AU SENS DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1
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"
L'atteinte au bien est la soustraction arbitraire d'un bien sans
indemnisation adéquate"
Frédéric Fabre docteur en droit.
Article 1 du Protocole 1 de la CEDH
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes"
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La SUISSE et MONACO ont signé mais n'ont pas ratifié le Protocole n°1. Les deux États ne peuvent donc pas être condamnés.
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SUPPRESSION OU CONFISCATION DU TITRE DE PROPRIÉTÉ
Grand Rabbinat de Communauté Juive d'Izmir c. Turquie du 21 mars 2023 requête n° 1574/12
Art 34 Locus standi Art 35 § 3 a) Ratione personae Grand rabbinat considéré comme requérant Représentant ses fidèles et constituant une institution cultuelle régie par des dispositions datant de lépoque ottomane Ayant acquis en son nom et utilisé librement des biens immobiliers Capacité à ester en justice et à acquérir des biens immobiliers jamais remise en cause par les autorités administratives ou les tribunaux nationaux
Art 1 P1 Respect des biens Refus imprévisible des tribunaux nationaux dinscrire au nom du requérant au registre foncier un terrain où est édifiée une ancienne synagogue lui appartenant en application de dispositions non pertinentes Inscription du terrain au nom du Trésor public Art 1 P1 applicable Intérêt patrimonial constituant un bien Requérant ayant exercé une possession non équivoque, ininterrompue et incontestée sur la synagogue depuis environ quatre siècles Terrain et bâtiment caractérisés par des particularités et un usage spécifiques liés à la vie religieuse de la communauté juive
40. Le Gouvernement estime que le requérant na pas qualité pour agir devant la Cour, au motif quau moment de lintroduction de la présente requête, lintéressé était dépourvu de personnalité juridique et quil ne pouvait être qualifié dorganisation non gouvernementale au sens de larticle 34 de la Convention. Sappuyant sur la loi provisoire du 1912 et sur la loi no 2762, il allègue que le requérant na accompli aucune démarche pour acquérir la personnalité juridique et quil ne pouvait par conséquent être titulaire de droits et dobligations ou acquérir la propriété dun bien avant la reconnaissance, en 2011, de son statut de fondation. La présente requête serait dès lors irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec larticle 34 de la Convention.
41. Sappuyant sur lordonnance du Grand rabbinat du 19 mars 1865 et sur le jugement adopté le 14 avril 1950, puis confirmé par la Cour de cassation le 23 septembre 1957, le requérant conteste cette thèse.
42. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, une personne morale qui se prétend victime dune violation par lune des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles peut se porter requérante devant elle, pour peu quelle ait la qualité d« organisation non-gouvernementale » au sens de larticle 34 de la Convention (Granitul S.A. c. Roumanie, no 22022/03, § 25, 22 mars 2011, avec les références citées). Sagissant des institutions religieuses auxquelles le droit interne ne reconnaît pas la personnalité juridique, la Cour a déjà jugé quune Église ou lorgane ecclésial dune Église peut, comme tel, exercer au nom de ses fidèles les droits garantis par larticle 9 de la Convention (Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, § 101, CEDH 2001-XII). En particulier, dans laffaire Église catholique de La Canée c. Grèce (arrêt du 16 décembre 1997, §§ 38-42, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII), la Cour a jugé que lincapacité de léglise requérante à ester en justice, faute pour celle-ci davoir acquis ipso facto la personnalité juridique en droit grec, lui avait imposé une véritable restriction qui lavait empêchée de faire trancher par les tribunaux tout litige relatif à ses droits de propriété et qui avait dès lors porté atteinte à la substance même de son « droit à un tribunal » au sens de larticle 6 § 1 de la Convention.
43. En lespèce, la Cour observe demblée que la procédure litigieuse concernait le Grand rabbinat dIzmir et non le grand rabbin de cette ville en sa capacité personnelle. Indépendamment de la question de savoir si le Grand rabbinat dIzmir disposait ou non de la personnalité juridique, il est constant que celui-ci représentait ses fidèles et constituait ainsi une institution cultuelle dont le statut juridique était régi par des dispositions datant de lépoque ottomane.
44. Par ailleurs, même si le requérant ne jouissait pas du statut de fondation appartenant aux communautés religieuses non-musulmanes au sens de la loi no 2762, il ressort du dossier que sa capacité à ester en justice et à acquérir des biens immobiliers na jamais été remise en cause sur le plan interne par les autorités administratives ou les tribunaux (comparer avec Bektashi Community et autres c. lex-République yougoslave de Macédoine, nos 48044/10 et 2 autres, § 49, 12 avril 2018). En particulier, les tribunaux de grande instance et du cadastre ayant connu de la procédure diligentée par le requérant ne se sont nullement penchés sur la question de la personnalité juridique du requérant, qui a agi pour défendre ses intérêts sans que son locus standi ne fût remis en cause.
45. De surcroît, il nest pas contesté que le requérant a acquis en son nom et utilise librement des biens immobiliers. En effet, il ressort du jugement du 14 avril 1950, auquel le requérant a renvoyé ci-dessus, que le tribunal de grande instance dIzmir a ordonné linscription, au nom de lintéressé, dun autre bien immobilier sis à Izmir. Pour se prononcer ainsi, cette juridiction avait rejeté la thèse du Trésor public selon laquelle le Grand rabbinat dIzmir ne jouissait pas de la personnalité juridique, considérant au contraire que celui-ci avait lacquise par leffet de lordonnance du Grand rabbinat édictée le 19 mars 1865 (23 Sevval 1281 paragraphe 7 ci-dessus).
46. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Grand rabbinat dIzmir peut être considéré comme requérant au sens de larticle 34 de la Convention. En conséquence, elle rejette lexception ratione personae soulevée par le Gouvernement.
SUR LE FOND
a) Sur lexistence dun « bien »
63. La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si le requérant était ou non titulaire dun bien susceptible dêtre protégé par larticle 1 du Protocole no 1. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se trouve le requérant est de nature à relever du champ dapplication de larticle 1 du Protocole no 1.
64. Sagissant de la portée autonome de la notion de « bien », la Cour renvoie à sa jurisprudence constante (Iatridis c. Grèce [GC], nº 31107/96, § 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], nº 33202/96, § 100, CEDH 2000-I). À cet égard, le fait pour les lois internes dun État de ne pas reconnaître un intérêt particulier comme « droit », voire comme « droit de propriété », ne soppose pas à ce que lintérêt en question puisse néanmoins, dans certaines circonstances, passer pour un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (Brosset-Triboulet c. France [GC], no 34078/02, § 71, CEDH 2010). En lespèce, la Cour doit rechercher si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole nº 1 (Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 51, CEDH 2013 (extraits)). Pour ce faire, il y a lieu de tenir compte des éléments de droit et de fait suivants.
65. En lespèce, la Cour observe demblée que le bien en question se composait dun bâtiment édifié en 1605 pour servir de synagogue, et dun terrain dune superficie initiale de 794 m2 qui fut par la suite divisé en deux parcelles (paragraphe 8 ci-dessus). Il ressort du cadastrage réalisé en 1930 sur lensemble de ce bien que le bâtiment en question a dabord servi de synagogue, puis de logement au Grand rabbin dIzmir. En somme, selon le cadastrage et les documents mentionnés au paragraphe 8 ci-dessus, le requérant possédait sans acte lensemble de ce bien. Il ressort également du rapport dexpertise établi le 24 avril 2002 que le Grand rabbinat dIzmir utilisait le bâtiment en question comme bâtiment administratif en 2002 (paragraphe 11 ci-dessus), cest-à-dire après lengagement, par le requérant, dune action tendant à faire inscrire le bien en question à son nom (paragraphe 10 ci-dessus). Par conséquent, après le cadastrage réalisé en 1930, et jusquen 2000, année où le requérant a engagé une procédure devant le tribunal cadastral, le statut de ce bien na pas changé. Il ressort en effet des éléments du dossier que pendant toute cette période, personne pas même le Trésor public na engagé de procédure judiciaire afin de se voir reconnaître la qualité de propriétaire de ce bien. En outre, il nest pas allégué que ce bien appartenait au domaine public. Par conséquent, il peut passer pour établi que, depuis la construction de la synagogue en 1605, cest-à-dire pendant environ quatre siècles, le requérant a exercé une possession non équivoque, ininterrompue et incontestée sur le bien litigieux. En outre, le bien en question se caractérisait par des particularités et un usage spécifiques liés à la vie religieuse de la communauté juive dIzmir.
66. Au vu de ce qui précède, la Cour ne doute pas que le requérant était titulaire dun intérêt patrimonial constituant un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Cette disposition est donc applicable. Il convient en conséquence de rejeter lexception dincompatibilité ratione materiae de ce grief avec la Convention.
b) Sur lexistence dune ingérence
67. La Cour constate que la première procédure engagée par le requérant a permis à celui-ci de faire inscrire à son nom le bâtiment ici en cause (une ancienne synagogue), mais non de se voir attribuer la propriété du terrain sur lequel ce bâtiment est édifié. Or le cadastrage réalisé en 1930 sur lensemble de ce bien démontrait que le requérant en possédait lintégralité, sans toutefois disposer dun acte. La procédure ultérieure engagée par le requérant sest soldée par la reconnaissance dun droit subjectif un « muhdesat » au profit de celui-ci sur le bien en question, mais non de sa qualité de propriétaire de celui-ci. Au vu de ce qui précède, la Cour relève que linscription au nom du Trésor public consécutive à larrêt de la Cour de cassation du terrain sur lequel était édifié le bâtiment (une ancienne synagogue) appartenant au requérant peut sassimiler à une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de ses biens (voir, mutatis mutandis, Trgo c. Croatie, no 35298/04, § 54, 11 juin 2009). La Cour doit donc rechercher si lingérence dénoncée se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1.
c) Sur la justification de lingérence
68. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi ». De plus, la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est une notion inhérente à lensemble des articles de la Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012, avec les références citées).
69. Toutefois, lexistence dune base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au principe de légalité. Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir des garanties contre larbitraire. À cet égard, il faut rappeler que la notion de « loi », au sens de larticle 1 du Protocole no 1, a la même signification que celle qui lui est attribuée par dautres dispositions de la Convention. Il sensuit quen plus dêtre conformes au droit interne de lÉtat contractant, en ce compris la Constitution, les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (ibidem, §§ 96-97, avec les références citées, voir aussi, N.M. et autres c. France (fond), no 66328/14, § 59, 3 février 2022, avec les références citées).
70. La Cour rappelle par ailleurs que larticle 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens. Il ne fait aucun de doute que les États contractants doivent jouir dune ample latitude pour réglementer lacquisition de biens immobiliers et fonciers par des personnes morales. Il sagit en effet de leur laisser la possibilité de mettre en uvre, conformément à lintérêt général, les mesures nécessaires pour protéger lordre public et les intérêts de la collectivité tout en permettant à ces personnes morales de réaliser leurs buts et objectifs déclarés (Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi c. Turquie, no 34478/97, § 52, 9 janvier 2007, avec les références citées).
71. En
lespèce, la Cour observe demblée que la procédure
litigieuse portait sur un bien immobilier non enregistré
composé dun bâtiment édifié et utilisé par le
requérant et du terrain sur lequel ce bâtiment avait été
construit. Lintéressé a engagé une action tendant à
contester les conclusions du second cadastrage et à se voir
attribuer la propriété de lensemble de ce bien. à cet
effet, il sest fondé, entre autres, sur les conclusions du
cadastrage initial réalisé en 1930. Toutefois, par un jugement
du 21 mars 2008, le tribunal du cadastre a rejeté la demande du
requérant pour deux motifs. En premier lieu, il sest
fondé principalement sur labsence dapprobation du
Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres (paragraphes 18
et 22 ci-dessus). En second lieu, il a constaté quil nexistait
pas délément de preuve décisif commandant linscription
des parcelles litigieuses au nom du requérant. Pour sa part, la
Cour de cassation sest également fondée sur la loi
provisoire de 1912 (paragraphe 23
ci-dessus), en sus des motifs retenus par le tribunal de
première instance. La Cour examinera ces motifs séparément.
72. Sagissant en premier lieu de labsence dapprobation du Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres, la Cour observe que dans les observations quil lui a soumises, le Gouvernement na pas évoqué ces motifs ni précisé quelle était la base légale exigeant de telles autorisations pour la reconnaissance dun titre de propriété sur le bien ici en cause. Au vu des éléments du dossier, la Cour constate que le tribunal du cadastre a appliqué les dispositions de la loi no 2762 sur les fondations. Or nayant pas fait usage de la possibilité offerte par la loi no 2762 de déposer une déclaration précisant son patrimoine et dobtenir ainsi le statut de fondation (paragraphe 6 ci-dessus), le requérant navait pas le statut de fondation créée par des minorités non-musulmanes au moment où il a fait la demande objet de cette procédure. Dans ces conditions, la Cour ne voit pas comment cette loi, qui régit entre autres le régime dacquisition des biens immobiliers par les fondations, aurait pu trouver application en lespèce.
73. Il est vrai que le tribunal du cadastre a également considéré quil nexistait aucun élément de preuve décisif qui aurait commandé linscription des biens immobiliers litigieux au nom de lintéressé. Toutefois, cette considération formulée par le tribunal ne se fondait sur aucun élément de fait et ne tenait pas compte de la réalité de la situation décrite ci-dessus relative au statut du bien litigieux (paragraphe 65 ci-dessus). En effet, il nest pas contesté quune synagogue a été édifiée en 1605 sur le terrain litigieux et quelle a été utilisée par le requérant pendant des siècles. Même si laffectation de cet édifice a ultérieurement changé, il ressort notamment du rapport dexpertise établi le 24 avril 2002 que le bâtiment en question était toujours utilisé comme bâtiment administratif par le Grand rabbinat dIzmir en 2002 (paragraphe 11 ci-dessus), cest-à-dire après lengagement par le requérant dune action tendant à faire inscrire le bien en question à son nom (paragraphe 10 ci-dessus). Force est donc de constater que le requérant a exercé sur le bien litigieux une possession non équivoque, ininterrompue et paisible pendant environ quatre siècles à compter de la construction de la synagogue. Par ailleurs, rien ne donne à penser en lespèce que la possession du terrain litigieux était dissociable de celle du bâtiment en question.
74. Certes, il ressort de linspection sur place effectuée par le tribunal de grande instance dIzmir en 2006 (paragraphe 17 ci-dessus) que le Grand rabbinat dIzmir avait déclaré avoir cessé dutiliser ce bâtiment, précisant cependant quil continuait à payer les taxes foncières y afférentes. La Cour observe que le Gouvernement a mis laccent sur ce prétendu abandon pour justifier le jugement rendu par le tribunal du cadastre. Toutefois, dans son jugement, ce dernier na accordé aucun poids à cet élément de fait qui, au demeurant, concernait le bâtiment sur lequel ce même tribunal avait reconnu au requérant un droit subjectif, cest-à-dire un « muhdesat ».
75. Pour la Cour, la reconnaissance dun droit subjectif un « muhdesat » au profit du requérant sur le bâtiment en question constitue un élément de poids aux fins de lappréciation des faits. Toutefois, comme le Gouvernement la expliqué (paragraphe 61 ci-dessus), en droit turc, ce droit néquivaut pas à un droit de propriété. En outre, il nest pas allégué que le bâtiment a été édifié sur un terrain qui aurait appartenu ab initio à une tierce personne ou au Trésor public, et il est manifeste que cet édifice a été construit sur un terrain non enregistré. En effet, le droit de propriété du Trésor public qui na jamais revendiqué un tel droit na été reconnu quà lissue de la procédure litigieuse.
76. Enfin, la Cour de cassation sest aussi fondée sur la loi provisoire du 1912 pour justifier la non-inscription du bien litigieux au nom du requérant. La Cour observe que, comme le Gouvernement la souligné, le requérant na pas usé de la possibilité qui lui était offerte par les lois de 1912 et de 1935. Cependant, elle ne voit pas comment ce défaut de dépôt dune demande en 1912 ou en 1935 pourrait avoir constitué un obstacle à lobtention dun titre de propriété sur le bien en question. En effet, il ressort du dossier de laffaire que labsence de demande au sens de la loi provisoire du 1912 ou de déclaration dite « de 1936 » na jamais constitué un obstacle à lacquisition, par le requérant, de la propriété dautres biens immobiliers. Dans un premier temps, en sa qualité de Grand rabbinat dIzmir, le requérant a pu obtenir linscription au registre foncier des biens immobiliers qui étaient en sa possession (voir le jugement adopté le 14 avril 1950, puis confirmé par la Cour de cassation le 23 septembre 1957, paragraphe 7 ci-dessus). Par la suite, lorsquil a acquis en 2011 le statut de fondation, il a été reconnu propriétaire des biens qui étaient inscrits au registre foncier sous la dénomination de « synagogue » ou de « lieu de culte de la communauté juive Karatas dIzmir » ou encore « au nom de la communauté juive ».
77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est convaincue que labsence dapprobation du Conseil des fondations et de décision du Conseil des ministres a été le motif principal du rejet de la demande du requérant tendant à faire inscrire les parcelles litigieuses à son nom. Or, ces conditions étaient applicables à lacquisition de biens immobiliers par les fondations appartenant aux minorités non-musulmanes créées en vertu de la loi no 2762. Au moment de lintroduction de sa demande, le requérant ne relevait pas de cette catégorie. Par conséquent, on ne saurait considérer que la non-inscription des titres de propriété ici en cause, due à lapplication de dispositions qui nétaient manifestement pas pertinentes pour trancher laffaire du requérant, était prévisible. En effet, lintéressé ne pouvait raisonnablement prévoir que sa demande, fondée sur les conclusions du cadastre effectué en 1930, serait rejetée, alors quil possédait le bien en question sans titre depuis plusieurs années, et même depuis plusieurs siècles (voir, mutatis mutandis, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi, précité, § 57 ; Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03 et 3 autres, § 54, 3 mars 2009).
78. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence litigieuse nétait pas compatible avec le principe de légalité et quelle a donc enfreint le droit du requérant au respect de ses biens.
79. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
KRIVTSOVA c. RUSSIE du 12 juillet 2022 Requête no 35802/16
Art 1 P1 Privation de propriété Annulation du titre de propriété sur une parcelle de terrain sans versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien Autorité publique ayant outrepassé ses compétences quincombe la responsabilité de laliénation de la parcelle litigieuse
CEDH
60. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Bidzhiyeva, précité, § 61, Gavrilova et autres c. Russie, no 2625/17, § 69, 16 mars 2021, et les références qui y sont citées). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que la décision de justice portant radiation du droit de propriété de la requérante sur la parcelle de terrain sanalyse en une « privation de propriété ».
61. La Cour doit rechercher si lingérence se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour être compatible avec cette disposition, une ingérence doit remplir trois conditions : elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
62. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir des garanties contre larbitraire (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 95-96, 25 octobre 2012). La Cour dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué ; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à sassurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste (voir, parmi beaucoup dautres, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 52, 20 mars 2018).
63. La Cour note que les parties sont en désaccord sur la question de la légalité de lingérence. Le Gouvernement est davis que la mesure était conforme à la loi en vigueur, tandis que la requérante soutient que les conclusions des juridictions internes étaient entachées darbitraire. La requérante estime en effet que les juridictions internes auraient dû déclarer prescrite laction de son adversaire (paragraphe 53 ci-dessus).
64. Concernant lallégation de la prescription, la Cour ne peut suivre la requérante en effectuant une analyse aussi poussée du droit national. Constatant que lingérence est fondée sur larticle 302 du code civil et les articles 1 et 35 du code foncier, elle ne décèle aucun élément qui lui permette de conclure que la décision de justice litigieuse ordonnant lannulation du titre de propriété de la requérante était entachée darbitraire ou manifestement déraisonnable. Elle considère donc que lingérence a été opérée « dans les conditions prévues par la loi » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
65. Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si la mesure poursuivait « un but dutilité publique ». Le Gouvernement soutient que son objectif était la préservation de lhéritage culturel du pays (paragraphe 44 ci-dessus). La requérante allègue quaucune valeur historique nest attachée à la parcelle supportant le bâtiment, dont seul le sous-sol présente une telle valeur (paragraphe 55 ci-dessus).
66. La Cour est attentive à lanalyse opérée par la justice nationale qui a expliqué que le principe sous-tendant sa décision était celui de lunité du bâtiment et du terrain le supportant. Le tribunal du district Centralny de Volgograd a précisé que ce principe visait à assurer aux propriétaires de biens immobiliers les meilleures conditions de jouissance de leur droit (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour ne voit pas de raison de sécarter de cette analyse et estime donc que la mesure litigieuse a été opérée « pour cause dutilité publique ».
67. En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure, la Cour rappelle quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par une mesure privant une personne de sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V). Analysant la question de lannulation de titres de propriété délivrés par les autorités ou de contrats de vente conclus avec celles-ci, la Cour a pris en compte, en tant que critères essentiels, la question de la responsabilité des parties dans lirrégularité sanctionnée par lannulation du titre. Elle a dit quaucune erreur commise par une autorité publique ne devait être réparée au détriment de la personne concernée (Çataltepe, précité, § 70, Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 40, 13 décembre 2007, et Gladysheva, précité, § 80). Sans le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de larticle 1 (Gladysheva, précité, § 67).
68. En lespèce, la Cour observe que les juridictions internes nont relevé aucune faute dans le chef de la requérante, ni nont imputé à celle-ci la responsabilité de la privatisation entachée dirrégularité du bien litigieux.
69. En revanche, il ressort des décisions rendues par les juridictions russes que cest à lautorité publique qui a agi en outrepassant ses compétences quincombe la responsabilité de laliénation de la parcelle litigieuse (paragraphes 10, 13-15 ci-dessus). Cette erreur ne doit donc pas être réparée au détriment de la requérante. La Cour ne perd pas de vue que lintéressée a acquitté le prix du terrain au profit du Trésor public, quelle quait été sa branche (régionale ou fédérale) (voir, a contrario, Anna Popova c. Russie (no 59391/12, §§ 17 et 35, 4 octobre 2016, et Gladysheva, précité, §§ 24 et 72, dans lesquels les acquéreurs de bonne foi ont acquitté le prix des biens, aliénés à linsu de leur propriétaire, une autorité publique, au profit de tiers non autorisés par le propriétaire). Dans cette situation, priver la requérante de la parcelle sans versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien constitue une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de larticle 1 du Protocole no 1 (Gladysheva, précité, § 67).
70. Ainsi, le « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et celui de lindividu na pas été ménagé. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Gavrilova et autres c. Russie du 16 mars 2021 requête no 2625/17
Article 1 du Protocole 1 : Annulation rétroactive des titres de propriété portant sur des terrains classés « ressources forestières » : ingérence injustifiée
Laffaire concerne lannulation en justice des titres de propriété que détenaient les requérants sur des parcelles de terrain quils avaient achetées après une chaîne de transactions, et la réintégration de ces parcelles dans le patrimoine de lÉtat au motif quil sagissait de « ressources forestières ». La Cour juge en particulier que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs et omissions des autorités, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a donc été rompu.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur des parcelles de terrain achetées et réintégration de celles-ci dans le patrimoine municipal Absence de faute des requérants ayant subi les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions sur la revendication Absence dindemnisation Juste équilibre rompu au détriment des requérants
FAITS
Les requérants sont cinq ressortissants russes, nés entre 1944 et 1985. Ils résident en Russie. Laffaire concerne lannulation en justice des titres de propriété que détenaient les requérants sur des parcelles de terrain quils avaient achetées après une chaîne de transactions, et la réintégration de ces parcelles dans le patrimoine de lÉtat au motif quil sagissait de « ressources forestières ». Le terrain était situé dans le parc résidentiel de loisirs Lesnoïé, ouvert dans le district de Gatchina (région de Leningrad). En septembre 2014, lagence fédérale de gestion du patrimoine de lÉtat (« agence fédérale ») introduisit une action en revendication contre les requérants et cinq autres acheteurs des parcelles issues du terrain litigieux. Le tribunal de Gatchina rejeta laction en estimant que lÉtat avait perdu, depuis 1991, la propriété et la possession du terrain et que cétait aux autorités publiques de veiller à la préservation du patrimoine de lÉtat, et que les requérants acquéreurs de bonne foi ne devaient pas être pénalisés pour la négligence des autorités. Toutefois, la cour régionale de Leningrad, statuant en appel, fit droit à la demande de lagence fédérale en avril 2016. Elle estima en particulier que le terrain relevait des ressources forestières, quil était la propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé à moins que sa catégorie ne fût changée selon les modalités légales, ce qui navait pas été fait en lespèce. Les pourvois en cassation des requérants furent rejetés par deux décisions rendues en juillet 2016.
Article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété)
La Cour constate que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ». Elle note ensuite que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et la préservation de la forêt en tant que composante de lenvironnement appelant une politique daménagement du territoire appropriée. Elle rappelle à cet égard que la protection de lenvironnement est devenue une valeur dont la défense suscite dans lopinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve. En lespèce, en ce qui concerne le comportement des autorités, la Cour relève que celles-ci ont dune part fait preuve dinertie : elles ont omis denregistrer le droit de propriété de lÉtat sur le terrain et la catégorisation de celui-ci en tant que terrain relevant des ressources forestières, elles sont restées inactives pendant près de 24 ans (depuis 1991) alors quelles savaient que lÉtat avait perdu la possession et la propriété du terrain, et elles ont permis labandon et la destruction progressive de la forêt dont celui-ci était couvert. Dautre part, elles ont validé la catégorisation et laffectation du terrain ainsi que les transactions portant sur celui-ci et sur les parcelles issues de sa division. En agissant de la sorte, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence. En outre, en statuant sur laction en revendication engagée par lÉtat, la juridiction dappel qui a admis la bonne foi des requérants na pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés : elle sest bornée à constater que le terrain litigieux avait toujours été propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé. La Cour considère que la juridiction na tenu aucun compte de la bonne foi des acquéreurs, contrairement aux exigences conventionnelles et aux indications des Cours suprême et constitutionnelle Par ailleurs, alors que le tribunal de Gatchina avait indiqué que le but dutilité publique aurait pu être atteint par lapplication de mesures moins drastiques, par exemple au moyen du rachat par lÉtat des parcelles des requérants ou de lattribution aux intéressés dautres parcelles équivalentes, la juridiction dappel na pas envisagé ces possibilités. De surcroît, la cour régionale a conclu que la prescription ne devait pas être utilisée comme un moyen de légitimer des agissements illicites commis au détriment du propriétaire lÉtat et que lagence fédérale navait eu connaissance de la violation des droits de lÉtat quaprès en avoir été informée par le parquet, alors que, selon les constatations faites par le tribunal, non contredites par la cour régionale, plus de 20 ans sétaient écoulés depuis la première transaction avec le terrain. Non seulement cette approche va à lencontre de la pratique de la Cour supérieure de commerce, mais encore elle prive deffet réel les règles de prescription établies par la loi en faisant dépendre la prescription des résultats des vérifications faites par le parquet, lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation dun bien immobilier. Cela donne un avantage disproportionné aux autorités publiques, rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier. En ce qui concerne le comportement des requérants, la Cour observe quil na jamais été allégué quils eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles. Elle ne décèle aucun élément permettant de penser que ce soit le cas. Elle note aussi que les forêts situées sur le territoire des municipalités ne constituaient pas des ressources forestières selon lancien code forestier, et pouvaient se trouver sur des terrains ne relevant pas des ressources forestières selon le nouveau code forestier, de sorte quelles pouvaient être privatisées. Il en résulte que les requérants, étant de bonne foi, se fiant aux autorités et disposant de moyens réduits pour déceler les irrégularités affectant les acquisitions des parcelles, pouvaient légitimement croire quen achetant des parcelles dont certaines au moins étaient boisées, situées sur le territoire de la municipalité, ils agissaient conformément à la loi et quils étaient juridiquement en sécurité. Or, ni la bonne foi des requérants, ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans la procédure interne. Par conséquent, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a donc été rompu et il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention.
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
69. En lespèce, le droit de propriété des requérants sur les parcelles a été annulé quelques années après les achats de ces parcelles. La Cour observe demblée il sagit dun contentieux opposant les requérants - particuliers - à lÉtat (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
70. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être opérée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
71. Selon le Gouvernement, lingérence a été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Les requérants nont pas présenté de contre-arguments sur ce point. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
72. En lespèce, les juridictions russes ont établi que le terrain litigieux relevait des ressources forestières et quil ne pouvait pas être privatisé à moins dêtre converti en une autre catégorie de terrain conformément à la procédure spéciale de conversion, et quelles ont finalement considéré que laction en revendication nétait pas prescrite et était bien fondée. En labsence de moyens présentés par les requérants sur ce point, la Cour ne saurait se prononcer de manière péremptoire sur le point de savoir si la revendication peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, elle nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 75 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
73. La Cour note ensuite quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et la préservation de la forêt en tant que composante de lenvironnement appelant une politique daménagement du territoire appropriée. Elle rappelle à cet égard que la protection de lenvironnement est devenue une valeur dont la défense suscite dans lopinion publique, et par conséquent auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu (voir Depalle c. France [GC], no 34044/02, CEDH 2010, § 81 et les références qui y sont citées, et, mutatis mutandis, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, § 135, 12 juin 2018)
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
74. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées), et cela indépendamment des préoccupations environnementales. Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres, précité, §§ 138-139, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités dans la présente affaire
75. La Cour observe tout dabord que les autorités nont jamais fait enregistrer de droit de propriété de lÉtat sur le terrain litigieux ce dont elles avaient légalement la possibilité et nont pas fait inscrire ce terrain au cadastre en tant que ressource forestière. Elle estime que, fondamentalement, ce sont ces omissions qui ont rendu possible le transfert du terrain à la collectivité locale, sa privatisation, sa division et la vente des parcelles ainsi créées (voir également, dans le même ordre didées, les considérations exposées dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle, au paragraphe 57 ci-dessus).
76. Elle note également que lautorité chargée de lenregistrement et le service du cadastre nont émis aucune objection quant au terrain puis aux parcelles en cause. Or lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin, et lautorité chargée de lenregistrement était compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 42-43 et 48-49 ci-dessus). De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes, si les documents ne satisfaisaient pas aux exigences légales ou si le terrain et les parcelles, présentées comme urbains, nétaient pas en conformité avec les dispositions légales applicables notamment en matière de gestion forestière (paragraphes 46-47 ci-dessus).
77. Compte tenu des omissions indiquées au paragraphe 75 ci-dessus et du fait que les autorités citées au paragraphe 76 ci-dessus ne pouvaient pas se rendre sur place pour déterminer si le terrain relevait des ressources forestières, si cétait une forêt ne relevant pas des ressources forestières ou encore sil sagissait dune autre catégorie de terrain, la Cour ne saurait sans spéculer se prononcer sur lobligation ou même sur la simple possibilité pour ces autorités de déceler des irrégularités et dempêcher les transactions portant sur le terrain et les parcelles (voir, mutatis mutandis, Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 101, 16 octobre 2018, et Kvyatkovksiy c. Russie (déc.), no 6390/18, § 31, 18 octobre 2018).
78. En revanche, elle considère, comme le tribunal de Gatchina, que lÉtat, en tant que propriétaire du terrain litigieux, disposait dautres organes qui pouvaient, dune part, détecter les irrégularités susceptibles den affecter le devenir (paragraphes 23, 24 et 27 ci-dessus) et, dautre part, agir le cas échéant avant lexpiration du délai de prescription (voir, dans le même ordre didées, larrêt de la Cour supérieure de commerce, au paragraphe 60 ci-dessus). Elle ne peut que souscrire à la conclusion du tribunal de Gatchina selon laquelle le service forestier, le comité créé pour les besoins de la réforme foncière et le comité de gestion du patrimoine de lÉtat, devenu en 2004 lagence fédérale, ne pouvaient pas ignorer que lÉtat avait perdu depuis 1991 la propriété et la possession du terrain en question et que celui-ci avait été divisé et revendu (paragraphes 26-27 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que lÉtat ne peut à bon droit se prévaloir de son organisation interne ou dune distinction entre les différentes autorités publiques (Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 76, CEDH 2007-V (extraits)).
79. En résumé, les autorités ont dun côté fait preuve dinertie elles ont omis denregistrer le droit de propriété de lÉtat sur le terrain et la catégorisation de celui-ci en tant que terrain relevant des ressources forestières, elles sont restées inactives pendant près de vingt-quatre ans alors quelles savaient que lÉtat avait perdu la possession et la propriété du terrain, et elles ont permis labandon et la destruction progressive de la forêt dont celui-ci était couvert (voir, a contrario, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 33, 17 décembre 2019, affaire où les autorités ont réagi rapidement). Dun autre côté, elles ont validé la catégorisation et laffectation du terrain ainsi que les transactions portant sur celui-ci et sur les parcelles issues de sa division. En agissant de la sorte, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence.
80. En outre, en statuant sur laction en revendication engagée par lÉtat, la juridiction dappel qui a admis la bonne foi des requérants (sur ce point, voir les paragraphes 83-85 ci-dessous) na pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés : elle sest bornée à constater que le terrain litigieux avait toujours été propriété de lÉtat et quil ne pouvait pas être privatisé. La Cour considère que la juridiction na tenu aucun compte de la bonne foi des acquéreurs, contrairement aux exigences conventionnelles et aux indications des Cours suprême et constitutionnelle (paragraphes 52-57 ci-dessus).
81. Par ailleurs, alors que le tribunal de Gatchina avait indiqué que le but dutilité publique aurait pu être atteint par lapplication de mesures moins drastiques, par exemple au moyen du rachat par lÉtat des parcelles des requérants ou de lattribution aux intéressés dautres parcelles équivalentes (paragraphe 28 ci-dessus), la juridiction dappel na pas envisagé ces possibilités.
82. La Cour note de surcroît que la cour régionale a conclu que la prescription ne devait pas être utilisée comme un moyen de légitimer des agissements illicites commis au détriment du propriétaire lÉtat et que lagence fédérale navait eu connaissance de la violation des droits de lÉtat quaprès en avoir été informée par le parquet (paragraphe 30 ci-dessus), alors que, selon les constatations faites par le tribunal (paragraphe 27 ci-dessus), non contredites par la cour régionale, plus de vingt ans sétaient écoulés depuis la première transaction avec le terrain. Non seulement cette approche va à lencontre de larrêt de la Cour supérieure de commerce (paragraphe 60 ci-dessus), mais encore elle prive deffet réel les règles de prescription établies par la loi en faisant dépendre la prescription des résultats des vérifications faites par le parquet, lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation dun bien immobilier. Cela donne un avantage disproportionné aux autorités publiques (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009), rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement des requérants dans la présente affaire
83. La Cour observe quil na jamais été allégué que les requérants eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles. Pour sa part, elle ne décèle aucun élément permettant de penser que ce soit le cas (voir, a contrario, Maltsev et autres, précité, § 34), eu égard en particulier au droit interne et à la présomption de bonne foi applicable en la matière (paragraphes 50-54 ci-dessus).
84. Par ailleurs, les forêts situées sur le territoire des municipalités ne constituaient pas des ressources forestières selon lancien code forestier, et pouvaient se trouver sur des terrains ne relevant pas des ressources forestières selon le nouveau code forestier (paragraphes 39 et 41 ci-dessus), de sorte quelles pouvaient être privatisées.
85. De lavis de la Cour, il résulte de ce qui précède que les requérants, étant de bonne foi, se fiant aux autorités et disposant de moyens réduits pour déceler les irrégularités affectant les acquisitions des parcelles (paragraphe 57 ci-dessus), pouvaient légitimement croire quen achetant des parcelles dont certaines au moins étaient boisées, situées sur le territoire de la municipalité Siverski, ils agissaient conformément à la loi et quils étaient juridiquement en sécurité.
86. Or, ni la bonne foi des requérants, ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans la procédure interne (Zhidov et autres, précité, § 110).
87. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences des erreurs des autorités et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication, sans quil leur soit versé aucune forme dindemnisation. Partant, le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Il sensuit quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Semenov c. Russie du 16 mars 2021 requête n° 17254/15
Article 1 du Protocole 1 : Lannulation du droit de propriété du requérant sur une parcelle de terrain au profit de la municipalité : violation du droit au respect de la propriété.
Laffaire concerne lannulation du droit de propriété que le requérant avait sur une parcelle de terrain destinée au maraîchage quil avait achetée à une personne physique, et la réintégration de cette parcelle dans le patrimoine municipal dOmsk à la demande du procureur. La Cour considère que les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts publics et privés concurrents. Elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et en ont déduit que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle en cause dans le patrimoine municipal. La Cour observe également que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant. En prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités. Une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur une parcelle de terrain achetée à une personne physique et réintégration de celle-ci dans le patrimoine municipal Absence dimpératif public absolu et peut-être de nécessité Charge exorbitante supportée par le requérant Juste équilibre rompu au détriment du requérant
FAITS
Le requérant, M. Andrey Mikhaylovich Semenov, est un ressortissant russe, né en 1974 et résidant à Omsk. M. Semenov était propriétaire à Omsk dune parcelle de terrain (n° 23 au cadastre) en zone résidentielle sur laquelle était édifiée sa maison. Le 6 décembre 2007, Mme G. demanda à ladministration municipale dOmsk lattribution dune parcelle de terrain pour maraîchage. Le 25 décembre 2008, la direction municipale lui attribua une parcelle, en zone résidentielle, attenante à celle de M. Semenov. En mai 2009, elle fut enregistrée au cadastre sous le n° 24, en tant que parcelle destinée au maraîchage. En septembre 2009, la direction municipale octroya la propriété de la parcelle n° 24 à Mme G., puis établit lacte de vente au mois de décembre 2009.
Le 12 mars 2010, M. Semenov acheta la parcelle n° 24 à Mme G., et fit inscrire son droit de propriété au registre unifié et installa sur la parcelle un garage, une serre, un poulailler et une aire de jeux. Le 12 février 2014, le procureur de la ville dOmsk assigna en justice M. Semenov et la direction municipale, demandant lannulation du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 et sa réintégration dans le patrimoine municipal dOmsk. Le 30 avril 2014, le tribunal rendit son jugement. Il indiqua que dans la zone résidentielle dOmsk, les parcelles étaient à usage principal de construction et ne pouvaient être exclusivement utilisées pour le maraîchage. Le tribunal estima quen affectant la parcelle à un usage de maraîchage et en laliénant, la direction municipale avait outrepassé ses pouvoirs. Le tribunal jugea que le contrat de vente passé entre la direction municipale et Mme G. avait été conclu en violation de la procédure applicable. En conséquence, le tribunal annula le contrat de vente passé entre la direction municipale et Mme G. ainsi que celui conclu entre Mme G. et M. Semenov, ordonna la radiation de la mention du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 et la réintégration de celle-ci dans le patrimoine municipal dOmsk. M. Semenov contesta ce jugement devant la cour régionale dOmsk qui rejeta son appel. Ses pourvois en cassation, puis devant la Cour suprême essuyèrent des refus. Après lintroduction de la requête devant la Cour, la mention du droit de propriété de M. Semenov sur la parcelle n° 24 fut rayée du registre unifié. M. Semenov demanda à la direction municipale deffectuer un redécoupage des terrains (????????????????? ??????) aux fins daugmenter la superficie de sa propre parcelle n° 23. Par un jugement rendu le 18 février 2016, le tribunal ordonna à la direction municipale de procéder au redécoupage demandé. En application de ce jugement, deux parcelles nouvellement issues de ce redécoupage furent inscrites au cadastre sous de nouveaux numéros. En août 2016, la direction municipale et M. Semenov conclurent un acte par lequel M. Semenov devint propriétaire dune des nouvelles parcelles à destination de construction dun bâtiment à usage individuel avec terrain attenant, pouvant être utilisé pour le jardinage. Le jugement du 30 avril 2014 ne fut pas exécuté dans la partie relative à la réintégration de la parcelle n° 24 dans le patrimoine municipal.
Article 1 du Protocole n° 1
La Cour estime que lannulation du droit de propriété du requérant sanalyse en une « privation de propriété » et note quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. En même temps, le principe de « bonne gouvernance » exige que les autorités agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente, dans tous les cas où, corrigeant leurs propres erreurs, elles se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens. En ce qui concerne le comportement des autorités dans la présente affaire, la Cour relève que les autorités fédérales ont inscrit la parcelle litigieuse (n° 24) au cadastre en tant que destinée au maraîchage, et quelles ont enregistré le droit de propriété de Mme G., puis du requérant sur cette parcelle sans déceler dirrégularités. Par ailleurs, lenregistrement du droit de propriété immobilière est un acte juridique valant reconnaissance de ce droit par lEtat, et lautorité chargée de lenregistrement avait le pouvoir de rejeter la demande denregistrement au cas où elle naurait pas été certaine du pouvoir de disposition du cédant. Au moment de lenregistrement du droit de propriété de Mme G., cette autorité aurait pu détecter lexcès de pouvoir commis par la direction municipale en réalisant une expertise des documents présentés par Mme G. En ce qui concerne les autorités locales, la Cour observe en outre que la direction de la gestion du patrimoine municipal a adopté plusieurs actes qui validaient la vente de la parcelle à Mme G. aux fins de maraîchage. Elle estime donc que les autorités nont pas agi en temps utile et avec cohérence. La Cour considère que les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts publics et privés concurrents. Elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et à en déduire que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle en cause dans le patrimoine municipal. Enfin, la Cour observe que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant. Ainsi, en prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités. Une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier. En ce qui concerne le comportement du requérant, la Cour note que selon le code de lurbanisme, les activités dhorticulture sont possibles dans les zones résidentielles et tient la différence assez subtile entre les activités de maraîchage et dhorticulture. Aussi, compte tenu de la permission légale et du comportement des autorités, en labsence de tout autre motif permettant dincliner vers la mauvaise foi ou la négligence du requérant, la Cour estime que lintéressé a pu légitimement croire quen achetant la parcelle, il agissait conformément à la loi et quil était juridiquement en sécurité. La Cour note quaprès lannulation du droit de propriété du requérant sur la parcelle litigieuse, à lissue de la procédure de redécoupage des terrains, lintéressé a pu racheter une partie de cette parcelle et a conservé la possession sans droit ni titre de lautre partie, à présent propriété municipale, enregistrée sous un autre numéro cadastral. Ces faits, ainsi que le manquement de la ville dOmsk à demander lexécution forcée du jugement du 30 juin 2014 dans le délai légal de trois ans ont compromis la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal. Il en découle, premièrement, que la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal ne constituait pas un impératif public absolu ni peut-être même une nécessité, et deuxièmement, que le requérant a dû supporter des conséquences négatives réelles en raison de lingérence portée dans le droit au respect de ses biens. La Cour conclut que les autorités internes nont pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété du requérant auquel elles ont fait supporter une charge exorbitante. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
53. Le droit de propriété du requérant sur la parcelle a été annulé un peu plus de quatre ans après lachat de cette parcelle. La Cour observe il sagit dun contentieux opposant le requérant particulier à la collectivité publique (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation du droit de propriété du requérant sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
54. La Cour rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être opérée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
55. Le requérant soutient que lingérence litigieuse nétait pas légale, pour deux raisons. Premièrement, il affirme que contrairement à ce quont conclu les tribunaux russes, la ville dOmsk avait bien exprimé sa volonté de disposer de la parcelle no 24, et que dès lors, il était juridiquement impossible de réintégrer cette parcelle dans le patrimoine municipal en vertu de larticle 302 du code civil. Deuxièmement, il estime que laction engagée par le procureur aurait dû être rejetée pour cause de prescription.
56. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
57. En lespèce, eu égard en particulier à lapplication de larticle 302 du code civil et des règles de la prescription par les tribunaux, elle demeure dubitative quant au point de savoir si la mesure litigieuse peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, la Cour nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 60 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
58. La Cour note ensuite quil ne fait pas controverse entre les parties que la mesure litigieuse répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités et le respect des règles durbanisme.
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
59. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées). Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, §§ 138-139, 12 juin 2018, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités dans la présente affaire
60. La Cour relève que les autorités fédérales ont inscrit la parcelle litigieuse au cadastre en tant que parcelle destinée au maraîchage, et ont enregistré le droit de propriété de Mme G. puis du requérant sur celle-ci sans déceler dirrégularités.
61. Or le service du cadastre était compétent pour rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes et si les documents présentés ne satisfaisaient pas aux exigences légales ou si la parcelle créée nétait pas en conformité avec les dispositions légales applicables notamment en matière durbanisme (paragraphes 34-35 ci-dessus).
62. Par ailleurs, lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin, et lautorité chargée de lenregistrement avait le pouvoir de rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 30-33 ci-dessus). Certes, il peut être admis que lorsquelle a traité la demande denregistrement du droit de propriété du requérant, lautorité chargée de lenregistrement, nayant à sa disposition que le contrat de vente, ne pouvait pas vérifier si la direction municipale avait agi en excès de pouvoir (voir, mutatis mutandis, Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 101, 16 octobre 2018, et Kvyatkovksiy c. Russie (déc.), no 6390/18, § 31, 18 octobre 2018). En revanche, avant cela, au moment de lenregistrement du droit de propriété de Mme G., cette autorité aurait pu détecter lexcès de pouvoir commis par la direction municipale, en réalisant une « expertise juridique » des documents que Mme G. avait présentés. Or, la présence dun tel excès de pouvoir constituait un obstacle à lenregistrement du droit de propriété de la venderesse du requérant, en amont à lachat de la parcelle par lui.
63. Quant aux autorités locales, la Cour observe que la direction de la gestion du patrimoine municipal une entité de la municipalité a adopté plusieurs actes qui validaient la vente de la parcelle à Mme G. aux fins de maraîchage : le plan parcellaire, trois décisions municipales et le contrat de vente (paragraphes 6, 7 et 9 ci-dessus). Elle considère que ces actes témoignaient de la volonté de la ville dêtre dépossédée de cette parcelle, au sens de larticle 302 du code civil. Elle estime que la ville dOmsk, en tant que collectivité publique, ne pouvait pas se prévaloir des particularités de son organisation institutionnelle pour exciper dune absence de volonté de disposer du bien, et que, par conséquent, les questions tenant à la répartition des compétences entre les différentes entités municipales et régionales étaient sans incidence sur cette volonté apparente (voir, mutatis mutandis, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 76, CEDH 2007-V (extraits).
64. La Cour considère ainsi quen agissant de la sorte, les autorités fédérales et locales ont, dun côté, manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence, et, dun autre côté, ont validé laffectation de la parcelle au maraîchage et la licéité des transactions dont celle-ci a fait lobjet et ont exprimé la volonté de disposer de ce bien.
65. En outre, en appliquant larticle 302 du code civil à laction en revendication engagée par le procureur, les juridictions internes nont pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés, contrairement aux exigences conventionnelles : elles se sont bornées à considérer quil était interdit de créer en ville des parcelles destinées au maraîchage et à en déduire que la ville dOmsk avait été dépossédée de la parcelle contre sa volonté. En particulier, les tribunaux nont pas envisagé la possibilité de protéger le droit de propriété du requérant en labsence de raisons impératives de réintégrer la parcelle dans le patrimoine municipal (sur labsence de telles raisons, voir paragraphe 71 ci-dessous).
66. Enfin, la Cour observe que le procureur a engagé laction en revendication presque quatre ans après lachat de la parcelle par le requérant, après que lintéressé eut déjà exploité celle-ci et y eut installé certains ouvrages. Or il appartient à ce représentant de lÉtat dapprécier lopportunité de mener ces vérifications et dengager les poursuites lesquelles peuvent être menées sur plusieurs années, voire décennies. Ainsi, de lavis de la Cour, en prenant pour point de départ du délai de prescription la fin des vérifications faites par le procureur, les juridictions internes ont en lespèce privé deffet réel les règles de prescription établies par la loi et ont donné un avantage disproportionné aux autorités (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009). Plus généralement, de lavis de la Cour, une telle approche des tribunaux rend les actions en revendication virtuellement imprescriptibles et contribue à créer une insécurité juridique sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement du requérant dans la présente affaire
67. La Cour note que la juridiction dappel a considéré que le requérant aurait dû savoir que la zone entourant sa maison était une zone résidentielle où les parcelles ne pouvaient pas être exploitées pour des activités de maraîchage. Elle note en même temps que, selon larticle 35 du code de lurbanisme, les activités dhorticulture sont possibles dans les zones résidentielles (paragraphe 29 ci-dessus). Elle est davis que la différence entre les activités de maraîchage et les activités dhorticulture est plutôt subtile.
68. Aussi, compte tenu de la permission légale précitée et du comportement des autorités (paragraphes 60-64 ci-dessus), et en labsence de tout autre motif permettant de penser que le requérant a été de mauvaise foi ou négligent (voir, en particulier, le droit applicable en la matière, paragraphes 38-41 ci-dessus), la Cour estime que lintéressé a pu légitimement croire quen achetant la parcelle, il agissait conformément à la loi et était juridiquement en sécurité. Elle note par ailleurs que le juge unique de la cour régionale dOmsk a confirmé la bonne foi de lintéressé (paragraphe 19 ci-dessus).
69. Enfin, pour ce qui est de largument du Gouvernement consistant à dire que le requérant na pas saisi lopportunité de demander à Mme G. le remboursement du prix quil lui avait payé, la Cour constate que cétaient les autorités qui étaient à lorigine de lingérence, et non Mme G., dont la bonne foi na jamais été remise en question. En outre, elle nexclut pas que, à la date du prononcé du jugement annulant son droit de propriété, le requérant fût déjà forclos à exercer une action en indemnisation contre sa venderesse. Dans ces conditions, elle estime quil serait excessif dexiger de lui quil engage une nouvelle procédure marquée par une totale incertitude quant à une chance raisonnable de succès et dont le Gouvernement na pas démontré leffectivité pratique, et que, par ailleurs, faire porter le fardeau par un autre particulier de bonne foi naiderait pas à restaurer léquilibre voulu (Gladysheva, précité, § 81, et Zhidov et autres, précité, §§ 111-113, avec les références citées).
4) Les faits survenus après lannulation du droit de propriété du requérant
70. Après lannulation du droit de propriété du requérant sur la parcelle litigieuse, à lissue de la procédure de redécoupage des terrains, lintéressé a pu racheter une partie de cette parcelle moyennant un prix de plus de 3 600 EUR, et il a conservé la possession, sans droit ni titre, de lautre partie de la parcelle, qui est à présent une propriété municipale, enregistrée sous un autre numéro cadastral. Ces faits, combinés avec le manquement de la ville dOmsk à demander lexécution forcée du jugement du 30 juin 2014 dans le délai légal de trois ans (paragraphe 45 ci-dessus), ont compromis la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal.
71. La Cour estime que deux conclusions, contraires à ce que soutient le Gouvernement (paragraphe 52 ci-dessus), découlent de ce qui précède. Dune part, la réintégration de la parcelle dans le patrimoine municipal ne constituait pas un impératif public absolu, et nétait peut-être pas nécessaire du tout. Dautre part, le requérant a dû supporter des conséquences négatives réelles en raison de lingérence portée dans son droit au respect de ses biens.
72. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités internes nont pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété du requérant, et quelles ont fait supporter à lintéressé une charge exorbitante.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Seregin et autres c. Russie du 16 mars 2021 requêtes n o 31686/16, n° 45709/16, n° 50002/16, n° 3706/18, n° 24206/18
Art 1 du Protocole 1 : Annulation de titres de propriété privée sur des terrains au profit des municipalités : violation des droits à la protection de la propriété des requérants
Laffaire concerne lannulation par les tribunaux, au profit de municipalités, des titres de propriété des requérants au motif que les transferts initiaux de propriété les privatisations avaient été illicites. La Cour observe que le système légal et administratif russe denregistrement de la propriété foncière, tel quil était en vigueur dans les années 1990-2000, comportait des lacunes. Il ne permettait pas de retracer lhistorique dune parcelle de terrain donnée, de déterminer lidentité des précédents propriétaires, et parfois même, en labsence darpentage, den établir lemplacement et les limites. Ce système favorisait les fraudes dans le domaine foncier. Par ailleurs, lautorité chargée de lenregistrement réalisait une « expertise juridique » des documents présentés, et se trouvait compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant. De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes ou si les documents ou les parcelles créées ne satisfaisaient pas aux exigences légales. Par ailleurs, que les administrations municipales chargées du contrôle municipal foncier disposaient des instruments juridiques et des moyens factuels pour se rendre compte, en temps utile, quelles perdaient la propriété et la possession des parcelles litigieuses et pouvaient alors empêcher les reventes des parcelles. La Cour conclut que les requérants, nayant commis aucune faute, ont dû subir les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers. Ils nont reçu aucune indemnisation pour la privation de leurs biens et le juste équilibre entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Art 1 P1 Annulation des titres de propriété sur des parcelles de terrain acquises auprès de tiers et réintégration de celles-ci dans le patrimoine municipal Absence de faute des requérants ayant subi les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers, et de lapplication rigide des dispositions sur la revendication Absence dindemnisation Juste équilibre rompu au détriment des requérants
CEDH
a) Sur la nature de lingérence
89. En lespèce, le droit de propriété des requérants sur les parcelles a été annulé quelques années après les acquisitions de ces parcelles. La Cour observe demblée il sagit dun contentieux opposant les requérants particuliers aux collectivités publiques (voir, a contrario, Kanevska c. Ukraine (déc.), no 73944/11, 17 novembre 2020, sagissant dun litige purement privé). Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle lannulation rétroactive dun titre de propriété valide constitue une privation de propriété, au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, §§ 87-88, 8 juillet 2008, Satir c. Turquie, no 36192/03, § 31, 10 mars 2009, Silahyürekli c. Turquie, no 16150/06, § 33, 26 novembre 2013, Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 50, 16 mai 2013, Vukuic c. Croatie, no 69735/11, § 50, 31 mai 2016, avec les références qui y sont citées, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 61, 5 décembre 2017). Elle ne voit aucune raison de conclure autrement en lespèce. Ainsi, elle estime que lannulation des droits de propriété des requérants sanalyse en une « privation de propriété ».
b) Sur la justification de lingérence
90. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, pour être conforme à larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit être mise en uvre « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dutilité publique et être proportionnée à ce but, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens.
91. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012).
92. En lespèce, eu égard en particulier à lapplication de larticle 302 du code civil et des règles de la prescription par les tribunaux, elle demeure dubitative quant au point de savoir si la mesure litigieuse peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour contrôler le respect du droit interne, la Cour nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que la mesure méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphes 95 et suivants ci-dessous ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins, précité, § 105, et Pchelintseva et autres c. Russie, nos 47724/07 et 4 autres, § 95, 17 novembre 2016).
93. La Cour estime ensuite que la mesure en question répondait à un but dutilité publique, à savoir la gestion des terrains par les autorités municipales.
1) Les principes généraux relatifs à la proportionnalité de lingérence dans le droit au respect des biens
94. La Cour rappelle que la proportionnalité de lingérence implique lexistence dun juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à supporter « une charge spéciale et exorbitante ». La vérification de lexistence dun juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en jeu. Les aspects examinés par la Cour varient dune affaire à une autre et dépendent des faits et de lingérence en cause. Dans son analyse de la proportionnalité, outre le comportement des autorités, la Cour examine souvent lattitude du propriétaire, notamment le degré de faute ou de prudence dont il a fait preuve (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 54, série A no 108, et G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 301, 28 juin 2018). Plus particulièrement, lorsquune personne acquiert un bien immobilier, elle doit faire preuve de vigilance au cas où des indices évidents pointent vers des fraudes commises en amont de la chaîne des transmissions de propriété. La Cour examine également les conséquences de lingérence pour le requérant et, en cas de privation de propriété, le point de savoir sil a été indemnisé et selon quelles modalités (Turgut et autres, précité, § 91, et les références qui y sont citées). Elle rappelle à cet égard que lorsque, en corrigeant leurs propres erreurs, les autorités se trouvent amenées à porter atteinte au droit au respect des biens, le principe de la bonne gouvernance (good governance) exige quelles agissent en temps utile et de façon correcte et cohérente (voir, par exemple, Osipkovs et autres c. Lettonie, no 39210/07, § 80, 4 mai 2017, Beinarovic et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, §§ 138-139, 12 juin 2018, et, dernièrement, Maltsev et autres c. Russie, nos 77335/14 et 2 autres, § 32, 17 décembre 2019), et quelles veillent aussi à ne pas corriger ce type derreurs au détriment du particulier concerné, surtout en labsence dun autre intérêt privé qui irait dans le sens contraire (voir, mutatis mutandis, Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011, et Beinarovic et autres, précité, § 140, et les références qui y sont citées).
2) Le comportement des autorités agissant dans le cadre du système légal et administratif interne
95. Avant de se pencher sur le comportement des autorités internes, la Cour examinera le système légal et administratif russe en vigueur dans les années 1990-2000.
96. Ce système, qui est au cur de la présente affaire, était le suivant. À partir des années 1990, les personnes physiques eurent la possibilité de devenir propriétaires de terrains. Or, jusquen 1997, il nexistait pas en Russie de registre unifié recensant les titres de propriété foncière. De plus, même après 1997, lenregistrement des droits de propriété nés avant 1998 nétait pas une obligation mais une simple possibilité ouverte aux titulaires de ces droits. Lenregistrement du droit de propriété immobilière était, et reste à ce jour, un acte juridique valant reconnaissance par lÉtat du droit en question, effectué après une « expertise juridique » des documents présentés à cette fin. Cependant, dans le cas du droit de propriété portant sur des parcelles octroyées à des fins de construction individuelle ou dagriculture vivrière, lenregistrement était réalisé selon une procédure simplifiée : pour lobtenir, il suffisait de présenter lacte délivré par lautorité locale. Labsence darpentage ne faisait obstacle ni à linscription dune parcelle au cadastre dÉtat ni à lenregistrement du droit de propriété sur cette parcelle. Enfin, le procédé de « délimitation de la propriété foncière » na été introduit quen 2001, et il nest toujours pas obligatoire actuellement (paragraphes 50-58 ci-dessus). Rien nempêchait, dès lors, les administrations locales de disposer de terrains sans les avoir fait délimiter au préalable.
97. La Cour considère que ce système comportait des lacunes en ce quil entravait la possibilité de retracer lhistorique dune parcelle de terrain donnée, de déterminer qui en avaient été les précédents propriétaires, et parfois même, en labsence darpentage, den établir lemplacement et les limites (Karpov c. Russie [comité], no 53099/10, §§ 59-60, 30 juin 2020). Elle estime que ces lacunes facilitaient les fraudes en matière foncière (voir également, dans le même ordre didées, les considérations exposées dans le raisonnement de la Cour constitutionnelle, au paragraphe 69 ci-dessus).
98. Se tournant vers la présente affaire, elle observe quil ny a pas eu de « délimitation de la propriété foncière » et quaucun droit de propriété municipal, régional ou fédéral na été enregistré sur les parcelles litigieuses. Par ailleurs, ces parcelles nont été arpentées et inscrites au cadastre dÉtat quentre 2007 et 2010, à linitiative de personnes physiques les premiers acquéreurs des terres.
99. La Cour note également que lautorité chargée de lenregistrement et le service du cadastre nont émis aucune objection quant aux parcelles litigieuses. Or la première de ces autorités réalisait une « expertise juridique » des documents présentés, et était compétente pour rejeter la demande denregistrement si elle nétait pas certaine du pouvoir de disposition du cédant (paragraphes 52 et 56 ci-dessus). De son côté, le service du cadastre avait le pouvoir de rejeter la demande dinscription cadastrale si les informations soumises étaient contradictoires ou incomplètes ou si les documents ou les parcelles créées ne satisfaisaient pas aux exigences légales (paragraphes 59-61 ci-dessus).
100. Certes, il nest pas toujours aisé didentifier le caractère faux dun document présenté comme étant authentique, même lors dun contrôle documentaire. La Cour estime donc concevable que personne en lespèce ni les deux autorités susmentionnées, ni les notaires dans les requêtes nos 31686/16 et 45709/16, ni les autorités municipales nait décelé de falsification des documents justificatifs du droit de propriété sur les parcelles, dautant plus que dans la requête no 3706/18 un maire, un clerc de notaire et un fonctionnaire étaient impliqués dans les délits (paragraphes 36-37 ci-dessus).
101. En revanche, la Cour constate que les administrations municipales étaient chargées du contrôle municipal foncier (paragraphe 75 ci-dessus), de sorte quelles disposaient des instruments juridiques et des moyens factuels pour se rendre compte bien avant les vérifications du procureur ou louverture des enquêtes pénales quelles avaient perdu la propriété et la possession des parcelles litigieuses et pour empêcher les reventes des parcelles. Ce constat simpose plus particulièrement dans les affaires faisant lobjet des requêtes nos 31686/16 et 45709/16, dans lesquelles ladministration avait participé aux opérations darpentage des parcelles, et dans laffaire objet de la requête no 50002/16, dans laquelle ladministration avait modifié laffectation du terrain.
102. Par ailleurs, il est surprenant que, même après louverture des enquêtes pénales dans les affaires faisant lobjet des requêtes nos 3706/18 et 24206/18, les autorités naient rien fait par exemple, imposer des saisies provisoires sur les parcelles visées par ces procédures pénales ou interdire les transactions portant sur ces parcelles pour empêcher les requérants dacquérir de telles parcelles (voir, mutatis mutandis, Alentseva c. Russie, no 31788/06, § 75, 17 novembre 2016).
103. De lavis de la Cour, en agissant dans ce cadre juridique lacunaire (paragraphe 97 ci-dessus) et en commettant les omissions relevées ci-dessus, les autorités ont manqué à leur devoir dagir en temps utile et avec diligence.
104. En outre, en appliquant larticle 302 du code civil aux actions en revendication engagées par les autorités, les juridictions internes qui ont pour la plupart admis la bonne foi des requérants (sur ce point, voir les paragraphes 108-110 ci-dessous) nont pas procédé à une mise en balance des intérêts concurrents, publics et privés, contrairement aux exigences conventionnelles et aux préconisations de la Cour constitutionnelle (paragraphe 67 ci-dessus) : elles se sont bornées à constater que les transferts de propriété initiaux avaient été illicites et à en déduire automatiquement que les municipalités avaient été dépossédées des terrains contre leur volonté.
105. En particulier, les juridictions nont envisagé ni la possibilité de protéger le droit de propriété des requérants en labsence de raisons impératives dintérêt public de réintégrer les parcelles dans les patrimoines municipaux, ni la possibilité pour ladministration dindemniser les défendeurs et, le cas échéant, de se retourner contre les personnes condamnées pénalement, en présence de telles raisons impératives (voir aussi, pour un raisonnement similaire, Pchelintseva et autres, précité § 99). Dès lors, la Cour rejette largument du Gouvernement selon lequel certains des requérants nont pas formé daction récursoire contre leurs cocontractants (paragraphe 88 ci-dessus).
106. Dans le même ordre didées, elle relève que, dans laffaire de M. Afentyev (requête no 3706/18), les tribunaux nont pas mis en balance lintérêt du requérant et de sa famille à vivre dans la maison construite sur la parcelle litigieuse avec lintérêt de la municipalité à faire réintégrer cette parcelle dans le patrimoine municipal.
107. Enfin, en ce qui concerne les règles de prescription applicables aux actions en revendication, selon lesquelles les personnes morales ne peuvent pas être relevées de la prescription extinctive (paragraphe 73 ci-dessus), la Cour observe que les juridictions internes ont pris pour point de départ du délai de prescription tantôt la date des vérifications faites par le procureur tantôt celle de différents actes adoptés dans le cadre des enquêtes pénales relatives aux fraudes foncières. Or il appartient au procureur dapprécier lopportunité deffectuer ces vérifications et dengager des poursuites, et une enquête pénale peut durer plusieurs années et senliser sans jamais aboutir à un jugement de condamnation. Cette approche des juridictions internes ne prend pas en compte les intérêts légitimes des acquéreurs de bonne foi et donne un avantage disproportionné aux autorités publiques (comparer avec Zouboulidis c. Grèce (no 2), no 36963/06, §§ 32 et 35, 25 juin 2009) car elle leur permet dengager une action en revendication plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la privatisation foncière, au détriment des personnes physiques acquéreurs de bonne foi (en ce concerne lappréciation de la bonne foi des requérants, voir infra). Plus généralement, elle contribue à créer une insécurité sur le marché de limmobilier.
3) Le comportement des requérants
108. Dans les procédures qui ont donné lieu aux requêtes nos 31686/16, 45709/16, 50002/16 et 3706/18, il na jamais été allégué que les requérants eussent été de mauvaise foi ou négligents lors de lachat des parcelles en question. En revanche, dans celle qui a donné lieu à la requête no 24206/18, la cour régionale de Krasnodar a jugé que la requérante navait pas démontré sa bonne foi. De lavis de la Cour, il est difficile de souscrire à cette conclusion. En effet, la cour régionale na mentionné aucune action ou omission concrètes qui fût de nature à révéler une mauvaise foi ou une négligence de la part de la requérante, de nature à renverser la présomption de bonne foi (paragraphes 63, 65 et 66 ci-dessus).
109. La Cour ne décèle, eu égard au droit interne applicable en la matière et, en particulier, à la présomption de la bonne foi dans les relations juridiques (paragraphes 63-66 ci-dessus), aucun élément de nature à démontrer une négligence ou une mauvaise foi des requérants lors de lachat des parcelles, ni aucune irrégularité qui leur serait imputable. Elle estime que les intéressés ont agi de bonne foi et que, disposant de moyens limités pour détecter déventuelles irrégularités susceptibles dentacher lacquisition des parcelles (paragraphe 69 ci-dessus), ils se sont légitimement fiés aux autorités, qui nont alors pas démenti par leur comportement le sentiment quils avaient dagir en conformité avec la loi et dêtre juridiquement en sécurité.
110. La Cour observe enfin quil na jamais été allégué que les requérants eussent tenté de bénéficier dun effet daubaine dû aux lacunes du système interne (paragraphe 97 ci-dessus). Or ce sont eux qui ont dû finalement supporter les conséquences de ces lacunes (comparer avec Ion Constantin c. Roumanie, no 38515/03, § 42, 27 mai 2010), des agissements frauduleux de tiers et des négligences et omissions des autorités (voir aussi, mutatis mutandis, Pchelintseva et autres, précité, § 98, et Alentseva, précité, § 77) ; et ni leur bonne foi ni le fait que la situation ne leur était pas imputable nont joué le moindre rôle dans les procédures internes (Zhidov et autres c. Russie, nos 54490/10 et 3 autres, § 110, 16 octobre 2018, avec les références qui y sont citées).
111. Eu égard à lensemble de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants, qui navaient commis aucune faute, ont dû subir les conséquences de faits imputables exclusivement au système interne, aux autorités et à des tiers, et de lapplication rigide des dispositions relatives à la revendication. En même temps, ils nont reçu aucune indemnisation pour la privation de leurs biens. Partant, le juste équilibre qui devait régner entre les exigences de lintérêt public et la nécessité de protéger le droit de propriété des requérants a été rompu.
Il sensuit quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Kaynar et autres c. Turquie du 7 mai 2019 requêtes nos 21104/06, 51103/06 et 18809/07
Violation article 1 du Protocole 1 : Violation du droit de propriété, faute dindemnisation : dorénavant, un recours devant la commission dindemnisation permet dobtenir un dédommagement
La Cour juge en particulier que la modification législative a privé les requérants de la possibilité dobtenir le titre de propriété des terrains, alors quils pouvaient légitimement croire quils avaient satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire. Elle juge aussi que les requérants, qui nont reçu aucune indemnité pour latteinte à leurs biens, ont dû supporter une charge individuelle exorbitante. La Cour juge aussi que le droit national permet dorénavant deffacer les conséquences dune telle violation. En effet, un recours devant la commission dindemnisation, dont les compétences ont été élargies en mars 2019 par lordonnance présidentielle n o 809, permettra aux requérants dobtenir une indemnisation. Estimant que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention, la Cour décide donc de rayer du rôle la partie de laffaire relative à la question de larticle 41 de la Convention.
Violation de larticle 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable).
La Cour juge que la durée des procédures (environ 10 ans), dans le cadre des requêtes introduites par deux requérantes, ne répond pas à lexigence du délai raisonnable. Elle accorde à ces requérantes une satisfaction équitable pour le dommage moral subi.
LES FAITS
En 1993 et 1995, les requérants achetèrent des terrains situés sur lîle de Gökçeada. Ces terrains étaient classés « sites naturels » et ne faisaient lobjet daucun titre de propriété. En 1996, lors de la réalisation des travaux cadastraux, ces terrains furent enregistrés au nom du Trésor public. La même année, les requérants saisirent le tribunal cadastral de Gökçeada en vue dobtenir linscription des terrains à leur nom au registre foncier en application des règles relatives à la prescription acquisitive. En 1999, le tribunal fit droit à leur demande, considérant que les conditions de la prescription acquisitive étaient réunies. Ce jugement fut infirmé par la Cour de cassation, qui estima que les juges de fond navaient pas dûment recherché si les terrains litigieux étaient des pâturages, lesquels ne pouvaient pas faire lobjet dune prescription acquisitive dans un tel cas. En 2004, alors que la procédure devant le tribunal cadastral était en cours, la loi relative à la protection du patrimoine culturel et naturel fut modifiée. Ainsi, les terrains classés « sites naturels » ne pouvaient plus sacquérir par le jeu de la prescription acquisitive. En conséquence, le tribunal débouta les requérants et ordonna linscription des terrains litigieux au nom du Trésor public.
LA CEDH
a) Sur lexistence dun bien
32. La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si les requérants étaient ou non titulaires dun bien susceptible dêtre protégé par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se sont trouvés les requérants est de nature à relever du champ dapplication de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
33. Sagissant de la portée autonome de la notion de « bien », la Cour se réfère à sa jurisprudence bien établie (Iatridis c. Grèce [GC], nº 31107/96, § 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], nº 33202/96, § 100, CEDH-2000-I). Il importe donc dexaminer, dans chaque affaire soumise à son examen, si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole nº 1 à la Convention. Dans cette optique, la Cour estime quil y a lieu de tenir compte des éléments de droit et de fait suivants.
34. Elle rappelle que, en droit turc, linscription dun bien immeuble au registre foncier est en principe le seul acte juridique constitutif du droit de propriété (Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03 et 3 autres, § 42, 3 mars 2009, et Ipseftel c. Turquie, no 18638/05, § 50, 26 mai 2015). À cet égard, elle note quil nest pas contesté que les requérants ne disposaient pas dun titre de propriété inscrit au registre foncier. Elle observe cependant que, avant la modification législative, les requérants avaient obtenu un jugement de première instance en leur faveur (comparer avec Smokovitis et autres c. Grèce, no 46356/99, § 32, 11 avril 2002). En effet, elle note que, dans son jugement du 7 octobre 1999, le tribunal cadastral de Gökçeada, qui a tranché la cause en première instance, a conclu que les conditions dacquisition de la propriété par prescription acquisitive étaient réunies. Elle note aussi que, pour établir que les requérants avaient réellement exercé une possession continue sur les terrains en cause, le tribunal a tenu compte dun certain nombre déléments, comme les rapports des expertises agricoles, les déclarations des témoins et des experts locaux et techniques ainsi que des documents présentés par les parties ou recueillis doffice, dont les plans cadastraux et les registres des impôts et du cadastre relatifs aux biens en question (paragraphe 11 ci-dessus).
35. Quant à la Cour de cassation, la Cour constate que celle-ci, dans son arrêt rendu le 12 octobre 2001, a infirmé le jugement du 7 octobre 1999 au motif que les juges du fond navaient pas dûment recherché si les terrains litigieux étaient des pâturages, lesquels ne pouvaient pas faire lobjet dune acquisition par prescription acquisitive. Elle observe que la Cour de cassation a aussi relevé que, selon les déclarations des témoins et des experts locaux, les requérants nutilisaient plus le terrain depuis plusieurs années et quelle a estimé quil y avait lieu de rechercher si les intéressés avaient abandonné la possession et, dans laffirmative, depuis combien de temps (paragraphe 12 ci-dessus).
36. La Cour constate que, lors de la procédure qui sest déroulée après linfirmation du jugement de première instance par la Cour de cassation, le tribunal a complété le dossier, conformément à la demande de la Cour de cassation. Il a ainsi établi avec certitude que les terrains litigieux nétaient pas des pâturages (paragraphe 15 ci-dessus). Quant à la question de savoir si les terrains en question avaient réellement été utilisés par les requérants sans interruption, il ressort du dossier que le tribunal avait établi dans son premier jugement que, même si les terrains en question nétaient pas cultivés depuis un certain temps, cela était dû au fait que du bétail y était élevé (paragraphe 11 ci-dessus). Par ailleurs, lors de la seconde phase de la procédure, les experts et les témoins ont confirmé la possession continue des biens en question par les requérants et aucun élément de fait donnant à penser que ceux-ci avaient abandonné ces biens na été identifié (paragraphe 13 ci-dessus).
37. Par conséquent, de lavis de la Cour, avant lintervention de la loi litigieuse, les requérants pouvaient prétendre avoir satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire relativement aux biens immeubles queux-mêmes ou leurs vendeurs possédaient depuis très longtemps. Ils avaient donc au moins une « espérance légitime » de voir se concrétiser leur créance, cest-à-dire dobtenir la reconnaissance effective dun droit de propriété. La Cour estime que leurs prétentions à être déclarés propriétaires des terrains en question avaient une base suffisante en droit national pour être qualifiées de « valeurs patrimoniales » et donc de « biens » protégés par larticle 1 du Protocole no 1 (voir, notamment, Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre 1996, § 75, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, Ipseftel, précité, §§ 56-57, et, mutatis mutandis, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 52, CEDH 2004-IX, Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 70, CEDH 2005-IX, Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi, précité, § 50, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 143-144, 20 mars 2018).
b) Sur la nature de lingérence
38. Pour la Cour, le cas despèce présente des similitudes avec laffaire Ipseftel précitée, qui concernait limpossibilité pour la requérante dobtenir le titre de propriété dun bien immobilier, alors que son donateur avait satisfait à lexigence de possession paisible et ininterrompue à titre de propriétaire pendant plus de vingt ans. Dans cette affaire, elle rappelle avoir considéré que les décisions judiciaires portant rejet des revendications de propriété de la requérante constituaient une « privation de propriété » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Ipseftel, précité, § 62).
39. Par ailleurs, elle indique que, dans laffaire Maurice précitée, où il était question dune loi ayant supprimé avec effet rétroactif une partie substantielle des créances en réparation dont les requérants pouvaient légitiment espérer bénéficier, elle a considéré que ladite loi avait entraîné une ingérence dans lexercice des droits de créance en réparation que lon pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqualors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens. Elle a ainsi conclu que cette ingérence sanalysait en une « privation de propriété » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Maurice, précité, §§ 79-80).
40. En lespèce, la Cour estime opportun de suivre sa jurisprudence précitée. À cet égard, elle observe que, le 14 juillet 2004, larticle 11 de la loi no 2863 a été modifié de manière à étendre sa portée aux sites naturels. Elle estime que cette modification législative a privé les requérants de la possibilité dobtenir le titre de propriété des biens en question, alors que, comme il a été expliqué ci-dessus (paragraphe 37), les intéressés pouvaient légitimement croire quils avaient satisfait à toutes les exigences qui leur auraient permis de se voir reconnaître la qualité de propriétaire relativement aux biens immeubles queux-mêmes ou leurs vendeurs possédaient depuis très longtemps. La Cour considère donc que la loi litigieuse a entraîné une ingérence dans lexercice des droits de propriété que lon pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqualors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens.
41. Dans ces conditions, force est de conclure que les décisions judiciaires portant rejet des revendications de propriété des requérants constituent une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Ipseftel, précité, § 62, Maurice, précité, § 80 ; voir aussi, mutatis mutandis, Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 34, série A no 332, et Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A. c. Italie, no 6154/11, § 63, 23 septembre 2014).
c) Sur la justification et la proportionnalité de lingérence
42. Larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer lusage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est inhérente à lensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III, et Iatridis, précité, § 58).
43. La Cour relève que lingérence est constituée par la législation entrée en vigueur en 2004 et par son application en lespèce. Elle est donc convaincue que lingérence a satisfait à la condition de légalité énoncée dans la disposition précitée.
44. La Cour rappelle également que les autorités nationales disposent dune certaine marge dappréciation pour déterminer ce qui est « dutilité publique » car, dans le système de la Convention, il leur appartient de se prononcer les premières tant sur lexistence de problèmes dintérêt public justifiant des privations de propriété que sur les mesures à prendre pour les résoudre (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 37). En lespèce, elle observe que, dans son jugement du 9 juin 2005, le tribunal a considéré que, par dérogation au principe de non-rétroactivité qui interdit normalement lapplication dune loi nouvelle à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, il convenait dappliquer cette nouvelle modification législative à la procédure en question au motif quil sagissait dune question dordre public (paragraphe 15 ci-dessus).
45. À cet égard, aux yeux de la Cour, une simple référence à lordre public dans le jugement du tribunal de première instance ne suffit pas à justifier une telle application rétroactive dune loi. Certes, la Cour dit être disposée à admettre que la modification législative a pour objectif de protéger lenvironnement (voir, mutatis mutandis, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 79, CEDH 2007-V (extraits), et Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A., précité, § 67). Elle considère quil sagirait certainement là dun motif légitime, conforme à lintérêt général. Cependant, elle se doit de noter que, le 22 mai 2007, cest-à-dire après un délai de moins de trois ans, ladite loi a été à nouveau modifiée de manière à exclure tous les terrains classés en sites naturels dont relèvent les biens litigieux de son champ dapplication (voir, mutatis mutandis, Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08 et 2 autres, § 63, 7 juin 2011). Dorénavant, de même quau moment de lintroduction de linstance en lespèce, les terrains se trouvant dans les sites naturels peuvent sacquérir par voie dusucapion (paragraphe 21 ci-dessus). Par conséquent, pour la Cour, compte tenu de labsence de toute information de quelque nature que ce soit sur la portée de lapplication rétroactive de la modification législative en question, il est difficile de conclure quil existait une corrélation pratique entre la rétroactivité de la loi en cause, restée en vigueur moins de trois ans, et la protection de lenvironnement en général.
46. En outre, la Cour rappelle quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par lÉtat, y compris les mesures privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 38, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V). Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le « juste équilibre » voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités dindemnisation prévues par la législation interne. Même si larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne garantit pas dans tous les cas le droit à une réparation intégrale (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V), sans le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive (Valle Pierimpiè Società Agricola S.P.A., précité, § 71).
47. La Cour observe que, comme il est déjà établi que lingérence litigieuse satisfaisait à la condition de légalité, une réparation non intégrale ne rendrait pas illégitime en soi la mainmise de lÉtat sur les biens des requérants. Cependant, comme dans laffaire Ipseftel précitée (§ 67), elle constate que les requérants nont reçu aucune indemnité pour latteinte à leurs biens. Elle note que le Gouvernement na invoqué aucune circonstance exceptionnelle pour justifier labsence totale dindemnisation.
48. La Cour estime donc que, même à supposer que lingérence litigieuse ait pour finalité de protéger lenvironnement, une telle ingérence dans les droits des requérants nest pas conciliable avec le juste équilibre à préserver entre les intérêts en jeu (voir, mutatis mutandis, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 43) et il ny a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés. Elle en conclut que, nonobstant la marge dappréciation dont lÉtat dispose en la matière, les requérants ont dû supporter une charge individuelle exorbitante, ce qui a emporté violation de leurs droits protégés par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
ARTICLE 6-1
56. La Cour note que la période à considérer a commencé le 10 juin 1996 avec la saisine du tribunal et quelle sest terminée le 6 juin 2006, date à laquelle la Cour de cassation a rejeté la demande de rectification darrêt. La procédure a donc duré environ dix ans.
57. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée dune procédure doit sapprécier suivant les circonstances de la cause et à laide des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier eu égard à la complexité de laffaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes ainsi quà lenjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup dautres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 209, 27 juin 2017).
58. À la lumière de sa jurisprudence en la matière et compte tenu notamment de la durée qui sétait écoulée après linfirmation du jugement de première instance par la Cour de cassation, elle considère que la durée totale de la procédure litigieuse ne répond pas à lexigence du « délai raisonnable ».
59. Partant, elle conclut quil y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention.
ÇATALTEPE c. TURQUIE du 19 février 2019 requête n° 51292/07
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : Lors d'un remembrement, le requérant perd une partie de ses biens. La Cour relève que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités, et que lintéressé ne sest pas vu verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain équivalent. Partant, elle estime que le juste équilibre a été rompu et que le requérant a supporté une charge spéciale et exorbitante par le fait davoir été privé de son droit de propriété sans contrepartie.
Article 1 du Protocole 1
43. Le requérant allègue que lannulation, sans contrepartie, de son titre de propriété, ainsi que les limitations apportées à son droit de propriété concernant lensemble de ses parts ont enfreint son droit au respect de ses biens
49. Le requérant indique quil sest retrouvé indivisaire de la parcelle litigieuse avec trois autres personnes, inconnues de lui, à la suite dun remembrement urbain réalisé par les autorités. Il indique ensuite quil a acheté les parts de ces personnes sur ce bien lors dune vente aux enchères réalisée en application dune décision de justice définitive portant dissolution de lindivision, et que linscription de son droit de propriété au registre foncier reposait donc sur une décision de justice définitive.
50. Le requérant ajoute que le Trésor public est intervenu dans la procédure relative à la dissolution de lindivision et quil a eu la possibilité de défendre ses intérêts. Il dit que le tribunal dinstance ayant décidé la dissolution de lindivision, en loccurrence le 10e tribunal dinstance dAnkara, na pas jugé utile daccéder à la demande de sursis à statuer présentée par le Trésor public. Le requérant reproche à ce dernier davoir attendu près de quatre ans avant dintroduire une action en annulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi. Il estime que le Trésor public aurait dû engager une action en indemnisation contre Kazim Tiftikçi au lieu dintroduire une action en annulation de son titre de propriété.
51. Le requérant soutient quil nétait pas question dune inscription irrégulière de son droit de propriété au registre foncier, et il argue que la Cour de cassation est allée au-delà de sa pratique et quelle a jugé quil devait payer pour des erreurs commises par le Trésor public et les juges du fond. Il dit que, à supposer que linscription eût été irrégulière, pour décider lannulation de son titre de propriété, il aurait fallu établir sa mauvaise foi ce qui daprès lui na pas été le cas. Le requérant affirme quil sest retrouvé in fine privé de sa propriété, sans aucune contrepartie.
CEDH
56. Larticle 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général et dassurer le paiement des amendes. Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers datteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II, et plus récemment, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 289, 28 juin 2018).
57. La Cour note que le requérant a acheté les parts litigieuses lors dune vente aux enchères ordonnée par une décision de justice, et réalisée dune manière strictement encadrée par les autorités. Ensuite, lintéressé a fait inscrire son droit de propriété au registre foncier. Bien que ce titre de propriété ait été annulé par la suite, la Cour considère que le requérant disposait dun « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (voir, en ce sens, Ahmet Nuri Tan et autres c. Turquie, no 18949/05, § 23, 31 mai 2011, et Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 69, 6 décembre 2011).
58. La Cour estime que lannulation de linscription au registre foncier du droit de propriété du requérant a bien constitué une ingérence dans le droit de lintéressé au respect de ses biens, et sanalyse en une « privation » de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. En ce qui concerne la légalité de cette ingérence, ladite ingérence ayant résulté dune décision judiciaire, la Cour est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne a été interprété et appliqué par les juridictions internes a produit des effets conformes aux principes de la Convention. Pour déterminer si lingérence contestée cadrait avec le principe de légalité, elle doit se situer essentiellement par rapport à la motivation donnée à cet égard par les juridictions nationales pour conclure que linscription foncière était irrégulière et que le requérant était de mauvaise foi, en gardant à lesprit que cest aux juridictions nationales que linterprétation de la législation interne incombe au premier chef (voir, par exemple, Wittek c. Allemagne, no 37290/97, § 49, CEDH 2002-X).
59. En lespèce, la Cour ne peut que constater linsuffisance de la motivation de larrêt de la Cour de cassation du 1er février 2005, de sorte que cet arrêt ne permet guère didentifier ni la disposition de loi ayant servi de fondement à la haute juridiction ni la jurisprudence appliquée au cas du requérant. Sans faire aucune mention à un texte de loi ou à une jurisprudence, et après un exposé lapidaire des procédures, la Cour de cassation a conclu à la hâte à lirrégularité de linscription foncière et à la mauvaise foi du requérant, sans aucune explication (paragraphe 31 ci-dessus).
60. La Cour éprouve des difficultés à suivre la Cour de cassation dans son raisonnement. Elle estime nécessaire de rappeler ici le contexte de la présente affaire. En 1995, le requérant et deux autres indivisaires ont introduit une action en dissolution de lindivision, étant donné que le quatrième et dernier indivisaire, Tiftikçi Dede, demeurait introuvable. Dans le cadre de la procédure ainsi engagée, un dénommé Kazim Tiftikçi sest manifesté, affirmant quil était lhéritier de Tiftikçi Dede. Lintéressé a produit un certificat dhéritier que le tribunal dinstance de Beypazari lui avait délivré à la suite de la rectification de son registre détat civil par une autre décision de justice. La qualité dhéritier de Kazim Tiftikçi a ainsi été reconnue par les juridictions nationales. Le 27 janvier 2000, le 10e tribunal dinstance, sappuyant aussi sur ce certificat héritier, a prononcé la dissolution de lindivision et la mise en vente du terrain par voie dadjudication. Le tribunal na pas jugé utile dattendre lissue de laction en annulation du certificat dhéritier introduite par le Trésor public, écartant ainsi la demande expresse de sursis à statuer formulée par ce dernier. La procédure dadjudication a été menée par le service de lexécution forcée, conformément à la décision de justice. Le requérant a acheté les parts litigieuses par le biais de la vente aux enchères réalisée sous le contrôle des autorités, et il a fait inscrire son droit de propriété dans le registre foncier.
61. La Cour note que lexamen des éléments du dossier ne révèle aucune irrégularité imputable au requérant. Rien ne permet de penser que celui-ci ait été, dans une quelconque mesure, à lorigine de lannulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi ou de son titre de propriété. À cet égard, lon ne saurait reprocher au requérant, comme le fait le Gouvernement, de nêtre pas intervenu dans la procédure introduite par le Trésor public devant le 11e tribunal dinstance aux fins de lannulation du certificat dhéritier de Kazim Tiftikçi, aux côtés de ce dernier. La Cour ne voit pas en quoi une telle intervention à supposer quelle eût été acceptée aurait permis de changer lissue de cette procédure. Elle note du reste que le requérant na pas été assigné en intervention forcée dans cette procédure.
62. Dès le début de la procédure en dissolution de lindivision, le requérant a demandé la désignation dun agent de la trésorerie principale comme tuteur, pour la défense des intérêts du propriétaire indivis absent (paragraphe 8 ci-dessus). Lors de la dernière audience, en date du 27 janvier 2000, il a demandé le blocage de largent de la vente sur un compte bancaire, dans léventualité de la désignation du Trésor public comme héritier (paragraphe 12 ci-dessus). Pour la Cour, lon ne saurait déduire la mauvaise foi du requérant du seul fait que celui-ci était représenté par la même avocate que Kazim Tiftikçi.
63. La Cour considère au contraire que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités. Elle note ici que le 10e tribunal dinstance dAnkara, alors quil était parfaitement au courant de laction en annulation du certificat dhéritier introduite par le Trésor public, et malgré la demande expresse de sursis à statuer formulée par ce dernier, na pas jugé nécessaire dattendre lissue de laction en question. Ce tribunal a prononcé la dissolution de lindivision et la vente aux enchères du bien, alors quil lui était parfaitement loisible dattendre lissue de laction introduite par le Trésor public.
64. La Cour note également que le 3e tribunal de grande instance a décidé dinscrire une mesure conservatoire au registre foncier concernant lensemble des parts du requérant, tant sur celles que ce dernier avait achetées à lindivisaire Tiftikçi Dede que sur celles quil détenait à lorigine, alors même que seules les parts achetées étaient objet de laffaire. De même, le 30 juin 2005, ce même tribunal a annulé le titre de propriété du requérant dans son intégralité.
65. Quant au Trésor public, la Cour constate que celui-ci, bien quinformé de la procédure en dissolution de lindivision dès le début, a attendu plusieurs années avant de demander à être désigné comme héritier. Elle note également quil nest pas intervenu dans la procédure introduite par Kazim Tiftikçi devant le tribunal dinstance de Beypazari, alors quune telle intervention lui aurait permis de contester à temps la qualité dhéritier de celui-ci. Par ailleurs, comme le requérant le fait remarquer, le Trésor public aurait aussi pu demander lapplication dune saisie conservatoire sur largent de la vente.
66. Pour la Cour, lapproche de la Cour de cassation dans la présente affaire dénote une volonté de protéger lintérêt du Trésor public au détriment de celui du requérant, cette haute juridiction ayant essayé de faire supporter à ce dernier lentière responsabilité de faits imputables exclusivement aux autorités.
67. La Cour note en outre que la présente affaire diffère sensiblement des affaires citées par le Gouvernement quant à la matière concernée. Dans les affaires en question, des héritiers avaient fait inscrire des terrains à leur nom au registre foncier en tant que propriétaires de première main grâce à des certificats dhéritiers frauduleux, en ce sens quils avaient sciemment tenu à lécart dautres héritiers, puis ils avaient vendu ces biens à dautres personnes qui étaient en mesure davoir connaissance de cette irrégularité. Les affaires citées par le Gouvernement ne sauraient donc être pertinentes dans lexamen de la présente affaire.
68. Aussi la Cour considère-t-elle que de sérieux doutes surgissent quant à la prévisibilité pour le requérant de lannulation de son titre de propriété. Toutefois, elle juge quil ne simpose pas ici de trancher cette question, lingérence litigieuse nétant de toute façon pas proportionnée, pour les raisons exposées ci-après.
69. Sagissant donc de la proportionnalité de lingérence, la Cour rappelle à cet égard quune mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par une mesure privant une personne de sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V).
70. La Cour rappelle aussi avoir déjà examiné dans dautres affaires la question de lannulation par les tribunaux internes, après plusieurs années, de titres de propriété délivrés par les autorités ou de contrats de vente conclus avec celles-ci. Elle a toujours pris en compte, en tant que critères essentiels dans lexamen de la proportionnalité de la privation, la question de la responsabilité des parties dans lirrégularité sanctionnée par lannulation du titre et le caractère essentiel ou au contraire plutôt mineur de cette irrégularité (voir, entre autres, Ion Constantin c. Roumanie, no 38515/03, § 43, 27 mai 2010, et les références qui y figurent).
71. La Cour rappelle également le principe selon lequel les erreurs commises par les autorités publiques doivent profiter à la personne concernée, spécialement quand aucun autre intérêt privé nest en jeu. En dautres termes, le risque de toute erreur de la part dune autorité publique doit être supporté par lÉtat et aucune erreur ne doit être réparée au détriment de la personne concernée (Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 40, 13 décembre 2007, et Gladysheva, précité, § 80).
72. Or, en lespèce, la Cour relève que lannulation du titre de propriété du requérant a été exclusivement justifiée par des faits imputables aux autorités, et que lintéressé ne sest pas vu verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain équivalent. Partant, elle estime que le juste équilibre a été rompu et que le requérant a supporté une charge spéciale et exorbitante par le fait davoir été privé de son droit de propriété sans contrepartie. Pour la Cour, cette charge a été aggravée par limpossibilité pour le requérant de disposer librement, pendant plusieurs années, des parts quil détenait à lorigine.
73. Partant, la Cour rejette les exceptions du Gouvernement et conclut à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
BASA c. TURQUIE du 15 janvier 2019 requêtes n° 18740/05 et 19507/05
Non violation de l'article 1 du Protocole 1 : Le Trésors Public a déclaré que des surfaces lui appartenait alors que les requérants considèrent qu'elles sont leur propriété. La Cour de Cassation a rendu une décision arbitraire, en faveur du Trésor public. Si la propriété est contestée, ce n'est pas un bien au sens de la Convention. La CEDH n'a pas compétence pour examiner l'interprétation des juridictions internes. Une différences de surface est dans la marge d'appréciation des Etats.
1. Les principes généraux
80. La Cour rappelle quun requérant ne peut alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, c), CEDH 2004-IX, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 142, 20 mars 2018). La notion de « biens » a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des valeurs patrimoniales et donc des « biens » aux fins de cette disposition (Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 171, CEDH 2012). Si larticle 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens (Kopecký, précité, § 35, a)), la notion de « biens » peut recouvrir tant des biens actuels que des créances suffisamment établies pour être considérées comme des valeurs patrimoniales (Kopecký, précité, § 42, et Radomilja et autres, précité, § 142).
81. La Cour rappelle ensuite quun titre de propriété régulièrement enregistré peut constituer, en vertu du droit interne applicable, la preuve de lexistence dun droit de propriété sur le bien en cause (voir, en ce qui concerne le droit turc, Riemer et autres c. Turquie, no 18257/04, § 36, 10 mars 2009, Dogancan c. Turquie (déc.), no 17934/10, § 22, 15 octobre 2013, et Dönmez et autres c. Turquie (déc.), no 19258/07, § 71, 30 janvier 2018).
82. Lorsque lintérêt patrimonial concerné est de lordre de la créance, il ne peut être considéré comme une valeur patrimoniale protégée par larticle 1 du Protocole no 1 que lorsquil a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsquil est confirmé par une jurisprudence constante des tribunaux internes, cest-à-dire lorsque la créance est suffisamment établie pour être exigible (Kopecký, précité, §§ 49 et 52, Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano, précité, § 173, et Radomilja et autres, précité, § 142). À cet égard, des créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » de les voir se concrétiser, cest-à-dire dobtenir la jouissance effective dun droit de propriété, peuvent constituer des valeurs patrimoniales (voir, entre autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII, et Kopecký, précité, § 35, c)). Toutefois, une espérance légitime na pas dexistence indépendante : elle doit être rattachée à un intérêt patrimonial pour lequel il existe une base juridique suffisante en droit national (Kopecký, précité, §§ 45-53, et Radomilja et autres, précité, § 143). En outre, un requérant ne peut en principe passer pour jouir dune créance suffisamment certaine sanalysant en une valeur patrimoniale aux fins de larticle 1 du Protocole no 1 lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (voir, par exemple, Kopecký, précité, § 50, et Centro Europa 7 s.r.l. et Di Stefano c. Italie, précité, § 173 ; comparer Radomilja et autres, précité, § 149).
2. Application en lespèce des principes généraux
83. La Cour observe que les revendications de propriété des requérants reposaient principalement sur leur titre de propriété datant de 1887.
84. Un tel titre immatriculé au registre foncier constitue en droit turc la preuve incontestable dun droit de propriété.
85. Toutefois, si les limites décrites sur celui-ci couvraient un ensemble denviron 51 291 m², la superficie mentionnée nétait que de 5 décarres (environ 5 000 m²).
86. La question qui se pose dès lors est de déterminer lentendue du terrain que le titre couvrait.
87. Or, la Cour observe que cette question, liée à la valeur des titres immatriculés, relève du droit national, lequel, en loccurrence larticle 20 de la loi sur le cadastre, régit ce type de contradiction en indiquant les situations dans lesquelles cest la superficie mentionnée sur le titre qui doit être retenue et celles dans lesquelles cest la superficie découlant des limites qui doit prévaloir.
88. Interprétant et appliquant le droit turc, les juridictions nationales ont estimés que le titre des requérants ne concernait quun bien de 5 décarres, étant donné que les limites décrites dans ledit titre nétaient pas stables et ne pouvaient dès lors être retenues pour fixer la superficie du bien.
89. Il y avait certes eu une controverse en droit interne sur la question de savoir si cétaient les limites ou bien la superficie indiquées par le titre qui devaient prévaloir. Si le TGI a initialement tranché la question en faveur des requérants, son jugement a été cassé et les juridictions ont finalement estimé que le titre des requérants correspondait à un bien de 5 décarres. Or, on ne peut conclure à lexistence dune « espérance légitime » lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué et que les arguments développés par le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les juridictions nationales (Kopecký, précité, § 50).
90. Par ailleurs, la Cour rappelle quelle na pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans linterprétation de la loi nationale ; cest au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, quil incombe dinterpréter la législation interne (Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).
91. Elle ne relève rien darbitraire ou de manifestement déraisonnable dans lappréciation de la Cour de cassation. À cet égard, elle ne perd pas de vue que les experts avaient pu identifier le cours de la rivière, et donc les limites du bien, en 1927, cest-à-dire avant les inondations de 1946. Elle relève toutefois, comme linvite dailleurs à la faire le Gouvernement, que le titre avait été établi en 1887 et que rien ne permettait de déterminer le cours du fleuve à cette époque et donc didentifier les limites du terrain. Dès lors, lapproche consistant à privilégier la superficie, qui avait été mentionnée au moment de létablissement du titre, est loin dêtre déraisonnable.
92. En ce qui concerne le jugement du tribunal dinstance de 1947 qui considère que la superficie du bien des requérants étaient de 51 291 m², la Cour de cassation a estimé que celui-ci ne liait pas le Trésor. La Cour observe que ce jugement du tribunal a été rendu dans le cadre dune action en partage à laquelle le Trésor na pas participé et que les requérants ne fournissent aucun argument permettant daffirmer que ledit jugement était opposable au Trésor.
93. Il en va de même des autres jugements présentés par les intéressés.
94. Quant à la circonstance que les requérants aient perçu une indemnité pour lexpropriation dune partie du terrain litigieux, la Cour estime que celle-ci ne pouvait avoir pour conséquence de modifier la superficie couverte par le titre, ni de contraindre les juridictions nationales à fixer la superficie du bien dune manière autre que celle qui était prévue par la loi. Elle pouvait tout au plus signifier quau moment de lexpropriation les requérants avaient été reconnus propriétaires ou possesseurs des parcelles expropriées.
95. La Cour relève quoutre le titre, les requérants fondent également leur revendications de propriété sur la prescription acquisitive. À cet égard, les intéressés semblent sêtre appuyés sur larticle 639 de lACC (actuellement larticle 713 du NCC), en vertu duquel toute personne ayant exercé une possession continue et paisible à titre de propriétaire pendant vingt ans sur un bien immeuble pour lequel aucune mention ne figure au registre foncier, peut demander linscription au registre foncier de ce bien comme étant sa propriété (paragraphe 53 ci-dessus). De ce point de vue, la « possession » pour laquelle les requérants demandent la protection de larticle 1 du Protocole no 1 était de la nature dune créance plutôt que dun bien actuel (voir, mutatis mutandis, Majcan c. Croatie (déc.), no 45366/14, § 26, 18 septembre 2018).
96. Les tribunaux ont conclu que, même si les requérants pouvaient faire valoir quils exerçaient une possession de longue date sur le bien litigieux, le droit turc excluait la possibilité dacquérir par prescription les terrains constituant le lit dune rivière (paragraphe 37 ci-dessus).
97. Là encore, la Cour rappelle quelle dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, sauf si les décisions de ces derniers sont entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste.
98. Or, la Cour naperçoit rien darbitraire ou de manifestement déraisonnable dans lappréciation des juridictions nationales. Rien ne lui permet donc de sécarter des conclusions desdites juridictions qui ont rejeté les arguments des intéressés et jugé que ces derniers ne pouvaient se prévaloir de la prescription acquisitive.
99. La Cour rappelle que dans plusieurs affaires où les prétentions des requérants se fondaient également sur les règles de la prescription acquisitive, elle a estimé quen labsence de base légale suffisante en droit interne, aucune espérance légitime de pouvoir continuer à jouir du « bien » et den devenir propriétaire navait pu juridiquement naître dans le chef des requérants (Sarisoy et autres c. Turquie, no 21303/07, §§ 26 à 36, 14 octobre 2014). Elle naperçoit aucune raison pour parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire.
100. Compte tenu de lensemble de ces éléments, la Cour estime que le « bien » des requérants, au sens de la Convention, nétait pas de 51 291 m² comme ils le soutiennent, mais de 5 décarres, surface indiquée sur leur titre.
101. Les requérants ne pouvant se prévaloir dun « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1, pour la partie des terrains litigieux excédant les 5 décarres mentionnées sur leur titre, les garanties de cette disposition ne trouvent pas à sappliquer dans ce contexte.
102. Il est vrai que les requérants nont pas obtenu la totalité de cette surface mais seulement 2 555 m² en raison de la déduction dune surface que les intéressés avaient cédée aux autorités pour la construction dune route (voir paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, ces derniers nont jamais fait grief de cette déduction opérée par les juridictions nationales au titre de la construction dune route.
103. Il sensuit que le grief tiré du droit au respect des biens est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de larticle 35 § 3, et doit être rejeté en application de larticle 35 § 4.
Tkachenko c. Russie du 20 mars 2018, requête n° 28046/05
Article 1 du Protocole 1 : Les requérants ont été privés de leur droit de propriété en méconnaissance de la procédure dexpropriation prévue par la loi russe
Laffaire concerne une procédure dexpropriation portant sur la maison des requérants, laquelle était sise sur un terrain appartenant à la municipalité. La municipalité décida de louer ledit terrain à un entrepreneur privé en vue de la construction dun immeuble multi-habitation. Ce dernier assigna les requérants en justice, demandant quil soit mis fin à leur droit de propriété. Cette demande fut accueillie par les juridictions internes. La Cour juge en particulier que lingérence dans le droit de propriété des requérants na pas été opérée selon les conditions prévues par la loi russe. Dune part, la procédure prévue par le code civil concernant lexpropriation et destinée à fournir aux propriétaires expropriés certaines garanties na pas été respectée. Dautre part, le tribunal sest référé à larticle 239 du code civil pour accueillir la demande en justice de lentrepreneur privé de mettre fin au droit de propriété des requérants alors que cet article ne permettait quà une autorité publique de former une telle demande.
CEDH
a) Sur lexistence et la nature de lingérence
48. En lespèce, nul ne conteste que la partie de la maison dont les requérants étaient copropriétaires sanalyse en un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
50. La Cour doit rechercher si lingérence se justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour être compatible avec cette disposition, une ingérence doit remplir trois conditions: elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause dutilité publique » et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du propriétaire et les intérêts de la communauté.
b) Sur le respect du principe de légalité
51. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est une notion inhérente à lensemble des articles de la Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en découle que la nécessité dexaminer la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les références qui y sont citées). Lexpression « dans les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire (Vistin et Perepjolkins, précité, § 95).
52. La Cour a déjà eu loccasion de dire quune ingérence effectuée en violation des dispositions internes ne satisfaisait pas au critère de la « légalité » (voir, par exemple, East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, §§ 179-181 et 195, 23 janvier 2014). Cependant, toute irrégularité procédurale nest pas de nature à rendre lingérence incompatible avec lexigence de « légalité » (Ukraine-Tioumen c. Ukraine, no 22603/02, § 52, 22 novembre 2007). La Cour rappelle à cet égard quelle dispose dune compétence limitée sagissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué ; il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, son rôle consistant surtout à sassurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste (voir, parmi beaucoup dautres, Kushoglu c. Bulgarie, no 48191/99, § 50, 10 mai 2007).
53. En lespèce, les requérants étaient copropriétaires dune moitié de la maison. Comme la Cour la déjà constaté au paragraphe 49 ci-dessus, ils en ont été privés dans le contexte de la reconstruction dune partie de la ville selon le plan général durbanisme. La Cour considère que, dans ces circonstances, lingérence ne peut sanalyser quen une expropriation pour les besoins de la municipalité, au sens des articles 11 et 83 § 3 du code foncier et de larticle 239 du code civil (paragraphes 20-21 ci-dessus).
54. La Cour relève que les dispositions du code civil relatives à lexpropriation prévoyaient une procédure en plusieurs étapes : 1) lautorité publique compétente prend la décision dexpropriation et en informe le propriétaire de limmeuble au moins un an avant la mise en uvre du rachat ; 2) lautorité publique fait enregistrer la décision dexpropriation au registre unifié des droits immobiliers et en informe le propriétaire ; 3) lautorité publique prépare une convention de rachat du bien auprès du propriétaire ; 4) en cas de désaccord du propriétaire sur le principe de lexpropriation ou sur les termes de la convention de rachat, lautorité publique peut former une action en justice dans un délai de deux ans à compter de la notification au propriétaire de la décision dexpropriation. Dans le cadre du contentieux de lexpropriation, la charge de preuve de la nécessité de mettre fin au droit de propriété sur limmeuble concerné incombe à lautorité publique.
55. La Cour considère que la procédure précitée était destinée à fournir aux propriétaires expropriés certaines garanties. Elle constate cependant que, dans la présente affaire, cette procédure na pas été respectée et que les requérants nont pas pu bénéficier de ces garanties légales. Par ailleurs, elle note que la cour régionale na pas répondu au moyen des requérants tiré de lapplication obligatoire de la procédure dexpropriation (paragraphes 15-16 ci-dessus). En outre, le Gouvernement sest borné à soutenir quaucune disposition légale nobligeait les autorités publiques à procéder elles-mêmes au paiement de lindemnité de rachat ou de reloger les habitants, et que, si la procédure dexpropriation avait été respectée, les requérants nauraient pas obtenu une meilleure indemnisation (paragraphes 42 et 44 ci-dessus), mais il na fourni aucune explication quant au non-respect par les autorités de la procédure-même dexpropriation.
56. De lavis de la Cour, il ne sagissait pas de simples irrégularités procédurales (comparer, par exemple, dans un contexte similaire concernant une expropriation, avec Volchkova et Mironov, précité) mais dune privation de propriété en méconnaissance totale de la procédure applicable.
57. Enfin, la Cour relève que, pour accueillir la demande en justice de lentrepreneur privé de mettre fin au droit de propriété des requérants, le tribunal sest référé à larticle 239 du code civil. Or cet article ne permettait de former une telle demande quà une autorité publique, à lexclusion de toute autre personne.
Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que lingérence na pas été opérée selon les conditions prévues par la loi, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences de cette disposition (voir, par exemple, Minasyan et Semerjyan c. Arménie, no 27651/05, § 76, 23 juin 2009).
58. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
KOSMAS ET AUTRES c. GRÈCE du 29 juin 2017 requête 20086/13
Article 1 du Protocole 1 : La qualité de victime ne concerne pas la saisie des terrains litigieux mais aussi les conséquences pour l'exploitation commerciale de la taverne MAMA MIA. Les victimes n'ont pas visé l'article 1 du Protocole 1 mais ils l'ont bien soulevé en substance. La Taverne est connue dans le monde entier grâce au film MAMA MIA et à la chanson éponyme du dit film chantée par le groupe ABBA. La famille du requérant est propriétaire des terrains depuis 1916. L'un des requérants a construit la taverne de ses mains et a apporté tous les moyens pour l'exploitation commerciale. Un monastère revendique les terrains achetés le 26 septembre 1824. Il présente son titre de propriété et gagne devant les tribunaux internes. L'État grec doit indemniser les requérants pour une somme ridiculement basse de 75 000 euros.
1.
Sur la qualité de victime 46.
En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la
requête irrecevable à légard des deuxième, troisième,
quatrième et cinquième requérants pour défaut de qualité de
victime : selon le Gouvernement, ces requérants nont pas
participé à la procédure devant les juridictions nationales,
et ils ninvoquent pas et ne démontrent pas lexistence
dun droit de propriété sur le terrain litigieux. Plus
particulièrement, en ce qui concerne la deuxième requérante,
le Gouvernement estime que lexécution forcée des
décisions internes contre son époux ne signifie pas quelle-même
se trouve lésée dans ses droits de nature patrimoniale. Il
ajoute que, à supposer même que lobtention et lusage
de la licence de son restaurant puissent être considérés comme
un « bien » ce quil conteste , il nest
pas démontré que le monastère ait refusé de consentir à la
continuation de lexploitation du restaurant par la
requérante. 47.
Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants
soutiennent quils sont eux aussi victimes de la privation
de propriété du terrain du premier requérant. Pour démontrer
limpossibilité dans laquelle ils se sont trouvés pour
agir, ils renvoient à leurs arguments concernant lobjection
du Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours
internes. 48.
La Cour rappelle que, pour pouvoir introduire une requête en
vertu de larticle 34 de la Convention, une personne
physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de
particuliers doit pouvoir se prétendre victime dune
violation des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se
prétendre victime dune telle violation, un individu doit,
en principe, avoir subi directement les effets de la mesure
litigieuse (Tanase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010, et Aksu c. Turquie
[GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 50, CEDH 2012). Lexistence
dune victime personnellement touchée par la violation
alléguée dun droit garanti par la Convention est une
condition de la mise en uvre du mécanisme de protection de
la Convention, même si ce critère ne doit pas sappliquer
de manière rigide et inflexible (Bitenc c. Slovénie (déc.), no
32963/02, 18 mars 2008). La Cour
interprète le concept de victime de façon autonome,
indépendamment des notions internes telles que celles dintérêt
à agir ou de qualité pour agir (Aksu, précité, § 52). 49.
En lespèce, la Cour note que la procédure en
revendication de la propriété du terrain litigieux a été
introduite par le monastère contre le premier requérant, qui
arguait de son propre droit de propriété sur ce terrain, et quelle
a pris fin par larrêt de la Cour de cassation qui a donné
gain de cause au monastère de manière définitive et par la
mise en uvre de léviction des requérants. Or cette
situation a affecté non seulement le premier requérant, mais
aussi les membres de sa famille dont les activités commerciales
étaient liées à la propriété du terrain. La licence de
fonctionnement de la taverne avait été transférée en 2002 (à
la suite du départ à la retraite du premier requérant) à la
deuxième requérante, qui lexploitait avec les quatrième
et cinquième requérants. Les deuxième et troisième
requérantes possédaient en outre deux bateaux qui servaient à
transporter les touristes de la ville de Skopelos à la plage et
à la taverne. Un système de dessalement de leau de mer
fonctionnait sur le terrain litigieux et permettait, entre autres,
larrosage de 350 oliviers dont la deuxième requérante
extrayait de lhuile pour les besoins de son restaurant (paragraphe
8 ci-dessus). Or, cette activité commerciale a fait lobjet
dun examen de la part des juridictions internes dans le
cadre du moyen du premier requérant relatif à labus de
droit du monastère : le tribunal de première instance a relevé
que les frais engagés pour exploiter commercialement le terrain
étaient compensés par les profits de lentreprise (paragraphe
17 ci-dessus). 50.
Eu égard à ce qui précède ainsi quà la nécessité dappliquer
de manière flexible les critères déterminant la qualité de
victime, la Cour admet que lépouse et les enfants du
premier requérant, bien que nétant pas directement
impliqués dans la procédure devant les juridictions internes,
peuvent, au regard de larticle 34 de la Convention, passer
pour être victimes des faits quils dénoncent. Dès lors,
elle rejette lexception préliminaire du Gouvernement
concernant la qualité de victime de ces requérants. 2.
Sur lépuisement des voies de recours internes 51.
En deuxième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des
voies de recours internes. 52.
En ce qui concerne le premier requérant, il indique quà
aucun stade de la procédure celui-ci ne sest référé,
même en substance, au droit protégé par larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention. Plus particulièrement, lintéressé
naurait pas allégué que linterdiction dacquérir
par usucapion des biens de lÉtat et des monastères ainsi
que limprescribilité des droits de propriété de lÉtat
et des monastères sur leurs biens étaient contraires à la
disposition susmentionnée. Le Gouvernement estime que la simple
allégation du premier requérant devant les tribunaux selon
laquelle il était devenu propriétaire du terrain litigieux par
usucapion nétait pas suffisante aux fins de lépuisement
des voies de recours internes. 53.
Quant à lépouse et aux enfants du premier requérant, le
Gouvernement indique quà aucun moment au cours de la
procédure, y compris celle devant la Cour de cassation, ces
requérants nont fait usage du droit dintervenir dans
la procédure (intervention accessoire article 80 du code
de procédure civile) en faveur du premier requérant et nont
fait valoir un intérêt légitime à voir infirmer le jugement
de première instance. Daprès le Gouvernement, ces quatre
requérants nont dailleurs procédé à aucune autre
démarche judiciaire ou extrajudiciaire pour faire valoir leurs
droits. 54.
Le premier requérant soutient que non seulement il a épuisé
les voies de recours internes en ce qui le concernait, mais quil
a aussi attiré lattention de la Cour de cassation sur les
conséquences néfastes de laliénation de sa propriété
pour sa famille. 55.
Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants
indiquent quils ne pouvaient pas former opposition contre
la procédure dexécution forcée du jugement du tribunal
de première instance qui ordonnait leur éviction de la
propriété litigieuse, au motif quils ne disposaient pas dun
droit de propriété sur le terrain litigieux, mais seulement dun
droit de créance envers le premier requérant. Quant à la
procédure dintervention accessoire, ils indiquent quelle
ne leur donnait pas la possibilité de faire valoir leurs propres
droits et leur propre dommage, selon eux distincts de ceux du
premier requérant. Ils soutiennent que le Gouvernement ne
fournit dailleurs aucun précédent jurisprudentiel
susceptible de démontrer que lintervention de tiers, ayant
des intérêts dune nature différente de ceux de la
personne se revendiquant propriétaire dun terrain, dans
une procédure de contestation de droits de propriété aurait pu
influencer lissue de la procédure quant à ces droits.
Enfin, ils estiment quune action en dommages-intérêts
fondée sur larticle 105 de la loi daccompagnement du
code civil naurait pas prospéré dès lors que, selon eux,
elle présupposait lexistence dune illégalité
commise par lÉtat. 56.
La Cour rappelle que, conformément à larticle 35 § 1 de
la Convention, elle ne peut examiner une question que lorsque
tous les recours internes ont été épuisés. La finalité de
cette disposition est de ménager aux États contractants loccasion
de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux
avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Ainsi,
le grief dont on saisit la Cour doit dabord avoir été
soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais
prescrits par le droit interne, devant les juridictions
nationales appropriées. Toutefois, selon la règle de lépuisement
des voies de recours internes, un requérant doit se prévaloir
des recours normalement disponibles et suffisants dans lordre
juridique interne pour lui permettre dobtenir réparation
des violations quil allègue. Ces recours doivent exister
à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en
théorie, sans quoi leur manquent leffectivité et laccessibilité
voulues. Rien nimpose duser de recours qui ne sont ni
adéquats ni effectifs (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009). 57.
En ce qui concerne le premier requérant, la Cour note que la
procédure litigieuse portait sur la revendication par le
monastère de la propriété du terrain du premier requérant. Il
est vrai que lenjeu principal de la procédure devant les
juridictions internes était la question de savoir si le terrain
litigieux que le premier requérant prétendait posséder en
vertu de titres de propriété et même par leffet de lusucapion
devait ou non être transmis au monastère auteur de laction
en revendication. Il nen reste pas moins, cependant, que le
litige portait aussi sur la possession du terrain par le biais du
grief relatif à labus de droit commis par le monastère.
En effet, tout comme devant le tribunal de première instance et
la cour dappel, dans son pourvoi en cassation, le premier
requérant soulevait divers moyens, dont notamment labus de
droit que le monastère aurait commis en introduisant son action
: à cet égard, en se prévalant de la jurisprudence de la Cour
de cassation, le premier requérant soulignait que, pendant une
longue période antérieure à lintroduction de laction,
il avait accompli sur le terrain litigieux des actes de
possession (??µ??), comprenant du travail personnel et des
dépenses (investissements, constructions, etc.), et que le
monastère, qui, daprès le requérant, sétait rendu
compte ou aurait dû se rendre compte de ces actes, navait
pas réagi et navait pas contesté ceux-ci, de sorte quil
aurait suscité auprès des tiers la conviction quil nexercerait
jamais ses droits. Cette attitude du monastère avait diminué la
force du droit dont celui-ci pourrait se prévaloir. La longue
inaction du monastère devait être appréciée en combinaison
avec les actes de possession du requérant, ce qui donnait à labus
de droit une nature particulièrement caractérisée, car la
modification de la situation entrainerait pour le requérant un
dommage différent et multiple, supérieur à la simple perte du
bien. Or, si la Cour de cassation avait accueilli largument
relatif à labus de droit, le requérant, même sans être
reconnu propriétaire, naurait pas été évincé du
terrain et y serait maintenu en sa qualité de possesseur. 58.
Sans sappuyer en termes exprès sur larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention, le premier requérant a invoqué
à la fois latteinte à son droit de propriété que celle
à sa possession du terrain au sens des dispositions du droit
interne applicable. Ce faisant, il a, à lévidence,
présenté des arguments qui revenaient à dénoncer, en
substance, une atteinte à tous les aspects pertinents du droit
garanti par cet article. Il a ainsi donné à la Cour de
cassation loccasion déviter ou de redresser les
violations alléguées, conformément à la finalité de larticle
35 de la Convention. Il convient donc de rejeter lexception
de non-épuisement soulevée par le Gouvernement. 59.
Quant aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième
requérants, la Cour note que selon le droit grec, il leur était
loisible de demander aux juridictions internes, sur le fondement
de larticle 80 du code de procédure civile, de pouvoir
intervenir dans la procédure à nimporte quel stade de
celle-ci. Certes, les juridictions internes étaient appelées à
déterminer laquelle des deux parties, du premier requérant ou
du monastère, qui invoquaient chacun des droits de propriété
sur le terrain litigieux, était le véritable propriétaire de
celui-ci. Toutefois, de lavis de la Cour, les autres
requérants, bien quils ne pouvaient pas faire valoir des
droits de propriété sur le terrain litigieux, ils étaient
exploitants du restaurant sis sur le terrain et des bateaux de
transports de touristes. Leur intervention en vertu de larticle
80 du code de procédure civile aurait permis aux deuxième,
troisième, quatrième et cinquième requérants dappuyer
les prétentions du premier requérant et donc dinfluencer
lissue du litige qui était déterminant pour eux. En même
temps, une telle intervention aurait donné aux juridictions
internes loccasion de prendre en considération lenjeu
du litige dans sa totalité et de décider en conséquence. Par
ailleurs, lintervention en question aurait conduit les
requérants à démontrer leur intérêt pour agir et les
juridictions compétentes à se prononcer à cet égard. Il sensuit
que les quatre requérants en question ont failli à leur
obligation dépuiser les voies de recours internes. Partant,
la Cour accueille lexception du Gouvernement pour autant quelle
concerne les deuxième, troisième, quatrième et cinquième
requérants. 3.
Conclusion 60.
Constatant que la requête nest pas manifestement mal
fondée au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et
quelle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif dirrecevabilité,
la Cour la déclare recevable à légard du premier
requérant. SUR
LE FOND 79.
La Cour note quil nest pas contesté en lespèce
que lingérence litigieuse était « prévue par la loi »,
comme lexige larticle 1 du Protocole no 1 : par larticle
21 du décret du 22 avril/16 mai 1926 relatif à léviction
administrative des terrains appartenant à la défense aérienne
et à linterdiction de prise de mesures provisoires contre
lÉtat et la défense aérienne, le législateur a étendu
aux biens des monastères la protection quil accordait à
ceux de lÉtat, afin de les protéger de ceux qui
tenteraient de se les approprier en invoquant lusucapion.
Par ailleurs, larticle 4 de la loi no 1539/1938 prévoit limprescriptibilité
des droits de lÉtat sur des biens du domaine public. En
outre, les monastères du Mont Athos, dont La Grande Laure fait
partie, bénéficient dun statut particulier en vertu de larticle
105 de la Constitution et dune protection particulière en
ce qui concerne leurs biens, larticle 181 de la Charte
statutaire du Mont Athos prévoyant que leurs biens immeubles
sont totalement inaliénables en tant que biens de droit divin. 80.
Lingérence poursuivait aussi un but légitime, à savoir
protéger de lempiétement par des tiers la propriété
immobilière des monastères. La Cour est consciente du souci du
législateur daccorder une protection particulière aux
biens des monastères. Elle note que les monastères créés
pendant la période byzantine ont acquis des biens par donations
impériales ou privées et que, au fil des siècles, leurs titres
de propriété ayant été détruits, perdus ou volés, lusucapion
est venue remplacer les titres non conservés (paragraphe 36 ci-dessus).
Le recours à cette notion dusucapion a été nécessaire
afin de protéger leurs terres de lempiétement par des
tiers ou par linvocation par des tiers de lusucapion
et des revendications fréquentes en justice par des personnes
privées concernant des terrains possédés de bonne foi par les
monastères. La jurisprudence des tribunaux grecs a dailleurs
toujours admis que, jusquà lintroduction du code
civil (soit jusquau 23 février 1946), les biens des
monastères et de lÉglise étaient insusceptibles dêtre
acquis par usucapion par des tiers (paragraphe 36 ci-dessus). 81.
Il incombe toutefois à la Cour dexaminer, à la lumière
de la norme générale de cet article, si un juste équilibre a
été maintenu entre les exigences de lintérêt général
et les droits des individus concernés. La Cour rappelle à cet
égard que le souci dassurer un « juste équilibre »
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu se reflète dans la structure de
larticle 1 du Protocole no 1 tout entier et quil se
traduit par la nécessité dun rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir,
entre autres, Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 108-109, 25
octobre 2012, et Ruspoli Morenes c. Espagne, no 28979/07, § 36, 28 juin 2011).
La vérification de lexistence dun tel équilibre
exige un examen global des différents intérêts en cause. 82.
En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît
à lEtat une large marge dappréciation tant pour
choisir les modalités de mise en uvre que pour juger si
leurs conséquences se trouvent légitimées, dans lintérêt
général, par le souci datteindre lobjectif de la
loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III).
Elle ne saurait renoncer pour autant à son pouvoir de contrôle,
en vertu duquel il lui appartient de vérifier que léquilibre
voulu a été préservé de manière compatible avec le droit du
requérant au respect de ses biens (Jahn et autres c. Allemagne [GC],
nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 93, CEDH 2005-VI). 83.
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le « juste
équilibre » voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur
le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de
prendre en considération les modalités dindemnisation
prévues par la législation interne. Sans le versement dune
somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une
privation de propriété constitue normalement une atteinte
excessive. Un défaut total dindemnisation ne saurait se
justifier sur le terrain de larticle 1 du Protocole no 1
que dans des circonstances exceptionnelles (Les saints
monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, § 71, série A no 301-A,
et Ex-roi de Grèce et autres, précité, § 89). Cependant, larticle
1 du Protocole no 1 ne garantit pas dans tous les cas le droit à
une réparation intégrale (James et autres c. Royaume-Uni, 21
février 1986, § 54, série A no 98, et Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V). 84.
En lespèce, la Cour note que, pour donner gain de cause au
monastère, les juridictions nationales, et notamment la cour dappel,
se sont fondées, dune part, sur les actes de possession
accomplis par le monastère sur ces terrains de 1882 à 1915 (les
moines faisaient paître leurs moutons sur le terrain litigieux,
défrichaient celui-ci et dissuadaient les tiers de se lapproprier
paragraphe 28 ci-dessus), puis sur linaliénabilité
de ses droits de propriété à partir de 1915, et, dautre
part, sur limpossibilité pour le requérant de prouver que
lui-même et ses prédécesseurs sétaient livrés à des
actes de possession de bonne foi pendant une période continue de
quarante ans avant 1915 puis jusquà la saisine du tribunal
de première instance par le monastère en 2004. En outre, dans
son arrêt no 749/2010, la cour dappel a relevé que le
monastère possédait de bonne foi le terrain litigieux depuis
1824, car il lavait acheté à la vraie propriétaire par
un acte de transfert de propriété certifié par la chancellerie
de Skopelos. 85.
De son côté, le premier requérant se prévalait de sa qualité
de propriétaire du terrain litigieux en se fondant sur des
titres de propriété légalement établis au fil de plusieurs
dizaines dannées. Il présentait des actes de propriété
du terrain établis au nom de ses prédécesseurs et datant de
1883, 1902 et 1909 (paragraphe 22 ci-dessus), ainsi quau
nom des membres de sa famille qui se succédaient de 1916 à 1933.
Il produisit, en outre, un acte du 19 septembre 1916 selon lequel
son grand-père avait acquis la propriété du terrain, un
testament de 1933 selon lequel ce grand-père avait transmis la
propriété du terrain à son père, un acte dacceptation
de succession (no 3357) de son père établi le 2 novembre 1960
devant notaire, et un acte dacceptation de succession no 18052/29-12-1982, établi devant
notaire lors de la transmission de la propriété par son père
et transcrit au service du registre foncier de Skopelos (paragraphe
11 ci-dessus). 86.
Sestimant ainsi propriétaire légal et de bonne foi du
terrain litigieux, le premier requérant et sa famille avaient
créé et exploité une entreprise de restauration sur ce terrain
et développé autour de cette exploitation dautres
activités liées au tourisme. La Cour attache aussi de limportance
au fait que plusieurs autorités publiques de lîle de
Skopelos ont consenti à accorder au premier requérant
différents permis comme sil était le propriétaire du
terrain : ainsi, en 1986, le commissariat de police lui a
délivré une licence lui permettant dexploiter un bar-restaurant
et, en 1994, le service de lurbanisme de lîle lui a
accordé un permis de construire un bâtiment dune
superficie de 135 m² pour lexploitation dun
restaurant (paragraphe 21 ci-dessus). À cela sajoute le
fait que le requérant devait payer des taxes foncières à lEtat
(paragraphe 63 ci-dessus). Certes, en 1986 et en 1994, ces
autorités ne pouvaient pas savoir quen 2004 une action en
revendication de la propriété serait intentée par le
monastère et quelle aurait une issue favorable. Toutefois,
la Cour estime que des actes administratifs légaux établis par
des autorités étatiques telles que les autorités de police et
le service de lurbanisme ne peuvent que conforter le
sentiment des destinataires de ces actes que le système dacquisition
et de transmission des biens est stable et fiable et quils
possèdent de bon droit le bien objet de ces actes. En tout état
de cause, le premier requérant a soulevé devant toutes les
juridictions qui ont examiné laffaire le moyen tiré de labus
de droit du monastère afin de conserver la possession du bien
litigieux. 87.
Au fait que les juridictions grecques nont pas pris en
considération les titres de propriété soumis devant elles par
le premier requérant se rajoute celui quelles nont
pas pris en compte la perte de loutil de travail du
requérant entraînée par leur décision, et dont celui-ci et sa
famille tiraient leurs moyens de subsistance depuis 1986 (voir, mutatis
mutandis, Lallement c. France, no 46044/99, §§ 20-24, 11 avril
2002, et Di Marco c. Italie, no 32521/05, § 65, 26 avril 2011),
et ce sans aucune indemnité. En effet, le tribunal de première
instance de Volos a considéré que les frais engagés par le
premier requérant pour exploiter commercialement le terrain
litigieux avaient été compensés par les profits de son
entreprise et que celui-ci avait bénéficié de ces avantages
pendant une longue période sans verser de loyer au monastère en
contrepartie de lusage du terrain (paragraphe 17 ci-dessus).
Les juridictions internes ont ainsi rejeté le moyen tiré de labus
de droit du monastère. Or, si ce moyen avait été accueilli, le
premier requérant aurait au moins conservé la possession du
terrain. 88.
A la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la
spécificité des circonstances de lespèce, la Cour estime
que le requérant a subi une « charge spéciale et exorbitante
», qui ne peut être justifiée par lexistence dun
intérêt général légitime poursuivi par les autorités. Il y
a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. 89.
Eu égard à cette conclusion, la Cour estime quaucune
question distincte ne se pose au regard de larticle 14 de
la Convention. Il nest donc pas nécessaire dexaminer
ce grief. MAMATAS
ET AUTRES c. GRÈCE du 21 juillet 2016 requête
63066/14 et 64297/14 et 66106/14 NON VIOLATION
DE L'ARTICLE 1 du PROTOCOLE 1 : l'échange de titres du
trésor au porteur à la place de leur paiement est conforme à l'intérêt
général supérieur au droit de propriété des 6320
particuliers requérants, pour la Grèce qui connaît la pire
crise économique de son histoire. 84.
Comme elle la précisé à plusieurs reprises, la Cour
rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à
certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre
autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général. Il ne sagit pas pour autant de règles
dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième
ont trait à des exemples particuliers datteintes au droit
de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à
la lumière du principe consacré par la première (Scordino c.
Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 78, CEDH 2006-V). 85.
La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence, un
requérant ne peut se plaindre dune violation de larticle
1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil
incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette
disposition. La notion de « bien » évoquée à la première
partie de larticle 1 du Protocole no 1 a une portée
autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens
corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications
formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts
constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette
disposition. Dans chaque affaire, il importe dexaminer si
les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le
requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé
par larticle 1 du Protocole no 1 (Anheuser-Busch Inc. c.
Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I). 86.
Larticle 1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens
actuels. Un revenu futur ne peut ainsi être considéré comme un
« bien » que sil a déjà été gagné ou sil fait
lobjet dune créance certaine. En outre, lespoir
de voir reconnaître un droit de propriété que lon est
dans limpossibilité dexercer effectivement ne peut
non plus être considéré comme un « bien », et il en va de
même dune créance conditionnelle séteignant du
fait de la non-réalisation de la condition (ibid. § 64). 87.
Cependant, dans certaines circonstances, l« espérance
légitime » dobtenir une valeur patrimoniale peut
également bénéficier de la protection de larticle 1 du
Protocole no 1. Ainsi, lorsque lintérêt patrimonial est
de lordre de la créance, lon peut considérer que lintéressé
dispose dune espérance légitime si un tel intérêt
présente une base suffisante en droit interne, par exemple
lorsquil est confirmé par une jurisprudence bien établie
des tribunaux. Toutefois, on ne saurait conclure à lexistence
dune « espérance légitime » lorsquil y a
controverse sur la façon dont le droit interne doit être
interprété et appliqué et que les arguments développés par
le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les
juridictions nationales (ibid. § 65). 88.
La Cour rappelle en outre quelle a déjà construit une
jurisprudence relative à la marge dappréciation des
États dans le contexte de la crise économique qui sévit en
Europe depuis 2008 et plus particulièrement en relation avec des
mesures daustérité prises par voie législative ou autre
et visant des couches entières de la population (Valkov et
autres c. Bulgarie, no 2033/04, 25 octobre 2011, Frimu
et 4 autres requêtes c. Roumanie (déc.), nos
45312/11, 45581/11, 45583/11, 45587/11 et 45588/11, § 40, 7 février 2012,
Panfile c. Roumanie (déc.), no 13902/11, 20 mars 2012, Koufaki
et ADEDY c. Grèce (déc.), nos 57665/12 et 57657/12, 7 mai 2013, N.K.M. c.
Hongrie, no 66529/11, 14 mai 2013, da
Conceição Mateus et Santos Januário c. Portugal (déc.), nos 62235/12 et 57725/12, 8 octobre 2013, Savickas
c. Lituanie (déc.), no 66365/09, 15 octobre 2013, et da
Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, 1er septembre 2015).
Dans ce contexte, la Cour rappelle aussi que les Etats parties à
la Convention jouissent dune marge dappréciation
assez ample lorsquil sagit de déterminer leur
politique sociale. Ladoption des lois pour établir léquilibre
entre les dépenses et les recettes de lEtat impliquant dordinaire
un examen de questions politiques, économiques et sociales, la
Cour considère que les autorités nationales se trouvent en
principe mieux placées quun tribunal international pour
choisir les moyens les plus appropriés pour parvenir à cette
fin et elle respecte leurs choix, sauf sils se révèlent
manifestement dépourvus de base raisonnable (voir, notamment,
Koufaki et Adedy (déc.), précitée, § 31, et Da Silva Carvalho
Rico (déc.), précitée, § 37). 89.
La Cour a aussi jugé que, dans des situations qui concernent un
dispositif législatif ayant de lourdes conséquences et prêtant
à controverse, dispositif dont limpact économique sur lensemble
du pays est considérable, les autorités nationales devaient
bénéficier dun large pouvoir discrétionnaire non
seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect
des droits patrimoniaux ou à réglementer les rapports de
propriété dans le pays, mais également pour prendre le temps
nécessaire à leur mise en uvre (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 182, CEDH 2004-V). a)
Sur lexistence dun « bien » et dune
ingérence dans le droit de propriété 90.
La Cour note que, à linstar des titres qui font lobjet
de transactions sur le marché des capitaux, les obligations sont
négociables en bourse, se transfèrent dun porteur à lautre,
et que leur valeur peut fluctuer en fonction de divers facteurs.
Toutefois, à leur arrivée à maturité, elles doivent, en
principe, être remboursées à leur valeur nominale. 91.
Les porteurs dobligations de lÉtat grec, dont les
requérants, avaient, en application de larticle 8 de la
loi no 2198/1994 et à léchéance de leurs titres, une
créance pécuniaire envers lÉtat dun montant
équivalent à la valeur nominale de leurs obligations. Les
requérants pouvaient donc prétendre voir leurs titres de
créance remboursés conformément à la loi précitée et ils
avaient donc un « bien », au sens de la première phrase de larticle
1 du Protocole no 1, devant bénéficier des garanties de cette
disposition. 92.
Or ladoption de la loi no 4050/2012 a modifié les
conditions précitées par le jeu des clauses daction
collective que ce texte incluait. Ces clauses prévoyaient la
possibilité, au moyen dun accord conclu entre, dune
part, lÉtat et, dautre part, les porteurs dobligations
décidant collectivement par une majorité renforcée, de
modifier ces conditions régissant les obligations, une telle
modification simposant aussi aux porteurs minoritaires. Les
requérants, qui nont pas consenti à la modification
proposée, se sont vu imposer les nouvelles conditions contenues
dans la loi no 4050/2012, et notamment une diminution de 53,5 %
de la valeur nominale de leurs obligations. 93.
Dans ces conditions, la Cour partage largument principal
des requérants selon lequel les modalités en fonction
desquelles léchange a eu lieu démontrent clairement le
caractère involontaire de leur participation au processus de la
décote. Elle estime que, si largument en question nest
pas suffisant en tant que tel pour conduire à un constat de
violation de larticle 1 du Protocole no 1, la participation
forcée des requérants à ce processus sanalyse en une
ingérence dans leur droit au respect de leurs biens. Elle
souligne dailleurs à cet égard que tous les cas de figure
envisagés à larticle 1 du Protocole no 1 constituent des
ingérences involontaires dans le droit de propriété. 94.
La Cour estime par ailleurs que, contrairement à ce quaffirment
les requérants, la modification des titres sélectionnés, telle
quorganisée par la loi no 4050/2012 et les actes
ministériels litigieux, ne peut être considérée comme une «
privation de propriété » au sens de larticle 1 du
Protocole no 1. En effet, en acquérant des obligations, les
requérants ont fait un investissement dont la valeur aurait pu
fluctuer en fonction des aléas des marchés et de la situation
économique de lEtat émetteur. La Cour rappelle à cet
égard que dans les affaires Thivet c. France ((déc.), no 57071/00, 24 octobre 2000), Bäck
c. Finlande (no 37598/97, 20 juillet 2004), Lobanov
c. Russie (no 15578/03, 2 décembre 2010) et Andreyeva
c. Russie (no 73659/10, 10 avril 2012) qui
impliquaient aussi des baisses drastiques des créances des
requérants, la Cour a appliqué la première phrase du premier
paragraphe de larticle 1. Elle estime que la même approche
doit être suivie en lespèce. En dautres termes, la
modification des titres sélectionnés sanalyse en une
ingérence qui relève de la première phrase de cet article.
Cette qualification naffecte pas les garanties accordées
aux requérants par cette disposition, quelle que soit la norme
applicable, étant donné que la deuxième et la troisième
normes contenues dans cet article sinterprètent à la
lumière du principe consacré par la première qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa (voir, parmi beaucoup
dautres, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II) 95.
Reste à savoir si cette ingérence était justifiée en lespèce. b)
Sur la justification de lingérence dans le droit de
propriété 96.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige,
avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale et poursuive un but légitime « dutilité publique
». Une telle ingérence doit aussi être proportionnée au but
légitime poursuivi, cest-à-dire ménager un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu. Un tel équilibre nest pas
respecté si la personne concernée a dû subir une charge
individuelle excessive (Vistins et Perepjolkins, précité, § 94). i.
« Prévue par la loi » 97.
La Cour rappelle que lexistence dune base légale en
droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au
principe de légalité. Il faut, en plus, que cette base légale
présente une certaine qualité, celle dêtre compatible
avec la prééminence du droit et doffrir des garanties
contre larbitraire. À cet égard, il faut rappeler que la
notion de « loi », au sens de larticle 1 du Protocole no
1, a la même signification que celle qui lui est attribuée par
dautres dispositions de la Convention (voir, par exemple, pacek,
s.r.o. c. République tchèque, no 26449/95, § 54, 9 novembre 1999). 98.
Il sensuit que, en plus dêtre conformes au droit
interne de lÉtat contractant, qui comprend la Constitution
(Ex-roi de Grèce et autres (fond) précité, §§ 79 et 82, et Jahn
et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 81, CEDH 2005-VI),
les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de
propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et
prévisibles dans leur application (Guiso-Gallisay c. Italie, no
58858/00, §§ 82-83, 8
décembre 2005). Quant à la portée de la notion de «
prévisibilité », elle dépend dans une large mesure du contenu
du texte dont il sagit, du domaine que celui-ci couvre
ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (voir,
mutatis mutandis, Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, no 75909/01, § 109, 20 janvier
2009). En particulier, une norme est « prévisible » lorsquelle
offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de
la puissance publique (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 65, 30 mai 2000).
De même, la loi applicable doit offrir des garanties
procédurales minimales, en rapport avec limportance du
droit en jeu (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c.
Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 88, 14 septembre
2010). 99.
En lespèce, la Cour ne doute pas que lingérence
litigieuse était « prévue par la loi », comme la dailleurs
relevé le Conseil dEtat dans son arrêt no 1507/2014 (paragraphe
34 ci-dessus). Léchange des obligations des requérants
contre de nouveaux titres était fondé sur la loi no 4050/2012,
les deux actes du Conseil des Ministres des 24 février et 9 mars
2012, la décision du ministre adjoint de lÉconomie du 9
mars 2012 et la décision du gouverneur de la Banque de Grèce de
la même date. Ces textes étaient accessibles aux requérants,
lesquels en avaient forcément pris connaissance puisquils
devaient donner ou refuser leur consentement quant au processus déchange
que ces textes mettaient en place. 100.
De lavis de la Cour, les conséquences dun refus
éventuel des requérants étaient aussi prévisibles. À cet
égard, la Cour distingue la présente affaire de larrêt Vistins
et Perepjolkins (précité), invoqué par les requérants pour
mettre en cause la compatibilité de la loi litigieuse avec les
principes de lÉtat de droit. Il est vrai que, dans cet
arrêt, la Cour sest dite « dubitative » quant au point
de savoir si lingérence litigieuse pouvait passer pour
avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi
». Il nen reste pas moins que, dans cette affaire, la loi
visait individuellement et nommément les requérants et leur
propriété (Vistins et Perepjolkins, précité, § 54). Or une
législation ad hominem peut effectivement soulever des doutes
quant à sa compatibilité avec les principes de lÉtat de
droit. En lespèce, cependant, la loi no 4050/2012 sappliquait
uniformément et de manière générale à des milliers de
porteurs dobligations. De plus, la mise en uvre des
dispositions de la loi no 4050/2012 était conditionnée à laccord
dune majorité qualifiée de tous les acteurs impliqués. ii.
« Pour cause dutilité publique » 101.
La Cour note que la crise financière internationale qui a
commencé en 2008 a eu de graves répercussions sur léconomie
grecque. Le 27 avril 2009, le Conseil de lUnion européenne
constatait déjà que la Grèce se trouvait dans une situation de
déficit extrême : alors que, pour faire partie de lunion
monétaire, un pays doit avoir un ratio dette publique/PIB
inférieur à 60 %, pour la Grèce ce ratio atteignait 100 %. En
2010, le coût de lemprunt sur les marchés financiers
internationaux a été augmenté à un niveau prohibitif, ce qui
a eu pour résultat dexclure la Grèce de ces marchés et a
entraîné limpossibilité pour elle de financer ses
propres créances échues. Les besoins en emprunt pour sacquitter
de ses obligations ont été pris en charge par un mécanisme de
stabilité auquel participaient les États membres de la zone
euro et le FMI. 102.
La crise financière en Grèce sest encore aggravée au
cours des années qui ont suivi. En 2011, daprès la
Commission européenne, les données macroéconomiques du pays
démontraient que la dette augmenterait à 186 % jusquen
2013 et quelle demeurerait supérieure à 150 % en 2020. Le
deuxième semestre de 2011, les partenaires de la Grèce ont
conditionné la poursuite du financement de la dette à la
participation du secteur privé à leffort de
restructuration de léconomie du pays au moyen de la
réduction de ses obligations et de la prolongation de leur
échéance dans le temps. Selon les partenaires, une telle
démarche produirait une diminution immédiate et substantielle
de la dette publique grecque et assurerait sa viabilité. Le
Sommet des États de la zone euro du 26 octobre 2011 a posé
comme condition de la viabilité de la dette la diminution de 50
% de la dette du secteur privé (paragraphe 11 ci-dessus). 103.
La Cour estime que, pendant la période de grave crise politique,
économique et sociale que la Grèce a récemment traversée et
quelle traverse toujours, les autorités auraient dû satteler
à la solution de telles questions. Elle admet en conséquence
que lÉtat défendeur pouvait légitimement prendre des
mesures en vue datteindre ces buts, à savoir le maintien
de la stabilité économique et la restructuration de la dette,
dans lintérêt général de la communauté. 104.
Selon les informations fournies par le Gouvernement, lopération
déchange a abouti à la diminution de la dette grecque denviron
107 milliards dEUR. À la fin de 2012, un pourcentage de 85
% de la dette est passé des personnes privées aux États
membres de la zone euro. En 2013, le coût du service de la dette
a baissé considérablement : alors que les intérêts prévus
initialement pour 2012 devaient sélever à 17,5 milliards
dEUR, à la suite de léchange, une somme de 12,2
milliards a dû être versée alors que, en 2013, les intérêts
nont pas dépassé 6 milliards. 105.
Lingérence incriminée poursuivait donc un but dutilité
publique. iii.
Proportionnalité de lingérence 106.
Il reste à déterminer si lingérence litigieuse était
proportionnée au but poursuivi. 107.
La Cour note que, par leffet du jeu des clauses daction
collective prévues par la loi no 4050/2012, les requérants ont
vu leurs titres annulés et remplacés par des nouveaux titres,
ce qui a eu pour conséquence une baisse du montant que ceux-ci
pouvaient espérer percevoir à la date à laquelle les anciens
titres arriveraient à maturité. 108.
La Cour estime nécessaire de distinguer la présente affaire des
affaires Malysh et autres c. Russie (no 30280/03, 11 février 2010) et Lobanov
précité, dans lesquelles elle a conclu à la violation de larticle
1 du Protocole no 1. La première concernait lomission de lÉtat
défendeur détablir, en application dune loi, une
procédure de rachat des titres des requérants, ce qui a eu pour
effet de laisser les intéressés dans un état dinsécurité
pendant plusieurs années. La deuxième portait aussi sur lomission
des autorités de légiférer au sujet de la procédure de
paiement au titre de lemprunt obligataire dÉtat de
1982, qui avait été garanti et reconnu comme faisant partie de
la dette de lÉtat. Il est clair que dans ces affaires il nétait
pas question, comme en lespèce, de modification des termes
des titres pour lesquels lÉtat, en sa qualité de
débiteur, était en situation dinsolvabilité imminente. 109.
La Cour estime aussi nécessaire de distinguer la présente
affaire dautres affaires dans lesquelles elle a constaté
quune indemnisation représentant un pourcentage très
réduit, de lordre de 2 % par exemple (Broniowski,
précité, § 186), de la valeur de ce à quoi le requérant
pouvait prétendre entraînait une charge disproportionnée et
excessive qui ne pouvait être justifiée par un intérêt
général légitime poursuivi par les autorités. De même, elle
a constaté une violation de larticle 1 du Protocole no 1
à légard dune requérante qui sétait vu
imposer une charge excessive en raison de la taxation à 98 % dune
partie de lindemnité de licenciement quelle avait
reçue (N.K.M. c. Hongrie, précité). 110.
En lespèce, il nappartient pas à la Cour destimer
de manière abstraite ce que les requérants auraient dû
percevoir en échange de leurs anciens titres dans les
circonstances de la cause. La Cour note, comme la dailleurs
relevé le Conseil dÉtat dans son arrêt no 1116/2014 (paragraphe
38 ci-dessus), que léchange des titres des requérants a
entraîné à leurs dépens une perte de capital de 53,5 %, voire
plus élevée si lon tient compte de la modification de la
date de leur arrivée à maturité. Or une telle perte, si elle
paraît à première vue substantielle, nest pas
conséquente au point quelle puisse être assimilée à une
extinction ou à une rétribution insignifiante par voie
législative des créances des requérants à lencontre de
lÉtat. 111.
La Cour estime aussi utile de rappeler quelle a rejeté
comme manifestement mal fondé le grief dune requérante daprès
lequel, en raison du plafonnement de lindemnisation prévue
par une loi pour ses titres demprunt russe, la somme quelle
devait percevoir ne correspondait quà une faible fraction
de la valeur nominale de ses titres (Thivet (déc.), précitée). 112.
De lavis de la Cour, le point de référence pour
apprécier le degré de la perte subie par les requérants ne
saurait être le montant que ceux-ci espéraient percevoir au
moment de larrivée à maturité de leurs obligations. Si
la valeur nominale dune obligation reflète la mesure de la
créance de son détenteur à la date de larrivée à
maturité, elle ne représente pas la véritable valeur marchande
à la date à laquelle lÉtat a adopté la réglementation
litigieuse, en loccurrence le 23 février 2012, date à
laquelle la loi no 4050/2012 a été adoptée. Cette valeur avait
sans doute déjà été affectée par la solvabilité en baisse
de lÉtat qui avait déjà commencé au milieu de 2010 et sétait
poursuivie jusquà la fin de 2011. Cette baisse de la
valeur marchande des titres des requérants laisse présager que,
le 20 août 2015, lÉtat naurait pas été en mesure
dhonorer ses obligations découlant des clauses
conventionnelles incluses dans les anciens titres, cest-à-dire
avant ladoption de la loi no 4050/2012 (voir aussi
paragraphe 82 ci-dessus). 113.
Tenant compte de la nature des mesures litigieuses, le fait que
les requérants ne figuraient pas parmi ceux qui avaient consenti
à la réalisation de lopération déchange, mais quils
avaient au contraire subi celle-ci par leffet des clauses daction
collective, naffecte pas en tant que tel lappréciation
de la proportionnalité de lingérence. 114.
Dabord, la Cour considère que, si les porteurs dobligations
non consentants, comme les requérants, craignaient une baisse de
la valeur de leurs créances dès lactivation des clauses daction
collective, ils auraient pu exercer leurs droits de porteurs et
écouler leurs titres sur le marché jusquau dernier délai
de linvitation qui leur avait été faite de déclarer sils
acceptaient ou non léchange. 115.
Certes, à la date de lémission des anciens titres
détenus par les requérants, ni ces titres ni le droit grec ne
prévoyaient la possibilité de la mise en uvre de telles
clauses. La Cour ne méconnaît pas le fait que les obligations
qui font sans cesse lobjet de transactions sur les marchés
tant nationaux quinternationaux peuvent être disséminées
entre les mains dun très grand nombre des porteurs.
Toutefois, les clauses daction collective sont courantes
dans la pratique des marchés internationaux de capitaux et elles
ont été incluses, en application de larticle 12 § 3 de
la convention instituant le Mécanisme européen de stabilité,
dans tous les titres de dette publique des États membres de la
zone euro dune durée supérieure dun an (paragraphe
18 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour admet que, sil avait
fallu rechercher parmi tous ces porteurs un consensus en vue du
projet de restructuration de la dette grecque ou limiter lopération
seulement à ceux qui y avaient consenti, cela aurait contribué
à coup sûr à léchec de ce projet. 116.
La Cour relève en outre que lune des conditions posées
par les investisseurs institutionnels internationaux pour
réduire leurs créances consistait en lexistence et lactivation
de clauses de ce type. Le défaut de ces clauses aurait
entraîné lapplication dun pourcentage de réduction
plus grand à légard des créances de ceux qui auraient
été prêts à accepter une décote et aurait contribué à
dissuader un grand nombre des porteurs des titres de faire partie
du processus. Il apparaît ainsi que les clauses daction
collective et la restructuration de la dette publique obtenue
grâce à elles constituaient une mesure appropriée et
nécessaire à la réduction de la dette publique grecque et à
la prévention de la cessation des paiements de lÉtat
défendeur. 117.
De plus, la Cour considère quun investissement en
obligations ne peut être exempt de risques. En effet, entre lémission
dun tel titre et son arrivée à maturité, il sécoule
en principe un laps de temps assez long pendant lequel se
produisent des événements imprévisibles pouvant avoir pour
effet de réduire considérablement la solvabilité de leur
émetteur, même si celui-ci est un État, et donc dentraîner
une perte patrimoniale subséquente pour le créancier. 118.
La Cour estime opportun de souligner à cet égard certains des
motifs par lesquels le Tribunal de lUnion européenne a
rejeté un recours introduit contre la BCE par deux cents
particuliers de nationalité italienne qui détenaient des
obligations de lÉtat grec. Le tribunal a souligné que, au
regard de la situation économique de la République hellénique
et des incertitudes la concernant à lépoque, les
investisseurs concernés ne pouvaient prétendre avoir agi en
tant quopérateurs économiques prudents et avisés,
susceptibles de se prévaloir de lexistence dattentes
légitimes. Au contraire, lesdits investisseurs étaient censés
connaître la situation économique hautement instable
déterminant la fluctuation de la valeur des titres de créance
grecs acquis par eux ainsi que le risque non négligeable dune
cessation de paiement. De telles transactions seffectuaient
sur des marchés particulièrement volatils, souvent soumis à
des aléas et à des risques non contrôlables sagissant de
la baisse ou de laugmentation de la valeur de tels titres,
ce qui pouvait inciter à spéculer pour obtenir des rendements
élevés dans un laps de temps très court. Dès lors, à
supposer même que tous les requérants ne fussent pas engagés
dans des transactions de nature spéculative, ils devaient être
conscients desdits aléas et risques quant à une éventuelle
perte considérable de la valeur des titres acquis. Cela est dautant
plus vrai que, même avant le début de sa crise financière en
2009, lÉtat grec émetteur faisait déjà face à un
endettement et à un déficit élevés (paragraphe 54 ci-dessus). 119.
La Cour estime donc que la Grèce, en prenant les mesures
litigieuses, na pas rompu le juste équilibre entre lintérêt
général et la protection des droits de propriété des
requérants et quelle na pas fait subir aux
intéressés une charge spéciale excessive. 120.
Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que, compte
tenu de la large marge dappréciation dont les États
contractants jouissent en ce domaine, les mesures en cause ne
sauraient être considérées comme disproportionnées à leur
but légitime. Partant, elle estime quil ny a pas eu
en lespèce violation de larticle 1 du Protocole no 1. DÜRRÜ MAZHAR ÇEVIK ET ASUMAN MÜNIRE ÇEVIK
DAGDELEN c. TURQUIE du
14 avril 2015 requête n 2705/05 Violation
article 1 du Protocole 1 : La suppression du titre de propriété
sur un terrain est une atteinte au bien au sens de l'article 1 du
Protocole 1. CEDH 31. Sur
le fond, la Cour relève que les requérants se plaignent de linscription
de leurs terrains au nom du Trésor public en labsence de
toute indemnisation en leur faveur. 32. Le
Gouvernement récuse les griefs présentés. Selon lui, il ny
a eu aucune ingérence, dans la mesure où les requérants ne
possédaient pas de titre de propriété pour les terrains en
question, du fait que leurs limites navaient pas été
désignées par les autorités cadastrales. À
supposer quil y ait bien eu une ingérence, le Gouvernement
fait valoir que lenregistrement au nom du Trésor public a
eu lieu par la voie dune décision judiciaire, que cette
décision relevait de lintérêt public et quelle
était destinée à assurer la protection de lenvironnement. 33. La
Cour observe quen 1958, lascendante des requérants,
Z.B.C, avait acquis deux titres de propriété sur deux terrains
situés dans la région de Dikili à Izmir, et dont les limites navaient
pas été précisées par les autorités du cadastre. Après les
travaux de cadastre effectués dans la région de Dikili en 1981,
le tribunal du cadastre a ordonné linscription dune
partie des terrains au nom du Trésor public au motif que ceux-ci
faisaient partie dun marais et contenaient des sources deaux
chaudes et il a ordonné linscription du reste des terrains
au nom des requérants. 34. La
Cour relève que les terrains litigieux avaient été inscrits en
1958 au registre foncier au nom de Z.B.C. Bien que le
Gouvernement conteste les effets juridiques de cette inscription
sur le droit de propriété des requérants, la validité de
cette dernière na pas été contestée par les parties.
Dès lors, la Cour conclut que les requérants avaient un « bien »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1. 35. La
Cour a déjà examiné des cas similaires concernant lannulation
de titres de propriété à raison du fait que les terrains
litigieux ne pouvaient faire lobjet dune propriété
privée et a conclu à la violation de larticle 1 du
Protocole no 1 (voir parmi dautres, N.A. et autres c.
Turquie, no 37451/97, §§ 38-43, CEDH 2005-X).
En effet, elle a dit que, sans le versement dune somme
raisonnable en rapport avec la valeur du bien, une privation de
propriété constitue normalement une atteinte excessive, et quune
absence totale dindemnisation ne saurait se justifier sur
le terrain de larticle 1 du Protocole no 1 que dans des
circonstances exceptionnelles (voir, mutatis mutandis, Jahn et
autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 111, CEDH 2005-VI,
et Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, § 71,
série A no 301-A). 36. Dans
la présente affaire, même si les raisons pour lesquelles les
terrains ont été récupérés par lÉtat sont
différentes, du fait quil sagissait de sources deaux
chaudes et dun marais, une partie importante des biens des
requérants a, par une décision judiciaire, été inscrite au
nom de lÉtat dans le registre foncier sans quil y
ait lieu à indemnisation, au motif que les terrains en cause ne
pouvaient faire lobjet dune propriété privée. À
cet égard, la Cour constate effectivement que les requérants nont
reçu aucune indemnisation à la suite du transfert dune
partie de leur bien au Trésor public. Or, lexamen du
dossier ne révèle aucune circonstance exceptionnelle de nature
à justifier une absence totale dindemnisation (N.A. et
autres, précité, §§ 41-42). 37. À
la lumière de ce qui précède, la Cour considère que sa
jurisprudence sapplique également à la présente affaire
(voir, par exemple, I.R.S. et autres c.Turquie, no 26338/95, 20 juillet 2004, et N.A.
et autres, précité). La Cour constate quen lespèce
le Gouvernement na fourni aucun fait ni argument
convaincant pouvant mener à une conclusion différente. 38. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. SILAHYÜREKLI
c. TURQUIE du 26 novembre 2013 requête n°16150/06 LE
CLASSEMENT D'UN TERRAIN EN SITE ARCHEOLOGIQUE ET NATUREL SUPPRIME
LE TITRE DE PROPRIETE CEDH 33. La
Cour note dabord que le requérant ne se plaint pas du
classement du terrain litigieux en site archéologique et naturel
ainsi que des restrictions pouvant en résulter pour son droit de
propriété, mais uniquement de lannulation de son titre de
propriété. A cet égard, la Cour estime que le requérant
disposait dun droit protégé par larticle 1 du
Protocole no 1 dans la mesure où il était titulaire, jusquà
son annulation, dun titre de propriété parfaitement
valide. La Cour considère que lannulation du titre de
propriété du requérant constitue une ingérence dans son droit
au respect de ses biens, laquelle sanalyse en une «
privation » de propriété au sens de la seconde phrase du
premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Brumarescu
c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII). 34. Elle
observe que le terrain litigieux est classé en site naturel et
archéologique. Cependant, au cours de la procédure devant le
tribunal de grande instance de Kale, il a en outre été
constaté quune partie de ce terrain faisait partie du
domaine public littoral et le titre de propriété correspondant
à cette partie a été annulé pour cette raison. Le domaine
public littoral étant soumis à un régime juridique différent,
la Cour estime nécessaire de lexaminer séparément du
reste du terrain. a) La
partie du terrain classée en site naturel et archéologique 35. Larticle
1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, quune
ingérence de lautorité publique dans la jouissance du
droit au respect des biens soit légale. La prééminence du
droit, lun des principes fondamentaux dune société
démocratique, est inhérente à lensemble des articles de
la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II).
Le principe de légalité présuppose lexistence de normes
de droit interne suffisamment accessibles, précises et
prévisibles (Hentrich c. France, 22 septembre 1994, §
42, série A no 296-A, Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8
juillet 1986, § 110, série A no 102, et Fener Rum Erkek Lisesi
Vakfi c. Turquie, no 34478/97, § 50, 9 janvier 2007). 36. La
Cour observe que le tribunal de grande instance de Kale a annulé
le titre de propriété du requérant après avoir conclu que le
jugement rendu le 7 octobre 1942 par le tribunal dinstance
de Kas nétait pas juridiquement valide. Pour cela, le
tribunal de grande instance a relevé, dune part, que laction
avait alors été introduite sans quaucune partie à la
procédure ne fût désignée ni invitée par la suite à
participer à la procédure ; et, dautre part, que le
jugement en question navait pas fait lobjet dun
pourvoi en cassation. Le tribunal en a conclu que le titre de
propriété relatif à ce terrain reposait sur une décision de
justice rendue au terme dune procédure ne remplissant pas
les conditions de validité posées par la loi. Il a estimé quune
telle décision et linscription consécutive au registre
foncier ne liaient pas le Trésor. 37. La
Cour note que dans son jugement du 7 octobre 1942 le tribunal dinstance
de Kas jugea que S.K. avait acquis par voie de prescription, en
application de larticle 639 de lancien code civil, la
propriété du terrain litigieux. Or selon cette disposition, laction
en prescription acquisitive devait être introduite contre le
Trésor et ladministration concernée. Cest le non-respect
de cette dernière exigence procédurale qui a conduit le
tribunal de grande instance de Kale à conclure à linvalidité
du jugement de 1942. Le Gouvernement allègue aussi la
méconnaissance des normes de fond, alors que la décision
relative à lannulation du titre de propriété nen
fait pas mention. 38. La
Cour note que le requérant avait acheté ce bien en 2002 et lavait
alors fait inscrire à son nom sur le registre foncier. Selon ses
explications, non contestées par le Gouvernement, il était le
dixième propriétaire de ce terrain. Entre le propriétaire
initial et le requérant, le bien est donc devenu successivement
la propriété de différentes personnes. Il ne ressort
aucunement du dossier que les propriétaires successifs de ce
terrain se sont vu contester leur titre de propriété. 39. Pour
la Cour, il ne fait aucun doute quau moment de son
acquisition en 2002, le requérant avait la certitude que cette
transaction était conforme au droit turc. En effet, la
régularité de linscription au registre foncier et la
validité du titre de propriété ne prêtaient pas à
controverse au regard du droit interne. Le requérant pouvait
légitimement se croire en situation de « sécurité
juridique » quant à la validité de son titre de
propriété, jusquà son annulation par le tribunal de
grande instance de Kale. Le registre foncier ne contenait aucune
indication quant à linvalidité du jugement de 1942 ni
aucune autre mention permettant de douter de la validité du
droit de propriété relatif à ce terrain. Quant au classement
du terrain en site naturel et archéologique, qui en revanche
était connu du requérant, il ne constituait pas un empêchement
à lacquisition du terrain par voie dachat. La Cour
note en outre que la bonne foi du requérant quant à lacquisition
du bien en question na été contestée ni au niveau
national ni devant elle. 40. Par
conséquent, on ne saurait considérer que lannulation du
titre de propriété du requérant à la suite de linvalidation
du jugement du 7 octobre 1942, plus de soixante ans après,
était prévisible. En effet, le requérant ne pouvait
raisonnablement prévoir que son titre de propriété serait
annulé par le biais dune remise en cause du jugement ayant
servi de fondement à la constitution du titre de propriété
initial. 41. La
Cour note en outre que lingérence dans le droit de
propriété du requérant ne peut reposer sur la loi no 2863 et
la loi no 3402 comme le prétend le Gouvernement. 42. Sagissant
dabord de la loi no 2863 (loi relative à la protection du
patrimoine culturel et naturel) qui était en vigueur lorsque le
requérant acheta le bien, la Cour observe que larticle 11
de cette loi ninterdit que lacquisition de la
propriété des lieux classés en patrimoine culturel et naturel
par la voie de la prescription acquisitive. Or cette interdiction
nest pas pertinente dans le chef du requérant, puisquil
est devenu propriétaire de ce terrain en lachetant. La
Cour relève également que cette même loi donne à lEtat
la possibilité dexproprier les lieux classés au titre de
la protection du patrimoine culturel et naturel et appartenant à
des personnes privées. Dans le cas du requérant, les pouvoirs
publics nont pas utilisé cette voie. 43. Quant
à la loi no 3402 (loi sur le cadastre), la Cour note que le
Gouvernement évoque des travaux de cadastre réalisés en 1999
sans apporter plus de précisions sur ce point ou produire des
documents relatifs à ces travaux. En tout état de cause, il
ressort des observations du Gouvernement que ces travaux ont
alors confirmé le titre de propriété existant et ne remettait
aucunement en question la validité du jugement du 7 octobre
1942. 44. Enfin,
la Cour note que la présente affaire diffère sensiblement de la
matière des décisions citées par le Gouvernement. Dans les
affaires en question, les terrains des requérants avaient été
frappés dune interdiction de construire, mesure qui sanalyse
en une réglementation de lusage des biens, tandis que dans
la présente affaire, le titre de propriété du requérant a
purement et simplement été annulé, ce qui sanalyse en
une privation du droit de propriété. Aussi, les affaires
citées par le Gouvernement ne sauraient être pertinentes dans lexamen
de la présente affaire. 45. A
la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc méconnu le droit du requérant
au respect de ses biens. 46. Il
y a eu donc violation de larticle 1 du Protocole no 1 sur
ce point.
b) La
partie du terrain faisant partie du domaine public littoral 47. Ici
la Cour estime que lingérence dans le droit du requérant
au respect de ses biens avait une base légale larticle
43 de la Constitution et poursuivait un but légitime qui
était dans lintérêt général : protéger le littoral et
permettre le libre accès au rivage (N.A. et autres c. Turquie,
no 37451/97, § 40, CEDH 2005-X). 48. La
Cour rappelle quune mesure dingérence dans le droit
au respect des biens doit en outre ménager un « juste
équilibre » entre les exigences de lintérêt général
de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu. En particulier, il doit exister
un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé par une mesure privant une personne de
sa propriété (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 93, CEDH 2006-V).
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation interne. A cet égard, la Cour rappelle quelle
a déjà examiné un grief identique à celui du requérant et
conclu à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 (N.A.
et autres, précité, §§ 41-43). En effet, elle a dit que, sans
le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la
valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive, et quune absence totale
dindemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de larticle
1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles. 49. La
Cour constate quen lespèce le Gouvernement na
fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une
conclusion différente dans le cas présent. Le requérant na
reçu aucune indemnisation à la suite de lannulation de
son titre de propriété. Or lexamen du dossier ne révèle
aucune circonstance exceptionnelle pour justifier labsence
totale dindemnisation. 50. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. ION
CONSTANTIN C. ROUMANIE du 27 MAI 2010 Requête n° 38513/03 Un droit de
propriété obtenu légalement est annulé par les tribunaux onze
ans après. 9. Après
la reconstitution de son droit de propriété sur le terrain, le
père du requérant, puis le requérant lui-même, après lacte
de donation, pouvaient légitimement espérer bénéficier
paisiblement du droit de propriété. Ce nest que onze ans
plus tard, période pendant laquelle le requérant et son père
ont exploité ensemble le terrain, que les autorités locales ont
entamé des démarches pour éclaircir la situation juridique du
terrain. 40. La Cour
estime en outre quil revenait aux autorités locales et
départementales compétentes pour assurer la reconstitution
effective du droit de propriété du requérant de porter à la
connaissance de celui-ci, par une décision formelle, les raisons
de la modification de lemplacement de son terrain et de
faire les démarches nécessaires pour sassurer que son
droit de propriété valable, reconnu en vertu de la loi no
18/1991, soit concret et effectif (mutatis mutandis, Ioachimescu
et Ion c. Roumanie, no 18013/03, § 31,
12 octobre 2006 et Grosu c. Roumanie, no 2611/02,
§ 52, 28 juin 2007). 41. La Cour
note à cet égard que larticle II de la loi no
169/1997 prévoyait que les modifications apportées à la loi no
18/1991 ne pouvaient pas porter atteinte aux droits de
propriété déjà reconstitués dans le respect des dispositions
de cette dernière loi. Seule la nullité absolue des actes
délivrés à des personnes physiques pour non-respect des
dispositions de la loi no 18/1991
pouvait être invoquée pour modifier les situations juridiques
créées. Dès lors, la constatation de nullité absolue
constituait le préalable à ladoption de tout nouvel acte
juridique en vertu de la nouvelle loi, afin dassurer une
cohérence dans lapplication des dispositions légales. Or
en lespèce, et à la différence de laffaire Ioan précitée,
les juridictions nationales ont annulé tant lacte
administratif dattribution dans le domaine de la commune de
Oarja du terrain de 194 hectare, dont faisait partie le terrain
litigieux de 1,30 hectares, que le titre individuel de
propriété sur ce dernier terrain, émis en faveur du père du
requérant. Toutefois, le titre de propriété de D.I. a été
délivré avant que la nullité absolue du titre du requérant
soit prononcée, donc en violation des dispositions légales
susmentionnées. 42. La Cour
peut accepter que lannulation de la décision dans sa
partie concernant le terrain de 194 ha était nécessaire pour
assurer la reconstitution du droit de propriété des habitants
de Bradu, sans quoi ces derniers auraient également pu se
plaindre dune violation de leur droit de propriété, dans
la mesure où ils avaient le droit de se voir délivrer des
titres de propriété (a contrario Gashi précité, § 40).
Cependant, la Cour rappelle avoir jugé que latténuation
de certaines atteintes ne doit pas créer de nouveaux torts
disproportionnés (voir, mutatis mutandis, Pincová et Pinc, no 36548/97,
CEDH 2002-VIII, § 58, et Raicu c. Roumanie, no
28104/03, § 25, 19 octobre 2006) et que les erreurs
des autorités administratives ne doivent pas être supportées
exclusivement par les particuliers en cause. Il ne revient pas au
bénéficiaire dun titre administratif de propriété, qui
a eu la possession dun terrain pendant onze ans, et dont le
titre a été annulé après quinze ans, comme dans le cas despèce,
de supporter les conséquences du système administratif mis en
place, lequel a abouti en lespèce à la coexistence, au
moins jusquau moment de lannulation du titre du
requérant, de deux titres administratifs sur le même terrain,
portant ainsi atteinte au principe de la sécurité des rapports
juridiques. 43. La Cour
rappelle avoir déjà examiné dans dautres affaires la
question de lannulation par les tribunaux internes, après
plusieurs années, de titres de propriété ou de contrats de
vente délivrés ou conclus avec les autorités. Quil sagisse
de lapplication de la législation spécifique relative à
la réparation des injustices commises par un ancien régime ou
de lattribution ou de la vente dun bien par les
autorités en vertu de dispositions légales dautre nature,
la Cour a toujours pris en compte, comme un critère essentiel
dans lexamen de la proportionnalité de la privation, la
question de la responsabilité des parties dans lirrégularité
sanctionnée par lannulation du titre et le caractère
essentiel ou au contraire plutôt mineur de cette irrégularité
(voir, entre autres et mutatis mutandis, Velikovi et autres c. Bulgarie,
nos 43278/98, 45437/99, 48014/99, 48380/99,
51362/99, 53367/99, 60036/00, 73465/01 et 194/02, § 186, 15 mars
2007 ; Gashi c. Croatie, no 32457/05,
§§ 33-40, 13 décembre 2007, Ichim c. Roumanie, no 164/02,
§ 38, 10 mars 2009, Toscuta et autres c. Roumanie, no 36900/03,
§ 38, 25 novembre 2008, et Ciovica c. Roumanie,
no 3076/02, § 92, 31 mars 2009). 44. En lespèce,
la Cour ne décèle pas des éléments conduisant à conclure que
le comportement du requérant serait dans une quelconque mesure
à lorigine de lannulation de son titre de
propriété (voir, a contrario, laffaire Elena et Mihai
Toma c. Roumanie, no 16563/03, décision
dirrecevabilité du 12 janvier 2010). 45. La Cour
considère dès lors que lannulation du titre de
propriété du requérant a été exclusivement justifiée par
des faits imputables aux autorités et sans quil se soit vu
verser une quelconque indemnité ou proposer un terrain
équivalent (voir Toscuta et autres c. Roumanie, no
36900/03, § 38, 25 novembre 2008). 46. Ces
éléments suffisent à la Cour pour rejeter lexception dincompatibilité
ratione materiae soulevée par le Gouvernement et conclure que lÉtat
a manqué à son obligation dassurer au requérant la
jouissance effective de son droit de propriété garanti par larticle
1 du Protocole no1. COUR
DE CASSATION FRANÇAISE LE CLASSEMENT D'UN
CHEMIN N'EST PAS UN TITRE DE PROPRIETE, LE JUGE JUDICIAIRE N'A
PAS POUVOIR D'ENJOINDRE L'ADMINISTRATION Cour de
Cassation chambre civile 3, du 16 mai 2019 pourvoi n° 17-26.210
cassation partielle sans renvoi Mais attendu quayant
retenu à bon droit que la délibération du conseil municipal
classant un chemin dans la voirie communale ne constitue pas un
titre de propriété et que, en cas de revendication, il
appartient à la commune de fonder son droit de propriété sur
un titre ou sur la prescription acquisitive, la cour dappel,
qui nétait pas tenue de procéder à une recherche que ses
constations rendaient inopérante, a légalement justifié sa
décision en retenant, sans en dénier le caractère exécutoire,
que ni les délibérations successives du conseil municipal ayant
notamment classé le chemin dans la catégorie des voies
communales le 15 mars 1962, approuvé le tableau de classement de
ces voies le 29 août 1964 ou approuvé la carte communale le 24
juillet 2003, ni le plan de réorganisation foncière homologuant
le plan des voies communales, devenu définitif à la suite de larrêté
préfectoral du 2 juin 1999, ni larrêté dalignement
individuel du 20 mai 1999 ne constituaient des titres de
propriété ; Mais sur le moyen relevé doffice, après
avis donné aux parties en application de larticle 1015 du
code de procédure civile Vu larticle 13 de la loi des 16-24 août 1790
et le décret du 16 fructidor an III ; Attendu que, pour condamner, sous astreinte, la
commune de Gorrevod à procéder au déclassement du chemin, larrêt
retient quil constitue un chemin dexploitation qui,
en labsence de titre en attribuant la propriété exclusive
aux consorts X..., est présumé appartenir aux propriétaires
riverains, chacun en droit soi, et est affecté à un usage
commun ; Quen statuant ainsi, alors que, en labsence
de voie de fait, il nappartient pas au juge judiciaire denjoindre
à ladministration de déclasser un bien ayant fait par
erreur lobjet dune décision de classement dans la
voirie communale, et quun tel classement, bien quillégal,
nest constitutif dune voie de fait que sil
procède dun acte manifestement insusceptible de se
rattacher à lun des pouvoirs de ladministration, la
cour dappel a violé les textes susvisés ; Cliquez
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lien bleu pour accéder : - A L'EXPROPRIATION
D'UN BIEN DANS UN BUT D'INTERÊT GENERAL - EN MATIÈRE
DE DÉLAI TROP LONG ENTRE LA DATE DE L'EXPROPRIATION
ET LE DÉBUT DES TRAVAUX PUBLICS - AUX
REQUÉRANTS QUI NE PEUVENT BÉNÉFICIER D'UN
EFFET D'AUBAINE - QUAND LE BUT D'INTERÊT
GÉNÉRAL EST ABANDONNÉ - la jurisprudence
française. EXPROPRIATION DANS L'INTERÊT GENERAL ARSIMIKOV
ET ARSEMIKOV c. RUSSIE du 9 juin 2020 requête n° 41890/12 Art
1 P1 Privation de propriété Démolition de
la maison du requérant, déclarée en péril, par les autorités
et dans le cadre de la reconstruction de la ville Non-respect
de la procédure obligatoire dexpropriation pour cause dutilité
publique Prévention des risques liés à loccupation
dimmeubles dangereux Octroi dun bail social à
titre dindemnisation Appartement inhabitable et
contrat de bail annulé sans autre réparation 57. Le
premier requérant estime que les autorités ont commis à son
égard des infractions pénales. Il se plaint davoir été de
facto exproprié arbitrairement de sa maison, et considère que lappartement
dont il était devenu locataire ne constitue pas une
indemnisation valable de son préjudice. 58. Renvoyant
aux conclusions des juridictions internes, le Gouvernement
soutient pour sa part que le premier requérant na pas
démontré de manière incontestable que les autorités
tchétchènes aient joué un rôle dans la destruction de sa
maison. Il argue que ces autorités nont jamais pris de
mesures dexpropriation à légard de lintéressé,
et que ce sont des personnes privées inconnues qui ont démoli
la maison. 59. La
Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention, une ingérence doit remplir
trois conditions : elle doit être effectuée « dans
les conditions prévues par la loi », « pour cause dutilité
publique » et dans le respect dun juste équilibre
entre les droits du propriétaire et les intérêts de la
communauté (Tkachenko, précité, § 50). a) Sur
la légalité et le but dutilité publique de lingérence 60. La
Cour observe ce qui suit. Par un acte du 4 juin 2010, la
commission pluridisciplinaire a déclaré la maison du premier
requérant en péril et à démolir. Le 1er avril 2011, la
commission du logement de la mairie de Grozny a décidé de louer
un appartement à lintéressé dans le cadre dun
contrat de bail social, quil a signé le même jour. Puis,
le 29 mars 2012, les juridictions nationales ont annulé le
contrat au motif que lappartement était inhabitable. Par
ailleurs, les autorités internes ont reconnu que la maison du
requérant avait été démolie non seulement pour cause de
péril, mais aussi dans le cadre de la reconstruction de la ville
(paragraphes 19, 22 et 23 ci-dessus). Partant, la Cour ne peut
accepter la thèse du Gouvernement consistant à dire que les
autorités tchétchènes nont joué aucun rôle dans la
démolition du bâtiment. 61. Il
apparaît que si les autorités ont procédé à la démolition
pour les besoins de la reconstruction de la ville, elles nont
pas respecté la procédure obligatoire dexpropriation pour
cause dutilité publique (paragraphe 37 ci-dessus).
Cependant, il a aussi été avancé que la maison avait été
démolie pour cause de péril. 62. Bien
que les parties naient pas émis dobservations à ce
sujet, la Cour note que le droit russe prévoit la procédure et
les modalités dadoption des déclarations de péril
rendant nécessaire la démolition dun bâtiment, ainsi que
les droits des propriétaires en pareil cas. Il ressort en
particulier des dispositions internes que, lorsquun
bâtiment déclaré en péril doit être démoli, les autorités
doivent dabord le racheter ou, avec laccord du
propriétaire, attribuer à celui-ci un autre logement (paragraphes
35-36 ci-dessus). La Cour considère que, quelle queût
été la procédure légale dans cette situation, dès lors que
le premier requérant na contesté ni lacte du 4 juin
2010, qui avait été dressé plus dun an avant lingérence
alléguée, ni la décision du 1er avril 2011 et quil a
signé le contrat de bail social, il a renoncé à son droit au
rachat de son bien par les autorités et il a accepté le bail
social à titre dindemnisation. 63. La
Cour considère donc que la démolition de la maison du premier
requérant avait pour base légale les dispositions relatives aux
habitats en péril et poursuivait au moins un but dutilité
publique, à savoir la prévention des risques liés à loccupation
dimmeubles dangereux (voir, pour une situation similaire, Saliy
c. Russie (déc.) [comité], no 3068/06, 26 septembre 2017). b) Sur
la proportionnalité de lingérence 64. La
Cour rappelle que, afin dapprécier si la mesure litigieuse
respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait
pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a
lieu de prendre en considération les modalités dindemnisation
prévues par la législation interne (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 55, CEDH 2001-I). 65. En
lespèce, elle estime que, en principe, un bail social
aurait pu représenter une indemnisation adéquate pour la
démolition de la maison en cause, dautant que les
locataires de logements sociaux peuvent en obtenir gratuitement
la propriété (paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, lappartement
qui a été fourni au premier requérant était inhabitable :
il nétait raccordé ni au gaz ni à lélectricité
ni au tout-à-légout, et il navait ni portes
intérieures ni planchers. Qui plus est, après que le contrat de
bail social a été annulé, les autorités nont rien fait
pour offrir au premier requérant une autre réparation. En
conséquence, près de neuf ans après la démolition de sa
maison, lintéressé na toujours pas obtenu dindemnisation. 66. Dans ces
conditions, la Cour considère que lingérence dont se
plaint le premier requérant a fait peser sur lui une charge
disproportionnée et excessive, et quelle a ainsi rompu le
« juste équilibre » à ménager entre la protection
du droit au respect des biens et les exigences de lintérêt
général. Partant, elle rejette lexception tirée de ce
que le requérant naurait pas subi de préjudice important
puisquil avait bénéficié dun bail social, et elle
conclut quil y a eu violation de larticle 1 du
Protocole no 1 à la Convention. Svitlana
Ilchenko c. Ukraine du 4 juillet 2019 requête n° 47166/09 Violation de l'article
1 du Protocole 1 : La démolition dun garage sans octroi dune
indemnité calculée selon une procédure en bonne et due forme a
emporté violation des droits de la requérante. Laffaire
concerne la démolition du garage de la requérante visant à
libérer un terrain en vue de la construction de logements
commerciaux. La Cour juge en particulier que la requérante, qui
possédait le garage et utilisait le terrain sousjacent depuis
les années 1980, a en fin de compte été traitée comme un
squatter par la justice et quil na été tenu aucun
compte du caractère spécifique de sa situation. La requérante
a simplement été invitée à négocier une possible indemnité
allouée à titre gracieux et les autorités nont pas
engagé de procédure en bonne et due forme pour calculer une
réparation équitable fondée sur la valeur marchande du bien FAITS Mme Ilchenko
était propriétaire dun garage, enregistré à son nom en
février 1995, qui se trouvait dans la cour de son immeuble dhabitation.
Elle utilisait le garage, ainsi que le terrain sur lequel il
était bâti, depuis les années 1980. En 2002, les autorités
locales commencèrent à élaborer un projet de construction de
logements commerciaux englobant le terrain sur lequel était sis
le garage, lequel devait par conséquent être démoli. Elles
invitèrent Mme Ilchenko à négocier une indemnisation sur une
base informelle, mais celle-ci ne donna pas suite à ces offres.
Une procédure judiciaire souvrit en juillet 2003. Le
tribunal de première instance trancha en faveur de Mme Ilchenko
en février 2004, mais ce jugement fut annulé en appel et des
huissiers firent démolir le garage en août 2005. En février
2006, la Cour suprême annula ces deux jugements et renvoya laffaire
aux juridictions inférieures en leur demandant déclaircir
la question du statut du terrain sur lequel le garage avait été
sis. En mai 2007, le tribunal de première instance qui
réexamina laffaire conclut que Mme Ilchenko avait disposé
dun permis temporaire pour la construction dun garage
et que le terrain ne lui avait jamais été cédé. Se fondant
sur une disposition du code foncier régissant loccupation
non autorisée de terrains, il ordonna à Mme Ilchenko dévacuer
les lieux. La Cour suprême confirma ces conclusions en 2009. LE DROIT :
VIOLATION DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1 La Cour note que
le droit de Mme Ilchenko sur le garage est demeuré incontesté
pendant vingt ans, jusquà ce que les autorités ne
commencent à élaborer le projet dimmeuble résidentiel.
Qui plus est, labsence dautorisation pour le garage
ne résultait apparemment pas dun manquement à la
législation qui aurait été commis à lépoque où le
garage avait été construit mais sexpliquait plutôt par
le passage de la législation de lère soviétique, qui ne
reconnaissait ni la propriété foncière privée ni les baux
classiques, au système actuel. La Cour doit alors
rechercher si lingérence des autorités dans lexercice
par Mme Ilchenko de ses droits patrimoniaux était proportionnée
ou servait une cause dutilité publique. Elle prend note
des arguments de Mme Ilchenko, qui avançait que le projet visait
la construction dappartements de luxe destinés à être
commercialisés, que la zone du centre de Kiev concernée
présentait déjà une forte densité de population, et que ce
projet navait fait quintensifier les pressions sur linfrastructure
locale. Le Gouvernement na
pas répondu à ces arguments. La Cour dit que ce projet
immobilier ne servait pas un intérêt général si impérieux quil
justifiât que Mme Ilchenko fût privée de son bien sans être
indemnisée. Dailleurs, ayant été qualifiée de squatter
par la justice, celle-ci ne pouvait prétendre à une réparation
et aurait pu être contrainte à rembourser les frais de
démolition à la ville. Les tribunaux nont tenu aucun
compte des spécificités de sa situation. Il est vrai que Mme
Ilchenko na pas donné suite à une proposition de
négociation, mais, compte tenu de la manière dont les
juridictions internes ont interprété sa situation, elle naurait
dans le cas contraire perçu quune indemnité versée à
titre gracieux au lieu de recevoir une réparation entourée de
garanties juridiques et fondée sur un droit. Son défaut de
coopération à la négociation de lindemnité ne sanalyse
donc pas en un renoncement à ses droits. En réalité, il nexistait
pas pour ce type de négociations de cadre juridique qui lui eût
permis dobtenir les informations nécessaires pour prendre
une décision éclairée. Le Gouvernement est resté silencieux
sur le montant qui lui aurait été proposé ou sur le mode de
calcul qui aurait été retenu, faute dune procédure
établie à cet effet. Dans les circonstances de lespèce,
seule une indemnité définie dans le cadre dune procédure
aboutissant à une appréciation globale des conséquences de lexpropriation
et à lattribution dune somme correspondant à la
valeur marchande du bien pouvait satisfaire aux exigences de la
Convention. Mme Ilchenko ne sétant
pas vu offrir une telle réparation entourée des garanties
adéquates, elle a donc subi une violation de ses droits au
regard de larticle 1 du Protocole n° 1. MAUPAS
et autres c. FRANCE du 19 septembre 2006 requête 13844/02 17. L'expropriation d'une partie du
bien des requérants constitue manifestement une privation de
propriété, au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article
1 du Protocole no 1. 18. La Cour doit en premier lieu
déterminer si cette privation de propriété reposait sur une « cause
d'utilité publique » au sens de cette disposition. Elle
rappelle à cet égard qu'elle reconnaît aux Etats contractants
et aux autorités qui en constituent l'émanation, une grande
marge d'appréciation pour juger si, dans telles ou telles
circonstances, une question de cette nature se pose et justifie
des privations de propriété (voir, pour exemples, les arrêts James
et autres c. Royaume-Uni, du 26 juin 1985, série A no
98-A, § 46, et Motais de Narbonne c. France, no 48161/99,
du 2 juillet 2002, § 18) ; elle respecte la
manière dont ils conçoivent les impératifs d'« utilité
publique » au sens de l'article 1 du Protocole no
1 sauf si leur jugement se révèle manifestement dépourvu de
base raisonnable (arrêt James et autres précité, mêmes
références). Elle ne saurait donc se substituer aux autorités
internes pour évaluer l' « utilité publique »
de l'aménagement dont la réalisation fonde l'expropriation des
requérants, et il lui suffit en l'espèce de relever que la « cause
d'utilité publique » se trouvait en l'occurrence dans la
réalisation d'un ouvrage destiné à l'usage de la collectivité. 19. Toute ingérence dans le droit au
respect des biens doit aussi ménager un « juste équilibre »
entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et
les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété ;
l'équilibre à ménager entre les exigences de l'intérêt
général et les impératifs des droits fondamentaux est rompu si
la personne concernée a eu à subir « une charge
disproportionnée » (voir, parmi beaucoup d'autres, les
arrêts Saints monastères c. Grèce, du 9 décembre 1994,
Série A no 301-A, §§ 70-71, et Motais
de Narbonne, précité, § 19). La Cour a en conséquence jugé
que l'individu exproprié doit en principe obtenir une
indemnisation « raisonnablement en rapport avec la valeur
du bien » dont il a été privé, même si « des
objectifs légitimes « d'utilité publique » (...)
peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine
valeur marchande » (ibidem) ; il en résulte que,
sous cet angle, l'équilibre susmentionné est en règle
générale atteint lorsque l'indemnité versée à l'exproprié
est raisonnablement en rapport avec la valeur « vénale »
du bien, telle que déterminée au moment où la privation de
propriété est réalisée (arrêt Motais de Narbonne précité,
mêmes références). Par ailleurs, notamment, nonobstant le silence de
l'article 1 du Protocole no 1 en
matière d'exigences procédurales, les procédures applicables
en l'espèce doivent offrir à la personne concernée une
occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux
droits garantis par cette disposition ; pour s'assurer du
respect de cette condition, il y a lieu de considérer les
procédures applicables d'un point de vue général (voir, par
exemple, les arrêts AGOSI c. Royaume-Uni, du 24 octobre 1986,
série A no 108, § 55, Hentrich c.
France, du 22 septembre 1994, série A no
296-A, § 49, et Jokela c. Finlande, du 21 mai 2002, no
28856/95, CEDH 2002-IV, § 45). 20. Sur ce second point, la
Cour relève en l'espèce que, comme tout riverain, les
requérants pouvaient, en droit, saisir le juge administratif d'une
recours en excès de pouvoir contre le décret portant
déclaration d'utilité publique du 17 mars 1995 (lequel avait
fait l'objet de mesures de publicité) et obtenir ainsi un
contrôle juridictionnel effectif de la « cause d'utilité
publique » fondant l'expropriation dont ils ont fait l'objet. Il est vrai que le tracé initial de l'infrastructure
litigieuse, tel que présenté lors de l'enquête publique et
retranscrit sur le plan annexé au décret du 17 mars 1995
déclarant l'utilité publique du projet, épargnait la
propriété des requérants. Le tracé a été modifié par
la suite, après la clôture de l'enquête publique ; il
passe désormais sur la propriété des requérants. Ils n'ont eu
connaissance de cette modification qu'à la fin de l'année 1997,
après expiration du délai de recours contre le décret d'utilité
publique, à l'occasion de l'enquête parcellaire organisée dans
le contexte de la procédure d'expropriation. 21. Il apparaît ainsi que les
requérants n'avaient initialement pas de motif lié à la
privation de leur propriété d'user de cette procédure puisque
le tracé soumis à enquête publique et annexé à ce décret
épargnait leur propriété, et qu'ils n'ont su que celle-ci
était finalement concernée par l'opération qu'après la
clôture du délai de recours contre ledit décret. Ainsi, in
concreto, ils se sont trouvés privés de l'opportunité de
bénéficier de cette voie procédurale pour obtenir un contrôle
juridictionnel du fondement de l'expropriation dont ils ont fait
l'objet. Néanmoins, comme le souligne le Gouvernement,
les requérants avaient également la possibilité, dans le cadre
de leur recours contre l'arrêté de cessibilité, de soulever
par voie d'exception l'illégalité du décret du 17 mars 1995
portant déclaration d'utilité publique et d'obtenir ainsi un
contrôle juridictionnel de l'acte fondant l'expropriation
litigieuse ; par cette voie, ils auraient pu parvenir à l'annulation
de cet arrêté sur le fondement de l'illégalité dudit décret,
ce qui aurait fait obstacle au transfert de propriété. En sus,
ils eurent, dans les circonstances de leur cause, l'opportunité
de contester la légalité de ce décret dans le cadre d'un
recours en annulation du décret du 15 mars 2000 prorogeant les
effets du premier. Or il apparaît que, contrairement aux
allégations des intéressés, le juge administratif ainsi saisi
ne les a pas déboutés pour tardiveté mais au fond, retenant
notamment que le déplacement de l'échangeur et de l'axe de la
voie litigieux par rapport au projet soumis à l'enquête
publique ne constituait pas une modification substantielle
affectant l'économie générale du projet et rendant nécessaire
une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique (paragraphes
10 et 11 ci-dessus). 22. La Cour constate ensuite que le
montant final de l'indemnité d'expropriation allouée au
requérant a été fixé par les juridictions judiciaires (paragraphe
9 ci-dessus), et que rien ne permet de considérer qu'il n'est
pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien dont ils
ont été privés. 23. La Cour conclut en conséquence
que l'expropriation dont il est question n'a pas rompu le juste
équilibre devant être maintenu entre les exigences de l'intérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux des requérants, et qu'il n'y a pas eu
violation de l'article 1 du Protocole no
1. 24. Enfin, la Cour estime qu'aucune
question distincte ne se pose en l'espèce sur le terrain de l'article
6 § 1 de la Convention et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner l'affaire
sous l'angle de cette disposition. LE DÉLAI TROP LONG
ENTRE L'EXPROPRIATION ET LES TRAVAUX DU PROJET SONT UNE VIOLATION POULIMENOS
ET AUTRES c. GRÈCE du 20 juillet 2017 Requête n° 41230/12 L'article 1 du
Protocole 1 de la Conv EDH n'a pas été respecté. Le délai
entre la date de la première audience et la date de la décision
est trop long. Le prix du m2 est passé de 420 euros à 1300
euros : En retenant comme date critique pour la détermination de
la valeur du bien exproprié, et donc pour la fixation de lindemnité
définitive, la date de la première audience tenue au cours de
la procédure devant le tribunal de première instance
relativement à létablissement de lindemnité
susmentionnée, soit le 9 novembre 1999, la cour dappel a
fait abstraction de tout écart qui pouvait exister entre la
valeur de la créance des requérants à cette date et celle à
la date à laquelle elle a statué, soit le 18 janvier 2012. 43.
En lespèce, la Cour note, dans la mesure où les
requérants se plaignent de la dépréciation de leur indemnité
dexpropriation, que la situation litigieuse relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole n° 1 à la Convention, qui énonce de manière
générale le principe du respect des biens (Almeida Garrett,
Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos29813/96 et30229/96, §§ 43 et 48, CEDH
2000-I, et Zacharakis, précité, § 29). Dès lors, la Cour doit
rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu
(voir, parmi dautres, Nastou c. Grèce (no 2), no16163/02,
§ 31, 15 juillet 2005). 44.
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier. En
particulier, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos
Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, §
38, série A no 332). 45.
Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation interne. À cet égard, la Cour a déjà dit
que, sans le versement dune somme raisonnablement en
rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété
constitue normalement une atteinte excessive au droit au respect
des biens (Malama c. Grèce, no43622/98, § 48, CEDH 2001-II). En
particulier, le caractère adéquat dun dédommagement se
trouverait diminué si son paiement faisait abstraction déléments
susceptibles den réduire la valeur, tel lécoulement
dun laps de temps que lon ne saurait qualifier de
raisonnable (Angelov c. Bulgarie, no44076/98, § 39, 22 avril
2004, et Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres,
précité, § 54). Dans pareil cas, la Cour recherche
principalement si ladministration a procédé à la
réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation
en raison du laps du temps écoulé (voir, parmi dautres, Akkus
c. Turquie, 9 juillet 1997, §§ 29-31, Recueil des arrêts et
décisions 1997-IV, et Zacharakis, précité, § 31). 46.
En loccurrence, la Cour note demblée que, daprès
larticle 17 § 2 de la Constitution, si laudience
pour la fixation de lindemnité définitive a lieu plus dun
an après laudience sur la fixation de lindemnité
provisoire, il convient de prendre en compte la valeur à la date
de laudience pour la fixation de lindemnité
définitive. Elle en déduit que le but de cette disposition est
de faire en sorte que la date critique pour la fixation de lindemnité
soit la date la plus proche de celle de son versement aux ayants
droit, afin que la compensation soit « intégrale » comme lexige
ce même article. La Cour note aussi que, par son arrêt no 14/2011,
la Cour de cassation, statuant en formation plénière, et
interprétant la disposition susmentionnée, a considéré que laudience
quil fallait prendre en compte pour calculer lindemnité
était celle à laquelle laffaire avait été appelée
devant le tribunal, même si, à cette audience, le tribunal navait
pas examiné le fond de laffaire en raison de lajournement
de celle-ci, de la prescription par lui dune expertise ou
pour toute autre cause. 47.
En lespèce, la Cour est attentive aux arguments du
Gouvernement relatifs aux considérations de sécurité juridique
et de nécessité pour les autorités étatiques de prévoir
suffisamment à lavance leurs obligations financières pour
lindemnisation des propriétaires expropriés dont les
biens ont vu leur valeur être multipliée pendant des périodes
durbanisation galopante. Toutefois, de lavis de la
Cour, lutilisation de la possibilité de réactualisation
de lindemnité par les tribunaux en cas de non-respect des
exigences de larticle 17 § 2 de la Constitution est
avantageuse pour les deux parties concernées par lexpropriation
: dune part, pour lautorité à lorigine de lexpropriation,
car elle permet de réduire les cas de levée doffice des
expropriations en cas de non-versement de lindemnité (pareille
levée étant susceptible de perturber la programmation de lexécution
des travaux) ; dautre part, pour le propriétaire
exproprié, car elle permet à ce dernier de percevoir une
compensation « intégrale » au sens de larticle 17 § 2
précité et, le cas échéant, dobtenir en remplacement de
sa propriété un bien dune même valeur. 48.
La Cour note que, en lespèce, le tribunal de première
instance a calculé le montant de lindemnité provisoire dexpropriation
à la date de laudience devant lui, soit le 27 mars 1998. Laudience
pour la fixation de lindemnité définitive a eu lieu
devant ce même tribunal le 9 novembre 1999. Toutefois, à cette
dernière date, ledit tribunal na pas procédé à la
fixation de cette indemnité : il a en effet ordonné une
expertise aux fins de la détermination de la valeur du bien au
27 mars 1998. Puis, par un jugement du 24 janvier 2005, le
tribunal a fixé lindemnité en question en tenant compte
de la valeur du terrain au 27 mars 1998. Par la suite, le 29
décembre 2006, la cour dappel a rejeté lappel des
requérants, et, le 28 avril 2009, la Cour de cassation a
débouté ceux-ci de leur pourvoi. Enfin, par un arrêt du 18
janvier 2012, statuant à la suite de la réintroduction de leur
appel par les requérants, qui se fondaient sur une augmentation
substantielle de la valeur du terrain objet du litige pour
demander une réactualisation de lindemnité allouée, la
cour dappel a fixé un nouveau montant en tenant compte de
la valeur que ledit terrain avait au 9 novembre 1999, soit à la
date de la première audience relative à la fixation de lindemnité
définitive devant le tribunal de première instance. 49.
La Cour constate ainsi que la procédure relative à la
détermination de lindemnité à accorder aux requérants a
débuté le 30 novembre 1997, avec la saisine du tribunal de
première instance en vue de la fixation de lindemnité
provisoire, et quelle a pris fin le 18 janvier 2012, avec larrêt
de la cour dappel statuant sur le montant de lindemnité
définitive. Il convient en outre de noter que lexpropriation
litigieuse, aux fins de lélargissement dune rue,
avait été déclarée dès 1959 et quune procédure
judiciaire, engagée par le père des requérants, avait déjà
eu lieu devant le Conseil dÉtat en 1979 (paragraphe 5 ci-dessus).
Certes, les procédures engagées par les requérants ont
contribué à retarder la date du versement de lindemnité
définitive dexpropriation, mais les intéressés nont
fait quutiliser toutes les possibilités que leur offrait
le droit national pour réactualiser le montant de celle-ci. 50.
La Cour observe ensuite que le 31 août 1998, lindemnité
provisoire a été fixée à 264 EUR le mètre carré après
prise en compte de la valeur du bien au 27 mars 1998. Par la
suite, le 24 janvier 2005, lindemnité définitive a été
fixée à 320 EUR le mètre carré sur la base de la valeur du
bien à cette même date. Enfin, le 18 janvier 2012, à lissue
de la dernière procédure menée devant les juridictions
internes procédure au cours de laquelle les requérants
évaluaient le montant de lindemnité définitive à 1 300
EUR le mètre carré, celle-ci a été recalculée à 420 EUR le
mètre carré après prise en considération de la valeur du bien
au 9 novembre 1999, date de la première audience tenue devant le
tribunal de première instance, lors de laquelle celui-ci avait
ordonné une expertise. 51.
La Cour estime quil ne lui appartient pas de sexprimer
sur le montant exact de lindemnité définitive que les
requérants devaient percevoir en fonction des fluctuations des
prix du marché, de linflation ou de toute autre
éventuelle cause. 52.
Toutefois, en retenant comme date critique pour la détermination
de la valeur du bien exproprié, et donc pour la fixation de lindemnité
définitive, la date de la première audience tenue au cours de
la procédure devant le tribunal de première instance
relativement à létablissement de lindemnité
susmentionnée, soit le 9 novembre 1999, la cour dappel a
fait abstraction de tout écart qui pouvait exister entre la
valeur de la créance des requérants à cette date et celle à
la date à laquelle elle a statué, soit le 18 janvier 2012. 53.
Aussi la Cour considère-t-elle que les requérants ont dû
supporter une charge disproportionnée et excessive qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit
de propriété et les exigences de lintérêt général (voir,
mutatis mutandis, Zacharakis, précité, § 33, et Yetis et
autres c. Turquie, no40349/05, § 56, 6 juillet 2010). Partant,
la Cour rejette lobjection du Gouvernement tirée de lirrecevabilité
ratione personae de la requête et constate quil y a eu
violation de larticle 1 du Protocole n° 1 à la Convention. ODESCALCHI
ET LANTE DELLA ROVERE c. ITALIE du 7 juillet 2015, requête 38754/07 Violation
article 1 du Protocole 1 de la Convention : les requérants n'ont
pas eu le droit de construire depuis 1975 car leurs terrains
devaient être expropriés mais ils n'ont jamais été
expropriés. Non respect du droit d'usage du bien. 53. La
Cour note que la requête porte sur les mesures relevant de lurbanisme
qui visent le terrain de requérants. Les parties saccordent
pour dire quen raison de ces mesures, il y a eu ingérence
dans le droit des requérants au respect de leurs biens. 54. Il
reste à examiner si ladite ingérence a enfreint ou non larticle
1 du Protocole no 1. À cet égard, la Cour relève que les
effets dénoncés par les requérants découlent tous de la
diminution de la disponibilité du bien en cause. Ils résultent
des limitations apportées au droit de propriété ainsi que des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble.
Pourtant, bien quil ait perdu de sa substance, le droit en
cause na pas entièrement disparu. Les effets des mesures
en question ne sont pas tels quon puisse les assimiler à
une privation de propriété. La Cour note à ce sujet que les
requérants nont perdu ni laccès au terrain ni la
maîtrise de celui-ci et quen principe, la possibilité de
vendre le terrain, même rendue plus malaisée, a subsisté. Elle
estime dès lors quil ny a pas eu dexpropriation
de fait et que la seconde phrase du premier alinéa ne trouve
donc pas à sappliquer en lespèce (Scordino c.
Italie (no 2), précité, § 70 ; Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 56, CEDH 2001-IX ; Matos
e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre 1996,
§ 89, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 55. La
Cour est davis que les mesures litigieuses ne relèvent pas
non plus de la réglementation de lusage des biens, au sens
du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. En effet,
sil est vrai quil sagit dinterdictions de
construire réglementant lusage des biens (Sporrong et
Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 64, série A no
52), il nen demeure pas moins que les mêmes mesures
visaient au final lexpropriation du terrain. 56. Dès
lors, la Cour estime que la situation dénoncée par les
requérants relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1 (Maioli, précité, § 54 ; Sporrong et
Lönnroth, précité, § 65 ; Elia Srl, précité, § 57 ; Scordino (no
2), précité, § 73). 57. La
Cour juge naturel que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les États
contractants jouissent dune grande marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique Elle tient pour établi
que lingérence dans le droit des requérants au respect de
leurs biens répondait aux exigences de lintérêt
général. Elle ne saurait se soustraire pour autant à son
devoir de contrôle. La Cour doit donc rechercher si un juste
équilibre a été préservé entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69 ; et Phocas c. France, 23 avril 1996,
§ 53, Recueil 1996-II, p. 542). 58. À
ce propos, la Cour constate que le terrain des requérants a
été soumis à une interdiction de construire en vue de son
expropriation en vertu du plan général durbanisme entré
en vigueur en 1975. En 1980, le permis dexproprier ayant
expiré, le terrain a été soumis au régime des « zones
blanches » et aux limitations au droit de bâtir prévus
par la loi no 10 de 1977. En juin 2011, le commissaire ad acta a
pris la décision de renouveler le permis dexproprier mais
cette décision nest pas entrée en vigueur, de sorte que
le terrain tombe sous le coup des « mesures de sauvegarde »
(paragraphe 23 ci-dessus) de ladite décision en attendant
que celle-ci soit approuvée, le cas échéant. 59. Indépendamment
du fait que les limitations visant le terrain découlent dun
acte administratif ou de lapplication dune loi, il en
résulte que le terrain litigieux a été frappé dinterdiction
de construire de manière continue (Terazzi S.r.l., précité, §
83 ; Elia S.r.l., précité, § 76 ; Rossitto c. Italie,
no 7977/03, § 38, 26 mai 2009). Lingérence
litigieuse qui en découle dure depuis plus de quarante ans, si lon
prend comme point de départ la date dentrée en vigueur du
plan général durbanisme de 1975, et depuis presque
quarante-quatre ans si lon part de la décision de la
municipalité en vue de son adoption (paragraphe 8 ci-dessus). 60. La
Cour estime que, pendant toute la période concernée, les
requérants sont restés dans une incertitude totale quant au
sort de leur propriété : ladministration na
pas exproprié pendant la période de validité du permis dexproprier.
Une fois celui-ci expiré en 1980, le terrain pouvait être
frappé dun nouveau permis dexproprier à tout moment. Le
droit interne permet aux intéressés de se plaindre de linaction
de ladministration lorsque, comme en lespèce, des
années sécoulent sans quune décision ne soit prise
quant au sort dun terrain. Cette possibilité ne semble pas
avoir remédié à lincertitude affectant le terrain des
intéressés, et la Cour rappelle dailleurs que Cour
constitutionnelle (paragraphe 27 ci-dessus) avait affirmé
que « le recours permettant dattaquer linaction
de ladministration devant le tribunal administratif était
inopérant et de ce fait peu efficace. » 61. Ensuite,
la Cour estime que lexistence dinterdictions de
construire pendant toute la période concernée a entravé la
pleine jouissance du droit de propriété des requérants et a
accentué les répercussions dommageables sur la situation de
ceux-ci en affaiblissant considérablement, entre autres, les
chances de vendre le terrain. 62. En
outre, la Cour constate que les requérants nont pas reçu
dindemnisation. À cet égard, elle estime utile de
rappeler quaux termes de la jurisprudence des cours
nationales (paragraphes 31, 32 ci-dessus), seule la période
faisant suite au renouvellement dun permis dexproprier,
une fois celui-ci entré en vigueur, est en principe indemnisable
au sens de larticle 39 du Répertoire. Il
sensuit que lexception de non-épuisement des voies
de recours internes jointe au fond doit être rejetée car,
contrairement à la situation factuelle de Tiralongo et Carbe
où le permis dexproprier avait été effectivement
renouvelé à plusieurs reprises, aucune possibilité dindemnisation
ne subsiste en lespèce, notamment pour les raisons
suivantes : a) la
période allant de 1975 à 1980, pendant laquelle le permis dexproprier
prévu par le plan général durbanisme a été en vigueur,
est considérée comme une période de franchise non indemnisable ; b) la
période précédant lentrée en vigueur dudit plan durbanisme,
et allant de 1971 à 1975, concernée par les mesures de
sauvegarde, nest pas non plus indemnisable non plus ; c) la
période allant de 1980 à 2011, pendant laquelle le terrain a
été soumis au régime des « zones blanches » nest
pas non plus indemnisable ; d) la
période à partir de juin 2011 nest pas indemnisable non
plus car le permis dexproprier décidé par le commissaire ad
acta nest pas entré en vigueur. 63. Les
circonstances de la cause, notamment lincertitude et linexistence
de tout recours interne effectif susceptible de remédier à la
situation litigieuse, combinées avec lentrave à la pleine
jouissance du droit de propriété et labsence dindemnisation,
amènent la Cour à considérer que les requérants ont eu à
supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le
juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect des biens. 64. En
conclusion, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole
no1. MACHARD
c. FRANCE du 25 AVRIL 2006 Requête no
42928/02 OPÉRATION
FONCIÈRE TROP LONGUE QUI LESENT LE REQUÉRANT "14. La
Cour constate que la procédure sest déroulée quelque peu
confusément, ceci du fait de plusieurs décisions irrégulières
successives des commissions départementale et nationale daménagement
foncier quant à linclusion de certaines parcelles des
requérants dans le périmètre de remembrement lesquelles
décisions furent censurées par le juge administratif et
du fait quen limitant la motivation de leurs décisions dannulation
à certains aspects du litige, les juridictions administratives
saisies ont pu parfois laisser planer un doute quant à la
légalité de linclusion de telle ou telle parcelle. Il est
clair cependant que la procédure est aujourdhui purgée de
toute difficulté dexécution, en raison de la modification
du périmètre de remembrement par un arrêté préfectoral du 10
août 1999, validée ensuite par les juridictions administratives. Ainsi, sil est compréhensible que les
requérants tirent de ces circonstances le sentiment que les
décisions rendues en leur faveur nont pas été
exécutées, les faits montrent le contraire ; aucune
question dexécution ne se pose donc en lespèce, de
sorte quil ny a pas eu violation de larticle 6
§ 1 de la Convention dun tel chef. 15. Il nen reste pas moins que
le litige relatif à linclusion de certaines parcelles des
requérants dans le périmètre de remembrement a duré une
trentaine dannées sans que cette durée puisse être
imputée à ces derniers et alors que, comme le concède le
Gouvernement, laffaire ne présentait aucune complexité
particulière. Durant cette très longue période, les
requérants sont restés dans lincertitude quant au sort
des biens litigieux, leur droit de propriété sur ceux-ci
étant en quelque sorte en sursis. Par ailleurs, linclusion
dun fonds dans le périmètre dune opération de
remembrement implique, de fait sinon en droit, des limitations à
la faculté den user ; la Cour relève ainsi
même si les parties napportent aucune précision quant aux
mesures éventuellement prises en lespèce sur ce fondement
quaux termes de larticle L. 121-19 du code
rural (dans sa version applicable à lépoque des faits de
la cause), notamment, le préfet pouvait interdire tous travaux
jusquà la fin des opérations. Il en va de même de la
faculté den disposer, tout projet de mutation de
propriété entre vifs étant soumis à un régime dautorisation
préalable (article L. 121-20 du code rural) ; il est
en outre peu douteux quun propriétaire qui désire vendre
un bien inclus dans le périmètre dun remembrement
ou même simplement susceptible de lêtre aurait du
mal à trouver acquéreur. Selon la Cour, ce type dingérence dans lexercice
du droit au respect des biens des requérants relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (voir, par exemple,
larrêt Erkner et Hofauer c. Autriche du 23 avril 1987,
série A no 117 B, § 74) : il y a
lieu de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre
les exigences de lintérêt général de la communauté
indéniable en lespèce, sagissant dun
remembrement rural (voir, par exemple, larrêt Piron
précité, § 40) et les impératifs de la sauvegarde des
droits fondamentaux de lindividu (voir, notamment, larrêt
Erkner et Hofauer précité, § 75). La Cour a déjà eu loccasion
de juger à cet égard que la durée dune procédure
relative à un remembrement « entre en ligne de compte,
avec dautres éléments, pour déterminer si le transfert [de
propriété] litigieux se concilie avec la garantie du droit de
propriété » (ibidem, § 76) ; voir aussi, parmi dautres,
larrêt Piron précité, § 44). Cet élément est en lespèce
déterminant : vu la durée particulièrement longue de la
procédure de remembrement considérable à léchelle
individuelle et, en corollaire, de lingérence dans
lexercice du droit des requérants au respect de leurs
biens, la Cour considère que ces derniers se sont vu imposer une
charge spéciale et exorbitante et quen conséquence, il y
a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. 16. Enfin, eu égard aux motifs pour
lesquels elle a constaté une violation de larticle 1 du
Protocole no 1, la Cour estime quaucune
question distincte ne se pose sous langle du « délai
raisonnable » de larticle 6 § 1 de la Convention, à
supposer un tel grief recevable au regard du délai de six mois
de larticle 35 § 1 de la Convention." Motais
de Narbone contre France du 02/07/2002 requête 48161/99 En l'espèce,
la Cour a sanctionné le délai de 19 ans entre l'expropriation
et la réalisation des travaux cause de l'utilité publique. Durant ce
délai, le terrain a augmenté de valeur et les propriétaires
ont été privé de cette plus-value. La Cour a
interrogé le gouvernement pour savoir quelle justification il
donnait à la réserve foncière et les causes d'un délai de 19
ans entre l'expropriation et les constructions de logements
sociaux. Le Gouvernement
avait répondu que les terrains manquaient de réseaux d'assainissement
dont la mise en uvre relevait des autorités locales. La Cour
constate alors qu'il s'agit d'un état de fait entièrement
imputable aux autorités publiques et qui n'équivaut pas à une
cause d'intérêt public au sens de l'article 1 du Protocole n°
1. UNE ATTEINTE A
LA PROPRIETE PREVUE PAR LA LOI "§18: La
Cour relève qu'il n'est contesté ni que l'expropriation en
question était légale au regard du droit français, ni qu'elle
s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde
phase du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole n° 1"
BUT LEGITIME DE
LA LOI: "La Cour
constate que le terrain litigieux a été "exproprié"
en vue de la constitution de réserves foncières destinées à l'habitat
très social". Il n'est pas
douteux qu'un tel but - qui tient de l'organisation foncière et
de sa mise en oeuvre d'une politique sociale - est "légitime
en principe" et relève de l'intérêt public () Par ailleurs,
vu la marge d'appréciation dont jouissent en ce domaine les
Etats contractants et les autorités qui en constituent l'émanation,
pour juger si, dans telles ou telles circonstances, un problème
d'intérêt public se pose et justifie des privations de
propriété, la Cour tient pour établie l'existence d'un besoin
en habitats sociaux dans la zone où se situe le terrain
litigieux" Les Etats ont
donc une grande latitude ET UNE MARGE DE MANOEUVRE pour
déterminer s'il y a ou non un but d'intérêt général. L'EQUILIBRE
ENTRE INTERET GENERAL ET DROIT INDIVIDUEL: "§19:
Le problème n'est pas tranché pour autant. En effet, il ne
suffit pas qu'une mesure privative de propriété poursuive, en l'espèce
comme en principe, un objectif légitime "d'utilité
publique": il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre le dit but et les moyens employés. L'équilibre
à ménager entre les exigences de l'intérêt général et les
impératifs des droits fondamentaux est ainsi rompu si la
personne concernée a eu à subir "une charge
disproportionnée". La Cour a en
conséquence jugé que l'individu exproprié doit en principe
obtenir une indemnisation "raisonnablement en rapport avec
la valeur du bien" dont il a été privé, même si
des objectifs légitimes "d'utilité publique" ()
peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine
"valeur marchande". Il en résulte
que l'équilibre susmentionné en rapport avec la "valeur
vénale" du bien, telle que déterminée au moment où la
privation de propriété est réalisée. Cela n'exclut cependant
pas que, dans certaines circonstances, cet équilibre soit rompu
nonobstant le versement d'une somme de cette nature" En l'espèce,
la Cour constate qu'une durée de 19 ans entre l'expropriation et
la réalisation de logements sociaux est une durée longue durant
laquelle le terrain a augmenté de valeur: "Dans l'affaire
Akkus contre Turquie du 9 juillet 1997 qui mettait en cause le
retard de l'administration à payer une indemnité
complémentaire d'expropriation, réduisant celle-ci en raison de
l'inflation, la Cour a ainsi jugé que "le caractère
adéquat d'un dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci
faisant abstraction des éléments susceptibles d'en réduire la
valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps que l'on ne saurait
qualifier de raisonnable. Selon la Cour,
il peut également en aller de la sorte lorsqu'un laps de temps
notable s'écoule entre la prise d'une décision portant
expropriation d'un bien et la réalisation concrète du projet d'utilité
publique fondant la privation de propriété. Dans un tel cas,
l'expropriation peut avoir pour effet de priver l'individu
concerné d'une plus-value générée par le bien en cause; si
cette privation spécifique ne repose pas elle-même sur une
raison légitime tenant de l'utilité publique, l'individu
concerné ne peut subir une charge additionnelle, incompatible
avec les exigences de l'article 1 du Protocole n°1. §20: En l'espèce,
les requérants ne prétendent pas que l'indemnité d'expropriation
perçue par l'ancienne propriétaire du bien litigieux était
sans rapport avec la valeur vénale de celui-ci, telle qu'elle
pouvait être évaluée au moment de l'expropriation. Ils exposent en
revanche que dix neuf ans se sont écoulés depuis lors sans que
le terrain en question ait fait l'objet d'un aménagement en vue
de a réalisation d'équipements à vocation sociale
conformément au but d'utilité publique poursuivi, et que la
valeur marchande de ce terrain a notablement augmenté durant
cette période; ils en déduisent qu'ils se trouvent indûment
privés d'une partie de la valeur dudit bien. Les requérants
peuvent donc soutenir que la "cause" fondant "l'utilité
publique" de l'expropriation dont il est question n'a pas ,
après un longs laps de temps, été justifiée par une
réalisation. Selon la Cour,
le maintien en réserve d'un bien exproprié, même durant une
longue période, ne constitue pas nécessairement un manquement
à l'article 1 du Protocole n°1. Un problème se
pose en revanche clairement sous l'angle de cette disposition
lorsque, comme en l'espèce, le maintien du bien en réserve
durant une longue période en repose pas lui-même sur des
raisons tenant de l'utilité publique et où, durant cette
période, ledit bien engendre une plus-value appréciable dont
les anciens propriétaires se voient privés. L'article 1 du
Protocole n°1 oblige en effet les Etats à prémunir les
individus contre le risque d'un usage de la technique des
réserves foncières autorisant ce qui pourrait être perçu
comme une forme de spéculation foncière à leur détriment. En l'espèce,
la Cour ne décèle aucun élément dont il pourrait être
déduit que la non réalisation de l'opération d'urbanisation
prévue et, conséquemment, le maintien du terrain en réserve
foncière, reposent sur une quelconque raison tenant à l'utilité
publique. §23: Bref,
dans les circonstances particulières de leur cause, les
requérants sont fondés à soutenir qu'ils ont été indûment
privés d'une plus value engendrée par le bien exproprié et ont,
en conséquence, subi une charge excessive du fait de l'expropriation
litigieuse. Partant, il y a
violation de l'article 1 du Protocole n° 1" Piron
contre France du 14/11/2000 requête 2064 Hudoc 36436/97 la Cour,
constate qu'un remembrement agricole est une ingérence prévue
par la loi qui poursuit un but légitime: "Il sert l'intérêt
des propriétaires concernés comme la collectivité dans son
ensemble en accroissant la rentabilité des exploitations dans
son ensemble et en rationalisant la culture" Puis, la Cour
sanctionne le long délai de l'opération dans l'examen de la
proportionnalité des moyens avec le but poursuivi: "§43: Le
rétablissement en nature s'étant avéré impossible,
essentiellement en raison du temps passé, la Cour est d'avis que,
dans le cadre de la marge d'appréciation dont disposent en la
matière les Etats membres, il était loisible aux autorités de
décider de procéder à une indemnisation. Toutefois,
ainsi qu'elle l'a affirmé dans l'arrêt Guillemin contre France:
" l'indemnisation du préjudice subi par l'intéressé ne
peut constituer une réparation adéquate que lorsqu'elle prend
aussi en considération le dommage tenant à la durée de la
privation. Elle doit en outre avoir lieu dans un délai
raisonnable. §46: Ainsi qu'elle
l'a relevé mutatis mutandis dans l'arrêt Guillemin contre
France précité, la Cour estime que la somme qui pourra être
octroyée au terme de la procédure ne compense pas l'absence de
dédommagement et ne saurait être déterminante eu égard à la
durée de l'ensemble des recours déjà engagés par la
requérante. §47:Dès lors,
en tenant compte de l'ensemble de ces éléments, la Cour arrive
à la conclusion qu'il y a violation de l'article 1 du Protocole
n°1 à la Convention" Phocas
contre France du 23/04/1991 Hudoc 567 requête 17869/91 la Cour n'avait
pas sanctionné le fait que le requérant avait été privé de l'usage
de son immeuble durant 27 ans pour un prétendu projet de
carrefour qui n'a jamais été réalisé. La cour a
reproché au requérant de ne pas avoir saisi le juge de l'expropriation
et par conséquent, de ne pas avoir épuisé les voies de recours
internes. LES REQUÉRANTS NE PEUVENT BÉNÉFICIER
D'UN EFFET D'AUBAINE ALFA
GLASS ANONYMI EMBORIKI ETAIRIA YALOPINAKON c. GRÈCE du 28
janvier 2021 requête n° 74515/13 Article 1 du
Protocole 1 pour atteinte à la procédure unique Art 1 P1
Respect des biens Présomption davantage apporté au
restant (non exproprié) du terrain par les travaux à réaliser
sur la partie expropriée Avantage légalement censé
justifier une réduction de lindemnité dexpropriation
Refus des juridictions civiles compétentes pour fixer lindemnité
dexaminer une contestation de la présomption, au motif de
lexistence dune procédure administrative spécifique,
non exercée en lespèce Question présentant
pourtant un caractère connexe à lexpropriation
Atteinte au principe de la « procédure unique » consacré par
la jurisprudence européenne et nationale FAITS 2. La
requérante est une société anonyme qui a son siège social à
Athènes. Elle est représentée par Me I. Choromidis,
avocat. 4. Par
une décision du 65 mai 2006, le Secrétaire général de la
Région de lAttique procéda à lexpropriation dune
zone de 33 619 m² en vue de lextension dune
route. La zone incluait des parties de trois terrains appartenant
à la requérante sous les numéros de cadastre 11, 13.1 et 13.2.
Conformément aux dispositions de la loi no 653/1977, les parties
non expropriées des terrains litigieux furent considérées
comme étant avantagées par la réalisation des travaux de sorte
que des parties des 511,46 m², 1 404,74 m² et 484,82
m² des terrains expropriés respectivement ne furent pas lobjet
dune indemnisation car elles seraient « auto-indemnisées ». 5. Lors
de la procédure de la fixation du montant provisoire de lindemnité
dexpropriation devant le tribunal de première instance dAthènes,
la requérante soutint que les parties non-expropriées de ses
terrains nétaient pas avantagées par la réalisation des
travaux et quil ny avait pas lieu à « auto-indemnisation »
de certaines parties des terrains expropriés. 6. Toutefois,
en fixant le montant provisoire de lindemnité dexpropriation
(jugement no 884/2008), le tribunal de première instance ninclut
pas lindemnité correspondant aux parties « auto-indemnisées »
des terrains. Le tribunal souligna que la présomption que le
propriétaire dun terrain exproprié tirait un avantage de
la réalisation des travaux par rapport aux parties non-expropriées
de celui-ci nétait pas irréfragable et sagissait
là dune question qui devait être examinée par la cour dappel
qui devait se prononcer sur la fixation du montant définitif de
lindemnité dexpropriation, conformément à la
procédure spéciale de larticle 33 de la loi no 2971/2001. 7. Le
19 avril 2009, la requérante demanda à la cour dappel dAthènes
de fixer le montant définitif de lindemnité dexpropriation
et de reconnaître quelle ne tirait pas un avantage de la
réalisation des travaux quant aux parties non-expropriées de
ses terrains. 8. Par
son arrêt no 5317/2010, la cour dappel dAthènes
fixa le montant définitif de lindemnité et rejeta comme
irrecevable la demande susmentionnée de la requérante. 9. La
cour dappel releva que lexpropriation litigieuse
était soumise aux dispositions de larticle 33 de la loi no
2971/2001. Par conséquent, pour que la demande de la requérante
soit recevable, celle-ci aurait dû respecter la procédure
prévue par larticle 33 §§ 1, 2, 3, 4 et 6 de la loi, en
introduisant une requête à lorganisme chargé des travaux
dans un délai de deux mois à compter de la publication du
jugement fixant le montant provisoire de lindemnité dexpropriation.
Or, la requérante navait pas introduit une telle requête.
Une demande introduite par la requérante auprès du Secrétaire
général de la Région de lAttique le 14 janvier 2008 ne
saurait être assimilée à la requête exigée par larticle
33 §§ 2 et 3 car elle ne contenait aucune prétention relative
à la présomption selon laquelle le propriétaire dun
terrain exproprié tirait un avantage de la construction dune
route. 10. La
requérante se pourvut en cassation contre cet arrêt. Elle
invoquait larticle 1 du Protocole no 1 et se prévalait de
la jurisprudence de la Cour et de celle de la Cour de cassation (arrêts
no 10 et 11/2004, 851/2004, 1014/2004, 152/2007 et 1060/2008).
Elle soutenait que la procédure relative à la fixation de lindemnité
dexpropriation devait avoir pour objet lindemnité
dans sa globalité et inclure toute question y afférente. Par
conséquent, dans le cadre de la fixation du montant définitif
de cette indemnité, il était possible dintroduire une
demande tendant à faire admettre que le propriétaire dont le
bien acquiert une façade sur une route ne tirait pas un avantage
de lexpropriation et ne devait pas être obligé à « auto-indemnisation ». 11. Par
un arrêt no 1275/2013, du 17 juin 2013, la Cour de cassation
rejeta le pourvoi. Elle considéra que la cour dappel avait
correctement appliqué les dispositions de larticle 33 de
la loi no 2971/2001 qui prévoyait une procédure spéciale pour
contester la présomption selon laquelle le propriétaire dun
bien exproprié tirait un avantage de la réalisation de travaux. 12. Le
25 juillet 2012, le tribunal de première instance dAthènes
reconnut la requérante comme ayant-droit de lindemnité
fixée provisoirement puis définitivement par le jugement no 884/2008
et larrêt no 5317/2010 suite à lexpropriation
de ses propriétés. Dans le cadre de cette procédure, le
tribunal exclut toute possibilité dexistence des droits de
propriété de lÉtat sur les terrains de la requérante (jugement
no 533/2012). CEDH 32. La
requérante soutient que les juridictions de fond, qui ont fixé
lindemnité dexpropriation provisoire et définitive
et ont refusé dexaminer sa demande tendant à réfuter la
présomption de lavantage tiré par le propriétaire de la
réalisation des travaux, ont méconnu la jurisprudence de la
Cour et de la Cour de cassation. 33. Le
Gouvernement souligne que dans le cadre de la procédure relative
à la fixation de lindemnité définitive dexpropriation,
la cour dappel, se conformant à la jurisprudence de la
Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus) a examiné, dans
une procédure unique, toutes les demandes de la requérante
relatives à la fixation de lindemnité définitive,
de lindemnité spéciale prévue à larticle 13 § 4
de la loi no 2882/2001 et enfin à celle tendant à réfuter la
présomption en question (article 33 de la loi no 2971/2001). 34. Le
Gouvernement rajoute que la Cour de cassation a rejeté le moyen
de cassation de la requérante, qui alléguait que la cour dappel
avait rejeté sa demande pour défaut de compétence, comme
étant fondé sur une prémisse erronée. Le Gouvernement
précise que la cour dappel a effectivement examiné la
demande de la requérante mais elle la déclaré
irrecevable au motif que la requérante navait pas
respecté lobligation procédurale posée par larticle
33 : lintroduction préalable de la demande à lorganisme
chargé de la réalisation de louvrage pour lequel lexpropriation
a eu lieu. Or, lobligation faite à lintéressé de
respecter une certaine procédure administrative afin de réfuter
la présomption dun avantage tiré par un propriétaire
exproprié, avant de saisir les juridictions, est une question
distincte de celle du respect de la procédure unique devant les
juridictions aux fins de la fixation de lindemnité dexpropriation. 35. Enfin,
le Gouvernement affirme que dans le cadre de la procédure devant
la cour dappel, la requérante avait aussi demandé le
versement dune indemnité spéciale (article 13 § 4 de la
loi no 2882/2001) et, dans ce cas, elle avait respecté à cet
égard lobligation du dépôt préalable de sa demande à lautorité
compétente. 36. La
Cour rappelle que dans larrêt précité, elle a
considéré que lorsque les biens dun individu font lobjet
dune expropriation, il doit exister une procédure qui
assure une appréciation globale des conséquences de lexpropriation,
incluant loctroi dune indemnité en relation avec la
valeur du bien exproprié, la détermination des titulaires du
droit à indemnité et toute autre question afférente à lexpropriation,
y compris les frais de procédure./p> 37. La
Cour a aussi souligné, dans larrêt Bibi c. Grèce (no 15643/10, 13 novembre 2014), que la procédure
appelée à assurer, au sens de larrêt Azas, lappréciation
globale des conséquences de lexpropriation ne saurait se
limiter à la reconnaissance des titulaires du droit à
indemnité, à la détermination de lindemnité spéciale,
à lappréciation de lexistence dun avantage
tiré par le propriétaire et à la fixation des frais de justice.
Elle doit aussi englober dautres questions, comme, par
exemple, celles relevant de la réévaluation éventuelle de lindemnité. 38. Par
la suite, dans larrêt Koutsokostas c. Grèce (no 64732/12, 13 juin 2019), la Cour a estimé que le
refus dexaminer laction en recouvrement des
requérants introduite devant la juridiction qui allait se
prononcer sur le montant de lindemnité dexpropriation
définitive et la sollicitation faite aux requérants de saisir
à nouveau les juridictions civiles avaient porté atteinte aux
principes de léconomie et de la célérité de la
procédure ainsi quau principe de la procédure unique
consacré par larrêt Azas précité. 39. Enfin,
dans larrêt Moustakidis c. Grèce (no 58999/13, 3 octobre 2019), la Cour a considéré
que certaines demandes du requérant (tendant à ce quil
soit examiné la question du prétendu avantage tiré par lui du
fait de la réalisation des travaux et quune indemnité
soit fixée pour la partie ayant été considéré auto-indemnisée,
à ce quil soit reconnu quen raison de lexpropriation
et de la nature de louvrage, la propriété non expropriée
avait été dévalorisée et devait alors être indemnisée, et
à ce quil se voit accorder certaines sommes pour frais de
transfert de son entreprise et pour perte des chances due à linterruption
du fonctionnement de lentreprise) constituaient des
questions connexes relatives à lexpropriation et auraient
dû faire lobjet dun examen par les juridictions
civiles lors de la fixation de lindemnité dexpropriation. 40. En
lespèce, la Cour considère que la question de savoir si
le propriétaire dun terrain exproprié tire un avantage de
la réalisation des travaux, ce qui justifierait, selon les
termes de la loi no 653/1977, quune partie de ce terrain ne
soit pas indemnisée, constitue à nen pas douter une
question connexe relative à lexpropriation. 41. La
Cour note que cette question est effectivement examinée par les
juridictions civiles, notamment au stade de la fixation de lindemnité
dexpropriation définitive par la cour dappel.
Toutefois, en lespèce, la cour dappel a refusé de
procéder à lexamen de cette question car la requérante navait
pas fait usage de la procédure administrative préalable prévue
par larticle 33 de la loi no 2971/2001. Or, la Cour note
que cette procédure qui se déroule devant des organes
administratifs comporte plusieurs étapes qui sétalent sur
plusieurs mois et que la loi ne prévoit aucune garantie quant au
respect des délais quelle pose pour la réalisation de
chaque étape. Cette procédure contribue alors à rallonger la
procédure se déroulant devant les juridictions civiles et
constitue un écart par rapport à la procédure unique devant
les juridictions civiles pour lexamen de toutes les
questions relatives à la fixation de lindemnité dexpropriation. 42. À
cet égard, la Cour note aussi que selon la jurisprudence
constante de la Cour de cassation, dans le cas où la demande
tendant à réfuter la présomption selon laquelle le
propriétaire tire avantage de la réalisation des travaux était
examinée en même temps que la fixation de lindemnité il
nétait pas nécessaire davoir recours à la
procédure de la loi no 2971/2001 (paragraphes 16-18 ci-dessus). 43. Par
conséquent, en refusant dexaminer la question de la
présomption précitée, faute pour la requérante davoir
fait usage de la procédure prévue à larticle 33 de la
loi no 2971/2001, les autorités de lÉtat défendeur ont
porté atteinte au principe de la procédure unique en la
matière, consacré par la jurisprudence susmentionnée de la
Cour ainsi que par celle de la Cour de cassation. 44. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. Perepjolkins
c. Lettonie du 8 mars 2011 requête 71243/01 Les droits danciens
propriétaires de terrains expropriés pour agrandir le port de
Riga nont pas été violés. La valeur des terrain est due
uniquement au port et par conséquent à l'expropriation qui est
un effet d'aubaine. Les requérants
Janis Vistin et Genadijs Perepjolkins, sont deux
ressortissants lettons. Par des contrats de donation entre vifs
signés en 1994, ils devinrent propriétaires de terrains de
plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés situés sur lîle
de Kundzinsala. Cette île fait partie de Riga et est
essentiellement constituée dinfrastructures portuaires.
Les terrains avaient été illégalement expropriés par lUnion
soviétique après 1940 et les personnes qui les ont offerts à
MM. Vistin et Perepjolkins (en contrepartie de services
rendus) avaient recouvré le droit de propriété y relatif dans
le cadre de la « dénationalisation » au début des années
1990. La valeur purement indicative des terrains mentionnée sur
les contrats de donation - pour le calcul de limpôt
foncier - était de 500 ou 1000 lati lettons (LVL) par terrain (environ
705 et 1410 euros (EUR)). En juillet 1994,
MM. Vistin et Perepjolkins furent enregistrés au livre
foncier comme propriétaires des terrains. Hormis une taxe
notariale de 0,25 LVL, ils ne durent acquitter aucun impôt suite
aux donations décrites ci-dessus. Le 15 août
1995, le conseil des ministres adopta un règlement relatif à la
fixation des limites du port de Riga, qui inclut les terrains de
MM. Vistin et Perepjolkins dans le périmètre du port.
Cette inclusion fut confirmée par la loi du 6 novembre 1996 sur
le Port autonome de commerce de Riga. Cette loi greva également
tous les terrains privés situés dans les limites du port dune
servitude, en contrepartie dune compensation. En janvier 1996,
le Centre dévaluation immobilière du Service foncier de lEtat,
saisi par MM. Vistin et Perepjolkins, évalua en janvier
1996 la valeur (« valeur cadastrale ») du terrain de M.
Vistin à 564 410 LVL (environ 900 000 EUR) et de ceux de M.
Perepjolkins à plus de 3,12 millions LVL au total (environ 5,01
millions EUR). En 1997, la direction du port saisit à son tour
le Centre dévaluation et lui demanda de calculer le
montant des indemnités qui seraient dues en cas dexpropriation
de ces terrains. Cette évaluation fut réalisée en vertu de la
décision du Conseil suprême sur les modalités de lentrée
en vigueur de la loi générale de 1923 sur lexpropriation,
qui plafonne les indemnités dexpropriation de terrains
tels que ceux concernés par cette affaire à hauteur de leur
valeur cadastrale au 22 juillet 1940, multipliée par un
coefficient de conversion. Le 12 juin 1997, les indemnités dexpropriation
le cas échéant dues à MM. Vistin et Perepjolkins furent
ainsi évaluées respectivement à 548,26 LVL (environ 850 EUR)
et 8 616,87 LVL (environ 13 500 EUR). Par un
règlement du 5 août 1997, le conseil des ministres ordonna lexpropriation
des terrains en cause au profit de lEtat. Par une loi
spéciale du 30 octobre 1997, le Parlement confirma lexpropriation
et ordonna le paiement à MM. Vistin et Perepjolkins dindemnités
égales aux montants indiqués par le Centre dévaluation (environ
850 et 13 500 EUR). Ces montants furent versés sur des comptes
ouverts au nom de chacun des requérants à la Banque
hypothécaire et foncière de Lettonie. MM. Vistin et
Perepjolkins ne retirèrent toutefois pas ces sommes. Fin 1998, le
juge des livres fonciers de Riga ordonna lenregistrement du
droit de propriété des terrains expropriés au nom de lEtat.
MM.
Vistin et Perepjolkins intentèrent des actions en justice
visant à obtenir des arriérés de loyers pour lusage de
leurs terrains par le Port autonome de Riga depuis 1994. Au terme
de ces procédures en 1999, ils se virent accorder respectivement,
au total, léquivalent denviron 85 000 EUR et 593 150
EUR. En janvier 1999,
MM. Vistin et Perepjolkins assignèrent le ministère des
Transports, demandant que lenregistrement cadastral du
droit de propriété de lEtat soit annulé et à être à
nouveau inscrits en tant que propriétaires des terrains dans les
livres fonciers. Ils soutenaient que la procédure dexpropriation
prévue par la loi générale sur lexpropriation,
prévoyant notamment la négociation du montant des indemnités
et la possibilité dun recours judiciaire en cas de litige
sur ce montant, navait pas été respectée. Le 29 mars
2000, la cour régionale de Riga les débouta de leur demande, au
motif que lexpropriation de leurs terrains navait pas
été fondée sur la loi générale sur lexpropriation mais
sur la loi spéciale du 30 octobre 1997. Le 28 septembre 2000, la
chambre des affaires civiles confirma cette décision en appel,
de même que, le 20 décembre 2000, le sénat de la Cour suprême,
saisi dun recours en cassation. Courant 1999,
des procédures de redressement fiscal au titre de limpôt
foncier relatif aux terrains en cause dans cette affaire furent
ouvertes contre MM. Vistin et Perepjolkins, mais ils ne
durent payer aucune somme à ce titre au final. Depuis 2000, lEtat
loue les terrains en cause à une société privée de transport.
Article
1 du Protocole n°1 La Cour doit sassurer
que lexpropriation remplissait trois conditions
fondamentales. Premièrement,
lexpropriation doit avoir été réalisée « dans les
conditions prévues par la loi ». Comme les juridictions
lettones lont constaté, la procédure normale dexpropriation
en Lettonie à lépoque des faits était fixée dans la loi
générale de 1923, mais le cas de MM. Vistin et
Perepjolkins a été réglé par la loi spéciale de 1997, qui
prévoyait une procédure dérogatoire dexpropriation.
Certes, avant ladoption de la loi spéciale, MM.
Vistin et Perepjolkins pouvaient sattendre à ce quune
expropriation éventuelle se déroule selon les conditions
prévues par la loi de 1923, mais cela ne suffit pas en soi à
contester la légalité des dispositions spéciales adoptées
dans leur cas. De plus, la Cour accepte la thèse de la Lettonie
selon laquelle lexpropriation des terrains dans cette
affaire sinscrivait dans le processus de dénationalisation
après le retour de la Lettonie à lindépendance (le
Législateur lui-même ayant précisé cela). Or, précisément
dans ce domaine, il est possible quune loi particulière
établisse des règles spéciales pour une ou plusieurs personnes
sans nécessairement porter atteinte à lexigence de
légalité : le Législateur doit en effet disposer dune
marge de manoeuvre particulièrement large notamment pour
corriger, pour des motifs déquité et de justice sociale,
des lacunes ou injustices créées lors de la dénationalisation.
La Cour ne voit rien de déraisonnable ou manifestement contraire
aux objectifs fondamentaux de larticle 1 du Protocole no 1
dans la loi spéciale du 30 octobre 1997, et lexpropriation
des terrains de MM. Vistin et Genaijs Perepjolkins a donc
été effectuée « dans les conditions prévues par la loi ». Deuxièmement,
lexpropriation doit avoir été menée « pour cause dutilité
publique ». La Cour admet également que tel était le cas, dans
la mesure où la mesure imposée à MM. Vistin et Genaijs
Perepjolkins tendait à loptimisation de la gestion des
infrastructures du port autonome de Riga, question qui relève de
la politique des transports et, plus généralement, de la
politique économique du pays. Troisièmement
et dernièrement, un « juste équilibre » doit avoir été
ménagé entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu ce qui touche ici à la
question du montant de lindemnité dexpropriation. La
Cour précise à cet égard quelle ne peut pas se
substituer aux juridictions lettones pour déterminer sur quelle
base elles avaient à fixer le montant de lindemnisation.
Certes, elle constate une extrême disproportion entre la valeur
cadastrale actuelle des terrains en cause et celle prise
en compte pour déterminer le montant de lexpropriation
des terrains en 1940, la première étant environ 350 fois
supérieure à la seconde. Toutefois, il est évident que cette
augmentation très forte de la valeur des terrains a résulté du
développement des infrastructures portuaires qui sy
trouvent et du changement total de limportance stratégique
de ces terrains au cours de plusieurs décennies, facteurs
objectifs auxquels ni MM. Vistin et Perepjolkins ni les
anciens propriétaires nont contribué. La Cour relève
ensuite que MM. Vistin et Perepjolkins avaient acquis les
terrains en question gratuitement et ne les ont possédés que
trois ans, sans rien y investir ni sans payer dimpôts y
relatifs. Les autorités lettones étaient donc fondées à ne
pas rembourser à MM. Vistin et Perepjolkins la pleine
valeur marchande des biens expropriés. La Cour note encore que
MM. Vistin et Perepjolkins ont perçu environ 85 000 EUR et
593 150 EUR au titre darriérés de baux sur leurs terrains.
Même si ces sommes leur ont été payées sur un fondement
juridique totalement distinct de lexpropriation, il nen
demeure pas moins quils ont profité dun « effet daubaine
» et, si lon observe la situation dans son ensemble, les
montants payés au titre de lindemnisation (environ 850 EUR
et 13 500 EUR) ne paraissent pas disproportionnés. La Cour
relève encore que MM. Vistin et Perepjolkins ont
bénéficié de garanties procédurales adéquates et que le cas
présent est comparable à celui de 23 terrains occupés par laéroport
de Riga et expropriés de la même façon auparavant. La Cour en
conclut, par six voix contre une, à labsence de violation
de larticle 1 du Protocole n°1. L'ABANDON DU PROJET D'INTERÊT GÉNÉRAL KANAGINIS
c. GRÈCE du 27 octobre 2016 requête 27662/09 Violation
de l'article 1 du Protocole 1 : Les biens sont expropriés pour
cause d'intérêt général abandonné. L'État revend les biens
à un prix bien supérieur que celui auquel, il a exproprié.
Les requérants ne peuvent pas suivre. La violation est
constatée. a)
Applicabilité de larticle 1 du Protocole no 1 37.
Lapplicabilité de larticle 1 du Protocole no 1 nest
pas contestée en lespèce. La Cour rappelle cependant que
la notion de « biens » évoquée à la première partie de larticle
1 du Protocole no1 a une portée autonome qui ne se limite pas à
la propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains
autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi
passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens »
aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe dexaminer
si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu
le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé
par larticle 1 du Protocole no1 (voir, parmi dautres,
Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2000-V et
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I). 38.
La Cour note, dune part, que larticle 12 de la loi no
2882/2001 prévoyait la révocation dune expropriation
déjà accomplie moyennant la restitution par le propriétaire de
lindemnité qui lui avait été versée, mais réajustée (paragraphe
15 ci-dessus). Dautre part, elle relève que par son arrêt
no 2319/2004, le Conseil dEtat a annulé le refus de ladministration
de révoquer lexpropriation, jugeant que le but de celle-ci
avait été abandonné (paragraphe 7 ci-dessus). 39.
La Cour se déclare convaincue que les éléments susmentionnés
montrent que le requérant avait un intérêt patrimonial qui
était reconnu en droit grec et qui relevait de la protection de
larticle 1 du Protocole no 1. b)
Observation de larticle 1 du Protocole no 1 i.
Principes généraux 40.
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à
certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général. Les deuxième et
troisième normes, qui ont trait à des exemples particuliers datteintes
au droit de propriété, doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi dautres,
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I). 41.
Tant une atteinte au respect des biens quune abstention dagir
doivent ménager un juste équilibre entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (voir, parmi dautres,
Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 31, 15 juillet 2005).
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier. En
particulier, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure appliquée par lEtat, y compris les mesures
privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera
S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no
332). Dans chaque affaire impliquant la violation alléguée de
cette disposition, la Cour doit vérifier si, en raison de laction
ou de linaction de lEtat, la personne concernée a
dû supporter une charge disproportionnée et excessive (Broniowski,
précité, § 150). 42.
Pour apprécier la conformité de la conduite de lEtat à larticle
1 du Protocole no 1, la Cour doit se livrer à un examen global
des divers intérêts en jeu, en gardant à lesprit que la
Convention a pour but de sauvegarder des droits qui sont «
concrets et effectifs ». Elle doit aller au-delà des apparences
et rechercher la réalité de la situation litigieuse. Cette
appréciation peut porter non seulement sur les modalités dindemnisation
applicables si la situation sapparente à une
privation de propriété mais également sur la conduite
des parties, y compris les moyens employés par lEtat et
leur mise en uvre. À cet égard, il faut souligner que lincertitude
quelle soit législative, administrative, ou tenant
aux pratiques appliquées par les autorités est un
facteur quil faut prendre en compte pour apprécier la
conduite de lEtat. En effet, lorsquune question dintérêt
général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir
en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande
cohérence (Vasilescu c. Roumanie, arrêt du 22 mai 1998, Recueil
des arrêts et décisions 1998-III, § 51 ; Beyeler, précité,
§§ 110 in fine, 114 et 120 in fine ; Broniowski, précité, §
151). 43.
La Cour estime utile de relever aussi quelle jouit dune
compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Håkansson
et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 47, série A no 171-A)
et quelle na pas pour tâche de se substituer aux
juridictions internes. Cest au premier chef aux autorités
nationales, notamment aux cours et tribunaux, quil incombe
dinterpréter la législation interne (Waite et Kennedy c.
Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I). Néanmoins,
le rôle de la Cour est de rechercher si les résultats auxquels
sont parvenues les juridictions nationales sont compatibles avec
les droits garantis par la Convention et ses Protocoles. La Cour
relève que, nonobstant le silence de larticle 1 du
Protocole no 1 en matière dexigences procédurales, une
procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens
doit aussi offrir à la personne concernée une occasion
adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux
droits garantis par cette disposition. Pour sassurer du
respect de cette condition, il y a lieu de considérer les
procédures applicables dun point de vue général (voir Capital
Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005-XII
(extraits) ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011). ii.
Application des principes en lespèce 44.
À titre liminaire, la Cour estime opportun de rappeler le
libellé précis du grief du requérant devant elle : celui-ci se
plaint quen raison de la manière dont larticle 12 de
la loi no 2882/2001 régissait la détermination de lindemnité
à payer pour le rachat dun terrain déjà exproprié, la
somme quil doit rembourser afin de récupérer son bien nest
pas raisonnablement en rapport avec celle quil avait
perçue à titre dindemnité dexpropriation. Le
requérant estime que lÉtat fait ainsi peser sur lui une
charge disproportionnée et excessive qui ne peut être
justifiée par aucune cause générale dutilité publique. 45.
Au vu des spécificités de la présente affaire, la Cour estime
que la situation litigieuse ne constitue ni une expropriation ni
une réglementation de lusage des biens, mais relève de la
première phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 qui énonce, de manière générale, le principe
du respect des biens (voir en ce sens, Almeida Garrett,
Mascarenhas Falcao et autres c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, §§ 43 et 48, CEDH
2000-I). 46.
En loccurrence, lingérence dans le droit du
requérant au respect de ses biens réside dans son
impossibilité de se voir retourner le terrain exproprié suite
à la révocation de lexpropriation par larrêt no
2319/2004 du Conseil dÉtat pour non accomplissement de son
but en raison du prix prétendument exorbitant quil devait
payer à lÉtat. Il nest contesté ni que lingérence
était prévue par la loi, à savoir larticle 12 de la loi
no 2882/2001, ni quelle poursuivait un but légitime, à
savoir sassurer que le rachat du terrain en cause par le
requérant ne se ferait pas au détriment des intérêts
financiers de lÉtat. Il appartient ainsi à la Cour de
vérifier, dans le cas despèce, que léquilibre
voulu a été préservé de manière compatible avec le droit du
requérant au respect de ses biens (voir Saliba c. Malte, no 4251/02, § 45, 8 novembre 2005,
et Housing Association of War Disabled et Victims of War of
Attica et autres c. Grèce, no 35859/02, § 37, 13 juillet 2006). 47.
La Cour rappelle que le requérant avait obtenu, en vertu de larrêt
no 2319/2004 du Conseil dÉtat, la révocation de lexpropriation
du terrain dont il avait été le propriétaire et quil
avait au moins lespérance légitime de récupérer son
bien. Sur ce point, la Cour convient avec le Gouvernement que
cette récupération naurait pas dû seffectuer au
détriment de lintérêt public. Ainsi, étant donné le
fait que le requérant sétait vu allouer une indemnité
complète lors de lexpropriation de son terrain, il nest
pas déraisonnable que lÉtat ait procédé environ trente
ans environ plus tard, sur la base de la législation pertinente,
à un réajustement du montant perçu par le premier. 48.
Se penchant sur la formule de réajustement prévue par larticle
12 de la loi no 2882/2001, la Cour note que ladite disposition ne
prévoit quune équation qui consiste à multiplier lindemnité
dexpropriation perçue par lintéressé avec le
rapport entre lindice annuel moyen des prix à la
consommation de lannée de fixation de lindemnité
pour la récupération du bien et celui de la date dencaissement
de lindemnité dexpropriation par son titulaire. En dautres
termes, le système mis en uvre à lépoque des faits
par la législation pertinente reposait sur lévolution des
prix à la consommation pendant la période où le terrain
concerné était exproprié ; il permettait lactualisation
du montant correspondant à lindemnité dexpropriation
sur la base du pouvoir dachat de la même somme à la date
où lintéressé avait demandé la récupération du
terrain. 49.
La Cour convient avec le Gouvernement que lindice annuel
moyen des prix à la consommation constitue un critère simple et
objectif pour le réajustement de la somme à payer à lÉtat
en vue de la récupération du terrain litigieux. Il sert ainsi
à lactualisation de la somme reçue par lintéressé
à titre dindemnité dexpropriation à laune dun
indice économique qui permet destimer entre deux périodes
données la variation moyenne des prix de produits et donc lévolution
de la valeur de la monnaie. 50.
La Cour note cependant, comme lindique le requérant, que
le critère de lindice annuel moyen des prix à la
consommation est de caractère abstrait, se focalise sur la
situation économique générale du pays et ne permet pas de
tirer de conclusions pertinentes sur lévolution du marché
immobilier de celui-ci pendant une période donnée et, dautant
plus, sur lévolution de la valeur dun bien
immobilier particulier. Etant lunique outil à employer
pour le réajustement de la somme à payer, ledit critère se
caractérise par une certaine rigidité qui peut compromettre sa
pertinence lors de son application dans des cas concrets. 51.
À cet égard, la Cour rappelle que dans une affaire issue dune
requête individuelle, il lui faut se borner à lexamen du
cas concret dont on la saisie. Sa tâche ne consiste point
à contrôler in abstracto la loi applicable en lespèce au
regard de la Convention, mais à rechercher si la manière dont
elle a été appliquée au requérant ou la touchée a
enfreint la Convention (Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24
mars 1988, série A no 130, § 54). Pour revenir au cas despèce,
lapplication du critère précité na pas permis à lautorité
compétente de prendre en compte dautres éléments qui
étaient pertinents, ou même nécessaires, pour un juste calcul
de la somme à rembourser à lÉtat. Ainsi, à titre dexemple,
lautorité compétente na pas pu tenir compte de la
valeur vénale du terrain à lépoque des faits ainsi que
de la valeur de terrains limitrophes ou dautres terrains
sis au même quartier qui avaient été expropriés à lépoque.
La Cour a dailleurs affirmé que lindemnité dexpropriation
pour un terrain constructible doit correspondre à la valeur
marchande de celui-ci (voir, mutatis mutandis, Guiso-Gallisay c.
Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 105, 22 décembre
2009). 52.
En outre, la Cour estime quil ne lui appartient pas de
fixer à quel moment dans le temps ladministration aurait
dû se placer pour fixer le montant réajusté de lindemnité
dexpropriation. Toutefois, pour apprécier la
proportionnalité entre ce montant et la valeur réelle du bien
du requérant, la Cour ne peut pas ignorer lévolution du
marché immobilier en Grèce, telle quelle ressort du
dossier, et la durée de la procédure de révocation de lexpropriation
litigieuse. En effet, si la procédure relative à la fixation de
la somme à payer par le requérant pour récupérer son bien a
pris fin le 5 février 2009 (avec la mise au net de larrêt
no 2492/2008 du Conseil dEtat), la Cour note que le
requérant a pour la première fois demandé cette révocation en
1992 et que le Conseil dEtat sest prononcé sur celle-ci
en 2004, jugeant que le but de lexpropriation avait été
abandonné. 53.
Il nappartient pas non plus à la Cour de dire quel est le
montant exact que le requérant devait verser à lEtat au
titre de lindemnité réajustée. Toutefois, compte tenu
des considérations ci-dessus, la Cour estime quil existe
une grande différence entre le montant réclamé par lEtat
(paragraphes 8 et 10 ci-dessus) et la valeur réelle du terrain
telle quelle ressort des éléments du dossier (voir
notamment le paragraphe 13 ci-dessus). Cette différence ne
saurait passer pour raisonnable en lespèce. 54.
Par ailleurs, selon la nouvelle formulation de larticle 12
de ladite loi (paragraphe 16 ci-dessus), le Comité administratif
ou lexpert indépendant prennent en compte plusieurs
éléments pertinents pour évaluer le prix du bien immobilier,
tels que la valeur des terrains adjacents ou similaires ainsi que
le possible revenu résultant de lexploitation du terrain.
De plus, en cas de désaccord sur le montant de lindemnité
due entre lÉtat et lintéressé, les juridictions
compétentes tranchent le différend sans être obligées par la
loi dappliquer un critère tel que lindice annuel
moyen des prix à la consommation. 55.
En outre, la Cour estime important de relever quen loccurrence
les deux décisions administratives nos 1087631/6632/?0010 et
1064217/4182/?0010, par lesquelles lautorité compétente a
fixé lindemnité à payer pour la récupération du
terrain litigieux, sont toujours valides. Comme il est confirmé
par le Gouvernement, cest à la discrétion totale de ladministration
de recalculer lindemnité à payer au cas où le requérant
reviendrait devant elle avec une nouvelle demande de ce type. Or,
la valeur actuelle du terrain en cause selon lestimation de
lautorité fiscale compétente est aujourdhui de 254
853,03 euros, à savoir bien inférieure à celle fixée par la
décision no 1064217/4182/?0010 (paragraphe 10 ci-dessus). Il est
donc évident que le requérant se trouve devant une situation dimpasse
qui rend de fait impossible la récupération de sa propriété. 56.
Au demeurant, force est de constater que devant le Conseil dÉtat
le requérant a soulevé des arguments précis tirés de larticle
17 de la Constitution et de larticle 1 du Protocole no 1.
Or la haute juridiction administrative sest bornée à
rappeler sa jurisprudence sur la nature administrative de la
révocation dune expropriation accomplie et de considérer,
sans autre explication, quune atteinte au droit au respect
des biens nétait pas établie. La Cour considère alors
que le requérant na pas eu une occasion adéquate de
contester effectivement devant les autorités judiciaires les
mesures portant atteinte à son droit garanti par larticle
1 du Protocole no 1 (paragraphe 43 ci-dessus). 57.
Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, dans le cas despèce,
le critère tel quappliqué au requérant à lépoque
des faits en vertu de larticle 12 de la loi no 2882/2001,
ainsi que le raisonnement du Conseil dÉtat dans son arrêt
no 2492/2008 ont rompu le juste équilibre devant régner entre
les exigences de lintérêt public et les impératifs de la
sauvegarde du droit de lintéressé au respect de ses biens. 58.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1. EXPROPRIATION
EN FRANCE : Le Rapport au Président de
la République relatif à l'ordonnance n° 2014-1345
du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du code de l'expropriation
pour cause d'utilité publique, explique que la procédure est
simplifiée. LA COUR
CONSTATE QUE LES ARTICLES L12-1 et L12-2 DU CODE DE L'EXPROPRIATION
EST CONFORME A LA CONSTITUTION cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 26 mai 2011 N° de pourvoi:
10-25923 rejet Attendu que les
époux X..., les époux Y..., Mme Z..., M. A... et M. B...
soutiennent que les dispositions des articles L. 12-1 et L. 12-2
du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique sont
incompatibles avec les articles 16 et 17 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 UNE PERSONNE
EXPROPRIEE DE SON HABITATION A DROIT AU RELOGEMENT cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 27 février 2013 pourvoi N°
12-11995 cassation Vu les articles
L. 14-1 et R. 14-10 du code de l'expropriation pour cause d'utilité
publique, ensemble l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ; LE CUMUL DES
PROCEDURES D'EXPROPRIATION ET D'INDEMNISATION EST POSSIBLE Cour de
Cassation chambre commerciale arrêt du 7 septembre 2011 requête
n° 10-10597 REJET Mais attendu qu'ayant
relevé que, compte tenu de la présence sur le même site de
logements frappés d'insalubrité irrémédiable et de bâtiments
salubres ou commerciaux, la procédure d'expropriation s'était
déroulée selon le droit commun et exactement retenu que rien n'interdisait
l'application simultanée des textes de droit commun et de la loi
du 10 juillet 1970 dès lors que les conditions requises pour l'application
de cette loi aux logements insalubres étaient réunies, la cour
d'appel a déduit à bon droit, de ces seuls motifs, que l'indemnité
relative à l'expropriation de ces logements insalubres devait
être fixée conformément aux dispositions de l'article 18 de
cette loi. LES DÉLAIS
BREFS DE LA PROCÉDURE D'EXPROPRIATION SONT PROPORTIONNES A L'ARTICLE
1 DU PROTOCOLE 1 Cour de
Cassation chambre civile 3, arrêt du 5 mars 2014 requête n° 12-28578
12-28579 12-28580 12-28581 12-28582 12-28583 12-28584 12-28585 12-28586
Rejet Attendu que les
expropriés font grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 22 juin 2012),
de dire que l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour
cause d'utilité publique est conforme à l'article 6, § 1er de
la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et de prononcer la déchéance de leur
appel, alors, selon le moyen, que si l'article R. 13-49 du code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que l'appelant
doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser « son
mémoire et les documents qu'il entend produire » au greffe de
la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel, cette
déchéance de son appel ne saurait s'appliquer dans les cas où
la partie expropriée appelante, tout en ayant déposé ou
adressé son mémoire à l'intérieur du dit délai, a, cependant,
produit ses pièces et documents à l'extérieur de celui-ci,
sauf à porter une atteinte disproportionnée à son droit à un
procès équitable et à son droit à un recours effectif, ainsi
qu'à son droit de propriété ; que, dès lors, en ayant retenu
la licéité d'une telle mesure pour sanctionner le seul dépôt
tardif des pièces produites par les parties expropriées
appelantes, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble
l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de son
Protocole additionnel n° 1 ; LE BIEN
EXPROPRIÉ NON UTILISÉ DOIT ÊTRE RETROCÉDÉ Cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 18 avril 2019 pourvois n°
18-11.414 cassation partielle Attendu, selon larrêt attaqué (Aix-en-Provence,
28 septembre 2017), que M. Y... et M. Z..,
propriétaires dune parcelle de terre située dans un
emplacement réservé par le plan doccupation des sols, ont
mis en demeure la commune de Saint-Tropez (la commune) de lacquérir
en application de la procédure de délaissement alors prévue
par larticle L. 123-9 du code de lurbanisme ; quaucun
accord nétant intervenu sur le prix de cession, un
jugement du juge de lexpropriation du 20 septembre 1982 a
ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et
un arrêt du 8 novembre 1983 a fixé le prix dacquisition ;
que, le 22 décembre 2008, le terrain a été revendu et, le 18
octobre 2011, a fait lobjet dun permis de construire ;
que Mme X..., venant aux droits de MM. Y... et Z..., a
assigné la commune en paiement de dommages-intérêts ; Sur le moyen unique, pris en ses deux
premières branches : Attendu que Mme X... fait grief à larrêt
de rejeter sa demande sur le fondement du droit de rétrocession, Mais attendu quen vertu de larticle L.
123-9 du code de lurbanisme, dans sa rédaction applicable
à la cause, le propriétaire dun fonds grevé dun
emplacement réservé dispose du droit de délaissement qui
consiste à enjoindre à la collectivité publique dacquérir
le bien faisant lobjet de la réserve ; Attendu que larticle L. 12-6 du code de lexpropriation
pour cause dutilité publique, alors applicable, permet à
lexproprié de demander la rétrocession du bien si celui-ci
na pas reçu dans les cinq ans la destination prévue par lacte
déclaratif dutilité publique ; Attendu quil est jugé que lexercice du
droit de délaissement, constituant une réquisition dachat
à linitiative du propriétaire du bien, ne permet pas au
cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le
fondement de larticle L. 12-6 du code de lexpropriation
pour cause dutilité publique, même lorsque le juge de lexpropriation
a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix
et ordonné le transfert de propriété au profit de la
collectivité publique (3e Civ., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-13.670,
Bull. 2014, III, n° 44) ; Attendu que, en matière dexpropriation, si le
droit de rétrocession est applicable en cas de cession amiable
postérieure à une déclaration dutilité publique, il ne
lest pas en cas de cession antérieure à celle-ci lorsque
les cédants nont pas demandé au juge de lexpropriation
de leur en donner acte en application des dispositions de larticle
L. 12-2, devenu L. 222-2, du code de lexpropriation pour
cause dutilité publique, une telle cession ne pouvant
avoir les mêmes effets quune ordonnance dexpropriation
(3e Civ., 24 septembre 2008, pourvoi n° 07-13.972, Bull.
2008, III, n° 138) ; Que, toutefois, le droit de rétrocession est
également applicable en cas de cession amiable précédée dune
déclaration dutilité publique prise en application de larticle
1042 du code général des impôts, dans sa rédaction
antérieure à celle issue de la loi n° 82-1126 du 29
décembre 1982 (3e Civ., 17 juin 2009, pourvoi n° 07-21.589,
Bull. 2009, III, n° 146) ; Attendu quayant, par motifs propres et
adoptés, relevé que les décisions ayant ordonné le transfert
de propriété au profit de la commune et fixé le prix dacquisition
ne faisaient pas état dune déclaration dutilité
publique et retenu quil nétait pas établi quun
arrêté dutilité publique de lacquisition ait été
pris par lautorité administrative, la cour dappel,
qui nétait pas tenue de répondre à des conclusions que
ses constatations rendaient inopérantes, a exactement retenu,
abstraction faite dun motif erroné mais surabondant
relatif aux effets de la déclaration dutilité publique
prise en application de larticle 1042 précité, que Mme X...
ne pouvait pas prétendre à la rétrocession du terrain, ni à
une indemnité compensatrice, sur le fondement de larticle
L. 12-6 du code de lexpropriation pour cause dutilité
publique, alors applicable ; Doù il suit que le moyen nest pas
fondé ; Mais sur le moyen unique, pris en sa
troisième branche, qui est recevable comme étant de pur droit : Vu larticle 1er du premier protocole
additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de lhomme
et des libertés fondamentales ; Attendu, selon ce texte, que toute personne physique
ou morale a droit au respect de ses biens ; Attendu que Mme X... est fondée à se
prévaloir du droit garanti par ce texte, dès lors que la
parcelle ayant fait lobjet du droit de délaissement
constitue un bien protégé au sens de celui-ci ; Que la mesure contestée, en ce quelle prive
de toute indemnisation consécutive à labsence de droit de
rétrocession le propriétaire ayant exercé son droit de
délaissement sur le bien mis en emplacement réservé et donc
inconstructible, puis revendu après avoir été déclaré
constructible, constitue une ingérence dans lexercice de
ce droit ; Que cette ingérence a une base claire et accessible
en droit interne dès lors quelle est fondée sur les
textes et la jurisprudence précités ; Quelle est justifiée par le but légitime
visant à permettre à la personne publique de disposer, sans
contrainte de délai, dans lintérêt général, dun
bien dont son propriétaire a exigé quelle lacquière ; Que, cependant, il convient de sassurer,
concrètement, quune telle ingérence ménage un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général et
les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en
particulier, quelle est proportionnée au but légitime
poursuivi ; Quà cet égard, il y a lieu de relever quun
auteur de Mme X... avait, sur le fondement du droit de
délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21
euros), cédé à la commune son bien, qui faisait alors lobjet
dune réserve destinée à limplantation despaces
verts, et que la commune, sans maintenir laffectation du
bien à la mission dintérêt général ayant justifié sa
mise en réserve, a modifié les règles durbanisme avant
de revendre le terrain, quelle a rendu constructible, à
une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 euros Quil en résulte que, en dépit du délai de
plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure
contestée porte une atteinte excessive au droit au respect des
biens de Mme X... au regard du but légitime poursuivi ; Que, dès lors, en rejetant la demande en paiement
de dommages-intérêts formée par Mme X..., la cour dappel
a violé le texte susvisé ; Cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 17 décembre 2014 pourvois
n° 13-18990 Rejet Attendu, selon
l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2013), que la parcelle bâtie
BJ 150, expropriée au profit de la commune de Drancy n'ayant pas
reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité
publique, la société civile immobilière Jacpat (la SCI) a
assigné la commune afin de voir reconnaître son droit à
rétrocession ; que les bâtiments ayant été détruits par l'expropriant,
la SCI a sollicité des dommages-intérêts en réparation,
notamment, du préjudice résultant de l'impossibilité de
procéder à cette rétrocession Attendu que la
société Jacpat fait grief à l'arrêt de dire que la
rétrocession est possible et que le prix sera fixé à l'amiable
ou à défaut par le juge de l'expropriation Mais attendu
que la cour d'appel a exactement retenu, abstraction faite de
motifs surabondants relatifs à l'état du bien à la date de l'ordonnance
d'expropriation, que la démolition de l'immeuble construit sur
la parcelle ne rendait pas impossible la rétrocession RTE NANTI D'UNE
DUP, PEUT PÉNÉTRER SUR LES TERRAINS PRIVÉS, POUR INSTALLER DES
PYLÔNES ÉLECTRIQUES COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 11 mars 2015 Pourvoi n° 13-24133
REJET Attendu, selon
l'arrêt attaqué, statuant en matière de référé (Caen, 4
juin 2013), que M. X... et Mme Y... et la société de l'Avenir
ont assigné la société Réseau de transport d'électricité (la
société RTE) pour voir dire qu'en pénétrant sur leur
propriété, sans leur accord et sans autorisation d'occupation
temporaire, pour y effectuer des travaux d'implantation de deux
pylônes d'une ligne électrique aérienne, la société RTE
avait commis une voie de fait et lui enjoindre de cesser les
travaux et d"évacuer les lieux Mais attendu qu'il
n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant,
par exception au principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires, la compétence des juridictions
de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la
réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a
procédé à l'exécution forcée, dans des conditions
irrégulières, d'une décision, même régulière, portant
atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction
d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les
mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction
d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible
d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité
administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un
ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède
pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un
pouvoir dont dispose l'administration ; EXPROPRIATION
PARTIELLE D'UN BIEN, LE DOCUMENT D'ARPENTAGE EST OBLIGATOIRE COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 13 juin 2019 Pourvoi n° 17-27.868
rejet Attendu que Mme A... X... sest pourvue en
cassation contre lordonnance du juge de lexpropriation
du département du Gard du 3 août 2017 ayant ordonné le
transfert de propriété, au profit du conseil départemental du
Gard, dune partie dune parcelle dont elle est
propriétaire en indivision avec M. B... X... ; Mais attendu, dune part, quil
résulte du dossier de la procédure que le dépôt du dossier
des enquêtes préalable à la déclaration dutilité
publique et parcellaire à la mairie a été notifié à Mme X...
par lettre recommandée avec demande davis de réception
envoyée à ladresse mentionnée dans létat
parcellaire et délivrée le 18 février 2017, sans quil
soit établi que lautorité expropriante ait eu
connaissance à cette date dune autre adresse, et que les
enquêtes publiques se sont déroulées du 6 au 24 mars 2017
inclus ; Attendu, dautre part, que les annexes
jointes à lordonnance et établies après un document darpentage
délimitent avec précision la fraction expropriée de la
parcelle dans sa superficie et indiquent les désignations
cadastrales de cette parcelle, ainsi que sa nature, sa contenance
et sa situation ; Doù il suit que le moyen nest pas
fondé ; COUR DE
CASSATION Chambre Civile 3, arrêt du 13 juin 2019 Pourvoi n° 18-14.225
cassation sans renvoi Vu les articles
R. 221-4, R. 132-2, R. 132-3 du code de lexpropriation pour
cause dutilité publique, ensemble larticle 7 du
décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité
foncière; Attendu que lordonnance
prononçant lexpropriation désigne chaque immeuble ou
fraction dimmeuble exproprié et précise lidentité
des expropriés, conformément aux dispositions de larticle
R. 132-2 renvoyant aux prescriptions de larticle 7 du
décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité
foncière ; Que larticle
7, alinéa 2, du décret du 4 janvier 1955 prévoit que, lorsquil
y a division de la propriété du sol entraînant changement de
limite, lacte doit désigner limmeuble tel quil
existait avant la division et chacun des nouveaux immeubles
résultant de cette division ; Que le dernier
alinéa de cet article dispose que, dans la plupart des cas, la
désignation est faite conformément à un extrait cadastral et,
en cas de changement de limite, daprès les documents darpentage
établis spécialement en vue de la conservation du cadastre ; Que larticle
25 du décret du 30 avril 1955 relatif à la conservation du
cadastre précise que tout changement de limite de propriété
doit être constaté par un document darpentage qui est
soumis au service du cadastre, préalablement à la rédaction de
lacte réalisant le changement de limite, pour
vérification et numérotage des nouveaux îlots de propriété ; Attendu quil
résulte de ces textes quen cas dexpropriation
partielle impliquant de modifier les limites des terrains
concernés, un document darpentage doit être
préalablement réalisé afin que les parcelles concernées
soient désignées conformément à leur numérotation issue de
ce document ; Attendu que,
pour transférer, au profit de la commune de Millau, des
parcelles appartenant à Mmes B... C..., A... C..., D... C...
et F... Z..., à M. G... Z... et à M. et Mme Y...,
lordonnance attaquée (juge de lexpropriation du
département de lAveyron, 28 décembre 2017) désigne les
biens expropriés en annexant un état parcellaire ; Quen
statuant ainsi, en labsence de document darpentage
désignant les parcelles issues de la division opérée par lexpropriation
partielle, le juge de lexpropriation a violé les textes
susvisés ; Doù il
suit que lordonnance est entachée dun vice de forme
qui doit en faire prononcer lannulation ; Et vu larticle
627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties
en application de larticle 1015 du même code ; L'EXPROPRIATION INDIRECTE D'UN BIEN DAKHKILGOV
c. RUSSIE du 8 décembre 2020 Requête no 34376/16 Art 1 P1
Privation de propriété Expropriation arbitraire et
illégale dune partie du terrain du requérant lors de linstallation
sur celui-ci dun stade sportif attenant à une école
publique Requérant propriétaire légitime et incontesté
au moment de lingérence Expropriation de facto de
son bien sans contrôle juridictionnel préalable, dans le cadre
dune procédure légalement prévue, de lutilité
publique de la privation de sa propriété et en labsence
de toute indemnisation Autorités nationales ayant tiré
bénéfice de leurs comportement illégal CEDH a) Sur
lexistence dun « bien » et sur la nature
de lingérence 42. Il
nest pas contesté que le terrain dimplantation du
dépôt pétrolier, mesurant 10 614 m2, était un « bien »
du requérant, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à
la Convention. Il nest pas non plus contesté que loccupation
de ce terrain par linstallation dun stade
sportif attenant à lécole sur une partie de celui-ci
a constitué une ingérence dans le droit du requérant au
respect de ses biens. La Cour note que le requérant est resté
formellement propriétaire du terrain occupé. Or, ce terrain non
arpenté nexiste plus que sur papier, et il est inclus dans
deux autres parcelles appartenant aux autorités (paragraphe 28
ci-dessus), avec comme résultat limpossibilité de faire
tout usage de ce terrain pour lintéressé. Dans ces
circonstances, la Cour estime que lingérence ayant
engendré des conséquences graves à telle enseigne quelle
va au-delà de la « réglementation de lusage des
biens », au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1, engendrant dès lors une « privation
des biens », au sens de la seconde phrase du premier
alinéa dudit article (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos
et autres c. Grèce, 24 juin 1993, §§ 44-45, série A no 260-B). 43. La
Cour doit rechercher à présent si lingérence se justifie
sous langle de cette disposition. Pour être compatible
avec celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions :
elle doit être effectuée « dans les conditions prévues
par la loi », « pour cause dutilité publique »
et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b) Sur
le respect du principe de légalité 44. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no
71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). Lexpression « dans
les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence
et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles
et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986,
§ 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire
(Vistin et Perepjolkins, précité, § 95). 45. En
lespèce, la Cour relève que lemprise dune
partie du terrain dimplantation de lancien dépôt
pétrolier pour étendre le territoire de lécole et linstallation
du stade sportif a été prévue par les actes adoptés par les
autorités républicaines et locales en 2006 (paragraphes 5-7 ci-dessus).
Or, près de trois ans après ladoption de ces actes, les
autorités républicaines, locales et fédérales ont adopté dautres
actes concernant ce terrain, allant dans le sens opposé. En
effet, en 2009, ladministration du district a approuvé le
plan du terrain en confirmant que celui-ci avait été octroyé
à M. K - prédécesseur du requérant. Elle lui a
également conféré un droit dusage permanent sur ce
terrain, puis le ministère républicain du Patrimoine a vendu le
terrain à M. K. Lautorité en charge de lenregistrement
des droits réels a procédé à son tour à lenregistrement
du droit de propriété de M. K. puis du requérant sur le
terrain, en confirmant par cela la licéité de ces transactions
(paragraphe 32 ci-dessus et la référence y citée). 46. Les
tentatives des différentes autorités tendant à annuler les
ventes du terrain ont échoué. À cet égard, la Cour trouve
sans pertinence largument du Gouvernement selon lequel lintéressé
savait au moment de lacquisition du terrain que celui-ci
était destiné à lextension de lécole en vertu des
actes adoptés en 2006 (paragraphe 39 ci-dessus). En effet, une
telle connaissance de la part du requérant ou lignorance
de celui-ci auraient dû faire lobjet dune
appréciation par les tribunaux dans le cadre de laction en
annulation de la vente. Or les demandes en justice introduites
par les autorités tendant à lannulation des ventes nont
pas fait lobjet dexamen, et aucune appréciation de
la bonne foi du requérant na eu lieu. De lavis de la
Cour, le Gouvernement ne peut pas valablement avancer de thèses
non débattues devant les juridictions internes (voir, pour une
situation similaire, OOO KD-Konsalting c. Russie, no 54184/11, § 47, 29 mai 2018). 47. Il
résulte de ce qui précède que, au moment de lingérence,
le requérant restait propriétaire légitime et incontesté du
terrain. 48. Dans
ce contexte, pour pouvoir occuper ce terrain, les autorités nont
pas, comme elles en avaient la possibilité en droit russe,
engagé une procédure dexpropriation comportant plusieurs
étapes et garanties contre larbitraire, dont la
notification écrite de la décision dexpropriation, la
rédaction dune convention de rachat, en cas de désaccord
du propriétaire, un droit pour lautorité publique
compétente dintenter une action en expropriation (paragraphe
30 ci-dessus ; voir, pour un résumé de la portée des
dispositions pertinentes, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 54, 20 mars 2018) et,
surtout, le paiement dune indemnité. 49. En
revanche, en lespèce, le requérant a été exproprié de
facto de son bien sans contrôle juridictionnel préalable, dans
le cadre dune procédure légalement prévue, de lutilité
publique de la privation de sa propriété et sans avoir
bénéficié dune quelconque indemnité. Puis, lorsquil
a demandé le démontage du stade occupant son terrain contre sa
volonté, les juridictions se sont bornées à constater que les
actes relatifs à lextension du territoire de lécole
avaient été adoptés antérieurement à lacquisition du
terrain par lintéressé et que la construction du stade
respectait les règles durbanisme et de sécurité. 50. Dans
ces circonstances, la Cour conclut que lingérence,
opérée en méconnaissance complète par les autorités de la
procédure légalement prévue pour opérer une dexpropriation
et en labsence de toute indemnisation, a permis aux
autorités de tirer bénéfice de leur comportement illégal (Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 94, 22 décembre 2009). Cette
expropriation de fait a été arbitraire et donc « illégale »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences
de cette disposition (voir aussi Abiyev et Palko c. Russie, no 77681/14, §§ 66-67, 24 mars 2020). Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. ELIF
KIZIL c. TURQUIE du 24 mars 2020 requête n° 4601/06 Art
1 P1 Respect des biens Inscription dun
terrain au nom du Trésor public sans information individuelle du
propriétaire Usage du bien par le propriétaire et prise
de connaissance de la situation plus de vingt ans après
Applicabilité examinée au vu du comportement des autorités
Rejet du recours en annulation par application du délai
de la prescription extinctive en dépit de labsence de
notification individuelle à lintéressé Poids
disproportionné accordé à la sécurité juridique des
transactions immobilières. FAITS 8. À
lissue des travaux de cadastrage réalisés en 1974, le
terrain de la requérante fut enregistré comme propriété du
Trésor avec les références cadastrales « îlot 823
parcelle 6 ». Le procès-verbal indique que le terrain
avait appartenu à un certain R.B., le père dO.B., quil
avait été vendu à une personne dont le nom navait pu
être identifié malgré les recherches effectuées notamment sur
les registres fonciers, et quil convenait denregistrer
le bien au nom du Trésor afin déviter que lacquéreur
non encore identifié subisse un préjudice, et ce en vertu de larticle
22 H de la loi no 2613 relative au cadastre et à lenregistrement
des titres fonciers (voir paragraphes 39 et 40 ci-dessous). 9. Lensemble
des procès-verbaux relatifs à la zone de cadastrage fit lobjet
dun affichage public pendant deux mois. 10. Aucune
notification ou démarche, autre que cet affichage, ne fut
entreprise pour informer la requérante. 11. Cette
dernière aurait pris connaissance de lenregistrement de
son bien comme propriété du Trésor le 16 juillet 2002 lorsque
des fonctionnaires de cette administration lui auraient oralement
exposé la situation lors dune visite. 12. Le
17 juillet 2002, la requérante signa une demande de rachat à ladministration
du terrain litigieux. Le document dactylographié présente, en
guise de signature, le prénom et le nom de la requérante en
lettres majuscules qui semblent avoir été tracées avec
difficulté. 13. Le
24 juillet 2002, la requérante adressa à la direction
générale du cadastre un courrier où elle reprochait à ladministration
de sêtre emparé de son bien à la faveur dune
opération de cadastrage malgré lexistence dun titre
de propriété immatriculé et de ne lavoir informé à
aucun moment ni de ladite opération ni de ses conséquences.
Elle affirmait faire usage du terrain depuis son achat en 1973.
La lettre présente une empreinte digitale apposée en lieu et
place de signature. 14. Par
la suite, la requérante saisit les services dinspection de
la direction générale du cadastre et des registres fonciers. 15. Le
25 juillet suivant, ladministration notifia à lépoux
de lintéressée une injonction de payer une indemnité doccupation
illégale dun bien public pour les années 2001 et 2002, en
loccurrence le terrain en cause. CEDH a)
Les principes généraux 86. La
Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de
propriété, contient trois normes distinctes (voir, notamment, James
et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A
no 98) : la première, qui sexprime dans la première
phrase du premier alinéa et revêt un caractère général,
énonce le principe du respect de la propriété ; la
deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise
la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ;
quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle
reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de
réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général. Les deuxième et troisième normes, qui ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété, doivent sinterpréter à la lumière du
principe consacré par la première (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V, et Bruncrona c.
Finlande, no 41673/98, §§ 65-69, 16 novembre 2004). 87. Pour
se concilier avec la règle générale énoncée à la première
phrase du premier alinéa de larticle 1, une atteinte au
droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre
» entre les exigences de lintérêt général de la
collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux
de lindividu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I). 88. Larticle
1 du Protocole no 1 tend pour lessentiel à prémunir lindividu
contre toute atteinte de lEtat au respect de ses biens. Or,
en vertu de larticle 1 de la Convention, chaque État
contractant « reconna[ît] à toute personne relevant de [sa]
juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...)
Convention ». Cette obligation générale de garantir lexercice
effectif des droits définis par cet instrument peut impliquer
des obligations positives. En ce qui concerne larticle 1 du
Protocole no 1, de telles obligations positives peuvent
entraîner pour lÉtat certaines mesures nécessaires pour
protéger le droit de propriété (Sovtransavto Holding c. Ukraine,
no 48553/99, § 96, CEDH 2002-VII, et Broniowski c.
Pologne, précité, § 143). 89. Nonobstant le
silence de cette disposition en matière dexigences
procédurales, les procédures applicables à une espèce doivent
aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate dexposer
sa cause aux autorités compétentes afin de contester
effectivement les mesures portant atteinte au droit au respect
des biens (Zehentner c. Autriche, no 20082/02, § 73, 16 juillet 2009, Société
Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce, no 44769/07, § 36, 5 novembre 2009, et Gereksar et
autres c. Turquie, nos 34764/05 et 3 autres, § 51, 1er février 2011). b)
Le cas despèce 90. La
Cour observe que le grief de la requérante concerne la perte de
son bien et limpossibilité dans laquelle elle sest
trouvée de contester judiciairement cette mesure en raison du
délai de la prescription extinctive de dix ans. Elle estime que
les questions ainsi soulevées relèvent de la première norme
mentionnée plus haut. 91. Demblée,
elle considère quelle nest pas appelée à
déterminer de manière générale et abstraite si le délai de
prescription décennale prévue à larticle 12 de la
loi relative au cadastre est compatible ou non avec la Convention,
mais uniquement à dire si, dans les circonstances particulières
de lespèce, lapplication de ce délai a porté
atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens. 92. Elle
note en premier lieu que ce délai est explicitement prévu par larticle
12 de la loi no 3402 (voir paragraphe 43 ci-dessus). Quoiquen
dise la requérante, cest sur cette loi, qui était en
vigueur à lépoque où lintéressée a initié son
action, que repose lingérence litigieuse. La décision des
autorités judiciaires de rejeter le recours en raison de la
prescription disposait donc dune base légale. Sur ce point,
la Cour estime utile de préciser que la question de savoir si ce
nest pas lentrée en vigueur de cette nouvelle
législation qui, en supprimant toute possibilité pour la
requérante dagir en justice, a constitué une ingérence,
peut en lespèce demeurer indécise étant donné que le
grief na pas été explicitement formulé en ces termes. 93. La
Cour observe que la mise en place dun délai au-delà
duquel les droits antérieurs au cadastrage séteignent et
les conclusions cadastrales 94. Il
convient dès lors de vérifier si le but poursuivi était
proportionné à latteinte portée au droit de propriété
de la requérante. Cette vérification revient à mettre en
balance les divers intérêts en jeu. 95. Si
la sécurité juridique visée par la règle de prescription
présente en soi un but légitime important, lintérêt de
mettre ladministration à labri dun recours de
la requérante demeure en lespèce limité aux yeux de la
Cour. 96. Sagissant
des intérêts de la requérante, la Cour observe que cette
dernière, qui avait régulièrement acquis le bien au registre
foncier en 1973, cest-à-dire moins dun an avant les
travaux de cadastrage, sest finalement trouvée privée de
son bien. 97. En
outre, elle na pu faire valoir ses droits en contestant
cette mesure devant les tribunaux, et ce en raison de la
prescription extinctive. Sur ce point, il convient de relever que
lintéressée ne sest vu notifier ni le début des
travaux de cadastrage ni les conclusions cadastrales. Elle
affirme navoir pris connaissance de linscription de
son bien comme propriété du Trésor quen 2002, date jusquà
laquelle elle aurait, selon elle et selon le TGI, continuer à
jouir paisiblement de son bien (voir paragraphes 74 et 24
ci-dessus). 98. À
cet égard, la Cour réitère que les procédures applicables
doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion
adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes
afin de contester effectivement les mesures portant atteinte à
son droit de propriété (voir paragraphe 89 ci-dessus). Elle
rappelle que dans laffaire Société Anonyme Thaleia Karydi
Axte, précitée, elle a conclu que la société requérante sétait
vu imposer une charge disproportionnée au motif que même si les
procédures mises en place en droit interne nétaient pas
critiquables en soi, lintéressée avait été privée de
son bien sans avoir aucune possibilité de réagir lors de la
procédure dexécution forcée visant son terrain. La Cour
a souligné que même si la requérante avait de sérieux
arguments à faire valoir devant les juridictions compétentes
afin dobtenir lannulation de la vente aux enchères,
son recours avait été déclaré irrecevable pour non-respect du
délai alors que la procédure dexécution forcée navait
pas été portée à sa connaissance. 99. En
lespèce, il convient dès lors de déterminer si la
requérante avait ou aurait dû avoir connaissance du cadastrage
et des conclusions cadastrales ignorant son titre de propriété
et ayant pour effet de le rendre caduc. 100. Sil
est vrai que le début des travaux de cadastrage est annoncé,
que lesdits travaux font lobjet dune publicité (voir
paragraphes 34 à 37 ci-dessus), et que ces mesures permettent dinformer
largement le public, celles-ci ne garantissent pas que la
requérante ait effectivement été informée. Il en va de même
de laffichage des conclusions cadastrales (voir paragraphe
38 ci-dessus). 101. Sur
ce point, la Cour estime utile de rappeler que la requérante
affirme, sans être contredite par le Gouvernement, quelle
résidait en Allemagne. Elle affirme en outre quelle ne
sait ni lire ni écrire ; ce que semble confirmer la
manière dont elle a signé les documents présents dans le
dossier (voir paragraphes 12 et 13 ci-dessus). 102. Par
ailleurs, sagissant plus spécifiquement de laffichage,
la Cour rappelle que, dans laffaire Rimer et autres c.
Turquie (no 18257/04, § 27, 10 mars 2009) où les
recours des requérants contre les conclusions cadastrales
avaient été rejetés pour non-respect du délai de dix ans
commençant à courir après laffichage et où le
Gouvernement soulevait une exception dirrecevabilité
tirée de la règle de lépuisement des voies de recours
internes, elle a indiqué quil navait pas été
démontré que les requérants avaient reçu une notification des
conclusions en question. 103. Elle
estime en outre que le Gouvernement na pu exposer aucun
élément permettant raisonnablement daffirmer que la
requérante avait connaissance des travaux de cadastrage et de
leur teneur ou quelle ne pouvait ignorer leur existence. De
plus, la Cour réitère que les autorités ne semblent avoir
entrepris aucune démarche pour identifier et informer la
requérante alors même que linscription du bien au nom du
Trésor en 1974 avait un but préventif. 104. Le
Gouvernement relève certes quun tiers, en loccurrence
un voisin, a fait usage du bien et quil a tenté den
faire lacquisition auprès du Trésor (voir paragraphes 29
à 32 ci-dessus). Il en déduit que la requérante aurait
abandonné le bien parce quelle aurait su quelle nen
était plus la propriétaire sur le registre. 105. La
Cour relève en premier lieu que les éléments du dossier ne
permettent pas de déterminer si M.Ç. avait utilisé le terrain
avec ou sans le consentement de la requérante (voir, notamment
paragraphe 84 ci-dessus). En outre, elle constate que le TGI a
établi que la requérante avait exercé sur le bien une
possession paisible et ininterrompu depuis 1973 (voir paragraphe
24 ci-dessus) et que cet élément factuel na pas été
remis en cause par la Cour de cassation. Elle naperçoit
pas de motifs sérieux lui permettant de se départir des
constations factuelles des juridictions internes sur ce point. 106. Par
ailleurs, la Cour estime que la fiabilité des informations
contenues dans les ordonnances de paiement dressées par ladministration
est toute relative. En effet, ces ordonnances sont incohérentes
quant à la période pendant laquelle M.Ç. aurait utilisé le
bien, étant donné quelles semblent non seulement se
contredire entre elles (voir paragraphe 31 ci-dessus) mais aussi
contredire les déclarations faites par lintéressé à ladministration
en vue dacquérir le bien et dans lesquelles il admet ne
pas remplir les conditions prévues par la loi no 4070 (voir
paragraphes 12 et 47 à 48 ci-dessus). De plus, il convient de
relever que deux ordonnances ont été établies pour lannée
2001, lune destinée à M.Ç. et lautre à lépoux
de la requérante (voir paragraphes 29 et 15 ci-dessus). La Cour
estime par conséquent quil serait déraisonnable de se
fonder sur ces documents administratifs pour sécarter des
conclusions factuelles des juridictions nationales. 107. En
tout état de cause, la circonstance que le terrain ait été
utilisé pendant un temps par lun des voisins, avec ou sans
le consentement de la requérante, et que lintéressé ait
cherché à sapproprier le bien, nest pas de nature
à démontrer que la requérante avait pris connaissance des
conclusions cadastrales de 1974 et de ses conséquences. 108. Il
en va de même en ce qui concerne la circonstance que la
requérante ait signé, le lendemain de la date à laquelle elle
affirme avoir été informée de la situation, une demande visant
le rachat de son bien à ladministration. Celle-ci ne
démontre en rien que la requérante aurait eu connaissance des
faits litigieux bien avant quune ordonnance de paiement ne
lui soit adressée. 109. Rien
ne permet donc daffirmer que la requérante avait ou aurait
dû avoir connaissance de linscription de son bien comme
propriété du Trésor avant den avoir été informé par
les agents de ladministration en 2002 ni que les autorités,
qui ont bénéficié de linscription au registre dans le
seul but déviter que le bien de la requérante ne soit
accaparé par des tiers, ont procédé à une démarche
quelconque dans le but de déterminer lidentité du
légitime propriétaire et linformer de la situation. 110. A
la lumière de lensemble de ces éléments, la Cour
considère que le juste équilibre voulu par la Convention a
été rompu au détriment de la requérante. 111. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. ABIYEV
ET PALKO c. RUSSIE du 24 mars 2020 Requête no 77681/14 Art
1 P1 Privation des biens Démolition des biens
immobiliers des requérants et la mainmise sur leur terrain pour
les besoins de la reconstruction dune ville
Expropriation de fait arbitraire en méconnaissance de la
procédure obligatoire et en labsence de toute
indemnisation FAITS 4. Les
requérants étaient propriétaires dun terrain et dun
ensemble immobilier comprenant trois bâtiments situés dans le
centre de la ville dArgun. Ils habitaient lun de ces
bâtiments. 5. En
décembre 2010, les autorités tchétchènes créèrent une
entité nommée « état-major chargé de la reconstruction
(???? ?? ?????????????) de la ville dArgun ». 6. Le 4 décembre
2010, létat-major susmentionné tint une réunion,
présidée par le premier vice-président du gouvernement
tchétchène, qui rassemblait les fonctionnaires de la ville dArgun,
du gouvernement tchétchène et les représentants de
différentes entreprises. Lors de cette réunion, il fut décidé
quune entreprise dÉtat commencerait à démolir les
immeubles se trouvant dans le périmètre de la construction dun
nouveau quartier résidentiel, « Argun City 1 »,
et construirait des logements pour les personnes dont les
immeubles seraient démolis. La mairie de la ville dArgun
était chargée de trouver des terrains pour la construction de
ces nouveaux logements. 7. En
décembre 2010, les immeubles des requérants, qui se trouvaient
dans le périmètre du quartier à reconstruire, furent démolis
en quelques jours, puis leur terrain fut occupé. 8. Le
26 janvier 2011, le gouverneur de Tchétchénie adopta un décret
officialisant la création de l« état-major
opérationnel (??????????? ????) républicain pour la
reconstruction et le développement économique et social dArgun »
(« létat-major »). Celui-ci était dirigé par
le gouverneur de Tchétchénie et était constitué des
autorités dArgun et de la République tchétchène ainsi
que des représentants de différentes entreprises. 9. Selon
le décret précité, létat-major devait assurer la
planification, la coordination et le contrôle des mesures de
reconstruction et de développement de la ville, tandis que les
autorités publiques et les entreprises participant à ce projet
devaient aider à la réalisation de celui-ci, conformément aux
décisions prises par létat-major. 10. À
un moment non précisé dans le dossier, létat-major fut
dissous. CEDH a)
Sur lexistence et la nature de lingérence 56. En
lespèce, il nest pas contesté que trois bâtiments
et un terrain étaient les « biens » des requérants
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il nest pas non plus contesté que la démolition de ces
bâtiments et loccupation du terrain ont été effectuées
par les autorités publiques, au sens large du terme, pour les
besoins de la reconstruction de la ville dArgun. La Cour
considère quil sagissait de « privation des
biens » au sens de la seconde phrase du premier alinéa de
larticle 1 du Protocole no 1. 57. Elle
doit rechercher à présent si lingérence se justifie sous
langle de cette disposition. Pour être compatible avec
celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions : elle
doit être effectuée « dans les conditions prévues par la
loi », « pour cause dutilité publique »
et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b)
Sur le respect du principe de légalité 58. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no
71243/01, §§ 94-95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). Lexpression « dans
les conditions prévues par la loi » présuppose lexistence
et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles
et précises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986,
§ 110, série A no 102) et offrant des garanties contre larbitraire
(Vistin et Perepjolkins, précité, § 95). 59. La
Cour a déjà eu loccasion de dire quune ingérence
effectuée en violation des dispositions internes ne satisfaisait
pas au critère de la « légalité » (voir, par
exemple, East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, §§ 179-181 et 195, 23 janvier 2014, et Tkachenko,
précité, § 56). Cependant, toute irrégularité
procédurale nest pas de nature à rendre lingérence
incompatible avec lexigence de « légalité » (Ukraine-Tioumen
c. Ukraine, no 22603/02, § 52, 22 novembre 2007). La Cour
rappelle à cet égard quelle dispose dune
compétence limitée sagissant de vérifier si le droit
national a été correctement interprété et appliqué ;
elle ne peut dès lors mettre en cause lappréciation des
autorités internes quant à des erreurs de droit prétendues que
lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement
déraisonnables (voir, parmi beaucoup dautres, Naït-Liman
c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018). 60. Se
tournant vers les faits de lespèce, la Cour relève que, nayant
pas pu obtenir dindemnisation pour la privation de leurs
biens, les requérants ont intenté une action en réparation de
leur préjudice contre la République tchétchène. Leur action a
été rejetée essentiellement pour trois motifs : i) le
ministère des Finances et la mairie dArgun navaient
pas procédé à la démolition des immeubles et à loccupation
du terrain et nétaient pas les bons défendeurs ; ii)
les requérants navaient pas formulé de prétentions
relativement à violation de la procédure dexpropriation ;
iii) ils navaient pas allégué ni, surtout, démontré une
« illicéité » des actes ou omissions des autorités
ou fonctionnaires au sens de larticle 1069 du code civil. 61. Quant
au premier motif, la Cour note que les requérants nont
jamais allégué que lingérence en cause avait été
opérée par le ministère des Finances. Au contraire, ils
estimaient que le défendeur à linstance était la
République tchétchène, représentée par le ministère des
Finances conformément aux dispositions internes. Pourtant, les
juridictions civiles ont adopté une approche formaliste,
légitimant la conclusion que personne nétait responsable
de la privation des biens des requérants. 62. Quant
aux deuxième et troisième motifs, la Cour a déjà établi que
les requérants ont bien formulé les prétentions et moyens
concernant un irrespect par les autorités de la procédure dexpropriation
(paragraphe 48 ci-dessus), et cela contrairement aux
considérations des juges de cassation à cet égard (paragraphes
22-24 ci-dessus ; comparer aussi avec Adikanko et Basov-Grinev
c. Russie, nos 2872/09 et 20454/12, § 50, 13 mars 2018, dans le contexte de
larticle 6 § 1 de la Convention). 63. La
procédure dexpropriation comportait plusieurs étapes et
garanties contre larbitraire, dont la notification écrite
de la décision dexpropriation, la rédaction dune
convention de rachat, en cas de désaccord du propriétaire, un
droit pour lautorité publique compétente dintenter
une action en expropriation (paragraphe 31 ci-dessus ; voir,
pour un résumé de la portée des dispositions pertinentes, Tkachenko,
précité, § 54) et, surtout, le paiement dune
indemnité. Or, en lespèce, cette procédure obligatoire a
été méconnue, sans quune explication ne soit fournie et
sans que les requérants ne bénéficient dune indemnité (comparer
avec Tkachenko, précité, où la procédure dexpropriation
na pas été suivie mais les requérants ont été relogés,
et voir, a contrario, Sigunovy c. Russie (déc.) [comité],
no 18836/11, 12 février 2019, où les
requérantes ont obtenu un logement équivalent). 64. De
lavis de la Cour, cest bien lirrespect de cette
procédure obligatoire et labsence de toute indemnisation
qui constituait laspect d« illicéité »
de lingérence au sens des articles 16 et 1069 du code
civil. Constatant que les requérants ont soulevé cet aspect
devant les juridictions internes et considérant que laction
en réparation était une voie appropriée susceptible daboutir
à lallocation dune indemnisation, la Cour rejette lexception
dirrecevabilité implicite du Gouvernement (paragraphe 48
ci-dessus). 65. La
Cour note enfin que les autorités ont tout de même présenté
aux requérants quelques offres de relogement, mais que ces
offres ont été faites en dehors de tout cadre légal et
apparaissent plutôt comme des offres ex gratia, et que lon
ne peut pas dire que leur rejet par les requérants puisse sanalyser
en une renonciation à leur droit à une indemnisation (comparer
avec Volchkova et Mironov c. Russie, nos 45668/05 et 2292/06, § 125, 28 mars 2017). Elle
estime également que lallégation du Gouvernement selon
laquelle le requérant est devenu locataire dune parcelle
en 2014 na aucune pertinence pour la présente affaire. 66. Eu
égard à ce qui précède, la Cour conclut que lingérence,
opérée en méconnaissance complète par les autorités de la
procédure obligatoire dexpropriation et en labsence
de toute indemnisation, a permis aux autorités de tirer
bénéfice de leur comportement illégal (Guiso-Gallisay c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 94, 22 décembre 2009). 67. Cette
expropriation de fait a été arbitraire et donc « illégale »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Cette conclusion rend superflu lexamen des autres exigences
de cette disposition. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. Mocanu
et autres c. République de Moldova du 26 juin 2018 requête n°
8141/07 Article 1 du
Protocole 1 : Expropriation de fait non protégé par les
juridictions. 25. Les
requérants soutiennent que la procédure légale dexpropriation
na pas été respectée en lespèce. Ils affirment
notamment ne pas avoir reçu un juste et préalable
dédommagement, ce qui serait contraire à la Constitution et aux
lois applicables en la matière. 26.
Le Gouvernement avance que les requérants ont été privés de
leurs biens dans les conditions prévues par la loi et pour une
cause dutilité publique. Il soutient notamment que la base
légale de lexpropriation litigieuse reposait sur larticle
46 § 2 de la Constitution ainsi que sur les dispositions de la
loi sur lexpropriation. De plus, il affirme quen lespèce
lÉtat a ménagé un juste équilibre entre les différents
intérêts en jeu et argue que les requérants, en refusant à
plusieurs reprises les offres de dédommagement, ont rendu
difficiles les négociations avec lexpropriant. 27.
La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention,
aux trois normes distinctes que cette disposition contient et aux
conditions quune mesure dexpropriation doit remplir (voir,
parmi beaucoup dautres, Vistin et Perepjolkins c.
Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 93-94, 25 octobre
2012). 28.
Dans la présente affaire, elle note que les parties saccordent
à dire quil y a eu privation de propriété au sens de la
deuxième phrase du premier alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1. 29.
Elle rappelle que cet article exige, avant tout et surtout, quune
ingérence de lautorité publique dans la jouissance du
droit au respect des biens soit légale (voir, parmi beaucoup dautres,
Vergu c. Roumanie, no 8209/06, § 45, 11 janvier 2011,
et Vistin et Perepjolkins, précité, §§ 95-97). Elle
redit en outre que la pratique de lexpropriation de fait
permet à ladministration doccuper un bien immobilier
et den transformer irréversiblement la destination, de
telle sorte quil soit finalement considéré comme acquis
au patrimoine public sans quil y ait eu le moindre acte
formel et déclaratoire du transfert de propriété (mutatis
mutandis Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, § 93, 17 mai 2005, et
Sarica et Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 43, 27 mai 2010).
Elle a déjà jugé que ce procédé permettant à ladministration
de passer outre les règles de lexpropriation formelle
expose les justiciables au risque dun résultat
imprévisible et arbitraire, quil nest pas apte à
assurer un degré suffisant de sécurité juridique et quil
ne saurait constituer une alternative à une expropriation en
bonne et due forme (voir, par exemple, Guiso-Gallisay c. Italie,
no 58858/00, §§ 87-89, 8
décembre 2005, et Halil Göçmen c. Turquie, no 24883/07, § 32, 12 novembre
2013). 30.
En lespèce, la Cour observe que les requérants ont perdu
la maîtrise de leurs terrains à partir du moment où lÉtat
a occupé puis transformé de manière définitive ces terrains.
Elle ne saurait accueillir largument du Gouvernement selon
lequel loccupation litigieuse a été effectuée dans les
conditions prévues par la loi. Force est pour elle de constater
que, dans la présente affaire, les différentes étapes dune
expropriation formelle, établies par la loi sur lexpropriation
(paragraphe 20 ci-dessus), nont pas été respectées. En
particulier, elle relève labsence en lespèce dune
déclaration dutilité publique, destinée à mettre en
mouvement la procédure dexpropriation en bonne et due
forme. Elle prête une attention particulière au fait que les
autorités moldaves ont elles-mêmes reconnu quune
expropriation régie par la loi sur lexpropriation navait
pas été mise en uvre en lespèce (paragraphe 10 ci-dessus)
(comparer avec Sharxhi et autres c. Albanie, no 10613/16, §§ 169-174, 11
janvier 2018). 31.
En parallèle, la Cour observe que, selon les dispositions du
droit interne (paragraphes 18-20 ci-dessus), il ne peut y avoir dexpropriation
sans un juste et préalable dédommagement et que, en cas de
désaccord entre lexproprié et lexpropriant quant
aux modalités dexpropriation ce qui était le cas
en lespèce , le transfert du droit de propriété ne
peut seffectuer quen vertu dune décision de
justice passée en force de chose jugée. Or, elle constate que,
dans la présente affaire, lÉtat sest approprié les
terrains des requérants sans leur verser au préalable des
indemnités à ce titre et sans éventuellement recourir à un
juge. 32.
La Cour note également que les juridictions moldaves ont
entériné la pratique de lexpropriation de fait en jugeant
que les requérants avaient été privés de leurs biens pour une
cause dutilité publique. 33.
Elle relève enfin que, pour ce qui est des deux premiers
requérants, lacte formel de transfert de propriété na
été conclu quau bout de trois ans doccupation par lÉtat
des terrains litigieux (paragraphe 17 ci-dessus). Quant au
troisième requérant, elle constate que le transfert de
propriété na pas encore été acté et que, à ce jour,
il na reçu aucune indemnisation ou terrain en échange.
Dès lors, elle estime que la situation des requérants ne
saurait être considérée comme « prévisible » et comme
répondant à lexigence de « sécurité juridique » (comparer
avec Burghelea c. Roumanie, no 26985/03, § 39, 27 janvier 2009,
Rolim Comercial, S.A. c. Portugal, no 16153/09, § 67, 16 avril 2013).
De plus, elle considère que la situation en cause a permis à ladministration
de tirer parti dune occupation illégale des terrains au
détriment des requérants. 34.
À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que lingérence
litigieuse nétait pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit des
requérants au respect de leurs biens. Une telle conclusion la
dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
individuels 35.
Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention. MESSANA
c. ITALIE du 9 février 2017 requête 26128/04 Violation de l'article
1 du Protocole 1, l'État Italien construit sur le terrain des
requérants sans les exproprier, ils ont eu une indemnité
ridicule devant les juridictions italiennes. Le gouvernement
propose une transaction devant ÉCHEC
DE LA NÉGOCIATION PAR LES REQUÉRANTS 21.
Après léchec des tentatives de règlement amiable, le 16
décembre 2015, le Gouvernement a informé la Cour quil a
formulé une déclaration unilatérale afin de résoudre la
question soulevée par la requête. Il a invité la Cour à rayer
celle-ci du rôle en application de larticle 37 de la
Convention en contrepartie du versement dune somme globale
(236 777 EUR), couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi
que les frais et dépens et de la reconnaissance de la violation
du droit au respect des biens au sens de larticle 1 du
Protocole no 1 et de larticle 6 § 1 de la Convention. 22.
Le 15 janvier 2016, les requérants ont déclaré quils nétaient
pas satisfaits des termes de la déclaration unilatérale compte
tenu du montant offert. 23.
La Cour a affirmé que, dans certaines circonstances, il peut
être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de larticle
37 § 1 c) de la Convention sur la base dune déclaration
unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant
souhaite que lexamen de laffaire se poursuive. Ce
seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui
permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre
une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des
droits de lhomme garantis par la Convention nexige
pas quelle poursuive lexamen de laffaire au
sens de larticle 37 § 1 in fine (voir, parmi dautres,
Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003-VI; Melnic
c. Moldova, no 6923/03, § 14, 14 novembre
2006). 24.
Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figure,
entre autres, si dans sa déclaration unilatérale le
Gouvernement défendeur formule lune ou lautre
concession en ce qui concerne les allégations de violations de
la Convention et, dans cette hypothèse, quelles sont lampleur
de ces concessions et les modalités du redressement quil
entend fournir au requérant. Quant à ce dernier point, dans les
cas où il est possible deffacer les conséquences dune
violation alléguée (par exemple dans certaines affaires de
propriété) et où le Gouvernement défendeur se déclare
disposé à le faire, le redressement envisagé a davantage de
chances dêtre tenu pour adéquat aux fins dune
radiation de la requête (voir Tahsin Acar, précité, § 76). 25.
Quant au point de savoir sil serait opportun de rayer la
présente requête sur la base de la déclaration unilatérale du
Gouvernement, la Cour relève que le montant du dédommagement
offert est insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle
dans des affaires similaires en matière dexpropriation
indirecte (voir Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction
équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009 ; Rivera
et di Bonaventura c. Italie, no 63869/00, 14 juin 2011 ; De
Caterina et autres c. Italie, no 65278/01, 28 juin 2011 ; Macrì
et autres c. Italie, no 14130/02, 12 juillet 2011). 26.
Dans ces conditions, la Cour considère que la déclaration
unilatérale litigieuse ne constitue pas une base suffisante pour
conclure que le respect des droits de lhomme garantis par
la Convention nexige pas la poursuite de lexamen de
la requête. 27.
En conclusion, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant
à la radiation de la requête du rôle en vertu de larticle
37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre lexamen
de laffaire sur la recevabilité et le fond. ARTICLE
1 DU PROTOCOLE 1 a)
Sur lexistence dune ingérence 35.
La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir,
parmi beaucoup dautres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23
septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no
31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare
Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004 V,
et Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012). 36.
La Cour constate que les parties saccordent pour dire quil
y a eu une « privation » de propriété au sens de la deuxième
phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. 37.
La Cour doit donc rechercher si la privation dénoncée se
justifie sous langle de cette disposition. b)
Sur le respect du principe de légalité 38.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige,
avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit
légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article nautorise
une privation de propriété que « dans les conditions prévues
par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit
de réglementer lusage des biens en mettant en vigueur des
« lois ». De plus, la prééminence du droit, lun des
principes fondamentaux dune société démocratique, est
inhérente à lensemble des articles de la Convention (Amuur
c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et
décisions 1996-III, Iatridis c. Grèce [GC], précité, § 58). 39.
La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière dexpropriation
indirecte (voir, parmi dautres, Belvedere Alberghiera S.r.l.
c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino
c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, et Velocci
c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour une
récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa
jurisprudence dans la matière, notamment en ce qui concerne la
question du respect du principe de légalité dans cette
typologie daffaires. 40.
Dans la présente affaire, la Cour relève quen appliquant
le principe de lexpropriation indirecte, les juridictions
internes ont considéré les requérants privés de leur bien à
compter de la date de la cessation de la période doccupation
légitime. Or, en labsence dun acte formel dexpropriation,
la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée
comme « prévisible », puisque ce nest que par la
décision judiciaire définitive que lon peut considérer
le principe de lexpropriation indirecte comme ayant
effectivement été appliqué et que lacquisition du
terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par
conséquent, les requérants nont eu la sécurité
juridique concernant la privation du terrain quau plus tôt
le 12 janvier 2004, date à laquelle le jugement de la cour dappel
de Palerme est devenu définitif. 41.
La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à ladministration
de tirer parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme. 42.
À la lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit au respect
des biens des requérants. 43.
Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. ARTICLE
41 53.
La Cour rappelle que dans laffaire Guiso-Gallisay c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], précité, la Grande Chambre a
modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères dindemnisation
dans les affaires dexpropriation indirecte en établissant
que lindemnisation à octroyer doit correspondre à la
valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la
propriété, telle quétablie par lexpertise
ordonnée par la juridiction compétente au cours de la
procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme
éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit
être actualisé pour compenser les effets de linflation et
assorti dintérêts susceptibles de compenser, au moins en
partie, le long laps de temps qui sest écoulé depuis la
dépossession des terrains. Enfin, il y a lieu de dévaluer
la perte de chances éventuellement subie par les intéressés. 54.
En lespèce, daprès les juridictions nationales, les
requérants ont perdu la propriété de leur terrain le 18 juin
1986. Il ressort de larrêt de la cour dappel de
Palerme que la valeur du terrain à cette date était de 45,45
EUR le mètre carré, soit 167 710,50 EUR au total (paragraphe 13
ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime
raisonnable daccorder aux requérants, conjointement, 323
800 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre dimpôt
sur cette somme. 55.
Quant à la perte de chance subie à la suite de lexpropriation,
la Cour juge quil y a lieu de prendre en considération le
préjudice découlant de lindisponibilité du terrain
pendant la période allant du début de loccupation
légitime (16 juillet 1980) jusquau moment de la perte de
propriété (18 juin 1986). Du montant ainsi calculé sera
déduit la somme déjà obtenue par les requérantes au niveau
interne à titre dindemnité doccupation. La Cour
estime raisonnable daccorder aux requérants, conjointement,
2 500 EUR. Papamichalopoulos
et autres C. Grèce du 24 juin 1993, requête 14556/89 41. Loccupation des terrains litigieux par
le Fonds de la marine nationale a représenté une ingérence
manifeste dans la jouissance du droit des requérants au respect
de leurs biens. Elle ne relevait pas de la réglementation de lusage
de biens, au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (P1-1). Dautre part,
les intéressés nont pas subi dexpropriation
formelle: la loi no 109/1967 na
pas transféré la propriété desdits terrains au Fonds de la
marine nationale. 42. La Convention visant à protéger des droits
"concrets et effectifs", il importe de déterminer si
la situation incriminée néquivalait pas néanmoins à une
expropriation de fait, comme le prétendent les requérants (voir,
entre autres, larrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23
septembre 1982, série A no 52, p. 24,
par. 63). 45. La Cour
estime que la perte de toute disponibilité des terrains en cause,
combinée avec léchec des tentatives menées jusquici
pour remédier à la situation incriminée, a engendré des
conséquences assez graves pour que les intéressés aient subi
une expropriation de fait incompatible avec leur droit au respect
de leurs biens.) Satka
et autres contre Grèce du 27 mars 2003 Hudoc 4229 requête 55828/00 "§48:
Ainsi les requérants, puisque propriétaires de leurs terrains,
se trouvent depuis 1991 année de la restitution de ceux-ci par l'armée,
dans l'impossibilité d'exploiter leurs biens, car il est de
notoriété publique que ceux-ci passeront dans l'avenir sous le
contrôle de l'Etat. §49: Il en est
résulté que les requérants ont eu à supporter et supportent
encore une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste
équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt
général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect des
biens. §50 : Il y a
donc violation de l'article 1 du Protocole n°1" CHIRO
CONTRE ITALIE DU 11 OCTOBRE 2005 Requête N° 63630/00 L'expropriation
indirecte soit utiliser et transformer un bien immobilier au seul
profit de l'administration est interdit 70. Larticle
1 du Protocole no 1 exige, avant tout et
surtout, quune ingérence de lautorité publique dans
la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La
prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune
société démocratique, est inhérente à lensemble des
articles de la Convention (Iatridis précité, § 58). Le
principe de légalité signifie lexistence de normes de
droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles
(Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no
296-A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni,
arrêt du 8 juillet 1986, série A no
102, p. 47, § 110). 71. Dans larrêt Belvedere
Alberghiera srl et dans larrêt Carbonara et Ventura
précités, la Cour navait pas estimé utile de juger in
abstracto si le rôle quun principe jurisprudentiel, tel
que celui de lexpropriation indirecte, occupe dans un
système de droit continental est assimilable à celui occupé
par des dispositions législatives, ce qui compte étant
en tout état de cause que la base légale réponde aux
critères de prévisibilité, accessibilité et précision
énoncés plus haut. La Cour est toujours convaincue que lexistence
en tant que telle dune base légale ne suffit pas à
satisfaire au principe de légalité et estime utile de se
pencher sur la question de la qualité de la loi. 72. La Cour prend note de lévolution
jurisprudentielle qui a conduit à lélaboration du
principe de lexpropriation indirecte. Elle relève
également que ce principe a été transposé dans des textes de
loi, tels que la loi no 458 de 1988, la
loi no 662 de 1996 et, tout
dernièrement, dans le Répertoire des dispositions en matière dexpropriation.
Ceci étant, la Cour ne perd pas de vue les applications
contradictoires qui ont lieu dans lhistorique de la
jurisprudence. Ce point de vue a dailleurs été adopté
par le Conseil dEtat (paragraphe 43 ci-dessus) qui, dans
son arrêt no 2 de 2005 rendu en
séance plénière, a reconnu que lexpropriation indirecte
na jamais donné lieu à une réglementation stable,
complète et prévisible. 73. La Cour relève également des
contradictions entre la jurisprudence et les textes de loi
écrits susmentionnés. A titre dexemple, la Cour note que
sil est vrai que la jurisprudence a exclu, à compter de
1996-1997, que lexpropriation indirecte puisse sappliquer
lorsque la déclaration dutilité publique a été annulée,
il est également vrai que le Répertoire a tout dernièrement
prévu quen labsence de déclaration dutilité
publique, tout terrain peut être acquis au patrimoine public, si
le juge décide de ne pas ordonner la restitution du terrain
occupé et transformé par ladministration. 74. A vu de ces éléments, la Cour nexclut
pas que le risque dun résultat imprévisible ou arbitraire
pour les intéressés subsiste. 75. La Cour note ensuite que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet en général
à ladministration de passer outre les règles fixées en
matière dexpropriation, avec le risque dun résultat
imprévisible ou arbitraire pour les intéressés, quil sagisse
dune illégalité depuis le début ou dune
illégalité survenue par la suite. En effet, dans tous les cas,
lexpropriation indirecte tend à entériner une situation
de fait découlant des illégalités commises par ladministration,
à régler les conséquences pour le particulier et pour ladministration,
au bénéfice de celle-ci. Que ce soit en vertu dun
principe jurisprudentiel ou dun texte de loi comme larticle
43 du Répertoire, lexpropriation indirecte ne saurait donc
constituer une alternative à une expropriation en bonne et due
forme (voir, sur ce point également, lopinion du Conseil dEtat,
au paragraphe 43 ci-dessus). 76. A cet égard, la Cour note que lexpropriation
indirecte permet à ladministration doccuper un
terrain et de le transformer irréversiblement, de telle sorte quil
soit considéré comme acquis au patrimoine public, sans quen
parallèle un acte formel déclarant le transfert de propriété
ne soit adopté. En labsence dun acte formalisant lexpropriation
et intervenant au plus tard au moment où le propriétaire a
perdu toute disponibilité du bien, lélément qui
permettra de transférer au patrimoine public le bien occupé et
datteindre une sécurité juridique est le constat dillégalité
de la part du juge, valant déclaration de transfert de
propriété. Il incombe à lintéressé -qui continue dêtre
formellement propriétaire - de solliciter du juge compétent une
décision constatant, le cas échéant, lillégalité
assortie de la réalisation dun ouvrage dintérêt
public, conditions nécessaires pour quil soit déclaré
rétroactivement privé de son bien. 77. Au vu de ces éléments, la Cour
estime que le mécanisme de lexpropriation indirecte nest
pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique. 78. La Cour note ensuite que lexpropriation
indirecte permet en outre à ladministration doccuper
un terrain et de le transformer sans pour autant verser dindemnité
en même temps. Lindemnité doit être réclamée par lintéressé
et cela dans un délai de prescription de cinq ans, commençant
à compter de la date à laquelle le juge estime que la
transformation irréversible du terrain a eu lieu. Ceci peut
entraîner des conséquences néfastes pour lintéressé,
et rendre vain tout espoir de réparation (Carbonara et Ventura,
précité, § 71). 79. La Cour relève enfin que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet à ladministration
de tirer parti de son comportement illégal, et que le prix à
payer nest que de 10% plus élevé que dans le cas dune
expropriation en bonne et due forme. Selon la Cour, cette
situation nest pas de nature à favoriser la bonne
administration des procédures dexpropriation et à
prévenir des épisodes dillégalité. 80. En tout état de cause, la Cour
est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne
est interprété et appliqué produit des effets conformes aux
principes de la Convention. 81. Dans la présente affaire, la Cour
relève quen appliquant le principe de lexpropriation
indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les
requérants privés de leur bien à compter du moment où les
travaux de construction de la route ont irréversiblement
transformé les lieux, les conditions dillégalité de loccupation
et dintérêt public de louvrage construit étant
réunies. Or, en labsence dun acte formel dexpropriation,
la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée
comme « prévisible », puisque ce nest que par
la décision définitive le jugement du tribunal de Lucera
ayant acquis force de chose jugée que lon peut
considérer le principe de lexpropriation indirecte comme
ayant effectivement été appliqué et que lacquisition
du terrain au patrimoine public a été sanctionnée. Par
conséquent, les requérants nont eu la « sécurité
juridique » concernant la privation du terrain quà
partir de janvier 2003, date à laquelle le jugement du tribunal
de Lucera est devenu définitif. 82. La Cour observe ensuite que la
situation en cause a permis à ladministration de tirer
parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme, et, entre autres, sans quune indemnité soit
mise en parallèle à la disposition des intéressés. 83. Sagissant de lindemnité,
la Cour constate que lapplication rétroactive de la loi
budgétaire no 662 de 1996 au cas despèce
a eu pour effet de priver les requérants dune réparation
intégrale du préjudice subi. 84. A la
lumière de ces considérations, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas compatible avec le principe de
légalité et quelle a donc enfreint le droit au respect
des biens des requérants. 85. Dès lors,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1. OZBEK
CONTRE TURQUIE DU 27 MAI 2010 REQUETE N° 25327/04 34. Sagissant
en lespèce de largument du Gouvernement relatif à lapplication
du droit national, en particulier la manière dont les
juridictions nationales doivent appliquer les articles 993 à 995
du code civil, la Cour réaffirme quil ne lui appartient
pas de se substituer aux juridictions internes. Cest au
premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et
aux tribunaux, quil incombe dinterpréter la
législation interne (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne,
19 février 1998, § 33, Recueil des arrêts et décisions
1998-I, et Yagtzilar et autres c. Grèce, n 41727/98, § 25,
CEDH 2001-XII). Dans la présente affaire, le rôle de la Cour se
limite donc à vérifier la compatibilité avec la Convention et
ses Protocoles de la demande du requérant visant à lobtention
dune indemnité à raison de loccupation de son
terrain par lÉtat. 35. La
Cour observe quil nest pas contesté par les parties
que le terrain appartenant au requérant a été occupé par larmée,
classé zone militaire et entouré de fils de fer barbelés, du
moins pour la période du 6 mars 1997 au 7 août 2001, date
à laquelle les barbelés ont été enlevés, même si, pour le
requérant, la date de fin doccupation de son terrain est
plus tardive et correspond à celle à laquelle il a été
informé par larmée du retrait des barbelés (paragraphe
18 ci-dessus). Se plaignant de loccupation illicite de son
terrain, le requérant a introduit une action en dommages et
intérêts devant la juridiction interne compétente. La Cour
estime que le requérant a souffert de la mainmise de larmée
sur son terrain et note quil na obtenu aucune
compensation de la part de lÉtat pour ce préjudice. 36. Ces
éléments suffisent à la Cour pour conclure que loccupation
illicite par larmée, même limitée dans le temps, du
terrain appartenant au requérant a porté atteinte au droit de lintéressé
au respect de ses biens. Ensuite, sagissant
de largument du Gouvernement selon lequel la situation du
requérant, installé à létranger, lempêchait de
mener une activité de culture sur son terrain classé terrain
agricole, la Cour estime que le fait de résider à létranger
nest pas en soi un obstacle à lexploitation agricole
par son propriétaire dun terrain situé en Turquie. Elle nest
dès lors pas convaincue par la pertinence de cet argument. 37. En
conséquence, elle conclut que labsence de toute
indemnisation en contrepartie de loccupation illicite du
terrain du requérant par larmée a rompu, en la défaveur
de celui-ci, le juste équilibre à ménager entre la protection
de la propriété et les exigences de lintérêt général. GIACOBBE
ET AUTRES c. ITALIE Requête no 16041/02
du 15 décembre 2005 La construction
sur un terrain sans l'exproprier n'est pas compatible avec la
convention 89. Larticle 1 du Protocole no
1 exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale. La prééminence du droit, lun des principes
fondamentaux dune société démocratique, est inhérente
à lensemble des articles de la Convention (Iatridis
précité, § 58). Le principe de légalité signifie lexistence
de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et
prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994,
série A no 296 - A, pp.
19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du
8 juillet 1986, série A no 102, p.
47, § 110). 90. Dans les arrêts Belvedere
Alberghiera srl et Carbonara et Ventura précités, la Cour navait
pas estimé utile de juger in abstracto si le rôle quun
principe jurisprudentiel, tel que celui de lexpropriation
indirecte, occupe dans un système de droit continental est
assimilable à celui occupé par des dispositions législatives,
ce qui compte étant en tout état de causeque la
base légale réponde aux critères de prévisibilité,
accessibilité et précision énoncés plus haut. La Cour est
toujours convaincue que lexistence en tant que telle dune
base légale ne suffit pas à satisfaire au principe de
légalité et estime utile de se pencher sur la question de la
qualité de la loi. 91. La Cour prend note de lévolution
jurisprudentielle qui a conduit à lélaboration du
principe de lexpropriation indirecte. Elle relève
également que ce principe a été transposé dans des textes de
loi, tels que la loi no 458 de 1988, la
loi no 662 de 1996 et, tout
dernièrement, dans le Répertoire des dispositions en matière dexpropriation.
Ceci étant, la Cour ne perd pas de vue les applications
contradictoires qui ont lieu dans lhistorique de la
jurisprudence. Ce point de vue a dailleurs été adopté
par le Conseil dEtat (paragraphe 53 ci-dessus) qui, dans
son arrêt no 2 de 2005 rendu en
séance plénière, a reconnu que le principe jurisprudentiel de
lexpropriation indirecte na jamais donné lieu à une
réglementation stable, complète et prévisible. 92. La Cour relève également des
contradictions entre la jurisprudence et les textes de loi
susmentionnés. A titre dexemple, elle note que sil
est vrai que la jurisprudence a exclu, à compter de 1996-1997,
que lexpropriation indirecte puisse sappliquer
lorsque la déclaration dutilité publique a été annulée,
il est également vrai que le Répertoire a tout dernièrement
prévu quen labsence de déclaration dutilité
publique, tout terrain peut être acquis au patrimoine public, si
le juge décide de ne pas ordonner la restitution du terrain
occupé et transformé par ladministration. 93. A vu de ces éléments, la Cour nexclut
pas que le risque dun résultat imprévisible ou arbitraire
pour les intéressés subsiste. 94. La Cour note ensuite que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet en général
à ladministration de passer outre les règles fixées en
matière dexpropriation, avec le risque dun résultat
imprévisible ou arbitraire pour les intéressés, quil sagisse
dune illégalité depuis le début ou dune
illégalité survenue par la suite. En effet, dans tous les cas,
lexpropriation indirecte vise à entériner une situation
de fait découlant des illégalités commises par ladministration,
à régler les conséquences pour le particulier et pour ladministration,
au bénéfice de celle-ci. Que ce soit en vertu dun
principe jurisprudentiel ou dun texte de loi comme larticle
43 du Répertoire, lexpropriation indirecte ne saurait donc
constituer une alternative à une expropriation en bonne et due
forme (voir, sur ce point également, la position du Conseil dEtat,
au paragraphe 53 ci-dessus). 95. A cet égard, la Cour note que lexpropriation
indirecte permet à ladministration doccuper un
terrain et de le transformer irréversiblement, de telle sorte quil
soit considéré comme acquis au patrimoine public, sans quen
parallèle un acte formel déclarant le transfert de propriété
ne soit adopté. En labsence dun acte formalisant lexpropriation
et intervenant au plus tard au moment où le propriétaire a
perdu toute maîtrise du bien, lélément qui permettra de
transférer au patrimoine public le bien occupé et datteindre
une sécurité juridique est le constat dillégalité de la
part du juge, valant déclaration de transfert de propriété. Il
incombe à lintéressé -qui continue dêtre
formellement propriétaire - de solliciter du juge compétent une
décision constatant, le cas échéant, lillégalité
assortie de la réalisation dun ouvrage dintérêt
public, conditions nécessaires pour quil soit déclaré
rétroactivement privé de son bien. 96. Au vu de ces éléments, la Cour
estime que le mécanisme de lexpropriation indirecte nest
pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique. 97. La Cour note ensuite que lexpropriation
indirecte permet en outre à ladministration doccuper
un terrain et de le transformer sans pour autant verser dindemnité
en même temps. Lindemnité doit être réclamée par lintéressé
et cela dans un délai de prescription de cinq ans, commençant
à compter de la date à laquelle le juge estime que la
transformation irréversible du terrain a eu lieu. Ceci peut
entraîner des conséquences néfastes pour lintéressé,
et rendre vain tout espoir de réparation (Carbonara et Ventura,
précité, § 71). 98. La Cour relève enfin que le
mécanisme de lexpropriation indirecte permet à ladministration
de tirer parti de son comportement illégal, et que le prix à
payer nest que de 10% plus élevé que dans le cas dune
expropriation en bonne et due forme. Selon la Cour, cette
situation nest pas de nature à favoriser la bonne
administration des procédures dexpropriation et à
prévenir des épisodes dillégalité. 99. En tout état de cause, la Cour
est appelée à vérifier si la manière dont le droit interne
est interprété et appliqué produit des effets conformes aux
principes de la Convention. 100. Dans la présente affaire, la
Cour relève quen appliquant le principe de lexpropriation
indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les
requérants privés de leur bien à compter du moment où loccupation
avait cessé dêtre autorisée, les conditions dillégalité
de loccupation et dintérêt public de louvrage
construit étant réunies. Or, en labsence dun acte
formel dexpropriation, la Cour estime que cette situation
ne saurait être considérée comme « prévisible »,
puisque ce nest que par la décision définitive larrêt
de la cour dappel ayant acquis force de chose jugée
que lon peut considérer le principe de lexpropriation
indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que lacquisition
du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par
conséquent, les requérants nont eu la « sécurité
juridique » concernant la privation du terrain que le 20 octobre 2001,
date à laquelle larrêt de la cour dappel de Catane
est devenu définitif. 101. La Cour observe ensuite que la
situation en cause a permis à ladministration de tirer
parti dune occupation de terrain illégale. En dautres
termes, ladministration a pu sapproprier le terrain
au mépris des règles régissant lexpropriation en bonne
et due forme, et, entre autres, sans quune indemnité soit
mise en parallèle à la disposition des intéressés. 102. Sagissant de lindemnité,
la Cour constate que lapplication rétroactive du délai de
prescription de cinq ans au cas despèce a eu pour effet de
priver les requérants de toute réparation du préjudice subi. 103. A la lumière de ces
considérations, la Cour estime que lingérence litigieuse
nest pas compatible avec le principe de légalité et quelle
a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants. 104. Dès lors, il y a eu violation de
larticle 1 du Protocole no 1. POTOMSKA
ET POTOMSKI C. POLOGNE 29 MARS 2011 requête 33949/05 L'interdiction de construire pour préserver un
ancien cimetière sans exproprier ou sans proposer un terrain de
remplacement est une charge excessive pour une famille. Les faits Les requérants,
Zygmunt Potomski et son épouse Zofia Potomska, sont deux
ressortissants polonais nés en 1937 et 1939 respectivement et
résidant à Darlowo (Pologne). En novembre
1974, à Rusko, le couple acheta à lEtat un terrain
classé dans la catégorie des terres agricoles. Ils souhaitaient
y construire une maison et un atelier. En mai 1987, linspecteur
régional des monuments historiques de Koszalin décida dinscrire
le terrain sur le registre des monuments historiques, au motif quil
avait accueilli un cimetière juif à partir du début du 19e
siècle et était lun des rares vestiges de la culture
juive dans la région. En conséquence, et conformément à la
loi de 1962 sur la protection du patrimoine culturel, le couple
était soumis à lobligation de préserver le terrain et à
linterdiction dy faire de quelconques travaux ou den
aménager fût-ce une partie, sauf obtention préalable dun
permis à cet effet. En 1992, 2001
et 2003, linspecteur régional forma des demandes dexpropriation
du terrain. Les deux premières démarches échouèrent. Après
la dernière demande, le maire de la localité déclara quil
ne disposait pas des fonds nécessaires pour indemniser le couple
et que dès lors il ne pouvait pas engager de procédure dexpropriation.
Pareille procédure ne pouvait être entamée que si linspecteur
lui-même parvenait à obtenir les ressources permettant de
couvrir lindemnité dexpropriation. Entre-temps, en
1995, les requérants avaient demandé quon leur attribuât
un autre terrain, mais en vain. En 2002, ils firent à nouveau
savoir quils étaient prêts à accepter un règlement du
litige passant par un échange de terrains. En 2003, les
autorités leur firent deux offres distinctes, mais le couple
refusa les terrains proposés constitués de champs et de
marécages au motif quils ne correspondaient pas à
la valeur du terrain possédé. Plus récemment,
en octobre 2005, le couple apprit que, les autorités ayant
refusé daccorder les fonds nécessaires au rachat de leur
terrain, il nétait pas possible à ce stade de résoudre
le litige. Article 1 du
Protocole no1 Le gouvernement
polonais admet quil y a eu ingérence dans les droits de
propriété des requérants, et les parties saccordent à
dire que cette ingérence était prévue par la loi, plus
précisément la loi de 1962 sur la protection du patrimoine
culturel, et poursuivait le but légitime consistant à protéger
le patrimoine culturel polonais. La Cour estime
que la mesure la mieux adaptée pour faire contrepoids à cette
ingérence aurait consisté à exproprier et indemniser les
requérants ou à leur proposer un terrain convenable en lieu et
place du leur. Or, toutes les
démarches entreprises pour obtenir lexpropriation ont
échoué, labsence de fonds ayant figuré parmi les motifs
invoqués. La Cour rappelle que labsence de fonds ne
saurait justifier le manquement des autorités à remédier à la
situation. De plus, le couple requérant navait aucun moyen
dobliger les autorités à racheter leur terrain, le droit
interne ne prévoyant aucune procédure qui leur eût permis de
porter leur cause devant un organe judiciaire. La seule
possibilité qui soffrait à eux consistait à demander le
déclenchement dune procédure dexpropriation et à
compter sur le pouvoir discrétionnaire des autorités. Par ailleurs,
il nexistait aucun mécanisme procédural permettant de
régler un litige portant comme dans la cause des
requérants sur les qualités du terrain proposé en
échange. Lon ne saurait reprocher aux requérants davoir
refusé les deux offres qui leur ont été faites, car celles-ci
ne garantissaient pas une protection suffisante de leurs
intérêts. Du reste, le droit interne ne les obligeait pas à
accepter un autre terrain, même à supposer que celui-ci
correspondît à la valeur du terrain original. En outre, la
Cour observe que létat dincertitude dans lequel sest
trouvé le couple, qui ne pouvait ni aménager son terrain ni se
faire exproprier, a duré pendant un laps de temps considérable.
Dès lors, elle estime que le juste équilibre entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la protection de la propriété a été rompu, et
que le couple requérant a dû supporter une charge excessive, au
mépris de larticle 1 du Protocole no 1. Article 41 (satisfaction
équitable) La Cour dit que
la question de lapplication de larticle 41 ne se
trouve pas en état et réserve sa décision sur ce point. BRANISTE
c. ROUMANIE requête du 5 novembre 2013 n° 19099/04 Les
terrains nationalisés en Roumanie sont rendue mais la
construction de deux coopérative empêchent les requérants d'en
prendre possession d'une partie. 6. Par
un arrêt définitif du 17 juin 2002, le tribunal départemental
de Mure? condamna les autorités départementales à octroyer au
requérant et à ses frères et surs un titre de
propriété sur un terrain de 8 700 m2 situé dans la
ville de Sighisoara et qui avait appartenu, avant sa
nationalisation, à leurs aïeuls. Le 2 octobre 2003, le
titre de propriété fut délivré. 7. Le
requérant et les autres propriétaires furent empêchés de
prendre possession de leur bien en raison de lexistence,
sur une partie du terrain, de plusieurs constructions appartenant
à deux sociétés coopératives : Prestarea Sighisoara (« la
société P. ») et Sinco Sighisoara (« la société S. »).
Ces constructions avaient été érigées avant loctroi du
titre de propriété sur la base dun droit dusage
gratuit au profit des sociétés coopératives. 33. Le
requérant considère quil aurait dû jouir de tous les
attributs du droit de propriété reconnus par le titre de
propriété. 34. Le
Gouvernement soutient que le requérant était responsable de la
situation créée au motif quil aurait revendiqué auprès
des autorités locales la restitution du terrain ayant appartenu
à ses aïeuls, sur lemplacement dorigine, tout en
sachant quune partie de ce terrain était occupée par les
bâtiments de deux sociétés coopératives. 35. En
tout état de cause, il estime que lingérence dans lexercice
par le requérant de son droit de propriété était légale et
quelle préservait un juste équilibre entre les exigences
de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lintéressé. 36. La
Cour constate que le droit de propriété sur le terrain
litigieux, tel que reconnu par le titre de propriété du 2
octobre 2003, était absolu et exclusif, et quil ne pouvait
faire lobjet daucun démembrement ou condition (voir,
mutatis mutandis, Moculescu, précité, § 28). Cependant,
le requérant a été privé de la possibilité de jouir de son
bien ou den recueillir les fruits, en application de la loi
no 109/1996 qui avait établi un droit de superficie gratuit en
faveur des sociétés coopératives. 37. Il
y a donc eu ingérence dans lexercice par le requérant de
son droit au respect de ses biens. 38. La
Cour ne doute pas que la reconnaissance en faveur des sociétés
coopératives du droit de superficie avait une base légale en
droit interne, à savoir la loi no 109/1996 et quelle
poursuivait un but dintérêt général, à savoir, le
maintien des activités économiques et des services fournis par
ces sociétés. 39. Cela
étant, la Cour se doit de rechercher, à la lumière du
principe général du respect de la propriété consacré par la
première phrase du premier alinéa de larticle 1
précité, si les autorités roumaines ont ménagé un juste
équilibre entre les exigences de lintérêt général
de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu (voir, mutatis mutandis, parmi
beaucoup dautres, Sporrong et Lönnroth c. Suède,
arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26,
§ 69). 40. A
cet égard, la Cour constate que la législation interne excluait
complètement toute possibilité de mise en balance des
intérêts de la communauté et ceux des propriétaires dont les
terrains étaient occupés par des locaux appartenant à des
sociétés coopératives (voir, mutatis mutandis, Moculescu,
précité, § 34). 41. La
pleine jouissance du droit de propriété du requérant sur son terrain
ayant été entravée pendant loccupation des locaux par
les sociétés coopératives, la Cour estime que la
situation ainsi créée a rompu le juste équilibre devant
régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les
exigences de lintérêt général (voir, mutatis
mutandis, Moculescu, précité, § 35). 42. Par
ailleurs, la Cour estime quil ne saurait être reproché au
requérant davoir réclamé la restitution sur le même
emplacement du terrain ayant appartenu à ses aïeuls, comme laffirme
le Gouvernement, dès lors que sa demande était fondée sur les
dispositions de la loi no 18/1991 et que les juridictions
internes lont bel et bien accueillie. 43. Par
conséquent, la Cour conclut que le requérant a supporté, avant
lentrée en vigueur de la loi no 1/2005, une charge
spéciale et excessive que seule aurait pu rendre légitime la
possibilité de réclamer une réparation. 44. Dès
lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. HÜSEYIN KAPLAN C TURQUIE du 1er octobre
2013 Requête 24508/09 L'édification
dun établissement denseignement technique et
professionnel sur le terrain du requérant sans l'exproprier est
une violation de la Convention. 34. Le
requérant soutient que la situation dénoncée a emporté
violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il allègue subir une ingérence dans lexercice de son
droit au respect de ses biens depuis 1982, date à laquelle ladministration
aurait décidé daffecter son terrain à un service public.
Pendant toute cette période, son terrain doté du statut
de terrain constructible en 1991 aurait été frappé dune
restriction dusage consistant en une interdiction de
construire ou de planter des arbres, jusquà ce que ladministration
procédât, à une date indéterminée, à son expropriation. Le
requérant se plaint de cette situation dincertitude. Il
reproche aux autorités leur inertie et déplore labsence dindemnisation
pour le sacrifice qui lui serait imposé. Il soutient quil
a perdu de la sorte la pleine jouissance du terrain et que la
situation litigieuse a en outre éliminé toute possibilité
concrète de trouver un acheteur et donc de vendre le terrain.
Compte tenu de la situation dénoncée, il estime quil y a
eu une atteinte disproportionnée à son droit au respect de ses
biens. 35. Le
Gouvernement se borne à réitérer ses exceptions préliminaires
et ne se prononce pas sur le fond de laffaire. 36. Aux
yeux de la Cour, il y a eu ingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens. La Cour note en
effet que, depuis 1982, le terrain du requérant a été affecté
à un service public et que le registre foncier a été annoté
en conséquence. Elle relève quil ressort des éléments
du dossier que ledit terrain, qui avait initialement le statut de
prairie, a acquis le statut de terrain constructible en 1991 (paragraphes
8 et 9 ci-dessus) et quil a été affecté dans le plan durbanisme
à lédification dun établissement denseignement
technique et professionnel. Or plus de vingt ans se sont
écoulés et ladministration na pas même démarré
la construction de lécole ni exproprié le requérant de
son terrain. La Cour estime que la situation décrite a eu
incontestablement pour effet de créer une restriction de la
disponibilité du bien en cause. Reste à savoir si cette
ingérence a enfreint ou non les dispositions de larticle 1
du Protocole no 1. 37. La
Cour observe quil ny a pas eu de privation formelle
de propriété puisque le droit de propriété du requérant est
resté juridiquement intact. Cependant, elle rappelle que, en labsence
dun transfert de propriété, elle doit aussi regarder au-delà
des apparences et analyser la réalité de la situation
litigieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre
1982, § 63, série A no 52, et Van Droogenbroeck c.
Belgique, 24 juin 1982, § 38, série A no 50 ; voir
également, mutatis mutandis, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979,
§ 25, série A no 32). 38. A
cet égard, elle relève que les effets de la situation
litigieuse dénoncés par le requérant découlent tous des
limitations apportées au droit de propriété et des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble ;
ils résultent donc tous de la restriction exercée sur la
faculté de lintéressé de disposer de son bien. Cela
étant, la Cour note que, bien quil ait perdu de sa
substance, le droit en cause na pas disparu. Les effets des
mesures en question ne sont pas tels quon puisse les
assimiler à une privation de propriété. Le requérant na
perdu ni laccès à son terrain ni la maîtrise de celui-ci
et, en principe, la possibilité de vendre son bien, bien que
rendue plus malaisée, a subsisté. Dans ces conditions, la Cour
estime que la seconde phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention ne trouve pas à sappliquer
en lespèce (Scordino c. Italie (no 2), no 36815/97, § 71, 15 juillet 2004,
et Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre
1996, § 85, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 39. En
revanche, elle considère que la situation dénoncée par le
requérant relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1 (Sporrong et Lönnroth, précité, § 65 ; Erkner
et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série A no
117 ; Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117 ;
Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX ;
Scordino (no 2), précité, § 73 ; Köktepe c. Turquie,
no 35785/03, § 85, 22 juillet
2008 ; Hakan Ari c. Turquie, no 13331/07, § 37, 11 janvier 2011,
et Ziya Çevik c. Turquie, no 19145/08, § 36, 21 juin 2011). 40. La
Cour doit donc rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux du requérant (Sporrong et Lönnroth, précité, §
69, et Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). 41. Elle
constate que le terrain nétait plus libre de toute
contrainte depuis son affectation, en 1982, à un service public.
Elle note également quavec le développement urbain il a
perdu son caractère initial de prairie et quil a acquis la
qualité de terrain constructible en 1991 (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). 42. Or
ce terrain, destiné à être exproprié, a été soumis à une
interdiction de construire en vertu dun plan durbanisme
layant affecté à lédification dune école.
Cette interdiction a été maintenue de manière continue (paragraphe
24 ci-dessus). 43. La
Cour rappelle avoir jugé que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les Etats
contractants jouissaient dune large marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69). Dans les circonstances de la cause, elle tient
pour établi que lingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens répondait aux
exigences de lintérêt général. Néanmoins, elle ne
saurait renoncer pour autant à exercer son pouvoir de contrôle. 44. Elle
observe que, durant toute la période concernée, le requérant
est resté dans une incertitude complète quant au sort de sa
propriété. A la date du 20 mars 2013, lintéressé nétait
toujours pas exproprié de son bien. 45. La
Cour estime que cet état des choses a entravé la pleine
jouissance du droit de propriété du requérant, lequel ne peut
ni construire sur un terrain doté du statut de terrain
constructible ni même y planter des arbres. Cette situation a,
de plus, eu des répercussions dommageables en ce quelle a,
entre autres, considérablement affaibli les chances de lintéressé
de vendre son terrain. 46. Enfin,
la Cour constate que le requérant na vu sa perte
compensée par aucune indemnisation. 47. A
la lumière de ces considérations, elle estime que le requérant
a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect de ses biens (Hakan Ari, précité,
§ 47 ; Ziya Çevik, précité, § 47 ; Sporrong
et Lönnroth, précité, §§ 73 et 74 ; Erkner et Hofauer,
précité, §§ 78 et 79 ; Elia, précité, § 83 ;
Rossitto c. Italie, no 7977/03, § 45, 26 mai 2009 ;
Skibinscy c. Pologne, no 52589/99, § 98, 14 novembre
2006 ; Skrzynski c. Pologne, no 38672/02, § 92, 6 septembre
2007 ; Rosinski c. Pologne, no 17373/02, § 89, 17 juillet 2007 ;
Buczkiewicz c. Pologne, no 10446/03, § 77, 26 février
2008, et Pietrzak c. Pologne, no 38185/02, § 115, 8 janvier 2008). 48.
Dès lors, la Cour conclut quil y a eu violation de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention. HALIL
GÖÇMEN c. TURQUIE du 12 novembre 2013 requête n° 24883/07 Le requérant
vit à Thiers en France. Les autorités turques n'arrivant pas à
le joindre pour entamer une procédure d'expulsion en faveur du
rectorat, ont décidé d'occuper son terrain de fait sans l'indemniser.
La violation de la convention est constatée. 26. En ce qui
concerne la question de lexistence dune ingérence,
nul ne conteste que lexpropriation de
facto du
terrain de M. Göçmen constitue une privation de propriété. 27. A cet
égard, la Cour relève que les juridictions nationales ont
constaté que ladministration avait occupé le terrain du
requérant sans quait été mise en oeuvre une procédure dexpropriation
en bonne et due forme. En conséquence, elles ont décidé doctroyer
à lintéressé des dommages et intérêts pour
expropriation de fait en contrepartie de linscription du
bien en cause au nom de ladministration dans le registre
foncier. La Cour conclut que le jugement définitif du 17 mai
2007 rendu par le tribunal de grande instance de Kayseri a bien
eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la
deuxième phrase de larticle 1 du Protocole no 1 (Sarica et
Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 40, 27 mai 2010, Carbonara
et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 61, CEDH
2000-VI, et Brumarescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH
1999-VII). 28. Or pour
être compatible avec larticle 1 du Protocole no 1, une telle ingérence
doit être opérée « pour cause dutilité publique » et
« dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux de droit international » : elle doit ménager un «
juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et
Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série
A no 52). 29. En effet,
la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune
société démocratique, étant inhérente à lensemble de
la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no
31107/96, § 58, CEDH 1999-II), larticle 1 du Protocole no
1 exige, avant tout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale. 30. Dans ce
contexte, la Cour observe dabord que la pratique de lexpropriation
de fait permet à ladministration doccuper un bien
immobilier et den transformer irréversiblement la
destination, de telle sorte quil soit finalement
considéré comme acquis au patrimoine public sans quil y
ait eu le moindre acte formel pour déclarer le transfert de
propriété. En labsence dun tel acte, le seul
élément qui permette de légitimer le transfert du bien occupé
et de garantir rétroactivement une certaine sécurité juridique
est le jugement du tribunal saisi qui,a posteriori, ordonne le
transfert de propriété après avoir constaté lillégalité
de loccupation dénoncée et alloué aux demandeurs des
dommages et intérêts, dits « indemnité dexpropriation
de fait ». 31. Lexpropriation
de fait constitue ainsi une pratique permettant à ladministration
de sapproprier un bien sans avoir indemnisé au préalable
son propriétaire. Elle a pour effet de contraindre les
propriétaires qui jusqualors conservent
formellement leur titre sur le plan juridique à ester en
justice contre ladministration. En effet, les intéressés
se voient obligés dentamer une action en indemnisation et,
de ce fait, dengager des frais de procédure pour faire
valoir leurs droits, alors quen matière dexpropriation
formelle, la procédure est déclenchée par ladministration
expropriante, qui à défaut de règlement amiable doit en
principe supporter les frais de justice. 32. À laune
de ce qui précède, la Cour estime que ce procédé permettant
à ladministration de passer outre les règles de lexpropriation
formelle expose les justiciables au risque dun résultat
imprévisible et arbitraire. Il nest pas apte à assurer un
degré suffisant de sécurité juridique et ne saurait constituer
une alternative à une expropriation en bonne et due forme (Scordino
c. Italie (no 3), no 43662/98, § 89, 17 mai 2005 et Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 87, 8 décembre 2005). 33. Dans la
présente affaire, la Cour observe que ladministration sest
approprié le terrain du requérant au mépris des règles
régissant lexpropriation formelle et sans lui verser dindemnité.
Le fait que le rectorat de luniversité dErciyes ait
en réalité bien pris une décision dexpropriation mais nait
pas pu la notifier au requérant au motif quil habitait à
létranger ne change en rien ce constat. Dailleurs,
il ny a aucun document dans le dossier démontrant que le
rectorat a cherché à trouver ladresse de lintéressé.
Au lieu de suivre la procédure légale pour exproprier le
requérant de son bien en bonne et due forme, ladministration
a préféré délimiter le terrain et lentourer de
barbelés, prenant ainsi possession des lieux. 34. La Cour
note que les juridictions turques ont entériné la pratique de lexpropriation
de fait en jugeant que le requérant avait été privé de son
bien du fait de loccupation de son terrain par ladministration.
35. Or, en labsence
dun acte formel dexpropriation, la Cour estime que
cette situation ne pouvait être considérée comme «
prévisible » pour M. Göçmen puisque ce nest que depuis
que le jugement du tribunal de grande instance de Kayseri est
devenu définitif que lon peut conclure à lapplication
effective de la pratique de lexpropriation de fait et que
la méthode employée par ladministration pour rattacher le
terrain litigieux au domaine public a été sanctionnée.
Autrement dit, ce nest que le 17 mai 2007 date du
jugement définitif du tribunal de grande instance de Kayseri
que le requérant a bénéficié de la « sécurité
juridique » concernant la privation de son terrain. 36. De plus, à
lanalyse des éléments du dossier et notamment des
rapports dexpertise, la Cour observe quun laps de
temps notable sest écoulé depuis la prise de possession
du terrain litigieux par ladministration sans que le projet
dutilité publique fondant la privation de propriété ait
été réalisé. Or une telle situation, de nature à priver le
requérant exproprié de facto de son terrain dune plus-value
rapportée par le bien en cause, est également incompatible avec
les exigences de larticle 1 du Protocole no 1 (Motais de
Narbonne c. France, no 48161/99, § 19, 2 juillet 2002, Beneficio
Cappella Paolini c. Saint-Marin, no 40786/98, § 33, 13
octobre 2004, et Keçecioglu et autres c. Turquie,
no 37546/02, § 28, 8 avril
2008). Néanmoins, la Cour ne sattardera pas davantage sur
ce point dans la mesure où le requérant na pas intenté
de recours en droit interne sur cette question spécifique. 37. En ce qui
concerne la question de lindemnisation, la Cour rappelle
que sans le versement dune somme raisonnablement en rapport
avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive au sens de larticle 1 du
Protocole no
1 (James
et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, série A no 98, p. 36, § 54, Les
saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, série
A no 301, p. 35, § 71, Malama c. Grèce, no
43622/98, § 52, CEDH 2001-II, Platakou c. Grèce,
no 38460/97, CEDH 2001-I, Jokela c. Finlande,
no 28856/95, CEDH 2002-IV et Yiltas Yildiz Turistik
Tesisleri A.S. c. Turquie, no 30502/96, § 38, 24
avril 2003. 38. La Cour
observe que, dans la présente espèce, la qualification du
terrain litigieux (terrain à bâtir ou terrain agricole) et sa
valeur ont été lobjet dune controverse. Même si la
Cour na pas pour tâche de se substituer aux juridictions
nationales et dindiquer la manière dont les faits doivent
être établis, il lui revient toutefois de sassurer quils
ne lont pas été de manière inéquitable ou
déraisonnable (Gereksar et autres c. Turquie,
nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 55, 1er février
2011). 39. La Cour
relève que la juridiction de première instance, se fondant sur
le rapport dexpertise quelle avait demandé, avait
initialement fixé lindemnité pour expropriation de facto
à 18 000 livres turques (TRL) (soit environ 11 000 EUR (euros)
à lépoque des faits). Cette décision ayant été
censurée par la Cour de cassation, le tribunal de grande
instance de Kayseri, après avoir pris connaissance des
conclusions du nouveau rapport dexpertise, a estimé que le
montant de lindemnité à allouer au requérant était de
754,29 TRL (soit environ 420 EUR à lépoque des faits).
Cette différence notable dans la détermination de la valeur du
bien était due au fait que dans le premier rapport dexpertise,
le terrain avait été qualifié de constructible, et dans le
second, de terrain agricole. 40. La Cour
estime quavant de fixer la valeur du terrain à 1,50 TRL (0,86
EUR) le mètre carré, il revenait au tribunal de grande instance
dexposer les raisons pour lesquelles il écartait les
arguments du requérant. Lintéressé, qui avait notamment
démontré avoir payé de 1998 à 2003 la taxe foncière à lEtat
sur la base dune qualification de terrain à bâtir et non
de terrain agricole, pouvait raisonnablement sattendre à
ce quil soit procédé à une nouvelle expertise pour
écarter les contradictions des deux expertises initiales. 41. Dès lors,
la Cour considère que les faits nont pas été établis de
manière suffisamment motivée et quune explication de
nature à répondre aux attentes légitimes et aux arguments qui
étaient ceux du requérant na pas été fournie. 42. A la
lumière de ce qui précède, outre le défaut de légalité de lexpropriation
litigieuse, la Cour conclut que, dans les circonstances de lespèce,
lobligation doffrir des procédures judiciaires
présentant les garanties procédurales requises na pas
été suffisamment respectée. 43. Partant il
y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. SOCIEDAD
ANÓNIMA DEL UCIEZA c. ESPAGNE du 4 novembre 2014 requête 38963/08 Une
expropriation de fait contraire à l'Article 1 du Protocole 1. La
requérante allègue avoir été privée dune partie de sa
propriété, comprenant une église médiévale, sans cause dutilité
publique et en labsence de toute indemnisation, sur le
fondement dune loi préconstitutionnelle. Elle situe cette
privation dans la décision du responsable du livre foncier dAstudillo
dinscrire léglise médiévale en cause comme
appartenant à lÉvêché de Palencia au seul vu dun
certificat de propriété ad hoc établi le 16 décembre 1994 par
le secrétaire général dudit Évêché, faisant valoir que
pareille inscription crée une présomption iuris tantum de
propriété au profit de lÉvêché. Déboutée dans la
procédure judiciaire engagée par elle en réaction, la
requérante estime avoir été de ce fait définitivement déchue
du droit qui, selon elle, était antérieurement le sien. 70. Larticle
1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes. La
première, qui sexprime dans la première phrase du premier
alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du
respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde
phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la
soumet à certaines conditions ; quant à la troisième,
consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États
contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage
des biens conformément à lintérêt général. Il ne sagit
pas pour autant de règles dépourvues de rapports entre elles :
la deuxième et la troisième ont trait à des exemples
particuliers datteintes au droit de propriété ; dès
lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du
principe général consacré par la première (voir, parmi
beaucoup dautres, Bruncrona c. Finlande, no 41673/98, § 65, 16 novembre
2004), respecter le principe de légalité et viser un but
légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à celui-ci
(voir, par exemple, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 108-114, CEDH
2000-I). 71. La
notion d« utilité publique » de la seconde
phrase du premier alinéa est ample par nature. En particulier,
la décision dadopter des lois sur le droit de propriété
implique dordinaire lexamen de questions politiques,
économiques et sociales. Une privation de propriété opérée
dans le cadre dune politique légitime dordre
social, économique ou autre peut répondre à lutilité
publique même si la collectivité dans son ensemble ne se sert
ou ne profite pas elle-même du bien dont il sagit. 72. Les
autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que
le juge international pour déterminer ce qui est « dutilité
publique ». Estimant normal que le législateur
dispose dune grande latitude pour mener une politique
économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il
conçoit les impératifs de l« utilité publique »
sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de
fondement. Tant que le législateur ne dépasse pas les limites
de sa marge dappréciation, la Cour na pas à dire sil
a choisi la meilleure façon de traiter le problème ou sil
aurait dû exercer son pouvoir différemment (James et autres c.
Royaume-Uni, 21 février 1986, § 51, série A no 98). 73. Une
mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit
toutefois ménager un « juste équilibre » entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu.
Le souci dassurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de larticle 1 du Protocole no 1 tout entier, qui
doit se lire à la lumière du principe général consacré par
la première phrase. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété
ou réglementant lusage de celle-ci. 74. Nonobstant
le silence de larticle 1 du Protocole no 1 en matière dexigences
procédurales, afin dévaluer la proportionnalité de lingérence,
la Cour regarde le niveau de protection contre larbitraire
dispensé par la procédure en cause (Hentrich c. France, 22
septembre 1994, § 46, série A no 296-A). Lorsquil sagit
dune ingérence dans le droit du requérant au respect de
ses biens, les procédures applicables doivent aussi offrir à la
personne concernée une occasion adéquate dexposer sa
cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement
les mesures portant atteinte au droit en cause. Une telle
ingérence ne peut avoir de légitimité en labsence dun
débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes, qui permette de discuter des aspects dimportance
pour lissue de la cause. Pour sassurer du respect de
cette condition, il y a lieu de considérer les procédures
applicables dun point de vue général (voir, parmi dautres,
Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV, AGOSI
c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 55, série A no 108,
Hentrich v. France, précité, § 49 et Gáll c. Hongrie, no 49570/11, § 63, 25 juin 2013). 75. Afin
de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste
équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le
requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre
en considération les modalités dindemnisation prévues
par la législation (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC],
no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII). 76. Sans
le versement dune somme raisonnablement en rapport avec la
valeur du bien, une privation de propriété constitue
normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier
sur le terrain de larticle 1. Cependant, ce dernier ne
garantit pas dans tous les cas le droit à une compensation
intégrale, car des objectifs légitimes « dutilité
publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur
à la pleine valeur marchande (voir, parmi dautres, Papachelas
c. Grèce [GC], no 31423/96, § 48, CEDH 1999-II).
Une privation de propriété sans indemnisation peut, dans
certaines circonstances, être conforme à larticle 1 (Jahn
et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 117, CEDH 2005-VI). b) Application
en lespèce des principes susmentionnés i. Sur
lexistence dune ingérence dans le droit de
propriété de la requérante 77. La
requérante se plaint davoir été privée dun bien
quelle estimait lui appartenir, une église cistercienne
enclavée dans un terrain dont elle est la propriétaire, par leffet
de limmatriculation de ladite église au profit de lÉglise
catholique sur présentation par cette dernière du certificat
prévu par larticle 206 de la loi hypothécaire pour les
biens immeubles non-inscrits au livre foncier. Le
Gouvernement conteste ces affirmations et explique que, comme lont
reconnu les juridictions internes, léglise en cause na
jamais appartenu à la requérante ni à ceux qui lui ont vendu
sa propriété rurale, lÉglise catholique ayant toujours
été la seule propriétaire de léglise en cause. Il
souligne que le certificat de propriété délivré par lÉvêché
nétait pas un mode d « acquisition »
de la propriété, mais simplement une formalité pour linscription
au livre foncier des biens immeubles appartenant déjà à lÉglise. 78. La
Cour observe quavant le 22 décembre de 1994, date à
laquelle lÉvêché de Palencia fit procéder à linscription
litigieuse dans le livre foncier dAstudillo (paragraphe 8
ci-dessus), le terrain en cause, comportant, entre autres, léglise
cistercienne litigieuse, était déjà inscrit au livre foncier. En
effet, les inscriptions foncières antérieures à son
acquisition par la requérante indiquaient lexistence sur
la propriété en cause d « un bâtiment qui était
anciennement léglise du prieuré de Santa Cruz » (paragraphe
7 ci-dessus). Quant à linscription foncière de 1979 au
nom de la requérante, à la suite de lacquisition par
cette dernière de la propriété en cause par un acte
authentique de vente conclu avec les anciens propriétaires le 12
juillet 1978, elle mentionnait que dans la propriété étaient
enclavées « une église, une maison, (...) » (paragraphe
6 ci-dessus). Aux
yeux de la Cour, léglise en cause était donc
expressément inscrite au livre foncier. Les juridictions
espagnoles et, en particulier, lAudiencia provincial de
Palencia, ont admis lexistence de cette inscription
foncière, bien que cette dernière lait qualifiée d« équivoque »
concernant la description de la propriété et les bâtisses y
enclavés (paragraphe 12 ci-dessus). 79. La
Cour note que selon la législation espagnole, celui qui inscrit
son bien au livre foncier est réputé titulaire dun droit
réel sur ledit bien. Selon larticle 38 de la loi
hypothécaire du 8 février 1946, il est en effet présumé que
les droits réels inscrits au livre foncier existent et
appartiennent à leur titulaire. Lorsquun titre est inscrit
au livre foncier, aucun autre titre incompatible ne peut être
inscrit (paragraphe 22 ci-dessus). Au
vu de ce qui précède, la Cour considère que linscription
dun bien au livre foncier confère dimportants
avantages dordre substantiel et procédural à son
propriétaire, le livre foncier se présentant comme un
instrument de publicité de la propriété foncière destiné à
garantir la propriété des biens, ainsi que la circulation et le
commerce desdits biens. 80. Or
malgré son inscription au livre foncier en 1979, la Cour relève
que le titre dont se prévalait la requérante a été réduit à
néant par les juridictions internes. Elle observe à cet égard
que, selon ce quexpose le Gouvernement (paragraphe 51 ci-dessus),
la loi ouvre aux tiers dont les droits auraient été méconnus
une action contre le propriétaire dun bien inscrit à la
suite dune mutation de propriété dans un délai de deux
ans à compter dune telle inscription. LÉvêché de
Palencia, qui navait pas exercé une telle action en temps
utile, est toutefois parvenu à faire immatriculer seize ans plus
tard le même bien immeuble que celui déjà inscrit au nom de la
requérante, par un moyen qui était réservé par la loi aux
seuls cas dabsence dinscription préalable du bien en
cause. 81. Dès
lors, cette nouvelle inscription, à linitiative du
secrétaire général de lÉvêché de Palencia, de léglise
cistercienne en cause comme bien appartenant audit Évêché, a
privé la requérante des droits quelle tirait de linscription
préalable de limmeuble à son nom. Elle a donc constitué
une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses
biens. 82. Il
reste à examiner si ladite ingérence était compatible avec larticle 1
du Protocole no 1. ii. Sur
la justification de lingérence a) Sur
la règle applicable 83. La
requérante se dit victime dune expropriation, du fait de limmatriculation
par lÉglise catholique de léglise enclavée dans le
terrain dont elle est propriétaire, et qui selon elle était
inscrite à son nom au livre foncier. Au demeurant, elle rappelle
que larticle 1 du Protocole no 1 est aussi applicable à lexpropriation
de fait et aux cas dingérence dans lusage dun
bien même sans transfert formel de propriété. Le
Gouvernement conteste ces thèses. 84. La
Cour estime que la question dans la présente affaire est
essentiellement celle de linscription de léglise
litigieuse au livre foncier : si léglise était
déjà mentionnée au livre foncier comme enclavée dans le
terrain appartenant à la requérante sans que ladite inscription
ait été attaquée en temps utile, il y aurait lieu de
considérer que limmatriculation ultérieure de ladite
église au nom de lÉvêché de Palencia a privé le titre
de propriété de la requérante de tout effet utile. 85. En
labsence dun transfert indiscuté de propriété, la
Cour doit regarder au-delà des apparences et analyser la
réalité de la situation litigieuse (voir, mutatis mutandis,
Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 25, série A no 32). À cet
égard, la présente situation ne sapparente pas à une
expropriation de fait ni à une mesure de réglementation de lusage
des biens, au sens du deuxième alinéa de larticle 1
du Protocole no 1. 86. La
Cour estime dès lors quil convient dapprécier la
situation dénoncée par la requérante comme relevant de la
première phrase de larticle 1 du Protocole no 1 (Sporrong
et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 65, série A no 52,
Erkner et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série
A no 117, Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117
et Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX). ß) Sur
le respect de la norme énoncée à la première phrase du
premier alinéa 87. Aux
fins de la première phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1, la Cour doit rechercher si un juste
équilibre a été maintenu entre les exigences de lintérêt
général de la communauté, en lespèce la sécurité dans
le commerce des biens immeubles par leur inscription au livre
foncier, et les impératifs de la sauvegarde du droit fondamental
de la requérante (Sporrong et Lönnroth, précité, § 69 ;
Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). Pour
apprécier la proportionnalité de lingérence, la Cour a
égard aussi au degré de protection offert contre larbitraire
par la procédure mise en uvre (Hentrich, précité, § 44). 88. Eu
égard à la marge dappréciation accordée aux États en
la matière, la Cour tient pour établi que lingérence
dans le droit de la requérante au respect de ses biens
répondait aux exigences de lintérêt général. Pour
autant, la Cour ne saurait renoncer à son pouvoir de contrôle.
Il lui appartient en effet de vérifier que léquilibre
voulu a été préservé dune manière compatible avec le
droit de la requérante au respect de ses biens, au sens de la
première phrase de larticle 1. 89. La
Cour relève dune part que le droit espagnol prévoit quaucun
autre titre nest opposable à un titre inscrit au livre
foncier, et que les droits réels inscrits au livre foncier sont
présumés exister et appartenir à leur titulaire (paragraphe 22
ci-dessus). Elle observe dautre part que, selon le droit
espagnol, limmatriculation des propriétés non inscrites
au livre foncier ne peut être effectuée que par le biais de lun
des moyens établis par larticle 199 de la loi
hypothécaire, à savoir : a) au terme dune procédure
de reconnaissance de propriété, ou b) au vu dun titre
public dacquisition, complété par un acte de notoriété
lorsque le titre acquisitif du vendeur ou de celui qui le
transmet nest pas attesté de manière irréfutable, ou
encore c) au vu du certificat auquel se réfère larticle
206, qui dans le cas de lÉglise catholique est délivré
par lévêque diocésain (paragraphe 22 ci-dessus). 90. La
Cour considère quaucune justification à limmatriculation
du bien en cause, autre que celle prévue par larticle 206
de la loi hypothécaire, na été donnée par lÉvêché
de Palencia. Or il est à noter les dispositions dudit article ne
jouent quen cas dabsence dinscription foncière
préalable. Dans la mesure où dans la présente affaire il
existait une inscription foncière préalable portant sur le
même bien et datant de 1979, limmatriculation au nom de lÉvêché
de Palencia en 1994 a impliqué la perte des droits qui
découlaient pour la requérante de linscription de 1979. 91. Limmatriculation
foncière demandée par lÉvêché de Palencia sest
faite sans tenir compte de linscription qui figurait au nom
de la requérante au livre foncier dAstudillo. Il ressort
des faits de lespèce que labsence dinscription
foncière préalable de léglise cistercienne en question,
condition requise pour lapplication de larticle 199
de la loi hypothécaire au livre foncier, prêtait pour le moins
à discussion. La Cour estime que même si, comme la
confirmé lAudiencia provincial dans son arrêt du 5 février
2001 (paragraphe 12 ci-dessus), les termes de linscription
antérieure de léglise en cause étaient équivoques, son
inscription au nom de lÉvêché aurait dû être refusée
par le responsable du livre foncier, qui, comme le prévoit larticle
306 du règlement hypothécaire, naurait pas dû permettre
la coexistence de deux inscriptions apparemment contradictoires
portant sur le même bien (paragraphe 23 ci-dessus). 92. Le
responsable du livre foncier a néanmoins procédé à limmatriculation
demandée par lÉvêché de Palencia, qui emportait des
effets préjudiciables pour la requérante, sans donner à cette
dernière la possibilité de formuler des objections tirées de linscription
foncière préalable de léglise en cause, qui auraient
rendu inapplicables les articles 199 et 206 de la loi
hypothécaire. Ainsi, cest en labsence de toute
possibilité de faire valoir ses motifs dopposition que la
requérante a été privée des droits qui découlaient pour elle
de linscription au livre foncier quelle avait obtenue
en 1979. 93. Par
la suite, la requérante a engagé une procédure civile à lencontre
de lÉvêché de Palencia afin de faire déclarer la
nullité de limmatriculation de léglise et de ses
dépendances faite par lÉvêché en 1994 (paragraphe 10 ci-dessus).
Cette procédure na pas abouti. Les juridictions internes
ont estimé que, pour des raisons historiques, léglise en
question ne figurait pas parmi les biens acquis par les
propriétaires successifs du terrain en cause et ses dépendances
depuis leur première acquisition par le sieur M. en 1841 (paragraphe
12 ci-dessus). Le juge de première instance no 5 de Palencia
avait par ailleurs retenu dans son jugement du 28 mars 2000 que léglise
en cause ne pouvait pas non plus avoir été acquise par la
requérante par la voie de lusucapion, en considérant :
1o que la prescription acquisitive ne pouvait en la matière
avoir lieu quen faveur de personnes morales
ecclésiastiques ; 2o que la requérante navait en
tout état de cause pas exercé sur léglise une possession
durant le temps requis par la loi, le diocèse sétant
comporté en tant que propriétaire jusquau conflit sur la
propriété de ladite église ; 3o quau demeurant,
le fait que les employés de la requérante disposaient de la
clé de léglise nétait pas un élément
déterminant en termes de possession, la détention de cette clé
nayant eu selon lui dautre objet que de permettre de
montrer léglise aux visiteurs. 94. La
Cour observe que les arguments retenus reposaient sur des
considérations historiques ainsi que sur linterprétation
de certaines institutions du droit civil telles que lusucapion
ou la possession. Elle relève toutefois quaucune
discussion sur les dispositions de la loi ou du règlement
hypothécaires applicables en lespèce na eu lieu au
sein des juridictions internes ayant examiné laffaire de
la requérante. Or, il convient dobserver quaux
termes de larticle 38 de la loi hypothécaire, il est
présumé que les droits réels inscrits au livre foncier
existent et appartiennent à leur titulaire enregistré. La Cour
sétonne que les motifs adoptés par les juridictions dinstance
et dappel en lespèce naient aucunement abordé
certaines questions clés telles que celle de la légalité de linscription
au nom de lÉvêché de Palencia dun bien déjà
inscrit au livre foncier et de lapplicabilité des articles
199 et 206 de la loi hypothécaire aux faits de la cause. 95. Au
vu de ce qui précède, la Cour estime que linscription de
léglise au nom de lÉvêché de Palencia par le
responsable du livre foncier dAstudillo au seul vu du
certificat émis par lévêché lui-même est intervenue de
manière arbitraire et guère prévisible, et na pas offert
à la requérante les garanties procédurales élémentaires pour
la défense de ses intérêts. En particulier, tel quappliqué
dans la présente affaire, larticle 206 de la loi
hypothécaire ne satisfaisait pas suffisamment aux exigences de
précision et de prévisibilité quimplique la notion de
loi au sens de la Convention. 96.
Dès lors quelle revient à priver de tout effet utile un
droit réel inscrit au livre foncier, limmatriculation dun
bien déjà évoqué dans une inscription antérieure ne saurait
avoir de légitimité en labsence dun débat
contradictoire et respectueux du principe de légalité des
armes. Un tel débat au stade même de limmatriculation
aurait dû permettre de discuter la question de lorigine de
la propriété et celle de la validité des transactions
successives sur un pied dégalité. Ce sont là autant déléments
qui ont manqué dans la présente affaire (voir Hentrich,
précité, § 42). En lespèce, la requérante sest
trouvée dans limpossibilité de se défendre contre leffet
de la mesure dimmatriculation litigieuse, ce qui la rend en
soi disproportionnée. 97. À
cela sajoute le fait que les juridictions du fond ont
interprété la loi interne comme autorisant lÉvêché de
Palencia à faire usage de son droit dimmatriculation sur
la base de considérations historiques dordre général. 98. Or,
par leffet dune telle interprétation, les droits qui
découlaient pour la requérante de linscription de léglise
litigieuse à son nom dans le livre foncier se sont vus amputés
de tout effet utile, alors quà aucun moment il na
été question de mauvaise foi ou de fraude de sa part ; et
ce, au terme dune procédure expéditive dans laquelle le
seul titre présenté au responsable du livre foncier afin de
procéder à limmatriculation de léglise au nom de lÉvêché
de Palencia consistait en un certificat de propriété délivré ex
novo par le secrétaire général de ce même Évêché, alors
même que celui-ci se référait à un bien sis à lintérieur
dun terrain appartenant à la requérante. 99. La
Cour estime pour le moins surprenant quun certificat
délivré par le secrétaire général de lÉvêché puisse
avoir la même valeur que les certificats délivrés par de
fonctionnaires publics investis de prérogatives de puissance
publique, et se demande par ailleurs pourquoi larticle 206
de la loi hypothécaire se réfère aux seuls évêques
diocésains de lÉglise catholique, à lexclusion des
représentants dautres confessions. Elle note également quil
ny a aucune limitation dans le temps à limmatriculation
ainsi prévue et quelle peut donc se faire, comme cela a
été le cas en lespèce, de manière intempestive, sans
condition de publicité préalable et en méconnaissance du
principe de la sécurité juridique. 100. La
Cour constate enfin que léglise litigieuse ayant été
considérée par les juridictions internes comme appartenant
depuis toujours à lÉvêché de Palencia vu son caractère
déglise paroissiale, il na pas été possible pour
la requérante en lespèce dobtenir une indemnisation
quelconque. 101. Prenant
en compte lensemble de ces éléments ainsi que le fait que
la requérante sest vue privée de son droit daccès
à linstance de cassation pour lexamen de ces
questions (paragraphes 24 et suiv., et en particulier voir le
paragraphe 40 ci-dessus), la Cour retient que la requérante a
été victime de lexercice du droit dimmatriculation
reconnu par la législation interne à lÉglise catholique
sans justification apparente et sans que lÉvêché de
Palencia eut contesté, dans les délais légaux (paragraphe 51
ci-dessus), son droit de propriété à lépoque de linscription
du bien au livre foncier. Dès lors, la requérante a « supporté
une charge spéciale et exorbitante », que seule aurait pu
rendre légitime la possibilité de contester utilement, et en
tenant compte des dispositions applicables du droit hypothécaire,
la mesure prise à son égard. Les circonstances de la cause,
notamment lexceptionnalité de la mesure en question,
doublée de linexistence dun titre de propriété
dans le chef de la partie adverse, de labsence dun
débat contradictoire et de linégalité des armes,
combinées avec lentrave à la pleine jouissance du droit
de propriété et labsence dindemnisation, amènent
la Cour à considérer que la requérante a eu à supporter une
charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre
devant régner entre, dune part, les exigences de lintérêt
général et, dautre part, la sauvegarde du droit au
respect des biens (Sporrong et Lönnroth, précité, §§ 73-74,
arrêt Erkner et Hofauer, précité, §§ 78-79, Poiss précité,
§§ 68,69 ; Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres
c. Portugal, nos 29813/96 et 30229/96, § 54, CEDH 2000-I, Elia
srl, précité, § 83). 102. En
conclusion, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole
no1. COUR
DE CASSATION FRANÇAISE LES TERRAINS AU
BORD DE MER A 50 PAS EN MARTINIQUE SONT A L'ÉTAT cour de
cassation chambre civile 3 arrêt du 4 mai 2011 N° de pourvoi:
09-70161 rejet Attendu selon l'arrêt
attaqué (Fort-de-France, 15 mai 2009) rendu sur renvoi après
cassation (3e chambre civile, 16 novembre 2005, pourvoi n° 04-12.
917), que les consorts X... ont saisi la commission
départementale de vérification des titres pour obtenir la
validation de leur droit de propriété sur une parcelle
cadastrée V 444, située au Robert (Martinique), Pointe Royale Mais attendu
que le refus, dans le cadre de la procédure juridictionnelle
mise en place par l'article 89-2 du code du domaine de l'Etat,
devenu l'article L. 5112-3 du code général de la propriété
des personnes publiques, de la validation d'un titre portant sur
une parcelle de la zone domaniale des cinquante pas
géométriques au motif que ce titre émane d'une personne
privée et n'établit pas que l'Etat ait entendu soustraire le
bien de son domaine public, ne caractérise pas une privation du
bien au sens de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, mais relève d'une réglementation,
justifiée par l'intérêt général, de l'usage des biens du
domaine public maritime de l'Etat, n'entraîne pas une
discrimination illicite et ne traduit pas une ingérence
prohibée dans la vie privée et familiale L'ABATTAGE
D'UN TROUPEAU POUR SANTE PUBLIQUE S.A.
BIO DARDENNES c. BELGIQUE du 12 novembre 2019 requête n°
44457/11 Non violation
de l'article 1 du Protocole 1 : Un troupeau abattu pour cause de
brucellose n'a pas été indemnisé car la requérante n'a pas
respecté les règlements. La requérante
a été indemnisée pour 89 bêtes pour cause de faute de l'administration
mais pas pour les 264 têtes de bovin restantes. La Cour constate,
entre autres, que la société requérante sest vu refuser
loctroi dune indemnité en raison des multiples
manquements quelle avait commis aux obligations sanitaires
lui incombant, ce qui était prévu par le droit interne. Elle
précise aussi que les autorités nationales disposent dune
certaine marge dappréciation lorsquil sagit de
protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur
leur territoire et déterminer les sanctions du non-respect des
obligations sanitaires, selon les risques engendrés par ce non-respect
et les caractéristiques des maladies animales que ces
obligations visent à éradiquer. Ainsi, eu égard à limportance
pour les États de lutter contre les maladies animales et compte
tenu de la marge dappréciation dont ils bénéficient en
la matière, la Cour juge que la société requérante na
pas subi une charge spéciale ou exorbitante du fait du refus dindemnisation
pour labattage de ses bovins. La CEDH motive
: "53. Elle a
tenté, en vain, de démontrer devant les juridictions internes
que les autorités avaient commis un certain nombre de fautes qui
étaient à lorigine du dommage quelle a subi. Sa
demande a été dûment examinée par les juridictions nationales
lesquelles ont estimé, après avoir entendu contradictoirement
les arguments des parties et examiné tous les éléments du
dossier, que sa demande à légard de lAFSCA nétait
pas fondée. Ce faisant, les juridictions internes ont
vérifié que les conditions justifiant une atteinte au droit de
propriété tel quinterprété par la Cour étaient
remplies dans les circonstances de lespèce, en particulier
que les mesures dabattage étaient prévues par la loi, quelles
poursuivaient un but légitime et quelles étaient
proportionnées au but poursuivi (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).
La Cour ne décèle dans le raisonnement des juridictions
nationales aucun élément permettant de conclure que leurs
décisions étaient arbitraires ou manifestement déraisonnables. 54. Par ailleurs,
la Cour note et tient compte, dans lexamen de la
proportionnalité des mesures litigieuses, du fait que la
requérante a obtenu une compensation financière pour 89 des
bovins abattus pour des fautes commises par la DGZ (paragraphes
25 et 28 ci-dessus). 55. Le fait que dautres
législations similaires sanctionnent le non-respect dobligations
sanitaires quelles édictent en réduisant le droit à lindemnisation
plutôt quen lexcluant nest pas en lespèce
de nature à rompre le juste équilibre à ménager entre la
protection de la propriété et les exigences de lintérêt
général. Les autorités nationales disposent dune
certaine marge dappréciation lorsquil sagit de
protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur
leur territoire (Chagnon et Fournier, précité, §57) pour
déterminer les sanctions du non-respect des obligations
sanitaires, selon les risques engendrés par ce non-respect et
les caractéristiques des maladies animales que ces obligations
visent à éradiquer." CEDH Recevabilité 36. La
Cour constate que la requérante a introduit un recours
indemnitaire en vertu des articles 1382 et 1383 du code civil quelle
a mené à bien devant les juridictions internes jusque devant la
Cour de cassation en invoquant une violation de larticle 1
du Protocole no 1 à la Convention. Le recours avait pour but dobtenir
une indemnisation pour labattage de 253 bovins en
démontrant que lAFSCA et la DGZ avaient commis des fautes
sans lesquelles la requérante naurait pas subi de dommage.
La requérante a ainsi donné la possibilité aux juridictions
internes de remédier à la violation alléguée. Il ne saurait
lui être reproché, comme le fait le Gouvernement, de ne pas
avoir également fait usage du recours prévu à larticle
11 des lois sur le Conseil dÉtat. En effet, à supposer
même que ce recours aurait permis à la requérante dobtenir
une réparation pour le dommage subi, lorsquune voie de
recours a été utilisée, lusage dune autre voie
dont le but est pratiquement le même nest pas exigé (voir,
parmi dautres, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009, et Uzan et autres c.
Turquie, no 19620/05 et 3 autres, § 174, 5 mars 2019). 37. Par
ailleurs, constatant que la requête nest pas manifestement
mal fondée au sens de larticle 35 § 3 a)
de la Convention et quelle ne se heurte à aucun autre
motif dirrecevabilité, la Cour la déclare recevable. Appréciation
de la Cour a)
Principes généraux applicables 44. La
Cour rappelle que non seulement une ingérence dans le droit de
propriété doit viser, dans les faits comme en principe, un «
but légitime » conforme à « lintérêt général »,
mais il doit aussi exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par
toute mesure appliquée par lÉtat, y compris les mesures
destinées à réglementer lusage des biens dun
individu. Cest ce quexprime la notion du « juste
équilibre » qui doit être ménagé entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth
c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52, et Hutten-Czapska
c. Pologne [GC], no 35014/97, § 167, CEDH 2006-VIII). En contrôlant
le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à lÉtat
une marge dappréciation tant pour choisir les modalités
de mise en uvre que pour juger si leurs conséquences se
trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le
souci datteindre lobjectif de la loi en cause (voir,
notamment, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94 et 2 autres, § 75, CEDH 1999-III, et G.I.E.M.
S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 293, 28 juin 2018). b)
Application au cas despèce 45. La
Cour relève demblée que la requérante a obtenu une
indemnisation sous forme de dommages et intérêts pour les
fautes commises par la DGZ pour 27 bovins abattus et quelle
a en outre conclu un règlement amiable avec cette association
pour 62 bovins supplémentaires (paragraphes 24 et 28 ci-dessus). Lors
de la mise à jour du dossier en février 2018, la requérante a
néanmoins précisé quelle souhaitait maintenir lensemble
de sa requête dans la mesure où elle considère que les griefs
invoqués à lencontre de lÉtat belge nont pas
été affectés par les indemnités partielles quelle a
reçues, lessentiel de son préjudice nayant pas
été indemnisé. 46. La
Cour prend note du souhait de la requérante de maintenir lensemble
de sa requête et constate que le Gouvernement na soulevé
aucune exception à cet égard. Cela étant, rien nempêche
la Cour de prendre, le cas échéant, ces éléments en compte
dans lexamen de la proportionnalité des mesures
contestées (voir, par exemple, Pinnacle Meat Processors Company
et 8 autres c. Royaume-Uni, no 33298/96, décision de la Commission du 21 octobre
1998, non publiée). 47. Aucune
contestation ne sélève quant au fait que les mesures dabattage
litigieuses constituent une atteinte à la propriété de la
requérante au regard de larticle 1 du Protocole no 1. 48. La
Cour a déjà considéré quune mesure dabattage
préventif dovins afin de prévenir le déclenchement dune
épizootie de fièvre aphteuse sur le territoire national sanalysait
en une réglementation de lusage des biens (Chagnon et
Fournier c. France, nos 44174/06 et 44190/06, § 36, 15 juillet 2010). Il ny a
pas lieu de décider autrement en lespèce dès lors que,
comme la relevé le Gouvernement, les bovins abattus sont
restés la propriété de la requérante, qui pouvait les vendre
et en percevoir la valeur bouchère. Lingérence relève
donc du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1. 49. Ceci
étant dit, cette règle doit en tout cas sinterpréter à
la lumière du principe général du respect de la propriété
énoncé dans le premier paragraphe du premier alinéa de larticle
précité (G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, § 289, et Lekic
c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 92, 11 décembre 2018). 50. La
requérante ne conteste pas la légalité des mesures dabattage
et du refus dindemnisation qui étaient prévus par larrêté
royal du 6 décembre 1978, ni le but légitime dintérêt
public quils poursuivaient. Les parties sont toutefois en
désaccord sur la question de savoir si ces mesures étaient
proportionnées au but poursuivi. 51. La
requérante soutient quen application de la jurisprudence
de la Cour, seules des circonstances exceptionnelles peuvent
justifier un défaut total dindemnisation (Jahn et autres c.
Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, § 94, CEDH 2005-VI, et
Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 95, CEDH 2006-V). La jurisprudence sur
laquelle se fonde la requérante a trait à une privation de
propriété relevant de la deuxième phrase du premier alinéa de
larticle 1 du Protocole no 1. Or ce critère nest pas
applicable lorsquest en cause une mesure de réglementation
de lusage des biens. Dans ce cas-là, labsence dindemnisation
est lun des facteurs à prendre en compte pour établir si
un juste équilibre a été respecté mais elle ne saurait, à
elle seule, être constitutive dune violation de larticle
1 du Protocole no 1 (Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 91, CEDH 2010, et Malfatto et Mieille
c. France, no 40886/06 et 51946/07, § 64, 6 octobre 2016). La Cour va dès
lors sattacher à vérifier si labattage des bovins
sans indemnisation a, dans les circonstances de lespèce,
ménagé un juste équilibre entre lintérêt général et
les droits fondamentaux de la requérante, ou si celui-ci a fait
peser sur elle une charge spéciale ou exorbitante. 52. La
Cour note que larrêté royal du 6 décembre 1978
prévoit en principe une indemnisation partielle pour labattage
de bovins atteints de la brucellose. La requérante sest vu
refuser loctroi de cette indemnité en raison des multiples
manquements quelle a commis aux obligations lui incombant.
Le refus dindemnisation dans ce cas est expressément
prévu par larticle 23 § 3 dudit arrêté royal, et la
requérante na pas fait valoir quelle ignorait ses
obligations réglementaires ni quelle navait pas
commis les manquements qui lui ont été reprochés. 53. Elle
a tenté, en vain, de démontrer devant les juridictions internes
que les autorités avaient commis un certain nombre de fautes qui
étaient à lorigine du dommage quelle a subi. Sa
demande a été dûment examinée par les juridictions nationales
lesquelles ont estimé, après avoir entendu contradictoirement
les arguments des parties et examiné tous les éléments du
dossier, que sa demande à légard de lAFSCA nétait
pas fondée. Ce faisant, les juridictions internes ont
vérifié que les conditions justifiant une atteinte au droit de
propriété tel quinterprété par la Cour étaient
remplies dans les circonstances de lespèce, en particulier
que les mesures dabattage étaient prévues par la loi, quelles
poursuivaient un but légitime et quelles étaient
proportionnées au but poursuivi (paragraphes 21 et 22 ci-dessus).
La Cour ne décèle dans le raisonnement des juridictions
nationales aucun élément permettant de conclure que leurs
décisions étaient arbitraires ou manifestement déraisonnables. 54. Par
ailleurs, la Cour note et tient compte, dans lexamen de la
proportionnalité des mesures litigieuses, du fait que la
requérante a obtenu une compensation financière pour 89 des
bovins abattus pour des fautes commises par la DGZ (paragraphes
25 et 28 ci-dessus). 55. Le
fait que dautres législations similaires sanctionnent le
non-respect dobligations sanitaires quelles édictent
en réduisant le droit à lindemnisation plutôt quen
lexcluant nest pas en lespèce de nature à
rompre le juste équilibre à ménager entre la protection de la
propriété et les exigences de lintérêt général. Les
autorités nationales disposent dune certaine marge dappréciation
lorsquil sagit de protéger la santé publique et la
sécurité alimentaire sur leur territoire (Chagnon et Fournier,
précité, § 57) pour déterminer les sanctions du non-respect
des obligations sanitaires, selon les risques engendrés par ce
non-respect et les caractéristiques des maladies animales que
ces obligations visent à éradiquer. 56. De
lavis de la Cour, déterminer si les bovins constituaient
« loutil de travail » de la requérante tel quinterprété
par la Cour (voir, à cet égard, Lallement c. France, no 46044/99, 11 avril 2002) ne modifie pas en lespèce
la conclusion à laquelle elle aboutit. Comme la fait
remarquer le Gouvernement, la requérante pouvait poursuivre son
activité en accueillant de nouveaux bovins dès la levée des
mesures sanitaires le 20 juin 2000 (paragraphe 16 ci-dessus). La
requérante na pas fait valoir que cela lui avait été
impossible ou exagérément difficile. 57. Ces
éléments suffisent à la Cour pour conclure que, eu égard à limportance
pour les États de lutter contre les maladies animales et compte
tenu de la marge dappréciation dont bénéficient les
États en la matière, la requérante na pas eu à subir
une charge spéciale ou exorbitante du fait du refus dindemnisation
pour labattage de ses bovins. 58. Partant,
il ny a pas eu violation de larticle 1 du Protocole no1. N.M.
et autres c. France du 3 février 2022 requête no 66328/14 Art 1 du
Protocole 1 Indemnisation des frais liés à la prise en
charge du handicap de lenfant non décelé lors du
diagnostic prénatal : lapplication rétroactive de la loi
est contraire à la Convention Art 1 P1
Privation de propriété Absence dindemnisation des
charges résultant du handicap dun enfant né comme tel en
raison dune faute lors du diagnostic prénatal, par
application rétroactive de la loi Dispositions légales
pertinentes ne pouvant être appliquées à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi, quelle
que soit la date dintroduction de linstance
Absence de jurisprudence constante et stabilisée des
juridictions internes Atteinte rétroactive aux biens non
prévue par la loi Dans son arrêt de
chambre, rendu ce jour dans laffaire N.M. et autres c.
France (requête n o 66328/14), la Cour européenne des droits de
lhomme dit, à lunanimité, quil y a eu :
Violation de larticle 1 du Protocole n° 1 (protection de
la propriété) de la Convention européenne des droits de lhomme.
Laffaire concerne le rejet, par le juge administratif, des
conclusions des parents demandant lindemnisation des
charges particulières résultant du handicap de leur enfant. Ce
handicap navait pas été décelé lors de létablissement
du diagnostic prénatal. Des dispositions législatives
issues de la loi du 4 mars 2002, et codifiées à larticle
L. 114-5 du code de laction sociale et des familles (CASF)
excluant de telles charges du préjudice indemnisable par
le juge, entrées en vigueur après la naissance de lenfant
mais avant la demande des parents de réparation du préjudice,
ont été appliquées au litige. Ce litige sinscrit dans la
suite des affaires Maurice et Draon c. France (Draon c. France [GC],
n° 1513/03, et Maurice c. France [GC], n° 11810/03). La Cour a
dabord considéré que les requérants pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur
préjudice correspondant aux frais de prise en charge de leur
enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir la
naissance de cet enfant et quils étaient donc titulaires dun
« bien » au sens de larticle 1 du Protocole n° 1. Elle a
ensuite relevé quen vertu de la décision n° 2010-2 QPC
du Conseil constitutionnel, lensemble des dispositions
transitoires qui avaient prévu lapplication rétroactive
de larticle L. 114-5 du CASF avait été abrogé. Alors que
labrogation de la totalité du dispositif transitoire
laissait en principe place à lapplication des règles de
droit commun relatives à lapplication de la loi dans le
temps, la Cour a constaté la divergence entre linterprétation
retenue par le Conseil dÉtat et celle retenue par la Cour
de cassation quant à la possibilité dappliquer larticle
L. 114-5 du CASF à des faits nés antérieurement à lentrée
en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le 7 mars 2002. Alors que
dans son arrêt du 15 décembre 2011, la Cour de cassation avait
exclu lapplication de larticle L. 114-5 du CASF à
des faits nés antérieurement au 7 mars 2002, quelle que soit la
date dintroduction de laction indemnitaire, le
Conseil dEtat avait réglé le litige dans le droit fil de
sa décision du 13 mai 2011 qui avait, pour sa part, maintenu une
certaine portée rétroactive à cette disposition. La Cour en a
déduit quelle nétait pas en mesure de considérer
que la légalité de lingérence résultant de lapplication,
par le Conseil dÉtat de larticle L. 114-5 du CASF
dans sa décision du 31 mars 2014, pouvait trouver un fondement
dans une jurisprudence constante et stabilisée des juridictions
internes. Pour la Cour, latteinte rétroactive ainsi
portée aux biens des requérants ne saurait donc être regardée
comme ayant été « prévue par la loi » au sens de larticle
1 du Protocole n° 1. FAITS Les requérants
Mme N.M., M. M et leur fils A., sont des ressortissants français,
nés en 1972, 1971 et en 2001 et résident à Sainte-Anne de
Guadeloupe. En mai 2001, au cours de sa grossesse, Mme N.M.
demanda au Centre hospitalier de S. détablir un diagnostic
prénatal approfondi. Aucune anomalie ne fut décelée. Le 30
décembre 2001, naquit A., un garçon atteint dun ensemble
de malformations désignées sous le terme de « syndrome de
VATERL » se traduisant par une imperforation anale, des
anomalies touchant les reins, une vertèbre et lun de ses
membres supérieurs, ainsi quune asymétrie faciale. Le 16
septembre 2002, les deux parents, estimant quune erreur de
diagnostic prénatal avait été commise, sollicitèrent et
obtinrent la désignation dun expert qui rendit un rapport
concluant à une erreur lors de linterprétation des
échographies effectuées par la requérante pendant sa grossesse.
À la suite de ce rapport, les requérants engagèrent la
responsabilité pour faute du Centre hospitalier devant le
tribunal administratif dAmiens et demandèrent réparation
de plusieurs chefs de préjudice. Deux actions indemnitaires,
portant sur les préjudices des parents ainsi que les dépenses
liées au handicap, posaient notamment la question de lapplication
dans le temps des dispositions du I de larticle 1er de la
loi du 4 mars 2002, codifiées à larticle L. 114-5 du code
de laction sociale et des familles (CASF). Par un jugement
rendu le 30 décembre 2008, le tribunal administratif dAmiens
écarta lapplication au litige des dispositions précitées,
lesquelles étaient restrictives des droits de créance dont
pouvaient se prévaloir les parents. Relevant la faute commise
lors du suivi de la grossesse, le tribunal retint la
responsabilité du centre hospitalier et le condamna à réparer
les préjudices subis tant par les parents que par leur enfant.
Il fixa à 100 % le taux de la perte de chance subie par les deux
premiers requérants déviter la naissance de lenfant.
Le 9 mars 2009, le Centre hospitalier releva appel de ce jugement
et les requérants introduisirent un appel incident le 13 juillet
2009. Le 11 juin 2010, le Conseil Constitutionnel rendit la
décision QPC n° 2010-2 abrogeant le 2 du paragraphe II de larticle
2 de la loi du 11 février 2005. Par un arrêt rendu le 16
novembre 2010 statuant sur les appels, la cour administrative dappel
de Douai écarta, à son tour, lapplication des
dispositions de larticle L. 114-5 du CASF en se fondant sur
la décision QPC n° 2010-2 du Conseil constitutionnel et labrogation
de ces dispositions avec prise deffet le 12 juin 2010. La
cour administrative confirma que la faute commise par le Centre
hospitalier de S. était à lorigine directe du préjudice
subi par les deux premiers requérants. Deux pourvois en
cassation furent présentés par le Centre hospitalier de S. et
par les requérants. Faisant suite à sa décision du 13 mai 2011
(Assemblée du contentieux, Lazare), le Conseil dEtat, par
une décision du 31 mars 2014, considéra que larticle L.
114-5 du CASF était applicable au litige, les requérants nayant
engagé une instance en réparation que postérieurement au 7
mars 2002, date dentrée en vigueur de la loi dont sont
issues les dispositions de cet article, et annula larrêt
de la cour administrative dappel pour erreur de droit. Le
Conseil dÉtat estima que, faute davoir engagé une
instance avant le 7 mars 2002, date dentrée en vigueur des
nouvelles dispositions, les requérants nétaient pas
titulaires, à cette date, dun droit de créance
indemnitaire qui aurait été luimême constitutif dun bien
au sens de larticle 1 du Protocole n° 1 à la Convention.
Statuant ensuite sur la responsabilité du centre hospitalier, le
Conseil dÉtat exclut toute indemnisation des préjudices
propres à lenfant. Il retint en revanche lexistence
dun lien de causalité directe et certaine entre les
préjudices des parents et la faute commise par le centre
hospitalier dans la réalisation de léchographie qui, les
ayant empêchés de déceler laffection grave et incurable
de lenfant à naître, les avait privés de la possibilité
de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les
conditions légales. Après avoir relevé que « les dispositions
de larticle L. 114-5 du CASF interdisent dinclure
dans le préjudice indemnisable des parents les charges
particulières résultant du handicap de leur enfant, non
détecté pendant la grossesse », il en déduisit que « les
conclusions de M. et Mme M. tendant à ce que les frais liés au
handicap de leur fils soient mis à la charge du [Centre
hospitalier de S.] ne sauraient [...] être accueillies ». Sagissant
des autres chefs de préjudice, lindemnité à verser fut
portée à 80 000 EUR (40 000 EUR chacun) en réparation du
préjudice moral propre aux parents et de leurs troubles dans
leurs conditions dexistence. ARTICLE 1 DU
PROTOCOLE 1 Les deux premiers
requérants contestent lapplication par le Conseil dÉtat,
dans son arrêt du 31 mars 2014, des 1 er et 3 e alinéa de larticle
L. 114-5 du CASF. Ils soutiennent que lapplication de ces
dispositions qui a conduit à exclure par principe lindemnisation
des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils a
porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens en
violation de larticle 1 du Protocole n° 1. La Cour relève
que ni le centre hospitalier, ni le Gouvernement ne contestent
que lerreur de diagnostic commise lors des échographies
prénatales ait été constitutive dune faute ayant causé
un dommage. Le seul point en litige est la date du fait
générateur de la créance. La Cour estime que, compte tenu des
principes de droit commun français et de la jurisprudence
constante en matière de responsabilité selon lesquels la
créance en réparation prend naissance dès la survenance du
dommage qui en constitue le fait générateur, les requérants
pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de
leur préjudice correspondant aux frais de prise en charge de
leur enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir
la naissance de cet enfant. Il sensuit que les requérants
détenaient une créance quils pouvaient légitimement
espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de
la responsabilité pour faute, sagissant dun dommage
survenu antérieurement à lintervention de la loi
litigieuse. Ils étaient donc titulaires dun « bien » au
sens de la première phrase de larticle 1 du Protocole n°
1. En lespèce,
la Cour relève quil nest pas contesté que lapplication
au litige porté par les requérants des dispositions de larticle
L. 114-5 du CASF qui ont exclu par principe lindemnisation
des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils
constitue une ingérence sanalysant en une privation de
propriété. La Cour doit donc rechercher si lingérence
dénoncée se justifie sous langle de larticle 1 du
Protocole n° 1. La Cour constate, en premier lieu, que, selon
les termes de la décision n° 2010-2 QPC du Conseil
constitutionnel, lensemble du dispositif transitoire ayant
prévu lapplication rétroactive de larticle L. 114-5
du CASF, est abrogé. La suppression de cette disposition de
droit transitoire laisse immédiatement place à lapplication
des règles de droit commun relatives à lapplication de la
loi dans le temps. Il sensuit que, compte tenu de labrogation
de la totalité du dispositif transitoire et en labsence dautre
disposition législative le prévoyant expressément, larticle
L. 114-5 du CASF ne saurait être appliqué à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi du 4 mars
2002, quelle que soit la date dintroduction de linstance.
La Cour relève, en second lieu, la divergence entre linterprétation
retenue par le Conseil dÉtat et linterprétation
retenue par la Cour de cassation. Dans son arrêt du 15 décembre
2011, la Cour de cassation excluait lapplication de larticle
L. 114-5 du CASF à des faits nés antérieurement au 7 mars 2002,
date dentrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, quelle
que soit la date dintroduction de laction
indemnitaire. La Cour de cassation a confirmé cette solution par
la suite. Dans ces conditions, la Cour nest pas en mesure
de considérer que la légalité de lingérence résultant
de lapplication, par la décision du Conseil dÉtat
du 31 mars 2014, de larticle L. 114-5 du CASF, pouvait
trouver un fondement dans une jurisprudence constante et
stabilisée des juridictions internes. La Cour en déduit que latteinte
rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être
regardée comme ayant été « prévue par la loi » au sens de larticle
1 du Protocole n° 1. Il y a eu violation de larticle 1 du
Protocole n° 1 de la Convention en ce qui concerne les deux
premiers requérants. CEDH RECEVABILITE 41. La Cour
rappelle que, selon sa jurisprudence (voir en particulier sur ce
point les arrêts précités Maurice c. France [GC], no 11810/03, CEDH 2005-IX et Draon c. France [GC],
no 1513/03, 6 octobre 2005), un requérant ne peut
alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que
dans la mesure où les décisions litigieuses se rapportent à
ses « biens » au sens de cette disposition. La notion
de « biens » peut recouvrir tant des « biens
actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans
certaines situations bien définies, des créances. Pour quune
créance puisse être considérée comme une « valeur
patrimoniale » relevant du champ de larticle 1 du
Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre
que celle-ci a une base suffisante en droit interne, résultant
par exemple dune jurisprudence bien établie des tribunaux.
Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion « despérance
légitime ». 42. Dans
toute une série daffaires, la Cour a jugé que les
requérants navaient pas « despérance
légitime » au motif que lon ne pouvait considérer
quils possédaient de manière suffisamment établie une
créance immédiatement exigible. Selon sa jurisprudence, lexistence
dune « contestation réelle » ou dune « prétention
défendable » ne constitue pas un critère permettant de
caractériser lexistence dune « espérance
légitime » protégée par larticle 1 du Protocole no
1. La Cour estime que lorsque lintérêt patrimonial
concerné est de lordre de la créance, il ne peut être
considéré comme possédant une « valeur patrimoniale »
que sil a une base suffisante en droit interne, par exemple
quand il est confirmé par une jurisprudence bien établie des
tribunaux (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX). 43. La
Cour se réfère à cet égard à laffaire Pressos Compania
Naviera S.A. et autres précitée qui concernait des créances en
réparation daccidents de navigation dont il était soutenu
quils avaient été causés par la négligence de pilotes
belges. En vertu du droit belge de la responsabilité et de la
jurisprudence des juridictions internes, la Cour a relevé que la
créance en réparation naissait dès la survenance du dommage,
la décision juridictionnelle ne faisant quen confirmer lexistence
et en déterminer le montant. Se fondant ainsi sur la manière
dont la créance serait traitée en droit interne au vu de la
jurisprudence constante des juridictions belges, la Cour a
considéré que les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance
légitime » de voir concrétiser leurs créances quant aux
accidents en cause. Mais l« espérance légitime »
ainsi identifiée nétait pas en elle-même constitutive dun
intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la manière
dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale »
serait traitée en droit interne, et spécialement à la
présomption selon laquelle la jurisprudence constante des
juridictions nationales continuerait de sappliquer à légard
des dommages déjà causés ». 44. Les
affaires précitées Maurice et Draon illustrent, dans des
hypothèses proches de celle en litige, la portée de la notion
« despérance légitime ». Dans ces deux
affaires, les parents denfants nés avec un handicap non
décelé au cours de la grossesse avaient introduit une action en
responsabilité devant les tribunaux internes avant lentrée
en vigueur de larticle 1er de la loi du 4 mars 2002. Se
fondant sur laffaire Pressos Compania Naviera S.A. et
autres précitée, la Cour a jugé quen tant quil
avait été fait application aux instances en cours des règles
fixées par larticle 1er de la loi du 4 mars 2002, il avait
été porté une atteinte injustifiée aux droits de créance
détenus par ceux qui avaient engagé ces instances sur les
auteurs des fautes ayant rendu possible la survenance des
dommages, et que, dès lors, avaient été méconnus les droits
que les requérants tiraient de larticle 1er du Protocole no
1 à la Convention. 45. Pour
ce faire, la Cour a vérifié, en se plaçant avant lintervention
de la loi litigieuse, si les conditions dengagement de la
responsabilité pour faute étaient réunies et a considéré que
les requérants disposaient dune créance sanalysant
en une « valeur patrimoniale ». Examinant ensuite la
manière dont cette créance aurait été traitée en droit
interne sans lintervention de la loi litigieuse, la Cour a
estimé que, compte tenu de larrêt Quarez et de la
jurisprudence constante établie depuis par les juridictions
administratives en la matière, les requérants pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur
préjudice, y compris les charges particulières découlant du
handicap de leur enfant tout au long de sa vie. 46. La
Cour en a déduit que lapplication rétroactive de la loi
du 4 mars 2002 avait fait perdre aux parents « une
valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de leurs
biens, à savoir une créance en réparation établie dont ils
pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant
conformément à la jurisprudence fixée par les plus hautes
juridictions nationales » (§ 82 de larrêt Draon et
§ 90 de larrêt Maurice). 47. Sagissant
du cas de lespèce, pour caractériser lexistence dun
bien au sens de larticle 1er du Protocole no 1 à la
Convention, il convient de tenir compte du droit interne en
vigueur lors de lingérence dont se plaignent les
requérants : il sagissait du régime prétorien de
responsabilité pour faute présenté ci-dessus. La Cour relève
que ni le centre hospitalier, ni le Gouvernement ne contestent
que lerreur de diagnostic commise lors des échographies
prénatales ait été constitutive dune faute ayant causé
un dommage. Le seul point en litige est la date du fait
générateur de la créance. Le Gouvernement, reprenant la
solution retenue par le Conseil dÉtat dans sa décision du
31 mars 2014, soutient que, faute davoir engagé une
instance avant le 7 mars 2002, les requérants nétaient
pas titulaires à cette date dun droit de créance
indemnitaire, lui-même constitutif dun « bien »
au sens de larticle 1er du Protocole no 1 à la Convention. 48. La
Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève que les
juridictions nationales ont établi sans ambiguïté, dans le
cadre des décisions rendues, et à tous les stades de ces
procédures, lexistence dune faute ainsi que dun
lien de causalité directe entre la faute commise et le
préjudice subi. Les juridictions ont en effet considéré quen
lespèce la faute du centre hospitalier a conduit les
requérants à croire que lenfant conçu nétait pas
atteint danomalie et que la grossesse pouvait être
normalement menée à son terme, alors que les requérants
avaient clairement manifesté leur volonté déviter le
risque dun accident génétique. La faute ainsi commise a
dissuadé la requérante de pratiquer tout examen complémentaire
quelle aurait pu faire dans la perspective dune
interruption de grossesse pour motif thérapeutique. Pour
effectuer ce constat, les juridictions se sont fondées dabord
sur la jurisprudence Quarez précitée, puis sur les
dispositions de la loi du 4 mars 2002, qui nont dailleurs
pas modifié les conditions détablissement du lien de
causalité entre la faute, même caractérisée, et le préjudice
des parents de lenfant né handicapé. 49. Les
conditions dengagement de la responsabilité du Centre
hospitalier étaient donc bien réunies, et les requérants
disposaient par conséquent dune créance correspondant au
droit à lindemnisation des frais liés à la prise en
charge dun enfant né handicapé après une erreur de
diagnostic prénatal sanalysant en une « valeur
patrimoniale ». Quant à la date à laquelle cette créance
aurait été constituée en droit interne sans lapplication
contestée des dispositions de larticle L. 114-5 du CASF,
les jurisprudences administratives et judiciaires sont, ainsi quil
a été rappelé ci-dessus, concordantes : le droit à
réparation dun dommage, quelle que soit sa nature, souvre
à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement
la cause, et ce indépendamment de la date dintroduction dune
demande en justice tendant à la réparation de ce dommage (voir
paragraphe 19 ci-dessus). La Cour estime que, compte tenu des
principes de droit commun français et de la jurisprudence
constante en matière de responsabilité selon lesquels la
créance en réparation prend naissance dès la survenance du
dommage qui en constitue le fait générateur (voir le paragraphe
19 ci-dessus), les requérants pouvaient légitimement espérer
pouvoir obtenir réparation de leur préjudice correspondant aux
frais de prise en charge de leur enfant handicapé dès la
survenance du dommage, à savoir la naissance de cet enfant. Sagissant
de la date du fait générateur de la créance en réparation,
qui est la question centrale relative à lexistence de lespérance
légitime contestée par le Gouvernement, cette affaire, comme
les affaires Maurice et Draon, se distingue donc de laffaire
Pellegrin c. France citée par le Gouvernement, relative au droit
successoral et dans laquelle il existait une controverse sur linterprétation
et lapplication du droit interne. 50. Il
sensuit que, de lavis de la Cour, les requérants
détenaient une créance quils pouvaient légitimement
espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de
la responsabilité pour faute, sagissant dun dommage
survenu antérieurement à lintervention de la loi
litigieuse. Ils étaient donc titulaires dun « bien » au
sens de la première phrase de larticle 1 du Protocole
no 1, lequel sapplique dès lors en lespèce. 51. Constatant
que ce grief nest pas manifestement mal fondé ni
irrecevable pour un autre motif visé à larticle 35
de la Convention, la Cour le déclare recevable. AU FOND a)
Sur lexistence dune ingérence dans le droit au
respect dun « bien » 56. Selon
la jurisprudence de la Cour, larticle 1 du Protocole no 1,
qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois
normes distinctes : la première, qui sexprime dans la
première phrase du premier alinéa et revêt un caractère
général, énonce le principe du respect de la propriété ;
la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa,
vise la privation de propriété et la subordonne à certaines
conditions ; quant à la troisième, consignée dans le
second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général. La deuxième et la
troisième, qui ont trait à des exemples particuliers datteinte
au droit de propriété, doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi dautres,
Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, pp. 21-22, §
33). 57. En
lespèce, la Cour relève quil nest pas
contesté que lapplication au litige porté par les
requérants des dispositions de larticle L. 114-5 du CASF
qui ont exclu par principe lindemnisation des frais liés
à la prise en charge du handicap de leur fils constitue une
ingérence sanalysant en une privation de propriété au
sens de la seconde phrase du premier alinéa de larticle 1
du Protocole no 1. Il lui faut donc rechercher si lingérence
dénoncée se justifie sous langle de cette disposition. b)
Sur la justification de lingérence 58. Les
parties divergent sur la question de savoir si lingérence
litigieuse a été « prévue par la loi », ainsi que
lexige larticle 1 du Protocole no 1. 59. La
Cour relève dabord que toute atteinte aux droits
protégés par larticle 1 du Protocole no 1 doit en effet
satisfaire lexigence de légalité (Vistin et
Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 95, 25 octobre 2012, c. Lettonie [GC],
et Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 112). Toutefois, lexistence dune
base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle,
à satisfaire au principe de légalité. Il faut, en
plus, que cette base légale présente une certaine qualité,
celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir
des garanties contre larbitraire. Les normes juridiques sur
lesquelles se fonde une privation de propriété doivent ainsi
être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans
leur application (Lekic c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 95, 11 décembre 2018 ; Beyeler c. Italie
[GC], no 33202/96, § 109, CEDH 2000-I [GC] ; Hentrich c. France,
§ 42 ; Lithgow et autres c. Royaume-Uni, § 110 ; Aliic
et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie
et lex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 103, CEDH 2014 ; Centro Europa
7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 187 ; Hutten-Czapska c. Pologne [GC],
no 35014/97, § 163, CEDH 2006-VIII; Vistin et
Perepjolkins c. Lettonie [GC], §§ 96-97). Des divergences
dans la jurisprudence peuvent créer une insécurité juridique
qui est incompatible avec les exigences de létat de droit
(Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 153, 19 décembre 2018). 60. En
lespèce, la Cour constate, en premier lieu, que, selon les
termes de la décision no 2010-2 QPC du Conseil constitutionnel,
le 2 du II de larticle 2 de la loi du 11 février 2005,
soit lensemble du dispositif transitoire ayant prévu lapplication
rétroactive de larticle L. 114-5 du CASF, est abrogé.
Ainsi que cela ressort du commentaire rédigé par les services
du secrétariat général du Conseil constitutionnel (voir
paragraphe 29), la suppression de cette disposition de droit
transitoire laisse immédiatement place à lapplication des
règles de droit commun relatives à lapplication de la loi
dans le temps. 61. Il
sensuit que, compte tenu de labrogation de la
totalité du dispositif transitoire et en labsence dautre
disposition législative le prévoyant expressément, larticle
L. 114-5 du CASF ne saurait être appliqué à des faits nés
antérieurement à lentrée en vigueur de la loi du 4 mars
2002, quelle que soit la date dintroduction de linstance,
en vertu des règles de droit commun relatives à lapplication
des lois dans le temps (voir paragraphes 20 et suivants ci-dessus), 62. La
Cour relève, en second lieu, la divergence entre linterprétation
retenue, de manière prétorienne, par le Conseil dÉtat de
la volonté du législateur et de la portée de labrogation
prononcée par le Conseil constitutionnel (Ass. 13 mai
2011 précitée) et celle retenue par la Cour de cassation (Cass.
Civ., 15 décembre 2011 précitée). Dans ces conditions, elle nest
pas en mesure de considérer que la légalité de lingérence
résultant de lapplication, par la décision du Conseil dÉtat
du 31 mars 2014, de larticle L. 114-5 du CASF, pouvait
trouver un fondement dans une jurisprudence constante et
stabilisée des juridictions internes. La Cour en déduit que latteinte
rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être
regardée comme ayant été « prévue par la loi » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1. 63. Partant,
il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 de la
Convention en ce qui concerne les deux premiers requérants. Kamoy
Radyo Televizyon Yayincilik ve Organizasyon A.S. c. Turquie du 16
avril 2019 requête n°19965/06 Article 1 du
Protocole 1 : Lapplication rétroactive dune loi dans
le cadre dune affaire de protection de marque est contraire
à la Convention Laffaire
concerne une procédure en protection de marque dans le cadre de
laquelle la requérante avait été déboutée en raison de lapplication
rétroactive dune loi par les juridictions internes. La
Cour relève que la Cour constitutionnelle turque avait par la
suite annulé la loi sur laquelle les juridictions internes sétaient
fondées pour rejeter le grief de la requérante, la jugeant
contraire aux droits de propriété fondamentaux. En outre, la
Cour ne voit aucun motif dintérêt général permettant de
justifier latteinte aux droits de propriété du requérant.
Partant, elle conclut à une violation de la Convention. LES FAITS La requérante,
Kamoy Radyo Televizyon Yayincilik ve Organizasyon A.S., est une
société turque immatriculée à Ankara (Turquie). En 1999, une
société affiliée à la requérante lança un nouveau journal,
Özlenen Gazete Vatan, après en avoir enregistré le nom comme
marque déposée. Elle dut cependant en cesser la publication au
bout de deux mois, pour des raisons financières. Une autre
société, Bagimsiz Gazetecilik Yayincilik A.S., commença en
septembre 2002 à publier un journal intitulé Vatan. La
société affiliée à la requérante saisit alors le tribunal de
la propriété intellectuelle dIstanbul en vue de protéger
sa marque. Par la suite, la marque fut cédée à la requérante,
qui devint alors partie à la procédure. La juridiction de
première instance débouta la requérante en 2004, et la Cour de
cassation confirma cette décision en appel en 2005. Les
juridictions internes sappuyèrent en particulier sur larticle
31 2) de la loi turque relative à lInstitut des brevets.
Entrée en vigueur en novembre 2003 alors que la procédure
était en cours, cette loi disposait que les autorités ne
pouvaient pas se fonder sur le droit des marques, et plus
précisément sur le décret-loi n o 556 relatif à la protection
des marques, pour interdire la publication dun périodique.
Bagimsiz Gazetecilik engagea ensuite une procédure distincte et
parvint en 2006 à obtenir lannulation de la marque
déposée de la requérante et le droit dutiliser le nom en
question. ARTICLE 1 du
protocole 1 La requérante
estimait quelle avait été indûment privée de son droit
à la marque du fait de lapplication rétroactive, en sa
défaveur, de la loi. Le Gouvernement soutenait quil ny
avait pas eu atteinte aux droits de la requérante. Il alléguait
en particulier quun journal appelé Vatan avait déjà
existé par le passé et quil sagissait dun nom
connu. Il considérait donc que la requérante avait uniquement
joui dun droit conditionnel à légard de la marque.
Il affirmait également quau moment où Bagimsiz
Gazetecilik avait engagé sa propre action en annulation, cela
faisait cinq ans que la requérante navait pas utilisé le
nom en question. Concernant lapplication rétroactive de la
loi, le Gouvernement plaidait que les juridictions du pays
devaient appliquer la législation en vigueur au moment où elles
statuaient. La Cour considère que la requérante était
titulaire dun bien au sens de la Convention, puisquelle
pouvait se prévaloir dun droit reconnu par la loi et pas
seulement dune espérance légitime dobtenir un droit
de propriété. Lapplication de larticle 31 2) de la
loi turque relative à lInstitut des brevets a induit une
atteinte au bien de la requérante. Partant, la Cour a dû
chercher à déterminer si cette atteinte était justifiée, et
plus particulièrement si un intérêt public était en jeu. La
Cour naccorde aucun poids à largument du
Gouvernement consistant à dire que la requérante navait
pas utilisé la marque depuis cinq ans lorsque Bagimsiz
Gazetecilik avait engagé sa propre action en annulation de
marque. En fait, la requérante ne se plaignait pas de ce que sa
marque avait été annulée pour non-utilisation pendant cinq ans,
ce que le droit des brevets permettait, mais de ce que les
juridictions internes navaient pas protégé son droit à
la marque en question au cours de sa période de validité de
cinq ans. Cette période navait pas encore expiré lorsque
les juridictions internes ont appliqué larticle 31 2) de
la loi relative à lInstitut des brevets, qui était alors
en vigueur. De plus, la Cour de cassation sest uniquement
appuyée sur larticle 31 2), sans mentionner à aucun
moment la période de cinq ans en question. La Cour relève que
la Cour constitutionnelle a annulé cette disposition par la
suite, au motif quelle vidait de son sens le droit des
marques et violait des droits fondamentaux. Le Gouvernement na
fourni aucun argument permettant de considérer que la loi en
question poursuivait un but légitime. Il nest pas parvenu
non plus à apporter la preuve que lapplication
rétroactive de la loi dans le cadre de la procédure qui
opposait les deux sociétés était justifiée par un motif dintérêt
général. Pour ces motifs, le Gouvernement na pas
démontré que latteinte aux droits de propriété de la
requérante visait un but dutilité publique. Il y a donc
eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1 à la
Convention. LA LIMITATION DU DROIT D'USAGE
D'UN BIEN Marckx
contre Belgique du 13 juin 1979 Hudoc 119 requête 6833/74 "§63: En
reconnaissant le droit au respect de ses biens, l'article P1-1
garantit en substance le droit de propriété. Les mots "biens",
"propriété", "usage des biens" en anglais
"possessions" et "use of property", le
donnent nettement à penser; de leur côté, les travaux
préparatoires le confirment sans équivoque; les rédacteurs n'ont
cessé de parler de "droit de propriété" pour
désigner la matière des projets successifs d'où est sorti l'actuel
article (P1-1). Or le droit de disposer de ses biens constitue un
élément traditionnel fondamental du droit de propriété" Cliquez sur un
lien bleu pour accéder gratuitement à LA JURISPRUDENCE : - interdiction
de construire sur son terrain ou d'en faire usage - saisie
conservatoire d'un bien - limitation
de l'utilisation des biens culturels - échelonnement
de la dette d'État INTERDICTION DE
CONSTRUIRE SUR SON TERRAIN OU D'EN FAIRE USAGE Pialopoulos et autres c. Grèce du 7
septembre 2017 requête 40758/09 Article
1 du Protocole 1 et article 13 : le Conseil d'État et le préfet
annulent des expropriations pour cause de non paiement de l'indemnité.
Toutefois les requérants qui récupèrent les terrains ne
peuvent rien en faire. Les terrains sont gelés indéfiniment en
attendant une nouvelle expropriation. Les requérants ne peuvent
donc pas construire dessus. L'interdiction de fait, d'usage des
biens pendant une longue période n'est pas conforme à la
Convention. CEDH 46.
La Cour rappelle que larticle 13 de la Convention garantit
lexistence en droit interne dun recours permettant de
sy prévaloir des droits et libertés de la Convention tels
quils peuvent sy trouver consacrés. Cette
disposition a donc pour conséquence dexiger un recours
interne habilitant à examiner le contenu dun « grief
défendable » fondé sur la Convention et à offrir le
redressement approprié. La portée de lobligation que larticle
13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la
nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par larticle
13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudla c.
Pologne, [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI). 47.
L« effectivité » dun « recours » au sens de larticle
13 ne dépend pas de la certitude dune issue favorable pour
le requérant. De même, l« instance » dont parle cette
disposition na pas besoin dêtre une institution
judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties quelle
présente entrent en ligne de compte pour apprécier leffectivité
du recours sexerçant devant elle. En outre, lensemble
des recours offerts par le droit interne peut remplir les
exigences de larticle 13, même si aucun deux ny
répond en entier à lui seul (ibid.) 48.
En lespèce, la Cour note que les intéressés se sont vu
imposer trois expropriations successives depuis 1988. Si les
arrêts précités rendus par la Cour le 15 février 2001 et le
27 juin 2002 leur ont alloué une indemnité pour le préjudice
subi du fait de la première de ces mesures, et si la troisième
expropriation a été annulée par le Conseil dEtat le 10
juillet 1995, la deuxième est demeurée en vigueur du 21 mai
1990 au 17 janvier 2005, date à laquelle le préfet la
annulée pour défaut dindemnisation. 49.
Or les requérants nont pas été indemnisés pour cette
expropriation. Si celle-ci a fini par être annulée, il nen
reste pas moins que le bien des intéressés a été immobilisé
tant pendant la procédure devant le Conseil dEtat, qui
avait accordé un effet suspensif au recours de la municipalité,
que dans lattente dune décision de la municipalité
quant au sort à réserver à cette propriété. 50.
De lavis de la Cour, pareille pratique pourrait permettre
à ladministration grecque de parvenir à confisquer
arbitrairement les biens des requérants et ceux dautres
personnes. Celle-ci pourrait en pratique ordonner des
expropriations sans indemnisation dans le but de laisser senliser
une situation à son profit pendant plusieurs années quitte à
payer de temps en temps, en cas de condamnation par les tribunaux,
des indemnités pour perte de jouissance des biens expropriés. 51.
Dans ces conditions, la Cour estime que la présente requête
soulève des griefs défendables aux fins de larticle 13
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1 pour autant que
le grief tiré de ce dernier article concerne labsence dun
recours effectif pour faire constater la pratique précitée, et
que ceux-ci doivent être examinés. 52.
En premier lieu, la Cour constate que larticle 17 § 4 de
la Constitution énonce quune privation de propriété pour
cause dutilité publique dûment prouvée doit dans tous
les cas donner lieu au versement dune indemnité payable au
plus tard un an et demi après la date de publication de la
décision du tribunal fixant provisoirement le montant de lindemnité
et que, lorsque la demande porte sur la fixation de lindemnité
définitive, le versement doit en être effectué après la
publication de la décision du tribunal, faute de quoi lexpropriation
est caduque de plein droit. 53.
Toutefois, daprès la jurisprudence du Conseil dEtat
(paragraphe 25 ci-dessus) réaffirmée dans larrêt quelle
a rendu dans la présente affaire (paragraphe 16 ci-dessus), lannulation
dune expropriation pour défaut de paiement de lindemnité,
quelle soit prononcée par voie administrative comme
dans la présente affaire ou par voie judiciaire, ne
suffit pas à elle seule à libérer un terrain des charges le
rendant inconstructible. Dans larrêt quil a rendu le
28 janvier 2009, le Conseil dEtat a indiqué que la
question du statut juridique du bien litigieux nétait «
pas réglée sur le plan urbanistique » après lannulation
de lexpropriation et quil incombait à ladministration
de rechercher si le terrain devait faire lobjet dune
nouvelle expropriation, rester inconstructible ou être déclaré
constructible en tenant compte des caractéristiques de celui-ci,
des besoins de la collectivité en matière daménagement
du territoire et de la politique durbanisme applicable au
secteur dans lequel le terrain était situé. 54.
Or la Cour relève que cette situation correspond à celle qui se
présente en lespèce. Le Conseil dEtat a annulé la
décision du préfet portant annulation de lexpropriation
prononcée le 21 mai 1990 et a renvoyé laffaire à ladministration
pour que celle-ci règle le statut du terrain sur le plan
urbanistique. Ladministration a invité la municipalité de
Neo Psichiko à lui faire savoir si elle entendait procéder à
une nouvelle expropriation. 55.
La Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon
laquelle le terrain des requérants était constructible mais
réservé à la construction dimmeubles dhabitation
et non de centres commerciaux. En réalité, la question du
statut juridique du terrain était restée longtemps en suspens.
Elle nétait « pas réglée sur le plan urbanistique » (voir
larrêt du Conseil dEtat no 289/2009
paragraphe 16 ci-dessus) car était restée suspendue à une
nouvelle appréciation de ladministration, en la personne
non plus du préfet, mais du Président de la République, ce qui
supposait que le ministère de lEnvironnement mette en
uvre la procédure requise en vue de lédiction dun
décret présidentiel. 56.
De ce fait, les requérants se trouvaient pendant une longue
période dans une impasse juridique qui ne leur offrait aucune
possibilité de provoquer eux-mêmes la levée de la charge
grevant leur terrain. Dans ces circonstances, les autorités
auraient pu de facto faire indéfiniment obstacle à lusage
du terrain exproprié ou procéder à une nouvelle expropriation
sans pour autant verser lindemnité due aux intéressés (Valyrakis
c. Grèce, no 27939/08, § 53). 57.
La Cour souligne à cet égard que le grief des requérants tiré
de larticle 13 avait trait à limpossibilité
pratique dexploiter la propriété litigieuse suite à la
constatation de la levée de lexpropriation faute dindemnisation,
et non à limpossibilité dobtenir un dédommagement
pour privation de la jouissance de leur bien. 58.
Au vu de ce qui précède et eu égard aux circonstances de lespèce,
force est à la Cour de constater que lÉtat a manqué à
ses obligations découlant de larticle 13 de la Convention
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1. Partant,
il y a lieu de déclarer recevable ce grief et de conclure à la
violation de ces deux dispositions combinées. KUTLU ET AUTRES c. TURQUIE requête
51861/11 du 13 décembre 2016 Article
1 du protocole 1, les requérants ont subi la construction d'un
barrage. Leurs situés à coté n'ont pas été exproprié mais
ils n'y ont plus accès sauf en barque sans moteur. Ils ont une
interdiction absolue de construire ou d'exploiter. L'un des
requérants a demandé à être exproprié. Les autorités
judiciaires ont refusé sa demande sans motivation explicite pour
justifier leur refus. Le droit d'usage n'a pas été
respecté. 49.
La notion de « biens » évoquée dans la première partie de larticle
1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas
à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains
autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi
être considérés comme des « droits de propriété » et donc
des « biens » aux fins de cette disposition. En fait, il
importe dexaminer dans chaque cas si les circonstances de laffaire,
considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant
titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle
1 du Protocole no 1 (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II,
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I, Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2004-V,
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I). 50.
De plus, la notion de « biens » peut recouvrir tant des «
biens existants » que des valeurs patrimoniales, y compris des
créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre
avoir au moins une « espérance légitime » dobtenir la
jouissance effective dun droit patrimonial (voir, dans ce
sens, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35 c), CEDH 2004-IX,
et Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, § 74 c), CEDH 2005-V). 51.
En outre, lorsque lintérêt patrimonial concerné est de lordre
de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur
patrimoniale » que lorsquil a une base suffisante en droit
interne (Kopecký c. Slovaquie, précité, § 52 et Draon c.
France [GC], no 1513/03, § 68, 6 octobre 2005. 52.
Par ailleurs, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1, une ingérence de lautorité publique dans
la jouissance du droit au respect de biens doit être légale et
être dépourvue darbitraire. Elle doit également ménager
un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Perdigão c. Portugal
[GC], no 24768/06, § 63, 16 novembre
2010). a)
Quant aux terrains no 84/72 et no 84/76 53.
La Cour observe que lusage des terrains no 84/72 et no 84/76
est affecté de restrictions physiques et juridiques extrêmement
rigoureuses : laccès aux terrains nécessite lusage
dune embarcation non motorisée, aucune construction ny
est possible et lagriculture y est prohibée. 54.
Les requérants indiquent quils ont été indemnisés à
hauteur du préjudice quils auraient subi alors que, en
vertu du droit national, ils auraient dû, selon eux, être
expropriés et percevoir une indemnité équivalant à la valeur
totale des biens en cause. 55.
La question que la Cour est appelée à trancher en lespèce
nest pas celle de savoir si le montant de lindemnité
payée aux requérants suffisait à compenser le préjudice
découlant des restrictions imposées à lusage de leurs
biens, pas plus quelle nest de déterminer si larticle
1 du Protocole no 1 garantit dune manière générale le
droit dun requérant à être exproprié. La tâche de la
Cour est plutôt de déterminer si la législation nationale
instaurait au profit des requérants un droit de délaissement
avec une certitude suffisante pour pouvoir constituer un
intérêt patrimonial protégé par la Convention. 56.
La Cour observe que larticle 12, alinéa 9, de la loi no
2942 impose lexpropriation lorsque le terrain situé dans
le voisinage dun barrage nest « plus utilisable ».
Si le texte ne précise pas lui-même ce quil faut entendre
par ces termes, il renvoie cependant à un règlement. 57.
Ledit règlement énonce, quant à lui, de manière non
équivoque en son article 17 que les terrains situés dans la
zone de protection absolue entourant une réserve deau
potable « sont expropriés ». Compte tenu de lutilisation
du verbe « être » et non du verbe « pouvoir », ce texte naccorde
aucune marge dappréciation discrétionnaire à ladministration
qui ne dispose pas de la liberté de choisir entre lexpropriation
et le versement dune indemnité moindre. Au contraire, la
réglementation place les autorités sous légide dune
compétence liée en obligeant celles-ci à acquérir les biens
et accorde ainsi aux propriétaires des terrains situés dans la
zone de protection absolue un véritable droit de délaissement,
cest-à-dire un « droit à être exproprié ». 58.
Aux yeux de la Cour, ce droit au délaissement prévu par la
réglementation interne constitue un « intérêt patrimonial »
au sens de larticle 1 du Protocole no 1. En dautres
termes, le droit à être exproprié et à obtenir le versement dindemnités
correspondant à la valeur des terrains constitue, un « bien »
aux fins de la disposition susmentionnée (comparer avec Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 122 à 125 et 129
à 133, CEDH 2004-V, qui concerne le refus dexécuter un
droit à une mesure compensatoire qualifié de droit à
être crédité reconnu par le droit national). 59.
En refusant dexproprier les terrains concernés et en
optant pour le versement dune indemnité en compensation du
préjudice lié aux restrictions imposées à lusage des
biens, les autorités ont porté atteinte à cet intérêt
patrimonial conféré par le droit interne et protégé par la
Convention. 60.
Une telle atteinte ne peut passer pour conforme aux exigences de
larticle 1 du Protocole no 1 étant donné non seulement quelle
ne repose sur aucune base légale mais encore quelle ne
bénéficie daucune justification sérieuse. En effet, les
autorités judiciaires ont insuffisamment motivé leur choix dordonner
le versement dune indemnité correspondant à la
dépréciation de la valeur du bien plutôt que de mettre en
uvre le droit de délaissement des requérants en
prononçant lexpropriation et en octroyant une indemnité
correspondant à la valeur des biens. À cet égard, force est de
constater que les tribunaux nationaux ne se sont pas prononcés
sur larticle 17 du règlement susmentionné. Le
Gouvernement na, lui non plus, avancé aucun motif sérieux
justifiant cette ingérence. 61.
Partant, il y a eu violation de cette disposition en ce qui
concerne les terrains immatriculés au registre foncier comme «
lot 84 parcelle 72 » et « lot 84 parcelle 76 ». b)
Quant au terrain no 81/44 62.
La Cour observe que le terrain no 81/44, qui est situé dans la
zone de protection rapprochée, fait lui aussi lobjet dun
certain nombre de restrictions visant à protéger la qualité de
leau du barrage. Ainsi, toute construction sur ce terrain
est prohibée. Par ailleurs, les activités agricoles ny
sont autorisées que sur agrément du ministère compétent et
sous réserve quaucun engrais artificiel ou autre produit
chimique ne soit utilisé. 63.
Les autorités ont versé aux intéressés des indemnités pour
compenser le préjudice découlant de ces restrictions. 64.
Les requérants mettent en cause, comme pour les deux autres
biens, la décision de les indemniser à hauteur du préjudice
plutôt que de les exproprier. 65.
La Cour relève que la situation de ce bien, qui se trouve dans
la zone de protection rapprochée, diffère de celle des deux
autres terrains. 66.
En effet, la réglementation nationale nétablissait pas, sagissant
de ce terrain, de « droit à être exproprié ». 67.
Larticle 12 de la loi no 2942 lie lobligation dexproprier
les biens situés dans le voisinage dun barrage à la
condition que ceux-ci ne soient « plus utilisables ». Or les
juridictions nationales nont jamais considéré que le bien
litigieux était devenu inutilisable au sens de cette disposition.
On ne saurait dès lors affirmer quen lespèce les
requérants tenaient de cet article un droit à être expropriés. 68.
Quant au règlement, il nénonce pas que les restrictions
affectant les biens situés dans une zone de protection
rapprochée rendent par principe ces biens inutilisables et ne
prévoit pas autrement dobligation dexproprier. 69.
Par conséquent, en labsence de « droit à être
exproprié » reconnu par le droit interne et susceptible de
constituer un intérêt patrimonial protégé par la Convention
et donc un « bien », le versement dune indemnité
correspondant au préjudice découlant des restrictions
réglementaires était de nature à établir un juste équilibre
entre les droits des requérants et ceux de la société. 70.
Cela étant, le versement dune indemnité ne peut maintenir
un tel équilibre que sil existe un rapport raisonnable de
proportionnalité entre son montant et le préjudice quil
vise à compenser. 71.
À cet égard, la Cour observe que lexpert mandaté par le
TGI avait estimé à 40 % la dépréciation de la valeur du
terrain causée par les restrictions affectant son usage. Or le
juge a fixé les indemnités à 25 % de la valeur du bien. 72.
Il est vrai que le rapport dexpertise ne liait pas le TGI,
qui pouvait allouer une indemnité inférieure à celle
déterminée par lexpert. Cependant pour faire cela dans le
respect de larticle 1 du Protocole no 1, il lui revenait dexposer
les raisons pour lesquelles il écartait les conclusions de lexpertise
et les motifs précis pour lesquels il convenait de diminuer le
pourcentage de la dépréciation. À cet égard, la Cour estime
quun simple énoncé des critères à prendre en compte ne
peut passer pour une motivation suffisante dès lors que le juge
na pas indiqué pourquoi et comment la prise en compte
desdits critères devait conduire à limiter la dépréciation à
25 %. 73.
Malgré la compétence limitée dont elle dispose pour connaître
des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les
juridictions nationales, la Cour estime que la manière dont le
montant des indemnités a été fixé ne lui permet pas daffirmer
que celui-ci est raisonnablement en rapport avec le préjudice
subi. 74.
Sur ce point, la Cour rappelle que les garanties procédurales de
larticle 1 du Protocole no 1 impliquent quune absence
dobligation pour les tribunaux dexposer de manière
suffisante les motifs sur lesquels ils fondent leurs décisions
rendrait théoriques et illusoires les droits garantis par la
Convention. Sans exiger une réponse détaillée à chaque
argument du plaignant, cette obligation présuppose, tout de
même, que la partie lésée puisse sattendre à un
traitement attentif et soigné de ses prétentions essentielles (Gereksar
et autres c. Turquie, nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 54, 1erfévrier
2011, et les références qui y figurent). 75.
Par conséquent, rien ne permet de conclure que le juste
équilibre devant régner entre lintérêt général et les
impératifs de sauvegarde des droits des requérants ait été
maintenu. 76.
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention en ce qui concerne le terrain immatriculé au
registre foncier comme « lot 81 parcelle 44 ». MALFATTO
ET MIEILLE c. FRANCE du 6 octobre 2016, requêtes nos 40886/06 et
51946/07 Non violation
de l'article 1 du Protocole 1, la construction sur la bande de
100 mètres de la plage est interdite pour des causes d'intérêt
général évident après les tempêtes de type Xynthia. Cette
interdiction ne viole pas la Convention alors que le requérant a
eu bel de construire durant 15 ans. 58. La Cour
rappelle sa jurisprudence selon laquelle larticle 1 du
Protocole no 1, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes (voir, notamment, James et
autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98) :
la première, qui sexprime dans la première phrase du
premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le
principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant
dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de
propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la
troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît
aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer
lusage des biens conformément à lintérêt
général. Les deuxième et troisième normes, qui ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété, doivent sinterpréter à la lumière du
principe consacré par la première (Broniowski c. Pologne [GC],
no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V). 59.
La Cour relève que les terrains des requérants, classés comme
constructibles, avaient fait lobjet dune autorisation
de lotir, et quen vertu de ladoption de deux textes
successifs (la directive daménagement national du 25 août
1979 et la « loi littoral » du 3 janvier 1986), ils ont été
frappés dune interdiction absolue de construire en raison
de ce quils étaient situés dans la bande de cent mètres
du littoral. 60.
Le Gouvernement reconnaît quil sagit dune
ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs
biens. La Cour observe que ces derniers nont pas été
privés de leur propriété et que leurs droits réels sur leurs
biens restent intacts, même si leur valeur a été affectée.
Elle considère en conséquence que cette ingérence relève de
la réglementation de lusage des biens, au sens du
deuxième alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Sporrong
et Lönnroth, précité, § 64, Longobardi et autres c. Italie (déc.),
no 7670/03, 26 juin 2007, Depalle,
précité, § 80 et Antunes Rodrigues c. Portugal, no 18070/08, § 27, 26 avril 2011). 61.
Selon une jurisprudence bien établie, cet alinéa doit se lire
à la lumière du principe consacré par la première phrase de larticle
1. En conséquence, une mesure dingérence doit respecter
le principe de légalité et ménager un « juste équilibre »
entre les impératifs de lintérêt général et ceux de la
sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu. Cet
équilibre est rompu si la personne concernée a eu à subir une
charge spéciale et exorbitante (Depalle, précité, § 83 et Perdigão
c. Portugal [GC], no 24768/06, § 67, 16 novembre
2010). 62.
En lespèce, les requérants ne contestent pas la
légalité de lingérence. La Cour doit donc déterminer si
le « juste équilibre » a été respecté. 63.
Sagissant en premier lieu de la finalité de lingérence,
la Cour constate quelle relevait dune politique
générale daménagement du territoire et de protection de
lenvironnement et rappelle avoir dit en particulier que la
protection du rivage de la mer constitue un but légitime dans lintérêt
général (Depalle, précité, § 81). 64.
La Cour a par ailleurs souvent rappelé que les politiques daménagement
du territoire et de protection de lenvironnement, où lintérêt
général de la communauté occupe une place prééminente,
laissent à lÉtat une marge dappréciation plus
grande que lorsque sont en jeu des droits exclusivement civils.
Dans la mise en uvre de ces politiques, lÉtat peut
notamment être amené à intervenir dans le domaine public et
même à prévoir, dans certaines circonstances, labsence dindemnisation
dans plusieurs situations relevant de la réglementation de lusage
des biens (Antunes Rodrigues, précité, § 32 et la
jurisprudence citée). En effet, dans de telles situations, labsence
dindemnisation est lun des facteurs à prendre en
compte pour établir si un juste équilibre a été respecté,
mais elle ne saurait, à elle seule, être constitutive dune
violation de larticle 1 du Protocole no 1 (Depalle,
précité, § 91). 65.
La Cour observe que, tel quil a été interprété par le
Conseil dÉtat, larticle L. 160-5 du code de lurbanisme
permet au propriétaire dont le bien est frappé dune
servitude de prétendre à une indemnisation devant la
juridiction administrative « dans le cas exceptionnel où il
résulte de lensemble des conditions et circonstances dans
lesquelles la servitude a été instituée et mise en uvre,
ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une
charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec lobjectif
dintérêt général poursuivi » (paragraphe 37 ci-dessus). 66.
La Cour estime quil sagit là dun système qui
permet de mettre en balance les intérêts de lintéressé
et ceux de la communauté (Antunes Rodrigues, précité, § 35). 67.
En lespèce, les juridictions françaises ont estimé,
après avoir entendu contradictoirement les arguments des parties
et examiné tous les éléments pertinents, que le préjudice
subi par les requérants nouvrait pas droit à
indemnisation. La Cour ne décèle aucun élément permettant de
conclure que leurs décisions seraient entachées darbitraire
ou manifestement déraisonnables (Antunes Rodrigues, précité,
§ 36), compte tenu notamment de ce que la servitude dinconstructibilité
sapplique à la totalité du littoral français. 68.
La Cour relève en particulier que la cour administrative dappel
a estimé que M. Henri Malfatto nétablissait pas un lien
de causalité direct entre la servitude et son préjudice : elle
a noté que sil avait effectué, entre 1965 et 1972 des
travaux préparatoires et de viabilisation du lotissement, il navait
engagé, entre 1972 et 1989, date à laquelle il sétait vu
opposer un refus de permis de construire (soit pendant quinze ans),
aucune action tendant à la mise en uvre des droits quil
détenait de lautorisation de lotir dont il bénéficiait
depuis 1964. 69.
Dès lors, la Cour observe que M. Henri Malfatto sest
abstenu pendant de nombreuses années dexploiter son bien (mutatis
mutandis décision Longobardi et autres précitée et Sinan
Yildiz et autres c. Turquie, no 37959/04, 12 janvier 2010). Elle
relève dailleurs que, pendant cette période, le seul lot
qui a été vendu en 1972 à un tiers a pu être construit (paragraphe
12 ci-dessus). 70.
Sagissant des autres requérants, la Cour estime également
raisonnable la conclusion des juridictions internes qui ont
considéré quils navaient pas personnellement
supporté le coût des travaux et rappelé quune
autorisation de lotir nimpliquait pas automatiquement le
droit de construire. La Cour estime que la baisse de la valeur
des terrains en cause ne saurait suffire, en tant que telle et en
labsence dautres éléments, à mettre en cause ces
conclusions. 71.
Au vu de lensemble des considérations ci-dessus, la Cour
estime quil ny a pas eu rupture de léquilibre
entre les droits des requérants et lintérêt général de
la communauté. 72.
Dès lors, la Cour conclut quil ny a pas eu violation
de larticle 1 du Protocole no 1. MAHMUT
SEZER c. TURQUIE du 23 septembre 2014 Requête 43545/09 Violation de l'article
1 du protocole 1 : le requérant achète un terrain pour
construire. Classé en zone verte, il ne peut pas construire. Il
n'a donc pas usage de son bien. A. Sur
la recevabilité 17. Le
Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours
internes, reprochant au requérant de ne pas sêtre opposé
au plan local durbanisme litigieux et de ne pas en avoir
demandé lannulation. Il soutient que lintéressé
aurait également dû saisir les tribunaux administratifs dune
action en dommages et intérêts sur le fondement de larticle
13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. 18. Sagissant
en premier lieu de la procédure visant à lannulation dun
plan durbanisme déterminé, la Cour estime quelle ne
pouvait avoir une incidence sur la présente requête, étant
donné que le requérant se plaint des répercussions des
limitations ayant frappé son terrain en labsence dindemnisation
et non de lirrégularité du plan durbanisme en
question (Ziya Çevik c. Turquie, no 19145/08, § 27, 21 juin 2011, Hakan
Ari c. Turquie, no 13331/07, § 28, 11 janvier 2011,
Rossitto c. Italie, no 7977/03, § 19, 26 mai
2009, et Scordino c. Italie (no 2) (déc.), no 36815/97, 12 décembre 2002). 19. Sagissant
en deuxième lieu de laction en dommages et intérêts
devant les tribunaux administratifs, la Cour considère que le
requérant peut passer pour avoir épuisé les voies de recours
internes dans la mesure où il a saisi les juridictions
nationales dune demande tendant à faire annuler le refus
de ladministration à sa demande alternative de permis de
construire ou dexpropriation. À cet égard, la Cour
rappelle quelle applique la règle de lépuisement
des voies de recours internes en tenant dûment compte du
contexte et avec une certaine souplesse, sans formalisme excessif.
Elle réaffirme que, lorsquune voie de recours a été
utilisée, lusage dune autre voie dont le but est
pratiquement le même nest pas exigé (Kozacioglu c. Turquie
[GC], no 2334/03, §§ 39-43, CEDH 2009,
et Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29801/03, § 84, CEDH 2008).
Dès lors, elle estime, eu égard aux circonstances de la cause,
quil serait excessif de reprocher au requérant de navoir
pas introduit devant les tribunaux administratifs le recours
mentionné par le Gouvernement. Autrement dit, la Cour considère
que le requérant a fait tout ce que lon pouvait
raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de
recours internes (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 59, CEDH 2000-VII).
Au demeurant, elle observe que le Gouvernement na pas
démontré que la voie de recours visée par lui était
disponible et adéquate dans la pratique relative à la violation
incriminée. La Cour nest pas convaincue que le recours
fondé sur larticle 13 de la loi no 2577 sur la procédure
administrative était accessible et susceptible doffrir au
requérant le redressement de ses griefs et présentait des
perspectives raisonnables de succès. 20. Compte
tenu de ce qui précède, la Cour rejette les exceptions
préliminaires du Gouvernement. 21. Elle
constate par ailleurs que la requête nest pas
manifestement mal fondée au sens de larticle 35 § 3 de la
Convention. Elle relève en outre quelle ne se heurte à
aucun autre motif dirrecevabilité. Il convient donc de la
déclarer recevable. B. Sur
le fond 22. Le
requérant soutient que la situation dénoncée a emporté
violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Il allègue subir une ingérence dans lexercice du droit au
respect de ses biens depuis 1982, date à laquelle ladministration
a décidé de classer son terrain d« espace vert ».
Pendant toute cette période, son terrain doté du statut de
terrain constructible aurait été frappé dune restriction
dusage consistant en une interdiction de construire, jusquà
ce que ladministration procédât, à une date
indéterminée, à son expropriation. Le requérant se plaint de
cette situation dincertitude. Il reproche aux autorités
leur inertie et soutient avoir perdu de la sorte la pleine
jouissance du terrain. Compte tenu de la situation dénoncée, il
estime quil y a eu une atteinte disproportionnée à son
droit au respect de ses biens. 23. Le
Gouvernement réitère ses exceptions préliminaires. Il ajoute
que la restriction dénoncée a été réalisée pour cause dutilité
publique et que celle-ci na pas imposée au requérant une
charge excessive. 24. La
Cour considère quil y a eu ingérence dans lexercice
par le requérant de son droit au respect de ses biens. 25. Elle
note en effet que, depuis 1982, le terrain de lintéressé
est classé « espace vert » dans le plan durbanisme
alors quil a le statut de terrain constructible sur le
registre foncier. 26. Cette
situation a eu pour conséquence non seulement que le terrain a
été frappé dune interdiction de construire mais aussi quil
y a eu une restriction de la disponibilité du bien en cause.
27. Ladministration na pas exproprié pour
autant le requérant de son terrain. 28. Reste
à savoir si cette ingérence a enfreint ou non les dispositions
de larticle 1 du Protocole no 1. 29. La
Cour observe quil ny a pas eu de privation formelle
de propriété puisque le droit de propriété du requérant est
resté juridiquement intact. Cependant, elle rappelle que, en labsence
dun transfert de propriété, elle doit aussi regarder au-delà
des apparences et analyser la réalité de la situation
litigieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982,
§ 63, série A no 52, et Van Droogenbroeck c. Belgique, 24
juin 1982, § 38, série A no 50). 30. À
cet égard, elle relève que les effets de la situation
litigieuse dénoncés par le requérant découlent tous des
limitations apportées au droit de propriété et des
conséquences de celles-ci sur la valeur de limmeuble ;
ils résultent donc tous de la restriction exercée sur la
faculté de lintéressé de disposer de son bien. Cela
étant, la Cour note que, bien quil ait perdu de sa
substance, le droit en cause na pas disparu. Les effets des
mesures en question ne sont pas tels quon puisse les
assimiler à une privation de propriété. Le requérant na
perdu ni laccès à son terrain ni la maîtrise de celui-ci
et, en principe, la possibilité de vendre son bien, bien que
rendue plus malaisée, a subsisté. Dans ces conditions, la Cour
estime que la seconde phrase du premier alinéa de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention ne trouve pas à sappliquer
en lespèce (Scordino c. Italie (no 2), no 36815/97, § 71, 15 juillet 2004,
et Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, 16 septembre
1996, § 85, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). 31. En
revanche, elle considère que la situation dénoncée par le
requérant relève de la première phrase de larticle 1 du
Protocole no 1. (Sporrong et Lönnroth, précité, § 65, Erkner
et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, § 74, série A no
117, Poiss c. Autriche, 23 avril 1987, § 64, série A no 117,
Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, § 57, CEDH 2001-IX, Scordino
(no 2), précité, § 73, Köktepe c. Turquie, no 35785/03, § 85, 22 juillet 2008,
Hakan Ari, précité, § 37, Ziya Çevik, précité, § 36, et Hüseyin
Kaplan c. Turquie, no 24508/09, § 39, 1 octobre 2013). 32. La
Cour doit donc rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux du requérant (Sporrong et Lönnroth, précité, §
69, et Phocas c. France, 23 avril 1996, § 53, Recueil 1996-II). 33. Sur
ce point, la Cour considère que dans la mesure où le terrain du
requérant était constructible sur le registre foncier, le
requérant était légitimement en droit dattendre lobtention
dun permis de construire. Or le terrain a par la suite
été soumis à une interdiction de construire en vue de son
expropriation, et ce en vertu du plan durbanisme ayant
affecté ce terrain à laménagement dun « espace
vert ». Cette interdiction a été maintenue de manière
continue. 34. La
Cour rappelle avoir jugé que, dans un domaine aussi complexe et
difficile que laménagement du territoire, les États
contractants jouissaient dune large marge dappréciation
pour mener leur politique urbanistique (Sporrong et Lönnroth,
précité, § 69). Dans les circonstances de la cause, elle tient
pour établi que lingérence dans lexercice par le
requérant de son droit au respect de ses biens répondait aux
exigences de lintérêt général. Néanmoins, elle ne
saurait renoncer pour autant à exercer son pouvoir de contrôle. 35. Elle
observe que, durant toute la période concernée, le requérant
est resté dans une incertitude complète quant au sort de sa
propriété. À la date du 25 mai 2011, lintéressé nétait
toujours pas exproprié de son bien. 36. La
Cour estime que cet état des choses a entravé la pleine
jouissance du droit de propriété du requérant, lequel ne peut
ni construire sur un terrain doté du statut de terrain
constructible. Cette situation a, de plus, eu des répercussions
dommageables en ce quelle a, entre autres,
considérablement affaibli les chances de lintéressé de
vendre son terrain. 37. Enfin,
la Cour constate que le requérant na vu sa perte
compensée par aucune indemnisation. À cet égard, comme il a
été précédemment souligné (voir paragraphe 19 ci-dessus), le
Gouvernement na fait parvenir à la Cour aucune décision
de justice démontrant que le droit interne eût été en mesure
de remédier à lincertitude attachée au sort du terrain
de lintéressé. Autrement dit, à la date dintroduction
de la requête devant la Cour, quand un plan durbanisme
était adopté et quil nétait pas exécuté, le
droit turc ne prévoyait aucun recours en indemnisation pour les
administrés lésés (voir dans le même sens, Ziya Çevik,
précité, § 42). 38. À
la lumière de ces considérations, elle estime que le requérant
a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu
le juste équilibre devant régner entre, dune part, les
exigences de lintérêt général et, dautre part, la
sauvegarde du droit au respect de ses biens (Hüseyin Kaplan,
précité, § 47, Hakan Ari, précité, § 46, Ziya Çevik,
précité, § 47, Sporrong et Lönnroth, précité, §§ 73 et 74,
Erkner et Hofauer, précité, §§ 78 et 79, Elia, précité, §
83, Rossitto, précité, § 45, Skibinscy c. Pologne, no 52589/99, § 98, 14 novembre
2006, Skrzynski c. Pologne, no 38672/02, § 92, 6
septembre 2007, Rosinski c. Pologne, no 17373/02, § 89, 17 juillet
2007, Buczkiewicz c. Pologne, no 10446/03, § 77, 26
février 2008, et Pietrzak c. Pologne, no 38185/02, § 115, 8 janvier 2008). 39. Dès
lors, la Cour conclut quil y a eu violation de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention. LA SAISIE CONSERVATOIRE
D'UN BIEN Uzan
et autres c. Turquie du 5 mars 2019 requêtes n° 19620/05, 41487/05,
17613/08 et 19316/08 Violation de larticle
1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) de la
Convention européenne des droits de lhomme (à la
majorité) dans le chef de Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan
et (à lunanimité) dans le chef de Ayla Uzan-Ashaboglu,
Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru. Mesures conservatoires
ordonnées sur les biens de trois proches des dirigeants dImarbank
et de deux de leurs employés : violation du droit de propriété. La Cour juge en
particulier que les autorités turques nont pas ménagé un
juste équilibre entre les impératifs de lintérêt
général et les exigences de la protection des droits des
requérants au respect de leurs biens. Dans son raisonnement, la
Cour relève entre autres que la durée de validité des
restrictions en cause a duré près de 10 ans pour une
requérante et plus de 12 ou 15 ans pour les autres requérants.
Elle constate aussi le caractère automatique, généralisé et
inflexible de ces mesures, ainsi que leur étendue (deux
requérants, mineurs à lépoque des faits, ont été
privés de la possibilité dacquérir toutes sortes de
biens ; les autres requérantes ont été empêchées de disposer
de leur salaire, de leur véhicule etc.). Elle relève enfin labsence
déléments portant sur limplication des requérants
sur une quelconque fraude. La Cour rappelle quune
ingérence dans les droits prévus par larticle 1 du
Protocole n o 1 ne peut avoir de légitimité en labsence dun
débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes. À cet égard,
elle constate que les requérants, qui nétaient pas
parties à la procédure pénale principale, nont pas
bénéficié de ces garanties procédurales. CEDH a)
Sur lexistence dun bien et sur la nature de lingérence 189.
En premier lieu, en ce qui concerne lexistence dun
bien, la Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à
la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du
même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne
à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans
le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le
pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général, en mettant en
vigueur les lois quils estiment nécessaires à cette fin.
Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de
rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à
des exemples particuliers datteintes au droit de
propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la
lumière du principe consacré par la première (voir, parmi
beaucoup dautres, James et autres c. Royaume-Uni, 21
février 1986, § 37, série A no 98, et Sargsyan c. Azerbaïdjan
[GC], no 40167/06, § 217, CEDH 2015). 190. La
Cour rappelle également que la notion de « bien » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1 a une portée
autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens
corporels et qui est indépendante des qualifications formelles
du droit interne : certains autres droits et intérêts
constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
de propriété » et donc des « biens » aux fins
de cette disposition (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96,
§ 54, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96,
§ 100, CEDH 2000-I, Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11,
§ 211, CEDH 2015). 191.
La Cour réaffirme en outre que, bien que larticle 1 du
Protocole no 1 ne vaille que pour des « biens actuels » et ne
crée aucun droit den acquérir (Stummer c. Autriche [GC],
no 37452/02, § 82, CEDH 2011), dans certaines
circonstances des valeurs patrimoniales, y compris des créances,
en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins
une « espérance légitime » dobtenir la jouissance
effective dun droit de propriété, peuvent également
bénéficier de la protection de cette disposition (voir, parmi
beaucoup dautres, Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 50, CEDH 2013 (extraits), et
Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 142-143, 20 mars 2018). 192.
À ce sujet, elle redit quune espérance légitime doit
être plus concrète quun simple espoir et se fonder sur
une disposition juridique ou un acte juridique tel quune
décision judiciaire. Lespoir de voir renaître un droit
patrimonial éteint depuis longtemps ne peut être considéré
comme un « bien », pas plus quune créance conditionnelle
devenue caduque par la non-réalisation dune condition (Gratzinger
et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98,
§§ 69 et 73, CEDH 2002-VII).De plus, on ne peut conclure à lexistence
dune « espérance légitime » lorsquil y a
controverse sur la façon dont le droit interne doit être
interprété et appliqué et que les arguments développés par
le requérant à cet égard sont en définitive rejetés par les
juridictions nationales (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98,
§ 50, CEDH 2004-IX). En revanche, un intérêt
patrimonial reconnu par le droit interne même sil
est révocable dans certaines circonstances peut sanalyser
en un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 (Beyeler, précité, § 105). 193.
En lespèce, pour ce qui est des requérantes Ayla
Uzan-Ashaboglu, Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru, compte tenu des
faits et décisions de justice exposés ci-dessus, la Cour
considère, à la différence du Gouvernement, qui sest
exprimé sur ce point de manière générale sans rentrer dans
les détails, que les salaires, les avoirs et les biens mobiliers
et immobiliers sur lesquels les tribunaux internes ont ordonné
des mesures conservatoires sanalysent en des « biens » au
sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour
ce qui est des requérants Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan ,
à linstar des juridictions internes et du Gouvernement, la
Cour observe, dune part, que ces deux requérants, qui
étaient mineurs à lépoque des faits, navaient pas
de biens actuels au sens de larticle 1 du Protocole 1 à la
Convention et, dautre part, quils avaient lespérance
légitime den avoir pour le reste de leur vie. Eu égard au
constat des juridictions internes selon lequel ils jouissaient de
laptitude à avoir des droits et des obligations et quils
pourraient acquérir certains droits par le biais de lhéritage
et des donations (paragraphe 33 ci-dessus), repris par le
Gouvernement (paragraphe 185 ci-dessus), et eu égard au
caractère automatique, généralisé et inflexible des mesures
conservatoires et à leur durée incertaine, la Cour conclut que,
bien que mineurs, les requérants susmentionnés pouvaient
nourrir une « espérance légitime » relevant de la notion de
« bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1. 194.
En deuxième lieu, en ce qui concerne la nature de lingérence,
la Cour rappelle que la rétention des biens saisis par les
autorités judiciaires dans le cadre dune procédure
pénale doit être examinée sous langle du droit pour lÉtat
de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général, au sens du second alinéa de larticle 1 du
Protocole no 1 (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, CEDH 2007-VII, Borjonov c. Russie,
no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009, et Adamczyk c.
Pologne (déc.), no 28551/04, 7 novembre 2006). Elle constate quen
lespèce les mesures conservatoires prises contre les
requérants avaient en principe pour but non pas de priver ces
derniers de leurs biens, mais seulement de les empêcher
temporairement den user, dans lattente de lissue
de la procédure pénale ainsi que du recouvrement des sommes
réclamées par le FADE. La
Cour note également que selon Mme Ayla Uzan les autorités
compétentes auraient mis en vente aux enchères ses biens, mais
estime quune éventuelle privation de propriété dans ce
contexte ne change à rien à la nature de lingérence qui
doit toujours être examinée sous langle du droit pour lÉtat
de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt
général, au sens du second paragraphe de larticle 1 du
Protocole no 1 (Frizen c. Russie, no 58254/00, § 31, 24 mars 2005, Sud Fondi S.r.l. et
autres c. Italie, no 75909/01, § 129, 20 janvier 2009, et G.I.E.M. S.R.L.
et autres c. Italie (fond) [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 290, 28 juin 2018). 195.
La Cour doit à présent rechercher si lingérence se
justifie sous langle de larticle 1 du Protocole no 1
à la Convention. À cet égard, il convient de redire que, pour
être compatible avec cette disposition, une ingérence doit
remplir trois conditions : elle doit « mettre en vigueur les
lois quils jugent nécessaires pour réglementer lusage
des biens », être conforme « à lintérêt général »
et respecter un juste équilibre entre les droits du
propriétaire et les intérêts de la communauté. b)
Sur le respect du principe de légalité 196.
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence
de lautorité publique dans la jouissance du droit au
respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun
des principes fondamentaux dune société démocratique,
est une notion inhérente à lensemble des articles de la
Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94 et 95, 25 octobre 2012). Il en
découle que la nécessité dexaminer la question du juste
équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest
avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe
de légalité et nétait pas arbitraire » (Guiso-Gallisay
c. Italie, no 58858/00, § 80, 8 décembre 2005, avec les
références qui y sont citées). 197.
La Cour rappelle aussi que le principe de la légalité
présuppose également lexistence de normes de droit
interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans
leur application (Ex-Roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 79, CEDH CEDH 2000-XII, Beyeler,
précité, §§ 109 et 110, et Fener Rum Patrikligi c. Turquie, no
14340/05, § 70, 8 juillet 2008). Quant à la
portée de la notion de « prévisibilité », elle dépend dans
une large mesure du contenu du texte dont il sagit, du
domaine que celui-ci couvre ainsi que du nombre et de la qualité
de ses destinataires (voir, mutatis mutandis, Sud Fondi srl et
autres c. Italie, no 75909/01, § 109, 20 janvier 2009, et Yasar Holding
A.S., précité, § 92, 4 avril 2017). 198.
En lespèce, la Cour relève que les mesures conservatoires
ont été ordonnées et maintenues sur le fondement de larticle
2 provisoire de la loi no 4969 du 31 juillet 2003, de larticle
additionnel 1 de lancienne loi no 4389, telle que modifiée
par la loi no 5020 du 26 décembre 2003, et de larticle 135
de la loi no 5411 du 19 octobre 2005. Elle rappelle quil ne
lui appartient pas de se prononcer in abstracto sur la
compatibilité de ces dispositions avec la Convention, mais dapprécier
in concreto lincidence de lapplication de ces lois
sur le droit des requérants au respect de leurs biens, au sens
de larticle 1 du Protocole no 1.La Cour rappelle que le
pouvoir quelle a de contrôler le respect du droit interne
est limité. Cest au premier chef aux autorités nationales,
notamment aux tribunaux, quil incombe dinterpréter
et dappliquer le droit interne, même dans les domaines où
la Convention sen « approprie » les normes : par la force
des choses, lesdites autorités sont spécialement qualifiées
pour trancher les questions surgissant à cet égard (Zagrebacka
banka d.d. c. Croatie, no 39544/05, § 263, 12 décembre 2013). Cest dautant
plus vrai lorsque sont en cause, comme en lespèce, de
difficiles questions dinterprétation du droit national (Anheuser-Busch
Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007 I). Sauf si linterprétation
retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la tâche
de la Cour se limite à déterminer si ses effets sont
compatibles avec la Convention (ibidem, §§ 83 et 86). Cest
pour cette raison que la Cour a jugé que, en principe, un
requérant ne peut passer pour jouir dune créance
suffisamment certaine sanalysant en une « valeur
patrimoniale » aux fins de larticle 1 du Protocole no 1
lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit
interne doit être interprété et appliqué et que la question
du respect par lui des prescriptions légales appelle une
décision de justice (voir, par exemple, Kopecký, précité,
§§ 50 et 58, et Milainovic c. Croatie (déc.), no 26659/08, 1er juillet 2010, Radomilja et autres c.
Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, S., V. et A. c.
Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 148, 22 octobre 2018, et Molla
Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018). 199.
Dans la présente affaire, la Cour note que la loi no 4969 du 31
juillet 2003, qui, en son article 2 provisoire, a servi de
fondement à lordonnance de mesures conservatoires et les
autres lois applicables en lespèce, qui ont servi à
motiver le maintien de ces mesures, sont entrées en vigueur
après la date de transfert de la gestion et du contrôle de
Imarbank. Cela dit, une éventuelle application de larticle
additionnel 1 de lancienne loi no 4389, telle que modifiée
par la loi no 5020 du 26 décembre 2003, et de larticle 135
de la loi no 5411 du 19 octobre 2005 au cas des requérants naurait
pas constitué per se une violation de larticle 1 du
Protocole no 1, car cette dernière disposition ninterdit
pas, en tant que telle, lapplication rétroactive dune
loi en matière civile (voir, mutatis mutandis, M.A. et autres c.
Finlande (déc.), no 27793/95, 10 juin 2003, et Di Belmonte c. Italie (no
2) (déc.), no 72665/01, 3 juin 2004). 200.
En loccurrence, aux yeux de la Cour, se posent plutôt la
question de savoir si les lois qui ont servi de fondement aux
mesures conservatoires étaient suffisamment accessibles,
précises et prévisibles, et celle de savoir si les requérants,
qui ont tous bénéficié dune décision de non-lieu le 21
janvier 2004 soit quelques mois après le déclenchement
de laffaire et qui nont jamais été
condamnés par les juridictions internes dans le cadre de cette
affaire, pouvaient ou devaient sattendre à une application
automatique de ces mesures tout au long de la procédure. Il
convient ainsi de déterminer, à la lumière de larticle
135 de la loi no 5411 selon lequel les tribunaux internes
doivent désigner les responsables des pertes financières, qui
seront alors tenus de rembourser au FADE les sommes que ce
dernier a dû verser aux clients de la banque dans le cadre de lassurance
sur les dépôts dépargne , si et dans quelle mesure,
après ladoption de la décision de non-lieu (pour tous les
requérants) et celle des décisions dacquittement (pour
les requérantes Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru), les
requérants pouvaient être tenues responsables du préjudice
matériel subi par le FADE. La Cour est davis quune
réponse affirmative ne semble pas être évidente. 201.
En tout état de cause, la Cour note quil était loisible
aux tribunaux, en vertu des lois en question, de décider le
maintien des mesures conservatoires tant que toutes les sommes
réclamées par le FADE navaient pas été recouvrées, et
ce dans un contexte marqué par une incertitude quant à lissue
de la procédure pénale visant les responsables présumés des
pertes financières étant donné labsence de ces personnes.
Pour les raisons énoncées ci-après, elle ne juge pas
nécessaire dexaminer plus avant le point de savoir si un
pouvoir discrétionnaire aussi vaste réponde au critère de
légalité. c)
Sur le but légitime de lingérence 202.
La Cour note quil nest pas controversé entre les
parties que les mesures litigieuses répondaient à un intérêt
général, qui était dempêcher lusage de biens
susceptibles davoir été acquis avec des fonds provenant dactivités
criminelles. La question qui se pose est celle de savoir si, dans
les circonstances concrètes de laffaire, lapplication
des lois en question et la durée excessive et incertaine des
mesures conservatoires ont imposé aux requérants des charges
excessives. d)
Sur la proportionnalité de lingérence 203.
Quant à la proportionnalité des mesures en cause, la Cour
rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige pour toute
ingérence un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé (Jahn et autres c. Allemagne [GC],
nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 83-95, CEDH 2005-VI). Ce juste
équilibre est rompu si la personne concernée doit supporter une
charge excessive et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. Suède,
23 septembre 1982, §§ 69-74, série A no 52, Maggio et autres c.
Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 57, 31 mai 2011, et G.I.E.M. S.R.L. et
autres c. Italie (fond) [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 300, 28 juin 2018). 204.
En lespèce, la Cour dit tout dabord reconnaître limportance
et la complexité de laffaire Imarbank pour les autorités
financières, administratives et judiciaires turques, ainsi que
la nécessité de prendre des mesures afin de protéger les
droits dun large nombre dindividus affectés par la
situation, de minorer les pertes éventuelles et de prévenir
tout acte frauduleux, de recouvrer les fonds publics et de
trouver les responsables présumés des pertes financières.
Destinées à empêcher les transferts frauduleux de fonds
publics, les mesures conservatoires peuvent constituer une arme
efficace et nécessaire pour combattre des actes frauduleux dans
le milieu financier (voir, mutatis mutandis, Raimondo c. Italie,
22 février 1994, § 30, série A no 281-A, et Arcuri c. Italie (déc.),
no 52024/99, CEDH 2001-VII). Dans ce contexte, la Cour
constate que limposition des mesures provisoires par la 2e
chambre du tribunal de police de Sisli, le 14 août 2003, ne va
pas en soi à lencontre du principe de proportionnalité.
Elle constate en même temps que les mesures conservatoires et
les saisies des biens appartenant aux requérants, que ces
derniers soient parties ou non aux procédures, sont, par nature,
des mesures sévères et restrictives. Pareilles mesures et
saisies sont susceptibles daffecter les droits dun
propriétaire à un point tel que son activité principale, voire
ses conditions de vie, peuvent être compromises (voir, mutatis
mutandis, JGK Statyba Ltd et Guselnikovas c. Lituanie, no 3330/12, § 129, 5 novembre 2013, Markass Car Hire
Ltd c. Chypre, no 51591/99, § 39, 2 juillet 2002, et Vendittelli c.
Italie, 18 juillet 1994, § 35, série A no 293-A). 205.
La Cour admet que lordonnance de mesures provisoires, en
tant que telle, peut être justifiée par « lintérêt
général » si elle vise à prévenir les actes frauduleux afin
de garantir la satisfaction du créancier. Toutefois, compte tenu
du caractère restrictif des mesures préventives, il faut mettre
fin à ces dernières dès lors quelles se révèlent ne
plus être nécessaires (voir, mutatis mutandis, Raimondo,
précité, § 36, et Vendittelli, précité, § 40) : en effet,
plus les mesures provisoires restent en vigueur, plus limpact
sur la jouissance paisible du bien par le propriétaire est
important (JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 130). 206.
En loccurrence, la Cour constate que le problème de la
proportionnalité des mesures provisoires se pose plutôt à
partir de la date à laquelle les requérants ont bénéficié de
la décision de non-lieu du 21 janvier 2004. 207.
Elle estime quen lespèce la violation alléguée du
droit de propriété des requérants est étroitement liée,
entre autres, à la durée de la procédure et en est une
conséquence indirecte (voir, mutatis mutandis, Kunic c. Croatie,
no 22344/02, § 67, 11 janvier 2007, et JGK Statyba
Ltd et Guselnikovas, précité, § 131). Il y a lieu de souligner
que les mesures conservatoires litigieuses sont restées en
vigueur au moins près de dix ans dans le cas de chacun des
requérants. 208.
Plus précisément, dans le cas des requérants Jasmin Paris Uzan
et Renç Emre Uzan, la Cour remarque que les mesures
conservatoires ont été levées le 5 mai 2015. 209.
En ce qui concerne la requérante Ayla Uzan-Ashaboglu, la Cour
note que le Gouvernement et lintéressée saccordent
pour dire que les mesures prises à encontre de celle-ci sont
toujours en vigueur. 210.
Elle note que, pour la requérante Nimet Hülya Talu, ces mesures
ont été levées le 16 avril 2013, alors que celle-ci a été
acquittée 13 mars 2008, par la cour dassises, des chefs de
gestion dopérations bancaires frauduleuse et de
non-communication des documents et renseignements requis par les
autorités judiciaires. 211.
Enfin, sagissant de la requérante Bilge Dogru, il convient
dobserver que, alors que le Gouvernement a informé la Cour
de la levée, le 4 novembre 2013, des mesures conservatoires
imposées à ladite requérante, le représentant de cette
dernière a fourni des documents démontrant que les mesures
visant le patrimoine de sa cliente pourtant acquittée le
8 juillet 2008, par la cour dassises, des chefs de gestion
dopérations bancaires frauduleuse et de non-communication
des documents et renseignements requis par les autorités
judiciaires étaient maintenues, du moins partiellement. 212.
En évaluant la gravité de la charge imposée aux requérants,
la Cour juge également pertinents les éléments suivants.
La durée de la validité des restrictions en cause, qui se sont
poursuivies sur plus de douze ans pour les requérants Jasmin
Paris Uzan et Renç Emre Uzan, sur près de dix ans pour la
requérante Nimet Hülya Talu, et sur plus de quinze ans pour les
requérantes Bilge Dogru et Ayla Uzan-Ashaboglu (voir, par
exemple, les affaires Sporrong et Lönnroth, précité, § 72,
et JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 143, où les
restrictions à la pleine jouissance du droit de propriété ont
duré respectivement douze ans et plus de dix ans ; voir aussi Zelenchuk
et Tsytsyura c. Ukraine, nos 846/16 et 1075/16, § 144, 22 mai 2018).
Létendue des restrictions en question, en ce quelles
privent les requérants Jasmin Paris Uzan et Renç Emre Uzan de
la possibilité dacquérir toutes sortes de biens, et en ce
quelles empêchent la requérante Nimet Hülya Talu de
disposer de son salaire de professeur à luniversité et de
son véhicule, la requérante Bilge Dogru de ses économies et
également de sa voiture, et la requérante Ayla Uzan-Ashaboglu
de son domicile et aussi de son véhicule.
Le caractère automatique, généralisé et inflexible des
restrictions en cause, qui ne font pas lobjet dun
contrôle régulier individuel (comparer, mutatis mutandis, avec
Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 54, CEDH 1999-V, § 54, où la Cour a
conclu à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 en
partie car aucun tribunal nétait compétent pour statuer
sur les conséquences pouvant découler du retard dans lexécution
des ordonnances dexpulsion dans laffaire dun
propriétaire donné, Spadea et Scalabrino c. Italie, no 12868/87, §§ 37-40, 28 septembre 1995, et P.
Plaisier BV et autres c. Pays-Bas (déc.), nos 46184/16, 47789/16 et 19958/17, § 91, 14 novembre 2017, où une
évaluation individualisée de la gravité de la charge imposée
à la requérante par les juridictions nationales na pas
été exclue). À cet égard, il convient de constater que les
requérants de la présente espèce nont jamais été
condamnés par les juridictions internes dans le cadre de laffaire
pénale, et que les ordres de paiement émis à leur encontre ont
été annulés par les tribunaux compétents. Ces derniers ont
ainsi établi que les intéressés ne pouvaient être tenus pour
responsables du préjudice matériel subi par le FADE.
Labsence, dans le dossier, déléments qui
laisseraient à penser que les requérants pouvaient avoir été
impliqués dans une quelconque fraude. À cet égard, il importe
de relever que les intéressés ont tous bénéficié dune
décision de non-lieu le 21 janvier 2004, approuvée par la cour
dassises de Beyoglu le 10 mai 2004, et quils nétaient
pas visés par la procédure pénale principale. Pour autant, les
autorités internes nont envisagé de mesures alternatives
que très tardivement, voire jamais. Dans le cas des requérantes
Nimet Hülya Talu et Bilge Dogru, il y a lieu de noter que
celles-ci ont bénéficié de décisions dacquittement, le
13 mars 2008 et le 8 juillet 2008 respectivement, mais quune
partie importante des mesures imposées sur leurs biens a
continué à être en vigueur et ce alors quaucune
autre procédure pénale dirigée contre les intéressées nétait
pendante , et que les arriérés de salaire sur dix ans de
la première de ces requérantes nont été versés quen
2013. De même, en ce qui concerne la requérante Ayla
Uzan-Ashaboglu, il ne ressort pas du dossier que cette dernière,
qui a pourtant bénéficié de décisions de justice rendues en
sa faveur, sest vu appliquer une quelconque mesure
alternative. Toujours
est-il quaucun élément du dossier nindique que le
recouvrement des créances publiques, dont le montant sélevait
à plus de 4 milliards EUR, méritait une meilleure protection
que les biens des requérants (voir, mutatis mutandis, JGK
Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 120, et Lachikhina c.
Russie, no 38783/07, § 63, 10 octobre 2017). 213.
Par ailleurs, la Cour constate que lattribution par la cour
dassises dIstanbul à certains des requérants d«
une qualité autre que celle de parties au procès » a empêché
et empêche toujours les intéressés de participer à la
procédure pénale principale, à laquelle est pourtant attaché
le sort de leurs droits. Or ni les juridictions internes, dans
leurs décisions, ni le Gouvernement, dans ses observations, nont
expliqué quel était le fondement de loctroi de cette
qualité auxdits requérants. 214.
En outre, la Cour estime quil convient de ne pas négliger
limportance des obligations procédurales au titre de larticle
1 du Protocole no 1. Ainsi, elle a maintes fois relevé que,
nonobstant le silence de larticle 1 du Protocole no 1 en
matière dexigences procédurales, une procédure
judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi
offrir à la personne concernée une occasion adéquate dexposer
sa cause aux autorités compétentes afin de contester
effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis
par cette disposition (Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96, CEDH 2002-VII, Capital Bank AD c.
Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005-XII (extraits),
Anheuser-Busch Inc., précité, § 83, J.A. Pye (Oxford) Ltd et
J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 57, CEDH 2007-III, Zafranas c. Grèce,
no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011, et Giavi c. Grèce,
no 25816/09, § 44, 3 octobre 2013 ; voir également,
mutatis mutandis, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 123, 20 juin 2002, et Grande Stevens et
autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 188, 4 mars 2014). Une
ingérence dans les droits prévus par larticle 1 du
Protocole no 1 ne peut ainsi avoir de légitimité en labsence
dun débat contradictoire et respectueux du principe de légalité
des armes, qui permette de discuter des aspects présentant de limportance
pour lissue de la cause. Pour sassurer du respect de
cette condition, il y a lieu de considérer les procédures
applicables dun point de vue général (voir, parmi dautres,
AGOSI c. Royaume-Uni, no 9118/80, § 55, 24 octobre 1986, Hentrich c.
France, § 49, 22 septembre 1994, série A no 296-A, Jokela c.
Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV, Gáll c. Hongrie, no
49570/11, § 63, 25 juin 2013, Sociedad Anónima
del Ucieza c. Espagne, no 38963/08, § 74, 4 novembre 2014, et G.I.E.M. S.R.L.
et autres, précité, § 302). 215.
Dans la présente affaire, la Cour estime que limposition
et le maintien automatique des mesures conservatoires sur les
biens des requérants en application des lois susmentionnées,
justifiés, dans le cas des uns, par le seul fait de lexistence
dun lien de parenté avec les dirigeants de la banque et,
dans le cas des autres, par le seul fait de lexercice, à
un moment donné, de responsabilités au sein de la banque
et ce en dépit du prononcé de décisions de non-lieu et dacquittement
pour tous les chefs daccusation , saccordent
mal avec ces principes puisquils ne permettent pas au juge
dévaluer quels sont les instruments les plus adaptés aux
circonstances spécifiques de lespèce ni, plus
généralement, deffectuer une mise en balance entre le but
légitime sous-jacent et les droits des intéressés touchés par
ladite sanction. De plus, les requérants nayant pas été
parties à la procédure pénale principale, ils nont
bénéficié daucune des garanties procédurales visées au
paragraphe précédent (voir, mutatis mutandis, G.I.E.M. S.R.L.
et autres, précité, § 303). 216.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les
autorités turques nont pas ménagé un « juste équilibre
» entre les impératifs de lintérêt général et les
exigences de la protection des droits des requérants au respect
de leurs biens. Partant, il y a eu violation de larticle 1
du Protocole no1 à la Convention. LIMITATION DE L'UTILISATION
D'UN BIEN CULTUREL Petar
Matas c. Croatie du 4 octobre 2016, requête no 40581/12 Violation de l'article
1 du Protocole 1 : Restrictions excessives de lusage dun
atelier de réparation automobile dans lattente dune
évaluation pour le patrimoine culturel Cette mesure de
contrôle, fondée sur larticle 10 de la loi sur le
patrimoine culturel, était prévue par la loi et poursuivait le
but légitime consistant à protéger et à faire connaître les
racines historiques, culturelles et artistiques dune
région et de ses habitants. La Cour juge
cependant que cette atteinte aux droits de propriété de M.
Matas pour des raisons liées au patrimoine culturel ne satisfait
pas aux exigences en matière de protection du droit de
propriété qui découlent de la Convention européenne. Elle
souligne notamment ses réserves quant à deux aspects de la
conduite des autorités dans la cause de M. Matas. En premier lieu,
alors que deux mesures de protection préventive ont été
appliquées au bâtiment de M. Matas sur une période de six ans,
les autorités ne semblent avoir procédé pendant cet intervalle
à aucun mesurage ni aucune évaluation ou étude destinés à
déterminer la valeur du bien pour le patrimoine culturel. La
Cour ne peut accepter la justification donnée à une si longue
application des mesures de prévention, à savoir limpossibilité
où les autorités se seraient trouvées dobtenir auprès
du tribunal municipal de Split un extrait du cadastre concernant
le bâtiment en question. En effet, les données cadastrales sont
des informations publiques faciles à obtenir par le biais dInternet
et par dautres moyens. En second lieu,
la procédure menée par les autorités nationales dans la cause
de M. Matas a été entachée de plusieurs omissions dordre
procédural. Lorsquelles ont ordonné les mesures de
protection préventive en mars 2003 et en janvier 2007, les
autorités locales nont pas informé M. Matas de la
nécessité de prendre ces mesures ; elles nont pas non
plus transmis leurs décisions à lintéressé. Elles nont
donc pas tenu compte de son avis sur la question et de limpact
que ces mesures auraient sur ses droits de propriété. En outre, en
dépit des arguments clairs de M. Matas quant à limpact
des restrictions litigieuses sur ses projets commerciaux liés à
latelier, le tribunal administratif na pas cherché
à savoir si lapplication prolongée des mesures de
protection préventive avait eu un effet disproportionné sur les
droits de propriété du requérant. De surcroît, les omissions
du tribunal administratif nont pas été réparées par la
Cour constitutionnelle. Dès lors, la Cour conclut quil y a
eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la
Convention. DÉCISION
D'IRRECEVABILITE DU 3 JUIN 2013 Fürst
von Thurn und Taxis c. Allemagne requête no 26367/10 EN MATIÈRE DE
PATRIMOINE CULTUREL Le refus de
lever les restrictions à lusage de biens hérités ayant
une valeur historique et culturelle se justifie par des raisons dintérêt
général L'affaire
concerne la plainte introduite par le prince Albert von Thurn und
Taxis au sujet de certaines restrictions à lusage dune
bibliothèque et darchives présentant une grande valeur
historique et culturelle, biens dont il a hérité et qui ont
appartenu à un fonds fiduciaire familial jusquen 1939. La Cour conclut
notamment que la préservation dun élément important du
patrimoine culturel peut justifier un contrôle de la part dune
autorité de lEtat, que le requérant ne sest pas vu
refuser lautorisation deffectuer certaines
transactions particulières à propos de ces biens et quil
nest en conséquence pas établi quil a été
totalement privé de la possibilité duser de ses biens de
manière raisonnable ; elle dit aussi quil ne se trouve pas
dans une situation comparable à celle dun propriétaire de
biens nayant jamais appartenu à un fonds fiduciaire
familial. Article 1 du
Protocole no 1 Etant donné
que la plainte du requérant porte seulement sur le refus opposé
par les tribunaux allemands, à la suite de sa demande formulée
en 2002, de lever les mesures prises en 1943, et non ladoption
même de ces mesures, la compétence de la Cour pour connaître
de cet aspect de la requête nest pas exclue ratione
temporis. La Cour
considère que les dispositions pertinentes de la loi sur la
dissolution des fonds fiduciaires familiaux, même si elles sont
rédigées en termes généraux, constituent une base légale
suffisante pour les mesures restrictives en cause. De plus, le
requérant ne conteste pas que lingérence dans ses droits
visait un but légitime, à savoir la protection du patrimoine
culturel allemand. Sagissant
de léquilibre devant être ménagé entre les exigences de
lintérêt général et la protection des droits du
requérant, la Cour note que ce dernier a acquis par voie de
succession la propriété de la bibliothèque et des archives
alors que ces biens faisaient déjà lobjet de restrictions,
puisquelles ont été imposées en 1943. Au moment de cette
acquisition, il ne pouvait donc ignorer lexistence des
restrictions en cause. Au sujet de la
première mesure le placement des biens sous le contrôle
des directeurs de la bibliothèque et des archives du Land de
Bavière la Cour considère que la protection dun
élément important du patrimoine culturel peut justifier de le
placer sous le contrôle dune autorité compétente de lEtat.
De plus, le requérant na nullement avancé que cette
autorité exerçait son pouvoir de contrôle de manière
disproportionnée. La deuxième
mesure lobligation pour le propriétaire dalors
et ses héritiers dobtenir lautorisation de lautorité
de contrôle avant de modifier, déplacer ou céder la
bibliothèque ou les archives la Cour observe que le
requérant na pas déclaré quil avait sollicité lautorisation
deffectuer une certaine transaction portant sur ses biens
et quelle lui avait été refusée. Dès lors, il nest
pas établi quil a été entièrement privé de la
possibilité de faire usage de ses biens de manière raisonnable.
De plus, les tribunaux allemands ayant examiné au fond sa
demande de levée des mesures, le requérant a pu contester en
justice la nécessité des restrictions. Quant à la
troisième mesure, à savoir lobligation pour le
propriétaire de conserver la bibliothèque et les archives « en
bon ordre », la Cour reconnaît que les frais dentretien
de tels biens sont considérables. Elle estime cependant que ces
frais sont également nécessaires pour préserver la valeur des
biens du requérant. Vu ces
considérations et eu égard à lample marge dappréciation
reconnue à lEtat dans le domaine du contrôle de lusage
des biens, la Cour considère que la décision de ne pas lever
les mesures de restriction na pas fait peser sur le
requérant une charge disproportionnée et excessive. Il ny
a dès lors aucune apparence de violation de larticle 1 du
Protocole no 1. Il sensuit que ce grief est manifestement
mal fondé et doit être rejeté. Article 14
combiné avec larticle 1 du Protocole no 1 La Cour na
pas compétence ratione temporis pour rechercher si les
décisions émises en 1943, soit avant lentrée en vigueur
de la Convention, ont entraîné une discrimination envers les
propriétaires antérieurs des biens détenus par le requérant.
Pour ce qui est de la décision de ne pas lever les mesures,
adoptée par les tribunaux allemands après que le requérant les
eut saisis en 2002, la Cour prend note de la conclusion de ces
juridictions selon laquelle les circonstances sociales et
historiques relatives à lacquisition de biens ayant
appartenu à des fonds fiduciaires familiaux ne sauraient se
comparer avec les conditions dacquisition dautres
biens « civils ». Dans ces conditions, la Cour considère que
le requérant, en sa qualité de propriétaire de biens
auparavant acquis dans des conditions privilégiées et ayant
appartenu à un fonds fiduciaire familial, se trouve dans une
situation qui nest pas comparable à celle des
propriétaires de biens nayant jamais appartenu à un tel
fonds. Il sensuit quil ny a aucune apparence de
violation de larticle 14 combiné avec larticle 1 du
Protocole no 1. Dès lors, ce grief est lui aussi manifestement
mal fondé et doit être rejeté. ÉCHELONNEMENT DE LA
DETTE DE L'ÉTAT Décision
d'Irrecevabilité du 4 septembre 2012 Dumitru et autre C.
Roumanie Requête 57265/08 L'ETAT SOUMIS A
UNE CRISE ECONOMIQUE PEUT ECHELONNER LE PAIEMENT DE SES DETTES
DUES A SES FONCTIONNAIRES. 38. La
Cour rappelle que lexécution dun jugement ou dun
arrêt de justice fait partie intégrante du « procès »
au sens de larticle 6 (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997,
§ 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II). Linexécution
par un État contractant dune décision de justice rendue
contre lui peut constituer une violation du droit du justiciable
à un tribunal consacré par larticle 6 § 1 de la
Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH
2002-III). Elle peut, en outre, porter atteinte au droit du
justiciable au respect de ses biens, lorsque le jugement en sa
faveur fait naître une créance certaine qui doit être
qualifiée de « bien » au sens de larticle 1 du
Protocole no 1 (Bourdov, précité, § 40). 39. Une
autorité de lÉtat ne saurait prétexter un manque de
ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une
décision de justice. Sil est vrai quun retard dans lexécution
dune décision de justice peut se justifier dans des
circonstances particulières, ce retard ne saurait être tel que
la substance même du droit protégé par larticle 6 § 1
de la Convention sen trouverait affectée (voir, entre
autres, Hornsby précité, § 40; Jasiuniene c. Lituanie,
no 41510/98, § 27, 6 mars 2003 ; Qufaj Co. Sh.p.k.
c. Albanie, no 54268/00, § 38, 18 novembre 2004, et Beshiri
et autres c. Albanie, no 7352/03, § 60, 22 août 2006). 40. En
même temps, pour juger du respect de lexigence dexécution
dans un délai raisonnable, la Cour prend en compte la
complexité de la procédure, le comportement des parties, ainsi
que lobjet de la décision à exécuter (Raïlian c. Russie,
no 22000/03, § 31, 15 février 2007). Afin
de répondre à la question de savoir si larticle 6 a été
respecté, la Cour doit prendre en compte le comportement de
toutes les autorités nationales concernées, y compris celle du
législateur national (voir, mutatis mutandis, Young, James et
Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, §§ 48-49, série A
no 44). 41. Appelée
à se prononcer sur le respect de larticle 1 du Protocole no
1 à la Convention, la Cour a considéré que le législateur
devait jouir, dans la mise en uvre de ses politiques,
notamment sociales et économiques, dune grande latitude
pour se prononcer tant sur lexistence dun problème dintérêt
public appelant une réglementation que sur le choix des
modalités dapplication de cette dernière. La Cour
respecte la manière dont il conçoit les impératifs de lintérêt
général, sauf si son jugement se révèle manifestement
dépourvu de base raisonnable (Mellacher et autres c. Autriche,
19 décembre 1989, § 45, série A no 169). 42. En
outre, elle a jugé incompatible avec les exigences de larticle
1 du Protocole no 1 à la Convention un aménagement du paiement
de dettes établies par voie judiciaire, dès lors que lacte
daménagement navait pas qualité de « loi »
au sens de la jurisprudence de la Cour (SARL Amat-G et
Mébaghichvili c. Géorgie, no 2507/03, § 61, CEDH 2005-VIII)
ou que le mécanisme daménagement, bien que répondant à
la notion de « loi », avait été appliqué dune
manière défectueuse (Suljagic c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02,
§§ 56-57, 3 novembre 2009). 43. En
lespèce, la Cour observe quil nest pas
reproché au gouvernement défendeur davoir refusé dexécuter
des décisions de justice reconnaissant aux requérants des
droits de nature patrimoniale. Les intéressés ne prétendent
pas non plus que les dispositions légales adoptées en la
matière visaient à laisser sans aucun effet ces décisions
judiciaires. 44. Les
requérants se plaignent essentiellement de léchelonnement,
décidé par voie législative, de lexécution des
créances qui leur sont dues en vertu de décisions de justice. La
Cour est appelée à examiner si cet échelonnement, tel quappliqué
aux requérants, est compatible avec la Convention. 45. Elle
constate quentre 2008 et 2011, lÉtat roumain a
adopté plusieurs actes normatifs suspendant de jure lexécution
forcée de créances dues aux fonctionnaires en vertu de
décisions judiciaires et introduisant un système dexécution
de ces créances consistant en des versements par tranches
annuelles. La
première ordonnance du 11 juin 2008 (déclarée
inconstitutionnelle le 12 mai 2009), fut suivie de lOGU no 71/2009
fixant le règlement de ces créances en trois tranches annuelles,
de 2010 à 2012. En
2010, lOGU no 45/2010 prescrivit que le paiement des
sommes dues se ferait toujours par trois tranches annuelles, mais
entre 2012 et 2014. Enfin,
en décembre 2011, la loi no 230/2011 étala ce règlement
sur cinq ans, de 2012 jusquen 2016, avec des annuités
progressives, allant de 5 % lors de la première année à
35 % la dernière année (paragraphes 24-27 ci-dessus). 46. Le
Gouvernement justifie ces mesures par le fait quen 2008 le
pays sest trouvé confronté à une situation de
déséquilibre budgétaire important, susceptible de mettre en
péril la santé financière du pays. Selon lui, ce
déséquilibre résultait, entre autres, dun très grand
nombre de décisions judiciaires octroyant à certaines
catégories de fonctionnaires, par voie dinterprétation
des dispositions légales destinées à dautres catégories,
des droits de caractère patrimonial. En outre, la dégradation
de la situation financière du pays a continué au-delà de lannée
2008, dans un contexte de crise financière très sévère
touchant de nombreux pays, de sorte que le Gouvernement a dû
adapter aux réalités économiques le mécanisme déchelonnement
mis en place. 47. La
Cour rappelle quelle a déjà jugé que des mesures prises
afin de sauvegarder léquilibre budgétaire entre les
dépenses et les recettes publiques pouvaient être considérées
comme poursuivant un but dutilité publique (Mihaies et
Sentes c. Roumanie (déc.), no 44232/11 et 44605/11, 6 décembre
2011, ulcs c. Lettonie (déc.), no 42923/10, § 24, 6 décembre 2011,
et Panfile c. Roumanie (déc.), no 13902/11, § 21, 20 mars 2012). 48. En
lespèce, elle note quà partir de 2009, la Roumanie
a dû faire face à une grave crise économique et financière.
Les autorités nationales se trouvant en principe mieux placées
que le juge international pour déterminer ce qui est d« utilité
publique », la Cour est prête à admettre que, comme le
soutient le Gouvernement, les mesures contestées visaient un but
dutilité publique. 49. Pour
déterminer si lesdites mesures étaient proportionnées au but
poursuivi établir léquilibre budgétaire tout en
évitant la dégradation de la situation sociale la Cour estime
quil y a lieu de rechercher si, en lespèce, le
traitement réservé aux requérants a permis le maintien dun
équilibre entre les intérêts en cause. 50. Elle
note que les requérants disposaient de droits fermes et
intangibles en vertu de décisions de justice définitives
prononcées entre février et avril 2008. La Cour constate que,
bien que le mécanisme déchelonnement mis en place ait
subi de modifications, les autorités de lÉtat lont
respecté, en faisant preuve de diligence dans lexécution
des décisions de justice susmentionnées. Ainsi,
conformément au droit en vigueur (paragraphe 24 ci-dessus), les
requérants ont reçu dès octobre 2008 une première tranche
représentant 30 % du montant total des créances dues. En
septembre 2010, une somme supplémentaire égale à 25 % de
la deuxième tranche de 34 % du montant total leur a été
versée, alors même quen vertu de lOGU no 45/2010
du 19 mai 2010, la deuxième tranche aurait dû être payée
en 2012. Comme
lexigeait la loi, le montant des sommes versées était à
chaque fois indexé sur lindice des prix à la date du
versement. A
ce jour, les requérants ont reçu plus dun tiers de la
somme totale octroyée par les tribunaux, le restant de cette
somme devant être versé, selon la législation en vigueur, de
manière échelonnée, jusquen 2016. Rien dans le dossier nindique
que le Gouvernement nait pas lintention de respecter
ce calendrier. 51. Compte
tenu de ce quune partie substantielle des créances dues
aux requérants leur a déjà été versée, la Cour ne saurait
considérer que la substance même du droit des requérants sest
trouvée affectée. En
tout état de cause, au vu de lensemble des éléments ci-dessus
et du contexte particulier de la présente affaire, la Cour
considère que laménagement du règlement des créances
dues aux requérants ne saurait être considéré comme
déraisonnable. 52. Partant,
la Cour estime que la requête est manifestement mal fondée et
quelle doit être rejetée, en application de larticle
35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Par
ces motifs, la Cour, à lunanimité, Déclare la requête
irrecevable. Le Décret n° 2015-1572 du
2 décembre 2015 est relatif à l'établissement d'une servitude
d'utilité publique en tréfonds. L'INTERDICTION
D'EXPORTER DES OEUVRES D'ART CONSEIL
CONSTITUTIONNEL : Décision n° 2014-426 QPC du 14 novembre 2014 Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 8 septembre 2014 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Alain L. Cette question était relative à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
2 de la loi du 23 juin 1941 relative à l'exportation des
uvres d'art. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL, Vu la
Constitution ; 1. Considérant
qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative
à l'exportation des uvres d'art : « L'État a le droit de
retenir, soit pour son compte, soit pour le compte d'un
département, d'une commune ou d'un établissement public, au
prix fixé par l'exportateur, les objets proposés à l'exportation.
LES SERVITUDES
SUR LES CHALETS D'ALPAGE Conseil
Constitutionnel Décision n° 2016-540 QPC du 10 mai 2016 Société
civile Groupement foncier rural Namin et Co [Servitude
administrative grevant l'usage des chalets d'alpage et des
bâtiments d'estive] Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL a été saisi le 12 février 2016 par le Conseil
d'État (décision n° 394839 du 10 février 2016), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée pour la
société civile Groupement foncier rural Namin et Co, par la
SELARL Redlink, avocat au barreau de Paris. Cette question est
relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme, enregistrée au secrétariat
général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-540 QPC. Au vu des
textes suivants : 1. La société
requérante a saisi le tribunal administratif d'un recours. Ce
recours tend, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir
de la décision du 6 mars 2015 par laquelle le maire de la
commune des Fourgs a rejeté sa demande tendant à l'abrogation
de l'arrêté du 5 mars 2004 instituant, sur la parcelle
cadastrée ZE 27 dont elle est propriétaire dans cette commune,
la servitude prévue au paragraphe I de l'article L. 145-3 du
code de l'urbanisme. Ce recours tend, d'autre part, à l'abrogation
de cet arrêté du 5 mars 2004. La question prioritaire de
constitutionnalité devant être considérée comme portant sur
les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle
a été posée, le Conseil constitutionnel est saisi du second
alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003
mentionnée ci-dessus. 2. Le second
alinéa du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme
dans sa rédaction résultant de la loi du 2 juillet 2003 dispose
: « Lorsque des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive,
existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et
réseaux, ou lorsqu'ils sont desservis par des voies qui ne sont
pas utilisables en période hivernale, l'autorité compétente
peut subordonner la réalisation des travaux faisant l'objet d'un
permis de construire ou d'une déclaration de travaux à l'institution
d'une servitude administrative, publiée au bureau des
hypothèques, interdisant l'utilisation du bâtiment en période
hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l'absence de
réseaux. Lorsque le terrain n'est pas desservi par une voie
carrossable, la servitude rappelle l'interdiction de circulation
des véhicules à moteur édictée par l'article L. 362-1 du code
de l'environnement ». 3. La société
requérante soutient qu'en permettant à l'autorité
administrative d'instituer une servitude interdisant l'usage des
chalets d'alpage et des bâtiments d'estive en période hivernale
sans prévoir une indemnisation du propriétaire, les
dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article
17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette servitude, qui ne serait ni justifiée par un motif d'intérêt
général ni proportionnée à l'objectif poursuivi et dont l'institution
ne serait entourée d'aucune garantie procédurale,
méconnaîtrait également les exigences de l'article 2 de la
Déclaration de 1789. Il en résulterait enfin une atteinte au
principe d'égalité devant les charges publiques et à la
liberté d'aller et de venir. - SUR L'ATTEINTE
AU DROIT DE PROPRIÉTÉ : 4. La
propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par
les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son
article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et
sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment,
et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En
l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet
article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration
de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées
à l'objectif poursuivi. 5. Les
dispositions contestées permettent à l'autorité administrative
de subordonner la délivrance d'un permis de construire ou l'absence
d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution d'une
servitude interdisant ou limitant l'usage, en période hivernale,
des chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par
des voies et réseaux. 6. D'une part,
la servitude instituée en vertu des dispositions contestées n'entraîne
pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la
Déclaration de 1789 mais une limitation à l'exercice du droit
de propriété. 7. D'autre part,
en permettant d'instituer une telle servitude, le législateur a
voulu éviter que l'autorisation de réaliser des travaux sur des
chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive ait pour conséquence
de faire peser de nouvelles obligations de desserte de ces
bâtiments par les voies et réseaux. Il a également voulu
garantir la sécurité des personnes en période hivernale. Ainsi
le législateur a poursuivi un motif d'intérêt général. 8. Le champ d'application
des dispositions contestées est circonscrit aux seuls chalets d'alpage
et bâtiments d'estive conçus à usage saisonnier et qui, soit
ne sont pas desservis par des voies et réseaux, soit sont
desservis par des voies et réseaux non utilisables en période
hivernale. La servitude qu'elles prévoient ne peut être
instituée qu'à l'occasion de la réalisation de travaux
exigeant un permis de construire ou une déclaration de travaux.
Elle s'applique uniquement pendant la période hivernale et ne
peut excéder ce qui est nécessaire compte tenu de l'absence de
voie ou de réseau. 9. La décision
d'établissement de la servitude, qui est subordonnée à la
réalisation, par le propriétaire, de travaux exigeant un permis
de construire ou une déclaration de travaux, est placée sous le
contrôle du juge administratif. Le propriétaire du bien objet
de la servitude dispose de la faculté, au regard des changements
de circonstances, d'en demander l'abrogation à l'autorité
administrative à tout moment. 10. Il résulte
des motifs exposés aux paragraphes 7 à 9 que les dispositions
contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte
disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la
méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit
donc être écarté. - SUR LES
AUTRES GRIEFS : 11. Le seul
fait de permettre dans ces conditions l'institution d'une
servitude ne crée aucune rupture caractérisée de l'égalité
devant les charges publiques. Les dispositions contestées, qui
se bornent à apporter des restrictions à l'usage d'un chalet d'alpage
ou d'un bâtiment d'estive, ne portent aucune atteinte à la
liberté d'aller et de venir. 12. De l'ensemble
de ces motifs, il résulte que les dispositions du second alinéa
du paragraphe I de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme dans
sa rédaction issue de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003
urbanisme et habitat, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution. LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL DÉCIDE : Jugé par le
Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 mai 2016 où
siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques
HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et
M. Michel PINAULT. RÈGLES DE CRÉDIT POUR
PROTÉGER LE CONSOMMATEUR Merkantil Car Zrt. c. Hongrie du 20 décembre
2018 requête n° 22853/15 et quatre autres Article
1 du Protocole 1 : La CEDH rejette les griefs tirés par des
banques hongroises dune loi de 2014 sur les clauses
abusives dans les prêts à la consommation Dans
cette affaire, les cinq sociétés requérantes, toutes membres
du groupe OTP Bank, soutenaient quune législation
présumant abusives certaines clauses types de contrats de prêt
avait violé leur droit à un procès équitable et au respect de
leurs biens. La Cour a joint les requêtes et les a déclarées
irrecevables pour défaut manifeste de fondement. Elle a jugé en
particulier que les stricts délais procéduraux et les autres
règles de forme appliqués dans les procédures au cours
desquelles les banques contestaient la présomption dabus
frappant certaines clauses types de contrats de prêt navaient
pas violé le droit à un procès équitable. Les sociétés
requérantes navaient pas été empêchées de plaider en
faveur de leurs clauses contractuelles et ce nest pas parce
que leurs arguments avaient été rejetés que la procédure
avait été inéquitable. La Cour a observé que la loi de 2014
sur luniformité avait introduit une réforme législative
visant à aider la Hongrie à résoudre un problème dendettement
des consommateurs, en particulier les prêts libellés en devises
étrangères, postérieurement à la crise financière de 2008.
La législation navait donc pas rompu léquilibre
entre la protection des droits des sociétés requérantes et lintérêt
général. LES
FAITS Les
requérantes, Merkantil Car Zrt, Merkantil Bank Zrt, OTP
Jelzálogbank Zrt, OTP Bank Nyrt et OTP Ingatlanlízing Zrt, sont
des sociétés financières basées à Budapest. Elles sont
membres du groupe OTP Bank. En Hongrie, plusieurs lois furent
adoptées après la crise financière de 2008 afin de faire face
au niveau dendettement élevé des consommateurs dans le
pays. En 2014, le Parlement adopta la loi sur luniformité
qui transposa dans la législation différentes décisions de la
Kúria (Cour suprême) concernant le crédit à la consommation.
Elle introduisit également une présomption selon laquelle les
clauses contractuelles types qui navaient pas été
négociées individuellement et qui permettaient une augmentation
unilatérale des taux dintérêt, des frais et des coûts
étaient présumées abusives à moins de respecter sept
principes auparavant établis par la Kúria. En vertu de la loi
sur luniformité, la présomption dabus pouvait être
renversée devant un tribunal. Les sociétés requérantes
engagèrent des actions à cette fin. Elles arguèrent dans le
même temps quen introduisant de nouvelles dispositions
rétroactives, la loi sur luniformité avait porté
atteinte à leurs droits. Les juridictions internes jugèrent que
lune au moins des clauses contractuelles ne respectait pas
les sept principes établis. Elles se référèrent à une
décision de la Cour constitutionnelle de novembre 2014 qui avait
approuvé la nouvelle législation. La Cour constitutionnelle
avait conclu que la loi avait précisé des exigences générales
déquité qui existaient déjà et ne pouvaient être
considérées comme de nouvelles dispositions rétroactives. Elle
confirma également les restrictions procédurales contenues dans
la loi, dont des délais plus courts, et se déclara favorable à
lobjectif que poursuivait la loi de rationaliser le
processus judiciaire, compte tenu du contentieux potentiellement
important concernant des prêts litigieux. Article
6 Joignant
les requêtes en raison de leur similarité, la Cour observe que
le grief des requérantes est double. Elles soutiennent,
premièrement, que les strictes règles de forme étaient
contraires au principe de légalité des armes et,
deuxièmement, que la présomption dabus était
irréfragable en pratique et a eu une incidence sur lissue
de procédures en cours entamées par des emprunteurs. La Cour
juge que les règles de forme sappliquaient à toutes les
parties, pas seulement aux sociétés requérantes. Elle na
aucun doute non plus quun traitement accéléré et
simplifié de ces litiges, du fait duquel les sociétés
requérantes ont par exemple dû présenter un seul exposé de
leurs prétentions pour toutes les clauses contractuelles types
quelles voulaient faire contrôler, poursuivait le but
légitime de la protection du consommateur et de la bonne
administration de la justice. Rien nindique que les
sociétés requérantes naient pas été en mesure de
respecter les délais, ce quelles étaient dailleurs
censées faire puisquelles avaient elles-mêmes entamé les
procédures. La Cour note que les arguments des sociétés
requérantes sur la seconde question sont similaires à ceux
avancés dans laffaire Bárdi et Vidovics c. Hongrie, quelle
avait jugée manifestement mal fondée en décembre 2007 et qui
concernait les conséquences de la loi sur luniformité sur
les variations de taux dans les prêts libellés en devises
étrangères. La Cour
observe que les sociétés requérantes nont pas
précisément indiqué quels litiges en cours étaient touchés
par la loi de 2014. En tout état de cause, la législation a
été mise en uvre dans le but non pas de faire en sorte
que lissue des procédures soit favorable à lÉtat
un motif de violation dans des affaires antérieures
, mais de protéger le consommateur et lintérêt
général. Il devait également être clair depuis un certain
temps aux yeux des sociétés requérantes que les clauses
contractuelles types en question pouvaient être considérées
comme abusives au regard de la directive de lUnion
européenne 1993 sur les clauses abusives, applicable en Hongrie
depuis 2004. La Cour rejette la thèse des sociétés
requérantes selon laquelle la présomption dabus était
irréfragable. Si cette présomption jouait certes en faveur du
consommateur, les sociétés ont eu la possibilité de présenter
leurs arguments et rien nindique que le critère de preuve
fût excessivement strict. Les juridictions internes nont
pas agi de manière arbitraire et le fait que les arguments des
sociétés requérantes ont été rejetés nemporte pas en
lui-même violation des principes du procès équitable ou de légalité
des armes. La Cour conclut que ni la législation ni ses
conséquences sur les droits et obligations à caractère civil
des sociétés requérantes ne font apparaître une violation de
la Convention. Le grief de violation de larticle 6 doit
donc être rejeté pour défaut manifeste de fondement. Article
1 du Protocole n° 1 La Cour
recherche si un juste équilibre a été ménagé entre lintérêt
général et la nécessité de protéger les droits des
sociétés, relevant que les États jouissent dune marge dappréciation
étendue lorsquil sagit de réglementer le secteur
bancaire et de réagir à une crise financière. Les sociétés
requérantes soutiennent que la loi de 2014 a rétroactivement
qualifié dabusives les clauses contractuelles et que le
groupe OTP Bank a dû rembourser 142 000 000 000 HUF à des
consommateurs. Selon elles, les mesures dénoncées nont
pas tenu compte des avantages offerts aux clients grâce aux
prêts libellés en devises étrangères ni quune autre loi
avait déjà offert une solution favorable au consommateur. Les
sociétés requérantes ajoutent que la législation a pour but daider
les consommateurs ayant contracté des prêts libellés en
devises étrangères dont le montant des mensualités a augmenté
en raison de la crise. Or, selon elles, cette augmentation est
due aux fluctuations des devises étrangères et non à une
hausse unilatérale des taux dintérêt et des frais. La
Cour constate que les juridictions internes ont conclu que la
législation de 2014 avait codifié la jurisprudence antérieure
appliquant les lois en vigueur et navait pas introduit de
nouvelles dispositions. Si les sept principes navaient
été énoncés pour la première fois quen 2012 dans une
décision de la Kúria, toute clause contractuelle créant un
déséquilibre majeur dans les droits et obligations des parties
était déjà considérée comme abusive au regard de la
directive européenne. Il revient aux juridictions internes dinterpréter
et dappliquer la législation interne : la Cour
constitutionnelle a expliqué que, si les lois antérieures
permettaient des modifications unilatérales dans les clauses
contractuelles types, elles naccordaient pas aux
établissements financiers un droit inconditionnel et ceux-ci
demeuraient tenus par les conditions déquité et de bonne
foi. La Cour estime que la disposition de la loi sur luniformité
relative à la prescription nest pas incompatible avec larticle
1 du Protocole n o 1. Pour ce qui est de la proportionnalité, la
Cour note que les sociétés requérantes ont eu la possibilité
de chercher à réfuter la présomption légale dabus. De
plus, les actions intentées par des consommateurs contre les
sociétés étaient déjà en cours lorsquest entrée en
vigueur la nouvelle loi, et leur issue aurait très
vraisemblablement été la même que sous lempire de la loi
sur luniformité, si ce nest au bout dun délai
beaucoup plus long. Hormis les clauses litigieuses, les contrats
de prêt continuaient par ailleurs à produire leurs effets et
les prétentions des sociétés requérantes fondées sur ces
contrats nétaient pas éteintes La Cour
juge que, compte tenu de la marge dappréciation des États,
la loi sur luniformité na pas rompu léquilibre
entre lintérêt général et la protection des droits des
sociétés requérantes. Le grief formulé sur le terrain de larticle
1 du Protocole n o 1 doit donc lui aussi être rejeté pour
défaut manifeste de fondement. LA SAISIE D'UN BIEN PAR
UN CRÉANCIER DOIT
ÊTRE PROPORTIONNÉE ET LÉGALE MAZZOLI
C. ITALIE du 16 juin 2015 requête 20485/06 Pas
de violation, le requérant n'a pas démontré qu'il est tondu et
qu'il risque de subir une vie financièrement indigne. 60. Le
requérant dénonce la compensation intégrale de sa créance
comme étant particulièrement insupportable en raison de ses
difficultés économiques, son âge et son état de santé
délicat et précaire. Il maintient que les décisions
contestées sont en contradiction avec une décision rendue par
le juge administratif dans une affaire similaire lopposant
à lAdministration. Il dénonce de ce chef un conflit de
jurisprudence. 61. Le
Gouvernement considère tout dabord quen cas darriérés
de salaire, la limite de la saisie à un cinquième du montant
global nest pas applicable. La raison de cette limite
repose sur la nécessité de laisser au saisi le minimum vital,
ce qui nest pas le cas dans la présente affaire. En
deuxième lieu, le Gouvernement observe quil ne sagit
pas dun cas de compensation, au sens propre, mais dune
simple vérification comptable dite compensation « a-technique »,
tel quélaborée par une jurisprudence bien établie. À
cet égard, lorsque les positions respectives de crédit et de
débit trouvent leur origine dans le même rapport, il est admis
de procéder à une simple opération comptable jusquà
compensation. 62. La
Cour observe que larticle 1 du Protocole no 1 garantit en
substance le droit de propriété. Toute atteinte à ce droit
doit être conforme au principe de légalité et poursuivre un
but légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à
celui-ci (pour un rappel des principes pertinents voir, par
exemple, Metalco Bt. c. Hongrie, no 34976/05, § 16, 63. Une
mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit
ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (voir, parmi dautres,
Sporrong et Lönnroth c. Suède, 64. En
lespèce, le requérant sest vu reconnaître, par un
jugement du TAR du Frioul du 23 mars 2001, une créance pour
arriérés de salaire. Par la suite, la compensation intégrale
entre cette créance et sa dette envers lAdministration
militaire a été validée par les juges administratifs, en
dernier larrêt du Conseil dÉtat du 17 avril 2009.
Il y a donc eu une ingérence au droit de lintéressé au
respect de ses biens au regard de larticle 1 du Protocole no
1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002-III). 65. Les
juges internes ont fondé leur décision de compensation
intégrale sur une jurisprudence bien établie de la Cour de
cassation qui a développé une interprétation consolidée de larticle
1241 du code civil selon laquelle il existe une distinction entre
la compensation technique (à laquelle sapplique la limite
de saisie du cinquième des salaires et pensions aux sens de larticle
1246, alinéa 1, no3 du code civil) et celle dite a-technique. 66. Cette
interprétation a été validée par larrêt de la Cour
Constitutionnelle no 259/2006. Dans cet arrêt, la Cour
Constitutionnelle a statué quen cas de compensation « a-technique »
la limite de saisie du cinquième na pas à sappliquer. Les
critères pour ce type de compensation a-technique sont réunis
lorsque les positions de crédit de chaque partie trouvent leur
titre dans le même rapport. Dans ce cas, il est légitime de
procéder à un simple calcul comptable où les positions actives
et passives de chaque partie sont définies et effacées jusquà
compensation réciproque. 67. En
particulier, dans son arrêt, la Cour Constitutionnelle a
affirmé que, lorsque le crédit de lemployeur trouve sa
source dans un délit commis par le salarié, dans le cadre de
son activité professionnelle, contre lemployeur lui-même,
il est pleinement justifié de ne pas appliquer la limite du
cinquième. 68. En
lespèce, la Cour relève que lingérence dans le
droit garanti par larticle 1 du Protocole no 1 constituée
par la compensation intégrale était prévue par la loi et
faisait lobjet dune jurisprudence bien établie. 69. Quant
à lexigence dun rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi,
la Cour a reconnu que les États contractants jouissent dune
grande marge dappréciation tant pour choisir les moyens de
recouvrement des créances que pour juger si leurs conséquences
se trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le
souci datteindre lobjectif de la loi en cause. En
pareil cas, la Cour se fiera au jugement des autorités
nationales quant à lintérêt général, à moins quil
soit manifestement dépourvu de base raisonnable (Benet Czech,
spol. s r.o. 70. La
Cour note que la compensation litigieuse ne touche que la
créance pour arriérés de salaire reconnue par jugement du TAR
de Frioul. Les autres revenus du requérant, en particulier sa
pension, sont saisis dans la limite légale du cinquième en
application des dispositions du code civil. 71. La
Cour observe, en outre, que lingérence litigieuse ne
supprime pas les moyens dont le requérant nécessite pour
subvenir à ses besoins et à ses exigences vitales. Il ne
ressort pas des documents soumis à la Cour que le requérant nest
pas en mesure de maintenir un niveau de vie suffisamment adéquat
et digne, indépendamment du remboursement de sa dette envers lAdministration
(voir Laduna c. Slovaquie, no 31827/02, § 85, CEDH 2011). 72. Eu
égard aux informations en sa possession, et considérant la
marge dappréciation accordée aux États contractants dans
des affaires similaires, la Cour estime que lingérence
litigieuse nest pas disproportionnée par rapport au but
poursuivi. 73. Il
ny a donc pas eu violation de larticle 1 du Protocole
no 1. MELO
TADEU c. PORTUGAL du 23 octobre 2014 requête 27785/10 Le
refus par l'administration fiscale, de main levée des parts de
société était illégal puisque la requérante a été relaxée
au pénal de l'accusation de gérante de fait. 70. La
requérante estime que la saisie par ladministration
fiscale de sa part sociale dans la société B. sanalyse en
une ingérence incompatible avec larticle 1 du Protocole no 1. 71. Le
Gouvernement conteste largument de la requérante. Il fait
valoir que la mesure en cause a été ordonnée dans le cadre de
la procédure dexécution fiscale. Il observe en outre quil
sest avéré que la part sociale en question navait
aucune valeur marchande et quelle navait donc pu
être vendue, la société B. ayant par la suite demandé à
être placée en situation de liquidation judiciaire. 72. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 contient
trois normes distinctes : la première, qui sexprime
dans la première phrase du premier alinéa et revêt un
caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase
du même alinéa, vise la privation de propriété ; quant
à la troisième, contenue dans le second alinéa, elle reconnait
aux États le pouvoir de réglementer lusage des biens
conformément à lintérêt général ou pour assurer le
paiement des impôts ou dautres contributions. Il ne sagit
pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La
deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers
datteintes au droit de propriété ; dès lors, elles
doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré
par la première (voir, parmi dautres, Broniowski c.
Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004-V ;
Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995,
§ 55, série A no 306-B). 73. La
Cour rappelle aussi que la notion de « biens »
prévue par la première partie de larticle 1 du Protocole
no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la
propriété de biens corporels et qui est indépendante par
rapport aux qualifications formelles du droit interne :
certains autres droits et intérêts constituant des actifs
peuvent aussi être considérés comme des « droits de
propriété » et donc des « biens » au sens de
cette disposition. Ce qui importe, cest de rechercher si
les circonstances dune affaire donnée, considérées dans
leur ensemble, peuvent passer pour avoir rendu le requérant
titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole
no 1 (Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 62, CEDH 2010 c.
France [GC], § 62 ; Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC],
no 73049/01, § 63, CEDH 2007-I ;
Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 214, CEDH 2004-XII ;
Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000-I ;
Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999-II). 74. La
Cour a déjà considéré que des actions ayant une valeur
économique peuvent être considérées comme des biens (Olczak c.
Pologne (déc.), no 30417/96, § 60, CEDH 2002-X ;
Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 91, CEDH 2002-VII).
Ceci sapplique également aux parts sociales dans les
sociétés à responsabilité limitée, comme dans le cas despèce. 75. En
lespèce, la Cour note quest en cause la saisie par ladministration
fiscale dune part sociale que la requérante détenait dans
la société B., laquelle présentait une valeur officielle de 3 750 000
PTE (soit 18 704 EUR). Même si la part sociale en
question navait plus de valeur patrimoniale au moment de la
saisie, comme laffirme le Gouvernement, il convient de
rappeler quune violation de la Convention peut intervenir
même en labsence de préjudice, cette dernière question nentrant
en jeu le cas échéant que sur le terrain de larticle
41 (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 52, CEDH 2000-VII ;
Jorge Nina Jorge et autres c. Portugal, no 52662/99, § 39, 19 février
2004 ; et Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003).
La Cour en déduit que la part sociale en cause constituait dans
le chef de la requérante un « bien » aux fins de larticle
1 du Protocole no 1. 76. La
Cour rappelle que la saisie en question a été ordonnée par ladministration
fiscale dans le but de garantir le paiement dune dette
fiscale de la société V. Lacte dénoncé résulte donc de
lexercice de prérogatives conférées dans le cadre du
recouvrement de créances fiscales et de lapplication des
règles relatives aux procédures dexécution forcée. Le
grief doit donc être examiné sur le terrain du second alinéa
de larticle 1 du Protocole no 1, à savoir du droit reconnu
aux États de mettre en place un cadre légal pour réglementer lusage
des biens dans lintérêt général ou pour assurer le
paiement des impôts ou dautres contributions ou des
amendes. 77. La
Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du
Protocole no 1, une atteinte au droit dune personne au
respect de ses biens doit dabord respecter le principe de
la légalité et ne pas revêtir un caractère arbitraire (Iatridis
c. Grèce [GC], précité, § 58). Elle doit également ménager
un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth
c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52). 78. Ce
« juste équilibre » doit exister même lorsquest
concerné le droit quont les États de « mettre en
vigueur les lois quils jugent nécessaires pour (...)
assurer le paiement des impôts ou dautres contributions ».
En effet, comme le second alinéa doit sinterpréter à la
lumière du principe général énoncé au début de larticle
1 du Protocole no 1, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ;
en dautres termes, il incombe à la Cour de rechercher si léquilibre
a été maintenu entre les exigences de lintérêt
général et lintérêt des individus concernés (Gasus
Dosier- und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, précité, § 60). 79. En
lespèce, ordonnée le 8 mars 2000 (voir ci-dessus
paragraphe 16), la saisie de la part sociale de la
requérante dans la société B. était prévue par le code de
procédure fiscale (voir partie droit interne, ci-dessus au
paragraphe 40) et visait au recouvrement dune dette fiscale
de la société V., dont la requérante était considérée comme
responsable solidaire en sa qualité de gérante de fait. 80. Par
un jugement du tribunal criminel dAlmada du 14 juillet 2000,
la requérante a été acquittée du crime dabus de
confiance fiscal au motif quelle ne pouvait être
considérée comme gérante de fait de la société V. 81. La
Cour estime quil était légitime pour celle-ci de sattendre
à la levée de la saisie à partir de ce jugement. En refusant
de lever la saisie de la part sociale que la requérante
détenait dans la société B. malgré cet acquittement, les
autorités portugaises ont rompu léquilibre à ménager
entre la protection du droit de la requérante au respect de ses
biens et les exigences de lintérêt général. Il y a donc
eu violation de larticle 1 du Protocole no1. PAULET
C. ROYAUME UNI requête 6219/08 du 13 mai 2014 Violation de l'article
1 du protocole 1 : Les juridictions britanniques auraient dû
mettre en balance les droits de propriété du requérant et lintérêt
général dans une affaire de saisie sur salaire. Dans cette
affaire, M. Paulet se plaignait de la saisie sur salaire
ordonnée contre lui après sa condamnation pour obtention dun
emploi au moyen dun faux passeport. Il alléguait que lordonnance
de saisie était disproportionnée en ce quelle aboutissait
à la confiscation de lintégralité des économies quil
avait réalisées en près de quatre ans de travail effectif,
sans quaucune distinction nait été établie entre
son affaire et dautres affaires portant sur des infractions
plus graves telles que le trafic de stupéfiants ou le crime
organisé. La Cour estime
que la portée du contrôle effectué en lespèce par les
juridictions nationales était trop étroite. Notamment, celles-ci
se sont limitées à déclarer que lordonnance de saisie
contre M. Paulet était justifiée par lintérêt général,
sans mettre en balance cet intérêt avec le droit de lintéressé
au respect de ses biens comme le veut la Convention. Principaux
faits Le requérant,
Didier Pierre Paulet, est un ressortissant ivoirien né en 1984
et résidant à Leeds (Angleterre). Entré sur le
territoire britannique en janvier 2001, le requérant vécut dans
la clandestinité à Bedford. Entre avril
2003 et février 2007, il exerça successivement trois emplois
différents dans une agence de recrutement, dans une
entreprise de libre-service et comme conducteur de chariot
élévateur , se faisant recruter au moyen dun faux
passeport français. La
falsification du passeport de M. Paulet fut découverte en
janvier 2007, lorsque lintéressé sollicita loctroi
dun permis de conduire provisoire, et des poursuites furent
ouvertes contre lui. En juin 2007, devant la Crown Court de Luton,
le requérant reconnut être coupable de plusieurs infractions,
notamment davoir obtenu un avantage pécuniaire de manière
frauduleuse. Il fut condamné à dix sept mois demprisonnement
et fit lobjet dune ordonnance de saisie dun
montant de 21 949,60 livres sterling. Il fit appel de
cette décision, arguant que lordonnance de saisie
constituait un abus de procédure en ce quelle aboutissait
à la confiscation de lintégralité des économies quil
avait réalisées en près de quatre ans de travail effectif. Il
soutint en particulier quune ordonnance de saisie pouvait
être qualifiée de « coercitive » si elle ne poursuivait pas
le but légitime denlever au délinquant le produit de son
crime, et rappela que le Parlement avait souhaité que la
législation pertinente fût compatible. La Cour admet
qu'au moment où le requérant a introduit ses griefs devant les
juridictions internes, il était pertinent dargumenter en
ce sens. À cet égard, elle note que ce n'est qu'en 2012, à l'occasion
du prononcé d'un arrêt dans une autre affaire de saisie (R. v.
Waya), que la Cour suprême britannique a estimé qu'il serait
préférable en droit britannique d'analyser les affaires de ce
type en termes de proportionnalité au regard de l'article 1 du
Protocole n° 1 pour les plaignants qui invoquaient la notion d«
abus de procédure ». Toutefois, la
Cour estime qu'étant donné que le droit interne, au moment où
l'affaire de M. Paulet a été tranchée, autorisait les
juridictions nationales à examiner uniquement si une ordonnance
de saisie était « coercitive » ou constituait un « abus de
procédure », la portée du contrôle quelles exerçaient
alors était trop étroite. En conséquence, la Cour conclut à
la violation de l'article 1 du Protocole n° 1 dans les
circonstances de lespèce. Article 41 (satisfaction
équitable) La Cour dit,
par cinq voix contre deux, que le Royaume-Uni doit verser au
requérant 2 000 euros (EUR) pour dommage moral et 10 000 EUR
pour frais et dépens. VARVARA c. ITALIE Arrêt
du 29 octobre 2013 Requête 17475/09 UNE
SAISIE DOIT ÊTRE PREVUE PAR LA LOI 84. La
Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige,
avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit
légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet
article nautorise une privation de propriété que « dans
les conditions prévues par la loi » ; le second
alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer lusage
des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus,
la prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune
société démocratique, est inhérente à lensemble des
articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II ;
Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III). Il
sensuit que la nécessité de rechercher si un juste
équilibre a été maintenu entre les exigences de lintérêt
général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth
c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52 ; Ex-roi
de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII)
ne peut se faire sentir que lorsquil sest avéré que
lingérence litigieuse a respecté le principe de la
légalité et nétait pas arbitraire. 85. La
Cour vient de constater que linfraction par rapport à
laquelle la confiscation a été infligée au requérant nétait
pas prévue par la loi au sens de larticle 7 de la
Convention et était arbitraire (paragraphes 72-73 ci-dessus).
Cette conclusion lamène à dire que lingérence dans
le droit au respect des biens du requérant était contraire au
principe de la légalité et était arbitraire et quil y a
eu violation de larticle 1 du Protocole no 1. Cette
conclusion dispense la Cour de rechercher sil y a eu
rupture du juste équilibre. ARRÊT
MAZELIE c. FRANCE du 27 JUIN 2006 Requête no
5356/04 21. La
Cour estime que lexamen de laffaire sous langle
du droit de lintéressé au respect de ses biens oblige
tout en gardant à lesprit le contexte particulier
dans lequel elle sinscrit à distinguer trois griefs
relatifs, respectivement, à la responsabilité de lEtat
quant aux dégâts causés au bien du requérant, à la
vente forcée de la propriété du requérant et à lattitude
de la commune de la Ferté-Milon et de lEtat. 1. La responsabilité de lÉtat quant
aux dégâts causés au bien du requérant 22. Selon la Cour, si les dégâts
causés à limmeuble du requérant à loccasion des
travaux effectués sur la muraille posent manifestement une
question sur le terrain de larticle 1 du Protocole no
1, force est de constater que le juge administratif a conclu à
la responsabilité de lEtat et la condamné à payer
au requérant une somme correspondant au coût de la remise en
état ainsi que 15 245 EUR au titre de la réparation du
trouble de jouissance (voir le jugement du tribunal administratif
dAmiens du 16 mai 2002 et larrêt de
la cour administrative lappel de Douai du 29 juin 2004 ;
paragraphe 13 ci-dessus). Ainsi les juridictions saisies ont
constaté la violation de larticle 1 du Protocole no
1 en substance tout au moins et ont pris des
mesures propres à y remédier, de sorte que le requérant ne
peut plus à cet égard, se dire « victime » de la
violation dénoncée. Cette partie de la requête est en conséquence
irrecevable et doit être rejetée en application de larticle
35 §§ 3 et 4 de la Convention. 2. La vente forcée de la propriété du
requérant sur demande d'un créancier 23. Il nest pas exclu que la
vente forcée dun bien par adjudication judiciaire à la
demande dun créancier du propriétaire emporte violation
de larticle 1 du Protocole no 1
lorsque comme, aux dires du requérant, cela fut le cas en
lespèce la créance est sans rapport avec la valeur
réelle dudit bien ou que la vente judiciaire aboutit à la
cession de celui-ci à vil prix. Cependant, à supposer quil puisse être
considéré que le requérant a développé ne serait-ce quen
substance un grief de cette nature dans le cadre de la procédure
de saisie immobilière (paragraphe 15 ci-dessus), force est de
constater que cette procédure sest achevée avec larrêt
de la Cour de cassation du 30 avril 2003, soit plus de six mois
avant la saisine de la Cour. Par ailleurs, si, au vu des motifs du jugement du
15 avril 2005 du juge de lexécution du tribunal de grande
instance de Soissons (paragraphe 16 ci-dessus), il nest pas
exclu que la procédure diligentée ensuite vainement
par le requérant devant ce magistrat (afin de voir
condamner son créancier à des dommages intérêts pour avoir
mis en uvre une procédure dexécution
disproportionnée et constitutive dun abus de droit) puisse
constituer une voie de recours interne au sens de larticle
35 § 1 de la Convention, la Cour constate que le requérant na
pas interjeté appel dudit jugement, donc na pas épuisé
les voies de recours internes au sens de ces dispositions. La Cour déduit de ce qui précède que cette
partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en
application de larticle 35 §§ 1 et 4 de la Convention. 3. Lattitude de la commune de la
Ferté-Milon et de lÉtat 24. Le requérant dénonce lattitude
de la ville de La Ferté-Milon et de lEtat à son égard ;
il leur impute la volonté de lui imposer indûment la
propriété de remparts appartenant à lÉtat et jouxtant
son immeuble, dans le but de mettre leur restauration à sa
charge ; il se plaint en particulier des procédures causée
par eux à cette illégitime fin durant plus de 30 ans, et des
conséquences que ces circonstances eurent sur lexercice et
la jouissance de son droit de propriété. 25. La Cour considère que cette
partie de la requête nest pas manifestement mal fondée au
sens de larticle 35 § 3 de la Convention. Relevant par
ailleurs quelle ne se heurte à aucun autre motif dirrecevabilité,
elle la déclare recevable. 26. Ceci étant, la Cour relève que,
tenant le requérant pour propriétaire des remparts litigieux
jouxtant le fonds de ce dernier, la commune de la Ferté-Milon
lui a attribué la responsabilité de lonéreuse
consolidation de ceux-ci et, agissant en conséquence, la
mis en demeure de réaliser divers travaux. Sen est suivi
un contentieux de plusieurs années, au cur duquel se
trouvait la question de la propriété du requérant sur lesdits
remparts. Durant cette longue période, le droit de propriété
de lintéressé sur son fonds sest trouvé lesté dune
charge qui en affectait notablement le plein exercice, dès lors
quun bien ainsi grevé perd indubitablement de sa valeur
marchande et que, de fait, la capacité de son propriétaire den
disposer se trouve limitée. Il en va dautant plus de la
sorte que sajoute à cela le fait que la commune a, en 1985,
pris une hypothèque sur ledit bien afin de garantir le
remboursement par lintéressé de travaux quelle
avait elle-même effectués sur les remparts litigieux. La Cour estime que ces circonstances
caractérisent une ingérence dans lexercice du droit de
propriété du requérant ce que le Gouvernement ne
conteste dailleurs pas à la base de laquelle se
trouve lattitude de la commune de la Ferté-Milon. 27. Selon la Cour, ces circonstances
relèvent de la première phrase de larticle 1 du Protocole
no 1, aux termes de laquelle « toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». 28. Aux fins de cette disposition, la
Cour doit en principe rechercher si un juste équilibre a été
maintenu entre les exigences de lintérêt général de la
communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de lindividu (voir, par exemple, larrêt
Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série
A no 52 § 69). A cet égard,
la Cour considère que les mesures prises par les autorités
administratives pour parer aux dangers résultant dimmeubles
menaçant ruine répondent à lévidence à des objectifs dutilité
publique et à un but dintérêt général (voir SCP la
Providence c. France, requête no
78070/01, décision du 22 septembre 2005.) Larticle 1 du Protocole no 1
exige cependant avant tout et surtout quune ingérence de lautorité
publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit
légale ; il sensuit que « la nécessité
de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les
exigences de lintérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu
ne peut se faire sentir que lorsquil sest avéré que
lingérence litigieuse a respecté le principe de la
légalité et nétait pas arbitraire » (arrêt
Iatridis v. Greece [GC] du 25 mars 1999, no
31107/96, ECHR 1999-II, § 58). 29. La Cour constate quil est
aujourdhui clair que les remparts litigieux sont la
propriété de lEtat dès lors quil sont une
dépendance et constituent laccessoire dun château
inscrit au tableau des biens de lEtat établi en 1926
comme étant affecté au ministère de linstruction
publique et des beaux arts depuis 1856 et quil
revient en conséquence à lEtat den assurer la
maintenance. Cela ressort en particulier de larrêt de la
cour administrative dappel de Douai du 25 mai 2000 (paragraphe
14 ci-dessus) et du jugement du tribunal administratif dAmiens
du 16 mai 2002 (paragraphe 13 ci-dessus), ainsi que des
observations déposées par le ministre de la culture et de la
communication le 27 janvier 2003 devant la cour administrative dappel
de Douai (dont le requérant produit une copie). La Cour ne peut que sétonner quil
ait fallu plus de trente ans et plusieurs procédures pour
parvenir à un constat qui semble relever de lévidence.
Elle a en particulier des difficultés à comprendre que lEtat,
assigné dès le 27 février 1973 en intervention forcée dans linstance
civile dont lobjet était précisément de déterminer le
propriétaire des remparts litigieux (paragraphe 8 ci-dessus), ne
soit pas de bonne heure parvenu à cette conclusion. Elle ne peut
voir dans cette attitude quune grave négligence
administrative, qui a eu pour le requérant dimportantes
conséquences préjudiciables. 30. Comme évoqué précédemment, lingérence
litigieuse a sa source dans les arrêtés de péril du maire de
la Ferté-Milon des 14 novembre 1969 et 23 avril 1970 mettant le
requérant en demeure de procéder à des travaux sur les
remparts dont il est question, lesquels, pris en application des
articles 303 et 304 du code de lurbanisme, reposaient sur
le postulat erroné que lintéressé en était
propriétaire. Or les événements qui suivirent en sont la
conséquence directe. Cest en effet ce postulat erroné qui
a obligé le requérant à saisir, le 29 septembre 1970,
le tribunal de grande instance de Soissons pour voir trancher la
question de la propriété des remparts et à sengager
ainsi dans une procédure qui dura presque 20 ans (paragraphe 8
ci-dessus), question qui ne fut complètement et définitivement
réglée en sa cause quavec larrêt du Conseil dEtat
du 8 juin 2005 clôturant la procédure entamée le 17 février 1998
devant le juge administratif (paragraphe 13 ci-dessus). Là se
trouve également le fondement de lhypothèque prise par la
commune de la Ferté-Milon de 1985 à 1990 sur le bien du
requérant (paragraphe 10 ci-dessus) et de la condamnation de ce
dernier, en 1989, au remboursement partiel du coût des travaux
exécutés par celle-ci (paragraphe 11 ci-dessus). Il apparaît ainsi que lingérence dont le
requérant a eu à souffrir dans lexercice de son droit au
respect de son bien repose, dans son fondement même, sur une
erreur de droit entièrement imputable aux autorités et portant
sur la propriété de la plus grande partie des remparts bordant
la propriété du requérant. La Cour en déduit que, dans les
circonstances particulières de la cause, elle ne sappuyait
pas sur une base légale suffisante, et quil y a eu
violation de larticle 1 du Protocole no1
de ce chef. COUR
DE CASSATION FRANÇAISE UNE SAISIE
CONSERVATOIRE DES BIENS SUR LE PATRIMOINE PERSONNEL D'UN
DIRIGEANT DE SOCIETE SANS
CREANCE EXIGIBLE ET LIQUIDE EST CONFORME A L'ARTICLE 1 DU
PROTOCOLE 1 Cour de
Cassation chambre commerciale arrêt du 31 mai 2011 requête n°
10-18472 REJET Attendu, selon
l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2010), que la SAS
Lenny Spangberg organisation internationale (la société) a
été mise le 27 mars 2009 en liquidation judiciaire, la
société Gauthier Sohm étant désignée liquidateur (le
liquidateur) ; que celui-ci a engagé une action en
responsabilité pour insuffisance d'actif notamment contre M. X...,
ancien dirigeant, et présenté une requête aux fins de saisies
conservatoires sur certains de ses biens ; que ces saisies ont
été autorisées par ordonnances des 6 mai et 15 mai 2009 et
dénoncées à M. X... qui en a demandé l'annulation et
subsidiairement la rétractation DROIT AU LOGEMENT CONTRE DROIT DU
BAILLEUR Cliquez sur un
lien bleu pour accéder au : - DROIT
AU LOGEMENT PEUT S'OPPOSER A L'EXPULSION DES LOCATAIRES - REFUS
DU PREFET D'EXPULSER DES LOCATAIRES SANS INDEMNISER LE
BAILLEUR EST UNE VIOLATION - REFUS
D'EXPULSION DU SQUATTER - BLOCAGE
DES LOYERS, NON CONFORME SI LES LOYERS SONT TROP BAS. LE
DROIT AU LOGEMENT PEUT S'OPPOSER A L'EXPULSION DES LOCATAIRES
Mais attendu que les questions posées ne présentent pas un
caractère sérieux, d'une part, en ce que le juge de l'expropriation
ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété
qu'au vu d'un arrêté portant déclaration d'utilité publique
et d'un arrêté de cessibilité exécutoires et donc après qu'une
utilité publique ait été légalement constatée et, d'autre
part, en ce que le juge doit seulement constater à ce stade, par
une ordonnance susceptible d'un pourvoi en cassation, la
régularité formelle de la procédure administrative
contradictoire qui précède son intervention
D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil
constitutionnel
PAR CES MOTIFS :
DIT N'Y AVOIR LIEU A RENVOYER au Conseil constitutionnel les
questions prioritaires de constitutionnalité
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 novembre 2011),
que par un jugement du 28 mai 2009, la juridiction de l'expropriation
du département de la Gironde a fixé l'indemnité devant revenir
aux consorts X..., par suite de l'expropriation au profit de la
communauté urbaine de Bordeaux (la CUB), d'immeubles leur
appartenant, en la calculant sur une valeur libre de toute
occupation ; que par un arrêté du 9 février 2010, le
président de la CUB a consigné le montant de l'indemnisation à
la caisse des dépôts et consignations, les consorts X... ayant
refusé de fournir leurs coordonnées bancaires et que la CUB a
assigné les consorts X... en expulsion, en application de l'article
L. 15-1 du code de l'expropriation
Attendu que pour faire droit à cette demande, l'arrêt retient,
par motifs propres, que l'article R. 14-10 du code de l'expropriation
prévoit qu'il ne peut être offert un local de relogement à un
propriétaire exproprié que si cette offre a été acceptée par
le propriétaire avant la fixation des indemnités
d'expropriation, afin de permettre au juge de l'expropriation de
tenir compte de ce relogement lors de la fixation de l'indemnité
d'expropriation ; qu'en l'espèce le débat sur l'indemnité d'expropriation
est clos sans que nul n'ait évoqué le problème du relogement,
si bien que l'indemnité a été calculée sur la valeur d'un
immeuble libre d'occupation, que les appelants ne peuvent donc
prétendre à un droit au relogement et, par motifs adoptés, que
si les consorts X... avaient fait une demande de relogement dans
des documents non versés aux débats de l'audience du 12 mars
2009 du juge de l'expropriation, il y avait été renoncé lors
de cette audience, faute d'information du juge sur cette demande,
qu'il avait été produit divers documents révélant que les
consorts X... avaient bien présenté une demande de relogement
après cette audience, que cependant cette demande était tardive
car elle était intervenue après la renonciation implicite lors
de la fixation des indemnités d'expropriation et que du fait de
diligences tardives, la cour d'appel n'avait pas pu prendre en
compte la demande de relogement dans la fixation des indemnités,
les consorts X... ayant été déchus de leur appel en raison du
dépôt de leur mémoire plus de deux mois après leur
déclaration d'appel
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que les
consorts X... bénéficiaient d'un droit au relogement et sans
relever que la CUB, qui en avait l'obligation, leur avait fait
deux propositions de relogement portant sur des locaux
satisfaisant aux normes visées à l'article L. 314-2 du code de
l'urbanisme avant la fixation définitive des indemnités d'expropriation,
la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une renonciation
claire et non équivoque des expropriés à leur droit au
relogement, a violé les textes susvisés
Mais attendu que les dispositions de l'article R. 13-49 du code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique s'appliquant
indifféremment à l'expropriant ou à l'exproprié selon que l'un
ou l'autre relève appel principal de la décision et l'obligation
de déposer les pièces visées dans le mémoire d'appel en même
temps que celui-ci étant justifiée par la brièveté du délai
imparti à l'intimé et au commissaire du gouvernement pour
déposer, à peine d'irrecevabilité, leurs écritures et leurs
pièces, la cour d'appel a fait une exacte application de cet
article, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits
garantis par l'article l'article 6, § 1er de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1
Attendu qu'ayant relevé que le principe de la construction de la
ligne à très haute tension qui devait survoler les parcelles
non bâties appartenant à M. X... et Mme Y... et exploitées par
la société de l'Avenir avait fait l'objet d'une déclaration d'utilité
publique du 25 juin 2010 et qu'un arrêté préfectoral de mise
en servitude avait été pris le 27 mars 2012, la cour d'appel,
qui a retenu à bon droit que les articles L. 323-3, L. 323-4 et
L. 325-5 du code de l'énergie se bornaient à organiser le
réseau de transport et de distribution d'électricité et
prévoyaient une juste indemnisation en contrepartie de la
servitude, ce dont il résultait que l'action de l'autorité
administrative, en application de ces textes, dont il n'appartient
pas à la Cour de cassation d'apprécier la constitutionnalité
au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 et qui ne sont pas contraires à l'article
1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme, n'emportait pas extinction
du droit de propriété appartenant aux propriétaires des
parcelles concernées et ne procédait pas d'un acte
manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont
dispose l'administration, en a exactement déduit, répondant aux
conclusions, que la société RTE n'avait pas commis de voie de
fait et que les juridictions judiciaires étaient incompétentes
pour connaître du litige
qui établissent de nouveaux titres de propriété
deviennent inattaquables et privent deffets les anciens
titres vise à garantir la sécurité des transactions
immobilières ; ce qui constitue indéniablement un but dintérêt
général dune importance considérable.
La Cour relève que les autorités savaient que M. Matas avait
acheté le bâtiment en question pour en faire un usage
commercial, et quà lépoque de cet achat rien nindiquait
que des mesures seraient appliquées à des fins de protection du
patrimoine culturel. De plus, bien que les mesures de protection
préventive naient pas privé M. Matas de son atelier,
elles ont entraîné un certain nombre de restrictions
importantes à lusage de sa propriété, notamment à la
possibilité den faire un usage commercial si bon lui
semblait.Décision n°
2014-426 QPC du 14 novembre 2014 - M. Alain L. [Droit de retenir
des oeuvres d'art proposées à l'exportation]
La loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation des uvres d'art
jusqu'à son abrogation par la loi du 31 décembre 1992. Son
article 2 instaure, au profit de l'État, le droit de retenir des
objets présentant un intérêt historique ou artistique dont l'autorisation
d'exportation a été refusée en application de l'article 1er de
la même loi. Ce droit peut être exercé pendant une période de
six mois suivant la demande tendant à obtenir cette autorisation
d'exporter sans que le propriétaire ne manifeste aucune
intention de les aliéner.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la possibilité pour l'État
de refuser l'autorisation d'exportation, qui fait obstacle à
toute sortie de ces biens du territoire national, assure la
réalisation de l'objectif de maintien sur le territoire national
des objets présentant un intérêt historique ou artistique. Il
en a déduit que la privation de propriété permise par les
dispositions contestées n'est pas nécessaire pour atteindre un
tel objectif. Dès lors, le Conseil a jugé qu'en prévoyant l'acquisition
forcée de ces biens par une personne publique, alors que leur
sortie du territoire national a déjà été refusée, le
législateur a instauré une privation de propriété sans fixer
les critères établissant une nécessité publique. Les
dispositions contestées méconnaissent donc les exigences de l'article
17 de la Déclaration de 1789.
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 de la loi
du 23 juin 1941 prend effet à compter de la date de la
publication de la décision du Conseil. Elle peut être invoquée
dans toutes les instances introduites à la date de la
publication de la présente décision et non jugées
définitivement à cette date.
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2595 du 23 juin 1941 relative à l'exportation des
uvres d'art ;
Vu la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits
soumis à certaines restrictions de circulation et à la
complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et
de douane ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires
de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Lionel
Levain, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 30 septembre
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre,
enregistrées le 30 septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Levain, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 4 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
« Ce droit pourra s'exercer pendant une période de six mois »
;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions
contestées, qui permettent à l'État de retenir certaines
uvres d'art au profit de collections publiques, portent
atteinte au droit de propriété ; qu'il fait notamment valoir
que ces dispositions ne prévoient pas une juste et préalable
indemnisation du propriétaire de l'uvre ainsi expropriée
;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La propriété
étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé,
si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste
et préalable indemnité » ; qu'afin de se conformer à ces
exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser qu'une
personne ne soit privée de sa propriété qu'en vertu d'une
nécessité publique légalement constatée ;
4. Considérant que la loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation
des uvres auxquelles elle était applicable jusqu'à son
abrogation par la loi du 31 décembre 1992 susvisée ; qu'elle
avait pour objet d'interdire la sortie du territoire, sans
contrôle, des objets présentant un intérêt national d'histoire
ou d'art ; qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 23 juin 1941,
l'exportation de tels objets requiert la délivrance d'une
autorisation du secrétaire d'État à l'Éducation nationale et
à la Jeunesse, qui doit se prononcer dans le délai d'un mois à
compter de la déclaration fournie à la douane par le
propriétaire qui entend exporter ces objets ; que ce régime d'autorisation
est applicable aux objets d'ameublement antérieurs à 1830, aux
uvres des peintres, graveurs, dessinateurs, sculpteurs et
décorateurs antérieures au 1er janvier 1900 ainsi qu'aux objets
provenant des fouilles pratiquées en France ou en Algérie ;
5. Considérant que les dispositions contestées de l'article 2
de la loi du 23 juin 1941 instaurent, au profit de l'État, le
droit de « retenir » les objets dont l'autorisation d'exportation
a été refusée en application de l'article 1er ; que ce droit
peut être exercé pendant une période de six mois suivant la
demande tendant à obtenir cette autorisation d'exporter sans que
le propriétaire ne manifeste aucune intention de les aliéner ;
que, par suite, cette appropriation par une personne publique de
biens mobiliers entraîne une privation du droit de propriété
au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;
6. Considérant que la possibilité de refuser l'autorisation d'exportation
assure la réalisation de l'objectif d'intérêt général de
maintien sur le territoire national des objets présentant un
intérêt national d'histoire ou d'art ; que la privation de
propriété permise par les dispositions contestées alors en
vigueur n'est pas nécessaire pour atteindre un tel objectif ; qu'en
prévoyant l'acquisition forcée de ces biens par une personne
publique, alors que leur sortie du territoire national a déjà
été refusée, le législateur a instauré une privation de
propriété sans fixer les critères établissant une nécessité
publique ; que, par suite, les dispositions contestées ne
répondent pas à un motif de nécessité publique ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la
privation du droit de propriété permise par les dispositions
contestées méconnaît les exigences de l'article 17 de la
Déclaration de 1789 ; que, par suite, l'article 2 de la loi du
23 juin 1941 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article
62 de la Constitution : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est
abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette
décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions
et limites dans lesquelles les effets que la disposition a
produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si,
en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit
bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la
Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la
Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la
date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de
prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article
2 de la loi du 23 juin 1941 prend effet à compter de la date de
la publication de la présente décision ; qu'elle peut être
invoquée dans toutes les instances introduites à la date de la
publication de la présente décision et non jugées
définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions de l'article 2 de la loi du 23
juin 1941 relative à l'exportation des uvres d'art sont
contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article
1er prend effet à compter de la publication de la présente
décision dans les conditions fixées par son considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7
novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13
novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président,
M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET,
MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC,
Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Ces dispositions permettent à l'autorité administrative de
subordonner la délivrance d'un permis de construire ou l'absence
d'opposition à une déclaration de travaux à l'institution d'une
servitude restreignant l'usage, en période hivernale, des
chalets d'alpage ou des bâtiments d'estive non desservis par des
voies et réseaux.
La société requérante soutenait notamment que ces dispositions
portent atteinte au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions
contestées ont pour objectif de ne pas créer de nouvelles
obligations de desserte des bâtiments en cause par les voies et
réseaux et de garantir la sécurité des personnes en période
hivernale.
Compte tenu du caractère circonscrit du champ d'application des
dispositions contestées et des conditions dans lesquelles la
servitude peut être instituée, le Conseil constitutionnel a
jugé que les dispositions contestées ne portent pas une
atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré conforme
à la Constitution le second alinéa du paragraphe I de l'article
L. 145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de
la loi n°2003-590 du 2 juillet 2003.
la Constitution ;
l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel ;
le code de l'urbanisme ;
la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat ;
le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant
le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
les observations présentées pour la société requérante par
la SELARL Redlink, enregistrées les 7 et 22 mars 2016 ;
les observations présentées pour la commune des Fourgs, partie
en défense, par Me Gregory Mollion, avocat au barreau de
Grenoble, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 7 mars 2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association
nationale des élus de la montagne, enregistrées le 29 février
2016 ;
les observations en intervention présentées par l'association
France nature environnement, enregistrées le 7 mars 2016 ;
les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Alexandre Le Mière, avocat au barreau de
Paris, pour la société requérante, Me Mollion, pour la partie
en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 19 avril 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL s'est fondé sur ce qui suit :
Article 1er.- Le second alinéa du paragraphe I de l'article L.
145-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat est
conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de
la République française et notifiée dans les conditions
prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
1er février 2011, avec dautres références).
23 septembre 1982, § 69, série A no 52). Le souci dassurer
un tel équilibre se reflète dans la structure de larticle
1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde
phrase, qui doit se lire à la lumière du principe consacré par
la première. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé par toute mesure appliquée par lÉtat, y compris
les mesures privant une personne de sa propriété (voir, parmi dautres,
Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre
1995, § 38, série A no 332 ; Ex-roi de Grèce et autres c.
Grèce [GC], no 25701/94, § 89-90, CEDH 2000-XII ;
Sporrong et Lönnroth, précité, § 73).
c. République Tchèque, no 31555/05, §§ 30 et 35, 21
octobre 2010).
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'ensemble
de ses demandes et confirmé les ordonnances des 6 mai et 15 mai
2009, alors, selon le moyen, que toute personne a droit au
respect de ses biens ; qu'une mesure conservatoire ne peut être
ordonnée sur les biens d'un débiteur que si son créancier
dispose d'une créance paraissant fondée dans son principe et
justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le
recouvrement ; qu'en déboutant M. X... de ses demandes en
nullité ou en mainlevée des saisies conservatoires pratiquées
à son encontre et des ordonnances autorisant celles-ci, après
avoir constaté que le président du tribunal de commerce qui les
avait prononcées s'était borné à relever l'utilité de la
prise de mesures conservatoires sur les biens de M. X..., la cour
d'appel a violé par refus d'application, l'article 67 de la loi
du 9 juillet 1991, et l'article 210 du décret du 31 juillet 1992,
ensemble l'article 1er du protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l'homme
Mais attendu que c'est à bon droit que l'arrêt, sans violer les
dispositions de l'article 1er du protocole additionnel à la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, retient que l'article L. 651-4, alinéa 2, du code
de commerce, dérogeant à l'article 67 de la loi du 9 juillet
1991, permet au président du tribunal, pour l'application des
dispositions de l'article L. 651-2 du même code, d'ordonner
toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens des
dirigeants et des représentants permanents des dirigeants
personnes morales mentionnés à l'article L. 651-1 ; que le
moyen n'est pas fondé.
DÉCISION DE REJET COFINFO CONTRE FRANCE REQUÊTE 23516/08 DU 12/10/2010
LA COFINFO A ETE INDEMNISEE DU REFUS D'EXPULSER MAIS ELLE CONSIDERE QUE L'INDEMNISATION NE CORRESPOND PAS A LA VALEUR DE L'INDEMNITÉ D'OCCUPATION
La Cour rappelle que le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judicaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l'article 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure équité, publicité et célérité accordées aux parties et qu'il ne protège pas la mise en uvre des décisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement l'accès au juge et le déroulement de l'instance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les Etats contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 (voir, entre autres, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II).
Par ailleurs, la Cour a considéré que si on peut admettre que les Etats interviennent dans une procédure d'exécution d'une décision de justice, pareille intervention ne peut avoir comme conséquence d'empêcher, d'invalider ou encore de retarder de manière excessive l'exécution, ni moins encore, de remettre en question le fond de cette décision (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 74, CEDH 1999-V). Un sursis à l'exécution d'une décision de justice pendant le temps strictement nécessaire à trouver une solution satisfaisante aux problèmes d'ordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles (ibidem, § 69).
La Cour rappelle en outre que, si le droit à l'exécution d'une décision de justice est un des aspects du droit d'accès à un tribunal (Hornsby, précité, § 40), ce droit n'est pas absolu et appelle par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il revient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en uvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. Pareille limitation ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime, et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si la restriction est compatible avec ses principes, il n'y a pas de violation de l'article 6 (Popescu c. Roumanie, no 48102/99, 2 mars 2004, § 66, et Matheus, précité, § 55).
En l'espèce, la Cour observe que l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris n'a pas reçu exécution jusqu'à l'évacuation du bâtiment litigieux pour raisons de sécurité, soit pendant plus de sept années. Certes, elle note que la requérante a été indemnisée pour responsabilité de l'Etat du fait du refus de prêter son concours à l'exécution de cette ordonnance, au titre d'une partie de la période en question. Néanmoins, cette indemnisation ne saurait, en tout état de cause, constituer une exécution ad litteram de la décision litigieuse, de nature à permettre à la requérante de recouvrer la jouissance de son bien (Matheus, précité, § 58).
Pour autant, la Cour estime qu'il y a lieu de prendre en considération les circonstances particulières de l'affaire. Ainsi, elle observe que le refus des autorités de procéder à l'exécution de la décision ne résultait pas d'une carence de leur part. A la différence de l'affaire Matheus précitée, les juridictions administratives n'ont d'ailleurs retenu aucune faute à l'encontre de l'administration. Il apparaît au contraire qu'un tel refus répondait au souci de pallier les risques sérieux de troubles à l'ordre public liés à l'expulsion de plusieurs familles, parmi lesquelles se trouvaient majoritairement des enfants, et ce d'autant que cette occupation s'inscrivait dans le cadre d'une action militante à visée médiatique. De surcroît, les occupants se trouvaient en situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée (voir, a contrario, Immobiliare Saffi, précité, § 58, et Matheus, précité, § 59).
La Cour note également que les refus successifs opposés à la requérante ont été soumis à un contrôle juridictionnel, en l'occurrence celui du juge administratif (voir, a contrario, Immobiliare Saffi, précité, § 72), lequel a rejeté à trois reprises ses recours.
Quant au fait que l'attitude de l'administration a perduré dans le temps, la Cour considère, tout en rappelant que l'absence de logements de substitution ne saurait justifier un tel comportement (Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 53, CEDH 2004-III (extraits)), que les autorités ne sont pas restées inertes pour trouver une solution au problème posé. Dans ce contexte, la Cour rappelle également qu'une certaine marge d'appréciation est reconnue aux autorités nationales dans l'application des lois relevant de la politique sociale et économique, plus particulièrement dans le domaine du logement ou de l'accompagnement social de locataires en difficulté (voir, a contrario, Matheus, précité, § 68, et R.P. c. France, no 10271/02, § 36, 21 janvier 2010). Il y a lieu de prendre en compte, à cet égard, les délais qui auraient, en tout état de cause, été nécessaires au relogement de soixante-deux personnes, soit seize familles. La Cour note que les autorités municipales ont exercé leur droit de préemption lorsque la requérante a mis en vente l'immeuble en 2001, puis qu'une procédure d'expropriation, certes contestée par la requérante et encore pendante de ce fait, a été ensuite mise en uvre par l'Etat.
La Cour estime enfin devoir tenir compte de l'atteinte portée aux intérêts de la requérante. Elle note à cet égard que la société Kentucky, aux droits de laquelle vient la requérante, qui n'a fait état d'aucun projet de viabilisation des lieux dans le délai de deux ans antérieur à leur occupation, a par ailleurs tardé à contester le premier refus qui lui a été opposé, comme l'a noté le juge administratif dans son ordonnance du 1er juin 2002. Cette société a ensuite mis en vente l'immeuble, afin d'obtenir le bénéfice d'une disposition fiscale, avant de se rétracter, alors que la ville de Paris avait exercé son droit de préemption. Enfin, il apparaît qu'après le rejet, le 10 octobre 2003, de sa requête en référé au motif de l'exercice de ce droit, la société Kentucky, puis la requérante, bien qu'ayant ensuite renoncé à la vente, n'ont pas renouvelé de demande directe d'exécution de la décision du 22 mars 2000.
Dans ces conditions, si elle retient que la requérante a indéniablement subi une atteinte à ses intérêts, la Cour n'estime pas devoir qualifier celle-ci de disproportionnée au regard des considérations sérieuses d'ordre public et social ayant motivé le refus qui lui a été opposé, dans les circonstances exceptionnelles de l'espèce, par l'administration.
Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le refus des autorités françaises de prêter leur concours à l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du 22 mars 2000 n'a pas eu pour effet de porter atteinte à la substance du droit à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
SUR L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1
La requérante se plaint également, du fait du défaut d'octroi de la force publique, d'avoir subi une atteinte au droit au respect de ses biens, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole no 1, qui dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
Le Gouvernement affirme à titre principal que la requérante ne peut plus prétendre être victime d'une atteinte au respect de ses biens. En effet, pour le Gouvernement, le juge administratif a reconnu le préjudice subi par la requérante du fait de l'inexécution d'une décision de justice, constitutive de l'atteinte litigieuse, et a procédé, par une décision dont le Gouvernement rappelle les motifs, à une réparation appropriée en lui allouant une indemnité. En outre, pour le Gouvernement, la réparation du préjudice est totale du fait de l'évacuation de l'immeuble en 2007, le grief étant par ailleurs prématuré pour la période courant à compter du 29 juin 2005.
Le Gouvernement estime subsidiairement que l'existence d'un préjudice tiré d'une perte de loyers n'est pas avérée. Se référant à l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris, il fait valoir que la requérante n'avait pas l'intention de se comporter en bailleur. Il fait à nouveau remarquer que la requérante n'aurait pas formé le recours approprié pour recouvrer l'usage de son bien. De surcroît, le Gouvernement avance que le refus du concours de la force publique résulte d'impératifs d'ordre public et social et non d'une carence des autorités, qui auraient au contraire cherché à reloger les occupants de l'immeuble. D'ailleurs, selon le Gouvernement, le juge administratif aurait reconnu la légitimité de la position de l'administration en allouant à la requérante des indemnités sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le Gouvernement en conclut que ces indemnités, même réduites en appel, ont permis de maintenir un juste équilibre entre l'intérêt général et les intérêts de la requérante.
La requérante se plaint en revanche de ne pas avoir obtenu de réparation adéquate. Elle considère que la juridiction administrative a procédé, sans recourir à une méthode d'évaluation du préjudice, à une indemnisation incomplète, ignorant les pertes de loyers, les charges liées à l'occupation et les dégradations commises par les occupants, alors même que la requérante aurait été empêchée de rénover l'immeuble du fait de son occupation. Elle ajoute qu'il lui a été impossible de reprendre possession du bien, du fait de l'arrêté préfectoral d'interdiction d'occuper l'immeuble, puis de l'expropriation.
La Cour observe que le grief soulevé par la requérante sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 se confond dans une large mesure avec celui tiré de l'article 6 de la Convention. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue au regard de ce dernier article, et sans qu'il soit besoin d'examiner les exceptions d'irrecevabilité soulevées par le Gouvernement, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, a contrario, Matheus, précité, § 72). En particulier, à supposer même que la question de la qualité de victime de la requérante puisse se poser, compte tenu de la décision interne d'indemnisation, son examen distinct n'est pas justifié, étant donné la réponse précédemment apportée par la Cour sous l'angle de la proportionnalité de l'action des autorités.
Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
LE REFUS DU PREFET D'EXPULSER DES LOCATAIRES
SANS INDEMNISER LE BAILLEUR EST UNE VIOLATION
Arrêt Matheus contre France du 31/03/2005 requête 62740/00
Le refus par le préfet, d'expulser un locataire après une décision de justice est une violation de l'article 1 du protocole 1
68. La Cour est davis quà la différence de laffaire Immobiliare Saffi (§ 46), linterférence mise en cause par le requérant ne sanalyse pas en une mesure de réglementation de lusage des biens au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Certes, la procédure dexpulsion et loctroi de la force publique en cas de difficulté ne reposent plus sur de simples circulaires administratives ou sur la jurisprudence (Hayot et société caraïbe de développement c. France, no 19053/91, Rapport de la Commission du 5 septembre 1995) puisquelle a reçu des fondements législatifs avec notamment les articles 61 et suivants de la loi du 9 juillet 1991 (voir § 37 ci-dessus). Toutefois, en lespèce, et bien que la question du relogement de loccupant au travers de la procédure dexécution dût être prise en compte, le refus du concours de la force publique ne découle pas de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine du logement ou daccompagnement social de locataires en difficulté mais dune carence des huissiers et du préfet, voire dun refus délibéré de la part de ce dernier, dans des circonstances locales particulières, et pendant seize années de prêter main-forte dans une procédure dexpulsion. Selon la Cour, il serait exagéré au vu de ces circonstances de considérer que la situation dénoncée ayant entraîné le maintien de loccupant sur le terrain relève dune réglementation de lusage des biens conformément à lintérêt général. La Cour estime plutôt que le défaut dexécution de larrêt de la cour dappel de Basse Terre du 11 avril 1988 doit être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole No 1 à la Convention qui énonce le droit au respect de sa propriété.
69. A cet égard, la Cour rappelle que lexercice réel et efficace du droit que cette larticle 1 du Protocole No 1 garantit ne saurait dépendre uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (arrêt Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, 30 novembre 2004, § 134).
70. Par ailleurs, combiné avec la première phrase de larticle 1 du Protocole No 1, la prééminence du droit, lun des principe fondamentaux dune société démocratique, inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun Etat en raison du refus de celui-ci dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (arrêts Georgiadis c. Grèce, no 41209/98, 28 mars 2000, § 31 et Katsaros c. Grèce, no 51473/99, 6 juin 2002, § 43).
71. La Cour observe que seize années durant, les autorités et agents de lEtat ont refusé dapporter leur concours à lexécution de la décision litigieuse sans que des considérations sérieuses dordre public ou social, nexpliquent ce laps de temps déraisonnable. Il en résulte quelles nont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour sauvegarder les intérêts patrimoniaux du requérant. Certes, leur responsabilité a été engagée du fait de la faute commise, et le requérant sest vu allouer des indemnités qui ont effectivement été versées. Toutefois, la Cour est de lavis que lattribution de ces indemnités nest pas de nature à combler linaction des autorités. Face aux intérêts individuels en cause, il appartenait à celles-ci de prendre dans un délai raisonnable les mesures nécessaires au respect de la décision de justice. Force est de constater que le refus dapporter le concours de la force publique en lespèce a eu pour conséquence, en labsence de toute justification dintérêt général, daboutir à une sorte dexpropriation privée dont loccupant illégal sest retrouvé bénéficiaire. Cette situation renvoie au risque de dérive - en labsence dun système dexécution efficace - rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière dexécution des décisions de justice, daboutir à une forme de « justice privée » (voir § 40 ci-dessus) contraire à la prééminence du droit.
72. Pour des raisons similaires à celles exposées au regard de lallégation de violation de larticle 6 § 1 de la Convention, la Cour considère, eu égard à ce qui précède, quil y a eu en lespèce violation de larticle 1 du Protocole No1.
FERNANDEZ et AUTRES c. FRANCE du 21 JANVIER 2010 Requête 28440/05
Une confirmation de la jurisprudence Matheus
30. Comme dans laffaire Matheus (précitée), la Cour considère que le refus de concours de la force publique en lespèce ne découle pas de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine, par exemple, du logement ou daccompagnement social de locataires en difficulté, mais dune carence des autorités locales et notamment du préfet, voire dun refus délibéré de la part de celles-ci, dans des circonstances locales particulières et pendant une longue période, de prêter main-forte aux occupations illégales de terres. Le défaut dexécution de la décision définitive du 19 avril 1983 doit dès lors être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 qui énonce le droit au respect de sa propriété.
31. La Cour rappelle, à cet égard, que lexercice réel et efficace du droit que cette disposition garantit ne saurait en effet dépendre uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII, et Matheus précité, § 68).
32. Par ailleurs, combiné avec la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1, la prééminence du droit, lun des principe fondamentaux dune société démocratique, inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun Etat en raison du refus de celui-ci dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (Katsaros c. Grèce, no 51473/99, § 43, 6 juin 2002, et Georgiadis c. Grèce, no 41209/98, § 31, 28 mars 2000).
33. En lespèce, la Cour constate quune grande partie des terres, à savoir 880 hectares, a été vendue en 1983 et quil ny a donc pu y avoir, ultérieurement à cette vente, doccupation illégale sur les terrains cédés au préjudice des requérantes. Par ailleurs, la Cour note que ces dernières nont pas fait lobjet dun refus exprès de la part du préfet, faute pour elles de lavoir saisi dune demande, et ce indépendamment de lutilité dune telle démarche au regard du contexte local. Il reste que la Cour prend note des observations du Gouvernement et relève que depuis le 19 avril 1983, date de la décision judiciaire définitive dexpulsion, les autorités nont rien entrepris pour faire libérer les terres encore illégalement occupées. Elle constate que le Gouvernement ne justifie aucunement linaction des autorités.
34. Bien que consciente des difficultés rencontrées par les autorités françaises pour renforcer lEtat de droit en Corse, la Cour estime que les arguments avancés en lespèce ne sauraient constituer un motif légitime sérieux et suffisant pour justifier la carence des autorités, qui avaient lobligation de protéger les intérêts patrimoniaux des requérantes. Ainsi, la Cour constate, contrairement à ce que le Gouvernement semble soutenir en faisant référence à laffaire Lunari (précité), que les autorités nont pas sursis à lexécution de la mesure judiciaire, ni cherché une autre solution pour remédier à la situation, mais quelles refusaient de lexécuter lorsquelles étaient saisies dune telle demande (Barret et Sirjean c. France (déc.), no 13829/03, 3 juillet 2007).
35. De lavis de la Cour, il appartenait aux autorités, dès quelles furent informées de la situation des requérantes, de prendre, dans un délai raisonnable, toutes les mesures nécessaires afin que la décision de justice soit respectée et que les requérantes retrouvent la pleine jouissance de leurs biens. Elle estime que linaction des autorités en lespèce a eu pour conséquence, en labsence de toute justification dintérêt général, daboutir à une sorte dexpropriation privée dont les occupants illégaux se sont retrouvés bénéficiaires (Matheus précité, § 71). En laissant perdurer une telle situation, les autorités ont non seulement encouragé certains individus à dégrader en toute impunité les biens des requérantes, mais également laissé sinstaller un climat de crainte et dinsécurité non propice à leur retour sur leur domaine.
36. La Cour remarque que ce type de situation témoigne de linefficacité du système dexécution et renvoie au risque de dérive rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière dexécution des décisions de justice daboutir à une forme de « justice privée » qui peut avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique (ibid.).
37. Au vu de ce qui précède, la Cour considère quil a été porté atteinte au droit au respect des biens des requérantes. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
BARRET ET SIRJEAN c. FRANCE du 21 JANVIER 2010 Requête 13829/03
une confirmation de la jurisprudence Matheus
39. Sagissant tout dabord des exceptions dirrecevabilité soulevées par le Gouvernement, lequel invoque la perte alléguée de la qualité de victime des requérants et le défaut dépuisement partiel des voies de recours internes, en se fondant sur la procédure en responsabilité de lEtat, la Cour rappelle demblée que, par une décision du 3 juillet 2007, elle a déclaré la présente requête recevable après avoir déjà examiné cette question. En effet, dans sa décision, pour écarter lexception dirrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la Cour, après avoir observé que les requérants se plaignent du défaut du concours de la force publique pour assurer lexécution de lordonnance du président du tribunal de grande instance du 22 novembre 2000, a relevé quune action devant le juge administratif pour une mise en cause de la responsabilité de lEtat en raison du refus implicite opposé par le préfet nétait pas de nature à aboutir directement à lexécution de cette décision, les requérants invoquant latteinte à leur droit de propriété et demandant la libération des lieux (voir, mutatis mutandis, Matheus c. France (déc.) no 62740/00, 18 mai 2004) ; elle a également jugé que ce sont les autorités qui sont tenues de prêter leur concours à lexécution de larrêt afin que les requérants récupèrent leur bien immobilier et que, dès lors, lobligation dagir pesait sur les autorités et non pas sur les requérants. Il sensuit que les exceptions du Gouvernement, qui sont identiques ou se confondent avec lexception déjà rejetée dans le cadre de la décision de recevabilité du 3 juillet 2007, ne sauraient être retenues.
40. Par ailleurs, comme dans laffaire Matheus (précitée), la Cour considère que le refus de concours de la force publique ne découle pas de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine, par exemple, du logement ou daccompagnement social de locataires en difficulté, mais dune carence des autorités locales et notamment du préfet, voire dun refus délibéré de la part de celles-ci, dans des circonstances locales particulières et pendant une longue période, de prêter main-forte aux requérants pour faire libérer leurs terres. Le défaut dexécution de lordonnance du 22 novembre 2000 doit dès lors être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 qui énonce le droit au respect de sa propriété.
41. La Cour rappelle, à cet égard, que lexercice réel et efficace du droit que cette disposition garantit ne saurait en effet dépendre uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII, et Matheus précité, § 68).
42. Par ailleurs, combiné avec la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1, la prééminence du droit, lun des principe fondamentaux dune société démocratique, inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun Etat en raison du refus de celui-ci dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (Katsaros c. Grèce, no 51473/99, § 43, 6 juin 2002, et Georgiadis c. Grèce, no 41209/98, § 31, 28 mars 2000).
43. La Cour prend note des observations du Gouvernement et relève que depuis le 22 novembre 2000, date de la mesure judiciaire dexpulsion, les autorités nont rien entrepris pour faire libérer les terres illégalement occupées. Elle constate que le Gouvernement ne justifie pas linaction des autorités et se contente de faire référence, dune façon générale et non suffisamment circonstanciée, aux nécessités de lordre public, ainsi quau risque dune nouvelle occupation illégale de la propriété des requérants après lévacuation par la force, ce qui, pour la Cour, est un motif inacceptable dès lors que les autorités internes étaient précisément censées protéger les requérants dun tel risque.
44. Bien que consciente des difficultés rencontrées par les autorités françaises pour renforcer lEtat de droit en Corse, la Cour estime que les arguments avancés en lespèce ne sauraient constituer un motif légitime sérieux et suffisant pour justifier la carence des autorités, qui avaient lobligation de protéger les intérêts patrimoniaux des requérants. Ainsi, la Cour constate, contrairement à ce que le Gouvernement semble soutenir en faisant référence à laffaire Lunari (précité), que les autorités nont pas sursis à lexécution de la mesure judiciaire, ni cherché une autre solution pour remédier à la situation, mais quelles ont simplement refusé de lexécuter. Elles nont pas cherché pendant ce laps de temps à trouver une solution à lamiable même provisoire avec les différents intéressés alors que, selon le Gouvernement, les nécessités de lordre public pouvaient le justifier ; et elles nont pas non plus tenté, après le rapport de gendarmerie transmis au préfet au mois de janvier 2002, de réévaluer la situation pour envisager une expulsion.
45. De lavis de la Cour, il appartenait aux autorités, dès quelles furent informées de la situation des requérants, de prendre, dans un délai raisonnable, toutes les mesures nécessaires afin que la décision de justice soit respectée et que les requérants retrouvent la pleine jouissance de leurs biens. Elle estime que linaction des autorités en lespèce a eu pour conséquence, en labsence de toute justification dintérêt général, daboutir à une sorte dexpropriation privée dont loccupant illégal sest retrouvé bénéficiaire (Matheus précité, § 71). En laissant perdurer une telle situation, les autorités ont non seulement encouragé certains individus à dégrader en toute impunité les biens des requérants, mais également laissé sinstaller un climat de crainte et dinsécurité non propice au retour des requérants sur leurs terres.
46. La Cour remarque que ce type de situation témoigne de linefficacité du système dexécution et renvoie au risque de dérive rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière dexécution des décisions de justice daboutir à une forme de « justice privée » qui peut avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique (ibid.).
47. Au vu de ce qui précède, la Cour estime quen refusant de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à loccupation illégale des terres appartenant aux requérants et ce, pendant plusieurs années, les autorités françaises ont rompu léquilibre à ménager entre les exigences de lintérêt général et la protection de leurs intérêts patrimoniaux, et ont porté atteinte à leur droit au respect leurs biens. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
R.P c. FRANCE DU 21 JANVIER 2010 Requête 10271/02
encore une confirmation de la jurisprudence Matheus
36. Comme dans laffaire Matheus (précitée), la Cour considère que le refus de concours de la force publique en lespèce ne découle pas de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine, par exemple, du logement ou daccompagnement social de locataires en difficulté, mais dune carence des autorités locales, et notamment du préfet, voire dun refus délibéré de la part de celles-ci, dans des circonstances locales particulières et pendant une longue période, de prêter main-forte au requérant pour faire libérer ses terres. Le défaut dexécution de larrêt du 9 avril 1998 doit dès lors être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 qui énonce le droit au respect de sa propriété.
37. La Cour rappelle, à cet égard, que lexercice réel et efficace du droit que cette disposition garantit ne saurait en effet dépendre uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII, et Matheus précité, § 68).
38. Par ailleurs, combiné avec la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1, la prééminence du droit, lun des principe fondamentaux dune société démocratique, inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun Etat en raison du refus de celui-ci dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (Katsaros c. Grèce, no 51473/99, § 43, 6 juin 2002, et Georgiadis c. Grèce, no 41209/98, § 31, 28 mars 2000).
39. La Cour prend note des observations du Gouvernement et relève que depuis le 9 avril 1998, date de la mesure judiciaire dexpulsion, les autorités nont rien entrepris pour faire libérer les terres illégalement occupées. Elle constate que le Gouvernement ne justifie pas linaction des autorités et se contente de faire référence, dune façon générale et non suffisamment circonstanciée, aux nécessités de lordre public et à un risque daffrontements armés.
40. Bien que consciente des difficultés rencontrées par les autorités françaises pour renforcer lEtat de droit en Corse, la Cour estime que les arguments avancés en lespèce ne sauraient constituer un motif légitime sérieux et suffisant pour justifier la carence des autorités, qui avaient lobligation de protéger les intérêts patrimoniaux du requérant. Ainsi, la Cour constate, contrairement à ce que le Gouvernement semble soutenir en faisant référence à laffaire Lunari (précité), que les autorités nont pas sursis à lexécution de la mesure judiciaire, ni cherché une autre solution pour remédier à la situation, mais quelles ont simplement refusé de lexécuter. Le fait que la durée de loccupation illégale ne puisse être déterminée avec exactitude nest pas de nature à justifier ce refus. La Cour relève dailleurs que non seulement loccupant illégal na pas été expulsé, mais quil a au contraire bénéficié dune aide active du préfet pour déposséder le requérant de ses terrains par le biais dun arrêté finalement annulé par le juge administratif (paragraphe 24 ci-dessus).
41. De lavis de la Cour, il appartenait aux autorités, dès quelles furent informées de la situation du requérant, de prendre, dans un délai raisonnable, toutes les mesures nécessaires afin que la décision de justice soit respectée et que le requérant retrouve la pleine jouissance de ses biens. Elle estime que linaction des autorités en lespèce a eu pour conséquence, en labsence de toute justification dintérêt général, daboutir à une sorte dexpropriation privée dont loccupant illégal sest retrouvé bénéficiaire (Matheus précité, § 71). En laissant perdurer une telle situation, les autorités ont non seulement encouragé certains individus à dégrader en toute impunité les biens du requérant, mais également laissé sinstaller un climat de crainte et dinsécurité non propice au retour du requérant sur ses terres.
42. La Cour remarque que ce type de situation témoigne de linefficacité du système dexécution et renvoie au risque de dérive rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière dexécution des décisions de justice daboutir à une forme de « justice privée » qui peut avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique (ibid.).
43. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le refus continu des autorités de prêter main-forte au requérant pour mettre fin à loccupation illégale de ses terrains a porté atteinte à son droit au respect de ses biens. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
SUD EST REALISATIONS contre FRANCE du 2 décembre 2010 requête 6722/05
encore une confirmation de la jurisprudence Matheus
49. Comme elle la fait dans les affaires Matheus, R.P., Barret et Sirjean et Fernandez précitées, la Cour considère que le refus de concours de la force publique ne découle pas de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine, par exemple, du logement ou daccompagnement social de locataires en difficulté, mais dun refus des autorités locales, dans des circonstances particulières et pendant une longue période, de prêter main-forte à la requérante pour faire libérer ses terres. Le défaut dexécution du jugement du 19 novembre 1992 doit dès lors être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1, qui énonce le principe du respect de la propriété.
50. La Cour rappelle, à cet égard, que lexercice réel et efficace du droit que cette disposition garantit ne saurait en effet dépendre uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII, et Matheus précité, § 68).
51. Par ailleurs, combinée avec la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1, la prééminence du droit, lun des principe fondamentaux dune société démocratique, inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun Etat en raison du refus de celui-ci dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (Katsaros c. Grèce, no 51473/99, § 43, 6 juin 2002, Georgiadis c. Grèce, no 41209/98, § 31, 28 mars 2000, et Barret et Sirjean précité, § 42).
52. La Cour observe que les motifs avancés par les autorités internes pour refuser le concours de la force publique en vue de lexpulsion des époux C. répondaient au souci déviter des troubles à lordre public. Devant les juridictions administratives, les autorités ont également fait valoir des considérations dordre social. La Cour examinera successivement ces deux types de motifs.
53. Sur le premier point, le préfet et le sous-préfet ont constamment fait valoir que lexpulsion des époux C. était susceptible de provoquer des troubles graves à lordre public ; la lettre du préfet du 24 septembre 2002 (paragraphe 17 ci-dessus) soulignait quAlain C. « a(vait) toujours fait savoir clairement quil se défendrait par les armes ». Ce risque est corroboré par dautres éléments du dossier, notamment par la lettre de lhuissier de justice du 9 septembre 1993.
54. La Cour relève quà la différence de laffaire Matheus précitée, les juridictions administratives ont considéré que ladministration navait pas commis de faute en refusant le concours de la force publique et note que le juge des référés du Conseil dEtat a constaté, au vu de procès-verbaux de gendarmerie, la réalité des troubles à lordre public que lexpulsion aurait engendrés (paragraphe 30 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour admet que les autorités internes ont pu, dans le cadre de leur marge dappréciation, estimer que les nécessités de lordre public imposaient de différer le concours de la force publique (a contrario Matheus précité, §§ 59 et 71).
55. Toutefois, même si la Cour a dit mutatis mutandis dans plusieurs affaires (notamment Immobiliare Saffi c. Italie ([GC], no 22774/93, § 69, CEDH 1999-V et Lunari c. Italie, no 21463/93, § 45, 11 janvier 2001) « quun sursis à lexécution dune décision de justice pendant le temps strictement nécessaire pour trouver une solution satisfaisante aux problèmes dordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles », elle estime quun laps de temps de plus de seize ans ne correspond pas à la notion de « temps strictement nécessaire ».
56. En ce qui concerne les motivations dordre social, elles ont été soulevées devant les juridictions par ladministration, qui a fait valoir que la situation sociale et financière des époux C., qui ne disposaient pas de solution de relogement, était très difficile et que Mme C. connaissait de graves problèmes de santé. La Cour observe que les juridictions internes, et notamment la cour administrative dappel et le juge des référés du Conseil dEtat, ont estimé ces affirmations établies. Elle relève à cet égard que les circonstances de la présente affaire sont très différentes de celles des affaires Matheus, R.P., Barret et Sirjean et Fernandez précitées, où des occupants sans titre sétaient installés ou maintenus illégalement sur les terres des requérants, alors quen lespèce la requérante a acquis aux enchères publiques une propriété agricole quoccupait encore lancien propriétaire.
57. La Cour considère toutefois que, aussi louables fussent-elles en leur temps (Matheus précité, § 59), ces considérations dordre social ne sauraient justifier une aussi longue période doccupation sans titre. Elle estime surtout que le temps écoulé aurait dû permettre de trouver une solution au relogement des époux C., comme le laissaient supposer les lettres du préfet à la requérante des 11 janvier 1999 et 24 septembre 2002 (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Or, la Cour constate quil ne ressort pas du dossier que les autorités aient fait tout ce qui était en leur pouvoir afin de trouver une solution de relogement satisfaisante pour les occupants et de sauvegarder ainsi les intérêts patrimoniaux de la requérante (a contrario et mutatis mutandis Société Cofinfo c. France (déc.), no 23516/08, 2 octobre 2010). En particulier, le Gouvernement na donné aucun détail sur les démarches qui ont pu être faites en ce sens, notamment depuis la lettre du préfet du 24 septembre 2002. La Cour relève en outre que les autorités internes nont pas contesté largument de la requérante selon laquelle M. C. disposait, pour se reloger, dune maison en indivision proche de lhabitation quil occupait illégalement, et que le Gouvernement ne sest pas davantage expliqué sur ce point.
58. Dans ces conditions, la Cour est davis que, si les motifs avancés par les autorités françaises revêtaient un caractère sérieux de nature à différer la mise en uvre de lexpulsion pendant un laps de temps raisonnable (a contrario, Matheus précité, § 71 et Barret et Sirjean précité, § 44), ils napparaissent cependant pas suffisants pour justifier pendant une aussi longue période le refus de concours de la force publique (a contrario décision Société Cofinfo précitée).
59. Certes, la responsabilité sans faute de lEtat a été engagée, et la requérante, qui par ailleurs a revendu une grande partie de la propriété, sest vu allouer des indemnités qui ont effectivement été versées. Toutefois, la Cour est de lavis que lattribution de ces indemnités nest pas de nature à compenser linaction des autorités.
60. Face aux intérêts individuels en cause, il appartenait à celles-ci, après un laps de temps raisonnable pour trouver une solution satisfaisante, de prendre les mesures nécessaires au respect de la décision de justice. Force est de constater que le refus prolongé dapporter le concours de la force publique en lespèce a eu pour conséquence, en labsence de toute justification dintérêt général, daboutir à une sorte dexpropriation privée dont loccupant illégal sest retrouvé bénéficiaire. Cette situation renvoie au risque de dérive - en labsence dun système dexécution efficace - rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière dexécution des décisions de justice, daboutir à une forme de « justice privée » contraire à la prééminence du droit (Matheus précité, § 71).
61. Au vu de ce qui précède, la Cour considère quil y a eu en lespèce violation de larticle 1 du Protocole no 1.
FONDATION FOYERS DES ÉLÈVES DE LÉGLISE RÉFORMÉE ET STANOMIRESCU c. ROUMANIE
Requêtes 2699/03 et 43597/07 du 7 janvier 2014
45. Se référant à la requête introduite par la Fondation Foyers des élèves de lÉglise réformée, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. A lappui de sa thèse, il présente trois raisons : il reproche à la requérante davoir renoncé, en 2001, à lexécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998, de ne pas avoir introduit également à lencontre de la régie une action visant à lexpulsion des locataires et de ne pas avoir formé un recours en garantie déviction à lencontre de lancien propriétaire du terrain (sur ce dernier point, il renvoie à larrêt Tudor Tudor c. Roumanie, no 21911/03, §§ 38-43, 24 mars 2009).
46. En réponse aux observations du Gouvernement, la requérante affirme que, en dépit de toutes les démarches quelle dit avoir entreprises pendant plusieurs années en vue de lexécution du jugement définitif rendu en sa faveur, lexécution forcée na pas été réalisée.
47. Sagissant du premier argument avancé par le Gouvernement, la Cour observe que, sil est vrai que la requérante, dans lespoir dun accord avec la débitrice, a renoncé à sa demande dexécution en 2001, il nest pas moins vrai que lintéressée a formulé, après léchec dun tel accord, une nouvelle demande dexécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998 (paragraphes 14-17 ci-dessus).
48. Sagissant de la possibilité quaurait eue la requérante dobtenir lexpulsion des occupants du bâtiment litigieux, la Cour note que tous les efforts que la requérante a déployés aux fins de faire expulser les locataires ont été vains (paragraphes 16 et 21-22 ci-dessus) et quil serait excessif de demander à lintéressée dintroduire une nouvelle action en expulsion à lencontre de la régie, alors que des baux ont été conclus après son action en expulsion et que la propriété des bâtiments a été transférée par la suite à la ville de Zetea.
49. Sagissant du troisième argument du Gouvernement, la Cour note que, à la différence de larrêt Tudor Tudor (précité) invoqué par le Gouvernement, affaire dans laquelle il y avait concurrence de deux titres de propriété sur un même bien, la requérante bénéficie en lespèce dune décision définitive de justice ordonnant aux autorités locales de procéder à un acte précis et que lobligation qui en est résultée na pas été satisfaite en raison du refus de la régie dobtempérer.
50. En tout état de cause, la Cour rappelle, à la lumière de sa jurisprudence constante en la matière, quil nest pas opportun dexiger dun individu ayant obtenu une créance contre lÉtat à lissue dune procédure judiciaire quil engage par la suite une nouvelle procédure afin dobtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004, et Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 68-70, CEDH 2009). Par conséquent, aucune démarche supplémentaire nétait requise de la part de la requérante. Partant, il convient de rejeter lexception du Gouvernement.
51. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et quelles ne se heurtent à aucun autre motif dirrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour
55. La Cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par larticle 6 de la Convention serait illusoire si lordre juridique interne dun État contractant permettait quune décision judiciaire définitive et obligatoire restât inopérante au détriment dune partie. Lexécution dun jugement ou dun arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de larticle 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, Okyay et autres c. Turquie, no 36220/97, § 72, CEDH 2005-VII, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V, et Costin c. Roumanie, no 57810/00, § 26, 26 mai 2005).
56. La Cour rappelle également que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent lobligation pour ladministration de se plier au jugement ou à larrêt qui sera éventuellement rendu contre elle en dernier ressort. Si ladministration refuse ou omet de sexécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de larticle 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison dêtre (Hornsby, précité, § 41, Okyay et autres, précité, § 72, Nitescu c. Roumanie, no 26004/03, § 32, 24 mars 2009, Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005, et Costin, précité, § 27).
57. La Cour rappelle en outre quun délai dexécution déraisonnablement long dun jugement obligatoire peut également emporter violation de la Convention (Bourdov (no 2), précité, § 66). Le caractère raisonnable dun tel délai doit sapprécier en tenant compte en particulier de la complexité de la procédure dexécution, du comportement du requérant et des autorités compétentes, et de lampleur et de la nature de la réparation octroyée par le juge (Raylyan c. Russie, no 22000/03, § 31, 15 février 2007).
58. En tout état de cause, une personne qui a obtenu un jugement contre lÉtat na pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir lexécution forcée : cest au premier chef aux autorités de lÉtat quil incombe de garantir lexécution dune décision de justice rendue contre celui-ci, et ce dès la date à laquelle cette décision devient obligatoire et exécutoire. Pareil jugement doit être signifié en bonne et due forme à lautorité concernée de lÉtat défendeur, laquelle est alors à même de faire toutes les démarches nécessaires pour sy conformer ou pour le communiquer à une autre autorité de lÉtat compétente pour les questions dexécution des décisions de justice. Il sagit là dun élément particulièrement important dans une situation où, du fait des complexités et du chevauchement possible des procédures de mise en uvre volontaire ou dexécution forcée, le justiciable peut raisonnablement être dans le doute quant au point de savoir quelle autorité est responsable en la matière (Metaxas, précité, § 19, Akachev c. Russie, no 30616/05, § 21, 12 juin 2008, Bourdov (no 2), précité, § 68, et Gjyli c. Albanie, no 32907/07, § 44, 29 septembre 2009).
59. Certes, les intéressés peuvent devoir effectuer certaines démarches procédurales de manière à permettre ou à accélérer lexécution dun jugement. Lobligation faite aux individus de coopérer ne doit toutefois pas excéder ce qui est strictement nécessaire et, quoi quil en soit, elle nexonère pas ladministration de lobligation que fait peser sur elle la Convention dagir de sa propre initiative et dans les délais prévus, en se fondant sur les informations à sa disposition, afin dhonorer le jugement rendu contre elle (Akachev, précité, § 22, Bourdov (no 2), précité, § 69, Chvedov c. Russie, no 69306/01, §§ 29-37, 20 octobre 2005, et Kosmidis et Kosmidou c. Grèce, no 32141/04, § 24, 8 novembre 2007).
60. Enfin, quelle que soit la complexité de ses procédures dexécution ou de son système budgétaire, lÉtat demeure tenu par la Convention de garantir à toute personne le droit à ce que les jugements obligatoires et exécutoires rendus en sa faveur soient exécutés dans un délai raisonnable. Une autorité de lÉtat ne peut pas non plus prétexter du manque de fonds ou dautres ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice (Bourdov (no 2), précité, § 70, et les références qui y figurent, et Société de gestion du port de Campoloro et Société fermière de Campoloro c. France, no 57516/00, § 62, 26 septembre 2006).
b) Application des principes susmentionnés dans la présente affaire
i. Le jugement définitif du 15 octobre 1998 (requête no 2699/03)
61. La Cour note quil nest pas contesté par les parties que le jugement définitif du 15 octobre 1998 na été ni exécuté ni annulé ni modifié à la suite de lexercice par la requérante dune voie de recours prévue par le droit interne. Il nest pas non plus contesté que les débiteurs de lobligation à exécuter sont partie intégrante de ladministration.
62. Toutefois, nonobstant la décision de justice favorable à la requérante, autant la régie que la mairie de Zetea se sont toujours opposées à lexécution du jugement au motif que les bâtiments en question étaient occupés par des tierces personnes. À ce sujet, la Cour note que la thèse du Gouvernement se fonde sur linopposabilité du jugement aux tierces personnes occupant les bâtiments.
63. Sur ce point, la Cour rappelle quil ne lui appartient pas de confirmer ou dinfirmer le contenu dune décision de justice interne. Elle ne peut cependant se dispenser de constater la situation juridique établie par les tribunaux à légard des parties. À cet égard, elle note que, en lespèce, même à supposer quune divergence dinterprétation pût exister quant aux effets de loccupation des bâtiments par des tierces personnes, les tribunaux nationaux ont jugé, en se fondant sur les éléments de preuve présentés par les parties, que la démolition desdits bâtiments simposait afin de permettre à la requérante davoir la libre jouissance de son terrain. Dès lors, ayant à lesprit le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique, la Cour estime que la décision définitive rendue par les juridictions nationales prévaut et que les autorités administratives étaient tenues de sy conformer entièrement (Pântea c. Roumanie, no 5050/02, § 35, 15 juin 2006).
64. Bien que la Cour admette, comme le soutient le Gouvernement, quil existe des circonstances justifiant parfois léchec de lexécution en nature dune obligation imposée par une décision judiciaire définitive, elle estime que lÉtat ne peut pas se prévaloir dune telle justification sans avoir dûment informé le requérant, par lintermédiaire dune décision judiciaire ou administrative formelle, de limpossibilité dexécuter telle quelle lobligation initiale, surtout quand il agit en double qualité de détenteur de la force publique et de débiteur de lobligation (Costin, précité, § 57).
65. Or, en lespèce, les juridictions nationales nont jamais estimé que les autorités administratives nétaient pas tenues dexécuter le jugement définitif favorable à la requérante et elles nont pas constaté non plus lexistence dune « impossibilité objective » susceptible de justifier leur refus de lexécuter (voir, en ce sens, Ana Pavel c. Roumanie, no 4503/06, § 26, 16 mars 2010, et, a contrario, Strachinaru c. Roumanie, no 40263/05, § 16, 21 février 2008, Nitescu c. Roumanie, no 26004/03, § 16, 24 mars 2009, et Pistireanu c. Roumanie, no 34865/02, § 15, 30 septembre 2008).
66. Quant à la situation découlant de loccupation des bâtiments à démolir, la Cour note que, ainsi quil ressort du dossier, les occupants navaient initialement aucun titre légal les autorisant à sinstaller dans ces lieux (paragraphes 11-13 ci-dessus) et que ce nest quaprès le prononcé du jugement favorable à la requérante et le début des démarches dexécution forcée que les autorités ont conclu avec eux des baux de location (paragraphe 21 ci-dessus). Or ce constat vient contredire la thèse du Gouvernement en faveur de limpossibilité objective dexécution, car ladministration dont lintérêt doit être celui dune bonne administration de la justice a, par ses démarches, diminué les chances de la requérante de voir exécuter son jugement définitif. Dans ces conditions, la Cour ne saurait admettre quil sagit, en lespèce, dune situation dans laquelle linexécution du jugement en question était justifiée (voir, mutatis mutandis, Babei et Clucerescu c. Roumanie, no 27444/03, §§ 26-29, 23 juin 2009).
67. Enfin, sagissant de laffirmation du Gouvernement concernant léventuelle prescription du titre exécutoire de la requérante, la Cour observe que, ainsi quil ressort du dossier, la demande dexécution forcée na pas été rejetée pour cause de prescription. Cette situation est confirmée également par la procédure dexécution forcée qui est actuellement pendante (paragraphes 25-26 ci-dessus).
68. En tout état de cause, la Cour note que le jugement rendu par le tribunal de première instance dOdorheiul Secuiesc le 15 octobre 1998 est devenu définitif et exécutoire le 5 octobre 2000, date à partir de laquelle les autorités défenderesses savaient ou étaient censées savoir quelles étaient tenues de procéder à la démolition des bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante. À compter de ladite date, les autorités défenderesses étaient donc tenues de prendre, elles-mêmes ou en coopération avec dautres organes compétents, départementaux et/ou locaux, toutes les mesures requises pour se conformer au jugement contraignant et exécutoire rendu à leur encontre. En sabstenant pendant des années de prendre les mesures nécessaires pour se conformer au jugement définitif prononcé le 15 octobre 1998, les autorités ont privé les dispositions de larticle 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.
69. Par ailleurs, en refusant de se conformer au jugement définitif du 15 octobre 1998, les autorités nationales ont également privé la requérante de la possibilité dutiliser son terrain, et ce sans lui fournir de justification pour linaction prolongée de lÉtat. Limpossibilité pour la requérante dobtenir lexécution de son jugement a constitué une ingérence dans lexercice de son droit au respect de ses biens, tel quénoncé dans la première phrase du premier paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1. À supposer que loccupation desdits bâtiments par des tierces personnes pût justifier le défaut dexécution, la Cour constate quaucune mesure compensatoire na été proposée par les autorités à la requérante pour que le juste équilibre commandé par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne fût pas rompu.
70. La Cour rappelle quelle a déjà conclu dans plusieurs affaires que lomission des autorités, sans justification valable, dexécuter dans un délai raisonnable une décision définitive rendue à leur encontre sanalyse en une violation du droit daccès à un tribunal ainsi que du droit au respect des biens (Metaxas, précité, § 26, Bourdov c. Russie, no 59498/00, §§ 37-38, CEDH 2002-III, Sandor c. Roumanie, no 67289/01, §§ 23-37, 24 mars 2005, Orha c. Roumanie, no 1486/02, §§ 23-38, 12 octobre 2006, Ruxandra Trading c. Roumanie, no 28333/02, §§ 54-75, 12 juillet 2007, Pistireanu, précité, §§ 36-41, Nitescu, précité, §§ 39-41, Aurelia Popa c. Roumanie, no 1690/05, §§ 24-25, 26 janvier 2010, et Ana Pavel, précité, §§ 26-28).
71. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement na exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente espèce. Partant, il y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention et de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
ii. Larrêt du 29 mai 2001 et le jugement définitif du 12 septembre 2005 (requête no 43597/07)
72. Sagissant de lobligation mise à la charge du centre territorial par larrêt du 29 mai 2001, la Cour observe quelle a été exécutée avec un certain retard (paragraphe 32 ci-dessus), et ce sous la menace dune astreinte comminatoire. Sur ce point, elle observe que la procédure engagée par le requérant avait pour but unique dobliger les autorités administratives à procéder à une opération technique qui leur incombait afin quil pût exploiter le bois de sa propriété. Malgré le paiement de la prestation, malgré les relances successives effectuées par le requérant et malgré lastreinte comminatoire, les autorités ne se sont acquittées de leur obligation quaprès un délai de plus dun an et sans avancer aucun argument propre à justifier leur passivité.
73. Sagissant du jugement définitif du 12 septembre 2005 imposant deux obligations à la charge du centre départemental, la Cour observe que lobligation destimation et de marquage du nombre darbres correspondant aux quotas pour les années 2001 et 2002 na pas été exécutée à ce jour. La thèse du Gouvernement, étayée par la seule lettre du centre départemental, nest corroborée par aucun autre élément de preuve. Quant à lobligation pécuniaire à la charge du centre départemental, la Cour constate quelle reste inexécutée à ce jour et que les héritiers du requérant nont toujours pas perçu la somme dont le paiement a été ordonné par les juridictions internes. Dailleurs, le Gouvernement ne conteste pas linexécution de cette obligation.
74. Renvoyant à sa jurisprudence pertinente en matière dinexécution ou dexécution tardive de décisions définitives de justice (paragraphes 55-60 et 70 ci-dessus), la Cour constate, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, que le Gouvernement na exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle estime que lÉtat, par le biais de ses organes spécialisés, na pas déployé tous les efforts nécessaires en vue de faire exécuter larrêt du 29 mai 2001 (dans sa partie concernant lobligation destimation et de marquage des arbres) et le jugement définitif du 12 septembre 2005. Dès lors, il y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention et de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
LE REFUS D'EXPULSER LES SQUATTEURS
Papachela et Amazon S.A. c. Grèce du 3 décembre 2020 requête n° 12929/18
Article 1 du Protocole 1 : Inaction de lÉtat face au squat dun hôtel par des migrants: violation du droit de propriété garanti par la Convention
Laffaire concerne loccupation de lhôtel de Mme Papachela et dune société anonyme (dont Mme Papachela est lunique actionnaire), pendant plus de trois ans, par des migrants et des personnes solidaires de ceux-ci. Les requérantes se plaignaient de linaction des autorités pour faire évacuer leur hôtel, dont loccupation débuta en avril 2016 et sacheva en juillet 2019, lorsque les occupants quittèrent lhôtel de leur propre gré. Entretemps, les requérantes introduisirent plusieurs plaintes qui, soit furent ajournées soit ne furent pas examinées. En outre, la décision rendue par un juge de paix, ordonnant lévacuation des lieux et la restitution de lhôtel, ne fut jamais exécutée. Pendant ce temps, Mme Papachela dut vendre sa maison pour les dettes engendrées par loccupation (taxes, factures deau et délectricité), afin déviter des poursuites pénales. La Cour juge en particulier que, compte tenu des intérêts des requérantes, les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche dune solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la propriété litigieuse. En restant inactives pendant plus de trois ans face à une situation qui a eu des répercussions importantes sur la propriété des requérantes, les autorités nationales ont rompu le juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
Article 34 Qualité de victime de la société requérante, propriétaire de lhôtel, et de la première requérante, seule actionnaire de cette société La société et son actionnaire se confondant au point quil serait artificiel de les distinguer Exception au principe que les actionnaires ne peuvent pas se prétendre victimes dactes et de mesures affectant la société en tant que telle
Article 1 du Protocole no 1 Obligations positives Inaction des autorités face à loccupation par des migrants de lhôtel des requérantes pendant plus de trois ans, en dépit dun ordre dévacuation du procureur puis dune décision judiciaire Considérations publiques dordre social en période dafflux migratoire Long blocage du bien sans possibilité de lexploiter et alourdissement des charges financières par des frais importants de consommation énergétique du bâtiment Examen des plaintes des requérantes différé ou inexistant Absence de prise en compte par les compagnies nationales délectricité et deau de lappel des requérantes de ne pas les tenir redevables de la consommation générée par les tiers Absence de réponse de lÉtat à la tentative daccord des requérantes visant le paiement des taxes et des factures atteignant plusieurs centaines des milliers deuros Absence de mesures nécessaires au respect de la propriété privée après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche dune solution satisfaisante Juste équilibre rompu au détriment des requérantes
FAITS
En avril 2016, Mme Papachela constata que des personnes solidaires aux réfugiés avaient squatté son hôtel, lequel était inoccupé depuis mars 2010 et situé au centre dAthènes. Elle en informa la police qui, lorsquelle arriva sur place, se contenta dobserver les mouvements des squatters. Mme Papachela porta plainte à plusieurs reprises contre différentes personnes. Plus tard, lavocat des requérantes écrivit au procureur pour se plaindre quaucune action navait été entreprise pour faire évacuer lhôtel. Le procureur ordonna une enquête préliminaire. Entretemps, les « solidaires » qui occupaient lhôtel reconnectèrent illégalement lélectricité et leau. La société de Mme Papachela écrivit à la compagnie nationale délectricité et à la compagnie nationale deau pour les informer de la situation. Aucune des deux compagnies ne répondirent. En revanche, en mars 2017, la société de Mme Papachela fut sommée de payer une facture de 81 500 euros (EUR), somme qui avait atteint 141 990 EUR le 12 février 2018. En avril 2017, la société de Mme Papachela déposa devant le juge de paix dAthènes une demande de mesures provisoires tendant à faire expulser de lhôtel ses occupants. En mai 2017, Mme Papachela fut informée quun ordre dévacuation avait été émis par le procureur, mais quil navait pas été exécuté. En juillet 2017, le juge de paix (décision n o 1023/2017 du 26 juillet 2017) accueillit la demande de mesures provisoires de la société de Mme Papachela et ordonna au « réseau pour les droits civils et politiques » de restituer lhôtel, sous peine dune amende de 1 000 EUR et de la mise en détention, pendant deux mois, du représentant dudit réseau. Le juge de paix releva notamment quen dépit de la demande de Mme Papachela du 22 avril 2016 invitant la police à faire évacuer lhôtel, aucune mesure ne fut prise. Il releva aussi que, en dépit des demandes envoyées par lintéressée, en juin 2016 au chef de la police et au ministre adjoint de lIntérieur, lÉtat nintervint pas pour lassister, ce qui lamena à porter plainte contre eux le 3 mars 2017. En août 2017, un huissier de justice se rendit au commissariat dAghios Panteleïmonas et y notifia la décision du juge de paix dAthènes, demandant lintervention de la police pour faire évacuer lhôtel conformément à cette décision. Par la suite, lhuissier réitéra, sans succès, cette demande les 6 et 18 septembre 2019, puis le 2 octobre 2019. Plus tard, les requérantes saisirent également le Conseil juridique de lÉtat qui ne donna aucune suite à leur demande. Selon les requérantes, leur dette envers lÉtat pour diverses taxes atteignait, jusquen juin 2017, 101 885,35 EUR, et les factures deau impayées, jusquau 12 février 2018, sélevaient à 141 990 EUR ; à cela sajouteraient les factures délectricité ; et la valeur commerciale de lhôtel depuis son occupation serait tombée de 9 millions à 4 millions deuros. En janvier 2018, Mme Papachela reçut un avis de confiscation de sa maison personnelle pour dettes envers lÉtat. Elle dut la vendre pour sacquitter de ses dettes et éviter les poursuites pénales. En janvier 2018, la société de Mme Papachela saisit le juge de paix dAthènes pour demander léviction des occupants de lhôtel. En août 2018, le chef de la Police grecque informa le secrétaire générale du ministère de la Politique migratoire que lexécution de la décision dévacuation ne serait pas simple et quil faudrait au préalable repérer les lieux où pourraient être placés ceux qui auraient quitté lhôtel. En définitive, loccupation des lieux, qui débuta en avril 2016, sacheva en juillet 2019 lorsque les occupants quittèrent lhôtel de leur propre gré.
Article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété)
La Cour observe que lomission des autorités de prendre des mesures pour évacuer lhôtel des requérantes de ses occupants illégaux, alors même quun ordre dévacuation avait été émis par le procureur, a eu pour conséquence le blocage du bien pendant plusieurs années sans quil soit possible pour les requérantes de lexploiter, alourdissant ainsi les charges financières de lhôtel suite à une accumulation importante des frais de consommation énergétique du bâtiment. Le Gouvernement justifie linaction des autorités par des raisons dordre public, notamment le souci de pallier le risque de troubles à lordre public lié à lexpulsion de dizaines de personnes et à lévacuation dun bâtiment dont loccupation sinscrivait dans le cadre dune action militante, ainsi que par des motivations dordre social, surtout labsence, pendant une période où les flux migratoires avaient atteint leur pic, de solutions de relogement des migrants qui sy étaient trouvés. La Cour reconnaît que les craintes suscitées par les motivations susmentionnées pouvaient justifier dans une certaine mesure des hésitations de procéder à une libération rapide et brutale des lieux. Cela ne saurait cependant justifier une telle inaction totale et prolongée des autorités. En effet, la Cour note que malgré la plainte des requérantes par laquelle celles-ci demandaient le concours immédiat de la police pour évincer les occupants de lhôtel, le déroulement de la procédure a fait lobjet de plusieurs atermoiements. En outre, deux plaintes des requérantes contre toute personne responsable de la situation nont fait lobjet daucun début dexamen. Par ailleurs, les compagnies nationales délectricité et deau qui avaient consenti à réapprovisionner lhôtel, alors que les requérantes avaient arrêté dans le passé aussi bien lélectricité que leau, nont pas répondu à lappel de ces dernières de ne pas les tenir redevables de la consommation qui serait générée par les occupants de lhôtel. En revanche, un an après le début de loccupation de lhôtel, la compagnie nationale deau a sommé la société de Mme Papachela de payer une facture de 81 000 EUR sous peine de confiscation de lhôtel, somme qui avait atteint 141 990 EUR le 12 février 2018. La dette envers le fisc pour différentes taxes atteignait en juin 2017 la somme de 101 885,35 EUR, dont 22 000 EUR par an au titre de la taxe foncière. De surcroît, les requérantes tentèrent de conclure un accord avec lÉtat visant le paiement des taxes et des factures deau et délectricité qui sétaient accumulées sur leur bien. Pour cela elles ont écrit au Conseil juridique de lÉtat qui était le seul habilité à négocier un tel accord, mais ce dernier ne leur a fourni aucune réponse. Puis, en janvier 2018, Mme Papachela a reçu un avis de confiscation de sa maison personnelle pour dettes envers lÉtat. Enfin et surtout, la décision n o 1023/2017 par laquelle le juge de paix, tout en constatant linactivité des autorités de police, ordonnait, au titre des mesures provisoires, lévacuation des lieux et la restitution de lhôtel aux requérantes, na jamais été exécutée : la police na donné aucune suite aux quatre demandes par lesquelles lhuissier de justice mandaté par les requérantes lui demandait son concours pour lexécution de la décision. Laction tendant à léviction des occupants de lhôtel, introduite par la société de Mme Papachela en janvier 2018 devant le juge de paix, navait pas été examinée jusquen juillet 2019, date à laquelle les occupants ont quitté lhôtel de leur propre gré. Compte tenu des intérêts des requérantes, les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche dune solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la propriété litigieuse. En restant inactives pendant plus de trois ans face à une situation qui a eu des répercussions importantes sur la propriété des requérantes, les autorités nationales ont rompu le juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
Satisfaction équitable (Article 41)
La Cour dit que la Grèce doit verser aux requérantes 300 000 euros (EUR) pour perte de chance (dommage matériel) et 2 500 EUR pour frais et dépens. La Grèce doit aussi verser 10 000 EUR, pour dommage moral, à Mme Papachela
CEDH
54. La Cour rappelle demblée que lexercice réel et efficace du droit que larticle 1 du Protocole no 1 garantit ne saurait dépendre uniquement du devoir de lÉtat de sabstenir de toute ingérence et quil peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII).
55. La Cour observe que lomission des autorités de prendre des mesures pour évacuer lhôtel des requérantes de ses occupants illégaux, alors même que un ordre dévacuation fut émis par le procureur (voir paragraphe 18 ci-dessus), a eu pour conséquence le blocage du bien de celles-ci pendant plusieurs années sans quil soit possible pour elles de lexploiter de quelque façon que ce soit ainsi que lalourdissement des charges financières le concernant suite à une accumulation importante des frais de consommation énergétique du bâtiment.
56. La Cour observe par ailleurs avoir affirmé, à plusieurs reprises, quen matière de politique sociale, les États disposent dune grande latitude sur la manière de concevoir les impératifs de « lutilité publique » ou de lintérêts général, à conditions que leur jugement ne se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 166, CEDH 2006-VIII). Pour apprécier la conformité à larticle 1 du Protocole no 1, la Cour doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu, en gardant à lesprit que la Convention a pour but de sauvegarder des droits qui sont « concrets et effectifs ». Elle doit aller au-delà des apparences et rechercher la réalité de la situation litigieuse. Sil est vrai, dune part, que les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence lorsquune question générale est en jeu, il faudrait, dautre part, sassurer de lexistence des garanties propres à assurer que la mise en uvre et limpact de cette réaction sur les droits patrimoniaux du propriétaire visé par les mesures litigieuses ne soient ni arbitraires ni imprévisibles (ibidem, § 168).
57. En lespèce, la Cour note que le Gouvernement justifie linaction des autorités par des raisons dordre public, notamment le souci de pallier le risque de troubles à lordre public lié à lexpulsion des dizaines de personnes et à lévacuation dun bâtiment dont loccupation sinscrivait dans le cadre dune action militante, ainsi que par des motivations dordre social, surtout labsence, pendant une période où les flux migratoires avaient atteint leur pic, de solutions de relogement des migrants qui sy trouvés.
58. La Cour reconnait que les craintes suscitées par les motivations susmentionnées pouvaient justifier dans une certaine mesure des hésitations de procéder à une libération rapide et brutale des lieux. Cela ne saurait cependant justifier une telle inaction totale et prolongée des autorités.
59. Sagissant en premier lieu des tergiversations des autorités concernant le concours de la puissance publique, la Cour note que malgré la plainte des requérantes par laquelle celles-ci demandaient le concours immédiat de la police pour évincer les occupants de lhôtel, le déroulement de la procédure a fait lobjet de plusieurs atermoiements. Quelle que soit la version des parties (paragraphes 8 et 9 ci-dessus) qui correspond à la réalité des faits, il ne fait pas de doute que lexamen de la plainte introduite en avril 2016 par la société requérante était toujours pendant plus dun an plus tard, à savoir le 17 mai 2017, lorsque le parquet a renvoyé le dossier à la Direction de la police pour un complément denquête (paragraphe 11 ci-dessus).
60. En outre, il ressort du dossier que les deux plaintes des requérantes, des 3 mars et 17 octobre 2017 (paragraphes 16 et 21 ci-dessus), contre toute personne responsable de la situation navaient fait lobjet daucun début dexamen.
61. La Cour relève ensuite que les compagnies nationales délectricité et deau qui avaient consenti à réapprovisionner lhôtel, alors que les requérantes avaient arrêté dans le passé aussi bien lélectricité que leau, nont pas répondu à lappel de ces dernières de ne pas les tenir redevables de la consommation qui serait générée par les occupants de lhôtel. En revanche, un an après le début de loccupation de lhôtel, la compagnie nationale deau a sommé la seconde requérante de payer une facture de 81 000 euros sous peine de confiscation de lhôtel, somme qui avait atteint 141 990 euros le 12 février 2018 (paragraphe 12 ci-dessus). La dette envers le fisc pour différentes taxes atteignait en juin 2017 la somme de 101 885,35 euros, dont 22 000 euros par an au titre de la taxe foncière (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour note aussi que le 14 novembre 2017, les requérantes tentèrent de conclure un accord avec lÉtat visant le paiement des taxes et des factures deau et délectricité qui sétaient accumulées sur leur bien. Pour cela elles ont écrit au Conseil juridique de lÉtat qui était le seul habilité à négocier un tel accord, mais ce dernier ne leur a fourni aucune réponse à cette demande (paragraphes 23-24 ci-dessus). Le 18 janvier 2018, la première requérante a reçu un avis de confiscation de sa maison personnelle pour dettes envers lÉtat (paragraphe 26 ci-dessus).
62. Enfin et surtout, la Cour note que la décision no 1023/2017 par laquelle le juge de paix, tout en constatant linactivité des autorités de police, ordonnait, au titre des mesures provisoires, lévacuation des lieux et la restitution de lhôtel aux requérantes (paragraphe 19 ci-dessus), na jamais été exécutée : la police na donné aucune suite aux quatre demandes par lesquelles lhuissier de justice mandaté par les requérantes lui demandait son concours pour lexécution de la décision (paragraphes 20-21 ci-dessus). Laction tendant à léviction des occupants de lhôtel, introduite par la seconde requérante le 25 janvier 2018 devant le juge de paix, navait pas été examinée jusquau 10 juillet 2019, date à laquelle ceux-ci ont quitté lhôtel de leur propre gré (paragraphes 27 et 29 ci-dessus) (voir aussi Casa di Cura Valle Fiorita S.r.l., précité, § 58).
63. Compte tenu des intérêts des requérantes, les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche dune solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la propriété litigieuse. En restant inactives pendant plus de trois ans face à une situation qui a eu répercussions importantes sur la propriété des requérantes, les autorités nationales ont rompu le juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
64. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1.
CASA DI CURA VALLE FIORITA S.R.L. c. ITALIE du 13 décembre 2018 requête 67944/13
Violation de l'article 1 du Protocole 1 et de l'article 6 § 1 de la Convention : Les autorités n'ont rien fait pour reloger et expulser la centaine de squatteurs qui ont occupé la clinique désaffectée située à Rome et appartenant à la société.
a) Sur la violation de larticle 6 § 1 de la Convention
46. La Cour a récemment résumé les principes de sa jurisprudence en matière de droit daccès à un tribunal dans larrêt Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 84-90, 29 novembre 2016). Aussi, la Cour rappelle que le droit à lexécution dune décision de justice est un des aspects du droit daccès à un tribunal. Comme la Cour la déjà affirmé, le droit à un tribunal serait illusoire si lordre juridique interne dun État contractant permettait quune décision judiciaire définitive et obligatoire restât inopérante au détriment dune partie. En effet, on ne comprendrait pas que larticle 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure équité, publicité et célérité accordées aux parties et quil ne protège pas la mise en uvre des décisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement laccès au juge et le déroulement de linstance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. Lexécution dun jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de larticle 6 (voir, entre autres, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil 1997-II).
47. Par ailleurs, la Cour rappelle que, si lon peut admettre que les États interviennent dans une procédure dexécution dune décision de justice, pareille intervention ne peut avoir comme conséquence dempêcher, dinvalider ou encore de retarder de manière excessive lexécution, et encore moins de remettre en question le fond de cette décision (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 63 et 66, CEDH 1999-V). Un sursis à lexécution dune décision de justice pendant le temps strictement nécessaire pour trouver une solution satisfaisante aux problèmes dordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles (ibidem, § 69).
48. Il appartient à chaque État contractant de se doter dun arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent. La Cour a pour tâche dexaminer si en lespèce les mesures adoptées par les autorités nationales ont été adéquates et suffisantes (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie [GC], no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I).
49. En lespèce, la Cour note tout dabord que la décision du juge des investigations préliminaires de Rome du 9 août 2013 portait sur un droit de caractère civil de la requérante, à savoir la protection de son droit de propriété. Par ailleurs, ladite décision de saisie revêtait de par sa nature même un caractère durgence, dans la mesure où elle était destinée à empêcher la poursuite dune infraction dans le but de préserver lintégrité du bien de la partie lésée (paragraphe 10 ci-dessus). En outre, il nest pas contesté que la décision litigieuse avait un caractère définitif et exécutoire.
50. Or force est de constater que la saisie de limmeuble demeure aujourdhui encore non exécutée en dépit des nombreuses démarches accomplies régulièrement par la requérante pour obtenir lexécution de cette décision. De plus, la Cour observe quaucune tentative dexécution na été effectuée par les autorités depuis que le juge a ordonné la saisie en question.
51. Certes, le Gouvernement a justifié le retard pris dans lexécution par des raisons liées à lordre public et par des motivations dordre social. La Cour observe à cet égard que les motifs avancés par les autorités pour justifier linexécution de la saisie concernent principalement labsence de solutions de relogement des occupants en raison notamment de difficultés financières de la municipalité (paragraphe 18 ci-dessus), les raisons liées au risque de troubles à lordre public nayant été évoquées que de manière générale et non circonstanciée. Néanmoins, la Cour est prête à admettre que les autorités internes ont pu avoir également le souci de pallier le risque sérieux de troubles à lordre public lié à lexpulsion de plusieurs dizaines de personnes, et ce dautant que loccupation de limmeuble sinscrivait dans le cadre dune action militante à fort impact médiatique.
52. Toutefois, force est de constater que le Gouvernement na donné aucune information quant aux démarches qui auraient été accomplies par ladministration pour trouver des solutions de relogement depuis le début de loccupation ou, du moins, depuis la note officielle envoyée par le préfet le 30 mars 2016. Par ailleurs, rien dans le dossier névoque une quelconque disposition qui aurait été prise en ce sens (voir, a contrario, Société Cofinco c. France (déc.), no 23516/08, 12 octobre 2010).
53. Dès lors, si la Cour reconnaît que les motivations dordre social et les craintes relatives au risque de troubles à lordre public pouvaient justifier en lespèce des difficultés dexécution et un retard dans la libération des lieux, elle estime toutefois injustifiée linaction totale et prolongée des autorités italiennes en lespèce. Par ailleurs, il convient de rappeler quun manque de ressources ne saurait constituer en soi une justification acceptable pour linexécution dune décision de justice (voir, mutatis mutandis, Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 35, CEDH 2002-III, et Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 90, CEDH 2006-V), non plus que labsence de logements de substitution (Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 53, CEDH 2004-III (extraits)).
54. La Cour est davis que, en sabstenant, pendant plus de cinq années, de prendre toute mesure nécessaire pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont privé, en loccurrence, les dispositions de larticle 6 § 1 de la Convention de tout effet utile et quelles ont porté atteinte à lÉtat de droit, fondé sur la prééminence du droit et la sécurité des rapports juridiques. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
b) Sur la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
55. La Cour considère en lespèce que, à linstar de ce quelle a constaté dans larrêt Matheus (précité) et à la différence de ce quelle a conclu dans larrêt Immobiliare Saffi (précité, § 46), le refus des autorités de procéder à lévacuation de limmeuble de la requérante ne sanalyse pas en une mesure de réglementation de lusage des biens au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Dans la présente affaire, et bien que la question du relogement des occupants ait été prise en compte, le refus de procéder à lexpulsion de ces occupants ne découle pas directement de lapplication dune loi relevant dune politique sociale et économique dans le domaine, par exemple, du logement ou de laccompagnement social de locataires en difficulté, mais dun refus des autorités compétentes, dans des circonstances particulières, et pendant plusieurs années, de procéder à lévacuation de la propriété de la requérante. Selon la Cour, le défaut dexécution de la décision du juge des investigations préliminaires du 9 août 2013 doit dès lors être examiné à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier alinéa de larticle 1 du Protocole no 1, qui énonce le droit au respect de la propriété (voir, mutatis mutandis, Matheus, arrêt précité, § 68).
56. La Cour rappelle en outre que lexercice réel et efficace du droit que larticle 1 du Protocole no 1 garantit ne saurait dépendre uniquement du devoir de lÉtat de sabstenir de toute ingérence et quil peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens (Öneryildiz c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII).
57. Par ailleurs, combinée avec la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1, la prééminence du droit, qui est lun des principes fondamentaux dune société démocratique et qui est inhérente à lensemble des articles de la Convention, justifie la sanction dun État ayant refusé dexécuter ou de faire exécuter une décision de justice (Matheus, arrêt précité, § 70).
58. En lespèce, la Cour réitère que, pendant plus de cinq ans, les autorités sont restées inactives face à la décision par laquelle le juge des investigations préliminaires avait ordonné lévacuation de limmeuble de la requérante.
La Cour vient de reconnaître que des raisons dordre social et des nécessités dordre public, quelle ne sous-estime pas, auraient pu en lespèce justifier un retard dexécution. Cependant, elle ne peut considérer comme acceptable la durée de linexécution en lespèce, qui perdure encore à ce jour, associée à labsence totale dinformations concernant les démarches entreprises ou envisagées par les autorités pour mettre un terme à la situation. Par ailleurs, la Cour ne perd pas de vue que la requérante est toujours redevable, en attendant, des frais de consommation énergétique des occupants de limmeuble.
59. Compte tenu des intérêts individuels de la requérante, les autorités auraient dû, après un laps de temps raisonnable consacré à la recherche dune solution satisfaisante, prendre les mesures nécessaires au respect de la décision de justice.
60. Pour des raisons similaires à celles exposées au regard de lallégation de violation de larticle 6 § 1 de la Convention, la Cour considère, eu égard à ce qui précède, quil y a eu en lespèce violation de larticle 1 du Protocole no1.
LE BLOCAGE DES LOYERS EST NON CONFORME SI LES LOYERS SONT TROP BAS
Lindheim et autres c. Norvège du 12 juin 2012 requêtes nos 13221/08 et 2139/10
Limpossibilité pour les propriétaires fonciers en Norvège daugmenter les loyers a porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens
Les parties saccordaient à reconnaître que lapplication de la loi sur les baux fonciers avait constitué une ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens et que cette ingérence était prévue par la loi. La Cour observe quelle a eu pour effet de contrôler lusage fait par les requérants de leurs biens. Les parties ne sentendaient pas en revanche sur les points de savoir si lingérence litigieuse poursuivait un but légitime et si elle était proportionnée à ce but, conformément à la Convention.
La Cour rappelle que les autorités nationales sont en principe mieux placées que le juge international pour apprécier lintérêt général de leur société, notion qui est en tout état de cause très large. De plus, ces autorités y compris le législateur jouissent dune grande latitude (marge dappréciation) dans la mise en uvre de leurs politiques socioéconomiques.
En lespèce, les autorités avaient pour but dassurer aux locataires qui ne pouvaient pas acheter leurs parcelles un droit durable de jouissance et de disposition sur ces parcelles.
Pour parvenir à ce but, elles ont adopté larticle 33 de la loi, en vertu duquel les locataires peuvent bénéficier dune reconduction sans limite de durée de leurs baux aux mêmes conditions que celles prévalant précédemment. Cet article est applicable en général aux anciens baux arrivant à leur terme, indépendamment des moyens financiers du locataire ou du fait que le terrain soit utilisé à titre de résidence principale ou secondaire. Même si cette mesure semble refléter des considérations de politique sociale au sens large et non se limiter aux cas où les locataires pourraient se trouver en proie à des difficultés financières, la Cour observe que le but consistant à protéger les intérêts des locataires disposant de peu de moyens financiers est légitime au regard de la Convention.
En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure, la Cour note que, du point du vue des bailleurs, le bail foncier en résultant ne correspond pas à la réalité du marché, étant donné que les prix de limmobilier ont énormément augmenté depuis les années 80. De leur côté, les locataires ont fortement intérêt à conserver les mêmes conditions contractuelles après lexpiration de leur bail. Il y a donc là deux intérêts divergents, difficiles à concilier, et les questions qua eu à trancher le législateur norvégien étaient particulièrement complexes. La nécessité de disposer de solutions claires et prévisibles pour éviter des litiges longs et coûteux à une échelle potentiellement massive (compte tenu du fait quil y a environ 300 000 locataires fonciers en Norvège) correspondait à un objectif compréhensible.
Examinant la situation qui prévalait immédiatement après lentrée en vigueur de la loi sur les baux fonciers en 2002, la Cour observe que, du fait dune disposition permettant un ajustement partiel des loyers fonciers compte tenu de lévolution de lindice des prix à la consommation, plusieurs locataires ont subi une augmentation importante de leur loyer, à laquelle ils nétaient pas préparés. Le fossé entre les loyers contrôlés et laugmentation des prix sur le marché du logement sest creusé avec le temps. Même si elle na été que partielle, la levée du contrôle des loyers après 2002 a frappé de plein fouet bon nombre de ménages. La solution retenue par le Gouvernement et adoptée par le législateur a été une règle permettant une mise à niveau en une fois des contrats comportant une clause dajustement lié à la valeur du terrain, suivie de lintroduction dun processus dajustement lié à lévolution de lindice des prix à la consommation.
La Cour est frappée par le fait quil na pas été procédé à une étude spécifique de la question de savoir si la modification de larticle 33, qui régit la prolongation du type de bail foncier en cause dans le cas des requérants, respectait un juste équilibre entre les intérêts respectifs des bailleurs et des locataires. De fait, dans le cadre des différents baux tels quils ont été prolongés en vertu de larticle 33 de la loi sur les baux fonciers, les requérants ont perçu des loyers particulièrement bas, correspondant à moins de 0,25 % de la valeur marchande de leurs terres.
En effet, la prolongation des baux conclus par les requérants est valable pour une durée indéterminée, sans autre possibilité dajustement positif que celle liée à lindice des prix à la consommation. Il nest donc pas possible, dans ces contrats, de tenir compte de la valeur du terrain pour fixer le niveau du loyer. Seul le locataire peut choisir de mettre fin au bail, soit en le résiliant soit en achetant le terrain à des conditions préférentielles. Par ailleurs, il est libre de céder son bail à des tiers avec lhabitation sy rattachant : en pareil cas, cest à lui seul que profiterait toute augmentation de la valeur du terrain. Au contraire, un bailleur qui choisirait de vendre à un tiers sa créance sur le locataire ne bénéficierait pas de laugmentation de la valeur du terrain, le loyer restant plafonné indéfiniment. Or la Cour considère que les requérants pouvaient légitimement sattendre à ce que leurs baux expirent dans les conditions qui y étaient prévues, indépendamment des débats qui auraient pu naître ou des mesures législatives qui auraient pu être adoptées dans lintervalle.
Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut quil a été imposé une charge financière et sociale exclusivement aux bailleurs. Il na donc pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts de la communauté et le droit des requérants au respect de leurs biens. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
Exécution de larrêt (article 46)
La Cour juge que le problème sous-tendant la violation quelle constate dans cette affaire est lié à la législation en cause. Ayant relevé les principaux défauts de cette législation et laissant aux autorités nationales le choix des moyens à employer, elle dit que la Norvège doit mettre en place dans son ordre juridique interne un mécanisme garantissant le respect dun juste équilibre entre lintérêt particulier des bailleurs et lintérêt général de la communauté.
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- LA FAILLITE BANCAIRE
- LA DURÉE D'UNE LIQUIDATION JUDICIAIRE D'UNE ENTREPRISE
Freire Lopes c. Portugal du 23 février 2023 requête n° 58598/21
Placer son argent dans une banque Luxembourgeoise même avec un relai bancaire d'un autre Etat de l'UE comme le Portugal : il ne faut pas s'étonner de perdre son argent.
Art 1 du Protocole 1 : Décision dirrecevabilité dans une affaire où le requérant se plaignait des conséquences sur son patrimoine de la liquidation dune banque privée en difficulté
Laffaire concerne le non-remboursement de 3 700 produits financiers qui avaient été vendus au requérant, en 2012, dans le cadre dun contrat dintermédiation financière, par la Banque Banco Espírito Santo (BES) qui a fait, par la suite, lobjet dune mesure de résolution appliquée par la Banque du Portugal (BdP) en vertu de son pouvoir de contrôle sur le secteur bancaire. Vu le contexte économique et la situation financière défaillante de la BES au moment des faits, la Cour reconnaît demblée que lÉtat, au travers de la BdP, disposait dune marge dappréciation pour déterminer les mesures à prendre au niveau tant préventif que réparatoire envers la BES. En loccurrence la mesure de résolution visait à débarrasser la BES de tous les produits jugés toxiques dès lors quils étaient exposés à la dette du Groupe Espírito Santo qui avait plongé la BES dans un grand marasme financier, évitant ainsi une faillite totale de la BES qui aurait eu des conséquences générales sur lensemble du système bancaire interne voire européen. La Cour comprend que le non-transfert de la créance du requérant à la banque-relais qui venait dêtre renflouée par des fonds publics a réduit les chances pour lui dobtenir le remboursement de sa créance vis-à-vis de la BES. Cela dit, elle rappelle que larticle 1 du Protocole n o 1 de la Convention ne peut être interprété comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale dassumer les dettes dentités privées. Par ailleurs, étant donné la situation financière hautement déficitaire de la BES au moment des faits, il nest pas certain que la BES eût pu honorer sa dette vis-à-vis du requérant. La Cour conclut quun juste équilibre a été ménagé entre lintérêt public poursuivi et le droit de propriété du requérant et de toutes les personnes se trouvant dans la même situation que lui. La requête est donc manifestement mal fondée.
FAITS
Le requérant, Diamantino Freire Lopes, est un ressortissant portugais, né en 1944. Il réside au Portugal. À lépoque des faits, le requérant et son épouse possédaient un compte courant à la BES, lune des principales banques commerciales au Portugal, qui appartenait au Groupe Espírito Santo (GES), une structure de holdings en cascade. Plus de 20 % des actifs de la BES étaient détenus par Espírito Santo Financial Group, S.A. (ESFG), une société holding enregistrée au Luxembourg, détenue à 49 % par Espírito Santo Irmãos SGPS, une société enregistrée au Portugal qui, elle, était détenue à 100 % par Rio Forte Investments, S.A. (Rio Forte), cette dernière étant détenue à 100 % par la société holding mère Espírito Santo International (ESI), enregistrée elle aussi au Luxembourg. En août 2012, le requérant acquit 3 700 produits financiers de la société Poupança Plus Investments Jersey Limited pour un montant total de 185 000 euros (EUR) que la BES, en qualité dintermédiaire financier, sétait engagée à lui racheter à la date du 24 août 2014 avec un complément de 20 202 EUR dintérêts rémunératoires.
En mai 2014, les autorités luxembourgeoises détectèrent des irrégularités comptables dans les comptes de la société ESI. Puis, en juillet 2014, ESI, ESFG et Rio Forte demandèrent aux autorités luxembourgeoises dêtre placées en redressement judiciaire au motif quelles nétaient plus en mesure de payer leurs dettes.
En juillet 2014, la BES publia son bilan financier semestriel, révélant une perte record de 3,57 milliards deuros en raison de son exposition à la dette du GES. La BES informa la Banque du Portugal (BdP) quelle nétait pas en mesure de recapitaliser lentreprise dans les conditions et les délais requis, ce qui conduisit la BdP à adopter certaines mesures dont notamment les suivantes. Par une décision du 30 juillet 2014, la BdP décida, avec effet immédiat, dinterdire à la BES de rembourser de façon anticipée tout crédit et tout prêt souscrit par la BES, de soumettre à lautorisation préalable de la BdP tout remboursement total ou partiel ou même toute opération bancaire simple de débit dun compte, et dinterdire le paiement par la BES de tout montant dû par lESI, ESFG et Rio Forte ou de toute entité liée à ces sociétés.
Par une décision du 3 août 2014, la BdP décida dappliquer une mesure de résolution à légard de la BES pour remédier à la situation financière de la banque et préserver la stabilité du système financier portugais. La BdP créa une banque-relais, la Novo Banco, S.A. (N.B.) à laquelle elle transféra notamment un ensemble dactifs, de passifs, déléments patrimoniaux. La BdP précisa que « la finalité de cette décision dintérêt public manifeste et urgent est déloigner les risques pour la stabilité financière et de libérer la nouvelle banque des actifs de mauvaise qualité qui ont mené à cette situation ». Par une décision du 11 août 2014, la BdP précisa quels étaient les actifs et les passifs qui devaient être transférés à la banque-relais N.B. Par une décision du 29 décembre 2015, alors que de nombreuses actions civiles étaient en train dêtre intentées contre la banque N.B., la BdP clarifia sa décision du 3 août 2014, précisant en particulier quels étaient les passifs qui navaient pas été transférés par la BES à la banque N.B. Entretemps, en août 2014, la Banque Centrale Européenne (BCE) décida de suspendre la qualité de contrepartie de la BES, dans le cadre de la politique monétaire de lEurosystème, ce qui obligeait la BES à rembourser les 10 milliards EUR de dettes quelle avait contractées vis-à-vis de lEurosystème. Puis, en juillet 2016, la BCE retira lautorisation pour lexercice de lactivité bancaire qui avait été octroyée à la BES.
À la suite de cette décision, la BES fut mise en liquidation doffice par la BdP. La procédure de liquidation est depuis lors pendante devant le tribunal du commerce de Lisbonne. À la suite de la mesure de résolution adoptée par la BdP à la BES, le requérant intenta contre la banque-relais N.B. une action en remboursement de la somme de 185 000 EUR ainsi que de 20 202 EUR dintérêts, estimant que ses créances constituaient des passifs de la BES qui avaient été transférées à la banque N.B. Il alléguait avoir acquis ces actions sans avoir été informé de la nature et des risques dun tel investissement financier, ajoutant que la BES lui avait vendu ce produit comme une épargne sûre avec un taux de rémunération avantageux. En juillet 2016, le tribunal de Santarém fit droit à ses prétentions, condamnant la banque N.B. à payer au requérant la somme totale de 205 202 EUR quil réclamait. La BdP et la banque N.B. firent appel de ce jugement. En février 2021, la cour dappel dÉvora infirma le jugement de première instance et débouta le requérant, estimant que les créances de ce dernier constituaient des passifs de la BES qui navaient pas été transférés à la banque N.B. Se référant à la décision de la BdP du 29 décembre 2015, la cour dappel indiqua que les responsabilités et les aléas découlant de lactivité dintermédiaire financier de la BES nétaient pas entrés dans le domaine patrimonial de la banque N.B.
En juin 2021, la Cour suprême confirma larrêt de la cour dappel dÉvora, estimant que les responsabilités de la BES pour les dommages causés par son activité dintermédiation financière constituaient des « aléas » au sens des décisions de la BdP du 3 août 2014 et du 29 décembre 2015, et quelles navaient pas été transférées à la banque N.B.
CEDH
a) Sur la norme applicable
86. La Cour constate quà lorigine des faits de lespèce se trouve une relation commerciale entre un particulier et une banque commerciale ayant fait lobjet dune mesure de résolution appliquée par la BdP en vertu des articles 144 alinéa b) et 145-C du RGICSF (paragraphes 17-19 et 53 ci-dessus). Elle note que dans le cadre de cette mesure de résolution, aux termes de larticle 145-G § 3 du RGICSF, une banque-relais, N.B., fut créée pour assurer la continuité de lactivité bancaire de la BES, assainie de lexposition au GES, qui était responsable de la situation déficitaire de la BES (paragraphes 5-9, 19 et 56 ci-dessus). Conformément à larticle 145-H du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessus), un ensemble dactifs et de passifs appartenant à la BES furent transférés par la BdP à la banque-relais, N.B., dont le capital social, renfloué par lÉtat à hauteur de 4,9 milliards deuros, était détenu par le Fonds de résolution mis en place par lÉtat aux termes de larticle 4 des statuts de la N.B. (paragraphe 18, 20 et 22 ci-dessus). Les éléments considérés comme toxiques par la BdP restèrent quant à eux dans le patrimoine de la BES (paragraphe 56 ci-dessus), devenue ainsi une structure de défaisance qui, par la suite, fut mise en liquidation doffice (paragraphe 13 ci-dessus).
87. Au vu de ces constations, la Cour estime que la mesure de résolution prise par la BdP, selon les modalités décrites au paragraphe précédent, relevait du pouvoir de contrôle exercé par celle-ci sur le système bancaire national et visait à en assurer le bon fonctionnement (paragraphes 51-52 ci-dessus). Faisant sienne la conclusion à laquelle a abouti la CJUE dans larrêt BPC Lux 2 et autres (arrêt du 5 mai 2022, C-83/20- point 50 ; paragraphe 71 ci-dessus), elle estime donc que la situation litigieuse relevait de la réglementation de lusage des biens au sens du second paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Süzer et Eksen Holding A.S. c. Turquie, no 6334/05, § 146, 23 octobre 2012, § 146, et Project-Trade d.o.o. c. Croatie, no 1920/14, § 76, 19 novembre 2020).
b) Sur la nature de la violation alléguée
88. Le requérant se plaint de ce que la cour dappel dÉvora et la Cour suprême (paragraphes 42 et 47 ci-dessus) naient pas reconnu que sa créance vis-à-vis de la BES avait été transférée à la N.B., la banque-relais. Il soutient que la perte de sa créance a pour origine la mesure de résolution appliquée par le BdP, une mesure quil juge illégale et inconstitutionnelle (paragraphes 71-73 ci-dessus). Le requérant dénonce ainsi tant un manquement de lÉtat à ses obligations positives pour garantir son droit de propriété quune ingérence dans celui-ci.
89. Si à lorigine de la présente espèce se trouve une relation commerciale entre un particulier et une banque privée (paragraphes 3-5 ci-dessus), la Cour estime quon peut effectivement considérer que les mesures que la BdP a prises vis-à-vis de la BES en vertu de son pouvoir de contrôle sur le secteur bancaire ont eu des conséquences sur la créance du requérant. En effet, tout dabord, la BES sest vu interdire dès le 30 juillet 2014 de rembourser de façon anticipée toute valeur mobilière émise par la banque (paragraphes 14-15 ci-dessus), ce qui a touché ainsi directement la créance du requérant vis-à-vis de la BES. Ensuite, en vertu de la mesure de résolution appliquée le 3 août 2014, les actifs, passifs et autres éléments patrimoniaux considérés comme sains de la BES ont été transférés à la banque-relais, N.B. (paragraphes 17-19 ci-dessus). Par conséquent, la BES est devenue une structure de défaisance réservée aux actifs et passifs douteux, parmi lesquels se trouvait, selon les juridictions internes, la créance du requérant. La Cour relève enfin que la BES a finalement été mise en liquidation par la BdP consécutivement au retrait par la BCE de son autorisation dexercice de lactivité bancaire (paragraphes 12-13 ci-dessus). La Cour estime quon ne saurait spéculer quant à la somme que le requérant aurait reçue si la mesure de résolution navait pas été appliquée. En effet, comme tout investissement financier, les produits en cause étaient sujets aux aléas du marché dans un contexte de crise économique générale (à cet égard, voir Mamatas et autres, précité, § 94), dautant plus quen loccurrence, il sagissait dun marché non réglementé (paragraphe 28 ci-dessus).
90. Dans ces conditions, la Cour juge inutile de déterminer précisément sil faut aborder la cause sous langle des obligations positives de lÉtat ou sur le terrain de lobligation négative pesant sur celui-ci de sabstenir dingérences injustifiées dans le droit au respect des biens. Elle examinera donc si la conduite des autorités portugaises que celle-ci puisse être considérée comme une ingérence ou comme un manquement à agir, ou encore comme une combinaison des deux se justifiait à la lumière des principes applicables exposés ci-dessous (voir, en comparaison, Broniowski, précité, § 146, et Aliic et autres, précité, § 102).
c) Sur le respect du principe de la légalité et lintérêt légitime poursuivi par les autorités internes
91. Le requérant allègue que la mesure de résolution est illégale et inconstitutionnelle. La cour dappel dÉvora et la Cour suprême ont toutefois rejeté ces thèses (paragraphes 42 et 47 ci-dessus).
92. La Cour renvoie aux principes généraux concernant le principe de la légalité exposés dans larrêt Vistin et Perepjolkins c. Lettonie ([GC], no 71243/01, §§ 95-98, 25 octobre 2012).
93. En lespèce, la Cour constate que, dune part, la mesure de résolution litigieuse a été adoptée en vertu des articles 144 b) et 145-C du RGICSF et que, dautre part, la liquidation de la BES décidée doffice par la BdP a pour base larticle 145-M du RGICSF (paragraphe 53 ci-dessus). Les mesures litigieuses étaient donc bien conformes au droit interne (voir, a contrario, Cingilli Holding A.S. et Cingillioglu c. Turquie, nos 31833/06 et 37538/06, § 50, 21 juillet 2015).
94. Il ne fait pas non plus de doute que ces mesures sinscrivaient également dans le cadre des mesures mises en place par lUnion européenne, au lendemain de la crise financière de 2008, pour harmoniser et améliorer les instruments de règlement des crises bancaires au niveau européen (paragraphe 67 ci-dessus).
95. Comme la dailleurs relevé la CJUE dans son arrêt BPC Lux 2 et autres (arrêt du 5 mai 2022, C-83/20 -point 54 de larrêt ; paragraphe 71 ci-dessus), il ne fait pas davantage de doute quelles poursuivaient un objectif dintérêt général puisquelles visaient à assurer la continuité de la prestation des services financiers essentiels, à prévenir le risque pour le système, à préserver les intérêts des contribuables et du Trésor Public et à sauvegarder la confiance des épargnants (paragraphes 13, 18 et 19 ci-dessus), alors que la BCE venait de suspendre la qualité de contrepartie de la BES dans le cadre de la politique monétaire de lEurosystème (paragraphe 11 ci-dessus).
d) Sur le respect dun juste équilibre par les autorités internes
96. Vu le contexte économique (à cet égard, voir les constatations faites dans la décision Da Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, §§ 43-44, 1er septembre 2015) et la situation financière défaillante de la BES au moment des faits, la Cour reconnaît demblée que lÉtat, au travers de la BdP, disposait dune marge dappréciation pour déterminer les mesures à prendre au niveau tant préventif que réparatoire envers la BES. En loccurrence, tel quil a déjà été relevé précédemment (paragraphe 89 ci-dessus), la mesure de résolution visait à débarrasser la BES de tous les produits jugés toxiques dès lors quils étaient exposés à la dette du GES qui avait plongé la BES dans un grand marasme financier (paragraphe 9 ci-dessus), évitant ainsi, comme la bien relevé la Cour suprême dans son arrêt du 26 septembre 2007 (paragraphe 56 ci-dessus),une faillite totale de la BES qui aurait eu des conséquences générales sur lensemble du système bancaire interne voire européen. La Cour comprend que le non-transfert de la créance du requérant à la banque-relais qui venait dêtre renflouée par des fonds publics a réduit les chances pour lui dobtenir le remboursement de sa créance vis-à-vis de la BES. Cela dit, elle rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale dassumer les dettes dentités privées (voir Kotov, précité, § 111 et les références qui y sont citées). Par ailleurs, étant donné la situation financière hautement déficitaire de la BES au moment des faits (paragraphe 9 ci-dessus), il nest pas certain que la BES eût pu honorer sa dette vis-à-vis du requérant.
97. En
ce qui concerne lappréciation des faits litigieux par les
juridictions internes saisies de laction civile engagée
par le requérant contre la N.B., la Cour note que le tribunal de
Santarém a fait droit aux prétentions de lintéressé en
jugeant que sa créance vis-à-vis de la BES avait été
transférée à la banque-relais consécutivement à la mesure de
résolution appliquée par la BdP à la BES (paragraphes 27 et 30
ci-dessus), mais que la cour dappel dÉvora et la
Cour suprême ont abouti à la conclusion inverse en se fondant
sur les clarifications apportées le 11 août 2014 et le 29
décembre 2015 à la mesure de résolution de la BdP du 3 août
2014 (paragraphes 41-42 et 47
ci-dessus).
98. Le requérant conteste la conclusion à laquelle ont abouti les juridictions internes. La Cour ne saurait toutefois remettre en cause linterprétation des faits et du droit en lespèce. En effet, celle-ci appartient au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux nationaux, son rôle à elle se limitant à vérifier la compatibilité des effets dune telle interprétation avec la Convention (voir, mutatis mutandis, Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018 et les références qui y sont citées). Par ailleurs, linterprétation retenue napparait ni arbitraire ni déraisonnable et saligne avec la jurisprudence de la Cour suprême dans le cadre daffaires similaires (paragraphes 56-62 ci-dessus).
99. En
ce qui concerne largument tiré par le requérant dune
atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au
principe de la sécurité juridique quaurait entraînée la
décision de la BdP de retransférer vers la BES des passifs qui
avaient été initialement transmis à la N.B. (paragraphe 73
ci-dessus), la Cour constate que, à la date du jugement du
tribunal de Santarém au sujet des faits de la présente espèce,
la décision de la BdP du 29 décembre 2015 avait déjà
été publiée (paragraphe 24 ci-dessus). Elle ne voit donc pas
en quoi, en adoptant cette décision, la BdP aurait porté
atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au
principe de la sécurité juridique. Aussi, la présente affaire
est à distinguer sur ce point de laffaire Banco de
Portugal et autres, sur laquelle la CJUE a statué dans son
arrêt du 29 avril 2021 (C- 04/19- point 62 de larrêt- paragraphe 70
ci-dessus).
100. Pour finir, la Cour observe que le requérant aurait pu déclarer sa créance dans le cadre de la procédure de liquidation relative à la BES pendante devant le tribunal de commerce de Lisbonne, comme la relevé la Cour suprême dans un arrêt rendu le 22 mars 2018 (paragraphe 59 ci-dessus). En effet, il paraît clair que, dans ce cadre, le requérant naurait pas pu subir une perte supérieure à celle quil aurait connue si la BES avait été immédiatement mise en liquidation, comme le prévoit larticle 145-B § 1 c) du RGICSF conformément à larticle 73 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises dinvestissement (paragraphes 53 et 69 ci-dessus et point 58 de larrêt de la CJUE BPC Lux 2 et autres du 5 mai 2022 (affaire C-83/20) au paragraphe 71 ci-dessus). La Cour note que, dans le cas contraire, conformément à larticle 145-B § 3 du RGSFIC, le requérant aurait pu réclamer au Fonds de résolution la réparation de tout préjudice subi dans le cadre du remboursement de sa créance (paragraphe 53 ci-dessus).
101. La Cour en conclut que, dans la présente espèce, un juste équilibre a été ménagé entre lintérêt public poursuivi et le droit de propriété du requérant et de toutes les personnes se trouvant dans la même situation que lui (voir, mutatis mutandis, Trajkovski c. lex-République yougoslave de Macédoine (déc.), no 53320/99, CEDH 2002-IV)
102. Compte tenu des observations qui précèdent (paragraphes 93-95 et 101 ci-dessus) et de la marge dappréciation dont jouissait lÉtat au vu des circonstances exceptionnelles qui étaient en cause, la Cour estime que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de larticle 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Grande Chambre KOTOV C RUSSIE requête 54522/00 du 3 avril 2012
Le droit de propriété d'un créancier a été suffisamment protégé par l'Etat à l'issue d'une faillite bancaire, même si le requérant n'est pas intégralement remboursé de ses dépôts.
Un mandataire liquidateur agit dans son intérêt et n'est pas une autorité publique.
89. La Cour rappellera tout dabord brièvement les éléments de fait et de droit au sujet desquels il ny a pas de controverse entre les parties. Premièrement, le Gouvernement reconnaît que le montant alloué par la décision de justice de 1995 sanalyse en un « bien » du requérant au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Deuxièmement, il convient avec lintéressé que le liquidateur a agi illégalement en ce que les actifs de la banque, qui auraient normalement dû être répartis également entre les créanciers de premier rang, ont servi à désintéresser en intégralité au sein de cette catégorie les créanciers « privilégiés ». Troisièmement, il admet que, à la suite de cette distribution, les autres créanciers de premier rang de la banque, dont le requérant, ont reçu une somme bien inférieure à celle quils pouvaient légitimement espérer toucher compte tenu de la situation financière de la banque.
90. La Cour ne voit aucune raison de sécarter de lavis des parties sur les points ci-dessus. Elle rappelle avoir toujours qualifié de « bien », au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, toute créance pécuniaire fondée sur une décision de justice définitive (« judgment debt ») (Burdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002-III, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A no 301-B). Certes, lorsque le débiteur est un particulier ou une société privée, une créance pécuniaire, fût-elle constatée par jugement, est moins certaine car ses chances de recouvrement dépendent dans une large mesure de la solvabilité du débiteur. Comme la Cour la dit à maintes reprises, « en principe, lEtat nest pas directement tenu de rembourser les dettes des acteurs privés et ses obligations se limitent à apporter le concours nécessaire aux créanciers dans lexécution des décisions de justice en cause, par exemple par le biais dun service dhuissiers ou de procédures de faillite » (voir, par exemple, Shestakov c. Russie (déc.), no 48757/99, 18 juin 2002, Krivonogova c. Russie (déc.), no 74694/01, 1er avril 2004, et Kesyan c. Russie, no 36496/02, 19 octobre 2006 ; voir aussi Scollo c. Italie, 28 septembre 1995, § 44, série A no 315-C, et Fuklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). Il nen reste pas moins quune créance pécuniaire de ce type peut elle aussi être qualifiée de « bien ». En lespèce, avant leur distribution par le liquidateur, les actifs de la banque étaient suffisants pour rembourser au moins une part non négligeable de la somme due au requérant. Aussi le montant octroyé par le juge en 1995 était-il recouvrable au moins en partie. Le requérant était un créancier de premier rang, et les obligations quavait la banque à son égard auraient dû être honorées à ce titre. Or, en violation de la loi, le liquidateur a distribué les sommes dégagées principalement aux créanciers « privilégiés ». Cette action illégale a fait perdre à lintéressé une bonne partie du montant auquel il avait initialement droit. Telle est la conclusion à laquelle est parvenue la chambre (paragraphe 53 de larrêt) ; les parties y ont lune et lautre pleinement souscrit et la Grande Chambre ne voit aucune raison de sen écarter. Il sensuit que le requérant a été privé de son bien par un acte illégal du liquidateur.
1. Statut juridique du liquidateur
91. Devant la Grande Chambre, le Gouvernement plaide lincompétence ratione personae de la Cour pour connaître du grief du requérant relatif à laction du liquidateur, en ce que ce dernier aurait agi non pas comme un agent de lEtat mais comme un particulier. La Cour examinera tout dabord cette question.
a) La jurisprudence de la Cour
92. La Cour a déjà statué sur le point de savoir si, sur le terrain de la Convention, lEtat peut être tenu pour responsable des actes dun particulier ou dune société. Une première catégorie daffaires (dont la présente espèce relève) porte sur la responsabilité ratione personae de lEtat du fait dun organe qui, au moins dun point de vue formel, nest pas une « autorité publique ». Dans son arrêt Costello-Roberts (précité, § 27), la Cour a dit que lEtat ne pouvait se soustraire à sa responsabilité en déléguant ses obligations à des organismes privés ou des particuliers, en loccurrence une école privée. De la même manière, dans larrêt Storck c. Allemagne (no 61603/00, § 103, CEDH 2005-V), elle a jugé que lEtat demeurait tenu dexercer une surveillance et un contrôle sur les établissements psychiatriques privés où des patients pouvaient été internés contre leur gré (voir également larrêt Evaldsson et autres c. Suède, no 75252/01, § 63, 13 février 2007, concernant lorganisation du marché du travail, larrêt Buzescu (précité, § 78), relatif aux barreaux davocats, et larrêt Wos (précité, §§ 71-74), portant sur le statut de la Fondation pour la réconciliation germano-polonaise).
93. Une seconde catégorie daffaires concerne la qualité pour agir dune personne morale requérante sur le terrain de larticle 34 de la Convention et la notion d« organisation gouvernementale ». Dans la décision Radio France et autres c. France ((déc.), no 53984/00, § 26, CEDH 2003-X), la Cour a dit :
« Entrent dans la catégorie des « organisations gouvernementales », les personnes morales qui participent à lexercice de la puissance publique ou qui gèrent un service public sous le contrôle des autorités. Pour déterminer si tel est le cas dune personne morale donnée autre quune collectivité territoriale, il y a lieu de prendre en considération son statut juridique et, le cas échéant, les prérogatives quil lui donne, la nature de lactivité quelle exerce et le contexte dans lequel sinscrit celle-ci, et son degré dindépendance par rapport aux autorités politiques. »
94. Concernant la société Radio France, la Cour a relevé que, si celle-ci sétait vu assigner des missions de service public et dépendait en grande partie de lEtat pour son financement, le législateur avait mis en place un régime dont lobjectif était sans aucun doute de garantir son indépendance éditoriale et son autonomie institutionnelle. Sur ce point, Radio France différait peu des sociétés exploitant des radios dites privées, lesquelles étaient elles-mêmes également soumises à diverses contraintes légales et réglementaires. La Cour en a conclu que Radio France était une organisation non gouvernementale au sens de larticle 34 de la Convention. De même, dans larrêt Compagnie de navigation de la République islamique dIran c. Turquie (no 40998/98, § 79, CEDH 2007-V), elle a qualifié la société requérante dorganisation non gouvernementale alors même que cette entité était entièrement propriété de lEtat iranien et que la majorité des membres de son conseil dadministration étaient nommés par lui. Elle a en effet relevé que cette société était juridiquement et financièrement indépendante de lEtat et gérée comme une société commerciale.
95. Malgré les différences entre les notions d« organisation gouvernementale » et d« autorité publique », la Cour a retenu un mode de raisonnement similaire dans un cas comme dans lautre. Ainsi, elle a appliqué les principes élaborés dans la décision Radio France à laffaire Mikhaïlenki et autres c. Ukraine (nos 35091/02, 35196/02, 35201/02, 35204/02, 35945/02, 35949/02, 35953/02, 36800/02, 38296/02 et 42814/02, §§ 43-46, CEDH 2004-XII), où se posait la question de la responsabilité de lEtat à raison des dettes dune entreprise opérant dans le secteur privé (voir également Yershova c. Russie, no 1387/04, §§ 55 et 62, 8 avril 2010).
96. Pour ce qui est du statut juridique des liquidateurs de faillite, la Cour la examiné dans les affaires suivantes. Dans larrêt Katsyuk (précité, § 39), elle a notamment dit que le liquidateur ne présentait aucune des caractéristiques dune « organisation gouvernementale », considérant que sa désignation et lapprobation de son rapport par le juge commercial ne pouvaient pas, à elles seules, lui conférer cette qualité (voir aussi Bakalov et autres c. Bulgarie (déc.), no 55796/00, 18 septembre 2007). Il faut toutefois noter que, dans cette affaire, le liquidateur avait été désigné alors que la société débitrice était déjà incapable dhonorer ses obligations. De plus, ni la légalité ni le bien-fondé de laction du liquidateur navaient été contestés. La question essentielle qui se posait était plutôt celle de savoir si, par le fait même de désigner un liquidateur, les autorités ukrainiennes avaient endossé la responsabilité des dettes dune société privée, ce à quoi la Cour a répondu par la négative.
97. Dans laffaire Sychev c. Ukraine (no 4773/02, §§ 54-56, 11 octobre 2005), la Cour a examiné le statut du comité de liquidation pour conclure que linexécution prolongée par celui-ci dune décision de justice était due à « labsence de mise en place par lEtat dun mécanisme effectif dexécution des jugements rendus contre une société visée par une procédure de faillite » (voir aussi Pokutnaya c. Russie (déc.), no 26856/04, 3 juillet 2008). Cependant, elle na pas recherché si le comité de liquidation était une « autorité publique », sattachant plutôt au non-respect par lEtat de ses obligations positives en la matière. Elle na pas non plus examiné cette question dans des affaires où elle était appelée à dire si larticle 6 était applicable aux litiges nés de procédures de liquidation (voir, par exemple, Werner c. Pologne, no 26760/95, § 34, 15 novembre 2001, et Ismeta Bacic c. Croatie, no 43595/06, § 27, 19 juin 2008), ni dans celles où elle a statué sur la durée dune procédure de ce type (Luordo c. Italie, no 32190/96, §§ 67-71, CEDH 2003-IX).
98. Dès lors, en raison principalement de la diversité des situations qui se présentent dans les affaires soumises à la Cour, il apparaît que la jurisprudence sur le statut juridique des liquidateurs de faillite appelle quelque clarification. La Cour va donc rechercher si, en lespèce, le liquidateur peut passer pour avoir agi comme un agent de lEtat, eu égard aux critères exposés ci-dessous.
b) Le liquidateur en lespèce
99. La Cour souligne demblée que les règles du droit interne en vigueur à lépoque des faits ne qualifiaient pas le liquidateur dagent de la fonction publique, ladministration des faillites étant supposée relever du secteur privé. Elle va à présent examiner si le statut formel du liquidateur correspondait à la réalité du processus de liquidation.
i. Désignation
100. Au moment des faits, le liquidateur en Russie était un particulier engagé par lorgane représentatif des créanciers, entité mue par ses propres intérêts. Il était choisi de gré à gré parmi dautres professionnels en concurrence pour les mêmes fonctions. Il touchait des honoraires fixés librement et payés par lorgane représentatif des créanciers. Pour autant que lEtat participait à la procédure de liquidation, il agissait en qualité de créancier et non en tant qu« autorité publique ».
101. La désignation du liquidateur était confirmée par les tribunaux. Toutefois, comme le Gouvernement la expliqué de manière convaincante, le juge se contentait de valider la décision de lorgane représentatif des créanciers après avoir vérifié si le candidat satisfaisait à tous les critères déligibilité. En soi, pareille validation nimpliquait pas que lEtat fût responsable de la manière dont le liquidateur sacquittait de sa tâche.
ii. Contrôle et responsabilité
102. Alors que la chambre a accordé une grande importance au contrôle de la légalité de laction du liquidateur opéré par le juge interne, la Grande Chambre note que ce contrôle était dune portée très limitée et ne sexerçait qua posteriori, les tribunaux nayant pas à vérifier si les décisions du liquidateur étaient justifiées dun point de vue économique ou commercial. Le juge nétait pas habilité à donner au liquidateur des instructions quant à la manière de gérer la société en faillite, tâche qui relevait du pouvoir discrétionnaire de ce dernier. Il ne faisait que contrôler la conformité de laction du liquidateur aux règles matérielles et procédurales de la législation interne en matière de faillite. Son rôle se limitait à servir dinstance de règlement des litiges entre les créanciers de la société insolvable, ses débiteurs et le liquidateur. En cela, le juge avait la même fonction que dans tout autre contentieux dordre privé.
103. Par ailleurs, en vertu de la loi de 1992, le liquidateur navait de comptes à rendre à aucune instance réglementaire. Il ne répondait que devant lorgane représentatif des créanciers ou devant chaque créancier individuellement. Ses relations avec les créanciers (dont lEtat) étaient régies par le droit des sociétés, qui prévoyait que sa responsabilité personnelle était engagée devant eux. Le liquidateur ne recevait aucun denier public. La loi de 1992 était muette sur la question de la réparation des actes illégaux pouvant être commis par un liquidateur. Cette lacune fut comblée par la loi de 1998, qui permettait aux créanciers sestimant lésés par des actions illégales du liquidateur de lui demander réparation. La responsabilité pénale du liquidateur pouvait être engagée notamment pour abus de confiance ou détournement de fonds, mais non pour les infractions ne pouvant être commises que par les agents publics. Enfin, le droit de la responsabilité délictuelle prévoyait non pas la responsabilité de lEtat du fait du liquidateur, mais celle du liquidateur devant les créanciers.
iii. Objectifs
104. Sil est clair que, à lépoque des faits, la législation relative à linsolvabilité cherchait à réaliser un juste équilibre entre tous les intérêts concurrents en matière de faillite, notamment en instaurant différents niveaux de priorité entre créanciers et en mettant en place des procédures de liquidation équitables, la Grande Chambre considère que le liquidateur lui-même nétait pas tenu de se livrer à une telle mise en balance. Pour la Grande Chambre, la mission du liquidateur était bien plus proche de celle de nimporte quel autre professionnel engagé par des clients en loccurrence les créanciers pour servir au mieux leurs intérêts et, au bout du compte, le sien propre. A ce titre, le seul fait que ses services pussent revêtir une utilité pour la société ne faisait pas de lui un agent public agissant dans lintérêt général.
iv. Pouvoirs
105. Surtout, le liquidateur avait des pouvoirs très limités : il était certes habilité à administrer le patrimoine de la société en faillite, mais il ne jouissait daucun pouvoir coercitif ou réglementaire à légard des tiers. Il ne bénéficiait daucune délégation formelle de pouvoirs dune autorité de lEtat (et donc daucun financement public). Contrairement à un huissier, il ne pouvait pas saisir des biens, collecter des informations, infliger des amendes ou prendre dautres décisions du même ordre contraignantes à légard des tiers. Ses pouvoirs se limitaient au contrôle opérationnel et à la gestion du patrimoine de la société en faillite.
v. Fonctions
106. Acteur central du processus de liquidation, le liquidateur peut à ce titre être appelé à désintéresser les créanciers dont les créances ont été, comme en lespèce, constatées par un tribunal. Il existe donc certaines similitudes entre ses fonctions et celles de lhuissier de justice, qui est incontestablement une autorité publique. De fait, dans la plupart des pays européens, des organes de lEtat interviennent dans les procédures dexécution et, par laction des huissiers, des policiers et dautres agents de ce type, aident les demandeurs ayant obtenu gain de cause devant le juge à recouvrer les sommes fixées par celui-ci. La Cour a dit à de nombreuses reprises que larticle 6 § 1 et larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention font peser sur lEtat lobligation positive daider les particuliers à faire exécuter les jugements rendus en leur faveur contre dautres particuliers (Fuklev, précité, §§ 84 et 91, Scollo, précité, § 44, Fociac c. Roumanie, no 2577/02, § 70, 3 février 2005, et Kesyan, précité, §§ 79 et 80). Cependant, ces similitudes napparaissent pas déterminantes au vu des différences marquantes qui existent entre les fonctions dhuissier et celles de liquidateur. Premièrement, si les huissiers sont chargés dexécuter les décisions de justice, les liquidateurs traitent toutes sortes de demandes, dont certaines ne sont pas fondées sur des jugements exécutoires. Deuxièmement, surtout, les huissiers, contrairement aux liquidateurs, sont investis de pouvoirs coercitifs en plus dêtre désignés, rémunérés et étroitement contrôlés par lautorité compétente de lEtat. Par conséquent, si, dans le cadre des procédures de faillite, lEtat défendeur a confié ladministration des sociétés insolvables à leurs créanciers et aux liquidateurs désignés par eux, il a, dans le cadre des procédures dexécution, choisi dagir par le biais de ses propres agents et dêtre directement responsable de leur fait.
vi. Conclusion
107. Il apparaît que, au moment des faits, le liquidateur jouissait dune indépendance opérationnelle et institutionnelle considérable, dès lors que les autorités de lEtat nétaient pas habilitées à lui donner des instructions et ne pouvaient donc pas intervenir directement dans le processus de liquidation lui-même. A cet égard, le rôle de lEtat se limitait à la mise en place du cadre légal de la procédure de liquidation, à la définition des fonctions et pouvoirs de lorgane représentatif des créanciers et du liquidateur et au contrôle du respect des règles. Dès lors, laction du liquidateur nétait pas celle dun agent de lEtat. Aussi lEtat défendeur ne peut-il être tenu pour directement responsable des irrégularités commises par le liquidateur en lespèce. Le fait quun juge était habilité à exercer un contrôle sur la légalité de laction du liquidateur ne change rien à ce constat.
108. Cela étant, la Cour doit aussi rechercher si lEtat défendeur a manqué à lune quelconque des obligations positives qui lui incombaient en lespèce.
2. Nature et étendue des obligations positives de lEtat dans le cadre des procédures de faillite
a) Principes généraux
109. La Cour a dit à maintes reprises que larticle 1 du Protocole no 1 renferme également certaines obligations positives. Ainsi, dans larrêt Öneryildiz c. Turquie ([GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII), qui concernait la destruction des biens du requérant à la suite dune explosion de gaz, elle a dit que lexercice réel et efficace du droit garanti par cette disposition ne dépend pas uniquement du devoir de lEtat de sabstenir de toute ingérence mais peut exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures quun requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par lintéressé de ses biens. Même dans le cadre de relations horizontales il peut y avoir des considérations dintérêt public susceptibles dimposer certaines obligations à lEtat. Ainsi, dans larrêt Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 143, CEDH 2004-V), la Cour a dit que les obligations positives découlant de larticle 1 du Protocole no 1 peuvent entraîner pour lEtat certaines mesures nécessaires pour protéger le droit de propriété. Dès lors, des considérations dintérêt général susceptibles dimposer certaines obligations à lEtat peuvent entrer en jeu même dans le cadre de relations horizontales.
110. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de lEtat au titre de larticle 1 du Protocole no 1 ne se prête pas à une définition précise, mais les principes applicables nen sont pas moins comparables. Que lon analyse laffaire sous langle de lobligation positive de lEtat ou sous celui de lingérence des pouvoirs publics, qui doit être justifiée, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance. Dans un cas comme dans lautre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de lindividu et de la société dans son ensemble. Il est également vrai que les objectifs énumérés dans cette disposition peuvent jouer un certain rôle dans lappréciation de la question de savoir si un équilibre a été ménagé entre les exigences de lintérêt public et le droit fondamental du requérant à la propriété. Dans les deux cas, lEtat jouit dune certaine marge dappréciation pour déterminer les mesures à prendre afin dassurer le respect de la Convention (voir, mutatis mutandis, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, §§ 98 et suiv., CEDH 2003-VIII, et Broniowski [GC], précité, § 144).
111. La nature et létendue des obligations positives de lEtat varient selon les circonstances. Par exemple, dans laffaire Öneryildiz précitée, la privation de propriété subie par le requérant avait pour origine une négligence manifeste des autorités dans une situation particulièrement dangereuse. En revanche, lorsque sont en cause des relations commerciales ordinaires entre particuliers, ces obligations positives sont bien plus limitées. Ainsi, la Cour a souligné à de nombreuses reprises que larticle 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les Etats contractants une obligation générale dassumer les dettes dentités privées (voir, mutatis mutandis, la décision Shestakov précitée et larrêt Scollo précité, § 44 ; voir en particulier le raisonnement de la Cour dans la décision Anokhin c. Russie (déc.), no 25867/02, 31 mai 2007).
112. Toutefois, la Cour a également dit que, dans certaines circonstances, larticle 1 du Protocole no 1 peut imposer « certaines mesures nécessaires pour protéger le droit de propriété (...), même dans les cas où il sagit dun litige entre des personnes physiques ou morales » (Sovtransavto Holding, précité, § 96). Ce principe a été largement appliqué dans le contexte de procédures dexécution dirigées contre des débiteurs privés (Fuklev, précité, §§ 89-91, Kesyan, précité, §§ 79-80 ; voir également Kin-Stib et Majkic c. Serbie, no 12312/05, § 84, 20 avril 2010, Marcic et autres c. Serbie, no 17556/05, § 56, 30 octobre 2007, et, mutatis mutandis, Matheus c. France, no 62740/00, §§ 68 et suiv., 31 mars 2005).
113. Dans son arrêt Blumberga c. Lettonie (no 70930/01, § 67, 14 octobre 2008), la Cour a dit : « toute atteinte au droit au respect des biens commise par un particulier fait naître pour lEtat lobligation positive de garantir dans son ordre juridique interne que le droit de propriété sera suffisamment protégé par la loi et que des recours adéquats permettront à la victime de pareille atteinte de faire valoir ses droits, notamment, le cas échéant, en demandant réparation du préjudice subi ». Il sensuit que lEtat peut être tenu de prendre en pareilles circonstances soit des mesures préventives, soit des mesures de réparation.
114. Parmi les mesures de réparation que lEtat peut être tenu de prendre dans certaines circonstances, il y a la mise en place de voies de droit adéquates permettant à la partie lésée de se prévaloir effectivement de ses droits. Lexistence dobligations positives de nature procédurale sur le terrain de larticle 1 du Protocole no 1, malgré le silence de cette disposition sur ce point, a été reconnue par la Cour aussi bien dans des affaires concernant des autorités de lEtat (Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV ; voir également Zehentner c. Autriche, no 20082/02, § 73, 16 juillet 2009) que dans des affaires portant, comme en lespèce, sur un litige opposant uniquement des particuliers. Ainsi, dans une affaire relevant de la seconde catégorie, la Cour a jugé que lEtat avait lobligation de prévoir une procédure judiciaire offrant les garanties procédurales nécessaires et permettant ainsi aux tribunaux nationaux de trancher efficacement et équitablement tout litige éventuel entre particuliers (Sovtransavto Holding, précité, § 96 ; voir aussi Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007-I, et Freitag c. Allemagne, no 71440/01, § 54, 19 juillet 2007).
115. La Cour rappelle enfin que, lorsquelle contrôle le respect de larticle 1 du Protocole no 1, elle doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu en gardant à lesprit que la Convention vise à sauvegarder des droits concrets et effectifs. Elle doit aller au-delà des apparences et senquérir des réalités de la situation dénoncée (Plechanow, précité, § 101).
b) Application en lespèce des principes susmentionnés
116. La Cour observe demblée que laction illégale du liquidateur a causé au requérant un préjudice, comme lont confirmé les tribunaux russes. Elle rappelle toutefois que lEtat ne peut être tenu pour directement responsable des dettes dune société privée ni des fautes commises par ses dirigeants (ou, comme en loccurrence, par un liquidateur de faillite). En déposant son argent dans une banque privée, le requérant en lespèce a pris certains risques, tenant notamment à la possibilité derreurs de gestion voire dabus de confiance. LEtat navait donc pas à assumer la moindre responsabilité civile pour des irrégularités commises par le liquidateur.
117. La Cour relève toutefois que les irrégularités commises par le liquidateur en lespèce étaient graves et quelles ont donné lieu à dimportantes réclamations, auxquelles le juge interne a fait droit. De plus, elles se sont produites dans un domaine où toute négligence de la part de lEtat dans la lutte contre la mauvaise gestion ou la fraude peut avoir des conséquences catastrophiques sur léconomie du pays et léser un grand nombre de personnes dans leur droit de propriété. Dans ces conditions, la Cour estime que, au titre des obligations découlant de larticle 1 du Protocole no 1, lEtat doit à tout le moins instaurer un cadre législatif minimum, prévoyant notamment une instance adéquate permettant aux personnes se trouvant dans une situation telle que celle du requérant en lespèce de se prévaloir effectivement de leurs droits et den obtenir la sanction. Un Etat qui nagirait pas ainsi manquerait en effet gravement à son obligation de protéger la prééminence du droit et de prévenir larbitraire. La Cour va donc examiner si, en lespèce, lEtat défendeur a respecté cette obligation en mettant à la disposition du requérant des voies de droit propres à lui permettre de faire réellement valoir ses droits et en créant une instance de règlement appropriée à cette fin.
118. Quant aux mesures préventives que lEtat aurait pu être tenu de prendre, la Cour rappelle que, la Convention nétant entrée en vigueur à légard de la Russie que le 5 mai 1998, elle nest pas compétente ratione temporis pour examiner ce que lEtat aurait pu faire pour empêcher la distribution illégale des actifs de la banque par le liquidateur en 1996. Elle peut toutefois déterminer si, en 1998 et 1999, il existait dans ce pays un quelconque mécanisme propre à réparer le tort causé au requérant par les irrégularités du liquidateur et, dans laffirmative, pourquoi il na pas été effectif dans son cas.
i. Sur lexistence de voies de droit adéquates
a) Le recours dirigé contre la banque
119. La Cour constate que le requérant a cherché à deux reprises à être rétabli dans ses droits. En 1998, il assigna en justice le liquidateur en sa qualité dadministrateur de la banque, invoquant les dispositions de la loi sur la faillite qui prévoyaient le contrôle par le juge de laction du liquidateur (paragraphe 46 ci-dessus). Dans sa décision définitive du 12 novembre 1998, le tribunal fédéral de commerce du Caucase du Nord lui donna gain de cause et ordonna au liquidateur de le dédommager. Or cette décision ne fut pas exécutée, la distribution dargent aux créanciers « privilégiés » ayant absorbé la quasi-totalité des actifs de la banque sans quaucun nouvel actif ne fût découvert. Ce recours sest donc révélé ineffectif et inapte à réparer le tort causé à lintéressé. La seule voie de droit restante était donc un recours en responsabilité délictuelle contre le liquidateur.
ß) Le recours en responsabilité délictuelle contre le liquidateur
120. Nul ne conteste quà lépoque des faits le requérant aurait pu agir en réparation contre le liquidateur à titre personnel sur la base des dispositions générales du droit russe de la responsabilité délictuelle. La Cour constate quavant 1998 il nexistait aucune disposition légale prévoyant expressément lengagement de la responsabilité personnelle du liquidateur en cas de faute de gestion, ni aucune jurisprudence constante en la matière. La situation a évolué depuis lors, la loi de 1998 sur la faillite, en son article 21 § 3, permettant aux créanciers de se faire indemniser par le liquidateur de tout dommage susceptible davoir été causé par une action ou une omission illégale de sa part. La Cour est néanmoins disposée à croire que, comme le Gouvernement le dit, cette disposition na pas instauré la responsabilité personnelle du liquidateur en droit russe, elle na fait quen confirmer lexistence. Il sensuit que, au moment des faits, le droit russe permettait, du moins en théorie, de demander réparation au liquidateur lui-même. La Cour doit à présent examiner leffectivité de cette voie de droit dans les circonstances de lespèce.
ii. Sur leffectivité de la voie de droit existante
121. Le Gouvernement soutient que la loi permettait à tout créancier lésé par un liquidateur de demander réparation à celui-ci à titre personnel mais que le requérant na pas correctement usé de cette possibilité, et ce pour deux raisons. Premièrement, en saisissant un tribunal de commerce plutôt quun tribunal de droit commun, lintéressé ne se serait pas adressé à la bonne juridiction. A lappui de cet argument, le Gouvernement invoque la décision du Tribunal supérieur de commerce du 17 avril 2001. Deuxièmement, le requérant aurait formulé sa demande trop tôt, à savoir avant la clôture de la procédure de faillite.
a) Quant à savoir si le requérant sest adressé à la juridiction compétente
122. Sur la question de savoir si le requérant a saisi ou non la juridiction compétente, la Cour reconnaît que, en principe, les tribunaux internes sont mieux placés quelle pour interpréter la législation nationale. Elle constate à cet égard que les deux procédures dirigées contre le liquidateur, closes respectivement en 1998 et 1999, ont été examinées par les tribunaux de commerce. Or, en 2001, le Tribunal supérieur de commerce a annulé la décision rendue à lissue de la procédure conduite en 1999 au motif que, lintéressé ayant demandé réparation au liquidateur à titre personnel (et non en tant quadministrateur de la banque), il lui aurait fallu saisir le juge de droit commun. La Cour nest pas convaincue que dans les circonstances de lespèce le requérant aurait pu savoir que seuls les tribunaux ordinaires étaient alors compétents pour connaître de sa demande.
123. De fait, si le code de procédure civile disposait à lépoque que les litiges dordre pécuniaire entre un individu et une société devaient être portés devant le juge de droit commun (paragraphe 52 ci-dessus), les lois de 1992 et 1998 sur linsolvabilité, ainsi que le code de procédure commerciale et la loi de 1999 sur linsolvabilité des banques (dans lesquelles il faut apparemment voir des lex specialis) prévoyaient une règle différente, faisant passer sous la compétence des tribunaux de commerce tout litige né dune procédure de faillite (paragraphes 53 et suiv. ci-dessus). Par ailleurs, aucune de ces lois nétablissait de distinction entre les actions formées par les créanciers contre le liquidateur en sa qualité dadministrateur de la personne morale en faillite et celles formées contre lui personnellement en tant quauteur dune faute.
124. De surcroît, le Gouvernement ne sappuie sur aucun précédent remontant à lépoque des faits qui serait de nature à confirmer lexistence dune telle distinction en droit russe. Il cite bien larrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 mars 2001 (no 4-P), mais celui-ci est postérieur aux faits en cause. En outre, la Cour constitutionnelle y a simplement dit que, si un juge commercial se déclare incompétent pour examiner la demande dun créancier personne physique, celui-ci peut saisir les tribunaux ordinaires. Elle a par ailleurs souligné que rien dans les dispositions de la loi sur la faillite « nempêch[ait] les tribunaux de commerce de rendre des décisions garantissant pleinement aux intéressés leur droit à la protection judiciaire dans le cadre de la procédure de faillite ».
125. Enfin, la Cour relève que, quand bien même le requérant aurait commis une erreur, celle-ci na sauté aux yeux ni des parties ni du représentant de la Banque centrale de Russie qui avait participé à la procédure conduite en 1999. De surcroît, les tribunaux de commerce de trois degrés se sont déclarés compétents pour connaître du litige. Ce nest quen 2001 que lexception dincompétence a été soulevée dans le cadre de la procédure de supervision introduite après la communication de laffaire au Gouvernement par la Cour et à lissue de laquelle ont été annulées toutes les décisions antérieures des tribunaux de commerce (celles du 4 février, du 31 mars et du 9 juin 1999).
126. Il sensuit que les règles qui régissaient à lépoque la compétence des tribunaux en question nétaient pas claires et que, en saisissant une juridiction qui apparaissait compétente, le requérant a agi de manière raisonnable. Dans ces conditions, la Cour estime que, après lannulation en 2001 par voie de supervision des décisions rendues en 1999, on ne pouvait attendre de lintéressé quil formât le même recours devant un autre tribunal. A la date de lintroduction de sa requête devant la Cour, le requérant avait de bonnes raisons de penser quil avait emprunté les bonnes voies légales et que le jugement du 9 juin 1999 constituait la décision définitive en la matière. Dès lors, même sil sest effectivement adressé à une juridiction incompétente, cette erreur ne saurait raisonnablement être retenue contre lui.
ß) Quant à savoir si le requérant a esté en justice trop tôt
127. Le Gouvernement soutient également que si le requérant na pas obtenu gain de cause, cest parce que la procédure de liquidation était toujours pendante. Il estime que, tant que la banque continuait dexister, il demeurait possible que la somme initialement allouée à lintéressé lui fût remboursée sur le reste des actifs. Il en conclut que, si le juge avait indemnisé le requérant, celui-ci aurait pu prétendre au recouvrement de la même somme deux fois : des mains de la banque et de celles du liquidateur (thèse dite du double recouvrement). Il estime en revanche quune fois la procédure de liquidation clôturée, lintéressé avait effectivement le droit de former un nouveau recours et de solliciter une indemnisation adéquate. En somme, pour le Gouvernement, le requérant na été que provisoirement empêché de demander réparation au liquidateur, à savoir pendant que la procédure de liquidation était en cours. La Cour va à présent examiner cet argument en se basant sur le raisonnement développé par les juridictions internes dans le cadre de linstance conduite en 1999.
128. La Grande Chambre relève que, dans son jugement du 9 juin 1999, je juge commercial a clairement fait fond sur la thèse du double recouvrement. Pour lessentiel, à partir du 17 juin 1999, date de lhomologation par le tribunal de commerce de la liquidation de la banque, le requérant avait la possibilité de former contre le liquidateur une action en responsabilité délictuelle pour négligence et faute professionnelle. Or, pour des raisons qui demeurent inconnues, il ne la pas fait. Quelles quaient pu être ces raisons, rien dans ce jugement nétait de nature à empêcher lintéressé dassigner le liquidateur en justice une fois close la procédure de liquidation.
129. Aux yeux de la Cour, la thèse du double recouvrement retenue par les juridictions internes nest pas dénuée de pertinence. En effet, si le requérant avait attaqué le liquidateur en justice avec succès puis recouvré ultérieurement la somme que la banque avait initialement été condamnée à lui rembourser, il aurait effectivement été dédommagé deux fois de ce qui était essentiellement le même préjudice financier. Dès lors, le refus par le juge de connaître des demandes formulées par lintéressé contre le liquidateur tant que la procédure de liquidation était pendante avait une raison dêtre. Même si, au vu des circonstances de lespèce, la probabilité dun recouvrement de la somme due par la banque était faible, la règle générale appliquée par le tribunal dans sa décision du 9 juin 1999 ne saurait être considérée comme dépourvue de justification raisonnable.
130. Cette règle a certes pour conséquence quun créancier lésé doit attendre la dissolution de la société débitrice avant de pouvoir demander réparation au liquidateur à titre personnel. La Cour souligne toutefois que, dans les affaires introduites par voie de requête individuelle, elle na pas pour tâche de contrôler dans labstrait la législation litigieuse. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les questions soulevées par laffaire dont elle est saisie (voir, mutatis mutandis, parmi de nombreux autres précédents, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 83, CEDH 2010). En lespèce, la banque a été liquidée le 17 juin 1999, soit huit jours après que les tribunaux eurent statué sur les demandes formulées par lintéressé contre le liquidateur. Si lon examine les choses dans leur globalité, seul un bref laps de temps sest donc écoulé entre le moment où le requérant a appris que la banque navait plus dactifs pour lui rembourser la somme qui lui revenait en vertu de la décision du 12 novembre 1998 et la date à laquelle il lui est devenu possible de poursuivre le liquidateur en réparation.
131. La Cour rappelle en outre que la marge dappréciation devant être accordée au législateur pour la mise en uvre de ses choix en matière économique ou sociale doit être étendue (voir, parmi de nombreux précédents, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 91, CEDH 2005-VI), surtout dans un cas comme celui-ci, où lEtat doit avoir égard aux intérêts privés entrant en concurrence dans le cadre de relations horizontales dans un domaine tel que celui de la faillite bancaire.
132. En somme, la loi prévoyait un mécanisme compensatoire « différé », mais le requérant nen a pas fait usage au moment où il en a eu la faculté. Limpossibilité de demander réparation au liquidateur ayant été brève dans sa durée concomitante à celle de la procédure de liquidation et le requérant nayant avancé aucun argument propre à expliquer en quoi cette durée aurait été excessive au vu des circonstances, la Cour considère que la restriction litigieuse na pas porté atteinte à la substance des droits résultant pour lintéressé de larticle 1 du Protocole no 1 et quelle relevait de la marge dappréciation reconnue à lEtat.
133. Il sensuit que le cadre légal mis en place par lEtat offrait au requérant un mécanisme lui permettant de faire respecter les droits que lui garantissait larticle 1 du Protocole no 1. Dès lors, la Cour conclut que lEtat a satisfait aux obligations positives découlant pour lui de cette disposition. Eu égard à ce qui précède, il nest pas nécessaire dexaminer séparément lexception préliminaire du Gouvernement.
DURÉE D'UNE LIQUIDATION JUDICIAIRE
TETU C. FRANCE du 22 septembre 2011 Requête 60983/09
53. Le requérant se plaint de ce que la procédure de liquidation judiciaire la dessaisi de ladministration et de la disposition de ses biens pendant plus de vingt ans. Il dénonce une atteinte au droit au respect de ses biens.
54. Le Gouvernement soutient que la procédure de liquidation judiciaire est prévue par la loi et poursuit un but légitime, à savoir garantir aux créanciers le recouvrement de leurs créances. Il souligne également que le requérant été privé, non pas de sa propriété, mais de la disposition et de ladministration de ses biens. Selon lui, lingérence dans le droit au respect des biens du requérant sanalyse en une réglementation des biens. Quant à la durée de la procédure, le Gouvernement rappelle quelle est imputable aux difficultés liées au règlement de la succession et au comportement du requérant, qui a fait preuve dun manque de diligence caractérisé. Il ajoute que celui-ci aurait pu lui-même rechercher et proposer des acquéreurs pour ses biens, à charge pour lui dobtenir laval du liquidateur et du juge commissaire. Le Gouvernement souligne également que le requérant na effectué aucune démarche pour obtenir la clôture de la procédure collective, alors quil pouvait agir auprès du liquidateur, du juge commissaire ou du ministère public en ce sens.
55. La Cour constate que les parties sentendent sur le fait que la procédure de liquidation judiciaire a constitué une ingérence dans le droit au respect des biens du requérant. Elle partage ce point de vue.
56. La Cour observe quà la suite du jugement du 11 octobre 1990 prononçant la liquidation judiciaire et en application de larticle 152 de la loi du 25 janvier 1985 (paragraphe 30 ci-dessus), le requérant na pas été privé de sa propriété, mais dessaisi de ladministration et de la disposition de ses biens. Lingérence litigieuse sanalyse donc en une réglementation de lusage des biens, au sens du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1.
57. La Cour relève que linterdiction faite au débiteur dadministrer ses biens et den disposer durant la procédure de liquidation judiciaire poursuit un but légitime, à savoir garantir aux créanciers du débiteur le recouvrement de leurs créances.
58. Elle rappelle quune mesure dingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de lintérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de larticle 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à lEtat une grande marge dappréciation tant pour choisir les modalités de mise en uvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le souci datteindre lobjectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999-III, et Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999-V).
59. Comme elle la déjà rappelé dans dautres affaires, la Cour considère que la limitation du droit du requérant au respect de ses biens nest pas critiquable en soi, compte tenu notamment du but légitime visé et de la marge dappréciation autorisée par le second alinéa de larticle 1. Cependant, un tel système emporte le risque dimposer au requérant une charge excessive quant à la possibilité de disposer de ses biens, notamment à la lumière de la durée dune procédure qui, telle la présente, sétale sur plus de vingt ans (Luordo c. Italie, no 32190/96, § 70, CEDH 2003-IX).
60. Compte tenu de la durée excessive de la procédure constatée en lespèce (paragraphe 45 ci-dessus), la Cour estime que la limitation du droit du requérant au respect de ses biens nétait pas justifiée tout au long de la procédure dès lors que, nonobstant le fait quen principe la privation de ladministration et de la disponibilité des biens est une mesure nécessaire afin datteindre le but poursuivi, cette nécessité samenuise avec le temps (voir, entre autres, Luordo précité). De lavis de la Cour, la durée de cette procédure a donc entraîné la rupture de léquilibre à ménager entre lintérêt général au paiement des créanciers de la faillite et lintérêt individuel du requérant au respect de ses biens. Lingérence dans le droit du requérant se révèle dès lors disproportionnée à lobjectif poursuivi.
61. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
UNE PROCÉDURE PÉNALE NE PEUT PAS PORTER
ATTEINTE A LA PROPRIÉTÉ INDIVIDUELLE
Le Décret n° 2016-499 du 22 avril 2016 porte publication de la convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (ensemble une annexe), signée par la France à Strasbourg le 23 mars 2011.
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- A LA PROCÉDURE D'ACCUSATION PÉNALE QUI DOIT RESPECTER LA PROPRIÉTÉ
- LA SAISIE D'UN BIEN QUI SERT A COMMETTRE l'INFRACTION
- LA SAISIE D'UN BIEN ACQUIS PAR UN GAIN DÉLICTUEUX
- A LA JURISPRUDENCE INTERNE FRANÇAISE
UNE PROCÉDURE D'ACCUSATION PÉNALE
DOIT RESPECTER LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE
AMERISOC CENTER S.R.L. c. LUXEMBOURG du 17 octobre 2024 requête 50527/20
Art 1 P1 • Réglementer l’usage des biens • Absence de recours permettant de contester utilement la saisie d’avoirs bancaires luxembourgeois suite à une demande d’entraide internationale • Juridictions nationales n’ayant pas évalué la proportionnalité de la mesure qui, de par sa nature et son ampleur, apparaissait a priori comme importante et sévère et qui perdure depuis six ans • Portée trop étroite du contrôle • Absence d’une possibilité raisonnable pour la requérante de faire valoir son point de vue dans le cadre d’une procédure contradictoire • Mesure disproportionnée
CEDH
38. Le 5 décembre 2018, le juge d’instruction luxembourgeois a ordonné, en exécution d’une demande d’entraide judiciaire internationale additionnelle émise le 22 novembre 2018 par le parquet de Lima, une perquisition ainsi que la saisie des avoirs inscrits sur le compte bancaire de la requérante (paragraphe 14 ci-dessus). Les parties s’accordent sur le fait que cette saisie visait à garantir la confiscation ultérieure des fonds dans le cadre de la procédure ouverte par les autorités pénales péruviennes.
39. Les fonds ont ainsi été saisis à hauteur de 2 605 589 USD, ce qui, d’après la requérante, constituait la quasi-totalité de ses actifs et l’a amenée à s’endetter par la suite. La requérante a formé, en vain, plusieurs recours contre la saisie, auprès des autorités aussi bien péruviennes que luxembourgeoises.
40. La Cour estime que l’ordonnance du 5 décembre 2018 relative à la saisie des avoirs inscrits sur le compte bancaire constitue une ingérence dans la jouissance du droit de la requérante au respect de ses biens.
41. La Cour rappelle que le gel d’avoirs prononcé dans le cadre d’une procédure pénale en vue de les garder disponibles pour faire face à une éventuelle sanction pécuniaire doit être analysé au regard de l’article 1, deuxième alinéa, du Protocole no 1, qui permet notamment aux États de contrôler l’utilisation de biens pour garantir le paiement des sanctions (Shorazova, précité, § 104). Selon la Cour, il en est de même lorsqu’un État a imposé le gel dans le contexte de l’entraide judiciaire internationale, sur requête des autorités d’un autre État dans lequel des procédures pénales ont été engagées.
42. Dans de tels cas, outre le point de savoir si la mesure était prévue par la loi, « conforme à l’intérêt général » et proportionnée au but recherché, une question peut également se poser, en fonction des circonstances de l’espèce, quant au respect des obligations procédurales inhérentes à l’article 1 du Protocole no 1. En effet, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, nonobstant le silence dudit article en matière d’exigences procédurales, une procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Une ingérence dans les droits prévus par l’article 1 du Protocole no 1 ne peut ainsi avoir de légitimité en l’absence d’un débat contradictoire et respectueux du principe de l’égalité des armes, qui permette de discuter des aspects présentant de l’importance pour l’issue de la cause. Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (G.I.E.M. S.r.l. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 302, 28 juin 2018).
43. La saisie litigieuse a été ordonnée conformément à la loi sur l’entraide judiciaire internationale, de sorte qu’il s’agit d’une ingérence prévue par la loi.
44. La mesure en question vise en outre à la coopération entre États en vue de combattre la criminalité organisée, et tend à empêcher un usage illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n’a pas été démontrée. Elle poursuit donc un but légitime.
45. Il reste par conséquent à vérifier la proportionnalité de ladite ingérence.
46. Dans le cadre de cet examen, la Cour va se pencher sur la question de savoir si la requérante avait la possibilité de contester la mesure et de solliciter le déblocage, au moins partiel, de l’argent saisi par les autorités luxembourgeoises, question qui est indissolublement liée à celle de l’effectivité des recours judiciaires. La Cour est, certes, consciente de l’importance que revêt pour les États membres la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d’activités illicites et pouvant servir à financer des agissements criminels. Les juridictions internes n’en sont toutefois pas moins tenues à une obligation de contrôle face à un grief sérieux et fondé de défaillance dans la protection d’un droit consacré par la Convention.
47. Lorsqu’une saisie est effectuée par les autorités luxembourgeoises à la suite d’une demande émanant d’une autorité étrangère, l’article 9 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale prévoit un contrôle d’office de la régularité de la procédure (paragraphe 23 ci-dessus). Dans le cadre de cette procédure, le « tiers concerné » peut présenter un « mémoire » dans un délai de dix jours à partir de la notification de la saisie à la banque.
48. Dans le cas où la banque révèle l’existence de l’ordonnance de saisie des avoirs au client qui en fait l’objet, ce dernier peut utilement déposer un mémoire et faire valoir ses arguments, y compris ceux tendant à une restitution des fonds saisis.
49. Il en va autrement si la banque fait le choix de ne pas dévoiler l’existence d’une telle ordonnance au client concerné. La loi sur l’entraide judiciaire internationale ne prévoit en effet aucun mécanisme obligatoire en vue d’assurer que le tiers concerné soit informé de la demande d’entraide judiciaire internationale relative à une saisie de fonds ou d’avoirs bancaires (paragraphe 25 in fine ci-dessus). En pareille hypothèse, ledit client ignore donc que le délai de forclusion de dix jours prévu à l’article 9 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale a commencé à courir.
50. Or, tel était précisément le cas en l’espèce. Ainsi, la requérante indique sans être contredite par le Gouvernement, qu’elle n’a appris l’existence de l’ordonnance de saisie du 5 décembre 2018 qu’après l’échéance du délai prévu par l’article 9 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale pour l’introduction d’un mémoire. L’intéressée ne pouvait en effet constater l’application de la mesure de saisie de son propre chef, les fonds lui étant en tout état de cause inaccessibles en vertu de la mesure de blocage, qu’elle avait du reste contestée (paragraphes 5 et 7 ci-dessus). L’ordonnance de la chambre du conseil du 1er février 2019 a dès lors été rendue sans que la requérante n’ait pu présenter de mémoire (paragraphe 16 ci-dessus).
51. Lorsque la requérante a introduit, ultérieurement, une demande en restitution en vertu de l’article 11 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale, sa requête a été rejetée comme étant non fondée.
En effet, la chambre du conseil du tribunal a estimé, dans son ordonnance du 4 mars 2020, qu’il n’existait pas de circonstances exceptionnelles de nature à justifier un déblocage même partiel des avoirs saisis. Elle a ajouté ne pas pouvoir examiner, dans la procédure en cause, le moyen tiré du caractère disproportionné de la saisie, dès lors que la régularité formelle de la procédure avait été constatée dans le cadre de l’ordonnance du 1er février 2019, laquelle avait été rendue sans qu’un mémoire exposant cette critique n’eût été produit par la requérante (paragraphe 20 ci-dessus).
La chambre du conseil de la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance du 4 mars 2020, précisant en outre qu’il appartenait aux titulaires des biens saisis de s’adresser aux autorités de l’État requérant pour solliciter la mainlevée de la saisie. Elle a ajouté que « si certes, sais[ie] par [F.], la Cour supérieure de justice spécialisée péruvienne a[vait] déclaré irrecevable la demande en mainlevée de la procédure luxembourgeoise de saisie, ce fait n’a[vait] cependant aucune incidence sur les conditions légales régissant au Luxembourg une demande en restitution formulée en raison d’une saisie opérée sur base d’une sollicitation d’entraide judiciaire internationale » (paragraphe 21 ci-dessus).
52. Il en résulte qu’à aucun moment les autorités luxembourgeoises n’ont procédé à une évaluation de la proportionnalité de la mesure qui, de par sa nature et son ampleur, apparaissait a priori comme importante et sévère et qui, au demeurant, perdure depuis six ans.
53. Le Gouvernement ne saurait utilement invoquer le fait que, aux termes de l’article 9 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale, le législateur a confié à la chambre du conseil le soin d’examiner d’office la régularité de la procédure. En effet, la motivation fournie par la chambre du conseil dans son ordonnance du 1er février 2019 est, en elle-même, une parfaite illustration de l’absence d’examen minutieux de la situation pertinente, puisque ladite juridiction déclare « se limit[er] à constater la régularité purement formelle des actes d’exécution de la demande d’entraide » (paragraphe 16 ci-dessus).
54. En conclusion, les autorités luxembourgeoises n’ont à aucun stade de la procédure déterminé si l’équilibre requis était atteint d’une manière conforme à l’article 1 du Protocole no 1.
55. Or, il appartenait aux juridictions internes de s’assurer que le gel des avoirs de la requérante ne causerait pas plus de dommages que ceux qui découlent inévitablement de pareille mesure (Apostolovi c. Bulgarie, no 32644/09, § 104, 7 novembre 2019). En effet, la Cour a déjà indiqué par le passé que si toute saisie entraîne un préjudice, le préjudice réel subi par les personnes affectées par une mesure de ce type ne doit pas, pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, être plus important que celui qui est inévitable. Certes, la Cour est consciente des difficultés inhérentes à la coopération internationale. Toutefois, même lorsqu’une mesure a été ordonnée dans le contexte d’une demande d’entraide judiciaire internationale émanant d’un autre État, comme c’était le cas en l’espèce, les autorités nationales se doivent d’appliquer en substance lesdits principes, et cela même en tenant compte des caractéristiques et mécanismes particuliers liés à l’entraide judiciaire internationale.
56. En l’espèce, la Cour se doit de constater que la portée du contrôle effectué par les juridictions luxembourgeoises était trop étroite pour satisfaire à l’exigence du respect d’un « juste équilibre » inhérente au second paragraphe de l’article 1 du Protocole no1.
57. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le Pérou n’a pas davantage examiné la question en cause (paragraphe 18 ci-dessus).
58. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les juridictions nationales n’ont pas offert à la requérante une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue dans le cadre d’une procédure contradictoire (voir, a contrario, Telbis et Viziteu c. Roumanie, no 47911/15, § 81, 26 juin 2018, et Ipek c. Turquie (déc.), no 4158/19, § 83, 21 septembre 2021).
59. Cette situation résulte, d’une part, de la loi sur l’entraide judiciaire internationale, qui ne prévoit pas la communication de l’information relative à la mesure de saisie au client de la banque concerné (lequel est, au final, en tant que déposant des fonds, la personne principalement visée par la mesure en question) et, d’autre part, de la décision des juridictions nationales de ne pas analyser les moyens invoqués par la requérante sur le terrain de l’article 11 de ladite loi.
60. Rappelant qu’il incombe en premier lieu aux Parties contractantes de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses Protocoles, la Cour estime que les États sont mieux placés pour choisir les moyens propres à garantir un système judiciaire conforme aux exigences de la Convention. Ainsi, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de savoir lequel des deux recours luxembourgeois – prévus respectivement à l’article 9 et à l’article 11 de la loi sur l’entraide judiciaire internationale – est le plus apte à assurer le respect desdites exigences conventionnelles. En l’occurrence, c’est bien l’absence de tout recours qui est problématique et amène au constat de violation.
61. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour conclut qu’en l’espèce, la saisie des actifs de la société constitue une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens qui, en l’absence de recours permettant de contester utilement la mesure, était disproportionnée au regard du but légitime poursuivi.
62. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement.
63. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention.
SCI Le Chateau du Francport c. France du 7 juillet 2022 requête no 3269/18
Article 1 du Protocole 1 : Refus dindemniser le préjudice subi du fait de la dégradation dun château saisi dans le cadre dune instruction pénale faute de preuve de la responsabilité de lÉtat : violation du droit au respect des biens
Laffaire concerne, après la saisie, dans le cadre dune instruction pénale, dun château appartenant à la requérante la Société Civile Immobilière Le Château du Francport, sa restitution dans un état dégradé quatre ans plus tard et le rejet de la demande en réparation formée par la société requérante, faute pour elle davoir rapporté la preuve que le préjudice résultait dune faute lourde de lÉtat. La Cour estime que labsence dun inventaire complet effectué au moment de la pose des scellés sur le château ainsi que labsence totale de suite donnée aux différentes alertes de la part de la société requérante, privée daccès au château pendant toute la durée de la saisie, ont fait obstacle à ce que cette dernière puisse établir un lien de causalité entre le dysfonctionnement du service public de la justice constaté par les juges internes et le préjudice subi. La charge de la preuve concernant les dégradations du bien saisi incombait au service public de la justice, responsable de la conservation des biens pendant toute la période de la saisie et du placement sous scellés, et non à la société requérante, qui sest vu ainsi imposer « une preuve impossible », ce qui constitue une charge excessive incompatible avec le respect de larticle 1 du Protocole n° 1. Les juridictions internes, qui ont examiné la demande de la société requérante, nont ni tenu compte de la responsabilité du service public de la justice ni permis à la société requérante dobtenir réparation pour le préjudice résultant de la conservation défectueuse du bien saisi.
Photo du conte Olympe Aguado, dans la collection de J. Paul Getty au Getty Museum à Los Angeles en Californie.
Quand la justice française et l'irresponsabilité des juges empêchent le développement touristique d'une région.
A Choisy-au-Bac, le projet d'hôtel-restaurant 4 étoiles au château du Francport est au point mort depuis une quinzaine d'années. « C'est l'arlésienne cette affaire-là » soupire Jean-Noël Guesnier, maire (SE). Racheté par des Anglais en 1999 pour environ 1 M, le lieu verra les projets mis au pas par des procédures en justice portant sur des soupçons d'argent blanchi. Puis, plus tard, par un litige entre les propriétaires et l'exploitant, à qui a été confiée la restauration du lieu en 2013. Entre-temps, des dégradations, des vols et de nouvelles normes ont contribué à enterrer le projet hôtelier dans cette demeure datant de la fin du XIXe siècle.
ART 1 P1 Réglementer lusage des biens Rejet des juridictions internes de la demande en réparation, suite à la saisie, lors dune instruction pénale, dun château, restitué dans un état dégradé quatre ans plus tard, faute pour la société requérante davoir rapporté la preuve que le préjudice résultait dune faute lourde de lÉtat Charge de la preuve incombant au service public de la justice responsable de la conservation des biens
FAITS
La requérante est la Société Civile Immobilière Le Château du Francport, personne morale de droit français. En mai 2000, le château du Francport fut vendu, par une société irlandaise, à la société requérante. Une information judiciaire fut ouverte le 5 juin 2002, notamment des chefs de blanchiment, abus de biens sociaux, banqueroute, à lencontre, notamment, de R.P., promoteur immobilier de nationalité britannique, président du conseil dadministration de la SA Château du Francport et gérant de la société requérante.
Le 27 août 2002, le juge dinstruction ordonna la saisie et le placement sous scellés du château. La levée des scellés fut ordonnée par le juge le 26 juillet 2006. Le 12 mars 2010, le juge dinstruction rendit une ordonnance de non-lieu partiel (du chef de blanchiment) et de renvoi devant le tribunal correctionnel de Compiègne. Le 17 mai 2011, ce dernier relaxa tous les prévenus, dont R.P. poursuivi des chefs de banqueroute par détournement dactifs ainsi que par tenue dune compatibilité fictive et dabus de biens sociaux. Sur appel du procureur de la République, par un arrêt du 15 mars 2013, la cour dappel dAmiens déclara R.P., en sa qualité de président-directeur général de la SA Château du Francport, coupable de banqueroute par détournement dactifs au préjudice de cette société. R.P. fut condamné à trois mois de prison avec sursis ainsi quau paiement dune amende de 5 000 euros (EUR) ; sa relaxe des chefs de banqueroute par tenue dune compatibilité fictive et dabus des biens sociaux fut confirmée. Le 13 septembre 2010, la société requérante engagea la responsabilité de lÉtat, réclamant la réparation dun préjudice évalué à 5 534 075,14 EUR, au motif que le service de la justice avait commis une faute lourde en raison dun manque de protection du château durant la période de placement sous scellés. Le 7 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Paris rejeta la demande pour défaut de qualité à agir, en raison du caractère fictif de la requérante. La cour dappel de Paris infirma ce jugement et débouta la société requérante de ses demandes. Après avoir constaté que la requérante était propriétaire du château et avait donc intérêt à agir, la cour dappel considéra notamment que la requérante : « ne rapporte pas la preuve du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice [...] ». La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la requérante.
CEDH
42. La Cour rappelle que la rétention des biens saisis par les autorités judiciaires dans le cadre dune procédure pénale doit être examinée sous langle du droit pour lÉtat de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général, au sens du second paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, CEDH 2007-VII, Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009, et Tendam, précité, § 47). Lorsquelles saisissent ainsi des biens, les autorités doivent prendre les mesures raisonnables et nécessaires à leur protection et conservation (Dzugayeva c. Russie, no 44971/04, §§ 26-27, 12 février 2013), notamment en dressant un inventaire des biens et de leur état au moment de la saisie, ainsi que lors de leur restitution au propriétaire. Par ailleurs, la législation interne doit prévoir la possibilité dengager une procédure contre lÉtat, afin dobtenir réparation pour les préjudices résultant dune conservation défectueuse de ces biens. Encore faut-il que cette procédure soit effective, pour permettre au propriétaire de défendre sa cause (Tendam, précité, § 51, et Dabic c. Croatie, no 49001/14, § 55, 18 mars 2021).
43. La Cour constate quen lespèce, la saisie cherchait non pas à priver la société requérante de son bien de manière définitive, mais seulement à lempêcher den user de façon temporaire ou de le dissiper par changement de propriétaire, dans lattente de lissue de la procédure pénale.
44. Pour ce qui est de la base légale, la Cour observe que le procès-verbal (paragraphe 5 ci-dessus) se réfère notamment à larticle 92 du CPP, relatif au transport sur les lieux de la saisie, et non à larticle 97 invoqué par le Gouvernement (paragraphe 37 ci-dessus). Elle relève également que selon le rapport préparatoire à la loi no 2010-768 (paragraphe 20 ci-dessus), le droit français présentait des lacunes à lépoque des faits sagissant des saisies immobilières prises à des fins conservatoires. En effet, les dispositions existantes étaient conçues principalement pour permettre lappréhension matérielle de biens meubles corporels et étaient peu adaptées aux saisies dimmeubles ou de meubles incorporels, ainsi quaux saisies nimpliquant pas dépossession, larticle 97 ne visant que les biens utiles à lenquête. Dans ce contexte, la société requérante a soutenu, sans que le Gouvernement le conteste, quen pratique les juridictions internes avaient eu recours à des saisies sans dépossession avant même ladoption de la loi no 2010-768 (paragraphe 34 in fine ci-dessus).
45. Les parties ne saccordent non plus sur la question de savoir si le château en question était ou non linstrument de linfraction pour laquelle R.P, le gérant de la requérante, a finalement été condamné, et si la saisie poursuivait effectivement le but de lutter contre le détournement dactifs. La Cour note sur ce point que les poursuites de R.P. pour le délit de blanchiment se sont terminées par un non-lieu (paragraphe 9 ci-dessus) et que ce dernier na été condamné que pour le délit de détournement dactifs dû à de la simple négligence de sa part et non pas à la mise en place de montages et dopérations poursuivant un objectif frauduleux (paragraphe 10 ci-dessus). Cela permet de conclure que le château en question na pas été le produit dune entreprise « criminelle » de grande envergure.
46. Dans ces conditions, la Cour reste dubitative quant à la légalité de lingérence litigieuse ainsi quà la légitimité du but poursuivi par celle-ci. Elle estime toutefois quil nest pas nécessaire en lespèce de trancher ces questions dès lors que cette ingérence méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons exposées ci-après.
47. La Cour rappelle quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures appliquées par lÉtat, y compris celles destinées à contrôler lusage de la propriété individuelle. Cette exigence sexprime dans la notion de « juste équilibre » à ménager entre les impératifs de lintérêt général de la communauté dune part et les exigences de la protection des droits fondamentaux de lindividu dautre part (Smirnov c. Russie, précité, § 57). Par ailleurs, malgré le silence de larticle 1 du Protocole no 1 en matière dexigences procédurales, les règles applicables en la matière doivent aussi offrir à la personne ayant subi une ingérence dans la jouissance de ses biens une occasion de faire valoir sa cause devant les autorités compétentes. Elle doit notamment avoir la possibilité de contester de manière effective les mesures portant atteinte aux droits garantis par larticle 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 49).
48. La Cour rappelle en outre que cest aux autorités quil incombait en lespèce de prendre les mesures raisonnables et nécessaires à la protection et à la conservation en bon état du bien en question et de dresser un inventaire de celui-ci au moment de la saisie ainsi que lors de sa restitution, comme lexige sa jurisprudence citée au paragraphe 42 ci-dessus. Or, il nest pas contesté en loccurrence que le château a subi, pendant la période de la saisie et de placement sous scellés, dimportantes dégradations allant manifestement au-delà des altérations inévitables dues à lusure ou à des événements imprévisibles (paragraphe 8 in fine ci-dessus). Il semblerait en outre quun inventaire complet de létat du bien nait pas été effectué au moment de sa saisie puisque, selon la cour dappel de Paris, lintérieur du château au moment de lapposition des scellés nétait que partiellement connu.
49. La Cour relève également que, selon la cour dappel, il appartenait au service public de la justice dassurer la conservation du bâtiment sur lequel il avait fait apposer des scellés et quil avait donc rendu inaccessible à la société requérante. Malgré ce constat, la cour dappel a néanmoins reproché à cette dernière de ne pas avoir assuré le gardiennage du château entre août 2002 et novembre 2004 et na retenu aucune responsabilité de lÉtat pendant cette période. Sur ce point, la Cour observe pourtant que larticle 706-143 du CPP, selon lequel le propriétaire est responsable, à sa charge, de lentretien et de la conservation du bien saisi jusquà la mainlevée, na été introduit dans le CPP quen juillet 2010, soit plusieurs années après la restitution du château à la requérante. Bien que le Gouvernement ait indiqué que cette disposition traduisait la pratique judiciaire telle quelle existait avant cet amendement (paragraphe 40 ci-dessus), aucun exemple dune telle pratique na été fourni à la Cour. Le rapport préparatoire à la réforme législative intervenue ultérieurement reconnaît dailleurs expressément quaucune politique densemble de gestion de ces biens nétait conduite jusqualors, que la sécurisation des biens saisis était problématique et que ladministration de ces biens restait à la charge des parquets (paragraphe 20 ci-dessus).
50. Puis, en ce qui concerne les dégradations ayant pu être commises entre novembre 2004 et avril 2006, la cour dappel de Paris a admis que celles-ci ont été signalées par la requérante au juge dinstruction et a constaté quil y avait eu une inertie fautive du service public de la justice pendant cette période, qui trouve son origine dans labsence de réaction du juge dinstruction, ce qui a engagé la responsabilité de lÉtat. La cour dappel a cependant débouté la société requérante de sa demande en réparation, au motif que ses lettres davertissement ne mentionnaient aucun élément précis et nauraient donc pas apporté une preuve certaine du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice (paragraphe 13 ci-dessus).
51. La Cour estime néanmoins que labsence dun inventaire complet effectué au moment de la pose des scellés ainsi que labsence totale de suite donnée aux différentes alertes de la part de la société requérante, qui restait privée daccès au château pendant toute la durée de la saisie, ont fait obstacle à ce que celle-ci puisse établir un lien de causalité entre le dysfonctionnement du service public de la justice constaté et le préjudice subi.
52. De lavis de la Cour, la charge de la preuve concernant les dégradations du bien saisi incombait donc au service public de la justice, responsable de la conservation des biens pendant toute la période de la saisie et du placement sous scellés (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 54), et non à la société requérante, qui sest vu ainsi imposer « une preuve impossible », ce qui constitue une charge excessive incompatible avec le respect de larticle 1 du Protocole no1.
53. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les juridictions internes, qui ont examiné la demande de la société requérante, nont ni tenu compte de la responsabilité du service public de la justice ni permis à la société requérante dobtenir réparation pour le préjudice résultant de la conservation défectueuse du bien saisi (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 55).
54. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1.
Shorazova c. Malte du 3 mars 2022 requête no 51853/19
Art 1 du Protocole 1 : Gel davoirs à Malte, opéré à la demande des autorités kazakhes
Mme Shorazova est née au Kazakhstan et, à lépoque des faits, était mariée à Rakhat Aliyev, ex-gendre de lancien président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbayev, dont il était par la suite devenu ladversaire politique. Laffaire concerne le gel des avoirs de la requérante à Malte, à la demande des autorités kazakhes. Mme Shorazova était alors inculpée au Kazakhstan de multiples infractions graves. La Cour considère quen lespèce il y a des raisons suffisantes de sinterroger sur la nature réelle des actions entreprises par le Kazakhstan et donc sur lintérêt général lié à la mesure litigieuse. Elle constate que, dans le cadre de la procédure menée devant la juridiction pénale qui a adopté puis prolongé plusieurs fois la décision de gel des avoirs dans la cause de la requérante, lintéressée a été privée pendant près de huit ans de garanties procédurales contre larbitraire ou les ingérences disproportionnées. La Cour estime en revanche que la durée de la procédure constitutionnelle que la requérante a engagée pour se plaindre dune violation de ses droits na pas été excessive dans les circonstances de lespèce.
FAITS
La requérante, Elnara Shorazova, est une ressortissante autrichienne. Elle est née en 1976 et réside à Vienne (Autriche). Mme Shorazova est la veuve de Rakhat Aliyev. Celui-ci avait été le gendre de Nursultan Nazarbayev, qui fut le président du Kazakhstan de 1991 à 2019. M. Aliyev exerça des hautes fonctions diverses et en 2002 devint ambassadeur en Autriche, puis en 2005 rentra au Kazakhstan pour y occuper le poste de vice-ministre des Affaires étrangères. On parlait de lui comme dun candidat à la succession de M. Nazarbayev à la fonction présidentielle. Vers le milieu des années 2000, des tensions politiques surgirent entre les deux hommes. En fin de compte, un mandat darrêt fut délivré contre M. Aliyev. M. Aliyev épousa la requérante en 2009 et le couple résida à Malte jusquen 2013. M. Aliyev décéda en prison en Autriche en 2015
En 2008 et en 2009, à lissue de deux procès tenus au Kazakhstan en labsence de M. Aliyev, celui-ci fut déclaré coupable, notamment pour des infractions à caractère politique, et condamné les deux fois à une peine de vingt ans demprisonnement. En 2007, lAutriche reçut une première demande dextradition visant M. Aliyev et la rejeta au motif que lintéressé risquait de ne pas être traité conformément aux normes de la Convention européenne. En 2011, une seconde demande dextradition fut rejetée, les autorités autrichiennes ayant pris note de la condamnation par défaut de M. Aliyev et estimé quil pouvait sagir dun procès politique. Dans les années qui suivirent, en Allemagne, à Chypre, au Liechtenstein et en Grèce, une série denquêtes furent ouvertes et des décisions de gel des avoirs du couple furent adoptées à la demande des autorités kazakhes. Toutefois, lensemble de ces mesures et décisions furent abandonnées et levées. En 2013, les autorités maltaises reçurent au sujet de M. Aliyev et de la requérante une demande dentraide judiciaire relative à laudition de divers témoins et à la collecte de preuves. Mme Shorazova et M. Aliyev ne furent pas informés de cette mesure procédurale. En 2014, à la suite dune nouvelle demande des autorités kazakhes, les autorités maltaises prirent la décision de geler les avoirs du couple à Malte. Celle-ci était encore en vigueur au moment de lintroduction de la requête auprès de la Cour, car elle avait plusieurs fois été prolongée par la juridiction pénale pour des périodes de six mois. En juin 2014, le couple engagea une procédure de recours constitutionnel fondée sur larticle 6 de la Convention et larticle 1 du Protocole n o 1. Les époux soutinrent quils navaient aucune garantie que leurs droits seraient respectés au Kazakhstan et quen conséquence Malte ne devait pas coopérer dans le cadre des demandes dentraide judiciaire, et ils demandèrent labandon de toute procédure à Malte. En avril 2019, la Cour constitutionnelle confirma le jugement de première instance et accueillit en partie la demande pour ce qui concernait larticle 6, mais rejeta le grief formulé sous langle de larticle 1 du Protocole n o 1, considérant que la décision de gel des avoirs nétait quune mesure provisoire et que celle-ci était légale, correspondait à lintérêt général et était proportionnée au but poursuivi. Le 23 juillet 2021, après la notification de cette requête au Gouvernement, la juridiction pénale leva la décision de gel des avoirs, jugeant que dès lors quaucune procédure pénale nétait pendante contre Mme Shorazova au Kazakhstan, la décision litigieuse nétait pas justifiée au regard du droit maltais
Article 1 du Protocole n o 1 et article 6 § 1, concernant la procédure ordinaire
La Cour juge que la décision de geler les avoirs en question a constitué une ingérence dans lexercice par la requérante de ses droits patrimoniaux. Elle déclare quelle ne saurait se substituer aux autorités nationales pour statuer sur la légalité de la mesure, mais elle estime troublant que, pendant près de huit ans, la légalité de la mesure et la situation de la requérante naient pas fait lobjet dun examen approfondi des juridictions nationales. Cela révèle à ses yeux lexistence dun problème grave au niveau national. La Cour considère quil y a suffisamment déléments pour indiquer que la procédure menée au Kazakhstan avait peut-être des motivations politiques. Ainsi, le point de savoir si la décision de gel des avoirs qui avait été prise et maintenue par les autorités maltaises dans les circonstances spécifiques de lespèce reposait sur un intérêt général est une question qui méritait un examen particulier des juridictions nationales. La Cour souligne limportance de lentraide judiciaire mutuelle fondée sur la Convention des Nations unies, mais estime toutefois que pareille entraide doit se dérouler dans le respect des normes internationales relatives aux droits de lhomme. En outre, la Cour relevant que la requérante na été inculpée dans aucun État européen en dépit de multiples enquêtes et prenant note de la situation au Kazakhstan concernant toute procédure pénale susceptible dy être menée contre la requérante doute que lintérêt général qui était poursuivi en lespèce ait été la lutte contre la criminalité. Pour ce qui est de la décision même de geler les avoirs, la Cour estime quelle a constitué une mesure sévère et restrictive : elle concernait la totalité des biens des requérants à Malte et aucune juridiction nationale na évalué sa portée par rapport aux « chefs daccusation », ni au moment où elle a été adoptée ni lors des prorogations ultérieures. Les juridictions nont pas non plus recherché sil était légitime et proportionné dappliquer une telle mesure, au vu des circonstances de laffaire. Par ailleurs, la Cour observe que les prorogations de la décision se faisaient de manière automatique, sans audition de la requérante. En fin de compte, ce nest que lorsque la Cour a notifié le grief au Gouvernement que la juridiction pénale est intervenue et que la décision litigieuse a été levée. De manière générale, la Cour estime que les procédures relatives à ladoption et à la prorogation de la décision de gel des avoirs nont pas ménagé à la requérante la possibilité de se protéger contre larbitraire et que les juridictions à compétence constitutionnelle nont pas résolu ce problème. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention. Eu égard à ces conclusions, la Cour considère quil ny a pas lieu dexaminer la procédure ordinaire sous langle de larticle 6 § 1.
Article 6 § 1, concernant la durée de la procédure constitutionnelle
Au total, la procédure constitutionnelle a duré près de quatre ans et dix mois pour deux degrés de juridiction. Le Gouvernement assure que laffaire était complexe, quelle comportait dabondants éléments de preuve et que les questions juridiques soulevées étaient nouvelles. Il ajoute que les juridictions ont agi avec diligence. En outre, il déclare que les obligations en matière de diligence ne sont pas les mêmes pour la Cour constitutionnelle et pour les juridictions ordinaires. La Cour constate quil ny a eu ni périodes dinactivité ni défaillance de la part des autorités. Elle relève en particulier le défaut darguments du côté de la requérante. Globalement, elle considère que la durée de la procédure, bien que longue, na pas été excessive dans les circonstances de lespèce. En conséquence, il ny a pas eu violation de la Convention à raison de la durée de la procédure constitutionnelle.
SEBELEVA ET AUTRES c. RUSSIE du 1er mars 2022 Requête no 42416/18
Art 1 P1 Règlementer lusage des biens Saisie des actions dune société détenues par les requérants avec un blocage total, pendant quatre ans et huit mois, de tous les droits étant rattachés à celles-ci Raisons plausibles des autorités de croire que les actions avaient été utilisées par un tiers pour commettre les délits lui étant reprochés Restrictions moins radicales non envisagées Renouvellement de la saisie quasi automatique Justifications insuffisantes de la nécessité de la saisie litigieuse et de sa prolongation Proportionnalité
53. Les principes pertinents concernant les saisies sont rappelés dans larrêt OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo c. Russie (no 5738/18, § 60, 7 avril 2020). Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, la mesure litigieuse de saisie relevait de la règlementation de lusage des biens et nétait pas constitutive dune privation de propriété au sens de larticle 1 du Protocole no 1.
a) Sur la légalité et le but légitime de lingérence
54. La Cour observe que les juridictions internes ont fondé la saisie et ses renouvellements tant sur larticle 115 § 1 du CPP (au motif quil sagissait de biens appartenant à la personne mise en examen et que la mesure était destinée à assurer lindemnisation du préjudice causé par les délits et le paiement dune éventuelle amende pénale) que sur larticle 115 § 3 du CPP (au motif que les actions appartenaient officiellement à des personnes tierces à la procédure mais quil sagissait, en fait, dun instrument qui avait été utilisé par S. pour la commission de délits). Elle relève quest venu sy ajouter un troisième fondement juridique, larticle 81 du CPP, lorsque lenquêteur a qualifié les actions de « preuves matérielles » renfermant des informations de nature à contribuer à létablissement des faits de laffaire (paragraphe 14 ci-dessus).
55. Sagissant de larticle 115 § 1 du CPP, la Cour observe que les requérants nont pas été mis en examen ni appelés à la procédure en qualité de défendeurs civils. Cette disposition ne peut dès lors être considérée comme constituant la base légale de lingérence litigieuse au regard de larticle 1 du Protocole no 1.
56. En ce qui concerne les articles 81 et 115 § 3 du CPP, la Cour considère quils pouvaient constituer une base légale de la mesure dès lors que les autorités avaient des raisons plausibles de croire que les actions avaient été utilisées par S. pour commettre les délits qui lui étaient reprochés (voir, concernant une situation similaire, OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, § 66).
57. Par conséquent, la Cour estime que lingérence reposait sur une base légale au sens de larticle 1 du Protocole no 1 les articles 81 et 115 § 3 du CPP et quelle poursuivait un but légitime dintérêt général, à savoir la prévention de la commission de délits.
58. Cependant, la Cour saccorde à dire, avec les requérants, que pendant deux mois et treize jours, la saisie na été autorisée par aucune décision judiciaire. En effet, larrêt dappel en vertu duquel la saisie avait été prolongée, a été annulé en cassation le 21 décembre 2020 et ce nest que le 3 mars 2021 quelle a été renouvelée (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Cependant, la Cour observe que, nonobstant ces décisions, la saisie a été maintenue dans les faits. Partant, la saisie était illégale et donc incompatible avec les exigences de larticle 1 du Protocole no 1 durant ce laps de temps.
59. Néanmoins, la saisie ayant été reconduite après le 3 mars 2021, la Cour se prononcera sur la proportionnalité de lingérence dans sa globalité.
b) Sur la proportionnalité de lingérence
Les facteurs à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité dune mesure de saisie ont été rappelés dernièrement dans larrêt OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo (précité, § 69).
61. Si la durée totale de la saisie des actions quatre ans et huit mois, du 27 mai 2017 au 25 janvier 2022 ne rend pas, en soi, lingérence disproportionnée (ibidem, § 71, et les références citées), la Cour attache une grande importance à la motivation des décisions relatives à cette mesure compte tenu, dune part, de cette longue durée et, dautre part, de la nature et du degré des restrictions qui en découlent.
62. À cet égard, elle observe demblée que la saisie des actions des requérants a privé ceux-ci de tous les droits qui y étaient attachés (voir, pour un exemple contraire, Invest Kapa A.S. c. République tchèque (déc.) [comité], no 19782/13, § 42, 5 juillet 2018), y compris du droit dobtenir des informations relatives à la société (paragraphe 25 ci-dessus), sans que les juridictions internes compétentes naient envisagé de restrictions moins radicales au droit de propriété des requérants (paragraphe 32 ci-dessus).
63. La Cour relève également que les juridictions internes ont renouvelé la saisie de façon quasi automatique, en invoquant systématiquement les mêmes motifs, dont la nécessité, dune part, de protéger les droits de la victime et dempêcher S. de continuer à gérer les biens dOTS, et, dautre part, de garantir le paiement dune éventuelle amende pénale.
64. Force est de constater que les juridictions internes nont aucunement apprécié la proportionnalité du maintien prolongé de la saisie ni envisagé dalternatives à celle-ci, nonobstant les indications de la Cour constitutionnelle (paragraphes 32-33 ci-dessus, voir aussi OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, §§ 23, 35 et 73).
65. Par ailleurs, la Cour note que les tribunaux nont pas expliqué en quoi les actions pouvaient constituer un « instrument du délit », pas plus quils nont expliqué en quoi ces actions dématérialisées pouvaient contenir des informations de nature à contribuer à létablissement des faits de la cause. En outre, il na jamais été expliqué quel lien pourrait exister entre les votes exprimés lors des assemblées générales tenues entre 2009 et 2015 et les ventes de biens appartenant à OTS. Un tel lien na jamais été établi par les autorités internes.
66. Enfin, la Cour observe que les juridictions russes ne se sont livrées, à aucun moment, à une appréciation des arguments que les requérants avaient soulevés pour contester les allégations selon lesquelles ils avaient agi sur ordre de S. Au contraire, elles se sont déclarées incompétentes à cet égard, tout en reprochant aux intéressés de ne pas avoir réfuté la thèse des autorités de poursuite (paragraphe 13 ci-dessus). À cet égard, sil est incontesté que les requérants ont des liens de parenté ou dalliance avec S., force est de constater quaucun de ceux-ci na été inculpé de la commission dun quelconque délit en lien avec les faits reprochés à S. (voir aussi Uzan et autres c. Turquie, nos 19620/05 et 3 autres, § 215, 5 mars 2019). Le fait quen février et mars 2017, les actionnaires, réunis en assemblée générale extraordinaire, ont adopté des résolutions qui furent par la suite qualifiées dillégales et dabusives (paragraphe 9 ci-dessus), na à aucun moment été invoqué pour justifier la saisie des actions ou le renouvellement de cette mesure.
67. En définitive, les juridictions internes nont pas justifié à suffisance la nécessité de la saisie litigieuse et de sa prolongation (voir OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, §§ 73-74, et aussi, mutatis mutandis, Eilders et autres c. Russie [comité], no 475/08, § 23, 3 octobre 2017). Eu égard à ces éléments, la Cour estime que lingérence nétait pas proportionnée, ce qui rend superflu lexamen des autres arguments soulevés par les parties.
68. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
AKPAZ SOCIÉTÉ À RESPONSABILITÉ LIMITÉE c. TURQUIE du 18 janvier 2022 Requête no 6800/09
Art 1 P1 Réglementer lusage des biens Rétention continue des marchandises de la société requérante durant près de neuf ans par les autorités dans le cadre dune procédure pénale Mesures alternatives à la saisie non envisagées Aucune raison légitime depuis larrêt dacquittement pour le maintien pendant plus de cinq ans des mesures de saisie en vigueur Absence de proportionnalité
44. En ce qui concerne le défaut de qualité de victime, se référant à la jurisprudence de la Cour (Ohlen c. Danemark (radiation), no 63214/00, 24 février 2005, et Dimitrescu c. Roumanie, nos 5629/03 et 3028/04, §§ 33-34, 40, 3 juin 2008), le Gouvernement rappelle quen vertu de larticle 37 de la Convention, à tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle au motif que la qualité de victime du requérant a pris fin, soit en raison du règlement de laffaire au niveau national à la suite de la décision sur la recevabilité, soit dans le cas dun accord concernant la cession de droits. Se référant à la lettre de la Direction du registre de commerce dIzmir du 5 avril 2019, il souligne quen lespèce, le 12 août 2014, la société requérante a été radiée du registre de commerce et que lannonce à ce sujet a été publiée, en vertu de larticle 7 provisoire du code commercial turc. Il en conclut que la société requérante nexerce plus aucune activité.
45. Il prie la Cour dexaminer également, à la lumière des incidents survenus à la suite de lintroduction de la requête, sil est nécessaire de radier de laffaire du rôle pour certaines raisons relevant de larticle 37 de la Convention, indépendamment de ce que la société requérante serait fondée ou persisterait à alléguer quelle a conservé sa « qualité de victime ».
46. À la lumière de ces explications, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour défaut de qualité de victime de la société requérante.
47. La société requérante conteste cet argument. Elle explique que sil est exact que son inscription auprès du bureau denregistrement de commerce dIzmir sous le numéro MERKEZ-59282 a été supprimée doffice du registre de commerce en 2014, elle a subi une ruine financière en raison des événements faisant lobjet de la présente requête ; quen raison de ces circonstances, elle sétait retrouvée dans lincapacité de poursuivre ses activités commerciales pendant un certain temps ; que, par conséquent, elle a été radiée du registre au motif quelle « na[vait] aucune activité en cours » ; que la radiation en question a été faite le 12 août 2014 conformément à larticle 7 provisoire du code de commerce turc no 6102, dont les passages pertinents peuvent se lisent comme suit : « Les créanciers et les parties prenantes liés à la société ou à la coopérative dont linscription est supprimée du registre de commerce peuvent, dans les cinq ans suivant la date de la radiation, demander au tribunal de rétablir la société ou la coopérative pour des motifs justifiés. ».
48. La société requérante informe la Cour que, le 17 janvier 2019, conformément à cette disposition de la loi, elle a demandé à la 6e chambre du tribunal de commerce dIzmir sa réinscription au registre (no du dossier 2019/113 E.) en précisant quune procédure concernant la saisie de ses marchandises était pendante devant la Cour. Le 9 décembre 2020, elle a communiqué à la Cour le jugement du 29 novembre 2019 par lequel le tribunal de commerce avait ordonné sa réinscription au registre de commerce.
49. La Cour rappelle que le fait quune personne morale soit mise en faillite au cours dune procédure conduite devant elle ne lui ôte pas forcément la qualité de victime (Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 94, 27 juin 2017). Il en va de même dune société qui a été dissoute et dont les seuls actionnaires ont fait part de leur intérêt à poursuivre la requête au nom de celle-ci (Euromak Metal Doo c. lex-République yougoslave de Macédoine, no 68039/14, §§ 32-33, 14 juin 2018, concernant un litige dordre fiscal examiné sous langle de larticle 1 du Protocole no 1).
50. En lespèce, la Cour note que la société requérante a été radiée du registre de commerce en raison de ses difficultés financières qui seraient liées aux faits de lespèce, postérieurement à lintroduction de sa requête, et que finalement, le 29 novembre 2019, sa réinscription au registre de commerce fut prononcée, conformément aux dispositions du droit national.
51. La Cour observe que lexception du Gouvernement se fonde sur lidée que, depuis cette date, la société requérante et ses actifs ont été gérés par le syndic de faillite et que lévolution de sa situation juridique la privée de la qualité de victime.
52. La Cour constate tout dabord quil ny a pas de controverse au sujet du fait que la société requérante a introduit sa requête bien avant sa radiation du registre de commerce. Elle prend note ensuite de largument de la partie requérante selon lequel sa radiation a un lien avec les faits de lespèce. Elle constate finalement que le tribunal de commerce a ordonné sa réinscription au registre de commerce conformément au droit national turc. Dans ces conditions, elle estime que la société requérante peut toujours se prétendre victime des violations alléguées de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
53. En conséquence, elle rejette la première exception préliminaire du Gouvernement.
54. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes, en trois branches.
55. Tout dabord, il expose que la Cour devrait examiner la requête sous larticle 6 § 1 de la Convention, et, en faisant référence à la décision dans laffaire Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), il soutient que la société requérante peut saisir la commission dindemnisation.
56. La société requérante soppose à cette thèse, soutenant que les faits de cette affaire nentrent pas dans le champ dapplication de la compétence de la commission.
57. La Cour note quelle elle examinera laffaire sous langle de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 35 ci-dessus) et que le Gouvernement na pas expliqué dans quelle mesure la commission dindemnisation serait compétente pour une telle affaire.
58. Ensuite, le Gouvernement soutient que la société requérante na pas saisi le tribunal civil de première instance dune action en réparation des dommages subis à raison de la saisie. Rappelant les faits, il explique que la société requérante a été privée de lusage des marchandises tout au long de la procédure pénale et quelle a formé laction devant le tribunal administratif sur la base de la décision dacquittement de la cour dassises alors quelle aurait dû saisir les juridictions civiles, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation à lépoque des faits, selon laquelle les dommages résultant dactions judiciaires relèvent de la compétence de ces juridictions.
59. Sopposant à cette thèse, la société requérante soutient quelle a épuisé les voies de recours internes. Elle souligne aussi que le 9 septembre 2004, elle avait introduit une action devant la 11eme chambre du tribunal de grande instance pour lévaluation des dommages avant dintroduire son action en plein contentieux devant le tribunal administratif.
60. La Cour rappelle quaux termes de larticle 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie quaprès lépuisement des voies de recours internes, qui doivent être à la fois relatives aux violations incriminées, disponibles et adéquates. Elle rappelle également quil incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie quen pratique à lépoque des faits, cest-à-dire quil était accessible, était susceptible doffrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, notamment, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999-V, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II, Vuckovic et autres c. Serbie (exceptions préliminaires) [GC], no 17153/11 et suiv., § 74, 25 mars 2014, et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, § 85, 9 juillet 2015). Une fois cela démontré, cest au requérant quil revient détablir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, nétait ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, Prencipe c. Monaco, no43376/06, § 93, 16 juillet 2009, et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 89, 19 décembre 2018).
61. La Cour rappelle également quelle doit appliquer la règle de lépuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte, en faisant preuve dune certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la règle de lépuisement des voies de recours internes ne saccommode pas dune application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; pour en contrôler le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment quelle doit tenir compte de manière réaliste du contexte juridique et politique dans lequel les recours sinscrivent ainsi que de la situation personnelle des requérants (voir, parmi beaucoup dautres, Akdivar et autres, précité, § 69, Selmouni, précité, § 77, Kozacioglu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 février 2009, Reshetnyak c. Russie, no 56027/10, § 58, 8 janvier 2013, et Azzolina et autres c. Italie, nos 28923/09 et 67599/10, § 114, 26 octobre 2017).
62. La Cour considère que la société requérante peut passer pour avoir épuisé les voies de recours internes puisquelle a introduit un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif dIzmir tendant à ce quelle soit indemnisée pécuniairement pour le dommage que lui avait causé la saisie des marchandises après la décision dacquittement. À cet égard, sans avoir besoin de sexprimer sur leffectivité de la voie de recours préconisée par le Gouvernement, elle réaffirme que, lorsquune voie de recours a été utilisée, lusage dune autre voie dont le but est pratiquement le même nest pas exigé (Hüseyin Kaplan c. Turquie, no 24508/09, § 30, 1er octobre 2013, Kozacioglu c. Turquie [GC], no 2334/03, §§ 39-43, CEDH 2009, et Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 84, CEDH 2008).
63. Par ailleurs, elle constate que le tribunal administratif ne sest pas déclaré incompétent ratione materiae en raison dune éventuelle question de compétence ou dune « erreur procédurale » de la société requérante quant au choix de la juridiction. Bien au contraire, il sest prononcé sur « le fond de laffaire » et il a jugé quil nétait pas possible dimputer à ladministration une faute de service ni dengager sa responsabilité sans faute.
64. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette également cette branche de lexception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.
65. Finalement, le Gouvernement reproche à la société requérante de ne pas avoir fait opposition à la décision de la cour dassises sur le refus de restitution des marchandises saisies. Il explique que lorsque la cour dassises a rejeté la demande de la société requérante, elle a accepté la demande de la restitution dautres parties intéressées. La société requérante aurait dû alors selon lui former une opposition devant une autre cour dassises.
66. La société requérante rejette également cette thèse en soutenant quil sagissait dune décision provisoire à laquelle une opposition naurait rien changé. Elle soutient par ailleurs quelle a préféré que la cour dassises statue en définitive pour faire appel devant les juridictions compétentes.
67. Comme il a été souligné, la règle de lépuisement des voies de recours internes doit être appliquée en tenant dûment compte du contexte, en faisant preuve dune certaine souplesse et sans formalisme excessif (paragraphe 61 ci-dessus). En loccurrence, la société requérante peut passer pour avoir épuisé les voies de recours interne pour les raisons qui viennent dêtre exposées (paragraphe 62 ci-dessus).
68. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter également la troisième exception préliminaire du Gouvernement et de conclure que les voies de recours internes ont été épuisées.
69. Rappelant les faits et les décisions rendues par les juridictions internes, le Gouvernement argue quen principe la preuve des faits matériels qui font lobjet dune affaire devant les juridictions internes, lappréciation des éléments de preuve, linterprétation et la mise en uvre des règles de droit et la question de savoir si la conclusion à laquelle sont parvenues ces juridictions en ce qui concerne le litige est équitable ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Il explique que la seule exception à cette règle est lorsque les décisions et les conclusions des tribunaux internes contiennent une erreur manifeste dappréciation qui ne tient compte ni de la justice ni du bon sens et que cette situation viole automatiquement les droits et libertés visés par la requête individuelle. Il en conclut que les requêtes assimilables à une plainte en réparation ne peuvent être examinées par la Cour quen cas derreur manifeste dappréciation ou darbitraire manifeste. Il considère que, en jugeant inapproprié de verser une compensation à la société requérante, les autorités nationales nont commis aucune erreur manifeste dappréciation ni rendu une décision arbitraire. En conséquence, il invite la Cour à déclarer la présente requête irrecevable au motif quelle est manifestement mal fondée, en application des articles 35 et 4 de la Convention.
70. La société requérante soppose à cette thèse. Elle soutient que la demande du Gouvernement nest pas justifiée parce que celui-ci ne précise pas les motifs juridiques pour lesquels lautorité douanière a refusé la restitution des marchandises, ni par ailleurs les raisons pour lesquelles les marchandises nont pas été rendues après la décision dacquittement.
71. La Cour estime que la thèse soutenue ici soulève des questions appelant un examen au fond du grief tiré de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, et non un examen de la recevabilité de ce grief.
72. Par conséquent, elle rejette également cette exception du Gouvernement.
73. Constatant que la requête nest pas manifestement mal fondée au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et quelle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif dirrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
IPEK SOCIÉTÉ À RESPONSABILITÉ LIMITÉE c. TURQUIE du 18 janvier 2022 Requête no 29214/09
Art 1 P1 Réglementer lusage des biens Rétention continue des marchandises de la société requérante durant près de neuf ans par les autorités dans le cadre dune procédure pénale Mesures alternatives à la saisie non envisagées Aucune raison légitime depuis larrêt dacquittement pour le maintien pendant plus de cinq ans des mesures de saisie en vigueur Absence de proportionnalité
a) Sur lexistence dun bien et sur la nature de lingérence
79. En premier lieu, en ce qui concerne lexistence dun bien, la Cour constate quil ne prête pas à controverse entre les parties que les marchandises saisies constituaient des « biens » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
80. En deuxième lieu, en ce qui concerne la nature de lingérence, ainsi que la Cour la dit à maintes reprises, larticle 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, qui figure dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers datteintes au respect des biens, doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Aliic et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et lex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 98, CEDH 2014).
81. La Cour rappelle que la rétention des biens saisis par les autorités judiciaires dans le cadre dune procédure pénale doit être examinée sous langle du droit pour lÉtat de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général, au sens du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, CEDH 2007-VII, Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009, Adamczyk c. Pologne (déc.), no 28551/04, 7 novembre 2006, et Uzan et autres c. Turquie, nos 19620/05 et 3 autres, § 194, 5 mars 2019).
82. La Cour rappelle également que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne prohibe pas la saisie des biens dans le cadre dune procédure pénale et quune telle saisie sanalyse en une ingérence relevant de la réglementation de lusage des biens (Lachikhina c. Russie, no 38783/07, § 58, 10 octobre 2017, avec les références citées). Toutefois, pour répondre aux exigences inhérentes à cet article, la saisie doit être légale, poursuivre un but légitime et être proportionnée à ce but (ibidem, § 59).
b) Sur la légalité et le but légitime de lingérence
83. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, lun des principes fondamentaux dune société démocratique, est une notion inhérente à lensemble des articles de la Convention (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 94 et 95, 25 octobre 2012). Il en découle que la nécessité dexaminer la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsquil sest avéré que lingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et nétait pas arbitraire » (Uzan et autres, précité, § 196, avec les références citées).
84. La Cour rappelle aussi que le principe de la légalité présuppose également lexistence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 79, CEDH 2000-XII, Beyeler, précité, §§ 109-110, et Fener Rum Patrikligi c. Turquie, no 14340/05, § 70, 8 juillet 2008). Quant à la portée de la notion de « prévisibilité », elle dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il sagit, du domaine que celui-ci couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (Uzan et autres, précité, § 197, avec les références citées).
85. En lespèce, le Gouvernement expose que la saisie a été ordonnée sur le fondement des articles susmentionnés de la loi no 1918 sur la prévention et la répression des actes de contrebande. La société requérante ne le conteste pas. Il sensuit que la mesure était valablement fondée sur larticle 20, larticle additionnel 2 § 111 et sur les articles 27 §§ 2 et 3 et 33 in fine de la loi no 1918 sur la prévention et la répression des actes de contrebande, alors en vigueur.
86. Il nest donc pas non plus controversé entre les parties que la mesure de saisie répondait à un motif dintérêt général, à savoir la protection de lordre public et la prévention des délits. La question qui se pose est celle de savoir si, dans les circonstances concrètes de laffaire, lapplication des lois en question et la durée excessive et incertaine de la saisie ont fait peser sur la société requérante une charge excessive.
c) Sur la proportionnalité de lingérence
87. Quant à la proportionnalité des mesures en cause, la Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige pour toute ingérence un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 83-95, CEDH 2005-VI). Ce juste équilibre est rompu si la personne concernée doit supporter une charge excessive et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, §§ 69-74, série A no 52, Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 57, 31 mai 2011, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie (fond) [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 300, 28 juin 2018, et Uzan et autres, précité, § 203).
88. En lespèce, la Cour note quen juillet 1995, une quantité importante des marchandises de la société requérante a été saisie par la Direction générale des douanes dIzmir parce quil existait des soupçons dinfraction de contrebande douanière commise en modifiant délibérément les déclarations. Elle constate en outre que, le 7 juin 1999, la cour dassises a acquitté les accusés, y compris le représentant de la société requérante, Ç.K., au motif quil ny avait pas suffisamment de preuves quils avaient commis linfraction de contrebande douanière, et que cet arrêt est devenu définitif le 30 mai 2001. Elle note ensuite que, le 25 octobre 2001, à la demande de la société requérante, la cour dassises a ordonné la restitution des marchandises, mais quen raison dun manque de diligence, car la décision de restitution avait été rendue sans quune audience ait été tenue (paragraphe 13 ci-dessus), elle nest devenue définitive que le 8 avril 2004, et que la Direction générale des douanes na ordonné la restitution des marchandises que le 29 juin 2004.
89. La Cour note par ailleurs que, le 13 septembre 2004, la société requérante a formé un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif dIzmir pour demander réparation du dommage causé par la saisie des marchandises, mais que cette demande a été rejetée, de sorte que le jugement en question est devenu définitif le 29 avril 2009.
90. La Cour admet que la décision relative aux mesures de saisie, en tant que telle, peut être justifiée par « lintérêt général » si elle vise à prévenir les actes de contrebande dans le but de protéger lordre public et de prévenir les délits. Toutefois, compte tenu du caractère restrictif des mesures de saisie, il faut mettre fin à ces dernières dès lors quelles se révèlent ne plus être nécessaires (voir, mutatis mutandis, Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 36, série A no 281-A, et Vendittelli c. Italie, 18 juillet 1994, § 40, série A no 293) : en effet, plus les mesures de saisie restent en vigueur, plus limpact sur la jouissance paisible du bien par le propriétaire est important (JGK Statyba Ltd et Guselnikovas c. Lituanie, no 3330/12, § 130, 5 novembre 2013, et Uzan et autres, précité, § 205).
91. La Cour constate que les marchandises appartenant à la société requérante ont été saisies les 21 juillet et 29 août 1995 et ont été rendues le 29 juin 2004 (paragraphes 5 et 20 ci-dessus), et que les mesures de saisie sont restées en vigueur près de neuf ans.
92. Elle estime quen lespèce la violation alléguée du droit de propriété de la société requérante est étroitement liée, entre autres, à la durée de la procédure et quelle en est une conséquence indirecte (voir, mutatis mutandis, Kunic c. Croatie, no 22344/02, § 67, 11 janvier 2007, JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 131, et Uzan et autres, précité, § 207).
93. En outre, la Cour remarque que jusquà la clôture de lenquête pénale, les mesures ont poursuivi un but légitime. Cependant, les autorités internes navaient jamais envisagé de mesures alternatives à la rétention continue des marchandises, dont la valeur marchande ne cessait de chuter en raison de leur technologie, par exemple la restitution des marchandises à la société requérante en contrepartie de la présentation dune lettre de garantie bancaire, et quelles ont clairement donné la préférence aux mesures sécuritaires afin de protéger lintérêt public au cas où la société requérante serait condamnée. Or aucun élément du dossier nindique que lintérêt individuel de la société requérante eût mérité moins de protection que lintérêt général (voir, mutatis mutandis, JGK Statyba Ltd et Guselnikovas, précité, § 130), alors que les autorités sont tenues de réfléchir minutieusement et explicitement à dautres solutions appropriées mais moins intrusives (voir, mutatis mutandis, Vaskrsic c. Slovénie, no 31371/12, § 83, 25 avril 2017, et la jurisprudence y citée). Pendant cette période déjà les juridictions nont pas mis en balance les besoins de lenquête pénale et lintérêt légitime de la société requérante à reprendre le contrôle de ses biens (voir aussi, mutatis mutandis, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 303, 28 juin 2018, et Uzan et autres, précité, § 215).
94. La Cour constate que le problème se pose de manière encore plus accentuée à partir de larrêt dacquittement rendu par la cour dassises le 7 juin 1999 (voir, mutatis mutandis, Uzan et autres, précité, § 206), quil ny avait aucune raison légitime pour le maintien de mesures de saisie en vigueur, et cela pendant plus de cinq ans, le délai étant exclusivement attribuable aux autorités nationales.
95. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la rétention continue des marchandises de la société requérante nétait pas proportionnée au but légitime poursuivi et que les autorités internes nont pas ménagé un juste équilibre entre le but poursuivi et les moyens employés dans la procédure de saisie prolongée de ces marchandises. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
KASILOV c. RUSSIE du 6 juillet 2021 requête no 2599/18
Art 1 P1 Respect des biens Absence dun but légitime conforme à lintérêt général de la rétention de la caution pendant onze moins entre le prononcé du jugement de condamnation et le prononcé de larrêt dappel
46. La Cour estime que, contrairement à la thèse du Gouvernement, la rétention de la caution entre le 3 juillet 2017 et le 7 juin 2018 sanalyse en une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens, et, plus particulièrement, en une « réglementation de lusage des biens », au sens du deuxième alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (UBS AG c. France (déc.), no 29778/15, § 18, 29 novembre 2016).
47. Elle rappelle que toute mesure dingérence doit être opérée « dans les conditions prévues par la loi », poursuivre un but dintérêt public (ou général) légitime et être proportionnée à ce but.
48. Sagissant de la légalité de la rétention, la Cour observe que si le CPP ne prévoit pas expressément de moment où la caution doit être restituée, le Plénum de la Cour suprême a expliqué que le cautionnement est maintenu jusquà ce que le jugement devienne définitif (paragraphe 22 ci-dessus). En lespèce, le tribunal ayant condamné le requérant en première instance a ordonné la restitution de la caution, sans imposer de délai pour une telle restitution. Par la suite, ce tribunal a rejeté la demande de restitution au motif que le jugement de condamnation nétait pas encore devenu définitif (paragraphes 6 et 7 ci-dessus), alors même que le requérant avait déjà été placé en détention. Cette situation a résulté en une application simultanée de deux mesures de sûreté, au sens du droit russe, contrairement à larticle 97 du CPP selon lequel une seule mesure de sûreté peut être appliquée, cela ayant aussi été confirmé par le Gouvernement (paragraphes 18 et 45 ci-dessus).
49. Dans ces circonstances, la Cour demeure dubitative quant au point de savoir si la mesure peut passer pour avoir été opérée « dans les conditions prévues par la loi ». Toutefois, rappelant quelle ne dispose que dune compétence limitée pour interpréter le droit interne et pour en contrôler le respect (Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018), elle nestime pas nécessaire de trancher cette question, dès lors que lingérence méconnaît larticle 1 du Protocole no 1 pour dautres raisons (paragraphe 50 et suivants ; voir, pour une approche similaire, Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 105, 25 octobre 2012).
50. Sagissant dun « but dintérêt général » de la rétention, la Cour rappelle que, grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « dutilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur lexistence dun problème dintérêt général justifiant des privations de propriété. Dès lors, elles jouissent ici dune certaine marge dappréciation, comme en dautres domaines auxquels sétendent les garanties de la Convention. De plus, les notion d« utilité publique » et d« intérêt général » sont amples par nature (mutatis mutandis, ibidem, § 106, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 111-112, CEDH 2000-I).
51. En lespèce, la Cour note que, selon le CPP tel quinterprété par la Cour suprême, le but du cautionnement est de garantir la comparution du suspect ou du prévenu, de prévenir la commission dautres délits et toute entrave à la justice pénale, mais nest point de garantir lexécution du jugement. Or la Cour ne peut que constater que ces buts, indéniablement légitimes en soi, ont déjà été atteints par le placement immédiat du requérant en détention. Dans cette situation, la rétention de la caution qui na jamais fait lobjet de saisie et qui ne servait pas au paiement de lamende pénale a perdu sa nécessité, ceci dautant plus que le paiement de lamende a déjà été garanti par la saisie des biens du requérant (paragraphes 6, 19 et 20 ci-dessus ; comparer avec UBS AG, décision précitée, § 19), et le Gouvernement na pas démontré le contraire.
52. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à labsence dun but légitime conforme à lintérêt général de la rétention de la caution pendant onze moins et donc à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette conclusion rend non nécessaire lexamen de la proportionnalité de la mesure.
Ooo Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo c. RUSSIE du 7 avril 2020 requête n°5738/18
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : la saisie pénale durant 6 ans d'un terrain appartenant à une personne non concernée par la procédure d'accusation pénale en cours, n'est pas proportionnée à son droit de propriété.
Art 1 P1 ? Réglementation de lusage des biens ? Saisie prolongée de parcelles de terrain appartenant à un promoteur immobilier dans le cadre dune enquête pénale contre des tiers ? Durée totale de la saisie de plus de six années non disproportionnée en soi ? Alignement quasi-automatique des renouvellements de la saisie sur les prolongations de lenquête ? Bonne foi et absence de négligence de la société requérante ? Absence de mise en balance des besoins et intérêts en présence ? Autorités nayant rien entrepris pour empêcher les divisions et reventes de parcelles visées par les poursuites ? Charge excessive ayant compromis lactivité principale de la société requérante
FAITS
6. En août 2009 et en mars 2010 respectivement, plusieurs enquêtes pénales pour escroquerie aggravée, abus de confiance, blanchiment de fonds, faux et usage de faux, et détournement de pouvoir furent ouvertes contre A., ancien directeur dune banque sise au Kazakhstan (« la banque »), et contre plusieurs autres personnes. À différentes dates non précisées dans le dossier, A. et ses complices présumés fuirent à létranger.
7. Selon les autorités de poursuite, les faits à lorigine de louverture des enquêtes étaient les suivants. Les dirigeants et employés de la banque, étant sous linfluence des personnes mises en examen, avaient accordé des prêts à des sociétés appartenant de fait à A. Au moyen de ces prêts, dautres sociétés, contrôlées par A., notamment la société ZAO TDK avaient fait lacquisition de plusieurs grands terrains dans la région de Moscou. Les prêts avaient été nantis au moyen dhypothèques sur ces mêmes terrains. Puis, A. et ses complices présumés, agissant par lintermédiaire de ces dernières sociétés, avaient fait frauduleusement résilier les contrats dhypothèque, diviser les terrains en plusieurs centaines de parcelles et revendre celles-ci, et cela dans le but de blanchiment des fonds illicitement obtenus et de dissimulation des traces des délits.
8. Le 20 septembre 2010, la société ZAO TDK vendit treize parcelles à la société requérante.
9. À une date non précisée dans le dossier, la banque se constitua partie civile et demanda une indemnisation pour le préjudice quelle disait avoir subi, estimé à près de 25 milliards de roubles (RUB).
10. Le 30 octobre 2012 et le 13 août 2018, A. et ses complices présumés furent mis en examen pour de nouveaux épisodes descroquerie, de blanchiment de fonds et de détournement de pouvoir aggravés. Le 21 août 2019, le tribunal du district Taganski de Moscou tint une audience préliminaire en laffaire.
11. À une date non précisée dans le dossier, lenquêteur chargé de laffaire pénale demanda au tribunal du district Tverskoï de Moscou dautoriser la saisie provisoire des parcelles mentionnées au paragraphe 7 ci-dessus.
12. Par une ordonnance du 9 août 2012, le tribunal du district Tverskoï, statuant sur le fondement de larticle 115 du code de procédure pénale (CPP), fit droit à la demande et autorisa la saisie de toutes les parcelles précitées. Il estima que celles-ci avaient été obtenues, par la société ZAO TDK notamment, au moyen dagissements délictueux (???????? (...) ? ?????????? ?????????? ????????) de A. et de ses complices et quelles avaient servi à financer un groupe criminel organisé (??? ??????????? ?????????????? ?????????????? ??????) constitué par ceux-ci. Le tribunal considéra que la saisie était nécessaire pour assurer lexécution dun futur jugement de condamnation, ainsi que pour protéger les intérêts des propriétaires légitimes des terrains et ceux de la victime et partie civile.
Le 12 décembre 2012, la cour de la ville de Moscou (« la cour de Moscou ») confirma lordonnance du tribunal en appel.
13. Le 5 février 2013, la société requérante demanda à lenquêteur la levée de la saisie de ses treize parcelles. Par une décision du 8 février 2013, lenquêteur rejeta cette demande. Lintéressée forma un recours en justice contre cette décision. Le 4 juin 2013, le tribunal du district Tverskoï rejeta le recours, et, le 24 juillet 2013, la cour de Moscou confirma la décision de ce tribunal en appel.
60. La Cour rappelle que la saisie de biens pour les besoins dune procédure pénale relève de la réglementation de lusage des biens (Lachikhina, précité, § 58, avec les références qui y sont citées). Elle rappelle également que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne prohibe pas la saisie dans le cadre dune procédure pénale, mais que, pour répondre aux exigences inhérentes à cet article, la saisie doit être prévue par la législation interne, poursuivre un but légitime et être proportionnée au but poursuivi, cest-à-dire ménager un juste équilibre entre lintérêt général et le droit de lindividu au respect de ses biens (ibidem, §§ 59-60).
CEDH
a) Sur la légalité et le but légitime de lingérence
61. La société requérante soulève deux moyens tirés dune illégalité de la mesure : premièrement, la saisie serait devenue contraire à la législation interne dès louverture, en 2014, de la procédure de faillite contre elle ; et deuxièmement, la saisie et ses renouvellements manqueraient en soi de base légale.
62. Se tournant vers le premier moyen, la Cour note ce qui suit. Dun côté, selon larticle 126 § 1 de la loi fédérale relative à la faillite, louverture par un tribunal de la procédure de faillite emporte la levée des saisies antérieures des biens du failli. Dun autre côté, selon larticle 115 § 9 du CPP, lorsquune saisie nest plus nécessaire ou lorsquelle a vu son délai dapplication expirer et quelle na pas été renouvelée, elle est levée par une autorité chargée de laffaire pénale (comparer les paragraphes 31, 37 et 43 ci-dessus). En outre, selon la Cour constitutionnelle, la levée dune saisie imposée sur le fondement de larticle 115 du CPP, même pour les biens du failli, seffectue toujours par lautorité chargée de laffaire pénale, qui jouit dun pouvoir dappréciation des faits (paragraphe 44 ci-dessus). Un certain conflit apparaît ainsi entre les dispositions de la loi relative à la faillite et celles du CPP. En même temps, il na pas été démontré quil existe une pratique judiciaire unanime consistant à donner priorité à lune ou lautre de ces dispositions ou à obliger les autorités à faire lever les saisies dans pareille situation.
63. Rappelant quil ne lui appartient pas dinterpréter le droit interne (voir, par exemple, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018), la Cour considère que louverture en lespèce de la procédure de faillite contre la société requérante ne suffit pas, en soi, à rendre la saisie « illégale » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
64. Se tournant vers le deuxième moyen existence dune base légale de la saisie des parcelles et des renouvellements de celle-ci , la Cour observe que la mesure avait dès le début un double fondement légal. Dune part, cette mesure a été appliquée et renouvelée pour protéger les droits de la victime et partie civile et pour assurer léventuelle confiscation des parcelles comme sanction pénale pour le blanchiment de fonds (article 115 § 1 du CPP). Dautre part, selon les autorités internes, ces biens ont été obtenus au moyen dagissements délictueux et avaient servi à financer un groupe criminel organisé (article 115 § 3 du CPP). Ces deux fondements légaux pouvaient chacun, en soi, justifier une saisie.
65. Sagissant du premier fondement (article 115 § 1 du CPP), il ressort de la lecture de larticle 115 du CPP ainsi que de larrêt de la Cour constitutionnelle du 26 octobre 2014 que la saisie, protégeant les intérêts des victimes et parties civiles, ne pouvait être appliquée quà légard des biens des personnes mises en examen et des défendeurs civils (paragraphes 30 et 34 ci-dessus). Le Gouvernement nayant pas démontré quil existe une lecture différente de ces dispositions, et la société requérante ainsi que ses dirigeants et employés nétant ni mis en examen ni défendeurs civils, la Cour conclut que, en lespèce, la saisie ne pouvait pas être valablement fondée sur larticle 115 § 1 du CPP.
66. Sagissant du second fondement (article 115 § 3 du CPP), la Cour relève que la société requérante conteste les conclusions des autorités relatives à lorigine et à la destination criminelle des parcelles. Or, rappelant quil ne lui revient pas dapprécier les faits et de réexaminer les conclusions des instances nationales, sauf dans les cas où cela est rendu inévitable (Novikov c. Russie, no 35989/02, § 38, 18 juin 2009), la Cour estime que, en lespèce, aucun élément dans le dossier ne permet de critiquer la thèse des autorités relative à lorigine et à la destination de ces biens.
67. Il sensuit que la mesure a été valablement fondée sur larticle 115 § 3 du CPP et était donc « légale » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Il sensuit également que la mesure poursuivait au moins un but légitime, à savoir la protection de lordre public et la prévention des délits.
68. Toutefois, ce constat nempêche pas la Cour de tenir compte des considérations relatives au premier fondement légal (paragraphe 65 ci-dessus) dans son examen de la proportionnalité de la mesure.
b) Sur la proportionnalité de lingérence
69. Pour déterminer la proportionnalité dune mesure de saisie, il convient de prendre en compte plusieurs facteurs. La durée de la saisie constitue lun de ces facteurs, bien quelle ne soit pas un critère absolu. Dautres facteurs pertinents sont la nécessité de maintenir la saisie eu égard au déroulement des poursuites pénales, les conséquences de son application pour lintéressé (Lachikhina, précité, § 59), le comportement des parties, les moyens employés par lÉtat et leur mise en uvre (Forminster Enterprises Limited c. République tchèque, no 38238/04, § 75, 9 octobre 2008), lexistence dun recours permettant de sopposer au maintien dune saisie (Benet Czech, spol. s r.o. c. République tchèque, no 31555/05, § 49, 21 octobre 2010), ainsi que la mise en uvre des garanties procédurales découlant de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 302, 28 juin 2018).
70. En lespèce, la Cour constate que, à la date des dernières observations des parties en octobre 2019, la durée de la saisie et de ses renouvellements était comprise entre le 9 octobre 2012 et le mois doctobre 2019. Pendant ces sept ans, il y a eu trois périodes trois mois, puis encore deux mois en 2015, et trois mois en 2019 au cours desquelles les parcelles nétaient pas visées par la saisie (paragraphes 16-20 et 24-25 ci-dessus).
71. De lavis de la Cour, cette durée de la saisie des parcelles, avec des périodes dinterruption de la mesure, est certes conséquente mais ne rend pas, en soi, lingérence disproportionnée (comparer avec BENet Praha, spol. s r.o. c. République tchèque, no 33908/04, 24 février 2011, concernant une saisie durant près de quatre ans et neuf mois, et avec Invest Kapa c. République tchèque (déc.) [comité], no 19782/13, § 42, 12 juin 2018, concernant une saisie durant près de onze ans). Aussi convient-il danalyser dautres aspects de la proportionnalité de la mesure.
72. La Cour note que, entre 2012 et 2014, la saisie des biens de la société requérante nétait assortie daucun délai et il ny avait pas de contrôle périodique de la nécessité de cette mesure. Puis, à la suite de larrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 21 octobre 2014, les juridictions ont commencé à assortir la saisie de délais et elles ont dû, à lexpiration de chaque délai ainsi fixé, se prononcer sur la possibilité de renouvellement de la mesure, en statuant en présence de la société requérante et en lui permettant dexposer ses arguments. Les décisions de renouvellement de la saisie pouvaient être frappées dappel. Par la suite, le CPP a été modifié (paragraphes 37-39 ci-dessus). Les changements ainsi opérés semblent assurer aux propriétaires tiers à la procédure pénale un « recours effectif », et une « protection judiciaire effective », daprès les termes employés par la haute juridiction (paragraphes 15, 33 et 36 ci-dessus) (comparer avec Borjonov c. Russie, no 18274/04, §§ 52-53, 22 janvier 2009, sagissant de labsence, à lépoque, de recours contre la saisie continue de biens).
73. En même temps, la Cour observe que les renouvellements de la saisie semblent en lespèce saligner de façon quasi automatique sur les prolongations des délais de lenquête pénale. Par ailleurs, en ordonnant les renouvellements, les juridictions ont systématiquement invoqué les mêmes motifs, notamment la nécessité de protéger les droits de la victime et partie civile, alors que ces considérations comme il a déjà été établi ne pouvaient pas justifier la saisie sans que la société requérante fût attraite à la procédure comme défenderesse civile (paragraphe 65 ci-dessus). Les juridictions ne semblent pas sêtre assurées de lexistence de nouvelles circonstances justifiant le maintien prolongé de la mesure, en dépit de la position de la Cour constitutionnelle à cet égard (paragraphe 23 ci-dessus).
74. En outre, la Cour relève quaucun élément dans le dossier ne laisse penser que la société requérante ait été de mauvaise foi ou négligente lors de lachat des parcelles, ou que ses dirigeants ou employés aient été liés aux délits imputés à A. et à ses complices (Lachikhina, précité, § 63, et Uzan et autres c. Turquie, no 19620/05 et 3 autres, § 212, 5 mars 2019). La bonne foi de lintéressée nest pas contestée (voir à cet égard également la position de la Cour constitutionnelle, paragraphe 35 in fine ci-dessus). Or les juridictions nont pas tenu compte de ces éléments et elles nont pas recherché non plus si la société requérante avait été au courant ou aurait dû être au courant de lorigine et de la destination criminelles des biens en question, ce qui va à lencontre des exigences du CP et de la Cour constitutionnelle (paragraphes 35 et 41 ci-dessus). Les juridictions nont pas procédé non plus à une mise en balance entre les besoins de lenquête pénale, les intérêts de la partie civile et lintérêt légitime de la société requérante acquéreur de bonne foi à reprendre le contrôle de ses biens (voir aussi, mutatis mutandis, G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, § 303, et Uzan et autres, précité, § 215).
75. Par ailleurs, il est surprenant que, en dépit de louverture des poursuites pénales en août 2009 et en mars 2010, les autorités naient rien entrepris pour empêcher les divisions et les reventes des parcelles visées par ces poursuites (comparer avec Anna Popova c. Russie, no 59391/12, §§ 10-12 et 35, 4 octobre 2016, sagissant des reventes dun appartement visé par une enquête pénale).
76. Enfin, bien que la saisie des parcelles emportât seulement une impossibilité den disposer, la Cour observe que lactivité statutaire de la société requérante était la promotion immobilière, ce qui impliquait la revente de parcelles constructibles. Aussi la saisie a-t-elle compromis lactivité principale de lintéressée (voir aussi, mutatis mutandis, Petyo Petkov c. Bulgarie, no 32130/03, § 106, 7 janvier 2010, et comparer avec Nikolayenko et autres c. Russie (déc.) [comité], nos 78494/14 et 41461/16, § 48, 10 octobre 2019) en lui imposant ainsi une charge excessive.
77. Eu égard à ces éléments, la Cour conclut que les autorités nont pas ménagé un « juste équilibre » entre les impératifs de lintérêt général et les exigences de la protection des droits de la société requérante au respect de ses biens. Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1 à la Convention.
STEPANOVA c. RUSSIE du 8 janvier 2019 requête n° 7506/17
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : une dame poursuivie pour escroquerie voit sa maison et son terrain saisis pour payer une amende pénale non encore fixée. Il y a disproportion de la saisie pour payer une amende non encore fixée.
28. Il ne se prête pas à polémique entre les parties que la maison et le terrain en question étaient les « biens » de la requérante, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, et que la saisie de ces biens a constitué une ingérence dans le droit de lintéressée au respect de ses biens.
29. La Cour rappelle que la saisie dobjets pour les besoins dune procédure pénale sanalyse en une ingérence relevant de la réglementation de lusage des biens (voir, par exemple, Lachikhina c. Russie, no 38783/07, § 58, 10 octobre 2017, avec les références qui y sont citées). Elle rappelle également que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention ne prohibe pas la saisie dun bien dans le cadre dune procédure pénale, mais, pour répondre aux exigences inhérentes à cet article, la saisie doit être prévue par la législation interne, poursuivre un but légitime et être proportionnée au but poursuivi (Lachikhina, précité, § 59).
30. La Cour relève que, en lespèce, la saisie des biens de la requérante était fondée sur les articles 115 et 165 du CPP. Elle note que larticle 115 du CPP permet dimposer une saisie tant dans les intérêts des parties civiles que pour garantir le paiement dune possible amende ou lapplication dune possible confiscation (paragraphe 16 ci-dessus). Elle observe que, daprès les motifs exposés par les juridictions internes, la saisie des biens de la requérante, qui nétaient pas présumés dêtre le produit dune infraction ou pouvoir être reliés à une infraction, avait une double finalité. Elle note que cette saisie était destinée à assurer lexécution dun futur jugement de condamnation, dune part dans sa partie concernant une possible action civile, et dautre part dans sa partie concernant limposition dune amende pénale. Elle note aussi que, si aucune action civile na pour le moment été formée dans laffaire, lamende est bien une sanction prévue pour linfraction dont la requérante est accusée (paragraphe 19 ci-dessus). Ainsi, la Cour accepte que la mesure de saisie était fondée sur la loi et quelle poursuivait le but légitime de paiement des amendes, au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Reste à déterminer si cette mesure était proportionnée, cest-à-dire si elle a respecté un juste équilibre entre les exigences de lintérêt général de la communauté et le droit de la requérante de disposer de ses biens.
31. La Cour considère que, même si la saisie en tant que telle ne prête pas à critique, une telle mesure risque toujours dimposer à la personne concernée une charge excessive en ce qui concerne son droit de disposer de ses biens, cest pourquoi son application ne doit pas être arbitraire et doit être assortie de certaines garanties procédurales. Ces garanties procédurales impliquent, entre autres, une obligation pour les autorités compétentes de motiver les décisions relatives aux saisies et den apprécier la proportionnalité (Dinic c. Croatie, no 38359/13, §§ 68 et 70, 17 mai 2016).
32. La Cour relève que, en loccurrence, la requérante était accusée davoir détourné une somme dau moins 396 422 RUB et que cette infraction est passible dune amende dun montant maximal de 500 000 RUB. Elle note que lenquêteur na pas fourni au tribunal du district Starorousski dinformations sur la valeur des biens dont il demandait la saisie, et que le tribunal na pas examiné cette question doffice. Elle relève que, comme la requérante navait pas été informée de lexamen de la demande de saisie, conformément à larticle 165 du CPP (paragraphe 18 ci-dessus), elle na pas pu présenter ses arguments à cet égard. La Cour observe que, en appel, lintéressée a fourni un rapport estimatif confirmant que la valeur des biens saisis était plusieurs fois supérieure aux montants du préjudice allégué et dune possible amende, mais que la cour régionale de Novgorod a rejeté ce document comme non pertinent (comparer avec Dinic, précité, § 71). Même sil nétait pas possible daccepter le rapport estimatif susmentionné en tant que document déterminant la valeur exacte de la maison et du terrain, dans tous les cas, les allégations de la requérante concernant limportante disproportion entre, dun côté, les biens saisis et, de lautre, le préjudice qui aurait été causé par lescroquerie et une possible amende pénale nétaient pas dénuées de pertinence.
33. De lavis de la Cour, une totale omission par les juridictions dexaminer la valeur des biens saisis et de comparer cette valeur au montant du dommage pécuniaire imputé à la requérante et à celui de lamende susceptible dêtre encourue na pas été justifiée. En outre, il ne ressort pas des documents du dossier et il na pas été allégué que les autorités internes sétaient penchées sur ces questions après que le montant du préjudice eût été réévalué, en août 2017.
34. La Cour note de surcroît que les juridictions se sont bornées à indiquer, sans plus de précisions, que le principe de proportionnalité avait été observé (paragraphes 11 et 13 ci-dessus ; comparer avec Dinic, précité, §§ 75 et 78, et voir, a contrario, UBS AG c. France (déc.), no 29778/15, 12 janvier 2017, concernant le cautionnement dun montant élevé dont limposition avait été particulièrement bien motivée par les juridictions françaises).
35. Dans ces circonstances, la Cour considère que, bien que la saisie ait été en principe légitime, la manière dont elle a été imposée na pas satisfait au critère du « juste équilibre ».
Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
NURMIYEVA c. RUSSIE du 27 novembre 2018 requête n° 57273/13
Violation de l'article 1 du protocole 1 : Des dalles de parking retirées dans le cadre d'une enquête pour vol sont remises à la société fabricante. Celle-ci les revend alors que l'enquête pénale se termine par un non lieu. La requérante subit une indemnisation partielle. Elle avait une espérance légitime d'être entièrement remboursée par l'entreprise qui a fait retirer les dalles et revendues. Elle n'est pas remboursée intégralement de "sa créance". Les obligations tirées de l'article 1 du Protocole 1 de la Convention ne sont pas respectées.
LES FAITS
8. Le 20 septembre 2007, une enquête pénale contre X fut ouverte pour vol de dalles appartenant à la société Tsentr. La requérante fut interrogée comme témoin. Le 16 novembre 2007, un enquêteur inspecta le parking de la requérante et qualifia de preuves matérielles certaines dalles pavant celui-ci.
9. Le 22 mai 2009, un enquêteur ordonna le retrait de soixante dalles du parking de la requérante, en tant que preuves matérielles, ainsi que leur remise, pour conservation, à la société Tsentr. Le même jour, les employés de cette société retirèrent ces dalles.
11. Le 6 septembre 2010, lenquête fut classée sans suite en raison de labsence de faits constitutifs du délit. La requérante se vit informer quelle pouvait saisir la justice dune demande de restitution des dalles « illicitement retirées ».
12. La société Tsentr ayant entretemps revendu les dalles en question, la requérante ne put en obtenir la restitution.
La requérante ne fut que partiellement remboursé du retrait des dalles.
ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1
a) Sur lexistence dun « bien » et de lingérence
31. La Cour rappelle quun requérant ne peut alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil conteste se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « bien » a une portée autonome qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne, et elle englobe les biens meubles, les biens immeubles, ainsi que certains autres droits et intérêts constituant des actifs. Bien que larticle 1 du Protocole no 1 ne vaille que pour les biens actuels et ne crée aucun droit den acquérir, dans certaines circonstances, l« espérance légitime » dobtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de cette disposition (voir, parmi beaucoup dautres, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 65, CEDH 2007-I). Une espérance légitime est plus concrète quun simple espoir et doit avoir une base suffisante en droit interne. Elle doit se fonder sur une disposition législative ou sur un acte juridique concernant lintérêt patrimonial en question, et, en principe, un requérant ne peut passer pour jouir dune créance suffisamment certaine sanalysant en une « valeur patrimoniale » aux fins de larticle 1 du Protocole no 1 lorsquil y a controverse sur la façon dont le droit interne doit être interprété et appliqué (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 45-52, CEDH 2004-IX, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149 in fine, 20 mars 2018).
32. En lespèce, la Cour relève que le Gouvernement na pas répondu à la question de savoir si le parking constituait pour la requérante un « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, mais quil sest contenté dalléguer que ce parking nétait pas un immeuble au sens du droit russe. Elle note également que les juridictions internes nont ni remis en cause lexistence même du parking en tant quobjet (certes, meuble) ou installation (paragraphes 16 et 18 ci-dessus), ni dénié la qualité de propriétaire de celui-ci à la requérante. La Cour considère ainsi que le parking inachevé était le « bien » de lintéressée.
33. La Cour observe en outre que le parking a été endommagé, certaines de ses composantes ayant été retirées. Ainsi, se pose la question de savoir si, en lespèce, la requérante avait une « espérance légitime » de recevoir une indemnisation intégrale pour le préjudice subi, au sens de larticle 1 du Protocole no 1.
34. À cet égard, la Cour relève que les dispositions légales internes, telles quinterprétées par les hautes juridictions rendaient la requérante titulaire dun droit à la réparation intégrale du préjudice réel, et que les juridictions commerciales amenées à statuer dans le litige engagé par lintéressée ont confirmé lexistence de ce droit (paragraphes 15, 18, 20 et 21 ci-dessus). La Cour observe de surcroît que le Gouvernement na indiqué aucune disposition interne interdisant dallouer les frais de reconstruction à légard des biens meubles. Dans ces circonstances, la Cour estime que la requérante avait une « espérance légitime », fondée sur la loi interne, de se voir indemniser pour tout le préjudice subi du fait du retrait des dalles, y compris pour les frais de reconstruction du parking (voir aussi, mutatis mutandis, Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 63, CEDH 2006-VII (extraits)).
35. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que larticle 1 du Protocole no 1 sapplique en lespèce et que lingérence est constituée par le rejet de la demande de la requérante dindemnisation pour le préjudice causé, et plus particulièrement pour les frais de reconstruction du parking.
b) Sur la compatibilité de la mesure avec les exigences de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
36. La Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du Protocole no 1, toute mesure doit remplir trois conditions : elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause dutilité publique » et dans le respect dun juste équilibre entre les droits du propriétaire et les intérêts de la communauté.
37. En loccurrence, la Cour observe que les parties nont pas soumis dobservations quant à la « légalité » de la mesure et à lexistence dun but dutilité publique. Elle estime quil nest pas nécessaire de se prononcer sur ces questions, puisque, en tout état de cause, la mesure na pas respecté le juste équilibre exigé (Novikov c. Russie, no 35989/02, § 44, 18 juin 2009).
38. La Cour rappelle quelle dispose dune compétence limitée pour vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué, et quil ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, qui sont mieux placés pour apprécier les preuves et pour qualifier un bien de meuble ou dimmeuble, son rôle consistant surtout à sassurer que les décisions de ces derniers ne sont pas entachées darbitraire ou dirrationalité manifeste (voir, parmi beaucoup dautres, Kushoglu c. Bulgarie, no 48191/99, § 50, 10 mai 2007).
39. Se tournant vers les faits de lespèce, la Cour rappelle avoir déjà constaté que le droit de la requérante de se faire indemniser pour lintégralité du dommage résultant du retrait des dalles jugé « illicite » a été consacré par le droit interne et confirmé par les juridictions commerciales (paragraphe 34 ci-dessus). En effet, le tribunal de commerce a accueilli laction en responsabilité de lÉtat intentée par la requérante du fait de la perte des dalles pavant le parking, et il a rejeté sa demande relative aux frais de livraison de dalles de remplacement au motif que lintéressée navait pas démontré la réalité de ces frais (paragraphe 15 ci-dessus). Ce faisant, le tribunal a encore une fois confirmé le droit de la requérante à une indemnisation, y compris pour les frais de livraison des dalles de remplacement occasionnés par le retrait des anciennes dalles.
40. La Cour note que, contrairement à ce quaffirme le Gouvernement, le tribunal de commerce a néanmoins rejeté en bloc la demande de la requérante relative aux frais de reconstruction du parking, refusant ainsi daccepter le devis estimatif en tant que preuve de ces frais, au seul motif que le parking nétait pas un bien immobilier, et que cela a été confirmé par la 18e cour de commerce dappel (paragraphes 16 et 18 ci-dessus).
De lavis de la Cour, en statuant ainsi, les juridictions commerciales sont parvenues à deux conclusions contradictoires. Dun côté, elles ont confirmé le droit de la requérante à une indemnisation intégrale pour le préjudice subi du fait du retrait des dalles de son parking, sous condition de présentation des preuves du préjudice. Dun autre côté, elles lui ont dénié ensuite ce même droit, ayant considéré que le seul préjudice causé à des immeubles pouvait être réparé, et, de ce fait, elles nont pas permis à la requérante de prouver la réalité des frais relatifs à la reconstruction de son bien. La Cour estime que ce raisonnement des juridictions internes a été pour le moins incohérent, sinon manifestement contradictoire.
41. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le refus des juridictions commerciales dordonner une indemnisation de la requérante pour les frais de reconstruction du parking causés par un acte « illicite » des autorités a fait peser sur lintéressée une charge excessive rompant le juste équilibre entre les intérêts de lindividu et ceux de la société.
Il sensuit quil y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
OOO KD-KONSALTING c. RUSSIE du 29 mai 2018 Requête n° 54184/11
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : une saisie d'une livraison de zinc est ensuite volée et non retrouvée. Les autorités doivent prendre les mesures raisonnables nécessaires à leur conservation. La procédure s'est enlisée au point que la prescription est acquise. Durant la procédure, la société requérante n'a pas pu agir pour récupérer son bien. La société requérante sest retrouvée pendant plusieurs années dans limpossibilité dentamer une procédure contre lÉtat afin de prouver que les autorités avaient failli à leur obligation de protéger ses biens et de réclamer une indemnisation en raison de leur manquement.
2. Lappréciation de la Cour
43. La Cour rappelle quun requérant ne peut alléguer une violation de larticle 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions quil conteste se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « bien » a une portée autonome qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne. Ce qui importe, cest de rechercher si les circonstances dune affaire donnée, considérées dans leur ensemble, peuvent passer pour avoir rendu le requérant titulaire dun intérêt substantiel protégé par larticle 1 du Protocole no 1 (voir, parmi les arrêts récents, Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, §§ 73 et 76, CEDH 2016).
44. La Cour rappelle également que, en vertu du principe de subsidiarité, elle na normalement pas pour tâche de se prononcer sur la qualité de propriétaire des biens dun requérant car lexamen de cette question, impliquant une interprétation des dispositions internes, incombe aux autorités nationales (Järvi-Eristys Oy, décision précitée).
45. Elle observe en lespèce que, dans sa décision du 24 novembre 2009, le tribunal de district a reconnu la qualité de propriétaire du zinc à la société requérante. Bien que cette décision ait été ultérieurement annulée pour des motifs liés à la répartition des compétences entre les tribunaux et les organes de poursuites, la qualité de propriétaire de lintéressée na pas été remise en question (paragraphes 17 et 21 ci-dessus). Le tribunal de commerce a également reconnu que la société requérante était propriétaire du zinc et la juridiction dappel na pas contesté cette conclusion (paragraphes 25-26 ci-dessus). Cest seulement la juridiction de cassation qui a, pour la première fois, laissé entendre quil pouvait y avoir un doute sur la qualité de propriétaire de la société requérante (paragraphe 27 ci-dessus). Quant aux autorités chargées des poursuites, la Cour relève quelles ne sont parvenues à aucune conclusion formelle concernant la propriété du zinc, que ce soit en faveur de la société requérante ou dun tiers.
46. Dans les circonstances où la question de savoir qui était propriétaire des biens na pas été tranchée par les juridictions internes, la Cour doit se livrer à sa propre analyse de la situation (voir aussi, pour une approche similaire, Uniya OOO et Belcourt Trading Company, précité, §§ 297-299, et Novikov c. Russie, no 35989/02, § 38, 18 juin 2009). En lespèce, elle relève tout dabord que ni la société requérante ni ses dirigeants nont jamais été inculpés dune quelconque infraction en lien avec ce bien. De surcroît, elle note que, pendant dix ans, personne dautre que la société requérante na revendiqué de droits à légard du zinc (voir aussi Uniya OOO et Belcourt Trading Company, précité, § 303, et Novikov, précité, § 35 ; comparer avec Järvi-Eristys Oy, décision précitée). La Cour constate également que la société requérante a fourni, tant aux instances internes quà la Cour, plusieurs documents justifiant raisonnablement son droit de propriété. Elle considère que, à la différence des affaires citées par le Gouvernement, où les requérants avaient la possibilité de contester les mesures prises à légard de leurs biens dans le cadre de procédures contradictoires devant des juridictions, lintéressée na pas eu, en lespèce, loccasion de prouver quelle avait légalement acquis le zinc car les juridictions ont finalement décidé que cette question ne pouvait être débattue quà la fin de lenquête pénale.
47. La Cour prend note de largument du Gouvernement selon lequel le contrat dachat du zinc était fictif, mais elle estime que le Gouvernement ne peut pas valablement avancer de thèses non débattues devant les instances internes (voir aussi, dans le contexte de larticle 10 de la Convention, Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, no 68354/01, §§ 30-31, 25 janvier 2007).
48. La Cour considère ainsi que la société requérante a démontré que le zinc constituait son « bien » au sens de larticle 1 du Protocole no 1. Partant, elle rejette lexception du Gouvernement tirée de lincompatibilité ratione materiae de la requête.
49. Constatant que la requête nest pas manifestement mal fondée au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et quelle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif dirrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
50. Le Gouvernement considère que, les circonstances de lacquisition du zinc étant selon lui suspicieuses, la saisie du métal par les autorités était justifiée et sa rétention demeurait nécessaire tout au long de lenquête, jusquà ce quune décision finale soit rendue dans laffaire pénale pour escroquerie, affaire quil estime être particulièrement compliquée.
51. Quant à la disparition du zinc et au rejet de la demande dindemnisation à cet égard, le Gouvernement soutient quaucune faute ne peut être imputée aux autorités ayant déposé le métal dans un entrepôt de la société Elektrotsink, et que, de toute façon, la conformité de ce dépôt à la loi doit être examinée dans le cadre de lenquête pénale pour vol de zinc.
52. La société requérante considère que, indépendamment de la légalité de la saisie initiale du zinc, la rétention des marchandises pendant lenquête pénale, sans quil y ait eu de mesures dinstruction les concernant, a été disproportionnée. Selon elle, lenquête pénale pour escroquerie sétait enlisée et na été reprise quaprès la communication de la présente requête par la Cour, à un moment où laction publique était déjà prescrite, ce qui aurait obligé les autorités chargées des poursuites à rendre une décision de non-lieu à poursuivre.
53. La société requérante reproche en outre à lenquêteur davoir omis de conclure un contrat de dépôt des preuves matérielles, en violation de larrêté du Gouvernement du 20 août 2002, et elle déplore que le CPP ne réglemente pas les conséquences de la perte de preuves matérielles dans les affaires pénales. Elle assimile la présente affaire à laffaire Novikov (précitée), où la Cour avait constaté la violation de larticle 1 du Protocole no 1 car les autorités navaient ni rendu les biens saisis au requérant ni versé de dédommagement.
2. Lappréciation de la Cour
a) Sur lobjet de lanalyse par la Cour
54. La Cour observe que le grief de la société requérante comporte trois branches. Premièrement, lintéressée se plaint de la saisie de ses biens en 2007. Deuxièmement, elle se plaint de leur rétention continue en tant que preuves matérielles jusquà leur disparition. Enfin, elle dénonce le refus des juridictions internes de lui accorder une indemnisation pour la disparition de ses biens.
55. La Cour considère quil nest pas nécessaire de se prononcer sur les deux premières mesures contestées par la société requérante, à savoir la saisie et la rétention des biens en cause, car la situation a radicalement changé avec leur disparition. En effet, elle note que les mesures temporaires de saisie et de rétention se sont transformées en une perte définitive des biens de la société requérante. Les biens disparus, tout en gardant le statut de preuves matérielles, nétaient plus retenus par les autorités.
56. La Cour relève en outre que, bien que laction en indemnisation introduite par la société requérante devant les juridictions commerciales concernait la saisie, la rétention et la disparition de ses biens, son but principal était bien dobtenir une réparation pour la perte du zinc. Aussi analysera-t-elle uniquement la disparition du zinc et les événements subséquents (voir aussi, pour une approche similaire, Uniya OOO et Belcourt Trading Company, précité, §§ 275 et 309, et Novikov, précité, § 44).
b) Sur le respect de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
57. La Cour rappelle que, lorsque les autorités judiciaires ou de poursuite saisissent des biens, elles doivent prendre les mesures raisonnables nécessaires à leur conservation (Dzugayeva c. Russie, no 44971/04, § 27, 12 février 2013), notamment en dressant un inventaire des biens et de leur état au moment de la saisie. Par ailleurs, la législation interne doit prévoir la possibilité dentamer une procédure contre lÉtat afin dobtenir réparation pour les préjudices résultant dune conservation défectueuse de ces biens. Encore faut-il que cette procédure soit effective, pour permettre au propriétaire de défendre sa cause (Tendam c. Espagne, no 25720/05, § 51, 13 juillet 2010, et les affaires qui y sont citées).
58. En loccurrence, la Cour observe que les juridictions pénales se sont déclarées finalement incompétentes pour examiner le recours de la société requérante concernant le devoir de lenquêteur de conserver le zinc saisi. En effet, elles ont considéré que cette question ne pouvait pas être réglée avant quun tribunal ait statué sur la responsabilité pénale des personnes accusées du vol de ce métal (paragraphes 21-22 ci-dessus). Or cette enquête était toujours en cours en avril 2017, soit près de sept ans et demi après son ouverture et sans aboutir à aucun résultat concret (paragraphes 14-15 ci-dessus).
59. Elle observe en outre quil ressort des dispositions de larticle 82 du CPP interprétées par la Cour constitutionnelle que les preuves matérielles ne doivent pas faire lobjet de rétentions illimitées dans le temps et, dans certains cas, peuvent être restituées à leurs possesseurs légitimes avant la fin de lenquête pénale (paragraphes 30-31 ci-dessus). Néanmoins, en lespèce, les juridictions commerciales ont aussi refusé de statuer sur la demande dindemnisation formulée par la société requérante avant la clôture de lenquête pénale pour escroquerie, alors que cette dernière sest enlisée et était toujours pendante dix ans après son ouverture (paragraphes 13, 26-29 ci-dessus).
La Cour estime donc que, nonobstant la disparition du zinc, la société requérante sest retrouvée pendant plusieurs années dans limpossibilité dentamer une procédure contre lÉtat afin de prouver que les autorités avaient failli à leur obligation de protéger ses biens et de réclamer une indemnisation en raison de leur manquement (voir aussi paragraphe 46 ci-dessus, in fine).
De lavis de la Cour, la société requérante a ainsi dû supporter une charge excessive, incompatible avec le respect de larticle 1 du Protocole no 1. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
PETYO PETKOV C. BULGARIE du 7 janvier 2010 Requête no 32130/00
La CEDH constate que la durée de la saisie d'une voiture rendue quand elle a perdu toute valeur, a porté atteinte à la propriété individuelle.
102. La Cour rappelle que l'article 1 du Protocole n°1 ne prohibe pas la saisie d'un bien à des fins d'administration de la preuve dans le cadre d'une procédure pénale. Toutefois, il s'agit d'une mesure qui restreint temporairement l'usage des biens et qui, dès lors, pour répondre aux exigences du l'article 1 du Protocole n°1, doit être prévue par la législation interne, poursuivre un but légitime et être proportionnée au but poursuivi (voir l'arrêt Karamitrov et autres, précité, § 72).
103. La Cour observe que la saisie du véhicule du requérant était prévue par les dispositions du code de procédure pénale (voir l'arrêt Karamitrov et autres, précité, §§ 29 à 33) et que le requérant ne conteste ni la prévisibilité, ni l'accessibilité des dispositions législatives en cause (voir paragraphe 100 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime que les parties s'accordent sur l'existence de cette première condition pour la régularité de la mesure litigieuse et elle ne voit pas de raison d'arriver à une conclusion différente dans le cas d'espèce.
104. Elle observe ensuite que la voiture du requérant a été saisie comme preuve matérielle dans le cadre des poursuites pénales menées à son encontre et qu'elle a fait l'objet d'une identification par un témoin (voir paragraphe 9 ci-dessus). A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la mesure en cause visait le but légitime d'assurer le bon fonctionnement de la justice et qu'elle relevait donc du domaine de l'intérêt général.
105. Il reste donc à déterminer si les autorités ont ménagé en l'occurrence un juste équilibre entre l'intérêt général et le droit du requérant d'utiliser son bien. Pour déterminer la proportionnalité de la mesure en cause, la Cour estime opportun de prendre en compte sa durée, sa nécessité au vu du déroulement des poursuites pénales, les conséquences de son application pour le requérant et les décisions prises par les autorités à ce sujet pendant et après le fin du procès pénal.
106. La Cour constate que le véhicule de l'intéressé a été saisi le 5 février 2002 et lui a été restitué le 26 avril 2006. La mesure en cause a donc été appliquée pendant plus de quatre ans. La Cour relève ensuite que le véhicule saisi n'était pas simplement un moyen de locomotion pour le requérant, mais son principal outil de travail : il était chauffeur de taxi et la voiture lui servait pour transporter des clients (voir paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Par ailleurs, la voiture lui a été restituée en panne et sans un certain nombre d'accessoires, ce que le Gouvernement ne conteste pas (voir paragraphe 99 ci-dessus). Ainsi, la mesure en cause a pu affecter également l'activité professionnelle principale du requérant, notamment pendant la période suivant sa libération.
107. Il ressort des pièces du dossier que les actes d'instruction impliquant la reconnaissance de la voiture saisie ont été effectués au début de la période litigieuse (voir paragraphe 9 ci-dessus). Toutefois, cette preuve matérielle avait une importance particulière pour la vérification de l'alibi du requérant (voir paragraphe 8 ci-dessus) et de là pour l'issue de la procédure pénale. Dans ces circonstances, la Cour admet que la rétention du véhicule du requérant pendant la durée des poursuites pénales à son encontre s'avérait nécessaire.
108. Cependant, la Cour observe que la procédure pénale a pris fin le 19 janvier 2005 avec l'arrêt de la Cour suprême de cassation (paragraphe 13 ci-dessus) et que la rétention du véhicule du requérant comme preuve matérielle n'était plus nécessaire à compter de cette date. L'intéressé n'a pu reprendre possession de la voiture qu'un an et trois mois plus tard. La Cour constate que le retard en cause est imputable aux autorités : les tribunaux internes ont omis d'ordonner la remise du véhicule au requérant après son acquittement (voir paragraphe 11, ci-dessus, in fine), ce qui a obligé ce dernier à intenter une nouvelle procédure pour demander au tribunal de district de se prononcer sur cette question (voir paragraphe 14 ci-dessus). Par ailleurs, le requérant a dû formuler deux demandes consécutives à cet effet, le 2 septembre 2005 et le 9 mars 2006, et le Gouvernement n'a apporté aucun élément susceptible de justifier le retard de l'examen des demandes du requérant. Par ailleurs, les pièces du dossier ne permettent pas à la Cour de constater s'il existait d'autres circonstances susceptibles de justifier la rétention du véhicule de l'intéressé après le 19 janvier 2005.
109. En conclusion, compte tenu de la durée de la mesure en cause, de son impact sur la situation du requérant, du déroulement des poursuites pénales à l'encontre de l'intéressé et des manquements des autorités dans le cas d'espèce, la Cour estime que la rétention du véhicule du requérant n'était plus proportionnée au but légitime poursuivi à compter de la date de son acquittement.
110. Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
TENDAM C ESPAGNE DU 13 JUILLET 2010 REQUETE N°25720/05
UNE PROCÉDURE D'ACCUSATION PENALE NE PEUT PAS PORTER ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ
Le requérant, Hans Erwin Tendam, est un ressortissant allemand né en 1937 et résidant à Santa Cruz de Tenerife (Espagne). En 1986, il fit lobjet de poursuites pénales pour vol et recel, puis fut acquitté. Invoquant larticle 6 § 2 (présomption dinnocence) de la Convention européenne des droits de lhomme, il se plaignait du refus des autorités espagnoles de lui octroyer une indemnisation pour la détention provisoire qui lui fut imposée au cours de la procédure pour vol. Invoquant larticle 1 Protocole no 1 (protection de la propriété), il se plaignait en outre de la disparition et de la détérioration de biens qui lui furent saisis dans le cadre de la procédure pour recel.
La
CEDH suit le requérant et constate une:
- Violation de larticle 6 § 2
- Violation de larticle 1 du Protocole no
1
47. La Cour rappelle que la rétention des biens saisis par les autorités judiciaires dans le cadre d'une procédure pénale doit être examinée sous l'angle du droit pour l'État de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, au sens du second paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1 (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, CEDH 2007-VII, Adamczyk c. Pologne (déc.), no 28551/04, 7 novembre 2006, et Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009). Elle constate qu'en l'espèce, la saisie cherchait non pas à priver le requérant de ses biens, mais seulement à l'empêcher d'en user de façon temporaire, dans l'attente de l'isssue de la procédure pénale.
48. La Cour observe que rien dans le dossier ne permet d'établir que la saisie et la rétention des biens litigieux n'avait pas une base légale. Elle relève que l'ingérence avait pour but de garantir la satisfaction des demandes que d'éventuelles parties civiles auraient pu chercher à formuler (voir, mutatis mutandis, Földes et Földesné Hajlik c. Hongrie, no 41463/02, § 26, CEDH 2006-XII). A cet égard, la Cour admet que la saisie et la rétention des biens objet d'une infraction pénale puisse être nécessaire dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, qui constitue un but légitime relevant de l'intérêt général de la communauté (voir, mutatis mutandis, Smirnov, précité, § 57).
49. Toutefois, la Cour rappelle qu'il doit y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures éventuellement appliquées par l'État, y compris celles destinées à contrôler l'usage de la propriété individuelle. Cette exigence s'exprime dans la notion de « juste équilibre » à ménager entre les impératifs de l'intérêt général de la communauté d'une part et les exigences de la protection des droits fondamentaux de l'individu d'autre part (voir Smirnov, précité, § 57). Par ailleurs, nonobstant le silence de l'article 1 du Protocole no 1 en matière d'exigences procédurales, les procédures applicables en l'espèce doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition. Pour s'assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d'un point de vue général (Zehentner c. Autriche, no 20082/02, § 73, CEDH 2009-...).
50. La Cour a déjà affirmé que toute saisie entraîne un dommage, lequel ne doit toutefois pas dépasser les limites de l'inévitable (Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 33, série A no 281-A). Elle a reconnu en outre que le propriétaire acquitté du chef de contrebande doit en principe avoir le droit de recouvrer les articles saisis à la suite de sa relaxe (Jucys c. Lituanie, no 5457/03, § 36, 8 janvier 2008).
51. Il est vrai que l'article 1 du Protocole no 1 ne consacre pas un droit pour la personne acquittée d'obtenir réparation pour tout dommage résultant de la saisie de ses biens effectuée au cours de l'instruction dans une procédure pénale (voir Adamczyk, décision précitée, et Andrews c. Royaume-Uni (déc.), no 49584/99, 26 septembre 2002). Toutefois, lorsque les autorités judiciaires ou de poursuite saisissent des biens, elles doivent prendre les mesures raisonnables nécessaires à leur conservation, notamment en dressant un inventaire des biens et de leur état au moment de la saisie ainsi que lors de leur restitution au propriétaire acquitté. Par ailleurs, la législation interne doit prévoir la possibilité d'entamer une procédure contre l'État afin d'obtenir réparation pour les préjudices résultant de la non-conservation de ces biens dans un relativement bon état (voir Karamitrov et autres c. Bulgarie, no 53321/99, § 77, 10 janvier 2008, se référant à l'article 13 de la Convention, et Novikov c. Russie, no 35989/02, § 46, 18 juin 2009). Encore faut-il que cette procédure soit effective, pour permettre au propriétaire acquitté de défendre sa cause.
52. En l'occurrence, la Cour observe que le requérant a entamé une action à l'encontre de l'État pour l'endommagement des biens saisis et recouvrés après son acquittement, ainsi que pour la disparition d'une partie des biens saisis et non restitués, sur la base de l'article 292 de la LOPJ relatif au fonctionnement anormal de la justice. La Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter les faits et la législation interne, et la Cour ne substituera pas sa propre appréciation des faits et du droit à la leur en l'absence d'arbitraire (voir, entre autres, Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII). Par ailleurs, il appartient aux États contractants de définir les conditions du droit à réparation en cas de préjudices résultant d'une saisie (Adamczyk, décision précitée).
53. Cela étant, la Cour note qu'en l'espèce, dans l'acte de restitution du 22 janvier 1994 le requérant fit état de la disparition de certains biens, ainsi que de la détérioration de tous les biens recouvrés. Elle observe en outre que dans cet acte, le greffier du juge d'instruction no 1 de La Orotava constata le mauvais état de plusieurs objets. Par ailleurs, il ressort du dossier que certaines demandes de restitution du juge d'instruction à des tiers ayant reçu des biens saisis en 1986 furent infructueuses. A cet égard, la Cour note que ces biens avaient été remis aux prétendues victimes en qualité de dépôt, dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée à l'encontre du requérant. Or, les autorités nationales, et en dernier ressort le Tribunal suprême, ont rejeté la réclamation du requérant, au motif que ce dernier n'avait pas prouvé la disparition et la détérioration des biens saisis.
54. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la charge de la preuve concernant la situation des biens saisis manquants ou dégradés incombait à l'administration de justice, responsable de la conservation des biens pendant toute la période de la saisie, et non au requérant, acquitté plus de sept ans après la saisie des biens. L'administration de justice n'ayant fourni après l'acquittement du requérant aucune justification sur la disparition et la dégradation des biens saisis, les préjudices résultant de la saisie lui sont imputables.
55. La Cour constate que les juridictions internes qui ont examiné la réclamation du requérant n'ont ni tenu compte de la responsabilité de l'administration de justice dans les faits de la cause ni permis au requérant d'obtenir réparation pour les préjudices résultant de la non-conservation des biens saisis.
56. Aux yeux de la Cour, les autorités internes ayant refusé l'indemnisation réclamée par le requérant ont fait peser sur le requérant une charge disproportionnée et excessive.
57. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Satisfaction équitable : question réservée pour décision à une date ultérieure concernant le préjudice matériel et 15 600 euros (EUR) pour dommage moral.
Oao Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie du 20 septembre 2011 requête no 14902/04
La Cour européenne conclut que la Russie na pas détourné de procédure judiciaire pour détruire YUKOS mais constate des violations des droits fondamentaux de cette société notamment dans la procédure pénale qui a porté atteinte aux biens du requérant
Principaux faits
La requérante, OAO Neftyanaya kompaniya YUKOS, (YUKOS), était une société pétrolière et lune des entreprises les plus importantes et florissantes de Russie. Enregistrée à
Nefteyugansk, dans le district autonome de Khantis-Mansis (Fédération de Russie), elle était à 100 % publique jusquà sa privatisation en 1995-1996.
A la fin de lannée 2002, YUKOS fit lobjet dune série de contrôles fiscaux et de procédures fiscales, à lissue desquels elle fut reconnue coupable de fraude fiscale avec récidive, en particulier pour avoir recouru, en 2000-2003, à un montage illégal dévasion fiscale impliquant la création de sociétés fictives.
Le 15 avril 2004, une procédure judiciaire fut ouverte contre YUKOS concernant lannée fiscale 2000 et il fut interdit à la société de vendre certains actifs en attendant lissue de laffaire. Le 26 mai 2004, le tribunal de commerce de Moscou condamna YUKOS à verser un montant total de 99 375 110 548 roubles (RUB), soit environ 2 847 497 802 euros (EUR), en arriérés dimpôts, intérêts et pénalités. Son jugement fut rendu public le 28 mai 2004. YUKOS interjeta appel et la procédure dappel débuta le 18 juin 2004. Le 29 juin 2004, linstance dappel débouta YUKOS, rejetant notamment ses moyens tirés de ce que la procédure aurait présenté des irrégularités et de ce quelle naurait pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense.
Le 7 juillet 2004, YUKOS forma en vain un pourvoi en cassation contre les décisions du 26 mai et du 29 juin 2004 et, parallèlement, contesta celles-ci par voie de révision devant la Cour suprême de commerce russe. Elle soutenait notamment que les faits retenus contre elle étaient prescrits, excipant de ce que larticle 113 du code des impôts russes naurait permis dimposer des pénalités à un contribuable coupable de fraude que dans un délai de trois ans commençant à courir à compter du premier jour suivant lannée fiscale concernée.
Le présidium de la Cour suprême de commerce (« le présidium ») sollicita lavis de la Cour constitutionnelle, laquelle confirma, par une décision du 14 juillet 2005, que le délai de prescription de trois ans fixé par larticle 113 devait sappliquer mais que, en cas dobstruction au contrôle fiscal par le contribuable, ce délai sarrêtait dès la production du rapport de contrôle fiscal. Le 4 octobre 2005, sur la base de cette décision, le présidium rejeta le recours de YUKOS au motif que, cette société ayant énergiquement fait obstacle aux contrôles fiscaux en question et le rapport du ministère des Finances pour lannée 2000 lui ayant été signifié le 29 décembre 2003, cest-à-dire dans le délai de trois ans, il ny avait pas eu prescription.
En avril 2004, les autorités russes ouvrirent également une procédure de recouvrement, qui se solda par la mise sous séquestre des actifs de YUKOS sis en territoire russe, par le blocage partiel de ses comptes bancaires russes et par la saisie des actions de ses filiales russes.
Le 2 septembre 2004, le ministère des Finances estima que YUKOS avait recouru essentiellement au même montage fiscal en 2001 quen 2000. Au motif que la société avait été récemment reconnue coupable dune infraction similaire, la pénalité imposée fut doublée.
Au total, YUKOS fut condamnée à payer 132 539 253 849,78 RUB (soit environ 3 710 836 129 EUR) pour lannée fiscale 2001; 192 537 006 448,58 RUB (soit environ 4 344 549 434 EUR) pour 2002 ; et 155 140 099 967,37 RUB (soit environ 4 318 143 482 EUR) pour 2003.
YUKOS devait également verser aux huissiers des frais de recouvrement qui sélevaient à 7 % du total de la dette et dont le paiement ne pouvait être suspendu ou rééchelonné.
YUKOS était tenue de payer toutes ces sommes dans des délais très brefs et elle demanda à plusieurs reprises en vain lallongement de ces délais.
Le 20 juillet 2004, le ministère de la Justice annonça la vente prochaine par adjudication dOAO Yuganskneftegaz, la filiale de production principale de YUKOS, donc son actif le plus précieux. Le 19 décembre 2004, 76,79 % des actions de cette filiale furent adjugées aux fins du recouvrement de la dette fiscale de YUKOS. Deux jours plus tard, les huissiers évaluèrent la dette consolidée de YUKOS à 344 222 156 424,22 RUB (soit 9 210 844 560,93 EUR).
YUKOS fut déclarée insolvable le 4 août 2006 et mise en liquidation le 12 novembre 2007.
Recevabilité
La Cour examine si laffaire est recevable ou non au regard des dispositions de larticle 35 § 2 de la Convention, aux termes duquel elle ne retient aucune requête qui est essentiellement la même quune requête déjà soumise à une autre instance internationale et qui ne contient pas de faits nouveaux.
La Cour considère que linstance introduite à la Cour permanente darbitrage de La Haye par les actionnaires majoritaires de YUKOS ainsi que les procédures ouvertes en vertu de traités bilatéraux dinvestissement par des groupes dactionnaires minoritaires de YUKOS ne sont pas « essentiellement les mêmes » que celle en lespèce. Les demandeurs dans ces procédures arbitrales étaient des actionnaires de YUKOS agissant en leur qualité dinvestisseurs, et non YUKOS elle-même, qui était encore alors une entité juridique indépendante. La Cour relève en outre que laffaire dont elle est aujourdhui saisie a été introduite et poursuivie par YUKOS pour son propre compte. Dès lors, les parties dans ces procédures arbitrales et en lespèce sont différentes et les deux cas ne sont pas «essentiellement les mêmes» au sens de larticle 35 § 2 b). La Cour en conclut, par six voix contre une, que rien ne lempêche dexaminer la présente affaire.
Article 6 §§ 1 et 3 b)
En ce qui concerne la procédure fiscale pour lannée 2000, la Cour constate une violation de larticle 6 §§ 1 et 3 b) aux motifs que YUKOS navait pas eu suffisamment de temps (quatre jours) pour étudier le dossier (au moins 43 000 pages) en première instance, et que le bref laps de temps (21 jours) écoulé entre la fin de la procédure devant le tribunal de première instance, dont le jugement a été publié le 28 mai 2004, et le début de la procédure dappel (le 18 juin 2004), réduisant ainsi de neuf jours le délai légal, a nui à la capacité de YUKOS à présenter ses arguments et, plus généralement, à préparer le procès en appel.
En revanche, la Cour ne considère pas que laction dirigée contre YUKOS fût arbitraire ou injuste; que les tribunaux aient arbitrairement ou injustement restreint le comportement des conseils de YUKOS au cours du procès ; que le tribunal de Moscou ait statué sans avoir étudié le dossier ; ni que laccès de YUKOS à un pourvoi en cassation ait été injustement limité.
Article 1 du Protocole no 1
Procédure fiscale pour les années 2000-2001
Constatant que la procédure fiscale dirigée contre YUKOS était de nature pénale, la Cour rappelle que la loi seule peut définir une infraction ainsi que la peine concomitante et quelle doit être accessible et prévisible. Or la décision du 14 juillet 2005 a modifié les règles régissant le délai de prescription légal en introduisant une exception qui a eu une incidence sur lissue de la procédure fiscale pour 2000.
Cest sur la base de cette même condamnation fondée sur larticle 122 du code des impôts dans le cadre de la procédure fiscale pour 2000 que YUKOS a également été jugée récidiviste, doublant ainsi les pénalités imposées dans le cadre de la procédure fiscale pour 2001.
La Cour en conclut à la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à raison de limposition et du calcul des pénalités lors des redressements fiscaux pour 2000-2001 pour deux raisons, en loccurrence la modification rétroactive des règles régissant le délai de prescription légal et le doublement en conséquence des pénalités dues pour lannée fiscale 2001.
Autres éléments concernant la procédure fiscale (2000-2003)
La Cour constate que, pour le reste, la procédure fiscale pour les années 2000 à 2003 était prévue par la loi, poursuivait un but légitime, à savoir obtenir le paiement dimpôts, et constituait une mesure proportionnée. Les taux des amendes et intérêts nétaient pas particulièrement élevés et rien ne permet de dire quils aient fait peser sur YUKOS un fardeau singulier ou disproportionné. Aussi la Cour ne constate-t-elle aucune violation de larticle 1 du Protocole no 1 concernant cette procédure pour le surplus.
Procédure de recouvrement
La Cour estime que le recouvrement des dettes fiscales nées des redressements opérés pour les années fiscales 2000 à 2003 a donné lieu à la saisie des actifs de YUKOS, à des frais de recouvrement sélevant à 7 % du montant total de la dette et à la vente forcée dOAO Yuganskneftegaz. Ces mesures ont porté atteinte aux droits que YUKOS tire de larticle 1 du Protocole no 1.
Tout au long de la procédure, les mesures prises par les diverses instances intervenues étaient manifestement prévues par la loi et les dispositions légales en question étaient suffisamment précises et claires pour satisfaire aux critères de la Convention.
La Cour constate que YUKOS était lun des plus gros contribuables de Russie et quelle a été soupçonnée puis reconnue coupable de sêtre servie dun montage dévasion fiscale de 2000 à 2003. Il semble évident que cette société navait pas suffisamment de liquidités dans ses comptes bancaires russes pour sacquitter immédiatement de sa dette fiscale et que, compte tenu de la nature et de lampleur de cette dette, aucun tiers naurait vraisemblablement accepté de laider par loctroi dun prêt ou dune quelconque forme de garantie. Compte tenu de lampleur de cette évasion fiscale, des sommes en jeu pour les années 2000 à 2003, du fait que, en droit russe, celles-ci étaient recouvrables presque dès la signification du titre dexécution en question, et des constats précédents de la Cour concernant les amendes infligées pour les années 2000 à 2001, on peut douter que, au moment où les autorités russes ont décidé de saisir et adjuger OAO Yuganskneftegaz, YUKOS fût solvable au sens de larticle 3 de la loi russe sur linsolvabilité (faillite), qui donne en principe au débiteur insolvable, pour rembourser sa dette, «trois mois à compter de la date ou le paiement est censé avoir lieu».
Les griefs de YUKOS sont essentiellement axés sur le bref délai de paiement qui lui avait été imparti et sur la célérité du déroulement de ladjudication.
La Cour considère que les autorités russes nont pas minutieusement et explicitement pris en compte, comme elles étaient tenues de le faire, lensemble des éléments pertinents du processus de recouvrement. En particulier, aucune des différentes décisions prises par elles ne prévoyait ni nenvisageait de quelque manière que ce soit dautres modalités de recouvrement. Or il était capital de le faire pour ménager un équilibre entre les intérêts en cause étant donné que, au vu des sommes déjà dues par YUKOS en juillet 2004, il était assez évident que décider en premier lieu dadjuger OAO Yuganskneftegaz risquait de porter un coup fatal à la capacité de YUKOS à surmonter ses dettes fiscales et à rester en activité.
La Cour admet que les huissiers étaient tenus de suivre la législation russe applicable, ce qui pouvait limiter les modalités de recouvrement possibles. Néanmoins, les huissiers jouissaient encore dune liberté de choix décisive quant à lopportunité de la survie ou non de YUKOS. La Cour estime que ladjudication dOAO Yuganskneftegaz nétait pas une décision dépourvue de tout sens, compte tenu notamment du montant global de la dette fiscale et des réclamations qui étaient alors ou allaient probablement être formées contre YUKOS. Elle considère toutefois que, avant de décider définitivement de vendre lactif qui était le seul espoir de survie de YUKOS, les autorités auraient dû très sérieusement envisager dautres solutions, surtout vu que les actifs de YUKOS en Russie avaient été mis sous séquestre par ordonnance du juge et étaient directement utilisables et YUKOS ne semble pas sopposer ou sêtre opposée à leur vente.
La Cour relève en outre que les frais de recouvrement ont été calculés selon un taux préfix de 7 % que les autorités avaient apparemment refusé de réduire et que YUKOS devait acquitter ces frais avant même de pouvoir rembourser le montant primitif de la dette. Au vu des circonstances de lespèce, ces frais étaient totalement disproportionnés à ceux qui pouvaient être escomptés ou à ceux réellement engagés. Cette application rigide des textes a grandement contribué à la disparition de YUKOS.
Les autorités ont fait preuve de la même inflexibilité sans faille dans la conduite de la procédure de recouvrement, agissant très promptement et refusant constamment daccorder à YUKOS les délais supplémentaires demandés par elle. Ce manque de souplesse a lui aussi eu des conséquences globales négatives sur le déroulement de la procédure de recouvrement contre YUKOS.
Compte tenu de la célérité avec laquelle sest déroulée la procédure de recouvrement, de lobligation de verser lintégralité des frais de recouvrement et de labsence de prise en compte adéquate par les autorités des conséquences de leurs actes, la Cour considère que les autorités russes nont pas ménagé un juste équilibre entre les buts légitimes poursuivis et les mesures employées, en violation de larticle 1 du Protocole no 1.
Article 14
La Cour rappelle que rien dans le dossier ne permet de dire que les instances fiscales ou les juridictions internes étaient globalement au fait des montages fiscaux utilisés par YUKOS en 2000-2003, notamment du recours à des sociétés commerciales enregistrées frauduleusement, ni quelles les avaient auparavant considérés comme conformes à la loi. Les autorités ne peuvent donc passer pour avoir toléré passivement ou approuvé activement ces méthodes.
YUKOS nest pas parvenue à établir que dautres contribuables russes utilisaient ou continuent dutiliser des montages fiscaux identiques ou similaires ni quelle a été prise pour seule cible. Il a été jugé quelle avait employé un montage fiscal extrêmement complexe impliquant notamment lusage frauduleux de sociétés commerciales enregistrées dans des zones à fiscalité privilégiée en Russie. Il ne sagissait pas simplement du recours à des zones de ce type, qui pourrait être légal par ailleurs.
La Cour en conclut à labsence de violation de larticle 14, en combinaison avec larticle 1 du Protocole no 1.
Article 18
La Cour constate que la dette de YUKOS dans le cadre de la procédure de recouvrement avait pour origine des mesures légitimes prises par le gouvernement russe contre lévasion fiscale à laquelle se livrait cette société.
Relevant notamment que YUKOS dit avoir été poursuivie pour des raisons politiques, la Cour reconnaît que laffaire a attiré une attention considérable. Cependant, en dehors des violations constatées, rien nindique que la procédure dirigée contre YUKOS eût connu dautres problèmes ou défaillances qui lui permettraient de conclure que la Russie a détourné cette procédure pour détruire YUKOS et prendre le contrôle de ses actifs.
La Cour en conclut à labsence de violation de larticle 18, en combinaison avec larticle 1 du Protocole no 1, eu égard aux griefs tirés de ce que les biens de YUKOS auraient fait lobjet dune expropriation déguisée et de ce que cette société elle-même aurait été délibérément détruite.
Opinions séparées
Le juge Jebens joint à larrêt lexposé de son opinion partiellement dissidente et le juge Bushev lexposé de son opinion partiellement dissidente, à laquelle se rallie en partie le juge Hajiyev.
Rafig Aliyev C. Azebaïdjan requête n° 45875/06 du 6 décembre 2011
Durée excessive de la détention dun homme daffaires et blocage illégal de ses actifs
Durée de la détention provisoire (article 5 § 3)
La détention provisoire du requérant a duré deux ans et six jours au total. Même si les soupçons raisonnables dont il faisait lobjet au départ ont pu suffire à lorigine à justifier sa détention, au fil du temps, dautres motifs pertinents auraient dû être avancés par les autorités qui auraient dû prendre en considération la situation personnelle de lintéressé.
Les décisions de première instance ont à chaque fois évoqué la gravité des infractions dont le requérant était soupçonné et léventualité quil se soustraie à la justice. Certes, il sagit là déléments pertinents à examiner par les tribunaux pour apprécier la nécessité de maintenir une personne en détention dans lattente de son procès et de son jugement, mais ils ne sont en soi pas suffisants. Loin dexaminer les circonstances personnelles du requérant et comment celles-ci ont pu évoluer au fil du temps, les tribunaux ont utilisé une formule stéréotypée et nont pas vérifié au cours de la procédure si les motifs initiaux sur lesquels ils avaient fondé la décision de mise en détention restaient valables tout au long de la procédure.
Quant à la décision de la cour dassises prolongeant la détention du requérant, elle a été prise à légard de plusieurs suspects collectivement. Dès lors, la cour dassises a failli à apprécier la situation au cas par cas et à donner des motifs propres à chaque détenu, en violation des garanties de larticle 5 § 3.
Dès lors, la Cour conclut à la violation de cette disposition.
Contrôle de la détention provisoire (article 5 § 4)
Le droit interne donnait au requérant la possibilité de contester les décisions ordonnant et prolongeant sa détention. Il a formé des recours contre toutes ces décisions. Or, sil a assisté aux débats concernant son premier recours contestant sa mise en détention, il a été absent de toutes les audiences relatives à ses recours ultérieurs par lesquels il a contesté la prolongation de sa détention, son avocat étant seul présent.
Compte tenu de la durée totale de la détention provisoire du requérant et de lenjeu pour celui-ci, à savoir sa liberté, les juridictions nationales auraient dû veiller à lentendre en personne et donc à lui donner la possibilité de présenter directement sa situation personnelle et les arguments militant pour sa libération. A défaut, les tribunaux auraient dû sassurer quil bénéficiait de la représentation effective dun avocat.
Toutefois, si son avocat était présent aux audiences du tribunal, ces audiences étaient purement formelles, et nétaient pas véritablement contradictoires. De plus, les observations de laccusation nont pas été transmises à lavocat de la défense, ce qui a privé celui-ci de la possibilité de contester effectivement les raisons invoquées par le parquet pour prolonger la détention provisoire. Les tribunaux nont pas même répondu aux moyens spécifiques avancés par le requérant dans ses observations écrites contestant son maintien en détention, alors que ses arguments nétaient ni hors de propos ni manifestement dépourvus de fondement.
La Cour conclut que les tribunaux azerbaïdjanais ont failli à procéder à un contrôle juridictionnel de la nature et de la portée requises par la Convention, en violation de larticle 5 § 4 de celle-ci.
Droit à la protection des biens (article 1 du Protocole n° 1)
Etant donné que le requérant ne sest pas au préalable plaint devant les tribunaux nationaux de la perquisition et de la saisie de ses possessions familiales et personnelles, la Cour déclare ce grief irrecevable.
Quant à la mise sous séquestre de ses parts sociales de la Banque de Bakou, la Cour relève que le requérant nen a pas été privé mais quil a été temporairement empêché den faire usage et den disposer jusquà son procès. Le droit azerbaïdjanais de lépoque nautorisait que la mise sous séquestre des actifs des individus «accusés» dune infraction, en vue de garantir une éventuelle peine de confiscation imposée à lissue dune procédure pénale. Toutefois, au moment où la décision de saisie a été prise, le requérant nétait pas « accusé » puisquil navait pas été formellement inculpé des infractions spécifiques dont les parts sociales de la banque étaient considérées comme étant le produit. La Cour observe que, certes, il appartient en premier lieu aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, dappliquer et dinterpréter le droit interne, et rappelle que son propre pouvoir à cet égard est limité, mais elle relève que ni les tribunaux azerbaïdjanais ni le Gouvernement nont expliqué pourquoi et comment les dispositions sur la mise sous séquestre des biens des « accusés » pouvaient sappliquer au requérant à un moment où celui-ci navait pas été inculpé des infractions en question.
En conséquence, la saisie des parts de lintéressé dans le capital de la Banque de Bakou nétait pas prévue par la loi. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
DRAGHICI c. PORTUGAL du 19 juin 2014 requête 43620/10
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : un bien saisi à titre préventif n'est pas rendu à la fin du procès pénal alors qu'une décision pénale ordonnait de le rendre.
30. Le requérant se plaint de ne pas avoir récupéré les biens saisis au moment de la perquisition, alors que le tribunal de Lisbonne avait ordonné, dans son jugement du 10 avril 2007, quils soient restitués lorsque le jugement deviendrait définitif.
31. Le Gouvernement allègue que la saisie et la rétention des biens étaient prévues par la loi et justifiées, eu égard aux exigences de la procédure pénale.
32. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, quune ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. En particulier, le second paragraphe de larticle 1, sil reconnaît que les États ont le droit de réglementer lusage des biens, soumet ce droit à la condition quil soit exercé au travers de la mise en vigueur de « lois ». Le principe de légalité présuppose également que les dispositions applicables du droit interne soient suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Baklanov c. Russie, no 68443/01, §§ 39-40, 9 juin 2005).
33. La Cour admet que la rétention de preuves matérielles puisse être nécessaire dans lintérêt dune bonne administration de la justice, qui constitue un « but légitime » relevant de « lintérêt général » de la communauté. Toutefois, elle observe quil doit aussi y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures éventuellement appliquées par lÉtat, y compris celles destinées à contrôler lusage de la propriété individuelle. Cette exigence sexprime dans la notion de « juste équilibre » à ménager entre les impératifs de lintérêt général de la communauté dune part et les exigences de la protection des droits fondamentaux de lindividu dautre part (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, 7 juin 2007, Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009).
34. En lespèce, la Cour constate que la saisie des biens du requérant avait été ordonnée conformément à larticle 178 § 1 du code de procédure pénale, cette mesure cherchait, non pas à le priver de ses biens, mais seulement à lempêcher de les utiliser de façon temporaire dans lattente de lissue de la procédure pénale. La saisie poursuivait donc un intérêt général, à savoir la bonne administration de la justice.
35. La Cour observe ensuite que, dans son jugement du 10 avril 2007, le tribunal de Lisbonne avait dicté la restitution des biens saisis à leurs propriétaires au moment où le jugement deviendrait définitif. Or, ce nest que le 14 septembre 2012 que le requérant a été mis en possession de ses biens, soit plus de quatre ans après la clôture de la procédure pénale et plus de deux ans après son expulsion vers la Roumanie. Le Gouvernement na fourni aucune explication à cet égard.
36. La Cour ne parvient pas discerner la moindre raison justifiant la poursuite de la rétention des biens après la clôture de la procédure pénale.
37. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que autorités portugaises nont pas ménagé un « juste équilibre » entre les impératifs de lintérêt général et les exigences de la protection du droit du requérant au respect de ses biens. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no1.
LA SAISIE D'UN BIEN QUI SERT A L'INFRATION
Ya?ar c. Roumanie du 26 novembre 2019 requête n° 64863/13
Non violation de l'article 1 du Protocole 1 : La confiscation dun navire utilisé pour des activités de pêche illégale dans la mer Noire était justifiée
Laffaire concernait la confiscation du navire de M. Yasar, lequel avait été utilisé pour des activités de pêche illégale dans la mer Noire. La Cour constate en particulier que ladite confiscation a constitué une privation de propriété en ce que le navire a finalement été vendu à un particulier et largent de la vente versé à lÉtat. Elle juge toutefois que les juridictions internes ont soigneusement mis en balance les droits en jeu et estimé à juste titre que les exigences de lintérêt général de prévenir des activités menaçant gravement les ressources biologiques de la mer Noire lemportaient sur le droit de propriété de M. Yasar.
LES FAITS
Le requérant, Erol Yasar, est un ressortissant turc né en 1971. Il réside à Çayirli (Turquie). Le navire de M. Yasar fut confisqué en 2010 lorsque des poursuites pénales furent engagées contre son capitaine, Kadir Dikmen, qui utilisait ledit navire en vertu dun accord verbal avec le requérant. M. Dikmen fut déclaré coupable en 2012 à la suite dune procédure simplifiée au cours de laquelle il avait reconnu, en particulier, avoir pêché sans avoir de permis pour ce navire et avoir utilisé du matériel de pêche sans autorisation. Pendant la procédure, M. Yasar produisit une copie de son titre de propriété et déclara que le navire avait été « pris à son insu dans les eaux territoriales roumaines ». Le jugement devint définitif à légard de M. Dikmen, mais laffaire fut renvoyée pour réexamen relativement à la confiscation. Les juridictions considérèrent que la mesure de confiscation navait pas été prise dans le cadre dune procédure contradictoire en ce que le propriétaire du navire navait pas été cité à comparaître dans la procédure dirigée contre M. Dikmen. Au cours de la seconde procédure, M. Yasar fut cité à comparaître et représenté par un avocat de son choix, qui plaida que la confiscation était disproportionnée compte tenu de la valeur importante du navire et de labsence de tout dommage avéré. Par une décision définitive rendue en 2013, les juridictions conclurent toutefois que M. Yasar savait nécessairement que le navire avait été utilisé pour les infractions en cause compte tenu de la présence à bord de matériel spécifiquement utilisé pour la pêche illégale, dont il avait reconnu quil lui appartenait. Elles évoquèrent également la gravité de linfraction commise au moyen du navire confisqué, ce type dinfraction pouvant porter préjudice aux réserves de poissons protégés dans la mer Noire et provoquant fréquemment des blessures aux dauphins.
Le navire fut finalement vendu à un particulier en 2016 pour un montant denviron 1 900 euros, sa valeur sétant dans lintervalle fortement dépréciée. Largent de la vente fut versé au Trésor public.
ARTICLE 1 PROTOCOLE 1
Aucune des deux parties ne conteste le fait que la confiscation du navire de M. Yasar a constitué une ingérence dans lexercice par lintéressé de son droit au respect de ses biens. La Cour considère par ailleurs que ladite confiscation sanalyse en une privation de propriété en ce quil sagit dune mesure permanente qui a comporté un transfert définitif de propriété en 2016. Cette ingérence était prévue par la loi, à savoir le droit interne en matière de pêche et daquaculture, et elle poursuivait le but légitime de prévenir les activités menaçant gravement les ressources biologiques de la mer Noire, telles que la pêche illégale. La confiscation a donc été ordonnée dans lintérêt général. La Cour cherche ensuite à déterminer si lingérence a ménagé un juste équilibre entre les exigences de lintérêt général et la protection du droit de propriété du requérant. Elle observe tout dabord que M. Yasar a bénéficié dune possibilité raisonnable de présenter ses arguments devant les autorités nationales. Son affaire a, en particulier, été renvoyée pour réexamen afin que la mesure de confiscation soit prononcée à lissue dune procédure contradictoire. Dans la procédure de réexamen, lintéressé a été cité à comparaître, il a été représenté par un avocat de son choix et il a eu la possibilité de présenter les moyens de preuve et les arguments quil a estimés nécessaires pour sauvegarder ses intérêts. Rien dans le dossier nindique que les tribunaux roumains ont fait preuve darbitraire dans lappréciation des éléments de preuve. Par ailleurs, les juridictions ont soigneusement mis en balance les droits en jeu, se référant à la gravité de linfraction commise au moyen du navire et jugeant que la confiscation sous la forme dun équivalent monétaire serait inappropriée. La confiscation du navire na pas non plus imposé une charge exorbitante à M. Yasar : devant les tribunaux celui-ci na démontré ni la valeur du navire ni le fait que, comme il lalléguait, la location dudit navire était sa seule source de revenu. Le navire a finalement été vendu pour un montant de 1 900 EUR environ. Il ny a donc pas eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
LA SAISIE D'UN BIEN ACQUIS PAR UN GAIN DÉLICTUEUX
Godlevskaya c. Russie du 7 décembre 2021 requête no 58176/18
Article 1 du Protocole 1 : La saisie-vente des biens de la requérante, en raison de la condamnation de son ex-époux, nétait pas prévue par le droit interne
Violation de larticle 1 du Protocole n o 1 (protection de la propriété) de la Convention européenne des droits de lhomme Laffaire concerne une saisie-vente (????????? ????????? ?? ?????????) des biens immobiliers de la requérante ordonnée judiciairement consécutivement à la condamnation pénale de son ex-époux. La Cour précise que la saisie-vente sanalyse en une ingérence relevant de la réglementation de lusage des biens dans le droit de la requérante au respect de ses biens. Elle rappelle que toute mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit avoir une base légale en droit interne. En lespèce, elle conclut que cette mesure était dépourvue de base légale et quil y a violation de la Convention.
Art 1 P1 Respect des biens Illégalité de la saisie-vente sans indemnisation, non encore exécutée, des immeubles de la requérante ordonnée judiciairement par suite de la condamnation pénale de son ex-époux
FAITS
En 1996, la requérante se maria avec G. avec lequel elle conclut un contrat de mariage en 2000. Entre 2011 et 2014, la requérante acheta deux appartements et un local. En 2015, les époux divorcèrent. Entretemps, en 2011, une enquête pénale fut ouverte pour détournement de fonds de lusine où G. était directeur depuis 2006. En 2015, ce dernier fut mis en examen dans cette affaire. Lannée suivante, à la demande de lusine, qui sétait constituée partie civile, le tribunal autorisa la saisie provisoire des biens immobiliers de la requérante, estimant quil y avait des raisons plausibles de croire que lesdits biens avaient été obtenus au moyen dagissements délictueux de G. Cette décision fut confirmée par la cour régionale. En 2017, G. fut condamné à deux ans demprisonnement avec sursis pour deux faits de détournement de fonds commis entre 2007 et 2009. Notant que les immeubles litigieux avaient été acquis pendant le mariage de G. au nom de la requérante, le tribunal ordonna leur saisie-vente au profit de lusine. Lappel et le pourvoi formés par la requérante furent rejetés. Cette dernière engagea ensuite trois actions au civil en mainlevée de saisies (???? ?? ???????????? ?? ??????) qui furent également rejetées. En 2020, G. décéda.
Article 1 du Protocole n° 1
La Cour observe que le contrat de mariage plaçant la requérante et G. sous le régime de la séparation des biens na été ni contesté, ni annulé, ni résilié, que lintéressée a acheté les immeubles litigieux et les a fait enregistrer à son nom, et quelle en est propriétaire au sens du droit russe. Elle considère donc que ces immeubles sont les « biens » de la requérante au sens de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention. Elle estime ensuite quune saisie-vente, quoique non encore exécutée, sanalyse en une ingérence relevant de la réglementation de lusage des biens dans le droit de la requérante au respect de ses biens. Elle rappelle aussi que toute mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit avoir une base légale claire en droit interne. Ceci est dautant plus vrai sagissant dune privation définitive et sans indemnisation des biens dorigine licite dune personne qui na été ni pénalement poursuivie ni a fortiori condamnée. Elle note à cet égard que, pour justifier la saisie-vente, les juridictions russes ont invoqué différentes dispositions, à savoir les articles 115 § 3 et 299 § 11 du code de procédure pénale (CPP) et larticle 45 du code de la famille. Elle décide dexaminer successivement chacune de ces dispositions afin de vérifier si le droit interne offrait une base légale répondant aux exigences de la sécurité juridique inhérentes à larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention. En ce qui concerne larticle 115 § 3 du CPP, elle observe demblée que cette disposition régit les seules mesures temporaires de saisie (????????? ??????), et non les saisies-ventes qui emportent la privation définitive des biens concernés (????????? ?????????). Concernant larticle 299 § 1 du CPP, elle constate que celui-ci renferme une liste de « questions » que le tribunal doit trancher lorsquil rend un jugement de condamnation ou de relaxe. Si lalinéa 11 de larticle 299 § 1 oblige le tribunal à se prononcer sur le sort des biens saisis, il ne peut être considéré, en tant que tel, comme constituant une base légale suffisamment claire et prévisible au regard de larticle 1 du Protocole n o 1 pour justifier la saisie-vente. En effet, le Gouvernement na jamais soutenu que lexpression « se prononcer sur le sort des biens » puisse être comprise comme autorisant le transfert de propriété des biens. Il ressort également, de larrêt de la Cour constitutionnelle du 17 avril 2019 que larticle 299 CPP ne peut pas servir de base légale à une saisievente de biens appartenant à des tiers aux fins de lindemnisation de victimes dun délit pénal. Quant à larticle 45 § 2 du code de la famille, la Cour note quil permet de procéder à une saisievente des biens, totale ou partielle, si un jugement de condamnation pénale établit quun bien commun aux époux a été acquis ou revalorisé au moyen de fonds provenant de lactivité illicite de lun des époux. Cet article pouvait donc constituer une base légale pour lingérence à deux conditions, cumulatives : 1) la mesure devait viser des biens communs aux époux ; 2) il fallait quun jugement de condamnation pénale établisse que ces biens communs avaient été acquis ou revalorisés au moyen de fonds provenant de lactivité délictueuse. Or, il na pas été démontré que ces conditions se trouvaient réunies dans le cas de la requérante. En effet, la saisie-vente litigieuse concerne un bien propre de la requérante et non un bien commun aux époux. En outre, les juridictions pénales ont admis que le patrimoine propre de la requérante était suffisant pour lui permettre dacheter les immeubles litigieux, et elles nont jamais établi que les fonds détournés avaient servi à financer ces acquisitions. Dès lors, larticle 45 § 2 du code de la famille ne peut pas constituer une base légale suffisante pour fonder lingérence litigieuse en lespèce. Par conséquent, le Gouvernement nayant cité aucune autre disposition susceptible de fonder la saisie-vente relative aux immeubles de la requérante, la Cour conclut que cette mesure était dépourvue de base légale. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole n o 1 à la Convention.
CEDH
Sur lexistence de biens et dune ingérence dans le droit de la requérante, et sur la règle applicable
48. La Cour observe que le contrat de mariage plaçant la requérante et G. sous le régime de la séparation des biens na été ni contesté, ni annulé, ni résilié, que lintéressée a acheté les immeubles litigieux et les a fait enregistrer à son nom, et quelle en est propriétaire au sens du droit russe. Elle considère donc, sans préjudice de la question distincte de la provenance des fonds qui ont permis ces acquisitions, que ces immeubles sont les « biens » de la requérante au sens de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Une saisie-vente, quoique non encore exécutée, sanalyse en une ingérence relevant de la réglementation de lusage des biens dans le droit de la requérante au respect de ses biens, au sens du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (Bokova c. Russie, no 27879/13, § 51, 16 avril 2019). Il convient dès lors de déterminer si cette ingérence répond aux exigences de cette disposition.
b) Sur la légalité de lingérence
50. La Cour rappelle que toute mesure dingérence dans le droit au respect des biens doit avoir une base légale en droit interne (G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 292, 28 juin 2018) et ne pas être arbitraire (Vistin et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 69, 25 octobre 2012). La légalité constitue une condition primordiale de la compatibilité avec larticle 1 du Protocole no 1 dune ingérence dans un droit protégé par cette disposition (Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 112, 13 décembre 2016), et implique que les normes de droit interne soient suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application afin de prévenir des atteintes arbitraires de la puissance publique (Lekic c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 95, 11 décembre 2018). À cet égard, même si la Cour ne peut que dans une certaine mesure apprécier les faits et examiner les conclusions des instances internes (Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018), le principe de légalité lui commande de vérifier si la manière dont les juridictions internes ont appliqué le droit national a produit des effets conformes aux principes de la Convention (Lelas c. Croatie, no 55555/08, § 76, 20 mai 2010, avec les références qui y sont citées).
51. En lespèce, la mesure contestée nest pas une confiscation darmes ou du produit dune activité criminelle, au sens de larticle 104.1 du code pénal russe (voir OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo c. Russie, no 5738/18, §§ 40-41, 7 avril 2020). La requérante na pas non plus été appelée à laffaire comme défenderesse civile, cest-à-dire quelle na pas été déclarée civilement responsable du préjudice causé par un délit pénal (ibidem, § 46). Enfin, les immeubles litigieux nont pas été qualifiés de preuves dans laffaire pénale, au sens des articles 81 et 82 du CPP (voir OOO KD-Konsalting c. Russie, no 54184/11, §§ 30-32, 29 mai 2018). Ainsi, et les parties ne prétendent dailleurs pas le contraire, aucune de ces dispositions ne pouvait constituer une base légale pour lingérence.
52. En loccurrence, pour justifier la mesure contestée une saisie-vente ordonnée dans le cadre dun procès pénal aux fins de la réparation du préjudice matériel causé à la victime et partie civile , les juridictions russes ont invoqué différentes dispositions : les articles 115 § 3 et 299 § 11 du CPP et larticle 45 du code de la famille (paragraphes 15 et 19 ci-dessus).
53. Gardant à lesprit que la mesure litigieuse constitue une ingérence grave, visant à la privation définitive sans indemnisation de biens dune personne qui na pas été accusée davoir commis une infraction ni a fortiori condamnée, la Cour examinera successivement chacune de ces dispositions invoquées afin de vérifier si le droit interne offrait une base légale répondant aux exigences de la sécurité juridique inhérentes à larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
54. Tout dabord, en ce qui concerne larticle 115 § 3 du CPP, elle observe demblée que cette disposition régit les seules mesures temporaires de saisie (????????? ??????), et non les saisies-ventes qui emportent la privation définitive des biens concernés (????????? ?????????). Ainsi, elle ne peut souscrire aux conclusions des juridictions russes (voir, en particulier, paragraphe 19 ci-dessus), ni à la thèse du Gouvernement selon laquelle la saisie-vente pouvait être ordonnée sur le même fondement quune saisie temporaire. En effet, une telle analogie ne ressort ni du libellé des dispositions légales ni de la jurisprudence interne produite devant la Cour. Il ressort au contraire de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle quune saisie ordonnée sur le fondement de larticle 115 du CPP na quun caractère temporaire (paragraphe 31 ci-dessus) et ne peut subsister après le jugement de condamnation ou de relaxe qui est devenu définitif, ainsi que la Cour la constaté à plusieurs reprises (voir, dernièrement, par exemple, OOO SK Stroykompleks et autres c. Russie, nos 7896/15 et 48168/17, §§ 56 et 73 in fine, 17 décembre 2019).
55. Ensuite, se tournant vers larticle 299 § 1 du CPP, la Cour constate que celui-ci renferme une liste de « questions » que le tribunal doit trancher lorsquil rend un jugement de condamnation ou de relaxe. Si lalinéa 11 de larticle 299 § 1 oblige le tribunal à se prononcer sur le sort des biens saisis (paragraphe 29 ci-dessus), il ne peut être considéré, en tant que tel, comme constituant une base légale suffisamment claire et prévisible au regard de larticle 1 du Protocole no 1 pour justifier la saisie-vente.
56. En effet, le Gouvernement na jamais soutenu que lexpression « se prononcer sur le sort des biens » puisse être comprise comme autorisant le transfert de propriété des biens. Il ressort également, de larrêt de la Cour constitutionnelle du 17 avril 2019 que larticle 299 CPP ne peut pas servir de base légale à une saisie-vente de biens appartenant à des tiers aux fins de lindemnisation de victimes dun délit pénal (paragraphe 32 ci-dessus). Par ailleurs, cette disposition na pas été retenue par la cour régionale dans larrêt dappel confirmant la condamnation pénale de G. (paragraphes 17-19 ci-dessus). Réitérant quil incombe au premier chef aux autorités nationales dinterpréter le droit interne (par exemple, Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 81, 5 avril 2018), la Cour estime quen lespèce elle na aucune raison de sécarter de la lecture de la législation interne par les juridictions nationales.
57. Quant à larticle 45 § 2 du code de la famille, la Cour note quil permet de procéder à une saisie-vente des biens, totale ou partielle, si un jugement de condamnation pénale établit quun bien commun aux époux a été acquis ou revalorisé au moyen de fonds provenant de lactivité illicite de lun des époux (paragraphe 35 ci-dessus). Cet article pouvait donc constituer une base légale pour lingérence à deux conditions, cumulatives : i) la mesure devait viser des biens communs aux époux ; ii) il fallait quun jugement de condamnation pénale établisse que ces biens communs avaient été acquis ou revalorisés au moyen de fonds provenant de lactivité délictueuse. Or, il na pas été démontré que ces conditions se trouvaient réunies dans le cas de la requérante.
58. Concernant la première de ces conditions, la Cour relève que la saisie-vente litigieuse concerne un bien propre de la requérante et non un bien commun aux époux. Sur ce point, elle observe que ni les dispositions pertinentes du code civil et du code de la famille ni les exemples de pratique interne fournis par le Gouvernement (paragraphes 33-36 et 39 ci-dessus) ne permettent de conclure à linopposabilité à la partie civile au procès pénal de G. du contrat de mariage signé plusieurs années avant les achats immobiliers et les activités illicites en cause.
59. Certes, les biens propres de la requérante pouvaient, conformément à larticle 37 du code de la famille, tomber dans la masse commune sil était établi en justice que, pendant le mariage, des améliorations considérables y avaient été apportées grâce à des fonds de la communauté ou à des fonds propres à son époux. Toutefois, cette disposition concerne lapport d« améliorations considérables » aux biens et non leur acquisition en elle-même, et, à aucun moment dans la présente affaire, cet article 37 na été invoqué ni a fortiori appliqué.
60. De surcroît, sagissant de la seconde condition posée par larticle 45 § 2 du code de la famille à savoir létablissement dans le jugement de condamnation pénale de lacquisition des biens au moyen des fonds détournés par G. , la Cour observe que les juridictions pénales ont admis que le patrimoine propre de la requérante était suffisant pour lui permettre dacheter les immeubles litigieux, et quelles nont jamais établi que les fonds détournés avaient servi à financer ces acquisitions (paragraphes 15 et 18 ci-dessus).
61. Partant, la Cour ne peut considérer que larticle 45 § 2 du code de la famille soit propre à constituer une base légale suffisante pour fonder lingérence litigieuse dans la présente affaire.
62. Eu égard à ce qui précède, la position adoptée par la Cour dans larrêt Bokova (précité) ne peut être transposée dans le présent cas despèce. Dans laffaire Bokova, la Cour avait estimé, en labsence dobservations particulières des parties et avant que la Cour constitutionnelle ne livrât son interprétation de larticle 299 du CPP, que cette disposition pouvait constituer une base légale pour une saisie-vente de biens dune personne tierce à la procédure pénale. Cependant, les circonstances de cette affaire étaient différentes de celles dont la Cour a présentement à connaître. En effet, dans laffaire Bokova, le bien ayant fait lobjet de la saisie-vente était tombé dans la masse commune car il avait été établi au pénal que ce bien avait bénéficié de certains investissements provenant des activités délictueuses du mari de la requérante, et pouvait dès lors être partiellement aliéné en vertu de larticle 45 § 2 du code de la famille (ibidem, §§ 45 et 53). Or, tel nest pas le cas dans la présente affaire.
63. En lespèce, le Gouvernement nayant cité aucune autre disposition susceptible de fonder la saisie-vente relative aux immeubles de la requérante, la Cour conclut que cette mesure était dépourvue de base légale (voir, mutatis mutandis, Frizen c. Russie, no 58254/00, §§ 34-37, 24 mars 2005). Partant, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette conclusion rend superflu lexamen du respect des autres exigences de cet article et des autres arguments des parties.
Djordjevic c. France du 7 octobre 2021 requête no 15572/17
Irrecevabilité Art 1 du Protocole 1 et article 8 La confiscation dun immeuble en application dune peine complémentaire nest pas une mesure disproportionnée pour lutter contre le crime organisé
Laffaire concerne la confiscation dun immeuble appartenant au requérant, condamné pour récidive dassociation de malfaiteurs, en application dune peine complémentaire permettant la confiscation générale du patrimoine. La Cour constate que la confiscation a été ordonnée sur une base légale, accessible, précise et prévisible, visant à lutter contre le crime organisé en réprimant la participation à une association de malfaiteurs par une sanction patrimoniale dissuasive. La Cour relève que la confiscation de patrimoines criminels a acquis une place importante, tant dans lordre juridique de plusieurs États contractants que sur le plan international et quelle est aujourdhui utilisée en tant que sanction indépendante dun délit. Eu égard au caractère hautement répréhensible du comportement du requérant et au profit réalisé par lorganisation criminelle quil dirigeait, la Cour conclut que la confiscation nétait pas disproportionnée. Enfin, la Cour note que le requérant a pu présenter sa cause de manière adéquate devant trois degrés de juridiction.
FAITS
Le requérant, M. Zlatimir Djordjevic, est un ressortissant serbe né en 1961 et résidant à Bondy. Une information judiciaire ouverte en avril 2010, établit quune dizaine de jeunes femmes avaient commis une série de cambriolages en Suisse et en Allemagne entre septembre 2009 et mai 2010. Il fut démontré que ces vols avaient été perpétrés sur les instructions et au profit dhommes appartenant à une même organisation criminelle, que M. Djordjevic contrôlait depuis la région parisienne. Le 22 novembre 2010, le juge dinstruction ordonna la saisie de deux immeubles dhabitation situés à Bondy. Limmeuble A, acquis en indivision par M. Djordjevic et sa compagne en 1990, et où le couple était domicilié, fut évalué à 350 000 EUR. Limmeuble B, dont M. Djordjevic était lunique propriétaire depuis 1998, fut estimé à 817 000 EUR. Le 2 avril 2013, M. Djordjevic fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour récidive dassociation de malfaiteurs. Par un jugement du 9 mai 2014, le tribunal correctionnel de Colmar le déclara coupable. Il ordonna notamment la confiscation de limmeuble A. Tenant compte de son état de santé, le tribunal correctionnel ne délivra pas de mandat de dépôt. En appel, M. Djordjevic et sa compagne ne contestèrent que les confiscations qui avaient été ordonnées. Par un arrêt du 6 octobre 2015, la cour dappel de Colmar infirma la confiscation de limmeuble A et ordonna la confiscation de limmeuble B. Leur pourvoi fut rejeté.
Article 1 du Protocole n° 1
La Cour constate que la confiscation a été ordonnée conformément à larticle 450-1 du code pénal. Cette base légale, accessible, précise et prévisible, vise à lutter contre le crime organisé en réprimant la participation à une association de malfaiteurs par une sanction patrimoniale dissuasive. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que la lutte contre le crime organisé est un but dintérêt général. En ce qui concerne la proportionnalité, la Cour relève que la confiscation de patrimoines criminels a acquis une place importante, tant dans lordre juridique de plusieurs États contractants que sur le plan international et quelle est aujourdhui utilisée non seulement comme moyen de preuve, mais aussi en tant que sanction indépendante dun délit. La Cour a déjà admis quune peine de confiscation puisse porter sur une partie du patrimoine, sans que celle-ci ne constitue ni lobjet, ni le moyen ni le produit direct de linfraction. La Cour souligne que la confiscation litigieuse est venue sanctionner des faits particulièrement graves, commis en récidive légale. La Cour observe en lespèce, que les juridictions internes nont prononcé quune confiscation partielle du patrimoine immobilier du requérant, en tenant compte de lampleur des profits réalisés par lorganisation criminelle dirigée par le requérant. La Cour note que le requérant a pu présenter sa cause de manière adéquate devant trois degrés de juridiction, dans le cadre dun procès pénal contradictoire, durant lequel il a été assisté dun avocat et a pu faire valoir tous ses arguments. Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de lampleur de la marge dappréciation dont disposait lÉtat défendeur, en particulier dans le cadre dune politique visant à combattre des phénomènes criminels, la Cour considère que la confiscation critiquée nest pas disproportionnée par rapport au but dintérêt général poursuivi. Cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit donc être rejetée en application de larticle 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.
Article 8
La Cour constate quaucun élément ne vient établir que le requérant était domicilié dans limmeuble confisqué au moment où les juridictions internes ont statué. À linstar de la cour dappel, la Cour observe par ailleurs que le requérant est propriétaire dun autre bien, situé à proximité immédiate du bien confisqué, où il peut héberger ses proches. La Cour ne relève aucune apparence de violation de larticle 8 de la Convention. Ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de larticle 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
CEDH
26. Même si elle implique une privation de propriété, la Cour considère que la confiscation critiquée relève du second paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1 (voir, notamment, Soun c. Russie, no 31004/02, § 25, 5 février 2009, et Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 85-86, 26 février 2009, et la jurisprudence citée).
27. Elle rappelle par ailleurs que toute ingérence de lautorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens doit être prévue par la loi. De plus, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour reconnaissant aux États une ample marge dappréciation en pareille matière (voir, parmi beaucoup dautres, G.I.E.M. S.R.L. et autres, précité, §§ 292-293). En outre, il doit être offert à la personne concernée une occasion adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes afin de pouvoir contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (ibidem, § 302).
28. La Cour constate que la confiscation contestée a été ordonnée conformément à larticle 450-1 du code pénal (paragraphe 21 ci-dessus), et que cette base légale était accessible, précise et prévisible.
29. Cette disposition vise à lutter contre le crime organisé en réprimant la participation à une association de malfaiteurs par une sanction patrimoniale dissuasive. Aux yeux de la Cour, il ne fait pas de doute que la lutte contre le crime organisé est un but dintérêt général.
30. Sagissant de la proportionnalité, la Cour relève à nouveau que la confiscation de patrimoines criminels a acquis une place importante, tant dans lordre juridique de plusieurs États contractants que sur le plan international (voir, par exemple, les instruments cités aux paragraphes 16, 18 et 20 ci-dessus) et quelle est aujourdhui utilisée non seulement comme moyen de preuve, mais aussi en tant que sanction indépendante dun délit (Tas c. Belgique (déc.), no 44614/06, 12 mai 2009, et Aboufadda c. France (déc.), no 28157/10, § 27, 4 novembre 2014).
31. La Cour a déjà admis quune peine de confiscation puisse porter sur une partie du patrimoine de la personne condamnée, sans que celle-ci ne constitue ni lobjet, ni le moyen ni le produit direct de linfraction (Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 53, CEDH 2001-VII, Loriel c. France (déc.), no 63846/09, 21 septembre 2010, et Aboufadda, précitée, §§ 14 et 31-33). À ce titre, la Cour sattache dabord au comportement du requérant (Grifhorst, précité, §§ 95, 102 et 105, Tas et Loriel, précitées).
32. En lespèce, la Cour relève dabord que les juridictions internes ont estimé que le requérant avait joué un rôle prépondérant dans une organisation criminelle responsable dun nombre considérable de cambriolages. Elles ont souligné celle-ci avait limité le risque pénal encouru par ses membres en exploitant des jeunes femmes parfois mineures et en opérant de manière transfrontalière et itinérante. Dans le choix des peines à appliquer, les juges internes ont pris en compte la particulière gravité des faits imputables au requérant, ses lourds antécédents judiciaires et son état de santé. La Cour convient du caractère hautement répréhensible du comportement du requérant, que son état de récidive vient renforcer.
33. La Cour constate ensuite que les juges internes se sont efforcés dévaluer le produit criminel. Ils ont rappelé que lune des personnes mises en cause avait évalué le produit des seuls vols auxquels avait participé depuis quelle avait rejoint lorganisation à 860 000 EUR (paragraphe 4 ci-dessus). La cour dappel sest attachée à corroborer ses affirmations par divers éléments issus du dossier pénal. Par ailleurs, elle a relevé que le requérant avait constitué un patrimoine immobilier significatif, sans corrélation avec ses revenus professionnels passés.
34. De plus, la Cour observe que les juridictions internes nont prononcé quune confiscation partielle de ce patrimoine immobilier. Dans son arrêt du 6 octobre 2015, la cour dappel a privilégié la confiscation dun immeuble appartenant au seul requérant, dont la valeur correspondait à 70 % de son patrimoine immobilier en France et où il nétait pas domicilié. La Cour relève que la valeur du bien immobilier détenu par le requérant en Serbie est inconnue et que la valeur des autres biens confisqués dans cette affaire apparaît marginale au vu des intérêts en jeu.
35. La Cour note enfin que le requérant a pu présenter sa cause de manière adéquate devant trois degrés de juridiction, dans le cadre dun procès pénal contradictoire, durant lequel il a été assisté dun avocat et a pu faire valoir tous ses arguments.
36. Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de lampleur de la marge dappréciation dont disposait lÉtat défendeur, en particulier dans le cadre dune politique visant à combattre des phénomènes criminels (Yildirim c. Italie (déc.), no 38602/02, § 1, 10 avril 2003, CEDH 2003-IV, et Tas, précitée), la Cour considère que la confiscation critiquée nest pas disproportionnée par rapport au but dintérêt général poursuivi. Manifestement mal fondée, cette partie de la requête doit donc être rejetée en application de larticle 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.
37. Le requérant invoque également une atteinte à son domicile et à sa vie privée et familiale.
38. La Cour constate toutefois que le bien confisqué ne correspondait pas au domicile du requérant au moment où les juridictions internes ont statué. Le requérant a constamment déclaré aux autorités internes quil résidait dans limmeuble A et aucun élément ne vient établir quil occupait alors le bien confisqué, fusse occasionnellement.
39. La Cour relève de plus que le requérant a également déclaré être domicilié dans limmeuble A lors de lintroduction de sa requête et, en dernier lieu, dans le pouvoir quil a signé le 19 mai 2021. La Cour prend note de la production récente dun constat dhuissier établi à la demande du requérant le 3 mai 2021, par lequel celui-ci entend démontrer quil résiderait désormais dans le bien confisqué et quil utiliserait indifféremment les deux habitations. Elle relève pour autant quaucun élément ne vient établir que le requérant était domicilié, ou même résidait, dans limmeuble confisqué au moment où les juridictions internes ont statué.
40. À linstar de la cour dappel, la Cour observe par ailleurs que le requérant reste propriétaire dune maison de grande taille, située à proximité immédiate du bien confisqué, où il peut héberger ses proches.
41. Compte tenu de lensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées devant elle, la Cour na relevé aucune apparence de violation de larticle 8 de la Convention. Manifestement mal fondé, ce grief doit être rejeté en application de larticle 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Todorov et autres c. Bulgarie du 13 juillet 2021 requêtes n° 50705/11, 11340/12, 26221/12, 71694/12, 44845/15, 17238/16 et 63214/16
Art 1 Protocole 1 Confiscation d'avoirs criminels présumés en vertu de la loi sur les produits du crime
Laffaire concerne la saisie de biens appartenant aux requérants dont on pense qu'ils sont le produit d'un crime. La Cour juge en particulier que, dans trois des affaires, les juridictions internes ont examiné les questions de manière approfondie et mis en balance les droits des requérants et lintérêt général. Toutefois, dans les cas où elle a constaté une violation, la Cour estime que les juridictions internes n'ont pas réussi à établir un lien entre les biens confisqués et l'activité criminelle ou entre la valeur des biens et la différence entre les revenus et les dépenses constatés. La décision de confiscation était donc disproportionnée. Une quarantaine de requêtes similaires sont pendantes devant la Cour.
FAITS
Les requérants sont 14 ressortissants bulgares qui vivent à divers endroits en Bulgarie et, dans le cas de Zheko Zhekov, à Athènes (Grèce). Dans chaque requête, au moins un requérant a été condamné pour des infractions - parmi lesquelles abattage illégal de bois, privation de liberté, tentative d'extorsion, détournement de fonds aggravé, détention d'armes à feu, vol qualifié, falsification de documents aggravée, détention illégale de stupéfiants et fraude fiscale - par des tribunaux de différentes régions de Bulgarie entre 2000 et 2012.Toutes ces personnes ont été condamnées en vertu de la loi de 2005 sur les produits du crime. Cette loi permet aux autorités de confisquer certains biens considérés comme des produits du crime. Les requérants ont fait l'objet d'une enquête de la Commission pour la découverte des produits du crime, qui a examiné, entre autres, leurs revenus et leurs dépenses au cours de la période concernée. À la suite des demandes de la Commission, certains biens appartenant aux requérants - tels que des biens immobiliers, des entreprises, des véhicules, de l'argent liquide et ainsi de suite - ont été confisqués par l'État. Les tribunaux nationaux ont conclu que les dépenses des requérants au cours de la période examinée avaient largement dépassé leurs revenus légaux. Les tribunaux ont déclaré que l'on pouvait raisonnablement présumer que les autres actifs acquis étaient les produits du crime. Les arguments avancés par certains des requérants selon lesquels les biens étaient le résultat de dons ou de successions ont été rejetés par les tribunaux. Les arguments des requérants selon lesquels il n'y avait aucun lien entre ces biens et la criminalité ont été jugés sans fondement. Ces décisions ont été confirmées par les juridictions supérieures. L'État n'a pas été en mesure de saisir la totalité des biens en question, notamment parce qu'une partie d'entre eux a été revendue.
CEDH
Article 1 du Protocole n° 1 La Cour rappelle qu'en vertu de la Convention, la privation de propriété est soumise à certaines conditions et que les États contractants peuvent contrôler l'utilisation des biens conformément à l'intérêt général. Il n'a pas été contesté que la confiscation constituait une ingérence dans le droit de propriété des requérants. La Cour est convaincue que la confiscation était légale car elle était fondée sur la loi sur les produits du crime. En outre, elle indique que la saisie d'avoirs obtenus par la criminalité est conforme à l'intérêt général, comme c'est le cas en l'espèce. En ce qui concerne la proportionnalité, la Cour réitère qu'un juste équilibre doit être trouvé entre l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux d'un individu. Une partie de cet équilibre peut inclure la possibilité de soumettre son cas aux autorités compétentes. La Cour note que le large champ d'application de la loi applicable en l'espèce, tant en ce qui concerne les infractions susceptibles d'engager ses pouvoirs que le temps qui peut s'écouler avant l'engagement d'une procédure, peut présenter des difficultés pour les requérants. Elle précise que de tels problèmes de droit pourraient faire pencher la balance des poursuites en faveur de l'État. Il est donc essentiel que cet avantage soit contrebalancé par, notamment, l'obligation de démontrer certains liens avec une criminalité réelle dans la provenance des biens à confisquer. La Cour déclare qu'elle s'en remet aux juridictions internes pour déterminer si une telle compensation a eu lieu, à moins qu'il ne soit démontré que le raisonnement des juridictions a été arbitraire ou manifestement déraisonnable. Dans les affaires Todorov et autres (requête n° 50705/11), Gaich (n° 11340/12), Barov (n° 26221/12) et Zhekovi (n° 71694/12), la Cour estime qu'il n'y a pas eu d'erreur dans le raisonnement des juridictions. Dans les affaires Todorov et autres (requête n° 50705/11), Gaich (n° 11340/12), Barov (n° 26221/12) et Zhekovi (n° 71694/12), la Cour estime qu'il n'y a pas eu de garanties suffisantes pour parvenir au juste équilibre requis pour garantir les droits des requérants au titre de l'article 1 du Protocole n° 1, notamment l'absence d'examen du lien entre les biens et l'activité criminelle présumée et la détermination par les tribunaux de l'adéquation entre les biens confisqués et la différence entre les dépenses et les revenus des requérants. La confiscation de leurs biens a été disproportionnée, entraînant une violation de la Convention. Toutefois, dans les affaires Rusev (no 44845/15), Katsarov (no 17238/16) et Dimitrov (no 63214/16), la Cour estime que les juridictions internes ont examiné les questions en détail - en particulier leurs dépenses et leurs revenus à l'époque -, ont donné à ces requérants la possibilité de présenter des arguments, ont répondu à ces arguments et ont donné une motivation suffisante. La confiscation des biens des requérants n'a pas été disproportionnée et il n'y a pas eu de violation des droits de la Convention dans ces affaires.
Bokova c. Russie du 16 avril 2019 requête no 27879/13
Violation de l'article 1 du Protocole 1 : Aliénation de la maison de la requérante en raison de la condamnation de son époux : garanties procédurales insuffisantes contre larbitraire.
Laffaire concerne la saisie provisoire puis laliénation définitive dune maison appartenant à Mme Bokova acquise par héritage en 2003 par la juridiction pénale ayant jugé puis condamné son mari pour escroquerie. Le tribunal, qui statua sur la responsabilité pénale du mari de Mme Bokova, estima que la maison de cette dernière avait fait lobjet de certains travaux et aménagements pendant la période dactivité illicite de son mari, et en ordonna laliénation afin dindemniser la victime. Ni ce tribunal, ni dautres juridictions saisies par Mme Bokova, ne déterminèrent le montant des investissements dont la maison avait bénéficié pendant lactivité illicite. La Cour juge que Mme Bokova, qui avait hérité de la maison avant le début de lactivité criminelle imputée à son mari, pouvait légitimement prétendre à la conservation dau moins une partie de la valeur de ce bien, à savoir celle étrangère aux investissements provenant dactivités illicites. La Cour juge aussi que la mesure daliénation litigieuse na pas été entourée des garanties procédurales suffisantes contre larbitraire, aucune des juridictions internes nayant examiné la question du montant des fonds de provenance illicite investis dans la maison, ni offert à Mme Bokova une possibilité adéquate dexposer sa cause et de défendre ses droits à légard dune partie de ce bien
a) Sur lexistence dune ingérence et sur la règle applicable
50. La Cour observe que la maison litigieuse a fait lobjet dabord dune mesure temporaire de saisie, puis dune mesure définitive daliénation conformément au jugement de condamnation du mari de la requérante. Compte tenu du fait quune saisie ne peut pas subsister après un jugement définitif de condamnation (paragraphe 28 ci-dessus), la Cour estime quen lespèce lingérence est constituée par lordonnance daliénation de la maison. Cette mesure, bien quordonnée au profit dune personne privée, peut être assimilée, pour les besoins de lanalyse par la Cour, à une mesure de future confiscation de biens illégalement acquis.
51. En ce qui concerne la règle applicable, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, la confiscation, quoiquelle entraîne une privation de propriété, constitue néanmoins une mesure de réglementation de lusage des biens au sens du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 (voir, par exemple, Gogitidze et autres c. Géorgie, no 36862/05, § 94, 12 mai 2015, avec les références qui y sont citées). La Cour ne voit aucune raison de sécarter de cette approche dans la présente affaire.
Il reste à déterminer si, en lespèce, cette mesure était conforme à larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
b) Sur le respect de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention
52. La Cour rappelle que, pour être compatible avec larticle 1 du Protocole no 1, une ingérence dans lexercice du droit de propriété doit être opérée « pour cause dutilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». Lingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu (voir, par exemple, S.C. Service Benz Com S.R.L. c. Roumanie, no 58045/11, § 28, 4 juillet 2017, avec les références qui y sont citées). Sagissant dapprécier la proportionnalité dune mesure dingérence, il convient de prendre en compte la procédure qui sest déroulée dans lordre juridique interne pour évaluer si celle-ci offrait au requérant, compte tenu de la gravité de la mesure susceptible dêtre imposée, une occasion adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes, en alléguant, le cas échéant, une violation de la légalité ou lexistence de comportements arbitraires ou déraisonnables (ibidem, § 29).
53. En lespèce, la Cour observe que laliénation de la maison a été ordonnée par le tribunal du district Nikoulinski sur le fondement de larticle 299 § 1, 10) et 11), du CPP (paragraphe 30 ci-dessus). Elle admet que ces dispositions constituaient la base légale de lingérence en cause et que cette ingérence visait un but légitime de répression des infractions pénales et de sauvegarde des droits des victimes et des parties civiles.
54. En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure, la Cour rappelle que celle-ci a été prononcée dans le cadre de la procédure pénale qui fut menée contre le mari de la requérante. Pour ordonner laliénation de toute la maison, le tribunal a considéré que cette dernière avait bénéficié daméliorations financées par certains fonds dorigine illicite apportés par B., mais il na pas examiné la question du montant de ces investissements. Certes, en vertu de larticle 309 du CPP et de larticle 45 du code de la famille, le tribunal nétait pas obligé de procéder lui-même aux calculs nécessaires, mais il pouvait renvoyer cette question devant les juridictions civiles (paragraphe 31 ci-dessus) en leur laissant le soin de décider si la maison entrait ou pas dans la masse commune, de déterminer, au besoin en recourant à une expertise, quels étaient les montants des investissements qui y avaient été apportés pendant lactivité illicite de B. et den soustraire la part étrangère à ces investissements, laquelle revenait uniquement à la requérante. Le tribunal ne la toutefois pas fait, et la requérante navait aucun moyen de ly contraindre.
55. Par ailleurs, la Cour a déjà dit que, en principe, les personnes dont les biens sont menacés de confiscation doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée (Silickiene c. Lituanie, no 20496/02, § 50, 10 avril 2012). Or, en lespèce, la requérante na eu quun statut de témoin dans la procédure pénale concernant son mari et elle na pas joui de droits procéduraux qui lui auraient permis de combattre la thèse selon laquelle la maison avait été construite et aménagée grâce à des fonds dorigine illicite apportés par son mari (comparer avec Denisova et Moiseyeva c. Russie, no 16903/03, § 60, 1er avril 2010).
56. La Cour note que la requérante sest pourvue en cassation contre le jugement de condamnation, mais la juridiction de cassation na pas répondu à ses griefs ni examiné la question du montant des investissements dorigine illicite réalisés dans la maison (voir, a contrario, par exemple, Aboufadda c. France (déc.), no 28457/10, § 29, avec les références qui y sont citées). Cette juridiction, comme du reste le juge unique qui a refusé de transmettre le pourvoi de la requérante pour examen par le présidium et les juridictions pénales qui ont ordonné la saisie sur le fondement de larticle 115 du CPP, se sont limités à indiquer que la requérante pouvait faire valoir ses droits en introduisant une action en mainlevée de la saisie devant les juridictions civiles (comparer les paragraphes 12, 13, 22 et 23 ci-dessus).
57. La Cour relève que la requérante a effectivement exercé cette action le 22 mai 2012, à un moment où la saisie ordonnée sur le fondement de larticle 115 du CPP était en vigueur, puisque le jugement de condamnation navait pas encore été rendu. Le tribunal de Dmitrov a examiné laction sur le fond et a ordonné la mainlevée de la saisie. Or la cour de Moscou, statuant en appel, a annulé ce jugement, estimant que les juridictions civiles nétaient pas compétentes pour lever la saisie ordonnée sur le fondement de larticle 115 du CPP. La juridiction de cassation a confirmé à son tour lincompétence des juridictions civiles pour examiner le grief de la requérante, mais sur un fondement différent. En effet, elle sest basée sur le jugement de condamnation ayant établi que la maison avait bénéficié de certains investissements dorigine criminelle. Ainsi, laction en mainlevée intentée par la requérante na pas été examinée sur le fond.
58. Il sensuit quaucune des juridictions internes na examiné la question du montant des fonds de provenance illicite investis dans la maison ni offert à la requérante une possibilité adéquate dexposer sa cause et de défendre ses droits à légard dune part de ce bien (voir, mutatis mutandis, Denisova et Moiseyeva c. Russie, no 16903/03, §§ 60-64, 1er avril 2010, ainsi que Rummi c. Estonie, no 63362/09, §§ 83-85 et 108, 15 janvier 2015).
59. La Cour conclut que la mesure daliénation litigieuse na donc pas été entourée des garanties procédurales suffisantes contre larbitraire requises par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Partant, il y a eu violation de cette disposition.
Goguitidzé et autres c. Géorgie arrêt du 12 mai 2015 requête no 36862/05
Non violation de l'article 1 du Procotocole 1 : Confiscation de biens acquis par le fruit de la corruption : non-violation du droit des requérants au respect de leurs biens.
La Cour observe dabord que lordonnance de confiscation concernant les biens mobiliers et immobiliers des requérants a porté atteinte au droit de ceux-ci au respect de leurs biens.
La confiscation des biens a été ordonnée sur le fondement des dispositions pertinentes du code de procédure pénale et du code de procédure administrative. Concernant largument des requérants selon lequel lapplication rétroactive dans leur affaire de la modification législative du 13 février 2004 était illégale, la Cour observe que cet amendement na fait que réglementer à nouveau les aspects patrimoniaux des normes juridiques existantes en matière de lutte contre la corruption dès 1997 la loi sur les conflits dintérêts et la corruption dans le service public traitait déjà de questions telles que les infractions de corruption. En outre, les États membres peuvent réglementer lusage des biens par de nouvelles dispositions à portée rétroactive réglementant dune autre façon des situations factuelles continues ou des relations juridiques. La confiscation des biens des requérants était donc légale.
En ce qui concerne la légitimité du but poursuivi par la mesure de confiscation, la Cour observe que cette mesure constitue une partie essentielle dun ensemble législatif plus large visant à intensifier la lutte contre la corruption dans le service public. Lapplication de cette mesure était conforme à lintérêt général quil y a à veiller à ce que les requérants ne puissent pas bénéficier des biens en question au détriment de la collectivité.
La Cour examine ensuite la question de la proportionnalité de lingérence et le point de savoir si un juste équilibre a ou non été ménagé entre les moyens employés pour la confiscation des biens des requérants et lintérêt général à la lutte contre la corruption dans le service public.
La Cour se penche dabord sur la question de savoir si la procédure de confiscation était arbitraire.
Elle note que la modification du 13 février 2004 a été adoptée à la suite de rapports dorganes internationaux spécialisés qui ont constaté les niveaux alarmants de corruption en Géorgie.
Comité dexperts sur lévaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), Groupe dÉtats contre la corruption (GRECO) et Réseau anticorruption de lOCDE pour les économies de transition.
La Cour souligne sur ce point que les nouvelles mesures législatives ont largement contribué à faire prendre à la Géorgie la voie de la lutte contre la corruption. Comme dans des affaires antérieures similaires, elle considère, dans le cas despèce, quil nétait pas contraire à larticle 1 du Protocole no 1 dordonner la confiscation des biens des requérants sur la base dune forte probabilité quils soient dorigine illicite, dautant que les propriétaires des biens navaient pas prouvé le contraire. Par conséquent, la Cour estime, à linstar de la Cour constitutionnelle de Géorgie, que la procédure de confiscation administrative conduite dans laffaire des requérants ne peut passer pour arbitraire, considérant en particulier que les États membres doivent disposer dune ample marge dappréciation dans la façon dont ils traitent le problème des produits du crime.
La Cour examine ensuite largument des requérants selon lequel les juridictions internes ont fait preuve darbitraire. Elle note que Sergo et Aleksandre Goguitidzé nont pas comparu devant la Cour suprême adjare ; quant à Anzor Goguitidzé, certains de ses arguments et éléments de preuve ont abouti au retrait de biens de la liste de confiscation. En ce qui concerne la procédure de cassation, les requérants nont pas allégué devant la Cour suprême de Géorgie que la procédure a été marquée par un manque déquité. En outre, ce nest quaprès avoir procédé à un examen approfondi des éléments de preuve et de la situation financière des requérants que les juridictions internes ont confirmé lexistence dun décalage considérable entre les revenus des intéressés et leur fortune et ont pris la décision de confiscation. Dès lors, on ne saurait affirmer que les requérants ont été privés dune occasion adéquate dexposer leur cause ou que les conclusions des juridictions internes étaient manifestement entachées darbitraire. Par conséquent, la Cour estime quun juste équilibre a été ménagé entre les moyens employés pour la confiscation des biens des requérants et lintérêt général à la lutte contre la corruption dans le service public. Il ny a donc pas eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
Articles 6 §§ 1 et 2
La cour rejette pour défaut manifeste de fondement le grief des requérants tiré de larticle 6 § 1, considérant quils ont eux-mêmes choisi de renoncer à leur droit de participer à la procédure et quil ny avait rien darbitraire à attendre deux quils sacquittent de leur partie de la charge de la preuve en repoussant les soupçons fondés du procureur.
La Cour rejette également le grief tiré par Sergo Goguitidzé de larticle 6 § 2, cette disposition nétant pas applicable à la confiscation de biens ordonnée à lissue dune procédure civile (étant donné que la mesure nétait pas punitive mais quelle revêtait un caractère préventif et/ou indemnitaire).
Décision Aboufadda c. France du 27 novembre 2014 requête no 28457/10
Non violation de l'article 8 de la Convention et 1 du Protocole 1 La confiscation dune maison de famille, financée par le trafic de stupéfiants était justifiée.
Article 1 du Protocole no 1
La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 prévoit spécialement le droit pour les États de « mettre en vigueur les lois quils jugent nécessaires pour réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général ou pour assurer le paiement de limpôt ou dautres contributions ou des amendes ». Elle recherche si, en lespèce, la confiscation de bien, prévue par le code pénal dans le cas de délits de trafic de stupéfiants, était une mesure proportionnée au but dintérêt général que représente la lutte contre le recel et le blanchiment.
La mise en oeuvre de cette mesure a certes eu des conséquences importantes sur le patrimoine des requérants. Néanmoins, la Cour rappelle notamment que la confiscation de patrimoines criminels a acquis une place importante, tant dans lordre juridique de plusieurs États membres que sur le plan international, avec par exemple la Convention du Conseil de lEurope du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime.
La Cour souligne ensuite que les époux Aboufadda avaient la possibilité déchapper à une condamnation en établissant lorigine licite de leurs ressources et biens. Les juridictions françaises, après avoir constaté que le train de vie des requérants était sans rapport avec les revenus quils déclaraient, ont dûment examiné leurs allégations, et notamment celle selon laquelle leurs ressources provenaient dun héritage et de la vente dun terrain au Maroc, constatant ensuite quils napportaient pas la preuve du transfert des fonds correspondants en France. En outre, la Cour ne voit rien dexcessif dans la conclusion de la cour dappel de Colmar selon laquelle « lessentiel » du patrimoine des époux Aboufadda provenait des fruits du trafic de stupéfiants auquel se livrait leur fils (seules les ressources postérieures à 2006 nétaient pas en cause).
Par ailleurs, elle voit dans la décision des juridictions françaises de confisquer la maison dans son intégralité à titre de peine, lexpression dune volonté légitime de sanctionner sévèrement des faits graves dont les requérants sétaient rendus coupables, qui sapparentaient à du recel de délit, et qui, de surcroît, sinscrivaient dans le contexte dun trafic de stupéfiants dune grande ampleur au niveau local. Étant donné les ravages de la drogue, la Cour conçoit que les autorités des États parties fassent preuve dune grande fermeté à légard de ceux qui contribuent à la propagation de ce fléau.
Ces éléments, ainsi que lampleur de la marge dappréciation dont disposent les États pour réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général, conduisent la Cour à considérer que latteinte au droit des requérants au respect de leurs biens na pas été disproportionnée par rapport au but dintérêt général que représente la lutte contre le trafic de stupéfiants. Par conséquent, elle rejette ce grief pour défaut manifeste de fondement.
Article 8
La Cour constate que le bien confisqué était le domicile familial des requérants. Cette mesure, qui les a contraints à déménager, sanalyse donc en une ingérence dune autorité publique dans
lexercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile.
Pareille ingérence méconnaît larticle 8, sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes prévus par larticle 8 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. Pour ce qui est de la première condition, la Cour rappelle que la confiscation en question était prévue par le code pénal. Deuxièmement, lingérence litigieuse tendait à « la défense de lordre et à la prévention des infractions pénales » au sens de larticle 8 puisquelle visait à lutter contre le trafic de stupéfiants et à le prévenir en dissuadant le recel et le blanchiment. Pour ce qui est de la troisième condition, la Cour renvoie tout dabord à ses conclusions concernant le grief des requérants sous langle de larticle 1 du Protocole no 1. Elle constate ensuite que les autorités compétentes ont dûment pris en compte la situation des requérants au regard de larticle 8 en les autorisant à rester dans leur domicile jusquà ce quils aient été en mesure de sinstaller dans un autre lieu, soit durant plus dun an et six mois après la fin de la procédure interne.
Par conséquent, même si la marge dappréciation dont disposent les États est plus restreinte dans le contexte de lapplication de larticle 8 que de larticle 1 du Protocole no 1, la Cour conclut au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête et à son rejet.
Arrêt Silickiené C. Lituanie du 10 avril 2012 requête n° 20496/02
La confiscation de biens acquis grâce à des gains dorigine délictueuse na pas porté atteinte à la Convention
Article 1 du Protocole no 1
Fondée sur larticle 72 du code pénal, la confiscation des biens de la requérante était régulière. Elle portait sur des biens illicitement acquis par lassociation de malfaiteurs dirigée par le mari de lintéressée et poursuivait un but légitime consistant à empêcher celle-ci de profiter de gains dorigine délictueuse au détriment de la société.
La Cour relève en outre que la requérante a elle-même reçu des sommes provenant de la vente de marchandises de contrebande. Dans ces conditions, lintéressée savait forcément que les sommes ayant servi à lacquisition des biens confisqués ne pouvaient provenir que des gains tirés des activités de lassociation de malfaiteurs. En outre, la requérante a été reconnue coupable de détournement de fonds et de falsification de documents.
De surcroît, la question de la confiscation a été examinée par trois juridictions internes distinctes, qui ont toutes constaté que les biens confisqués avaient été acquis grâce aux gains illicites générés par les activités de lassociation de malfaiteurs. Enfin, les activités en question présentaient un caractère massif et systématique, 22 actes de contrebande ayant été recensés. En pareilles circonstances, la confiscation litigieuse apparaissait comme une mesure essentielle à la lutte contre la criminalité organisée.
Au vu de ce qui précède, et eu égard à la latitude (ou marge dappréciation) dont jouissent les Etats membres pour mener des politiques de lutte contre les infractions graves, la Cour conclut que la confiscation litigieuse na pas porté atteinte au droit de la requérante au respect de ses biens.
Partant, il ny a pas eu violation de larticle 1 du Protocole no 1.
JURISPRUDENCE INTERNE FRANÇAISE
UN BIEN CORPOREL NE PEUT PAS ÊTRE SAISI PAR LE JUGE PENAL MÊME S'IL S'AGIT DE VÊTEMENTS DE HAUTE COUTURE
COUR DE CASSATION CHAMBRE CRIMINELLE, arrêt du 7 août 2019 Pourvoi n° 18-87.174 Cassation sans renvoi
Vu les articles 94, 97 et 706-141 du code de procédure pénale ;
Attendu quil résulte du troisième de ces textes que les dispositions des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale sappliquent aux saisies réalisées en application de ce code lorsquelles portent sur tout ou partie des biens dune personne, sur un bien immobilier, sur un bien ou un droit mobilier incorporel ou une créance ainsi quaux saisies qui nentraînent pas de dépossession du bien ;
Que, selon les deux premiers, avec laccord du juge dinstruction, lofficier de police judiciaire a le pouvoir de saisir les biens dont la confiscation est prévue à larticle 131-21 du code pénal ;
Quil sen déduit que la saisie en valeur
des biens meubles corporels, qui ne sont pas visés à larticle
706-141 du code de procédure pénale, ne peut être effectuée
que sur le fondement des articles 94 et 97 du même code ;
Attendu que, pour confirmer lordonnance attaquée, larrêt
retient notamment que larticle 131-21, alinéa 9, du code
pénal prévoit que la confiscation en valeur peut être
exécutée sur tous les biens, quelle quen soit la nature,
appartenant au condamné ou sous réserve des droits du
propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quil
découle de ce texte que ce qui peut être confisqué peut être
saisi et quen lespèce, le juge dinstruction a
expressément visé ce texte pour justifier de la saisie pénale
dobjets mobiliers et effets vestimentaires garnissant le
logement de la mise en examen, dont la valeur, après évaluation
par un professionnel, équivaut à une partie du produit de linfraction
et constitue une partie du patrimoine de la personne mise en
examen ; que les juges ajoutent que cette saisie a eu lieu
au cours dune perquisition patrimoniale dans le respect de
larticle 97 du code de procédure pénale prévoyant quavec
laccord du magistrat instructeur lofficier de police
judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et
données informatiques utiles à la manifestation de la vérité,
ainsi que des biens dont la confiscation est prévue à larticle
131-21 du code de procédure pénale et quelle a ensuite
donné lieu, conformément à larticle 706-148 du code de
procédure pénale, à une confirmation par ordonnance faisant
suite aux réquisitions en ce sens du procureur de la République ;
quils en concluent que, les conditions légales étant
réunies et les formalités ayant été respectées, la saisie
pénale décidée par le magistrat instructeur est bien-fondée ;
Mais attendu quen statuant ainsi, alors que les biens objet de la saisie étaient des biens meubles corporels, la chambre de linstruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;
Doù il suit que la cassation est encourue de ce chef ; quelle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure dappliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet larticle L.411-3 du code de lorganisation judiciaire ;
L'AMENDE DOIT ÊTRE PROPORTIONNEE AUX FAITS, A LA SITUATION DU PREVENU ET A SES REVENUS
Cour de Cassation chambre criminelle du 15 mai 2019 pourvoi n° 18-84.494 cassation partielle
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation de larticle 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de lhomme, de larticle 8 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, des articles 130-1, 132-1 et 132-20 alinéa 2 du code pénal, ainsi que des articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;
Vu les articles 132-1, 132-20, alinéa 2, du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu quen matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que linsuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour condamner M. X... à 10 000 euros damende, larrêt retient, après avoir fait état des antécédents judiciaires de lintéressé et relevé que ses ressources sélèvent à 2 000 euros par mois, quil y a lieu dajouter cette peine à la confiscation ordonnée ;
Mais attendu quen prononçant ainsi, sans sexpliquer sur la gravité des faits, la cour dappel na pas justifié sa décision ;
Doù il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
La saisie des bien incorporels par le juge d'instruction pour lutter contre la fraude fiscale est conforme à la constitution
Conseil Constitutionnel Décision n° 2016-583/584/585/586 QPC du 14 octobre 2016
Société Finestim SAS et autre [Saisie spéciale des biens ou droits mobiliers incorporels]
Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 20 juillet 2016 par la Cour de
cassation de quatre questions prioritaires de constitutionnalité
(QPC) posées pour les sociétés Finestim SAS et autre relatives
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution
garantit de l'article 706-153 du code de procédure pénale (CPP).
Les dispositions contestées fixent les règles régissant la
procédure de saisie pénale spéciale des biens ou droits
mobiliers incorporels. Elles désignent les juges compétents
pour autoriser ou ordonner la saisie, déterminent les voies de
recours devant la chambre de l'instruction ainsi que les
modalités de mise à disposition du dossier de la procédure.
Le juge des libertés et de la détention, dans le cadre d'une
enquête de flagrance ou préliminaire, et le juge d'instruction,
dans le cadre d'une information, peuvent autoriser, pour le
premier, et ordonner, pour le second, la saisie de biens ou
droits incorporels. L'ordonnance de saisie peut être contestée
devant la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à
compter de sa notification.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à
la Constitution après avoir relevé les points suivants.
En premier lieu, si la mesure de saisie a pour effet de rendre
indisponibles les biens ou droits incorporels saisis, elle est
ordonnée par un magistrat du siège et ne peut porter que sur
des biens ou droits dont la confiscation peut être prononcée à
titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale.
En deuxième lieu, toute personne qui prétend avoir un droit sur
un bien placé sous main de justice peut en solliciter la
restitution par requête auprès, selon le cas, du procureur de
la République, du procureur général ou du juge d'instruction.
En troisième lieu, l'ordonnance du juge des libertés et de la
détention ou du juge d'instruction autorisant ou prononçant la
saisie est notifiée au propriétaire du bien ou du droit saisi
et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien ou
sur ce droit qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction.
Ces personnes, qu'elles aient fait appel ou non, peuvent par
ailleurs être entendues par la chambre de l'instruction avant
que celle-ci ne statue. Elles ne sont donc pas privées de la
possibilité de faire valoir leurs observations et de contester
la légalité de la mesure devant un juge.
En quatrième lieu, en ne prévoyant pas de débat contradictoire
devant le juge ayant autorisé ou ordonné la saisie et en ne
conférant pas d'effet suspensif à l'appel devant la chambre de
l'instruction, le législateur a entendu éviter que le
propriétaire du bien ou du droit concerné puisse mettre à
profit les délais consécutifs à ces procédures pour faire
échec à la saisie par des manuvres. Ce faisant, il a
assuré le caractère effectif de la saisie et, ainsi, celui de
la peine de confiscation.
En dernier lieu, le juge devant toujours statuer dans un délai
raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la
chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance
autorisant ou prononçant la saisie ne saurait constituer une
atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature
à priver de garanties légales la protection constitutionnelle
du droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2016 par la Cour de
cassation (chambre criminelle, arrêts nos 4003 et 4005 du 12
juillet 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1
de la Constitution, de deux questions prioritaires de
constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour la
société Finestim SAS par Me Didier Bouthors, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées
au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos
2016-583 QPC et 2016-584 QPC.
Il a également été saisi le même jour par la Cour de
cassation (chambre criminelle, arrêts nos 4004 et 4006 du 12
juillet 2016), de deux questions prioritaires de
constitutionnalité posées pour la société Art Courtage France
SAS, par Me Bouthors. Elles ont été enregistrées sous les nos
2016-585 QPC et 2016-586 QPC.
Ces questions sont relatives à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article 706-153 du
code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre
la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière.
Au vu des textes
suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte
contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires
de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes
par Me Bouthors, enregistrées les 11 et 26 août 2016 ;
- les observations présentées pour M. Laurent AUMONIER et
autres, parties en défense, par Me Matthias Pujos, avocat au
barreau de Paris, enregistrées les 3 et 22 août 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 11 août 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bouthors, pour les sociétés
requérantes, Me Pujos, pour les parties en défense, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 4 octobre 2016;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les quatre questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article 706-153
du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de
la loi du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit : «
Au cours de l'enquête de flagrance ou de l'enquête
préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi
par requête du procureur de la République, peut autoriser par
ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des
biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par
l'article 131-21 du code pénal. Le juge d'instruction peut, au
cours de l'information, ordonner cette saisie dans les mêmes
conditions.
« L'ordonnance prise en application du premier alinéa est
notifiée au ministère public, au propriétaire du bien ou du
droit saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur
ce bien ou sur ce droit, qui peuvent la déférer à la chambre
de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un
délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance.
Cet appel n'est pas suspensif. L'appelant ne peut prétendre dans
ce cadre qu'à la mise à disposition des seules pièces de la
procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste. S'ils ne
sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent
néanmoins être entendus par la chambre de l'instruction, sans
toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la
procédure »
3. Selon les sociétés requérantes, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété, dès lors que la saisie de biens ou droits incorporels qu'elles instituent peut être ordonnée sur un soupçon et se prolonger jusqu'au jugement. Ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où la décision de saisie n'est pas précédée d'un débat contradictoire, l'appel de cette décision n'est pas assorti d'un effet suspensif et aucun délai déterminé n'est imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur cet appel.
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition, le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire.
6. En application de l'article 706-153 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention, dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, et le juge d'instruction, dans le cadre d'une information, peuvent autoriser pour le premier et ordonner pour le second la saisie de biens ou droits incorporels. L'ordonnance de saisie peut être contestée devant la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à compter de sa notification.
7. En premier lieu, si la mesure de saisie prévue par les dispositions contestées a pour effet de rendre indisponibles les biens ou droits incorporels saisis, elle est ordonnée par un magistrat du siège et ne peut porter que sur des biens ou droits dont la confiscation peut être prononcée à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale.
8. En deuxième lieu, toute personne qui prétend avoir un droit sur un bien placé sous main de justice peut en solliciter la restitution par requête auprès, selon le cas, du procureur de la République, du procureur général ou du juge d'instruction.
9. En troisième lieu, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction autorisant ou prononçant la saisie est notifiée au propriétaire du bien ou du droit saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit qui peuvent la contester devant la chambre de l'instruction. Ces personnes, qu'elles aient fait appel ou non, peuvent par ailleurs être entendues par la chambre de l'instruction avant que celle-ci ne statue. Elles ne sont donc pas privées de la possibilité de faire valoir leurs observations et de contester la légalité de la mesure devant un juge.
10. En quatrième lieu, en ne prévoyant pas de débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention et devant le juge d'instruction et en ne conférant pas d'effet suspensif à l'appel devant la chambre de l'instruction, le législateur a entendu éviter que le propriétaire du bien ou du droit visé par la saisie puisse mettre à profit les délais consécutifs à ces procédures pour faire échec à la saisie par des manuvres. Ce faisant, il a assuré le caractère effectif de la saisie et, ainsi, celui de la peine de confiscation.
11. En dernier lieu, le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance prise par un juge autorisant la saisie ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences découlant des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789. Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit de propriété doivent donc être écartés. Par conséquent, les dispositions de l'article 706-153 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Les dispositions de l'article 706-153 du code de
procédure pénale dans leur rédaction résultant de la loi n°
2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la
fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de
la République française et notifiée dans les conditions
prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958
susvisée
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LES SAISIES PAR LE JUGE D'INSTRUCTION EST CONFORME AU DROIT INTERNE
Cour de Cassation chambre criminelle arrêt du 23 mai 2013 requête n° 12-87473 cassation
Vu les articles
131-21 du code pénal et 706-148 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il ressort de ces textes que la saisie, à titre
conservatoire, des biens de la personne susceptible d'être mise
en examen ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne
foi, des biens dont elle a la libre disposition, peut être
autorisée, au cours de l'instruction, lorsque la loi qui
réprime le crime ou le délit poursuivi prévoit la confiscation
;
Attendu que, pour infirmer les ordonnances du juge d'instruction
ayant ordonné la saisie de la créance constituée, au profit de
l'indivision X...à hauteur de 3 982 000 euros sur la société
Marienthal ainsi que la restitution du passif exigible de cette
société, exception faite des avances en compte courant
consenties par M. Guy X..., l'arrêt énonce que la société est
seule propriétaire du produit de la cession d'une partie de ses
actifs immobiliers ; que les juges ajoutent que rien ne permet de
considérer que ce produit pourrait faire l'objet d'une décision
des actionnaires, précipitée ou clandestine, de distribution,
au titre d'un hypothétique bénéfice ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les héritiers
indivisaires susceptibles d'être mis en examen du chef de
blanchiment, qui détiennent 99, 5 % des parts de la société
civile immobilière, ont le pouvoir de décider de l'affectation
de l'actif net social résultant de la vente de l'immeuble de
cette société, de sorte qu'ils ont la libre disposition de cet
élément d'actif, au sens des articles susvisés, dans leur
rédaction, issue de la loi du 27 mars 2012, la chambre de l'instruction
a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé
LE JUGE DES LIBERTES N'EST COMPETENT POUR SAISIR QUE DURANT L'INSTRUCTION
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 8 avril 2021, pourvoi n° 20-85.474 Cassation sans renvoi
Vu larticle 706-150 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ce texte quau cours de lenquête de flagrance ou de lenquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut ordonner par décision motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des immeubles dont la confiscation est prévue par larticle 131-21 du code pénal.
9. Pour écarter le moyen pris de la nullité des ordonnances de saisies tiré de ce quà la date où elles ont été rendues lenquête nétait plus en cours, larrêt retient quil appartenait au juge des libertés et de la détention, régulièrement saisi par le parquet dans les temps de lenquête, de statuer sur la demande qui lui était faite.
10. Les juges ajoutent que le fait que lenquête ait été clôturée le 21 novembre 2019 ne peut dans ces conditions rendre les décisions irrégulières, les possibilités de recours restant par ailleurs ouvertes aux intéressés dans un délai de dix jours à compter de leur notification.
11. En se déterminant ainsi, alors quelle avait constaté quà la date des ordonnances critiquées lenquête était terminée, en sorte que le juge des libertés et de la détention nétait plus compétent pour ordonner les mesures contestées, peu important quil ait été saisi par le procureur de la République pendant lenquête, la chambre de linstruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
LA CONFISCATION DES BIENS QUI ONT PERMIS DE COMMETTRE L'INFRACTION PENALE
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 14 avril 2015, pourvoi n° 14-80896 Rejet
Attendu que, pour confirmer la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisi et confisqués (AGRASC), aux fins d'aliénation, d'un véhicule BMW appartenant à M. X..., gérant de sociétés, mis en examen du chef, notamment, de travail dissimulé, l'arrêt retient que celui-ci utilisait le véhicule pour se rendre sur les chantiers où il surveillait les travailleurs en cause et qu'il s'en était servi pour transporter l'un d'eux ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, la chambre de l'instruction a justifié sa décision dès lors que le véhicule saisi a servi directement ou indirectement à commettre le délit de travail dissimulé ou été utilisé à cette occasion, de sorte qu'il était susceptible d'une confiscation en application de l'article L. 8224-3, 3°, du code du travail, et, par voie de conséquence, d'une remise à l'AGRASC dans les conditions fixées par l'article 41-5, alinéa 2, du code de procédure pénale dans sa rédaction alors en vigueur.
LA PROPORTION DE LA SAISIE AVEC LE DROIT DE PROPRIÉTÉ
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 24 octobre 2018, pourvoi n° 16-80834 cassation
Vu les articles 706-141-1 et 706-150 du code procédure pénale, 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal ;
Attendu quil résulte de larticle 706-141-1 du code de procédure pénale que le montant dune saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ;
Que lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité soit à une partie de ceux-ci, chacun deux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées, avec ou non la circonstance de bande organisée, à la condition que la valeur totale des biens confisqués nexcède pas celle du produit total de cette ou de ces infractions ;
Que, si le moyen pris de la violation du principe de proportionnalité au regard du droit de propriété est inopérant lorsque la saisie a porté sur la valeur du produit direct ou indirect de linfraction (Crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, Bull. Crim. 2017, n° 7), le juge qui ordonne la saisie en valeur dun bien appartenant ou étant à la libre disposition dune personne, alors quil ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions quelle a bénéficié de la totalité du produit de linfraction, doit cependant apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de latteinte portée au droit de propriété de lintéressé sagissant de la partie du produit de linfraction dont elle naurait pas tiré profit ;
Attendu que pour confirmer lordonnance attaquée, larrêt retient notamment que le préjudice de lEtat sur les ventes réalisées par la société Car Business est estimé entre 9 398 421 et 11 278 105 euros, que cette somme est susceptible de confiscation au titre du produit direct ou indirect de linfraction et ce en quelque main quelle se trouve en application de lalinéa 3 de larticle 131-21 du code pénal et quaux termes de lalinéa 9 de ce texte la confiscation peut être ordonnée en valeur ; que les juges en déduisent que lensemble immobilier objet de lordonnance de saisie pénale est susceptible de confiscation en tant quimmeuble appartenant au mis en examen en application des alinéas 3 et 9 de larticle 131-21 précité ; quils indiquent enfin que la saisie de ce bien est proportionnée au but poursuivi qui est de garantir lexécution dune éventuelle peine de confiscation, les faits objet de lenquête étant susceptibles davoir porté sur un montant total supérieur à celui de la seule saisie autorisée, la valeur du bien saisi ayant été estimée au 12 juillet 2016 à la somme de 245 000 euros ;
Mais attendu quen prononçant ainsi, sans sassurer que la valeur de limmeuble saisi nexcédait pas le produit de la seule infraction reprochée au demandeur, commise de courant 2011 à juin 2016, dans le cadre de ses fonctions au sein des sociétés AML Consulting, Pro Car Diffusion et PCN Auto, non plus que rechercher, dans lhypothèse où il serait apparu que lintéressé naurait pas bénéficié du produit de linfraction, si latteinte portée par la saisie au droit de propriété de lintéressé était proportionnée sagissant de la partie du produit de linfraction dont il naurait pas tiré profit, la chambre de linstruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;
Doù il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 13 juin 2017, pourvoi n° 16-83201 Rejet
Attendu que le moyen, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de l'atteinte spécifique portée au droit de propriété de l'intéressé par la mesure de confiscation de son véhicule prononcée par le tribunal de police et confirmée par la cour d'appel, en violation de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, est nouveau, mélangé de fait, et, comme tel, irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
LA CONFISCATION DES BIENS PERSONNELS EN CAS DE CONDAMNATION POUR TRAFIC DE DROGUE
Article 222-49 du Code Pénal
Dans les cas prévus par les articles 222-34 à 222-40, doit être prononcée la confiscation des installations, matériels et de tout bien ayant servi, directement ou indirectement, à la commission de l'infraction, ainsi que tout produit provenant de celle-ci, à quelque personne qu'ils appartiennent et en quelque lieu qu'ils se trouvent, dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l'origine ou l'utilisation frauduleuse.
Dans les cas prévus par les articles 222-34, 222-35, 222-36, 222-38 et 222-39-1, peut également être prononcée la confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-86938 Rejet
Vu l'article
222-49, alinéa 2, du code pénal ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que la confiscation de tout ou
partie du patrimoine du condamné peut être prononcée sans qu'il
soit nécessaire d'établir que le bien a été acquis
illégalement ou qu'il constitue le produit direct ou indirect de
l'infraction ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... coupable, notamment, d'infractions
à la législation sur les stupéfiants en récidive commises du
1er novembre 2013 au 29 avril 2014, l'arrêt attaqué, pour dire
n'y avoir lieu à confiscation de l'appartement situé à
Poitiers dont celui-ci est propriétaire, ainsi que des sommes
saisies sur ses comptes bancaires, énonce que, d'une part, il n'est
pas établi que ce logement, acquis le 16 janvier 2011 à l'aide
d'un prêt bancaire, aurait été financé par des fonds
frauduleusement obtenus, d'autre part, aucune investigation n'a
réellement été effectuée sur les mouvements des comptes du
prévenu, dont l'existence ou le fonctionnement ne peuvent être
rattachés à une activité illicite ;
Mais attendu qu'en s'interdisant de prononcer la confiscation de
ces biens, alors que cette mesure était encourue,
indépendamment de l'origine des biens concernés, et pouvait
être prononcée, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et
le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef
LA CONFISCATION DES BIENS PRODUITS DE L'INFRACTION PENALE
Article 131-21 alinéa 2 du Code Pénal
La confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.
LES IMMEUBLES QUI SERVENT A L'INFRACTION SONT SAISIS
Il loge gratuitement des réfugiés ukrainiens, pour pouvoir violer et filmer le viol de la fille et de la nièce mineures
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 24 octobre 2018, pourvoi n° 18-82370 rejet
Attendu quil résulte de larrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Y... a été mis en examen le 5 mai 2017 des chefs susvisé; quil est notamment reproché à lintéressé davoir filmé les relations sexuelles quil aurait imposées à X... et B...Z... , mineures de moins de quinze ans, avec la participation de Mme Z... , mère de la première mineure et tante de la seconde ; que ces faits se seraient déroulés dans un immeuble dont le mis en examen est propriétaire, situé à [..], où il aurait accueilli les victimes, dorigine ukrainienne, et où les enquêteurs ont saisi des accessoires susceptibles dêtre utilisés, notamment, lors de relations sexuelles sadomasochistes, parmi lesquels certains auraient été employés lors des actes sexuels poursuivis ; que, par ordonnance du 21 août 2017, le juge dinstruction a ordonné la saisie pénale immobilière de limmeuble du mis en examen en tant quinstrument de linfraction ; que lintéressé a relevé appel de la décision;
Attendu que pour confirmer lordonnance attaquée, larrêt relève notamment, après avoir énoncé que le mis en examen encourt la peine de confiscation des immeubles dont il est propriétaire ayant servi à commettre les infractions poursuivies, que les investigations ont permis détablir que la vidéo dans laquelle lintéressé est vu en train de pratiquer des actes sexuels sur la personne de X... Z... a été enregistrée à son domicile [...] , lieu discret et hors de la vue du public, où il a fait venir la victime ainsi que sa mère, et où se trouvent des meubles et accessoires utilisés au cours des actes enregistrés ; que les juges ajoutent, après avoir constaté que le mis en examen avait formulé le souhait dadopter X... Z... afin quelle vive chez lui sans sa mère, que lintéressé utilisait son appartement pour laccomplissement des infractions pour lesquelles il est poursuivi notamment en conviant les victimes depuis leur pays dorigine à venir séjourner chez lui et que la mise à disposition de cet immeuble constituait même lun des moyens permettant dattirer de jeunes femmes et mineures vulnérables sur le plan économique, en leur proposant notamment un hébergement dans la capitale ; quils en déduisent que le domicile du mis en examen constituait le moyen permettant la commission des infractions poursuivies;
Attendu quen létat de ces constatations, relevant de son pouvoir souverain dappréciation, la chambre de linstruction, qui ne sest pas bornée à relever que limmeuble saisi était le lieu des faits, a établi sans insuffisance ni contradiction quil avait permis la commission des infractions poursuivies, peu important que son usage nait pas été déterminant de leur commission, et a ainsi justifié sa décision;
LES IMMEUBLES INDIVIDIS SONT DIFFICILEMENT SAISISSABLES
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 30 mai 2022, pourvoi n° 21-82.217 cassation
Sur le moyen
soulevé d'office et mis dans le débat
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à
justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des
motifs équivaut à leur absence.
9. Pour ordonner la confiscation en valeur, à titre de produit
de l'infraction commise par M. [O], de l'immeuble situé à [Localité
1] (60), l'arrêt retient que les faits sont d'une gravité
déjà évoquée et n'ont eu comme motivation que l'enrichissement
frauduleux de ses auteurs, dont M. [O] mais aussi son épouse,
également propriétaire du bien en cause, de sorte qu'il est
particulièrement adapté d'envisager une sanction d'ordre
pécuniaire à leur encontre.
10. Les juges précisent que le produit de l'infraction d'escroquerie
en bande organisée, à laquelle M. [O] a pris part, est une
somme totale de plusieurs centaines de milliers d'euros obtenue
frauduleusement des époux [H].
11. Ils en concluent que la confiscation en valeur de l'immeuble
est une peine complémentaire adaptée à la gravité des faits,
à la personnalité de leur auteur et à sa situation personnelle,
et parfaitement proportionnée.
12. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'immeuble
appartenait à M. [O] ainsi qu'à son épouse, Mme [N], et qu'il
lui appartenait donc de rechercher si ce bien était en état d'indivision
ou bien s'il appartenait à la communauté conjugale, la cour d'appel,
qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son
contrôle sur les conditions de la mesure de confiscation
ordonnée, a insuffisamment justifié sa décision.
13. En effet, lorsque le bien dont la confiscation est envisagée
est en état d'indivision entre la personne condamnée et son
époux de bonne foi, cette peine ne peut porter que sur la part
indivise de la personne condamnée, les droits de l'époux de
bonne foi devant lui être restitués, y compris lorsque le bien
constitue le produit direct ou indirect de l'infraction (Crim., 7
novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188).
14. En revanche, lorsque le bien dont la confiscation est
envisagée est commun à des époux mariés sous le régime de la
communauté légale réduite aux acquêts et que l'époux non
condamné pénalement est de bonne foi, la confiscation ne peut
qu'emporter sa dévolution pour le tout à l'Etat, sans qu'il
puisse demeurer grevé des droits de l'époux de bonne foi, la
confiscation faisant naître un droit à récompense pour la
communauté lors de la dissolution de celle-ci (Crim., 9
septembre 2020, pourvoi n° 18-84.619).
15. Dans ce cas, il appartient à la cour d'appel saisie de l'appel
interjeté par l'époux de bonne foi contre le jugement rejetant,
en raison du prononcé de la peine complémentaire de
confiscation, sa requête en restitution d'un bien commun placé
sous main de justice, d'abord de s'assurer du caractère
confiscable du bien dont la restitution est sollicitée, en
application des conditions légales, en précisant la nature et l'origine
de ce bien ainsi que le fondement de la mesure (Crim., 27 juin
2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128). Il lui
appartient ensuite d'apprécier si, nonobstant la reconnaissance
d'un droit à récompense pour la communauté, il y a lieu de
confirmer la confiscation en tout ou partie, en restituant tout
ou partie du bien à la communauté, au regard des circonstances
de l'infraction, de la personnalité et de la situation de son
auteur, ainsi que de la situation personnelle de l'époux de
bonne foi, en s'expliquant, hormis le cas où la confiscation, qu'elle
soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa
totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, sur
le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de
propriété de l'époux de bonne foi lorsqu'une telle garantie
est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit
d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine.
16. La cassation est par conséquent encourue.
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 20 mai 2015, pourvoi n° 14-81741 rejet
Vu les articles 710 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 131-21 et 222-49 du code pénal ;
Attendu, d'une part, que doit être examinée, au regard des articles susvisés du code pénal, la requête de toute personne non condamnée pénalement qui est copropriétaire d'un bien indivis et qui soulève des incidents contentieux relatifs à l'exécution d'une décision pénale ordonnant la confiscation de ce bien ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par arrêt du 28 septembre 2010, la cour d'appel de Lyon a déclaré M. X...coupable d'infractions à la législation sur les stupéfiants et a notamment prononcé la confiscation de l'immeuble situé à Vaulx-en-Velin dont il était propriétaire, en indivision avec son épouse, mesure devenue définitive le 3 novembre 2011 ; que, le 14 novembre 2013, les demandeurs ont présenté devant cette juridiction une requête fondée sur les dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale et tendant à voir restituer à Mme X...les droits qu'elle détenait sur cet immeuble ;
Attendu que, pour rejeter cette requête, l'arrêt relève notamment que la décision du 28 septembre 2010 ayant prononcé la confiscation de l'immeuble dans son entier s'applique " erga omnes " ;
Attendu que les juges ont, à bon droit, rejeté la requête de M. X..., qui n'avait pas qualité pour la présenter et dont le moyen sera, en ce qui le concerne, écarté ;
Mais attendu qu'en omettant dans son dispositif de statuer sur la demande en restitution de Mme X..., sans dire si celle-ci pouvait ou non être considérée comme propriétaire de bonne foi de sa part indivise, au sens des articles 131-21 et 222-49 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce dernier chef
L'AVIS DU PARQUET EST NECESSAIRE POUR SAISIR UN COMPTE BANCAIRE POUR CAUSE DE TRAFIC DE DROGUE
Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 27 novembre 2012, pourvoi n° 12-85344 Cassation
Statuant sur le
pourvoi formé par :
- M. Michel X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel
de VERSAILLES, en date du 10 avril 2012, qui, dans l'information
suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur
les stupéfiants, a prononcé sur le maintien de la saisie de
sommes inscrites au crédit de comptes bancaires
Vu l'article 706-148
du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que, si l'enquête porte sur
une infraction punie d'au moins cinq ans d'emprisonnement, le
juge d'instruction peut, dans les cas prévus aux cinquième et
sixième alinéas de l'article 131-21 du code pénal, sur
requête du procureur de la République ou d'office après avis
du ministère public, ordonner la saisie de tout ou partie des
biens, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit prévoit
la confiscation de tout ou partie des biens du condamné ou
lorsque l'origine de ces biens ne peut être établie ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la
procédure qu'au cours d'une information ouverte contre M. X...
du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, le
juge d'instruction a, le 12 décembre 2011, au visa des articles
131-21 du code pénal, 706-153 et 706-154 du code de procédure
pénale, rendu une ordonnance maintenant la saisie, opérée le 6
décembre 2011 sur son autorisation, des sommes inscrites au
crédit de quatre comptes ouverts à la Caisse d'Epargne et à la
Banque Postale au nom de M. X..., en retenant que ces sommes
constituaient le produit direct ou indirect des infractions
poursuivies ; que le mis en examen a interjeté appel de cette
décision ;
Attendu que, pour confirmer, par substitution de motifs, l'ordonnance
entreprise et rejeter l'argumentation de M. X... qui faisait
valoir que les sommes inscrites au crédit de ses comptes
bancaires avaient une origine sans rapport avec les infractions
pour lesquelles il avait été mis en examen, l'arrêt énonce
que, selon l'article 131-21, alinéa 6, du code pénal, lorsque
la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la
confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant
au condamné ; que les juges ajoutent que M. X..., mis en examen
pour infractions à la législation sur les stupéfiants, et
notamment pour le délit visé à l'article 222-37 du code pénal,
encourt la confiscation de tout ou partie de ses biens, sans qu'il
soit nécessaire d'établir qu'ils proviendraient des infractions
reprochées ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction,
qui, sous le couvert d'une substitution de motifs, a en réalité
modifié le fondement de la saisie effectuée, laquelle
constituait, au sens de l'article 706-148 du code de procédure
pénale, une saisie de patrimoine nécessitant l'avis préalable
du ministère public, a méconnu le texte susvisé et le principe
ci-dessus rappelé
LA PERSONNE SAISIE DOIT ÊTRE EN MESURE D'Y REPONDRE
Cour de Cassation, chambre civile 2 arrêt du 17 février 2021, pourvoi n° 20-81.397 Cassation
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de lhomme, 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de lhomme, préliminaire et 706-153 du code de procédure pénale :
7. Il se déduit de ces textes quen cas dappel interjeté par le procureur de la République, en application de larticle 185 du code de procédure pénale, à lencontre de lordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête aux fins de saisie de bien ou droit incorporel, le propriétaire du bien ou du droit saisi et, sils sont connus, les tiers ayant des droits sur ce bien ou sur ce droit, qui doivent être convoqués devant la chambre de linstruction, peuvent prétendre dans ce cadre à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie.
8. Pour ordonner la saisie de la créance figurant sur le contrat dassurance sur la vie dont est titulaire M. X... après avoir écarté le moyen pris du caractère inconventionnel des dispositions de larticle 706-153 du code de procédure pénale tiré de ce que ce texte ne prévoit pas, en cas dappel interjeté par le procureur de la République à lencontre de lordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête aux fins de saisie, la mise à disposition des pièces de la procédure de saisie au titulaire du contrat, larrêt retient quen matière de contentieux des saisies dans le cadre dune enquête préliminaire, seules les pièces soumises par le ministère public au juge des libertés et de la détention sont communicables aux parties à lexclusion de lentier dossier.
9. Les juges ajoutent que lavocat de M. X... pouvait avoir régulièrement communication des pièces relatives à la procédure de saisie de créances, ce quil lui appartenait de demander, et quil ne saurait en conséquence se prévaloir de son inaction.
10. En statuant ainsi, alors quelle devait sassurer que la requête du procureur de la République aux fins de saisie et lordonnance du juge des libertés et de la détention avaient été mises à la disposition du demandeur, et au besoin renvoyer lexamen de laffaire à une audience ultérieure pour permettre le respect de cette formalité, la chambre de linstruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
11. La cassation est par conséquent encourue.
Cour de Cassation, chambre civile 2 arrêt du 17 février 2021, pourvoi n° 20-83.504 annulation
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de lhomme et 186 du code de procédure pénale :
6. Il se déduit du second de ces textes que le président de la chambre de linstruction ne détient pas le pouvoir de rendre une ordonnance de non-admission dun appel formé contre une ordonnance de saisie pénale.
7. Il se déduit du premier quil est dérogé aux prescriptions légales relatives aux délais dappel lorsque lappelant démontre lexistence dun obstacle de nature à le mettre dans limpossibilité dexercer son recours en temps utile.
8. Pour déclarer non-admis lappel formé par Mme X... contre lordonnance de saisie pénale de la créance figurant sur un contrat dassurance-vie dont elle est titulaire, le président de la chambre de linstruction constate que lappel, en date du 13 janvier 2020, a été interjeté hors le délai de dix jours prévu par larticle 186 du code de procédure pénale, ce délai, dont le point de départ court à compter de la date denvoi de la notification, ayant expiré le 30 décembre 2019.
9. En statuant ainsi, le président de la chambre de linstruction a excédé ses pouvoirs.
10. En effet, il ne détenait pas le pouvoir de déclarer non-admis lappel formé par Mme X....
11. Au surplus, il résulte de lavis de passage du facteur et dune attestation de La Poste, que ce courrier a été présenté pour la première fois à Mme X... le 8 janvier 2020, postérieurement à lexpiration du délai de recours de dix jours prévu par larticle 706-153 du code de procédure pénale.
12. Lannulation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de lannulation
13. En application des articles 706-153 et D 43-5 du code de procédure pénale, le président de la chambre de linstruction est compétent pour statuer seul sur lappel de lordonnance de saisie de biens ou droits incorporels, sauf si lauteur du recours a précisé quil saisit la chambre de linstruction dans sa formation collégiale.
14. Il en résulte que, du fait de lannulation de lordonnance de non-admission attaquée et faute de précision dans le recours formé par Mme X..., le président de la chambre de linstruction se trouve saisi, au fond et selon la procédure applicable devant la chambre de linstruction, de lappel formé contre lordonnance de saisie pénale du juge dinstruction.
L'AVOCAT JUSTIFIE QUE L'ORIGINE INCONNU DES FONDS NE SIGNIFIE PAS QU'ILS SOIENT LE PRODUIT DE L'INFRACTION.
IL N'EST PAS SUIVI PAR LA COUR DE CASSATION.
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 29 janvier 2014 Pourvoi n° 13-80062 rejet
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours d'une information ouverte du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, faux et usage et non-justification de ressources, le juge d'instruction a, le 25 août 2012, rendu au visa des articles 131-21, 222-37, 222-49, 321-6 et 321-10-1 du code pénal, une ordonnance de saisie d'un immeuble appartenant à une société civile immobilière X... , dont les intéressés sont les uniques porteurs de parts, de sorte qu'ils ont la libre disposition de cet immeuble ;
Attendu que, pour confirmer cette ordonnance, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que la confiscation des biens prévue par l'article 131-21, alinéa 6, du code pénal, concerne tous les biens dont les mis en examen ont la libre disposition, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 29 janvier 2014 Pourvoi n° 13-80063 rejet
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours d'une information ouverte du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, recel, faux et usage, non-justification de ressources et infraction à la législation sur les armes, le juge d'instruction a, le 25 août 2012, rendu au visa des articles 131-21, 222-37, 222-49, 321-6 et 321-10-1 du code pénal, une ordonnance de saisie d'un fonds de commerce exploité par une société Apple Food dont Mme Y...est porteur de parts unique, de sorte que les époux X... ont la libre disposition de ce fonds
RESTITUTION DES OBJETS SAISIS
Article 41-4 du Code de Procédure Pénale
Lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets, le procureur de la République ou le procureur général est compétent pour décider, d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque la propriété n'en est pas sérieusement contestée.
Il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice ; la décision de non restitution prise pour l'un de ces motifs ou pour tout autre motif, même d'office, par le procureur de la République ou le procureur général peut être contestée dans le mois de sa notification par requête de l'intéressé devant le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels, qui statue en chambre du conseil.
Si la restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets non restitués deviennent propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers. Il en est de même lorsque le propriétaire ou la personne à laquelle la restitution a été accordée ne réclame pas l'objet dans un délai de deux mois à compter d'une mise en demeure adressée à son domicile. Les objets dont la restitution est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens deviennent propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers, dès que la décision de non-restitution ne peut plus être contestée, ou dès que le jugement ou l'arrêt de non-restitution est devenu définitif.
Le procureur de la République peut ordonner la destruction des biens meubles saisis dont la conservation n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il s'agit d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite.
JURISPRUDENCE
La Cour de cassation rappelle que les règlements européens imposent de protéger les tiers de bonne foi même pour un véhicule
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 19 avril 2023 Pourvoi n° 22-85.243 cassation
Vu l'article 99,
alinéa 4, du code de procédure pénale :
8. Selon ce texte, il n'y a pas lieu à restitution par la
juridiction d'instruction notamment lorsque le bien saisi est l'instrument
ou le produit direct ou indirect de l'infraction.
9. Cependant, ce texte doit être interprété à la lumière des
dispositions de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du
Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, ce dont il
résulte que les droits du tiers de bonne foi doivent être
réservés, que le bien soit l'instrument ou le produit direct ou
indirect de l'infraction.
10. L'arrêt attaqué mentionne qu'aux termes de son mémoire
régulièrement déposé, le tiers appelant expose qu'il est
titulaire d'un contrat de leasing sur le véhicule saisi, qu'il a
loué au garage GS Auto SA, que des sous-locations ont été
organisées sans l'en informer, et qu'il produit la carte grise
dudit véhicule, les contrats de location ainsi que la plainte
déposée par lui à la suite du vol du véhicule.
11. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction rejetant la
demande de restitution de l'appelant, les juges énoncent qu'il
résulte des éléments de la procédure que le véhicule dont la
restitution est sollicitée est l'instrument de l'infraction.
12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a refusé
de restituer un bien constituant l'instrument de l'infraction
sans constater que le demandeur ne faisait valoir sur celui-ci
aucun titre de détention régulier, ni rechercher s'il était de
bonne foi, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus
rappelé.
13. La cassation est par conséquent encourue.
LA SAISIE D'UN VEHICULE APPARTENANT A UNE SOCIETE POUR FAUTE PENALE DU CONDUCTEUR
REFUS DE LA COUR D'APPEL SUR LA DEMANDE DE RESTITUTION DE LA SARL NAALA aux motifs que le tribunal a justement procédé à la saisine (sic) du véhicule ayant servi à commettre linfraction puisque le prévenu qui na de cesse de conduire sans permis se verra entraver dans sa conduite délictueuse par la confiscation de ce véhicule ; que si celui-ci est effectivement la propriété de la SARL Naala, il nen demeure pas moins que M. X... en avait la libre disposition, en tant que gérant, ce que ses propres salariés ont déclaré, en précisant même que cette voiture nétait utilisée que par le patron ; que lintervention volontaire, en cause dappel, de cette société est irrecevable car si larticle 131-21 du code pénal fait référence aux droits du légitime propriétaire, encore faut-il que celui-ci soit de bonne foi ce dont la cour doute puisque le prévenu est le gérant unique de cette société, mais surtout laction de cette société ne peut intervenir que dans le cadre dune procédure de restitution, procédure exigeant un formalisme qui na pas été respectée en lespèce.
Cour de Cassation chambre criminelle, arrêt du 15 janvier 2014 pourvoi 13-81 874 Rejet
Attendu que si cest à tort que la cour dappel a énoncé, pour déclarer irrecevable lintervention volontaire de la société Naala, propriétaire du véhicule automobile dont la confiscation, assortie de lexécution provisoire, avait été ordonnée, que laction de cette société ne pouvait intervenir que dans le cadre dune procédure de restitution, larrêt nencourt pas la censure dès lors que les juges ont souverainement apprécié, par une motivation exempte dinsuffisance comme de contradiction, que ladite société nétait pas propriétaire de bonne foi au sens des dispositions de larticle 131-21 du code pénal
Une cour d'Appel refuse de rendre les biens confisqués alors que le prévenu est relaxé !
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 14 février 2023 Pourvoi n° 21-85.689 cassation
Vu les articles
567 et 609 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit de ces textes que, d'une part, si le pourvoi a
pour effet de déférer à la Cour de cassation la décision
attaquée dans son intégralité, cet effet est limité par la
qualité du demandeur, par sa volonté ou par son intérêt à
agir, d'autre part, après cassation, l'affaire est dévolue à
la cour d'appel de renvoi dans les limites fixées par l'acte de
pourvoi.
10. L'arrêt attaqué déclare M. [I] coupable de travail
dissimulé.
11. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel de renvoi n'était
plus saisie de l'action publique de ce chef, la relaxe prononcée
ayant acquis l'autorité de chose jugée, les juges ont méconnu
les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 20 mars 2019 Pourvoi n° 18-82.198 cassation partielle
Vu larticle 41-4 du code de procédure pénale ;
Attendu quil résulte du texte susvisé que toute décision de non restitution dun objet placé sous main de justice, prise par le procureur de la République ou le procureur général dans les conditions prévues au premier alinéa de ce texte, peut être déférée à la chambre de linstruction par la personne intéressée, que le refus ou lirrecevabilité opposée à la demande soit fondé sur lun des motifs mentionnés au deuxième alinéa ou sur la circonstance que lobjet réclamé est devenu la propriété de lEtat par suite de lexpiration du délai de six mois fixé au troisième alinéa ;
Attendu quil résulte de larrêt attaqué et des pièces de procédure quà la suite dun jugement du tribunal correctionnel en date du 16 décembre 2013 ayant constaté lextinction de laction publique par suite du décès dZ... A..., les demandeurs, en leur qualité dhéritiers du prévenu, ont saisi le procureur général dune requête en restitution de la somme de 14 060 euros qui aurait appartenu à leur auteur, en faisant notamment valoir que cette somme avait été saisie dans le cadre des investigations diligentées à lencontre dZ... A... ; que, par courrier du 23 février 2017, le procureur général a rejeté la requête au motif quil avait été définitivement statué sur laction publique à légard dZ... A... par le jugement du 16 décembre 2013 et que, cette somme nayant pas été réclamée dans le délai de six mois ayant suivi cette décision, elle était devenue propriété de lEtat ; que, par lettre recommandée avec demande davis de réception du 2 mars 2017, les requérants ont déféré cette décision à la chambre de linstruction ;
Attendu que pour déclarer le recours irrecevable, larrêt retient notamment que le courrier du 23 février 2017 adressé par le procureur général au conseil des demandeurs ne constitue pas une décision de non restitution susceptible dun recours devant la chambre de linstruction ;
Mais attendu quen prononçant ainsi, la chambre de linstruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
En cas d'appel de l'ordonnance de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions. Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, après avoir infirmé l'ordonnance rendue par le juge d'instruction de remise d'un véhicule automobile à l'AGRASC aux fins d'affectation à un service de police judiciaire, en ordonne la restitution à l'appelant
Cour de Cassation, chambre criminelle arrêt du 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-85.420 Cassation
4. Il résulte du
second de ces textes que les décisions de destruction, ou de
remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de
biens meubles placés sous main de justice, rendues par le juge d'instruction,
sont notifiées au ministère public, aux parties intéressées
et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant
des droits sur le bien, qui peuvent les déférer à la chambre
de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et
sixième alinéas de l'article 99.
5. Ce texte ne prévoit pas, contrairement à l'article 41-5 du
code de procédure pénale applicable pendant l'enquête ou
lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction
saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur le sort
des scellés, qu'à l'occasion de leur recours ces personnes
peuvent demander la restitution des biens saisis ni que la
chambre de l'instruction peut en ordonner d'office la restitution.
6. Par ailleurs, le deuxième alinéa du premier de ces textes
donne compétence à la chambre de l'instruction pour directement
statuer sur les requêtes en restitution seulement lorsque la
requête a été formée conformément à l'avant-dernier alinéa
de l'article 81 du même code et que le juge d'instruction s'est
abstenu de statuer dans le délai d'un mois, le requérant
pouvant alors saisir directement le président de la chambre de l'instruction
qui statue conformément aux trois derniers alinéas de l'article
186-1 de ce code.
7. Enfin, interpréter l'article 99-2 du code de procédure
pénale comme permettant à l'appelant des décisions de
destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation
de biens meubles placés sous main de justice, rendues par le
juge d'instruction, de saisir la chambre de l'instruction d'une
demande de restitution des biens objet de ces décisions,
porterait atteinte aux droits des parties intéressées,
lesquelles s'entendent des personnes à qui la restitution est
susceptible de faire grief (Crim., 8 juillet 1997, pourvoi n° 96-84.306,
Bull. crim. 1997, n° 268), à qui les décisions de restitution
rendues par le juge d'instruction doivent être notifiées et qu'elles
peuvent déférer à la chambre de l'instruction en application
de l'article 99 du code de procédure pénale.
8. Il s'en déduit qu'en cas d'appel de l'ordonnance de
destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation
de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge
d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de
statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions.
9. En l'espèce, après avoir infirmé l'ordonnance de remise à
l'AGRASC rendue par le juge d'instruction en raison de l'atteinte
disproportionnée portée au droit de propriété de M. [V], l'arrêt
retient qu'il convient d'en ordonner la restitution à l'intéressé.
10. En se déterminant ainsi, alors que, saisie de l'unique objet
du recours formé contre une ordonnance de remise à l'AGRASC aux
fins d'affectation, elle ne pouvait pas prononcer sur la demande
de restitution dont l'avait saisie le demandeur, la chambre de l'instruction
a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation
étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de
mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du
code de l'organisation judiciaire.
Article 41-6 du Code de Procédure Pénale
Par dérogation aux articles 41-4 et 41-5, lorsqu'une procédure s'est achevée par une condamnation définitive prononcée par une cour d'assises, le procureur de la République ou le procureur général qui envisage d'ordonner la remise au service des domaines ou à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ou la destruction des objets placés sous main de justice dans le cadre de cette procédure en avertit au préalable par écrit le condamné. Celui-ci dispose, à compter de la notification de cet avertissement, d'un délai de deux mois pour lui faire part de son opposition. En cas d'opposition, si le procureur de la République ou le procureur général n'entend pas renoncer à la remise ou à la destruction des objets placés sous main de justice, il saisit par voie de requête la chambre de l'instruction, qui se prononce dans un délai d'un mois. Dans les cas mentionnés au présent article, le procureur de la République ou le procureur général réexamine tous les cinq ans, dans les mêmes formes, l'opportunité de procéder à la remise ou à la destruction des objets placés sous main de justice.
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 19 février 2014 Pourvoi n° 13-81159 rejet
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'en exécution de la demande d'entraide du magistrat instructeur informant à l'encontre, notamment, de M. X... des chefs d'abus de biens sociaux, faux et usage, les autorités judiciaires belges ont procédé, le 22 janvier 2002, au blocage de deux comptes bancaires dont celui-ci était titulaire ; que le tribunal correctionnel, qui, par jugement contradictoire du 20 juin 2008, a déclaré M. X... coupable des faits reprochés et a prononcé sur les peines, n'a pas ordonné la confiscation des sommes versées sur ces comptes ; que la requête en mainlevée de la saisie de ces sommes dont M. X... a saisi le procureur de la République le 26 décembre 2011 a été déclarée irrecevable, en application de l'article 41-4, troisième alinéa, du code de procédure pénale, pour avoir été présentée plus de six mois à compter de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence ; que, contestant cette décision, l'intéressé a présenté au tribunal correctionnel la même requête, sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant rejeté cette requête, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le titulaire d'un compte bancaire ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts et sur lequel ont été saisies au cours de l'enquête ou de l'instruction des sommes d'argent dont ni la confiscation ni la restitution n'a été ordonnée par une décision définitive de la juridiction de jugement, ne peut en obtenir restitution que selon les modalités et délais prévus par l'article 41-4 du code de procédure pénale, et dès lors que ce texte ne met pas en cause les principes fondamentaux du régime de la propriété, à laquelle il ne porte pas une atteinte disproportionnée, la cour d'appel a justifié sa décision.
AFFAIRE DES CARNETS SARKOZY : LA PORTE EST OUVERTE POUR LA CEDH.
Comme un non lieu a été prononcé, la Cour de Cassation a décidé qu'il n'a pas besoin de récupérer ses carnets saisis pendant l'instruction. Sa demande est sans objet. Qu'il se rassure, c'est juridiquement plus facile de lui rendre les carnets pour les lui reprendre aussitôt que de les saisir à nouveau entre les mains de la justice, sans faire de détournement de procédure.
Cour de Cassation Chambre Criminelle arrêt du 11 mars 2014 Pourvoi n° 13-86965 Cassation partielle sans renvoi
Sur le pourvoi formé par M. X... :
Attendu que M. X..., mis en examen du chef dabus de faiblesse, a fait lobjet, le 7 octobre 2013, dune ordonnance de non-lieu à renvoi devant le tribunal correctionnel, devenue définitive à son égard ; Quen application de larticle 606 du code de procédure pénale, il ny pas lieu de statuer sur son pourvoi devenu sans objet.
Cliquez sur le lien bleu pour accéder à l'arrêt complet de la Cour de Cassation du 11 mars 2014 en format PDF.
RÉTENTION OU SAISIE DE BIENS PAR LES DOUANES
Cliquez sur un lien bleu pour accéder :
- AUX RETENTIONS DES OBJETS ET SOMMES D'ARGENT PAR LA DOUANE
- AUX SAISIES ILLÉGALES DES DOUANES FRANCAISES
RETENTIONS DES OBJETS ET SOMMES D'ARGENT PAR LA DOUANE
STOYAN NIKOLOV c. BULGARIE du 20 juillet 2021 Requête no 68504/11
Art 1 P1 Réglementer lusage des biens Cumul non nécessaire dune amende administrative avec la confiscation de la totalité dune somme non déclarée à la douane pour assurer leffet dissuasif et punitif de la sanction et prévenir dautres infractions à lobligation déclarative Confiscation disproportionnée Poursuite dun but purement punitif
Art 13 (+ Art 1 P1) Recours interne effectif pour remédier à latteinte alléguée au droit au respect des biens
ARTICLE 1 PROTOCOLE 1
55. La Cour note que, en lespèce, le requérant a été condamné au paiement dune amende et à la confiscation de la somme quil navait pas déclarée à la douane (paragraphes 11 à 16 ci-dessus). À la lumière de sa jurisprudence en la matière (voir, notamment, Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 84-86, 26 février 2009, et Gabric c. Croatie, no 9702/04, § 33, 5 février 2009), elle estime quil sagit dune ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens, que les mesures contestées relèvent de la réglementation de lusage des biens et que cette situation entre dans le champ dapplication du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1.
56. La Cour doit donc établir si cette ingérence était « prévue par la loi », si elle poursuivait un but légitime et si elle était proportionnée au but poursuivi (Togrul c. Bulgarie, no 20611/10, § 39, 15 novembre 2018).
57. Elle observe, en premier lieu, que les deux sanctions appliquées au requérant étaient prévues par les articles 11, 18 et 20 de la loi de 1999 sur les devises et par larrêté ministériel no 10 du 16 décembre 2003, qui réprimaient linfraction reprochée à lintéressé, à savoir la non-observation des règles relatives à la déclaration des sommes dargent en espèces lors du passage à la frontière bulgare (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Il ressort également des dispositions pertinentes du TFUE et du Règlement (CE) no 1889/05 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005, telles quelles sont interprétées par la Cour de justice de lUnion européenne dans sa jurisprudence, que le droit primaire et le droit dérivé de lUnion européenne ne sopposent pas en principe à ce que les États membres de lUnion mettent en place une obligation déclarative pour les particuliers transférant de largent liquide dun État membre à un autre (paragraphes 22, 23, 25 et 26 ci-dessus). Il convient de noter à cet égard que, daprès linformation dont dispose la Cour, plusieurs États membres de lUnion européenne ont choisi de mettre en place des mesures similaires de contrôle, sous différentes formes et conditions (paragraphe 24 ci-dessus).
58. La Cour ne sestime pas appelée dans la présente espèce à déterminer de manière abstraite si, compte tenu des sanctions prévues par le droit bulgare pertinent, cette réglementation nationale pouvait être considérée comme compatible avec les articles 63 et 65 du TFUE (paragraphe 22 ci-dessus). Elle observe quil incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, dinterpréter et dappliquer le droit interne, même lorsque celui-ci renvoie au droit international ou à des accords internationaux. De même, les organes judiciaires de lUnion européenne sont mieux placés pour interpréter et appliquer le droit de lUnion (Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 143, CEDH 2005-VI, et Jeunesse c. Pays-Bas [GC], no 12738/10, § 110, 3 octobre 2014). Sur la base des éléments dont elle dispose dans le cadre de la présente affaire, la Cour estime que lingérence dont se plaint le requérant était « prévue par la loi » au sens de sa jurisprudence (voir, par exemple, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 108 et 109, CEDH 2000-I). Dans son analyse de la proportionnalité de lingérence en cause, elle prendra en compte la nature et la sévérité des sanctions infligées au requérant (paragraphes 60 in fine et 63 ci-dessous).
59. La Cour peut accepter largument du Gouvernement (paragraphe 53 ci-dessus), selon lequel les mesures contestées visaient à contrôler limportation et lexportation dargent liquide et donc à lutter contre lexportation illicite de moyens de paiement, ce qui sanalyse en des « buts légitimes » répondant à lintérêt général, au sens du second paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1.
60. Il reste à établir si les autorités ont, dans la présente affaire, ménagé un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. En dautres termes, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les exigences de lintérêt général et la protection des droits fondamentaux de lindividu, compte tenu de la marge dappréciation reconnue à lÉtat en pareille matière (Grifhorst, précité, § 94). Pour cela, elle tiendra compte de la nature et de la gravité de linfraction reprochée au requérant, du comportement de celui-ci et de la nature et de la sévérité des sanctions infligées (Grifhorst, précité, §§ 95-105, et Gabric, précité, §§ 36-39).
61. La Cour constate tout dabord que le requérant a été sanctionné dans le cadre dune procédure administrative pour ne pas avoir déclaré à la douane bulgare la somme de 34 300 EUR quil transportait. Il apparaît que la légalité de lorigine de cet argent ninspirait pas le moindre soupçon : le requérant avait présenté des documents bancaires et donné des explications cohérentes à ce sujet au cours de la procédure pénale concomitante et les organes chargés de lenquête pénale avaient retenu ces explications (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Les poursuites pénales ouvertes contre lui pour les mêmes faits ont été abandonnées et les autorités bulgares nont soupçonné lintéressé daucune activité illégale. Il en ressort que linfraction pour laquelle le requérant a été sanctionné était le manquement à une obligation déclarative à la douane.
62. Pour ce qui est du comportement du requérant, la Cour observe que lorsque lintéressé a été interrogé par la douanière, il na pas cherché à dissimuler largent, mais a au contraire immédiatement présenté la somme en question (paragraphe 5 ci-dessus). Les autorités internes, qui avaient examiné les affaires pénale et administrative ouvertes à ce sujet, ont constaté que le requérant navait pas commis de faute intentionnelle, mais une infraction administrative par négligence (paragraphes 9 et 16 ci-dessus).
63. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, dans pareille situation, la sanction doit correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir un manquement à lobligation de déclaration, et non pas à la gravité dun manquement présumé non avéré, tel quun blanchiment dargent ou une fraude fiscale (Ismayilov c. Russie, no 30352/03, § 38, 6 novembre 2008, et Grifhorst, précité, § 102). Dans la présente affaire, le requérant a été sanctionné par une amende de 1 000 BGN (soit environ 500 EUR), qui était le montant minimum prévu par la loi nationale sur les devises (paragraphe 17 ci-dessus). Il sest également vu confisquer, conformément à la législation interne (paragraphe 17 in fine ci-dessus), la totalité de la somme non déclarée, à savoir 34 300 EUR. Force est de constater que la confiscation de cette somme poursuivait un but purement punitif, puisquelle ne visait à compenser aucun préjudice qui aurait été subi par lÉtat et qui aurait résulté de linfraction du requérant. Le Gouvernement na pas démontré de manière convaincante quil était nécessaire de cumuler lamende administrative avec la confiscation de cent pour cent de la somme non déclarée aux fins dassurer leffet dissuasif et punitif de la sanction administrative et de prévenir dautres infractions à lobligation déclarative en question.
64. La Cour estime quil y a lieu de distinguer la présente espèce de laffaire Karapetyan c. Géorgie (no 61233/12, 15 octobre 2020), dans laquelle elle a conclu à une non-violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention dans la mesure où la requérante dans cette affaire était bien au courant de lexistence dune obligation déclarative en cas de franchissement de la frontière avec de largent liquide, où elle avait intentionnellement dissimulé largent non déclaré, où elle avait été sanctionnée seulement par une confiscation de la somme non déclarée sans faire lobjet en plus dune amende, et où elle navait présenté aucun document permettant détablir lorigine licite de largent confisqué (ibid., §§ 38 et 39).
65. En revanche, la situation du requérant dans la présente espèce présente des similitudes avec celle des requérants dans les affaires précitées Gabric (§ 39), Ismayilov (§ 38) et Togrul (§ 45). De la même manière que dans ces affaires, la Cour conclut en lespèce que la confiscation de cent pour cent du montant non déclaré infligée au requérant pour son manquement à lobligation déclarative était disproportionnée et quelle lui a imposé un fardeau excessif.
66. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention.
ARTICLE 13
69. Le requérant allègue quil navait à sa disposition aucune voie de recours effective susceptible de remédier à latteinte selon lui injustifiée à son droit au respect de ses biens. Il expose en particulier que les tribunaux nont pas répondu à son argument fondé sur une incompatibilité alléguée des sanctions imposées avec le droit de lUnion européenne et quils nont pas cherché à établir si les mesures en cause étaient proportionnées, de sorte que son recours devant les tribunaux administratifs aurait été dépourvu deffectivité.
70. Le Gouvernement répond que le recours introduit par le requérant devant les tribunaux administratifs présentait tous les attributs dun recours effectif. Il soutient que le seul fait que le requérant na pas obtenu gain de cause ne saurait amener la Cour à constater une violation de larticle 13 dans le cas despèce.
71. La Cour rappelle que larticle 13 de la Convention garantit aux requérants un recours interne « effectif », en ce sens quil peut empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou fournir à lintéressé un redressement approprié pour toute violation sétant déjà produite (Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 158, CEDH 2000-XI).
72. La Cour observe que la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention constatée en lespèce découlait de la décision prise le 25 novembre 2009 par le directeur du service des douanes, lequel a imposé au requérant une amende et la confiscation de largent quil transportait. Or cet acte était susceptible dun recours devant les tribunaux administratifs, que le requérant a dailleurs exercé (paragraphes 11 à 16 ci-dessus).
73. Force est de constater que rien dans le cas despèce ne permet de conclure que ce recours nétait pas de nature à empêcher la survenance de latteinte alléguée au droit au respect des biens : il sagissait dun recours judiciaire, soumis à des tribunaux établis par la loi, offrant toutes les garanties du procès équitable, disposant des compétences nécessaires pour examiner le litige sur le fond et dont les décisions auraient pu conduire à lannulation de la décision litigieuse prise par le directeur du service des douanes. Le seul fait que le requérant sest vu débouter par les tribunaux ne peut pas à lui seul remettre en cause lefficacité de ce recours, étant donné que l« effectivité » dun « recours » au sens de larticle 13 ne dépend pas de la certitude dune issue favorable pour le requérant (Kudla, précité, § 157).
74. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que le requérant disposait dun recours interne effectif pour remédier à latteinte alléguée à son droit au respect de ses biens.
75. Partant, en lespèce il ny a pas eu violation de larticle 13 de la Convention combiné avec larticle 1 du Protocole no 1.
Sadocha c. Ukraine du 11 juillet 2019 requête n° 77508/11
Violation article 1 du Protocole 1 : Les autorités ukrainiennes ont imposé une charge spéciale et exorbitante en confisquant à la frontière lintégralité dune somme en espèces non déclarée
Le requérant se plaint que les douaniers ukrainiens aient saisi, à laéroport Jouliany de Kiev, 31 000 euros quil transportait en espèces. La Cour juge en particulier que la confiscation de lintégralité de la somme dargent non déclarée, ordonnée par les tribunaux nationaux, a imposé au requérant une charge spéciale et exorbitante et quelle était disproportionnée à linfraction commise.
Le requérant, Vasil Sadocha, est un ressortissant tchèque né en 1972 et résidant à Olomouc (République tchèque). En juillet 2011, M. Sadocha se rendit dUkraine en Pologne. Il transportait 41 000 euros (EUR). On lui demanda sil transportait des espèces et son bagage à main passa aux rayons X. M. Sadocha montra au douanier largent quil transportait. Il fut accusé dinfraction au code des douanes pour navoir pas déclaré la somme totale et se vit saisir sur-le-champ 31 000 EUR. Laffaire passa au tribunal en août de la même année. Lavocat de M. Sadocha admit que son client navait pas déclaré la somme transportée, mais plaida quil ignorait devoir le faire. Il précisa que les 31 000 euros provenaient dun prêt privé et produisit laccord de prêt. Le tribunal émit néanmoins une ordonnance de confiscation, jugeant que la provenance de largent était sans pertinence pour lappréciation de la responsabilité de M. Sadocha. En appel, lavocat de M. Sadocha soutint que la juridiction inférieure avait infligé à son client une peine injuste et disproportionnée et quelle navait pas dûment examiné les arguments plaidant pour une sanction moins sévère, tels que lorigine licite de largent et labsence dintention délictueuse. La cour dappel confirma le jugement de première instance.
Article 1 du Protocole n° 1 :
La Cour dit tout dabord que la confiscation de la somme dargent était basée sur la loi, en particulier le code des douanes et une réglementation bancaire nationale relative à lobligation de déclarer les montants supérieurs à 10 000 EUR. Par ailleurs, les États ont un intérêt légitime à mettre en uvre des mesures destinées à contrôler les flux dargent en espèces à travers les frontières, pour lutter contre le blanchiment dargent, le trafic de drogue, le financement du terrorisme et dautres crimes. La question qui se pose dans la cause de M. Sadocha est de savoir si les autorités ont ménagé le juste équilibre requis entre la protection des droits patrimoniaux et lintérêt général, compte tenu de la latitude (« marge dappréciation ») dont jouit lÉtat en la matière. En particulier, le propriétaire du bien ne doit pas avoir à supporter une « charge spéciale et exorbitante ». La Cour observe quil nest pas illégal en Ukraine de faire sortir du pays une somme en espèces. Au moment des faits, il ny avait pas de restrictions quant aux montants qui pouvaient légalement être transférés ou transportés physiquement au-delà de la frontière douanière, tant quils étaient déclarés. Le requérant a affirmé que la somme en espèces provenait dun prêt privé, mais les tribunaux nont pas cherché à vérifier si largent avait été obtenu légalement. Le Gouvernement lui-même na pas émis de doute sur la validité de laccord de prêt et la Cour nest donc pas en position de remettre en question lorigine légale de la somme confisquée. Par ailleurs, aucun élément nindique que le requérant ait délibérément cherché à contourner la réglementation douanière et, de fait, les autorités nont pas déclenché de poursuites pénales, ce qui montre quelles nont pas décelé dintention frauduleuse de sa part. Ainsi, la seule conduite illégale, bien que non délictueuse, qui a été imputée au requérant réside dans le fait quil na pas livré aux autorités douanières de déclaration écrite sur le montant en espèces quil transportait. Une atteinte à des droits patrimoniaux est proportionnée si elle correspond à la gravité du manquement, et la peine à la gravité de linfraction quelle vise à sanctionner. Le montant était important pour le requérant, mais non pour lÉtat. La Cour déclare donc que la confiscation ne visait pas à compenser financièrement le dommage, mais quelle avait plutôt un but dissuasif et répressif. La Cour nest pas convaincue par largument du Gouvernement consistant à dire que les décisions nationales comprenaient une analyse de la proportionnalité, notamment des considérations sur lorigine légale de largent, le défaut dintention ou labsence dantécédents en matière dinfractions douanières. Globalement, la portée du contrôle des tribunaux a été trop étroite pour satisfaire à lexigence dun « juste équilibre ».
Les tribunaux avaient également la possibilité dinfliger une amende au requérant ; or le Gouvernement na pas expliqué pourquoi une telle mesure naurait pas permis dobtenir leffet dissuasif et répressif recherché. Pour la Cour, la confiscation de lintégralité de la somme non déclarée a imposé au requérant une charge spéciale et exorbitante et était disproportionnée à linfraction commise. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole n° 1.
Togrul c. Bulgarie du 15 novembre 2018 requête n° 20611/10
Article 1 du Protocole 1 : Confiscation et rétention, pendant plus de neuf ans, de sommes dargent non déclarées à la douane bulgare : violation du droit de propriété
Laffaire concerne la confiscation, par les autorités bulgares, dune somme de 199 400 euros (EUR) que M. Togrul navait pas déclarée à la douane, ainsi que la rétention dune somme de 9 100 EUR
La CEDH relève que M. Togrul a été sanctionné dans le cadre dune procédure administrative pour ne pas avoir déclaré à la douane bulgare la somme de 199 400 EUR quil transportait. En lespèce, il ny avait aucun soupçon quant à la légalité de lorigine de largent, et les poursuites pénales ont été abandonnées. La Cour juge en particulier que la confiscation de la totalité de la somme non déclarée (199 400 EUR) avait un but purement punitif, puisquelle ne visait à compenser aucune perte qui aurait été subie par lÉtat. Cette confiscation était donc disproportionnée et a imposé un fardeau excessif à M. Togrul. En outre, la rétention de la somme de 9 100 EUR nétait plus proportionnée au but légitime poursuivi (la conservation dune preuve matérielle) à compter de la clôture de la procédure pénale, le 26 janvier 2009. Au-delà de cette date, largent a donc été retenu sans aucun fondement.
PRINCIPAUX FAITS
En octobre 2008, M. Togrul pénétra sur le territoire bulgare à bord dun véhicule. À sa sortie du territoire, le douanier bulgare lui demanda sil avait quelque chose à déclarer. Lintéressé répondit par laffirmative et présenta la somme de 199 400 EUR en espèces, expliquant que largent provenait de la vente de son véhicule et de son compte bancaire. Il présenta des documents justificatifs. Le même jour, le chef de la douane de Svilengrad établit un constat dinfraction administrative, reprochant à M. Togrul de ne pas avoir déclaré ladite somme à la douane. Le policier enquêteur saisit les 199 400 EUR, ainsi que deux billets dune valeur totale de 600 EUR. Ensuite, M. Togrul lui remit dautres billets dune valeur totale de 8 500 EUR. Des poursuites pénales furent engagées à son encontre mais, en janvier 2009, le parquet estima que les faits nétaient pas constitutifs dune infraction pénale. En février 2009, le chef de la douane de Svilengrad imposa à M. Togrul une amende denviron 1 533,88 EUR, estimant que lintéressé navait pas accompli ses obligations déclaratives en ce qui concerne la somme de 199 400 EUR qui fut confisquée. En outre, les 9 100 EUR que M. Togrul avait remis au policier enquêteur furent retenus.
CEDH
37. La Cour rappelle que les principes relatifs à lapplication et à linterprétation de larticle 1 du Protocole no 1 dans des situations similaires à celles de lespèce, ont été résumées dans les arrêts et décisions suivantes : Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I ; J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 52, CEDH 2007-III ; Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I ; Gasus Dosier - und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 60, série A no 306-B ; AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, §§ 51 et 52, série A no 108 ; Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 84-86, 26 février 2009, et Gabric c. Croatie, no 9702/04, § 33, 5 février 2009.
38. La Cour note que, en lespèce, le requérant a été condamné au paiement dune amende et à la confiscation de la somme quil navait pas déclarée à la douane. À la lumière de sa jurisprudence en la matière (paragraphe 37 ci-dessus), elle estime quil sagit dune ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens, que les mesures contestées relèvent de la réglementation de lusage des biens et que cette situation entre dans le champ dapplication du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1.
39. La Cour doit donc établir si cette ingérence était « prévue par la loi », si elle poursuivait un but légitime et si elle était proportionnée au but poursuivi (paragraphe 37 ci-dessus).
40. Elle observe, en premier lieu, que les deux sanctions appliquées au requérant étaient prévues par les articles 11, 18 et 20 de la loi sur les devises qui répriment linfraction reprochée à lintéressé, à savoir la non-observation des règles relatives à la déclaration des sommes dargent en espèces lors du passage à la frontière bulgare (paragraphes 24 et 25 ci-dessus).
41. Elle constate ensuite que les mesures contestées visaient à contrôler limportation et lexportation despèces, ce qui sanalyse en un « but légitime » répondant à lintérêt général, au sens du second paragraphe de larticle 1 du Protocole no 1.
42. Il reste à établir si les autorités ont, dans la présente affaire, ménagé un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. En dautres termes, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les exigences de lintérêt général et la protection des droits fondamentaux de lindividu, compte tenu de la marge dappréciation reconnue à lÉtat en pareille matière (Grifhorst, précité, § 94). Pour cela, elle tiendra compte de la nature et de la gravité de linfraction reprochée au requérant, du comportement de celui-ci et de la nature et de la sévérité des sanctions infligées (Grifhorst, précité, §§ 95-105, et Gabric, précité, §§ 36-39).
43. La Cour constate dabord que le requérant a été sanctionné dans le cadre dune procédure administrative pour ne pas avoir déclaré à la douane bulgare la somme de 199 400 EUR quil transportait. Il apparaît quil ny avait aucun soupçon quant à la légalité de lorigine de cet argent : le requérant avait présenté des documents bancaires et donné des explications cohérentes à ce sujet (paragraphe 6 ci-dessus). Les poursuites pénales ouvertes à son encontre pour les mêmes faits ont été abandonnées et lintéressé na été soupçonné daucune activité illégale par les autorités bulgares. Il en ressort que linfraction pour laquelle le requérant a été sanctionné était le non-accomplissement dune obligation déclarative à la douane.
44. Pour ce qui est du comportement du requérant, la Cour observe quil na pas cherché à dissimuler largent lorsquil a été interrogé par le douanier, quil a immédiatement présenté la somme en question et quil a fourni des documents et donné des explications quant à son origine (paragraphe 6 ci-dessus). Les autorités internes, qui avaient examiné les affaires pénale et administrative ouvertes à ce sujet, ont constaté que le requérant navait pas commis de faute intentionnelle, mais une infraction administrative par négligence (paragraphes 11 et 17 ci-dessus).
45. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, dans pareille situation, la sanction doit correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à lobligation de déclaration, et non pas à la gravité dun manquement présumé non avéré, tel que le blanchiment dargent ou la fraude fiscale (Ismayilov c. Russie, no 30352/03, § 38, 6 novembre 2008, et Grifhorst, précité, § 102). Dans la présente affaire, le requérant a été sanctionné par une amende de 3 000 BGN (soit environ 1 533,88 EUR), qui était le montant maximum prévu par la loi nationale sur les devises (paragraphe 25 ci-dessus). Il sest également vu confisquer, conformément à la législation interne (paragraphe 25 in fine ci-dessus), la totalité de la somme non déclarée, à savoir 199 400 EUR. Force est de constater que la confiscation de cette somme avait un but purement punitif, puisquelle ne visait à compenser aucune perte qui aurait été subie par lÉtat et qui aurait résulté de linfraction du requérant. Le Gouvernement na pas démontré de manière convaincante quil a été nécessaire de cumuler lamende administrative avec la confiscation de cent pourcent de la somme non déclarée pour assurer leffet dissuasif et punitif de la sanction administrative et pour prévenir dautres infractions à lobligation déclarative en question. À linstar de ses conclusions dans les affaires relativement similaires (Gabric, précité, § 39, Ismayilov, précité, § 38, et Boljevic, précité, § 45), la Cour conclut que la confiscation de cent pourcent du montant non déclaré, infligée au requérant pour son manquement à lobligation de déclarer largent, était disproportionnée et quelle lui a imposé un fardeau excessif.
46. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention de ce chef.
2. Grief relatif à la rétention de la somme de 9 100 EUR
a) Arguments des parties
47. Le requérant expose quil a remis aux autorités 9 100 EUR qui ont été conservés comme preuve matérielle dans le cadre des poursuites pénales engagées contre lui. Il précise que cette somme ne lui a pas été restituée à lissue de la procédure pénale et que toutes ses tentatives subséquentes ont été rejetées par la police, le parquet ou les autorités administratives. Il estime que cette situation sanalyse en une violation de son droit au respect de ses biens.
48. Le Gouvernement combat la thèse du requérant, soutenant quil sagissait dune mesure prévue par la loi, poursuivant un but légitime et proportionnée. Il indique que la somme avait été saisie dans le cadre de la procédure pénale menée contre le requérant, quelle na pas fait lobjet de la procédure administrative subséquente, quelle se trouve toujours au commissariat de police de Svilengrad, que le requérant nen a pas demandé la restitution à la police et quil na intenté contre le policier enquêteur ni une action civile en répétition de lindu ni une action en indemnisation pour enrichissement injustifié.
b) Appréciation de la Cour
49. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 ne prohibe pas la saisie dun bien à des fins dadministration de la preuve dans le cadre dune procédure pénale. Toutefois, il sagit dune mesure qui restreint temporairement lusage des biens et qui, dès lors, pour répondre aux exigences de larticle 1 du Protocole no 1, doit être prévue par la législation interne, poursuivre un but légitime et être proportionnée au but poursuivi (Karamitrov et autres c. Bulgarie, no 53321/99, § 72, 10 janvier 2008, et Petyo Petkov c. Bulgarie, no 32130/03, § 102, 7 janvier 2010).
50. La Cour observe que largent en cause a été saisi en tant que preuve matérielle en vertu du CPP (paragraphes 9 et 10 ci-dessus) et que le requérant ne conteste ni la prévisibilité ni laccessibilité des dispositions législatives en cause (paragraphe 47 ci-dessus). La Cour constate ainsi que les parties saccordent pour dire que la première condition de la régularité de la mesure litigieuse est remplie et elle ne voit pas de raison daboutir à une conclusion différente. Elle estime que la mesure en cause visait le but légitime dassurer le bon fonctionnement de la justice et quelle relevait donc de lintérêt général.
51. Il reste donc à déterminer si les autorités ont ménagé en loccurrence un juste équilibre entre lintérêt général et le droit du requérant dutiliser son bien. Pour déterminer la proportionnalité de la mesure en cause, la Cour estime opportun de prendre en compte sa durée, sa nécessité au vu du déroulement des poursuites pénales, les conséquences de son application pour le requérant et les décisions prises par les autorités à ce sujet pendant et à lissue du procès pénal (Petyo Petkov, précité, § 105).
52. La Cour constate que la somme de 9 100 EUR, saisie le 8 octobre 2008, navait toujours pas été restituée au requérant à la date du 1er novembre 2017 (paragraphes 9, 10 et 23 ci-dessus). Cette somme a donc été retenue par les autorités pendant plus de neuf ans.
53. La Cour accepte que la rétention de cette somme était justifiée jusquà la fin de la procédure pénale contre le requérant, à savoir le 26 janvier 2009 (paragraphe 11 ci-dessus). Au-delà de cette date, le requérant était poursuivi administrativement uniquement pour ne pas avoir déclaré la somme de 199 400 EUR. Le reste de largent saisi le 8 octobre 2008, à savoir les 9 100 EUR en question, a été retenu par les autorités sans aucun fondement.
54. La Cour relève que le requérant a saisi tant la police que le parquet de Svilengrad, lesquels nont pas fait suite à ses demandes de restitution de cette somme (paragraphes 14, 21 et 22 ci-dessus), et que le recours quil avait formé devant le tribunal de district de Svilengrad à cet égard na pas été examiné (paragraphes 15 et 18 ci-dessus). Pour ce qui est de largument du Gouvernement tiré de lomission du requérant de saisir les tribunaux civils dune action en répétition de lindu ou dune action en indemnisation pour enrichissement injustifié contre le policier enquêteur, la Cour réitère son constat selon lequel le Gouvernement na présenté aucune décision de justice dans laquelle les deux voies de recours en question auraient été exercées avec succès dans une situation similaire à celle de lespèce (paragraphe 33 ci-dessus). La Cour ne saurait donc retenir cet argument contre le requérant.
55. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la rétention de la somme de 9 100 EUR appartenant au requérant nétait plus proportionnée au but légitime poursuivi à compter de la clôture de la procédure pénale menée à lencontre de lintéressé. Il y a donc eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 de la Convention de ce chef.
LES SAISIES ILLÉGALES DES DOUANES FRANCAISES
GRIFHORST c. FRANCE du 26 FEVRIER 2009 Requête 28336/02
Un hollandais vivant à Andorre se fait arrêter en introduisant de l'argent en France sans le déclarer. Il se voit confisquer la somme et subir une amende de 50% du Montant de la somme saisie ! Il se plaint d'une violation de P1-1. Cette somme était compatible avec sa fortune, le trafic de drogue n'est pas démontré. Il n'y a pas de lien de proportionnalité entre un la sanction et le fait reproché:
"1. Rappel des principes
81. Larticle 1 du Protocole no 1, qui garantit le droit au respect des biens, contient trois normes distinctes. La première, qui sexprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général. Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de rapports entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers datteinte au droit de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du principe général consacré par la première (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, pp. 29-30, § 37, et les récents arrêts Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-..., et J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 52, CEDH 2007-....).
82. Pour se concilier avec la règle générale énoncée à la première phrase du premier alinéa de larticle 1, une atteinte au droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux de lindividu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I, et Air Canada c. Royaume-Uni, arrêt du 5 mai 1995, série A no 316-A, p. 16, § 36).
83. Pour ce qui est des ingérences relevant du second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1, lequel prévoit spécialement le « droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois quils jugent nécessaires pour réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général (...) », il doit exister de surcroît un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. A cet égard, les États disposent dune ample marge dappréciation tant pour choisir les modalités de mise en uvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le souci datteindre lobjectif de la loi en cause (AGOSI c. Royaume-Uni, arrêt du 24 octobre 1986, série A no 108, § 52).
2. Application au cas despèce
a) Sur la norme applicable
84. La Cour considère que lamende infligée au requérant sinscrit dans le deuxième alinéa de larticle 1 (cf. Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 51, CEDH 2001-VII, et, mutatis mutandis, Valico S.r.l. c. Italie (déc.), no 70074/01, CEDH 2006-...).
85. Sagissant de la confiscation de la somme transportée par le requérant, la Cour rappelle avoir affirmé dans plusieurs affaires que, même si une telle mesure entraînait une privation de propriété, elle relevait néanmoins dune réglementation de lusage des biens (voir AGOSI précité, p. 17, § 51, Raimondo c. Italie, arrêt du 22 février 1994, série A no 281-A, p. 16 , § 29, Butler c. Royaume-Uni (déc.), no 41661/98, CEDH 2002-VI, Arcuri c. Italie (déc.), no 52024/99, CEDH 2001-VII, et Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001, C.M. c. France (déc.), no 28078/95, CEDH 2001-VII ). Il sagissait entre autres dans ces affaires de législations sinscrivant dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants ou contre les organisations de type mafieux (voir aussi, en matière de non-respect de sanctions internationales Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], no 45036/98, § 142, CEDH 2005-...).
86. La Cour est davis que cette approche doit être appliquée à la présente affaire, puisque la confiscation de la somme non déclarée a été prononcée en lespèce en vertu dun texte introduit dans le code des douanes (larticle 465) par la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
b) Sur le respect des exigences de larticle 1 du Protocole no 1
87. La Cour relève que lobligation de déclaration est prescrite par le droit interne, à savoir larticle 464 du code des douanes et que larticle 465 du même code prévoit les sanctions en cas de non-respect, à savoir la confiscation et lamende.
88. Le requérant soutient pour sa part que la condition de légalité de lingérence nest pas remplie, aux motifs que la rédaction de larticle 464 au moment des faits ne permettait pas de savoir clairement sil sappliquait à lui en tant quétranger et par ailleurs la Cour de cassation a rendu elle-même deux arrêts contradictoires sur ce point en 1998 et 2000.
89. La Cour nest pas convaincue par ces arguments. En premier lieu, dans sa rédaction applicable au moment des faits, larticle 464 précité visait « les personnes physiques » effectuant des transferts, formulation large paraissant devoir sappliquer à tous, résidents comme non résidents. En second lieu, les arrêts mentionnés par le requérant ont été rendus par la Cour de cassation postérieurement aux faits de la présente requête. En tout état de cause, la Cour observe quil ne sagit pas dun revirement de jurisprudence, dans la mesure où ces arrêts ont été rendus dans le cadre dune même affaire, le second arrêt ayant été rendu par la Cour de cassation sur opposition de ladministration des douanes et ayant mis à néant le premier (voir paragraphes 25-26 ci-dessus).
90. La Cour estime devoir également tenir compte de ce que la Cour de justice des Communautés européennes a retenu dans plusieurs arrêts (paragraphes 28-30 ci-dessus) que, contrairement à un système dautorisation préalable, un système de déclaration préalable tel quen lespèce était compatible avec le droit communautaire et avec la libre circulation des capitaux.
91. Dès lors, la Cour conclut que la loi était suffisamment claire, accessible et prévisible (voir a contrario Frizen c. Russie, no 58254/00, § 36, 24 mars 2005 et, Baklanov c. Russie, no 68443/01, § 46, 9 juin 2005) et que lingérence en cause était prévue par la loi, au sens de sa jurisprudence.
92. Sagissant du but visé, la Cour relève que larticle 465 précité a été introduit dans le code des douanes par la loi du 12 juillet 1990 dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants. Il ne fait pas de doute pour la Cour quil sagit là dun but dintérêt général (cf. notamment Air Canada précité, § 42, Phillips précité, § 52, et décision Butler précitée).
93. La Cour est consciente à cet égard de limportance que revêt pour les Etats membres la lutte contre le blanchiment de capitaux issus dactivités illicites et pouvant servir à financer des activités criminelles (notamment en matière de trafic de stupéfiants ou de terrorisme international). Elle observe que, depuis quelques années, un nombre croissant dinstruments internationaux (conventions des Nations Unies et du Conseil de lEurope, recommandations du GAFI) et de normes communautaires (directive du 10 juin 1991 et règlement du 26 octobre 2005) visent à mettre en place des dispositifs efficaces permettant notamment le contrôle de flux transfrontaliers de capitaux. Le système de déclaration obligatoire au passage de la frontière des espèces transportées et de sanction en cas de non déclaration sinscrit dans ce contexte.
94. Reste à établir si les autorités ont en lespèce ménagé un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. En dautres termes, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de lintérêt général et la protection des droits fondamentaux de lindividu, compte tenu de la marge dappréciation reconnue à lEtat en pareille matière
95. La Cour sest tout dabord attachée au comportement du requérant. Elle relève quil sest abstenu, malgré les demandes faites à deux reprises par les douaniers, de déclarer les sommes importantes quil transportait. Ce faisant, il a enfreint en connaissance de cause lobligation édictée par larticle 464 du code des douanes, de déclarer au franchissement de la frontière toute somme dépassant un certain plafond (7 600 EUR au moment des faits).
96. Le Gouvernement sappuie également sur les renseignements transmis par les autorités néerlandaises quant aux activités délictueuses du requérant. A cet égard, la Cour relève que, selon la télécopie de lattaché douanier de lambassade de France aux Pays-Bas du 29 janvier 1996, le requérant est « connu des services judiciaires » pour des faits remontant à 1983 (notamment menaces, extorsion de fonds, enlèvement et détention darme à feu). Selon une télécopie du même attaché du 23 avril 1997, sa seule activité connue serait limmobilier et il serait soupçonné par la police néerlandaise dutiliser cette façade pour blanchir des capitaux.
97. La Cour note toutefois quil ne ressort pas du dossier que le requérant ait fait lobjet de poursuites ni de condamnations de ce chef ou du chef dinfractions liées (notamment trafic de stupéfiants), que ce soit au Pays-Bas ou à Andorre où il réside. La Cour observe dailleurs que, dans ses conclusions devant le tribunal correctionnel, ladministration des douanes a reconnu que la somme saisie sur lui était compatible avec sa fortune personnelle.
98. Le seul comportement délictueux qui puisse donc être retenu à lencontre du requérant consiste dans le fait de navoir pas déclaré au passage de la frontière franco-andorrane les espèces quil transportait. Le Gouvernement na dailleurs pas soutenu que les sommes transportées seraient issues dactivités illicites ou destinées à de telles activités.
99. La Cour estime donc que la présente affaire se distingue des affaires similaires dont elle a eu à connaître jusquici, où les mesures de confiscation ordonnées par les autorités internes étaient de deux ordres : soit elles sappliquaient à lobjet même du délit (AGOSI et Bosphorus Airways précités) ou au moyen utilisé pour le commettre (cf. Air Canada précité, décision C.M. précitée et, mutatis mutandis, Yildirim c. Italie (déc.), no 38602/02, CEDH 2003-IV ), soit elles visaient des biens présumés acquis au moyen dactivités délictueuses, (voir en matière de trafic de stupéfiants décision Phillips précitée et, mutatis mutandis, Welch c. Royaume-Uni, arrêt du 9 février 1995, série A no 307-A, et en matière dactivités dorganisations de type mafieux arrêt Raimondo précité et décisions Arcuri et Riela précitées), ou des sommes destinées à de telles activités (décision Butler précitée).
100. La Cour a également eu égard à limportance de la sanction qui a été infligée au requérant pour ce défaut de déclaration, à savoir le cumul de la confiscation de lintégralité de la somme transportée, soit 233 056 EUR, avec une amende égale à la moitié de ce montant (116 528 EUR), soit au total 349 584 EUR. Elle relève quen vertu de larticle 465 du code des douanes dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, le défaut de déclaration entraînait automatiquement la confiscation de lintégralité de la somme, seule lamende pouvant être modulée par les juridictions internes (de 25 à 100 % de la somme non déclarée).
101. La Cour relève que, parmi les autres Etats membres du Conseil de lEurope, la sanction la plus fréquemment prévue est lamende. Elle peut être cumulée avec une peine de confiscation, notamment lorsque lorigine licite des sommes transportées nest pas établie, ou en cas de poursuites pénales à lencontre de lintéressé. Toutefois, lorsquelle est prévue, la confiscation ne concerne en général que le reliquat de la somme excédant le montant à déclarer ; seul un autre Etat (la Bulgarie) prévoit le cumul dune amende pouvant aller jusquau double de la somme non déclarée avec la confiscation automatique de lintégralité de la somme.
102. La Cour rejoint lapproche de la Commission européenne qui, dans son avis motivé de juillet 2001 (paragraphe 29 ci-dessus), a souligné que la sanction devait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir le manquement à lobligation de déclaration et non pas à la gravité du manquement éventuel non constaté, à ce stade, dun délit tel que le blanchiment dargent ou la fraude fiscale.
103. La Cour relève quà la suite de cet avis motivé, les autorités françaises ont modifié larticle 465 précité. Dans sa rédaction entrée en vigueur le 1er octobre 2004, cet article ne prévoit plus de confiscation automatique et lamende a été réduite au quart de la somme sur laquelle porte linfraction. La somme non déclarée est désormais consignée pendant une durée maximum de six mois, et la confiscation peut être prononcée dans ce délai par les juridictions compétentes lorsquil y a des indices ou raisons plausibles de penser que lintéressé a commis dautres infractions au code des douanes ou y a participé. De lavis de la Cour, un tel système permet de préserver le juste équilibre entre les exigences de lintérêt général et la protection des droits fondamentaux de lindividu.
104. La Cour observe enfin que, dans la plupart des textes internationaux ou communautaires applicables en la matière, il est fait référence au caractère « proportionné » que doivent revêtir les sanctions prévues par les Etats.
105. Au vu de ces éléments et dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour arrive à la conclusion que la sanction imposée au requérant, cumulant la confiscation et lamende, était disproportionnée au regard du manquement commis et que le juste équilibre na pas été respecté (cf. Ismayilov c. Russie, no 30352/03, § 38, 6 novembre 2008).
106. Il y a donc eu en lespèce violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention."
GRIFHORST c. FRANCE du 12 décembre 2009 Requête 28336/02
LA COUR Constate l'accord amiable entre la France et le requérant
1. A lorigine de laffaire se trouve une requête (no 28336/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant néerlandais, M. Robert Grifhorst (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juillet 2002 en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me B.J. Tieman, avocat à Amsterdam et par Me J. de Jongh-Dunand, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait en particulier la violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, au motif que la sanction dont il avait fait lobjet pour non-déclaration dune somme au passage de la douane, à savoir la confiscation de la totalité de la somme non déclarée et lamende correspondant à la moitié de la somme non déclarée, était disproportionnée par rapport à la nature du fait reproché.
4. Par un arrêt du 26 février 2009 (« larrêt au principal »), la Cour a jugé quil y avait eu violation de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (Grifhorst c. France, no 28336/02, CEDH 2009-...).
5. En sappuyant sur larticle 41 de la Convention, le requérant réclamait, au titre du préjudice matériel, la somme de 226 890,11 euros (EUR) correspondant aux 500 000 florins confisqués, assortie des intérêts. Il demandait également 37 772,44 EUR au titre des frais davocat et 3 249,89 EUR au titre des frais de traduction.
6. La question de lapplication de larticle 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour la réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 110 et point 3 du dispositif).
7. Le 14 septembre 2009, la Cour a reçu une lettre de lavocat du requérant linformant quun accord avait été trouvé entre le Gouvernement et le requérant au sujet de la satisfaction équitable et quen conséquence laffaire pouvait être rayée du rôle.
8. Le 29 septembre 2009, la Cour a reçu une lettre du Gouvernement confirmant que les parties étaient parvenues à un accord et indiquant quil sassociait à la demande de la radiation du rôle faite par le requérant.
La CEDH a confirmé pour les mêmes faits, dans son arrêt Moon contre France du 9 juillet 2009 dans la requête 39973/03.
NOUVELLE CONDAMNATION DE LA FRANCE PAR LA CEDH POUR LES SAISIES DOUANIERES
BOWLER INTERNATIONAL UNIT c. FRANCE DU 23 /07/2009 Requête 1946/06
La CEDH condamne la saisie de poupées près desquelles étaient cachées le cannabis découvert à Coquelle centre du tunnel sous la Manche. L'entreprise anglaise qui n'est pas concernée par ce trafic de cannabis réclame en vain ses poupées. Les juridictions françaises considèrent qu'il avait fallu déplacer la palette de cartons de poupées pour trouver le cannabis dans le camion et que par conséquent, les poupées étaient saisies car elles ont participé à l'infraction. La CEDH rappelle que les propriétaires sont de bonne foi et ne doivent pas subir les conséquences de l'infraction surtout que des poupées ne permettent pas à commettre une infraction comme des armes !
"34. La Cour observe en premier lieu que les parties s'accordent toutes deux sur l'existence d'une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens.
35. La Cour rappelle ensuite que l'article 1 du Protocole no 1 garantit en substance le droit de propriété et contient trois normes distinctes : la première, qui s'exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le droit de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou d'assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. Il ne s'agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d'atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s'interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir les arrêts AGOSI, précité, § 48, et Air Canada, précité, § 30).
36. La Cour estime nécessaire d'établir si la confiscation des marchandises propriété de la requérante a constitué une réglementation des biens ou une privation de propriété.
37. Elle relève que la confiscation des marchandises a été opérée sur le fondement des articles 323 § 2 et 414 du code des douanes au motif qu'elles auraient servi à masquer une fraude et note qu'aux termes de l'article 376 du code des douanes « les objets confisqués ne peuvent être revendiqués par les propriétaires ». Par ailleurs, la direction générale des douanes de Dunkerque a fait savoir à la requérante que la mainlevée des marchandises était subordonnée à la constitution d'une garantie bancaire ou d'une consignation d'une somme de 165 000 FRF égale à la valeur de celle-ci. De plus, suite à une décision initialement favorable, la requérante a été condamnée par la cour d'appel de renvoi au paiement d'une somme « correspondant à valeur de la marchandise à l'époque de la saisie pour tenir lieu de la confiscation » de la marchandise.
38. Une telle situation atteste d'une véritable privation de propriété et ne peut pas s'analyser en une mesure temporaire de saisie et restitution contre un versement (voir l'affaire Air Canada, précitée). De plus, le constat du Gouvernement quant à l'absence d'un recours pour permettre au propriétaire de solliciter la restitution de son bien en faisant valoir sa bonne foi permet de considérer que la confiscation emportait transfert définitif de propriété et ne constituait pas une restriction temporaire à son utilisation (voir a contrario l'affaire C.M. c. France, précitée).
39. Cependant, la Cour rappelle que, bien qu'elle comporte une privation de propriété, la confiscation de biens ne relève pas nécessairement de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 63, série A no 24, et AGOSI, précité, § 51).
40. En l'espèce, la législation applicable laisse apparaître que la confiscation de la marchandise ayant servi à masquer la fraude poursuivait les buts légitimes de lutte contre le trafic international de stupéfiants et de responsabilisation des propriétaires de marchandises dans le choix des transporteurs auxquels ils ont recours, ce dont les parties conviennent.
41. Or, comme telle, l'ingérence relève de la réglementation de l'usage de biens. Dès lors, c'est le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 qui s'applique en l'espèce (voir, mutatis mutandis, AGOSI, pre´cite´, § 51, et Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 85-86, 26 février 2009).
42. Reste la question de savoir si la mesure d'ingérence dans le droit au respect des biens a ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, parmi d'autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52). En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no 332).
43. Si l'on peut considérer comme le Gouvernement que la confiscation était prévue par la loi et répondait à l'objectif légitime de lutte contre le trafic international de stupéfiants, l'argument selon lequel cette mesure est uniquement préventive et destinée à garantir l'indemnisation du Trésor public ne semble pas pertinent. Cette garantie est en effet déjà assurée par la condamnation de l'auteur de la fraude à une amende très importante. Par ailleurs, et de l'avis de la Cour, il convient également de noter que la sanction constituée par la confiscation des biens ayant servi à masquer la fraude paraît très rigoureuse lorsque, comme en l'espèce, elle ne concerne pas des produits dangereux ou prohibés.
44. S'agissant du recours que peut exercer le propriétaire de bonne foi en pareille situation, il ressort de la législation qu'il est limité à une action contre l'auteur principal. La Cour observe par conséquent qu'il s'agit d'un problème législatif de caractère général. Toutefois, compte tenu du montant des amendes douanières auxquelles les auteurs des fraudes sont condamnés au profit de l'administration des douanes, créancière privilégiée selon le droit interne, ainsi que du risque d'insolvabilité de l'auteur de la fraude, ce recours ne saurait être considéré comme offrant une possibilité adéquate à cette catégorie de propriétaires d'exposer sa cause aux autorités compétentes (voir a contrario AGOSI, précité, § 62).
45. La requérante a été ainsi privée de la propriété de ses biens, puis condamnée après leur restitution au paiement de leur valeur, sans toutefois avoir la possibilité d'exercer un recours effectif permettant de remédier à cette ingérence et alors même que les juridictions internes avaient reconnu sa bonne foi. La Cour observe qu'une telle faculté est pourtant offerte par le droit français aux propriétaires de bonne foi des moyens de transport.
46. Par conséquent, tout en reconnaissant la nécessité des mesures de lutte contre ce fléau qu'est le trafic international de stupéfiants, et quelle que soit la marge d'appréciation importante qui doit être laissée aux Etats en la matière, la Cour estime que l'ingérence dans le droit au respect des biens de la requérante n'a pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu puisqu'aucun mécanisme ne permet d'y remédier directement. En effet, la Cour considère que l'instauration d'un mécanisme dérogatoire lorsque le propriétaire est de bonne foi, prévu dans d'autres cas par la législation nationale (voir article 326 du code des douanes), ne saurait, en tant que telle, porter atteinte aux intérêts de l'Etat (voir, mutatis mutandis, C.M c. France. précitée).
47. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l'article 1 du Protocole no 1."
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A CONFIRME LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH
Conseil Constitutionnel Décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012
Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 17 octobre 2011 par le Conseil d'Etat
(décision n° 351085 du 17 octobre 2011), dans les conditions
prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts B.,
relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des articles 374 et 376 du
code des douanes.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067
du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
Vu la loi n° 48-1268 du 17
août 1948 relative au redressement économique et
financier ;
Vu le décret n° 48-1985 du 8 décembre 1948 portant refonte du code des douanes,
annexé
à la loi n° 48-1973 du 31
décembre 1948 de finances pour 1949 ;
Vu le code des douanes;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires
de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Xavier
Morin, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 8 et 22
novembre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre,
enregistrées le 8 novembre 2011 ;
Vu la demande de récusation présentée par les requérants,
enregistrée le 26 octobre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Morin, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique
du 13 décembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 374
du code des douanes:
« 1. La confiscation des marchandises saisies peut être
poursuivie contre les conducteurs ou déclarants sans que l'administration
des douanes soit tenue de mettre en cause les propriétaires
quand même ils lui seraient indiqués.
« 2. Toutefois, si les propriétaires intervenaient ou étaient
appelés en garantie par ceux sur lesquels les saisies ont été
faites, les tribunaux statueront, ainsi que de droit, sur les
interventions ou les appels en garantie » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 376 du même code :
« 1. Les objets saisis ou confisqués ne peuvent être
revendiqués par les propriétaires, ni le prix, qu'il soit
consigné ou non, réclamé par les créanciers même
privilégiés, sauf leur recours contre les auteurs de la fraude.
« 2. Les délais d'appel, de tierce opposition et de vente
expirés, toutes répétitions et actions sont non recevables »
;
3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions
portent atteinte, d'une part, au droit de propriété garanti par
les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 et, d'autre part, aux droits de la défense et
au principe du droit à un recours juridictionnel effectif ; qu'elles
méconnaîtraient, en outre, les principes d'égalité et de
nécessité des peines ainsi que l'article 9 de la Déclaration
de 1789 ;
4. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de
l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de
1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de
propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article
2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce
droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt
général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration
de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits
n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a
point de Constitution » ; que sont garantis par cette
disposition le droit des personnes intéressées à exercer un
recours juridictionnel effectif, le droit à un procès
équitable ainsi que le principe du contradictoire ;
6. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article
374 du code des douanes permettent à l'administration des
douanes de poursuivre, contre les conducteurs ou déclarants, la
confiscation des marchandises saisies sans être tenue de mettre
en cause les propriétaires de celles-ci, quand même ils lui
seraient indiqués ; qu'en privant ainsi le propriétaire de la
faculté d'exercer un recours effectif contre une mesure portant
atteinte à ses droits, ces dispositions méconnaissent l'article
16 de la Déclaration de 1789 ;
7. Considérant, en second lieu, que les dispositions de l'article
376 du même code interdisent aux propriétaires des objets
saisis ou confisqués de les revendiquer ; qu'une telle
interdiction tend à lutter contre la délinquance douanière en
responsabilisant les propriétaires de marchandises dans leur
choix des transporteurs et à garantir le recouvrement des
créances du Trésor public ; qu'ainsi elles poursuivent un but d'intérêt
général ;
8. Considérant, toutefois, qu'en privant les propriétaires de
la possibilité de revendiquer, en toute hypothèse, les objets
saisis ou confisqués, les dispositions de l'article
376 du code des douanes portent au droit de propriété une
atteinte disproportionnée au but poursuivi ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il
soit besoin d'examiner les autres griefs, les articles 374 et 376 du
code des douanes doivent être déclarés contraires à la
Constitution ;
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article
62 de la Constitution : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est
abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette
décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions
et limites dans lesquelles les effets que la disposition a
produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si,
en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit
bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la
Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la
Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la
date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de
prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que l'abrogation immédiate des articles 374 et 376 du
code des douanes aurait des conséquences manifestement
excessives ; que, par suite, afin de permettre au législateur de
remédier à l'inconstitutionnalité de ces articles, il y a lieu
de reporter au 1er janvier 2013 la date de cette abrogation,
Décide :
ARTICLE 1
Les articles 374 et 376 du code des douanes sont contraires à la Constitution.
ARTICLE 2
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 11.
ARTICLE 3
La présente
décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance
du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12
janvier 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président,
M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET,
Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM.
Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
S.C. SCUT S.A. c. ROUMANIE du 26 juin 2018 requête n° 43733/10
Violation de l'article 1 du protocole 1 : Le redressement fiscal n'est pas légal. Il est non prévisible et porte atteinte à la sécurité juridique. Pour des faits semblables, la France n'aurait pas été condamnée.
29. La Cour note que la requérante bénéficie dun intérêt patrimonial, puisquelle est titulaire, depuis 2000, dune licence dexploitation dont la redevance a été établie à 2 % et, depuis 2007, dun permis dexploitation dont la redevance a été fixée à 6 % (paragraphes 6 et 8 ci-dessus). Elle souligne que cet intérêt patrimonial a le caractère dun « bien » au sens de la première phrase de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, § 51, série A no222).
30. Aux yeux de la Cour, il faut voir dans lingérence dénoncée en lespèce à savoir lingérence dans le droit de propriété de la requérante que représente la majoration de la redevance imposée par la direction générale avec effet au 1er janvier 2007 une forme de réglementation de lusage des biens, dans lintérêt général « pour assurer le paiement des impôts ou dautres contributions », laquelle relève de la règle énoncée au second alinéa de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Megadat.com SRL c. Moldova, no 21151/04, § 65, CEDH 2008). Il convient donc dexaminer si cette ingérence était légale.
31.
La Cour rappelle que, pour apprécier la conformité de la
conduite de lÉtat à larticle 1 du Protocole no 1,
elle doit se livrer à un examen global des divers intérêts en
jeu, en gardant à lesprit que la Convention a pour but de
sauvegarder des droits qui sont « concrets et effectifs ». Elle
doit aller
au-delà des apparences et rechercher la réalité de la
situation litigieuse. Cette appréciation peut porter sur la
conduite des parties, y compris les moyens employés par lÉtat
et leur mise en uvre. À cet égard, il faut souligner que
lincertitude quelle soit législative,
administrative, ou tenant aux pratiques appliquées par les
autorités est un facteur quil faut prendre en
compte pour apprécier la conduite de lÉtat. En effet,
lorsquune question dintérêt général est en jeu,
les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de
façon correcte et avec la plus grande cohérence (Broniowski c.
Pologne [GC], no 31443/96, § 151, CEDH 2004-V).
32. À ce sujet, la Cour redit que, si elle jouit dune compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 108, CEDH 2000-I), elle peut en revanche vérifier si la base légale de lingérence satisfait les exigences de la Convention quant à la qualité de la loi (Driha c. Roumanie, no 29556/02, § 31, 21 février 2008). En effet, lexistence dune base légale en droit interne ne suffit pas, en tant que telle, à satisfaire au principe de légalité. Il faut, en plus, que cette base légale présente une certaine qualité, celle dêtre compatible avec la prééminence du droit et doffrir des garanties contre larbitraire. À cet égard, il faut rappeler que la notion de « loi », au sens de larticle 1 du Protocole no 1, a la même signification que celle qui lui est attribuée par dautres dispositions de la Convention (voir, par exemple, Yasar Holding A.S. c. Turquie, no 48642/07, § 91, 4 avril 2017).
33. La Cour rappelle ensuite que le principe de légalité présuppose lexistence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 163, CEDH 2006-VIII). Quant à la portée de la notion de « prévisibilité », elle dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il sagit, du domaine que celui-ci couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (voir, mutatis mutandis, Sud Fondi srl et autres c. Italie, no 75909/01, § 109, 20 janvier 2009). Leur contenu ou leur application par les autorités ou les juridictions nationales ne doivent pas être contradictoires (voir, parmi dautres affaires portant sur les effets sur le droit de propriété du requérant dune interprétation contradictoire des questions fiscales essentielles faite par les autorités internes, Shchokin c. Ukraine, nos 23759/03 et 37943/06, § 56, 14 octobre 2010).
34. La Cour rappelle que, dans une affaire issue dune requête individuelle, il lui faut se borner à lexamen du cas concret dont elle a été saisie. Sa tâche ne consiste point à contrôler in abstracto la loi applicable en lespèce au regard de la Convention, mais à rechercher si la manière dont elle a été appliquée au requérant ou a touché celui-ci a enfreint la Convention (Kanaginis c. Grèce, no 27662/09, § 51, 27 octobre 2016).
35. En lespèce, la Cour constate que la redevance était établie dans chacune des autorisations dexploitation (la licence et le permis), délivrées à la requérante. Ce point na dailleurs jamais été contesté par la direction générale. Par ailleurs, lagence nationale, lautorité compétente pour contrôler lapplication de la législation sur les mines, a confirmé en 2009 le taux de ces redevances (paragraphe 11 ci-dessus).
36. Les deux autorités susmentionnées, compétentes lune et lautre pour procéder au contrôle du calcul et du versement des redevances dues en vertu des autorisations dexploitation, sont arrivées, en procédant à des contrôles indépendants portant sur les mêmes périodes, à des conclusions contradictoires. Ainsi, après que la direction générale eut conclu, début 2009, que la requérante navait pas calculé de manière correcte les redevances dues (paragraphe 10 ci-dessus), lagence nationale conclut, peu de temps après, que la requérante avait respecté la législation applicable (paragraphe 11 ci-dessus).
37. En outre, la Cour constate que la direction générale elle-même afficha successivement deux attitudes différentes. Ainsi, après le contrôle quelle avait diligenté en janvier 2009, où elle avait conclu à une violation des dispositions légales en vigueur par la requérante, elle constata plus tard, en décembre 2010, que la requérante respectait la législation, malgré le fait que celle-ci avait continué à exploiter le sable en vertu de la même licence (paragraphe 6 ci-dessus) et à verser une redevance inchangée de 2 %. La même question fiscale sest posée de nouveau en 2014, lors dun nouveau contrôle fiscal effectué par la direction générale, concernant le premier semestre 2009 (paragraphe 17 ci-dessus), où la direction constata à nouveau le non-respect de la législation par la requérante, alors que celle-ci sacquittait toujours de la redevance calculée au même taux quauparavant.
38. Au niveau des juridictions amenées à se prononcer sur cette question, la Cour constate que celles-ci nont pas davantage contribué à clarifier la situation. Ainsi, alors que la procédure judiciaire engagée par la requérante en 2009 pour contester la décision de la direction générale lui imposant un redressement fiscal (paragraphe 10 ci-dessus) aboutit, le 17 décembre 2009, à un arrêt de la cour dappel de Constanta qui conclut à lapplication des taux légaux (paragraphe 15 ci-dessus), la même cour arriva à la conclusion, le 21 décembre 2016, que les taux applicables étaient ceux prévus dans la licence dexploitation (paragraphe 18 ci-dessus). La Cour constate partant une contradiction dans la motivation des juridictions.
39. Eu égard à ces circonstances, la Cour doute que lapplication dans le cas de la requérante des dispositions légales relatives au taux de la redevance correspondant aux activités dexploitation minière, ainsi que de celles relatives à la procédure de renégociation des conditions dexploitation, puisse être considérée comme « prévisible » et comme répondant à lexigence de « sécurité juridique ».
40. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la décision de la direction générale, confirmée par la cour dappel, de relever doffice le taux de la redevance est intervenue de manière arbitraire et guère prévisible sur le plan du droit interne et, par conséquent, de manière incompatible avec le droit au respect des biens de la requérante. La Cour rappelle que cest à lÉtat quil incombe dassumer le risque dune faute des pouvoirs publics et quil ne faut pas y remédier aux dépens de la personne touchée, surtout lorsquaucun autre intérêt privé concurrent nest en jeu (voir Romankevic c. Lituanie, no 25747/07, §§ 38-39, 2 décembre 2014, et, mutatis mutandis, Tomina et autres c. Russie, nos 20578/08 et 19 autres, § 39, 1er décembre 2016).
41. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
42. Dès lors, il y a eu violation de larticle 1 du Protocole no1 à la Convention.
PROCÉDURE COMPENSATOIRE DE RÉPARATION D'UN BIEN SAISI
S.C. SERVICE BENZ COM S.R.L. c. ROUMANIE du 4 juillet 2017 requête 58045/11
Atteinte aux biens au sens de l'article 1 du Protocole 1 : Procédure de saisie de deux camions citernes pour lutter contre la fraude fiscale qui ne concerne par le requérant. Une procédure compensatoire effective pour obtenir réparation du bien saisi, répond aux exigences de l'article 1 du Protocole 1
a) Les principes généraux
27. La Cour rappelle que larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui sexprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer lusage des biens conformément à lintérêt général, en mettant en vigueur les lois quils estiment nécessaires à cette fin. Il ne sagit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième règles ont trait à des exemples particuliers datteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent sinterpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi beaucoup dautres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98, et récemment, Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 72, CEDH 2016).
28. Pour être compatible avec larticle 1 du Protocole no 1 une ingérence dans le droit de propriété doit être opérée « pour cause dutilité publique », et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». Lingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de lintérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52, et Granitul S.A. c. Roumanie, no 22022/03, § 46, 22 mars 2011). Lorsquelle contrôle le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à lÉtat une grande marge dappréciation tant pour choisir les modalités de mise en uvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans lintérêt général, par le souci datteindre lobjectif de la loi en cause (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 52, série A no 108).
29. Enfin, la Cour rappelle quen matière de confiscation des biens ayant été utilisés illégalement, pareil équilibre dépend de maints facteurs, parmi lesquels, lattitude du propriétaire. La Cour doit donc rechercher si les autorités ont eu égard au degré de faute ou de prudence de lintéressé ou, pour le moins, au rapport entre sa conduite et linfraction commise. De plus, il convient de prendre en compte la procédure qui sest déroulée dans lordre juridique interne pour évaluer si celle-ci offrait au requérant, compte tenu de la gravité de la mesure susceptible dêtre imposée, une occasion adéquate dexposer sa cause aux autorités compétentes, en alléguant, le cas échéant, une violation de la légalité ou lexistence de comportements arbitraires ou déraisonnables (AGOSI, précité, §§ 54-55 ; voir également, mutatis mutandis, Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001). Le juste équilibre sera rompu si la personne concernée a eu à subir « une charge spéciale et exorbitante » (Waldemar Nowakowski, précité, § 47).
b) Lapplication de ces principes en lespèce
30.
La Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas que la saisie
et la confiscation des deux camions-citernes de la société
requérante sanalysent en une atteinte au droit de celle-ci
au respect de ses biens. Elle observe ensuite que la confiscation
des deux biens a été une mesure définitive par laquelle leur
propriété a été transférée à lÉtat (Andonoski précité,
§ 30, et, a contrario, JGK Statyba Ltd et Guselnikovas c.
Lituanie, no 3330/12, § 115, 5 novembre
2013, Hábenczius c. Hongrie, no 44473/06, § 28, 21 octobre 2014).
Le Gouvernement na pas soutenu non plus quil était
loisible à la société requérante den réclamer la
restitution des
camions-citernes (Andonoski précité, § 30, et B.K.M. Lojistik
Tasimacilik Ticaret Limited Sirketi c. Slovénie, no 42079/12, § 38, 17 janvier 2017
; voir, a contrario, C.M. c. France (déc.), no 28078/95, CEDH 2001-VII). Dans
ces conditions, la Cour conclut que latteinte subie sanalyse
en une privation de propriété au sens du premier alinéa de larticle
1er du Protocole no 1 à la Convention.
31. Sur le point de savoir si latteinte au droit de propriété de la requérante était conforme aux exigences de larticle 1 du Protocole no 1, la Cour relève que la confiscation litigieuse est intervenue en application des dispositions pertinentes du CPF, à savoir larticle 220 §§ 1 k) et 2 b) (paragraphe 16 ci-dessus).
Dans la mesure où la requérante allègue une violation du principe de légalité, la Cour observe quelle soulevé cet argument devant les juridictions nationales (paragraphe 11 ci-dessus), lesquelles lont écarté. La Cour naperçoit en lespèce aucune trace darbitraire dans linterprétation en question. Compte tenu de ce qui précède et ayant à lesprit quelle jouit dune compétence limitée pour vérifier le respect du droit interne (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 108, CEDH 2000-I), la Cour conclut donc que latteinte était conforme au droit interne de lÉtat défendeur.
32. Par ailleurs, force est de constater que lintéressée ne conteste pas davantage les considérations dintérêt général qui ont abouti à la mesure de confiscation. Pour la Cour, à lexamen du régime établi par le CPF, on ne saurait douter que la confiscation des camions-citernes de la requérante répondait à lintérêt général quil y a à réprimer les faits de fraude fiscale (voir, mutatis mutandis, Dukmedjian c. France, no 60495/00, § 56, 31 janvier 2006).
33. Il reste à la Cour à examiner sil existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés par les autorités en lespèce pour garantir lintérêt général que représente la lutte contre la fraude fiscale, dune part, et la protection du droit fondamental de la requérante au respect de ses biens, dautre part.
34. La Cour note quen lespèce, la confiscation des camions-citernes de la société requérante a été décidée dans le cadre dune procédure contraventionnelle dirigée contre la société propriétaire de la marchandise que la société requérante transportait.
Si le premier tribunal a conclu quaucune faute ne pouvait être imputée à la requérante et y a vu motif à déclarer la mesure de confiscation abusive et illégale, le tribunal de dernier ressort sest départi de cette approche.
Il a ainsi jugé, dune part, quaucune recherche dune faute propre de la requérante ne simposait, car la confiscation sétait opérée en vertu de la loi.
Il a également, dautre part, déclaré bien-fondé sans plus de précisions le moyen de recours de ladministration fiscale tiré de labsence de diligence du transporteur qui est directement responsable de lintégrité et de la légalité des biens transportés.
De fait, la Cour constate que, en application des paragraphes 1 k) et 2 b) de larticle 220 du CPF, lus de manière combinée, la confiscation du moyen de transport utilisé pour le transport illégal dune marchandise soumise au droit daccise était obligatoire (voir, mutatis mutandis, Andonoski, précité, § 37, et Vasilevski c. lex-République yougoslave de Macédoine, no 22653/08, § 57, 28 avril 2016 ; voir aussi, a contrario, Waldemar Nowakowski précité, § 51). En lespèce, le tribunal ayant tranché la procédure en dernière instance a considéré quil sagissait dune confiscation automatique ayant vocation à sappliquer sans quil y eût lieu de distinguer selon que le moyen de transport appartenait au contrevenant lui-même ou à un tiers ni, dans ce dernier cas, de tenir compte de lattitude personnelle de ce dernier, ou de la nature de son lien avec la contravention. Il sensuit que, dans le cadre de la procédure engagée par la requérante, le tribunal départemental a opposé à celle-ci une présomption irréfragable, qui rendait inopérante la thèse de lintéressée fondée sur son éventuelle bonne foi (paragraphe 14 ci-dessus).
35. Eu égard à lobjet de la contravention en cause, à savoir le transport de produits soumis au droit daccise effectué en labsence du « document daccompagnement de la marchandise » requis, il napparaît pas que la mesure de confiscation des camions-citernes échappait aux objectifs des dispositions nationales consistant en la lutte contre la fraude fiscale.
36. Toutefois, la Cour note largument du Gouvernement, non contesté par la société requérante, selon lequel celle-ci avait la possibilité de se retourner contre sa cocontractante pour lui demander réparation du préjudice découlé pour elle de la confiscation des camions-citernes, en engageant au besoin une action en responsabilité contractuelle devant les juridictions internes en cas de refus de dédommagement opposé par sa cocontractante (paragraphe 25 ci-dessus).
37. La Cour est davis quune telle forme de contrôle juridictionnel pourrait en principe répondre aux exigences de larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention. En effet, elle rappelle que, dans des affaires précédentes, elle na pas écarté la possibilité quun tel recours puisse lamener à conclure à lexistence dun équilibre entre les moyens employés par les autorités pour garantir lintérêt général et la protection du droit fondamental de lindividu au respect de ses biens. Dans ces affaires, elle a estimé que les recours nétaient pas effectifs pour des raisons liées aux cas concrets despèce, comme, par exemple, la faillite ou la dissolution de la société commerciale responsable (Merot D.O.O. et Storitve Tir D.O.O. c. Croatie (déc.), nos 29426/08 et 29737/08, § 33, 10 décembre 2013, et Vasilevski, précité, § 60), le risque sérieux de faillite compte tenu de la sévérité des amendes infligées aux auteurs de fraudes (Bowler International Unit c. France, no 1946/06, § 44, 23 juillet 2009), le décès de lauteur du délit ayant conduit à la confiscation (Vasilevski, précité, § 59) ou labsence de pratique des tribunaux internes en la matière (Andonoski, précité, § 39). En revanche, lorsquun recours permettant au propriétaire du bien confisqué dobtenir une compensation sest révélé effectif, la Cour sest montrée prête à conclure à lexistence dun équilibre entre les moyens employés par les autorités pour garantir lintérêt général et la protection du droit fondamental de lindividu au respect de ses biens (Sulejmani c. lex-République yougoslave de Macédoine, no 74681/11, § 41, 28 avril 2016).
38. En conséquence, il convient de vérifier si, dans la présente affaire, la requérante disposait bien dun recours de la nature de celui mentionné par le Gouvernement, par le biais duquel elle aurait pu faire valoir plus utilement la thèse de sa bonne foi devant une juridiction nationale.
39. La Cour constate que la Cour constitutionnelle roumaine a été saisie à plusieurs reprises de la question de la constitutionnalité des dispositions de larticle 220 § 2 b) du CPF, qui était mise en doute au nom du respect dû au droit de propriété au motif quelles autorisaient la confiscation de biens appartenant à dautres personnes que le contrevenant.
Or, dans sa décision no 685 du 16 novembre 2006 antérieure, donc, à la genèse de la présente affaire , la haute juridiction a estimé que ces dispositions étaient bien constitutionnelles, en considérant : premièrement, quen confiant le véhicule au contrevenant, son propriétaire avait assumé le risque que celui-ci vienne à lutiliser dune manière pouvant engendrer un danger pour la société ; deuxièmement, quil restait en tout état de cause loisible au propriétaire des biens confisqués de réclamer réparation de son préjudice auprès du contrevenant, par le biais dune action en justice sur la base du contrat qui les liait (paragraphe 17 ci-dessus), et troisièmement, quune interprétation différente aurais permis le contournement facile des dispositions légales compte tenu de ce que le contrevenant aurait pu invoquer à sa défense sa qualité de détenteur précaire du moyen de transport, de sorte que lactivité de transport illégal ait pu continuer.
40. La Cour constate donc que, bien avant les faits de la présente requête, la Cour constitutionnelle a confirmé lexistence dun recours que le propriétaire dun moyen de transport confisqué pouvait engager contre le contrevenant sur la base des règles générales de la responsabilité civile contractuelle (voir également, mutatis mutandis, Sulejmani, précité, § 41). À ses yeux, cette jurisprudence de la Cour constitutionnelle, comportant une interprétation du droit national faisant autorité, suffit pour conclure à leffectivité du recours susmentionné.
41. Qui plus est, la Cour note que cette approche a reçu une consécration législative explicite en matière de transport à travers les dispositions de larticle 1961 § 3 du nouveau code civil. Or, cette disposition, bien quentrée en vigueur quelques mois après le terme de la procédure judiciaire engagée par la société requérante (paragraphe 20 ci-dessus), était déjà publique depuis juillet 2009, date de la première publication du nouveau code civil.
42. Eu égard à ce qui précède, la Cour est prête à admettre que la société requérante avait à sa disposition un recours judiciaire aux fins de la réparation du préjudice subi. Or, celle-ci ninvoque aucun motif de nature à faire naître un doute quant à leffectivité dudit recours (voir également, mutatis mutandis, Sulejmani, précité, § 41).
43. Dans ces conditions, la Cour estime quun juste équilibre était en lespèce ménagé entre le respect des droits de lintéressée protégés par larticle 1 du Protocole no 1 à la Convention et lintérêt général de la société. Il ny a donc pas eu violation de cette disposition.
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