionne le délai
et la voie de recours. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
« VI. Ce recours doit être exclusivement formé par déclaration remise ou
adressée, par pli recommandé, au greffe de la cour dans un délai de quinze
jours. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception du
procès-verbal. Ce recours n'est pas suspensif.
« VII. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un
pourvoi en cassation selon les règles de la procédure sans représentation. Le
délai du pourvoi en cassation est de quinze jours.
« VIII. Le code de procédure civile s'applique sous réserve des dispositions
prévues au présent article ».
2. L'article 63 du code des douanes dans sa rédaction
résultant de la loi 1er juillet 2014 prévoit : « I. Pour l'application du
présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes
peuvent accéder à bord et visiter tout navire qui se trouve dans un port, dans
une rade ou à quai. « II. Lorsque la visite concerne des navires qui se trouvent
dans un port, dans une rade ou à quai depuis moins de soixante-douze heures,
elle se déroule selon les conditions prévues à l'article 62.
« III. A. Lorsque la visite concerne des navires qui se trouvent dans un port,
dans une rade ou à quai depuis soixante-douze heures au moins, elle se déroule
en présence du capitaine du navire ou de son représentant.
« B. Lorsque la visite concerne des locaux affectés à un usage privé ou
d'habitation, elle ne peut être effectuée, en cas de refus de l'occupant des
lieux, qu'après autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal
de grande instance du lieu de la direction des douanes dont dépend le service
chargé de la procédure.
« La visite s'effectue sous le contrôle du juge qui l'a autorisée. Lorsqu'elle a
lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une
commission rogatoire, pour exercer ce contrôle, au juge des libertés et de la
détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s'effectue la
visite.
« Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention.
« À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.
« L'ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute.
« L'ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à
l'occupant des lieux ou, en son absence, au capitaine du navire ou à son
représentant, qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au
procès-verbal prévu au V.
« Le délai et la voie de recours sont mentionnés dans l'ordonnance.
« L'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la
cour d'appel. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
« IV. Chaque visite fait l'objet d'un procès-verbal relatant le déroulement des
opérations de contrôle, dont une copie est immédiatement remise au capitaine du
navire, à son représentant et à l'occupant des locaux affectés à un usage privé
ou d'habitation visités. Une copie du procès-verbal est transmise au juge des
libertés et de la détention dans les trois jours suivant son établissement.
« V. L'occupant des locaux à usage privé ou d'habitation visités dispose d'un
recours contre le déroulement des opérations de visite devant le premier
président de la cour d'appel du lieu de la direction des douanes dont dépend le
service chargé de la procédure.
« Le procès-verbal rédigé à l'issue des opérations de visite mentionne le délai
et la voie de recours prévus au VI. Les parties ne sont pas tenues de constituer
avocat.
« VI. Les recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention
prévue au III et contre le déroulement des opérations de visite prévu au V
doivent être exclusivement formés par déclaration remise ou adressée, par pli
recommandé, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à
compter de la remise ou de la réception du procès-verbal. Ces recours ne sont
pas suspensifs.
« VII. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un
pourvoi en cassation selon les règles de la procédure sans représentation. Le
délai du pourvoi en cassation est de quinze jours ».
3. Les sociétés requérantes relèvent que ces dispositions accordent à l'occupant des locaux d'un navire, affectés à un usage privé ou d'habitation, un droit de recours contre le déroulement des opérations de visite effectuées par les agents des douanes. Elles soutiennent que ces dispositions privent toutefois les propriétaires du navire ou des biens qui s'y trouvent de ce même droit s'ils ne sont pas les occupants de ces locaux. Il en résulterait pour ces derniers une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif dans des conditions qui privent de garanties légales les exigences constitutionnelles protégeant l'inviolabilité du domicile. Seraient également méconnus le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi.
4. La question prioritaire de constitutionnalité porte ainsi sur le premier alinéa du paragraphe V de l'article 62 et sur le premier alinéa du paragraphe V de l'article 63 du code des douanes.
- Sur l'atteinte portée au droit à un recours juridictionnel effectif :
5. Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile.
6. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
7. Les articles 62 et 63 du code des douanes ont pour objet de faciliter la recherche des infractions douanières. À cette fin, ils autorisent les agents des douanes à accéder à bord et à visiter, pour le premier, tous les navires circulant dans la zone maritime du rayon des douanes ou sur les voies navigables et, pour le second, tous les navires se trouvant dans un port, dans une rade ou à quai. Elles ne leur permettent ni de saisir, ni de retenir, des objets ou documents mais les autorisent uniquement à accéder aux lieux et à les visiter.
8. En premier lieu, le premier alinéa du paragraphe V de chacun de ces deux articles institue, au profit de l'occupant des locaux d'un navire, affectés à un usage privé ou d'habitation, la possibilité de contester, par voie d'action, le déroulement des opérations de visite devant le premier président de la cour d'appel. Le législateur a ainsi prévu une voie de recours au profit de l'occupant de ces locaux lui permettant de faire contrôler par les juridictions compétentes la régularité des opérations conduites en application des articles 62 ou 63 du code des douanes. En adoptant ces dispositions, le législateur a voulu garantir le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile de ces occupants.
9. En second lieu, le propriétaire du navire ou d'un objet saisi à l'occasion de ces opérations de visite dispose, s'il fait l'objet de poursuites pénales, de la faculté de faire valoir, par voie d'exception, la nullité de ces opérations, sur le fondement des articles 173 ou 385 du code de procédure pénale. Il peut également invoquer l'irrégularité de ces opérations à l'appui d'une demande tendant à engager la responsabilité de l'État du fait de la saisie.
10. En réservant à l'occupant des locaux d'un navire, affectés à un usage privé ou d'habitation, la possibilité de contester par voie d'action la régularité des opérations de visite, compte tenu des voies de contestation ouvertes aux personnes intéressées à un autre titre, le législateur n'a pas porté atteinte au droit des personnes intéressées de contester la régularité des opérations de visite. Dès lors, le grief concernant la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être rejeté.
-Sur les autres griefs :
11. En premier lieu, la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
12. Les articles 62 et 63 du code des douanes ne confèrent pas aux agents des douanes un droit de saisie du navire ou des biens se trouvant dans les locaux visités, qui relève d'autres dispositions du code des douanes. En réservant à l'occupant des locaux visités le droit au recours qu'elles instituent, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte au droit de propriété. Dès lors, le grief concernant l'atteinte à ce droit doit être rejeté.
13. En second lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
14. Les occupants des locaux d'un navire, affectés à un usage privé ou d'habitation, sont, au regard des opérations de visite, dans une situation différente de celle des autres personnes qui n'occupent pas ces locaux, y compris lorsqu'il s'agit du propriétaire du navire. Dès lors, le grief concernant l'atteinte au principe d'égalité devant la loi doit être rejeté.
15. De l'ensemble de ces motifs, il résulte que les
dispositions du premier alinéa du paragraphe V de l'article 62 du code des
douanes et du premier alinéa du paragraphe V de l'article 63 du même code, qui
ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le premier alinéa du paragraphe V de l'article 62 du code des
douanes et le premier alinéa du paragraphe V de l'article 63 du même code sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 février 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe
III de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Ces dispositions permettent de sanctionner par une amende civile les pratiques
restrictives de concurrence d'une entreprise. Cette amende peut être prononcée à
l'encontre de la personne morale qui n'exploitait pas l'entreprise au moment des
faits mais à laquelle elle a été transmise à la suite d'une opération de fusion
absorption.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, contrairement à ce que soutenait la
société requérante, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de
personnalité des peines.
L'amende civile en cause, qui a la nature d'une sanction pécuniaire, a pour
objet de préserver l'ordre public économique. L'absorption de la société auteur
des pratiques restrictives par une autre société ne met pas fin aux activités
qu'elle exerce, qui se poursuivent au sein de la société absorbante. Seule une
personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine d'une société dissoute
sans liquidation est susceptible d'encourir l'amende prévue par les dispositions
contestées.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé conforme à la Constitution la
troisième phrase du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article L 442-6 du
code de commerce.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 février 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 286 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-542 QPC. Elle est posée pour la société ITM Alimentaire International SAS, par la SCP Celice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
- l'arrêt de la Cour de cassation n° 12-29166 du 21 janvier 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Celice,
Blancpain, Soltner, Texidor, enregistrées les 11 et 29 mars 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 mars
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Yann Utzschneider, avocat au barreau de Paris, pour la
société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 3 mai 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de
commerce dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus
prévoit : « L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale
compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public,
par le ministre chargé de l'économie ou par le président du Conseil de la
concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent
de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.« Lors de cette
action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander
à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au
présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater
la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de
l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le
montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende
peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation
des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il
appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à
l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se
prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son
obligation.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa
décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle
peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci
dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le
conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont
supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.
« Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux
juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.
« Ces juridictions peuvent consulter la Commission d'examen des pratiques
commerciales prévue à l'article L. 440-1 sur les pratiques définies au présent
article et relevées dans les affaires dont celles-ci sont saisies. La décision
de saisir la commission n'est pas susceptible de recours. La commission fait
connaître son avis dans un délai maximum de quatre mois à compter de sa saisine.
Il est sursis à toute décision sur le fond de l'affaire jusqu'à réception de
l'avis ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de quatre mois susmentionné.
Toutefois, des mesures urgentes ou conservatoires nécessaires peuvent être
prises. L'avis rendu ne lie pas la juridiction ».
2. Selon la société requérante, il résulte de ces dispositions telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de cassation le 21 janvier 2014 qu'une personne morale bénéficiaire d'une fusion absorption peut se voir infliger une amende civile à raison de pratiques restrictives de concurrence imputables à une autre personne morale disparue dans le cadre de cette fusion absorption. Il en résulterait une méconnaissance du principe de personnalité des peines selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait.
3. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur la troisième phrase du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de commerce.
4. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort de l'arrêt du 21 janvier 2014 mentionné ci-dessus, que les dispositions contestées permettent de sanctionner par une amende civile les pratiques restrictives de concurrence de toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l'exploite. L'amende civile peut ainsi être prononcée à l'encontre de la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise.
5. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789, « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Selon son article 9, tout homme est « présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Il résulte de ces articles que nul n'est punissable que de son propre fait. Ce principe s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
6. Appliqué en dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait peut faire l'objet d'adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit et qu'elles sont proportionnées à cet objet.
7. En premier lieu, l'amende civile instituée par les dispositions contestées, qui sanctionne les pratiques restrictives de concurrence, a la nature d'une sanction pécuniaire. Le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait lui est applicable.
8. En deuxième lieu, en définissant au paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, « l'auteur » possible de ces sanctions pécuniaires comme étant « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers », le législateur se réfère à des activités économiques, quelles que soient les formes juridiques sous lesquelles elles s'exercent. Les amendes civiles prévues par les dispositions du paragraphe III de l'article L. 442-6 ont pour objectif, pour préserver l'ordre public économique, de sanctionner les pratiques restrictives de concurrence qui sont commises dans l'exercice des activités économiques mentionnées par le paragraphe I de cet article. L'absorption de la société auteur de ces pratiques par une autre société ne met pas fin à ces activités, qui se poursuivent au sein de la société absorbante.
9. En troisième lieu, seule une personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine d'une société dissoute sans liquidation est susceptible d'encourir l'amende prévue par les dispositions contestées.
10. Les dispositions contestées permettent qu'une sanction pécuniaire non pénale soit prononcée à l'encontre de la personne morale à laquelle l'exploitation d'une entreprise a été transmise, pour des pratiques restrictives de concurrence commises par la personne qui exploitait l'entreprise au moment des faits. Il résulte des motifs énoncés aux paragraphes 7 à 9 que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, ne méconnaissent pas, compte tenu de la mutabilité des formes juridiques sous lesquelles s'exercent les activités économiques concernées, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait.
11. La troisième phrase du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de commerce ne porte atteinte à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Elle doit être déclarée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- La troisième phrase du deuxième alinéa du paragraphe III de
l'article L. 442-6 du code de commerce est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mai 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 février 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 35
et 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et des articles 145-4 et 715
du code de procédure pénale.
Les dispositions contestées ne prévoient aucune voie de recours à l'encontre
d'une décision refusant un permis de visite à une personne placée en détention
provisoire lorsque la demande émane d'une personne qui n'est pas membre de la
famille. Il en va de même lorsque le permis de visite est sollicité en l'absence
d'instruction ou après sa clôture. Ces dispositions ne prévoient pas davantage
de voie de recours à l'encontre des décisions refusant l'accès au téléphone à
une personne placée en détention provisoire.
Le Conseil constitutionnel a jugé que l'impossibilité de contester ces décisions
de refus méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel a en outre jugé que méconnaît ce même droit l'absence
de tout délai déterminé imparti au juge d'instruction pour statuer sur une
demande de permis de visite d'un membre de la famille de la personne placée en
détention provisoire.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence déclaré contraires à la
Constitution les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de
l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24
novembre 2009 et les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code
de procédure pénale.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité est reportée jusqu'à l'entrée en
vigueur de nouvelles dispositions législatives et au plus tard jusqu'au 31
décembre 2016.
E CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 février 2016 par le Conseil d'État (décision n° 395126 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la section française de l'observatoire international des prisons par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-543 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 et des articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi
et Sureau, enregistrées les 17 mars et 1er avril 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 mars
2016 :
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, pour l'association requérante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 mai
2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée
ci-dessus prévoit : « Le droit des personnes détenues au maintien des relations
avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur
rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par
les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus
peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au
moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine.«
L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux
membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des
motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des
infractions.
« L'autorité administrative peut également, pour les mêmes motifs ou s'il
apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné, refuser de
délivrer un permis de visite à d'autres personnes que les membres de la famille,
suspendre ce permis ou le retirer.
« Les permis de visite des prévenus sont délivrés par l'autorité judiciaire.
« Les décisions de refus de délivrer un permis de visite sont motivées ».
2. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 prévoit : « Les
personnes détenues ont le droit de téléphoner aux membres de leur famille. Elles
peuvent être autorisées à téléphoner à d'autres personnes pour préparer leur
réinsertion. Dans tous les cas, les prévenus doivent obtenir l'autorisation de
l'autorité judiciaire.« L'accès au téléphone peut être refusé, suspendu ou
retiré, pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la
prévention des infractions et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités
de l'information.
« Le contrôle des communications téléphoniques est effectué conformément à
l'article 727-1 du code de procédure pénale ».
3. L'article 145-4 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus prévoit : «
Lorsque la personne mise en examen est placée en détention provisoire, le juge
d'instruction peut prescrire à son encontre l'interdiction de communiquer pour
une période de dix jours. Cette mesure peut être renouvelée, mais pour une
nouvelle période de dix jours seulement. En aucun cas, l'interdiction de
communiquer ne s'applique à l'avocat de la personne mise en examen.« Sous
réserve des dispositions qui précèdent, toute personne placée en détention
provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites
sur son lieu de détention.
« À l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention
provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de
visite à un membre de la famille de la personne détenue que par une décision
écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction.
« Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai au demandeur. Ce
dernier peut la déférer au président de la chambre de l'instruction qui statue
dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible
de recours. Lorsqu'il infirme la décision du juge d'instruction, le président de
la chambre de l'instruction délivre le permis de visite ».
4. L'article 715 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 prévoit : « Le juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction et le président de la cour d'assises, ainsi que le procureur de la République et le procureur général, peuvent donner tous les ordres nécessaires soit pour l'instruction, soit pour le jugement, qui devront être exécutés dans les maisons d'arrêt ».
5. L'association requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit de mener une vie familiale normale et le droit au respect de la vie privée. Elle soutient également que, faute de déterminer de façon suffisante des garanties nécessaires à la protection de ces mêmes droits, elles sont entachées d'une incompétence négative de nature à leur porter atteinte. En premier lieu, elle relève que, pendant l'instruction, le droit à un recours effectif est méconnu puisque les décisions relatives au permis de visite de personnes autres que les membres de la famille de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées, et qu'il en va de même de celles relatives à l'accès au téléphone et aux translations judiciaires de la personne placée en détention provisoire. Elle fait aussi valoir qu'aucun délai n'est prescrit au juge d'instruction pour statuer sur les demandes de permis de visite. En deuxième lieu, elle indique que les dispositions contestées ne précisent pas les motifs de nature à justifier, pendant l'instruction, le refus d'une demande de permis de visite pour les personnes autres que les membres de la famille. En troisième lieu, elle constate qu'après la clôture de l'instruction, les décisions de l'autorité judiciaire en matière de permis de visite, d'autorisation de téléphoner et de translation judiciaire de la personne placée en détention provisoire ne peuvent être contestées. Enfin, elle fait valoir qu'après la clôture de l'instruction, les dispositions contestées n'énumèrent pas les motifs de nature à fonder une décision défavorable.
6. Au sein des dispositions contestées, seuls les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale fixent des règles de procédure applicables à la délivrance des permis de visite au profit des personnes placées en détention provisoire. De même, seuls les mots : « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 sont relatifs aux règles de procédure applicables à la délivrance des autorisations de téléphoner au profit des personnes placées en détention provisoire. Enfin, aucune des dispositions contestées ne vise les translations judiciaires. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et sur les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009.
- Sur l'atteinte portée au droit à un recours juridictionnel effectif :
7. Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée.
8. Selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
9. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
10. L'article 145-4 du code de procédure pénale définit les conditions dans lesquelles la personne placée en détention provisoire peut recevoir des visites. Il prévoit que, durant l'instruction, le permis de visite est délivré par le juge d'instruction. Lorsque la détention provisoire excède un mois, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer ce permis à un membre de la famille du détenu que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction. Cette décision peut être contestée devant le président de la chambre de l'instruction.
11. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 fixe les conditions dans lesquelles le détenu peut être autorisé à téléphoner. L'accès au téléphone pour les personnes placées en détention provisoire est soumis à autorisation de l'autorité judiciaire. Les motifs pour lesquels l'accès au téléphone peut leur être refusé, retiré ou suspendu tiennent au bon ordre, à la sécurité, à la prévention des infractions et aux nécessités de l'information judiciaire.
En ce qui concerne l'absence de voie de recours à l'encontre des décisions relatives au permis de visite et à l'autorisation de téléphoner d'une personne placée en détention provisoire :
12. Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale sont relatifs aux permis de visite demandés au cours de l'instruction. Ils ne prévoient une voie de recours qu'à l'encontre des décisions refusant d'accorder un permis de visite aux membres de la famille de la personne placée en détention provisoire au cours de l'instruction. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne permettent de contester devant une juridiction une décision refusant un permis de visite dans les autres hypothèses, qu'il s'agisse d'un permis de visite demandé au cours de l'instruction par une personne qui n'est pas membre de la famille ou d'un permis de visite demandé en l'absence d'instruction ou après la clôture de celle-ci.
13. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009, relatif à l'accès au téléphone des détenus, ne prévoit aucune voie de recours à l'encontre des décisions refusant l'accès au téléphone à une personne placée en détention provisoire.
14. Au regard des conséquences qu'entraînent ces refus pour une personne placée en détention provisoire, l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du magistrat, excepté lorsque cette décision est relative au refus d'accorder, durant l'instruction, un permis de visite au profit d'un membre de la famille du prévenu, conduit à ce que la procédure contestée méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Elle prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale.
En ce qui concerne l'absence de délai imparti au juge d'instruction pour répondre à une demande de permis de visite d'un membre de la famille de la personne placée en détention provisoire :
15. Les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale imposent au juge d'instruction une décision écrite et spécialement motivée pour refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue, lorsque le placement en détention provisoire excède un mois. Ils prévoient que cette décision peut être déférée par le demandeur au président de la chambre de l'instruction, qui doit statuer dans un délai de cinq jours.
16. Toutefois ces dispositions n'imposent pas au juge d'instruction saisi de telles demandes de statuer dans un délai déterminé sur celles-ci. S'agissant d'une demande portant sur la possibilité pour une personne placée en détention provisoire de recevoir des visites, l'absence de tout délai déterminé imparti au juge d'instruction pour statuer n'ouvre aucune voie de recours en l'absence de réponse du juge. Cette absence de délai déterminé conduit donc à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Elle prive également de garanties légales la protection constitutionnelle du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale.
17. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, il résulte donc des motifs énoncés aux paragraphes 12 à 16 que les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
18. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
19. D'une part, les dispositions du 9° du paragraphe I de l'article 27 quater du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, prévoient de modifier l'article 145-4 du code de procédure pénale et notamment ses troisième et quatrième alinéas. Il est en particulier prévu d'ajouter des conditions de délivrance de l'autorisation de téléphoner à une personne placée en détention provisoire ainsi que des motifs pouvant être pris en compte pour refuser de délivrer un permis de visite ou une autorisation de téléphoner à une telle personne. Il est également prévu d'imposer aux magistrats compétents pour répondre à ces demandes un délai pour prendre ces décisions et d'aménager une voie de recours à leur encontre. Le 4° du paragraphe I de l'article 27 ter du même projet de loi prévoit enfin qu'en l'absence d'un recours spécifique prévu par les textes, l'absence de réponse du ministère public ou de la juridiction dans un délai de deux mois à compter d'une demande permet d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande. Toutefois, ces dispositions ne sont pas encore définitivement adoptées par le Parlement au jour de la décision du Conseil constitutionnel.
20. D'autre part, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de faire disparaître des dispositions permettant à certaines des personnes placées en détention provisoire d'exercer un recours contre certaines décisions leur refusant un permis de visite.
21. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter la déclaration d'inconstitutionnalité ainsi que d'éviter que cette déclaration affecte les modifications législatives en cours d'adoption par le Parlement. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 et des troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale est reportée jusqu'à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives ou, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2016. Les décisions prises en vertu de ces dispositions avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de
l'information » figurant au deuxième alinéa de l'article 39 de la loi n°
2009-1436 du 24 novembre 2009 et les troisième et quatrième alinéas de l'article
145-4 du code de procédure pénale sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 21 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 mai 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 mars 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 877, des premier et deuxième alinéas de l'article 885 et de
l'article 888 du code de procédure pénale.
Les dispositions contestées dérogent au droit commun applicable en métropole
s'agissant de la formation du jury de la cour d'assises, des conditions pour
remplir les fonctions d'assesseur-juré, du droit de récusation, de la
composition de la cour d'assises et des règles de majorité lors de ses
délibérations.
Le Conseil constitutionnel a censuré pour méconnaissance du principe d'égalité
les exceptions suivantes :
-l'exclusion des règles de droit commun en matière d'incapacité,
d'incompatibilité et de récusation des assesseurs-jurés ;
-l'exclusion des dispositions incriminant un juré défaillant ;
-les conditions de majorité spécifiques en ce qui concerne les délibérations de
la cour d'assises statuant en premier ressort.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution les
références aux articles 254 à 258-2, 288 à 303 et 305 du code de procédure
pénale figurant au second alinéa de l'article 877 du même code, les mots « de
quatre assesseurs-jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et »
et les mots « lorsqu'elle statue en appel » figurant au premier alinéa de
l'article 885 du même code et les mots « de cinq ou » figurant à l'article 888
du même code.
Les autres dispositions du second alinéa de l'article 877 du code de procédure
pénale, des premier et deuxième alinéas de l'article 885 du même code et de
l'article 888 du même code, qui dérogent aux règles de droit commun en matière
d'établissement de la liste sur laquelle les assesseurs-jurés sont tirés au sort
et à la composition de la cour d'assises statuant en appel, sont conformes à la
Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 mars 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n°1417 du 16 mars 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Mohamadi C. par Me Céline Cooper, avocat au barreau de Mayotte. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-544 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 877, des premier et deuxième alinéas de l'article 885 et de l'article 888 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- l'ordonnance n° 2011-337 du 29 mars 2011 modifiant l'organisation judiciaire
dans le Département de Mayotte ;
- la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales
de Guyane et de Martinique, notamment son article 15 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 avril
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Céline Cooper, pour le requérant, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 mai 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le second alinéa de l'article 877 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 29 mars 2011 mentionnée ci-dessus prévoit que, pour la cour d'assises de Mayotte : « Les articles 254 à 267, 288 à 303 et 305 ne sont pas applicables ».
2. Les deux premiers alinéas de l'article 885 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 29 mars 2011 prévoient : « Le jury de la cour d'assises de Mayotte est composé de quatre assesseurs-jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et de six assesseurs-jurés lorsqu'elle statue en appel.« Ces assesseurs-jurés sont tirés au sort, pour chaque session, sur une liste arrêtée conjointement par le préfet et le président du tribunal de grande instance, composée de personnes proposées par le procureur de la République ou par les maires et étant de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, sachant lire et écrire en français, présentant des garanties de compétence et d'impartialité et jouissant des droits politiques, civils et de famille ».
3. L'article 888 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 29 mars 2011 prévoit : « Les majorités de huit ou dix voix prévues par les articles 359 et 362, deuxième alinéa, sont remplacées par des majorités de cinq ou six voix ».
4. Le requérant soutient que ces dispositions, qui dérogent au droit commun en ce qui concerne à la fois la formation du jury de la cour d'assises, les conditions pour remplir les fonctions d'assesseur-juré, la récusation des jurés, la composition de la cour d'assises et les règles de majorité lors de la délibération de la cour d'assises de Mayotte, méconnaissent le principe d'égalité devant la justice. Il fait valoir que ces dispositions ne garantissent pas, pour la cour d'assises de Mayotte, le respect des principes d'indépendance et d'impartialité qui résultent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il soutient également que l'absence de conditions d'aptitude et de capacité suffisamment précises et exigeantes pour remplir les fonctions d'assesseur-juré à Mayotte méconnaît l'exigence de capacité posée par l'article 6 de la Déclaration de 1789. Enfin, faute de déterminer d'une façon suffisante des garanties nécessaires à la protection de ces mêmes droits, ces dispositions méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines ainsi que l'objectif de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
- Sur les dispositions relatives à la formation du jury d'assises à Mayotte :
5. Par dérogation aux articles 259 à 267 du code de procédure pénale qui fixent les règles relatives à la formation du jury des cours d'assises, le second alinéa de l'article 885 du même code prévoit que, pour le jury de la cour d'assises de Mayotte, les assesseurs-jurés sont tirés au sort, pour chaque session, à partir d'une liste de personnes, proposées par le procureur de la République ou les maires, qui est arrêtée par le préfet et le président du tribunal de grande instance. Les personnes ainsi choisies doivent être de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, savoir lire et écrire en français, présenter des garanties de compétence et d'impartialité et jouir des droits politiques, civils et de famille.
En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice :
6. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
7. Selon l'article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
8. La population de Mayotte présente des caractéristiques et contraintes particulières, au sens de l'article 73 de la Constitution, de nature à permettre au législateur d'adapter les conditions dans lesquelles est formé le jury de la cour d'assises de Mayotte. En effet, une proportion importante de la population de Mayotte ne remplit pas les conditions d'âge, de nationalité et de connaissance de la langue et de l'écriture françaises exigées pour exercer les fonctions d'assesseur-juré. Pour leur part, les règles de droit commun prévoient que les jurés de cours d'assises sont tirés au sort à partir d'une liste établie, après tirage au sort, parmi l'ensemble des citoyens inscrits sur les listes électorales. Dès lors, en prévoyant un tirage au sort des assesseurs-jurés de la cour d'assises de Mayotte sur une liste restreinte de citoyens établie par certaines autorités, le législateur a instauré une différence de traitement qui tient compte de la situation particulière de Mayotte et qui ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la justice.
En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions :
9. L'article 16 de la Déclaration de 1789 prévoit : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
10. En confiant conjointement au préfet et au président du tribunal de grande instance le soin d'arrêter la liste à partir de laquelle les assesseurs-jurés de la cour d'assises de Mayotte sont tirés au sort, et en prévoyant que les citoyens inscrits sur cette liste doivent avoir été proposés soit par le procureur de la République soit par les maires, le législateur a entendu assurer que cette liste soit composée de citoyens présentant des garanties de compétence et d'impartialité. Le fait que le tirage au sort soit effectué à partir d'une liste ainsi établie n'est pas contraire aux exigences d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
11. Il résulte des motifs énoncés aux paragraphes 6 à 10 que le deuxième alinéa de l'article 885 du code de procédure pénale, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la justice, ni les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à cette dernière. Il en va de même, par conséquent, des références aux articles 259 à 267 au second alinéa de l'article 877 du même code.
- Sur l'exclusion des règles de droit commun en matière d'incapacité, d'incompatibilité et de récusation des assesseurs-jurés de la cour d'assises de Mayotte :
12. Le second alinéa de l'article 877 du code de procédure pénale exclut l'application des articles 254 à 258-2, 289 à 303 et 305 du code de procédure pénale pour la composition de la cour d'assises de Mayotte. Ces articles sont relatifs aux incapacités et incompatibilités liées aux fonctions de juré, aux conditions de révision des listes de jurés et au droit de récuser des jurés. En particulier, l'article 256 prévoit que sont incapables d'être jurés les personnes dont le bulletin n° 1 du casier judiciaire mentionne une condamnation pour crime ou pour délit, celles en état d'accusation ou de contumace et celles placées sous mandat de dépôt ou d'arrêt, les fonctionnaires révoqués et les officiers ministériels destitués, les membres d'ordres professionnels frappés d'une interdiction définitive d'exercer et les majeurs protégés. L'article 257 prévoit que sont, en particulier, incompatibles avec les fonctions de juré l'exercice de fonctions juridictionnelles ou l'exercice de fonctions dans la police, l'administration pénitentiaire ou la gendarmerie. Le dernier alinéa de l'article 289 prévoit que sont rayés de la liste de session les noms des jurés qui se révéleraient être conjoints, parents ou alliés d'un membre de la cour ou de l'un des autres jurés. L'article 291 prévoit des règles similaires lorsque la parenté du juré est établie à l'égard de l'accusé ou de son avocat ou que la personne est témoin, interprète, dénonciateur, expert, plaignant ou partie civile ou a accompli un acte de police judiciaire ou d'instruction. Enfin, les articles 297 à 301 fixent les conditions dans lesquelles l'accusé ou son avocat et le ministère public peuvent exercer un droit de récusation des jurés lors de leur tirage au sort.
13. Par dérogation à ces règles de droit commun, les dispositions du second alinéa de l'article 885 du code de procédure pénale prévoient uniquement que les assesseurs-jurés de la cour d'assises de Mayotte doivent être tirés au sort sur une liste composée de personnes « présentant des garanties de compétence et d'impartialité et jouissant des droits politiques, civils et de famille ». Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative n'imposent d'autres conditions pour exercer les fonctions d'assesseur-juré. Elles ne prévoient ni dispositif de révision de la liste ni faculté pour l'accusé, son avocat et le ministère public de récuser un assesseur-juré tiré au sort.
14. L'exclusion de règles de droit commun crée une différence de traitement sans rapport direct avec l'objet de la législation dérogatoire applicable à la cour d'assises de Mayotte, qui vise à tenir compte du nombre restreint de personnes inscrites sur les listes électorales et disposant d'une maîtrise suffisante de la langue et de l'écriture françaises pour exercer les fonctions d'assesseur-juré. Par conséquent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, la référence aux articles 254 à 258-2, 289 à 303 et 305 du code de procédure pénale, au second alinéa de l'article 877 du même code, pour exclure leur application à Mayotte, est contraire au principe d'égalité devant la justice. Elle doit être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur l'exclusion des dispositions incriminant un juré défaillant :
15. Le second alinéa de l'article 877 du code de procédure pénale exclut l'application à Mayotte de l'article 288 du même code, dont les troisième à cinquième alinéas répriment d'une amende de 3 750 euros le fait pour un juré de ne pas déférer à la convocation qu'il a reçue ou de se retirer avant l'expiration de ses fonctions.
16. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
17. L'exercice des fonctions d'assesseur-juré à la cour d'assises de Mayotte est identique à l'exercice des fonctions de juré d'une cour d'assises située dans une autre partie du territoire de la République. L'exclusion de l'incrimination prévue par l'article 288 du code de procédure pénale pour les assesseurs-jurés de la cour d'assises de Mayotte instaure une différence de traitement. Cette dernière n'est pas en rapport direct avec l'objet de la législation dérogatoire applicable à la cour d'assises de Mayotte. Par conséquent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, la référence à l'article 288 du code de procédure pénale, au second alinéa de l'article 877 du même code, pour exclure son application à Mayotte, est contraire au principe d'égalité. Elle doit être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur le nombre d'assesseurs-jurés et les règles de majorité applicables à la cour d'assises de Mayotte :
18. Les articles 240, 243, 244, 248, 296 et 359 du code de procédure pénale sont relatifs à la composition de la cour d'assises de droit commun et fixent les règles de majorité en ce qui concerne les délibérations de la cour d'assises sur la culpabilité de l'accusé et sa peine. La cour d'assises est composée, en première instance, de trois magistrats professionnels et de six jurés et, en appel, de trois magistrats professionnels et de neuf jurés. Toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsqu'elle statue en appel.
19. Par dérogation à ces règles, le premier alinéa de l'article 885 du code de procédure pénale fixe, en premier ressort, le nombre d'assesseurs-jurés composant la cour d'assises de Mayotte à quatre et, en appel, à six. L'article 888 du même code prévoit qu'une condamnation exige une majorité de cinq voix sur sept en premier ressort et de six voix sur neuf en appel.
20. En abaissant le nombre de jurés composant la cour d'assises de Mayotte tant en premier ressort qu'en appel, le législateur a institué une différence de traitement qui tient compte des caractéristiques et contraintes particulières propres au département de Mayotte et qui est en rapport avec l'objet de la loi.
21. Toutefois, alors que pour conclure à la culpabilité de l'accusé, en première instance comme en appel, une majorité des deux tiers des membres de la cour d'assises est requise dans le droit commun, il résulte des dispositions contestées que, devant la cour d'assises de Mayotte siégeant en premier ressort, une majorité des cinq septièmes est exigée. La modification de ces conditions de majorité crée une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi et privant les justiciables de garanties égales. Par conséquent, la condition de majorité applicable à la cour d'assises de Mayotte siégeant en premier ressort est contraire au principe d'égalité devant la justice.
22. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, il résulte des motifs énoncés au paragraphe précédent que les mots « de cinq ou » figurant à l'article 888 du code de procédure pénale doivent être déclarés contraires à la Constitution. Afin d'assurer le respect du principe d'égalité devant la justice et du ratio prévu par les règles de droit commun pour la délibération de la cour d'assises de Mayotte siégeant en premier ressort, il en est de même, par voie de conséquence, des mots « de quatre assesseurs-jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et » et des mots « lorsqu'elle statue en appel » figurant au premier alinéa de l'article 885 du même code.
23. Le surplus des dispositions du premier alinéa de l'article 885 du code de procédure pénale et de l'article 888 du même code, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la justice, ni les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
24. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
25. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. En premier lieu, la déclaration d'inconstitutionnalité de l'exclusion des références aux articles 254 à 258-2, 289 à 303 et 305 du code de procédure pénale, au sein du second alinéa de l'article 877 du même code, ainsi que des mots « de quatre assesseurs-jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et », des mots « lorsqu'elle statue en appel » figurant au premier alinéa de l'article 885 du même code et des mots « de cinq ou » figurant à l'article 888 du même code prend effet à compter de la date de la publication de la décision n° 2016-544 QPC. Les arrêts rendus par la cour d'assises de Mayotte avant cette date ne peuvent être contestés sur le fondement de cette déclaration d'inconstitutionnalité. Pour le reste, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la décision n° 2016-544 QPC.
26. En second lieu, la déclaration d'inconstitutionnalité de la référence à l'article 288 du code de procédure pénale, au sein du second alinéa de l'article 877 du même code, prend effet à compter de la date de la publication de la décision n° 2016-544 QPC. Elle est applicable aux infractions commises à compter de cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les références aux articles 254 à 258-2, 288 à 303 et 305 du code
de procédure pénale figurant au second alinéa de l'article 877 du même code, les
mots « de quatre assesseurs-jurés lorsque la cour d'assises statue en premier
ressort et », les mots « lorsqu'elle statue en appel » figurant au premier
alinéa de l'article 885 du même code ainsi que les mots « de cinq ou » figurant
à l'article 888 du même code sont contraires à la Constitution.
Article 2.- Le surplus du second alinéa de l'article 877 du code de procédure
pénale, le surplus du premier alinéa et le deuxième alinéa de l'article 885 du
même code et le surplus de l'article 888 du même code sont conformes à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées aux paragraphes 25 et 26 de cette décision.
Article 4.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 juin 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 mars 2016 par la Cour de
cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1729
et 1741 du code général des impôts.
Les deux affaires, sur lesquelles le Conseil a statué par deux décisions,
posaient des questions identiques. La seule différence était la version
applicable des dispositions de l'article 1741 du code général des impôts.
Les requérants contestaient le cumul de l'application des majorations d'impôt
prévues par l'article 1729 et des sanctions pénales établies par l'article 1741.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que les dispositions contestées de
chacun de ces articles, prises isolément, sont conformes à la Constitution. Les
sanctions qu'elles prévoient sont adéquates au regard des incriminations
qu'elles répriment. Elles sont proportionnées.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel a toutefois formulé une réserve
d'interprétation. Sur le fondement du principe de nécessité des peines, il a
jugé qu'une sanction pénale pour fraude fiscale ne peut être appliquée à un
contribuable qui, pour un motif de fond, a été définitivement jugé non redevable
de l'impôt.
Le Conseil constitutionnel s'est ensuite prononcé sur le cumul de l'application
des dispositions contestées.
Le Conseil constitutionnel a déclaré l'application combinée des dispositions
contestées des articles 1729 et 1741 conforme à la Constitution en formulant
deux réserves d'interprétation.
Après avoir rappelé l'objet des deux articles dont les dispositions étaient
contestées, le Conseil constitutionnel a jugé que celles-ci permettent d'assurer
ensemble la protection des intérêts financiers de l'Etat ainsi que l'égalité
devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et
répressive. Le recouvrement de l'impôt et l'objectif de lutte contre la fraude
fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de
fraude les plus graves.
Le Conseil a néanmoins formulé sur ce point une réserve en jugeant que le
principe de nécessité des délits et des peines impose que les sanctions pénales
ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de
sommes soumises à l'impôt. Il a précisé que cette gravité peut résulter du
montant de la fraude, de la nature des agissements de la personne ou des
circonstances de leur intervention.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé que l'application combinée des
dispositions contestées ne peut être regardée comme conduisant à l'engagement de
poursuites différentes et n'est donc pas contraire au principe de nécessité des
peines.
Enfin, dans le prolongement d'une jurisprudence bien établie, le Conseil
constitutionnel a formulé une dernière réserve d'interprétation garantissant le
respect du principe de proportionnalité des peines par l'application combinée
des dispositions contestées : en tout état de cause le montant global des
sanctions éventuellement prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé de
l'une des sanctions encourues.
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la
Constitution l'article 1729 du code général des impôts ainsi que les mots « soit
qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt »
figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même
code.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 mars 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1736 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée, d'une part, pour M. Alec W. par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et, d'autre part, pour M. Guy W. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-545 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1729 et 1741 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur
en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de
simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du
régime des pénalités ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » figurant au
1 de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure au
1er janvier 2006, ainsi que la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-103
QPC du 17 mars 2011 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du
18 mars 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Alec W. par la SCP Matuchansky, Vexliard
et Poupot, enregistrées le 20 avril 2016 ;
- les observations présentées pour M. Guy W. par Me Claire Waquet, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, ainsi que Me Éric Dezeuze et Me Hervé
Témime, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 20 avril 2016 ;
- les observations présentées pour M. Peter A., partie au litige à l'occasion
duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP
Waquet, Farge, Hazan, enregistrées le 21 avril 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21 avril
2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Jean-Baptiste André J. par
Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 8 avril 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Daniel A., Michael A.,
Jérôme C. et François K., par Me Rodolphe Mossé, enregistrées le 19 avril 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet et Me Éric Dezeuze pour M. Guy W., Me
Jean-Pierre Martel, avocat au barreau de Paris et Me Olivier Matuchansky pour M.
Alec W., Me Renaud Semerdjian pour M. Olivier R., partie au litige à l'occasion
duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Rodolphe
Mossé pour les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 7 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur « les articles 1729 et 1741 du code général des impôts dans leur version applicable à la date de prévention », la Cour de cassation a jugé que cette question portait sur l'article 1729 du code général des impôts « dans sa rédaction actuellement en vigueur, issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 » et sur l'article 1741 du même code « dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 ». Toutefois, l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus n'a pas modifié la rédaction de l'article 1741 du code général des impôts. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi porte sur l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 mentionnée ci-dessus et sur l'article 1741 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 1729 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 prévoit : « Les inexactitudes
ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant
l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt
ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été
indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : « a. 40
% en cas de manquement délibéré ;
« b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des
procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le
contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus
de droit ou en a été le principal bénéficiaire ;
« c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du
prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis».
3. L'article 1741 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 prévoit : « Sans
préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification,
quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire
frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts
visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire
sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement
dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son
insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt,
soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible,
indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 37 500 euros
et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou
facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne
se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet
d'obtenir de l'État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible
d'une amende de 75 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans.« Toutefois,
cette disposition n'est applicable, en cas de dissimulation, que si celle-ci
excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
« Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article
peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.
« Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par
extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi
que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par
extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des
publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile
ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements
professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de
l'affichage dont il s'agit sont intégralement à la charge du condamné.
« En cas de récidive dans le délai de cinq ans, le contribuable est puni d'une
amende de 100 000 euros et d'un emprisonnement de dix ans. L'affichage et la
publicité du jugement sont ordonnés dans les conditions prévues au quatrième
alinéa.
« Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à
L. 231 du livre des procédures fiscales ».
4. Les requérants, l'autre partie au litige et les intervenants soutiennent que les sanctions administratives et pénales respectivement instituées par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts s'appliquent aux mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une nature et d'une sévérité équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction. L'application combinée de ces deux articles serait contraire à la règle de non cumul des peines dite communément « non bis in idem », au principe de nécessité des délits et des peines ainsi qu'au principe de proportionnalité des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. Est ainsi contestée la constitutionnalité des articles 1729 et 1741 du code général des impôts en cas d'insuffisance volontaire de déclaration. Compte tenu du champ d'application respectif de ces deux articles, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur l'article 1729 du code général des impôts et, d'autre part, sur les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code.
- Sur la recevabilité :
6. Dans les considérants 5 à 8 de sa décision du 17 mars 2011 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » figurant au 1 de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006. Il les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
7. Toutefois, d'une part, l'ordonnance du 7 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a modifié l'article 1729 en remplaçant les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » par les mots « 40 % en cas de manquement délibéré ». D'autre part, depuis cette déclaration de conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 18 mars 2015 mentionnée ci-dessus, que le cumul de l'application de dispositions instituant des sanctions, lorsque celles-ci sont infligées à l'issue de poursuites différentes en application de corps de règles distincts, peut méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines si différentes conditions sont réunies. Les sanctions doivent réprimer les mêmes faits, ne pas être d'une nature différente et relever du même ordre de juridiction et les intérêts sociaux protégés doivent être les mêmes. La modification des dispositions de l'article 1729 et la décision du 18 mars 2015 constituent un changement des circonstances de droit. Ce changement justifie, en l'espèce, le réexamen des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
- Sur le fond :
8. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
9. Il appartient au Conseil constitutionnel, au regard de ces exigences, d'examiner la constitutionnalité de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts puis d'examiner la constitutionnalité de la combinaison de ces mêmes dispositions.
. En ce qui concerne l'article 1729 et les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts pris isolément :
10. L'article 1729 du code général des impôts institue, en cas de manquement délibéré du contribuable, une majoration de 40 % qui est portée à 80 % dans certains cas d'abus de droit ou si le contribuable s'est rendu coupable de manœuvres frauduleuses. Ces sanctions financières préviennent et répriment les insuffisances volontaires de déclaration de la base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt. La nature de ces sanctions financières est directement liée à celle des infractions réprimées. Les taux de majoration fixés par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnés.
11. Prises isolément, les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ne sont donc pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.
12. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts punissent d'une amende de 37 500 euros, doublée en cas de fraude aggravée, et d'un emprisonnement de cinq ans quiconque a « volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt ». En cas de récidive dans un délai de cinq ans, ces sanctions sont élevées à une amende de 100 000 euros et un emprisonnement de dix ans. Des peines complémentaires, d'une part, de privation des droits civiques, civils et de famille et, d'autre part, de publicité de la décision de condamnation peuvent également être prononcées par le juge pénal. Ces sanctions peuvent être appliquées aux contribuables qui, d'une façon frauduleuse, dissimulent volontairement des sommes soumises à l'impôt. Au regard de l'incrimination prévue par les dispositions contestées, les peines instituées par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnées.
13. Toutefois, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale.
14. Sous cette réserve, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts prises isolément ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.
. En ce qui concerne l'application combinée de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts :
15. Les insuffisances volontaires de déclaration d'éléments servant à la détermination de l'assiette de l'impôt et à sa liquidation sont réprimées par l'article 1729 et par les dispositions contestées de l'article 1741. Ce dernier article précise que les sanctions qu'il prévoit s'appliquent « sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification » et « indépendamment des sanctions fiscales applicables ».
16. Par conséquent, une personne sanctionnée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts est susceptible de faire également l'objet de poursuites pénales sur le fondement de l'article 1741 du même code.
17. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il en découle l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
18. Les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts permettent à l'administration fiscale d'infliger des sanctions pécuniaires aux contribuables notamment en cas de manquement délibéré, d'abus de droit ou de manœuvres frauduleuses. Ces sanctions, dont le niveau varie selon la nature de l'infraction et en proportion des droits éludés, s'ajoutent à l'impôt dû et sont recouvrées suivant les mêmes règles. Elles visent à garantir la perception de la contribution commune et à préserver les intérêts financiers de l'État. Elles assurent le bon fonctionnement du système fiscal qui repose sur la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites par les contribuables.
19. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts répriment la dissimulation frauduleuse d'éléments nécessaires à l'établissement de l'impôt principalement par des amendes et des peines d'emprisonnement. Elles visent ainsi à garantir l'accomplissement volontaire par les contribuables de leurs obligations fiscales. Les poursuites engagées sur le fondement de l'article 1741 ont un caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire pour l'ensemble des personnes susceptibles de manquer frauduleusement à leurs obligations fiscales. L'article 1741 du code général des impôts permet également de recouvrer la contribution commune dès lors que toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation sur son fondement est, par application de l'article 1745 du même code, solidairement tenue avec le redevable légal au paiement de l'impôt fraudé et des majorations afférentes.
20. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 1729 comme les dispositions contestées de l'article 1741 permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l'issue desquels l'administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s'ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi.
21. Le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l'engagement de procédures conduisant à l'application de plusieurs sanctions afin d'assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.
22. La combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que, dans les conditions énoncées aux paragraphes 20 à 21, les contribuables auteurs des manquements les plus graves puissent faire l'objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741.
23. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13 et 21, l'application combinée de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne peut donc être regardée comme conduisant à l'engagement de poursuites différentes aux fins de sanctions de faits identiques en application de corps de règles distincts et ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines.
24. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Sous cette réserve, l'application combinée des dispositions de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines.
25. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13, 21 et 24, l'article 1729 et les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Dans ces conditions, ils doivent être déclarés conformes à la Constitution.
D É C I D E :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13, 21 et 24, l'article
1729 du code général des impôts ainsi que les mots « soit qu'il ait
volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans
la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code dans sa
rédaction résultant de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant
adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans
les textes législatifs sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 juin
2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE,
Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS,
Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 24 juin 2016.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 mars 2016 par la
Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles
1729 et 1741 du code général des impôts.
Les deux affaires, sur lesquelles le Conseil a statué par deux décisions,
posaient des questions identiques. La seule différence était la version
applicable des dispositions de l'article 1741 du code général des impôts.
Les requérants contestaient le cumul de l'application des majorations d'impôt
prévues par l'article 1729 et des sanctions pénales établies par l'article 1741.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que les dispositions contestées de
chacun de ces articles, prises isolément, sont conformes à la Constitution. Les
sanctions qu'elles prévoient sont adéquates au regard des incriminations
qu'elles répriment. Elles sont proportionnées.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel a toutefois formulé une réserve
d'interprétation. Sur le fondement du principe de nécessité des peines, il a
jugé qu'une sanction pénale pour fraude fiscale ne peut être appliquée à un
contribuable qui, pour un motif de fond, a été définitivement jugé non redevable
de l'impôt.
Le Conseil constitutionnel s'est ensuite prononcé sur le cumul de l'application
des dispositions contestées.
Le Conseil constitutionnel a déclaré l'application combinée des dispositions
contestées des articles 1729 et 1741 conforme à la Constitution en formulant
deux réserves d'interprétation.
Après avoir rappelé l'objet des deux articles dont les dispositions étaient
contestées, le Conseil constitutionnel a jugé que celles-ci permettent d'assurer
ensemble la protection des intérêts financiers de l'Etat ainsi que l'égalité
devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et
répressive. Le recouvrement de l'impôt et l'objectif de lutte contre la fraude
fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de
fraude les plus graves.
Le Conseil a néanmoins formulé sur ce point une réserve en jugeant que le
principe de nécessité des délits et des peines impose que les sanctions pénales
ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de
sommes soumises à l'impôt. Il a précisé que cette gravité peut résulter du
montant de la fraude, de la nature des agissements de la personne ou des
circonstances de leur intervention.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé que l'application combinée des
dispositions contestées ne peut être regardée comme conduisant à l'engagement de
poursuites différentes et n'est donc pas contraire au principe de nécessité des
peines.
Enfin, dans le prolongement d'une jurisprudence bien établie, le Conseil
constitutionnel a formulé une dernière réserve d'interprétation garantissant le
respect du principe de proportionnalité des peines par l'application combinée
des dispositions contestées : en tout état de cause le montant global des
sanctions éventuellement prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé de
l'une des sanctions encourues.
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la
Constitution l'article 1729 du code général des impôts ainsi que les mots « soit
qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt »
figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même
code.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 mars 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2117 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jérôme C. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-546 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1729 et 1741 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » figurant au
1 de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure au
1er janvier 2006, ainsi que la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-103
QPC du 17 mars 2011 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du
18 mars 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la partie requérante par la SCP Piwnica et
Molinié et par Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 20
avril et 6 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21 avril
2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Jean-Baptiste André J. par
Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 8 avril 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Daniel A., Michael A.,
Jérôme C. et François K., par Me Rodolphe Mossé, enregistrées le 19 avril 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, et Me Jean Veil pour M. Jérôme C., Me Marion Grégoire, avocat au
barreau de Paris, pour Mme Patricia M. épouse C., partie au litige à l'occasion
duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Rodolphe
Mossé pour les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 7 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur « les articles 1729 et 1741 du code général des impôts dans leur version applicable à la date de prévention », la Cour de cassation a jugé que cette question portait sur l'article 1729 du code général des impôts « dans sa rédaction actuellement en vigueur, issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 » et sur l'article 1741 du même code « dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 ».
2. L'article 1729 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 prévoit : « Les inexactitudes
ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant
l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt
ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été
indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : « a. 40
% en cas de manquement délibéré ;
« b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des
procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le
contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus
de droit ou en a été le principal bénéficiaire ;
« c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du
prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis ».
3. L'article 1741 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus prévoit : «
Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente
codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se
soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des
impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis
de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement
dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son
insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt,
soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible,
indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 500 000 € et
d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités
au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se
rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet d'obtenir
de l'État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible d'une amende
de 750 000 € et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits mentionnés à
la première phrase ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes
ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou un
territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment
des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de
tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale
française, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout
organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l'un de ces États ou
territoires, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 1 000 000
€ d'amende.« Toutefois, cette disposition n'est applicable, en cas de
dissimulation, que si celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le
chiffre de 153 euros.
« Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article
peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.
« La juridiction peut, en outre, ordonner l'affichage de la décision prononcée
et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou
131-39 du code pénal.
« Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à
L. 231 du livre des procédures fiscales ».
4. Le requérant, l'autre partie au litige et les intervenants soutiennent que les sanctions administratives et pénales respectivement instituées par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts s'appliquent aux mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une nature et d'une sévérité équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction. L'application combinée de ces deux articles serait contraire à la règle de non cumul des peines dite communément « non bis in idem », au principe de nécessité des délits et des peines ainsi qu'au principe de proportionnalité des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. Est ainsi contestée la constitutionnalité des articles 1729 et 1741 du code général des impôts en cas d'insuffisance volontaire de déclaration. Compte tenu du champ d'application respectif de ces deux articles, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur l'article 1729 du code général des impôts et, d'autre part, sur les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code.
- Sur la recevabilité :
6. Dans les considérants 5 à 8 de sa décision du 17 mars 2011 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » figurant au 1 de l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006. Il les a déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
7. Toutefois, d'une part, l'ordonnance du 7 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a modifié l'article 1729 en remplaçant les mots « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » par les mots « 40 % en cas de manquement délibéré ». D'autre part, depuis cette déclaration de conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 18 mars 2015 mentionnée ci-dessus, que le cumul de l'application de dispositions instituant des sanctions, lorsque celles-ci sont infligées à l'issue de poursuites différentes en application de corps de règles distincts, peut méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines si différentes conditions sont réunies. Les sanctions doivent réprimer les mêmes faits, ne pas être d'une nature différente et relever du même ordre de juridiction et les intérêts sociaux protégés doivent être les mêmes. La modification des dispositions de l'article 1729 et la décision du 18 mars 2015 constituent un changement des circonstances de droit. Ce changement justifie, en l'espèce, le réexamen des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
- Sur le fond :
8. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
9. Il appartient au Conseil constitutionnel, au regard de ces exigences, d'examiner la constitutionnalité de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts puis d'examiner la constitutionnalité de la combinaison de ces mêmes dispositions.
. En ce qui concerne l'article 1729 et les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts pris isolément :
10. L'article 1729 du code général des impôts institue, en cas de manquement délibéré du contribuable, une majoration de 40 % qui est portée à 80 % dans certains cas d'abus de droit ou si le contribuable s'est rendu coupable de manœuvres frauduleuses. Ces sanctions financières préviennent et répriment les insuffisances volontaires de déclaration de la base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt. La nature de ces sanctions financières est directement liée à celle des infractions réprimées. Les taux de majoration fixés par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnés.
11. Prises isolément, les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ne sont donc pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.
12. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts punissent d'une amende de 500 000 euros, qui s'élève à 1 000 000 euros en cas de fraude aggravée, et d'un emprisonnement de cinq ans, qui s'élève à sept ans en cas de fraude aggravée, quiconque a « volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt ». Des peines complémentaires, d'une part, de privation des droits civiques, civils et de famille et, d'autre part, de publicité de la décision de condamnation peuvent également être prononcées par le juge pénal. Ces sanctions peuvent être appliquées aux contribuables qui, d'une façon frauduleuse, dissimulent volontairement des sommes soumises à l'impôt. Au regard de l'incrimination prévue par les dispositions contestées, les peines instituées par le législateur ne sont pas manifestement disproportionnées.
13. Toutefois, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale.
14. Sous cette réserve, les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts prises isolément ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.
. En ce qui concerne l'application combinée de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts :
15. Les insuffisances volontaires de déclaration d'éléments servant à la détermination de l'assiette de l'impôt et à sa liquidation sont réprimées par l'article 1729 et par les dispositions contestées de l'article 1741. Ce dernier article précise que les sanctions qu'il prévoit s'appliquent « sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification » et « indépendamment des sanctions fiscales applicables ».
16. Par conséquent, une personne sanctionnée sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts est susceptible de faire également l'objet de poursuites pénales sur le fondement de l'article 1741 du même code.
17. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il en découle l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
18. Les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts permettent à l'administration fiscale d'infliger des sanctions pécuniaires aux contribuables notamment en cas de manquement délibéré, d'abus de droit ou de manœuvres frauduleuses. Ces sanctions, dont le niveau varie selon la nature de l'infraction et en proportion des droits éludés, s'ajoutent à l'impôt dû et sont recouvrées suivant les mêmes règles. Elles visent à garantir la perception de la contribution commune et à préserver les intérêts financiers de l'État. Elles assurent le bon fonctionnement du système fiscal qui repose sur la sincérité et l'exactitude des déclarations souscrites par les contribuables.
19. Les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts répriment la dissimulation frauduleuse d'éléments nécessaires à l'établissement de l'impôt principalement par des amendes et des peines d'emprisonnement. Elles visent ainsi à garantir l'accomplissement volontaire par les contribuables de leurs obligations fiscales. Les poursuites engagées sur le fondement de l'article 1741 ont un caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive supplémentaire pour l'ensemble des personnes susceptibles de manquer frauduleusement à leurs obligations fiscales. L'article 1741 du code général des impôts permet également de recouvrer la contribution commune dès lors que toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation sur son fondement est, par application de l'article 1745 du même code, solidairement tenue avec le redevable légal au paiement de l'impôt fraudé et des majorations afférentes.
20. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 1729 comme les dispositions contestées de l'article 1741 permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l'issue desquels l'administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s'ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi.
21. Le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l'engagement de procédures conduisant à l'application de plusieurs sanctions afin d'assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.
22. La combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que, dans les conditions énoncées aux paragraphes 20 à 21, les contribuables auteurs des manquements les plus graves puissent faire l'objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741.
23. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13 et 21, l'application combinée de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne peut donc être regardée comme conduisant à l'engagement de poursuites différentes aux fins de sanctions de faits identiques en application de corps de règles distincts et ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines.
24. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Sous cette réserve, l'application combinée des dispositions de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines.
25. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13, 21 et 24, l'article 1729 et les dispositions contestées de l'article 1741 du code général des impôts ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Dans ces conditions, ils doivent être déclarés conformes à la Constitution.
D É C I D E :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13, 21 et 24, l'article
1729 du code général des impôts ainsi que les mots « soit qu'il ait
volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans
la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances
rectificative pour 2012 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 juin 2016, où
siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole
MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 avril 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième
alinéa de l'article L. 3132-26 du code du travail et des mots « ou, à Paris, le
préfet » figurant au second alinéa du paragraphe III de l'article 257 de la loi
du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances
économiques.
Les dispositions contestées définissent un régime particulier pour la Ville de
Paris en matière de repos dominical des salariés des commerces de détail.
Contrairement aux maires des autres communes de France, le maire de Paris n'a
pas le pouvoir de supprimer, dans la limite de douze fois par an, le repos
hebdomadaire dominical. Dans la capitale, cette compétence pour fixer les «
dimanches du maire » revient au préfet.
Or, au regard de l'objet des dispositions contestées, aucune différence de
situation, ni aucun motif d'intérêt général ne justifie qu'à Paris ce pouvoir ne
soit pas confié au maire, comme dans l'ensemble des autres communes.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution le
quatrième alinéa de l'article L. 3132-26 du code du travail et les mots « ou, à
Paris, le préfet » figurant au second alinéa du paragraphe III de l'article 257
de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 avril 2016 par le Conseil d'État (décision n° 396320 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la ville de Paris par la SCP Foussard - Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-547 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article L. 3132-26 du code du travail et des mots « ou, à Paris, le préfet » figurant au second alinéa du paragraphe III de l'article 257 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité
des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la ville de Paris par la SCP Foussard -
Froger, enregistrées les 28 avril et 13 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 avril
2016 :
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la collectivité requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 14 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon les trois premiers alinéas de l'article L. 3132-26 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, le maire peut, après avis du conseil municipal et, dans certains cas, après avis conforme de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune est membre, autoriser les établissements de commerce de détail à supprimer, dans la limite de douze fois par an, le repos hebdomadaire dominical de leurs salariés.
2. Le quatrième alinéa de l'article L. 3132-26 dans cette même rédaction prévoit : « À Paris, la décision mentionnée aux trois premiers alinéas est prise par le préfet de Paris ».
3. Selon le premier alinéa du paragraphe III de l'article 257 de la loi du 6 août 2015, l'article L. 3132-26 du code du travail dans sa rédaction mentionnée ci-dessus s'applique à compter de l'année 2016. Le second alinéa de ce paragraphe prévoit que, pour l'année 2015, le maire « ou, à Paris, le préfet » peut désigner neuf dimanches durant lesquels le repos hebdomadaire peut être supprimé dans les établissements de commerce de détail.
4. La collectivité requérante soutient que les dispositions contestées qui, par exception, confient au préfet de Paris une compétence dévolue au maire dans toutes les autres communes, méconnaissent le principe d'égalité entre les collectivités territoriales, le principe de libre administration de ces mêmes collectivités et le principe de subsidiarité.
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. En premier lieu, le fait que la ville de Paris soit soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics ne la place pas dans une situation différente des autres communes au regard de l'objet des dispositions contestées, qui désignent l'autorité compétente pour déterminer les règles de repos hebdomadaire dominical des salariés des établissements de commerce de détail.
7. En second lieu, aucun motif d'intérêt général ne justifie que, s'agissant du pouvoir de déterminer les dimanches durant desquels les établissements de commerce de détail sont autorisés à supprimer le repos hebdomadaire dominical, la ville de Paris soit traitée différemment de toutes les autres communes.
8. Les dispositions contestées méconnaissent par conséquent le principe d'égalité devant la loi de sorte que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité du quatrième alinéa de l'article L. 3132-26 du code du travail et des mots « ou, à Paris, le préfet » figurant au second alinéa du paragraphe III de l'article 257 de la loi du 6 août 2015 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à sa date de publication et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le quatrième alinéa de l'article L. 3132-26 du code du travail et
les mots « ou, à Paris, le préfet » figurant au second alinéa du paragraphe III
de l'article 257 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance,
l'activité et l'égalité des chances économiques sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées à son paragraphe 10.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 juin 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 avril 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions
du paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de commerce.
Ces dispositions autorisent le même juge à se saisir d'office de la question de
l'absence de dépôt par une société commerciale de ses comptes annuels, à
prononcer une injonction sous astreinte de procéder à ce dépôt et à liquider
l'astreinte.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne
méconnaissent pas le principe d'impartialité en se fondant sur plusieurs
éléments.
Tout d'abord, l'injonction sous astreinte n'est pas une sanction. Ensuite, le
législateur a, par ces dispositions, poursuivi un objectif d'intérêt général de
détection et de prévention des difficultés des entreprises. Enfin, le prononcé
de l'astreinte et sa liquidation sont les deux phases d'une même procédure et la
constatation du non-dépôt des comptes présente un caractère objectif.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré conformes à la Constitution
les dispositions du paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de commerce dans
sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 avril 2016 par le Conseil d'État (décision n° 396364 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Famille Michaud Apiculteurs SA et la société Vincent Michaud Investissements SA par Me Jean-Michel Gallardo, avocat au barreau de Pau. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-548 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de commerce, « dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
- la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 de simplification du droit et d'allègement
des procédures, notamment son article 114 ;
- l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 portant adaptation du droit des
entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de
surendettement à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par Me Gallardo,
enregistrées le 13 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 avril
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Gallardo, pour les sociétés requérantes, et M. Xavier
Pottier, représentant le Premier ministre, à l'audience publique du 14 juin 2016
;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de commerce
dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 décembre 2010 mentionnée ci-dessus,
prévoit que : « Lorsque les dirigeants d'une société commerciale ne procèdent
pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes
applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le
faire à bref délai sous astreinte.
« Si cette injonction n'est pas suivie d'effet dans un délai fixé par décret en
Conseil d'État, le président du tribunal peut également faire application à leur
égard des dispositions du deuxième alinéa du I.
« Le II est applicable, dans les mêmes conditions, à tout entrepreneur
individuel à responsabilité limitée qui ne procède pas au dépôt des comptes
annuels ou documents mentionnés au premier alinéa de l'article L. 526-14,
lorsque l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté est
commerciale ou artisanale ».
2. Les sociétés requérantes soutiennent que les dispositions contestées, en ce qu'elles autorisent le même juge à se saisir d'office de la question du dépôt des comptes, à prononcer l'injonction sous astreinte et à liquider cette astreinte, méconnaissent le principe d'impartialité des juridictions qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
3. L'article 16 de la Déclaration de 1789 prévoit que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte un principe d'impartialité, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles. Une juridiction ne saurait, en principe, disposer de la faculté d'introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée. La Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu, sauf si la procédure a pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d'une punition. Dans les autres cas, la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif d'intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité.
4. En premier lieu, l'injonction sous astreinte instituée par les dispositions contestées, qui a pour seul objet d'assurer la bonne exécution des décisions des juridictions, n'est pas une sanction ayant le caractère d'une punition.
5. En deuxième lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général de détection et de prévention des difficultés des entreprises.
6. En troisième lieu, le législateur n'a pas privé de garanties légales l'exigence d'impartialité des juridictions puisque le prononcé de l'astreinte et sa liquidation sont les deux phases d'une même procédure et que la constatation par le président du tribunal de commerce du non-dépôt des comptes, qui lui permet de se saisir d'office, présente un caractère objectif.
7. Il résulte des motifs exposés aux paragraphes 4 à 6 que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe d'impartialité des juridictions. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
8. Les dispositions du paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 9 décembre 2010, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions du paragraphe II de l'article L. 611-2 du code de
commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010
portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de
traitement des situations de surendettement à l'entrepreneur individuel à
responsabilité limitée sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 juin 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 avril 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des 1°, 2° et 3°
du paragraphe I de l'article 104 de la loi n°2007-1824 du 25 décembre 2007 de
finances rectificative pour 2007.
La collectivité de Saint-Martin faisait valoir que les ressources qui lui
avaient été attribuées en application de ces dispositions étaient insuffisantes
au regard des charges résultant des compétences de la commune de Saint-Martin
qui lui avaient été transférées.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que la compensation financière des
charges résultant des compétences transférées était assurée et que les
dispositions contestées n'ont pas pour effet de réduire le montant des
ressources propres de la collectivité de Saint-Martin. Les griefs tirés de la
méconnaissance des principes de libre administration et d'autonomie financière
ne pouvaient donc qu'être rejetés.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé qu'il n'incombe pas au législateur de
garantir une compensation intégrale des charges résultant des transferts de
compétences entre collectivités. Il a donc écarté le grief tiré de la
méconnaissance du principe de compensation des charges résultant de tels
transferts de compétence.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré conformes à la Constitution
les dispositions des 1°, 2° et 3° du paragraphe I de l'article 104 de la loi du
25 décembre 2007.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 avril 2016 par le Conseil d'État (décision n° 396415 du 13 avril 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la collectivité de Saint-Martin par la SELARL Genesis Avocats, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-549 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des 1°, 2° et 3° du paragraphe I de l'article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions
statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, ensemble la décision
du Conseil constitutionnel n° 2007-547 DC du 15 février 2007 ;
- la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer ;
- la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la collectivité requérante par la SELARL
Genesis Avocats, enregistrées les 4 et 23 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 mai
2016 :
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marie-Yvonne Benjamin, avocat au barreau de Paris, pour
la collectivité requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 21 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les 1° à 3° du paragraphe I de l'article 104 de la loi du
25 décembre 2007 dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008,
mentionnée ci-dessus, prévoient que les modalités de calcul de la dotation
globale de compensation de Saint-Martin sont les suivantes : « 1° La dotation
globale de compensation de Saint-Martin est l'addition :
« a) Pour les impôts et charges transférés par l'État, du solde entre les
charges transférées et la fiscalité émise, actualisé selon le taux d'évolution
de la dotation globale de fonctionnement, prévu à l'article L. 1613-1 du code
général des collectivités territoriales, au titre des années 2007 et 2008 ;
« b) Du solde entre les charges transférées, hors celles consacrées à la
construction et à l'équipement des lycées, et la fiscalité émise en application
des taux votés par la région de la Guadeloupe, actualisé selon le taux
d'évolution de la dotation globale de fonctionnement, prévu au même article L.
1613-1, au titre des années 2007 et 2008 ;
« c) Et du solde entre les charges transférées, hors celles consacrées à la
construction et à l'équipement des collèges, et la fiscalité émise en
application des taux votés par le département de la Guadeloupe. Ce solde est
minoré du montant respectif de la part de la contribution versée en 2006 à la
Guadeloupe par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie au titre des
bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie, de la prestation de
compensation du handicap et de la maison départementale des personnes
handicapées de Saint-Martin, puis actualisé selon le taux d'évolution de la
dotation globale de fonctionnement, prévu au même article L. 1613-1, au titre
des années 2007 et 2008. Enfin, il est minoré du montant de la dotation globale
de fonctionnement dû à la collectivité de Saint-Martin en 2008 au titre de sa
dotation de base et de ses quotes-parts de dotation de péréquation, prévues à
l'article L. 6364-3 du même code.
Les charges mentionnées au présent 1° sont déterminées dans les conditions
prévues par le décret pris en application de l'article L.O. 6271-7 du même code.
;
« 2° a. Le solde visé au b du 1° donne lieu à prélèvement à due concurrence sur
la dotation générale de décentralisation de la région de la Guadeloupe, prévue
par l'article L. 1614-4 du même code.
« b. Le solde final visé au c du 1° donne lieu à prélèvement à due concurrence
sur la dotation générale de décentralisation du département de la Guadeloupe,
prévue par le même article L. 1614-4.
« 3° La dotation globale de compensation visée au 1° est abondée :
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise et la
fiscalité perçue par l'État sur le territoire de la collectivité ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit de la région de la Guadeloupe sur le territoire de la collectivité et la
fiscalité recouvrée par l'État à ce titre ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit du département de la Guadeloupe sur le territoire de la collectivité et
la fiscalité recouvrée par l'État à ce titre ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit de la commune de Saint-Martin et la fiscalité recouvrée par l'État à ce
titre ;
« - d'un montant correspondant à la moyenne annuelle du produit des amendes
forfaitaires de la police de la circulation routière reversé par l'État à la
commune de Saint-Martin au titre des exercices 1998 à 2007 inclus, conformément
aux articles L. 2334-24 et L. 2334-25 du code général des collectivités
territoriales ;
« - et du montant correspondant à la moyenne annuelle des crédits de paiement de
la dotation globale d'équipement des communes versés à la commune de
Saint-Martin au titre des exercices 1998 à 2007 inclus, en application des
articles L. 2334-32 à L. 2334-34 du même code ».
2. La collectivité requérante soutient que les ressources qui lui ont été attribuées, en vertu des dispositions contestées, au titre de la compensation des charges résultant des transferts de compétences de la commune de Saint-Martin, sont insuffisantes. Elle fait valoir que la fraction de la dotation globale garantie et de la dotation d'équipement local qui était perçue par la commune de Saint-Martin au titre du produit de l'octroi de mer n'a pas été prise en compte pour déterminer le montant de la dotation globale de compensation attribuée à la collectivité de Saint-Martin. Elle en déduit que les dispositions contestées sont contraires aux dispositions statutaires organiques prises en application de l'article 74 de la Constitution et aux principes de libre administration, d'autonomie financière et de compensation financière intégrale des charges transférées résultant des articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution.
3. En premier lieu, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement ». Elles le font « dans les conditions prévues par la loi ».
4. Selon l'article 74 de la Constitution : « Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République ». Aux termes du deuxième alinéa du même article : « ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante... ».
5. La loi organique du 21 février 2007 mentionnée ci-dessus a créé une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution qui se substitue sur le territoire de la partie française de l'île de Saint-Martin et des îlots qui en dépendent à la commune de Saint-Martin, au département de la Guadeloupe et à la région de la Guadeloupe. Elle exerce les compétences auparavant dévolues à ces collectivités.
6. L'article L.O. 6371-4 du code général des collectivités territoriales prévoit que : « Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'État, la région ou le département de la Guadeloupe ou la commune de Saint-Martin et la collectivité de Saint-Martin est accompagné du transfert concomitant à la collectivité de Saint-Martin des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ».
7. Le premier alinéa de l'article L.O. 6371-5 du même code prévoit que : « Les charges mentionnées à l'article L.O. 6371-4 sont compensées par le transfert d'impôts, la dotation globale de fonctionnement instituée par l'article L. 6364-3, la dotation globale de construction et d'équipement scolaire instituée par l'article L. 6364-5 et, pour le solde, par l'attribution d'une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'État ».
8. Il résulte des dispositions organiques citées ci-dessus que, d'une part, les charges résultant des compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin lors de sa création sont compensées par le transfert, à titre principal, de ressources fiscales et à titre subsidiaire, de dotations et que, d'autre part, le solde de cette compensation est assuré par la dotation globale de compensation. La dotation globale de compensation constitue l'une des modalités de mise en œuvre de l'ajustement de la compensation financière des charges transférées. Les dispositions contestées, prises en application des lois organiques mentionnées ci-dessus, ont pour objet de prévoir les modalités de calcul des ressources fiscales et dotations précédemment perçues par l'État, la région, le département et la commune sur le territoire de la collectivité de Saint-Martin qui doivent être prises en compte pour abonder la dotation globale de compensation de la collectivité de Saint-Martin. L'ensemble des recettes fiscales précédemment émises sur le territoire de la collectivité sont ainsi prises en compte pour abonder la dotation globale de compensation, et contribuent à assurer la compensation financière des charges résultant des compétences transférées à la collectivité. Les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte à la libre administration de cette collectivité.
9. En application du paragraphe I de l'article 1er de la loi du 2 juillet 2004 mentionnée ci-dessus, les importations de biens et les livraisons de biens en Guadeloupe sont soumises à une taxe dénommée octroi de mer. Son produit, perçu par la région de la Guadeloupe, alimente une dotation globale garantie ainsi qu'une dotation d'équipement local dont le produit est réparti, notamment, entre les communes de la Guadeloupe. Si la commune de Saint-Martin puis, à titre transitoire pour les années 2007 et 2008, la collectivité de Saint-Martin ont ainsi bénéficié d'une fraction du produit de ces dotations, toutefois la fraction du produit de cette taxe alimentant la dotation bénéficiant pour partie à la collectivité de Saint-Martin n'était pas une ressource propre au sens de l'article 72-2 de la Constitution. Dès lors, les dispositions contestées, qui n'ont pas eu pour effet de réduire le montant des ressources propres de la collectivité de Saint-Martin, n'affectent pas l'autonomie financière de cette collectivité d'outre-mer.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes de libre administration et d'autonomie financière doivent être rejetés.
11. En second lieu, selon le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
12. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il transfère aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par l'État, le législateur est tenu de leur attribuer des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert. Les charges correspondant à ce transfert de compétences de l'État vers les collectivités doivent être compensées par l'attribution de ressources équivalentes. Ces dispositions imposent également au législateur, lorsque sont confiées à des collectivités territoriales des compétences obligatoires nouvelles ou que leurs compétences obligatoires sont étendues, de leur affecter les ressources permettant de respecter les autres exigences constitutionnelles, et en particulier le principe de libre administration. Pour autant, il n'en résulte pas une obligation de garantir une compensation intégrale des charges résultant des transferts de compétences entre collectivités. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de compensation des charges résultant des transferts de compétences doit être écarté.
13. Les dispositions des 1°, 2° et 3° du paragraphe I de l'article 104 de la loi du 25 décembre 2007, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les 1°, 2° et 3° du paragraphe I de l'article 104 de la loi n°
2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 juin
2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE,
Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes
Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 1er juillet 2016.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 avril 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.
314-18 du code des juridictions financières.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que les dispositions contestées
permettent qu'une personne poursuivie devant la cour de discipline budgétaire et
financière pour l'une des infractions édictées par les articles L. 313-1 à L.
313-8 du même code, soit également poursuivie devant une juridiction pénale pour
une infraction pénale. Si les dispositions contestées n'instituent pas, par
elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et de double sanction, elles le
rendent toutefois possible.
Dans le prolongement de précédentes décisions, le Conseil constitutionnel a
ensuite formulé deux réserves d'interprétation pour juger les dispositions
contestées conformes à la Constitution.
D'une part, les cumuls éventuels de poursuites et de sanctions doivent, en tout
état de cause, respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui
implique qu'une même personne ne puisse faire l'objet de poursuites différentes
conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application
de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux. D'autre part, le
principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant
global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus
élevé de l'une des sanctions encourues.
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la
Constitution les mots « de l'action pénale et » figurant au premier alinéa de
l'article L. 314-18 du code des juridictions financières.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 avril 2016 par le Conseil d'État (décision n° 396696 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question est posée d'une part pour M. Stéphane R., par Mes Nicolas Baverez, Nicolas Autet et Jean-Etienne Giamarchi, avocats au barreau de Paris, et d'autre part pour M. Bernard S., par Me Thierry Dal Farra, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-550 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 314-18 du code des juridictions financières.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code des juridictions financières ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations ;
- les décisions du Conseil constitutionnel nos 2014-423 QPC du 24 octobre 2014,
2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, 2016-445 QPC et 2016-446 QPC
du 24 juin 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Stéphane R. par Mes Autet, Baverez et
Giamarchi, enregistrées les 9 et 24 mai 2016;
- les observations présentées pour M. Bernard S. par Me Dal Farra, enregistrées
le 9 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 mai
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Baverez pour M. Stéphane R., Me Dal Farra pour M. Bernard
S. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique
du 21 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 314-18 du code des juridictions financières, qui figure dans
le titre Ier du livre III de ce code consacré à la cour de discipline budgétaire
et financière, prévoit, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 avril 2000
mentionnée ci-dessus : « Les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à
l'exercice de l'action pénale et de l'action disciplinaire.« Si l'instruction
permet ou a permis de relever à la charge d'une personne mentionnée à l'article
L. 312-1 des faits qui paraissent de nature à justifier une sanction
disciplinaire, le président de la Cour signale ces faits à l'autorité ayant
pouvoir disciplinaire sur l'intéressé. Cette autorité doit, dans le délai de six
mois, faire connaître au président de la Cour par une communication motivée les
mesures qu'elle a prises.
« Si l'instruction fait apparaître des faits susceptibles de constituer des
délits ou des crimes, le procureur général transmet le dossier au procureur de
la République dans les conditions prévues à l'article 40 du code de procédure
pénale et avise de cette transmission le ministre ou l'autorité dont relève
l'intéressé.
« Si la Cour estime, en statuant sur les poursuites, qu'une sanction
disciplinaire peut être encourue, elle communique le dossier à l'autorité
compétente. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître à la
Cour, par une communication motivée, les mesures qu'elle a prises.
« Le procureur de la République peut transmettre au procureur général près la
Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et
financière, d'office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce
d'une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des
infractions prévues et sanctionnées par les articles L. 313-1 à L. 313-14. »
2. Les requérants contestent le cumul des poursuites et des peines qu'autoriseraient les dispositions contestées. Ils font valoir que les mêmes faits peuvent être réprimés deux fois, d'une part devant la cour de discipline budgétaire et financière et d'autre part devant le juge pénal, sans que les intérêts sociaux protégés soient distincts ni que les sanctions encourues soient d'une nature différente. Ils soutiennent que les dispositions contestées établiraient une double répression, en méconnaissance des principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.
3. La possibilité d'un cumul des poursuites devant la cour de discipline budgétaire et financière et devant le juge pénal résulte des seuls mots « de l'action pénale et » figurant au premier alinéa de l'article L. 314-18 du code des juridictions financières. Ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur ces seuls mots.
- Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions de l'article L. 314-18 du code des juridictions financières dans leur rédaction issue de la loi du 12 avril 2000 dans les considérants 36 à 38 de la décision du 24 octobre 2014 mentionnée ci-dessus et les a déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
5. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité à la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 18 mars 2015 puis dans ses décisions du 24 juin 2016 mentionnées ci-dessus, que le cumul de l'application de dispositions instituant des sanctions, lorsque celles-ci sont infligées à l'issue de poursuites différentes en application de corps de règles distincts, peut méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines si différentes conditions sont réunies. Les sanctions doivent réprimer les mêmes faits et ne pas être d'une nature différente et les intérêts sociaux protégés doivent être les mêmes. Ces décisions constituent un changement des circonstances de droit. Ce changement justifie, en l'espèce, le réexamen des mots « de l'action pénale et » figurant au premier alinéa de l'article L. 314-18 du code des juridictions financières.
- Sur le fond :
6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
7. En premier lieu, les dispositions contestées permettent qu'une personne visée à l'article L. 312-2 du code des juridictions financières, poursuivie devant la cour de discipline budgétaire et financière pour l'une des infractions édictées par les articles L. 313-1 à L. 313-8 du même code, soit également poursuivie devant une juridiction pénale pour une infraction pénale. Si les dispositions contestées n'instituent pas, par elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et de double sanction, elles le rendent toutefois possible. Ces cumuls éventuels de poursuites et de sanctions doivent, en tout état de cause, respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu'une même personne ne puisse faire l'objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux.
8. En second lieu, lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Il appartient donc aux autorités juridictionnelles compétentes de veiller au respect de cette exigence et de tenir compte, lorsqu'elles se prononcent, des sanctions de même nature antérieurement infligées.
9. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 7 et 8, les mots : « de l'action pénale et » figurant au premier alinéa de l'article L. 314-18 du code des juridictions financières, qui ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Ils doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 7 et 8, les mots « de
l'action pénale et » figurant au premier alinéa de l'article L. 314-18 du code
des juridictions financières sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 juin 2016, où
siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne
LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 1er juillet 2016.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 11
de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques.
Ces dispositions ouvrent un accès dérogatoire à la profession d'avocat à des
personnes qui ont exercé certaines fonctions ou activités. Le législateur exige
toutefois que ces fonctions ou activités aient été exercées en France.
Le requérant critiquait cette condition de territorialité.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé qu'il incombe au législateur,
lorsqu'il fixe les conditions d'accès à une profession, de déterminer les
garanties fondamentales permettant d'assurer le respect de la liberté
d'entreprendre. Toutefois, en ce qui concerne les conditions d'accès à la
profession d'avocat, compte tenu du rôle particulier de cette profession, le
Conseil constitutionnel a estimé qu'il appartenait également au législateur de
déterminer les garanties fondamentales permettant d'assurer le respect des
droits de la défense. Le Conseil a alors relevé que les dispositions contestées,
qui permettent d'accéder à la profession d'avocat quand certaines fonctions ou
activités juridiques ont été exercées en France pendant une durée suffisante,
répondent à ces exigences.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé, d'une part, que les personnes ayant
exercé une activité ou une fonction juridique pendant une durée suffisante en
France ne sont pas placées, au regard de l'accès à la profession d'avocat en
France, dans la même situation que celles ayant exercé une telle activité ou
fonction à l'étranger. Les dispositions contestées, qui traitent différemment
ces deux situations, ne sont donc pas contraires au principe d'égalité.
D'autre part, le législateur a entendu, par les dispositions contestées,
garantir un niveau d'aptitude et un niveau de connaissance suffisant aussi bien
du droit français que des conditions de sa mise en œuvre. Par ailleurs, les
personnes ne remplissant pas les conditions dérogatoires fixées par les
dispositions contestées peuvent accéder à la profession d'avocat dans les
conditions de droit commun. Le Conseil constitutionnel a par conséquent écarté
le grief de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution les mots «
et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou
activités en France » figurant au 2° de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31
décembre 1971.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 mai 2016 par la Cour de cassation (1ère chambre civile, arrêt n° 582 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Éric B. par la SCP Alain Benabent et Marielle Jehannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-551 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques ;
- l'ordonnance n° 2008-507 du 30 mai 2008 portant transposition de la directive
2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la
reconnaissance des qualifications professionnelles ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Alain Benabent et
Marielle Jehannin, enregistrées le 19 mai 2016 ;
- les observations présentées pour l'ordre des avocats au barreau de Grasse,
partie en défense, par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 26 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 mai
2016 ;
- la lettre du 17 juin 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux
parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
- les observations en réponse présentées pour l'ordre des avocats au barreau de
Grasse, partie en défense, par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 24 juin
2016 ;
- les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées
le 24 juin 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alain Benabent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, Me Isabelle Zribi, avocat au Conseil d'État et à
la Cour de cassation, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 28 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa
rédaction résultant de l'ordonnance du 30 mai 2008, mentionnée ci-dessus,
prévoit : « Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les
conditions suivantes :« 1° Être français, ressortissant d'un État membre des
Communautés européennes ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen,
ou ressortissant d'un État ou d'une unité territoriale n'appartenant pas à ces
Communautés ou à cet Espace économique qui accorde aux Français la faculté
d'exercer sous les mêmes conditions l'activité professionnelle que l'intéressé
se propose lui-même d'exercer en France, sous réserve des décisions du conseil
des Communautés européennes relatives à l'association des pays et territoires
d'outre-mer à la Communauté économique européenne ou avoir la qualité de réfugié
ou d'apatride reconnue par l'Office français de protection des réfugiés et
apatrides ;
« 2° Être titulaire, sous réserve des dispositions réglementaires prises pour
l'application de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du
7 septembre 2005, et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines
fonctions ou activités en France, d'au moins une maîtrise en droit ou de titres
ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession par
arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre
chargé des universités ;
« 3° Être titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, sous
réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2°, ou, dans le cadre de
la réciprocité, de l'examen prévu au dernier alinéa du présent article ;
« 4° N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale
pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ;
« 5° N'avoir pas été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une
sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation,
de retrait d'agrément ou d'autorisation ;
« 6° N'avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en
application du titre VI de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au
redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ou, dans le régime
antérieur à cette loi, en application du titre II de la loi n° 67-563 du 13
juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite
personnelle et les banqueroutes.
« Les titulaires de la licence en droit qui ont obtenu ce diplôme sous le régime
antérieur à celui fixé par le décret n° 54-343 du 27 mars 1954 relatif au
nouveau régime des études et des examens en vue de la licence en droit sont
considérés, pour l'application de la présente loi, comme titulaires d'une
maîtrise en droit. Il en est de même pour les licenciés en droit ayant obtenu ce
titre lorsque la licence a été organisée sur quatre années.
« L'avocat ressortissant d'un État ou d'une unité territoriale n'appartenant pas
aux Communautés européennes ou à l'Espace économique européen, s'il n'est pas
titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, doit subir, pour
pouvoir s'inscrire à un barreau français, les épreuves d'un examen de contrôle
des connaissances en droit français selon des modalités fixées par décret en
Conseil d'État. Il en est de même d'un ressortissant d'un État membre des
Communautés européennes ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen
qui aurait acquis la qualité d'avocat dans un État ou une unité territoriale
n'appartenant pas à ces Communautés ou à cet Espace économique et qui ne
pourrait invoquer le bénéfice des dispositions réglementaires prises pour
l'application de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 ».
2. Le requérant soutient qu'en réservant aux seules personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France la possibilité d'accéder à la profession d'avocat, sans être titulaire d'un des diplômes exigés au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 ou sans être titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité. Il soutient également que la condition de territorialité liée à l'exercice en France de ces fonctions ou activités porte une atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre.
3. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce qu'en ne définissant pas avec suffisamment de précision les critères permettant au pouvoir réglementaire de déroger aux conditions énoncées par le 2° et le 3° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971, les dispositions du 2° de cet article méconnaîtraient l'étendue de la compétence du législateur dans des conditions qui affectent la liberté d'entreprendre.
4. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France » figurant au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :
5. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Selon l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
6. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
7. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les droits de la défense sont garantis par cette disposition. En vertu de la loi du 31 décembre 1971, la profession d'avocat dispose, sauf exceptions, du monopole de l'assistance et de la représentation en justice. Par conséquent, il incombe au législateur, lorsqu'il fixe les conditions d'accès à cette profession, de déterminer les garanties fondamentales permettant d'assurer le respect des droits de la défense et de la liberté d'entreprendre.
8. L'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que toute personne souhaitant devenir avocat doit répondre à des conditions de nationalité, de diplôme, d'aptitude, de compétence et de moralité. En prévoyant des dérogations à la condition de diplôme ainsi qu'à la condition de détention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat pour les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, le législateur a entendu permettre l'accès à cette profession à des personnes ayant acquis par l'exercice de certaines fonctions ou activités de nature juridique, pendant une durée suffisante, sur le territoire national, des compétences professionnelles équivalentes à celles que garantit l'obtention de ces diplômes. Il en résulte qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a suffisamment défini les garanties encadrant l'accès à la profession d'avocat et n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
- Sur le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité :
9. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Les personnes ayant exercé une activité ou une fonction juridique pendant une durée suffisante en France ne sont pas placées, au regard de l'accès à la profession d'avocat, dans la même situation que celles ayant exercé une telle activité ou fonction à l'étranger. En exigeant, pour l'exercice de cette profession, la pratique d'une activité ou d'une fonction à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur a entendu garantir les compétences des personnes exerçant cette profession et, par voie de conséquence, garantir le respect des droits de la défense. Il en résulte que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
- Sur le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre :
11. En posant comme condition d'accès à la profession d'avocat l'exercice d'une activité à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur a entendu garantir un niveau d'aptitude et un niveau de connaissance suffisant aussi bien du droit français que des conditions de sa mise en œuvre. Les personnes ne remplissant pas ces conditions ne sont en outre pas privées du droit d'accéder à la profession d'avocat dans les conditions de droit commun. Il en résulte que le législateur a adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le respect de la liberté d'entreprendre et le respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Constitution. Le grief tiré de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre doit en conséquence être également écarté.
12. Les mots « et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France » figurant au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « et de celles concernant les personnes ayant exercé
certaines fonctions ou activités en France » figurant au 2° de l'article 11 de
la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L.
450-3 et L. 464-8 du code de commerce.
Ces dispositions fixent les pouvoirs d'accès et de communication des enquêteurs
de l'Autorité de la concurrence et du ministère de l'économie en matière
d'enquêtes simples de concurrence.
La société requérante contestait notamment l'absence de voies de recours contre
les mesures prévues par les dispositions contestées.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les demandes de communication
d'informations et de documents formulées sur le fondement du quatrième alinéa de
l'article L. 450-3 du code de commerce ne sont pas en elles-mêmes des actes
susceptibles de faire grief. En outre, si une procédure est engagée contre une
entreprise à la suite d'une enquête administrative pour pratique
anticoncurrentielle ou si une astreinte ou une sanction est prononcée à
l'encontre d'une entreprise, la légalité des demandes d'information peut être
contestée par voie d'exception. Enfin, en cas d'illégalité, un recours
indemnitaire est possible.
Les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte au droit des personnes
concernées de faire contrôler par les juridictions compétentes la régularité des
mesures d'enquête. Elles ne méconnaissent pas le droit à un recours
juridictionnel effectif.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conformes à la
Constitution les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code
de commerce dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014
relative à la consommation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 mai 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 520 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Brenntag par la SCP Foussard - Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-552 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 450-3 et L. 464-8 du code de commerce.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et
de la concurrence ;
- l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative
du code de commerce ;
- la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques ;
- la loi n° 2003-7 du 3 janvier 2003 modifiant le livre VIII du code de commerce
;
- l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la
régulation de la concurrence ;
- la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique
outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer ;
- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Claire
Mendelsohn, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 26 mai et 10 juin 2016
;
- les observations présentées pour l'Autorité de la Concurrence, partie en
défense, par la SCP Baraduc-Duhamel-Rameix, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 26 mai 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 mai
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mendelsohn et Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, pour la société requérante, Me Elisabeth Baraduc,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense,
et M. Xavier Pottier, représentant le Premier ministre, à l'audience publique du
28 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La société requérante a formé un pourvoi en cassation contre deux arrêts de la cour d'appel de Paris rejetant ses recours en annulation dirigés contre des demandes de communication d'informations et de documents. Ces demandes, intervenues entre avril 2014 et novembre 2014, étaient fondées sur les pouvoirs d'enquête prévus à l'article L. 450-3 du code de commerce. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 450-3 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mars 2014 mentionnée ci-dessus ainsi que de l'article L. 464-8 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2012 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 450-3 du code de commerce dans sa rédaction
résultant de la loi du 17 mars 2014 prévoit que : « Les agents mentionnés à
l'article L. 450-1 peuvent opérer sur la voie publique, pénétrer entre 8 heures
et 20 heures dans tous lieux utilisés à des fins professionnelles et dans les
lieux d'exécution d'une prestation de services, ainsi qu'accéder à tous moyens
de transport à usage professionnel.« Ils peuvent également pénétrer en dehors de
ces heures dans ces mêmes lieux lorsque ceux-ci sont ouverts au public ou
lorsqu'à l'intérieur de ceux-ci sont en cours des activités de production, de
fabrication, de transformation, de conditionnement, de transport ou de
commercialisation.
« Lorsque ces lieux sont également à usage d'habitation, les contrôles ne
peuvent être effectués qu'entre 8 heures et 20 heures et avec l'autorisation du
juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le
ressort duquel sont situés ces lieux, si l'occupant s'y oppose.
« Les agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres
documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout
moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur
convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaires au
contrôle.
« Pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, ils ont accès
aux logiciels et aux données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des
informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions. Ils
peuvent en demander la transcription par tout traitement approprié des documents
directement utilisables pour les besoins du contrôle ».
3. L'article L. 464-8 du code de commerce dans sa rédaction
résultant de la loi du 20 novembre 2012 prévoit que :« Les décisions de
l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L.
464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en
cause et au ministre chargé de l'économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois,
introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de
Paris.
« Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le premier président de la cour
d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si
celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives
ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux
d'une exceptionnelle gravité.
« Le pourvoi en cassation, formé le cas échéant, contre l'arrêt de la cour, est
exercé dans un délai d'un mois suivant sa notification.
« Le président de l'Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en
cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant annulé ou réformé une
décision de l'Autorité.
« Le ministre chargé de l'économie peut, dans tous les cas, former un pourvoi en
cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris.
« L'Autorité de la concurrence veille à l'exécution de ses décisions ».
4. La société requérante soutient que les dispositions contestées, faute de prévoir une voie de recours immédiate et autonome contre les mesures d'enquêtes fondées sur l'article L. 450-3 du code de commerce, méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le droit au procès équitable, le droit de ne pas s'auto-incriminer, le droit à la protection du domicile, le droit au respect de la vie privée et le droit au secret des correspondances. Les dispositions contestées seraient, en outre, entachées d'incompétence négative.
5. Au sein des dispositions contestées, seul le quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce fixe les modalités du droit des agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents dans les enquêtes de concurrence. En outre, la société requérante ne conteste que les mesures prises par les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence en application du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur le quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des droits garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
6. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de ces dispositions qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que sont garantis le respect des droits de la défense et le droit à un procès équitable.
7. Si les dispositions contestées imposent de remettre aux agents habilités les documents dont ces derniers sollicitent la communication, elles ne leur confèrent ni un pouvoir d'exécution forcée pour obtenir la remise de ces documents, ni un pouvoir général d'audition ou un pouvoir de perquisition. Il en résulte que seuls les documents volontairement communiqués peuvent être saisis. La circonstance que le refus de communication des informations ou documents demandés puisse être à l'origine d'une injonction sous astreinte prononcée par l'Autorité de la concurrence, d'une amende administrative prononcée par cette autorité ou d'une sanction pénale ne confère pas une portée différente aux pouvoirs dévolus aux agents habilités par les dispositions contestées.
8. En premier lieu, le droit reconnu aux agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents, prévu par les dispositions contestées, ne saurait, en lui-même, méconnaître les droits de la défense.
9. En second lieu, d'une part, les demandes de communication d'informations et de documents formulées sur le fondement des dispositions contestées ne sont pas en elles-mêmes des actes susceptibles de faire grief. D'autre part, si une procédure est engagée contre une entreprise à la suite d'une enquête administrative pour pratique anticoncurrentielle ou si une astreinte ou une sanction est prononcée à l'encontre d'une entreprise, la légalité des demandes d'informations peut être contestée par voie d'exception. En outre, en cas d'illégalité de ces mesures, même en l'absence de décision faisant grief, le préjudice peut être réparé par le biais d'un recours indemnitaire. Il en résulte que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit des personnes intéressées de faire contrôler, par les juridictions compétentes, la régularité des mesures d'enquête. Le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté.
10. En troisième lieu, il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du droit à un procès équitable doit également être écarté.
- Sur les autres griefs :
11. En premier lieu, selon l'article 9 de la Déclaration de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte un principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser.
12. Le droit reconnu aux agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents, prévu par les dispositions contestées, tend à l'obtention non de l'aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l'enquête de concurrence. Il en résulte que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe mentionné au paragraphe 11. Le grief tiré de la méconnaissance des droits et libertés garantis par l'article 9 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
13. En second lieu, selon l'article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». Il en résulte le droit au respect de la vie privée, le principe d'inviolabilité du domicile et le principe du secret des correspondances.
14. Les dispositions contestées permettent uniquement la communication des livres, factures et autres documents professionnels. Elles ne sont pas relatives à l'entrée dans un lieu à usage d'habitation. Elles ne permettent pas d'exiger la communication de documents protégés par le droit au respect de la vie privée ou par le secret professionnel. Par conséquent, elles ne portent atteinte ni au droit à la protection du domicile, ni au droit au respect de la vie privée, ni au secret des correspondances. Les griefs tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par l'article 2 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.
15. Les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 17 mars 2014, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 450-3 du code
de commerce dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014
relative à la consommation sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 mai 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la
conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du b ter du 6 de
l'article 145 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 39
de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005.
Par sa décision n° 2015-520 QPC du 3 février 2016, le Conseil constitutionnel
avait censuré une version antérieure de ces dispositions. La modification
introduite par la loi du 30 décembre 2005 avait réduit, sans la supprimer
totalement, la différence de traitement jugée contraire au principe d'égalité
par cette décision.
Le Conseil constitutionnel a donc, pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans
sa décision n° 2015-520 QPC, déclaré contraires à la Constitution le b ter du 6
de l'article 145 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n°
2005-1720 du 30 décembre 2005.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 mai 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397316 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question est posée pour la société Natixis, par CSM Bureau Francis Lefebvre, avocat au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-553 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 39 de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- la directive n° 90/435/CE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal
commun applicable aux sociétés mères et aux filiales d'États membres différents,
ensemble sa modification par la directive n° 2003/123/CE du 22 décembre 2003 ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993 ;
- la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-520 QPC du 3 février 2016 ;
- la décision du Conseil d'État n° 367256 du 12 novembre 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par CSM Bureau Francis
Lefebvre, enregistrées les 7 et 21 juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 juin
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Stéphane Austry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine,
pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 28 juin 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 145 du code général des impôts détermine les conditions requises pour bénéficier de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue, en faveur des sociétés mères, par l'article 216 du même code. Le 6 de l'article 145 énumère les cas dans lesquels les produits des titres de participation versés par une filiale à sa société mère sont exclus du bénéfice du régime des sociétés mères. Selon le b ter de ce 6, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, ce régime fiscal n'est pas applicable : « Aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, sauf si la société détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice ».
2. Selon la société requérante, il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, une différence de traitement entre les sociétés qui reçoivent des produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, selon que ces produits sont versés par une filiale établie en France, auquel cas elles ne bénéficient pas du régime fiscal des sociétés mères, ou par une filiale établie dans un autre État membre de l'Union européenne, auquel cas elles en bénéficient. Cette différence de traitement serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
3. Selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, l'impossibilité, instituée par les dispositions contestées, de déduire du bénéfice net total de la société mère des produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n'est attaché dès lors que la société ne détient pas au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice est seulement applicable aux produits des titres de participation de sociétés établies en France ou dans des États autres que les États membres de l'Union européenne.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. Le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions du b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1992 mentionnée ci-dessus dans les considérants 4 à 10 de sa décision du 3 février 2016 et les a déclarées contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
7. Les dispositions contestées diffèrent de celles qui ont été déclarées contraires à la Constitution dans la décision du 3 février 2016. L'ajout des mots : « , sauf si la société détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice » par la loi du 30 décembre 2005 a pour objet et pour effet d'élargir la faculté offerte aux sociétés mères de déduire de leur bénéfice net total les produits des titres de participation d'une filiale lorsque la société mère détient au moins 5 % du capital et des droits de vote de la filiale. Cette modification supprime la différence de traitement entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères lorsqu'elles détiennent des titres de participation de filiales à hauteur d'au moins 5 % du capital et des droits de vote de la filiale. Elle maintient toutefois une différence de traitement entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères lorsqu'elles détiennent des titres de participation de filiales représentant moins de 5 % du capital et des droits de vote de la filiale. En effet, selon que les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droits de vote sont versés par une filiale établie en France ou dans un État autre qu'un État membre de l'Union européenne ou, à l'inverse, par une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne, ces produits sont ou non exclus de la déduction du bénéfice net total.
8. Dès lors, pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans les considérants 8 à 10 de la décision du 3 février 2016, les dispositions contestées, qui méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. La déclaration d'inconstitutionnalité du b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à sa date de publication et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le b ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts dans sa
rédaction issue de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son paragraphe 10.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 mai 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant
sur le second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des
impôts (CGI) dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.
Ces dispositions répriment l'absence de déclaration annuelle des comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger. L'amende qu'elles établissent
est fixée en pourcentage du solde de ces comptes lorsque leur total est supérieur à 50 000 euros au 31 décembre.
Le Conseil constitutionnel a relevé que cette amende est encourue même dans l'hypothèse où les sommes figurant sur ces comptes n'ont pas été soustraites
frauduleusement à l'impôt. Il a jugé qu'en sanctionnant d'une telle amende proportionnelle un simple manquement à une obligation déclarative, le
législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution les dispositions du second alinéa du paragraphe IV de l'article
1736 du CGI dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012.
Cette censure ne s'oppose toutefois pas à ce que les personnes concernées fassent l'objet de l'amende forfaitaire prévue par les dispositions du premier
alinéa du même article.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 mai 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397826 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gilbert B., par la SCP Nataf et Planchat, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-554 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Nataf et Planchat, enregistrées les 31 mai et 7 juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 juin 2016 ;
- la lettre du 28 juin 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux
parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
- les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées
le 1er juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Sorin Margulis et Éric Planchat, avocats au barreau de
Paris, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
à l'audience publique du 5 juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts impose aux personnes physiques, associations et sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leurs revenus ou leurs résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger.
2. Le premier alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du même code prévoit que les infractions aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A sont passibles d'une amende de 1 500 euros par compte non déclaré, et que ce montant est porté à 10 000 euros lorsque l'obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative. Selon le second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus : « Si le total des soldes créditeurs du ou des comptes à l'étranger non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 € au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, l'amende par compte non déclaré est égale à 5 % du solde créditeur de ce même compte, sans pouvoir être inférieure aux montants prévus au premier alinéa du présent IV ».
3. Selon le requérant, le défaut de déclaration d'un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger en méconnaissance de l'obligation imposée par le deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts est punissable de plusieurs amendes concurrentes, notamment celle prévue par les dispositions du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts et celle instituée par l'article L. 152-5 du code monétaire et financier. Dans la mesure où la première de ces amendes peut s'élever à 5 % du solde créditeur du compte non déclaré tandis que la seconde est une amende fixée de manière forfaitaire à 750 euros par compte non déclaré, il en résulterait une différence dans la répression encourue qui méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi pénale.
4. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce qu'en fixant, pour le manquement à une obligation déclarative qu'elles répriment, une amende en pourcentage du solde du compte bancaire non déclaré, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines.
5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
6. En réprimant la méconnaissance de l'obligation déclarative annuelle relative aux comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, le législateur a, par la sanction ayant le caractère d'une punition instaurée au paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts, entendu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations bancaires et prévenir la dissimulation de revenus ou de biens à l'étranger. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
7. L'amende prévue par les dispositions contestées, qui réprime l'absence de déclaration annuelle des comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, est fixée en pourcentage du solde de ces comptes dès lors que le total de ces soldes excède 50 000 euros au 31 décembre de l'année. Cette amende est encourue même dans l'hypothèse où les sommes figurant sur ces comptes n'ont pas été soustraites frauduleusement à l'impôt. En prévoyant une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité du deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable aux amendes prononcées sur le fondement du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts avant la date de la décision du Conseil constitutionnel et qui n'ont pas donné lieu à un jugement devenu définitif ou pour lesquelles une réclamation peut encore être formée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012
de finances rectificative pour 2012 est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son paragraphe 9.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 mai 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
l'article 1er de la loi n°77-1453 du 29 décembre 1977, qui a été codifié à
l'article L. 228 du livre des procédures fiscales.
La Cour de cassation interprète de manière constante les mots « Sous peine
d'irrecevabilité, » figurant au premier alinéa de cet article comme subordonnant
la mise en mouvement de l'action publique pour la répression de certaines
infractions fiscales au dépôt d'une plainte préalable par l'administration.
Le requérant estimait qu'il en résulte une méconnaissance du principe de
séparation des pouvoirs et du principe d'indépendance de l'autorité judiciaire.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il découle du principe de l'indépendance de
l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du parquet, un
principe selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la
protection des intérêts de la société, l'action publique devant les juridictions
pénales.
Au cas particulier, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que les
dispositions contestées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, ne
portent pas une atteinte disproportionnée à ce principe en se fondant sur trois
éléments.
D'une part, une fois la plainte déposée par l'administration, le procureur de la
République dispose de la faculté de décider librement de l'opportunité d'engager
des poursuites.
D'autre part, les infractions pour lesquelles une plainte de l'administration
préalable aux poursuites est exigée concernent des actes qui portent atteinte
aux intérêts financiers de l'État et causent un préjudice principalement au
Trésor public. Ainsi, dans l'hypothèse où l'administration, qui est à même
d'apprécier la gravité des atteintes portées à ces intérêts collectifs protégés
par la loi fiscale, ne dépose pas de plainte, l'absence de mise en mouvement de
l'action publique qui en résulte ne constitue pas un trouble substantiel à
l'ordre public.
Enfin, la compétence pour déposer la plainte préalable obligatoire relève de
l'administration qui l'exerce dans le respect d'une politique pénale déterminée
par le Gouvernement conformément à l'article 20 de la Constitution et dans le
respect du principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution les mots «
Sous peine d'irrecevabilité, » figurant au premier alinéa de l'article L. 228 du
livre des procédures fiscales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 mai 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3066 du 19 mai 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question est posée par M. Karim B. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-555 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux
contribuables en matière fiscale et douanière ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- le décret n° 81-859 du 15 septembre 1981 portant codification des textes
législatifs concernant les procédures fiscales ;
- l'arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1991 (chambre criminelle, n°
90-81058) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant, par la SCP Nataf et Planchat,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 3 et 7 juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 15 et 30
juin 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Foncière Colbert
Finance, par Me Jérôme Turot, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 15 et
27 juin 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Bernard B. par la SELARL
Legi Conseils Bourgogne, avocat au barreau de Dijon, enregistrées les 15 et 29
juin 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Jean-Philippe L. et
Arnaud R. et la société Lapara SARL, par la SELARL Legi Conseils Bourgogne,
enregistrées les 15 et 29 juin 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Daniel A., Michael A.,
Jérôme C., François K. et Jean-Baptiste André J., par le cabinet Ratheaux,
avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 30 mai 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Éric Planchat, avocat au barreau de Paris, pour le
requérant, Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, pour la société Lapara
SARL et pour MM. Daniel A., Michael A., Bernard B., Jérôme C., François K.,
Jean-Baptiste André J., Jean-Philippe L. et Arnaud R., Me Turot pour la société
Foncière Colbert Finance, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
à l'audience publique du 5 juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1er de la loi du 29 décembre 1977 mentionnée ci-dessus, sur lequel porte la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée au Conseil constitutionnel, a été codifié à l'article L. 228 du livre des procédures fiscales par le décret du 15 septembre 1981 mentionné ci-dessus. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Il revient donc au Conseil constitutionnel de déterminer quelle est la version de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales applicable au litige. L'administration ayant porté plainte contre M. Karim B. le 22 février 2012, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 228 du livre des procédures fiscales prévoit,
dans cette rédaction : « Sous peine d'irrecevabilité, les plaintes tendant à
l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la
valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits
d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont
déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions
fiscales.
« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre
chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui
l'invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations
qu'il jugerait nécessaires.
« Toutefois, la commission examine l'affaire sans que le contribuable soit avisé
de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait
valoir qu'existent des présomptions caractérisées qu'une infraction fiscale pour
laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :
« 1° Soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes ou
de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou territoire qui
n'a pas conclu avec la France de convention d'assistance administrative en vue
de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale entrée en vigueur au moment des
faits et dont la mise en œuvre permet l'accès effectif à tout renseignement, y
compris bancaire, nécessaire à l'application de la législation fiscale française
;
« 2° Soit de l'interposition, dans un État ou territoire mentionné au 1°, de
personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution
comparable ;
« 3° Soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de
l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification.
« Le ministre est lié par les avis de la commission.
« Un décret en Conseil d'État fixe les conditions de fonctionnement de la
commission ».
3. Le requérant reproche à ces dispositions de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire, au motif qu'elles subordonnent la mise en mouvement de l'action publique pour la répression de certaines infractions fiscales au dépôt d'une plainte préalable par l'administration. Il leur reproche également de méconnaître ce principe d'indépendance de l'autorité judiciaire pour le même motif.
4. Le premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales impose à l'administration, pour certaines infractions fiscales, de recueillir l'avis conforme de la commission des infractions fiscales préalablement au dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République, sous peine d'irrecevabilité de la plainte. La Cour de cassation interprète de manière constante les mots « Sous peine d'irrecevabilité, » figurant dans ce premier alinéa, comme subordonnant la mise en mouvement de l'action publique au dépôt d'une plainte par l'administration.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Sous peine d'irrecevabilité, » figurant au premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales.
- Sur les interventions :
6. La société Lapara SARL et MM. Bernard B., Jean-Philippe L. et Arnaud R. reprochent aux dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs et le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire. MM. Daniel A., Michael A., Jérôme C., François K. et Jean-Baptiste André J. adressent les mêmes reproches aux dispositions contestées. Ils soutiennent également qu'elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe de nécessité des peines. En revanche, la société Foncière Colbert Finance ne formule, dans ses mémoires en intervention, aucun grief à l'encontre des dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité. Par suite, elle n'est pas admise à intervenir.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le principe d'égalité devant la loi :
7. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
8. Les dispositions contestées n'instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les auteurs présumés d'infractions contre lesquels l'administration dépose plainte et ne méconnaissent donc pas le principe d'égalité devant la loi.
. En ce qui concerne le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et le principe de séparation des pouvoirs :
9. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
10. Selon le premier alinéa de l'article 64 de la Constitution : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». Il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, l'action publique devant les juridictions pénales.
11. Les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, limitent le libre exercice de l'action publique par le procureur de la République « en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre ».
12. Toutefois, en premier lieu, si les dispositions contestées n'autorisent pas le procureur de la République à mettre en mouvement l'action publique en l'absence de plainte préalable de l'administration, elles ne le privent pas, une fois la plainte déposée, de la faculté de décider librement de l'opportunité d'engager des poursuites, conformément à l'article 40-1 du code de procédure pénale.
13. En deuxième lieu, les infractions pour lesquelles une plainte de l'administration préalable aux poursuites est exigée répriment des actes qui portent atteinte aux intérêts financiers de l'État et causent un préjudice principalement au Trésor public. Ainsi, en l'absence de dépôt d'une plainte de l'administration, à même d'apprécier la gravité des atteintes portées à ces intérêts collectifs protégés par la loi fiscale, qui sont susceptibles de faire l'objet de sanctions administratives, l'absence de mise en mouvement de l'action publique ne constitue pas un trouble substantiel à l'ordre public.
14. En troisième lieu, la compétence pour déposer la plainte préalable obligatoire relève de l'administration qui l'exerce dans le respect d'une politique pénale déterminée par le Gouvernement conformément à l'article 20 de la Constitution et dans le respect du principe d'égalité.
15. Dans ces conditions, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, l'action publique devant les juridictions pénales. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'indépendance de l'autorité judiciaire doit donc être écarté. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs.
. En ce qui concerne le principe de nécessité des peines :
16. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
17. Les dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, qui n'instituent aucune sanction, ne méconnaissent pas le principe de nécessité des peines.
18. Les mots « Sous peine d'irrecevabilité, » figurant au premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'intervention de la société Foncière Colbert Finance n'est pas
admise.
Article 2.- Les mots « Sous peine d'irrecevabilité, » figurant au premier alinéa
de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales sont conformes à la
Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 mai 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3067 du 19 mai 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Patrick S. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-556 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 1729 et 1741 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur
en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de
simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du
régime des pénalités ;
- la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet Farge Hazan,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 15 juin 2016
;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15 juin
2016 ;
- les observations en intervention présentées pour MM. Daniel A., Michael A.,
Jérôme C., François K. et Jean-Baptiste André J. par le cabinet Ratheaux, avocat
au barreau de Lyon, enregistrées le 30 mai 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Jérôme C. par la SCP
Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, ainsi
que Mes Jean Veil et Jean-Alain Michel, avocats au barreau de Paris,
enregistrées le 15 juin 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
- Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon, pour
MM. Daniel A., Michael A., Jérôme C., François K. et Jean-Baptiste André J., et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5
juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur « les articles 1729 et 1741 du code général des impôts dans leur version applicable à la date des faits », la Cour de cassation a jugé que cette question portait sur l'article 1729 du code général des impôts « dans sa rédaction, actuellement en vigueur, issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 » et sur l'article 1741 du même code « dans ses rédactions successives issues respectivement des ordonnances n° 2000-916 du 19 septembre 2000 et n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, applicable du 1er janvier 2006 au 14 mai 2009, et de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, applicable du 14 mai 2009 au 11 décembre 2010 ». Toutefois, l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus n'a pas modifié la rédaction de l'article 1741 du code général des impôts. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi porte sur l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 mentionnée ci-dessus et sur l'article 1741 du même code dans ses rédactions successives résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 et de la loi du 12 mai 2009 mentionnées ci-dessus.
2. L'article 1729 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 prévoit : « Les inexactitudes
ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant
l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt
ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été
indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de :
« a. 40 % en cas de manquement délibéré ;
« b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des
procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le
contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus
de droit ou en a été le principal bénéficiaire ;
« c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du
prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis ».
3. L'article 1741 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 prévoit : « Sans
préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification,
quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire
frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts
visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire
sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement
dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son
insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt,
soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible,
indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 37 500 euros
et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou
facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne
se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet
d'obtenir de l'État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible
d'une amende de 75 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans.« Toutefois,
cette disposition n'est applicable, en cas de dissimulation, que si celle-ci
excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
« Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article
peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.
« Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par
extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi
que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par
extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des
publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile
ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements
professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de
l'affichage dont il s'agit sont intégralement à la charge du condamné.
« En cas de récidive dans le délai de cinq ans, le contribuable est puni d'une
amende de 100 000 euros et d'un emprisonnement de dix ans. L'affichage et la
publicité du jugement sont ordonnés dans les conditions prévues au quatrième
alinéa.
« Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à
L. 231 du livre des procédures fiscales ».
4. L'article 1741 du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009 prévoit : « Sans préjudice des
dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque
s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à
l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la
présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa
déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé
une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son
insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt,
soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible,
indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 37 500 euros
et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou
facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne
se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet
d'obtenir de l'État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible
d'une amende de 75 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans.
« Toutefois, cette disposition n'est applicable, en cas de dissimulation, que si
celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
« Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article
peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.
« Le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par
extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi
que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par
extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des
publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile
ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements
professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de
l'affichage dont il s'agit sont intégralement à la charge du condamné.
« Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à
L. 231 du livre des procédures fiscales ».
5. Le requérant et les intervenants soutiennent que les sanctions administratives et pénales respectivement instituées par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts s'appliquent aux mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une nature et d'une sévérité équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction. L'application combinée de ces deux articles serait contraire au principe de nécessité des délits et des peines ainsi qu'au principe de proportionnalité des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
6. Est ainsi contestée la constitutionnalité des articles 1729 et 1741 du code général des impôts en cas d'insuffisance volontaire de déclaration. Compte tenu du champ d'application respectif de ces deux articles, la question prioritaire de constitutionnalité porte, d'une part, sur l'article 1729 du code général des impôts et, d'autre part, sur les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code.
- Sur la recevabilité :
7. Il ressort des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus et du troisième alinéa de son article 23-5 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
8. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 ainsi que les mots contestés de l'article 1741 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 dans les paragraphes 10 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 mentionnée ci-dessus. Il les a déclarés conformes à la Constitution, sous certaines réserves, dans le dispositif de cette décision. En l'absence de changement de circonstances, il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de l'article 1729 du code général des impôts et des mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000.
9. Il y a seulement lieu d'examiner les mots contestés de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009.
- Sur le fond :
10. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
11. Dans les paragraphes 12 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que les mots contestés de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines.
12. La seule modification apportée à l'article 1741 par la loi du 12 mai 2009 a consisté en la suppression de l'alinéa de cet article prévoyant l'alourdissement des sanctions en cas de récidive dans le délai de cinq ans.
13. Dès lors, pour les mêmes motifs et sous les mêmes réserves que ceux énoncés dans les paragraphes 12 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC, les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009, qui ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité portant sur l'article 1729 du code général des impôts et sur
les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes
à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741
du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2000-916 du 19
septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants
exprimés en francs dans les textes législatifs.
Article 2.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 13, 21 et 24 de la
décision n° 2016-545 QPC, les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une
part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier
alinéa de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant
de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures sont conformes à la Constitution.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 mai 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de
l'article 274 du code civil.
Les dispositions contestées par le requérant permettent au juge de subordonner
le prononcé du divorce à la constitution de garanties par l'époux débiteur d'une
prestation compensatoire due sous la forme d'une somme d'argent.
Le Conseil constitutionnel a déduit des articles 2 et 4 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 une liberté de mettre fin au mariage,
composante de la liberté personnelle. Il est cependant loisible au législateur
d'apporter à la liberté de mettre fin au mariage des limitations liées à des
exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition
qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif
poursuivi.
Au cas particulier, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions
contestées poursuivent l'objectif d'intérêt général de garantir le versement à
l'époux créancier du capital alloué au titre de la prestation compensatoire.
Elles n'ont en outre pas d'autre effet que de retarder le prononcé du divorce.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé que l'atteinte à la liberté de
mettre fin aux liens du mariage résultant des dispositions contestées est
proportionnée à l'objectif poursuivi.
Le Conseil constitutionnel a donc écarté le grief du requérant et jugé conformes
à la Constitution les mots « le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la
constitution des garanties prévues à l'article 277 » figurant au 1° de l'article
274 du code civil.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 mai 2016 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 711 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bruno B. par la SCP Alain Bénabent et Marielle Jehannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-557 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l'article 274 du code civil.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Alain Bénabent et
Marielle Jehannin, enregistrées le 31 mai 2016 ;
- les observations présentées pour Mme Sylvie L. épouse B., partie en défense,
par la SCP Marc Lévis, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 16 juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 16 juin
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bénabent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, Me Lévis, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, représentant le
Premier ministre, à l'audience publique du 19 juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La procédure de divorce entre le requérant et la partie en défense a débuté le 5 juin 2005. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 1° de l'article 274 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 26 mai 2004 mentionnée ci-dessus.
2. Selon l'article 270 du code civil, en cas de divorce, l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation compensatoire présentant un caractère forfaitaire et prenant la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge. Le 1° de l'article 274 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 26 mai 2004 prévoit que le juge peut décider que la prestation compensatoire en capital s'exécutera sous la forme d'un « Versement d'une somme d'argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l'article 277 ».
3. Le requérant soutient que la disposition contestée fait obstacle au prononcé du divorce lorsque l'époux débiteur d'une prestation compensatoire en capital prenant la forme du versement d'une somme d'argent se trouve dans l'incapacité de constituer la garantie exigée par le juge. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle. Par ailleurs, en empêchant l'époux débiteur de vivre avec sa famille et de se remarier, les dispositions contestées méconnaîtraient le droit de mener une vie familiale normale.
4. Le requérant ne conteste pas le principe même de l'exécution d'une prestation compensatoire en capital sous la forme du versement d'une somme d'argent, mais seulement le fait que le juge puisse, dans ce cas, subordonner le prononcé du divorce à la constitution de garanties. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l'article 277 » figurant au 1° de l'article 274 du code civil.
5. En premier lieu, selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». Selon son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». Il résulte de ces dispositions une liberté pour chacun de se marier ainsi qu'une liberté de mettre fin aux liens du mariage, composantes de la liberté personnelle. Il est cependant loisible au législateur d'apporter à la liberté de mettre fin aux liens du mariage des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
6. Les dispositions contestées permettent au juge de subordonner le prononcé du divorce à la condition que l'époux débiteur d'une prestation compensatoire due sous la forme du versement d'une somme d'argent constitue un gage, donne caution ou souscrive un contrat garantissant le paiement du capital.
7. D'une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer la protection du conjoint créancier de la prestation compensatoire en garantissant le versement du capital alloué au titre de cette prestation. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. D'autre part, il appartient au juge d'apprécier la nécessité de subordonner le prononcé du divorce à la constitution de garanties et la capacité du débiteur à constituer celles-ci. Les dispositions contestées ne peuvent donc avoir d'autre effet que de retarder le prononcé du divorce. Ainsi l'atteinte à la liberté de mettre fin aux liens du mariage résultant des dispositions contestées est proportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit être écarté.
8. En second lieu, selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Il en résulte le droit de mener une vie familiale normale.
9. D'une part, les époux peuvent, avant le prononcé du divorce, saisir le juge afin que celui-ci statue sur les modalités de leur résidence séparée et prenne des mesures provisoires relatives aux enfants. D'autre part, le droit de mener une vie familiale normale est distinct du droit de se marier. Aussi, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'empêcher les membres d'une même famille de vivre ensemble. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale doit donc être écarté.
10. Les mots « le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l'article 277 » figurant au 1° de l'article 274 du code civil, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la
constitution des garanties prévues à l'article 277 » figurant au 1° de l'article
274 du code civil sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 mai 2016 par la
Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier
alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la
formation professionnelle tout au long de la vie.
Le Conseil constitutionnel a déduit des dispositions du treizième alinéa du
Préambule de la Constitution de 1946 que la mise en œuvre d'une politique
garantissant un égal accès de tous à la formation professionnelle constitue une
exigence constitutionnelle.
Il a cependant jugé que le grief adressé aux dispositions contestées par le
requérant est inopérant. En effet, ces dispositions n'ouvrent la possibilité de
déclencher le financement d'une action de formation que pendant la période de
préavis. L'impossibilité pour le salarié licencié pour faute lourde de demander,
postérieurement à l'expiration de son contrat de travail, le bénéfice des heures
acquises au titre du droit individuel à la formation et non utilisées à la date
d'effet de son licenciement ne résulte pas des dispositions contestées de
l'article L. 6323-17 du code du travail.
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les mots « non
consécutif à une faute lourde » figurant au premier alinéa de l'article L.
6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre
2009.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 mai 2016 par la Cour de Cassation (chambre sociale, arrêts nos 1255 et 1256 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. L'une a été posée pour M. Joseph L. et l'autre pour Mme Françoise L. épouse L. par la SCP Nicolaÿ, De Lanouvelle et Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel, respectivement sous le n° 2016-558 QPC et le n° 2016-559 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail « dans sa version applicable au litige ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la
formation professionnelle tout au long de la vie ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour Mme Armelle C., ès qualité de liquidateur
judiciaire de la société Sotraco SAS, partie en défense, par la SCP Spinosi et
Sureau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 21
juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 juin
2016 :
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Yehudi Pelosi, avocat au barreau de Paris, pour la partie
en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 19 juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre ces questions prioritaires de constitutionnalité pour répondre par une seule décision.
2. Les requérants ont été licenciés pour faute lourde, le 11 mars 2010. Ils ont posé leurs questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion de la contestation de ces licenciements. Les questions prioritaires de constitutionnalité doivent être considérées comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elles ont été posées. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus.
3. Le premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 prévoit : « En cas de licenciement non consécutif à une faute lourde, et si le salarié en fait la demande avant la fin du préavis, la somme correspondant au solde du nombre d'heures acquises au titre du droit individuel à la formation et non utilisées, multiplié par le montant forfaitaire visé au deuxième alinéa de l'article L. 6332-14, permet de financer tout ou partie d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation. À défaut d'une telle demande, la somme n'est pas due par l'employeur ».
4. Les requérants soutiennent qu'en privant le salarié licencié pour faute lourde de la possibilité de bénéficier du droit individuel à la formation, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et portent atteinte à l'égal accès à la formation professionnelle.
5. Au sein du premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail, les mots « non consécutif à une faute lourde » excluent le salarié licencié pour faute lourde du champ d'application des dispositions de cet article. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « non consécutif à une faute lourde » figurant au premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009.
6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. Selon le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture... ». Il en résulte que la mise en œuvre d'une politique garantissant un égal accès de tous à la formation professionnelle constitue une exigence constitutionnelle.
8. L'article L. 6323-17 du code du travail fixe les modalités selon lesquelles les salariés peuvent solliciter le financement de leur droit individuel à la formation avant leur départ de l'entreprise. En cas de licenciement, le premier alinéa de cet article prévoit que la somme correspondant au nombre d'heures acquises au titre du droit individuel à la formation et non utilisées peut financer une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation. Ce financement est subordonné à une demande du salarié pendant la période de préavis. Cette possibilité est toutefois exclue en cas de licenciement consécutif à une faute lourde.
9. En premier lieu, les dispositions contestées n'ouvrent la possibilité de déclencher le financement que pendant la période de préavis. L'impossibilité pour le salarié licencié pour faute lourde de demander, postérieurement à l'expiration de son contrat de travail, le bénéfice des heures acquises au titre du droit individuel à la formation et non utilisées à la date d'effet de son licenciement ne résulte pas des dispositions contestées de l'article L. 6323-17 du code du travail. Le grief tiré de l'atteinte à l'égal accès à la formation professionnelle est donc inopérant à l'encontre de ces dispositions.
10. En second lieu, si les dispositions contestées prévoient que le salarié licencié pour faute lourde ne peut pas demander le financement par l'employeur, pendant la période de préavis, d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation au moyen des heures acquises au titre du droit individuel à la formation et non utilisées, elles ne font que tirer les conséquences de l'absence de droit à un préavis de ces salariés.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égal accès à la formation professionnelle doivent être écartés.
12. Les mots « non consécutif à une faute lourde » figurant au premier alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « non consécutif à une faute lourde » figurant au premier
alinéa de l'article L. 6323-17 du code du travail dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la
formation professionnelle tout au long de la vie sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 8 juin 2016 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 803 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Pierre D. par la SCP Nicolas Boullez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-560 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du sixième alinéa de l'article 1397 du code civil.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique
des majeurs ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Nicolas Boullez,
enregistrées les 30 juin et 18 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 juin
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Nicolas Boullez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 2 août 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon l'article 1397 du code civil, les époux peuvent, dans certaines conditions, changer de régime matrimonial par acte notarié. Cet acte notarié est soumis à homologation judiciaire en présence d'enfants mineurs ou en cas d'opposition formée par les personnes parties au contrat modifié, par les enfants majeurs de chaque époux ou les créanciers des époux. Le sixième alinéa de l'article 1397 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2007 mentionnée ci-dessus dispose : « Le changement a effet entre les parties à la date de l'acte ou du jugement qui le prévoit et, à l'égard des tiers, trois mois après que mention en a été portée en marge de l'acte de mariage. Toutefois, en l'absence même de cette mention, le changement n'en est pas moins opposable aux tiers si, dans les actes passés avec eux, les époux ont déclaré avoir modifié leur régime matrimonial »
2. Le requérant soutient qu'en prévoyant que le changement de régime matrimonial prend effet, entre les époux, à des dates différentes selon que l'acte notarié y procédant est soumis ou non à homologation judiciaire, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les conjoints, notamment selon qu'ils ont ou non des enfants mineurs, contraire au principe d'égalité devant la loi.
3. Le requérant conteste uniquement le choix du législateur de fixer différemment la date de prise d'effet entre les époux du changement de régime matrimonial selon que l'acte notarié est soumis ou non à homologation judiciaire. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « entre les parties à la date de l'acte ou du jugement qui le prévoit et, » figurant dans la première phrase du sixième alinéa de l'article 1397 du code civil.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Les dispositions contestées font dépendre la date de prise d'effet du changement de régime matrimonial de l'existence ou non d'une homologation judiciaire. Or, les époux dont le changement de régime matrimonial doit faire l'objet d'un acte notarié soumis à homologation par le juge, que ce soit en raison de l'opposition formée par les titulaires de ce droit ou de la présence d'enfants mineurs, ne se trouvent pas dans la même situation que les époux dont le changement de régime matrimonial n'est pas soumis à une telle procédure qui vise à protéger des personnes dont les intérêts sont ou pourraient être lésés. Dès lors, pour les époux dont le changement de régime matrimonial doit faire l'objet d'un acte notarié soumis à homologation par le juge, en retenant comme date de prise d'effet de ce changement de régime celle du jugement d'homologation, le législateur a établi une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi qui est de fixer la date à laquelle le changement de régime matrimonial est acquis. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
6. Les mots « entre les parties à la date de l'acte ou du jugement qui le prévoit et, » figurant dans la première phrase du sixième alinéa de l'article 1397 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2007, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « entre les parties à la date de l'acte ou du jugement
qui le prévoit et, » figurant dans la première phrase du sixième alinéa de
l'article 1397 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-308
du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 juin 2016 par
la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité
relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
des dispositions des articles 696-11 et 696-19 du code de procédure pénale.
Ces dispositions sont relatives à la procédure d'extradition. Elles définissent
la procédure de placement sous écrou extraditionnel et les conditions dans
lesquelles la demande de mise en liberté de la personne réclamée est examinée
par la chambre de l'instruction.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution en formulant plusieurs réserves d'interprétation.
S'agissant de l'article 696-11 du code de procédure pénale, le Conseil
constitutionnel a formulé deux réserves d'interprétation.
Il a jugé, d'une part, que les dispositions contestées ne sauraient, sans
méconnaître la liberté individuelle ni porter une atteinte disproportionnée à la
liberté d'aller et venir, être interprétées comme excluant la possibilité pour
le magistrat du siège saisi aux fins d'incarcération dans le cadre d'une
procédure d'extradition de laisser en liberté, sans mesure de contrôle, la
personne dont l'extradition est demandée dès lors qu'elle présente des garanties
suffisantes de représentation.
Le Conseil constitutionnel a jugé, d'autre part, que le respect des droits de la
défense exige que la personne dont l'extradition est demandée puisse, lorsqu'il
est statué sur son placement sous écrou extraditionnel, être assistée par un
avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions du procureur
général.
En ce qui concerne l'article 696-19 du code de procédure pénale, le Conseil
constitutionnel a jugé que la sauvegarde de la liberté individuelle exige que
l'autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la
durée totale de la détention, dans le cadre de la procédure d'extradition,
excède un délai raisonnable.
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution
les deuxième et troisième alinéas de l'article 696-11 du code de procédure
pénale ainsi que les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de
l'article 696-19 du même code dans leur rédaction résultant de la loi n°
2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 3558 et 3559 du 8 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour M. Mukhtar A. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel respectivement sous le n° 2016-561 QPC et le n° 2016-562 QPC. Elles sont toutes deux relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 696-11 et 696-19 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 juillet
2016 ;
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan
et par Me Bruno Rebstock, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, enregistrées
respectivement les 21 et 20 juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, ainsi que Me Rebstock pour le requérant, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 août 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y répondre par une seule décision.
2. Une question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Le requérant a fait l'objet de deux demandes d'extradition formées, auprès du gouvernement français, successivement par l'Ukraine et la Fédération de Russie. Placé sous écrou extraditionnel dans le cadre de ces procédures d'extradition, il a présenté dans chacune d'entre elles une demande de mise en liberté le 22 février 2016 devant la chambre de l'instruction. Les questions prioritaires de constitutionnalité ont été posées à l'occasion de la contestation des décisions de rejet de ces demandes. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles 696-11 et 696-19 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi du 14 avril 2011 mentionnée ci-dessus.
3. L'article 696-11 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi du 14 avril 2011 prévoit : « À la suite de la
notification de la demande d'extradition, s'il décide de ne pas laisser en
liberté la personne réclamée, le procureur général la présente au premier
président de la cour d'appel ou au magistrat du siège désigné par lui.
« Le premier président de la cour d'appel ou le magistrat du siège désigné par
lui ordonne l'incarcération et le placement sous écrou extraditionnel de la
personne réclamée à la maison d'arrêt du siège de la cour d'appel.
« Toutefois, s'il estime que sa représentation à tous les actes de la procédure
est suffisamment garantie, le premier président de la cour d'appel ou le
magistrat du siège désigné par lui peut soumettre la personne réclamée, jusqu'à
sa comparution devant la chambre de l'instruction, à une ou plusieurs des
mesures prévues aux articles 138 et 142-5. Cette décision est notifiée
verbalement et mentionnée au procès-verbal dont copie lui est remise
sur-le-champ. Elle est susceptible de recours devant la chambre de l'instruction
qui doit statuer dans un délai de cinq jours.
« L'article 696-21 est applicable à la personne recherchée laissée en liberté ou
placée sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence sous
surveillance électronique si elle se soustrait volontairement ou ne respecte pas
les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence sous
surveillance électronique ».
4. L'article 696-19 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi du 14 avril 2011 prévoit : « La mise en liberté
peut être demandée à tout moment à la chambre de l'instruction selon les formes
prévues aux articles 148-6 et 148-7.
« L'avocat de la personne réclamée est convoqué, par lettre recommandée avec
demande d'avis de réception, quarante-huit heures au moins avant la date de
l'audience. La chambre de l'instruction statue après avoir entendu le ministère
public ainsi que la personne réclamée ou son avocat, dans les plus brefs délais
et au plus tard dans les vingt jours de la réception de la demande, par un arrêt
rendu dans les conditions prévues à l'article 199. Si la demande de mise en
liberté a été formée par la personne réclamée dans les quarante-huit heures de
la mise sous écrou extraditionnel, le délai imparti à la chambre de
l'instruction pour statuer est réduit à quinze jours.
« La chambre de l'instruction peut également, lorsqu'elle ordonne la mise en
liberté de la personne réclamée et à titre de mesure de sûreté, astreindre
l'intéressé à se soumettre à une ou plusieurs des obligations énumérées aux
articles 138 et 142-5.
« Préalablement à sa mise en liberté, la personne réclamée doit signaler à la
chambre de l'instruction ou au chef de l'établissement pénitentiaire son
adresse. Elle est avisée qu'elle doit signaler à la chambre de l'instruction,
par nouvelle déclaration ou par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception, tout changement de l'adresse déclarée. Elle est également avisée que
toute notification ou signification faite à la dernière adresse déclarée sera
réputée faite à sa personne.
« Mention de cet avis, ainsi que de la déclaration d'adresse, est portée soit au
procès-verbal, soit dans le document qui est adressé sans délai, en original ou
en copie par le chef de l'établissement pénitentiaire à la chambre de
l'instruction ».
5. Le requérant soutient que les conditions dans lesquelles le premier président de la cour d'appel ou le magistrat du siège qu'il a désigné statue, lorsqu'il est saisi par le procureur général aux fins d'incarcération d'une personne dont l'extradition est demandée, portent atteinte à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée, à la présomption d'innocence, au droit au recours et aux droits de la défense. Selon lui, il en va de même de l'absence de fixation d'une durée maximum d'incarcération et des délais dans lesquels doit être examinée une demande de mise en liberté d'une personne incarcérée dans ce cadre.
6. Au sein de l'article 696-11 du code de procédure pénale, les deuxième et troisième alinéas déterminent les modalités selon lesquelles le premier président de la cour d'appel ou le magistrat du siège qu'il a désigné ordonne l'incarcération de la personne dont l'extradition est demandée. Au sein de l'article 696-19 du code de procédure pénale, les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa fixent les conditions, notamment de délai, dans lesquelles la chambre de l'instruction statue sur une demande de mise en liberté de la personne réclamée. Les questions prioritaires de constitutionnalité portent donc sur les deuxième et troisième alinéas de l'article 696-11 du code de procédure pénale ainsi que sur les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 696-19 du même code.
- Sur les deuxième et troisième alinéas de l'article 696-11 du code de procédure pénale :
7. Le requérant soutient que les dispositions contestées de l'article 696-11 du code de procédure pénale, en ce qu'elles posent le principe de l'incarcération de la personne dont l'extradition est demandée sans permettre au premier président de la cour d'appel ou au magistrat désigné par lui, lorsqu'il est saisi aux fins de prononcer cette incarcération, de laisser en liberté la personne réclamée, imposent une rigueur non nécessaire méconnaissant la liberté individuelle. Selon le requérant, ces dispositions portent également une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la présomption d'innocence et au droit au respect de la vie privée. Il soutient aussi que ces mêmes dispositions méconnaissent les droits de la défense dès lors qu'elles ne conditionnent pas le prononcé de l'incarcération à la tenue préalable d'un débat contradictoire et ne permettent pas à la personne réclamée, lorsqu'elle est présentée devant le premier président de la cour d'appel ou le magistrat désigné par lui, d'être assistée par un avocat. Ces dispositions méconnaîtraient enfin le droit à un recours effectif faute pour la décision de placement en détention de pouvoir être contestée.
8. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.
9. Selon l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.
10. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle. Les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
11. En application des dispositions de l'article 696-11 du code de procédure pénale, dans l'hypothèse où le procureur général décide de ne pas laisser en liberté la personne réclamée, celle-ci doit être présentée au premier président de la cour d'appel ou au magistrat du siège qu'il a désigné. Selon les deuxième et troisième alinéas de ce même article, il appartient à ce magistrat d'ordonner, le cas échéant, l'incarcération de la personne réclamée en fonction de ses garanties de représentation à tous les actes de la procédure. Si ce magistrat estime que cette représentation de la personne réclamée est suffisamment garantie, il peut laisser celle-ci en liberté en la soumettant soit à une mesure de contrôle judiciaire, soit aux obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique. Ces mesures alternatives à l'incarcération sont susceptibles de recours devant la chambre de l'instruction qui doit statuer dans un délai de cinq jours.
12. En premier lieu, les dispositions contestées ne sauraient, sans imposer une rigueur non nécessaire méconnaissant la liberté individuelle ni porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, être interprétées comme excluant la possibilité pour le magistrat du siège saisi aux fins d'incarcération dans le cadre d'une procédure d'extradition de laisser la personne réclamée en liberté sans mesure de contrôle dès lors que celle-ci présente des garanties suffisantes de représentation.
13. En deuxième lieu, le respect des droits de la défense exige que la personne présentée au premier président de la cour d'appel ou au magistrat qu'il a désigné puisse être assistée par un avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions du procureur général.
14. En troisième lieu, ni les dispositions contestées de l'article 696-11 du code de procédure pénale, ni aucune autre disposition législative ne prévoient de recours spécifique à l'encontre de la mesure d'incarcération. Cependant l'article 696-19 du code de procédure pénale reconnaît à la personne placée sous écrou extraditionnel la faculté de demander à tout moment à la chambre de l'instruction sa mise en liberté. À cette occasion, elle peut faire valoir l'irrégularité de l'ordonnance de placement sous écrou extraditionnel. Il en résulte que l'intéressé n'est pas privé de la possibilité de contester la mesure d'incarcération.
15. Par suite, sous les réserves énoncées aux paragraphes 12 et 13, les griefs tirés de ce que les deuxième et troisième alinéas de l'article 696-11 du code de procédure pénale méconnaissent la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, les droits de la défense et le droit à un recours effectif doivent être écartés. Ces dispositions ne méconnaissent, par ailleurs, ni la présomption d'innocence, ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 12 et 13, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 696-19 du code de procédure pénale :
16. Le requérant soutient que les délais impartis à la chambre de l'instruction, par les dispositions contestées de l'article 696-19 du code de procédure pénale, pour statuer sur une demande de mise en liberté formée par une personne placée sous écrou extraditionnel, sont excessifs et qu'il n'existe pas de durée maximale à l'incarcération ordonnée dans ce cadre. Il en déduit que ces dispositions portent atteinte à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée, à la présomption d'innocence, au droit au recours et aux droits de la défense.
17. En premier lieu, en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais. Il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence.
18. La première phrase du deuxième alinéa de l'article 696-19 du code de procédure pénale prévoit que la chambre de l'instruction doit, lorsqu'elle est saisie d'une demande de mise en liberté formée par une personne incarcérée dans le cadre d'une procédure d'extradition, statuer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les vingt jours de la réception de la demande. En application de la deuxième phrase de ce même alinéa, ce délai est réduit à quinze jours lorsque la demande de mise en liberté a été formulée dans les quarante huit heures à compter du placement sous écrou extraditionnel. Ces délais maximums ne sont pas excessifs au regard, notamment, de la nécessité pour le juge de déterminer si la personne présente les garanties suffisantes de représentation à tous les actes de la procédure.
19. En second lieu, ni l'article 696-19 ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximum au placement sous écrou extraditionnel. En outre, il n'existe pas d'obligation d'un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge.
20. Cependant, la personne réclamée peut solliciter à tout instant de la procédure, qu'elle soit juridictionnelle ou administrative, sa mise en liberté devant la chambre de l'instruction.
21. La liberté individuelle ne saurait, toutefois, être tenue pour sauvegardée si l'autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de l'incarcération, en tenant compte notamment des éventuels recours exercés par la personne et des délais dans lesquels les autorités juridictionnelles et administratives ont statué. Ce contrôle exige que l'autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention, dans le cadre de la procédure d'extradition, excède un délai raisonnable.
22. Sous la réserve énoncée au paragraphe 21, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés. Il en est de même des griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée et à la présomption d'innocence.
23. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 21, les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 696-19 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 12 et 13, les deuxième
et troisième alinéas de l'article 696-11 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Sous la réserve énoncée au paragraphe 21, les deuxième et troisième
phrases du deuxième alinéa de l'article 696-19 du code de procédure pénale dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue sont conformes à la Constitution.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 septembre 2016, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juin 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
l'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 78-9 du 4
janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil.
Selon l'interprétation de la Cour de cassation, les dispositions de l'article
1843-4 du code civil exigent que, lors d'une cession de droits sociaux, du
retrait ou d'une exclusion d'un associé, l'expert désigné retienne, pour évaluer
la valeur de ces droits sociaux, en cas de contestation, la date la plus proche
du remboursement des droits sociaux.
Le requérant soutenait en particulier que ces dispositions portent atteinte au
droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que les dispositions contestées,
telles qu'interprétées par la jurisprudence, ne prévoient pas, en elles-mêmes,
la possibilité d'exclure un associé ou de le forcer à se retirer ou à céder ses
titres. Elles se bornent à déterminer la date d'évaluation de la valeur des
droits sociaux et n'entraînent donc pas de privation de propriété au sens de
l'article 17 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé que le délai qui peut s'écouler, en
application de la disposition contestée telle qu'interprétée par la
jurisprudence, entre la décision de sortie de la société et la date de
remboursement des droits sociaux, est susceptible d'entraîner une atteinte au
droit de propriété de l'associé cédant, retrayant ou exclu. Toutefois, pendant
cette période, l'associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit
notamment les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, cet associé
pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la
perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part. Au
regard de leur objectif, qui est de permettre une juste évaluation de la valeur
litigieuse des droits sociaux cédés, les dispositions contestées ne portent donc
pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé conforme à la Constitution l'article 1843
4 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1978.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 681 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Dominique B., par la SELARL Jean-Pierre Marcille, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-563 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1843-4 du code civil, « dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés »
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code
civil ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 4 mai 2010 (chambre commerciale, n°
08-20.693), du 15 janvier 2013 (chambre commerciale, n° 12-11.666) et du 16
septembre 2014 (chambre commerciale, n° 13-17.807) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 juillet
2016 ;
- les observations présentées pour la SELARL Centre d'imagerie scintigraphique
rouennais, partie en défense, par la SCP Potier de la Varde - Buk Lament, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 18 juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jean-Pierre Marcille, avocat au barreau de Rouen, pour le
requérant, Me Vincent Gacouin, avocat au barreau de Rouen, pour la partie en
défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 8 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978 mentionnée ci-dessus dispose : « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible »
2. Selon le requérant, il résulte de ces dispositions telles qu'interprétées par la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la date d'évaluation des droits sociaux est fixée, en l'absence de dispositions statutaires sur ce point, à la date la plus proche du jour de leur remboursement et non à la date de la perte de la qualité d'associé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété et du principe d'égalité devant la loi.
3. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.
4. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort des arrêts mentionnés ci-dessus, que les dispositions contestées prévoient que, pour évaluer la valeur des droits sociaux en cas de contestation sur cette dernière, lors d'une cession, d'un retrait ou d'une exclusion, l'expert désigné doit retenir la date la plus proche du remboursement de ces droits sociaux.
- Sur l'atteinte au droit de propriété :
5. Selon le requérant, l'interprétation de la disposition contestée par la Cour de cassation, en ce qu'elle conduit à retenir comme date d'évaluation des droits sociaux non celle à laquelle l'associé les a cédés, s'est retiré ou a été exclu de la société mais celle qui est la plus proche du remboursement de la valeur de ces droits, méconnaît les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'atteinte au droit de propriété résulterait du fait qu'entre la décision de sortie de la société et la date retenue pour l'évaluation des droits sociaux, l'associé cédant, retrayant ou exclu, qui ne disposerait plus de ses droits de vote, pourrait se voir imposer une perte de valeur sur laquelle il n'aurait aucune prise.
6. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
7. En premier lieu, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence, ne prévoient pas, en elles-mêmes, la possibilité d'exclure un associé ou de le forcer à céder ses titres ou à se retirer. Elles se bornent à déterminer la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux. Elles n'entraînent pas en conséquence de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
8. En second lieu, le délai qui peut s'écouler, en application de la disposition contestée telle qu'interprétée par la jurisprudence, entre la décision de sortie de la société et la date de remboursement des droits sociaux est susceptible d'entraîner une atteinte au droit de propriété de l'associé cédant, retrayant ou exclu. Toutefois, pendant cette période, l'associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit notamment les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, cet associé pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part. Au regard de leur objectif, qui est de permettre une juste évaluation de la valeur litigieuse des droits sociaux cédés, les dispositions contestées ne portent donc pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
- Sur l'atteinte au principe d'égalité :
9. Selon le requérant, en retenant que la valeur des droits sociaux de l'associé cédant, retrayant ou exclu doit être déterminée en se plaçant à la date la plus proche du remboursement de ceux-ci, les dispositions contestées sont à l'origine d'une différence de traiteme sans rapport avec leur objet. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.
10. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
11. Les dispositions contestées fixent dans tous les cas, et quelle que soit la nature des sociétés concernées, la date de l'évaluation à celle qui est la plus proche du remboursement des droits sociaux de l'associé cédant, retrayant ou exclu, sauf disposition contraire des statuts. Elles n'introduisent en conséquence aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
12. L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction résultant de la
loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil
est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15
septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel
JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 16 septembre 2016.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 juin 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les
dispositions du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa
rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative
pour 2012.
Lorsque s'appliquent les pénalités prévues pour défaut de déclaration après une
mise en demeure, exercice d'une activité occulte, insuffisance déclarative
intentionnelle ou opposition à contrôle fiscal, les dispositions contestées
prévoient une sanction privant le contribuable concerné de la possibilité
d'imputer les déficits prévus par les paragraphes I et I bis de l'article 156 du
code général des impôts ainsi que les réductions d'impôt.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions, qui répriment des
manquements particulièrement graves et visent à conférer une effectivité
renforcée à leur répression, poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle
de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et ne méconnaissent pas le
principe de proportionnalité des sanctions.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé conformes à la Constitution les
dispositions du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa
rédaction issue de la loi du 14 mars 2012.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juin 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397983 du 16 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Lucas M. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-564 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « du 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012 ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées les 11 et 26
juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 8 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 1 de l'article 1731 bis du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus prévoit : « Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, les déficits mentionnés aux I et I bis de l'article 156 et les réductions d'impôt ne peuvent s'imputer sur les rehaussements et droits donnant lieu à l'application de l'une des majorations prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 ».
2. Le requérant soutient que les dispositions contestées instituent une sanction, qui méconnaît le principe de proportionnalité des peines dès lors qu'elle n'est pas corrélée au manquement sanctionné mais aux déficits ou réductions d'impôt dont dispose le contribuable. Selon lui, cette sanction méconnaît également le principe d'individualisation des peines dès lors qu'elle n'est pas en lien avec le comportement du contribuable. Enfin, cette sanction méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi dès lors qu'elle ne s'applique qu'au contribuable disposant de déficits ou de réductions d'impôt.
- Sur la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 :
3. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une pénalité fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.
4. Les dispositions des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts instituent des pénalités qui sanctionnent respectivement le défaut de déclaration après une mise en demeure, l'exercice d'une activité occulte, l'insuffisance déclarative intentionnelle et l'opposition à contrôle fiscal. Ces pénalités sont calculées sur la base des droits éludés. Les dispositions contestées privent le contribuable, par dérogation aux règles de droit commun relatives à l'établissement de l'impôt sur le revenu, de la possibilité d'imputer, sur les rehaussements d'assiette consécutifs aux manquements donnant lieu à l'application de ces pénalités, les déficits prévus par les paragraphes I et I bis de l'article 156 du même code. Elles le privent également de la possibilité d'imputer les réductions d'impôt sur les droits rappelés. Dans les deux cas, il en résulte une majoration des droits rappelés et, par voie de conséquence, de l'ensemble des pénalités.
5. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu priver le contribuable disposant de déficits ou bénéficiant de réductions d'impôt de la possibilité de les utiliser ou de les faire valoir pour diminuer l'impôt rappelé et les pénalités correspondantes. Il a ainsi entendu conférer une effectivité renforcée à la répression des manquements mentionnés ci-dessus. Ce faisant, il a, par une sanction ayant le caractère d'une punition, poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
6. La sanction instituée par les dispositions contestées s'applique uniquement lorsque sont encourues les pénalités qui répriment les manquements particulièrement graves mentionnés ci-dessus. Compte tenu des dispositions contestées, les pénalités prononcées sur le fondement des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts sont proportionnées aux manquements réprimés.
7. Pour chaque pénalité prononcée sur le fondement des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du code général des impôts, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la pénalité, soit d'en dispenser le contribuable s'il n'a pas commis les manquements réprimés. En outre, les dispositions contestées assurent l'effectivité des pénalités mentionnées ci-dessus, en faisant obstacle à ce qu'un contribuable échappe, de fait, au moyen des déficits et réductions d'impôt dont il dispose ou bénéficie, aux sanctions prévues par le législateur pour les manquements réprimés.
8. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
- Sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
9. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Les contribuables encourant les pénalités prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 du code général des impôts ne sont pas placés dans la même situation selon qu'ils disposent ou non de déficits ou qu'ils bénéficient ou non de réductions d'impôt. En outre, la différence de traitement qui résulte de l'application des dispositions contestées est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui confère une effectivité renforcée à la répression des manquements visés aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 du code général des impôts. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
11. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions du 1 de l'article 1731 bis du code général des
impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances
rectificative pour 2012 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 juin 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397366 du 20 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Assemblée des départements de France par Me Bernard de Froment, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-565 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale
de la République ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'Assemblée des départements de France par Me
de Froment, enregistrées le 18 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 18
juillet et 2 août 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me de Froment pour l'Assemblée des départements de France et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8
septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 3211-1 du code général des collectivités
territoriales prévoit, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015
mentionnée ci-dessus : « Le conseil départemental règle par ses délibérations
les affaires du département dans les domaines de compétences que la loi lui
attribue.
« Il est compétent pour mettre en œuvre toute aide ou action relative à la
prévention ou à la prise en charge des situations de fragilité, au développement
social, à l'accueil des jeunes enfants et à l'autonomie des personnes. Il est
également compétent pour faciliter l'accès aux droits et aux services des
publics dont il a la charge.
« Il a compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale
sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie
et des attributions des régions et des communes ».
2. L'association requérante estime qu'en supprimant la clause dite « de compétence générale » reconnue aux départements, sans prévoir de dispositif leur permettant d'intervenir dans les domaines pour lesquels aucune autre personne publique ne dispose d'une compétence attribuée par la loi, le législateur a méconnu le principe de libre administration des collectivités territoriales. Elle soutient qu'un tel dispositif est rendu nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010 mentionnée ci-dessus, qui en aurait fait une condition du respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
3. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « dans les domaines de compétences que la loi lui attribue » figurant au premier alinéa de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales.
4. Selon le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus « dans les conditions prévues par la loi ». L'article 34 de la Constitution détermine les principes fondamentaux « de leurs compétences ». Ces dispositions impliquent que toute collectivité territoriale doit disposer d'une assemblée délibérante élue dotée par la loi d'attributions effectives, qu'il est loisible au législateur d'énumérer limitativement.
5. D'une part, le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution n'implique pas, par lui-même, que les collectivités territoriales doivent pouvoir intervenir dans les domaines pour lesquels aucune autre personne publique ne dispose d'une compétence attribuée par la loi.
6. D'autre part, compte tenu de l'étendue des attributions dévolues aux départements par les dispositions législatives en vigueur, qu'il s'agisse de compétences exclusives, de compétences partagées avec d'autres catégories de collectivités territoriales ou de compétences susceptibles d'être déléguées par d'autres collectivités territoriales, les dispositions contestées ne privent pas les départements d'attributions effectives.
7. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales doit être écarté.
8. Les mots « dans les domaines de compétences que la loi lui attribue » figurant au premier alinéa de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « dans les domaines de compétences que la loi lui
attribue » figurant au premier alinéa de l'article L. 3211-1 du code général des
collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-991
du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, notamment
son article 13 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-565 QPC du 16 septembre 2016,
publiée au Journal officiel de la République française du 18 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon la première phrase de l'article 13 du règlement du 4 février 2010 mentionné ci-dessus : « Si le Conseil constitutionnel constate qu'une de ses décisions est entachée d'une erreur matérielle, il peut la rectifier d'office, après avoir provoqué les explications des parties et des autorités mentionnées à l'article 1er ».
2. La deuxième phrase du paragraphe 4 de la décision n° 2016-565 QPC comporte une erreur matérielle relative à la norme qui détermine les principes fondamentaux des compétences des collectivités territoriales. Il y a lieu de procéder d'office à la rectification de cette erreur.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Dans la deuxième phrase du paragraphe 4 de la décision n° 2016-565
QPC du 16 septembre 2016 publiée au Journal officiel de la République française
le 18 septembre 2016, après les mots « L'article 34 de la Constitution »,
insérer les mots « prévoit que la loi » ... (le reste sans changement).
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 juin 2016 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
l'article 197 du code de procédure pénale.
Cet article est relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles le dossier
déposé au greffe de la chambre de l'instruction est mis à la disposition des
parties.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ont pour effet
de priver les parties non assistées par un avocat de la possibilité d'avoir
connaissance des réquisitions du ministère public devant la chambre de
l'instruction. Cette exclusion instaure une différence de traitement entre les
parties selon qu'elles sont ou non représentées par un avocat. D'une part, dès
lors qu'est reconnue aux parties la liberté d'être assistées par un avocat ou de
se défendre seules, le respect du principe du contradictoire et des droits de la
défense exige que toutes les parties à une instance devant la chambre de
l'instruction puissent avoir connaissance des réquisitions du ministère public
jointes au dossier de la procédure. D'autre part, cette différence de traitement
ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée,
la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs
d'infraction, auxquels concourt le secret de l'information.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les troisième
et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.
L'abrogation de ces dispositions prend effet au 31 décembre 2017. Jusqu'à cette
date, à compter de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions des
troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale ne
sauraient être interprétées comme interdisant aux parties à une instance devant
la chambre de l'instruction, non assistées par un avocat, d'avoir connaissance
des réquisitions du procureur général jointes au dossier de la procédure.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3782 du 21 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Marie-Lou B. et M. Kevin B. par la SCP Celice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-566 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 197 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18
juillet 2016 ;
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Celice, Soltner,
Texidor, Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 2 août 2016 ;
- les observations en intervention présentées par M. Bruno S., enregistrées les
18 juillet et 10 août 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bertrand Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 8 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation contre une décision rendue par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 6 juin 2014. Dès lors que l'article 197 du code de procédure pénale est relatif à la procédure applicable devant cette chambre, le Conseil constitutionnel est saisi de cet article dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 197 du code de procédure pénale, dans cette
rédaction, prévoit : « Le procureur général notifie par lettre recommandée à
chacune des parties et à son avocat la date à laquelle l'affaire sera appelée à
l'audience. La notification est faite à la personne détenue par les soins du
chef de l'établissement pénitentiaire qui adresse, sans délai, au procureur
général l'original ou la copie du récépissé signé par la personne. La
notification à toute personne non détenue, à la partie civile ou au requérant
mentionné au cinquième alinéa de l'article 99 est faite à la dernière adresse
déclarée tant que le juge d'instruction n'a pas clôturé son information.
« Un délai minimum de quarante-huit heures en matière de détention provisoire,
et de cinq jours en toute autre matière, doit être observé entre la date d'envoi
de la lettre recommandée et celle de l'audience.
« Pendant ce délai, le dossier est déposé au greffe de la chambre de
l'instruction et tenu à la disposition des avocats des personnes mises en examen
et des parties civiles dont la constitution n'a pas été contestée ou, en cas de
contestation, lorsque celle-ci n'a pas été retenue.
« Copie leur en est délivrée sans délai, à leurs frais, sur simple requête
écrite. Ces copies ne peuvent être rendues publiques ».
3. Selon les requérants, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité et le principe du contradictoire en ce qu'elles ne permettent pas aux parties à une instance devant la chambre de l'instruction d'avoir connaissance des réquisitions du procureur général lorsqu'elles ne sont pas assistées par un avocat.
4. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que les réquisitions du ministère public devant la chambre de l'instruction sont jointes au plus tard la veille de l'audience au dossier de la procédure. Les troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale fixent les conditions dans lesquelles les parties devant la chambre de l'instruction peuvent accéder au dossier de la procédure déposé au greffe et en obtenir copie. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale.
- Sur l'intervention :
5. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.
6. Si M. Bruno S. a posé une question prioritaire de constitutionnalité devant un tribunal administratif, celle-ci portait sur une autre disposition législative que celle qui fait l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Par ailleurs, le seul fait d'être ou d'avoir été partie à une instance devant une chambre de l'instruction ne saurait constituer, en l'espèce, un intérêt spécial. Par conséquent, son intervention n'est pas admise.
- Sur le fond :
7. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». L'article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense.
8. En application des dispositions de l'article 194 du code de procédure pénale, lorsque la chambre de l'instruction est saisie, le procureur général met l'affaire en état et la lui soumet avec son réquisitoire. Le premier alinéa de l'article 197 du même code indique que le procureur général notifie à chacune des parties et à leur avocat, par lettre recommandée, la date de l'audience. Selon les troisième et quatrième alinéas de ce même article, entre la date d'envoi de la lettre de notification et celle de l'audience, le dossier de la procédure déposé au greffe, auquel sont jointes les réquisitions du ministère public, est tenu à la disposition des avocats de la personne mise en examen et des parties civiles. Ceux-ci peuvent le consulter sur place ou en obtenir une copie sur simple requête écrite.
9. Les dispositions contestées ont pour effet de priver les parties non assistées par un avocat de la possibilité d'avoir connaissance des réquisitions du ministère public devant la chambre de l'instruction. Cette exclusion instaure une différence de traitement entre les parties selon qu'elles sont ou non représentées par un avocat. D'une part, dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté d'être assistées par un avocat ou de se défendre seules, le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense exige que toutes les parties à une instance devant la chambre de l'instruction puissent avoir connaissance des réquisitions du ministère public jointes au dossier de la procédure. D'autre part, cette différence de traitement ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'information.
10. Par conséquent, les troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale doivent être déclarés contraires à la Constitution.
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. En premier lieu, l'abrogation immédiate des troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale aurait pour effet de supprimer des dispositions permettant aux parties devant la chambre de l'instruction, assistées par un avocat, d'avoir accès au dossier de la procédure. Elle les priverait également de la possibilité d'en obtenir une copie. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter au 31 décembre 2017 la date de cette abrogation.
13. En second lieu, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de procédure pénale ne sauraient être interprétées comme interdisant, à compter de cette publication, aux parties à une instance devant la chambre de l'instruction non assistées par un avocat, d'avoir connaissance des réquisitions du procureur général jointes au dossier de la procédure.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'intervention de M. Bruno S. n'est pas admise.
Article 2.- Les troisième et quatrième alinéas de l'article 197 du code de
procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-516 du 15 juin
2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes sont contraires à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 prend effet
dans les conditions prévues aux paragraphes 12 et 13 de cette décision.
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7
novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 juin 2016 par la
Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant
sur les dispositions du 1° de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n°
60-372 du 15 avril 1960.
Par sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel
avait jugé conformes à la Constitution les dispositions issues de la loi du 20
novembre 2015 permettant à l'autorité administrative d'ordonner des
perquisitions lorsque l'état d'urgence est déclaré.
Le Conseil constitutionnel était cette fois saisi des dispositions de la loi
relative à l'état d'urgence permettant d'ordonner des perquisitions
administratives dans leur version antérieure à la loi du 20 novembre 2015.
Sur la période récente, ces dispositions ont trouvé à s'appliquer entre le 14
novembre 2015, date de la déclaration d'état d'urgence, et l'entrée en vigueur
de la loi du 20 novembre 2015.
Après avoir jugé que les dispositions contestées ont un caractère législatif, le
Conseil constitutionnel a considéré qu'en ne soumettant le recours aux
perquisitions à aucune condition et en n'encadrant leur mise en œuvre d'aucune
garantie, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre
l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le
droit au respect de la vie privée.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé les dispositions contestées contraires à
la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que la remise en cause des actes de
procédure pénale consécutifs à une perquisition décidée sur le fondement des
dispositions jugées contraires à la Constitution méconnaîtrait l'objectif de
valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et aurait des
conséquences manifestement excessives. Le Conseil a donc précisé que les mesures
prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution
ne peuvent, dans le cadre de l'ensemble des procédures pénales qui leur sont
consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 3780 et 3781 du 21 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. L'une a été posée pour M. Georges F., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, l'autre pour M. Nordine B., par la SCP Didier et Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel respectivement sous le n° 2016-567 QPC et le n° 2016-568 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des
institutions de la Ve République ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la
loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence ;
- la loi n° 85-96 du 25 janvier 1985 relative à l'état d'urgence en
Nouvelle-Calédonie et dépendances ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses
dispositions ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Georges F. par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées les 18 juillet et 1er août 2016 ;
- les observations présentées pour M. Nordine B. par la SCP Didier et Pinet,
enregistrées les 18 juillet et 2 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18
juillet 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 18 juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 13 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus a été réécrit par le septième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 15 avril 1960 mentionnée ci-dessus. Il détermine les mesures spécifiques pouvant être prévues par une disposition expresse du décret déclarant l'état d'urgence ou de la loi le prorogeant. Son 1° dispose ainsi que ce décret ou cette loi peut : « Conférer aux autorités administratives visées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ».
3. Les requérants et l'association intervenante soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles permettent à des autorités administratives d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit sans prévoir de garantie en ce qui concerne leurs motifs et leurs conditions, méconnaissent le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif. Ils soutiennent également que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés précédemment mentionnés.
- Sur les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel :
4. Selon le premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative.
5. Antérieurement à la modification de l'article 38 de la Constitution par l'article 14 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 mentionnée ci-dessus, la ratification de tout ou partie des dispositions d'une ordonnance prise en application de l'article 38 de la Constitution pouvait résulter d'une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l'impliquait nécessairement.
6. La loi du 25 janvier 1985 mentionnée ci-dessus a, après une interruption, rétabli l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie jusqu'au 30 juin 1985. Cette loi a, par une disposition expresse, mis en application le 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 en conférant au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit. Ainsi, la loi du 25 janvier 1985, sans avoir pour objet direct la ratification du septième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 15 avril 1960, a, en rendant applicables les dispositions contestées, impliqué nécessairement une telle ratification. Par suite, les dispositions du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960 revêtent le caractère de dispositions législatives. Il y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de se prononcer sur la constitutionnalité de celles-ci.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
7. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la sauvegarde des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure le droit au respect de la vie privée, en particulier de l'inviolabilité du domicile, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
8. Les mesures prévues par les dispositions contestées ne peuvent être ordonnées par le ministre de l'intérieur pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, ou par le préfet dans le département, que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone couverte par cet état d'urgence. L'état d'urgence peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Toutefois, en ne soumettant le recours aux perquisitions à aucune condition et en n'encadrant leur mise en œuvre d'aucune garantie, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 15 avril 1960, qui méconnaissent l'article 2 de la Déclaration de 1789, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. L'article 4 de la loi du 20 novembre 2015 mentionnée ci-dessus a donné une nouvelle rédaction à l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, dont le paragraphe I fonde le nouveau régime des perquisitions réalisées dans le cadre de l'état d'urgence. Dans sa décision n° 2016-536 QPC mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans cette rédaction à l'exception de celles de la seconde phrase de son troisième alinéa relatives aux saisies de données informatiques. Dès lors, il n'y a pas lieu, en l'espèce, de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions contestées. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision.
11. En revanche, la remise en cause des actes de procédure pénale consécutifs à une mesure prise sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l'ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les dispositions du 1° de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3
avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de
l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la
loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence sont contraires à la
Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées
aux paragraphes 10 et 11.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29
juin 2016 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
portant sur les dispositions de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale et
de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction
issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des
peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.
L'article 41-1-1 du code de procédure pénale crée une procédure qui permet à
l'officier de police judiciaire, tant que l'action publique n'est pas mise en
mouvement, de transiger sur la poursuite de certaines contraventions et de
certains délits.
Le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d'interprétation et
partiellement censuré cet article.
D'une part, la réserve d'interprétation impose, pour la conclusion d'une
transaction, d'informer la personne suspectée d'avoir commis une infraction de
son droit à être assistée de son avocat avant d'accepter la proposition qui lui
est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu'elle est placée en garde
à vue.
D'autre part, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur a méconnu
l'étendue de sa compétence en renvoyant au pouvoir réglementaire la fixation de
la valeur de l'objet volé en-deçà de laquelle il est possible de proposer une
transaction pénale à l'auteur d'un vol.
L'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure prévoit des échanges
d'informations entre, d'une part, au sein des conseils départementaux de
prévention de la délinquance, l'état-major de sécurité, ou, au sein des zones de
sécurité prioritaires, la cellule de coordination opérationnelle des forces de
sécurité intérieure et, d'autre part, les juridictions de l'application des
peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation.
Ces dispositions ont pour objectif d'améliorer le suivi et le contrôle des
personnes condamnées, de favoriser l'exécution des peines et de prévenir la
récidive.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en ne définissant pas la nature
des informations concernées ni limité leur champ, le législateur a, s'agissant
de cet objectif, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la
vie privée.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution le 4° du
paragraphe I de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale et les mots « et
peuvent se voir transmettre par ces mêmes juridictions et ce même service toute
information que ceux-ci jugent utile au bon déroulement du suivi et du contrôle
de ces personnes » figurant au 4° du paragraphe I de l'article L. 132-10-1 du
code de la sécurité intérieure, dans leur version issue de la loi du 15 août
2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des
sanctions pénales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 juin 2016 par le Conseil d'État (décision n° 395321 du 27 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France, par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-569 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale et de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines
et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les syndicats requérants par la SCP Sevaux et
Mathonnet, enregistrées le 21 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les syndicats requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 13 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
- Sur l'article 41-1-1 du code de procédure pénale :
1. L'article 41-1-1 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à
l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions, prévoit
: « I. - L'officier de police judiciaire peut, tant que l'action publique n'a
pas été mise en mouvement et sur autorisation du procureur de la République,
transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite
:
« 1° Des contraventions prévues par le code pénal, à l'exception des
contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l'action publique
est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire en application de l'article
529 ;
« 2° Des délits prévus par le code pénal et punis d'une peine d'amende ;
« 3° Des délits prévus par le même code et punis d'un an d'emprisonnement au
plus, à l'exception du délit d'outrage prévu au deuxième alinéa de l'article
433-5 dudit code ;
« 4° Du délit prévu à l'article 311-3 du même code, lorsque la valeur de la
chose volée est inférieure à un seuil fixé par décret ;
« 5° Du délit prévu à l'article L. 3421-1 du code de la santé publique ;
« 6° Du délit prévu au premier alinéa de l'article L. 126-3 du code de la
construction et de l'habitation.
« Lorsque le procureur de la République autorise le recours à la transaction en
application du présent article, l'officier de police judiciaire peut soumettre
l'auteur de l'infraction, compte tenu de ses ressources et de ses charges, à
l'obligation de consigner une somme d'argent, en vue de garantir le paiement de
l'amende mentionnée au 1° du II ou, le cas échéant, de l'amende prononcée en cas
de poursuites et de condamnation dans les conditions prévues au dernier alinéa
du III.
« La transaction autorisée par le procureur de la République, proposée par
l'officier de police judiciaire et acceptée par l'auteur de l'infraction est
homologuée par le président du tribunal de grande instance ou par un juge par
lui désigné, après avoir entendu, s'il y a lieu, l'auteur de l'infraction
assisté, le cas échéant, par son avocat.
« II. - La proposition de transaction est déterminée en fonction des
circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité et de la
situation matérielle, familiale et sociale de son auteur ainsi que de ses
ressources et de ses charges. Elle fixe :
« 1° L'amende transactionnelle due par l'auteur de l'infraction et dont le
montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue ;
« 2° Le cas échéant, l'obligation pour l'auteur de l'infraction de réparer le
dommage résultant de celle-ci ;
« 3° Les délais impartis pour le paiement et, s'il y a lieu, l'exécution de
l'obligation de réparer le dommage.
« III. - L'acte par lequel le président du tribunal de grande instance ou le
juge par lui désigné homologue la proposition de transaction est interruptif de
la prescription de l'action publique.
« L'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté dans
les délais impartis l'intégralité des obligations résultant pour lui de
l'acceptation de la transaction.
« En cas de non-exécution de l'intégralité des obligations dans les délais
impartis ou de refus d'homologation, le procureur de la République, sauf élément
nouveau, met en œuvre les mesures prévues à l'article 41-1 ou une composition
pénale, ou engage des poursuites.
« IV. - Les opérations réalisées par l'officier de police judiciaire en
application des I et II du présent article sont relatées dans un seul
procès-verbal.
« V. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d'État. »
2. Les syndicats requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le droit à un procès équitable et les droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le droit au respect de la présomption d'innocence reconnu par l'article 9 de cette Déclaration. Ils soutiennent également que ces dispositions portent atteinte à l'article 34 de la Constitution et au principe de « légalité procédurale » qui découlerait des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789.
En ce qui concerne la méconnaissance des exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
3. Selon les syndicats requérants, la procédure prévue à l'article 41-1-1 du code de procédure pénale ne présente pas les caractères d'une transaction librement consentie et exécutée. En effet, d'une part, la personne à laquelle la transaction est proposée serait exposée à un risque de pression résultant directement de la qualité et des pouvoirs de l'officier de police judiciaire qui présente cette proposition. D'autre part, la faculté reconnue à ce dernier d'exiger la consignation d'une somme correspondant au montant de l'amende transactionnelle conférerait un caractère exécutoire à cette amende.
4. Les syndicats requérants soutiennent qu'il appartenait, par conséquent, au législateur d'entourer cette procédure de garanties propres à assurer le respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Or, selon eux, les dispositions contestées n'ont prévu ni d'informer l'intéressé de son droit à être assisté d'un avocat, ni de porter à sa connaissance les faits qui lui sont reprochés, leur qualification pénale et la peine encourue. Elles n'auraient pas non plus exclu que la mesure de transaction pénale puisse être proposée pendant une garde à vue, alors que s'exerce une contrainte sur la personne à laquelle l'infraction est reprochée. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un procès équitable et des droits de la défense reconnus par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
5. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense.
6. L'article 41-1-1 du code de procédure pénale est relatif à la procédure par laquelle, tant que l'action publique n'est pas mise en mouvement, un officier de police judiciaire peut transiger sur la poursuite de certaines contraventions et de certains délits. La proposition de transaction doit être autorisée par le procureur de la République et acceptée par l'auteur de l'infraction. Elle est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité et de la situation de l'auteur des faits. Elle précise le montant de l'amende transactionnelle due, qui ne peut être supérieure au tiers de l'amende encourue, l'obligation faite à l'auteur de l'infraction de réparer les dommages causés, ainsi que les délais impartis pour sa mise en œuvre. La transaction est homologuée par le président du tribunal de grande instance ou le juge désigné par lui, après avoir entendu, le cas échéant, la personne concernée, éventuellement assistée de son avocat. L'action publique est éteinte si l'auteur de l'infraction exécute, dans les délais impartis, les obligations mises à sa charge. Par ailleurs, lorsque la proposition de transaction a été autorisée par le procureur de la République, l'officier de police peut soumettre l'auteur de l'infraction à l'obligation de consigner une somme d'argent en vue de garantir le paiement de l'amende transactionnelle ou de celle à laquelle il pourrait être condamné, en cas de poursuites.
7. En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les syndicats requérants, les dispositions relatives à la consignation d'une somme d'argent en vue de garantir le paiement de l'amende transactionnelle ne confèrent pas à cette dernière un caractère exécutoire, puisque l'auteur de l'infraction peut toujours, même après l'homologation, refuser d'acquitter la somme due. La circonstance que le décret pris en application des dispositions contestées aurait conféré un tel caractère exécutoire à la mesure transactionnelle en prévoyant que la consignation valait paiement, une fois la transaction homologuée, ne saurait à cet égard être prise en compte, dans l'exercice de son contrôle, par le Conseil constitutionnel.
8. En second lieu, pour que les droits de la défense soient assurés dans le cadre d'une procédure de transaction ayant pour objet l'extinction de l'action publique, la procédure de transaction doit reposer sur l'accord libre et non équivoque, avec l'assistance éventuelle de son avocat, de la personne à laquelle la transaction est proposée.
9. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les droits de la défense, autoriser qu'une transaction soit conclue sans que la personne suspectée d'avoir commis une infraction ait été informée de son droit à être assistée de son avocat avant d'accepter la proposition qui lui est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu'elle est placée en garde à vue.
10. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées, qui n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition, ne portent aucune atteinte aux exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
. En ce qui concerne la méconnaissance de la présomption d'innocence :
11. Selon les syndicats requérants, en n'interdisant pas que les déclarations de l'auteur de l'infraction, faites à l'occasion de la procédure de transaction, puissent être ensuite utilisées contre lui, dans le cadre des poursuites engagées en cas d'échec de la transaction, les dispositions contestées méconnaîtraient la présomption d'innocence.
12. Ni le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, qui découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une personne suspectée d'avoir commis une infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une peine, s'acquitter d'une amende transactionnelle ou exécuter des mesures de nature à faire cesser l'infraction ou à en réparer les conséquences. Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissent pas la présomption d'innocence.
. En ce qui concerne la méconnaissance par le législateur de sa compétence :
13. Les syndicats requérants soutiennent qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition de la valeur de l'objet volé, en deçà de laquelle une transaction pénale peut intervenir, le législateur n'a pas respecté la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en matière pénale et porté atteinte au « principe de légalité procédurale » qui découlerait des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789.
14. Selon le premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
15. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale. Il incombe à cet titre au législateur de déterminer les conditions d'extinction de l'action publique.
16. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». S'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
17. Le 4° du paragraphe I de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale prévoit qu'un décret fixe la valeur de l'objet volé en-deçà de laquelle il est possible de proposer à l'auteur d'un vol une transaction pénale. En renvoyant ainsi au pouvoir réglementaire le soin de délimiter le champ d'application d'une procédure ayant pour objet l'extinction de l'action publique, le législateur a méconnu sa compétence dans des conditions affectant l'égalité devant la procédure pénale.
18. Le 4° du paragraphe I de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution.
19. Sous la réserve énoncée au paragraphe 9, les autres dispositions de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure :
20. L'article L. 132-10-1 du code de la sécurité
intérieure prévoit, dans sa rédaction issue de la loi du 15 août 2014 mentionnée
ci-dessus : « I.- Au sein du conseil départemental de prévention de la
délinquance et, le cas échéant, de la zone de sécurité prioritaire, l'état-major
de sécurité et la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité
intérieure sont chargés d'animer et de coordonner, sur leur territoire, les
actions conduites par l'administration pénitentiaire, les autres services de
l'État, les collectivités territoriales, les associations et les autres
personnes publiques ou privées, en vue de favoriser l'exécution des peines et
prévenir la récidive.
« Dans le cadre de leurs attributions, l'état-major de sécurité et la cellule de
coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure :
« 1° Sont informés par le procureur de la République, au moins une fois par an,
de la politique pénale mise en œuvre sur leur territoire ;
« 2° Examinent et donnent leur avis sur les conditions de mise en œuvre des
mesures prévues à l'article 41-1 du code de procédure pénale ;
« 3° Organisent les modalités du suivi et du contrôle en milieu ouvert, par les
services et personnes publiques ou privées mentionnés au premier alinéa du
présent I, des personnes condamnées sortant de détention, désignées par
l'autorité judiciaire compte tenu de leur personnalité, de leur situation
matérielle, familiale et sociale ainsi que des circonstances de la commission
des faits ;
« 4° Informent régulièrement les juridictions de l'application des peines ainsi
que le service pénitentiaire d'insertion et de probation des conditions de mise
en œuvre, dans le ressort, du suivi et du contrôle des personnes désignées en
application du 3° du présent I et peuvent se voir transmettre par ces mêmes
juridictions et ce même service toute information que ceux-ci jugent utile au
bon déroulement du suivi et du contrôle de ces personnes.
« II.- Les informations confidentielles échangées en application du I du présent
article ne peuvent être communiquées à des tiers.
« L'échange d'informations est réalisé selon les modalités prévues par un
règlement intérieur établi par le conseil départemental de prévention de la
délinquance sur la proposition des membres des groupes de travail mentionnés au
premier alinéa.
« III.- Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d'État ».
21. Les syndicats requérants reprochent à ces dispositions de méconnaître la garantie des droits proclamée à l'article 16 de la Déclaration de 1789 et la liberté individuelle protégée par l'article 66 de la Constitution. En confiant à des autorités administratives une mission d'organisation des modalités de suivi et de contrôle en milieu ouvert de personnes condamnées, les dispositions contestées empiéteraient sur les prérogatives de l'autorité judiciaire en matière d'exécution des peines. Par ailleurs, en prévoyant l'échange d'informations entre ces autorités administratives et l'autorité judiciaire, le législateur aurait méconnu le droit au respect de la vie privée découlant de l'article 2 de la Déclaration de 1789.
22. En conséquence, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les 3° et 4° du paragraphe I de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure.
23. En premier lieu, aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de confier à des autorités autres que des juridictions judiciaires le soin de fixer certaines modalités d'exécution des peines. En se bornant à prévoir que l'état-major de sécurité et la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure organisent les modalités du suivi et du contrôle des seules personnes condamnées qui leur sont désignées à cette fin par l'autorité judiciaire, les dispositions contestées ne méconnaissent aucune des prérogatives constitutionnelles des juridictions judiciaires en matière d'exécution des peines. Les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et de l'article 66 de la Constitution doivent donc être écartés.
24. En second lieu, selon l'article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée. Les échanges d'informations entre, d'une part, l'état-major de sécurité et la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure et, d'autre part, les juridictions de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation, sont susceptibles de porter atteinte à ce droit. Pour être conformes à la Constitution, ces atteintes doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
25. En prévoyant ces échanges d'informations, le législateur a entendu, en améliorant le suivi et le contrôle des personnes condamnées, favoriser l'exécution des peines et prévenir la récidive. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
26. Toutefois, le législateur a prévu que puisse être transmise à l'état-major de sécurité et à la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure « toute information » que les juridictions de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation « jugent utile » au bon déroulement du suivi et du contrôle des personnes condamnées, sans définir la nature des informations concernées, ni limiter leur champ. Ce faisant, même s'il s'agissait d'améliorer le suivi et le contrôle des personnes condamnées, de favoriser l'exécution des peines et de prévenir la récidive, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
27. En conséquence, les mots : « et peuvent se voir transmettre par ces mêmes juridictions et ce même service toute information que ceux-ci jugent utile au bon déroulement du suivi et du contrôle de ces personnes » figurant au 4° du paragraphe I de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure doivent être déclarés contraires à la Constitution.
28. Les dispositions du 3° et les autres dispositions du 4° du paragraphe I de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur les effets des déclarations d'inconstitutionnalité :
29. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
30. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les déclarations d'inconstitutionnalité du 4° du paragraphe I de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale et celle des mots : « et peuvent se voir transmettre par ces mêmes juridictions et ce même service toute information que ceux-ci jugent utile au bon déroulement du suivi et du contrôle de ces personnes » figurant au 4° du paragraphe I de l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure prennent effet à compter de la date de la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sont contraires à la Constitution :
- le 4° du paragraphe I de l'article 41-1-1 du code de procédure pénale dans sa
rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à
l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
;
- les mots : « et peuvent se voir transmettre par ces mêmes juridictions et ce
même service toute information que ceux-ci jugent utile au bon déroulement du
suivi et du contrôle de ces personnes » figurant au 4° du paragraphe I de
l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue
de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines
et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au
paragraphe 30.
Article 3.- Sont conformes à la Constitution :
- sous la réserve énoncée au paragraphe 9, les autres dispositions de l'article
41-1-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi mentionnée
à l'article 1er ;
- les dispositions du 3° et les autres dispositions du 4° du paragraphe I de
l'article L. 132-10-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue
de la loi mentionnée à l'article 1er.
Article 4.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 747 du 28 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Pierre M., par la SCP Baraduc Duhamel Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-570 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 6° de l'article L. 653-5 du code de commerce.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Baraduc Duhamel
Rameix, enregistrées les 21 juillet et 5 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Rameix-Seguin, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 20 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 653-5 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2005 mentionnée ci-dessus, énumère les faits susceptibles de conduire à la condamnation pour faillite personnelle, par le juge civil ou commercial, de certains professionnels ou dirigeants de société mentionnés à l'article L. 653-1 du même code, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dont ils font l'objet. Le 6° de cet article prévoit qu'est, à ce titre, susceptible de conduire à une telle condamnation, le fait d'« avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ».
2. Selon le requérant, il résulte de cette disposition combinée avec celles des articles L. 653-8, L. 654-1, L. 654-2 et L. 654-6 du code de commerce, qu'une même personne peut être condamnée à la faillite personnelle ou à une interdiction de gérer, par le juge civil ou commercial et par le juge pénal, pour des faits identiques, liés à une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière. En permettant un tel cumul de poursuites et de sanctions, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes de nécessité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
3. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
4. D'une part, en application de l'article L. 653-1 et du 6° de l'article L. 653-5 du code de commerce, dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le juge civil ou commercial peut prononcer la faillite personnelle d'une personne physique exerçant une activité commerciale ou artisanale, d'un agriculteur, ou de toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle libérale ou dirigeant une personne morale, lorsque ces personnes ont fait disparaître des documents comptables, qu'elles n'ont pas tenu de comptabilité ou qu'elles ont tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables aux personnes exerçant une activité professionnelle indépendante et soumise, à ce titre, à des règles disciplinaires propres. En vertu de l'article L. 653-2 du même code, la sanction de faillite personnelle emporte interdiction de gérer toute entreprise, exploitation agricole ou personne morale. Par ailleurs, en application de l'article L. 643-11 du même code, les créanciers recouvrent leur droit de poursuite personnelle à l'encontre du failli. Enfin, le juge peut, en application de l'article L. 653-10, assortir la mesure de faillite personnelle d'une incapacité d'exercer une fonction publique élective, pour la même durée, dans la limite de cinq ans.
5. Compte tenu des conséquences qu'il a attachées à la faillite personnelle, ainsi que de la généralité, au regard du manquement en cause, de la mesure d'interdiction de gérer qu'il a retenue, le législateur a entendu, en instituant de telles mesures, assurer la répression, par le juge civil ou commercial, des manquements dans la tenue d'une comptabilité. Ces mesures doivent par conséquent être regardées comme des sanctions ayant le caractère de punition.
6. D'autre part, en application de l'article L. 654-2 du code de commerce, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le juge pénal peut condamner pour banqueroute les personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale, les agriculteurs, les personnes exerçant une activité professionnelle indépendante, celles dirigeant ou ayant liquidé une personne morale. Cette condamnation est notamment encourue lorsque ces personnes ont tenu une comptabilité fictive, fait disparaître des documents comptables se sont abstenues de tenir toute comptabilité ou lorsqu'elles ont tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière. Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende par l'article L. 654-3 du code de commerce. Ces peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende par l'article L. 654-4 lorsque l'auteur ou le complice est un dirigeant d'une entreprise prestataire de services d'investissement. Parmi les peines complémentaires prévues à l'article L. 654-5, les personnes physiques encourent non seulement l'interdiction de gérer une entreprise commerciale ou industrielle, mais aussi l'interdiction d'exercer une fonction publique ou l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'exclusion des marchés publics, l'interdiction d'émettre des chèques et l'affichage ou la diffusion de la décision. Enfin, en application de l'article L. 654-6, le juge pénal peut, sous certaines conditions, prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer non seulement une entreprise commerciale ou industrielle, mais aussi toute exploitation agricole ou toute personne morale.
7. Les sanctions de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer pouvant être prononcées par le juge civil ou commercial pour les manquements mentionnés dans les dispositions contestées sont identiques à celles encourues devant la juridiction pénale pour les mêmes manquements constitutifs du délit de banqueroute. En revanche, le juge pénal peut condamner l'auteur de ce délit à une peine d'emprisonnement et à une peine d'amende, ainsi qu'à plusieurs autres peines complémentaires d'interdictions.
8. Il résulte de ce qui précède que les faits prévus et réprimés par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente.
9. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doit donc être rejeté.
10. Ces dispositions ne méconnaissent par ailleurs aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Elles doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le 6° de l'article L. 653-5 du code de commerce, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des
entreprises, est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 juin 2016 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 6° de
l'article L. 653-5 du code de commerce.
Le Conseil constitutionnel a également été saisi le 6 juillet 2016 par la Cour
de cassation d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du 2° de l'article L. 654-2, du 2° de l'article L. 654-5
et de l'article L. 654-6 du code de commerce.
Ces deux affaires ont conduit le Conseil constitutionnel à se prononcer, au
regard du principe de nécessité et de proportionnalité des peines, sur la
possibilité pour le juge pénal et pour le juge civil ou commercial de prononcer
chacun à l'encontre d'une même personne et pour les mêmes faits, une mesure de
faillite personnelle ou une mesure d'interdiction de gérer.
Le Conseil constitutionnel a comparé les peines susceptibles d'être décidées par
le juge pénal et les mesures, qu'il a qualifiées de sanctions ayant le caractère
de punition, que peut prononcer le juge civil ou commercial.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les sanctions de faillite personnelle ou
d'interdiction de gérer pouvant être prononcées par le juge civil ou commercial
pour les manquements visés par les dispositions contestées sont identiques à
celles encourues devant la juridiction pénale pour les mêmes manquements
constitutifs du délit de banqueroute. En revanche, le juge pénal peut condamner
l'auteur de ce délit à une peine d'emprisonnement et à une peine d'amende, ainsi
qu'à plusieurs autres peines complémentaires d'interdictions.
Faisant application de sa jurisprudence sur le cumul de poursuites, le Conseil
constitutionnel en a déduit que les faits prévus et réprimés par les
dispositions contestées dans chacune des deux QPC qui lui étaient soumises
doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature
différente.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, écarté le grief tiré d'une
méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
Dans sa décision 2016-573 QPC, il a toutefois censuré les dispositions de
l'article L. 654-6 du code de commerce. Celles-ci permettent qu'une même
personne fasse l'objet tantôt deux fois d'une mesure de faillite personnelle ou
d'une mesure d'interdiction, tantôt une seule fois de telles sanctions, selon
que le juge - pénal, d'une part, civil ou commercial, de l'autre - statue
définitivement en premier.
Le Conseil constitutionnel a jugé que cette différence de traitement méconnaît
le principe d'égalité.
En conséquence, il a jugé contraire à la Constitution l'article L. 654-6 du code
de commerce dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18
décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté.
Il a en revanche jugé conformes à la Constitution :
- le 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la
même ordonnance ;
- les mots : « ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise,
soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger,
d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou
indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise
commerciale ou industrielle ou une société commerciale » figurant au 2° de
l'article L. 654 5, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août
2008 de modernisation de l'économie ;
- le 6° de l'article L. 653-5 du code de commerce, dans sa rédaction résultant
de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3698 du 28 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Lakhdar Y. par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-573 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° de l'article L. 654-2, du 2° de l'article L. 654-5 et de l'article L. 654-6 du code de commerce, « dans leur rédaction, actuellement en vigueur, issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
- l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des
entreprises en difficulté ;
- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures, notamment son article 138 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Thouin-Palat et
Boucard et Mes Stephan Reifegerste et Christian Kupferberg, avocats au barreau
de Paris, enregistrées le 27 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 28
juillet et 11 août 2016 ;
- les observations en intervention présentées par M. Gilles P., enregistrées les
15 et 19 septembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Frédéric P. par la SCP
Hadengue et associés, avocat au barreau de Versailles, enregistrées les 16 et 19
septembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Boucard, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, et Me Reifegerste, pour le requérant, Me Aude Tondriaux-Gontier,
avocat au barreau de Paris, pour M. Frédéric P., et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le 2° de l'article L. 654-2, le 2° de l'article L. 654-5 et l'article L. 654-6 du code de commerce, la Cour de cassation a jugé que cette question portait sur ces dispositions « dans leur rédaction, actuellement en vigueur, issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ». Toutefois, l'ordonnance du 18 décembre 2008 mentionnée ci-dessus n'a pas modifié la rédaction de l'article L. 654-5 du code de commerce. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité dont le Conseil constitutionnel est saisi porte sur le 2° de l'article L. 654-2 et sur l'article L. 654-6 du code de commerce dans leur rédaction résultant de l'ordonnance du 18 décembre 2008 et sur le 2° de l'article L. 654-5 dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 654-2 du code de commerce, dans cette rédaction, énumère les faits susceptibles de conduire à la condamnation pour banqueroute, par le juge pénal, de certains professionnels ou dirigeants de sociétés mentionnés à l'article L. 654-1 du même code, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Le 2° de cet article prévoit qu'est, à ce titre, susceptible de conduire à une telle condamnation, le fait d'« avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ».
3. L'article L. 654-5 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008, définit les peines complémentaires susceptibles d'être prononcées à l'encontre d'une personne coupable de banqueroute. Le 2° de cet article prévoit qu'est, à ce titre, susceptible d'être prononcée : « L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement ».
4. L'article L. 654-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 18 décembre 2008, prévoit : « La juridiction répressive qui reconnaît l'une des personnes mentionnées à l'article L. 654-1 coupable de banqueroute peut, en outre, dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 653-11, prononcer soit la faillite personnelle de celle-ci, soit l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à moins qu'une juridiction civile ou commerciale ait déjà prononcé une telle mesure par une décision définitive prise à l'occasion des mêmes faits ».
5. Selon le requérant et les parties intervenantes, en cas de détournement ou de dissimulation d'actif au sens du 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce, le dirigeant d'une société en redressement ou liquidation judiciaire peut être poursuivi pour banqueroute et ainsi pénalement sanctionné par une interdiction d'exercice prévue au 2° de l'article L. 654-5 et par la faillite personnelle mentionnée à l'article L. 654-6 du même code. Or, les mêmes faits seraient susceptibles d'être sanctionnés par ailleurs par les juridictions civiles ou commerciales dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sur le fondement des articles L. 653-1 à L. 653-8 du code de commerce, relatifs à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdiction. En permettant un tel cumul de poursuites et de sanctions, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
6. Le requérant reproche également à l'article L. 654-6 du code de commerce de ne prohiber un tel cumul de sanctions que dans le cas où la juridiction civile s'est déjà prononcée « par une décision définitive prise à l'occasion des mêmes faits », sans prévoir la réciproque dans le cas où le juge pénal a déjà statué. Il en résulterait une violation du principe d'égalité devant la loi, reconnu par l'article 6 de la Déclaration de 1789.
7. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce, sur les mots : « ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale » figurant au 2° de l'article L. 654-5, ainsi que sur l'article L. 654-6 du même code.
- Sur les principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines :
8. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
9. D'une part, en application de l'article L. 653-1 et du 5° de l'article L. 653-4 du code de commerce, dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le juge civil ou commercial peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant d'une personne morale, lorsque celui-ci a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables aux personnes exerçant une activité professionnelle indépendante et soumise, à ce titre, à des règles disciplinaires propres. En vertu de l'article L. 653-2 du même code, la sanction de faillite personnelle emporte interdiction de gérer toute entreprise, exploitation agricole ou personne morale. Par ailleurs, en application de l'article L. 643-11 du même code, les créanciers recouvrent leur droit de poursuite personnelle à l'encontre du failli. Enfin, le juge peut, en application de l'article L. 653-10, assortir la mesure de faillite personnelle d'une incapacité d'exercer une fonction publique élective, pour la même durée, dans la limite de cinq ans.
10. Compte tenu des conséquences qu'il a attachées à la faillite personnelle, ainsi que de la généralité, au regard du manquement en cause, de la mesure d'interdiction de gérer qu'il a retenue, le législateur a entendu, en instituant de telles mesures, assurer la répression, par le juge civil ou commercial, du détournement et de la dissimulation d'actif. Ces mesures doivent par conséquent être regardées comme des sanctions ayant le caractère de punition.
11. D'autre part, en application de l'article L. 654-2 du code de commerce, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, le juge pénal peut condamner pour banqueroute les personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale, les agriculteurs, les personnes exerçant une activité professionnelle indépendante, celles dirigeant ou ayant liquidé une personne morale. Cette condamnation est notamment encourue lorsque ces personnes ont détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur. Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende par l'article L. 654-3 du code de commerce. Ces peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende par l'article L. 654-4 lorsque l'auteur ou le complice est un dirigeant d'une entreprise prestataire de services d'investissement. Parmi les peines complémentaires prévues à l'article L. 654-5, les personnes physiques encourent non seulement les interdictions d'exercice prévues au 2° mentionné ci-dessus, mais aussi l'interdiction des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction d'exercer une fonction publique, l'exclusion des marchés publics, l'interdiction d'émettre des chèques et l'affichage ou la diffusion de la décision. Enfin, en application de l'article L. 654-6, le juge pénal peut, sous certaines conditions, prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer non seulement une entreprise commerciale ou industrielle, mais aussi toute exploitation agricole ou toute personne morale.
12. Les sanctions de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer pouvant être prononcées par le juge civil ou commercial pour les manquements mentionnés au 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce sont identiques à celles encourues devant la juridiction pénale pour les mêmes manquements constitutifs du délit de banqueroute. En revanche, le juge pénal peut condamner l'auteur de ce délit à une peine d'emprisonnement et à une peine d'amende, ainsi qu'à plusieurs autres peines complémentaires d'interdictions.
13. Il résulte de ce qui précède que les faits prévus et réprimés par les articles mentionnés ci-dessus doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente.
14. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doit donc être rejeté.
- Sur le principe d'égalité devant la loi :
15. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
16. L'article L. 654-6 du code de commerce interdit au juge pénal de prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8 lorsqu'une juridiction civile ou commerciale a déjà prononcé une telle mesure par une décision définitive prise à l'occasion des mêmes faits. Une personne en redressement ou liquidation judiciaire devant le juge civil ou commercial et poursuivie pour banqueroute devant le juge pénal peut ainsi faire l'objet deux fois d'une mesure de faillite personnelle ou deux fois d'une mesure d'interdiction prévue à l'article L. 653-8 si le juge pénal se prononce avant la décision définitive du juge civil ou commercial. À l'inverse, la même personne ne peut faire l'objet qu'une seule fois de telles mesures si le juge civil ou commercial a définitivement statué au moment où le juge pénal se prononce.
17. Cette différence de traitement n'est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d'intérêt général. En conséquence, l'article L. 654-6 du code de commerce, qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi, doit être déclaré contraire à la Constitution.
18. Le 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce et les mots : « ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale » figurant au 2° de l'article L. 654-5 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent lui être déclarés conformes.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
19. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
20. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 654-6 du code de commerce prend effet à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 654-6 du code de commerce, dans sa rédaction
résultant de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du
droit des entreprises en difficulté, est contraire à la Constitution
.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au
paragraphe 20.
Article 3.- Sont conformes à la Constitution :
- le 2° de l'article L. 654-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant
de l'ordonnance mentionnée à l'article 1er ;
- les mots : « ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise,
soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger,
d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou
indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise
commerciale ou industrielle ou une société commerciale » figurant au 2° de
l'article L. 654-5, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août
2008 de modernisation de l'économie.
Article 4.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M.Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2016 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la
conformité aux droits et liberté que la Constitution garantit des mots « entre
sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A » figurant au 1° du
paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts (CGI).
Le 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du CGI prévoit, en faveur des
distributions de revenus réalisées entre sociétés d'un groupe fiscalement
intégré, une exonération de la contribution de 3 % sur les montants distribués.
Les dispositions contestées ont ainsi pour effet d'exclure du bénéfice de cette
exonération les distributions intragroupe réalisées entre sociétés qui
n'appartiennent pas à un groupe fiscalement intégré, notamment celles réalisées
au profit d'une société mère étrangère.
Le Conseil constitutionnel a jugé que la différence de traitement ainsi
instituée entre les sociétés d'un même groupe réalisant, en son sein, des
distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration
fiscale, n'est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif
d'intérêt général.
Le Conseil constitutionnel a, par conséquent, déclaré contraires à la
Constitution les mots « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A
» figurant au 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des
impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.
Une abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu pour effet
d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par
le législateur. Or, il revient au seul législateur de choisir les modifications
qui lui apparaissent nécessaires pour remédier à l'inconstitutionnalité
constatée. Le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2017 l'abrogation
des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 juin 2016 par le Conseil d'État (décision n° 399506 du 27 juin 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Layher SAS, par Mes Philippe Derouin et Marc Pelletier, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-571 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A » figurant au 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Mes Derouin et
Pelletier, enregistrées les 13 juillet et 1er août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22
juillet 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour les sociétés Aero Textile
Concept SAS, Ahlstrom Industries SA, Ahlstrom Specialties SAS, Air Processing
Components SAS, Aquair SAS, Energence SASU, Établissement Dubois et Fils SA,
Eurofrance SA, Longere et Cie SARL, Munksjö Labelpack SAS, Munksjö La Gere SAS,
Munksjö Rottersac SAS, Munksjö Stenay SAS, Sintex France SAS et Vent Service
Société Nouvelle SAS par Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon,
enregistrées le 7 juillet 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Dow Corning France
SAS par Me Mossé, enregistrées le 18 juillet 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Namsa SAS par Me
Michel Guichard, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 20 et 29
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Derouin et Pelletier pour la société requérante, Me
Guichard pour la société Namsa SAS et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 20 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts institue la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués. Le 1° du paragraphe I de cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, dispose que cette contribution n'est pas applicable aux montants distribués « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A » du même code.
2. La société requérante et les parties intervenantes soutiennent qu'en réservant cette exonération aux seules distributions réalisées entre sociétés d'un même groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts, les dispositions contestées traitent différemment les distributions réalisées au sein d'un tel groupe et celles réalisées au sein d'un groupe ne relevant pas du régime de l'intégration fiscale. Il en résulterait, selon elles, une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
- Sur le fond :
3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts institue, à la charge des personnes passibles de l'impôt sur les sociétés, une imposition dénommée « contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués ». Cette contribution est due par la personne qui procède aux distributions de revenus, au sens des articles 109 à 117 du même code. Elle a pour fait générateur la distribution et est égale à 3 % des montants distribués.
6. En sont exonérées, en vertu des dispositions contestées, les distributions réalisées entre sociétés du même groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts. Cet article permet, sur option, à une société de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital. Le régime de l'intégration fiscale a pour objet, en matière d'impôt sur les sociétés, de compenser, au titre d'un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe.
7. Sont exclues du bénéfice de cette exonération les distributions réalisées entre sociétés d'un même groupe dès lors que celui-ci ne relève pas du régime de l'intégration fiscale, même si la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A est remplie. Il en va ainsi pour les filiales françaises de sociétés étrangères qui se trouvent dans l'impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré avec leur société mère dès lors que, n'étant pas établie en France, cette dernière n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés. Il en résulte, lorsque la condition de détention est satisfaite, une différence de traitement entre les sociétés d'un même groupe qui réalisent, en son sein, des distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale.
8. Or, d'une part, la contribution instituée par l'article 235 ter ZCA est un impôt autonome, distinct de l'impôt sur les sociétés. En effet, si les modalités de recouvrement et de réclamation applicables à cette contribution sont identiques à celles prévues pour l'impôt sur les sociétés, il en va différemment de ses redevables, de son fait générateur et de son assiette. L'exonération instituée par les dispositions contestées est donc sans lien avec le régime de l'intégration fiscale, qui ne concerne que l'impôt sur les sociétés et n'a pas pour objet d'exonérer de cet impôt les sociétés membres d'un groupe. Par conséquent, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, les sociétés d'un même groupe réalisant, en son sein, des distributions sont placées, au regard de l'objet de la contribution, dans la même situation, que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale.
9. D'autre part, en instituant la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, le législateur a entendu compenser la perte de recettes pérenne provoquée par la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Il a ainsi poursuivi un objectif de rendement. Un tel objectif ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier, lorsque la condition de détention est satisfaite, la différence de traitement instituée entre les sociétés d'un même groupe réalisant, en son sein, des distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale.
10. Il en résulte une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Les mots « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A » figurant au 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. L'abrogation immédiate des mots « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A » figurant au 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 aurait pour effet d'étendre l'application d'un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur. Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles d'imposition qui doivent être choisies pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée. Il y a lieu de reporter au 1er janvier 2017 cette abrogation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223
A » figurant au 1° du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des
impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015,
sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 749 du 5 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gilles M., par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et pour M. Daniel V. et la société César, par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-572 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de la loi du n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière et de l'article L. 465-2 du même code.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière ;
- la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus
de marché ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Daniel V. et la société César, par la SCP
Waquet, Farge et Hazan, enregistrées le 27 juillet 2016 ;
- les observations présentées pour M. Gilles M. par la SCP Piwinica et Molinié,
enregistrées les 28 juillet et 11 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2016 ;
- les observations présentées pour l'Autorité des marchés financiers, partie en
défense dans la procédure à l'origine de la question prioritaire de
constitutionnalité, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées les 27 juillet et 12 août 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour M. Gilles M., Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à
la Cour de cassation pour M. Daniel V. et la société César et Me Claude Nicole
Ohl, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'Autorité des
marchés financiers, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 20 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation contre une décision ayant condamné les requérants pour des faits commis le 26 mai 2011 sur le fondement de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier. Les requérants contestant la constitutionnalité de l'article L. 465-2 du même code en raison de la possibilité d'un cumul de poursuites pour ces mêmes faits sur le fondement de cet article, le Conseil constitutionnel est donc saisi de l'article L. 465-2 dans sa rédaction résultant de la loi du 22 octobre 2010 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 465-2 du code monétaire et financier, dans cette rédaction, prévoit : « Est puni des peines prévues au premier alinéa de l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou par personne interposée, une manœuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé en induisant autrui en erreur.« Est puni des peines prévues au premier alinéa de l'article L. 465-1 le fait, pour toute personne, de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif visé au II de l'article L. 421-1 admis sur un marché réglementé, de nature à agir sur les cours ».
3. L'article L. 621-15 du code monétaire et financier,
dans sa rédaction résultant de la loi du 22 octobre 2010, prévoit : « I.-Le
collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi par les services de
l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le président de
l'Autorité de contrôle prudentiel.« S'il décide l'ouverture d'une procédure de
sanction, il notifie les griefs aux personnes concernées. Il transmet la
notification des griefs à la commission des sanctions, qui désigne un rapporteur
parmi ses membres. La commission des sanctions ne peut être saisie de faits
remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte
tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction.
« Un membre du collège, ayant examiné le rapport d'enquête ou de contrôle et
pris part à la décision d'ouverture d'une procédure de sanction, est convoqué à
l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou
représenté par les services de l'Autorité des marchés financiers. Il peut
présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une
sanction.
« La commission des sanctions peut entendre tout agent des services de
l'autorité.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II.-La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 17° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
612-39 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 17° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 612-39 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent :
« -un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1
admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral
de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires
visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les
manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel
une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée,
dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des
marchés financiers ;
« -un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à
l'alinéa précédent ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :
« -un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1
admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre Etat membre de
l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou pour
lequel une demande d'admission aux négociations sur un tel marché a été
présentée ;
« -un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à
l'alinéa précédent ;
« e) Toute personne qui, sur le territoire français ou étranger, s'est livrée ou
a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information lors d'une
opération d'offre au public de titres financiers.
« III.-Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°,11°,12°,15° à 17° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire
ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation
du registre mentionné à l'article L. 546-1 ; la commission des sanctions peut
prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire
dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du
montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor
public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°,11°,12°,15° à 17° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros
ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques
mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits
éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour le
compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« Le fonds de garantie mentionné aux a et b peut, dans des conditions fixées par
son règlement intérieur et dans la limite de 300 000 euros par an, affecter à
des actions éducatives dans le domaine financier une partie du produit des
sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions qu'il perçoit.
« III bis.-Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, la
récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande
de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute
l'impartialité de ce membre.
« IV.-La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la présence
du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la personne
concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé.
« IV bis.-Les séances de la commission des sanctions sont publiques.
« Toutefois, d'office ou sur la demande d'une personne mise en cause, le
président de la formation saisie de l'affaire peut interdire au public l'accès
de la salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre
public, de la sécurité nationale ou lorsque la protection des secrets d'affaires
ou de tout autre secret protégé par la loi l'exige.
« V.-La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné
à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les
personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber
gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux
parties en cause, la décision de la commission peut prévoir qu'elle ne sera pas
publiée ».
4. M. Daniel V. et la société César soutiennent que les dispositions des articles L. 465-2 et L. 621-15 du code monétaire et financier, dès lors qu'elles permettent qu'une même personne puisse faire l'objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant le juge pénal pour le délit de diffusion de fausses informations et devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers pour le manquement de diffusion de fausses informations, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines. M. G. soutient, pour les mêmes motifs, que l'article L. 621-15 du code monétaire et financier méconnait le principe de nécessité des délits et des peines.
5. Au sein des dispositions dont le Conseil constitutionnel est saisi, seuls le second alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier et les mots « à la diffusion d'une fausse information » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du même code sanctionnent la diffusion de fausses informations par une personne autre que celle mentionnée au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur ces dispositions.
6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
7. En premier lieu, d'une part, le second alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier définit le délit de diffusion de fausses informations comme le fait, pour toute personne, de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif admis sur un marché réglementé, de nature à agir sur les cours.
8. D'autre part, les dispositions contestées de l'article L. 621-15 du code monétaire et financer définissent le manquement de diffusion de fausses informations comme le fait, pour toute personne, de se livrer à la diffusion d'une fausse information dès lors que cet acte concerne un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur certains systèmes multilatéraux de négociation. La fausse information peut être une information inexacte, imprécise ou trompeuse.
9. Les dispositions contestées tendent donc à réprimer les mêmes faits. Elles définissent et qualifient de la même manière le manquement et le délit de diffusion de fausses informations.
10. En deuxième lieu, l'article L. 465-2 du code monétaire et financier relatif à la répression du délit de diffusion de fausses informations est inclus dans un chapitre de ce code consacré aux « infractions relatives à la protection des investisseurs ». Selon l'article L. 621-1 du même code, l'Autorité des marchés financiers veille à « la protection de l'épargne investie » dans les instruments financiers, divers actifs et tous les autres placements offerts au public. Ainsi, la répression du manquement de diffusion de fausses informations et celle du délit de diffusion de fausses informations poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l'intégrité des marchés financiers. Ces répressions d'atteintes portées à l'ordre public économique s'exercent dans les deux cas non seulement à l'égard des professionnels, mais également à l'égard de toute personne ayant diffusé une information fausse ou trompeuse. Ces deux répressions protègent en conséquence les mêmes intérêts sociaux.
11. En troisième lieu, en application des articles L. 465-1 et L. 465-2, l'auteur d'un délit de diffusion de fausses informations peut être puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros qui peut être portée au décuple du montant du profit éventuellement réalisé. En vertu des articles 131-38 et 131-39 du code pénal et L. 465-3 du code monétaire et financier, s'il s'agit d'une personne morale, le taux maximum de l'amende est égal au quintuple de celui prévu par l'article L. 465-2 et le juge pénal peut, sous certaines conditions, prononcer la dissolution de celle-ci. En application du paragraphe III de l'article L. 621-15 dans sa version contestée, l'auteur d'un manquement de diffusion de fausses informations, autre que l'une des personnes mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9, encourt une sanction pécuniaire de 100 millions d'euros, qui peut être portée au décuple du montant des profits éventuellement réalisés.
12. Ainsi, si seul le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit de diffusion de fausses informations à une peine d'emprisonnement lorsqu'il s'agit d'une personne physique et prononcer sa dissolution lorsqu'il s'agit d'une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers peuvent être d'une très grande sévérité et atteindre, selon les dispositions contestées de l'article L. 621-15, jusqu'à plus de soixante-six fois celles encourues devant la juridiction pénale. En outre, en vertu du paragraphe III de l'article L. 621-15, le montant de la sanction du manquement de diffusion de fausses informations doit être fixé en fonction de la gravité de celui-ci et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés et, en vertu de l'article 132-24 du code pénal, la peine prononcée en cas de condamnation pour délit de diffusion de fausses informations doit l'être en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Il résulte de ce qui précède que les faits prévus par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les sanctions des faits réprimés ne peuvent, pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts.
14. Si les dispositions contestées n'instituent pas, par elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et de double sanction, elles le rendent possible. Toutefois, l'article 2 de la loi du 21 juin 2016 mentionnée ci-dessus a créé dans le code monétaire et financier un article L. 465-3-6 dont le paragraphe I prévoit que le procureur de la République financier ne peut mettre en mouvement l'action publique pour la poursuite des infractions réprimant les atteintes à la transparence des marchés lorsque l'Autorité des marchés financiers a procédé à la notification des griefs pour les mêmes faits et à l'égard de la même personne en application de l'article L. 621-15. De la même manière, l'Autorité des marchés financiers ne peut procéder à la notification des griefs à une personne à l'encontre de laquelle l'action publique a été mise en mouvement pour les mêmes faits par le procureur de la République financier.
15. Cette disposition, entrée en vigueur le 23 juin 2016, s'applique en cas de mise en mouvement de l'action publique ou en cas de notification des griefs à compter de cette date. Par conséquent, depuis cette date, des poursuites ne peuvent être engagées pour manquement de diffusion de fausses informations sur le fondement de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code dès lors que des premières poursuites ont déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant le juge pénal sur le fondement du second alinéa de l'article L. 465-2 du même code. De la même manière, des poursuites ne peuvent être engagées pour le délit de diffusion de fausses informations sur le fondement du second alinéa de l'article L. 465-2 dès lors que des premières poursuites ont déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code.
16. En revanche, aucune disposition législative n'interdit un cumul de poursuites et de sanctions pour le délit et le manquement de diffusion de fausses informations lorsque la mise en mouvement de l'action publique et la notification des griefs sont toutes les deux intervenues avant le 23 juin 2016. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient permettre, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, que des poursuites puissent être continuées pour manquement de diffusion de fausses informations sur le fondement de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code dès lors que des premières poursuites ont déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant le juge pénal sur le fondement du second alinéa de l'article L. 465-2 du même code. De la même manière, des poursuites ne peuvent être continuées pour le délit de diffusion de fausses informations sur le fondement du second alinéa de l'article L. 465-2 dès lors que de premières poursuites ont déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code.
17. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le second alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier et les mots « à la diffusion d'une fausse information » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du même code, qui ne sont pas contraires au principe de nécessité des délits et des peines, ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Ils doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au paragraphe 16, le second alinéa de
l'article L. 465-2 du code monétaire et financier et les mots « à la diffusion
d'une fausse information » figurant au c) et au d) du paragraphe II de l'article
L. 621-15 du code monétaire et financier dans leur rédaction résultant de la loi
n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 septembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juillet 2016 par
la Cour de cassation de cinq questions prioritaires de constitutionnalité
portant sur le second alinéa de l'article 792 du code civil.
Selon le premier alinéa de cet article, lorsqu'un héritier accepte la succession
à concurrence de l'actif net, les créanciers de la succession sont tenus de
déclarer leurs créances.
La société requérante contestait, sur le fondement d'une atteinte au droit de
propriété, les dispositions du second alinéa de cet article 792, qui prévoient
l'extinction des créances non déclarées dans un délai de quinze mois.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé qu'en adoptant les dispositions
contestées le législateur a cherché, en assurant l'efficacité de l'acceptation
de la succession à concurrence de l'actif net, à faciliter la transmission des
patrimoines. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
Le Conseil a ensuite relevé les garanties prévues par le texte. Les créanciers
disposent d'un délai de quinze mois pour déclarer leurs créances. Ce délai court
à compter de la publicité nationale de la déclaration d'acceptation de la
succession. En outre, les créances assorties d'une sûreté réelle échappent à
l'extinction. Enfin, en vertu du dernier alinéa de l'article 800 du code civil,
l'héritier qui a omis, sciemment et de mauvaise foi, de signaler l'existence
d'une créance au passif de la succession est déchu de l'acceptation à
concurrence de l'actif net. Dans ce cas, le délai de quinze mois n'est alors pas
opposable aux créanciers.
Compte tenu de l'objectif poursuivi et des garanties ainsi prévues, le Conseil
constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne portent pas une
atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conforme à la Constitution le second
alinéa de l'article 792 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi n°
2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2016 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêts nos 983, 984, 985, 986 et 987 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de cinq questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour la société BNP PARIBAS SA, par Me Stéphane Gouin, avocat au barreau de Nîmes. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2016-574/575/576/577/578 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 792 du code civil.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des
libéralités ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 juillet
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
- Après avoir entendu Me Gouin pour la société requérante et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les cinq questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Le litige concerne les effets d'une acceptation à concurrence de l'actif net intervenue en janvier 2011 pour une succession ouverte en juin 2010. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du second alinéa de l'article 792 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 23 juin 2006 mentionnée ci-dessus.
3. Selon le premier alinéa de l'article 792 du code civil, lorsqu'un héritier accepte la succession à concurrence de l'actif net, les créanciers de la succession sont tenus de déclarer leurs créances. Le second alinéa de l'article 792 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 23 juin 2006 dispose : « Faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité prévue à l'article 788, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l'égard de celle-ci. Cette disposition bénéficie également aux cautions et coobligés, ainsi qu'aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte ».
4. Selon la société requérante, les dispositions contestées, en ce qu'elles prévoient l'extinction définitive de la créance faute de déclaration dans un délai de quinze mois, méconnaissent les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. En premier lieu, dans la mesure où la créance n'est éteinte que si le créancier a omis de la déclarer dans le délai prévu par le législateur pour qu'il accomplisse des diligences, les dispositions contestées n'entraînent pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
7. En second lieu, les dispositions contestées, en ce qu'elles prévoient l'extinction définitive de la créance non déclarée dans le délai légal, sont susceptibles d'entraîner une atteinte au droit de propriété des créanciers de la succession. Toutefois, d'une part, en adoptant ces dispositions, le législateur a cherché, en assurant l'efficacité de l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net, à faciliter la transmission des patrimoines. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. D'autre part, des garanties sont offertes aux créanciers, qui disposent d'un délai de quinze mois pour déclarer leurs créances. Ce délai court à compter de la date de la publicité nationale de la déclaration d'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net. En outre, les créances assorties d'une sûreté réelle échappent à l'extinction. Par ailleurs, en vertu du dernier alinéa de l'article 800 du code civil, l'héritier qui a omis, sciemment et de mauvaise foi, de signaler l'existence d'une créance au passif de la succession est déchu de l'acceptation à concurrence de l'actif net. Compte tenu de l'objectif poursuivi et des garanties prévues, le législateur n'a pas, par les dispositions contestées, porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
8. Le second alinéa de l'article 792 du code civil, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le second alinéa de l'article 792 du code civil, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des
successions et des libéralités, est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juillet 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de
l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre
sanitaire, social et statutaire, dans sa rédaction résultant de loi n° 2001-420
du 15 mai 2001.
Ces dispositions autorisent en particulier la Caisse des dépôts et consignations
à déroger, par accord collectif, aux règles d'ordre public édictées par le
législateur en matière de représentativité syndicale, à l'exception de celles
relatives à la protection statutaire des représentants syndicaux et à leurs
crédits d'heure.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées sont entachées
d'incompétence négative et portent atteinte au droit des travailleurs de
participer à la détermination collective de leurs conditions de travail, reconnu
par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Il a relevé, d'une part, que les accords en cause peuvent porter sur les
conditions de désignation des délégués syndicaux communs aux agents de droit
public et aux salariés de droit privé du groupe de la Caisse des dépôts et
consignations, ce qui inclut notamment la définition des critères d'audience et
de représentativité. D'autre part, ces mêmes accords peuvent aussi porter sur la
détermination des compétences de ces délégués syndicaux communs, sans que le
législateur ait déterminé l'étendue des attributions qui peuvent leur être
reconnues en matière de négociation collective au sein du groupe, qui comprend
des entités publiques et privées.
Le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur n'a ainsi pas défini
d'une façon précise l'objet et les conditions de la dérogation qu'il a entendu
apporter aux règles d'ordre public qu'il avait établies en matière de
représentativité syndicale et de négociation collective.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré contraires à la Constitution
:
- les mots « , d'une part, sur la désignation et les compétences de délégués
syndicaux communs pouvant intervenir auprès des personnes morales visées à
l'alinéa précédent et bénéficiant des dispositions de la section 3 du chapitre
II du titre Ier du livre IV du code du travail. Ils portent, d'autre part, »
figurant au sixième alinéa de l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996
portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques ;
- et les mots : « Les délégués syndicaux communs et » figurant au septième
alinéa du même article 34.
Le Conseil constitutionnel a reporté au 31 décembre 2017 les effets de cette
déclaration d'inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2016 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1565 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour, la Caisse des dépôts et consignations, par la SCP Celice-Blancpain-Soltner-Texidor, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-579 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire,
social et statutaire ;
- la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques ;
- la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale
et réforme du temps de travail ;
- les arrêts de la Cour de cassation du 6 janvier 2011 (chambre sociale, n°
10.18-205) et du 8 juillet 2015 (chambre sociale, n° 14.20-837) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP
Celice-Soltner-Texidor-Perier avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 28 juillet 2016 ;
- les observations présentées pour le syndicat UNSA Caisse des dépôts, le
syndicat CGT Caisse des dépôts, le syndicat CGC Caisse des dépôts, le syndicat
CFDT Caisse des dépôts et le syndicat FO-Informatique CDC, parties à l'instance
à l'occasion de laquelle la QPC a été posée, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 28 juillet
et 11 août 2016 ;
- les observations présentées pour le syndicat national unitaire des personnels
du groupe CDC, Mmes Annie L., Patricia M., Axelle C., Hora H. et MM. Jean-Pierre
D. et Gil M ., parties en défense, par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 29 juillet
et 12 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Damien Celice, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation pour la société requérante, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation pour les parties à l'instance à l'occasion de
laquelle la QPC a été posée, Me Hélène Masse-Dessen, avocat au Conseil d'État et
à la Cour de cassation pour les parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 34 de la loi du 28 mai 1996, dans la
rédaction résultant de la loi du 15 mai 2001 mentionnée ci-dessus, prévoit : «
Le personnel de la Caisse des dépôts et consignations comprend des agents régis
par le statut général de la fonction publique de l'État et des agents
contractuels de droit public.
« La Caisse des dépôts et consignations est en outre autorisée à employer, sous
le régime des conventions collectives, des agents contractuels lorsqu'ils ont
été recrutés avant la date de promulgation de la présente loi par le Groupement
d'intérêt économique Bureau des techniques d'actuariat et de management (G.I.E.
B.E.T.A.M.) et affectés avant cette date dans ses services. Elle est également
autorisée à recruter dans les mêmes conditions des agents contractuels lorsque
les exigences particulières de l'organisation de certains services ou la
spécificité de certaines fonctions le justifient.
« L'emploi des agents mentionnés à l'alinéa précédent n'a pas pour effet de
rendre applicables à la Caisse des dépôts et consignations les dispositions du
code du travail relatives aux comités d'entreprise.
« Un décret en Conseil d'État détermine, en tant que de besoin, les modalités
d'application du présent article et en particulier les catégories d'emplois
susceptibles d'être occupés par les agents mentionnés à la deuxième phrase du
deuxième alinéa du présent article. Il détermine également les instances de
concertation propres à la Caisse des dépôts et consignations et précise les
modalités selon lesquelles ses agents y sont représentés.
« La Caisse des dépôts et consignations représentée par son directeur général
est par ailleurs habilitée à conclure des accords collectifs avec les
organisations syndicales représentatives et une ou plusieurs des personnes
morales liées à elle au sens du II de l'article L. 439-1 du code du travail.
« Ces accords, approuvés par arrêté du directeur général de la Caisse des dépôts
et consignations, portent, d'une part, sur la désignation et les compétences de
délégués syndicaux communs pouvant intervenir auprès des personnes morales
visées à l'alinéa précédent et bénéficiant des dispositions de la section 3 du
chapitre II du titre Ier du livre IV du code du travail. Ils portent, d'autre
part, sur la création d'un comité mixte d'information et de concertation doté de
moyens autonomes de fonctionnement, et notamment d'un budget géré sous sa
responsabilité dans le cadre de son objet. La création de ce comité n'est pas
exclusive de la mise en place, dans les formes prévues ci-dessus, d'une ou
plusieurs autres instances dont les compétences et les moyens de fonctionnement
seront déterminés conventionnellement.
« Les délégués syndicaux communs et les membres des instances visées aux alinéas
précédents bénéficient de la protection prévue par leurs statuts respectifs et,
pour ce qui concerne les salariés placés sous le régime des conventions
collectives, des articles L. 412-18 et suivants du code du travail ».
2. La société requérante et les parties à l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée soutiennent que ces dispositions sont entachées d'incompétence négative, en ce que, conformément à l'interprétation constante de la Cour de cassation, elles habilitent la Caisse des dépôts et consignations à conclure des accords collectifs dérogatoires aux règles du code du travail portant sur la désignation et les compétences des délégués syndicaux communs aux agents de droit public et aux salariés de droit privé, sans préciser les conditions et les garanties indispensables à la mise en œuvre du droit des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail. De ce fait, elles porteraient atteinte au principe reconnu au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
3. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.
4. Au sein des dispositions transmises, les mots : « , d'une part, sur la désignation et les compétences de délégués syndicaux communs pouvant intervenir auprès des personnes morales visées à l'alinéa précédent et bénéficiant des dispositions de la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre IV du code du travail. Ils portent, d'autre part, » figurant au sixième alinéa de l'article 34 de la loi du 28 mai 1996, permettent à la Caisse des dépôts et consignations de conclure des accords collectifs portant sur la « désignation et les compétences de délégués syndicaux communs » aux différents agents du groupe de la Caisse des dépôts et consignations, qu'ils relèvent du droit public ou du droit privé. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort des arrêts mentionnés ci-dessus, que ces dispositions dérogent à celles de la loi du 20 août 2008 mentionnée ci-dessus, relatives aux critères de la représentativité syndicale, auxquelles le législateur a pourtant entendu conférer un caractère d'ordre public. La question prioritaire de constitutionnalité doit donc être regardée comme portant sur ces mots ainsi que sur les mots : « Les délégués syndicaux communs et » figurant au septième alinéa de l'article 34.
- Sur le fond :
5. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
6. Si le Préambule de 1946 dispose, en son huitième alinéa, que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre.
7. Sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte. Toutefois, lorsque le législateur autorise un accord collectif à déroger à une règle qu'il a lui-même édictée et à laquelle il a entendu conférer un caractère d'ordre public, il doit définir d'une façon précise l'objet et les conditions de cette dérogation.
8. En vertu des dispositions contestées, la Caisse des dépôts et consignations est autorisée à déroger, par accord collectif, aux règles d'ordre public édictées par le législateur en matière de représentativité syndicale, à l'exception de celles qui sont relatives à la protection statutaire des représentants syndicaux et à leurs crédits d'heures. Or, d'une part, ces accords peuvent porter, à ce titre, sur les conditions de désignation des délégués syndicaux communs aux agents de droit public et aux salariés de droit privé du groupe de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui inclut, notamment, la définition des critères d'audience et de représentativité autorisant des organisations syndicales à nommer des délégués syndicaux communs. D'autre part, ces mêmes accords peuvent aussi porter sur la détermination des compétences de ces délégués syndicaux communs, sans que le législateur ait déterminé l'étendue des attributions qui peuvent leur être reconnues en matière de négociation collective au sein du groupe.
9. Ainsi, le législateur n'a pas défini de façon suffisamment précise l'objet et les conditions de la dérogation qu'il a entendu apporter aux règles d'ordre public qu'il avait établies en matière de représentativité syndicale et de négociation collective. En adoptant les dispositions contestées, il a par conséquent méconnu l'étendue de sa compétence et le huitième alinéa du Préambule de 1946. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer toute représentation syndicale commune aux agents de droit public et aux salariés de droit privé au sein du groupe de la Caisse des dépôts et consignations. Il y a donc lieu de reporter cette abrogation au 31 décembre 2017.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sont contraires à la Constitution :
- les mots « , d'une part, sur la désignation et les compétences de délégués
syndicaux communs pouvant intervenir auprès des personnes morales visées à
l'alinéa précédent et bénéficiant des dispositions de la section 3 du chapitre
II du titre Ier du livre IV du code du travail. Ils portent, d'autre part, »
figurant au sixième alinéa de l'article 34 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996
portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques ;
- et les mots : « Les délégués syndicaux communs et » figurant au septième
alinéa du même article 34.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2016 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Cet article prévoit qu'en principe l'expulsion d'un étranger ne peut être
prononcée sans que l'autorité administrative l'ait préalablement avisé et sans
qu'il ait été convoqué pour être entendu par la commission prévue à son 2°. Par
exception, l'autorité administrative est dispensée de ces obligations en cas
d'urgence absolue.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne méconnaissent ni le
droit à un recours juridictionnel effectif ni le droit au respect de la vie
privée.
Il a relevé, en premier lieu, que l'urgence absolue répond à la nécessité de
pouvoir, en cas de menace immédiate, éloigner du territoire national un étranger
au nom d'exigences impérieuses de l'ordre public.
En deuxième lieu, les dispositions contestées ne privent pas l'intéressé de la
possibilité d'exercer un recours contre la décision d'expulsion devant le juge
administratif, notamment devant le juge des référés qui peut suspendre
l'exécution de la mesure d'expulsion ou ordonner toutes mesures nécessaires à la
sauvegarde d'une liberté fondamentale.
En dernier lieu, si le requérant critiquait l'absence de tout délai entre, d'une
part, la notification à l'étranger de la mesure d'expulsion et, d'autre part,
l'exécution d'office de cette mesure, cette absence ne résulte pas des
dispositions contestées. En outre, en cas de contestation de la décision
distincte déterminant le pays vers lequel l'étranger est renvoyé, il résulte de
l'application combinée des articles L. 513-2 et L. 523-2 du code de l'entrée et
du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient au juge
administratif de veiller au respect de l'interdiction de renvoyer un étranger «
à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou
qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 ».
Le Conseil constitutionnel a par conséquent déclaré conformes à la Constitution
les mots « Sauf en cas d'urgence absolue, » figurant au premier alinéa de
l'article L. 522-1 du CESEDA.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision n° 398371 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Nabil F., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-580 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative
du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à
l'intégration, notamment son article 120 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées les 28 juillet et 12 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour les associations La Cimade et
La Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 28
juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant et les associations intervenantes, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 septembre
2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24
novembre 2004 mentionnée ci-dessus, prévoit : « I.- Sauf en cas d'urgence
absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes :«
1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par
décret en Conseil d'État ;
« 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit
à la demande de l'autorité administrative et qui est composée :
« a) Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou
d'un juge délégué par lui, président ;
« b) D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande
instance du chef-lieu du département ;
« c) D'un conseiller de tribunal administratif ».
2. Selon le requérant et les parties intervenantes, en permettant l'expulsion d'un étranger du territoire français en urgence absolue, sans lui laisser la possibilité matérielle de saisir un juge avant l'exécution de la mesure, les dispositions contestées portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'au droit au respect de la vie privée reconnu par l'article 2 de cette Déclaration. En n'ayant ni défini la notion d'urgence absolue, ni prévu de garantie faisant obstacle à la mise en œuvre immédiate d'une décision d'expulsion, le législateur aurait, en outre, méconnu sa compétence dans des conditions affectant ces droits.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots : « Sauf en cas d'urgence absolue, » figurant au premier alinéa de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Selon l'article 2 de la Déclaration de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée. Pour être conformes à la Constitution, les atteintes à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
5. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
6. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
7. En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Dans ce cadre, il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, et le droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 2 de cette Déclaration.
8. En vertu de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'expulsion d'un étranger ne peut être prononcée sans que l'autorité administrative l'ait préalablement avisé et sans qu'il ait été convoqué pour être entendu par la commission prévue au 2° de cet article. Une fois ces formalités accomplies, l'arrêté prononçant l'expulsion peut être exécuté d'office par l'administration en application de l'article L. 523-1 du même code. Toutefois, en cas d'urgence absolue, les dispositions contestées dispensent l'autorité administrative de l'obligation d'aviser préalablement l'étranger concerné et de le convoquer devant la commission avant de prononcer l'expulsion. En application de l'article L. 523-2 du même code, la détermination du pays de renvoi fait l'objet d'une décision distincte.
9. En premier lieu, l'urgence absolue répond à la nécessité de pouvoir, en cas de menace immédiate, éloigner du territoire national un étranger au nom d'exigences impérieuses de l'ordre public.
10. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne privent pas l'intéressé de la possibilité d'exercer un recours contre la décision d'expulsion devant le juge administratif, notamment devant le juge des référés qui, sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, peut suspendre l'exécution de la mesure d'expulsion ou ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale.
11. En dernier lieu, l'absence de tout délai, critiquée par le requérant, entre, d'une part, la notification à l'étranger de la mesure d'expulsion et, d'autre part, son exécution d'office, ne résulte pas des dispositions contestées. En cas de contestation de la décision déterminant le pays de renvoi, il résulte de l'application combinée des articles L. 513-2 et L. 523-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient au juge administratif de veiller au respect de l'interdiction de renvoyer un étranger « à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ».
12. Il résulte de ce qui précède que le législateur, en dispensant l'autorité administrative, en cas d'urgence absolue, d'accomplir les formalités prévues à l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent donc être rejetés.
13. Par conséquent, les mots : « Sauf en cas d'urgence absolue, » figurant au premier alinéa de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont pas entachés d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent lui être déclarés conformes.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots : « Sauf en cas d'urgence absolue, » figurant au premier
alinéa de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et
du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-248 du 24
novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile, sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 juillet 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la
deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction issue de la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la
définition et à la mise en œuvre des principes d'aménagement.
Ces dispositions désignent les bénéficiaires et fixent les conditions de
l'obligation de relogement prévue par l'article L. 314-2 lorsqu'est réalisée une
opération d'aménagement définie par le livre III du même code.
La société requérante soutenait notamment que les dispositions contestées
portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété en ce que
l'obligation de relogement des occupants est impossible à satisfaire lorsque les
occupants sont des étrangers en situation irrégulière au regard du droit au
séjour.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en adoptant les dispositions contestées, le
législateur a entendu protéger les occupants évincés et compenser la perte
définitive de leur habitation du fait de l'action de la puissance publique.
Ainsi, l'obligation de relogement, en cas d'éviction définitive, met en œuvre
l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute
personne de disposer d'un logement décent.
Le Conseil a ensuite relevé, d'une part, qu'à supposer que le relogement des
occupants évincés soit susceptible de se heurter à des difficultés pratiques,
celles-ci ne sauraient être retenues pour l'examen de la constitutionnalité des
dispositions contestées. D'autre part, il résulte de la jurisprudence constante
de la Cour de cassation que le fait de reloger dans le cadre et les conditions
déterminées par l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ne peut caractériser
une infraction pénale. L'obligation de relogement prévue par les dispositions
contestées ne peut donc exposer à des poursuites pénales pour délit d'aide au
séjour irrégulier.
Le Conseil constitutionnel a jugé par conséquent que les dispositions contestées
ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de
l'objectif poursuivi.
Il a donc déclaré conforme à la Constitution la deuxième phrase du premier
alinéa de l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 juillet 2016 par la Cour de cassation (3e chambre civile, arrêt n° 1007 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société SOREQA SPLA par la SCP Foussard, Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-581 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 314-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, de l'article L. 314-2 du même code dans sa rédaction issue de la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre des principes d'aménagement, et de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de
la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de
locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de
logement ;
- la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en
œuvre des principes d'aménagement ;
- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au
renouvellement urbains ;
- l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre
l'habitat insalubre ou dangereux ;
- la loi 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le
logement, notamment son article 44 ;
- l'arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2012 (3ème chambre civile, n°
11-18073) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Foussard,
Froger, enregistrées le 1er août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 27 septembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 314-1 du code de l'urbanisme, dans sa
rédaction résultant de la loi du 13 décembre 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit
: « La personne publique qui a pris l'initiative de la réalisation de l'une des
opérations d'aménagement définies dans le présent livre ou qui bénéficie d'une
expropriation est tenue, envers les occupants des immeubles intéressés, aux
obligations prévues ci-après.
« Les occupants, au sens du présent chapitre, comprennent les occupants au sens
de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que
les preneurs de baux professionnels, commerciaux et ruraux ».
2. L'article L. 314-2 du code de l'urbanisme, dans sa
rédaction issue de la loi du 18 juillet 1985 mentionnée ci-dessus, prévoit : «
Si les travaux nécessitent l'éviction définitive des occupants, ceux-ci
bénéficient des dispositions applicables en matière d'expropriation. Toutefois,
tous les occupants de locaux à usage d'habitation, professionnel ou mixte ont
droit au relogement dans les conditions suivantes : il doit être fait à chacun
d'eux au moins deux propositions portant sur des locaux satisfaisant à la fois
aux normes d'habitabilité définies par application du troisième alinéa de
l'article L. 322-1 du code de la construction et de l'habitation et aux
conditions prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948
; ils bénéficient, en outre, des droits de priorité et de préférence prévus aux
articles L. 14-1 et L. 14-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité
publique, même dans le cas où ils ne sont pas propriétaires. Ils bénéficient
également, à leur demande, d'un droit de priorité pour l'attribution ou
l'acquisition d'un local dans les immeubles compris dans l'opération ou de parts
ou actions d'une société immobilière donnant vocation à l'attribution, en
propriété ou en jouissance, d'un tel local.
« En outre, les commerçants, artisans et industriels ont un droit de priorité
défini à l'article L. 314-5 ».
3. Le premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de la
construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 15
décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Pour l'application du présent
chapitre, l'occupant est le titulaire d'un droit réel conférant l'usage, le
locataire, le sous-locataire ou l'occupant de bonne foi des locaux à usage
d'habitation et de locaux d'hébergement constituant son habitation principale.
« Le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer le relogement ou
l'hébergement des occupants ou de contribuer au coût correspondant dans les
conditions prévues à l'article L. 521-3-1 dans les cas suivants :
« -lorsqu'un immeuble fait l'objet d'une déclaration d'insalubrité, d'une mise
en demeure ou d'une injonction prise en application des articles L. 1331-22, L.
1331-23, L. 1331-24, L. 1331-25, L. 1331-26-1 et L. 1331-28 du code de la santé
publique, si elle est assortie d'une interdiction d'habiter temporaire ou
définitive ou si les travaux nécessaires pour remédier à l'insalubrité rendent
temporairement le logement inhabitable ;
« -lorsqu'un immeuble fait l'objet d'un arrêté de péril en application de
l'article L. 511-1 du présent code, si l'arrêté ordonne l'évacuation du bâtiment
ou s'il est assorti d'une interdiction d'habiter ou encore si les travaux
nécessaires pour mettre fin au péril rendent temporairement le logement
inhabitable ;
« -lorsqu'un établissement recevant du public utilisé aux fins d'hébergement
fait l'objet de mesures destinées à faire cesser une situation d'insécurité en
application de l'article L. 123-3.
« Cette obligation est faite sans préjudice des actions dont dispose le
propriétaire ou l'exploitant à l'encontre des personnes auxquelles l'état
d'insalubrité ou de péril serait en tout ou partie imputable »
4. Selon la société requérante, ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété en ce que l'obligation de relogement des occupants est impossible à satisfaire lorsque ceux-ci sont en situation irrégulière au regard du droit au séjour. Elle soutient par ailleurs qu'elles méconnaissent l'exigence de sécurité juridique, l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi dès lors que cette obligation expose son débiteur à des poursuites pénales pour délit d'aide au séjour irrégulier. Il en résulterait également une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence.
5. La deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme désigne les bénéficiaires de l'obligation de relogement et fixe ses conditions. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme.
6. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
7. Selon le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Le onzième alinéa de ce Préambule dispose que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». Il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle.
8. L'article L. 314-1 du code de l'urbanisme pose le principe d'une obligation de relogement au bénéfice des occupants du bien affecté par une opération d'aménagement. Ces derniers sont, en vertu de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, le titulaire d'un droit réel qui confère l'usage, le locataire, le sous-locataire ou l'occupant de bonne foi d'un local à usage d'habitation ou d'un local d'hébergement constituant son habitation principale. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la qualité d'occupant de bonne foi s'apprécie indépendamment de sa situation au regard du droit au séjour. L'obligation de relogement pèse sur la personne publique qui est à l'initiative de la réalisation d'une opération d'aménagement.
9. L'article L. 314-2 du code de l'urbanisme fixe les conditions du relogement dans l'hypothèse où les travaux nécessitent l'éviction définitive des occupants de l'immeuble affecté par l'opération d'aménagement. En application de la deuxième phrase du premier alinéa de cet article, le débiteur est tenu de formuler deux propositions de relogement à chaque occupant. Le logement proposé doit répondre aux normes d'habitabilité définies par application du troisième alinéa de l'article L. 322-1 du code de la construction et de l'habitation et aux conditions prévues à l'article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 mentionnée ci-dessus.
10. En premier lieu, l'obligation de relogement instituée par les dispositions contestées n'entraîne aucune privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
11. En second lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu protéger les occupants évincés et compenser la perte définitive de leur habitation du fait de l'action de la puissance publique. Ainsi, l'obligation de relogement, en cas d'éviction définitive, met en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent.
12. D'une part, à supposer que le relogement des occupants évincés soit susceptible de se heurter à des difficultés pratiques, celles-ci ne sauraient être retenues pour l'examen de la constitutionnalité des dispositions contestées.
13. D'autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le fait de reloger dans le cadre et les conditions déterminées par l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ne peut caractériser une infraction pénale. L'obligation de relogement prévue par les dispositions contestées ne peut donc exposer à des poursuites pénales pour délit d'aide au séjour irrégulier.
14. Par conséquent, et en tout état de cause, les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
15. Les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- La deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 314-2 du code
de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985
relative à la définition et à la mise en œuvre des principes d'aménagement est
conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 juillet 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second
alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de
l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail.
Ces dispositions prévoient que l'indemnité octroyée par le juge au salarié
licencié sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure aux salaires des
six derniers mois. Toutefois, en application du 2° de l'article L. 1235-5 du
code du travail, ce montant minimal n'est pas applicable au licenciement opéré
dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.
L'entreprise requérante contestait, sur le fondement du principe d'égalité, la
différence ainsi instituée entre les entreprises en fonction de la taille de
leurs effectifs.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation.
Il a d'abord jugé que la différence de traitement n'est pas justifiée par une
différence de situation. Il a en effet estimé qu'au regard des règles
applicables à l'indemnisation du préjudice causé par un licenciement sans cause
réelle et sérieuse, les entreprises, quelle que soit leur taille, et leurs
salariés ne sont pas placés dans une situation différente.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé que la différence de traitement était
justifiée par un motif d'intérêt général. Sur ce point, il a considéré qu'en
limitant l'application du plancher indemnitaire de six mois de salaire aux seuls
licenciements dans les entreprises d'au moins onze salariés, le législateur a
entendu éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu'il a
estimées économiquement plus fragiles, ce qui constitue un but d'intérêt
général.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que, dans la mesure où les dispositions
contestées ne restreignent pas le droit à réparation des salariés, le
législateur pouvait limiter le champ d'application de ce plancher indemnitaire
en retenant le critère des effectifs de l'entreprise. Si pour les entreprises
d'au moins onze salariés ce plancher a pour objet d'éviter les licenciements
injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l'indemnité
correspondant au seul préjudice subi, fixée sans montant minimal, apparaît en
elle-même suffisamment dissuasive. Le critère retenu par le législateur est donc
en adéquation avec l'objet de la loi, qui consiste à dissuader les employeurs de
procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution les
dispositions du second alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa
rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 juillet 2016 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1657 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Goodyear Dunlop Tires France SA, par la SCP Flichy Grangé avocats, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-582 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie
législative) ;
- la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12
mars 2007 relative au code du travail (partie législative), notamment son
article 1er ;
- les décisions du Conseil constitutionnel nos 2007-561 DC du 17 janvier 2008 et
2015-715 DC du 5 août 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Flichy
Grangé avocats, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 3 et 22 août 2016 ;
- les observations présentées pour M. Sébastien A. et autres, parties en
défense, par Me Fiodor Rilov, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 22
août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Joël Grangé, avocat au barreau de Paris, pour la société
requérante, Me Rilov pour les parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon le premier alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Le second alinéa du même article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ».
2. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi. En effet, l'indemnité minimale égale aux salaires des six derniers mois, prévue en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'est due que par les entreprises employant habituellement au moins onze salariés. Cette différence de traitement, fondée sur le critère des effectifs de l'entreprise, serait dépourvue de rapport direct avec l'objet de la loi. La société requérante reproche également aux dispositions contestées de méconnaître la liberté d'entreprendre, en raison tant du caractère « incompressible » de l'indemnité que de la possibilité pour le juge de décider d'un montant supérieur, sans que le législateur ait fixé de critères d'évaluation du préjudice.
- Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007, dans les considérants 9 et 10 de la décision du 17 janvier 2008 mentionnée ci-dessus et les a déclarées conformes à la Constitution dans le dispositif de cette décision.
4. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, dans la décision du 5 août 2015 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution des dispositions faisant varier le montant de l'indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse en fonction des effectifs de l'entreprise, au motif qu'elles méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi. Cette décision constitue un changement des circonstances de droit justifiant, en l'espèce, le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le principe d'égalité devant la loi :
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article L. 1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout salarié peut par ailleurs prétendre, quels que soient les effectifs de l'entreprise, à une indemnité correspondant au préjudice subi. En vertu des dispositions contestées, cette indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Toutefois, en application du 2° de l'article L. 1235-5 du code du travail, ce montant minimal n'est pas applicable au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.
7. Au regard des règles applicables à l'indemnisation du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les entreprises, quelle que soit leur taille, et leurs salariés ne sont pas placés dans une situation différente.
8. En prévoyant que le montant minimal de l'indemnité accordée par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est applicable aux seuls licenciements dans les entreprises d'au moins onze salariés, le législateur a entendu éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu'il a estimées économiquement plus fragiles, en aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l'employeur peut être engagée. Il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général.
9. À cette fin, dans la mesure où les dispositions contestées ne restreignent pas le droit à réparation des salariés, le législateur pouvait limiter le champ d'application de cette indemnité minimale en retenant le critère des effectifs de l'entreprise. Si pour les entreprises d'au moins onze salariés cette indemnité minimale a pour objet d'éviter les licenciements injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l'indemnité correspondant au seul préjudice subi, fixée sans montant minimal, apparaît en elle-même suffisamment dissuasive. Le critère retenu est donc en adéquation avec l'objet de la loi, qui consiste à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse. Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi.
. En ce qui concerne la liberté d'entreprendre :
10. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
11. D'une part, en visant à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, les dispositions contestées mettent en œuvre le droit de chacun d'obtenir un emploi découlant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. En prévoyant une indemnité minimale égale à six mois de salaire, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
12. D'autre part, en permettant au juge d'accorder une indemnité d'un montant supérieur aux salaires des six derniers mois en fonction du préjudice subi, le législateur a mis en œuvre le principe de responsabilité, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
13. En conséquence, le législateur a opéré entre, d'une part, le droit de chacun d'obtenir un emploi et le principe de responsabilité et, d'autre part, la liberté d'entreprendre une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée.
14. Le second alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le second alinéa de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans
sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code
du travail (partie législative), est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 juillet 2016 par
la Cour de cassation de quatre questions prioritaires de constitutionnalité
(QPC) posées pour les sociétés Finestim SAS et autre relatives à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 706-153 du code
de procédure pénale (CPP).
Les dispositions contestées fixent les règles régissant la procédure de saisie
pénale spéciale des biens ou droits mobiliers incorporels. Elles désignent les
juges compétents pour autoriser ou ordonner la saisie, déterminent les voies de
recours devant la chambre de l'instruction ainsi que les modalités de mise à
disposition du dossier de la procédure.
Le juge des libertés et de la détention, dans le cadre d'une enquête de
flagrance ou préliminaire, et le juge d'instruction, dans le cadre d'une
information, peuvent autoriser, pour le premier, et ordonner, pour le second, la
saisie de biens ou droits incorporels. L'ordonnance de saisie peut être
contestée devant la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à
compter de sa notification.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution
après avoir relevé les points suivants.
En premier lieu, si la mesure de saisie a pour effet de rendre indisponibles les
biens ou droits incorporels saisis, elle est ordonnée par un magistrat du siège
et ne peut porter que sur des biens ou droits dont la confiscation peut être
prononcée à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale.
En deuxième lieu, toute personne qui prétend avoir un droit sur un bien placé
sous main de justice peut en solliciter la restitution par requête auprès, selon
le cas, du procureur de la République, du procureur général ou du juge
d'instruction.
En troisième lieu, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du
juge d'instruction autorisant ou prononçant la saisie est notifiée au
propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant
des droits sur ce bien ou sur ce droit qui peuvent la contester devant la
chambre de l'instruction. Ces personnes, qu'elles aient fait appel ou non,
peuvent par ailleurs être entendues par la chambre de l'instruction avant que
celle-ci ne statue. Elles ne sont donc pas privées de la possibilité de faire
valoir leurs observations et de contester la légalité de la mesure devant un
juge.
En quatrième lieu, en ne prévoyant pas de débat contradictoire devant le juge
ayant autorisé ou ordonné la saisie et en ne conférant pas d'effet suspensif à
l'appel devant la chambre de l'instruction, le législateur a entendu éviter que
le propriétaire du bien ou du droit concerné puisse mettre à profit les délais
consécutifs à ces procédures pour faire échec à la saisie par des manœuvres. Ce
faisant, il a assuré le caractère effectif de la saisie et, ainsi, celui de la
peine de confiscation.
En dernier lieu, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable,
l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer
sur l'appel de l'ordonnance autorisant ou prononçant la saisie ne saurait
constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature
à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de
propriété.
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2016
par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 4003 et 4005 du 12
juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution,
de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été
posées pour la société Finestim SAS par Me Didier Bouthors, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat
général du Conseil constitutionnel sous les nos 2016-583 QPC et 2016-584 QPC.
Il a également été saisi le même jour par la Cour de cassation (chambre
criminelle, arrêts nos 4004 et 4006 du 12 juillet 2016), de deux questions
prioritaires de constitutionnalité posées pour la société Art Courtage France
SAS, par Me Bouthors. Elles ont été enregistrées sous les nos 2016-585 QPC et
2016-586 QPC.
Ces questions sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article 706-153 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la
lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude
fiscale et la grande délinquance économique et financière ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par Me Bouthors,
enregistrées les 11 et 26 août 2016 ;
- les observations présentées pour M. Laurent AUMONIER et autres, parties en
défense, par Me Matthias Pujos, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 3
et 22 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bouthors, pour les sociétés requérantes, Me Pujos, pour
les parties en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 4 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les quatre questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article 706-153 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Au cours de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire, le juge des
libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République,
peut autoriser par ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor,
des biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l'article
131-21 du code pénal. Le juge d'instruction peut, au cours de l'information,
ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.
« L'ordonnance prise en application du premier alinéa est notifiée au ministère
public, au propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, aux
tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit, qui peuvent la déférer à la
chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de
dix jours à compter de la notification de l'ordonnance. Cet appel n'est pas
suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition
des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste.
S'ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent
néanmoins être entendus par la chambre de l'instruction, sans toutefois pouvoir
prétendre à la mise à disposition de la procédure »
3. Selon les sociétés requérantes, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété, dès lors que la saisie de biens ou droits incorporels qu'elles instituent peut être ordonnée sur un soupçon et se prolonger jusqu'au jugement. Ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où la décision de saisie n'est pas précédée d'un débat contradictoire, l'appel de cette décision n'est pas assorti d'un effet suspensif et aucun délai déterminé n'est imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur cet appel.
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition, le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire.
6. En application de l'article 706-153 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention, dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, et le juge d'instruction, dans le cadre d'une information, peuvent autoriser pour le premier et ordonner pour le second la saisie de biens ou droits incorporels. L'ordonnance de saisie peut être contestée devant la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à compter de sa notification.
7. En premier lieu, si la mesure de saisie prévue par les dispositions contestées a pour effet de rendre indisponibles les biens ou droits incorporels saisis, elle est ordonnée par un magistrat du siège et ne peut porter que sur des biens ou droits dont la confiscation peut être prononcée à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale.
8. En deuxième lieu, toute personne qui prétend avoir un droit sur un bien placé sous main de justice peut en solliciter la restitution par requête auprès, selon le cas, du procureur de la République, du procureur général ou du juge d'instruction.
9. En troisième lieu, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction autorisant ou prononçant la saisie est notifiée au propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction. Ces personnes, qu'elles aient fait appel ou non, peuvent par ailleurs être entendues par la chambre de l'instruction avant que celle-ci ne statue. Elles ne sont donc pas privées de la possibilité de faire valoir leurs observations et de contester la légalité de la mesure devant un juge.
10. En quatrième lieu, en ne prévoyant pas de débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention et devant le juge d'instruction et en ne conférant pas d'effet suspensif à l'appel devant la chambre de l'instruction, le législateur a entendu éviter que le propriétaire du bien ou du droit visé par la saisie puisse mettre à profit les délais consécutifs à ces procédures pour faire échec à la saisie par des manœuvres. Ce faisant, il a assuré le caractère effectif de la saisie et, ainsi, celui de la peine de confiscation.
11. En dernier lieu, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance prise par un juge autorisant la saisie ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences découlant des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit de propriété doivent donc être écartés. Par conséquent, les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale
dans leur rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative
à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c) du 1 du
paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts (CGI).
L'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à
titre individuel par la compagnie qu'il représente, lors de la cessation de son
mandat, bénéficie du régime d'exonération prévu par le paragraphe I de l'article
151 septies A du CGI, sous réserve notamment du respect de la condition définie
par les dispositions contestées selon lesquelles : « L'activité est
intégralement poursuivie dans les mêmes locaux par un nouvel agent général
d'assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d'un an ».
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en exigeant que le repreneur poursuive
cette activité dans les mêmes locaux, alors qu'il n'y a pas de lien entre la
poursuite de l'activité d'agent général d'assurances, qui consiste en la gestion
d'un portefeuille de contrats d'assurances, et le local où s'exerce cette
activité, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel
en fonction des buts qu'il s'est proposé.
Le Conseil constitutionnel a par conséquent jugé que les dispositions contestées
méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques.
Il a déclaré contraires à la Constitution les mots : « dans les mêmes locaux »
figurant au c) du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du CGI.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision n° 399513 du 20 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. et Mme Denis F. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-587 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c) du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Mes Érika Martin et Franck
Brancaleoni, avocats au barreau de Nancy, enregistrées le 27 juillet 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 12 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Brancaleoni pour les requérants et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Le litige porte sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles les requérants ont été assujettis au titre de l'année 2012. Dès lors le Conseil constitutionnel est saisi du c) du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus.
2. En vertu du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie qu'il représente, lors de la cessation de son mandat, bénéficie du régime d'exonération prévu par le paragraphe I du même article, sous réserve notamment du respect de la condition suivante, définie au c) du 1 du paragraphe V : « L'activité est intégralement poursuivie dans les mêmes locaux par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d'un an ».
3. Selon les requérants, ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques dans la mesure où l'exonération qu'elles instituent, au bénéfice des agents généraux d'assurances qui cessent leur activité, est subordonnée à la reprise d'activité dans les mêmes locaux, alors que cette condition n'est pas exigée des autres professionnels cessant leur activité.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots : « dans les mêmes locaux » figurant au c) du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée.
7. Toutefois, en exigeant que le repreneur poursuive cette activité dans les mêmes locaux, alors qu'il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances, qui consiste en la gestion d'un portefeuille de contrats d'assurances, et le local où s'exerce cette activité, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu'il s'est proposé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les mots : « dans les mêmes locaux » figurant au c) du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots : « dans les mêmes locaux » figurant au c) du 1 du
paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances
rectificative pour 2011, sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe
II de l'article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle
organisation territoriale de la République.
Les dispositions contestées prévoient que lorsqu'une commune nouvelle est créée
à partir de communes appartenant à plusieurs établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, son conseil municipal
choisit l'établissement public dont elle souhaite être membre. Si le préfet
n'est pas d'accord, il saisit la commission départementale de coopération
intercommunale d'un autre projet de rattachement. Cette commission peut, à la
majorité des deux tiers de ses membres, faire prévaloir le souhait de
rattachement de la commune nouvelle. À défaut, la commune nouvelle rejoint l'EPCI
à fiscalité propre retenu par le préfet.
Il était reproché à ces dispositions de porter atteinte à la libre
administration des collectivités territoriales.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'alors que le rattachement à un EPCI à
fiscalité propre a nécessairement des conséquences pour la commune nouvelle,
pour les communes membres des établissements publics concernés et pour ces
établissements publics eux-mêmes, les dispositions contestées ne prévoient ni la
consultation de l'organe délibérant de l'EPCI à fiscalité propre auquel le
rattachement est envisagé, ni celle des organes délibérants des EPCI à fiscalité
propre dont la commune nouvelle est susceptible de se retirer. Elles ne
prévoient pas, non plus, la consultation des conseils municipaux des communes
membres de ces établissements publics. Par ailleurs, en cas de désaccord avec le
projet de rattachement, ni ces établissements publics, ni ces communes ne
peuvent, contrairement à la commune nouvelle, provoquer la saisine de la
commission départementale de coopération intercommunale.
Pour ces motifs, compte tenu des conséquences qui résultent du rattachement de
la commune nouvelle à un EPCI à fiscalité propre, le Conseil constitutionnel a
jugé que les dispositions contestées portent à la libre administration des
communes une atteinte manifestement disproportionnée.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraire à la
Constitution le paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des
collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015
portant nouvelle organisation territoriale de la République.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision nos 399801, 400367 du 20 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la communauté de communes des sources du lac d'Annecy par Me Jean-Luc Rouchon, avocat au barreau de Lyon et pour la commune des Abrets en Dauphiné, par Me Anne Gardère, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-588 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale
de la République ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la commune des Abrets en Dauphiné par Me
Gardère, enregistrées le 1er août 2016 ;
- les observations présentées pour la communauté de communes des sources du lac
d'Annecy par Me Rouchon et Me Antoine Carle, avocat au barreau de Lyon,
enregistrées le 3 août 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la commune de
Talloires-Montmin par Me Yves Delaire, avocat au barreau de Lyon, enregistrées
le 11 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 12 août
et 16 septembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Carle et Gardère pour les requérantes, Me Delaire pour
la partie intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 11 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Le litige porte sur le rattachement à des communautés de communes, par deux arrêtés préfectoraux des 22 mars et 29 avril 2016, des communes nouvelles de Talloires-Montmin, en Haute Savoie, et des Abrets en Dauphiné, en Isère. Dès lors le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 2113-5 du code général des collectivités
territoriales tire les conséquences de la création d'une commune nouvelle sur
les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre
auxquels appartenaient précédemment les communes fusionnées. Son paragraphe II
prévoit : « Lorsque la commune nouvelle est issue de communes contiguës membres
d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre
distincts, le conseil municipal de la commune nouvelle délibère dans le mois de
sa création sur l'établissement public dont elle souhaite être membre.
« En cas de désaccord du représentant de l'État dans le département, dans un
délai d'un mois à compter de la délibération, celui-ci saisit la commission
départementale de la coopération intercommunale d'un projet de rattachement de
la commune nouvelle à un autre établissement public de coopération
intercommunale à fiscalité propre auquel appartenait une des communes dont la
commune nouvelle est issue. La commission dispose d'un délai de trois mois à
compter de sa saisine pour se prononcer. À défaut de délibération, celle-ci est
réputée favorable à la proposition du représentant de l'État dans le
département. La commune nouvelle ne devient membre de l'établissement public en
faveur duquel elle a délibéré que si la commission départementale s'est
prononcée en ce sens à la majorité des deux tiers de ses membres. En l'absence
d'une telle décision, elle devient membre de l'établissement public de
coopération intercommunale à fiscalité propre désigné par le représentant de
l'État dans le département.
« Un arrêté du représentant de l'État dans le département prononce le
rattachement de la commune nouvelle à un établissement public. Jusqu'à l'entrée
en vigueur de cet arrêté, par dérogation à l'article L. 5210-2, la commune
nouvelle reste membre de chacun des établissements publics auxquels les communes
appartenaient dans la limite du territoire de celles-ci. Jusqu'à l'entrée en
vigueur de cet arrêté, les conseillers communautaires représentant les anciennes
communes en fonction à la date de la création de la commune nouvelle restent
membres de l'organe délibérant de l'établissement public et les taux de
fiscalité votés par les établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité propre auxquels les anciennes communes appartenaient continuent de
s'appliquer sur le territoire de celles-ci.
« Le retrait du ou des autres établissements publics de coopération
intercommunale à fiscalité propre s'effectue dans les conditions prévues à
l'article L. 5211-25-1. Il vaut réduction du périmètre des syndicats mixtes dont
le ou les établissements publics précités sont membres, dans les conditions
fixées au troisième alinéa de l'article L. 5211-19».
3. Selon les requérantes et la partie intervenante, les dispositions contestées, qui autorisent le préfet à imposer à la commune nouvelle, lors de sa création, son rattachement à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre autre que celui en faveur duquel elle s'est prononcée, méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales. D'une part, ces dispositions ne seraient pas justifiées par un motif d'intérêt général. D'autre part, le législateur n'aurait pas entouré cette procédure de garanties suffisantes : ainsi le préfet n'aurait pas à prendre en compte dans sa décision le schéma départemental de coopération intercommunale ni à la motiver ; les pouvoirs attribués au préfet ne seraient par ailleurs pas limités dans le temps ; enfin, la consultation des organes délibérants de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes concernés ne serait pas non plus prévue. Il en résulterait une atteinte manifestement disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales. En outre, ces dispositions méconnaîtraient le principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre.
4. Selon la commune requérante et la partie intervenante, les dispositions contestées portent également atteinte au principe d'égalité devant la loi en traitant différemment les communes en fonction de leur appartenance ou non à certaines intercommunalités. Enfin, selon la partie intervenante, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence et porté atteinte, de ce fait, à la libre administration des collectivités territoriales, en s'abstenant de fixer le délai d'entrée en vigueur de l'arrêté rattachant la commune nouvelle à l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
- Sur le fond :
5. L'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. En vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ». Aux termes du cinquième alinéa de cet article : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ».
6. Si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations ou les soumettre à des interdictions, c'est à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt général. Ni le principe de la libre administration des collectivités territoriales, ni le principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre, ne font obstacle, en eux-mêmes, à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles les communes peuvent ou doivent exercer en commun certaines de leurs compétences dans le cadre de groupements.
7. En application des dispositions contestées, lorsqu'une commune nouvelle est créée à partir de communes appartenant à plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, son conseil municipal choisit l'établissement public dont elle souhaite être membre. Si le préfet n'est pas d'accord, il saisit la commission départementale de coopération intercommunale d'un autre projet de rattachement. Cette commission peut, à la majorité des deux tiers de ses membres, faire prévaloir le souhait de rattachement de la commune nouvelle. À défaut, la commune nouvelle rejoint l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre retenu par le préfet.
8. Ces règles affectent la libre administration des communes concernées. En autorisant le préfet à imposer à la commune nouvelle un autre rattachement que celui qu'elle souhaite, le législateur a entendu éviter que son choix puisse porter atteinte à la cohérence ou à la pertinence des périmètres intercommunaux existants. Il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général.
9. En revanche, alors que le rattachement à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre a nécessairement des conséquences pour la commune nouvelle, pour les communes membres des établissements publics concernés et pour ces établissements publics eux-mêmes, les dispositions contestées ne prévoient ni la consultation de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel le rattachement est envisagé, ni celle des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune nouvelle est susceptible de se retirer. Elles ne prévoient pas, non plus, la consultation des conseils municipaux des communes membres de ces établissements publics. Par ailleurs, en cas de désaccord avec le projet de rattachement, ni ces établissements publics, ni ces communes ne peuvent, contrairement à la commune nouvelle, provoquer la saisine de la commission départementale de coopération intercommunale. Dès lors, compte tenu des conséquences qui résultent du rattachement de la commune nouvelle à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, les dispositions contestées portent à la libre administration des communes une atteinte manifestement disproportionnée.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. En l'espèce, l'abrogation des dispositions contestées aurait pour conséquence l'impossibilité de déterminer à quel établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre la commune nouvelle est rattachée, lorsqu'elle est issue de la fusion de plusieurs communes membres d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre distincts. Il y a donc lieu de reporter cette abrogation au 31 mars 2017, afin de permettre au législateur d'apprécier les conséquences qu'il convient de tirer de cette déclaration d'inconstitutionnalité.
13. Par ailleurs, afin de préserver l'effet utile de la présente décision, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles. En cas d'annulation, sur ce fondement, de l'arrêté préfectoral portant rattachement d'une commune nouvelle à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, les deux dernières phrases du deuxième alinéa du paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales sont applicables.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le paragraphe II de l'article L. 2113-5 du code général des
collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-991 du
7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République est
contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues aux paragraphes 12 et 13 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 47 et sur le second alinéa de
l'article 48 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
Il était notamment soutenu que ces dispositions instituent une différence de
traitement injustifiée entre les communes de Guyane et celles des autres
territoires ultra-marins sur lesquels est perçu l'octroi de mer.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé qu'en application de l'article 47 de
la loi du 2 juillet 2004, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, la
dotation globale garantie, à laquelle est affectée l'essentiel du produit de
l'octroi de mer, est répartie uniquement entre les communes de ces
collectivités. En revanche, en Guyane, cette dotation bénéficie, à hauteur de 35
% et dans la limite de 27 millions d'euros, à la collectivité territoriale de
Guyane, tandis que les communes perçoivent le solde. Il en résulte une
différence de traitement entre les communes de Guyane et les communes des autres
territoires ultra-marins.
Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé qu'en adoptant les dispositions
contestées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière
de la Guyane et des charges spécifiques auxquelles la collectivité territoriale
de Guyane doit faire face en raison des contraintes liées à l'aménagement et au
développement de ce territoire et à son contexte économique et social. La
différence de traitement établie par le législateur est ainsi justifiée par un
motif d'intérêt général et en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de
déterminer la répartition du produit de l'octroi de mer.
Le Conseil constitutionnel a donc écarté le grief tiré d'une méconnaissance du
principe d'égalité et a, en conséquence, déclaré conformes à la Constitution les
mots « la collectivité territoriale » figurant à la deuxième phrase du premier
alinéa de l'article 47 et le second alinéa de l'article 48 de la loi n° 2004-639
du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer, dans leur rédaction résultant de
la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015 modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet
2004 relative à l'octroi de mer.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400632 du 22 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association des maires de Guyane et pour plusieurs communes de Guyane par Me Patrick Lingibé, avocat au barreau de Guyane. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-589 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des termes "Cette dotation est répartie, (...) en Guyane (...) entre la collectivité territoriale (...) et les communes" de l'article 47 et du second alinéa de l'article 48 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer », dans leur rédaction résultant de la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015 modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer ;
- la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015 modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet
2004 relative à l'octroi de mer ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérantes par Me Lingibé, enregistrées
les 22 août et 6 septembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la commune d'Ouanary par Me
Lingibé, enregistrées le 22 août 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lingibé, pour les requérantes et pour la commune
intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 11 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon l'article 47 de la loi du 2 juillet 2004, mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juin 2015, mentionnée ci-dessus, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion, le produit de l'octroi de mer est affecté, hors frais d'assiette et de recouvrement, à une dotation globale garantie. La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 47 prévoit : « Cette dotation est répartie, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion entre les communes et, en Guyane et à Mayotte, entre la collectivité territoriale ou le Département et les communes ».
2. L'article 48 de la loi du 2 juillet 2004, dans cette même rédaction, organise les modalités de répartition de la dotation globale garantie mentionnée à l'article 47. Le second alinéa de l'article 48 prévoit : « Nonobstant le premier alinéa, la collectivité de Guyane reçoit une part de la dotation globale garantie fixée à 35 % et plafonnée à 27 millions d'euros ».
3. Les requérantes et la partie intervenante soutiennent que les dispositions contestées, en ce qu'elles attribuent à la collectivité territoriale de Guyane une partie du produit de l'octroi de mer affectée à la dotation globale garantie, sont contraires au principe de libre administration des communes garanti par l'article 72 de la Constitution. Pour la même raison, ces dispositions méconnaîtraient également les principes d'autonomie et de compensation financières reconnus à l'article 72-2 de la Constitution, le principe d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité sur une autre résultant du cinquième alinéa de l'article 72 de la Constitution, ainsi que le principe d'égalité entre collectivités territoriales résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
4. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur les mots « la collectivité territoriale » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 47 et sur le second alinéa de l'article 48 de la loi du 2 juillet 2004.
- Sur les griefs tirés de la violation des articles 72 et 72-2 de la Constitution :
5. Selon les requérantes et la partie intervenante, en privant les communes de Guyane d'une partie du produit de l'octroi de mer affecté à la dotation globale garantie, les dispositions contestées restreignent leurs ressources propres et les placent sous la tutelle financière de la collectivité territoriale de Guyane, qui reçoit une part de ce produit. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi les principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales, d'autonomie et de compensation financières et d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
6. En premier lieu, selon les trois premiers alinéas de l'article 72-2 de la Constitution : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. - Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. - Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les recettes fiscales qui entrent dans la catégorie des ressources propres des collectivités territoriales sont constituées, au sens de l'article 72-2 de la Constitution, par le produit des impositions de toutes natures non seulement lorsque la loi autorise ces collectivités à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif, mais encore lorsqu'elle en détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette.
7. Les communes de Guyane ne peuvent agir ni sur le taux ni sur l'assiette de l'octroi de mer. Le législateur n'a pas non plus déterminé, pour chaque commune, le taux ou la part locale d'assiette de cette imposition. Dès lors, le produit de l'octroi de mer ne constitue pas une ressource propre des communes de Guyane. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'autonomie financière doit donc être écarté.
8. En deuxième lieu, selon l'article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi », les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus ».
9. Les dispositions contestées répartissent le produit de l'octroi de mer affecté à la dotation globale garantie entre la collectivité territoriale de Guyane et les communes de Guyane. Elles n'ont pas pour effet de restreindre les ressources des communes de Guyane au point de dénaturer leur libre administration. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration de ces collectivités doit être écarté.
10. En troisième lieu, selon la première phrase du cinquième alinéa de l'article 72 de la Constitution : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».
11. Les modalités de répartition du produit de l'octroi de mer sont fixées par la loi et non par la collectivité territoriale de Guyane. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre doit être écarté.
12. En dernier lieu, le produit de l'octroi de mer n'ayant pas pour fonction de compenser des charges liées à un transfert, à une création ou à une extension de compétence au sens du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, le grief tiré de la méconnaissance de cet alinéa manque en fait.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
13. Selon les requérantes et la partie intervenante, les dispositions contestées instituent une différence de traitement injustifiée entre les communes de Guyane et celles des autres territoires sur lesquels est perçu l'octroi de mer. Elles méconnaîtraient ainsi le principe d'égalité devant la loi.
14. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
15. En application de l'article 47 de la loi du 2 juillet 2004, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, la dotation globale garantie est répartie uniquement entre les communes de ces collectivités. En application des dispositions contestées, en Guyane, cette dotation bénéficie, à hauteur de 35 % et dans la limite d'un plafond de 27 millions d'euros, à la collectivité territoriale de Guyane, tandis que les communes perçoivent le solde. Il en résulte une différence de traitement entre les communes de Guyane et les communes des autres territoires ultra-marins mentionnés ci-dessus.
16. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière de la Guyane et des charges spécifiques auxquelles la collectivité territoriale de Guyane doit faire face en raison des contraintes liées à l'aménagement et au développement de ce territoire et à son contexte économique et social. Le législateur a ainsi établi une différence de traitement justifiée par un motif d'intérêt général et en rapport direct avec l'objet de la loi qui est de déterminer les modalités de répartition du produit de l'octroi de mer. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
17. Les mots « la collectivité territoriale » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 47 et le second alinéa de l'article 48 de la loi du 2 juillet 2004, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « la collectivité territoriale » figurant à la deuxième
phrase du premier alinéa de l'article 47 et le second alinéa de l'article 48 de
la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer, dans leur
rédaction résultant de la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015 modifiant la loi n°
2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer, sont conformes à la
Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. ;
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n°
2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Ces dispositions étaient notamment contestées sur le fondement du droit au
respect de la vie privée.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que les mesures de surveillance et
de contrôle autorisées par les dispositions contestées ne sont pas soumises aux
dispositions relatives au renseignement figurant au livre VIII du code de la
sécurité intérieure, qui définit les techniques de recueil de renseignement
soumises à autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après avis de la
Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et qui
détermine les voies de recours relatives à la mise en œuvre de ces techniques.
Ces mesures ne sont pas non plus soumises aux dispositions de la sous-section 2
de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure
pénale, qui encadrent les interceptions de correspondances émises par la voie de
communications électroniques prescrites par un juge d'instruction.
Le Conseil constitutionnel a ensuite énoncé les motifs pour lesquels les
dispositions contestées portent une atteinte manifestement disproportionnée au
droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
En premier lieu, dès lors qu'elles permettent aux pouvoirs publics de prendre
des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la
voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications
ou recueillies des données individualisables, les dispositions contestées
portent atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des
correspondances.
En deuxième lieu, en prévoyant que les mesures de surveillance et de contrôle
peuvent être prises « aux seules fins de défense des intérêts nationaux », les
dispositions contestées mettent en œuvre les exigences constitutionnelles
inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation. Toutefois,
elles n'interdisent pas que ces mesures puissent être utilisées à des fins plus
larges que la seule mise en œuvre de ces exigences.
En dernier lieu, les dispositions contestées ne définissent pas la nature des
mesures de surveillance et de contrôle que les pouvoirs publics sont autorisés à
prendre. Elles ne soumettent le recours à ces mesures à aucune condition de fond
ni de procédure et n'encadrent leur mise en œuvre d'aucune garantie.
La Conseil constitutionnel a donc déclaré contraire à la Constitution l'article
L. 811-5 du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction issue de la loi du
24 juillet 2015 relative au renseignement.
Dès lors que l'abrogation immédiate de cet article aurait eu pour effet de
priver les pouvoirs publics de toute possibilité de surveillance des
transmissions hertziennes, le Conseil constitutionnel a reporté au 31 décembre
2017 la date d'effet de cette déclaration d'inconstitutionnalité.
Il a néanmoins jugé que jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au
plus tard, jusqu'au 30 décembre 2017, les dispositions de l'article L. 811-5 du
code de la sécurité intérieure ne sauraient :
- ni être interprétées comme pouvant servir de fondement à des mesures
d'interception de correspondances, de recueil de données de connexion ou de
captation de données informatiques soumises à l'autorisation prévue au titre II
ou au chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure ;
- ni être mises en œuvre sans que la CNCTR soit régulièrement informée sur le
champ et la nature des mesures prises en application de cet article.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision nos 394922, 394925, 397844 et 397851 du 22 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations La Quadrature du Net, French Data Network, Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs et igwan.net, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-590 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par la SCP
Spinosi et Sureau, enregistrées les 22 août et 6 septembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les associations requérantes, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 11 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale ».
2. Selon les associations requérantes, en autorisant des mesures de surveillance et de contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne sans définir les conditions de collecte, d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements ainsi recueillis et sans prévoir aucun dispositif de contrôle de ces mesures, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif. En outre, il aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes droits.
- Sur le fond :
3. Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. Pour être conformes à la Constitution, les atteintes à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
4. Les dispositions contestées permettent aux pouvoirs publics de prendre, à des fins de défense des intérêts nationaux, des mesures de surveillance et de contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne. Selon l'article L. 871-2 du code de la sécurité intérieure, pour l'exécution de ces mesures, le ministre de la défense ou le ministre de l'intérieur peuvent requérir, auprès des personnes physiques ou morales exploitant des réseaux de communications électroniques ou fournisseurs de services de communications électroniques, les informations ou documents qui leur sont nécessaires pour la réalisation et l'exploitation des interceptions autorisées par la loi.
5. Les mesures de surveillance et de contrôle autorisées par les dispositions contestées ne sont pas soumises aux dispositions relatives au renseignement figurant au livre VIII du code de la sécurité intérieure, qui définit les techniques de recueil de renseignement soumises à autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, et qui détermine les voies de recours relatives à la mise en œuvre de ces techniques. Ces mesures ne sont pas non plus soumises aux dispositions de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale, qui encadrent les interceptions de correspondances émises par la voie de communications électroniques prescrites par un juge d'instruction.
6. En premier lieu, dès lors qu'elles permettent aux pouvoirs publics de prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
7. En deuxième lieu, en prévoyant que les mesures de surveillance et de contrôle peuvent être prises aux seules fins de défense des intérêts nationaux, les dispositions contestées mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation. Toutefois, elles n'interdisent pas que ces mesures puissent être utilisées à des fins plus larges que la seule mise en œuvre de ces exigences.
8. En dernier lieu, les dispositions contestées ne définissent pas la nature des mesures de surveillance et de contrôle que les pouvoirs publics sont autorisés à prendre. Elles ne soumettent le recours à ces mesures à aucune condition de fond ni de procédure et n'encadrent leur mise en œuvre d'aucune garantie.
9. Il résulte de ce qui précède que, faute de garanties appropriées, les dispositions contestées portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances résultant de l'article 2 de la Déclaration de 1789. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. L'abrogation immédiate de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure aurait pour effet de priver les pouvoirs publics de toute possibilité de surveillance des transmissions empruntant la voie hertzienne. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter au 31 décembre 2017 la date de cette abrogation.
12. Afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 30 décembre 2017, les dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ne sauraient être interprétées comme pouvant servir de fondement à des mesures d'interception de correspondances, de recueil de données de connexion ou de captation de données informatiques soumises à l'autorisation prévue au titre II ou au chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure. Pendant le même délai, les dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ne sauraient être mises en œuvre sans que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement soit régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de cet article.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, dans sa
rédaction issue de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au
renseignement, est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues aux paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2013 1117 du 6 décembre 2013 relative à la
lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière.
Ces dispositions instituent un registre public des trusts, dans lequel sont
recensés tous les trusts dont la déclaration est rendue obligatoire par
l'article 1649 AB. Sont concernés les trusts dont l'administrateur, le
constituant ou au moins l'un des bénéficiaires a son domicile fiscal en France
et ceux qui comprennent un bien ou un droit qui y est situé. Pour chaque trust
recensé, le registre précise la date de sa constitution ainsi que les noms de
son administrateur, de son constituant, et de ses bénéficiaires.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'en favorisant, par les dispositions
contestées, la transparence sur les trusts, le législateur a entendu éviter leur
utilisation à des fins d'évasion fiscale et de blanchiment des capitaux. Il a
ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude
et l'évasion fiscales.
Toutefois, la mention, dans un registre accessible au public, des noms du
constituant, des bénéficiaires et de l'administrateur d'un trust fournit des
informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine.
Il en résulte une atteinte au droit au respect de la vie privée. Le législateur,
qui n'a précisé ni la qualité ni les motifs justifiant la consultation du
registre, n'a pas limité le cercle des personnes ayant accès aux données de ce
registre placé sous la responsabilité de l'administration fiscale.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé que les dispositions contestées portent
au droit au respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée
au regard de l'objectif poursuivi.
Il a en conséquence déclaré contraire à la Constitution le deuxième alinéa de
l'article 1649 AB du code général des impôts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400913 du 22 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Helen S., par Mes Stéphanie Auféril, Marine Dupas et Stanislas Pannetier, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-591 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude
fiscale et la grande délinquance économique et financière ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP
Matuchansky-Poupot-Valdelievre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 22 août 2016;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, et Me Auféril pour la requérante, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Il est institué un registre public des trusts. Il recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l'administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust ».
2. La requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée et sont entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte à ce droit dès lors qu'elles donnent au public un accès entièrement libre et non encadré à des données confidentielles relatives à la constitution d'un trust. Ces dispositions méconnaîtraient également le principe d'égalité devant la loi.
Sur le fond :
3. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
4. Le registre public des trusts institué par le deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts recense tous les trusts, au sens de l'article 792-0 bis du même code, dont la déclaration est rendue obligatoire par les premier et cinquième alinéas du même article. Ces trusts sont ceux dont l'administrateur, le constituant ou au moins l'un des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou ceux qui comprennent un bien ou un droit qui y est situé. Pour chaque trust recensé, ce registre précise la date de sa constitution ainsi que les noms de son administrateur, de son constituant, et de ses bénéficiaires. Le quatrième alinéa de l'article 1649 AB renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités de consultation de ce registre public.
5. En favorisant, par les dispositions contestées, la transparence sur les trusts, le législateur a entendu éviter leur utilisation à des fins d'évasion fiscale et de blanchiment des capitaux. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
6. La mention, dans un registre accessible au public, des noms du constituant, des bénéficiaires et de l'administrateur d'un trust fournit des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine. Il en résulte une atteinte au droit au respect de la vie privée. Or, le législateur, qui n'a pas précisé la qualité ni les motifs justifiant la consultation du registre, n'a pas limité le cercle des personnes ayant accès aux données de ce registre, placé sous la responsabilité de l'administration fiscale. Dès lors, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution.
Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
7. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
8. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 1649 AB du code général des
impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 8 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 27 juillet 2016,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une
part, de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise
en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation
personnalisée d'autonomie et, d'autre part, de l'article L. 344-5 du même code,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour
l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées.
Les dispositions contestées de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et
des familles sont relatives au recours en récupération contre la succession de
la personne handicapée bénéficiaire de l'aide sociale. Elles excluent ce recours
à l'égard du bénéficiaire revenu à meilleure fortune ainsi qu'à l'égard de
certains de ses héritiers (le conjoint, les enfants, les parents et toute autre
personne ayant assumé de façon effective et constante sa prise en charge) et de
ses donataires ou légataires.
La requérante reprochait notamment à ces dispositions d'établir une différence
de traitement, pour l'exemption du recours en récupération, d'une part, entre
les frères et sœurs du bénéficiaire de l'aide sociale et certains de ses
héritiers, d'autre part, entre les personnes handicapées et les personnes âgées
et, enfin, entre les personnes handicapées elles-mêmes selon leur lieu
d'hébergement. La requérante estimait que cette différence de traitement
méconnaissait les principes d'égalité devant la loi et devant les charges
publiques.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation pour les motifs
suivants.
En premier lieu, en exemptant certaines personnes du recours en récupération
instauré par l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, le
législateur a entendu tenir compte d'une part, de l'aide apportée à la personne
handicapée bénéficiaire de l'aide sociale et, d'autre part, de sa proximité
particulière avec les personnes exemptées. Il a distingué, parmi les héritiers,
ceux qui ont effectivement assumé la prise en charge de l'intéressé, ceux,
parents, enfants ou conjoint, qui peuvent être présumés l'avoir fait, parce
qu'ils sont tenus à son égard par une obligation alimentaire légale, et ceux,
donataires ou légataires, qui lui sont liés par une proximité particulière que
manifeste la gratification qu'elle leur a consentie. La distinction ainsi opérée
avec les autres héritiers repose sur des critères objectifs et rationnels en
rapport direct avec l'objet de la loi.
En deuxième lieu, les personnes handicapées n'étant pas placées dans la même
situation que les personnes âgées au regard des exigences de leur prise en
charge par l'aide sociale, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe
d'égalité, prévoir des modalités différentes de récupération de l'aide sociale
dans l'un et l'autre cas.
En dernier lieu, l'article L. 344-5-1 du code de l'action sociale et des
familles étend aux personnes handicapées hébergées dans des établissements
d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou des unités de soins de longue
durée le régime d'exemption de recours en récupération prévu à l'article L.
344-5 dans deux situations : lorsque les intéressées étaient précédemment
hébergées dans un établissement dédié au handicap ou lorsque leur incapacité a
été reconnue au moins égale à un pourcentage fixé par décret avant leurs
soixante-cinq ans. Les personnes handicapées âgées peuvent être prises en charge
au titre de l'aide sociale, soit en raison de leur handicap, soit en raison de
leur âge. En faisant prévaloir, selon le cas, l'âge ou le handicap, le
législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec
l'objet de la loi.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré conformes à la Constitution
les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5°
et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de celles accueillies dans
les établissements relevant de l'article L. 344-1 » figurant au premier alinéa
de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles et la première
phrase du 2° de cet article dans sa rédaction résultant de la loi du 11 février
2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400336 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Françoise B. par la SCP Levy-Soussen, avocat au barreau de Paris, et la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-592 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, et de l'article L. 344-5 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la
perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée
d'autonomie ;
- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des
chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP Thouin-Palat et
Boucard, enregistrées les 22 août et 1er septembre 2016 ;
- les observations présentées pour le département de Paris, partie en défense,
par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 22 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Françoise Thouin-Palat, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour la requérante, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des
familles, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 juillet 2001 mentionnée
ci-dessus, détermine les conditions dans lesquelles les prestations d'aide
sociale peuvent faire l'objet d'un recours en récupération par la collectivité
qui les a financées. Il prévoit : « Des recours sont exercés, selon le cas, par
l'État ou le département :
« 1° Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession
du bénéficiaire ;
« 2° Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à
la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
« 3° Contre le légataire.
« En ce qui concerne les prestations d'aide sociale à domicile, de soins de
ville prévus par l'article L. 111-2 et la prise en charge du forfait journalier,
les conditions dans lesquelles les recours sont exercés, en prévoyant, le cas
échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale, en
deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement, sont fixées par voie
réglementaire.
« Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l'aide sociale à domicile
ou de la prise en charge du forfait journalier s'exerce sur la partie de l'actif
net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil
fixé par voie réglementaire ».
2. L'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des
familles, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 février 2005 mentionnée
ci-dessus, prévoit : « Les frais d'hébergement et d'entretien des personnes
handicapées accueillies, quel que soit leur âge, dans les établissements
mentionnés au b du 5° et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de
celles accueillies dans les établissements relevant de l'article L. 344-1, sont
à la charge :
« 1° À titre principal, de l'intéressé lui-même sans toutefois que la
contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources
au-dessous d'un minimum fixé par décret et par référence à l'allocation aux
handicapés adultes, différent selon qu'il travaille ou non. Ce minimum est
majoré, le cas échéant, du montant des rentes viagères mentionnées à l'article
199 septies du code général des impôts ainsi que des intérêts capitalisés
produits par les fonds placés sur les contrats visés au 2° du I de l'article 199
septies du même code ;
« 2° Et, pour le surplus éventuel, de l'aide sociale sans qu'il soit tenu compte
de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à l'obligation
alimentaire à l'égard de l'intéressé, et sans qu'il y ait lieu à l'application
des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide
sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses
enfants, ses parents ou la personne qui a assumé, de façon effective et
constante, la charge du handicapé ni sur le légataire, ni sur le donataire. Les
sommes versées, au titre de l'aide sociale dans ce cadre, ne font pas l'objet
d'un recouvrement à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à
meilleure fortune ».
3. Selon la requérante, ces dispositions méconnaissent le droit de propriété et le principe de solidarité nationale consacré par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en ce qu'elles instituent un recours en récupération contre la succession de la personne handicapée bénéficiaire de l'aide sociale. Elles portent aussi atteinte aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en ce qu'elles établissent une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, d'une part, entre les héritiers du bénéficiaire de l'aide sociale, d'autre part, entre les personnes handicapées et les personnes âgées et, enfin, entre les personnes handicapées selon la structure qui les accueille.
4. Au sein des dispositions renvoyées seuls les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5° et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de celles accueillies dans les établissements relevant de l'article L. 344-1 », figurant au premier alinéa de l'article L. 344-5, instituent une différence de traitement entre les personnes handicapées et les personnes âgées ainsi qu'entre les personnes handicapées selon la structure qui les accueille. Au sein du 2° de l'article L. 344-5 seule la première phrase institue un recours en récupération sur la succession des personnes handicapées et distingue pour celui-ci entre les héritiers. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur ces dispositions.
- Sur les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
5. La requérante reproche aux dispositions contestées d'établir une différence de traitement, pour l'exemption du recours en récupération, d'une part, entre les frères et sœurs du bénéficiaire de l'aide sociale et certains de ses héritiers, d'autre part, entre les personnes handicapées et les personnes âgées et, enfin, entre les personnes handicapées elles-mêmes selon leur lieu d'hébergement. Cette différence de traitement méconnaîtrait les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Ce principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
8. Le législateur a entendu conférer à l'aide sociale un caractère subsidiaire. En effet, elle n'est versée que pour compléter les ressources propres du demandeur en cas de carence des débiteurs de la créance d'aliments préalablement sollicités. Les prestations fournies à ce titre font l'objet, en application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, d'un recours en récupération par la personne publique ayant attribué l'aide sociale. Selon ces dispositions, le recours est exercé contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune, contre sa succession ou contre le donataire et le légataire.
9. L'article L. 344-5 du même code fixe les conditions financières de la prise en charge des frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées accueillies dans les établissements sociaux et médico-sociaux mentionnés au b du 5° et au 7° du paragraphe I de l'article L. 312-1 de ce code. Ces frais sont à la charge, en premier lieu, de l'intéressé et, pour le surplus éventuel, de l'aide sociale. Le 2° de l'article L. 344-5 précise que cette aide sociale est versée sans sollicitation préalable des droits alimentaires et prévoit un recours en récupération limité sur le patrimoine du bénéficiaire et sur sa succession. Ainsi, le recours en récupération est exclu non seulement à l'égard du bénéficiaire revenu à meilleure fortune mais aussi à l'égard de certains de ses héritiers : son conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires ou donataires et toute autre personne ayant assumé de façon effective et constante sa prise en charge.
10. En premier lieu, en exemptant certaines personnes du recours en récupération instauré par l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, le législateur a entendu tenir compte d'une part, de l'aide apportée à la personne handicapée bénéficiaire de l'aide sociale et, d'autre part, de la proximité particulière des personnes exemptées avec elle. Il a distingué, parmi les héritiers, ceux qui ont effectivement assumé la prise en charge de l'intéressée, ceux, parents, enfants ou conjoint, qui peuvent être présumés l'avoir fait, parce qu'ils sont tenus à son égard par une obligation alimentaire légale, et ceux, donataires ou légataires, qui lui sont liés par une proximité particulière que manifeste la gratification qu'elle leur a consentie. La distinction ainsi opérée avec les autres héritiers repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objet de la loi.
11. En deuxième lieu, les personnes handicapées n'étant pas placées dans la même situation que les personnes âgées au regard des exigences de leur prise en charge par l'aide sociale, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir des modalités différentes de récupération de l'aide sociale dans l'un et l'autre cas.
12. En dernier lieu, l'article L. 344-5-1 du code de l'action sociale et des familles étend aux personnes handicapées hébergées dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou des unités de soins de longue durée le régime d'exemption de recours en récupération prévu à l'article L. 344-5 dans deux situations : lorsque les intéressées étaient précédemment hébergées dans un établissement dédié au handicap ou lorsque leur incapacité a été reconnue au moins égale à un pourcentage fixé par décret avant leurs soixante-cinq ans. Les personnes handicapées âgées peuvent être prises en charge au titre de l'aide sociale, soit en raison de leur handicap, soit en raison de leur âge. En faisant prévaloir, selon le cas, l'âge ou le handicap, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objet de la loi.
13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
- Sur les autres griefs :
14. La requérante estime que le recours en récupération sur la succession des personnes handicapées est contraire au principe de solidarité à l'égard des personnes handicapées. Ce principe s'opposerait, en effet, à ce que l'État ou les collectivités publiques fassent assumer la charge de la solidarité qu'ils mettent en œuvre par d'autres qu'eux. Elle estime également que ces dispositions méconnaissent le droit de propriété en ce qu'elles font peser sur la succession de la personne une dette à laquelle celle-ci n'était pas nécessairement tenue de son vivant.
15. En premier lieu, en assurant à l'intéressé le bénéfice de l'aide sociale tant que dure son état de nécessité, et en prévoyant, afin d'en garantir le financement, qu'un recours en récupération pourra être exercé au décès du bénéficiaire, contre sa succession, les dispositions contestées ont mis en œuvre, sans la méconnaître, l'exigence de solidarité nationale.
16. En second lieu, le recours en récupération s'exerçant à la fois dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de l'aide sociale et dans la limite de l'actif net successoral, il n'entraîne ni privation du droit de propriété ni atteinte à ce droit.
17. Les griefs tirés de la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de 1946 et des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.
18. Par conséquent les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5° et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de celles accueillies dans les établissements relevant de l'article L. 344-1 » figurant au premier alinéa de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles et la première phrase du 2° de cet article, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements
mentionnés au b du 5° et au 7° du I de l'article L. 312-1, à l'exception de
celles accueillies dans les établissements relevant de l'article L. 344-1 »
figurant au premier alinéa de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et
des familles et la première phrase du 2° de cet article dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 juillet 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 6222-5 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi n°
2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale.
En application des premier et troisième alinéas de cet article, les sites d'un
laboratoire de biologie médicale sont implantés au maximum sur trois territoires
de santé limitrophes et, en cas de modification de la délimitation de ces
territoires, les sites dont l'implantation est devenue irrégulière ne peuvent
être maintenus. Il en est de même lorsque l'irrégularité de l'implantation
découle de la révision du schéma régional d'organisation des soins. Des
dérogations peuvent être accordées par voie réglementaire.
La société requérante contestait ces dispositions sur le fondement du droit de
propriété et de la liberté d'entreprendre.
Le Conseil constitutionnel a écarté cette argumentation.
En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a
entendu garantir une proximité géographique entre les différents sites d'un même
laboratoire. Il a en effet estimé que cette proximité favorisait la qualité des
soins en permettant au « biologiste responsable » d'un laboratoire de conserver
la responsabilité effective de l'ensemble des phases de l'examen de biologie
médicale sur ces différents sites. Ce faisant, le législateur a poursuivi un but
d'intérêt général.
En deuxième lieu, les territoires de santé sont définis par l'agence régionale
de santé, après avis du représentant de l'État dans la région et de la
conférence régionale de la santé et de l'autonomie, en prenant en compte les
besoins de santé de la population. Par conséquent, en autorisant l'implantation
des différents sites d'un laboratoire, sans en limiter le nombre, sur trois
territoires de santé limitrophes, le législateur a permis de retenir un bassin
de population suffisant pour l'exercice de l'activité de biologie médicale.
En troisième lieu, les dispositions contestées n'excluent pas que, conformément
aux règles de droit commun, l'exploitant d'un laboratoire de biologie médicale,
qui subirait un préjudice anormal et spécial en raison de la modification des
délimitations d'un territoire de santé ou de la révision du schéma régional
d'organisation des soins, puisse en demander réparation sur le fondement du
principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
En dernier lieu, le respect du droit de propriété n'imposait pas au législateur
de prévoir le maintien de certains sites en dépit de leur implantation devenue
irrégulière. Dès lors, il pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence,
renvoyer au pouvoir réglementaire les conditions dans lesquelles des dérogations
aux règles d'implantation sont accordées.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conformes à la
Constitution les premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de
la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 30 mai 2013 portant
réforme de la biologie médicale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 juillet 2016 par le Conseil d'État (décision nos 398314, 398321 du 27 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Eylau Unilabs, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et pour le syndicat des biologistes, par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-593 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 6222-5 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers
départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et
modifiant le calendrier électoral ;
- la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et
Molinié, enregistrées les 22 août et 6 septembre 2016 ;
- les observations présentées pour le syndicat requérant par la SCP Jérôme
Rousseau et Guillaume Tapie, enregistrées le 22 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour la société requérante, Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, pour le syndicat requérant, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 octobre
2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 6222-5 du code de la santé publique dans
sa rédaction résultant de la loi du 30 mai 2013 mentionnée ci-dessus prévoit : «
Les sites du laboratoire de biologie médicale sont localisés soit sur le même
territoire de santé, et au maximum sur trois territoires de santé limitrophes,
sauf dérogation accordée par le directeur général de l'agence régionale de santé
dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État et prévue par le
schéma régional d'organisation des soins.
« Lorsqu'un laboratoire de biologie médicale comprend des sites localisés en
France et à l'étranger, la distance maximale pouvant séparer les sites localisés
sur le territoire national de ceux localisés sur le territoire d'un ou plusieurs
autres États est déterminée par voie réglementaire, en tenant compte des
circonstances locales.
« Lors de la révision des schémas régionaux d'organisation des soins ou lors
d'un changement de délimitation des territoires de santé, les conditions dans
lesquelles les sites d'un laboratoire de biologie médicale peuvent être
maintenus, de manière temporaire ou définitive, sont déterminées par voie
réglementaire».
2. La société et le syndicat requérants soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles prévoient que les différents sites d'un laboratoire de biologie médicale sont localisés au maximum sur trois territoires de santé limitrophes, portent une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Ils estiment par ailleurs qu'en imposant, sans prévoir de garanties, la fermeture des sites d'un laboratoire dont l'implantation est devenue irrégulière en raison d'une révision du schéma régional d'organisation des soins ou d'un changement de délimitation des territoires de santé, le législateur a méconnu la liberté d'entreprendre ainsi que l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à porter atteinte au droit de propriété.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de la santé publique.
4. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
5. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
7. Selon l'article 34 de la Constitution : la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ».
8. En application des premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de la santé publique, les sites d'un laboratoire de biologie médicale sont implantés au maximum sur trois territoires de santé limitrophes et, en cas de modification de la délimitation de ces territoires, les sites dont l'implantation est devenue irrégulière ne peuvent être maintenus. Il en est de même lorsque l'irrégularité de l'implantation découle de la révision du schéma régional d'organisation des soins. Des dérogations peuvent être accordées par voie réglementaire.
9. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu garantir une proximité géographique entre les différents sites d'un même laboratoire. Il a en effet estimé que cette proximité favorisait la qualité des soins en permettant au « biologiste responsable » de conserver la responsabilité effective de l'ensemble des phases de l'examen de biologie médicale sur ces différents sites. Ce faisant, le législateur a poursuivi un but d'intérêt général.
10. En deuxième lieu, selon l'article L. 1434-16 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus, les territoires de santé sont définis par l'agence régionale de santé, après avis du représentant de l'État dans la région et de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie, en prenant en compte les besoins de santé de la population. Par conséquent, en autorisant l'implantation des différents sites d'un laboratoire, sans en limiter le nombre, sur trois territoires de santé limitrophes, le législateur a permis de retenir un bassin de population suffisant pour l'exercice de l'activité de biologie médicale.
11. En troisième lieu, les dispositions contestées n'excluent pas que, conformément aux règles de droit commun, l'exploitant d'un laboratoire de biologie médicale, qui subirait un préjudice anormal et spécial en raison de la modification des délimitations d'un territoire de santé ou de la révision d'un schéma régional d'organisation des soins, puisse en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
12. En dernier lieu, le respect du droit de propriété n'imposait pas au législateur de prévoir le maintien de certains sites en dépit de leur implantation devenue irrégulière. Dès lors, il pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire les conditions dans lesquelles des dérogations aux règles d'implantation sont accordées.
13. Il résulte de ce qui précède que les dispositions des premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de la santé publique ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Elles ne sont pas non plus entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte au droit de propriété.
14. Les griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'entreprendre et de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence doivent donc être écartés. Les premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de la santé publique, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les premier et troisième alinéas de l'article L. 6222-5 du code de
la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-442 du 30 mai
2013 portant réforme de la biologie médicale sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 août 2016, par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit de l'article
153 du code de procédure pénale (CPP).
La requérante soutenait que l'obligation de prêter serment au cours d'une
enquête pénale, lorsqu'elle est imposée à une personne soupçonnée d'avoir commis
une infraction, méconnaît le droit de se taire et celui de ne pas participer à
sa propre incrimination.
Elle contestait ainsi la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du
CPP qui prévoit que le fait qu'une personne gardée à vue dans le cadre d'une
commission rogatoire ait été entendue après avoir prêté le serment prévu pour
les témoins ne constitue pas une cause de nullité de procédure.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que le droit de se taire est
constitutionnellement protégé. Celui-ci découle du principe selon lequel nul
n'est tenu de s'accuser, lequel résulte de l'article 9 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Il a ensuite relevé que, d'une part, seule peut être placée en garde à vue une
personne à l'encontre de laquelle il existe une ou des raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis une infraction et, d'autre part, qu'il ressort de la
combinaison des articles 103 et 153 du CPP que toute personne entendue comme
témoin au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenue de prêter
serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité ».
Or, le Conseil constitutionnel a considéré que faire prêter un tel serment peut
être de nature à laisser croire à la personne qu'elle ne dispose pas du droit de
se taire ou de nature à contredire l'information qu'elle a reçue concernant ce
droit. Il en a déduit qu'en faisant obstacle, en toute circonstance, à la
nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le
cadre d'une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte
au droit de se taire de la personne soupçonnée.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraire à la
Constitution la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du CPP dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de
la justice aux évolutions de la criminalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 août 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, décision no 4138 du 27 juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Sylvie T. par Mes Pierre-François Veil et David Père, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-594 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 153 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité ;
- la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 24 août et
12 septembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 août
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 20 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'une requête en annulation devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris portant sur des actes de procédure pénale réalisés en juin et novembre 2012. Le Conseil constitutionnel est donc saisi de l'article 153 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 153 du code de procédure pénale dans cette
rédaction prévoit : « Tout témoin cité pour être entendu au cours de l'exécution
d'une commission rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et de
déposer. Lorsqu'il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'il a commis
ou tenté de commettre une infraction, il ne peut être retenu que le temps
strictement nécessaire à son audition.
« S'il ne satisfait pas à cette obligation, avis en est donné au magistrat
mandant qui peut le contraindre à comparaître par la force publique. Le témoin
qui ne comparaît pas encourt l'amende prévue par l'article 434-15-1 du code
pénal.
« L'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux
personnes gardées à vue en application des dispositions de l'article 154. Le
fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté
serment ne constitue toutefois pas une cause de nullité de la procédure ».
3. La requérante soutient que l'obligation de prêter serment au cours d'une enquête pénale, lorsqu'elle est imposée à une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, méconnaît le droit constitutionnellement reconnu de se taire et celui de ne pas participer à sa propre incrimination. Elle en conclut que la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution dans la mesure où elle s'oppose à la nullité des auditions réalisées sous serment au cours d'une garde à vue réalisée dans le cadre d'une commission rogatoire.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire.
6. Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2011 mentionnée ci-dessus, en application de l'article 63 du code de procédure pénale, pouvait seule être placée en garde à vue une personne à l'encontre de laquelle il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle avait commis ou tenté de commettre une infraction. À compter de l'entrée en vigueur de cette loi, en application de l'article 62-2 du même code, peut seule être placée en garde à vue une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement. Conformément à l'article 63-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 avril 2011, cette personne est immédiatement informée de son droit, lors des auditions, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. L'article 154 du même code prévoit que ces dispositions sont applicables lors de l'exécution d'une commission rogatoire.
7. Par ailleurs, il ressort des articles 103 et 153 du code de procédure pénale que toute personne entendue comme témoin au cours de l'exécution d'une commission rogatoire est tenue de prêter serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité ».
8. Faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue de « dire toute la vérité, rien que la vérité » peut être de nature à lui laisser croire qu'elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l'information qu'elle a reçue concernant ce droit. Dès lors, en faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée. Par conséquent, la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du code de procédure pénale doit être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du code de
procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars
2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 10 de la présente décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3
novembre 2014, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole
BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne
LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 4 novembre 2016.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 août 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de
l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000.
Il était reproché à ces dispositions, qui renvoient au pouvoir réglementaire la détermination des conditions d'exercice de l'activité d'élimination de certains
déchets, de ne pas assurer la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur
l'environnement et, ainsi, de méconnaître l'article 7 de la Charte de l'environnement.
La décision du Conseil constitutionnel distingue trois périodes :
- avant l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, le 3 mars 2005, les
dispositions contestées ne méconnaissaient aucun droit ou liberté que la
Constitution garantit ;
- à compter de l'entrée en vigueur de cette Charte et jusqu'à celle de la loi du
12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, le
législateur, faute d'avoir prévu des dispositions mettant en œuvre le principe
de participation du public, a méconnu les exigences de l'article 7 de la Charte
;
- la loi du 12 juillet 2010, en insérant dans le code de l'environnement un
article L. 120-1 assurant la participation du public, a mis fin à
l'inconstitutionnalité constatée au cours de la période précédente.
Le Conseil Constitutionnel a donc jugé que le premier alinéa de l'article L. 541
22 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18
septembre 2000 qui n'est plus en vigueur, a été contraire à la Constitution du 3
mars 2005 au 13 juillet 2010. Cette inconstitutionnalité peut être invoquée dans
toutes les instances introduites et non jugées définitivement à la date de
publication de la décision du Conseil.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 août 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4141 du 10 août 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Aprochim, Chimirec et Chimirec Est, par Me Jean-Nicolas Clément, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-595 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 541-22 du code de l'environnement, « dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 décembre 2010 ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative
du code de l'environnement ;
- la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier
le droit ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour
l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par Me Clément et
par Me Alain Monod, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 14 et 29 septembre 2016 ;
- les observations présentées pour la région Pays de la Loire, partie en
défense, par Me Emmanuel Tordjman, avocat au barreau de Paris, enregistrées les
14 et 29 septembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14
septembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Clément et Monod, pour les sociétés requérantes, Me
Tordjman, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 8 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 541-22 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 septembre 2000, ratifiée par l'article 31 de la loi du 2 juillet 2003, mentionnées ci-dessus, prévoit : « Pour certaines des catégories de déchets visées à l'article L. 541-7 et précisées par décret, l'administration fixe, sur tout ou partie du territoire national, les conditions d'exercice de l'activité d'élimination telle qu'elle est définie à l'article L. 541-2.« Ces mêmes catégories de déchets ne peuvent être traitées que dans les installations pour lesquelles l'exploitant est titulaire d'un agrément de l'administration. Elles cessent de pouvoir être traitées en vue de leur élimination dans les installations existantes pour lesquelles cet agrément n'a pas été accordé à la date d'entrée en vigueur fixée par le décret prévu au précédent alinéa ».
2. Selon les sociétés requérantes, en ne prévoyant aucune procédure permettant à toute personne de prendre part à l'élaboration des décisions réglementaires fixant les conditions d'exercice de l'activité d'élimination de certaines catégories de déchets, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence et le principe de participation du public protégé par la Charte de l'environnement.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement.
- Sur le fond :
4. Selon le premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. Selon l'article 7 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. Depuis l'entrée en vigueur de cette Charte, il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions.
6. En premier lieu, en vertu des dispositions contestées, les conditions d'exercice de l'activité d'élimination de certains déchets par leur producteur ou leur détenteur sont fixées par voie réglementaire. Ces déchets, définis à l'article L. 541-7 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 septembre 2000, sont ceux susceptibles, soit en l'état, soit lors de leur élimination, de causer des nuisances à l'environnement. En application de l'article L. 541-2 du même code, dans sa rédaction issue de la même ordonnance, l'activité d'élimination de ces déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement devant être effectuées dans des conditions propres à éviter de telles nuisances. Par conséquent, les décisions réglementaires prévues au premier alinéa de l'article L. 541-22 du même code, qui fixent les conditions d'exercice de cette activité, constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement.
7. En second lieu, d'une part, avant l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement le 3 mars 2005, les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.
8. D'autre part, à compter de l'entrée en vigueur de cette Charte et avant celle de la loi du 12 juillet 2010 mentionnée ci-dessus, aucune disposition législative n'assurait la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques prévues au premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement. Par conséquent, en s'abstenant d'édicter de telles dispositions, le législateur a, pendant cette période, méconnu les exigences de l'article 7 de la Charte de l'environnement.
9. Enfin, la loi du 12 juillet 2010 a inséré dans le code de l'environnement l'article L. 120-1, qui définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics ayant une incidence directe et significative sur l'environnement. Ces dispositions prévoient, selon le cas, soit une publication du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, soit une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes intéressées. L'entrée en vigueur de ces dispositions, le 14 juillet 2010, a ainsi mis fin à l'inconstitutionnalité constatée au cours de la période précédente. À compter de cette date, les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement doit être déclaré conforme à la Constitution avant le 3 mars 2005, puis contraire à celle-ci à compter de cette date et jusqu'au 13 juillet 2010. Il doit, enfin, être déclaré conforme à la Constitution à compter du 14 juillet 2010 et jusqu'à l'entrée en vigueur de sa nouvelle rédaction résultant de l'ordonnance du 17 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions contestées. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de
l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-914 du 18
septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement,
était conforme à la Constitution avant le 3 mars 2005.
Article 2.- Le premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement,
dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000
relative à la partie législative du code de l'environnement, était contraire à
la Constitution à compter du 3 mars 2005 et jusqu'au 13 juillet 2010.
Article 3.- Le premier alinéa de l'article L. 541-22 du code de l'environnement,
da ns sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000
relative à la partie législative du code de l'environnement, qui n'est plus en
vigueur, était conforme à la Constitution à compter du 14 juillet 2010.
Article 4.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 12 de cette décision.
Article 5.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 novembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 août 2016 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la deuxième
phrase du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.
En application des dispositions contestées, l'ordonnance du juge d'instruction
refusant ou accordant la restitution peut être contestée devant la chambre de
l'instruction. Ces dispositions ne s'appliquent par conséquent que dans
l'hypothèse où un juge a déjà statué sur la demande du requérant. La loi ne fixe
cependant aucun délai au juge d'appel pour rendre sa décision.
Le Conseil constitutionnel, faisant application de sa jurisprudence, a considéré
que, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un
délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de
l'ordonnance prise par un juge refusant la restitution d'un bien saisi ne
saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de
nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de
propriété.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé conforme à la Constitution la deuxième
phrase du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale dans sa
version contestée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 août 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt no 4249 du 24 août 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Sihame B. par Me Kaltoum Gachi, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2016-596 QPC. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP Spinosi et Sureau,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 16
septembre et 3 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 16
septembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Gachi, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion du recours contre le rejet par le juge d'instruction, le 11 janvier 2016, d'une demande de restitution d'un véhicule. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 15 juin 2000 mentionnée ci-dessus.
2. Selon l'article 99 du code de procédure pénale dans cette rédaction, le juge d'instruction statue par ordonnance sur les demandes de restitution des biens placés sous main de justice. Le cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale dispose : « L'ordonnance du juge d'instruction mentionnée au deuxième alinéa du présent article est notifiée soit au requérant en cas de rejet de la demande, soit au ministère public et à toute autre partie intéressée en cas de décision de restitution. Elle peut être déférée à la chambre de l'instruction, sur simple requête déposée au greffe du tribunal, dans le délai et selon les modalités prévus par le quatrième alinéa de l'article 186. Ce délai est suspensif ».
3. Selon la partie requérante, ces dispositions méconnaissent le droit de propriété ainsi que le droit à un recours effectif dans la mesure où elles n'impartissent aucun délai à la chambre de l'instruction pour statuer en appel sur la restitution des biens saisis, de sorte que la procédure de restitution ne serait pas entourée de garanties suffisantes.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la deuxième phrase du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale.
5. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition, le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire.
7. En application de la deuxième phrase du cinquième alinéa de l'article 99 du code procédure pénale, l'ordonnance du juge d'instruction refusant ou accordant la restitution peut être contestée devant la chambre de l'instruction. Ces dispositions ne s'appliquent par conséquent que dans l'hypothèse où un juge a déjà statué sur la demande du requérant. La loi ne fixe cependant aucun délai au juge d'appel pour rendre sa décision.
8. Toutefois, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance prise par un juge refusant la restitution ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété.
9. Il en résulte que les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences découlant des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit de propriété doivent donc être écartés.
10. Par conséquent, les dispositions de la deuxième phrase du cinquième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions de la deuxième phrase du cinquième alinéa de
l'article 99 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 novembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 septembre 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
paragraphe I de l'article L. 4424-9, du paragraphe II de l'article L. 4424-11 et
du paragraphe I de l'article L. 4424-12 du code général des collectivités territoriales.
Ces dispositions attribuent à la collectivité territoriale de Corse la
compétence pour fixer, d'une part, l'échelle des cartes et documents
cartographiques annexés au plan d'aménagement et de développement durable de
Corse et, d'autre part, la localisation de certains sites remarquables.
La commune requérante estimait que ces dispositions méconnaissaient notamment le
principe de libre administration des collectivités territoriales et le principe
d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
Le Conseil constitutionnel a rappelé qu'en vertu du paragraphe III de l'article
L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales, les documents
d'urbanisme élaborés par les communes et leurs groupements doivent être
compatibles avec le plan d'aménagement et de développement durable de Corse.
Le Conseil constitutionnel a considéré que, lorsqu'elle fixe les échelles
cartographiques et la localisation prévues par les dispositions contestées,
l'assemblée de Corse est tenue de veiller, sous le contrôle du juge
administratif, à la préservation d'un rapport de compatibilité, et non de
conformité, entre les documents d'urbanisme et le plan d'aménagement et de
développement durable de Corse.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé que les dispositions contestées ne
méconnaissent ni le principe de libre administration des collectivités
territoriales, ni le principe d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité
territoriale sur une autre.
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution :
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 septembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400684 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune de Coti-Chiavari par Me Jean-Marc Février, avocat au barreau de Narbonne. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-597 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article L. 4424-9, du paragraphe II de l'article L. 4424-11 et du paragraphe I de l'article L. 4424-12 du code général des collectivités territoriales.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2011-1749 du 5 décembre 2011 relative au plan d'aménagement et de
développement durable de Corse ;
- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique
territoriale et d'affirmation des métropoles ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la commune requérante par la SCP Garreau
Bauer-Violas Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 6 octobre 2016, ainsi que celles présentées par cette
SCP et Me Février, enregistrées le 20 octobre 2016 ;
- les observations présentées pour la collectivité territoriale de Corse, partie
en défense, par la SELARL Cloix et Mendes-Gil, avocat au barreau de Paris,
enregistrées les 4 et 21 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 octobre
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Février, pour la commune requérante, Me Pierre-Manuel
Cloix, avocat au barreau de Paris, pour la partie en défense, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 novembre
2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'une requête tendant à obtenir l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 2 octobre 2015 par laquelle l'assemblée de Corse a approuvé le plan d'aménagement et de développement durable de Corse. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe I de l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 27 janvier 2014 mentionnée ci-dessus, du paragraphe II de l'article L. 4424-11 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 5 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, et du paragraphe I de l'article L. 4424-12 du même code dans sa rédaction résultant de la même loi du 5 décembre 2011.
2. Le paragraphe I de l'article L. 4424-9 du code général
des collectivités territoriales, dans cette rédaction, dispose que : « La
collectivité territoriale de Corse élabore le plan d'aménagement et de
développement durable de Corse.
« Le plan définit une stratégie de développement durable du territoire en fixant
les objectifs de la préservation de l'environnement de l'île et de son
développement économique, social, culturel et touristique, qui garantit
l'équilibre territorial et respecte les principes énoncés aux articles L. 110 et
L. 121-1 du code de l'urbanisme.
« Il fixe les orientations fondamentales en matière de protection et de mise en
valeur du territoire, de développement agricole, rural et forestier, de pêche et
d'aquaculture, d'habitat, de transports, d'intermodalité d'infrastructures et de
réseaux de communication et de développement touristique.
« Il définit les principes de l'aménagement de l'espace qui en résultent et il
détermine notamment les espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que les
sites et paysages à protéger ou à préserver, l'implantation des grandes
infrastructures de transport et des grands équipements, la localisation
préférentielle ou les principes de localisation des extensions urbaines, des
activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, forestières,
touristiques, culturelles et sportives.
« La destination générale des différentes parties du territoire de l'île fait
l'objet d'une carte, dont l'échelle est déterminée par délibération de
l'Assemblée de Corse dans le respect de la libre administration des communes et
du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, et que précisent,
le cas échéant, les documents cartographiques prévus à l'article L. 4424-10 et
au II de l'article L. 4424-11.
« Le plan d'aménagement et de développement durable comporte les informations
prévues à l'article L. 121-11 du code de l'urbanisme.
« Il prévoit des critères, indicateurs et modalités permettant à la collectivité
territoriale de suivre l'application de ses dispositions et leurs incidences ».
3. Le paragraphe II de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, dans cette rédaction, dispose que : « Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut, compte tenu du caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement présentés par certains espaces géographiques limités, définir leur périmètre, fixer leur vocation et comporter des dispositions relatives à l'occupation du sol propres auxdits espaces, assorties, le cas échéant, de documents cartographiques dont l'objet et l'échelle sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse. « En l'absence de schéma de cohérence territoriale, de plan local d'urbanisme, de schéma de secteur, de carte communale ou de document en tenant lieu, les dispositions du plan relatives à ces espaces sont opposables aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration et de demande d'autorisation prévues au code de l'urbanisme ».
4. Le paragraphe I de l'article L. 4424-12 du code général des collectivités territoriales, dans cette rédaction, dispose que : « Le plan d'aménagement et de développement durable peut, par une délibération particulière et motivée de l'Assemblée de Corse, fixer, pour l'application du premier alinéa de l'article 146-6 du code de l'urbanisme, une liste complémentaire à la liste des espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques à préserver. Cette délibération tient lieu du décret prévu au premier alinéa du même article L. 146-6. Elle définit également leur localisation ».
5. La commune requérante reproche à ces dispositions de méconnaître le principe de libre administration des collectivités territoriales et le principe d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre au motif qu'elles confient à la collectivité territoriale de Corse le soin de fixer, d'une part, l'échelle des documents cartographiques annexés au plan d'aménagement et de développement durable de Corse et, d'autre part, la localisation de sites remarquables figurant sur une liste arrêtée par ce plan. Pour la même raison, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte à ces deux principes.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « , dont l'échelle est déterminée par délibération de l'Assemblée de Corse dans le respect de la libre administration des communes et du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, et » figurant au cinquième alinéa du paragraphe I de l'article L. 4424-9, les mots « et l'échelle » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 4424-11, et la dernière phrase du paragraphe I de l'article L. 4424-12.
7. L'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. En vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ». Aux termes du cinquième alinéa de cet article : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».
8. Le paragraphe I de l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales prévoit que la collectivité territoriale de Corse élabore le plan d'aménagement et de développement durable de Corse. Ce plan a pour vocation de définir une stratégie de développement durable du territoire en fixant les objectifs de préservation de l'environnement de l'île et de son développement. Il définit les principes d'aménagement de l'espace qui en résultent et détermine notamment les espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que les sites et paysages à protéger ou à préserver, l'implantation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements, la localisation préférentielle ou les principes de localisation des extensions urbaines, des activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, forestières, touristiques, culturelles et sportives. Il comporte une carte fixant la destination générale des différentes parties du territoire de l'île.
9. Les dispositions contestées de l'article L. 4424-9 confient à l'assemblée de Corse le soin de déterminer l'échelle de cette carte. Les dispositions contestées de l'article L. 4424-11 en font de même pour la carte des espaces géographiques limités présentant un caractère stratégique au regard des enjeux de préservation et de développement. Les dispositions contestées de l'article L. 4424-12 confient à l'assemblée de Corse le soin de déterminer la localisation des espaces littoraux à protéger figurant sur une liste complémentaire à celle fixée par décret en application de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme.
10. En vertu du paragraphe III de l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales, les documents d'urbanisme élaborés par les communes et leurs groupements doivent être compatibles avec le plan d'aménagement et de développement durable de Corse. Aussi, lorsqu'elle fixe les échelles cartographiques et la localisation mentionnées ci-dessus, l'assemblée de Corse est tenue de veiller, sous le contrôle du juge administratif, à la préservation d'un rapport de compatibilité, et non de conformité, entre les documents d'urbanisme et le plan d'aménagement et de développement durable de Corse. Les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, ne méconnaissent donc ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni le principe d'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.
11. Il en résulte que les mots « , dont l'échelle est déterminée par délibération de l'Assemblée de Corse dans le respect de la libre administration des communes et du principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre, et » figurant au cinquième alinéa du paragraphe I de l'article L. 4424-9, les mots « et l'échelle » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 4424-11, et la dernière phrase du paragraphe I de l'article L. 4424-12 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sont conformes à la Constitution :
- les mots « , dont l'échelle est déterminée par délibération de l'Assemblée de
Corse dans le respect de la libre administration des communes et du principe de
non-tutelle d'une collectivité sur une autre, et » figurant au cinquième alinéa
du paragraphe I de l'article L. 4424-9 du code général des collectivités
territoriales dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-58 du 27 janvier
2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ;
- les mots « et l'échelle » figurant au premier alinéa du paragraphe II de
l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2011-1749 du 5 décembre 2011 relative au plan d'aménagement et de développement durable de Corse ;
- la dernière phrase du paragraphe I de l'article L. 4424-12 du code général des
collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1749
du 5 décembre 2011 relative au plan d'aménagement et de développement durable de Corse.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 novembre 2016, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 septembre 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2 de
l'article 187 du code général des impôts.
Les produits distribués, visés aux articles 108 à 117 bis du code général des
impôts, aux personnes n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège en France
sont soumis à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du
code général des impôts.
Les dispositions contestées fixent un taux d'imposition spécifique, de 75 %,
lorsque ces produits sont distribués dans un État ou un territoire non
coopératif (ETNC).
Dans une précédente décision, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé
conforme à la Constitution le taux de 75 % prévu par ces dispositions. Le
Conseil a donc prononcé un non-lieu à statuer sur ce point.
Faisant application de sa jurisprudence, le Conseil a, pour le reste, jugé les
dispositions contestées conformes à la Constitution en formulant une réserve
d'interprétation.
Il a jugé que les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte
disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire
obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve de
ce que les distributions de produits dans un ETNC n'ont ni pour objet ni pour
effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de revenus
dans un tel État ou territoire.
Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution
le 2 de l'article 187 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 septembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400867 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Eurofrance par Me Rodolphe Mossé, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-598 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2 de l'article 187 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ensemble la
décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 octobre
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mossé, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 15 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 2 de l'article 187 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le taux de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis est fixé à 75 % pour les produits mentionnés aux articles 108 à 117 bis et payés hors de France, dans un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A ».
2. La société requérante conteste, en premier lieu, le taux de 75 % fixé par ces dispositions. D'une part, il serait confiscatoire. D'autre part, il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. En second lieu, la société requérante conteste le reste des dispositions du 2 de l'article 187 du code général des impôts. D'une part, celles-ci méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques, puisque la présomption irréfragable de fraude fiscale qu'elles instituent à l'encontre des sociétés distribuant des produits dans un État ou un territoire non coopératif ferait obstacle à la prise en compte de leurs facultés contributives. D'autre part, ces dispositions édicteraient une sanction ayant le caractère d'une punition contraire au principe de légalité des délits et des peines.
- Sur la recevabilité :
3. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
4. Dans sa décision du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 9 de la loi de finances pour 2013, dont le U du paragraphe I portait de 55 % à 75 % le taux de la retenue à la source mentionné au 2 de l'article 187 du code général des impôts. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
5. Dès lors, et en l'absence d'un changement de circonstances, il n'y a pas lieu pour le Conseil d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le taux « 75 % » figurant au 2 de l'article 187 du code général des impôts.
- Sur le fond :
6. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Les produits distribués, visés aux articles 108 à 117 bis du code général des impôts, aux personnes n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège en France sont soumis à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. Le 2 de l'article 187 du même code fixe un taux d'imposition spécifique, de 75 %, lorsque ces produits sont distribués dans un État ou un territoire non coopératif.
8. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre les « paradis fiscaux ». Il a ainsi poursuivi un but de lutte contre la fraude fiscale des personnes qui réalisent des opérations financières dans les États et les territoires non coopératifs. Ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Toutefois ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve de ce que les distributions de produits dans un État ou un territoire non coopératif n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de revenus dans un tel État ou territoire. Sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
9. Par ailleurs, les dispositions contestées n'instituant aucune sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de la méconnaissance du principe de la légalité des délits et des peines est inopérant.
10. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les dispositions du 2 de l'article 187 du code général des impôts, autres que celles mentionnées au paragraphe 5, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu de statuer sur le taux « 75 % » figurant au 2 de
l'article 187 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi
n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
Article 2.- Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le reste du 2 de l'article 187 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n°
2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, est conforme à la Constitution.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 novembre 2016, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 septembre 2016 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
La requérante reprochait à cet article de déclarer certains responsables publics
non justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière et, ainsi,
d'instaurer à leur profit une irresponsabilité en matière de manquements à la
législation financière. Selon elle, les dispositions contestées méconnaissent le
principe d'égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées instaurent,
pour la répression autre que pénale des manquements aux règles des finances
publiques, une différence de traitement entre, d'une part, les membres du
Gouvernement et les élus locaux et, d'autre part, les personnes justiciables de
la cour de discipline budgétaire et financière.
Le Conseil constitutionnel n'a pas fait droit à cette argumentation. Il a relevé
en premier lieu, d'une part, que les membres du Gouvernement sont collectivement
responsables devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures
prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution. D'autre part, les maires, les
présidents de conseil départemental ou de conseil régional et les présidents de
groupements de collectivités territoriales agissent sous le contrôle de l'organe
délibérant de la collectivité ou du groupement au sein duquel ils ont été élus
ou sur délégation de cet organe. Ces autorités sont donc placées, eu égard à la
nature du contrôle auquel elles sont soumises, dans une situation différente de
celle des justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière
mentionnés au paragraphe I de l'article L. 312-1 du code des juridictions
financières.
Il a relevé, en second lieu, qu'en application des articles L. 313-9 et L.
313-10 du même code, les personnes justiciables de la cour de discipline
budgétaire et financière ne sont passibles d'aucune sanction si elles peuvent
exciper d'un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou, le cas échéant, du
ministre ou de l'élu local compétent. Une telle exemption de responsabilité
n'est pas envisageable pour les membres du Gouvernement ou les élus locaux, qui
ne sont pas soumis à un pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, l'exemption de
poursuites dont bénéficient les membres du Gouvernement et les élus locaux est
limitée aux actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion
d'activités accessoires à ces fonctions. De plus, en application de l'article L.
312-2 du code des juridictions financières, les élus locaux peuvent être
poursuivis devant la cour de discipline budgétaire et financière dans trois cas
: lorsqu'ils ont engagé leur responsabilité propre par un acte de réquisition
d'un comptable public et ont conféré un avantage à autrui ; lorsqu'ils ont
refusé d'acquitter une somme exigée par la justice ; lorsque leur refus
d'exécuter une décision de justice a conduit à la condamnation d'une personne
morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion
d'un service public.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées ne
méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi. Il a, en conséquence,
déclaré conforme à la Constitution l'article L. 312-1 du code des juridictions
financières, à l'exception des m et n de son paragraphe II (dispositions qu'il
n'a pas contrôlées), dans sa rédaction résultant de la loi du 27 juillet 2011
relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 septembre 2016 par le Conseil d'État (décision no 400864 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Sandrine A. par la SELARL Drai associés, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2016-599 QPC. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code des juridictions financières ;
- la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales
de Guyane et de Martinique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées, pour la requérante, par la SELARL Drai associés,
enregistrées les 4 et 20 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 octobre
2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jean-Baptiste Blanc, avocat au barreau de Paris, pour la
requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 22 novembre 2016 ;
Au vu des pièces suivantes :
- les notes en délibéré présentées, pour la requérante, par la SELARL Drai
associés, enregistrées les 29 novembre et 1er décembre 2016 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 30
novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 312-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction
résultant de la loi du 27 juillet 2011 mentionnée ci-dessus, fixe la liste des
personnes justiciables, à raison de leurs fonctions, de la cour de discipline
budgétaire et financière et précise celles qui ne le sont pas. Cet article
dispose ainsi :
« I.- Est justiciable de la Cour :
« a) Toute personne appartenant au cabinet d'un membre du Gouvernement ;
« b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l'État, des collectivités
territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des
collectivités territoriales ;
« c) Tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont
soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d'une chambre
régionale des comptes ou d'une chambre territoriale des comptes.
« Sont également justiciables de la Cour tous ceux qui exercent, en fait, les
fonctions des personnes désignées ci-dessus.
« II.- Toutefois, ne sont pas justiciables de la Cour à raison des actes
accomplis dans l'exercice de leurs fonctions :
« a) Les membres du Gouvernement ;
« b) Les présidents de conseil régional et, quand ils agissent dans le cadre des
dispositions des articles L. 4132-3 à L. 4132-10, L. 4132-13, L. 4132-15, L.
4132-21, L. 4132-22, L. 4132-25, L. 4133-1, L. 4133-2, L. 4133-4 à L. 4133-8, L.
4231-1 à L. 4231-5 du code général des collectivités territoriales, les
vice-présidents et autres membres du conseil régional ;
« c) Le président du conseil exécutif de Corse et, quand ils agissent dans le
cadre des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 4424-4 du code général
des collectivités territoriales, les conseillers exécutifs ;
« c bis) Le président de l'assemblée de Guyane et, quand ils agissent par
délégation de celui-ci, les vice-présidents et autres membres de l'assemblée de
Guyane ;
« c ter) Le président du conseil exécutif de Martinique et, quand ils agissent
dans le cadre des articles L. 7224-12 et L. 7224-21 du code général des
collectivités territoriales, les conseillers exécutifs ;
« d) Les présidents de conseil général et, quand ils agissent dans le cadre des
dispositions des articles L. 3221-3 et L. 3221-7 du code général des
collectivités territoriales, les vice-présidents et autres membres du conseil
général ;
« e) Les maires et, quand ils agissent dans le cadre des dispositions des
articles L. 2122-17 à L. 2122-20 et L. 2122-25 du code général des collectivités
territoriales, les adjoints et autres membres du conseil municipal ;
« f) Les présidents élus de groupements de collectivités territoriales et, quand
ils agissent par délégation du président, les vice-présidents et autres membres de l'organe délibérant du groupement ;
« g) Le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et, quand il agit dans le cadre des dispositions de l'article 70 de la loi organique n° 99-209 du
19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le vice-président ; le président de l'assemblée de province et, quand ils agissent dans le cadre des dispositions de l'article 173 de la
même loi organique, les vice-présidents ;
« h) Le président de la Polynésie française et, quand ils agissent dans le cadre des dispositions de l'article 67 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février
2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le vice-président et les ministres ;
« i) Le président du conseil général de Mayotte et, quand ils agissent dans le
cadre des dispositions des articles L. 3221-3 et L. 3221-7 du code général des
collectivités territoriales, les vice-présidents et autres membres du conseil général ;
« j) Le président du conseil territorial de Saint-Barthélemy et, quand ils agissent dans le cadre des dispositions de l'article LO 6252-3 du même code, les
vice-présidents et autres membres du conseil exécutif ;
« k) Le président du conseil territorial de Saint-Martin et, quand ils agissent
dans le cadre des dispositions de l'article LO 6352-3 du même code, les vice-présidents et autres membres du conseil exécutif ;
« l) Le président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon et, quand
ils agissent dans le cadre des dispositions de l'article LO 6462-8 du même code, les vice-présidents et autres membres du conseil territorial ;
« m) S'ils ne sont pas rémunérés et s'ils n'exercent pas, directement ou par délégation, les fonctions de président, les administrateurs élus des organismes
de protection sociale relevant du contrôle de la Cour des comptes et agissant dans le cadre des dispositions législatives ou réglementaires ;
« n) S'ils ne sont pas rémunérés et s'ils n'exercent pas les fonctions de président, les administrateurs ou agents des associations de bienfaisance
assujetties au contrôle de la Cour des comptes ou d'une chambre régionale des comptes.
« Les personnes mentionnées aux a à l ne sont pas non plus justiciables de la Cour lorsqu'elles ont agi dans des fonctions qui, en raison de dispositions
législatives ou réglementaires, sont l'accessoire obligé de leur fonction principale ».
2. La requérante reproche à cet article de déclarer certains responsables publics non justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière et, ainsi, d'instaurer à leur profit une irresponsabilité en matière d'infractions à la législation financière. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant la loi pénale. Il en résulterait également une méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans la mesure où cette immunité interdirait que les personnes qui en bénéficient soient tenues de rendre compte de leur action en matière financière.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l'article L. 312-1 du code des juridictions financières à l'exception des m et n de son paragraphe II.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi:
4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. En application de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, peuvent être poursuivis devant la cour de discipline budgétaire et financière les membres de cabinet ministériel, les militaires, les fonctionnaires et agents publics de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs groupements, et des établissements publics, ainsi que les administrateurs des organismes soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. Ne sont, en revanche, pas justiciables de la cour les membres du Gouvernement, les maires, les présidents de conseil départemental ou régional, les présidents de groupements de collectivités territoriales et les autres élus locaux dotés de prérogatives exécutives, lorsqu'ils agissent dans le cadre de leurs fonctions ou dans le cadre d'activités qui en constituent l'accessoire.
6. Les dispositions contestées instaurent, pour la répression autre que pénale des manquements aux règles des finances publiques, une différence de traitement entre, d'une part, les membres du Gouvernement et les élus locaux et, d'autre part, les personnes justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière.
7. Cependant, en premier lieu, d'une part, les membres du Gouvernement sont collectivement responsables devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution. D'autre part, les maires, les présidents de conseil départemental ou de conseil régional et les présidents de groupements de collectivités territoriales agissent sous le contrôle de l'organe délibérant de la collectivité ou du groupement au sein duquel ils ont été élus ou sur délégation de cet organe. Ces autorités sont donc placées, eu égard à la nature du contrôle auquel elles sont soumises, dans une situation différente de celle des justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière mentionnés au paragraphe I de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières.
8. En second lieu, en application des articles L. 313-9 et L. 313-10 du même code, les personnes justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière ne sont passibles d'aucune sanction si elles peuvent exciper d'un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou, le cas échéant, du ministre ou de l'élu local compétent. Une telle exemption de responsabilité n'est pas envisageable pour les membres du Gouvernement ou les élus locaux, qui ne sont pas soumis à un pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, l'exemption de poursuites dont bénéficient les membres du Gouvernement et les élus locaux est limitée aux actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion d'activités accessoires à ces fonctions. De plus, en application de l'article L. 312-2 du code des juridictions financières, les élus locaux peuvent être poursuivis devant la cour de discipline budgétaire et financière dans trois cas : lorsqu'ils ont engagé leur responsabilité propre par un acte de réquisition d'un comptable public et ont conféré un avantage à autrui ; lorsqu'ils ont refusé d'acquitter une somme exigée par la justice ou lorsque leur refus d'exécuter une décision de justice a conduit à la condamnation d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public.
9. Dès lors, la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées est justifiée par une différence de situation. Elle est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est d'instaurer des sanctions de nature disciplinaire pour les manquements aux règles des finances publiques.
10. Les dispositions contestées ne sont donc pas contraires au principe d'égalité devant la loi.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration de 1789 :
11. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
12. Compte tenu des contrôles ou des obligations politiques, administratives ou pénales pesant par ailleurs sur les membres du Gouvernement et les élus locaux pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, le législateur n'a pas méconnu l'article 15 de la Déclaration de 1789 en les exemptant, sauf dans les cas prévus à l'article L. 312-2 du même code, des poursuites devant cette cour pour manquements aux règles des finances publiques.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, à l'exception des m et n de son paragraphe II, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 312-1 du code des juridictions financières, à l'exception des m et n et de son paragraphe II, dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er décembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 septembre 2016 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3
avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3
avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Les dispositions contestées ont été adoptées par le législateur à la suite de la décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel qui avait
déclaré contraires à la Constitution les dispositions antérieures de la loi relative à l'état d'urgence permettant de copier des données stockées dans un
système informatique auxquelles les perquisitions administratives donnent accès. Le Conseil avait alors estimé que le dispositif n'était pas entouré de garanties légales suffisantes.
Les dispositions contestées autorisent, lors de telles perquisitions, la saisie des données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal se
trouvant sur les lieux ou contenues dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour ce système.
Cette saisie est effectuée soit par copie de ces données, soit par saisie du support dans lequel elles sont contenues. Les dispositions contestées
déterminent les conditions d'exploitation et de conservation de ces données par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif.
S'agissant de la saisie et de l'exploitation des données informatiques, le Conseil constitutionnel a relevé, d'une part, que les dispositions contestées
définissent les motifs pouvant justifier cette saisie: la perquisition doit avoir révélé l'existence de données relatives à la menace.
Ces mêmes dispositions déterminent, d'autre part, les conditions de sa mise en œuvre : la saisie est réalisée en présence de l'officier de police judiciaire ; elle ne peut être effectuée
sans que soit établi un procès-verbal indiquant ses motifs et sans qu'une copie en soit remise au procureur de la République ainsi qu'à l'occupant du lieu, à son représentant ou à deux témoins.
Les dispositions contestées imposent enfin l'autorisation préalable, par un juge, de l'exploitation des données collectées, laquelle ne peut porter sur
celles dépourvues de lien avec la menace. Dans l'attente de la décision du juge, les données sont placées sous la responsabilité du chef du service ayant procédé
à la perquisition et nul ne peut y avoir accès.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en prévoyant ces différentes garanties légales, le législateur a, en ce qui concerne la saisie et l'exploitation de
données informatiques, assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Il a également jugé que le législateur n'a pas méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.
S'agissant de la conservation des données informatiques, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur avait encadré les conditions de
conservation des données autres que celles caractérisant la menace ayant justifié la saisie en prévoyant un délai à l'issu duquel elles sont détruites.
De la même manière, lorsque l'exploitation des données conduit à la constatation d'une infraction, la loi prévoit qu'elles sont conservées selon les règles
applicables en matière de procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel a, en revanche, constaté que lorsque les données copiées caractérisent une menace sans conduire à la constatation d'une
infraction, le législateur n'a prévu aucun délai, après la fin de l'état d'urgence, à l'issue duquel ces données sont détruites. Le Conseil a en
conséquence jugé que le législateur n'a, en ce qui concerne la conservation de ces données, pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation
équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.
Le Conseil a donc déclaré contraires à la Constitution les mots : « À l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité
et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du
3 avril 1955. Il a toutefois reporté les effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité au 1er mars 2017.
En ce qui concerne l'atteinte au droit de propriété, le Conseil constitutionnel a relevé que la saisie des systèmes et appareils informatiques est non seulement
encadrée par les garanties légales mentionnées plus haut, mais qu'elle n'est possible que si la copie des données qu'ils contiennent ne peut être réalisée ou
achevée pendant le temps de la perquisition. Cette impossibilité doit être justifiée par l'autorité administrative lorsqu'elle sollicite du juge
l'autorisation d'exploiter les données contenues dans ces supports. En outre, le procès-verbal de saisie dresse l'inventaire des matériels saisis.
Enfin, les systèmes et les équipements saisis sont restitués à leur propriétaire à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie
ou de la date à laquelle le juge des référés a autorisé l'exploitation des données. Ce délai ne peut être prorogé, pour la même durée, que par le juge des
référés et en cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis.
Aussi, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en permettant la saisie de supports informatiques sans autorisation préalable d'un juge lors d'une perquisition
administrative dans le cadre de l'état d'urgence, le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le droit de
propriété et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public
Hormis les mots précités, le Conseil a jugé conformes à la Constitution les dispositions des cinquième à dixième alinéas du paragraphe I de l'article 11 de
la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans leur version contestée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 septembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 402941 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Raïme A. par Me Amandine Dravigny, avocat au barreau de Besançon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-600 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des troisième à dixième alinéas du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de
renforcement de la lutte antiterroriste ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Dravigny, enregistrées le 24 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 octobre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour les associations La Ligue des droits de l'Homme, La Quadrature du Net, French Data Network et Fédération des
fournisseurs d'accès à Internet associatifs par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 21 octobre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Dravigny, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes, et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 2016 mentionnée
ci-dessus, détermine le régime des perquisitions et des saisies administratives dans le cadre de l'état d'urgence. Ses troisième à dixième alinéas prévoient :
« Lorsqu'une perquisition révèle qu'un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l'autorité administrative peut en autoriser par
tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai.
« Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans
ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial
ou disponibles pour le système initial.
« Si la perquisition révèle l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le
comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition
peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition.
« La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l'officier de police
judiciaire. L'agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse
l'inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les
supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. À compter de la saisie, nul n'y a accès avant l'autorisation du juge.
« L'autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d'autoriser leur exploitation. Au vu des
éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et
sur la demande de l'autorité administrative. Sont exclus de l'autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et
l'ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l'appel mentionné au dixième alinéa du
présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire.
« Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la
responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à
leur propriétaire, le cas échéant après qu'il a été procédé à la copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à
compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l'exploitation des données qu'ils contiennent. À
l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées
sont détruites à l'expiration d'un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans
ce délai, en a autorisé l'exploitation.
« En cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis ou dans l'exploitation des données copiées, lorsque cela est nécessaire,
les délais prévus au huitième alinéa du présent I peuvent être prorogés, pour la même durée, par le juge des référés saisi par l'autorité administrative au moins
quarante-huit heures avant l'expiration de ces délais. Le juge des référés statue dans un délai de quarante-huit heures sur la demande de prorogation
présentée par l'autorité administrative. Si l'exploitation ou l'examen des données et des supports saisis conduisent à la constatation d'une infraction,
ces données et supports sont conservés selon les règles applicables en matière de procédure pénale.
« Pour l'application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la
perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles
d'appel devant le juge des référés du Conseil d'État dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification. Le juge des référés du
Conseil d'État statue dans le délai de quarante-huit heures. En cas d'appel, les données et les supports saisis demeurent conservés dans les conditions
mentionnées au huitième alinéa du présent I ».
2. Selon le requérant, en permettant la saisie de données et de matériels informatiques lors d'une perquisition administrative dans le cadre de l'état d'urgence, sans autorisation préalable d'un juge et sans limiter suffisamment les conditions d'accès aux données ainsi saisies, ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le droit de propriété. Pour les mêmes raisons, les parties intervenantes estiment, d'une part, que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif et, d'autre part, que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes droits.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les quatrième à dixième alinéas du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955.
- Sur la recevabilité :
4. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
5. Dans sa décision du 19 février 2016 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions de la première phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955. Il les a déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Dès lors, en l'absence de changement des circonstances, il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de ces dispositions, qui figurent désormais au quatrième alinéa du même paragraphe I, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 2016.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et le droit à un recours juridictionnel effectif :
6. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la sauvegarde des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure le droit au respect de la vie privée, en particulier de l'inviolabilité du domicile, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
7. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
8. En application du premier alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, lorsque le décret déclarant l'état d'urgence ou la loi le prorogeant l'a expressément prévu, l'autorité administrative peut, sous certaines conditions, ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, « lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Les dispositions contestées autorisent, lors de telles perquisitions, la saisie des données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal se trouvant sur les lieux ou contenues dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour ce système. Cette saisie est effectuée soit par copie de ces données, soit par saisie du support dans lequel elles sont contenues. Les dispositions contestées déterminent les conditions d'exploitation et de conservation de ces données par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif.
- S'agissant de la saisie et de l'exploitation de données informatiques :
9. En premier lieu, les mesures prévues par les dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone couverte par cet état d'urgence. L'état d'urgence ne peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, qu' « en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou « en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
10. En deuxième lieu, la copie de données informatiques ne peut être effectuée que si la perquisition révèle l'existence d'éléments relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne justifiant cette perquisition.
11. En troisième lieu, la saisie de données informatiques est réalisée en présence de l'officier de police judiciaire. Elle ne peut être effectuée sans que soit établi un procès-verbal indiquant ses motifs et sans qu'une copie en soit remise au procureur de la République ainsi qu'à l'occupant du lieu, à son représentant ou à deux témoins.
12. En dernier lieu, l'exploitation des données saisies nécessite l'autorisation préalable du juge des référés du tribunal administratif, saisi à cette fin par l'autorité administrative à l'issue de la perquisition. Cette autorisation ne peut porter que sur des éléments présentant un lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne justifiant la perquisition. Dans l'attente de la décision du juge, les données sont placées sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et nul ne peut y avoir accès.
13. Ainsi, les dispositions contestées définissent les motifs pouvant justifier la saisie de données informatiques, déterminent les conditions de sa mise en œuvre et imposent l'autorisation préalable, par un juge, de l'exploitation des données collectées, laquelle ne peut porter sur celles dépourvues de lien avec la menace. En prévoyant ces différentes garanties légales, le législateur a, en ce qui concerne la saisie et l'exploitation de données informatiques, assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Il n'a pas non plus méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.
- S'agissant de la conservation des données informatiques saisies :
14. Lorsque le juge rejette la demande d'autorisation d'exploitation des données informatiques, les données copiées sont, sous réserve d'un appel devant le juge des référés du Conseil d'État, détruites sans délai. Lorsque le juge autorise leur exploitation, ces données sont conservées sous la responsabilité du chef du service pendant le temps strictement nécessaire à cette exploitation.
15. En tout état de cause, à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés a autorisé leur exploitation, les données copiées, autres que celles caractérisant la menace ayant justifié la saisie, sont détruites. Ce délai ne peut être prorogé, pour la même durée, que par le juge des référés et en cas de difficulté dans l'exploitation des données saisies. Lorsque l'exploitation des données conduit à la constatation d'une infraction, ces données sont conservées selon les règles applicables en matière de procédure pénale.
16. En revanche, lorsque les données copiées caractérisent une menace sans conduire à la constatation d'une infraction, le législateur n'a prévu aucun délai, après la fin de l'état d'urgence, à l'issue duquel ces données sont détruites. Par conséquent, le législateur n'a, en ce qui concerne la conservation de ces données, pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Dès lors, les mots : « À l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être déclarés contraires à la Constitution.
. En ce qui concerne le droit de propriété :;
17. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
18. En premier lieu, lors d'une perquisition administrative dans le cadre de l'état d'urgence, la saisie de systèmes informatiques ou d'équipements terminaux est encadrée par les garanties légales mentionnées aux paragraphes 9 à 12 et 14 de la présente décision.
19. En deuxième lieu, les dispositions contestées n'autorisent la saisie de tels systèmes et équipements que lorsque la copie des données qu'ils contiennent ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition. Cette impossibilité doit être justifiée par l'autorité administrative lorsqu'elle sollicite du juge l'autorisation d'exploiter les données contenues dans ces supports. En outre, le procès-verbal de saisie dresse l'inventaire des matériels
20. En dernier lieu, les systèmes et les équipements saisis sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés a autorisé l'exploitation des données. Ce délai ne peut être prorogé, pour la même durée, que par le juge des référés et en cas de difficulté dans l'accès aux données contenues dans les supports saisis.
21. La copie des données informatiques sur le lieu même de la perquisition comporte des contraintes particulières, liées notamment à la durée de l'opération et aux difficultés techniques d'accès à ces données. Par conséquent, compte tenu des garanties légales mentionnées ci-dessus, en permettant la saisie de supports informatiques sans autorisation préalable d'un juge lors d'une perquisition administrative dans le cadre de l'état d'urgence, le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre le droit de propriété et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre
22. Il résulte de tout ce qui précède que, hormis les mots : « À l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, », les cinquième à dixième alinéas du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui ne sont pas entachés d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
23. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
24. L'abrogation immédiate des mots : « À l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 entraînerait des conséquences manifestement excessives. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter la date de cette abrogation au 1er mars 2017.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu de statuer sur le quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état
d'urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état
d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Article 2.- Les mots : « À l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne
concernée, » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et
portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, sont contraires à la Constitution.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 prend effet dans les conditions prévues au paragraphe 24 de cette décision.
Article 4.- Le reste des dispositions des cinquième à dixième alinéas du paragraphe I de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à
l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence
et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, est conforme à la Constitution.
Article 5.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er décembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 septembre 2016
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité
portant sur l'article 22 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à
l'enfance délinquante.
Le requérant faisait valoir que l'exécution provisoire d'une peine
d'emprisonnement sans sursis prononcée à l'encontre d'un mineur est contraire au
relèvement éducatif et moral des mineurs délinquants.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que les dispositions contestées
s'appliquent à l'ensemble des décisions de condamnation des mineurs, et non pas
seulement à celles prononçant une peine.
Il a ensuite considéré que la possibilité pour le juge des enfants et le
tribunal pour enfants de prononcer l'exécution provisoire des mesures ou
sanctions éducatives et des peines, autres que celles privatives de liberté, est
justifiée par la nécessité de mettre en œuvre dans des conditions adaptées à
l'évolution de chaque mineur les mesures propres à favoriser leur réinsertion,
ce qui « contribue à l'objectif de leur relèvement éducatif et moral ».
Le Conseil constitutionnel a cependant jugé que la mesure par laquelle le
tribunal pour enfants ordonne l'exécution provisoire d'une peine
d'emprisonnement sans sursis prononcée à l'encontre d'un mineur, alors que
celui-ci comparaît libre, ce qui entraîne son incarcération immédiate à l'issue
de l'audience y compris en cas d'appel, le prive du caractère suspensif du
recours et d'une possibilité d'obtenir l'aménagement de sa peine avant le début
d'exécution de sa condamnation, en application de l'article 723-15 du code de
procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel en a déduit qu'en permettant l'exécution provisoire
de toute condamnation à une peine d'emprisonnement prononcée par un tribunal
pour enfants, quel que soit son quantum et alors même que le mineur ne fait pas
déjà l'objet au moment de sa condamnation d'une mesure de détention dans le
cadre de l'affaire pour laquelle il est jugé ou pour une autre cause, les
dispositions contestées méconnaissaient les exigences constitutionnelles en
matière de justice pénale des mineurs.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraire à la Constitution l'article
22 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Pour éviter les conséquences manifestement excessives dues à une abrogation à
effet immédiat, le Conseil constitutionnel a reporté la date de l'abrogation au
1er janvier 2018.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 septembre 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt no 4484 du 21 septembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Ibrahim B. par Me Natacha Galau, avocat au barreau de Nantes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2016-601 QPC. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 22 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
- l'ordonnance n° 58-1300 du 23 décembre 1958 modifiant l'ordonnance n° 45-174
du 2 février 1945 ?relative à l'enfance délinquante et l'article 69 du code
pénal prise sur le fondement de l'ancien article 92 de la Constitution ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SELARL Laigre et Associés
Huriet et Galau, avocat au barreau de Nantes, enregistrées le 14 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14
octobre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Galau, pour la partie requérante, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question, qui porte sur des dispositions relatives aux modalités d'exécution d'une décision d'un juge des enfants ou d'un tribunal pour enfants, a été soulevée à l'occasion de l'appel d'une décision d'un tribunal pour enfants prononcée le 3 février 2016. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 22 de l'ordonnance du 2 février 1945 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 23 décembre 1958 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 22 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans
cette rédaction, prévoit :
« Le juge des enfants et le tribunal pour enfants pourront, dans tous les cas,
ordonner l'exécution provisoire de leur décision, nonobstant opposition ou
appel.
« Les décisions prévues à l'article 15 ci-dessus et prononcées par défaut à
l'égard d'un mineur de treize ans, lorsque l'exécution provisoire en aura été
ordonnée, seront ramenées à exécution à la diligence du procureur de la
République, conformément aux dispositions de l'article 707 du code de procédure
pénale. Le mineur sera conduit et retenu dans un centre d'accueil ou dans une
section d'accueil d'une institution visée à l'article 10 ou dans un dépôt de
l'assistance ou dans un centre d'observation ».
3. Selon le requérant, ces dispositions méconnaissent le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs dans la mesure où l'exécution provisoire d'une peine d'emprisonnement sans sursis prononcée à l'encontre d'un mineur ne serait pas justifiée par la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des mineurs délinquants. Ces dispositions méconnaîtraient aussi le principe d'égalité devant la procédure pénale en ce qu'elles créeraient une différence de traitement injustifiée entre les mineurs et les majeurs dès lors que le tribunal correctionnel ne peut, sauf exceptions, décerner mandat de dépôt à l'encontre d'un majeur que s'il prononce une peine d'emprisonnement d'au moins un an sans sursis.
- Sur le fond :
4. L'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle. Ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante. Toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives. En particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartent pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluent pas, en cas de nécessité, que soient prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention. Telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
5. En application de l'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945, le tribunal pour enfants peut, en cas de condamnation, prononcer à l'égard d'un mineur une mesure de protection, d'assistance, de surveillance ou d'éducation. Lorsque les circonstances et la personnalité du mineur l'exigent, il peut prononcer une sanction éducative ou, à l'encontre des mineurs de treize à dix-huit ans, une peine, y compris privative de liberté. La peine peut être d'une durée égale à la moitié de la peine encourue par un majeur. Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants peut, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, prononcer une peine supérieure. En application de l'article 8 de la même ordonnance, le juge des enfants, lorsqu'il juge en chambre du conseil, peut prononcer des mesures ou sanctions éducatives.
6. Selon les dispositions contestées, le juge des enfants et le tribunal pour enfants peuvent ordonner l'exécution provisoire de toutes leurs décisions.
7. La possibilité pour le juge des enfants et le tribunal pour enfants de prononcer l'exécution provisoire des mesures ou sanctions éducatives et des peines, autres que celles privatives de liberté, est justifiée par la nécessité de mettre en œuvre dans des conditions adaptées à l'évolution de chaque mineur les mesures propres à favoriser leur réinsertion. Elle contribue ainsi à l'objectif de leur relèvement éducatif et moral.
8. En revanche, l'exécution provisoire d'une peine d'emprisonnement sans sursis prononcée à l'encontre d'un mineur, alors que celui-ci comparaît libre devant le tribunal pour enfants, entraîne son incarcération immédiate à l'issue de l'audience, y compris en cas d'appel. Elle le prive ainsi du caractère suspensif du recours et de la possibilité d'obtenir, avant le début d'exécution de sa condamnation, diverses mesures d'aménagement de sa peine, en application de l'article 723-15 du code de procédure pénale.
9. En conséquence, en permettant l'exécution provisoire de toute condamnation à une peine d'emprisonnement prononcée par un tribunal pour enfants, quel que soit son quantum et alors même que le mineur ne fait pas déjà l'objet au moment de sa condamnation d'une mesure de détention dans le cadre de l'affaire pour laquelle il est jugé ou pour une autre cause, les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs.
10. Aussi, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, l'article 22 de l'ordonnance du 2 février 1945 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet d'interdire au juge des enfants et au tribunal pour enfants toute exécution provisoire de leurs décisions, y compris des mesures ou sanctions éducatives. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article 22 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative
à l'enfance délinquante, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 58-1300
du 23 décembre 1958 modifiant l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ?relative
à l'enfance délinquante et l'article 69 du code pénal, est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 novembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi 26 septembre 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur les articles 695-28 et 695-34 du code de procédure pénale.
Ces dispositions définissent l'encadrement des mesures d'incarcération lors de
l'exécution d'un mandat d'arrêt européen.
S'agissant de l'article 695-28 du code de procédure pénale, le Conseil
constitutionnel a, dans le prolongement de sa décision n° 2016-561/562 QPC du 9
septembre 2016 rendue en matière d'extradition, émis deux réserves
d'interprétation.
Il a jugé, d'une part, que ces dispositions ne sauraient, sans imposer une
rigueur non nécessaire méconnaissant la liberté individuelle ni porter une
atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, être interprétées comme
excluant la possibilité pour le magistrat du siège, saisi aux fins
d'incarcération, de laisser en liberté la personne visée par un mandat d'arrêt
européen, sans mesure de contrôle, dès lors que celle-ci présente des garanties
suffisantes de représentation.
Le Conseil constitutionnel a jugé, d'autre part, que le respect des droits de la
défense exige que la personne présentée au magistrat du siège puisse être
assistée par un avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions
du procureur général.
En ce qui concerne l'article 695-34 du code de procédure pénale, le requérant
critiquait l'absence de durée maximale de l'incarcération.
Si le Conseil constitutionnel a relevé que ni cet article ni aucune autre
disposition ne prévoient une durée maximale à l'incarcération de la personne
recherchée. Toutefois, le Conseil constitutionnel a rappelé que les différentes
phases de l'exécution du mandat d'arrêt européen sont encadrées par des délais
prévus par différents dispositions du code de procédure pénale qui garantissent
que cette incarcération ne puisse excéder un délai raisonnable. Le Conseil
constitutionnel a donc écarté le grief.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution, d'une
part, les deuxième et troisième alinéas de l'article 695-28 du code de procédure
pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011
relative à la garde à vue, et d'autre part, les deuxième et troisième phrases du
deuxième alinéa de l'article 695-34 du même code, dans la même rédaction.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 septembre 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt no 4748 du 21 septembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Patrick H. par Me Bruno Rebstock, avocat au barreau d'Aix-en-Provence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-602 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 695-28 et 695-34 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Rebstock, enregistrées le
18 octobre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18
octobre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Rebstock, pour le requérant, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 29 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'une demande de mise en liberté déposée le 13 juin 2016 devant la chambre de l'instruction par le requérant, incarcéré dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles 695-28 et 695-34 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi du 14 avril 2011 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 695-28 du code de procédure pénale, dans
cette rédaction, prévoit :
« À la suite de la notification du mandat d'arrêt européen, s'il décide de ne
pas laisser en liberté la personne recherchée, le procureur général la présente
au premier président de la cour d'appel ou au magistrat du siège désigné par
lui.
« Le premier président de la cour d'appel ou le magistrat du siège désigné par
lui ordonne l'incarcération de la personne recherchée à la maison d'arrêt du
siège de la cour d'appel dans le ressort de laquelle elle a été appréhendée, à
moins qu'il n'estime que sa représentation à tous les actes de la procédure est
suffisamment garantie.
« Dans ce dernier cas, le premier président de la cour d'appel ou le magistrat
du siège désigné par lui peut soumettre la personne recherchée, jusqu'à sa
comparution devant la chambre de l'instruction, à une ou plusieurs des mesures
prévues aux articles 138 et 142-5. Cette décision est notifiée verbalement à la
personne et mentionnée au procès-verbal dont une copie lui est remise
sur-le-champ. Elle est susceptible de recours devant la chambre de
l'instruction, qui doit statuer au plus tard lors de la comparution de la
personne devant elle en application de l'article 695-29.
« L'article 695-36 est applicable à la personne recherchée laissée en liberté ou
placée sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence sous
surveillance électronique si elle se soustrait volontairement ou ne respecte pas
les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence sous
surveillance électronique.
« Le procureur général en avise sans délai le ministre de la justice et lui
adresse une copie du mandat d'arrêt ».
3. L'article 695-34 du code de procédure pénale, dans
cette rédaction, prévoit :
« La mise en liberté peut être demandée à tout moment à la chambre de
l'instruction selon les formes prévues aux articles 148-6 et 148-7.
« L'avocat de la personne recherchée est convoqué, par lettre recommandée avec
demande d'avis de réception, quarante-huit heures au moins avant la date de
l'audience. La chambre de l'instruction statue après avoir entendu le ministère
public ainsi que la personne recherchée ou son avocat, dans les plus brefs
délais et au plus tard dans les quinze jours de la réception de la demande, par
un arrêt rendu dans les conditions prévues à l'article 199. Toutefois, lorsque
la personne recherchée n'a pas encore comparu devant la chambre de
l'instruction, les délais précités ne commencent à courir qu'à compter de la
première comparution devant cette juridiction.
« La chambre de l'instruction peut également, lorsqu'elle ordonne la mise en
liberté de la personne recherchée et à titre de mesure de sûreté, astreindre
l'intéressé à se soumettre à une ou plusieurs des obligations énumérées aux
articles 138 et 142-5.
« Préalablement à sa mise en liberté, la personne recherchée doit signaler à la
chambre de l'instruction ou au chef de l'établissement pénitentiaire son
adresse.
« Elle est avisée qu'elle doit signaler à la chambre de l'instruction, par
nouvelle déclaration ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception,
tout changement de l'adresse déclarée.
« Elle est également avisée que toute notification ou signification faite à la
dernière adresse déclarée sera réputée faite à sa personne.
« Mention de cet avis, ainsi que de la déclaration d'adresse, est portée soit au
procès-verbal, soit dans le document qui est adressé sans délai, en original ou
en copie, par le chef d'établissement pénitentiaire à la chambre de
l'instruction ».
4. Le requérant soutient que les conditions dans lesquelles le premier président de la cour d'appel statue, lorsqu'il est saisi par le procureur général aux fins d'incarcération d'une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen, portent atteinte à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée, à la présomption d'innocence, au droit au recours et aux droits de la défense. Selon lui, il en va de même de l'absence de fixation d'une durée maximum d'incarcération et de l'absence d'une procédure de réexamen périodique de cette mesure. Enfin, le requérant soutient que les dispositions encadrant l'incarcération lors de l'exécution d'un mandat d'européen méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et troisième alinéas de l'article 695-28 du code de procédure pénale et sur les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 695-34 du même code.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
6. Selon le requérant, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, au motif qu'elles offrent à la personne recherchée moins de garanties que celles applicables à la détention provisoire ou à la rétention de sûreté.
7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
8. En fixant, par les dispositions contestées, les conditions dans lesquelles il peut être procédé à l'incarcération de la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen et en définissant les voies de recours contre une telle mesure sans retenir des dispositions identiques à celles régissant la détention provisoire ou la rétention de sûreté, le législateur a traité différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de fixer les règles de la procédure d'exécution du mandat d'arrêt européen.
9. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
- Sur les autres griefs
. En ce qui concerne les deuxième et troisième alinéas de l'article 695-28 du code de procédure pénale :
10. Le requérant soutient que les dispositions contestées de l'article 695-28 du code de procédure pénale, en ce qu'elles posent le principe de l'incarcération de la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen, sans permettre au premier président de la cour d'appel ou au magistrat désigné par lui, lorsqu'il est saisi aux fins de prononcer cette incarcération, de laisser en liberté la personne recherchée, imposent une rigueur non nécessaire méconnaissant la liberté individuelle. Selon le requérant, ces dispositions portent également une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, à la présomption d'innocence et au droit au respect de la vie privée. Il soutient aussi que ces mêmes dispositions méconnaissent les droits de la défense au motif qu'elles ne conditionnent pas le prononcé de l'incarcération à la tenue préalable d'un débat contradictoire et ne permettent pas à la personne recherchée, lorsqu'elle est présentée devant le premier président de la cour d'appel ou le magistrat désigné par lui, d'être assistée par un avocat. Ces dispositions méconnaîtraient enfin le droit à un recours juridictionnel effectif, en l'absence de possibilité, pour l'intéressé, de contester la décision de placement en détention.
11. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.
12. Selon l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire.
13. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle. Les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
14. En application des dispositions de l'article 695-28 du code de procédure pénale, dans l'hypothèse où le procureur général décide de ne pas laisser en liberté la personne recherchée, celle-ci doit être présentée au premier président de la cour d'appel ou au magistrat du siège qu'il a désigné. Selon les deuxième et troisième alinéas de ce même article, il appartient à ce magistrat d'ordonner, le cas échéant, l'incarcération de la personne recherchée, en fonction de ses garanties de représentation à tous les actes de la procédure. Si ce magistrat estime que cette représentation de la personne recherchée est suffisamment garantie, il peut laisser celle-ci en liberté en la soumettant soit à une mesure de contrôle judiciaire, soit aux obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique. Ces mesures alternatives à l'incarcération sont susceptibles de recours devant la chambre de l'instruction qui doit statuer au plus tard lors de la comparution de la personne, devant elle, dans les conditions et délais définis à l'article 695-29 du même code.
15. En premier lieu, les dispositions contestées ne sauraient, sans imposer une rigueur non nécessaire méconnaissant la liberté individuelle ni porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, être interprétées comme excluant la possibilité pour le magistrat du siège, saisi aux fins d'incarcération dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, de laisser la personne recherchée en liberté sans mesure de contrôle dès lors que celle-ci présente des garanties suffisantes de représentation.
16. En deuxième lieu, le respect des droits de la défense exige que la personne présentée au premier président de la cour d'appel ou au magistrat qu'il a désigné puisse être assistée par un avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions du procureur général.
17. En troisième lieu, ni les dispositions contestées de l'article 695-28 du code de procédure pénale, ni aucune autre disposition législative ne prévoient de recours spécifique à l'encontre de la mesure d'incarcération. Cependant l'article 695-34 du code de procédure pénale reconnaît à la personne incarcérée la faculté de demander à tout moment à la chambre de l'instruction sa mise en liberté. À cette occasion, elle peut faire valoir l'irrégularité de l'ordonnance d'incarcération. Il en résulte que l'intéressé n'est pas privé de la possibilité de contester cette mesure d'incarcération.
18. Par suite, sous les réserves énoncées aux paragraphes 15 et 16, les griefs tirés de ce que les deuxième et troisième alinéas de l'article 695-28 du code de procédure pénale méconnaissent la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif doivent être écartés. Ces dispositions ne méconnaissent par ailleurs ni la présomption d'innocence, ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 15 et 16, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 695-34 du code de procédure pénale :
19. Le requérant critique l'absence de durée maximale de l'incarcération lors de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen et l'absence de procédure de réexamen périodique de la mesure d'incarcération. Il en déduit que les dispositions contestées de l'article 695-34 du code de procédure pénale portent atteinte à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée, à la présomption d'innocence, au droit au recours et aux droits de la défense.
20. D'une part, en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais. Il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence.
21. La deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 695-34 du code de procédure pénale prévoit que la chambre de l'instruction doit, lorsqu'elle est saisie d'une demande de mise en liberté formée par une personne incarcérée dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, statuer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de la réception de la demande. En vertu de la troisième phrase de ce même alinéa, lorsque la personne n'a pas encore comparu devant la chambre de l'instruction, ces délais ne courent qu'à compter de sa première comparution devant cette juridiction. Ces délais maximum ne sont pas excessifs au regard, notamment, de la nécessité pour le juge de déterminer si la personne présente les garanties suffisantes de représentation à tous les actes de la procédure.
22. D'autre part, ni l'article 695-34 ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximum à l'incarcération de la personne recherchée. En outre, il n'existe pas d'obligation d'un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge.
23. Cependant, en premier lieu, les articles 695-29, 695-31 et 695-33 du code de procédure pénale enserrent dans des délais fixes et brefs la procédure de comparution devant la chambre de l'instruction, chargée de statuer sur l'exécution du mandat d'arrêt européen.
24. En deuxième lieu, en application des articles 574-2 et 695-31 du même code, lorsque la personne recherchée ne consent pas à sa remise à l'État d'émission du mandat d'arrêt européen et qu'elle se pourvoit en cassation contre la décision de la chambre de l'instruction, la Cour de cassation est tenue de statuer dans un délai de quarante jours.
25. En dernier lieu, en application de l'article 695-37 du même code, le procureur général doit prendre les mesures nécessaires afin que la personne recherchée soit remise à l'autorité judiciaire de l'État d'émission au plus tard dans les dix jours suivant la décision définitive de la chambre de l'instruction. À l'expiration de ce délai, si la personne recherchée se trouve toujours en détention, elle est libérée d'office. Il n'en va différemment qu'en cas de force majeure empêchant la remise ou si, pour des raisons humanitaires sérieuses, il doit être sursis temporairement à cette remise. Dans ces deux hypothèses, en application des articles 695-37 et 695-38, une nouvelle date de remise est convenue avec l'autorité judiciaire de l'État d'émission. La personne recherchée doit alors être remise au plus tard dans les dix jours suivant cette date. Si elle se trouve toujours en détention à l'issue de ce délai, elle est libérée d'office.
26. Il résulte de ce qui précède que les dispositions régissant l'exécution du mandat d'arrêt européen garantissent que l'incarcération de la personne recherchée ne puisse excéder un délai raisonnable.
27. Par ailleurs, la personne recherchée peut solliciter, à tout instant de la procédure, sa mise en liberté devant la chambre de l'instruction.
28. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés. Il en est de même des griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'aller et venir, au respect de la vie privée et à la présomption d'innocence.;
29. Dès lors, les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 695-34 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux paragraphes 15 et 16, les deuxième et troisième alinéas de l'article 695-28 du code de procédure pénale dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Les deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa de l'article 695-34 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n°
2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue sont conformes à la Constitution.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 octobre 2016 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article
784 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-958
du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.
Afin d'assurer une progressivité effective de l'impôt, ces dispositions
prévoient que l'imposition des donations ou des successions est calculée en
tenant compte des donations antérieures pour l'application du barème ainsi que
des droits à abattement et à réduction. Elles prévoient, par exception, que
cette imposition est calculée sans tenir compte des donations antérieures
effectuées depuis plus de quinze ans.
Les requérants contestaient le fait que la loi du 16 août 2012 ait porté de dix
à quinze ans ce délai.
Le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d'interprétation en
considérant, que les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte
aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à
appliquer des règles d'assiette ou de liquidation autres que celles qui étaient
applicables à la date de chaque fait générateur d'imposition.
Il a jugé, d'autre part, que les modalités d'imposition d'une donation passée ne
peuvent produire aucun effet légitimement attendu quant aux règles d'imposition
applicables aux donations ou à la succession futures. Par conséquent, le
législateur pouvait, sans être tenu d'édicter des mesures transitoires, modifier
le délai à compter duquel il n'est plus tenu compte des donations antérieures
pour déterminer l'imposition des donations ou successions à venir.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, et sous la réserve qu'il a énoncée
déclaré conformes à la Constitution les deux derniers alinéas de l'article 784
du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-958 du
16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 4 octobre 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 954 du 4 octobre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Hélène C., M. Jean C., Mme Bernadette C. épouse R. et Mme Marie C., par Me Colette Falquet, avocat au barreau de Toulouse. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-603 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 784 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Lesourd, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 19 octobre et 4
novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26
octobre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cyril Lesourd, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 29 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 784 du code général des impôts, dans sa
rédaction résultant de la loi du 16 août 2012 mentionnée ci-dessus, dispose : «
Les parties sont tenues de faire connaître, dans tout acte constatant une
transmission entre vifs à titre gratuit et dans toute déclaration de succession,
s'il existe ou non des donations antérieures consenties à un titre et sous une
forme quelconque par le donateur ou le défunt aux donataires, héritiers ou
légataires et, dans l'affirmative, le montant de ces donations ainsi que, le cas
échéant, les noms, qualités et résidences des officiers ministériels qui ont
reçu les actes de donation, et la date de l'enregistrement de ces actes.
« La perception est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la
donation ou la déclaration de succession celle des biens qui ont fait l'objet de
donations antérieures, à l'exception de celles passées depuis plus de quinze
ans, et, lorsqu'il y a lieu à application d'un tarif progressif, en considérant
ceux de ces biens dont la transmission n'a pas encore été assujettie au droit de
mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de
l'actif imposable.
« Pour le calcul des abattements et réductions édictés par les articles 779,
780, 790 B, 790 D, 790 E et 790 F il est tenu compte des abattements et des
réductions effectués sur les donations antérieures visées au deuxième alinéa
consenties par la même personne ».
2. Les requérants soutiennent qu'en ayant porté à quinze ans le délai à compter duquel les donations et successions sont imposées sans qu'il soit tenu compte des donations antérieures pour l'application du barème d'imposition ainsi que des droits à abattement et à réduction, les dispositions contestées portent atteinte, en méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à des situations légalement acquises et remettent en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations. Il en résulterait également une méconnaissance du droit de propriété.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux derniers alinéas de l'article 784 du code général des impôts.
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
6. Les droits de mutation à titre gratuit sur les donations et les successions sont liquidés, pour la plupart des ayants droit, selon un barème progressif, qui s'applique le cas échéant après abattement d'assiette, et peuvent faire l'objet d'une réduction. Afin d'assurer une progressivité effective de l'impôt, les dispositions contestées prévoient que l'imposition des donations ou des successions est calculée en tenant compte des donations antérieures. Elles prévoient également, par exception, que l'imposition des donations et successions est calculée sans tenir compte des donations antérieures effectuées depuis plus de quinze ans. Il résulte de cette règle dérogatoire favorable qu'une donation ou une succession faisant suite à une telle donation est imposée, comme si aucune donation n'avait été consentie antérieurement, en bénéficiant de droits à abattement, d'un barème et de droits à réduction intégralement reconstitués.
7. Chaque donation ou succession constitue un fait générateur particulier pour l'application des règles d'imposition.
8. Il en résulte, en premier lieu, que les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d'assiette ou de liquidation autres que celles qui étaient applicables à la date de chaque fait générateur d'imposition.
9. Il en résulte, en second lieu, que les modalités d'imposition d'une donation passée ne peuvent produire aucun effet légitimement attendu quant aux règles d'imposition applicables aux donations ou à la succession futures. Par conséquent, le législateur pouvait, sans être tenu d'édicter des mesures transitoires, modifier le délai à compter duquel il n'est plus tenu compte des donations antérieures pour déterminer l'imposition des donations ou successions à venir.
10. Dès lors, sous la réserve précédemment énoncée, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
11. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les deux derniers alinéas de l'article 784 du code général des impôts, qui ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les deux derniers alinéas de l'article 784 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
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