ARTICLE 8 DE LA CEDH
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"Le droit à la filiation doit être protégé par l'intérêt supérieur
de l'enfant"
Frédéric Fabre docteur en droit.
ARTICLE 8 DE LA CONVENTION :
"1/ Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2/ Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits de libertés d'autrui"
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- LE FOETUS N'EST PAS PROTEGE PAR LA CEDH
- LA GESTATION POUR AUTRUI ET LA FILIATION
- LA DÉLÉGATION DE L'AUTORITÉ PARENTALE APRÈS UNE GPA
- LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION FRANÇAISE SUR LA GPA
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- LE DROIT DE LA MERE DE PROUVER QU'ELLE N'EST PAS LA MERE
- LE PÈRE LÉGAL A DROIT DE BÉNÉFICIER D'UNE PATERNITÉ INCONTESTÉE
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- POUR FAIRE RECONNAÎTRE SA FILIATION IL FAUT RESPECTER LA PROCÉDURE INTERNE
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- SI LA LÉGISLATION PRÉVOIT LA DÉCHÉANCE PARENTALE, LES JURIDICTIONS DOIVENT STATUER DANS L'INTÉRÊT DE L'ENFANT
- LE DROIT DE VISITE DOIT ÊTRE EXAMINÉ RAPIDEMENT SUIVANT L'INTÉRÊT DE L'ENFANT
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LE FŒTUS N'EST PAS UNE "PERSONNE"
PAR CONSÉQUENT SA VIE N'EST PAS PROTEGÉE
SAYAN c. TURQUIE du 11 octobre 2016 requête 81277/12
Une mère qui doit accoucher meurt à l'hôpital, son bébé est mort né. Pas de violation sur le volet matériel pour la mère mais violation de l'article 2 pour défaut d'enquête. Pour le foetus, les griefs ne peuvent pas être éxaminés.
a) Quant à la protection du droit à la vie de Leyla Karataş
100. La Cour rappelle tout d’abord les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en ce qui concerne les obligations des États au regard de l’article 2 de la Convention lorsque sont en cause des cas de négligences médicale (Calvelli et Ciglio, précité, §§ 48-53, Byrzykowski précité § 117, et Powell, décision précitée). Elle examinera la présente affaire à la lumière de ces principes.
101. La Cour souligne ensuite que les requérants n’allèguent pas que la mort de Leyla Karataş a été provoquée intentionnellement. Ils soutiennent toutefois, sous l’angle du volet matériel de l’article 2, qu’elle a été victime à la fois d’une erreur de diagnostic et d’une erreur dans l’administration d’un médicament ainsi que d’un défaut de soins, faute d’avoir été en mesure de régler rapidement les frais auxquels sa prise en charge médicale était subordonnée.
102. À cet égard, la Cour rappelle qu’une question peut se poser sous l’angle de l’article 2 de la Convention lorsqu’il est prouvé que les autorités d’un État contractant ont mis la vie d’une personne en danger en lui refusant les soins médicaux qu’elles se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population (Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 219, CEDH 2001‑IV, et Nitecki c. Pologne (déc.), no 65653/01, 21 mars 2002).
103. De même, un dysfonctionnement flagrant des services hospitaliers privant un patient de la possibilité d’avoir accès à des soins d’urgence appropriés peut constituer un manquement de l’État à son obligation de protéger l’intégrité physique de la personne (Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, § 97).
104. Dans les circonstances de la présente affaire, il incombe donc à la Cour de rechercher si les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et en particulier si elles ont satisfait, de manière générale, à leur obligation de protéger l’intégrité physique de la patiente, notamment par l’administration de soins médicaux appropriés. Pour ce faire, la Cour accorde de l’importance à la chronologie, telle qu’elle ressort des éléments du dossier, des événements qui ont conduit à la mort tragique de la patiente, ainsi qu’aux données médicales concernant cette dernière. Elle estime en outre nécessaire, eu égard à la formulation du grief par les requérants, de s’intéresser aussi bien aux événements survenus la veille de son décès qu’à ceux qui se sont déroulés le jour de sa mort.
105. À cet égard, la Cour constate que, la veille de son décès, Leyla Karataş s’était rendue à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, se plaignant de difficultés respiratoires (paragraphes 17, 27-28 ci-dessus). Elle avait été prise en charge au service des urgences où un traitement médical lui avait été administré. Elle avait cependant quitté cet hôpital vers 4 h, d’elle-même, sans que les examens complémentaires prescrits ne fussent pratiqués, faute de moyens financiers (paragraphes 27 et 34 ci-dessus).
106. Le 27 décembre 2001, prise de contractions, elle se présenta tout d’abord à l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ mais du fait qu’il n’y avait pas de spécialistes en médecine interne et d’anesthésiste présents à l’hôpital, elle fut envoyée à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk (paragraphe 37 ci-dessus). À cet égard, la Cour constate que les versions des parties diffèrent quant aux conditions de prise en charge de la requérante dans cet hôpital. En effet, alors que les requérants affirment que la défunte n’a bénéficié d’aucun soin avant que les frais afférents à son admission à l’hôpital n’aient été payés et que la signature d’un engagement écrit n’ait été obtenue, ce qui aurait duré plusieurs heures, le Gouvernement nie quant à lui tout délai d’attente et affirme que Leyla Karataş a été prise en charge dès son arrivée à l’hôpital.
107. La Cour observe tout d’abord que, eu égard aux pièces du dossier, les témoignages des médecins et les documents hospitaliers situent l’arrivée de la patiente à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le 27 décembre 2001, entre 7 heures et 7 h 30 (paragraphes 15 et 27 ci-dessus). Le procès-verbal établi après la mort de Leyla Karataş fixe quant à lui l’arrivée de cette dernière à l’hôpital à 6 h 30 et fait mention d’un premier examen par un médecin de garde à 7 h 15 (paragraphe 19 ci-dessus). Les différents documents versés au dossier établissent que l’état de la patiente s’est détérioré à compter de 8 heures et que, à partir de ce moment, plusieurs médecins sont intervenus.
108. La Cour relève ensuite les disparités existant entre les différents témoignages des proches des requérants ayant accompagné Leyla Karataş à l’hôpital le jour de son décès quant au temps d’attente avant que celle-ci n’ait été prise en charge (paragraphe 48 ci-dessus).
109. En l’espèce, la chronologie des faits, telle qu’elle résulte des documents versés au dossier de l’affaire, permet cependant à la Cour de constater que la patiente, faute de moyens financiers suffisants, a renoncé à des examens médicaux complémentaires lors de son premier déplacement à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le 26 décembre 2001 (paragraphes 17, 27 et 34 ci-dessus). L’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, où elle se présenta le matin du 27 décembre 2001, vers 5 h 55 (paragraphe 27 ci-dessus), ne disposant pas d’internistes ni d’anesthésistes présents sur place, lui demanda d’aller à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk (paragraphe 29 ci-dessus), de sorte que sa prise en charge médicale fut différée. La patiente se rendit dans cet hôpital par ses propres moyens, sans accompagnement médical (paragraphe 17 ci-dessus). Sa prise en charge dans cet hôpital, sans avoir été retardée de plusieurs heures comme le soutiennent les requérants, apparaît en tout état de cause avoir connu un temps de latence et avoir été soumise à la satisfaction d’une exigence financière préalable (voir, en ce sens, les observations du Gouvernement au paragraphe 92 ci-dessus).
110. Eu égard à ce constat, la Cour souligne toutefois qu’elle ne peut aucunement spéculer quant à l’incidence de l’enchaînement des circonstances susdécrites sur la vie de Leyla Karataş ni aboutir à aucune conclusion à cet égard sous l’angle du volet matériel de l’article 2 (comparer avec les circonstances de l’affaire Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, §§ 96-97).
111. De plus, si les requérants soutiennent que, dans les circonstances de la présente affaire, une erreur médicale et des manquements imputables au service hospitalier sont susceptibles de fonder directement la responsabilité de l’État sur le terrain de l’article 2, la Cour constate que, quelle que soit la réponse à apporter à cette question, les conclusions de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 39 ci-dessus) ainsi que les conclusions des juridictions internes ne vont pas dans ce sens.
112. Elle rappelle qu’elle ne peut apprécier les circonstances soumises à son examen qu’au regard des informations et des moyens dont elle dispose. Il ne lui appartient pas de remettre en cause les conclusions des expertises établies en droit interne ni de se livrer à des conjectures à partir des renseignements médicaux dont elle dispose, sur le caractère correct des conclusions auxquelles sont parvenus les experts (Tysiąc, précité, § 119). De même, en l’espèce, elle ne peut se prononcer ni sur une éventuelle erreur de diagnostic des médecins ni sur l’adéquation de la prescription médicamenteuse à l’état de santé de la patiente, ces circonstances n’ayant pas été établies en droit interne.
113. Par conséquent, la Cour conclut, au vu des éléments dont elle dispose, à la non-violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.
114. Quant à l’aspect procédural de l’article 2 de la Convention, comme il a été précédemment observé, outre la procédure devant les instances disciplinaires, les requérants ont fait usage de deux voies de recours différentes afin que fussent établies les circonstances de la mort de leur proche et les responsabilités en cause (paragraphe 81 ci-dessus). Il convient dès lors d’examiner le déroulement de ces procédures dans leur ensemble afin de déterminer si l’État a satisfait à son obligation d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès de Leyla Karataş, qui se trouvait alors sous la responsabilité de professionnels de la santé, et, le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (voir notamment Calvelli et Ciglio, précité, § 49).
115. À cet égard, la Cour constate que le requérant déposa plainte devant le procureur de la République le 27 décembre 2002. Sur ce, afin de déterminer si le personnel médical mis en cause pouvait être pénalement poursuivi, le procureur saisit le préfet d’Izmir, qui à son tour saisit le ministère de la Santé. Un inspecteur en chef de ce ministère diligenta une enquête quant aux circonstances litigieuses. Au cours de cette enquête, l’inspecteur en chef recueillit les témoignages du personnel médical des deux hôpitaux où Leyla Karataş s’était rendue et demanda qu’un rapport d’expertise fût établi (paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Le 26 mars 2002, le rapport d’enquête préliminaire du ministère de la Santé conclut à l’impossibilité de déterminer les causes de la mort de la patiente et indiqua qu’il fallait attendre les conclusions du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 32 ci-dessus). Estimant que la durée légale de l’enquête préliminaire arriverait à expiration avant l’obtention dudit rapport, l’inspecteur en chef jugea nécessaire d’autoriser l’engagement de poursuites pénales contre le personnel hospitalier mis en cause, ce qui fut fait le 9 avril 2002 (paragraphe 33 ci-dessus).
116. Pour autant, la Cour observe que par la suite, la procédure pénale fut limitée à la seule recherche de la responsabilité des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, faute d’autorisation administrative de poursuites contre le personnel hospitalier de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Dès lors, aucune recherche n’apparaît avoir été menée quant à l’état dans lequel se trouvait la patiente à son arrivée dans cet hôpital, aux raisons pour lesquelles l’interniste et l’anesthésiste d’astreinte n’avaient pas été contactés, à l’incidence de sa non-admission dans cet hôpital et de son départ, sans accompagnement médical, vers un autre hôpital, et notamment si ces circonstances avaient pu être de nature à mettre sa vie en danger.
117. La Cour relève en outre que les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure pénale qui fut telle que les faits reprochés au personnel médical tombèrent sous le coup de la prescription. En l’espèce, elle constate que le tribunal correctionnel mit un terme à la procédure le 23 juillet 2009, soit plus de huit ans après la plainte du requérant, par une décision confirmée par la Cour de cassation le 30 mai 2012.
118. Or la Cour rappelle que, s’il peut arriver que des obstacles ou des difficultés empêchent une enquête de progresser dans une situation particulière, il reste que la prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’état de droit, et pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Silih, précité, § 196). En l’occurrence, la Cour ne peut que constater que la durée de la procédure litigieuse ne satisfait aucunement à l’exigence d’un examen prompt et sans retard inutile de l’affaire (voir, pour une approche similaire, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, § 101).
119. Quant à la procédure administrative, la Cour observe que le tribunal administratif a rejeté la demande en indemnisation des requérants en se fondant sur le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul d’après lequel la mort de Leyla Karataş était due à une maladie pulmonaire préexistante (paragraphe 39 ci-dessus). Certes, elle reconnaît l’importance que peut revêtir une expertise dans le cadre du régime de la responsabilité médicale lorsqu’un patient est décédé et que se pose la question de la causalité entre ce décès et sa prise en charge médicale. Elle estime essentiel que les juges puissent se référer aux avis d’experts médicaux afin de rechercher s’il existe une relation de cause à effet entre une éventuelle négligence ou faute médicale et un dommage.
120. Cela étant, la Cour observe que dans les circonstances de la présente affaire, les conclusions de l’institut médicolégal d’Istanbul ont eu une influence déterminante sur les instances administratives. Or, si l’existence d’une prédisposition pathologique revêtait une importance certaine pour l’appréciation du lien de causalité, reste que, dans ses conclusions, l’institut médicolégal ne semble pas avoir apprécié l’incidence des conditions de prise en charge de la patiente sur cette prédisposition ni cherché à évaluer son état de santé au moment de sa première admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk.
121. À cet égard, la Cour observe que les juridictions administratives n’ont pas cherché à éclaircir l’enchaînement des circonstances litigieuses ni leurs incidences éventuelles sur la dégradation de l’état de santé de Leyla Karataş entre sa première admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, où elle présentait déjà des difficultés respiratoires, et la seconde. De même, elles ne se sont pas prononcées sur les circonstances ayant pu conduire la défunte à renoncer à des examens complémentaires lors de sa première admission ni sur l’incidence d’un tel renoncement aux soins sur son état de santé.
122. Au vu de tout ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.
b) Quant à la protection du droit à la vie de l’enfant mort-né
123. La Cour rappelle que dans son arrêt Vo c. France (précité, § 82), la Grande Chambre a considéré que, en l’absence d’un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux États dans ce domaine. La Grande Chambre a ainsi estimé qu’ « il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention (idem, § 85).
124. Depuis lors, la Grande Chambre a eu l’occasion de réaffirmer l’importance de ce principe dans l’affaire A, B et C précité § 237 dans laquelle elle a rappelé que les droits revendiqués au nom du fœtus et ceux de la future mère sont inextricablement liés (voir, en ce sens, l’analyse de la jurisprudence issue de la Convention exposée aux paragraphes 75-80 de l’arrêt Vo, précité).
125. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de s’éloigner de l’approche ainsi adoptée et estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si le grief des requérants formulé en ce qui concerne le fœtus entre ou non dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention (voir, pour une approche similaire, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, § 109). Elle estime en effet que la vie du fœtus en question était intimement liée à celle de Mme Leyla Karataş et dépendait des soins prodigués à celle-ci. Or cette circonstance a été examinée sous l’angle de l’atteinte au droit à la vie de cette dernière. Partant, la Cour estime que le grief des requérants à cet égard n’appelle pas un examen séparé.
Arrêt Vo contre France du 08/07/2004, Hudoc 5200, requête 53924/00
"§74: La question principale posée par la requérante est donc celle de savoir si l'absence de recours de nature pénale en droit français pour réprimer la suppression involontaire d'un foetus constitue un manquement par l'Etat à son obligation de "protéger par la loi" le droit de toute personne à la vie, garanti par l'article 2 de la Convention"
LA DÉFINITION JURIDIQUE DE "PERSONNE" QUI A DROIT A LA VIE, N'EXISTE PAS EN DROIT EUROPÉEN
"§75: Contrairement à l'article 4 de la Convention américaine des droits de l'homme qui énonce que le droit à la vie doit être protégé "en général à partir de la conception", l'article 2 de la Convention est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier, il ne définit pas qui est la "personne" dont "la vie" est protégée par la Convention.
§83: La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrêts consécutifs rendus en 1999, 2001 et 2002, a considéré que le principe de la légalité des peines et des délits - qui impose une interprétation stricte de la loi pénale - empêche que les faits reprochés en cas d'atteinte mortelle au foetus puissent entrer dans les prévisions de l'article 221-6 du Code pénal réprimant l'homicide involontaire d'autrui.
En revanche, si à la suite d'une faute involontaire, la mère accouche d'un enfant vivant qui décède peu de temps après sa naissance, l'auteur pourra être condamné pour homicide involontaire sur la personne du nouveau né ()
De cet aperçu, il ressort qu'en France, la nature et le statut juridique de l'embryon et/ou du foetus ne sont pas définis actuellement et que la façon d'assurer sa protection dépend de positions fort variées au sein de la société française.
§84: Au plan européen, la Cour observe que la question de la nature et du statut de l'embryon et/ou du foetus ne fait pas l'objet d'un consensus.
Tout au plus peut-on trouver comme dénominateur commun aux Etats l'appartenance à l'espèce humaine; c'est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne, laquelle est d'ailleurs protégée par le droit civil dans bon nombre d'Etats comme en France, en matière de succession ou de libéralités, mais aussi au Royaume-Uni qui doivent être protégés au nom de la dignité humaine sans pour autant en faire une "personne" qui aurait un "droit à la vie" au sens de l'article 2.
La Convention d'Oviedo sur les Droits de l'Homme et la biomédecine se garde d'ailleurs de définir le terme de personne et le rapport explicatif indique que faute d'unanimité sur la définition, les Etats membres ont choisi de laisser au droit interne le soin d'apporter les précisions pertinentes aux effets de l'application de cette convention ()
Il n'est pas enfin sans intérêt de noter la possibilité pour la Cour d'être saisie en application de l'article 29 de la Convention d'Oviedo pour donner des avis relatif à l'interprétation de cette convention"
LA C.E.D.H NE DONNE PAS LA QUALITÉ DE "PERSONNE" AU SENS DE L'ARTICLE 2 A L'ENFANT A NAÎTRE
"§85: Eu égard à ce qui précède, la Cour est convaincue qu'il n'est ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre dans l'abstrait à la question de savoir si l'enfant à naître est une " personne" au sens de l'article 2 de la Convention"
La CEDH protège le droit de la mère, le droit à disposer de son corps et son droit à l'avortement.
Dire que le foetus est une "personne" qui a droit à la vie a pour conséquence immédiate l'interdiction de l'avortement.
Le destin du foetus dépend directement de la volonté de la mère et lui est intimement lié pour ne faire qu'un au sens de la Convention.
La mère ne peut poursuivre que pour blessure contre elle.
LE DROIT DU FŒTUS EST INTIMEMENT LIE A CELUI DE LA MÈRE
"§85: La Cour s'est en effet demandée si la protection juridique offerte par la France à la requérante, par rapport à la perte de l'enfant à naître qu'elle portait, satisfait aux exigences procédurales inhérentes à l'article 2 de la Convention.
§86: A cet égard, elle observe qu'en l'absence de statut juridique clair de l'enfant à naître, celui-ci n'est pas pour autant privé de toute protection en droit français.
Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, la vie du foetus était intimement liée à celle de sa mère et sa protection pouvait se faire au travers d'elle. Il en allait particulièrement ainsi dès lors qu'aucun conflit de droit n'existait entre la mère et le père, pas plus qu'entre l'enfant à naître et ses parents mais où la perte du foetus résultait de négligence involontaire d'un tiers"
§91: En l'espèce, en plus de la poursuite du médecin pour blessures involontaires sur la personne de la requérante qui se solda certes par l'amnistie de la Convention dont la requérante ne se plaint pas, celle-ci disposait de la possibilité d'engager une action en responsabilité contre l'administration à raison de la faute alléguée du médecin hospitalier.
Une demande d'indemnisation au juge administratif avait des chances sérieuses de succès et la requérante aurait pu obtenir la condamnation du centre hospitalier au versement de dommages et intérêts.
§94: En conclusion, la Cour estime que dans les circonstances de l'espèce, l'action en responsabilité pouvait passer pour un recours efficace à la disposition de la requérante. Ce recours, qu'elle n'a pas en l'occurrence engagé auprès des juridictions administratives, aurait permis d'établir la faute médicale dont elle se plaignait et de garantir dans l'ensemble la réparation du dommage causé par la faute du médecin, et les poursuites pénales ne s'imposaient donc pas en l'espèce.
§95: Partant, à supposer même que l'article 2 de la Convention trouve application en l'espèce, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention"
Le droit du fœtus à vivre est directement conséquent de la volonté et des droits de la mère.
Dans la balance, le droit du choix de la mère prime celui du foetus puisqu'il n'est pas une "personne" au sens de l'article 2 de la Convention.
EVANS c. ROYAUME-UNI Requête no 6339/05 du 7 mars 2005
"45. La requérante soutient que les dispositions de la loi britannique, qui imposent la destruction des embryons consécutivement à la révocation du consentement donné par J à la conservation de ceux-ci, constituent une atteinte à leur droit à la vie et emportent de ce fait violation de l’article 2 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »
46. La Cour rappelle toutefois que, dans l’arrêt Vo c. France ([GC] no 53924/00, §82, CEDH 2004-VIII), elle a estimé qu’en l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation des Etats dont la Cour tend à considérer qu’elle doit leur être reconnue dans ce domaine. Or, ainsi que l’ont précisé les juridictions internes dans la présente affaire (paragraphes 16 et 21 ci-dessus), le droit britannique ne reconnaît pas à l’embryon la qualité de sujet de droit autonome et ne l’autorise pas à se prévaloir – par personne interposée – du droit à la vie garanti par l’article 2.
47. Partant, il n’y a pas eu en l’espèce violation de cette disposition."
P. et S. c. Pologne du 30 octobre 2012 requête no 57375/08
Une adolescente victime de viol aurait dû bénéficier d’un accès sans entrave à l’avortement
Les requérants, P. et S., une fille et sa mère, sont des ressortissantes polonaises nées en 1993 et 1974 respectivement et résidant à Lublin (Pologne). En 2008, à l’âge de 14 ans, P. se retrouva enceinte à la suite d’un viol. Afin de pouvoir avorter, elle sollicita du procureur de la République, conformément à la loi de 1993 sur le planning familial, un certificat attestant que sa grossesse résultait d’un rapport sexuel illicite.
Les requérantes expliquent avoir ensuite rencontré des difficultés considérables pour que l’adolescente puisse bénéficier d’un avortement. Des informations contradictoires leur furent données par deux hôpitaux publics à Lublin quant à la question de savoir si, outre le certificat du procureur, elles avaient besoin d’une attestation du consultant régional en matière de gynécologie et d'obstétrique sur plusieurs points, à savoir qui pouvait procéder à l'avortement, à qui appartenait la décision, s'il existait un temps d'attente prévu par la loi et quelles autres conditions, le cas échéant, devaient être respectées. La chef du service de gynécologie de l'un des hôpitaux emmena P. voir un prêtre catholique, sans lui demander son avis. Il apparut clairement pendant l’entretien que le prêtre avait déjà été informé de la grossesse et des circonstances entourant celle-ci. Il tenta de convaincre P. de mener sa grossesse à terme et lui demanda de lui donner son numéro de téléphone portable, ce qu’elle fit. S. fut invitée par la chef du service de gynécologie à signer un formulaire de consentement à l'avortement, dans lequel il était écrit que l'avortement pouvait entraîner la mort de sa fille. Finalement, après une altercation avec S., la chef du service de gynécologie, invoquant ses idées religieuses, refusa d'autoriser que l'avortement fût effectué dans son service.
Les autorités de l'hôpital de Lublin publièrent un communiqué de presse dans lequel elles indiquaient qu'elles refusaient de procéder à l’avortement de P. Les journalistes qui prirent contact avec l'hôpital furent informés des circonstances de l'affaire. Plusieurs articles furent publiés par divers journaux locaux et nationaux, et l'affaire fit l’objet de discussions sur Internet.
Les requérantes se rendirent alors à Varsovie, où P. fut admise dans un hôpital le 3 juin 2008. Elle fut informée qu'elle était autorisée à avorter au vu du certificat délivré par le procureur et d’un certificat médical émis par le consultant national en gynécologie, mais que l’avortement ne pouvait être effectué avant trois jours. Dans l'intervalle, un médecin lui rapporta que diverses personnes exerçaient des pressions sur l’hôpital pour que l'avortement n’ait pas lieu, et que de nombreux e-mails critiquant les requérantes pour leur choix avaient été reçus. P. reçut également des textos du prêtre et de personnes qu'elle ne connaissait pas, qui essayaient de la convaincre de changer d'avis.
Se sentant manipulées et impuissantes, les requérantes quittèrent l'hôpital le 5 juin 2008. Harcelées à la sortie de l’hôpital par des activistes anti-avortement, elles furent finalement emmenées au poste de police, où elles furent interrogées pendant plusieurs heures. Le même jour, la police fut informée que le tribunal de la famille de Lublin avait ordonné le placement de P. dans un foyer pour adolescents à titre de mesure provisoire dans le cadre d’une procédure visant à déchoir S. de l'autorité parentale, au motif notamment que celle-ci faisait pression sur sa fille pour qu’elle avorte, contre la volonté de l’adolescente elle-même. Par la suite, la police conduisit P. à Lublin, où elle fut placée dans un foyer pour adolescents le même soir. Se plaignant de douleurs, la jeune fille fut emmenée le lendemain à l'hôpital, où elle resta une semaine.
S., qui avait saisi le ministère de la Santé d’une plainte, fut finalement informée que sa fille pouvait avorter à Gdansk, soit à environ 500 kilomètres de leur domicile à Lublin.
Les requérantes déclarent s’y être rendues en secret et que l'avortement eut lieu le 17 juin 2008.
Le tribunal de la famille conclut en février 2009 qu'il n'y avait pas de raison de déchoir les parents de l’autorité parentale après que P. eut attesté que sa mère ne l’avait en aucune façon contrainte d’avorter. Les poursuites pénales engagées en juillet 2008 contre P. pour rapports sexuels illicites avec un mineur furent abandonnées en novembre 2008. Une enquête pénale contre l'auteur présumé du viol fut également abandonnée.
Article 8
Quant aux griefs concernant l’impossibilité d’accéder sans entrave à l'avortement, la Cour observe que le gouvernement polonais invoque le droit des médecins en vertu de l'article 9 de la Convention (liberté de pensée, de conscience et de religion) de refuser certains services pour des motifs de conscience. Toutefois, les Etats sont tenus d'organiser leur système de santé de manière à ce que l'exercice de ce droit n'empêche pas les patients d’avoir accès aux services auxquels ils ont légalement droit.
Le droit polonais prévoit en principe des mécanismes permettant de concilier le droit des médecins à invoquer l'objection de conscience avec les intérêts des patients ; en particulier, tout médecin a dans ce cas l’obligation de renvoyer le patient à un confrère proposant le même service. Or, il n'a pas été démontré que ces conditions aient été respectées dans le cas de P. Le personnel médical ne s'est pas senti contraint de procéder à l'avortement expressément sollicité par les requérantes. Celles-ci ont reçu des informations trompeuses et contradictoires, et n'ont bénéficié d'aucun conseil médical objectif. Elles n’ont disposé d'aucune procédure définie qui leur aurait permis de faire entendre leurs arguments.
De plus, il n'a pas été démontré que le cadre législatif en Pologne permettait de prendre dûment en compte les préoccupations de S., de façon à ce que son point de vue et sa position soient considérés et mis en balance de manière équitable et respectueuse avec les intérêts de sa fille enceinte. Si l’on ne peut considérer que l'autorité parentale confère automatiquement aux parents d'un mineur le droit de prendre des décisions concernant les choix reproductifs de celui-ci, il n’en reste pas moins que les intérêts et les perspectives de vie de la mère d'une mineure enceinte entrent aussi en jeu s’agissant de décider s'il faut mener ou non la grossesse à terme.
La Cour a déjà estimé dans une autre affaire (1) que les dispositions du droit civil, telles qu'appliquées par les juridictions polonaises, ne permettaient pas de disposer d'un instrument procédural par lequel une femme enceinte souhaitant avorter pouvait défendre convenablement son droit au respect de sa vie privée. Rien dans l'affaire de P.ne permet de parvenir à une conclusion différente.
1 Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, arrêt du 20 mars 2007
La Cour est d'avis qu'un accès effectif à des informations fiables sur les conditions dans lesquelles un avortement est légalement autorisé et sur les procédures correspondantes a une influence directe sur l'exercice de l'autonomie personnelle. Le facteur temps revêt une importance cruciale dans la décision d'une femme de mettre fin ou non à une grossesse. L'incertitude à laquelle P. a dû faire face alors même que, dans les circonstances, la loi de 1993 sur le planning familial lui donnait le droit d’avorter légalement a mis au jour un écart saisissant entre le droit théorique et la réalité de sa mise en œuvre. Au vu de ces circonstances, la Cour conclut à la violation de l'article 8.
Quant au grief concernant la divulgation des données personnelles des requérantes, la Cour relève qu'il n'est pas en litige que l'hôpital de Lublin a publié un communiqué de presse concernant l'affaire de P. et que les journalistes qui ont pris contact avec l'hôpital ont obtenu des informations sur les circonstances de la grossesse. Le Gouvernement a soutenu que le communiqué de presse ne contenait pas les noms des requérantes ou d'autres détails permettant d'établir leur identité. Toutefois, les informations divulguées au public étaient assez précises pour permettre à des tiers de trouver les coordonnées des requérantes et de se mettre en rapport avec elles, puisque, à la suite de la publication du communiqué de presse, P. a été contactée par diverses personnes qui l’ont pressée d'abandonner son intention d’avorter. Le fait que P. ait fait part par texto de sa situation à une amie ne saurait équivaloir à une intention de divulguer cette information au grand public. Partant, il y a eu ingérence dans son droit au respect de sa vie privée en vertu de l'article 8.
La Cour estime que l'ingérence ne poursuivait pas un but légitime. Le fait que la question de l’accès légal à l'avortement fasse l'objet en Pologne d’intenses débats ne dispense pas le personnel médical de respecter ses obligations professionnelles concernant le secret médical. L’existence de circonstances exceptionnelles justifiant un intérêt du public pour la santé de P. n’a été ni alléguée ni démontrée. De plus, il n’a été fait état d’aucune disposition légale permettant de divulguer au grand public par la voie d'un communiqué de presse des informations sur les questions de santé concernant des patients individuels. En conséquence, il y a également eu violation de l'article 8 à cet égard.
Article 5 § 1
La Cour conclut en outre à la violation de l'article 5 § 1. Elle estime en particulier que le placement de P. dans le foyer pour adolescents visait essentiellement à la séparer de ses parents et à empêcher l'avortement. De ce point de vue, son placement ne saurait se justifier comme la détention d'un mineur décidée pour son éducation surveillée au sens de l'article 5 § 1 d). Si les autorités estimaient que l'avortement allait être effectué contre la volonté de P., les tribunaux auraient dû envisager des mesures moins radicales que l’enfermement d’une adolescente de 14 ans, ce qu’ils n’ont pas fait.
Article 3
P. n'avait que 14 ans au moment des faits et, selon le certificat médical émis après le viol, elle présentait des ecchymoses sur tout le corps, ce qui indiquait que la force physique avait été utilisée pour surmonter sa résistance. La Cour conclut qu'elle se trouvait dans une situation de grande vulnérabilité lorsqu'elle a été admise à l'hôpital.
Toutefois, des pressions ont été exercées sur elle par la médecin-chef, qui a essayé de lui imposer ses propres vues, et P. s’est vue obligée de parler à un prêtre sans qu'on lui ait demandé si elle souhaitait vraiment en voir un. Les deux requérantes ont subi des pressions considérables. En particulier, S. a été invitée à signer un formulaire de consentement l'avertissant que l'avortement pouvait entraîner la mort de sa fille, et ce en l’absence d’arguments décisifs démontrant qu'un avortement en l’occurrence comportait un tel risque.
De plus, lorsque P. a subi des actes de harcèlement, la police, au lieu de la protéger, l’a placée dans un foyer pour adolescents en exécution du jugement d'un tribunal de la famille. Par ailleurs, la Cour est particulièrement frappée par le fait que les autorités ont engagé des poursuites pénales pour rapports sexuels illicites contre l'adolescente, qui, eu égard au certificat du procureur et aux constatations médicolégales, aurait dû être considérée comme une victime d'abus sexuels. Cette approche est incompatible avec les obligations de l'Etat d’instaurer et de mettre en œuvre de manière effective un système de droit pénal sanctionnant toute forme d'abus sexuels.
Eu égard aux effets cumulatifs de l’ensemble des circonstances décrites ci-dessus, combinés avec les tergiversations du personnel médical, le défaut de conseils objectifs et la séparation de P. d’avec sa mère, la Cour conclut que l’adolescente a été soumise à un traitement contraire à l’article 3.
Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk c. Turquie du 9 avril 2013 requête no 13423/09
Le défaut de prise en charge médicale d’une femme enceinte nécessitant des soins d’urgence est contraire à l’article 2 de la Convention. En revanche l'enfant dans son ventre de huit mois est encore considéré comme un fœtus non susceptible d'être protégé par la Convention.
En Turquie, si tu n'as pas de sous, tu n'es pas malade, tu n'as pas besoin d'être soigné en urgence.
LES HORRIBLES FAITS
Le 11 mars 2000, Mme Şentürk, épouse du premier requérant, alors enceinte de huit mois, se rendit à l’hôpital public de Karşıyaka se plaignant de douleurs. Elle y fut examinée par une sage-femme qui estima inutile de faire appel au médecin de garde.
Le couple se rendit ensuite à l’hôpital public d’Izmir. Mme Şentürk y fut examinée par une sage-femme qui n’appela pas le médecin de garde.
Les douleurs de Mme Şentürk persistant, son époux la conduisit au centre hospitalier d’enseignement et de recherche Atatürk. Elle fut cette fois examinée par un urologue qui lui prescrivit des médicaments.
Les douleurs ne s’étant pas atténuées une fois rentrée chez elle, Mme Şentürk fut admise dans la soirée au centre hospitalier universitaire Ege. Elle y fut examinée par un médecin urgentiste puis transférée au service de gynécologie où les médecins constatèrent la mort de l’enfant. Mme Şentürk devant être opérée pour qu’il lui soit retiré, on lui aurait alors demandé de verser un acompte pour couvrir les frais liés à l’hospitalisation et à l’intervention chirurgicale. Ne disposant pas de la somme demandée, le couple, fut orienté vers l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique d’Izmir. Mme Şentürk décéda sans assistance médicale à bord de l’ambulance lors de son transfert.
LA CEDH
79. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 de la Convention astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Ces principes s’appliquent également dans le domaine de la santé publique (voir, entre autres, Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000‑V, et Calvelli et Ciglio [GC], précité, § 48). En effet, on ne saurait exclure que les actes et omissions des autorités dans le cadre des politiques de santé publique peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle du volet matériel de l’article 2 (Powell, décision précitée).
80. Toutefois, dès lors qu’un Etat contractant a fait ce qu’il fallait pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un Etat contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (ibidem).
81. Cela admis, la Cour rappelle également que les obligations positives que l’article 2 de la Convention fait peser sur l’Etat impliquent la mise en place par lui d’un cadre règlementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient privés ou publics, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie des malades. Elles impliquent également l’obligation d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (voir, notamment, Calvelli et Ciglio précité § 49).
82. Une exigence de promptitude et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. En effet, l’examen à bref délai de telles affaires est important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 117, 27 juin 2006). L’obligation de l’Etat au regard de l’article 2 de la Convention ne peut être satisfaite si les mécanismes de protection prévus en droit interne n’existent qu’en théorie : il faut surtout qu’ils fonctionnent effectivement en pratique, ce qui suppose un examen de l’affaire prompt et sans retards inutiles (Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 195, 9 avril 2009).
83. Par ailleurs, même si la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à l’ouverture de poursuites pénales contre des tiers, la Cour a maintes fois affirmé que le système judiciaire efficace exigé par l’article 2 peut comporter, et dans certaines circonstances doit comporter, un mécanisme de répression pénale (Calvelli et Ciglio, précité § 51). Toutefois, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (ibidem, § 51).
b. Application de ces principes en l’espèce
i. Quant à la violation alléguée de l’article 2 de la Convention dans son volet matériel
84. En l’espèce, les requérants n’allèguent pas que la mort de Mme Şentürk était intentionnelle. Ils soutiennent toutefois que les faits reprochés au personnel médical mis en cause ne devraient pas être qualifiés de simples négligences mais devraient être considérés comme constitutifs d’un homicide. Sous l’angle du volet matériel de l’article 2, ils soutiennent ainsi que le personnel médical a manqué aux devoirs de sa profession en raison de négligences graves qui lui seraient imputables mais aussi d’un défaut de prise en charge médicale de Mme Şentürk, faute pour la défunte et son époux d’avoir eu les moyens financiers nécessaires (paragraphes 68-70 ci-dessus).
85. La Cour observe d’emblée que les faits ainsi dénoncés par les requérants diffèrent considérablement de ceux qu’elle a eu l’occasion de connaître dans les affaires précitées (paragraphes 79-83 ci-dessus). Dès lors, elle estime que, formulés dans un contexte sensiblement différent du cas d’espèce, les critères et principes développés dans la jurisprudence susmentionnée ne sauraient être transposés tels quels à la présente affaire mais doivent cependant la guider dans son appréciation des circonstances de l’espèce.
86. Tout d’abord, la Cour estime utile de rappeler que l’interprétation des dispositions du droit interne, en l’occurrence la question de la qualification pénale des faits reprochés, relève de la compétence exclusive des juridictions internes (voir, Prado Bugalla c. Espagne (déc.), no 21218/09, 18 octobre 2011). Au demeurant, dans les circonstances de la présente affaire, elle observe que le comportement d’une partie du personnel médical mis en cause par les requérants a été qualifié en droit interne d’atteinte involontaire à la vie, telle que définie à l’article 455 du code pénal (paragraphes 30, 49 et 57 ci-dessus).
87. Ensuite, la Cour observe que les négligences médicales successives dont l’épouse et mère des requérants a été victime, de même que l’impéritie de certains membres du corps médical qui l’ont examinée, ont été consignées dans des rapports d’enquête et d’expertise. Elle constate également que la responsabilité du personnel médical mis en cause a été clairement établie par ces rapports (paragraphes 16, 17 et 45 ci-dessus). De même, le Conseil d’Etat, saisi de la question de l’autorisation des poursuites contre les médecins de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, a estimé que le comportement de ces derniers relevait de l’incrimination pénale et a demandé l’engagement de poursuites à leur encontre (paragraphe 28 ci-dessus). Enfin, la responsabilité d’une partie du personnel médical mis en cause dans le décès litigieux a été reconnue par la juridiction pénale en première instance (paragraphe 57 ci-dessus).
88. A cet égard, la Cour rappelle qu’une question peut se poser sous l’angle de l’article 2 de la Convention lorsqu’il est prouvé que les autorités d’un Etat contractant ont mis la vie d’une personne en danger en lui refusant les soins médicaux qu’elles se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population (Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 219, CEDH 2001‑IV, et Nitecki c. Pologne (déc.), no 65653/01, 21 mars 2002).
89. Dans les circonstances de la présente affaire, il lui incombe donc de rechercher si les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles et en particulier si elles ont satisfait, de manière générale, à leur obligation de protéger l’intégrité physique de la patiente, notamment par l’administration de soins médicaux appropriés. Pour ce faire, la Cour accorde de l’importance à la chronologie des événements, telle qu’elle ressort des éléments du dossier, qui ont conduit à la mort tragique de la défunte, ainsi qu’aux données médicales la concernant. Elle estime en outre qu’une distinction doit être faite à cet égard entre les soins qui lui ont été prodigués jusqu’à son arrivée à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege et les événements qui se sont déroulés à compter de son arrivée dans cet hôpital.
90. En effet, l’enquête menée sur le plan interne a permis d’établir que le décès de Mme Şentürk était dû non seulement à des erreurs de jugement de professionnels de la santé – ce fut notamment le cas jusqu’à l’arrivée de la défunte à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege – mais aussi à une absence de prise en charge de la défunte pour cause de non-paiement préalable des frais d’hospitalisation (paragraphes 16, 17, 45 et 57 ci‑dessus).
91. A cet égard, la Cour observe, au vu des pièces du dossier, et en particulier des constats en date du 24 novembre 2000 consignés dans le rapport d’enquête du ministère de la Santé, qu’il a été établi que les médecins de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege avaient causé la mort de leur patiente en procédant à son transfert sans l’avoir soignée et avaient manqué à leurs devoirs parce qu’ils s’étaient préoccupés du règlement des frais d’intervention médicale (paragraphe 17 ci-dessus).
92. De même, les médecins de garde T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö., du service d’obstétrique de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, ont été reconnus responsables à hauteur de 4/8e de la mort de l’épouse du premier requérant par une commission d’experts « pour avoir fait transférer celle-ci vers l’hôpital pour assurés sociaux sans assistance, au motif qu’elle n’avait pas d’argent, alors que son état n’était pas compatible avec un tel transfert » (paragraphe 45 ci-dessus).
93. La Cour relève en outre, à la lecture de la motivation de la décision du tribunal correctionnel du 18 mars 2008, statuant au vu des éléments du dossier, que le premier requérant et son épouse avaient refusé l’hospitalisation recommandée par les médecins de cet hôpital « faute de moyens financiers » (paragraphe 57 ci-dessus).
94. Enfin, elle note les conclusions, en date du 23 janvier 2004, de la commission d’enquête saisie de la question de la pertinence de l’engagement de poursuites pénales contre le personnel médical de cet hôpital, conclusions d’après lesquelles le dossier ne permettait pas de déterminer ce qu’il convenait de faire dans les situations d’urgence médicale nécessitant une hospitalisation, lorsque les frais correspondants n’étaient pas acquittés (paragraphe 23 ci-dessus).
95. Selon le Gouvernement, les soins médicaux d’urgence sont pratiqués sans exigence préalable de paiement (paragraphe 77 ci-dessus). A cet égard, la Cour estime utile de préciser qu’il ne lui incombe aucunement dans la présente affaire de se prononcer in abstracto sur la politique de santé publique de l’Etat en matière d’accès aux soins à l’époque des faits. Il lui suffit en effet de constater, au vu des constats opérés par les instances nationales quant aux circonstances du décès litigieux, que l’offre de soins à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege a été subordonnée à une exigence financière préalable. Dissuasive, celle-ci a conduit à un renoncement, de la part de la patiente, aux soins au sein de cet hôpital. Pour autant, au vu du rapport d’enquête du 24 novembre 2000 (paragraphe 17 ci-dessus) et des divers témoignages versés au dossier d’enquête, notamment ceux de S.A.A. et du chauffeur de l’ambulance ayant procédé au transfert de la défunte (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour estime que ce renoncement ne saurait aucunement être considéré comme ayant pu être effectué de manière éclairée ni comme étant de nature à exonérer les instances nationales de leur responsabilité quant aux soins qui auraient dû être prodigués à la défunte.
96. En effet, la Cour souligne qu’aucun doute n’existait quant à la gravité de l’état de santé de la patiente à son arrivée dans cet hôpital ni quant à la nécessité d’une intervention chirurgicale d’urgence dont l’absence était susceptible d’entraîner des conséquences d’une extrême gravité. Sans aucunement spéculer sur les chances de survie de Mme Şentürk si cette dernière avait bénéficié d’une prise en charge médicale au sein de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, la Cour observe que le personnel médical de cet hôpital était parfaitement conscient du risque pour la vie de la patiente que représentait le transfert de celle-ci vers un autre hôpital (paragraphe 17 ci-dessus). En outre, il ressort que le dossier de l’affaire n’a pas permis à la commission ayant refusé d’autoriser les poursuites contre ce personnel d’apprécier ce qu’il convenait de faire dans les situations d’urgence médicale lorsqu’il n’était pas pourvu aux frais devant être acquittés (paragraphes 23 et 94 ci-dessus). Le droit interne n’apparaît pas en ce sens avoir été à même de prévenir en l’espèce le défaut de prise en charge médicale que requérait l’état de la défunte.
97. C’est ainsi que, victime d’un dysfonctionnement flagrant des services hospitaliers, la défunte a été privée de la possibilité d’avoir accès à des soins d’urgence appropriés. Ce constat suffit à la Cour pour estimer que l’Etat a manqué à son obligation de protéger son intégrité physique. Elle conclut en conséquence à une violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.
4. Appréciation de la Cour quant au droit à la vie du fœtus, (un enfant de huit mois = fœtus !)
107. La Cour rappelle que, dans son arrêt Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004‑VIII), la Grande Chambre a considéré qu’en l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d’appréciation que la Cour estime généralement devoir être reconnue aux Etats dans ce domaine. La Grande Chambre a ainsi estimé qu’« il n’est ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention » (ibidem, § 85).
108. Depuis lors, la Grande Chambre a eu l’occasion de réaffirmer l’importance de ce principe dans l’affaire A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, § 237, CEDH 2010), dans laquelle elle a rappelé que les droits revendiqués au nom du fœtus et ceux de la future mère sont inextricablement liés (voir, en ce sens, l’analyse de la jurisprudence issue de la Convention exposée aux paragraphes 75-80 de l’arrêt Vo précité).
109. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de s’éloigner de l’approche ainsi adoptée et estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si le grief des requérants formulé en ce qui concerne le fœtus entre ou non dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention. Elle estime en effet que la vie du fœtus en question était intimement liée à celle de Mme Şentürk et dépendait des soins prodigués à celle-ci. Or cette circonstance a été examinée sous l’angle de l’atteinte au droit à la vie de la défunte (paragraphes 87-97 ci-dessus). Partant, la Cour estime que le grief des requérants à cet égard n’appelle pas à un examen séparé.
APPLICATION EN DROIT FRANCAIS
La LOI n° 2011-814 du 7 juillet 2011 est relative à la bioéthique
La LOI n° 2013-715 du 6 août 2013 tend à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Elle modifie l'article L 2151-5 du Code de la Santé Publique.
Article L. 2151-5 du Code de la Santé Publique
I. ― Aucune recherche sur l'embryon humain
ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans
autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des
cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé
que si :
1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;
2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité
médicale ;
3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être
menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;
4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les
principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches
embryonnaires.
II. ― Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté.
III. ― Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la
biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article
sont satisfaites. La décision de l'agence, assortie de l'avis du conseil
d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la
recherche qui peuvent, dans un délai d'un mois et conjointement, demander un
nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :
1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence
scientifique d'un protocole autorisé. L'agence procède à ce nouvel examen dans
un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;
2° Dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique,
lorsque le protocole a été refusé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un
délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.
En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de
celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la
recherche ou la retire. L'agence diligente des inspections comprenant un ou des
experts n'ayant aucun lien avec l'équipe de recherche dans les conditions fixées à l'article L. 1418-2.
IV. ― Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
FRANCE
Article L2212-1 du Code de la Santé publique
La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la quatorzième semaine de grossesse.
Toute personne a le droit d'être informée sur les méthodes abortives et d'en choisir une librement.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.
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LA QUESTION DE LA FRANCE ET L'ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
AVIS CONSULTATIF du 10 avril 2019
Demande n° P16-2018-001 par la Cour de Cassation française
relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention
PROCÉDURE
1. Par une lettre du 12 octobre 2018 adressée au greffier de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »), la Cour de cassation française a demandé à la Cour, en vertu de l’article 1 du Protocole no 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« le Protocole no 16 »), de rendre un avis consultatif sur les questions reprises au paragraphe 9 ci-dessous.
2. Le 3 décembre 2018, le collège de cinq juges de la Grande Chambre de la Cour, composé conformément aux articles 2 § 3 du Protocole no 16 et 93 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), a décidé d’accepter cette demande.
3. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée le 4 décembre 2018 conformément aux articles 24 § 2 h) et 94 § 1 du règlement.
4. Par des lettres du 7 décembre 2018, le greffier de la Cour a informé les parties à la procédure interne que le Président de la Grande Chambre les invitait à soumettre à la Cour des observations écrites sur la demande d’avis consultatif dans un délai expirant le 16 janvier 2019 (articles 3 du Protocole no 16 et 94 § 3 du règlement). Dans ce délai, des observations écrites ont été produites conjointement par Dominique Mennesson, Fiorella Mennesson, Sylvie Mennesson et Valentina Mennesson. La procureure générale près la Cour d’appel de Paris n’a pas produit d’observations écrites.
5. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a présenté des observations écrites en application de l’article 3 du Protocole no 16. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’a pas usé de ce droit.
6. Des observations écrites ont en outre été reçues des gouvernements britannique, tchèque et irlandais, du Défenseur des droits, du centre d’études interdisciplinaires du genre du département de sociologie et de la recherche sociale de l’université de Trente, ainsi que des organisations non gouvernementales AIRE Centre, Helsinki Foundation for Human Rights, ADF International, Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution, et Association des médecins catholiques de Bucarest, que le président avait autorisés à intervenir (article 3 du Protocole no 16). L’organisation non gouvernementale Child Rights International Network, également autorisée à intervenir, n’a pas produit d’observations.
7. Les observations reçues ont été communiquées à la Cour de cassation, qui n’a pas formulé de remarque (article 94 § 5 du règlement).
8. Après la clôture de la procédure écrite, le Président de la Grande Chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience (article 94 § 6 du règlement).
LES QUESTIONS POSÉES
9. Les questions posées par la Cour de cassation dans sa demande d’avis consultatif sont ainsi formulées :
« 1. En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?
2. Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? »
LE CONTEXTE ET LA PROCÉDURE INTERNE DANS LE CADRE DESQUELS S’INSCRIT LA DEMANDE D’AVIS
10. Dans l’arrêt Mennesson c. France (no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)), la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») l’impossibilité pour deux enfants nées en Californie d’une gestation pour autrui et les parents d’intention d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie entre eux aux États-Unis. Les requérants ont précisé que, conformément au droit californien, la mère porteuse n’avait pas été rémunérée mais seulement défrayée (voir le paragraphe 8 de l’arrêt).
11. La Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu violation du droit des enfants et des parents d’intention au respect de leur vie familiale, mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants.
12. S’agissant du second point, la Cour a souligné que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », et qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation » (voir le paragraphe 96 de l’arrêt). Elle a ajouté que « le droit au respect de la vie privée [des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui], qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouv[ait] significativement affecté [par la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre ces enfants et les parents d’intention] ». Elle en a déduit que se posait « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant » (voir les paragraphes 96 et 99 de l’arrêt).
13. La Cour s’est ensuite prononcée expressément sur la question de la reconnaissance du lien de filiation entre les deux enfants et le père d’intention, qui était leur père biologique. Elle a jugé ce qui suit (paragraphe 100 de l’arrêt) :
« [L’]analyse [rappelée ci-dessus] prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (...), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or non seulement le lien entre les [enfants] requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (...). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des [enfants] requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. »
14. Dans sa demande d’avis consultatif, la Cour de cassation indique que sa jurisprudence a évolué postérieurement à l’arrêt Mennesson. La transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger est désormais possible pour autant qu’il désigne le père d’intention comme étant le père de l’enfant lorsqu’il en est le père biologique. Elle demeure impossible s’agissant de la maternité d’intention. L’épouse du père, mère d’intention, a toutefois maintenant la possibilité d’adopter l’enfant si les conditions légales sont réunies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, ce qui crée un lien de filiation à son égard, l’adoption de l’enfant du conjoint étant par ailleurs facilitée par le droit français.
15. Par une résolution adoptée le 21 septembre 2017 (CM/resDH(2017)286), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a déclaré avoir rempli ses fonctions en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention quant à l’exécution de cet arrêt et a décidé d’en clore l’examen.
16. Par une décision du 16 février 2018, la cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à la demande de réexamen du pourvoi en cassation déposée le 15 mai 2017 en application de l’article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire par les époux Mennesson, agissant en qualité de représentants légaux des deux enfants mineurs, contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010 qui avait annulé la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance américains de ces derniers.
17. C’est dans le cadre du réexamen de ce pourvoi en cassation que la Cour de cassation a saisi la Cour de la présente demande d’avis consultatif.
18. La Cour de cassation a sursis à statuer jusqu’à l’avis de la Cour.
DROIT ET INSTRUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
19. La Cour renvoie notamment aux articles 2, 3, 7, 8, 9 et 18 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ainsi qu’aux articles 1 et 2 de son Protocole facultatif, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.
20. La Cour a par ailleurs pris en compte les travaux de la Conférence de La Haye de droit international privé.
21. Elle a également considéré, notamment, le rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants, y compris la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et autres contenus montrant des violences sexuelles sur enfant, du 15 janvier 2018 (A/HRC/37/60).
ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
22. La Cour a procédé à une étude de droit comparé couvrant quarante-trois États parties à la Convention autres que la France : l’Albanie, l’Allemagne, Andorre, l’Arménie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la République de Moldova, Monaco, le Monténégro, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République de Macédoine du Nord, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Turquie et l’Ukraine.
23. Il en ressort que la gestation pour autrui est autorisée dans neuf de ces quarante-trois États, qu’elle parait tolérée dans dix et qu’elle est explicitement ou implicitement interdite dans les vingt-quatre autres. Par ailleurs, dans trente-et-un de ces quarante-trois États, dont douze États dans lesquels la gestation pour autrui est interdite, il est possible pour le père d’intention, père biologique, d’établir sa paternité à l’égard d’un enfant né d’une gestation pour autrui. Dans dix-neuf de ces quarante-trois États (l’Allemagne, l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Grèce, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovénie et la Suède et l’Ukraine), dont sept États dans lesquels la gestation pour autrui est interdite (l’Allemagne, l’Espagne, la Finlande, le Luxembourg, la Norvège, la Slovénie et la Suède), il est possible pour la mère d’intention d’établir sa maternité à l’égard d’un enfant né d’une gestation pour autrui avec lequel elle n’a pas de lien génétique.
24. Les modalités d’établissement ou de reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui et les parents d’intention varient d’un État à un autre, plusieurs pouvant par ailleurs être ouvertes dans un même État. Il peut notamment s’agir de l’enregistrement de l’acte de naissance étranger, de l’adoption ou de procédures judiciaires autres que l’adoption. En particulier, l’enregistrement de l’acte de naissance étranger est possible dans seize des dix-neuf États membres visés par l’étude dans lesquels la gestation pour autrui est tolérée ou autorisée (l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Géorgie, la Grèce, la République de Moldova, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Russie, le Royaume-Uni, la République de Macédoine du Nord et l’Ukraine) et dans sept des vingt-quatre États dans lesquels elle est interdite (l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, l’Islande, Malte, la Norvège et la Turquie), du moins en ce qu’il désigne un parent d’intention ayant un lien génétique avec l’enfant. Il est possible de faire établir ou reconnaitre le lien enfant-parent d’intention par une procédure judiciaire autre que l’adoption dans les dix-neuf États dans lesquels la gestation pour autrui est autorisée ou tolérée et dans neuf des vingt-quatre États dans lesquels elle est interdite. Quant à l’adoption, elle est possible dans cinq des États autorisant ou tolérant la gestation pour autrui (l’Albanie, la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal et la République tchèque), et dans douze des vingt-quatre États qui l’interdisent (l’Allemagne, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, l’Espagne, la Finlande, l’Islande, le Luxembourg, la Norvège, la Slovénie, la Suède et la Turquie), en particulier à l’égard des parents qui n’ont pas de lien génétique avec l’enfant.
L’AVIS DE LA COUR
I.CONSIDERATIONS PRELIMINAIRES
25. La Cour rappelle que, comme l’indique le préambule du Protocole no 16, la procédure d’avis consultatif a pour but de renforcer l’interaction entre elle et les autorités nationales et de consolider ainsi la mise en œuvre de la Convention, conformément au principe de subsidiarité, en donnant la possibilité aux juridictions nationales désignées de lui demander un avis sur « des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles » (article 1 § 1 du Protocole no 16) qui se posent « dans le cadre d’une affaire pendante devant elle[s] » (article 1 § 2 du Protocole no 16). L’objectif de la procédure n’est pas de transférer le litige à la Cour, mais de donner à la juridiction qui a procédé à la demande les moyens nécessaires pour garantir le respect des droits de la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance (voir le point 11 du rapport explicatif). La Cour n’est compétente ni pour se livrer à une analyse des faits, ni pour apprécier le bien-fondé des points de vue des parties relativement à l’interprétation du droit interne à la lumière du droit de la Convention, ni pour se prononcer sur l’issue de la procédure. Son rôle se limite à rendre un avis en rapport avec les questions qui lui ont été soumises. C’est à la juridiction dont émane la demande qu’il revient de résoudre les questions que soulève l’affaire et de tirer, selon le cas, toutes les conséquences qui découlent de l’avis donné par la Cour pour les dispositions du droit interne invoquées dans l’affaire et pour l’issue de l’affaire.
26. La Cour déduit par ailleurs de l’article 1 §§ 1 et 2 du Protocole no 16 que les avis qu’elle est amenée à rendre en application de ce protocole doivent se limiter aux points qui ont un lien direct avec le litige en instance au plan interne. Leur intérêt est également de fournir aux juridictions nationales des orientations sur des questions de principe relatives à la Convention applicables dans des cas similaires.
27. La présente demande d’avis consultatif s’inscrit dans le contexte d’une procédure interne visant au réexamen du pourvoi en cassation des requérants dans l’affaire Mennesson, affaire dans laquelle la Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des requérants mais du droit au respect de la vie privée des enfants (paragraphe 11 ci-dessus). Il apparaît ainsi que le litige interne porte sur la reconnaissance dans l’ordre juridique français, eu égard au droit au respect de la vie privée des enfants, d’un lien de filiation entre une mère d’intention et des enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui et issus des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, dans un cas où l’acte de naissance étranger peut faire l’objet d’une transcription en ce qu’il désigne le père d’intention dès lors qu’il est le père biologique des enfants.
28. Le litige interne ne concerne donc pas le cas où l’enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger est issu des gamètes de la mère d’intention.
29. Il en résulte également que l’avis ne concernera pas le cas où il y a eu procréation pour autrui, c’est-à-dire où l’enfant est issu des gamètes de la mère porteuse. Les questions de la Cour de cassation ne visent du reste pas cette situation.
30. Il en résulte de plus que l’avis ne portera ni sur le droit au respect de la vie familiale des enfants ou des parents d’intention, ni sur le droit au respect de la vie privée des parents d’intention.
31. L’avis de la Cour portera en conséquence sur deux points.
32. Il portera en premier lieu sur la question de savoir si le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, qui requiert la reconnaissance en droit interne du lien de filiation entre celui-ci et le père d’intention lorsqu’il est le père biologique, requiert également la possibilité d’une reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale », dans la situation où l’enfant a été conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne.
33. Il portera en second lieu sur la question de savoir si, dans l’affirmative, le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, ou s’il admet qu’elle puisse se faire par d’autres moyens, tels que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention.
34. Pour formuler son avis, la Cour prendra dûment en compte les observations écrites et les pièces produites par les divers participants à la procédure (paragraphes 4-6 ci-dessus). Elle souligne toutefois qu’il ne s’agit pas pour elle de répondre à chacun des moyens et arguments qui lui sont soumis, ni de développer en détail les fondements de sa réponse, dès lors que, en application du Protocole no 16, son rôle n’est pas de statuer contradictoirement sur des requêtes contentieuses par un arrêt ayant force obligatoire mais, dans un délai aussi rapide que possible, de fournir à la juridiction qui a procédé à la demande une orientation lui permettant de garantir le respect des droits de la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance.
II.SUR LE PREMIER POINT
35. Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’article 8 de la Convention demande que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et le père d’intention lorsqu’il est le père biologique. Comme indiqué précédemment, la Cour a en effet expressément conclu dans l’arrêt Mennesson précité que l’absence d’une telle possibilité emportait violation du droit de l’enfant au respect de sa vie privée, tel qu’il se trouve garanti par cette disposition (Mennesson, précité, §§ 100-101; voir aussi Labassee c. France, no 65941/11, 26 juin 2014, ainsi que Foulon et Bouvet c. France, nos 9063/14 et 10410/14, 21 juillet 2016, et Laborie c. France, no 44024/13, 19 janvier 2017).
36. En rapport avec ce qui précède, la Cour relève qu’à ce jour, sa jurisprudence met un certain accent sur l’existence d’un lien biologique entre l’enfant et au moins l’un des parents d’intention (voir les arrêts cités ci-dessus, ainsi que l’arrêt Paradiso et Campanelli c. Italie [GC] (no 25358/12, § 195, 24 janvier 2017). Elle rappelle à cet égard que la question à examiner en l’espèce inclut explicitement un élément factuel selon lequel le père d’intention a un lien biologique avec l’enfant concerné. La Cour va circonscrire sa réponse en conséquence. Elle précise toutefois qu’elle pourrait être appelée à l’avenir à développer sa jurisprudence dans ce domaine, étant donné en particulier l’évolution de la question de la gestation pour autrui.
37. Pour se prononcer dans le cadre de la présente demande d’avis consultatif (paragraphes 32, 34 et 36 ci-dessus) sur la question de savoir si l’article 8 de la Convention requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention deux facteurs ont un poids particulier : l’intérêt supérieur de l’enfant et l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États parties.
38. S’agissant du premier facteur, la Cour se réfère au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (voir, en particulier, Paradiso et Campanelli, précité, § 208, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 95, CEDH 2013, Mennesson, précité, §§ 81 et 99, Labassee, précité, §§ 60 et 78, et Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 133, 28 juin 2007).
39. La Cour a admis dans les arrêts Mennesson (précité, § 99) et Labassee (précité, § 78) qu’il était « concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire ». Elle a toutefois relevé que les effets de la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitaient pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée se trouve significativement affecté.
40. L’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a ainsi des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée. D’un point de vue général, comme la Cour l’a relevé dans les arrêts Mennesson et Labassee précités, l’absence de reconnaissance en droit interne du lien entre l’enfant et la mère d’intention défavorise l’enfant dès lors qu’il le place dans une forme d’incertitude juridique quant à son identité dans la société (§§ 96 et 75 respectivement). Il y a notamment un risque qu’il n’ait pas l’accès à la nationalité de la mère d’intention dans les conditions que garantit la filiation, cela peut compliquer son maintien sur le territoire du pays de résidence de la mère d’intention (même si ce risque n’existe pas dans le cas soumis à l’examen de la Cour de cassation, le père d’intention, qui est aussi le père biologique, ayant la nationalité française), ses droits successoraux à l’égard de celle-ci peuvent être amoindris, il se trouve fragilisé dans le maintien de sa relation avec la mère d’intention en cas de séparation des parents d’intention ou de décès du père d’intention, et il n’est pas protégé contre un refus ou une renonciation de la mère d’intention de le prendre en charge.
41. La Cour est consciente de ce que, dans le contexte de la gestation pour autrui, l’intérêt supérieur de l’enfant ne se résume pas au respect de ces aspects de son droit à la vie privée. Il inclut d’autres éléments fondamentaux, qui ne plaident pas nécessairement en faveur de la reconnaissance d’un lien de filiation avec la mère d’intention, tels que la protection contre les risques d’abus que comporte la gestation pour autrui (voir Paradiso et Campanelli, précité, § 202) et la possibilité de connaitre ses origines (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, §§ 54-55, CEDH 2002‑I).
42. Au vu des éléments indiqués au paragraphe 40 ci-dessus et du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable, la Cour considère toutefois que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise.
43. S’agissant du second facteur, comme la Cour l’a rappelé dans les arrêts Mennesson (précité, § 77) et Labassee (précité, § 57), l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États varie selon les circonstances, les domaines et le contexte ; la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants peut constituer un élément pertinent à cet égard. Ainsi, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. Or il ressort de l’étude de droit comparé susmentionnée que, malgré une certaine évolution vers la possibilité d’une reconnaissance juridique du lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et les parents d’intention, il n’y a pas consensus en Europe sur cette question (paragraphe 23 ci-dessus).
44. La Cour a toutefois également rappelé dans ces mêmes arrêts (§§ 77 et 80, et §§ 56 et 59 respectivement) que, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’identité d’un individu se trouve en jeu, comme lorsque l’on touche à la filiation, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. Elle en a déduit qu’il convenait d’atténuer la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur (ibidem).
45. Ce qui est en jeu dans le contexte de la reconnaissance d’un lien de filiation entre des enfants nés à l’issue d’une gestation pour autrui et les parents d’intention dépasse en réalité la question de l’identité de ces enfants. D’autres aspects essentiels de leur vie privée sont concernés dès lors que sont en question l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et les personnes qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être (voir aussi les paragraphes 40-42 ci-dessus). Ceci conforte le constat de la Cour quant à la réduction de la marge d’appréciation.
46. En somme, vu les exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant et la réduction de la marge d’appréciation, la Cour est d’avis que, dans une situation telle que celle visée par la Cour de cassation dans ses questions (paragraphes 9 et 32 ci-dessus) et délimitée par la Cour au paragraphe 36 ci-dessus, le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ».
47. Bien que le litige interne ne concerne pas le cas d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et conçu avec les gamètes de la mère d’intention, la Cour juge important de préciser que, lorsque la situation est par ailleurs similaire à celle dont il est question dans ce litige, la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention vaut a fortiori dans un tel cas.
III.SUR LE SECOND POINT
48. Le second point concerne la question de savoir si le droit au respect de la vie privée de l’enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger, dans la situation où l’enfant a été conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, requiert que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, ou s’il admet qu’elle puisse se faire par d’autres moyens, tels que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention.
49. Il est dans l’intérêt de l’enfant qui est dans cette situation que la durée de l’incertitude dans laquelle il se trouve quant à sa filiation à l’égard de la mère d’intention soit aussi brève que possible. Comme indiqué précédemment, tant que le lien entre lui et celle-ci n’est pas reconnu en droit interne sa situation se trouve fragilisée s’agissant de plusieurs aspects de son droit au respect de la vie privée (paragraphe 40 ci-dessus).
50. On ne saurait toutefois en déduire que les États parties soient tenus d’opter pour la transcription des actes de naissance légalement établis à l’étranger.
51. La Cour constate en effet qu’il n’y a pas de consensus européen sur cette question : lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités varient d’un État à l’autre (paragraphe 24 ci-dessus). Elle observe ensuite que l’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin. La Cour estime en conséquence que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des États.
52. Outre ce constat relatif à la marge d’appréciation, la Cour considère que l’article 8 de la Convention n’impose pas une obligation générale pour les États de reconnaître ab initio un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. Ce que requiert l’intérêt supérieur de l’enfant – qui s’apprécie avant tout in concreto plutôt qu’in abstracto – c’est que ce lien, légalement établi à l’étranger, puisse être reconnu au plus tard lorsqu’il s’est concrétisé. Il appartient en principe non pas à la Cour mais en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, si et quand ce lien s’est concrétisé.
53. On ne saurait déduire de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi compris que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention que requiert le droit de l’enfant au respect de la vie privée, au sens l’article 8 de la Convention, impose aux États de procéder à la transcription de l’acte de naissance étranger en ce qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère légale. Selon les circonstances de chaque cause, d’autres modalités peuvent également servir convenablement cet intérêt supérieur, dont l’adoption, qui, s’agissant de la reconnaissance de ce lien, produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger.
54. Ce qui compte c’est qu’au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé (paragraphe 52 ci-dessus), il y ait un mécanisme effectif permettant la reconnaissance de ce lien. Une procédure d’adoption peut répondre à cette nécessité dès lors que ses conditions sont adaptées et que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à ce lien. Il va de soi que ces conditions doivent inclure une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause.
55. En somme, vu la marge d’appréciation dont disposent les États s’agissant du choix des moyens, d’autres voies que la transcription, notamment l’adoption par la mère d’intention, peuvent être acceptables dans la mesure où les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
56. La Cour de cassation indique dans sa demande d’avis que la loi française facilite l’adoption de l’enfant du conjoint (paragraphe 14 ci-dessus). Il peut s’agir d’une adoption plénière ou d’une adoption simple.
57. Le gouvernement français fait ainsi valoir qu’entre le 5 juillet 2017 et le 2 mai 2018 la quasi-totalité des demandes d’adoption entre conjoints concernant des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui ont été satisfaites. La Cour relève cependant que cette procédure n’est ouverte qu’aux parents d’intention mariés. De plus, il ressort notamment des observations en intervention du Défenseur des droits que des incertitudes persistent quant aux modalités de l’adoption de l’enfant du conjoint dans ce contexte, s’agissant par exemple de la nécessité d’obtenir le consentement préalable de la mère porteuse.
58. Ceci étant, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer dans le cadre de son avis consultatif sur l’adéquation du droit français de l’adoption avec les critères énoncés aux paragraphes 54-55 ci-dessus. Il revient au juge interne de le faire (paragraphe 25 ci-dessus), en tenant compte de la situation fragilisée dans laquelle se trouvent les enfants tant que la procédure d’adoption est pendante.
59. Enfin, la Cour est consciente de la complexité des questions que pose la gestation pour autrui. Elle observe que la conférence de La Haye de droit international privé a entrepris des travaux destinés à proposer une convention internationale permettant d’y répondre sur la base de principes acceptés par les États qui adhéreront à cet instrument (paragraphe 20 ci-dessus).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Rend l’avis suivant :
Dans la situation où, comme dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :
1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ;
2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 10 avril 2019, en application de l’article 94 §§ 9 et 10 du règlement de la Cour.
L'ARRÊT CONSEQUENT DE LA COUR DE CASSATION FRANCAISE
Cour de cassation - Assemblée plénière du 4 octobre 2019 pourvoi 10-19053 Cassation sans renvoi
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
I. FAITS ET PROCÉDURE
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2010), aux termes de leurs actes de
naissance américains, dressés dans le comté de San Diego (Californie)
conformément à un jugement de la Cour supérieure de l’Etat de Californie du 14
juillet 2000, A... et B... X... sont nées le [...] à La Mesa (Californie) de
M. C... X... et Mme D... X..., son épouse, tous deux de nationalité française.
Le 25 novembre 2002, le ministère public a fait transcrire ces actes de naissance par le consulat général de France à Los Angeles (Californie).
Par acte du 16 mai 2003, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil a assigné M. et Mme X... en annulation de cette transcription.
Par un jugement du 13 décembre 2005, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007, le procureur de la République a été déclaré irrecevable en son action.
Cet arrêt a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (1re Civ., 17 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.468).
Par un arrêt du 18 mars 2010, la cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a annulé la transcription, sur les registres du service central d’état civil de Nantes, des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. C... X... et Mme D... X... en qualité de père et mère des enfants A... X... et B... X....
Par un arrêt du 6 avril 2011 (1re Civ., 6 avril 2011, pourvoi n° 10-19.053), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. et Mme X... à l’encontre de cet arrêt.
Ces derniers ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui, par un arrêt du 26 juin 2014, a dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit de A... et B... X... au respect de leur vie privée et que l’Etat français devait verser une somme aux deux requérantes au titre du préjudice moral subi et des frais et dépens.
Sur le fondement des articles L. 452-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire institués par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, M. et Mme X..., agissant en qualité de représentants légaux de leurs deux filles mineures, ont demandé le réexamen de ce pourvoi.
Par une décision du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles a fait droit à la demande et dit que l’affaire se poursuivra devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.
Par un arrêt avant dire droit du 5 octobre 2018, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a transmis à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif sur les questions suivantes :
1°. En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa "mère légale" la "mère d’intention", alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le "père d’intention", père biologique de l’enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la "mère d’intention" ?
2°. Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?
L’assemblée plénière a sursis à statuer jusqu’à l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme.
La Cour européenne des droits de l’homme a rendu son avis consultatif le 10 avril 2019.
Par un mémoire du 15 avril 2019, Mmes A... et B... X... ont fait valoir qu’elles entendaient, en application des articles 369 et 373 du code de procédure civile, reprendre l’instance qui avait été initiée par leurs représentants légaux, avec toutes leurs écritures.
Le 24 avril 2019, la SCP Marc Lévis a formé une intervention volontaire au nom de l’association Arcilesbica. Un mémoire a été déposé le 6 septembre 2019.
2. Au soutien du pourvoi, objet de la demande de réexamen, Mmes A... et B... X... ainsi que M. et Mme X... soulèvent un moyen unique qui fait grief à l’arrêt d’annuler la transcription des actes de naissance de A... et B... X....
Ils font valoir :
- que la décision étrangère qui reconnaît la filiation d’un enfant à l’égard d’un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse n’est pas contraire à l’ordre public international, lequel ne se confond pas avec l’ordre public interne ; qu’en jugeant que l’arrêt de la Cour supérieure de l’Etat de Californie ayant déclaré M. X... « père génétique » et Mme Z..., épouse X..., « mère légale » de tout enfant devant naître de Mme E... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était contraire à l’ordre public international, prétexte pris que l’article 16-7 du code civil frappe de nullité les conventions portant sur la gestation pour le compte d’autrui, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;
- qu’il résulte de l’article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l’autre partie, une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu’en se fondant, pour dire que c’était vainement que les consorts X... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, « pour l’heure », la gestation pour autrui, la cour d’appel, qui a ainsi considéré qu’une convention internationale ne pouvait primer sur le droit interne, a violé l’article 55 de la Constitution ;
- que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ; qu’en retenant que l’annulation de la transcription des actes de naissance des enfants des époux X... ne méconnaissait pas l’intérêt supérieur de ces enfants en dépit des difficultés concrètes qu’elle engendrerait, la cour d’appel, dont la décision a pourtant pour effet de priver ces enfants de la possibilité d’établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux X..., a violé l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant ;
- qu’il résulte des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que là où l’existence d’un lien familial avec un enfant se trouve établie, l’Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ; qu’en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X..., la cour d’appel, qui a ainsi privé ces enfants de la possibilité d’établir en France leur filiation à l’égard des époux X... avec lesquels ils forment une véritable famille, a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
- que, dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables ; qu’en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X... par cela seul qu’ils étaient nés en exécution d’une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, la cour d’appel, qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, à raison de faits qui ne leur étaient pourtant pas imputables, a violé l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 8 de ladite Convention.
II. RECEVABILITÉ DE L’INTERVENTION VOLONTAIRE DE L’ASSOCIATION ARCILESBICA
3. En application du deuxième alinéa de l’article 327 du code de procédure civile, seule est admise devant la Cour de cassation l’intervention volontaire formée à titre accessoire. Selon l’alinéa premier de l’article 330 du même code, l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie. Il ressort du mémoire produit par l’association Arcilesbica que son intervention volontaire ne vient pas en soutien de Mmes A... et B... X... et de M. et Mme X.... Aucune autre partie n’ayant produit de mémoire, cette intervention volontaire est irrecevable.
III. EXAMEN DU MOYEN
Vu l’article 55 de la Constitution :
Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant :
Vu l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019 :
4. Dans son avis consultatif, la Cour européenne des droits de l’homme énonce que chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (§ 38). Or, l’absence de reconnaissance du lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée (§ 40). Au vu de ces éléments et du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification, en droit, des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise (§ 42). Selon la Cour, il va de soi que ces conditions doivent inclure une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause (§ 54).
5. Dès lors, la Cour européenne des droits de l’homme est d’avis que “dans la situation où, comme dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :/ 1. Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la “mère légale” ; / 2. Le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en oeuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant”.
6. Il se déduit ainsi de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.
7. Pour annuler la transcription sur les registres du service d’état civil de Nantes des actes de naissance établis dans le comté de San Diego (Californie) et désignant M. et Mme X... en qualité de père et mère des enfants A... et B... X..., l’arrêt retient que ces actes ont été établis sur le fondement de l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’Etat de Californie qui a déclaré M. C... X..., père génétique et Mme D... Z..., “mère légale de tout enfant qui naîtrait de Mme E... entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000". Il ajoute que c’est à la suite d’une convention de gestation pour autrui que Mme E... a donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes de M. X... et d’une tierce personne, enfants qui ont été remis à M. et Mme X.... Dès lors que toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle en vertu de l’article 16-7 du code civil, il conclut que l’arrêt de la Cour supérieure de l’Etat de Californie, en ce qu’il a validé indirectement une gestation pour autrui, est en contrariété avec la conception française de l’ordre public international.
8. En statuant ainsi, par des motifs fondés sur l’existence d’une convention de gestation pour autrui à l’origine de la naissance des enfants, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
9. En application de l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et de l’article 627 du code de procédure civile, la Cour de cassation peut, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.
IV. RÈGLEMENT AU FOND
Sur la recevabilité de l’action du ministère public
10. Il résulte de l’article 423 du code de procédure civile que le ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci. Le jugement déféré doit donc être infirmé.
Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription
Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l’acte de naissance des enfants à l’égard du père biologique
11. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 4, 5 et 6 que l’acte de naissance doit être transcrit en ce qui concerne la filiation paternelle biologique. En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’Etat de Californie a déclaré M. C... X..., père génétique des deux enfants, qui sont issues des gamètes de ce dernier et d’une tierce personne. Il convient, en conséquence, de rejeter la demande formée par le procureur général près la cour d’appel de Paris en annulation de la transcription des actes de naissance de A... et B... X... en ce qu’elles sont nées de M. C... X....
Sur la demande du ministère public en annulation de la transcription de l’acte de naissance à l’égard de Mme X..., mère d’intention des deux enfants, et sur les demandes de Mmes A... et B... X...
12. Il résulte de l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme que, s’agissant de la mère d’intention, les Etats parties ne sont pas tenus d’opter pour la transcription des actes de naissance légalement établis à l’étranger (§ 50). En effet, il n’y a pas de consensus européen sur cette question. Lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités varient d’un Etat à l’autre. Il en résulte que, selon la Cour, le choix des moyens à mettre en oeuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des Etats (§ 51).
13. Selon l’avis consultatif, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise, ces conditions devant inclure une appréciation in concreto par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 52 et 54).
14. En droit français, en application de l’article 310-1 du code civil, la filiation est légalement établie par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire, ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété. Elle peut l’être aussi par un jugement. Par ailleurs, la filiation peut être également établie, dans les conditions du titre VIII du code civil, par l’adoption, qu’elle soit plénière ou simple.
15. En considération de l’existence de ces modes d’établissement de la filiation, la 1re chambre civile de la Cour de cassation, par quatre arrêts du 5 juillet 2017 (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et n° 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164, n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165 ) a jugé que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, épouse du père biologique. Selon l’avis consultatif, l’adoption répond notamment aux exigences de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à ce lien, le juge devant tenir compte de la situation fragilisée des enfants tant que la procédure est pendante.
16. Etant rappelé qu’en droit français, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles, la Cour de cassation retient, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant.
17. En l’espèce, le prononcé d’une adoption suppose l’introduction d’une nouvelle instance à l’initiative de Mme D... X.... En effet, en application des dispositions du titre VIII du code civil, l’adoption ne peut être demandée que par l’adoptant, l’adopté devant seulement y consentir personnellement s’il a plus de treize ans. Le renvoi des consorts X... à recourir à la procédure d’adoption, alors que l’acte de naissance des deux filles a été établi en Californie, dans un cadre légal, conformément au droit de cet Etat, après l’intervention d’un juge, la Cour supérieure de l’Etat de Californie, qui a déclaré M. C... X..., père génétique et Mme D... X..., “mère légale” des enfants, aurait, au regard du temps écoulé depuis la concrétisation du lien entre les enfants et la mère d’intention, des conséquences manifestement excessives en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de Mmes A... et B... X....
18. Selon les requérantes, la concrétisation du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention évoquée par la Cour européenne dans son avis consultatif pourrait trouver une traduction en droit interne français avec la possession d’état qui, en application de l’article 311-1 du code civil, s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Cependant, l’avis consultatif insiste sur la nécessité de ne pas fragiliser la situation de l’enfant dès lors que la gestation pour autrui a été réalisée dans les conditions légales du pays étranger et que le lien avec la mère d’intention s’est concrétisé. A cet égard, la reconnaissance du lien de filiation par la constatation de la possession d’état dans l’acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d’instance de Charenton-le-Pont, à supposer que les conditions légales en soient réunies, ne présente pas les garanties de sécurité juridique suffisantes dès lors qu’un tel lien de filiation peut être contesté en application de l’article 335 du code civil. Par conséquent, la demande formée par Mmes A... et B... X... tendant à faire constater le fait juridique reconnu dans l’acte de notoriété établi le 11 mai 2018 par le juge d’instance de Charenton-le-Pont sera rejetée.
19. Il résulte de ce qui précède, qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mmes A... et B... X... consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et alors qu’il y a lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l’état civil de Nantes des actes de naissance établis à l’étranger de A... et B... X... ne saurait être annulée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE l’intervention volontaire de l’association Arcilesbica ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 mars 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
INFIRME le jugement rendu le 13 décembre 2005 par le tribunal de grande instance de Créteil ;
Et statuant à nouveau :
DÉCLARE RECEVABLE l’action du ministère public ;
REJETTE la demande d’annulation de la transcription formée par le procureur général près la cour d’appel de Paris ;
CONSTATE la transcription sur les registres de l’état civil de Nantes de :
- l’acte de naissance de A... X... enregistré le 1er novembre 2000 sous le n° 1200037036331 à San Diego (Californie) de M. C... X..., né le [...] à Dijon, en ce qu’elle est née de M. C... X..., né le [...] à Dijon, et de Mme D... Z... née à Melfi (Italie), le [...], épouse de M. C... X..., effectuée le 25 novembre 2002 par l’officier d’état civil par délégation du Consul général de France à Los Angeles ;
- l’acte de naissance de B... X... enregistré le 1er novembre 2000 sous le n° 1200037036332 à San Diego (Californie) de M. C... X..., né le [...] à Dijon, en ce qu’elle est née de M. C... X..., né le [...] à Dijon, et de Mme D... Z... née à Melfi (Italie), le [...], épouse de M. C... X..., effectuée le 25 novembre 2002 par l’officier d’état civil par délégation du Consul général de France à Los Angeles ;
D.B. et autres c. Suisse du 22 novembre 2022 requêtes nos 58817/15 et 58252/15
Art 8 : L’absence en droit suisse, jusqu’en 2018, de modes alternatifs de reconnaissance, pour les couples de même sexe, d’un enfant né d’une gestation pour autrui a violé le droit à la vie privée d’un enfant
Art 8 • Non-reconnaissance prolongée du lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger et le père d’intention partenaire enregistré du père génétique • Application des principes jurisprudentiels de la Cour européenne concernant les enfants nés par GPA ayant des parents de sexes différents unis par un mariage • Intérêt supérieur de l’enfant non poursuivi • Ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée • Adoption de l’enfant d’un partenaire enregistré prévue tardivement par le législateur • Marge d’appréciation excédée • Vie familiale des deux parents non affectée de manière significative
L’affaire concerne un couple de même sexe, uni par un partenariat enregistré et ayant conclu un contrat de gestation pour autrui aux États-Unis à l’issue duquel est né le troisième requérant. Les requérants se plaignent en particulier du refus des autorités suisses de reconnaître le lien de filiation établi par un tribunal américain entre le père d’intention (premier requérant) et l’enfant né d’une gestation pour autrui (troisième requérant). Le lien de filiation entre le père génétique (deuxième requérant) et l’enfant a quant à lui été reconnu par les autorités suisses. La Cour précise que le critère distinctif principal en l’espèce, par rapport aux affaires qu’elle a déjà jugées, est que les deux premiers requérants forment un couple de même sexe uni par un partenariat enregistré. En ce qui concerne le troisième requérant, la Cour note qu’à la naissance de ce dernier, le droit interne n’offrait aux requérants aucune possibilité de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention (le premier requérant) et l’enfant. L’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés, excluant les couples unis par un partenariat enregistré. Ce n’est que depuis le 1 er janvier 2018 qu’il est possible d’adopter l’enfant d’un partenaire enregistré. Ainsi, durant presque 7 ans et 8 mois, les requérants n’avaient aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation de manière définitive. La Cour juge donc que le refus des autorités suisses de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger concernant le lien de filiation entre le père d’intention (le premier requérant) et l’enfant, né aux États-Unis d’une gestation pour autrui, sans prévoir de modes alternatifs de reconnaissance dudit lien, ne poursuivait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Autrement dit, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre l’enfant et le premier requérant pendant un laps de temps significatif constitue une ingérence disproportionnée dans le droit du troisième requérant au respect de sa vie privée protégée par l’article 8. La Suisse a donc excédé sa marge d’appréciation en n’ayant pas prévu à temps, dans sa législation, une telle possibilité. En ce qui concerne les premier et deuxième requérants, la Cour rappelle tout d’abord que la gestation pour autrui à laquelle ils ont eu recours pour créer une famille était contraire à l’ordre public suisse. Puis, elle juge que les difficultés pratiques que ces derniers pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit suisse du lien entre le premier et le troisième requérant ne dépassent pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention.
FAITS
Les requérants sont trois ressortissants suisses. Les premier et deuxième requérants sont un couple de même sexe nés respectivement en 1973 et en 1976. Ils sont liés par un partenariat enregistré depuis 2011. Le troisième requérant est un enfant né d’une gestation pour autrui en 2011 aux États-Unis ; il possède également la nationalité américaine. En juillet 2010, les premier et deuxième requérants conclurent un contrat de gestation pour autrui aux États-Unis. Un embryon issu d’un ovule d’une donneuse anonyme et du sperme du deuxième requérant fut implanté dans l’utérus d’une mère porteuse. Une fois la grossesse confirmée, le tribunal californien rendit un jugement dans lequel il déclara que les deux premiers requérants étaient les parents légaux de l’enfant à naître. À la naissance du troisième requérant, en 2011, un certificat de naissance conforme au jugement fut établi aux États-Unis. En avril 2011, les requérants demandèrent aux autorités suisses de reconnaître la décision américaine et de transcrire le certificat de naissance dans le registre d’état civil. Leur demande fut rejetée par l’office d’état du canton de Saint-Gall. En juillet 2013, les requérants firent un recours devant le Département de l’intérieur du canton de SaintGall qui admit l’inscription à l’état civil des deux premiers requérants en tant que pères de l’enfant. Quelques jours plus tard, l’Office fédéral de la justice (OFJ) forma un recours auprès du Tribunal administratif cantonal de Saint-Gall. Ce dernier rejeta le recours de l’OFJ après avoir pesé les intérêts en jeu, en l’occurrence l’interdiction de la gestation pour autrui en Suisse et le bien de l’enfant. Reconnaissant ces deux principes comme faisant partie de l’ordre public suisse, il considéra en substance que l’enfant ne devait pas subir les conséquences négatives du choix – certes regrettable – de ses parents. L’OFJ forma un recours contre cette décision devant le Tribunal fédéral. En mai 2015, le Tribunal fédéral admit le recours de l’OFJ et annula l’arrêt de la juridiction cantonale. Il considéra que le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait une fraude à la loi juridiquement pertinente. Puis il reconnut l’arrêt californien en ce qui concerne le lien de filiation entre l’enfant (troisième requérant) et son père génétique (deuxième requérant), mais il refusa de reconnaître le lien constaté par la justice américaine entre l’enfant (troisième requérant) et le père d’intention (premier requérant). Le Tribunal fédéral estima que malgré la non-reconnaissance du lien de filiation entre le parent d’intention non génétique et l’enfant, la situation de ce dernier serait suffisamment protégée par le système juridique suisse et conforme au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. En janvier 2018, une modification du code civil autorisant l’adoption de l’enfant du partenaire enregistré entra en vigueur. Les requérants déposèrent une demande en ce sens le même jour et les autorités cantonales prononcèrent l’adoption le 21 décembre 2018. En septembre 2021, le peuple suisse accepta une modification du code civil autorisant le « Mariage civil pour tous » en Suisse.
Article 8 : grief portant sur le refus de reconnaître le lien de filiation entre le père d’intention et l’enfant né d’une gestation pour autrui La Cour estime qu’il y a eu une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du troisième requérant.
Elle est également prête à admettre qu’il y a eu une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale de tous les requérants. Elle rappelle ensuite qu’en Suisse la gestation pour autrui est interdite. Elle estime dès lors que le refus de reconnaître le jugement américain concernant le lien de filiation entre le premier et le troisième requérant était prévu par la loi, au sens de l’article 8 de la Convention. Elle note aussi que le refus de la Suisse de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants à recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire, dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et la mère porteuse. La Cour admet donc que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés par l’article 8 de la Convention, à savoir la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui. Elle précise aussi que la situation des requérants, dans cette affaire, diffère de la situation des requérants dans les affaires françaises qu’elle a déjà jugées. Le critère distinctif principal en l’espèce est que les deux premiers requérants forment un couple de même sexe uni par un partenariat enregistré, alors que les parents requérants dans les affaires dirigées contre la France étaient des couples de sexes différents unis par un mariage. Elle estime néanmoins que les principes élaborés dans les affaires françaises s’appliquent au cas d’espèce et elle précise, entre autres, que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention. Elle précise également que la marge d’appréciation des États est limitée s’agissant du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de la filiation, et que l’intérêt de l’enfant ne peut pas dépendre de la seule orientation sexuelle des parents.
Droit au respect de la vie privée du troisième requérant (enfant né d’une gestation pour autrui)
À la date de la naissance du troisième requérant, le droit interne n’offrait aux requérants aucune possibilité de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention (le premier requérant) et l’enfant. L’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés, excluant les couples unis par un partenariat enregistré.
Ce n’est que depuis le 1 er janvier 2018 qu’il est possible d’adopter l’enfant d’un partenaire enregistré. Une fois que l’adoption était devenue possible, les requérants ont déposé une demande en ce sens qui a été acceptée par décision du 21 décembre 2018. Ainsi, durant presque 7 ans et 8 mois (demande de reconnaissance du 30 avril 2011, adoption prononcée le 21 décembre 2018), les requérants n’avaient aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation de manière définitive. Une telle durée n’est pas compatible avec les principes déjà établis par la Cour dans d’autres affaires et, en particulier, avec l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mesure où elle peut le placer dans une incertitude juridique quant à son identité dans la société et le priver de la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable. La Cour considère que le refus de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger concernant le lien de filiation entre le père d’intention (le premier requérant) et l’enfant, né aux ÉtatsUnis d’une gestation pour autrui, sans prévoir de modes alternatifs de reconnaissance dudit lien, ne poursuivait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. En d’autres termes, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre l’enfant et le premier requérant pendant un laps de temps significatif constitue une ingérence disproportionnée dans le droit du troisième requérant au respect de sa vie privée protégée par l’article 8. La Suisse a donc excédé sa marge d’appréciation en l’espèce en n’ayant pas prévu à temps, dans sa législation, une telle possibilité. Il y a eu violation du droit au respect de la vie privée du troisième requérant.
Droit au respect de la vie familiale des premier et deuxième requérants
La Cour rappelle que la gestation pour autrui à laquelle les premier et deuxième requérants ont eu recours pour créer une famille était contraire à l’ordre public suisse. Elle estime que la conclusion du Tribunal fédéral – selon laquelle le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait une fraude à la loi juridiquement pertinente – n’est ni arbitraire ni déraisonnable. De surcroît, le premier et le deuxième requérant n’allèguent pas avoir ignoré que le droit suisse prohibait la gestation pour autrui et, par leur manière de procéder, ils ont mis les autorités compétentes devant un fait accompli. En outre, la non-reconnaissance par les autorités suisses de l’acte de naissance n’a, en pratique, pas affecté la jouissance de leur vie familiale de manière significative. Dès lors, la Cour conclut que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit suisse du lien entre le premier et le troisième requérant ne dépassent pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention. Il n’y a pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des premier et deuxième requérants.
CEDH
a) Ingérence, base légale et but légitime
70. La Cour estime, s’agissant du cas d’espèce, qu’il n’y a pas de doute quant à l’existence d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du troisième requérant. Elle est également prête à admettre qu’il y a eu une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la « vie familiale » de tous les requérants (Mennesson, précité, § 49), comme reconnu par le Tribunal fédéral (paragraphes 14 et 44 ci-dessus).
71. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit l’un ou plusieurs des buts légitimes énoncés au second paragraphe de cette disposition et si elle est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (Mennesson, précité, § 50).
72. Les requérants soutiennent que, contrairement à ce que dit le Gouvernement, l’ingérence litigieuse ne peut pas se fonder sur l’article 27 al. 1 de la LDIP, selon lequel « [l]a reconnaissance d’une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public suisse ». Ils estiment que la reconnaissance du jugement américain, établissant un lien de filiation entre le premier et le troisième requérant, n’était pas « manifestement » contraire à l’ordre public et que, par conséquent, l’ingérence n’était pas prévue par la loi.
73. La Cour rappelle qu’en Suisse, la gestation pour autrui est interdite. Elle estime dès lors que le refus de reconnaître le jugement américain concernant le lien de filiation entre le premier et le troisième requérant était prévu par la loi, au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
74. Le refus de la Suisse de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants à recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire, dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et la mère porteuse (Mennesson, précité, § 62). La Cour admet donc que le Gouvernement est fondé à dire que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : « la protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».
b) Nécessité dans une société démocratique
75. Il reste à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces buts, la notion de « nécessité » impliquant une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi.
Les principes généraux pertinents
76. Dans l’arrêt Mennesson (précité ; voir aussi Labassee c. France, no 65941/11, 26 juin 2014), la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 de la Convention l’impossibilité pour deux filles nées en Californie d’une gestation pour autrui d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie aux États-Unis entre elles et le père biologique (§ 100 de l’arrêt).
77. La Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée des enfants. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tout d’abord souligné que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », et qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation » (§ 96 de l’arrêt). Elle a ajouté que « le droit au respect de la vie privée [des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui], qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouv[ait] significativement affecté [par la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre ces enfants et le père biologique] ». Elle en a déduit que se posait « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant » (§§ 96 et 99 de l’arrêt Mennesson).
78. Elle s’est ensuite prononcée sur la question de la reconnaissance du lien de filiation entre les deux enfants et le père d’intention, qui était leur père biologique. Elle a jugé ce qui suit (§ 100 de l’arrêt) :
« Or non seulement le lien entre les [enfants] requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (...). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des [enfants] requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. »
79. Le 10 avril 2019, la Cour a rendu l’avis consultatif no P16‑2018‑001 (précité), dont le dispositif est libellé comme suit :
« Dans la situation où, comme dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :
1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ;
2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. »
80. Plus généralement, la Cour a souligné dans l’avis consultatif que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant‑parents d’intention tombait dans la marge d’appréciation des États. Elle a observé à cet égard qu’il n’y avait pas de consensus européen en la matière (lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités variant d’un État à l’autre), et que l’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin (§ 51).
81. La Cour a ajouté encore que la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention valait a fortiori lorsque l’enfant avait été conçu avec les gamètes du père d’intention et les gamètes de la mère d’intention, et que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention avait été reconnu en droit interne (§ 47).
82. Enfin, dans l’affaire D. c. France (précité), qui concernait le refus d’établissement d’un lien de filiation entre un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui et sa mère d’intention, la Cour a appliqué les principes élaborés dans l’avis consultatif. Elle a conclu des affaires précédentes que, lorsqu’un enfant est né à l’étranger d’une gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention, le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention et entre l’enfant et la mère d’intention, qu’elle soit ou non sa mère génétique (§ 54). Il en ressort de plus que cette reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique, et entre l’enfant et la mère d’intention qui n’est pas la mère génétique peut dûment se faire par d’autres moyens que la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant (ibidem).
83. La Cour a conclu, dans cette affaire, que l’adoption de l’enfant du conjoint constituait en l’espèce un mécanisme effectif et suffisamment rapide ayant permis la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes (§ 70). En conséquence, en refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désignât la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’avait pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation (§ 71). Partant, il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention (§ 72).
α) Considérations communes à tous les requérants
84. Dans la présente affaire, il convient de noter que la situation des requérants diffère de la situation des requérants dans les affaires précitées. En l’espèce, l’enfant (le troisième requérant) est né à l’étranger d’une gestation pour autrui et issu de gamètes du père génétique (le deuxième requérant) et d’une tierce donneuse ; le lien de filiation entre celui-ci et le troisième requérant étant reconnu en droit interne. En revanche, et ceci constitue le critère distinctif principal de la présente affaire, les deux premiers requérants forment un couple de même sexe uni par un partenariat enregistré, alors que les parents requérants dans les affaires dirigées contre la France étaient des couples de sexes différents unis par un mariage. La Cour estime néanmoins que les principes élaborés dans les affaires précitées s’appliquent au cas d’espèce et plus précisément au lien de filiation entre le premier et le troisième requérant, et ce notamment pour les raisons qui suivent.
85. La Cour rappelle d’emblée que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend inter alia l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien‑être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable (avis consultatif no P16-2018-001, précité, § 42). Pour cette raison, le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le parent d’intention (ibidem, dispositif, § 1). Dès lors, la marge d’appréciation des États est limitée s’agissant du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de la filiation (ibidem, §§ 44-46). La Cour estime également que l’intérêt de l’enfant ne peut pas dépendre de la seule orientation sexuelle des parents.
86. La Cour observe que l’un des arguments principaux que le Tribunal fédéral a retenu pour rejeter le recours des requérants était la contrariété, en droit suisse, de la gestation pour autrui avec l’ordre public. Or, elle considère que cette argumentation est certes pertinente, mais pas décisive en soi dans le cas d’espèce. Elle estime qu’il convient, du point de vue de la Convention, de faire abstraction du comportement éventuellement critiquable des parents de manière à permettre la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant, critère suprême dans de telles situations. Telle était par ailleurs également l’opinion du Tribunal administratif qui, dans son arrêt du 19 août 2014, a estimé qu’on ne devait pas faire subir les conséquences négatives du choix, certes regrettables, de ses parents (paragraphe 12 ci‑dessus).
β) Troisième requérant
87. S’agissant, ensuite, de la question de savoir si les principes élaborés dans les affaires précitées ont été respectés dans le cas d’espèce, la Cour rappelle que, pour ce qui est des moyens à mettre en œuvre pour établir ou reconnaître la filiation, la marge d’appréciation des États est plus large que sur le principe même de l’établissement ou de la reconnaissance (avis consultatif no P16‑2018‑001, précité, § 51). Or la Cour constate que, à la date de la naissance du troisième requérant, le droit interne n’offrait aux requérants aucune possibilité de reconnaître le lien de filiation entre le parent d’intention (le premier requérant) et l’enfant. L’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés, excluant les couples unis par un partenariat enregistré. Ce n’est que depuis le 1er janvier 2018 qu’il est possible d’adopter l’enfant d’un partenaire enregistré. Une fois que l’adoption était devenue possible, les requérants ont déposé une demande en ce sens qui a été acceptée par décision du 21 décembre 2018.
88. Partant, durant presque 7 ans et 8 mois (demande de reconnaissance du 30 avril 2011, adoption prononcée le 21 décembre 2018), les requérants n’avaient aucune possibilité de faire reconnaître le lien de filiation de manière définitive. Le Tribunal fédéral avait lui-même reconnu que, s’agissant de sa deuxième nationalité [des États-Unis], le troisième requérant se trouvait, du fait de la non-reconnaissance du lien de filiation avec le premier requérant, dans une incertitude juridique. La Cour estime qu’une telle durée n’est pas compatible avec les principes établis dans les affaires précitées et, en particulier, avec l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mesure où elle peut le placer dans une incertitude juridique quant à son identité dans la société et le priver de la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable (avis consultatif no P16-2018-001, précité, §§ 40-42, avec les références citées).
89. Dans ces circonstances, la Cour considère que le refus de reconnaître l’acte de naissance établi légalement à l’étranger concernant le lien de filiation entre le père d’intention (le premier requérant) et l’enfant, né aux États-Unis d’une gestation pour autrui, sans prévoir de modes alternatifs de reconnaissance dudit lien, ne poursuivait pas l’intérêt supérieur de l’enfant. En d’autres termes, l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre l’enfant et le premier requérant pendant un laps de temps significatif constitue une ingérence disproportionnée dans le droit du troisième requérant au respect de sa vie privée protégée par l’article 8. Il s’ensuit que la Suisse, dans les circonstances de la cause, a excédé sa marge d’appréciation en n’ayant pas prévu à temps, dans sa législation, une telle possibilité.
90. Partant, il y a eu violation du droit au respect de la vie privée du troisième requérant, au sens de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion dispense la Cour d’examiner la question de savoir si celui‑ci a également subi une violation du droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.
γ) Premier et deuxième requérants
91. S’agissant du premier et du deuxième requérants, la Cour est appelée à vérifier si le refus de reconnaître l’acte de naissance établi à l’étranger, pour ce qui est du lien de filiation entre le premier requérant et l’enfant, est constitutif d’une violation de leur droit au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.
92. La Cour rappelle que la gestation pour autrui à laquelle le premier et deuxième requérants ont eu recours pour créer une famille était contraire à l’ordre public suisse. Elle estime que la conclusion du Tribunal fédéral selon laquelle le fait d’avoir recouru à une gestation pour autrui en Californie afin de contourner l’interdiction prévalant en Suisse constituait une fraude à la loi juridiquement pertinente n’est ni arbitraire ni déraisonnable. De surcroît, le premier et le deuxième requérant n’allèguent pas avoir ignoré que le droit suisse prohibait la gestation pour autrui et, par leur manière de procéder, ils ont mis les autorités compétentes devant un fait accompli.
93. Par ailleurs, la Cour estime que la non‑reconnaissance par les autorités suisses de l’acte de naissance n’a, en pratique, pas affecté la jouissance de leur vie familiale de manière significative. Elle rappelle que le Tribunal fédéral a considéré que les requérants formaient de toute façon une « communauté familiale » protégée par l’article 8 de la Convention (paragraphe 14 ci-dessus). Par ailleurs, les brèves allégations formulées devant la Cour, notamment relatives aux difficultés rencontrées par les parents à la crèche, à la maternelle et à l’école, ne sont pas assez étayées et, en tout état de cause, ne semblent pas assez sérieuses pour être considérées comme une ingérence disproportionnée aux buts poursuivis, à savoir l’interdiction de la gestation pour autrui comme méthode de procréation. La Cour conclut ainsi que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit suisse du lien entre le premier et le troisième requérant ne dépassent pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Mennesson, précité, § 93).
94. Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des premier et deuxième requérants.
A. L. c. FRANCE du 7 avril 2022 Requête no 13344/20
Art 8 • Vie privée • Refus des juridictions internes d’établir juridiquement la paternité du requérant à l’égard de son fils biologique, né d’une gestation pour autrui pratiquée en France, après avoir été confié par la mère porteuse à un couple tiers • Intérêt supérieur de l’enfant • Motifs pertinents et suffisants • Procédure de plus de six ans incompatible avec le devoir de diligence exceptionnelle s’imposant dans les circonstances de la cause • Impact sur l’appréciation concrète des données de l’affaire
CEDH
46. Le rejet de la demande du requérant tendant à l’établissement en droit de sa paternité à l’égard de S., dont il est établi qu’il est le père biologique (paragraphe 14 ci-dessus), est constitutif d’une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée (voir Ahrens, précité, §§ 60-61). Cela n’a du reste pas prêté à controverse entre les parties.
47. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
a) Prévue par la loi
48. Comme le souligne le Gouvernement, cette ingérence, dont la base légale est la prohibition des contrats de gestation pour autrui en droit français était prévue par la loi. La Cour relève en effet que les articles 16-7 et 16-9 du code civil prévoient expressément la nullité des conventions de gestation pour autrui et énoncent qu’il s’agit d’une nullité d’ordre public.
b) But légitime
49. L’ingérence poursuivait au moins l’un des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2 de la Convention : la protection des droits et libertés d’autrui, en particulier ceux de l’enfant concerné.
c) Nécessité dans une société démocratique
Principes généraux
50. Il reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but poursuivi, étant entendu que la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi. Pour ce faire, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués au plan interne pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, qui bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, Mandet précité, §§ 51-52, ainsi que les références qui y figurent).
51. L’étendue de la marge d’appréciation dont disposent ainsi les États parties varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. D’un côté, la Cour a jugé qu’elle est d’ordinaire restreinte lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, ce qui est le cas dès lors que l’on touche à la filiation (et, plus largement, aux liens de parenté). De l’autre côté, la Cour a jugé dans l’affaire Ahrens précitée qu’elle est plus large lorsqu’il s’agit de déterminer le statut juridique de l’enfant que lorsqu’il s’agit de trancher des questions en rapport avec les droits relatifs au maintien du lien entre un enfant et un parent. Elle a déduit de cet élément ainsi que, notamment, de l’absence de consensus entre les États parties sur la question, que la décision de savoir si un individu devait être autorisé à contester la paternité légalement établie à l’égard d’un enfant dont il pense être le père biologique tombait dans la marge d’appréciation desdits États. Elle a également jugé que la marge d’appréciation de ceux-ci est importante lorsqu’il s’agit de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus (voir, par exemple, Mandet, précité, § 52).
52. Les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue, et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (ibidem, § 53).
53. C’est ainsi au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant que, dans le contexte d’un conflit triangulaire entre père social et légal, père biologique et mère d’un l’enfant, doivent être appréciées les demandes du père biologique tendant à l’obtention d’un droit d’information ou de contact sur l’enfant ou d’un statut juridique plein et entier de père (voir, par exemple, Zaunegger c. Allemagne, no 22028/04, 3 décembre 2009, Anayo c. Allemagne, no 20578/07, 21 décembre 2010, Schneider c. Allemagne, no 17080/07, 15 septembre 2011, Ahrens, précité, Kautzor c. Allemagne, no 23338/09, 22 mars 2012, et Krisztián Barnabás Tóth c. Hongrie, no 48494/06, 12 février 2013).
54. Dans le cadre de son contrôle, il appartient aussi à la Cour de vérifier si le processus décisionnel, considéré comme un tout, a assuré au requérant la protection requise de ses intérêts. Cela inclut un examen de la durée de la procédure. Un devoir de diligence exceptionnelle s’impose en effet lorsqu’est en jeu la relation d’une personne avec son enfant, le passage du temps étant susceptible d’aboutir à ce que la question soit tranchée par un fait accompli (voir par exemple, s’agissant du droit au respect de la vie privée, Ahrens, précité, §§ 76 et 78, et, s’agissant du droit au respect de la vie familiale, Strand Lobben et autres c. Norvège [GC], no 37283/13, § 212, 10 septembre 2019).
55. Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention, dont l’obligation de diligence exceptionnelle lorsqu’est en jeu la relation d’une personne avec son enfant (voir, par exemple, Soares de Melo c. Portugal, no 72850/14, § 92, 16 février 2016).
56. En l’espèce, les principes rappelés au paragraphe 51 ci-dessus conduisent la Cour à reconnaître une marge d’appréciation importante à l’État défendeur dès lors notamment qu’il s’agissait de mettre en balance des droits protégés par la Convention : d’un côté, le droit au respect de la vie privée du requérant, de l’autre côté, le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant S., lequel implique le respect du principe de la primauté qui doit être conférée à l’intérêt de l’enfant.
57. Le besoin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et la marge d’appréciation dont jouissaient les autorités nationales en la matière étaient singulièrement importants dans les circonstances particulières de l’espèce où, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, une procédure pénale avait été ouverte de manière concomitante contre le requérant, son conjoint, les époux R., et la mère porteuse (paragraphes 10-13 ci-dessus).
58. S’agissant du raisonnement suivi par les juridictions internes, la Cour constate que, si la cour d’appel de Rouen a déclaré les demandes du requérant irrecevables au motif qu’elles concernaient une situation résultant d’un contrat de gestation pour autrui entaché d’une nullité d’ordre public (paragraphe 21 ci-dessus), elle s’est aussi attachée à mettre en balance les intérêts en présence, comme l’a relevé la Cour de cassation dans son arrêt du 12 septembre 2019. Ce faisant, elle a retenu qu’au regard de l’histoire de S., l’intérêt supérieur de ce dernier n’était pas nécessairement de voir modifier sa filiation actuelle et que soit établie sa filiation à l’égard de son père biologique, mais plutôt de continuer de vivre chez les époux R. La Cour relève, à ce titre, que les conclusions de l’administrateur ad hoc devant la Cour d’appel, désigné pour représenter les intérêts de S., allaient dans ce sens. Il a ainsi fait valoir que l’intérêt supérieur de S. réclamait qu’il lui soit donné un statut juridique stable, que S. évoluait dans de bonnes conditions auprès des époux R. et que, s’il avait le droit de connaître ses origines, il avait également le droit de vivre sereinement dans la famille qui l’élevait depuis sa naissance (paragraphe 20 ci-dessus).
59. La Cour relève également que, dans son avis sous l’arrêt du 12 septembre 2019, l’avocat général a invité la Cour de cassation à ne pas « strictement [s’] en tenir à l’interdit pour apprécier la recevabilité de l’action du père biologique » mais à « considérer qu’il existe une exception à l’application des règles des articles 16 et suivants du code civil : leur contrariété avec l’intérêt supérieur de l’enfant ». Procédant de la sorte dans son avis, l’avocat général a relevé que la cour d’appel avait « analys[é] ensemble la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt primordial de l’enfant in concreto » et estimé, au vu des circonstances de l’espèce, que « la cour d’appel en a[vait] tiré les conséquences qui s’imposaient » en déclarant l’action du requérant irrecevable. La Cour de cassation a suivi les préconisations de son avocat général en procédant à pareil contrôle pour en conclure qu’« ayant (...) mis en balance les intérêts en présence dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences conventionnelles de l’article 8 » (paragraphe 25 ci-dessus).
60. Dans ces conditions, la Cour déduit que la cour d’appel a, sous le contrôle de la Cour de cassation, dûment placé au cœur de ses considérations l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’elle a pris soin de caractériser concrètement, tout en prenant en compte la réalité biologique dont se prévalait le requérant.
61. Sur ce dernier point, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si la réalité biologique a indéniablement du poids dans les affaires telles que la présente espèce, cet élément s’efface devant l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque l’une et l’autre ne concordent pas. La Cour renvoie à titre d’exemple à l’affaire Arhens précitée, dont les circonstances sont à certains égards comparables à celles de la présente espèce et dans laquelle elle a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention.
62. Dans cette affaire, un homme avait exercé une action en contestation de la reconnaissance de paternité effectuée par un autre à l’égard de l’enfant de son ancienne compagne. Une expertise réalisée durant la procédure avait établi qu’il était le père biologique de l’enfant. Il avait obtenu gain de cause en première instance mais la cour d’appel avait annulé le jugement en raison de l’existence d’une relation sociale et familiale entre l’enfant et l’auteur de la reconnaissance de paternité contestée et eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour a pris en compte le fait que, si la procédure avait abouti, les liens de parenté entre l’enfant et l’homme qui l’avait reconnu et qui était son père social auraient été coupés. Elle a souligné qu’il se déduisait de l’arrêt Anayo (précité, §§ 70-73) que l’article 8 de la Convention pouvait être interprété comme imposant aux États parties l’obligation de rechercher s’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre au père biologique d’établir une relation avec son enfant, par exemple en lui accordant un droit de visite. Elle a cependant ajouté que cela n’impliquait pas nécessairement une obligation au titre de la Convention de permettre au père biologique de contester le statut du père légal, et qu’une telle obligation ne se déduisait pas non plus de la jurisprudence, et a jugé que la décision de permettre ou non au père biologique, au vu des circonstances de l’espèce, de contester la paternité, relevait de la marge d’appréciation de l’État (voir l’arrêt Ahrens précité, § 75 ; voir pour une solution contraire dans un contexte différent dans lequel l’établissement du lien de filiation avec le père biologique n’avait pas fait obstacle à ce que l’enfant continue de vivre jusqu’à sa majorité au sein de sa famille sociale, l’arrêt Mandet précité).
63. En l’espèce, la Cour note que la satisfaction des demandes du requérant aurait conduit non seulement à l’établissement de sa paternité à l’égard de S. mais aussi à l’exercice par le requérant de l’autorité parentale. S’agissant de la situation de l’enfant, cela aurait mis fin à son lien juridique avec M. R. et à la structure familiale dans laquelle il évoluait de manière stable depuis sa naissance. La Cour rappelle à ce titre que la cour d’appel de Rouen a statué dans le sens des conclusions de l’administrateur ad hoc qui représentait les intérêts de S. devant elle (paragraphe 20 ci-dessus).
64. Tout en précisant que son arrêt ne préjuge en rien de l’issue des démarches que S. ou ses représentants légaux pourraient, le cas échéant, effectuer à l’avenir au regard de sa filiation, la Cour relève que la cour d’appel de Rouen a indiqué que l’intérêt de S. pouvait être que, « le moment venu », il apprenne la vérité sur ses origines, et que soient envisagés d’éventuels contacts avec le requérant.
65. Au vu de l’ensemble de ce qui précède, la Cour considère que les motifs retenus par le juge interne pour justifier l’ingérence litigieuse étaient pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2.
66. Au demeurant, le choix de la cour d’appel de Rouen, confirmé par la Cour de Cassation, de placer au premier plan l’intérêt supérieur de l’enfant apprécié in concreto, était non seulement conforme aux exigences de sa jurisprudence, mais constituait aussi le seul moyen de régler la situation confuse et délicate dans laquelle se trouvait S., situation dont chacun des adultes protagonistes portait une part de responsabilité, la mère biologique de l’enfant, comme le requérant, son conjoint et les époux R.
67. S’agissant de la qualité du processus décisionnel en l’espèce, la Cour constate que le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire, dans le cadre de laquelle il a été en mesure de discuter les arguments des autres parties, y compris ceux de l’enfant S. représenté par un administrateur ad hoc, et de soumettre les siens à l’examen de juridictions dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas en cause, et qui ont statué par des décisions motivées.
68. Il reste cependant que la procédure a duré six ans et environ un mois au total, ce qui n’est pas compatible avec le devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, lorsqu’est en jeu la relation d’une personne avec son enfant, le passage du temps est susceptible d’aboutir à ce que la question soit tranchée par un fait accompli (paragraphe 54 ci-dessus). Le juge de première instance a mis trois ans et presque huit mois pour se prononcer. Né le 8 mars 2013, l’enfant S. avait environ quatre mois le jour de la saisine (le 19 juillet 2013). Il avait quatre ans quand le jugement a été rendu (le 23 mars 2017). Saisie le 23 mars 2017, la Cour d’appel a statué le 31 mai 2018, soit en un an et un peu plus de deux mois. L’enfant avait alors presque cinq ans. Quant à la Cour de cassation, saisie le 31 juillet 2018, elle a rendu son arrêt le 12 septembre 2019, soit un an et environ un mois et demi plus tard. S. avait ainsi six ans et demi lorsque la procédure interne a pris fin.
69. La Cour n’est pas convaincue par les explications du Gouvernement sur ce point. Elle ne voit pas en quoi la complexité de l’affaire justifiait cette durée. Par ailleurs, tout en prenant note des observations du Gouvernement en ce qui concerne les outils procéduraux dont le requérant aurait pu d’après lui faire usage pour accélérer la procédure, elle observe qu’il revient aux juges et conseillers de la mise en état de s’assurer du bon déroulement de la procédure.
70. La Cour constate ensuite que la cour d’appel de Rouen a relevé dans son arrêt du 31 mai 2018 que S. vivait depuis son enfance avec les époux R., ce qui indique qu’elle a pris en compte un état de fait dû au passage du temps.
71. Selon la Cour, on ne saurait contester que l’écoulement du temps a eu un impact sur l’appréciation concrète des données de l’affaire.
72. La présente espèce diffère donc à cet égard de l’affaire Ahrens précitée (§§ 79-80) dans laquelle la procédure n’avait duré que trois ans et sept mois pour trois niveaux de juridiction, et la Cour avait pu constater qu’il ne résultait pas du raisonnement de la cour d’appel que l’issue de la procédure avait été prédéterminée par cette durée.
73. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du manquement de l’État défendeur au devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait à lui dans les circonstances de la cause.
74. Renvoyant aux paragraphes 65 et 66 ci-dessus, la Cour souligne que ce constat de violation ne saurait être interprété comme mettant en cause l’appréciation de la cour d’appel de Rouen de l’intérêt supérieur de l’enfant S. et sa décision de rejeter les demandes du requérant, confirmées par la Cour de cassation (comparer mutatis mutandis avec, par exemple, M.V. c. Pologne, no 16202/14, § 82, 1er avril 2021, Adžić c. Croatie (no 2), no 19601/16, §§ 95‑96, 2 mai 2019 et E.S. c. Roumanie et Bulgarie, no 60281/11, § 82, 19 juillet 2016).
Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande du 18 mai 2021 requête no 71552/17
Art 8 : Le refus de reconnaître un couple comme les parents d’un enfant né d’une gestation pour autrui ne constitue pas une violation
L’affaire porte sur le refus de reconnaître un lien parental entre Mmes Fjölnisdóttir et Agnarsdóttir et X. Ce dernier est né d’une mère porteuse aux Etats-Unis. Toutefois, aucune des deux premières requérantes n’a de lien biologique avec lui. Les intéressées n’ont pas été reconnues comme les parents de l’enfant en Islande, où la gestation pour autrui est illégale. La Cour juge que, malgré l’absence de lien biologique entre les requérants, les liens existants entre eux constituent une « vie familiale ». Toutefois, la Cour estime que la décision de ne pas reconnaître les deux premières requérantes comme parents de X a reposé sur une base suffisante en droit interne et, prenant acte des efforts déployés par les autorités pour maintenir cette « vie familiale », elle conclut en définitive que, dans la présente affaire, l’Islande a agi dans les limites de sa marge d’appréciation.
FAITS
Les requérants, Valdís Glódís Fjölnisdóttir, Eydís Rós Glódís Agnarsdóttir et X, sont des ressortissants islandais, nés respectivement en 1978, 1977 et 2013 et résidant à Kópavogur (Islande). La requête du troisième requérant a été introduite par délégation de son tuteur légal, M. Mmes Fjölnisdóttir et Agnarsdóttir formaient un couple marié. Par l’intermédiaire d’une agence de mères porteuses aux États-Unis, elles devaient devenir les parents d’intention d’un garçon né d’une gestation pour autrui. Le troisième requérant est né par cette voie en Californie en 2013. À leur retour en Islande, trois semaines après la naissance, les première et deuxième requérantes demandèrent l’inscription du troisième requérant à l’état civil en tant que citoyen islandais et en tant que leur fils. Interrogées à ce sujet, les requérantes présentèrent des documents selon lesquels le troisième requérant était né d’une gestation pour autrui et la mère porteuse avait renoncé à ses droits sur l’enfant. Toutefois, le 18 juin 2013, l’état civil (Registers Iceland) refusa d’enregistrer X. L’état civil constata que l’enfant était né aux États-Unis d’une mère porteuse, qui était une ressortissante américaine, et qu’il n’avait donc pas automatiquement droit à la nationalité islandaise. Compte tenu du fait que X était considéré comme un mineur non accompagné en Islande, les autorités le prirent en charge. Elles le placèrent néanmoins en accueil familial auprès des deux premières requérantes. La décision de l’état civil fut confirmée en appel par le ministère de l’Intérieur, qui évoqua, notamment, l’absence de fondement en droit islandais pour accorder la nationalité à l’enfant
Les requérantes contestèrent cette décision devant les tribunaux. Entretemps, X obtint la nationalité islandaise sur le fondement de la récente loi n° 128/2015 relative à l’octroi de la nationalité. Cependant, les deux premières requérantes ne furent pas enregistrées comme ses parents. Les première et deuxième requérantes présentèrent une demande d’adoption de X, mais la demande fut mise en attente en raison de la procédure parentale en cours. Toutefois, elles divorcèrent en 2015 et retirèrent par la suite leur demande d’adoption, car elles n’étaient plus admissibles à adopter conjointement un enfant. Le 2 mars 2016, le tribunal de district rejeta les demandes des requérantes tendant à l’annulation de la décision du ministère et à l’enregistrement par l’état civil des première et deuxième requérantes en tant que parents du troisième requérant. Le tribunal jugea qu’en Islande, la mère biologique devait être la mère, et que les autorités n’avaient pas l’obligation, dans les circonstances de la cause, de reconnaître les requérantes comme parents conformément au certificat de naissance étranger. Le tribunal constata que l’ingérence dans la vie privée et familiale du troisième requérant avait été nécessaire afin de protéger la moralité et les droits d’autrui, compte tenu en particulier de l’interdiction de la gestation pour autrui en Islande. Les requérantes saisirent la Cour suprême qui, le 30 mars 2017, confirma ce jugement. Contrairement au tribunal de district, celle-ci estima toutefois qu’il n’existait pas entre les requérants de « vie familiale » au sens de la jurisprudence de la Cour au moment où l’état civil avait rendu sa décision. Elle jugea que les actions des autorités avaient été conformes à la Constitution. Après leur divorce, X fut placé en accueil familial auprès de chacune des deux premières requérantes en alternance, pour une durée d’un an à chaque fois, tout en bénéficiant d’un droit d’accès égal à l’autre. En définitive, après l’arrêt de la Cour suprême, Mme Fjölnisdóttir et sa nouvelle épouse purent en 2019 accueillir l’enfant de manière permanente, Mme Agnarsdóttir et sa nouvelle épouse se voyant accorder un droit d’accès égal. Au moment de l’introduction de la requête, M. était toujours le tuteur légal de X.
Article 8
La Cour doit tout d’abord déterminer si les relations en cause dans cette affaire ont constitué une « vie familiale » à l’époque des faits et, en particulier, au moment où la Cour suprême a rendu son arrêt. La Cour relève que la gestation pour autrui est illégale sur le territoire islandais et que, en droit islandais, la femme qui donne naissance est considérée être la mère. On ne saurait toutefois ignorer le fait que les première et seconde requérante se sont occupées de X sans interruption depuis sa naissance. Les deux premières requérantes soutenaient qu’elles étaient devenues les parents de X et le Gouvernement n’avait pas contesté la qualité de leurs liens. La Cour conclut à l’existence d’une « vie familiale » entre les requérants. Comme le relève la Cour, la Cour suprême a conclu, en s’appuyant sur le droit islandais pertinent, que compte tenu du fait que Mmes Fjölnisdóttir et Agnarsdóttir n’avaient pas donné naissance à X, aucune d’elles ne pouvait être considérée comme sa mère. La Cour estime qu’une telle interprétation n’est ni arbitraire ni déraisonnable. Elle conclut donc que le refus de reconnaître les deux premières requérantes comme les parents de X a reposé sur une base légale suffisante. Concernant la nécessité de la mesure dans une société démocratique, la Cour est consciente de la latitude (« marge d’appréciation ») laissée aux États en la matière et du fait que la jouissance effective de la vie familiale n’a pas été interrompue dans le cas particulier des requérants. Au contraire, les autorités avaient placé X en accueil familial auprès des deux autres requérantes et avaient préservé la possibilité pour elles d’une adoption conjointe pendant le temps où elles étaient restées mariées. Les autorités avaient également octroyé à X la nationalité. En bref, l’État avait pris des mesures pour protéger la vie familiale des requérants. Compte tenu de ce qui précède, la Cour admet que l’État a agi dans les limites de sa marge d’appréciation en la matière, dans le but de préserver son interdiction de la gestation pour autrui. Il n’y a donc pas eu de violation du droit des requérants au respect de la vie familiale.
Les griefs des requérants tirés de l’article 14 sont rejetés comme manifestement mal fondés, compte tenu du fait qu’il ne semble pas y avoir eu de violation.
D c. France du 16 juillet 2020 requête n° 1288/18
Irrecevabilité article 8 : Le refus de transcrire l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une GPA ne porte pas atteinte au respect de la vie privée pour autant que la procédure d’adoption permet de reconnaître un lien de filiation.
L’affaire concerne le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désigne la mère d’intention comme étant sa mère, celle-ci étant sa mère génétique. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique, dans les arrêts Mennesson c. France et Labassee c. France. Il ressort de sa jurisprudence que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requière que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de son acte de naissance étranger. La Cour ne voit pas de raison dans les circonstances de l’espèce d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, mère génétique. La Cour rappelle également qu’elle a relevé dans son avis consultatif n o P16-2018-001, que l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.
Art 8 • Respect de la vie privée • Obligation d’emprunter la voie de l’adoption pour la reconnaissance du lien de filiation maternel des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) • Absence d’atteinte disproportionnée aux droits de l’enfant requérante, eu égard à la célérité raisonnable des procédures d’adoption plénière de l’enfant du conjoint (4 mois en moyenne) • Considération valable nonobstant le fait que la mère d’intention soit aussi la mère génétique
Art 14 (+ Art 8) • Discrimination • Différence de traitement justifiée de manière objective et raisonnable • Examen de la Cour limité à l’angle de comparaison soulevé par les requérants (enfants français nés à l’étranger d’une GPA/autres enfants français nés à l’étranger)
LES FAITS
Les requérants, Mme D, M. D, et Mlle D, sont nés en 1972, 1957 et 2012 respectivement et résident à Canet en Roussillon. La troisième requérante est née en Ukraine dans le cadre d’une gestation pour autrui. Son acte de naissance, établi le 3 octobre 2012 à Kiev, indique que la première requérante est sa mère et que le deuxième requérant est son père. M. et Mme D se marièrent en France en 2008. L’enfant naquit en Ukraine en septembre 2012, d’une gestation pour autrui. L’acte de naissance établi à Kiev indique que la première requérante est la mère, que le deuxième requérant est le père et ne mentionne pas la femme qui a accouché de l’enfant. Le 20 septembre 2014, les deux premiers requérants adressèrent à l’ambassade de France à Kiev une demande tendant à la transcription de l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français. La consule adjointe répondit qu’en raison du caractère particulier du dossier, elle avait décidé de surseoir à la transcription et à l’établissement du livret de famille et avisé le procureur de la République de Nantes. Ce dernier les informa que, dans l’attente d’instructions du ministère de la Justice concernant les suites des arrêts de la Cour dans les affaires Mennesson c. France et Labassee c. France, tous les dossiers concernant les gestations pour autrui étaient suspendus. Le 27 janvier 2016, Mme D et M. D. firent assigner le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir ordonner la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil. Le 12 janvier 2017, le tribunal de grande instance (TGI) de Nantes fit droit à la demande. Le tribunal souligna, entre autres, que le fait que l’acte de naissance indiquait que la première requérante était la mère alors qu’elle n’avait pas accouché ne saurait, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que déterminé par la Cour européenne des droits de l’homme, justifier le refus de reconnaissance de cette filiation maternelle, qui était « la seule juridiquement reconnue comme régulièrement établie dans le pays de naissance » et qui correspondait donc à la réalité juridique. Le 18 décembre 2017, la cour d’appel de Rennes confirma le jugement du 12 janvier 2017 en ce qu’il faisait droit à la demande de transcription de l’acte de naissance au titre de la filiation paternelle, mais l’infirma en ce qu’il y faisait droit au titre de la filiation maternelle. L’arrêt précisait, entre autres, que « (...) Concernant la désignation de la mère dans l’acte de naissance, la réalité au sens [de l’article 47 du code civil], est la réalité de l’accouchement ; En effet, si le droit opère transformation du réel au sens [de cette disposition], le droit positif n’autorise une dérogation au principe mater semper certa est que dans le cas expressément limité prévu par le législateur, en matière d’adoption plénière (article 356 alinéa 1er du code civil), permettant ainsi de désigner valablement comme mère la femme adoptive qui n’a pas accouché ; (...) »
Les requérants ne se pourvurent pas en cassation.
Le 12 septembre 2019, répondant à une demande de renseignements de la présidente de la chambre, les requérants ont informé la Cour que Mme D était la mère génétique de Mlle D.
ARTICLE 8
La Cour note que la cour d’appel de Rennes a accueilli la demande de transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance ukrainien de l’enfant – la troisième requérante – pour autant qu’il désignait comme étant le père le deuxième requérant, père d’intention et père biologique et qu’elle a en revanche rejeté la demande de transcription pour autant que l’acte de naissance désignait la première requérante comme étant la mère. La cour d’appel a toutefois souligné que le lien de filiation entre l’une et l’autre pouvait être juridiquement établi par la voie de l’adoption. La Cour observe que la thèse défendue par les requérants revient à dire que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée dès lors que la première requérante est sa mère génétique. La Cour s’est déjà prononcée sur la question du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique (voir arrêts Mennesson c. France et Labassee c. France). Il ressort de sa jurisprudence que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requière que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de son acte de naissance étranger. La Cour ne voit pas de raison dans les circonstances de l’espèce d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, mère génétique. On ne saurait donc retenir que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait que la première requérante est sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre l’une et l’autre peut être effectivement établi par une autre voie. En ce qui concerne la proportionnalité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante, il est déterminant selon la Cour que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant la mère ne fasse pas obstacle à l’établissement du lien de filiation entre l’une et l’autre. Or, la cour d’appel de Rennes a pris soin de souligner que la voie de l’adoption était ouverte, ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation. En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante, celle-ci doit avoir accès à un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre elle et la première requérante. Comme le souligne le Gouvernement, les deux premiers requérants étant mariés et l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante ne mentionnant pas la femme qui a accouché, la première requérante a la possibilité de saisir le juge d’une demande tendant à son adoption plénière au titre de l’adoption de l’enfant du conjoint. Ainsi que l’a relevé la Cour dans son avis consultatif n o P16-2018-001, l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. La Cour observe notamment qu’il résulte des indications données par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière. Ainsi, si la procédure d’adoption avait été initiée à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 décembre 2017, la situation de la troisième requérante au regard de sa filiation maternelle aurait vraisemblablement pu être réglée avant qu’elle ait atteint l’âge de six ans, et plus ou moins à la date à laquelle les requérants ont saisi la Cour. La Cour retient ainsi que l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes. En refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’a pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Article 14 combiné avec l’article 8
Les requérants font valoir, dans des observations complémentaires du 11 février 2020, que proscrire la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désigne la mère d’intention, mère génétique, comme étant sa mère, alors que la transcription est possible s’agissant du père d’intention, père biologique, est constitutif d’une discrimination à l’encontre de la mère. La Cour note que les requérants entendent ainsi la saisir d’un grief relatif à une discrimination, au sens de l’article 14 de la Convention, dont la première requérante aurait à souffrir. Elle constate que ce grief est distinct des autres griefs, qui visent uniquement les droits de la troisième requérante, et repose sur un fait – la circonstance que la première requérante est la mère génétique de la troisième requérante – que les requérants ont omis d’indiquer dans la requête qu’ils ont introduite devant elle le 2 mars 2018, et qu’ils ne lui ont révélé que le 12 septembre 2019. Les requérants n’avaient pas plus informé les autorités et juridictions internes de ce fait, qui n’a donc pas été intégré aux débats. La Cour retient que ce nouveau grief se heurte désormais au délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il doit donc être rejeté en application de l’article 35 § 1 et 4 de la Convention. Cela étant, la Cour constate que le grief relatif à la discrimination dont la troisième requérante serait victime dans la jouissance de son droit au respect de la vie privée n’est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Elle le déclare donc recevable. Pour la Cour, la différence de traitement entre les enfants français nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants français nés à l’étranger, ne tient pas à ce que les premiers ne pourraient – comme les seconds – obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Elle consiste en ce que, à l’époque des faits, les premiers, contrairement aux seconds, ne pouvaient obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et devaient passer par la voie de l’adoption pour leur filiation maternelle. Or, comme l’a déjà souligné la Cour, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif permettant la reconnaissance du lien de filiation entre la première et la troisième requérante. Il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation visait à s’assurer, au regard des circonstances particulières de chaque cas, qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention. La Cour admet donc que la différence de traitement dénoncée par les requérants quant aux modalités de la reconnaissance du lien de filiation avec leur mère génétique, reposait sur une justification objective et raisonnable. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.
CEDH
ARTICLE 8
a) Sur l’existence d’une ingérence
41. Les parties s’accordent à considérer que le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère est constitutif d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante. Renvoyant mutatis mutandis aux arrêts précités Mennesson (§ 49), Labassee (§ 50) et Foulon et Bouvet, ainsi qu’à la décision précitée C et E c. France (§ 37), la Cour marque son accord.
42. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Mennesson, précité, § 50).
b) « Prévue par la loi » et but légitime
43. La Cour constate qu’en 2014, lorsque les requérants ont fait une demande dans ce sens, le droit positif français ne permettait pas la transcription sur les registres français de l’état civil de l’acte de naissance étranger des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui. Le droit positif a évolué alors que la procédure initiée par les requérants au plan interne était pendante s’agissant de la transcription de l’acte de naissance mais uniquement pour autant qu’il désignait le père d’intention, père biologique, comme étant le père de l’enfant (paragraphes 15-18 ci-dessus). Il n’est donc pas douteux qu’à l’époque des faits de la cause, le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère était prévu par la loi, au sens du second paragraphe de l’article 8. Les requérants n’en disconviennent du reste pas.
44. Quant au but légitime, la Cour constate que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus), la cour d’appel de Rennes a indiqué dans l’arrêt qu’elle a rendu en la cause des requérants le 18 décembre 2017, que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, qui est prohibée en France (paragraphe 10 ci-dessus). Renvoyant aux arrêts Mennesson et Labassee précités (§§ 62 et 54 respectivement), elle admet en conséquence qu’il puisse être considéré que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».
c) « Nécessaire », « dans une société démocratique »
La jurisprudence Mennesson et l’avis consultatif no P16-2018-001
45. Dans l’arrêt Mennesson, (précité ; voir aussi Labassee, précité), la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 de la Convention l’impossibilité pour deux enfants nées en Californie d’une gestation pour autrui d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie aux États-Unis entre elles et les parents d’intention.
46. La Cour a conclu qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants.
47. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tout d’abord souligné que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », et qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation » (voir le paragraphe 96 de l’arrêt). Elle a ajouté que « le droit au respect de la vie privée [des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui], qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouv[ait] significativement affecté [par la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre ces enfants et les parents d’intention] ». Elle en a déduit que se posait « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant » (voir les paragraphes 96 et 99 de l’arrêt).
48. Elle s’est ensuite prononcée expressément sur la question de la reconnaissance du lien de filiation entre les deux enfants et le père d’intention, qui était leur père biologique. Elle a jugé ce qui suit (paragraphe 100 de l’arrêt) :
« [L’]analyse [rappelée ci-dessus] prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (...), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or non seulement le lien entre les [enfants] requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (...). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des [enfants] requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. »
49. La Cour n’a donc pas jugé qu’en tant que tel, le refus de transcrire l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désigne comme étant le père, le père d’intention, père biologique, caractérisait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée de l’enfant. Constatant qu’en droit positif français, étaient closes non seulement la voie de la transcription, mais aussi celles de la reconnaissance de paternité, de l’adoption et de la possession d’état, elle a estimé « qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne [du] lien de filiation [de l’enfant] à l’égard de [son] père biologique, l’État défendeur [était] allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation ».
50. Autrement dit, l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant tel qu’il se trouve garanti par l’article 8 de la Convention requiert que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant.
51. Par la suite, la Cour a indiqué dans l’avis consultatif no P16‑2018‑001 précité (voir le dispositif) que, dans la situation où un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne, le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requérait que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ». Elle a ajouté que le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requérait toutefois pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, et qu’elle pouvait se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.
52. Plus généralement, la Cour a souligné dans l’avis consultatif no P16‑2018-001 (§ 51) que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des États. Elle a observé à cet égard qu’il n’y avait pas de consensus européen en la matière (lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités variant d’un État à l’autre), et que l’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin.
53. La Cour a ajouté dans l’avis consultatif no P16-2018-001 (§ 47) que la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention valait a fortiori lorsque l’enfant a été conçu avec les gamètes du père d’intention et les gamètes de la mère d’intention, et que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne.
54. Il résulte de qui précède que, lorsqu’un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention, le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention et entre l’enfant et la mère d’intention, qu’elle soit ou non sa mère génétique. Il en ressort de plus que cette reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique, et entre l’enfant et la mère d’intention qui n’est pas la mère génétique peut dûment se faire par d’autres moyens que la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant.
55. En l’espèce, la cour d’appel de Rennes a, le 18 décembre 2017, accueilli la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désignait comme étant son père le deuxième requérant, père d’intention et père biologique. Elle a en revanche rejeté la demande de transcription pour autant que l’acte de naissance désignait la première requérante comme étant sa mère ; ce faisant, elle a toutefois souligné que le lien de filiation entre l’une et l’autre pouvait être juridiquement établi par la voie de l’adoption (paragraphe 10 ci-dessus).
56. La Cour observe que la thèse défendue aujourd’hui par les requérants (paragraphe 38 ci-dessus) revient à dire que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée dès lors que la première requérante est sa mère génétique.
57. La Cour constate tout d’abord que les pièces relatives à la procédure internes produites par les parties indiquent que les requérants n’ont pas informé les autorités et le juge internes du fait que la première requérante était la mère génétique de l’enfant. En particulier, il ne ressort ni du jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 12 janvier 2017 (paragraphe 9 ci-dessus) ni de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 décembre 2017 (paragraphe 10 ci-dessus) qu’ils auraient donné cette information à ces juridictions. Elle ne figurait du reste ni dans la requête qu’ils ont introduite devant la Cour le 2 mars 2018, ni dans leurs observations du 15 novembre 2018 en réplique à celles du Gouvernement. Les requérants n’ont donné cette précision à la Cour que le 12 septembre 2019, en réponse à une demande de renseignement complémentaire adressée par elle aux parties à la suite de l’avis consultatif no P16-2018-001 (paragraphe 12 ci-dessus). Par ailleurs les requérants ne se sont pas pourvus en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes. La Cour ne tire toutefois pas de conséquence de ces deux circonstances dès lors qu’à l’époque où l’affaire était pendante au plan interne, la jurisprudence de la Cour de cassation excluait la transcription de l’acte de naissance étranger des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désignait la mère d’intention comme étant leur mère, sans distinguer la situation où elle était leur mère génétique de celle où elle ne l’était pas.
58. Ceci étant, comme indiqué précédemment, la Cour s’est déjà prononcée sur une question similaire s’agissant du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique (paragraphes 49-50 ci‑dessus). Il ressort de sa jurisprudence que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de son acte de naissance étranger.
59. La Cour ne voit pas de raison dans les circonstances de l’espèce d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, mère génétique.
60. On ne saurait donc retenir que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait que la première requérante est sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre l’une et l’autre peut être effectivement établi par une autre voie (paragraphes 62, 64 et 70 ci-dessous).
61. Certes, sur le plan interne, en l’état du droit positif français à l’époque des faits de la cause, il était à l’inverse possible d’obtenir la transcription de l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désignait le père d’intention, père biologique. Comme l’illustre les circonstances de l’espèce, cela créait une différence de traitement quant à l’établissement du lien de filiation entre le père d’intention, père biologique, et la mère d’intention, mère génétique. La présente requête ne concerne toutefois pas les droits des parents d’intention au regard de la Convention, mais uniquement ceux de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. De plus, pour autant que les requérants entendent dénoncer une discrimination dont la troisième d’entre eux aurait à souffrir du fait de cette différence de traitement, la Cour renvoie aux paragraphes 81-82 ci-dessous.
62. Or, selon la Cour, ce qui est déterminant s’agissant de la proportionnalité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante c’est que le rejet de la demande tendant à la transcription de son acte de naissance ukrainien pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère ne faisait pas obstacle à l’établissement du lien de filiation entre l’une et l’autre. Comme indiqué précédemment, la cour d’appel de Rennes a pris soin de souligner que la voie de l’adoption leur est ouverte (paragraphe 10 ci-dessus), ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 17 ci-dessus).
63. La Cour comprend qu’en tant que parent génétique de la troisième requérante, la première requérante puisse avoir des difficultés à envisager de passer par une procédure d’adoption pour établir leur lien de filiation en droit français. Il faut toutefois là aussi rappeler que la présente requête ne concerne pas les droits de la première requérante, mais uniquement ceux de la troisième requérante.
64. Ce qu’il faut au regard du droit au respect de la vie privée de la troisième requérante c’est qu’elle ait accès à un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre elle et la première requérante. La Cour a retenu ce critère dans l’avis consultatif no P16-2018-001 s’agissant de la situation où l’enfant est issue des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et n’a donc pas de lien génétique avec la mère d’intention. Elle estime qu’il vaut aussi dans la situation où, comme en l’espèce, l’enfant est issu des gamètes du père d’intention et de celles de la mère d’intention.
65. Or, comme le souligne le Gouvernement (paragraphe 32 ci-dessus), les deux premiers requérants étant mariés et l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante ne mentionnant pas la femme qui a accouché d’elle, la première requérante a la possibilité de saisir le juge d’une demande tendant à son adoption plénière au titre de l’adoption de l’enfant du conjoint (paragraphe 24-26 ci-dessus). Elle note à cet égard que, par une dépêche du 24 juillet 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a invité le parquet général concerné à veiller, à l’occasion de l’examen de demandes d’adoptions de l’enfant du conjoint formées par des mères d’intention, à ce que le ministère public émette un avis favorable au prononcé de l’adoption dès lors que celle-ci apparaît conforme à l’intérêt de l’enfant et que les conditions en sont remplies (paragraphe 27 ci-dessus). Elle note aussi les indications données par le Gouvernement selon lesquelles il est fait droit à la grande majorité des demandes d’adoption de l’enfant du conjoint de ce type (paragraphe 32 ci-dessus).
66. Ainsi que l’a relevé la Cour dans son avis consultatif no P16‑2018‑001 (§ 53), l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.
67. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis les arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2017, alors que, née en septembre 2012, la troisième requérante avait presque cinq ans soit, selon toute vraisemblance au vu du dossier, bien après la concrétisation du lien entre elle et sa mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans l’avis consultatif précité (§§ 52 et 54) qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. La Cour, qui observe non seulement que cette évolution du droit positif est antérieure à la décision interne définitive et, donc, à sa saisine par les requérants, mais aussi que ces derniers ont été directement informés de cette possibilité le 18 décembre 2017 par l’arrêt rendu en leur cause par la cour d’appel de Rennes (paragraphe 10 ci‑dessus), estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer à la troisième requérante un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent une procédure d’adoption, cette procédure étant susceptible d’aboutir rapidement. Elle observe notamment qu’il résulte des indications données par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière. Ainsi, si la procédure d’adoption avait été initiée à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 décembre 2017, la situation de la troisième requérante au regard de sa filiation maternelle aurait vraisemblablement pu être réglée avant qu’elle ait atteint l’âge de six ans, et plus ou moins à la date à laquelle les requérants ont saisi la Cour.
68. La Cour note que les requérants soutiennent que la procédure d’adoption est plus lente que ce qu’indique le Gouvernement. Ils se réfèrent pour cela au délai moyen de jugement en Île de France. La Cour constate toutefois que le juge territorialement compétente pour une adoption en France est celui du lieu du domicile de l’adoptant (paragraphe 26 ci-dessus). Or il ressort du dossier que les requérants ne sont pas domiciliés dans la région Île de France.
69. Enfin, la Cour relève que les requérants font valoir que c’est à cause du manque de célérité de la procédure d’adoption que la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par deux arrêts du 18 décembre 2019, en posant le principe de la transcription de l’acte de naissance étranger (paragraphe 39 ci-dessus). Elle constate toutefois non seulement que les requérants n’apportent aucun élément à l’appui de cette thèse, mais aussi qu’il ne ressort pas des motifs de ces arrêts (paragraphe 22 ci-dessus) que la raison pour laquelle la première chambre civile a procédé à ce revirement de jurisprudence se trouverait dans la durée de la procédure d’adoption ou dans son ineffectivité.
70. La Cour retient ainsi que l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes.
71. En conséquence, en refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’a pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation.
72. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
ARTICLE 14
84. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence, tels qu’ils se trouvent énoncés dans l’arrêt Biao c. Danemark [GC] (no 38590/10, §§ 88-93, 24 mai 2016) notamment. Il en résulte en particulier que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, et qu’une différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte aussi que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement.
85. En l’espèce, à supposer que l’on puisse considérer que les enfants français nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants français nés à l’étranger se trouvent dans des situations analogues ou comparables quant à leur filiation maternelle, la différence de traitement dont il est question ne tient pas à ce qu’à l’inverse des seconds, les premiers ne pourraient obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Cette différence consiste en ce qu’à l’époque des faits de la cause, contrairement aux seconds, ils ne pouvaient à cette fin obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et devaient passer par la voie de l’adoption s’agissant de leur filiation maternelle. Or, comme l’a souligné la Cour précédemment, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes (paragraphe 70 ci-dessus).
86. Ceci étant souligné, il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation visait, en ce qu’elle induisait un contrôle juridictionnel, à s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention.
87. Le choix qui était celui du droit positif français à l’époque des faits de la cause d’imposer un tel examen judiciaire s’expliquait ainsi par la volonté de limiter les risques que la gestation pour autrui peut engendrer, notamment pour l’enfant, lorsqu’elle est pratiquée à l’étranger par des ressortissants d’un pays où elle n’est pas autorisée.
88. La Cour, qui, comme il se doit, se prononce uniquement à l’aune des éléments de comparaison évoqués par les requérants, admet donc que la différence de traitement qu’ils dénoncent entre les enfants français qui, telle la troisième requérante, sont nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, et les autres enfants français nés à l’étranger quant aux modalités de la reconnaissance du lien de filiation avec leur mère génétique reposait sur une justification objective et raisonnable.
89. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
C et E c. France du 12 décembre 2019 requêtes nos 1462/18 et 17348/18
Irrecevabilité article 8 : Enfants nés d’une GPA : le refus des autorités françaises de transcrire l’intégralité d’un acte de naissance étranger n’est pas disproportionné
L’affaire concerne le refus des autorités françaises de transcrire sur les registres de l’état civil français l’intégralité des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, pour autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère. La Cour estime que le refus des autorités françaises n’est pas disproportionné car le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre les enfants requérants et leur mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. La Cour observe notamment que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption simple.
FAITS
La requête n° 1462/18 a été introduite par trois ressortissants français : un couple, M. et Mme C, nés en 1963 et 1965, et un mineur né en 2010. L’enfant est né en février 2010 aux États-Unis d’Amérique des gamètes de M. C. et d’une tierce donneuse. Établi en octobre 2010 en Floride, son acte de naissance indique Mme C en tant que mère et M. C. en tant que père. En 2014, les époux demandèrent la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil consulaire français à Miami. Cette demande fut transmise au parquet de Nantes en raison d’indices donnant à penser que le couple C avait eu recours à une convention de gestation pour autrui. En 2015, les époux furent informés par le parquet de Nantes que leur demande de transcription avait été refusée. Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme, les intéressés firent assigner le procureur de la République devant le tribunal de grande instance (TGI) de Nantes, demandant la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil. En 2016, le TGI fit droit à leur demande. En 2017, la cour d’appel de Rennes confirma ce jugement en ce qu’il faisait droit à la demande de transcription de l’acte de naissance au titre de la filiation paternelle. Il infirma cependant le jugement en ce qu’il faisait droit au titre de la filiation maternelle, relevant que les époux avaient contracté une convention de gestation pour autrui à l’étranger et que Mme C n’avait pas accouché de l’enfant.
La requête n° 17348/18 a été introduite par cinq ressortissants français : un couple, M. et Mme E, nés en 1962 et 1969, et trois mineurs nés en 2014. Les trois enfants sont nés en février 2014 au Ghana des gamètes de M. E et d’une tierce donneuse. Établis en mai 2014 dans ce pays, leurs actes de naissance indiquent que Mme E est leur mère et que M. E est leur père. Ces derniers demandèrent à l’ambassade de France au Ghana la transcription des actes de naissance. En 2014, le procureur de la République de Nantes informa les époux que les enfants étant nés d’un contrat de gestation pour autrui, ce qui était prohibé par l’article 16-7 du code civil français, il avait décidé de surseoir à la transcription des actes de naissance dans l’attente d’instructions de la chancellerie. En 2015, les époux firent assigner le procureur de la République de Nantes devant le TGI aux fins d’obtenir la transcription des actes de naissance des trois enfants. Ils obtinrent gain de cause devant le TGI, puis la cour d’appel confirma ce jugement en mars 2017. En 2018, saisie d’un pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il ordonnait la transcription des actes de naissance au titre de la filiation maternelle.
Article 8 (droit au respect de la vie privée)
La Cour rappelle que, le 10 avril 2019, elle a rendu un avis consultatif (lien) concernant la situation où un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne (lien vers le communiqué de presse). En l’espèce, la Cour note que la situation des enfants requérants correspond à ce cas de figure. Elle relève aussi que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre les enfants requérants et leur mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. Cela ressort d’arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 20172 , et la Cour ne voit aucune raison de douter des assurances fournies à cet égard par le Gouvernement. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis le 5 juillet 2017, alors que l’enfant C avait sept ans et que les enfants E avaient trois ans, soit, selon toute vraisemblance, bien après la concrétisation du lien entre eux et leur mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans son avis consultatif du 10 avril 2019 qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. Toutefois, la Cour estime qu’en l’espèce ce n’est pas imposer aux enfants concernés un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent maintenant une procédure d’adoption à cette fin. Elle observe notamment qu’il résulte des éléments produits par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption simple. Par conséquent, la Cour conclut que le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l’état civil français pour autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère n’est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée.
Article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8
La Cour précise que la différence entre « les autres enfants nés à l’étranger » et « les enfants nés d’une GPA à l’étranger » consiste uniquement en ce que les enfants nés d’une GPA ne peuvent obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et doivent passer par la voie de l’adoption. Elle note qu’il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation permet, en ce qu’il induit un contrôle juridictionnel, de s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une GPA qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention. Elle rappelle aussi qu’elle a indiqué dans son avis consultatif du 10 avril 2019 que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombait dans la marge d’appréciation des États et que l’article 8 ne mettait pas à leur charge une obligation générale de reconnaître dès le début un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. Par conséquent, la différence de traitement dénoncée repose sur une justification objective et raisonnable. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée.
29. Compte tenu de la similitude des faits et des questions juridiques posées, la Cour décide de joindre les requêtes et de les examiner conjointement dans une seule décision (article 42 § 1 du règlement de la Cour).
37. La Cour ne doute pas qu’il y a en l’espèce ingérence dans le droit au respect de la vie privée des enfants requérants et que cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui». Elle renvoie notamment à l’arrêt Mennesson précité (§§ 48-49, 57-58 et 62).
38. Il reste à déterminer si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces buts, la notion de « nécessité » impliquant une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (ibidem, § 50).
39. La Cour rappelle que, le 10 avril 2019, elle a rendu l’avis consultatif suivant (références précitées) :
« Dans la situation où (...) un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :
1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ;
2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. »
40. La Cour note que la situation des enfants requérants correspond à ce cas de figure : ils sont nés à l’étranger par gestation pour autrui, sont issus des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et le lien de filiation entre eux et le père d’intention est reconnu en droit interne.
41. La Cour relève ensuite que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre les enfants requérants et leur mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. Cela ressort des arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2017 (paragraphes 23-25 ci-dessus), et la Cour ne voit aucune raison de douter des assurances fournies à cet égard par le Gouvernement (paragraphe 32 ci-dessus).
42. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis le 5 juillet 2017, alors que l’enfant C avait sept ans (requête no 1462/18) et que les enfants E avaient trois ans (requête no 17348/18), soit, selon toute vraisemblance au vu du dossier, bien après la concrétisation du lien entre eux et leur mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans l’avis consultatif précité (§§ 52 et 54) qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.
43. La Cour estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer aux enfants concernés un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent maintenant une procédure d’adoption à cette fin. Elle observe notamment qu’il résulte des éléments produits par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption simple.
44. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l’état civil français pour autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère n’est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis.
45. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
51. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence tels qu’ils se trouvent notamment énoncés dans l’arrêt Biao c. Danemark [GC] (no 38590/10, §§ 88-93, 24 mai 2016). Il en résulte en particulier que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, et qu’une différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte aussi que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement.
52. En l’espèce, à supposer que l’on puisse considérer que les enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants nés à l’étranger se trouvent dans des situations analogues ou comparables quant au lien de filiation maternelle, la différence de traitement dont il est question en l’espèce ne tient pas à ce qu’à l’inverse des seconds, les premiers ne pourraient obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Cette différence consiste uniquement en ce que, contrairement aux seconds, ils ne peuvent à cette fin obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et doivent passer par la voie de l’adoption.
53. Ceci étant souligné, il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation permet, en ce qu’il induit un contrôle juridictionnel, de s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a indiqué dans l’avis consultatif précité que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombait dans la marge d’appréciation des États (§ 51) et que l’article 8 ne mettait pas à leur charge une obligation générale de reconnaître ab initio un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention (§ 52).
54. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’en tout état de cause, la différence de traitement dénoncée par les requérants repose sur une justification objective et raisonnable.
55. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
FOULON et BOUVET c. FRANCE du 21 juillet 2016 requêtes 9063/14 et 10410/14
Violation de l'article 8 pour les enfants mais pas pour les parents. Un refus d'inscrire les enfants nés d'une GPA sur les registres d'État Civil, portent atteinte aux droits des enfants.
55. La Cour constate que la situation des requérants en l’espèce est similaire à celle des requérants dans les affaires Mennesson et Labassee précitées, dans lesquelles elle a jugé qu’il n’y avait pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des requérants (les parents d’intention et les enfants concernés), mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants concernés.
56. La Cour prend bonne note des indications du Gouvernement selon lesquelles, postérieurement à l’introduction des présentes requêtes et au prononcé des arrêts Mennesson et Labassee précités, la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 3 juillet 2015, procédé à un revirement de jurisprudence. Selon le Gouvernement, il résulte de cette jurisprudence nouvelle qu’en présence d’un acte étranger établi régulièrement selon le droit du pays dans lequel la gestation pour autrui a été réalisée et permettant d’établir le lien de filiation avec le père biologique, plus aucun obstacle ne peut être opposé à la transcription de la filiation biologique. Il ajoute que, le 7 juillet 2015, la garde des Sceaux a adressée aux parquets concernés une dépêche indiquant qu’il convenait de procéder à la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil (paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève ensuite que le Gouvernement entend déduire de ce nouvel état du droit positif français que le troisième requérant et les quatrième et cinquième requérants ont désormais la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité ou par celle de la possession d’état ; il indique à cet égard que « ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables » (paragraphe 53 ci-dessus). Elle relève toutefois le caractère hypothétique de la formule dont use le Gouvernement. Elle constate en outre que les intéressés contestent cette thèse et que le Gouvernement n’en tire lui-même aucune conclusion quant à la recevabilité ou au bien-fondé de leur requête.
57. Ceci étant souligné, et considérant les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de conclure autrement que dans les affaires Mennesson et Labassee.
58. La Cour conclut en conséquence qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais qu’il y a eu violation de cette disposition s’agissant du droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée.
Mennesson C. France du 26 juin 2014 requête 65192/11
VIOLATION DE L'ARTICLE 8 POUR LA GESTATION POUR AUTRUI ET LE REFUS DE TRANSCRIRE LA FILIATION EN DROIT INTERNE : Un superbe jugement de jésuite de la part de la CEDH, c'est légitime contre les parents qui sont des gros vilains puisqu'ils font à l'étranger ce qu'ils n'ont pas droit de faire en France mais c'est une violation à l'article 8 à l'égard de l'intérêt supérieur de l'enfant
43. Les requérants se plaignent du fait qu’au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils n’ont pas la possibilité d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger entre les deux premiers d’entre eux et les troisième et quatrième d’entre eux, nées à l’étranger d’une gestation pour autrui. Ils dénoncent une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale
RECEVABILITE SUR LE CONCEPT DE FAMILLE AU SENS DE L'ARTICLE 8
44. Bien que le Gouvernement ne conteste pas la recevabilité de cette partie de la requête, la Cour se doit d’apporter certaines précisions sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention.
45. La Cour rappelle qu’en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une famille (voir Wagner et J.M.W.L. précité, § 117, ainsi que les références qui y sont indiquées). Elle note que le Gouvernement ne déduit pas que cette condition n’est pas remplie en l’espèce du fait que le lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième requérants n’est pas reconnu en droit interne. Elle rappelle à cet égard qu’elle a conclu dans l’affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni (22 avril 1997, §§ 36-37, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II) à l’existence de « liens familiaux de facto » caractérisant l’applicabilité de l’article 8, entre un enfant né par insémination artificielle avec donneur, le compagnon transsexuel de sa mère, qui se comportait comme un père depuis la naissance, et cette dernière. Elle a similairement reconnu l’existence d’une vie familiale de fait dans – notamment – l’affaire Wagner et J.M.W.L. (précitée, mêmes références) entre un enfant et sa mère adoptive alors que l’adoption n’était pas reconnue en droit interne. Ce qui importe à cette fin dans ce type de situations, c’est la réalité concrète de la relation entre les intéressés. Or il est certain en l’espèce que les premiers requérants s’occupent comme des parents des troisième et quatrième requérantes depuis leur naissance, et que tous les quatre vivent ensemble d’une manière qui ne se distingue en rien de la « vie familiale » dans son acception habituelle. Cela suffit pour établir que l’article 8 trouve à s’appliquer dans son volet « vie familiale ».
46. La Cour a par ailleurs jugé que la « vie privée », au sens de cette même disposition, intègre quelquefois des aspects de l’identité non seulement physique mais aussi sociale de l’individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 34, CEDH 2002‑I ; voir aussi l’arrêt Jäggi c. Suisse(no 58757/00, § 37, CEDH 2006‑X), dans lequel la Cour a souligné que le droit à l’identité fait partie intégrale de la notion de vie privée). Il en va ainsi de la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu, ce qu’illustrent les affaires dans lesquelles la Cour a examiné la question de la compatibilité avec le droit au respect de la vie privée de l’impossibilité de faire établir un lien juridique entre un enfant et un parent biologique et a souligné que le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain (voir en particulier Mikulić précité, § 35). Comme dans les affaires de ce type, il y a une « relation directe » (Mikulić précité, § 36) entre la vie privée des enfants nés d’une gestation pour autrui et la détermination juridique de leur filiation. L’article 8 trouve donc également à s’appliquer en l’espèce dans son volet « vie privée ».
47. Cela étant, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Relevant par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.
BUT LEGITIME DE NE PAS TRANSCRIRE DANS LE DROIT INTERNE, LA FILIATION DES ENFANTS NES PAR GESTATION POUR AUTRUI
61. La Cour n’est pas convaincue par la thèse des requérants. On ne peut en effet déduire du seul fait que le ministère public a lui-même sollicité la transcription du jugement de la Cour suprême de Californie du 14 juillet 2000 pour ensuite en requérir l’annulation, que le but poursuivi par l’ingérence litigieuse ne figurait pas parmi ceux qu’énumère le second paragraphe de l’article 8. Cela étant, elle n’est pas d’avantage convaincue par l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il s’agissait d’assurer « la défense de l’ordre » et « la prévention des infractions pénales ». Elle constate en effet que le Gouvernement n’établit pas que le fait pour des Français d’avoir recours à la gestation pour autrui dans un pays où elle est légale serait constitutif d’une infraction en droit français. Elle relève à ce titre que, si une information a été ouverte en l’espèce pour « entremise en vue de la gestation pour le compte d’autrui » et « simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’enfants », le juge d’instruction a conclu au non-lieu, au motif que, commis sur le territoire américain où ils n’étaient pas pénalement répréhensibles, les faits visés ne constituaient pas des délits punissables sur le territoire français (paragraphes 15-16 ci-dessus).
62. La Cour comprend en revanche que le refus de la France de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et – comme cela ressort de l’étude du Conseil d’État du 9 avril 2009 (paragraphe 37 ci-dessus) – la mère porteuse. Elle admet en conséquence que le Gouvernement puisse considérer que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».
NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE DE CE REFUS DE TRANSCRIRE LE LIEN DE FILIATION
α. Considérations générales
75. La Cour note que le Gouvernement soutient que, dans le domaine en litige, les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation importante pour décider ce qui est « nécessaire », « dans une société démocratique ». Elle note également que les requérants le concèdent, mais estiment que l’ampleur de cette marge doit être relativisée en l’espèce.
76. La Cour fait la même analyse que les requérants.
77. Elle rappelle que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États varie selon les circonstances, les domaines et le contexte et que la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants peut constituer un facteur pertinent à cet égard (voir, par exemple, Wagner et J.M.W.L. et Negrepontis-Giannisis, précités, § 128 et § 69 respectivement). Ainsi, d’un côté, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. De l’autre côté, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (voir en particulier, S.H. précité, § 94).
78. La Cour observe en l’espèce qu’il n’y a consensus en Europe ni sur la légalité de la gestation pour autrui ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants ainsi légalement conçus à l’étranger. Il ressort en effet de la recherche de droit comparé à laquelle elle a procédé que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze des trente-cinq États membres du Conseil de l’Europe – autres que la France – étudiés ; dans dix, soit elle est interdite en vertu de dispositions générales ou non tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine ; elle est en revanche expressément autorisée dans sept et semble tolérée dans quatre. Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible d’obtenir la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants issus d’une gestation pour autrui légalement pratiquée à l’étranger. Cela semble également possible dans onze autres de ces États (dont un dans lequel cette possibilité ne vaut peut-être que pour le lien de filiation paternel lorsque le père d’intention est le père biologique), mais exclu dans les onze restants (sauf peut-être la possibilité dans l’un d’eux d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique) (paragraphes 40-42 ci-dessus).
79. Cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique. Elle confirme en outre que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision non seulement d’autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents d’intention.
80. Il faut toutefois également prendre en compte la circonstance qu’un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation. Il convient donc d’atténuer la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur en l’espèce.
81. Par ailleurs, les choix opérés par l’État, même dans les limites de cette marge, n’échappent pas au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par cette solution (voir, mutatis mutandis, S.H. et autres, précité, § 97). Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (voir, parmi de nombreux autres, Wagner et J.M.W.L., précité, §§ 133-134, et E.B. c. France [GC], no 43546/02, §§ 76 et 95, 22 janvier 2008).
82. En l’espèce, la Cour de cassation a jugé que l’ordre public international français faisait obstacle à la transcription sur les registres français d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère comportant des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français. Elle a ensuite souligné qu’en droit français, les conventions de gestation pour autrui étaient nulles d’une nullité d’ordre public, et qu’il était contraire au « principe essentiel du droit français » de l’indisponibilité de l’état des personnes de leur faire produire effet au regard de la filiation. Elle en a déduit qu’en ce qu’il donnait effet à une convention de gestation pour autrui, le jugement rendu en la cause des requérants par la Cour suprême de Californie était contraire à la conception française de l’ordre public international, et qu’établis en application de ce jugement, les actes de naissance américains des troisième et quatrième requérantes ne pouvaient être transcrits sur les registres d’état civil français (paragraphe 27 ci-dessus).
83. L’impossibilité pour les requérants de voir reconnaître en droit français le lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux est donc, selon la Cour de cassation, un effet du choix d’éthique du législateur français d’interdire la gestation pour autrui. Le Gouvernement souligne à cet égard que le juge interne a dûment tiré les conséquences de ce choix en refusant la transcription des actes de l’état civil étranger des enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée en-dehors de la France. Selon lui, le permettre aurait équivalu à accepter tacitement que le droit interne soit contourné et aurait mis en cause la cohérence du dispositif d’interdiction.
84. La Cour constate que cette approche se traduit par le recours à l’exception d’ordre public international, propre au droit international privé. Elle n’entend pas la mettre en cause en tant que telle. Il lui faut néanmoins vérifier si en appliquant ce mécanisme en l’espèce, le juge interne a dûment pris en compte la nécessité de ménager un juste équilibre entre l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que ses membres se plient au choix effectué démocratiquement en son sein et l’intérêt des requérants – dont l’intérêt supérieur des enfants – à jouir pleinement de leurs droits au respect de leur vie privée et familiale.
85. Elle note à cet égard, que la Cour de cassation a jugé que l’impossibilité de transcrire les actes de naissance américains des troisième et quatrième requérantes sur les registres d’état civil français ne portait atteinte ni à leur droit au respect de leur vie privée et familiale ni à leur intérêt supérieur en tant qu’enfant, dès lors que cela ne les privait pas de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnait et ne les empêchait pas de vivre en France avec les premiers requérants (paragraphe 27 ci-dessus).
86. La Cour estime qu’il faut en l’espèce distinguer le droit des requérants au respect de leur vie familiale, d’une part, et le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée, d’autre part.
β. Sur le droit des requérants au respect de leur vie familiale
87. S’agissant du premier point, la Cour considère que le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux affecte nécessairement leur vie familiale. Elle note à ce titre que, comme le soulignent les requérants, la cour d’appel de Paris a reconnu en l’espèce que la situation ainsi créée engendrait des « difficultés concrètes » (paragraphe 24 ci-dessus). Elle relève en outre que, dans son rapport de 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a souligné que, « dans les faits, la vie de ces familles est plus compliquée en l’absence de transcription, en raison des formalités à accomplir à l’occasion de certains événements de la vie » (paragraphe 37 ci-dessus).
88. Ainsi, ne disposant pas d’actes d’état civil français ou de livrets de famille français, les requérants se voient contraints de produire les actes d’état civil américain – non transcrits – accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service nécessite la preuve de la filiation, et se trouvent vraisemblablement parfois confrontés à la suspicion, ou à tout le moins à l’incompréhension, des personnes auxquelles ils s’adressent. Ils évoquent à cet égard des difficultés lorsqu’il s’est agi d’inscrire les troisième et quatrième d’entre eux à la sécurité sociale, à la cantine scolaire ou à un centre aéré et de déposer des demandes d’aides financières auprès de la caisse d’allocations familiales.
89. Par ailleurs, le fait qu’en droit français, les deux enfants n’ont de lien de filiation ni avec le premier requérant ni avec la deuxième requérante, a pour conséquence, du moins à ce jour, qu’elles ne se sont pas vues reconnaître la nationalité française. Cette circonstance est de nature à compliquer les déplacements de la famille et à susciter des inquiétudes – fussent-elles infondées, comme l’affirme le Gouvernement – quant au droit de séjour des troisième et quatrième requérantes en France après leur majorité et donc quant à la stabilité de la cellule familiale. Le Gouvernement soutient qu’eu égard notamment à la circulaire de la garde de Sceaux, ministre de la Justice, du 25 janvier 2013 (paragraphe 36 ci-dessus), les troisième et quatrième requérantes peuvent obtenir un certificat de nationalité française sur le fondement de l’article 18 du code civil, qui dispose qu’« est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français », en produisant leurs actes de naissance américains.
90. La Cour note cependant que des interrogations subsistent quant à cette possibilité.
En premier lieu, elle observe qu’aux termes mêmes du texte ainsi invoqué, la nationalité française est attribuée à raison de celle de l’un ou l’autre parent. Or elle constate que la détermination juridique des parents est précisément au cœur de la requête qui lui est soumise. Ainsi, à la lecture des observations des requérants et des réponses du Gouvernement, il apparaît que les règles de droit international privé rendent en l’espèce particulièrement complexe, voire aléatoire, le recours à l’article 18 du code civil pour établir la nationalité française des troisième et quatrième requérantes.
En second lieu, la Cour note que le Gouvernement tire argument de l’article 47 du code civil. Ce texte précise que les actes d’état civil établis à l’étranger et rédigés dans les formes utilisées dans les pays concernés font foi « sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Se pose donc la question de savoir si un tel cas d’exclusion est constitué lorsque, comme en l’espèce, il a été constaté que les enfants concernés sont issus d’une gestation pour autrui obtenue à l’étranger, ce que la Cour de cassation analyse en une fraude à la loi. Or, bien qu’invité par le Président à répondre à cette question et à préciser s’il existait un risque qu’un certificat de nationalité ainsi établi soit ensuite contesté et annulé ou retiré, le Gouvernement n’a fourni aucune indication. Du reste, la demande déposée à cette fin le 16 avril 2013 au greffe du tribunal d’instance de Paris par le premier requérant était toujours sans effet onze mois plus tard : le greffier en chef a indiqué le 31 octobre 2013 puis le 13 mars 2014 qu’elle était « en cours », « en attente du retour de la demande d’authentification transmise au consulat de Los Angeles » (paragraphe 28 ci-dessus).
91. À cela s’ajoutent des inquiétudes fort compréhensibles quant au maintien de la vie familiale entre la deuxième requérante et les troisième et quatrième requérantes en cas de décès du premier requérant ou de séparation du couple.
92. Cependant, quelle que soit l’importance des risques potentiels pesant sur la vie familiale des requérants, la Cour estime qu’il lui faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers et les troisième et quatrième d’entre eux (voir, mutatis mutandis, X, Y et Z, précité, § 48). Or elle note que les requérants ne prétendent pas que les difficultés qu’ils évoquent ont été insurmontables et ne démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. À ce titre, elle constate qu’ils ont pu s’établir tous les quatre en France peu de temps après la naissance des troisième et quatrième requérantes, qu’ils sont en mesure d’y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu’il n’y a pas lieu de penser qu’il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur situation au regard du droit français (voir, mutatis mutandis, Chavdarov c. Bulgarie, no 3465/03, § 49-50 et 56, 21 décembre 2010).
93. La Cour observe en outre que pour rejeter les moyens que les requérants développaient sur le terrain de la Convention, la Cour de cassation a souligné que l’annulation de la transcription sur les registres français des actes de naissance des troisième et quatrième requérantes ne les empêchait pas de vivre avec les premiers requérants en France (paragraphe 27 ci-dessus). La Cour en déduit qu’en l’espèce, conformément à ce qu’elle avait jugé important dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. (arrêt précité, § 135), les juges français ne se sont pas dispensés d’un examen concret de la situation, puisque, par cette formule, ils ont estimé, implicitement mais nécessairement, que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit français du lien établi entre eux à l’étranger ne dépasseraient pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention
94. Ainsi, au vu, d’une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers requérants et les troisième et quatrième d’entre eux sur leur vie familiale, et, d’autre part, de la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur, la Cour estime que la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation en l’espèce ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale.
95. Il reste à déterminer s’il en va de même s’agissant du droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée.
γ. Sur le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée
96. Comme la Cour l’a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation (paragraphe 46 ci-dessus) ; un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation (paragraphe 80 ci-dessus). Or, en l’état du droit positif, les troisième et quatrième requérantes se trouvent à cet égard dans une situation d’incertitude juridique. S’il est exact qu’un lien de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge français pour autant qu’il est établi par le droit californien, le refus d’accorder tout effet au jugement américain et de transcrire l’état civil qui en résulte manifeste en même temps que ce lien n’est pas reconnu par l’ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer qu’elles ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française.
97. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes (Genovese c. Malte, no 53124/09, § 33, 11 octobre 2011). Or, comme la Cour l’a relevé précédemment, bien que leur père biologique soit français, les troisième et quatrième requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du code civil (paragraphe 29 ci-dessus). Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité.
98. La Cour constate en outre que le fait pour les troisième et quatrième requérantes de ne pas être identifiées en droit français comme étant les enfants des premiers requérants a des conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci. Elle note que le Gouvernement nie qu’il en aille de la sorte. Elle relève toutefois que le Conseil d’État a souligné qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers (paragraphe 37 ci-dessus), c’est-à-dire moins favorablement. La même situation se présente dans le contexte de la succession du père d’intention, fût-il comme en l’espèce le père biologique. Il s’agit là aussi d’un élément lié à l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent privés.
99. Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire (paragraphe 62 ci-dessus). Il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.
100. Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (voir, par exemple, l’arrêt Jäggi précité, § 37), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or, non seulement le lien entre les troisième et quatrième requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.
101. Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, la Cour conclut que le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée a été méconnu.
3. Conclusion générale
102. Il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale. Il y a en revanche eu violation de cette disposition s’agissant du droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie privée.
LABASSEE C. FRANCE du 26 juin 2014 requête 65941/11
VIOLATION DE L'ARTICLE 8 POUR LA GESTATION POUR AUTRUI ET LE REFUS DE TRANSCRIRE LA FILIATION EN DROIT INTERNE : Confirmation du même jour du superbe jugement de jésuite Menneson C. France, de la part de la CEDH, c'est légitime contre les parents qui sont des gros vilains puisqu'ils font à l'étranger ce qu'ils n'ont pas droit de faire en France mais c'est une violation à l'article 8 à l'égard de l'intérêt supérieur de l'enfant
53. La Cour n’est pas convaincue par l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il s’agissait en l’espèce d’assurer « la défense de l’ordre » et « la prévention des infractions pénales ». Elle constate en effet qu’il n’établit pas que le fait pour des Français d’avoir recours à la gestation pour autrui dans un pays où elle est légale serait constitutif d’une infraction en droit français. Elle a du reste relevé à cet égard dans l’affaire Mennesson précitée (voir l’arrêt, § 61), dans laquelle une information avait été ouverte à l’encontre de parents d’intention qui avaient eu recours à une gestation pour autrui aux États-Unis pour « entremise en vue de la gestation pour le compte d’autrui » et « simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’enfants », que le juge d’instruction avait conclu au non-lieu, au motif que, commis sur le territoire américain où ils n’étaient pas pénalement répréhensibles, les faits visés ne constituaient pas des délits punissables sur le territoire français.
54. La Cour comprend en revanche que le refus de la France de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et – comme cela ressort de l’étude du Conseil d’État du 9 avril 2009 (paragraphe 28 ci-dessus) – la mère porteuse. Elle admet en conséquence que le Gouvernement puisse considérer que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».
iii. « Nécessaire », « dans une société démocratique »
α. Considérations générales
55. La Cour note que le Gouvernement soutient que, dans le domaine en litige, les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation importante pour décider ce qui est « nécessaire », « dans une société démocratique ».
56. La Cour rappelle que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États varie selon les circonstances, les domaines et le contexte et que la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants peut constituer un facteur pertinent à cet égard (voir, par exemple, Wagner et J.M.W.L. et Negrepontis-Giannisis, précités, § 128 et § 69 respectivement). Ainsi, d’un côté, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. De l’autre côté, lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (voir en particulier, S.H. précité, § 94).
57. La Cour observe en l’espèce qu’il n’y a consensus en Europe ni sur la légalité de la gestation pour autrui ni sur la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants ainsi légalement conçus à l’étranger. Il ressort en effet de la recherche de droit comparé à laquelle elle a procédé que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze des trente-cinq États membres du Conseil de l’Europe – autres que la France – étudiés ; dans dix, soit elle est interdite en vertu de dispositions générales ou non tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine ; elle est en revanche expressément autorisée dans sept et semble tolérée dans quatre. Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible d’obtenir la reconnaissance ou l’établissement juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants issus d’une gestation pour autrui légalement pratiquée à l’étranger. Cela semble également possible dans onze autres de ces États (dont un dans lequel cette possibilité ne vaut peut-être que pour le lien de filiation paternel lorsque le père d’intention est le père biologique), mais exclu dans les onze restants (sauf peut-être la possibilité dans l’un d’eux d’obtenir la reconnaissance du lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique) (paragraphes 31-33 ci-dessus).
58. Cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique. Elle confirme en outre que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision non seulement d’autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents d’intention.
59. Il faut toutefois également prendre en compte la circonstance qu’un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation. Il convient donc d’atténuer la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur en l’espèce.
60. Par ailleurs, les choix opérés par l’État, même dans les limites de cette marge, n’échappent pas au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par cette solution (voir, mutatis mutandis, S.H. et autres, précité, § 97). Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (voir, parmi de nombreux autres, Wagner et J.M.W.L., précité, §§ 133-134, et E.B. c. France [GC], no 43546/02, §§ 76 et 95, 22 janvier 2008).
61. En l’espèce, la Cour de cassation a constaté qu’en droit positif français, il était contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, « principe essentiel du droit français », de faire produire effet à une convention de gestation pour le compte d’autrui, et qu’une telle convention était nulle d’une nullité d’ordre public. Elle a ensuite jugé que ce principe faisait obstacle aux effets en France d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation en conséquence d’une telle convention, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de sa contrariété à l’ordre public international français (paragraphe 17 ci-dessus).
62. L’impossibilité pour les requérants de voir reconnaître en droit français le lien de filiation entre les premiers et la troisième d’entre eux est donc, selon la Cour de cassation, un effet du choix d’éthique du législateur français d’interdire la gestation pour autrui. Le Gouvernement souligne à cet égard que le juge interne a dûment tiré les conséquences de ce choix en retenant que la possession d’état ne pouvait être invoquée pour établir en France la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger. Selon lui, le permettre aurait équivalu à accepter tacitement que le droit interne soit contourné et aurait mis en cause la cohérence du dispositif d’interdiction.
63. La Cour constate que cette approche se traduit par le recours à l’exception d’ordre public international, propre au droit international privé. Elle n’entend pas la mettre en cause en tant que telle. Il lui faut néanmoins vérifier si en appliquant ce mécanisme en l’espèce, le juge interne a dûment pris en compte la nécessité de ménager un juste équilibre entre l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que ses membres se plient au choix effectué démocratiquement en son sein et l’intérêt des requérants – dont l’intérêt supérieur de l’enfant – à jouir pleinement de leurs droits au respect de leur vie privée et familiale.
64. Elle note à cet égard, que la Cour de cassation a jugé que le fait que la possession d’état de la troisième requérante à l’égard des premiers requérants ne pouvait produire aucun effet quant à l’établissement de sa filiation ne portait atteinte ni à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni à son intérêt supérieur en tant qu’enfant, dès lors que cela ne la privait pas de la filiation maternelle et paternelle que le droit du Minnesota lui reconnait et ne l’empêchait pas de vivre en France avec les premiers requérants (paragraphe 17 ci-dessus).
65. La Cour estime qu’il faut en l’espèce distinguer le droit des requérants au respect de leur vie familiale, d’une part, et le droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée, d’autre part.
β. Sur le droit des requérants au respect de leur vie familiale
66. S’agissant du premier point, la Cour considère que le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers et la troisième d’entre eux affecte nécessairement leur vie familiale. Elle note à ce titre que, dans son rapport de 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a souligné que, « dans les faits, la vie de ces familles est plus compliquée en l’absence de transcription, en raison des formalités à accomplir à l’occasion de certains événements de la vie » (paragraphe 28 ci-dessus).
67. Ainsi, ne disposant pas d’actes d’état civil français ou de livrets de famille français, les requérants se voient contraints de produire les actes d’état civil américain – non transcrits – accompagnés d’une traduction assermentée chaque fois que l’accès à un droit ou à un service nécessite la preuve de la filiation, et se trouvent vraisemblablement parfois confrontés à la suspicion, ou à tout le moins à l’incompréhension, des personnes auxquelles ils s’adressent. Ils évoquent à cet égard des difficultés dans le contexte de la constitution d’un dossier d’allocations familiale, de l’inscription des enfants sous le numéro de sécurité sociale de leurs parents et de leur inscription à l’école.
68. Par ailleurs, le fait qu’en droit français, la troisième requérante n’a de lien de filiation ni avec le premier requérant ni avec la deuxième requérante, a pour conséquence, du moins à ce jour, qu’elle ne s’est pas vue reconnaître la nationalité française. Cette circonstance est de nature à compliquer les déplacements de la famille et à susciter des inquiétudes – fussent-elles infondées, comme l’affirme le Gouvernement – quant au droit de séjour de la troisième requérante en France après sa majorité et donc quant à la stabilité de la cellule familiale. Le Gouvernement soutient qu’eu égard notamment à la circulaire de la garde de Sceaux, ministre de la Justice, du 25 janvier 2013 (paragraphe 27 ci-dessus), la troisième requérantes peut obtenir un certificat de nationalité française sur le fondement de l’article 18 du code civil, qui dispose qu’« est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français », en produisant son acte de naissance américain.
69. La Cour note cependant que des interrogations subsistent quant à cette possibilité.
En premier lieu, elle observe qu’aux termes mêmes du texte ainsi invoqué, la nationalité française est attribuée à raison de celle de l’un ou l’autre parent. Or elle constate que la détermination juridique des parents est précisément au cœur de la requête qui lui est soumise. Ainsi, à la lecture des observations des requérants et des réponses du Gouvernement, il apparaît que les règles de droit international privé rendent en l’espèce particulièrement complexe, voire aléatoire, le recours à l’article 18 du code civil pour établir la nationalité française de la troisième requérante.
En second lieu, la Cour note que le Gouvernement tire argument de l’article 47 du code civil. Ce texte précise que les actes d’état civil établis à l’étranger et rédigés dans les formes utilisées dans les pays concernés font foi « sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Se pose donc la question de savoir si un tel cas d’exclusion est constitué lorsque, comme en l’espèce, il a été constaté que les enfants concernés sont issus d’une gestation pour autrui obtenue à l’étranger, ce que la Cour de cassation analyse en une fraude à la loi. Or, bien qu’invité par le Président à répondre à cette question et à préciser s’il existait un risque qu’un certificat de nationalité ainsi établi soit ensuite contesté et annulé ou retiré, le Gouvernement n’a fourni aucune indication. Du reste, la Cour a constaté dans l’arrêt Mennesson précité que la demande déposée à cette fin dans cette affaire le 16 avril 2013 au greffe du tribunal d’instance de Paris était toujours sans effet onze mois plus tard : le greffier en chef a indiqué le 31 octobre 2013 puis le 13 mars 2014 qu’elle était « en cours », « en attente du retour de la demande d’authentification transmise au consulat de Los Angeles » (voir l’arrêt Mennesson, § 90).
70. À cela s’ajoutent des inquiétudes fort compréhensibles quant au maintien de la vie familiale entre la deuxième requérante et la troisième requérante en cas de décès du premier requérant ou de séparation du couple.
71. Cependant, quelle que soit l’importance des risques potentiels pesant sur la vie familiale des requérants, la Cour estime qu’il lui faut se déterminer au regard des obstacles concrets que ceux-ci ont dû effectivement surmonter du fait de l’absence de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers et la troisième d’entre eux (voir, mutatis mutandis, X, Y et Z précité, § 48). Or elle note que les requérants ne prétendent pas que les difficultés qu’ils évoquent ont été insurmontables et ne démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale. À ce titre, elle constate qu’ils ont pu s’établir tous les trois en France peu de temps après la naissance de la troisième requérante, qu’ils sont en mesure d’y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles et qu’il n’y a pas lieu de penser qu’il y a un risque que les autorités décident de les séparer en raison de leur situation au regard du droit français (voir, mutatis mutandis, Chavdarov c. Bulgarie, no 3465/03, § 49-50 et 56, 21 décembre 2010).
72. La Cour observe en outre que pour rejeter les moyens que les requérants développaient sur le terrain de la Convention, la Cour de cassation a souligné que le fait que la possession d’état de la troisième requérante à l’égard des premiers requérants ne pouvait produire aucun effet quant à l’établissement de sa filiation ne l’empêchait pas de vivre avec les premiers requérants en France (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour en déduit qu’en l’espèce, conformément à ce qu’elle avait jugé important dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. (arrêt précité, § 135), les juges français ne se sont pas dispensés d’un examen concret de la situation, puisque, par cette formule, ils ont estimé, implicitement mais nécessairement, que les difficultés pratiques que les requérants pourraient rencontrer dans leur vie familiale en l’absence de reconnaissance en droit français du lien établi entre eux à l’étranger ne dépasseraient pas les limites qu’impose le respect de l’article 8 de la Convention
73. Ainsi, au vu, d’une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les premiers requérants et la troisième d’entre eux sur leur vie familiale, et, d’autre part, de la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur, la Cour estime que la situation à laquelle conduit la conclusion de la Cour de cassation en l’espèce ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’État, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale.
74. Il reste à déterminer s’il en va de même s’agissant du droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée.
γ. Sur le droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée
75. Comme la Cour l’a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation (paragraphe 38 ci-dessus) ; un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation (paragraphe 59 ci-dessus). Or, en l’état du droit positif, la troisième requérante se trouve à cet égard dans une situation d’incertitude juridique. S’il est exact qu’un lien de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge français pour autant qu’il est établi par le droit du Minnesota, le refus d’accorder tout effet au jugement américain et de transcrire l’état civil qui en résulte puis de faire produire effet à la possession d’état, manifeste en même temps que ce lien n’est pas reconnu par l’ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer qu’elle a été identifiée ailleurs comme étant l’enfant des premiers requérants, lui nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à l’identité de la troisième requérante au sein de la société française.
76. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes (Genovese c. Malte, 53124/09, § 33, 11 octobre 2011). Or, comme la Cour l’a relevé précédemment, bien que son père biologique soit français, la troisième requérante est confrontée à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du code civil (paragraphe 18 ci-dessus). Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de sa propre identité.
77. La Cour constate en outre que le fait pour la troisième requérante de ne pas être identifiée en droit français comme étant l’enfant des premiers requérants a des conséquences sur ses droits sur la succession de ceux-ci. Elle note que le Gouvernement nie qu’il en aille de la sorte. Elle relève toutefois que le Conseil d’État a souligné qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers (paragraphe 28 ci-dessus), c’est-à-dire moins favorablement. La même situation se présente dans le contexte de la succession du père d’intention, fût-il comme en l’espèce le père biologique. Il s’agit là aussi d’un élément lié à l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent privés.
78. Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire (paragraphe 54 ci-dessus). Il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.
79. Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (voir, par exemple, l’arrêt Jäggi précité, § 37), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or, non seulement le lien entre la troisième requérante et son père biologique n’a pas été admis à l’occasion des demandes de transcription de l’acte de naissance et de l’acte de notoriété, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de son lien de filiation à l’égard de son père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.
80. Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, la Cour conclut que le droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée a été méconnu.
c) Conclusion générale
81. Il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale. Il y a en revanche eu violation de cette disposition s’agissant du droit de la troisième requérante au respect de sa vie privée.
PARADISO ET CAMPANELLI c. ITALIE du 27 janvier 2015 requête 25358/12
Violation de l'article 8 : L’intérêt supérieur d’un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger aurait dû primer dans les décisions des autorités italiennes.
L’affaire concernait la prise en charge par les services sociaux italiens d'un enfant de neuf mois né en Russie à la suite d'un contrat de gestation pour autrui (GPA), conclu par un couple dont il fut ultérieurement établi qu’il n’avait aucun lien biologique avec l’enfant. L'affaire est par conséquent différente des affaires françaises Menneson C. France et Labassée contre France.
La Cour a estimé que les considérations d'ordre public ayant orienté les décisions des autorités italiennes – qui ont estimé que les requérants avaient tenté de contourner l'interdiction de la GPA en Italie ainsi que les règles régissant l'adoption internationale – ne pouvaient l'emporter sur l'intérêt supérieur de l'enfant, malgré l'absence de tout lien biologique et la brièveté de la période pendant laquelle les requérants se sont occupés de lui. Rappelant que l’éloignement d’un enfant du contexte familial est une mesure extrême ne pouvant se justifier qu’en cas de danger immédiat pour lui, la Cour a estimé qu’en l’espèce, les conditions pouvant justifier un éloignement n’étaient pas remplies.
Les conclusions de la Cour ne sauraient toutefois être comprises comme obligeant l’État italien à remettre l’enfant aux requérants, ce dernier ayant certainement développé des liens affectifs avec la famille d’accueil chez laquelle il vit depuis 2013.
CEDH
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
67. Conformément à sa jurisprudence, la Cour relève que la question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels étroits (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, Série A no 31 ; K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 150, CEDH 2001‑VII). La notion de « famille » visée par l’article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage, mais peut englober d’autres liens « familiaux » de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital et une relation a suffisamment de constance (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30 , série A no 297-C; Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 55, série A no 112 ; Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 36, Recueil 1997‑II). Par ailleurs, les dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d’adopter (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008). Le droit au respect d’une « vie familiale » ne protège pas le simple désir de fonder une famille ; il présuppose l’existence d’une famille (Marckx, précité, § 31), voire au minimum d’une relation potentielle qui aurait pu se développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.), no27110/95, CEDH 1999-VI), d’une relation née d’un mariage non fictif, même si une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement établie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 62, série A no 94), ou encore d’une relation née d’une adoption légale et non fictive (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 148, CEDH 2004-V).
68. La Cour note que le cas d’espèce présente des similitudes avec l’affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg (no 76240/01, 28 juin 2007). Dans l’affaire luxembourgeoise il était question de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance au Luxembourg de la décision judiciaire péruvienne prononçant l’adoption plénière d’une requérante au profit d’une deuxième requérante. La Cour a reconnu l’existence d’une vie familiale malgré l’absence de reconnaissance de l’adoption, en prenant en compte le fait que des liens familiaux de facto existaient depuis plus de dix ans entre les requérantes et que la deuxième se comportait à tous égards comme la mère de la mineure.
Dans une autre affaire (Moretti et Benedetti, précitée, §§ 50-52), il était question d’un couple marié de requérants qui avaient accueilli un enfant âgé d’un mois dans leur famille. Ils avaient passé dix-neuf mois avec lui avant que les juridictions italiennes ne décident de placer l’enfant auprès d’une autre famille aux fins d’adoption. La Cour a également conclu à l’existence d’une vie familiale de facto, confirmée entre autres par les expertises conduites sur la famille, malgré l’absence de tout rapport juridique de parenté (§§ 50-52).
69. En l’espèce, les requérants se sont vu refuser la transcription de l’acte de naissance russe qui avait établi la filiation. Ce certificat n’ayant pas été reconnu en droit italien, il n’a pas fait naître un rapport juridique de parenté à proprement parler, même si les requérants ont eu, au moins initialement, l’autorité parentale sur l’enfant, comme le prouve la demande de suspension de l’autorité parentale introduite par le curateur. La Cour se doit dès lors de prendre en compte les liens familiaux de facto. À cet égard, elle relève que les requérants ont passé avec l’enfant les premières étapes importantes de sa jeune vie : six mois en Italie, à partir du troisième mois de vie de l’enfant. Avant cette période, la requérante avait déjà passé quelques semaines avec lui en Russie. Même si la période en tant que telle est relativement courte, la Cour estime que les requérants se sont comportés à l’égard de l’enfant comme des parents et conclut à l’existence d’une vie familiale de facto entre les requérants et l’enfant. Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention s’applique en l’espèce.
70. À titre surabondant, la Cour note que,
dans le cadre de la procédure engagée pour obtenir la reconnaissance de la
filiation, le requérant s’est soumis à un test ADN. Il est vrai qu’aucun lien
génétique n’a été établi entre le requérant et l’enfant (a
contrario, Keegan, précité, § 45).
Toutefois, la Cour rappelle que l’article 8 protège non seulement la « vie
familiale », mais aussi la « vie privée ». Cette dernière inclut, dans une
certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer des relations avec ses
semblables (mutatis mutandis,
Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A
no 251-B,). Il semble d’ailleurs n’y avoir aucune raison de principe de
considérer la notion de vie privée comme excluant l’établissement d’un lien
juridique entre un enfant né hors mariage et son géniteur (Mikulić
c. Croatie, no 53176/99,
§ 53, CEDH 2002‑I). La Cour a déjà déclaré que le respect de la vie privée exige
que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le
droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs
incidences sur la formation de la personnalité (Gaskin
c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 39, série A no 160). En l’espèce, le
requérant a cherché, par la voie judiciaire, à établir s’il était géniteur. Sa
demande de reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger s’est
donc doublée d’une quête de la vérité biologique, visant à déterminer ses liens
avec l’enfant. En conséquence, il existait une relation directe entre
l’établissement de la filiation et la vie privée du requérant. Il s’ensuit que
les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8 de la Convention (Mikulić,
précité, § 55).
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
71. En l’espèce, les requérants se sont vu refuser, de la part du tribunal pour mineurs de Campobasso et de la cour d’appel de Campobasso, la reconnaissance de la filiation établie à l’étranger et ont été frappés par les décisions judiciaires ayant conduit à l’éloignement et à la prise en charge de l’enfant. Aux yeux de la Cour cette situation s’analyse en une ingérence dans les droits garantis par l’article 8 de la Convention (Wagner et J.M.W.L., précité, § 123). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si elle remplit les conditions cumulatives d’être prévue par la loi, de poursuivre un but légitime, et d’être nécessaire dans une société démocratique. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000‑IX ; Pontes c. Portugal, no 19554/09, § 74, 10 avril 2012).
72. S’agissant de la question de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi », la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 de la Convention de la Haye de 1961, le seul effet de l’apostille est celui de certifier l’authenticité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Il ressort du rapport explicatif de ladite Convention que l’apostille n’atteste pas la véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette limitation des effets juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour but de préserver le droit des États signataires d’appliquer leurs propres règles en matière de conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à attribuer au contenu du document apostillé. En l’espèce, les juridictions italiennes ne se sont pas basées sur le certificat de naissance étranger mais elles ont opté pour l’application du droit italien s’agissant du lien de filiation. En fait, l’application des lois italiennes qui a été faite en l’espèce par le tribunal pour mineurs découle de la règle des conflits des lois selon laquelle la filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. En l’espèce, compte tenu de ce que l’enfant est issu de gamète de donneurs inconnus, la nationalité de l’enfant n’était pas établie. Dans cette situation, la Cour estime que l’application du droit italien par les juridictions nationales ayant abouti au constat que l’enfant était en état d’abandon ne saurait passer comme étant arbitraire. Enfin, la Cour relève que les mesures à l’égard de l’enfant prises par le tribunal pour mineurs et confirmées par la cour d’appel de Campobasso s’appuient sur les dispositions de droit interne.
Il s’ensuit que l’ingérence – fondée en particulier sur les articles pertinents de la loi sur le droit international privé et de la loi sur l’adoption internationale – était « prévue par la loi ».
73. S’agissant du but légitime, aux yeux de la Cour, il n’y a pas lieu de douter que les mesures prises à l’égard de l’enfant tendaient à la « défense de l’ordre », dans la mesure où la conduite des requérants se heurtait à la loi sur l’adoption internationale et le recours aux techniques de reproduction assistée hétérologue était, à l’époque des faits, interdit. En outre, les mesures en question visaient la protection des « droits et libertés » de l’enfant.
74. Pour apprécier la « nécessité » des mesures litigieuses « dans une société démocratique », la Cour examine, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Dans les affaires délicates et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude en matière d’adoption (Wagner et J.M.W.L., précité, § 127) ou pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre une pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 166, CEDH 2001‑VII ; Kutzner, précité, § 67).
75. Dans la présente affaire, la question est de savoir si l’application faite en l’espèce des dispositions législatives a ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public et les intérêts privés en jeu, fondés sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (Wagner et J.M.W.L., précité, §§ 133-134 ; Mennesson c. France, no 65192/11, § 81, CEDH 2014 (extraits) ; Labassee c. France, no 65941/11, § 60, 26 juin 2014).
76. La Cour relève qu’en l’espèce il y a l’absence avérée de liens génétiques entre l’enfant et les requérants. Ensuite, la loi russe ne précise pas si entre les futurs parents et l’enfant à naître il faut un lien biologique. En outre, les requérants n’ont pas argué devant les juridictions nationales que le droit russe n’exigeait pas un lien génétique avec au moins un des futurs parents pour parler de gestation pour autrui. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de comparer la législation des États membres afin de voir si, en matière de gestation pour autrui, la situation se trouve à un stade avancé d’harmonisation en Europe. En effet, la Cour est confrontée à un dossier dans lequel une société russe – pour laquelle travaille l’avocat qui représente les requérants à Strasbourg – a encaissé une somme d’argent des requérants ; elle a acheté des gamètes de donneurs inconnus ; elle a trouvé une mère porteuse et lui a fait implanter les embryons ; elle a remis l’enfant aux requérants ; elle les a aidés à obtenir le certificat de naissance. Pour mieux expliquer ce processus, l’avocat en question a indiqué qu’il était tout à fait possible de contourner l’exigence d’avoir un lien génétique avec un des futurs parents en achetant les embryons, qui deviennent ainsi « ses » embryons. Indépendamment de toute considération éthique quant aux agissements de la société Rosjurconsulting, les conséquences de ces agissements ont été très lourdes pour les requérants, surtout si l’on prend en compte le fait que le requérant était certain d’être le père biologique de l’enfant et qu’à ce jour il n’a pas été démontré qu’il n’était pas de bonne foi.
77. L’application du droit national a eu pour conséquence la non reconnaissance de la filiation établie à l’étranger, au motif que les requérants n’avaient pas un lien génétique avec l’enfant. La Cour ne néglige pas les aspects émotionnels de ce dossier où il a été question, pour les requérants, de constater leur incapacité à procréer ; de demander l’agrément pour adopter ; une fois l’agrément obtenu en décembre 2006, d’attendre pendant des années de pouvoir adopter en faisant face à la pénurie d’enfants adoptables ; de nourrir un espoir lorsqu’en 2010, les requérants se sont résolus à souscrire un contrat avec Rosjurcosulting et lorsqu’ils ont appris la naissance de l’enfant ; de sombrer dans le désespoir lorsqu’ils ont appris que le requérant n’était pas le père biologique de l’enfant.
Les juridictions nationales ont examiné l’argument du requérant selon lequel il y avait eu une erreur à la clinique russe car son liquide séminal n’avait pas été utilisé. Elles ont toutefois estimé que la bonne foi de l’intéressé ne pouvait pas créer le lien biologique qui faisait défaut.
Selon la Cour, en faisant une application stricte du droit national pour déterminer la filiation et en passant outre le statut juridique créé à l’étranger, les juges nationaux n’ont pas pris une décision déraisonnable (a contrario, Wagner et J.M.W.L. précité, § 135).
78. Il reste néanmoins à savoir si, dans une telle situation, les mesures prises à l’égard de l’enfant – notamment son éloignement et sa mise sous tutelle – peuvent passer pour des mesures proportionnées, à savoir si l’intérêt de l’enfant a été pris en compte de manière suffisante par les autorités italiennes.
79. La Cour note à cet égard que le tribunal pour mineurs de Campobasso a estimé que l’enfant était sans environnement familial adéquat aux termes de la loi sur l’adoption internationale. Pour parvenir à cette conclusion, les juges nationaux ont pris en compte le fait que l’enfant était né de parents biologiques inconnus et que la mère porteuse avait renoncé à lui. Ils ont ensuite attaché une grande importance à la situation d’illégalité dans laquelle les requérants versaient : ces derniers avaient amené l’enfant en Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils et avaient ainsi violé le droit italien, en particulier la loi sur l’adoption internationale et la loi sur la reproduction assistée. Ils ont en outre déduit du fait que les requérants s’étaient adressés à Rosjurconsulting une volonté de court-circuiter la loi sur l’adoption malgré l’agrément obtenu et ont estimé que cette situation résultait d’un désir narcissique du couple ou que l’enfant était destiné à résoudre des problèmes du couple. Dès lors on pouvait douter de leurs capacités affective et éducative. Il était donc nécessaire de mettre un terme à cette situation en éloignant l’enfant du domicile des requérants et de supprimer toute possibilité de contact avec lui. La perspective suivie par les juridictions nationales répondait manifestement au besoin de mettre un terme à la situation d’illégalité.
80. Selon la Cour, la référence à l’ordre public ne saurait toutefois passer pour une carte blanche justifiant toute mesure, car l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant incombe à l’État indépendamment de la nature du lien parental, génétique ou autre. À cet égard, la Cour rappelle que dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. précitée, les autorités luxembourgeoises n’avaient pas reconnu la filiation établie à l’étranger au motif que celle-ci se heurtait à l’ordre public ; cependant, elles n’avaient adopté aucune mesure visant l’éloignement du mineur ou l’interruption de la vie familiale. En effet, l’éloignement de l’enfant du contexte familial est une mesure extrême à laquelle on ne devrait avoir recours qu’en tout dernier ressort. Pour qu’une mesure de ce type se justifie, elle doit répondre au but de protéger l’enfant confronté à un danger immédiat pour celui-ci (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000‑VIII ; Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010 ; Y.C. c. Royaume-Uni, no 4547/10, §§ 133-138, 13 mars 2012 ; Pontes c. Portugal, no 19554/09, §§ 74-80, 10 avril 2012). Le seuil établi dans la jurisprudence est très élevé, et la Cour estime utile de rappeler les passages suivants tirés de l’arrêt Pontes précité :
« § 74. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner, précité, § 58) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).
§ 75. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156 ; Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; Gnahoré c. France, no 40031/98, § 51, CEDH 2000-IX et, dernièrement, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010). La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents - ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public - (Maumousseau et Washington c. France, no 93388/05, § 62, CEDH 2007‑XIII), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (dans ce sens Gnahoré, précité, § 59, CEDH 2000-IX), pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). L’intérêt de ces derniers, notamment à bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 89, CEDH 2004-III (extraits), ou Kutzner c. Allemagne, précité, § 58). Dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, W., B. et R. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no121, §§ 60 et 61, et Gnahoré, précité, § 52). La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer la prise en charge d’enfants par l’administration publique et les droits des parents de ces enfants, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A).
§ 76. La Cour rappelle que, si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter les intérêts protégés par cette disposition. Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 64, série A no 121).
§ 77. Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », la Cour considérera si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués à l’appui de celle-ci étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. À cette fin, elle tiendra compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave ; une telle mesure doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et ayant assez de poids et de solidité (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII).
§ 78. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant, il lui faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Gnahoré précité, § 54, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 65, CEDH 2003-VIII).
§ 79. D’un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait en aucune manière autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants (Sahin précité, § 66). De l’autre côté, il est clair qu’il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré précité, § 59).
§ 80. La Cour rappelle par ailleurs que, dans les affaires touchant la vie familiale, le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, précité, § 102 ; Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VI). »
La Cour estime utile de rappeler également les passages suivants tirés de l’arrêt Zhou (Zhou c. Italie, no 33773/11, §§ 55-56, 21 janvier 2014) :
« § 55 La Cour rappelle que dans des cas si délicats et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre une pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 166; Kutzner c. Allemagne, précité, § 67, CEDH 2002-I).
§ 56 À la différence d’autres affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, l’enfant de la requérante en l’espèce n’avait pas été exposée à une situation de violence ou de maltraitance physique ou psychique (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005; Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). La Cour rappelle avoir a conclu à la violation dans l’affaire Kutzner c. Allemagne, (§ 68, précité) dans laquelle les tribunaux avaient retiré l’autorité parentale aux requérants après avoir constaté un déficit affectif de ces-derniers, et a déclaré la non violation de l’article 8 dans l’affaire Aune c. Norvège, (no 52502/07, 28 octobre 2010), où la Cour avait relevé que l’adoption du mineur n’avait en fait pas empêché la requérante de continuer à entretenir une relation personnelle avec l’enfant et n’avait pas eu pour conséquences de couper l’enfant de ses racines. Elle a également constaté la violation de l’article 8 dans une affaire (Saviny c. Ukraine, n 39948/06, 18 décembre 2008) où le placement des enfants des requérants avait été justifié en raison de leur incapacité de garantir des conditions de vie adéquates (le manque de moyens financiers et de qualités personnelles des intéressés mettaient en péril la vie, la santé et l’éducation morale des enfants). Au demeurant, dans une affaire où le placement des enfants avait été ordonné en raison d’un de déséquilibre psychique des parents, la Cour a conclu à la non violation de l’article 8 en tentant en compte également de ce que le lien entre les parents et les enfants n’avait été coupé (Couillard Maugery c. France, précité). »
81. La Cour reconnaît que la situation qui se présentait aux juges nationaux en l’espèce était délicate. En effet, de graves soupçons pesaient sur les requérants. Au moment où le tribunal pour mineurs a décidé d’éloigner l’enfant des requérants, il a pris en compte le préjudice certain qu’il subirait mais, vu la courte période qu’il avait passée avec eux et son bas âge, il a estimé que l’enfant surmonterait ce moment difficile de sa vie. Cependant la Cour estime que les conditions pouvant justifier le recours aux mesures litigieuses n’étaient pas remplies, et ce pour les raisons suivantes.
82. Tout d’abord, le seul fait que l’enfant aurait développé un lien affectif plus fort vis-à-vis de ses parents d’intention pour le cas où il serait resté auprès d’eux ne suffit pas pour justifier son éloignement.
83. Ensuite, s’agissant de la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants, la Cour note d’emblée que la cour d’appel de Campobasso avait estimé qu’il n’était pas nécessaire d’en attendre l’issue car la responsabilité pénale des intéressés ne jouait aucun rôle (paragraphe 25 ci-dessus), de sorte que les soupçons pesant sur les intéressés ne suffisent pas non plus pour justifier les mesures litigieuses. Aux yeux de la Cour, il n’est en tout cas pas possible de spéculer sur l’issue de la procédure pénale. En outre, seulement en cas de condamnation pour l’infraction prévue à l’article 72 de la loi sur l’adoption les requérants seraient devenus légalement incapables d’adopter ou accueillir l’enfant en placement.
84. À ce dernier égard, la Cour relève que les requérants, jugés aptes à adopter en décembre 2006 au moment où ils reçurent l’agrément (paragraphe 12 ci-dessus), ont été jugés incapables d’éduquer et aimer l’enfant au seul motif qu’ils avaient contourné la loi sur l’adoption, sans qu’une expertise ait été ordonnée par les tribunaux.
85. Enfin, la Cour note que l’enfant a reçu une nouvelle identité seulement en avril 2013, ce qui signifie qu’il était inexistant pendant plus de deux ans. Or, il est nécessaire qu’un enfant ne soit pas désavantagé du fait qu’il a été mis au monde par une mère porteuse, à commencer par la citoyenneté ou l’identité qui revêtent une importance primordiale (voir l’article 7 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, 1577 Recueil des Traités 3).
86. Compte tenu de ces éléments, la Cour n’est pas convaincue du caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour conclure que l’enfant devait être pris en charge par les services sociaux. Il en découle que les autorités italiennes n’ont pas préservé le juste équilibre devant régner entre les intérêts en jeu.
87. En conclusion, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
88. Compte tenu de ce que l’enfant a certainement développé des liens affectifs avec la famille d’accueil chez laquelle il a été placé début 2013, le constat de violation prononcé dans la cause des requérants ne saurait donc être compris comme obligeant l’État à remettre le mineur aux intéressés.
DÉLÉGATION DE L'AUTORITÉ PARENTALE APRÈS UNE GPA
Francine BONNAUD et Patricia LECOQ c. France irrecevabilité du 1er mars 2018 requête n° 6190/11
Article 8 et article 14 : La GPA est interdite en France, les deux requérantes ont pratiqué une GPA en Belgique, elles ont demandé ensuite une délégation croisée de leur enfant au profit de leur partenaire pacsée. Après un accord du TGI de Lille, la Cour d 'Appel de Douai puis la Cour de Cassation refusent. La CEDH confirme le refus. Le refus de délégation d’autorité parentale au sein d’un couple de femmes ne révèle aucune différence de traitement en raison de l’orientation sexuelle.
"42. La Cour considère que les requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel dans le cadre d’une famille recomposée, où le ou la partenaire du parent vit avec un enfant avec lequel il n’a pas de lien biologique et qu’il élève. Elle doit donc établir si elles ont fait l’objet d’une différence de traitement et si cette différence de traitement peut être qualifiée de discriminatoire.
43. La Cour constate tout d’abord que l’article 377 § 1 du code civil, qui permet au père et à la mère, ensemble ou séparément, de saisir le juge d’une demande de délégation partielle ou totale de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers lorsque les circonstances l’exigent (paragraphe 23 ci‑dessus), ne fait aucune différence entre les parents et ne contient en soi aucune distinction quant à l’orientation sexuelle du parent qui effectue la demande ou du délégataire. Dans son arrêt du 24 février 2006, la Cour de cassation a affirmé que cet article ne s’opposait pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vivait en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigeaient et que la mesure était conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 25 ci-dessus). La question de savoir si ces conditions sont réunies est laissée par la Cour de cassation à l’appréciation des juges du fond.
44. L’examen de la jurisprudence (paragraphe 25 ci-dessus) fait apparaître que les décisions d’octroi ou de refus de délégation d’autorité parentale sont fondées sur les circonstances de fait de chaque affaire, notamment l’état de santé de la mère ou de l’enfant, les déplacements ou les contraintes professionnelles.
45. La Cour estime que tel est également le cas en l’espèce, et que l’appréciation faite par la cour d’appel et approuvée par la Cour de cassation selon laquelle les conditions n’étaient pas réunies pour qu’une délégation d’autorité parentale croisée soit accordée aux requérantes ne révèle pas de différence de traitement selon leur orientation sexuelle (voir mutatis mutandis Gas et Dubois, précité, § 69)."
LES FAITS
4. Mme Francine Bonnaud (« la première requérante ») et Mme Patricia Lecoq (« la seconde requérante ») ont vécu en couple à partir de 1989.
5. Le 5 octobre 1998, après avoir bénéficié d’une procréation médicalement assistée (PMA) en Belgique la première requérante donna naissance en France à une fille, El., qu’elle reconnut.
6. Les requérantes conclurent un pacte civil de solidarité (PACS) le 21 mai 2002.
7. Le 10 novembre 2003, la seconde requérante, qui avait également bénéficié d’une PMA en Belgique, donna naissance à un garçon, Es., qu’elle reconnut.
8. Le 28 juin 2006, les requérantes saisirent conjointement le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lille d’une demande d’exercice conjoint de l’autorité parentale sur les enfants par le biais d’une délégation d’autorité parentale croisée, en se fondant sur l’article 377 du code civil, aux termes duquel « les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent lorsque les circonstances l’exigent saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance », ainsi que sur les articles 371-4, et 377-1 du même code. Les requérantes soulignaient que El. et Es. n’avaient aucune filiation paternelle établie et invoquaient l’intérêt de l’enfant mentionné à l’article 371-1 précité.
SUR LE REFUS D'ACCORDER LA DÉLÉGATION PARENTALE
39. Compte tenu des changements intervenus dans les circonstances de fait de la présente affaire, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner séparément la situation des requérantes avant et après leur séparation au début de l’année 2012.
a) Situation des requérantes avant leur séparation
40. La Cour observe tout d’abord que les requérantes ont soulevé expressément devant les juridictions internes leur grief fondé sur les articles 14 et 8 de la Convention, ainsi qu’il ressort du mémoire de cassation déposé par leur avocat (paragraphe 19 ci-dessus) et considère en conséquence qu’elles ont dûment épuisé les voies de recours internes.
41. Sur le fond du grief, la Cour renvoie aux principes applicables, tels qu’ils ont été exposés dans les arrêts Gas et Dubois précité et X et autres c. Autriche ([GC], no 19010/07, §§ 98-99, CEDH 2013).
42. La Cour considère que les requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel dans le cadre d’une famille recomposée, où le ou la partenaire du parent vit avec un enfant avec lequel il n’a pas de lien biologique et qu’il élève. Elle doit donc établir si elles ont fait l’objet d’une différence de traitement et si cette différence de traitement peut être qualifiée de discriminatoire.
43. La Cour constate tout d’abord que l’article 377 § 1 du code civil, qui permet au père et à la mère, ensemble ou séparément, de saisir le juge d’une demande de délégation partielle ou totale de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers lorsque les circonstances l’exigent (paragraphe 23 ci‑dessus), ne fait aucune différence entre les parents et ne contient en soi aucune distinction quant à l’orientation sexuelle du parent qui effectue la demande ou du délégataire. Dans son arrêt du 24 février 2006, la Cour de cassation a affirmé que cet article ne s’opposait pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vivait en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigeaient et que la mesure était conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 25 ci-dessus). La question de savoir si ces conditions sont réunies est laissée par la Cour de cassation à l’appréciation des juges du fond.
44. L’examen de la jurisprudence (paragraphe 25 ci-dessus) fait apparaître que les décisions d’octroi ou de refus de délégation d’autorité parentale sont fondées sur les circonstances de fait de chaque affaire, notamment l’état de santé de la mère ou de l’enfant, les déplacements ou les contraintes professionnelles.
45. La Cour estime que tel est également le cas en l’espèce, et que l’appréciation faite par la cour d’appel et approuvée par la Cour de cassation selon laquelle les conditions n’étaient pas réunies pour qu’une délégation d’autorité parentale croisée soit accordée aux requérantes ne révèle pas de différence de traitement selon leur orientation sexuelle (voir mutatis mutandis Gas et Dubois, précité, § 69).
46. La Cour observe au surplus qu’ainsi que l’ont relevé le juge aux affaires familiales et la cour d’appel (paragraphes 13 et 17 ci-dessus), les requérantes sont perçues par tout leur entourage comme les parents des deux enfants et n’ont pas fait état de difficultés particulières auxquelles elles se seraient heurtées, telles qu’elles auraient exigé les délégations d’autorité parentale sollicitées (voir mutatis mutandis, sous l’angle du seul article 8 de la Convention, Mennesson c. France, no 65192/11, § 92, CEDH 2014 (extraits)).
47. Il s’ensuit qu’il n’y a en l’espèce aucune apparence de violation des articles 14 et 8 combinés. Cet aspect du grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
b) Situation des requérantes après leur séparation
48. Selon les dernières indications fournies par les requérantes (paragraphe 21 ci-dessus), la procédure d’adoption de El. par la seconde requérante est en cours. Le dossier de nouvelle demande de délégation d’autorité parentale sur Es. au profit de la première requérante est « en cours de constitution » et, au vu de la jurisprudence (paragraphe 25 ci-dessus) la Cour estime qu’on ne peut exclure qu’il soit accueilli favorablement compte tenu du changement de circonstances dans la vie des requérantes.
49. Il s’ensuit que cet aspect du grief est prématuré et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
COUR DE CASSATION FRANÇAISE SUR LA GPA
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 4 novembre 2020 pourvoi n° 19-15.739 cassation
Vu les articles 16-7, 353, alinéa 1er, 345-1, 1°, et 47 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, l’article 16-9 du même code précisant que cette disposition est d’ordre public.
7. Selon le deuxième, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.
8. Aux termes du troisième, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.
9. Aux termes du quatrième, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
10. Il résulte de ces textes que le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude.
11. Pour rejeter la demande d’adoption plénière, l’arrêt retient que rien ne permet d’appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de B... aurait renoncé de manière définitive à l’établissement de la filiation maternelle et qu’il en est de même du consentement de cette femme à l’adoption de l’enfant, par le mari du père. Il estime que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que l’adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s’attachent à cette dernière, soit conforme à l’intérêt de l’enfant, qui ne peut s’apprécier qu’au vu d’éléments biographiques suffisants.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l’autorisation donnée le 10 décembre 2015, par la direction générale du registre civil, à l’officier de l’état civil de la commune de Centro (Etat de Tabasco) afin qu’il établisse l’acte de naissance de l’enfant, ne démontraient pas que cet acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi de l’Etat de Tabasco, de sorte qu’en l’absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l’enfant, l’adoption plénière était juridiquement possible, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 4 novembre 2020 pourvoi n° 19-50.042 rejet
8. Aux termes de l’article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, ces dispositions étant d’ordre public.
9. Cependant, le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.
10. Aux termes de l’article 370-3 du code civil, les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant.
11. Aux termes de l’article 345-1, 1°, du même code, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.
12. Aux termes de l’article 47 du même code, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
13. L’arrêt en déduit exactement que le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption par l’époux du père de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude.
14. Il relève que le recours à la gestation pour autrui par des étrangers, y compris célibataires non résidents, demeurait possible en Inde lors de la conception en 2010 et de la naissance en 2011 de l’enfant, ce que ne conteste pas le procureur général, qui ne critique que la légalité, au regard du droit indien, de l’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, lequel ne fait état que de la filiation paternelle de M. Y... à l’exclusion de toute filiation maternelle.
15. Il ajoute que, si les dispositions de l’article 19 b de la loi indienne de 1886 et de l’article 29 de la loi indienne du 31 mai 1969 n’autorisent pas l’établissement ou l’enregistrement d’un acte de naissance d’un enfant né hors mariage avec la mention d’un père sans celle de la mère, il ressort du guide des bonnes pratiques rédigé en 2005 par le Conseil indien de la recherche médicale et du projet de loi sur les technologies reproductives assistées (ART) de 2008, révisé en 2010, que la situation des enfants nés d’une gestation pour autrui était régie par ces textes, les projets de loi ART de 2008 et de 2010 servant, dans l’attente de leur adoption définitive et de leur promulgation, de lignes directrices pour l’établissement des actes de naissance des enfants nés selon cette méthode d’assistance médicale à la procréation. Il constate que l’application de ces derniers textes par les juridictions indiennes est confirmée par la décision rendue le 18 novembre 2011 par la Cour de district de Delhi et relève que, selon l’article 35 du projet de loi ART de 2010, « dans le cas d’une femme célibataire, l’enfant sera l’enfant légitime de la femme, et dans le cas d’un homme seul, l’enfant sera l’enfant légitime de l’homme » et que « l’acte de naissance d’un enfant né grâce à l’aide à la procréation assistée doit contenir le nom du ou des parents, selon le cas, qui a demandé une telle utilisation ».
16. Il relève encore que la possibilité de dresser un acte de naissance ou d’enregistrer une naissance en ne faisant mention que de la filiation du père sans celle de la femme ayant accouché est confirmée par la directive adressée le 16 septembre 2011 par le directeur adjoint des services de santé de l’État du Maharashtra au directeur adjoint du service de santé de l’hôpital de Naidu selon laquelle dans le cas de parents d’intention célibataires les certificats doivent être émis en mentionnant leurs noms, qui peut être la mère ou le père mentionnant inconnu pour l’autre nom.
17. Il précise que le procureur général ne saurait se fonder sur les dispositions du projet de loi indienne sur les technologies reproductives assistées de 2014, qui n’était pas applicable au jour de l’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, et dont il ne soutient pas que ses dispositions seraient rétroactives.
18. Il en déduit que l’acte de naissance de l’enfant, qui mentionne comme père M. Y... sans faire mention de la gestatrice, a été établi conformément aux dispositions de la législation indienne et qu’il ne saurait donc être reproché au requérant un détournement ou une fraude.
19. Il relève enfin que MM. X... et Y... versent aux débats le contrat de gestation pour autrui conclu le 29 octobre 2010 entre M. Y..., d’une part, Mme C... Z... et son époux, d’autre part.
20. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement déduit que l’acte de naissance de l’enfant avait été régulièrement dressé en application de la loi indienne et qu’en l’absence de filiation maternelle établie en Inde, l’adoption d’B... par M. X... était légalement possible.
21. Le moyen n’est donc pas fondé.
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 18 décembre 2019 pourvoi n° 18-12.327 cassation
Vu les articles 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 du code civil :
5. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
6. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
7. Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
8. Il se déduit du deuxième de ces textes, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (avis consultatif du 10 avril 2019), qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n° 10-19.053, publié, paragraphe 6).
9. Le raisonnement n’a pas lieu d’être différent lorsque c’est un homme qui est désigné dans l’acte de naissance étranger comme « parent d’intention ».
10. La jurisprudence de la Cour de cassation (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164 et n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n°165) qui, en présence d’un vide juridique et dans une recherche d’équilibre entre l’interdit d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant, a refusé, au visa de l’article 47 du code civil, la transcription totale des actes de naissance étrangers des enfants en considération, notamment, de l’absence de disproportion de l’atteinte portée au droit au respect de leur vie privée dès lors que la voie de l’adoption était ouverte à l’époux ou l’épouse du père biologique, ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés.
11. Ainsi, dans l’arrêt précité, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, au regard des impératifs susvisés et des circonstances de l’espèce, la transcription d’actes de naissance étrangers d’enfants nées à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, qui désignaient le père biologique et la mère d’intention.
12. Au regard des mêmes impératifs et afin d’unifier le traitement des situations, il convient de faire évoluer la jurisprudence en retenant qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil.
13. Pour ordonner la transcription partielle de l’acte de naissance de B... et rejeter la demande en ce que cet acte désigne M. A... en qualité de parent, l’arrêt retient que cet acte n’est pas conforme à la réalité et que la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant dès lors que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre celui-ci et l’époux de son père.
14. En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’un acte de l’état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit de l’Etat du Nevada, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. A... tendant à la transcription, sur les registres de l’état civil, de l’acte de naissance dressé par l’officier de l’état civil de l’Etat du Nevada, de B... Y...-A..., né le [...] à Las Vegas (Comté de Clark, Etat du Nevada, Etats-Unis d’Amérique), s’agissant de sa désignation comme parent de l’enfant, l’arrêt rendu le 18 décembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 23 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Nantes ;
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 18 décembre 2019 N° POURVOI N° 18-11.815 cassation
Vu les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 du code civil :
5. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
6. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
7. Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
8. Il se déduit du deuxième de ces textes, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (avis consultatif du 10 avril 2019), qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n° 10-19.053, publié, paragraphe 6).
9. Le raisonnement n’a pas lieu d’être différent lorsque c’est un homme qui est désigné dans l’acte de naissance étranger comme « parent d’intention ».
10. La jurisprudence de la Cour de cassation (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois n° 15-28.597, Bull. 2017, I, n° 163, n° 16-16.901 et 16-50.025, Bull. 2017, I, n° 164 et n° 16-16.455, Bull. 2017, I, n° 165) qui, en présence d’un vide juridique et dans une recherche d’équilibre entre l’interdit d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant, a refusé, au visa de l’article 47 du code civil, la transcription totale des actes de naissance étrangers des enfants en considération, notamment, de l’absence de disproportion de l’atteinte portée au droit au respect de leur vie privée dès lors que la voie de l’adoption était ouverte à l’époux ou l’épouse du père biologique, ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés.
11. Ainsi, dans l’arrêt précité, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, au regard des impératifs susvisés et des circonstances de l’espèce, la transcription d’actes de naissance étrangers d’enfants nées à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, qui désignaient le père biologique et la mère d’intention.
12. Au regard des mêmes impératifs et afin d’unifier le traitement des situations, il convient de faire évoluer la jurisprudence en retenant qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil.
13. Pour ordonner la transcription partielle des actes de naissance de B... et C... et rejeter la demande en ce que les actes désignent M. A... en qualité de parent, l’arrêt retient que ceux-ci ne sont pas conformes à la réalité et que la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants dès lors que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt des enfants, de créer un lien de filiation entre ceux-ci et le compagnon de leur père.
14. En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’actes de l’état civil étrangers, elle constatait que ceux-ci étaient réguliers, exempts de fraude et avaient été établis conformément au droit de l’Etat de Californie, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de
procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du
code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. A... tendant à la transcription, sur les registres de l’état civil, des actes de naissance de B... et C... Y...-A... en ce que ces actes le désignent comme parent des enfants, l’arrêt rendu le 18 décembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 23 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Nantes ;
Rééexamen d'un pourvoi après une décision de la CEDH de condamnation de la France
Arrêt de la Cour de réexamen n°17 RDH 001 du 16 février 2018
Attendu que M. X... et Mme Y..., de nationalité française , ont eu recours, aux Etats-Unis d’Amérique, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, conclue avec une femme qui a accepté de porter des gamètes fécondées in vitro, provenant de M. X... et d’une amie du couple, et a donné naissance, le [...], en Californie, aux enfants V. et F., dont les actes de naissance, dressés conformément à une décision de la Cour supérieure de l’Etat de Californie, désignent M. et Mme X... comme leurs père et mère
Que la transcription de ces actes sur le registre du service central de l’état civil, effectuée à la demande du ministère public, a été annulée à la requête de celui-ci par arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010, rendu sur renvoi après cassation (1ère Civ., 17 décembre 2008, pourvoi no 07-20.468) ;
Attendu que le pourvoi formé par M. et Mme X..., agissant tant en leur nom propre qu’en leur qualité de représentants légaux des enfants V. et F., a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 2011 ;
Que, par arrêt du 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a dit qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison d’une méconnaissance du droit de V. et F. X... au respect de leur vie privée ;
Attendu que la demande de réexamen a été présentée dans le délai d’un an de l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 fixé par l’article 42, Ill, de cette loi, à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ; que la demande est en conséquence recevable ;
Attendu que, par leur nature et leur gravité, les violations constatées entraînent pour les enfants V. et F. X... des conséquences dommageables, auxquelles la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas mis un terme ;
Qu’en conséquence, il convient d’ordonner le réexamen du pourvoi formé par M. et Mme X... contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010 et de dire, qu’en application de l’article 1031-22 du code de procédure civile, la procédure se poursuivra devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation ;
Attendu, en revanche, que la Cour de réexamen ne tient pas de la loi le pouvoir d’annuler un arrêt rendu par la Cour de cassation
PAR CES MOTIFS,
FAIT DROIT à la demande de réexamen du pourvoi en cassation formé par M. et Mme X..., agissant en qualité de représentants légaux des enfants V. et F. X..., contre l’arrêt rendu le 18 mars 2010 par la cour d’appel de Paris ;
DIT que la procédure se poursuivra devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation ;
REJETTE la demande d’annulation de l’arrêt rendu le 6 avril 2011 par la Cour de cassation ;
Arrêt de la Cour de réexamen n°17 RDH 002 du 16 février 2018
Attendu que des jumeaux prénommés Z... et Y... sont nés le
[...] à Mumbai ( Inde ) de Mme A... et de M. X..., lequel, de nationalité
française, les avait préalablement reconnus en France ; que le 11 mai 2010, ce
dernier a demandé la transcription sur un registre consulaire des actes de
naissance des enfants ; que sur instructions du procureur de la République, qui
soupçonnait l’existence d’un contrat de gestation pour autrui, le consulat de
France a sursis à cette demande ;
Attendu que par arrêt confirmatif du 21 février 2012, la cour d’appel de Rennes
a ordonné la transcription ;
Que le 13 septembre 2013, la première chambre de la Cour de cassation a cassé cet arrêt et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris que M. X... n’a pas saisie ;
Que par arrêt du 21 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a dit qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison d’une méconnaissance du droit de Z... et Y... X... au respect de leur vie privée ;
Attendu que la demande de réexamen a été présentée dans le délai d’un an de l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 fixé par l’article 42, Ill, de cette loi, à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ; que la demande est en conséquence recevable ;
Attendu que, par leur nature et leur gravité, les violations constatées entraînent pour les enfants Z... et Y... des conséquences dommageables, auxquelles la satisfaction équitable accordée par la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas mis un terme ;
Qu’en conséquence, il convient d’ordonner le réexamen du pourvoi formé par M. X... contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 21 février 2012 et de dire, qu’en application de l’article 1031-22 du code de procédure civile, la procédure se poursuivra devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation
Le père peut être inscrit comme père mais pas la mère puisqu'elle n'a pas accouché
Cour de cassation Chambre Civile 1 arrêt du 29 novembre 2017 pourvois n° 16-50061, cassation partielle sans renvoi
Mais attendu que
la cour d'appel, qui était saisie d'une action aux fins de transcription d'un
acte de l'état civil étranger et non d'une action en reconnaissance ou en
établissement de la filiation, a constaté que l'acte de naissance n'était ni
irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à
la réalité, s'agissant de la désignation du père ; qu'elle en a déduit, à bon
droit, que la convention de gestation pour autrui conclue à l'étranger ne
faisait pas obstacle à la transcription de cet acte ; que le moyen n'est pas
fondé ;
Mais sur le premier moyen, en ce qu'il critique le chef de l'arrêt accueillant
la demande de transcription de l'acte de naissance en ce qu'il désigne Mme X...
en qualité de mère :
Vu l'article 47 du code civil ;
Attendu, selon ce texte, que tout acte de l'état civil des Français et des
étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays
fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou
des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant, après toutes
vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui
y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que, concernant la
désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce
texte, est la réalité de l'accouchement ;
Attendu que, pour ordonner la transcription de l'acte de naissance de l'enfant
en ce qu'il désigne Mme X... en qualité de mère, l'arrêt, après avoir constaté
qu'elle n'a pas accouché de l'enfant, retient que la réalité, au sens de
l'article 47 du code civil, est la réalité matérielle de l'événement déclaré,
mais également celle qui existe juridiquement au jour où l'acte de naissance
étranger est dressé ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Les 4 arrêts du 5 juillet 2017 de la COUR DE CASSATION : Pas de panique, si vous êtes assez riche et que le père est fertile, vous pourrez avoir un bébé par GPA à l'étranger que vous pourrez faire reconnaître pour le père et adopter pour la mère d'intention ou le compagnon marié ou pacsé du père.
En cas de GPA réalisée à l’étranger, l’acte de naissance peut être transcrit sur les registres de l’état civil français en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention, qui n’a pas accouché ou le compagnon pacsé ou marié du père. Ils peuvent adopter l'enfant.
Situation n°1 :
Conformément à la loi du pays étranger, l’acte de naissance de l’enfant
mentionne comme père et mère l’homme et la femme ayant eu recours à la GPA. La
paternité de l’homme n’est pas contestée, mais la femme n’est pas celle qui a
accouché.
Question : Le
couple peut-il obtenir la transcription à l’état civil français de l’acte de
naissance établi à l’étranger alors que la femme qui s’y trouve désignée comme
mère n’a pas accouché de l’enfant ?
Situation n°2 :
Le père biologique reconnaît l’enfant puis se marie à un homme.
Question : Le recours à la GPA
fait-il obstacle à ce que l’époux du père demande l’adoption simple de
l’enfant ?
Réponse à la situation n°1 : L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA peut être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention.
L’article 47 du code civil ne permet de transcrire à l’état civil français que ceux des actes étrangers dont les énonciations sont conformes à la réalité : il est donc impossible de transcrire un acte faisant mention d’une mère qui n’est pas la femme ayant accouché.
En revanche, la désignation du père doit être transcrite si l’acte étranger n’est pas falsifié et la réalité biologique de la paternité n’est pas contestée (jurisprudences de la CEDH et de la Cour de cassation - cf. infra « Repères »).
Au regard du droit au respect de
la vie privée et familiale des enfants garanti par l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation rappelle que :
- la prohibition de la GPA par la loi française poursuit un but légitime de
protection des enfants et des mères porteuses ;
- la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au
droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, dès lors que les
autorités françaises n’empêchent pas ce dernier de vivre en famille, qu’un
certificat de nationalité française lui est délivré et qu’il existe une
possibilité d’adoption par l’épouse ou l’époux du père.
Réponse à la situation n°2 : Une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux du père.
La Cour tire les conséquences :
- de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Ce texte
a pour effet de permettre, par l’adoption, l’établissement d’un lien de
filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune
restriction relative au mode de procréation (cf. infra « Repères ») ;
- de ses arrêts du 3 juillet 2015, selon lesquels le recours à une GPA à
l’étranger ne constitue pas, à lui seul, un obstacle à la transcription de la
filiation paternelle.
Il appartient toutefois au juge de vérifier que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.
Repères
Prohibition de la GPA en France : Toute convention de GPA est nulle d’une nullité d’ordre public (art. 16-7 et 16-9 du code civil).
Transcription en France d’un acte de naissance étranger : Les Français qui ont eu recours à une GPA à l’étranger demandent souvent à la France la transcription de l’acte de naissance. Cette formalité n’est pas obligatoire mais permet de bénéficier d’actes d’état civil français qui facilitent les démarches administratives du quotidien.
L’acte d‘état civil d’un Français établi dans un pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si cet acte est irrégulier, falsifié ou si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (article 47 du code civil).
Les conditions de l’adoption : L’adoption d’un enfant est prononcée par un tribunal, si les conditions légales sont réunies et si celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant (article 353 du code civil).
L’intérêt supérieur de l’enfant : Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (article 3 §.1. de la Convention de New-York relative aux droits de l’enfant).
Cour de cassation Chambre Civile 1 arrêt du 5 juillet 2017 pourvoi n° 15-28597, cassation partielle sans renvoi arrêt 824
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance américains, dressés conformément à un jugement de la cour supérieure de l’Etat de Californie du 17 septembre 2010, P... et P... X... sont nés le 4 novembre 2010 à Whittier (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’étant opposé à leur demande de transcription de ces actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, en invoquant l’existence d’une convention de gestation pour autrui, M. et Mme X... l’ont assigné à cette fin ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et neuvième branches:
Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt de rejeter leur demande, en ce qui concerne la désignation de Mme X... en qualité de mère,
Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;
Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;
Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;
Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;
Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Attendu que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;
Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, n’avait pas à répondre aux conclusions inopérantes relatives à la possession d’état des enfants ;
D’où il suit que le moyen, qui critique un motif surabondant en sa quatrième branche, ne peut être accueilli ;
Mais sur la huitième branche du moyen :
Vu l’article 47 du code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que, pour refuser la transcription des actes de naissance étrangers en ce qu’ils désignent M. X... en qualité de père, l’arrêt retient qu’en l’absence de certificat médical délivré dans le pays de naissance attestant de la filiation biologique paternelle, d’expertise biologique judiciaire et d’éléments médicaux sur la fécondation artificielle pratiquée, la décision rendue le 17 septembre 2010 par une juridiction californienne le déclarant parent légal des enfants à naître, est insuffisante à démontrer qu’il est le père biologique ;
Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français n’était pas subordonnée à une expertise judiciaire, d’autre part, qu’elle constatait que le jugement californien énonçait que le patrimoine génétique de M. X... avait été utilisé, sans relever l’existence d’éléments de preuve contraire, de sorte que ce jugement avait, à cet égard, un effet de fait et que la désignation de M. X... dans les actes comme père des enfants était conforme à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la septième branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. et Mme X... de transcription, sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, des actes de naissance de P... et P... X..., nés le... à Whittier (Etats-Unis), en ce qu’ils sont nés de M. Jean-François X..., né le..., l’arrêt rendu le 28 septembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes
Cour de cassation Chambre Civile 1 arrêt du 5 juillet 2017 pourvois n° 16-16901 et 16-50025, cassation partielle sans renvoi, arrêt 825
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance, établis par les autorités ukrainiennes, V... et K... X... sont nées le ... à Kiev (Ukraine) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’est opposé à la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire français, au motif que les enfants étaient nées à la suite d’une convention de gestation pour autrui ; que, le 25 mars 2013, un certificat de nationalité française leur a été délivré ;
Sur les premier et second moyens réunis du pourvoi n° F 16-50.025, qui est recevable :
Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’arrêt d’ordonner la transcription sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... X..., nées de M. X..., époux de Mme Y...,
Mais attendu que, l’arrêt n’ayant ordonné la transcription des actes de naissance des enfants V... et K... qu’en ce qu’elles sont nées de M. X..., sans désignation de Mme Y... en qualité de mère, le moyen est inopérant en sa première branche ;
Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, a constaté que les actes de naissance n’étaient ni irréguliers ni falsifiés et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, s’agissant de la désignation du père ; qu’elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la seconde branche, que la convention de gestation pour autrui conclue ne faisait pas obstacle à la transcription desdits actes ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :
Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l’arrêt de n’ordonner la transcription, sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... qu’en ce qu’elles seraient nées le ..., à Kiev, de M. X..., époux de Mme Y..., et non de Mme Y...,
ais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;
Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;
Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;
Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;
Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Et attendu que ce refus de transcription ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901, pris en sa troisième branche :
Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que, pour déclarer l’association Juristes pour l’enfance recevable en son intervention volontaire accessoire, l’arrêt retient que le moyen pris de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant, s’agissant d’une procédure où les débats sont publics ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, nonobstant le caractère public des débats, le droit au respect de la vie privée et familiale de M. et Mme Y... et des enfants V... et K... s’opposait à l’immixtion de l’association dans une instance qui revêtait un caractère strictement personnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il reçoit l’association Juristes pour l’enfance en son intervention volontaire accessoire et la déclare en partie bien fondée, l’arrêt rendu le 7 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes
Cour de cassation Chambre Civile 1 arrêt du 5 juillet 2017 pourvoi n° 16-16455, cassation, arrêt 826
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’enfant M... Y... est né le ..., à Victorville (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de Mme Z..., de nationalité américaine, qui avait conclu avec M. Y..., de nationalité française, une convention de gestation pour autrui ; qu’il a été reconnu par Mme Z... et M. Y... ; que, le 1er novembre 2013, ce dernier a épousé M. X..., de nationalité française, auquel il était lié par un pacte civil de solidarité depuis 2004 ; que, par requête du 3 juillet 2014, M. X... a saisi le tribunal de grande instance d’une demande d’adoption simple de l’enfant M... ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 353 et 361 du code civil, ensemble les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ; que, selon les deux derniers, l’enfant a droit au respect de sa vie privée et familiale et, dans toutes les décisions qui le concernent, son intérêt supérieur doit être une considération primordiale ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption simple, l’arrêt retient que la naissance de l’enfant résulte d’une violation, par M. Y..., des dispositions de l’article 16-7 du code civil, aux termes duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle d’une nullité d’ordre public ; Qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 348 et 361 du code civil ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de son père et de sa mère, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption, l’arrêt retient encore que le consentement initial de Mme Z..., dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique, prive de portée juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel consentement ne pouvant s’entendre que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et, en particulier, dans sa dimension subjective ou psychique ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle constatait l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris
Cour de cassation Chambre Civile 1 arrêt du 5 juillet 2017 pourvoi n° 16-16495, rejet, arrêt 827
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 28 septembre 2015), que l’officier de l’état civil du consulat de France à Bombay (Inde) a dressé, le 22 février 2010, sur ses registres de l’état civil, l’acte de naissance de l’enfant E. X..., comme étant née le [...] à l’hôpital [...], de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le 26 mars 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes a assigné M. et Mme X..., tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille mineure E. , en annulation de l’acte de naissance, en raison d’une suspicion de recours à une gestation pour autrui ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt d’annuler l’acte de naissance consulaire d’E. , née le [...], alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription si celle-ci a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale, peu important qu’il ne soit pas établi que le père d’intention est en outre le père biologique ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay après avoir relevé que l’acte de naissance indien indiquait la filiation de l’enfant envers M. et Mme X..., et sans même avoir constaté que la preuve aurait été rapportée que M. X... n’eût pas été le père biologique d’E. , la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 48 du code civil ;
2°/ que pour annuler l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay, l’arrêt attaqué a retenu que l’acte de naissance indien était vicié en ce qu’il mentionnait que la mère était Mme X... bien qu’elle n’a pas accouché de l’enfant, les pièces médicales s’étant révélées fausses, de sorte qu’aucune foi ne pouvait être accordée à l’acte de naissance français ; qu’en statuant ainsi, sans constater que selon la loi indienne la désignation de la mère d’intention dans un acte de naissance ne serait pas valable, la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 et 48 du code civil ;
3°/ qu’il appartient au ministère public agissant en annulation d’un acte de naissance de prouver, le cas échéant, que le nom du père indiqué dans l’acte ne correspond pas à la réalité biologique ; qu’en faisant peser la preuve contraire sur M. X..., la cour d’appel a violé l’article 9 du code de procédure civile ;
4°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger conforté par la possession d’état d’enfant, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription lorsque cette dernière a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay sans rechercher, comme elle y était invitée, si E. X... ne bénéficiait pas de la possession d’état d’enfant de M. et Mme X..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 311-1 et 330 du code civil ;
Mais attendu que, saisie d’une demande d’annulation d’un acte dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres, sur le fondement de l’article 48 du code civil, la cour d’appel a constaté que M. et Mme X... avaient produit au consulat de France de faux documents de grossesse et un faux certificat d’accouchement, les échographies et examens médicaux de la mère porteuse ayant été modifiés afin qu’ils confirment une grossesse de l’épouse ; qu’elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à la possession d’état de l’enfant ou à la réalité de la filiation biologique paternelle, que l’acte de naissance dressé sur les registres consulaires était entaché de nullité ;
Et attendu qu’il ne résulte pas des énonciations de l’arrêt que M. et Mme X... aient sollicité, en application de l’article 47 du code civil, la transcription de l’acte de l’état civil indien dont dispose l’enfant ; que dès lors, ils ne sont pas fondés à invoquer la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Une GPA ne justifie pas, à elle seule, le refus de transcrire à l’état civil français l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français
Cour de cassation Assemblée Plénière arrêt du 3 juillet 2015 pourvoi n° 15-50002
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 16 décembre 2014), que L. Y..., reconnue par M. Y... le 1er février 2011, est née le [...], à Moscou ; que son acte de naissance, établi en Russie, désigne M. Patrice Y..., de nationalité française, en qualité de père, et Mme Lilia A..., ressortissante russe, qui a accouché de l’enfant, en qualité de mère ; que le procureur de la République s’est opposé à la demande de M. Y... tendant à la transcription de cet acte de naissance sur un registre consulaire, en invoquant l’existence d’une convention de gestation pour autrui conclue entre M. Y... et Mme A... ;
Attendu que le procureur général fait grief à l’arrêt d’ordonner la transcription, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en I’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de I’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, tel qu’affirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation ;
2°/ qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision. Cette solution, qui ne prive pas I’enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit de l’État étranger lui reconnaît, ni ne l’empêche de vivre au foyer de M. Patrice Y..., ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au sens de I’article 8 de la Convention européenne des droits de I’homme, non plus qu’à son intérêt supérieur garanti par I’article 3 §1 de la Convention internationale des droits de I’enfant ;
Mais attendu qu’ayant constaté que l’acte de naissance n’était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui conclue entre M. Y... et Mme A... ne faisait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance ; que le moyen n’est pas fondé
Cour de cassation Assemblée Plénière arrêt du 3 juillet 2015 pourvoi n° 14-21323
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l’article 47 du code civil et l’article 7 du décret du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives à l’état civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’il résulte des deux premiers de ces textes que l’acte de naissance concernant un Français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, est transcrit sur les registres de l’état civil sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que K. X..., reconnu par M. X... le 10 mars 2011, est né le [...] à Moscou ; que son acte de naissance, établi en Russie, désigne M. Dominique X..., de nationalité française, en qualité de père, et Mme Kristina Z..., ressortissante russe qui a accouché de l’enfant, en qualité de mère ; que le procureur de la République s’est opposé à la demande de M. X... tendant à la transcription de cet acte de naissance sur un registre consulaire, en invoquant l’existence d’une convention de gestation pour autrui conclue entre M. X... et Mme Z... ;
Attendu que, pour refuser la transcription, l’arrêt retient qu’il existe un faisceau de preuves de nature à caractériser l’existence d’un processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. X... et Mme Z... ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle n’avait pas constaté que l’acte était irrégulier, falsifié ou que les faits qui y étaient déclarés ne correspondaient pas à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de transcription de l’acte de naissance de K. X..., l’arrêt rendu le 15 avril 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris
LES EXPLICATIONS DE LA COUR DE CASSATION
Les faits
La Cour était saisie de deux affaires. Dans chacune d’elles, un Français a reconnu la paternité d’un enfant à naître en Russie : l’acte de naissance établi en Russie mentionne l’homme en tant que père et la femme ayant accouché en tant que mère.
L’homme a ensuite demandé la transcription de l’acte de naissance russe à l’état civil français. Mais le procureur de la République s’y est opposé, soupçonnant le recours à une convention de gestation pour le compte d’autrui (GPA).
Repères juridiques
Plusieurs règles de droit étaient en jeu
Art. 310-1 et suiv. du code civil : La filiation s’établit notamment par la reconnaissance paternelle et maternelle. La maternité peut être contestée par le ministère public en rapportant la preuve que la mère n’a pas accouché de l’enfant ; la paternité peut l’être en établissant que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père.
Art. 18 du code civil : Un enfant est français lorsqu’au moins l’un de ses parents est français.
Art. 47 du code civil : L’acte d’état civil d’un Français fait dans un pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
Décret du 3 août 1962 : Un ressortissant français dont l’acte d’état civil a été dressé à l’étranger peut le faire transcrire sur les actes de l’état civil français.
Art. 16-7 et 16-9 du code civil : Toute convention portant sur la GPA est nulle d’une nullité d’ordre public.
La jurisprudence de la Cour de cassation
Dans ses arrêts des 06.04.11, 13.09.13 et 19.03.14, la Cour interdisait à une convention de GPA de produire des effets, car cette convention est nulle, d’une nullité d’ordre public et contraire à un principe essentiel du droit français : celui de l’indisponibilité de l’état des personnes. Ainsi, l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA ne pouvait être transcrit à l’état civil français, même si le père et la mère figurant sur l’acte étaient bien le père biologique et la femme ayant accouché.
La question posée à la Cour de cassation
Le refus de transcription sur les actes de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant dont au moins l’un des parents est français, régulièrement établi dans un pays étranger, peut-il être motivé par le seul fait que la naissance est l’aboutissement d’un processus comportant une convention de GPA ?
La réponse de la Cour de cassation
Les actes de naissance dont la transcription est demandée mentionnent comme père celui qui a effectué une reconnaissance de paternité et comme mère la femme ayant accouché. Dès lors, les règles de transcription sur les actes de l’état civil français, interprétées à la lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, doivent s’appliquer au cas d’espèce. La théorie de la fraude ne peut donc faire échec à la transcription de l’acte de naissance.
L’arrêt qui écartait la demande de transcription au seul motif que la naissance était l’aboutissement d’un processus comportant une convention de GPA est cassé.
Le pourvoi dirigé contre le second arrêt qui ordonnait la transcription en dépit de l’existence d’une convention de GPA est rejeté.
Les espèces soumises à la Cour de cassation ne soulevaient pas la question de la transcription de la filiation établie à l’étranger à l’égard de parents d’intention : la Cour ne s’est donc pas prononcée sur ce cas de figure.
LA GESTATION POUR AUTRUI N'EXISTE PAS EN DROIT FRANCAIS
La première chambre civile en formation plénière à statué sur deux pourvois posant des questions dont les réponses lui commandaient de s’interroger sur la réception en droit français d’une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue à l’étranger par un Français.
La première question était celle de savoir si pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français l’acte d’état civil, établi en Inde, constatant la naissance dans ce pays d’un enfant dont le père est de nationalité française.
Après avoir posé en principe qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, la première chambre civile approuve la cour d’appel d’avoir déduit de l’existence d’un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre le père et la mère de l’enfant, que l’acte de naissance de celui-ci établi par les autorités étrangères ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français.
La seconde question était celle de savoir si pouvait être contestée par le ministère public la reconnaissance de paternité de cet enfant, faite, en France, avant sa naissance, devant un officier de l’état civil.
Observant que l’action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi n’est pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père, la première chambre civile approuve la cour d’appel d’avoir déduit de la fraude à la loi ainsi commise par le père, la nullité de la reconnaissance.
Elle précise qu’en présence de cette fraude, ni les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni celles de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoquées.
Les arrêts ont été rendus sur l’avis conforme de Madame le premier avocat général.
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 13 septembre 2013 N° POURVOI N° 12-30138 CASSATION
Vu les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ensemble l’article 336 du même code ;
Attendu qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public selon les termes des deux premiers textes susvisés ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que des jumeaux sont nés à Mumbai (Inde), de Mme Y... et de M. X..., lequel, de nationalité française, les avait préalablement reconnus en France ; que le 11 mai 2010, ce dernier a demandé la transcription sur un registre consulaire des actes de naissance des enfants ; que sur instructions du procureur de la République, le consulat de France a sursis à cette demande ;
Attendu que, pour ordonner cette transcription, la cour d’appel a retenu que la régularité formelle et la conformité à la réalité des énonciations des actes litigieux n’étaient pas contestées ;
Sur le premier moyen, pris en ses première, quatrième, sixième et septième branches :
Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l’arrêt de refuser d’ordonner la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil français
Mais attendu qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue entre M. X... et Mme Y..., en a déduit à bon droit que l’acte de naissance de l’enfant établi par les autorités indiennes ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français ;
Qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé
Sur le second moyen, pris en ses diverses branches :
Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l’arrêt d’annuler la reconnaissance de paternité de M. X...
Mais attendu que l’action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi, fondée sur l’article 336 du code civil, n’est pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père au sens de l’article 332 du même code ; qu’ayant caractérisé la fraude à la loi commise par M. X..., la cour d’appel en a exactement déduit que la reconnaissance paternelle devait être annulée ;
Qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits
de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 6 avril 2011 N° POURVOI N° 09-66486 REJET
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'avoir déclaré le ministère public recevable en son action
Mais attendu qu'ayant relevé que
le ministère public contestait l'opposabilité en France, au regard de la
conception française de l'ordre public international, des jugements étrangers
validant une gestation pour le compte d'autrui, la cour d'appel en a exactement
déduit qu'il justifiait d'un intérêt à agir pour la défense de l'ordre public,
en application de l'article 423 du code de procédure civile ; que le moyen n'est
pas fondé
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande,
Mais attendu qu'est justifié le
refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision
étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de
cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des
principes essentiels du droit français ; qu'en l'état du droit positif, il est
contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, principe
essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation,
à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle
licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des
articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Que, dès lors, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que dans la mesure où ils
donnaient effet à une convention de cette nature, les jugements "américains" du
4 juin 2001 étaient contraires à la conception française de l'ordre public
international, en sorte que l'acte de naissance litigieux ayant été établi en
application de ces décisions, sa transcription sur les registres d'état civil
français devait être, dans les limites de la demande du ministère public,
rectifiée par voie de suppression de la mention de Mme Y... en tant que mère ;
qu'une telle rectification, qui ne prive pas l'enfant de sa filiation
paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit de l'Etat du Minnesota
lui reconnaît, ni ne l'empêche de vivre avec les époux X... en France, ne porte
pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au
sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non plus
qu'à son intérêt supérieur garanti par l'article 3 §1 de la Convention
internationale des droits de l'enfant ; que le moyen n'est pas fondé
La gestation pour autrui est contraire au droit français, confirmations.
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 6 avril 2011 N° POURVOI N° 10-19053 REJET
Mais attendu qu'est justifié le
refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision
étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de
cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des
principes essentiels du droit français ; qu'en l'état du droit positif, il est
contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, principe
essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation,
à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle
licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des
articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Que dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que dans la mesure où il
donnait effet à une convention de cette nature, le jugement "américain" du 14
juillet 2000 était contraire à la conception française de l'ordre public
international, en sorte que les actes de naissance litigieux ayant été établis
en application de cette décision, leur transcription sur les registres d'état
civil français devait être annulée ; qu'une telle annulation, qui ne prive pas
les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien
leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France, ne
porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces
enfants au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme, non plus qu'à leur intérêt supérieur garanti par l'article 3 § 1 de la
Convention internationale des droits de l'enfant ; que le moyen n'est pas fondé
COUR DE CASSATION 1ere Chambre Civile arrêt du 6 avril 2011 N° POURVOI N° 09-17130 REJET
Mais attendu qu'en l'état du
droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des
personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une
convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, nulle d'une nullité
d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que ce
principe fait obstacle aux effets en France d'une possession d'état invoquée
pour l'établissement de la filiation en conséquence d'une telle convention,
fût-elle licitement conclue à l'étranger, en raison de sa contrariété à l'ordre
public international français;
Que dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit, qu'en l'état de la
convention du 29 octobre 2000 portant sur la gestation pour le compte d'autrui,
la possession d'état de Y... à l'égard de M. et Mme X... ne pouvait produire
aucun effet quant à l'établissement de sa filiation ; qu'une telle situation,
qui ne prive pas l'enfant de la filiation maternelle et paternelle que le droit
de l'Etat du Minnesota lui reconnaît ni ne l'empêche de vivre avec les époux
X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et
familiale de cette enfant au sens de l'article 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme, non plus qu'à son intérêt supérieur garanti par l'article 3 §
1 de la Convention internationale des droits de l'enfant;
D'où il suit que la cour d'appel a rejeté à bon droit la demande des époux X...
et de Mme A... en transcription du certificat de notoriété constatant la
possession d'état de Y...
LE TESTAMENT DOIT ETRE CONFORME A L'ORDRE PUBLIC INTERNE
Cour de Cassation, 1ere chambre civil arrêt du 21 novembre 2012, pourvois n° 10-17.365 et 10-30.845 Cassation
Vu les articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 455 du code de procédure civile
Attendu qu’ayant constaté que le testament litigieux contenait une clause ainsi rédigée : “A la mort du dernier survivant des époux susdits, de tous les biens qui se trouveront disponibles au moment de leur décès, lesdits enfants prélèveront la somme de cent dirhams pour chacun d’eux... Le restant des biens disponibles, comme mentionné ci-dessus, revient de droit à la célibataire Sonia B..., dès maintenant et une heure après la mort du dernier survivant des époux susdits la nue-propriété et l’usufruit, mais à la condition expresse qu’elle s’occupera de sa soeur Nicole C..., soit au Maroc soit à l’étranger... A la mort de la dernière fille, tous les biens disponibles, biens meubles et immeubles et tout ce qui pourra avoir une valeur quelconque, revient de droit à leur fils aîné Armand mais à la condition que sa femme et ses enfants soient déjà convertis à la religion juive. Au cas où il n’exécuterait pas cette clause, toute la succession sera dévolue à la Koupa de Rabby Simon D......”, la cour d’appel a rejeté la demande de M. Z... en nullité de ce testament, sans rechercher comme il le lui était demandé si la clause précitée ne portait pas atteinte à l’ordre public interne, notamment au regard des deux premiers des textes susvisés, méconnaissant ainsi les exigences du troisième de ces textes
à l'égard de M. et Mme X... ainsi que celle, subsidiaire, de M. X... visant à voir établi le lien de filiation existant entre lui et cette enfant par la possession d'état ; que les moyens ne sont pas fondés
COUR DE CASSATION FRANÇAISE SUR LA PMA
Cour de Cassation, 1ere chambre civil arrêt du 18 décembre 2019, pourvois n° 18-14.751 et 18-50.007 Cassation
Vu les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 du code civil :
5. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
6. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
7. Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
8. Il se déduit de ces textes qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger d’un enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né d’une assistance médicale à la procréation ni celle que cet acte désigne la mère ayant accouché et une autre femme en qualité de mère ou de parent ne constituent un obstacle à sa transcription sur les registres français de l’état civil, lorsque l’acte est probant au sens de l’article 47 du code civil.
9. Pour rejeter la demande de transcription de l’acte de naissance de B... s’agissant de la désignation de Mme A... comme parent et la demande de transcription de l’acte de naissance de C... s’agissant de la désignation de Mme Y... comme parent, l’arrêt retient que les actes de naissance, bien que réguliers et non falsifiés, désignent respectivement Mmes A... et Y... comme parent sans qu’une adoption n’ait consacré le lien de filiation à l’égard de la conjointe de la mère et alors qu’un enfant ne peut avoir qu’une seule mère biologique.
10. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que les actes de l’état civil étrangers étaient réguliers, exempts de fraude et avaient été établis conformément au droit en vigueur en Angleterre, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
LE DROIT DE LA MERE DE PROUVER QU'ELLE N'EST PAS LA MERE
Cour de Cassation, première Chambre civile arrêt du 15 janvier 2020, pourvoi n° 19-12.348 rejet
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), les 2 juillet et 28 août 2015, Mme X... a assigné Mme C... Y..., née le [...] à Adzopé (Côte d’Ivoire), et M. B... Y..., né le [...] à Adzopé (les consorts Y...) devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir juger qu’elle n’est pas leur mère et, avant dire droit, ordonner une expertise biologique afin d’établir l’absence de lien de filiation.
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, selon l’article 333, alinéa 2, du code civil, nul, à l’exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement.
5. Selon l’article 2234 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
6. Le premier de ces textes édicte un délai de forclusion (1re Civ., 1er février 2017, pourvoi n° 15-27.245, Bull. 2017, I, n° 35), qui n’est pas susceptible de suspension en application du second, lequel ne vise que les délais de prescription. Il résulte en effet de l’article 2220 du code civil que les délais de forclusion ne sont pas régis par le titre XXe du livre III du code civil sur la prescription extinctive, sauf dispositions légales contraires.
7. La cour d’appel, qui a fait application de l’article 333, alinéa 2, n’était donc pas tenue de s’interroger sur une éventuelle impossibilité d’agir de Mme X..., par suite d’un empêchement.
8. En second lieu, la cour d’appel, après avoir relevé que Mme X... ne rapportait pas la preuve que le jugement de divorce du 10 décembre 1982 était faux, a souverainement estimé, sans être tenue de suivre celle-ci dans le détail de son argumentation, qu’il résultait de l’ensemble des éléments soumis à son examen que l’intéressée avait traité les consorts Y... comme ses enfants et qu’ils s’étaient comportés comme tels, qu’elle avait pourvu à leur éducation et à leur entretien, qu’ils étaient reconnus par la société et par la famille comme ses enfants, qu’ils étaient considérés comme tels par l’autorité publique, caractérisant ainsi une possession d’état publique, paisible et non équivoque, conforme à leurs titres, d’une durée d’au moins cinq ans.
9. Elle en a exactement déduit que Mme X... était irrecevable en son action en contestation de maternité.
10. Le moyen qui, en sa troisième branche, critique des motifs surabondants, n’est donc pas fondé.
LE PÈRE LÉGAL A LE DROIT D'AVOIR UNE PATERNITÉ INCONTESTÉE
Cette question est dans la marge d'appréciation des États à condition de ne pas être inflexible.
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Mandet c. France du 14 janvier 2016 requête 30955/12
NON VIOLATION de l'article 8 : Des histoires d'amours à la parisienne, les deux premiers requérants se marient et ont trois enfants, ils divorcent. Pendant la procédure de divorce, madame a une relation sentimentale avec un autre homme. Après la séparation de corps, elle tombe enceinte du troisième requérant. Le deuxième requérant reconnaît l'enfant et se remarie avec la première requérante soit l'épouse avec qui, il avait divorcé quelques années plus tôt. Le deuxième homme poursuit devant le tribunal pour demander la nullité de la reconnaissance de l'enfant de la part du mari de cet dame puisqu'il avait des relations intimes avec elle pendant la conception. Après le refus des requérants de subir une expertise par ADN, les juridictions françaises constatent que la présomption de paternité en faveur du mari ne peut s'appliquer puisque la séparation de corps était prononcée au moment de la conception. La reconnaissance de paternité est annulée, le second homme est déclaré père et la mère garde le droit de garde. Le second homme bénéficie de droits de visites. La CEDH a considéré que les juridictions françaises sont restées à l'intérieur de leur pouvoir d'appréciation.
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 et sur l’existence d’une « ingérence » dans l’exercice du droit qu’il protège
44. La Cour relève que les juridictions internes ont annulé la reconnaissance de paternité effectuée par le deuxième requérant ainsi que la légitimation subséquente du troisième requérant, ont décidé que ce dernier reprendrait le nom de sa mère, ont déclaré que M. Glouzmann était son père et ont organisé le droit de visite et d’hébergement de celui-ci. Elle observe qu’en annulant le lien de filiation qu’il avait à l’égard du deuxième requérant, les juridictions internes ont, sur le plan juridique, modifié l’un des éléments importants de la structure familiale dans laquelle il évoluait depuis plusieurs années, et l’ont remplacé par un autre lien de filiation paternelle. Elle rappelle que la « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention, peut intégrer des aspects de l’identité non seulement physique mais aussi sociale de l’individu (voir, par exemple, Mennesson c. France, no 65192/11, § 46, CEDH 2014). Cela inclut la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu (ibidem), la Cour ayant du reste plus précisément jugé que la reconnaissance comme l’annulation d’un lien de filiation touche directement à l’identité de l’homme ou de la femme dont la parenté est en question (voir, par exemple, Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, I.L.V. c. Roumanie (déc.), no 4901/04, § 33, 24 août 2010, Krušković, précité, § 18, et Canonne c. France (déc.), no 22037/13, § 25, 2 juin 2015). En outre, en tant que moyen d’identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d’une personne concerne la vie privée et familiale de celle-ci (voir, par exemple, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 24, série A no 280-B, et Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, § 37, série A no 299-B).
45. La Cour en déduit que l’article 8 de la Convention s’applique en l’espèce et que la mesure que dénoncent les requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice par le troisième d’entre eux non seulement de son droit au respect de sa vie familiale mais aussi de son droit au respect de sa vie privée. Cela n’a d’ailleurs pas prêté à controverse entre les parties.
46. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
b) Prévue par la loi
47. Au vu de l’article 339 du code civil (paragraphe 20 ci-dessus) et relevant que les requérants ne soutiennent pas que l’ingérence n’était pas « prévue par la loi », la Cour juge cette condition remplie.
c) But légitime
48. Quant au but poursuivi, le Gouvernement fait valoir que l’action en contestation de paternité vise à établir la vérité biologique sur un aspect particulièrement important de la vie familiale et d’informer l’enfant sur son identité. Il en déduit que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale qui résulte de l’annulation d’une reconnaissance de paternité et de la désignation judiciaire subséquente d’un autre père ainsi que des conséquences de ces mesures, a pour but « la protection des droits et libertés d’autrui » au sens du second paragraphe de l’article 8 : ceux du parent biologique et ceux de l’enfant concernés.
49. La Cour observe qu’une lecture littérale stricte du terme « autrui », au sens de l’article 8 de la Convention, conduit à considérer qu’il ne désigne pas celui qui s’oppose à une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale sur le fondement de cette même disposition. Il ne s’agit donc pas en principe d’un enfant qui, tel le troisième requérant, défendeur dans une procédure en contestation ou en reconnaissance de paternité, fait valoir ce droit à l’appui de son refus de voir sa filiation légale et son patronyme modifiés. La Cour doit toutefois souligner que ce constat n’enlève rien au fait que l’obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale des enfants et autres individus vulnérables que pose l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Bevacqua et S. c. Bulgarie, no 71127/01, § 64, 12 juin 2008) peut parfois exiger que les juridictions prennent des mesures que ceux-ci désapprouvent.
50. Cela étant, la Cour constate que les mesures décidées en l’espèce visaient à la protection des droits de M. Glouzmann, qui, demandeur devant les juridictions internes, entendait faire reconnaître sa paternité à l’égard du troisième requérant. Prise sous cet angle, l’ingérence dénoncée avait pour but « la protection des droits et libertés d’autrui », l’ « autrui » étant M. Glouzmann.
d) Nécessité dans une société démocratique
51. Il reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but poursuivi, étant entendu que la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Negrepontis-Giannisis c. Grèce, no 56759/08, § 61, 3 mai 2011).
52. Pour ce faire, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, qui bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, parmi d’autres, A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 66, 18 février 2014). L’étendue de la marge d’appréciation dont disposent ainsi les États parties varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. D’un côté, la Cour a jugé qu’elle est d’ordinaire restreinte lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu (voir, par exemple, Ahrens c. Allemagne, no 45071/09, § 68, 22 mars 2012, A.L., précité, § 68, et Mennesson, précité, § 77), ce qui est le cas dès lors que l’on touche à la filiation (voir, par exemple, Mennesson précité, § 80). De l’autre côté, la Cour a jugé dans l’affaire Ahrens (arrêt précité, § 70 ; voir aussi A.L., précité, § 68) qu’elle est plus large lorsqu’il s’agit de déterminer le statut juridique de l’enfant que lorsqu’il s’agit de trancher des questions en rapport avec les droits relatifs au maintien du lien entre un enfant et un parent. Elle a déduit de cet élément ainsi que, notamment, de l’absence de consensus entre les États parties sur la question, que la décision de savoir si un individu devait être autorisé à contester la paternité légalement établie à l’égard d’un enfant dont il pense être le père biologique tombait dans la marge d’appréciation desdits États (Ahrens, précité, § 75). Elle a également jugé que la marge d’appréciation de ceux-ci est importante lorsque, comme en l’espèce, il s’agit de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus (voir, par exemple, Ahrens, précité, § 68, A.L. précité, § 68, Ashby Donald et autres c. France, no 36769/08, § 40, 10 janvier 2013, A.L., précité, § 68, et Canonne, précité, § 29). L’on ne saurait donc retenir que l’État défendeur ne disposait en l’espèce que d’une marge d’appréciation réduite.
53. Les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue, et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (voir, parmi de nombreux autres, Mennesson, précité, § 81, et Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, §§ 133-134, 28 juin 2007).
54. En l’espèce, la Cour note avant tout qu’il n’est pas exact que les juridictions internes aient fait du refus du troisième requérant de se soumettre à l’expertise ordonnée avant dire droit un élément corroborant leurs conclusions quant au caractère mensonger de la reconnaissance de paternité dont il avait été l’objet. Il ressort en effet de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 8 avril 2010 que ce qu’elles ont pris en compte à cet égard, est le refus des premiers requérants de se plier à cette expertise ainsi que leur refus de conduire le troisième requérant – âgé de moins de dix ans lorsqu’elle a été ordonnée – auprès de l’expert. Quant à leur constat relatif au lien de filiation entre le troisième requérant et M. Glouzmann, il ne repose pas sur ce refus des premiers requérants mais sur la détermination de la période légale de conception et sur l’appréciation des éléments produits contradictoirement par les parties. À ce titre, la Cour d’appel a retenu que les premiers requérants ne prouvaient pas qu’une cohabitation ou des relations intimes avaient été maintenues entre eux durant la période de conception et, à l’inverse, qu’il était établi que M. Glouzmann entretenait des relations intimes avec la première requérante et vivait avec elle, non seulement au moment de la conception mais aussi après la naissance, et que le troisième requérant était connu comme leur enfant.
55. La Cour observe ensuite que le tribunal de grande instance de Nanterre a désigné une administratrice ad hoc pour représenter les intérêts du troisième requérant dans la procédure, mais que l’administratrice ad hoc n’a pu le rencontrer parce que les requérants avaient quitté la France au début de la procédure interne et que, semble-t-il, le troisième d’entre eux n’y était plus revenu avant la fin de celle-ci. Par ailleurs, la Cour de cassation a examiné la question du droit de l’enfant d’être entendu dans la procédure et a jugé que ce droit avait été respecté. Elle a relevé à cet égard que le troisième requérant avait été informé de la procédure et savait que sa filiation était contestée, et qu’il avait, depuis Dubaï, envoyé des lettres aux juges du fond dans lesquelles il avait exprimé son souhait de ne pas changer de nom et de conserver sa filiation paternelle à l’égard du deuxième requérant, sans toutefois solliciter directement son audition. La Cour en déduit que, dans les circonstances de la cause, on ne saurait retenir que les juridictions internes n’ont pas fait ce que l’on pouvait attendre d’elles pour, comme il se devait (voir M. et M. c. Croatie, no 10161/13, § 181, 3 septembre 2015), impliquer le troisième requérant dans le processus décisionnel.
56. Elle relève de plus qu’il ressort des motifs des décisions des juridictions internes qu’elles ont dûment placé l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur de leurs considérations. Ce faisant, sans pour autant condamner la volonté des premiers requérants de préserver la famille constituée après leur remariage, elles ont retenu que, même si le troisième requérant considérait le deuxième requérant comme son père et avait noué des liens affectifs très forts avec lui, son intérêt était avant tout de connaître la vérité sur ses origines (paragraphes 14-15 ci-dessus).
57. Il apparaît à la Cour que les juridictions n’ont pas omis d’accorder comme il se devait un poids décisif à l’intérêt supérieur de l’enfant, mais ont jugé en substance que cet intérêt ne se trouvait pas tant là où le troisième requérant le voyait – le maintien de la filiation alors établie et la préservation de la stabilité affective dans laquelle il se trouvait – que dans l’établissement de sa filiation réelle. Autrement dit, leur décision ne revient pas à faire indûment prévaloir sur l’intérêt du troisième requérant celui de M. Glouzmann à voir sa paternité reconnue, mais à retenir que l’intérêt de l’un et celui de l’autre se rejoignent en partie.
58. Il reste, certes, sur le plan de la proportionnalité, que la procédure interne et les décisions relatives à la filiation et au nom du troisième requérant ainsi qu’au droit de visite et d’hébergement de M. Glouzmann étaient de nature à jeter un trouble dans la vie privée et familiale du troisième requérant, d’autant plus qu’elles sont intervenues pendant son enfance et son adolescence (il avait huit ans et demi au moment de la saisine des juridictions internes, environ douze ans à la date du jugement de première instance et environ quinze ans à celle de l’arrêt de cassation). Il faut toutefois noter que, les juridictions internes ayant confié l’exercice de l’autorité parental à la première requérante, leurs décisions ne faisaient pas obstacle à ce qu’il continue à vivre au quotidien au sein de la famille constituée autour des premiers requérants, conformément à son souhait (comparer avec Nazarenko c. Russie, no 39438/13, 16 juillet 2015). De fait, il a évolué au sein de cette famille jusqu’à sa majorité.
59. La Cour prend la juste mesure de l’impact de l’ingérence litigieuse sur la vie privée et familiale du troisième requérant. Elle considère cependant qu’en jugeant que l’intérêt supérieur de l’enfant se trouvait moins dans le maintien de la filiation établie par la reconnaissance de paternité effectuée par le deuxième requérant que dans l’établissement de sa filiation réelle – ce en quoi son intérêt rejoignait en partie celui de M. Glouzmann –, les juridictions internes n’ont pas excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient.
60. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef du troisième requérant.
Nazarenko c. Russie du 16 juillet 2015 requête no 39438/13
Inflexibilité du droit russe de la famille : exclusion complète et automatique d’un père non biologique de la vie de son enfant après qu’il eut été reconnu qu’il n’en était pas le géniteur
En l’espèce, l’enfant est née alors que le requérant était marié et elle a été inscrite sur les registres de l’état civil comme sa fille. Il a pris soin d’elle pendant cinq ans et il a développé avec elle un lien affectif étroit, l’un et l’autre croyant être père et fille. La Cour conclut donc que, malgré l’absence de lien biologique, la relation entre le requérant et l’enfant était constitutive d’une vie familiale. À cet égard, elle confirme que l’absence de liens biologiques avec un enfant n’implique pas l’absence de vie familiale aux fins de l’article 8 de la Convention ; il s’agit essentiellement de savoir s’il existait en pratique des liens personnels étroits entre les intéressés.
Examinant la question de savoir s’il y a eu atteinte au droit du requérant au respect de sa vie familiale, la Cour exprime sa préoccupation à l’égard de l’inflexibilité du droit interne. Celui-ci, plus précisément le code de la famille, ne prévoit aucune exception qui aurait permis à M. Nazarenko de maintenir une forme quelconque de relations avec l’enfant bien qu’il n’eût pas de liens biologiques avec elle. Notamment, le code de la famille dispose que seuls les parents, les grands-parents, les frères, les soeurs et les autres membres de la famille peuvent demeurer en contact. Ainsi, les personnes qui, comme M. Nazarenko, ne sont pas liées biologiquement à un enfant mais en ont pris soin pendant longtemps et ont noué une relation personnelle étroite avec lui ne peuvent obtenir de droit de visite, et ce indépendamment de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les circonstances de l’espèce, intérêt dont il n’est nullement tenu compte.
La Cour considère que les autorités nationales devraient être tenues d’examiner au cas par cas la question de savoir s’il est dans l’intérêt supérieur d’un enfant de demeurer en contact avec une personne qui a pris soin de lui pendant relativement longtemps, qu’il soit ou non lié biologiquement à cette personne.
Au vu des faits de l’affaire de M. Nazarenko, la Cour conclut que les autorités ont manqué à ménager une possibilité de maintenir les liens familiaux entre lui et A., et qu’en l’excluant complètement et automatiquement de la vie de l’enfant après avoir déclaré qu’il n’en était juridiquement pas le père, sans pouvoir tenir compte de l’intérêt supérieur de cet enfant (du fait de l’inflexibilité du droit interne), elles ont manqué à respecter sa vie familiale, en violation de l’article 8.
Deux Arrêts du 22 mars 2012 Ahrens C. Allemagne requête n° 45071/09 et Kautzor C. Allemagne requête 23338/09
Refus légitime des juridictions allemandes d’autoriser deux pères présumés à contester la paternité d’un autre homme
Article 8
Dans les deux affaires, la Cour estime que les décisions des juridictions allemandes de rejeter les demandes des requérants pour faire établir légalement leur paternité – à l’égard de l’enfant biologique du premier et de l’enfant biologique présumée du second – a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée découlant de l’article 8. Elle considère toutefois que ces décisions ne s’analysent pas en une atteinte à leur vie familiale aux fins de l’article 8, dès lors qu’il n’y a jamais eu de relations personnelles étroites entre les requérants et les enfants en question.
Dans une autre affaire, Anayo c. Allemagne2, la Cour avait conclu à la violation de l’article 8 en raison du refus des juridictions allemandes d’autoriser un homme à avoir des contacts avec ses enfants biologiques, au motif que l’intéressé n’entretenait pas de relations sociales et familiales avec eux. Les procédures engagées par M. Ahrens et M. Kautzor visaient cependant un objectif bien plus ambitieux, puisqu’ils souhaitaient obtenir le statut juridique plein et entier de père et ainsi remettre en cause la paternité du père légal existant. Par ailleurs, M. Kautzor se plaignait de ne pas avoir la possibilité de faire reconnaître officiellement sa paternité alléguée sans modifier le statut juridique de l’enfant.
La Cour observe que, selon l’étude comparative qu’elle a menée, la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe autorisent le père biologique présumé à contester la paternité légale d’un autre homme établie par reconnaissance de l’enfant, même lorsque le père légal vit avec l’enfant dans le cadre d’une relation sociale et familiale. Cependant, dans une minorité non négligeable de neuf Etats membres, le père biologique présumé n’a pas le droit de contester la paternité du père légal. Aucun consensus ne se dégage donc et les Etats jouissent ainsi d’une ample marge d’appréciation en ce qui concerne les règles permettant de déterminer le statut juridique d’un enfant.
S’il était dans l’intérêt des requérants de faire établir un élément important de leur vie privée et de le faire reconnaître légalement, les décisions des juridictions allemandes visaient à respecter la volonté du législateur, consistant à faire prévaloir une relation familiale existante entre l’enfant et son père légal – le second dispensant au quotidien des soins parentaux au premier – par rapport à la relation entre le père biologique (allégué) et l’enfant. On peut déduire de l’arrêt Anayo c. Allemagne que, en vertu de l’article 8, les Etats sont tenus de rechercher s’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre au père biologique de nouer une relation avec celui-ci, par exemple en accordant un droit de visite. Cependant, cela n’implique pas nécessairement une obligation fondée sur la Convention d’autoriser le père biologique à contester le statut du père légal.
Concernant la cause de M. Kautzor, la Cour observe qu’aucun des vingt-six Etats membres sur lesquels elle s’est penchée n’est doté d’une procédure permettant de faire établir la paternité biologique sans contester formellement la paternité du père reconnu.
Décider s’il convient ou non d’autoriser pareil examen séparé relève donc également de la marge d’appréciation laissée aux Etats.
De surcroît, la Cour constate que, dans les deux affaires, les juridictions allemandes ont examiné la situation en cause avec la diligence requise. Elle conclut donc dans les deux affaires à la non-violation de l’article 8.
Article 8 combiné avec l’article 14
La Cour observe que la principale raison pour laquelle les requérants ont été traités différemment de la mère, du père légal et de l’enfant quant à la possibilité de contester la paternité – et, dans l’affaire de M. Kautzor, quant au test génétique – tient au but consistant à protéger l’enfant et sa famille sociale des perturbations extérieures. Compte tenu de ses conclusions sous l’angle de l’article 8, la Cour estime que la décision de faire prévaloir la relation familiale existante entre l’enfant et ses parents légaux par rapport à la relation entre l’enfant et le père biologique relève, pour ce qui est du statut juridique, de la marge d’appréciation de l’Etat.
ARRÊT CHAVDAROC C. BULGARIE DU 21 DECEMBRE 2010 REQUÊTE 3465/03
Le requérant, Atanas Chavdarov, est un ressortissant bulgare né en 1973 et résidant à Ruptzi (Bulgarie). En 1989, il s’installa avec une femme mariée (mais vivant séparément de son époux), qui donna naissance à trois enfants en 1990, 1995 et 1998, alors qu’ils vivaient ensemble. L’époux de la femme apparaissait comme père des enfants dans leurs actes de naissance et les enfants portent son nom de famille.
Fin 2002, la femme quitta M. Chavdarov et les enfants pour s’établir avec un autre partenaire. Depuis lors et selon ses dires, M. Chavdarov vit avec les trois enfants.
Début 2003, M. Chavdarov consulta un avocat dans la perspective d’ouvrir une procédure de reconnaissance de paternité. L’avocat l’informa toutefois que le droit bulgare ne lui offrait pas de possibilité en ce sens, car la présomption de paternité de l’époux ne pouvait pas être contestée. M. Chavdarov saisit donc la Cour directement, quelques jours plus tard.
La Cour note que la Bulgarie a l’obligation d’assurer le respect de la « vie familiale », lorsqu’une telle vie existe, mais qu’elle dispose d’une certaine marge d’appréciation pour ce faire.
La Cour vérifie donc tout d’abord si les relations existant entre M. Chavdarov et les trois enfants constituent une « vie familiale ». Elle relève tout d’abord que la longue cohabitation (1989-2002) de M. Chavdarov et son ancienne compagne et la naissance des trois enfants au cours de celle-ci indiquent que l’on est en présence d’une cellule familiale de fait, au sein de laquelle M. Chavdarov a pu développer des liens d’affection avec les enfants. Son attachement à leur égard ressort également des démarches qu’il a rapidement entreprises après la séparation en vue de pallier l’abence de tout lien de filiation entre les enfants et lui, ainsi que du fait que les enfants habiteraient avec lui depuis la séparation. Pour la Cour, il est donc établi que les liens entre M. Chavdarov et les trois enfants dont il dit être le père biologique relèvent bien de la « vie familiale » au sens de la Convention.
La Cour examine ensuite si la Bulgarie a fait ce qu’elle devait pour assurer le respect effectif de cette « vie familiale ». Sur ce point elle constate avant tout que l’existence de la famille formée par M. Chavdarov et les trois enfants n’a été menacée à aucun moment ni par les autorités ni par la mère ou son mari. La Cour prend également en compte la marge d’appréciation confiée à l’Etat dans la réglementation des relations de filiation, et constate qu’il n’y a pas de consensus à l’échelle européenne sur le point de savoir si la législation interne doit permettre au père biologique de contester la présomption de paternité du mari. Elle souligne que même si M. Chavdarov ne peut pas intenter d’action en contestation de la filiation paternelle des trois enfants, le droit interne ne le privait pas de toute possibilité d’établir un lien de paternité vis-à-vis de ceux-ci ou de pallier les inconvénients d’ordre pratique engendrés par l’absence d’un tel lien (il pouvait notamment solliciter l’adoption des enfants, ou demander aux services sociaux le placement des enfants sous sa responsabilité en tant que proche personne de mineurs abandonnés). Etant donné qu’il n’a pas démontré s’être prévalu de ces possibilités, la Cour ne saurait tenir les autorités de l’Etat pour responsables de sa propre passivité. Le respect des intérêts légitimes des enfants a également été assuré par la législation interne.
La Cour conclut, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8.
Marinis C. Grèce du 9 octobre 2014, requête 3004/10
non violation de l'article 8 : Le père biologique voulait la déchéance du père légal pour pouvoir avoir des liens de filiation avec l'enfant. Le père biologique a été rejeté dans l'intérêt supérieur de l'enfant. La CEDH confirme les décisions internes.
a)L’existence d’une ingérence dans la « vie privée du requérant
56. La Cour rappelle que la notion de « vie familiale » visée par l’article 8 de la Convention ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d’autres liens « familiaux » de facto lorsque les personnes cohabitent en dehors du mariage (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290, et Kroon et autres, précité, § 30). En effet, l’article 8 de la Convention doit s’étendre, quand les circonstances le commandent, à la relation qui pourrait se développer entre un enfant né hors mariage et son père naturel. À cet égard, les facteurs à prendre en compte comprennent la nature de la relation entre les parents naturels, ainsi que l’intérêt et l’attachement manifestés par le père naturel pour l’enfant avant et après la naissance (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999‑VI, Nekvedavicius c. Allemagne (déc.), no 46165/99, 19 juin 2003, L. c. Pays-Bas, no 45582/99, § 36, CEDH 2004‑IV, Anayo c. Allemagne, no 20578/07, § 57, 21 décembre 2010, et Ahrens c. Allemagne, no 45071/09, § 58, 22 mars 2012).
57. La Cour note d’emblée que le requérant se plaint concrètement de l’impossibilité d’établir un lien de paternité vis-à-vis de l’enfant dont il affirme être le père biologique. Dès lors, elle estime nécessaire d’établir d’abord si les relations existant entre le requérant et l’enfant peuvent s’analyser en une « vie familiale » aux termes de l’article 8 de la Convention (Chavdarov, précité, § 39). Or, il ressort des faits de la cause que le requérant n’a en fait jamais vu l’enfant ni entretenu un quelconque lien affectif avec elle, du moins pendant la période au cours de laquelle la procédure en contestation de paternité était pendante (paragraphes 11-15 ci-dessus) – le requérant s’étant marié avec T.P. un mois après le prononcé de l’arrêt no 18/2009 de la Cour de cassation. Dans ces circonstances, la Cour estime que le lien du requérant avec l’enfant constitue une base insuffisante en droit et en fait pour que la relation alléguée puisse relever de la notion de « vie familiale » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nylund et Ahrens, § 59, précités).
58. La Cour rappelle cependant que l’article 8 de la Convention protège la vie « privée » à l’égal de la vie « familiale ». Elle a déjà constaté à plusieurs occasions que les procédures en reconnaissance ou en contestation de paternité concernent la « vie privée » du père présumé au sens de cette disposition, car elles englobent des aspects importants de l’identité de ce dernier (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, Nylund, précitée, Yildirim c. Autriche (déc.), n 34308/96, 19 octobre 1999, Krušković c. Croatie, no 46185/08, § 20, 21 juin 2011, et Ahrens, précité, § 60). La Cour ne voit aucune raison de se prononcer différemment en l’espèce. Elle considère donc que la décision de rejeter l’action en contestation de paternité du requérant a constitué une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée. Une telle ingérence serait contraire à l’article 8 de la Convention sauf si elle était « prévue par la loi », poursuivait un but légitime et était « nécessaire dans une société démocratique ».
b) La justification de l’ingérence
i) Ingérence « prévue par la loi »
59. En l’occurrence, la Cour note que la décision des juridictions internes de rejeter l’action du requérant était fondée sur l’article 1469 du CC, lequel énumère de manière limitative les personnes qui ont le droit d’introduire en leur nom propre une action en contestation de paternité ; partant, l’ingérence était « prévue par la loi ».
ii) But légitime
60. La Cour estime par ailleurs que cette ingérence poursuivait aussi un but légitime : en limitant le nombre de personnes et en excluant les hommes avec lesquels la mère avait eu des relations sexuelles avant son mariage du cercle des personnes ayant qualité pour contester la paternité relative à l’enfant né pendant le mariage, l’article 1469 du CC, tel qu’appliqué en l’espèce, tendait à protéger les membres de la cellule familiale contre des demandes intempestives et des risques d’injustice si les tribunaux étaient amenés à constater des faits remontant à un passé révolu (voir, mutatis mutandis, Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 43, 6 juillet 2010). L’ingérence litigieuse tendait donc à la protection des « droits et libertés d’autrui ».
iii) Nécessité de l’ingérence
61. Par ailleurs, afin de déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour se réfère aux principes établis par sa jurisprudence. Elle doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Sans doute, l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est toujours d’une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte. Il faut en plus avoir à l’esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de contestation de paternité, mais il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, mutatis mutandis, Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 62, CEDH 2003‑VIII).
62. En l’espèce, la Cour note que, si l’issue de l’action du requérant lui avait été favorable, celui-ci aurait obtenu le statut juridique plein et entier de père de l’enfant et tous les liens entre cette enfant, qui était née pendant le mariage de T.P. et de C.P., avec ce dernier – qui était son père putatif – auraient été affectés. La procédure litigieuse avait donc un but fondamentalement différent et une portée beaucoup plus grande que le simple établissement de la paternité biologique (Ahrens, précité, § 67). À cet égard, la Cour rappelle qu’une simple parenté biologique dépourvue de tous les éléments juridiques ou factuels indiquant l’existence d’une relation personnelle étroite ne saurait être considérée comme suffisante pour entraîner la protection de l’article 8 (L. c. Pays-Bas, précité, § 37).
63. La Cour rappelle que, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. À cet égard, l’expression « toute personne » dans l’article 8 vise tant l’enfant que le père putatif. D’une part, toute personne a un intérêt vital, protégé par la Convention, d’avoir accès à des informations lui permettant de découvrir la vérité concernant un aspect important de son identité et d’éliminer toute incertitude y relative. D’autre part, il est indéniable qu’un père putatif doit être protégé contre des demandes relatives à des faits qui remontent à un passé révolu. Enfin, en sus de ce conflit d’intérêts, d’autres intérêts peuvent entrer en ligne de compte, comme ceux des tiers, notamment de la famille du père putatif, ainsi que l’intérêt général de la sécurité juridique (Backlund, précité, § 46).
64. Par ailleurs, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large (S.H. et autres c. Autriche [GC], 57813/00, § 94, 3 novembre 2011).
65. Compte tenu de l’absence d’un consensus dans la législation des États membres sur ce point et de leur grande marge d’appréciation en matière de statut juridique, la Cour considère que la question de savoir si le père biologique allégué devrait être autorisé à contester la paternité relative à un enfant né pendant le mariage de sa mère avec un autre homme relève de la marge d’appréciation des États (voir, mutatis mutandis, Ahrens, précité, § 75).
66. La Cour observe à cet effet que les données de droit comparé dont elle dispose, telles qu’établies dans l’arrêt Chavdarov précité, révèlent l’absence d’une approche commune dans la législation des pays signataires de la Convention quant au point de savoir si le père biologique doit être autorisé à contester la présomption de paternité relative à ses enfants naturels. La législation interne de certains pays permet au père biologique de contester la présomption de paternité du mari (paragraphe 32 ci-dessus), tandis que dans d’autres pays le père biologique ne dispose pas de ce droit procédural (paragraphe 33 ci-dessus). Dans certains Etats parties, le législateur a choisi d’accorder ce droit au père biologique seulement dans des cas où la réalité sociale ne correspond pas à la filiation légalement établie (paragraphe 32 ci-dessus). Selon d’autres législations, ce sont les autorités publiques qui peuvent intervenir à la demande du père biologique et éventuellement contester la présomption de paternité relative à ses enfants naturels (paragraphe 32 in fine ci-dessus).
67. En l’espèce, la Cour note que l’article 1469 du CC reconnaît le droit de contester la paternité relative à un enfant né pendant le mariage au mari de la mère (alinéa 1), aux parents de celui-ci s’il est décédé sans avoir perdu le droit d’introduire une telle action (alinéa 2), à l’enfant (alinéa 3), à la mère (alinéa 4), et à l’homme avec lequel la mère, séparée de corps de son conjoint, avait une relation durable et des rapports sexuels pendant la période décisive de la conception (alinéa 5). Il est donc clair que le choix principal du législateur était de limiter les personnes ayant le droit de contester la paternité aux membres de la cellule familiale, à savoir le mari de la mère, la mère et l’enfant lui-même.
68. La Cour note que, à titre subsidiaire, le législateur a prévu deux exceptions, lesquelles sont expressément indiquées et régies par certaines conditions : les parents du mari décédé (alinéa 2) et l’homme avec lequel la mère, séparée de corps de son conjoint, avait des relations durables (alinéa 5). La première exception, souligne le Gouvernement dans ses observations, s’explique par le fait que les parents du mari décédé se trouvent dans une position équivalente à ce dernier pour ce qui est de certaines obligations économiques : l’enfant a un droit sur leur succession, voire un droit à la réserve légale (articles 1813 et 1825 du CC) ; en outre, en leur qualité de parents les plus proches de l’enfant dans la lignée paternelle, il se peut qu’ils aient à assumer une obligation d’entretien à l’égard de l’enfant. La seconde exception prévue à l’alinéa 5 réside, selon le Gouvernement, sur les motifs suivants : la réalité biologique et la réalité sociale convergent vers l’homme avec qui la mère entretient une relation extraconjugale durable. De plus, comme la relation entre les époux est gravement perturbée, que leur cohabitation est interrompue et qu’il n’y a probablement plus pour eux d’intention de mener une vie commune, il n’existe plus de milieu familial propre à assurer la tâche qui est normalement la sienne, à savoir élever l’enfant. Selon la Cour, on ne saurait considérer ces éléments comme déraisonnables.
69. Par ailleurs, la Cour note que les tribunaux appelés à examiner la présente affaire ont voulu accorder une protection spéciale à la famille instituée et ont rejeté les arguments du requérant qui plaidait pour l’extension à sa situation de l’alinéa 5 de l’article 1469 du CC. Elle note ainsi que la cour d’appel a débouté le requérant en considérant que, compte tenu de la nécessité de protéger le mariage, la famille et l’intérêt de l’enfant, il se justifiait de ne pas étendre la liste des personnes visées par l’article 1469 du CC. Elle relève, de même, que la Cour de cassation a aussi souligné que la limitation des droits des tiers, tel le requérant, se justifiait par la nécessité de préserver l’unité familiale, lorsqu’aucun de ses membres directement intéressés (époux de la mère, mère et enfant) ne souhaitait la modification de la situation existante.
70. La Cour rappelle, en outre, que les États ont des raisons tenant à la sécurité des rapports juridiques et familiaux pour appliquer une présomption générale selon laquelle un homme marié est réputé être le père des enfants de son épouse. À ses yeux, il est justifié que les tribunaux internes donnent plus de poids aux intérêts de l’enfant et de la famille dans laquelle cet enfant vit qu’à ceux d’un « demandeur » cherchant à faire établir un fait biologique (Nylund, précité).
71. La Cour estime donc que les décisions des juridictions grecques visaient à faire respecter la volonté du législateur, laquelle consistait à faire prévaloir une relation familiale existante entre l’enfant et son père légitime – le second dispensant au quotidien des soins parentaux au premier – par rapport à une relation entre l’enfant et son père biologique allégué.
72. La Cour relève également que les faits de la cause viennent appuyer l’approche retenue par le législateur dans l’article 1469 du CC, et la position des juridictions grecques dans la présente affaire. En l’espèce, il en ressort que T.P. n’a jamais contesté la paternité de C.P., que, dans tous les documents déposés par elle devant les juridictions grecques, elle indiquait au contraire que le père de son enfant était C.P. et que le seul désaccord qu’elle avait avec lui après la dissolution de leur mariage portait sur la garde de l’enfant (paragraphe 9 ci-dessus). Il en ressort en outre que, lors de la procédure engagée par le requérant, l’attitude de C.P., de T.P. et de la mère de cette dernière qui représentait C. démontrait leur souhait de ne pas permettre la remise en cause de la situation familiale existante. Il en résulte également que T.P., même après le prononcé du divorce, n’a pas contesté la paternité de C.P., ce qui donne à penser qu’elle ne doutait pas de l’identité du père biologique de son enfant. À ce titre, la Cour estime que, par la force des choses, la mère est la personne la mieux à même de connaître la vérité biologique concernant son enfant ; un poids particulier doit donc être accordé à son attitude (voir, mutatis mutandis, Nylund, précité).
73. La Cour rappelle que l’on peut déduire de son arrêt Anayo (précité) que, en vertu de l’article 8 de la Convention, les États sont tenus de rechercher s’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de permettre au père biologique de nouer une relation avec lui, par exemple en accordant un droit de visite. Cependant, cela n’implique pas nécessairement une obligation fondée sur la Convention d’autoriser le père biologique à contester le statut du père légitime (Ahrens, précité, § 74).
74. Certes, lorsque le requérant a introduit, le 20 octobre 2009, son pourvoi devant la première chambre de la Cour de cassation pour l’examen de son deuxième moyen, la réalité sociale avait été modifiée et correspondait désormais à la réalité biologique telle que décrite par le requérant. En effet, celui-ci avait épousé T.P. le 29 juillet 2009, soit un peu plus d’un mois après le prononcé de l’arrêt no 18/2009 de la Cour de cassation siégeant en formation plénière. Il est évident qu’à la date à laquelle celle-ci a rendu son arrêt, elle n’était pas en mesure de prendre en considération cette nouvelle réalité sociale, le mariage n’ayant pas encore eu lieu. En revanche, cette réalité aurait pu être prise en compte par la première chambre lorsqu’elle a rendu son arrêt du 6 décembre 2010, mais il ne ressort pas du dossier que le requérant s’en était prévalu dans ses observations devant elle.
75. Dans ces conditions, le rejet de l’action du requérant ne révèle aucune atteinte au droit au respect à sa vie privée.
76. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention pris isolément.
77. Quant au grief relatif à la violation de l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 14 de la Convention, la Cour note que le requérant se plaint du fait que l’article 1469 du CC ne lui reconnaît pas qualité pour agir alors qu’il permet à cinq catégories différentes de personnes d’exercer une action en contestation de paternité. À cet égard, la Cour se réfère à ses considérations en matière de proportionnalité de l’ingérence et, en particulier, à l’absence de consensus parmi les États membres. Elle rappelle que la décision des juridictions grecques, dans la présente espèce, de privilégier la relation familiale existante à l’époque des faits entre l’enfant et ses parents légaux par rapport à la relation avec son père biologique allégué – cette décision concernant par ailleurs la possibilité d’établir un lien juridique afférent à cette dernière relation – relève de la marge d’appréciation de l’État défendeur (voir, mutatis mutandis, Ahrens, précité, § 89)
78. Par conséquent, il n’y a pas eu non plus violation de l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 14 de la Convention.
La contestation en paternité de la fille devenue majeure n'empêche pas la mère de réclamer au père la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant.
COUR DE CASSATION 1ere CHAMBRE CIVILE, arrêt du 9 novembre 2016 pourvoi n° 15-27246 Cassation partielle
Vu les articles 331 et 371-2 du code civil ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande de Mme Agnès X... au titre de
la contribution du père à l'entretien et à l'éducation de l'enfant depuis sa
naissance, l'arrêt retient que, l'action en recherche de paternité ayant été
engagée par l'enfant devenue majeure, la mère de celle-ci est désormais sans
qualité pour réclamer une contribution à l'entretien et l'éducation, seul
l'enfant devenu majeur pouvant exercer cette action ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la recevabilité de l'action en contribution à
l'entretien n'est pas subordonnée à celle de l'action en recherche de paternité
et que les effets d'une paternité légalement établie remontent à la naissance de
l'enfant, ce dont il résulte que Mme Agnès X... était recevable à agir en
contribution à l'entretien et à l'éducation de sa fille, la cour d'appel a violé les textes susvisés
DROIT DU PÈRE LÉGAL DE PROUVER QU'IL N'EST PAS LE PÈRE
SCALZO c. ITALIE du 6 décembre 2022 Requête no 8790/21
Art 8 • Obligations positives • Impossibilité prolongée d’introduire une action en recherche de paternité à l’encontre du père biologique du fait de la longueur de la procédure en contestation de paternité du père présumé • Nécessité de défendre les intérêts de la personne cherchant à déterminer sa filiation dans le système où que l’action en contestation de paternité est préjudicielle à l’action en recherche de paternité • Absence de mesures d’accélération de la procédure • Requérante, ayant un intérêt vital à découvrir son identité personnelle, maintenue dans un état d’incertitude prolongé • Atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée
CEDH
Recevabilité
42. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes inscrite à l’article 35 § 1 de la Convention vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que celles-ci ne lui soient soumises. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).
43. La Cour rappelle en outre que, en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, étant entendu qu’il incombe au Gouvernement excipant du non‑épuisement de la convaincre que le recours évoqué était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II). De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes qui s’offrent à lui.
44. En l’occurrence, la Cour note que le grief de la requérante porte sur l’impossibilité pour elle d’obtenir l’établissement du lien de filiation, alors que l’action en contestation est pendante depuis plus de douze ans. Elle note que l’intéressée a saisi le tribunal de Rome d’une action en recherche de paternité, mais que celui-ci a rejeté sa demande au motif que la procédure en contestation était encore pendante. Le Gouvernement argue que la requérante aurait dû attaquer en appel le jugement du tribunal de Rome et qu’elle aurait pu obtenir la suspension du cours de l’instance en attendant que la procédure en contestation se termine et que le jugement en cause devienne définitif.
45. Or la Cour note qu’un appel formé contre le jugement du tribunal de Rome n’aurait pas remédié à la situation dont la requérante se plaint, car une éventuelle suspension du cours de l’instance dans l’attente de l’issue de la procédure en contestation de paternité aurait placé l’intéressée dans la même position d’incertitude juridique dans laquelle elle se trouve actuellement. Par ailleurs, la Cour note que, la procédure en contestation de paternité étant encore pendante et que le recours en appel n’étant pas un remède à exercer, la requérante a saisi la Cour dans le délai de six mois.
46. Quant au fait que l’intéressée n’aurait pas fait usage du recours prévu par la loi Pinto pour se plaindre de la longueur de la procédure, la Cour rappelle que, dans les procédures dont la durée produit un impact évident sur la vie familiale du requérant (et qui relèvent donc de l’article 8 de la Convention), elle a estimé qu’une approche plus rigide s’impose, qui oblige les États à mettre en place un recours à la fois préventif et compensatoire (Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 143, 15 janvier 2015, et Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 48, 22 avril 2010). Elle a observé à cet égard que l’obligation positive incombant à l’État de prendre des mesures appropriées pour assurer le droit du requérant au respect de sa vie familiale risquait de devenir illusoire si l’intéressé n’avait à sa disposition qu’un recours compensatoire ne pouvant aboutir qu’à l’octroi a posteriori d’une compensation pécuniaire (ibidem).
47. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes et de non-respect du délai de six mois, soulevées par le Gouvernement.
48. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
Au fond
58. La Cour note d’emblée que les faits de la cause, ayant trait à une procédure relative à la paternité, tombent incontestablement sous l’empire de l’article 8 de la Convention, qui reconnaît à chacun le droit de connaître ses origines et de les voir légalement établies (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, §§ 51 et 54, CEDH 2002-I, Pascaud c. France, no 19535/08, § 49, 16 juin 2011).
59. Elle rappelle que la « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention, peut intégrer des aspects de l’identité non seulement physique mais aussi sociale de l’individu (voir, par exemple, Mennesson c. France, no 65192/11, § 46, CEDH 2014). Cela inclut la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu (ibidem), la Cour ayant du reste plus précisément jugé que la reconnaissance comme l’annulation d’un lien de filiation touche directement à l’identité de l’homme ou de la femme dont la parenté est en question (voir, par exemple, Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, I.L.V. c. Roumanie (déc.), no 4901/04, § 33, 24 août 2010, Krušković c. Croatie, no 46185/08, § 18, 21 juin 2011, et Canonne c. France (déc.), no 22037/13, § 25, 2 juin 2015).
60. La Cour rappelle que l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics et qu’à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Ces obligations positives peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête toutefois pas à une définition précise, même si les principes applicables en sont comparables. Pour déterminer si une obligation positive existe, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ; de même, tant pour les obligations positives que pour les obligations négatives, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Mikulić, précité, §§ 57-58).
61. La Cour rappelle également qu’elle n’a pas vocation à se substituer aux autorités internes compétentes pour trancher les litiges nationaux en matière de paternité ; son rôle est d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Mikulić, précité, § 59, et Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A). Plus particulièrement, la Cour doit examiner si l’État défendeur, eu égard à l’action de la requérante, a agi en méconnaissance de son obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention. Pour ce faire, elle doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de la requérante à établir sa filiation civile à l’égard de son père naturel et, de l’autre, la nécessité de respecter l’intérêt général à la protection de la sécurité juridique.
62. À cet égard, la Cour observe que la requérante se trouve depuis douze ans dans l’incertitude quant à son identité personnelle en raison de l’impossibilité pour elle d’introduire une action en recherche de paternité dès lors que l’arrêt prononcé dans la procédure en contestation de paternité n’est toujours pas définitif.
63. S’il est vrai que la requérante était majeure lorsqu’elle a entamé la procédure interne, cela n’atténue pas le droit que celle-ci tirait de l’article 8 de connaître ses origines et de les voir reconnues, lequel droit ne cesse pas avec l’âge, bien au contraire (Pascaud, précité, § 65, et Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 40, CEDH 2006-X, et Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, 24 mars 2015). La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par cette disposition (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003-III, et Godelli c. Italie, no 33783/09, § 46, 25 septembre 2012).
64. Selon la Cour, les personnes qui se trouvent dans la situation de celle de la requérante ont un intérêt vital, défendu par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle.
65. La Cour relève qu’un système tel que celui de l’Italie, qui prévoit que l’action en contestation de paternité est préjudicielle à l’action en recherche de paternité peut en principe être jugé compatible avec les obligations découlant de l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’État. Elle estime toutefois que, dans le cadre d’un tel système, les intérêts de la personne qui cherche à déterminer sa filiation doivent être défendus, ce qui n’est pas le cas lorsque les procédures durent plusieurs années et empêchent l’introduction d’une action en recherche de paternité.
66. La Cour constate également l’absence de mesures d’accélération de la procédure de nature à permettre à la requérante d’introduire l’action en recherche de paternité même si l’arrêt prononcé dans la procédure en contestation de paternité n’est toujours pas définitif. Or aucune procédure de ce type n’est prévue en l’espèce. Dans la présente affaire, l’action en recherche de paternité introduite par la requérante devant le tribunal de Rome a été déclarée irrecevable, conformément à la pratique judiciaire applicable à l’époque des faits, sans aucun examen de son cas particulier (paragraphes 10 et 13 ci-dessus).
67. À cet égard, la Cour note également que, dans son arrêt du 14 juillet 2022 (paragraphes 21-22 ci-dessus), la Cour constitutionnelle italienne a invité le législateur à intervenir pour réglementer les questions relatives à l’établissement de la vérité biologique, sans restreindre de manière disproportionnée des autres droits érigés au rang constitutionnel. Elle a reconnu que le procès se déroulant comme en l’espèce constitue une lourde charge pour la personne qui souhaite faire constater son identité biologique, et risque d’entraîner non seulement une violation du principe de la durée raisonnable du procès mais aussi un obstacle « à l’exercice du droit d’action garanti par l’article 24 de la Constitution italienne », et ce de surcroît en relation avec des actions visant à la protection des droits fondamentaux, relatifs au statut et à l’identité biologiques.
68. La Cour, à l’instar de la Cour Constitutionnelle (voir paragraphe 22 ci-dessus), ne perd pas de vue que la requérante risque également, après plusieurs années de procédure, une fois son ancien statut de fille supprimé, de se retrouver sans statut et qu’elle devra engager une nouvelle procédure en recherche de paternité pendant laquelle elle restera dans l’incertitude quant à la filiation.
69. En conséquence, elle estime qu’en l’espèce, l’intéressée est maintenue dans un état d’incertitude prolongée quant à son identité personnelle. Le déroulement de la procédure porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée. Elle considère dans les circonstances de la cause que les autorités italiennes ont donc failli à l’obligation positive de garantir le droit de la requérante au « respect » de sa vie privée auquel elle a droit en vertu de la Convention.
Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
BAGNIEWSKI c. POLOGNE du 31 mai 2018 Requête n° 28475/14
Non violation de l'article 8 : Le père légal apprend lors de son divorce que l'enfant n'est pas de lui. Il fait un test ADN extrajudiciaire qui le confirme. Il demande en justice un test ADN pour démontrer qu'il n'est pas le père de l'enfant. L'enfant refuse le test. Les juridictions internes suivent l'enfant puisque l'intérêt supérieur de l'enfant s'impose à l'intérêt du père légal. La CEDH suit la solution des juridictions internes puisque le père légal n'a pas su apporter un père éventuel de substitution.
32. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant allègue avoir été dans l’impossibilité de prouver de manière effective l’absence d’un lien de filiation biologique entre l’enfant et lui-même, ce qui aurait rendu sa position dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité moins favorable par rapport à celle de la mère de l’enfant. Il se plaint notamment, d’une part, que la juridiction d’appel n’ait pas admis le test ADN extrajudiciaire en tant que preuve décisive et, d’autre part, que le refus de l’enfant de se soumettre à une recherche ADN ordonnée dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité n’ait pas permis un renversement de la présomption de paternité édictée à l’article 62 § 1 du CFT. L’article 8 est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
33. La Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion d’examiner des affaires dans lesquelles le mari de la mère d’un enfant cherchait à contester le lien de filiation établi entre lui-même et l’enfant par le jeu de la présomption légale de paternité. Dans ces affaires, elle n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’exercice d’une action en désaveu de paternité concernait la « vie familiale » des requérants, parce qu’elle a conclu qu’en tout état de cause la détermination du régime juridique des relations entre un homme et les enfants nés au cours de son mariage concernait la « vie privée » de celui-ci (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, Yildirim c. Autriche (déc.), no 34308/96, 19 octobre 1999, et Mizzi c. Malte, no 26111/02, §§ 102-104, CEDH 2006‑I).
34. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant a cherché, au moyen d’une action en justice, à combattre la présomption légale de paternité pesant sur lui vis-à-vis de l’enfant. Estimant disposer d’éléments de preuve qui, à ses yeux, jetaient un doute sur la réalité biologique de la filiation qui l’unissait à son fils légitime (paragraphes 12 et 13 ci-dessus), l’intéressé a demandé au procureur d’introduire une action en justice visant à la dissipation de ce doute et, le cas échéant, à la reconnaissance de l’absence d’un lien de filiation biologique entre l’enfant né pendant son mariage et lui-même. S’il est vrai que, en l’occurrence, les juridictions nationales se trouvaient confrontées à une question de preuve, et non directement de « vie privée », il n’en reste pas moins que le but du requérant était de connaître la vérité sur un aspect important de son existence, à savoir s’il était le père de l’enfant né pendant son mariage (I.L.V. c. Roumanie (déc.), no 4901/04, § 33, 24 août 2010). La Cour estime donc que les faits de l’espèce tombent sous l’empire de l’article 8 de la Convention, dès lors qu’ils concernent « la vie privée » de l’intéressé.
35. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
36. Le requérant soutient qu’il lui a été impossible de prouver de manière effective qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant. Il indique que la loi nationale ne donne pas de précisions sur les conditions de réalisation d’un test ADN aux fins de l’établissement de la paternité. À cet égard, il estime que la loi devrait soit prévoir la possibilité de contraindre la partie à la procédure à se soumettre à un test ADN – un tel test étant, à ses yeux, le moyen de preuve le plus fiable en matière d’action en désaveu de paternité –, soit garantir un système de présomptions légales efficace à même de protéger un père putatif en cas de refus d’un enfant de participer à une recherche ADN ordonnée par un tribunal.
37. Le requérant indique qu’il comprend et accepte le besoin de protection des intérêts des mineurs par l’État. Pour autant, il considère que, dans son cas, la juridiction nationale n’a pas respecté un juste équilibre entre ses intérêts et ceux de l’enfant, et que la prééminence qui aurait été accordée en l’espèce aux intérêts de ce dernier a conduit à ignorer son droit à la vie privée.
38. En outre, le requérant allègue que c’était le mineur qui, agissant probablement sous l’influence de sa mère, l’avait informé d’un doute sur sa paternité. Il ajoute que la déclaration contraire faite par l’enfant devant le psychologue judiciaire, selon laquelle c’était lui-même qui avait suggéré une absence de lien de filiation biologique, s’analyse en un changement d’avis de l’enfant sur la question et qu’elle a également pu résulter d’une influence exercée par la mère de ce dernier.
39. Le Gouvernement soutient que l’État a rempli ses obligations positives pour garantir au requérant la jouissance de son droit à la vie privée. Il dit tout d’abord que le procureur a introduit une action en désaveu de paternité en faveur du requérant afin de réfuter la présomption légale pesant sur celui-ci conformément à l’article 62 du CFT.
40. Le Gouvernement indique que le principe affirmanti incumbit probatio (« la charge de la preuve incombe à celui qui affirme ») s’applique dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité. Il ajoute que, en l’espèce, le requérant, représenté par un avocat, a failli à proposer des preuves autres que le test ADN extrajudiciaire contesté par la mère de l’enfant, pour renverser la présomption de paternité. Or, selon lui, le requérant était tenu de proposer au tribunal des preuves raisonnables et suffisantes pour prouver ses allégations (Darmon c. Pologne (déc.), no 7802/05, 17 novembre 2009).
41. Le Gouvernement expose en outre que, jusqu’en 2010, le requérant n’avait jamais exprimé aucun doute quant à sa paternité envers l’enfant, même pendant la procédure de divorce. Il ajoute qu’en octobre 2010 le requérant a commencé à suggérer à l’enfant, alors âgé de treize ans, que celui-ci n’était pas son fils et qu’ensuite il a rendu la cause publique dans les médias locaux, ce qui aurait été source de détresse pour le mineur et sa mère. Il dit que, selon le psychologue judiciaire, ce comportement du requérant a eu une influence sur l’état émotionnel de l’enfant, qui aurait eu peur de perdre son identité et, par conséquent, aurait refusé de se soumettre à un test ADN. Il indique aussi que, d’après cet expert, le mineur n’avait pas subi de manipulation de la part d’un tiers. Dès lors, pour le Gouvernement, l’enfant avait lui-même pris la décision, motivée par les liens émotionnels l’unissant au requérant et la peur de perdre son identité, de refuser de se soumettre à une recherche ADN.
42. En outre, le Gouvernement soutient que la motivation du jugement de la juridiction d’appel fait apparaître que celle-ci a pris en considération toutes les circonstances de la cause et qu’elle a respecté l’équilibre entre les intérêts du requérant, ceux du mineur et ceux de la société.
2. L’appréciation de la Cour
43. La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n’impose pas seulement aux États de s’abstenir de telles ingérences : il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie privée ou familiale. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, §§ 65-67, CEDH 2014, Shofman c. Russie, no 74826/01, §§ 34-34, 24 novembre 2005, et Klocek c. Pologne (déc.), no 20674/07, 27 avril 2010). En outre, même pour les obligations positives résultant du paragraphe 1, « les objectifs énumérés au paragraphe 2 (...) peuvent jouer un certain rôle » dans « la recherche » de l’« équilibre » voulu (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 41, série A no 172, et İyilik c. Turquie, no 2899/05, § 26, 6 décembre 2011)
44. La Cour rappelle ensuite qu’elle n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges touchant aux relations des individus entre eux au niveau national, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002‑I, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A, et İyilik, précité, § 27).
45. La Cour doit donc examiner la question de savoir si, dans la présente espèce, l’État défendeur, amené, par le biais de ses juridictions, à se prononcer sur l’action en désaveu de paternité engagée par le procureur au nom et pour le compte du requérant, a agi en méconnaissance de ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention (Mizzi, précité, § 107).
46. Pour apprécier la « nécessité dans une société démocratique » de la mesure litigieuse, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, tout en gardant à l’esprit le respect de l’ordre public, si le juste équilibre devant exister entre les intérêts présents a été ménagé dans les limites de la marge d’appréciation dont les États jouissent en la matière (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, 6 décembre 2007). En l’occurrence, dans la mise en balance des intérêts en cause, il convient de considérer, d’un côté, le droit du requérant de savoir s’il est le père biologique de l’enfant et, de l’autre, le droit de celui-ci de garder sa filiation déjà établie ainsi que l’intérêt public à la protection de la sécurité juridique (I.L.V., décision précitée, § 38).
47. Sur ce point, la Cour rappelle avoir jugé à plusieurs occasions qu’une situation dans laquelle il était impossible de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité n’était pas compatible avec l’obligation de garantir le « respect » effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d’appréciation dont jouissent les États (Mizzi, précité, §§ 113 et 114, Paulík c. Slovaquie, no 10699/05, § 46, CEDH 2006‑XI, Shofman, précité, § 45, et Tavlı c. Turquie, no 11449/02, §§ 36-37, 9 novembre 2006). Il convient toutefois de noter que dans les affaires susmentionnées, les requérants avaient fait pratiquer un test ADN avec l’accord de l’enfant ou de sa mère.
48. Or cela n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la Cour note que le requérant a fait pratiquer un test ADN extrajudiciaire sur la base d’échantillons biologiques qu’il avait lui-même prélevés dans des conditions ne garantissant pas l’origine du matériel fourni (voir paragraphe 12 ci‑dessus), et qu’il n’était donc pas en possession d’une preuve biologique fiable susceptible d’attester qu’il n’était pas le père de l’enfant. Elle note aussi que, selon le droit interne, le résultat d’un test ADN réalisé hors de toute procédure judiciaire est considéré comme un simple document privé, prouvant uniquement que les personnes y ayant apposé leurs signatures sont de l’avis indiqué sur ce document. En l’occurrence, le résultat du test ADN extrajudiciaire ayant été contesté par la mère de l’enfant, le tribunal régional a souligné qu’il ne pouvait pas être considéré comme la preuve décisive dans le cadre de la procédure en désaveu de paternité et qu’il devait être soumis à un examen conforme à l’article 233 § 1 du CPC, selon lequel un tribunal évaluait la crédibilité et la force probante de l’offre de preuve selon sa conviction, sur la base d’un examen complet du matériel recueilli (voir paragraphe 20 ci-dessus).
49. En outre, la Cour relève que le requérant a également cherché à obtenir une preuve de l’absence supposée de réalité biologique de sa paternité putative lors de la procédure en cause, mais que l’enfant a refusé de se soumettre au test ADN demandé par le tribunal. Malgré ce refus, ni le procureur qui avait introduit, au nom et pour le compte du requérant, l’action en désaveu de paternité ni l’intéressé, qui était représenté au cours de ladite procédure par un avocat, n’ont proposé d’autres preuves, susceptibles de montrer que la paternité d’un autre homme était davantage plausible. Au contraire, il ressort de la motivation de la juridiction de deuxième instance que le requérant avait admis avoir cohabité avec sa conjointe pendant la période de conception de l’enfant et qu’avant 2010 il n’avait jamais contesté sa paternité envers celui-ci. De plus, le tribunal régional a établi que la conjointe du requérant n’avait pas eu de relations intimes hors mariage pendant la période de conception de l’enfant (voir paragraphe 20 ci-dessus).
50. Dans ces circonstances, la présente affaire se rapproche des situations en cause dans les affaires I.L.V. et İyilik (précitées), dans lesquelles la Cour avait conclu à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention.
51. En effet, en l’espèce la demande du requérant visant à la contestation de la présomption de paternité légitime reposait essentiellement sur sa propre conviction qu’il n’était pas le père biologique de l’enfant né pendant son mariage, et non pas sur des preuves raisonnables et suffisantes, que, au demeurant, il aurait dû soumettre aux juridictions nationales (Darmon, décision précitée, et M.D. c. Bulgarie (déc.), no 37583/04, § 42, 15 novembre 2011).
52. La Cour note de surcroît que la juridiction d’appel a motivé son jugement de manière détaillée et convaincante, en prenant en considération toutes les circonstances et en mettant en balance les intérêts divergents en jeu, à savoir ceux du requérant et ceux de l’enfant. Par conséquent, elle considère que celle-ci a convenablement exercé ses compétences lors de son appréciation des faits pertinents.
53. La Cour observe en outre que le droit interne ne prévoit aucune mesure qui permettrait de contraindre l’enfant à subir des tests ADN. Pour la Cour, cet élément a une importance décisive dans la mise en balance des intérêts en cause. Si, dans les affaires précitées (voir paragraphe 46 ci‑dessus), les intérêts des requérants et des enfants étaient convergents, en l’espèce, eu égard au refus de l’enfant de se soumettre au test ADN, les intérêts en cause apparaissent comme étant opposés (I.L.V., décision précitée, § 40, et İyilik, précité, § 32).
54. La Cour est consciente que l’apparition des tests ADN et la possibilité pour tout justiciable de s’y soumettre constituent une évolution sur le plan judiciaire, en ce que ces tests permettent d’établir avec certitude l’existence ou l’absence de liens biologiques entre différentes personnes. Cela étant, la Cour rappelle avoir déjà jugé que la nécessité de protéger les tiers pouvait exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce fût, notamment à des tests ADN (Mikulić, précité, § 64 in fine). Une telle conclusion s’impose d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, le tiers en question est un enfant, bénéficiant d’une filiation légitime de longue date (I.L.V., décision précitée, § 42).
55. La Cour ne voit rien d’arbitraire ou de disproportionné dans la décision de la juridiction nationale, qui a donné plus de poids à l’intérêt de l’enfant qu’à l’éventuel intérêt du requérant à obtenir la vérification d’une donnée biologique (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999‑VI, et İyilik, précité, § 34). En outre, elle estime que l’âge de l’enfant, qui était mineur à l’époque des faits, a joué en faveur de la prise en compte de son intérêt.
56. Dans la présente affaire, l’absence d’une quelconque manifestation de la part de l’enfant du souhait de voir vérifier sa filiation (voir, a contrario, Paulík, précité, § 14, et Mizzi, précité, § 13, et voir aussi, mutatis mutandis, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 44, CEDH 2003‑III), combinée avec le temps depuis lequel celui-ci bénéficiait de son état civil d’une manière stable ainsi qu’avec les conséquences patrimoniales susceptibles de découler pour lui de l’accueil d’une action en désaveu de paternité, a joué en l’espèce en faveur de son intérêt à ne pas être privé de son lien de filiation établi au motif d’une éventuelle discordance avec la réalité biologique (I.L.V., § 46, et Yıldırım, décisions précitées). Par conséquent, le fait de contraindre l’enfant à se soumettre à un test ADN aurait en l’espèce pu porter atteinte au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale et affecter son équilibre émotionnel.
57. Par ailleurs, la Cour observe que le tribunal régional n’a pas pour autant perdu de vue l’intérêt du requérant, puisqu’il a indiqué dans la motivation de son jugement que malgré le refus de l’enfant de se soumettre à un test ADN, dicté par la crainte de voir son identité sociale ébranlée, il était possible de renverser la présomption de paternité édictée à l’article 62 § 1 du CFT si d’autres éléments de preuve, susceptibles de montrer que la paternité d’un autre homme était davantage plausible, avaient été proposés. La Cour note que la juridiction nationale a pris en considération la situation du requérant dans les procès, résultant du refus de l’enfant de se soumettre à un test ADN, dans le cadre de l’appréciation des preuves.
58. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour estime que le rejet de l’action en désaveu de paternité – découlant du refus du tribunal de s’appuyer sur le test médical extrajudiciaire réalisé sur la base des échantillons biologiques prélevés par le requérant lui-même et de tirer de l’absence de consentement de l’enfant à un test ADN des conséquences contraires à l’intérêt supérieur de celui-ci – n’a pas rompu le juste équilibre entre les intérêts en présence.
59. Partant, l’article 8 de la Convention n’a pas été violé.
LE DROIT D'UN HOMME DE POUVOIR PROUVER
QU'IL N'EST PAS LE PÈRE D'UN ENFANT NÉ HORS MARIAGE
A et B contre France du 8 juin 2023 requête n° 12482/21
Art 8 • Vie privée • Annulation à la demande de son auteur (C) de la reconnaissance de paternité d’une enfant conçue en Espagne par assistance médicale à la procréation avec don de gamètes (ovocyte et sperme) • Marge d’appréciation élargie • Consentement initial de C à l’assistance médicale à la procréation devenu caduc en vertu du droit interne • Transfert d’embryon réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce • Absence de liens identitaire ou familial forts entre l’enfant et C • Intérêt supérieur de l’enfant • Motifs suffisants et pertinents
Art 34 • Absence de qualité de victime de la mère ne pouvant se prévaloir avec C d’une communauté d’intérêts résultant d’une relation familiale durablement construite autour de l’enfant
FAITS
10. Il ressort du dossier qu’au cours de l’année 2014, Madame partit avec l'enfant durant six mois à Cuba, dont elle est originaire, sans avoir préalablement recueilli l’accord de son ex. Le 26 mars 2014, ce dernier saisit en référé le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nice qui, par une ordonnance du 1er décembre 2014 , constata l’exercice conjoint de l’autorité parentale, organisa la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère et le droit d’accueil du père, et ordonna l’interdiction de sortie du territoire national de l’enfant sans l’autorisation conjointe des parents.
11. Le 20 janvier 2015, son ex saisit le tribunal de grande instance de Nice d’une action en contestation de paternité, faisant en particulier valoir que l'enfant avait été conçue après sa séparation avec Madame, par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, à laquelle il déclarait ne pas avoir consenti.
12. Le 21 janvier 2015, Madame saisit le même juge d’une demande tendant à la fixation de la résidence de l'enfant chez elle, à l’organisation des relations entre l'enfant et son ex et à la fixation de la part contributive de ce dernier à 500 euros (EUR) par mois.
21. Le 14 octobre 2020, la Cour de cassation rejeta les pourvois par un arrêt ainsi motivé :
« (...) Si l’action en contestation de paternité et la décision d’annulation d’une reconnaissance de paternité en résultant constituent des ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, elles sont prévues par la loi, à l’article 332, alinéa 2, du code civil précité, et poursuivent un but légitime en ce qu’elles tendent à permettre l’accès de l’enfant à la réalité de ses origines.
Après avoir constaté qu’elle était née d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sans le consentement de [C], celui-ci étant privé d’effet, la cour d’appel a relevé que l’intérêt supérieur de l’enfant [B] résidait dans l’accès à ses origines personnelles et que la destruction du lien de filiation avec [C] n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation.
Ayant ainsi statué en considération de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto, elle a pu en déduire (...) que l’annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, justifiant légalement sa décision au regard des exigences conventionnelles susvisées. »
CEDH
39. La Cour, qui rappelle que la filiation dans laquelle s’inscrit chaque individu relève de l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, mutatis mutandis, Mandet c. France (no 30955/12, § 44, 14 janvier 2016, et Mennesson c. France, no 65192/11, § 46, CEDH 2014 (extraits)), considère, à l’instar des parties, que l’annulation de la reconnaissance de la paternité de C à l’égard de B, qui a modifié le statut filial de cette dernière et a notamment eu pour conséquence une modification de son nom de famille, est constitutive d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de B.
40. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un au moins des buts légitimes énoncés par le second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour l’atteindre.
41. En premier lieu, la Cour relève que, ainsi que l’a souligné la Cour de cassation dans son arrêt du 14 octobre 2020, l’action en contestation de paternité est prévue par l’article 332 du code civil, aux termes duquel « la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père » (paragraphes 21-22 ci-dessus). L’ingérence litigieuse était donc « prévue par la loi ».
42. En deuxième lieu, s’agissant du but légitime, la Cour note que le Gouvernement évoque « la stabilité et (...) la sécurité juridique du lien de filiation » sans toutefois rattacher cet objectif à l’un des buts légitimes limitativement énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention. À ce titre, elle observe que le Gouvernement renvoie également à la protection des droits et libertés d’autrui, visant en l’occurrence ceux de B et ceux de C.
43. Sur ce dernier point, la Cour estime utile de renvoyer à l’arrêt Mandet (précité, §§ 49-50), affaire dans laquelle un enfant dénonçait l’annulation à la demande de son père biologique de la reconnaissance de paternité effectuée par le mari de sa mère. La Cour a relevé « qu’une lecture littérale stricte du terme « autrui », au sens de l’article 8 de la Convention, conduit à considérer qu’il ne désigne pas celui qui s’oppose à une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale sur le fondement de cette même disposition. Il ne s’agit donc pas en principe d’un enfant qui (...) défendeur dans une procédure en contestation ou en reconnaissance de paternité, fait valoir ce droit à l’appui de son refus de voir sa filiation légale et son patronyme modifiés ». Elle a toutefois souligné « que ce constat n’enl[evait] rien au fait que l’obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale des enfants et autres individus vulnérables que pose l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Bevacqua et S. c. Bulgarie, no 71127/01, § 64, 12 juin 2008) peut parfois exiger que les juridictions prennent des mesures que ceux-ci désapprouvent ». Elle a ensuite constaté « que les mesures décidées en l’espèce visaient à la protection des droits [du père biologique], qui, demandeur devant les juridictions internes, entendait faire reconnaître sa paternité à l’égard [de l’enfant] requérant » et jugé que, « prise sous cet angle, l’ingérence dénoncée avait pour but « la protection des droits et libertés d’autrui », l’« autrui » étant [le père biologique] ».
44. En l’espèce, la Cour considère qu’il doit en aller de même bien que le demandeur devant les juridictions internes cherchait non à faire reconnaître sa paternité mais à en obtenir l’annulation. Elle en conclut qu’en tant seulement qu’elle visait à protéger les droits de C, l’ingérence litigieuse avait bien pour but légitime le respect des droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 8.
45. En troisième lieu, il reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but poursuivi, étant entendu que la notion de « nécessité » implique que l’ingérence soit fondée sur un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Mandet, précité, § 51).
46. Pour ce faire, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. Elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, qui bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (ibidem, § 52).
47. L’étendue de la marge d’appréciation dont disposent ainsi les États parties varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. La Cour renvoie à cet égard à l’affaire Mandet précitée, dans laquelle elle a rappelé que la marge d’appréciation est en principe restreinte lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, ce qui est le cas dès lors que l’on touche à la filiation. Dans le même temps, elle a jugé que la marge d’appréciation est « plus large » lorsqu’il s’agit de déterminer le statut juridique de l’enfant que lorsqu’il s’agit de trancher des questions en rapport avec les droits relatifs au maintien des relations entre un enfant et un parent ; elle a également précisé que cette marge est « importante » lorsqu’il s’agit de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus (ibidem). Ces dernières considérations, qui valent en l’espèce, conduisent à reconnaître à l’État défendeur une marge d’appréciation élargie.
48. Les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue, et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (ibidem, § 53).
49. En l’espèce, la Cour constate en premier lieu qu’il est établi que C n’est pas le père biologique de B. Il ressort également du dossier que, si C avait initialement élaboré un projet parental avec la mère de l’enfant, ce qui faisait de lui un père d’intention, le couple s’est séparé le 29 mars 2013 et a déposé une requête en divorce le 3 mai 2013, soit avant le transfert de l’embryon, qui a eu lieu en Espagne le 12 mai 2013. Il apparaît aussi que, s’il a reconnu B à sa naissance puis manifesté l’intention d’endosser le rôle de père, ainsi qu’en témoignent les différentes procédures relatives à l’exercice de l’autorité parentale qu’il a engagées devant les juridictions internes, il ne ressort pas des pièces du dossier que B et lui aient durablement construit une pleine relation père-enfant. En effet, B est née le 10 novembre 2013, et il ressort des motifs du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 22 juillet 2015 que sa mère l’a amenée à Cuba au cours de l’année 2014, où elles sont restées six mois, et qu’elle n’a plus eu de liens réguliers avec C après son retour en France. Par ailleurs, la requête en contestation de paternité a été introduite par C le 20 janvier 2015, alors que B n’avait qu’un an et deux mois. Le tribunal de grande instance de Nice a ainsi relevé dans son jugement du 20 juillet 2017 que C « indiquait n’avoir eu des relations avec [B] que sur une courte période de plusieurs mois depuis sa naissance, ce qui n’[était] pas contesté par la mère ».
50. La Cour relève en deuxième lieu que la décision des juridictions internes d’annuler la reconnaissance de paternité repose sur une mise en balance des droits de C et de B, effectuée en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et compte tenu de la place primordiale qu’elles lui ont accordée.
51. Au titre des droits de C, d’une part, la cour d’appel a constaté, en premier lieu, que son consentement initial à l’assistance médicale à la procréation était devenu caduc en vertu du droit interne (troisième alinéa de l’article 311-20 du code civil), dès lors que le transfert d’embryon avait été réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce. En second lieu, la cour d’appel a relevé que C n’était pas le père biologique de B, ce qui pouvait fonder la contestation de sa paternité en application du deuxième alinéa de l’article 311-20 du code civil (paragraphes 18 et 22 ci-dessus).
52. S’agissant des droits de B, d’autre part, la cour d’appel a considéré que « l’intérêt supérieur de l’enfant était d’avoir accès à ses origines et de pouvoir en conséquence bénéficier d’une filiation conforme à la vérité biologique, situation qui (...) n’est pas différente de ce qui pourrait exister dans le cadre d’une filiation naturelle en dehors de tout procédé de procréation médicalement assistée et n’interdit pas pour l’avenir et de façon inéluctable l’établissement d’un nouveau lien de filiation ». La Cour de Cassation a jugé qu’ayant relevé « que l’intérêt supérieur de l’enfant [B] résidait dans l’accès à ses origines personnelles et que la destruction de lien de filiation avec [C] n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation », la cour d’appel avait dûment statué en considération de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto.
53. La Cour relève, tout en déplorant le caractère elliptique de certains éléments de leur raisonnement, que les juridictions internes ont ainsi considéré que l’annulation de la reconnaissance de paternité répondait à l’intérêt supérieur de l’enfant B dans la mesure où elle ne la privait en rien de la possibilité d’accéder à ses origines biologiques, C n’étant pas son père biologique, et où elle lui ménageait la possibilité d’établir ultérieurement un lien de filiation avec une personne prête à endosser le rôle de père, jugeant implicitement mais nécessairement qu’il n’était pas dans l’intérêt d’un enfant de maintenir un lien de filiation avec un père d’intention n’ayant pas l’intention d’être père.
54. Dans ces conditions, il apparaît que, pour accueillir la demande d’annulation de la reconnaissance de paternité de C, les juridictions internes, au terme de l’opération de mise en balance qu’elles ont effectuée, ont considéré que, dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt supérieur de l’enfant B et les intérêts de C se rencontraient.
55. Certes, les juridictions internes n’ont pas pris en compte, dans le cadre de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, la question de la contribution à l’entretien et à l’éducation de B, alors que l’annulation de la reconnaissance de paternité avait mis fin aux obligations matérielles et éducatives de C à son égard. En effet, il ne ressort pas des motifs de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix‑en-Provence du 4 décembre 2018 qu’elle se soit prononcée sur l’intérêt de B au regard de la dimension éducative et patrimoniale que comporte le lien de filiation paternelle. La Cour de cassation n’a pas davantage expressément répondu à la critique adressée aux juges d’appel de n’avoir pas recherché « si l’anéantissement de ce lien de filiation pouvait être remplacé, dans l’immédiat, par un nouveau lien de filiation paternelle qui puisse permettre d’assurer l’entretien et l’éducation de l’enfant ».
56. Pour autant, tout en notant qu’elles ne se sont saisies que de la dimension identitaire de la question de filiation, la Cour, eu égard à la marge d’appréciation dont disposait l’État, ne voit pas de raison sérieuse de se départir de l’appréciation par les juridictions internes des intérêts en jeu, et, en particulier, de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.
57. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la solution retenue par les juridictions internes repose sur des motifs qui sont à la fois suffisants et pertinents tant en ce qui concerne l’adéquation entre le but légitime poursuivi et les justifications fondant l’ingérence litigieuse que s’agissant de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Sur ce point, elle considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, caractérisées à la fois par l’absence de lien biologique entre B et C, par la circonstance, constatée par les juridictions internes, que le consentement initial de C à l’assistance médicale à la procréation était devenu caduc en vertu du droit interne dès lors que le transfert d’embryon avait été réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce, et par l’absence de liens identitaire ou familial forts entre B et C, les juridictions internes n’ont pas excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient en jugeant que l’intérêt supérieur de l’enfant B ne se trouvait pas dans le maintien de la reconnaissance de la paternité de C.
58. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef de B.
Mifsud c. Malte du 29 janvier 2019 requête n° 62257/15
Non violation de l'article 8 : Le fait d’imposer un test ADN à un père putatif dans le cadre d’une action en reconnaissance de paternité ne viole pas le droit à la vie privée
M. Mifsud se plaignait qu’un tribunal lui eût ordonné de subir un test ADN dans le cadre d’une affaire de paternité contestée. La Cour juge que les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre les droits de M. Mifsud et ceux de Mme X, qui s’efforçait d’établir qu’il était son père. Elle note en particulier que les tribunaux ont examiné les objections de M. Mifsud relativement à ce test en première instance dans le cadre de la procédure civile et à deux niveaux de juridiction constitutionnelle, et qu’ils ont finalement rejeté ses arguments et ordonné la réalisation du test.
LES FAITS
En décembre 2012, Mme X engagea une procédure en justice pour obtenir la reconnaissance de sa filiation avec M. Mifsud et l’inscription d’une mention à cet effet sur son acte de naissance. M. Mifsud affirmait ne pas être le père de Mme X, et celle-ci demanda au tribunal d’ordonner qu’il subît un test ADN, comme le prévoyait le code civil en pareil cas. M. Mifsud refusa, arguant que le forcer à passer ce test emporterait violation à son égard des droits garantis par l’article 8 de la Convention. Il demanda le renvoi de la question devant les juridictions constitutionnelles. Tant le tribunal civil (première chambre) statuant en matière constitutionnelle que la Cour constitutionnelle rejetèrent son recours. La Cour constitutionnelle rappela en particulier le droit de Mme X à savoir qui était son père, et jugea que le fait de devoir passer le test ne ferait subir à M. Mifsud aucune humiliation, puisqu’il s’agissait d’un simple prélèvement buccal. Le test ADN fut finalement réalisé.
ARTICLE 8
La Cour fait porter son examen sur le point de savoir si les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre le souhait de M. Mifsud, qui invoquait son droit au respect de sa vie privée, de ne pas fournir d’échantillon d’ADN, et le souhait de Mme X de découvrir la vérité sur un aspect important de son identité. Elle souligne que dans ce type d’affaires, elle examine les effets spécifiques de la législation interne sur le requérant dans le cas d’espèce, et non seulement les textes eux-mêmes dans l’abstrait. M. Mifsud soutenait que le droit interne ne respectait pas le principe de l’égalité des armes car le tribunal lui avait ordonné de fournir l’échantillon d’ADN dès le début de la procédure en reconnaissance de paternité, avant que l’une ou l’autre partie n’aient présenté leurs arguments relatifs à la nécessité ou à l’inutilité d’un tel test. Il arguait que ce test déterminait l’issue de la procédure et qu’en le passant, il avait en pratique produit des preuves l’incriminant lui-même. La Cour n’admet pas la thèse selon laquelle M. Mifsud s’est vu ordonner de subir le test avant d’avoir pu présenter ses arguments. Tant lui-même que Mme X ont présenté leurs thèses respectives au tribunal civil, et celui-ci a ensuite sursis à statuer jusqu’à ce que les objections de M. Mifsud aient été tranchées à deux niveaux de juridiction constitutionnelle. En outre, même après que le tribunal civil eut rendu son ordonnance, M. Mifsud avait encore la possibilité de contester les résultats du test. La Cour rejette également les arguments avancés par M. Mifsud sur le terrain de l’auto-incrimination, même si les tests génétiques sont déterminants dans les affaires de reconnaissance de paternité. Elle explique que ce qui importe est qu’il ait pu participer à la procédure, présenter ses arguments et faire interroger des témoins. Les tests génétiques de paternité ne sont pas contraires à l’état de droit et à la justice naturelle, en particulier dans cette affaire où le test visait le but légitime de permettre à l’État de s’acquitter de son obligation envers Mme X en vertu de l’article 8. La Cour admet en partie l’argument de M. Mifsud selon lequel le fait que le test était en théorie obligatoire pourrait, comme la Cour constitutionnelle l’a jugé, poser problème au regard de l’article 8. Néanmoins, elle estime qu’en pratique, il était peu probable que tel fût le cas en l’absence de commencement de preuves en ce sens, et elle note que, de plus, dans le cas de M. Mifsud les juridictions internes ont tranché la question à l’issue d’un examen approfondi qui ne présente aucun signe d’arbitraire ni de défaut d’équité. Dans l’ensemble, les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts de M. Mifsud et ceux de Mme X. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8.
Canonne C. France du 25 juin 2015 requête 22037/13
Irrecevabilité sur l'article 8 : Une déclaration judiciaire de paternité fondée notamment sur le refus de se soumettre à un test génétique n’est pas contraire à la Convention
24. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, juge approprié d’examiner les allégations du requérant uniquement sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
25. Cela étant, elle observe que cette disposition entre en jeu dans le chef du requérant à deux égards. D’abord parce que la reconnaissance comme l’annulation d’un lien de filiation touche directement à l’identité de l’homme ou de la femme dont la parenté est en question (voir, par exemple, Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, I.L.V. c. Roumanie (déc.), no 4901/04, § 33, 24 août 2010, et Krušković c. Croatie, no 46185/08, § 18, 21 juin 2011). Ensuite parce que la prise de sang qu’impliquait l’expertise ordonnée par les juridictions internes s’analyse en une atteinte à l’intégrité physique, et parce que les données génétiques d’un individu relèvent de son identité intime. Sur ce dernier point, la Cour rappelle qu’elle a jugé que « [d]es aspects de la vie privée se rattach[e]nt aux informations génétiques » (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 71, CEDH 2008). Elle a par ailleurs indiqué que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention (même arrêt, § 103 ; voir aussi M.K. c. France, no 19522/09, § 35, 18 avril 2013), et que le prélèvement et la conservation d’échantillons cellulaires ainsi que la détermination et la conservation des profils ADN extraits d’échantillons cellulaires constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée (Perruzo et Martens c. Allemagne (déc.), nos 7841/08 et 57900/12, § 33 4 juin 2013). Elle a également retenu que le prélèvement d’un échantillon buccal afin de collecter des données ADN peut, en lui-même, s’analyser en une intrusion dans la vie privée (Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006‑XV)).
26. La Cour considère en l’espèce que l’article 8 s’applique et que la reconnaissance par les juridictions internes d’un lien de filiation entre Éléonore P. et le requérant sur le fondement notamment de son refus de se soumettre à l’expertise génétique qu’elles avaient ordonnée, s’analyse en une ingérence dans l’exercice par ce dernier du droit au respect de la vie privée que garantit cette disposition.
27. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
28. Au vu de l’article 340 du code civil, de l’article 11 du code de procédure civile et de la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphes 14-16 ci-dessus), la Cour juge la première de ces conditions remplie. Quant au but poursuivi, il s’agit manifestement de garantir à Éléonore P. le plein exercice de son droit au respect de sa vie privée, qui comprend non seulement le droit de chacun de connaître son ascendance (voir, notamment, Pascaud c. France, no 19535/08, § 48, 16 juin 2011 et Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 25, CEDH 2006 X), mais aussi le droit à la reconnaissance juridique de sa filiation (voir, par exemple, Mennesson c. France, no 65192/11, § 46, CEDH 2014 (extraits)). Un tel objectif relève sans conteste de la « protection des droits et libertés d’autrui », au sens du second paragraphe de l’article 8.
29. Il reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce but, étant entendu que la notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Negrepontis-Giannisis c. Grèce, no 56759/08, § 61, 3 mai 2011). Pour ce faire, la Cour doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 ; elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (même arrêt, § 68 ; voir aussi, parmi d’autres, A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 66, 18 février 2014). Sur ce dernier point, elle rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États parties (voir, par exemple, Pascaud, précité, § 59, et A.L., précité, § 67), laquelle est importante lorsqu’il s’agit comme en l’espèce de mettre en balance les droits fondamentaux concurrents de deux individus (voir, par exemple, Ashby Donald et autres c. France, no 36769/08, § 40, 10 janvier 2013, et A.L., précité, § 68).
30. Selon la Cour, l’espèce doit être examinée à la lumière des affaires Mikulić c. Croatie (no 53176/99, 7 février 2002, CEDH 2002‑I), et Ebru et Tayfun Engin Çolak c. Turquie (no 60176/00, § 95, 30 mai 2006). Dans la première, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 du fait de l’incapacité des juridictions internes à statuer sur l’action en recherche de paternité de la requérante à cause du refus de celui qu’elle désignait comme étant son père de se plier aux tests ADN qu’elles avaient ordonnées. La Cour a admis que la nécessité de protéger les tiers pouvait exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à des tests tels que des tests ADN. Elle a cependant considéré que l’absence de toute mesure procédurale de nature à contraindre le père prétendu de se plier à l’injonction d’un tribunal n’est conforme au principe de proportionnalité que s’il existe d’autres moyens permettant à une autorité indépendante de statuer rapidement sur l’action en recherche de paternité. Elle a conclu pareillement dans la seconde affaire, soulignant qu’« un système qui ne prévoit pas de moyens de contraindre le père prétendu à se soumettre à des tests ADN peut en principe être jugé compatible avec les obligations découlant de l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’État », mais que « l’intérêt de la personne qui cherche à déterminer sa filiation doit être défendu lorsque la paternité ne peut être établie au moyen de tests ADN » et que « le principe de proportionnalité exige que le système en question tire les conséquences du refus du père prétendu et statue rapidement sur l’action en recherche de paternité » (§ 95). Dans ces deux affaires, le constat de violation de l’article 8 de la Convention repose sur l’incapacité des juridictions internes à empêcher que la procédure en déclaration de paternité ne soit entravée par le refus du père prétendu de se plier à un test ADN.
31. La Cour observe que la réponse des juridictions françaises en l’espèce est en phase avec cette jurisprudence. Elles ont en effet examiné la demande d’Éléonore P. nonobstant le refus du requérant de se soumettre à l’expertise génétique qu’elles avaient ordonnée, à la lumière de cette circonstance et des autres éléments du dossier. La cour d’appel de Paris a par ailleurs conclu que le fait de tirer conséquences du refus du requérant de se soumettre à cette expertise ne portait pas atteinte au principe de l’inviolabilité du corps humain dès lors qu’il ne s’agissait que de l’un des éléments fondant le jugement (paragraphes 10-11 ci-dessus).
32. Certes, « l’intérêt supérieur de l’enfant » – auquel renvoie explicitement l’arrêt Mikulić (§§ 64-65) – a eu un poids significatif dans la balance des intérêts en présence opérée par la Cour dans ces affaires (voir aussi, notamment, la décision I.L.V. (précitée, §§ 42-43) et l’arrêt A.L. (précité, § 65), relatifs à des actions en désaveu de paternité). Or, en l’espèce, la personne qui cherchait à faire établir la paternité du requérant à son égard, Éléonore P., était majeure lorsqu’elle a initié la procédure interne. Cependant, s’il en résulte que l’intérêt supérieur de l’enfant n’entre pas en jeu en l’espèce, cela n’atténue pas le droit qu’Éléonore P. tirait de l’article 8 de connaître ses origines et de les voir reconnues, lequel droit ne cesse pas avec l’âge (voir, Pascaud, précité, § 65, et Jäggi, § 40 ; voir aussi Zaiet c. Roumanie, no 44958/05, 24 mars 2015 (non-définitif)). La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relèvent de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par cette disposition (voir Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III, et Godelli c. Italie, no 33783/09, § 46, 25 septembre 2012).
33. Par ailleurs, la Cour constate que, pour dire qu’il était le père d’Éléonore P., les juridictions internes ne se sont pas fondées sur le seul refus du requérant de se soumettre à l’expertise génétique qu’elles avaient ordonnée. Outre les écrits et déclarations de chacune des parties devant elles, elles ont pris en compte des documents et témoignages. Il ressort de plus de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 février 2011, qui qualifie ce refus « d’élément supplémentaire de [l]a paternité [du requérant] » (paragraphe 11 ci-dessus), qu’il n’est venu que conforter une conclusion déjà partiellement établie au vu de ces autres éléments.
34. Dans ces circonstances, en prenant en compte le refus du requérant de se soumettre à l’expertise génétique qu’elles avaient ordonnée pour le déclarer père d’Éléonore P. et faire ainsi prévaloir le droit au respect de la vie privée de cette dernière sur le sien, les juridictions internes n’ont pas excédé l’importante marge d’appréciation dont elles disposaient.
35. Partant, cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.
OSTACE c. ROUMANIE du 25 février 2013 requête 12547/06
L'enfant né hors mariage est majeur. La mère ne savait pas trop qui était son père et désigne un de ses amants. Un test biologique fait avec l'accord du père présumé démontre qu'il n'est pas le père. Les juridictions internes auraient dû faire droit au résultat du test voulu par l'enfant majeur et le père présumé.
33. La Cour rappelle que, si l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n'impose pas seulement aux États de s'abstenir de telles ingérences ; il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. La frontière entre les obligations positives et négatives de l'État au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation (Shofman c. Russie, no 74826/01, §§ 33-34, 24 novembre 2005).
34. La Cour rappelle également qu'elle n'a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges touchant aux relations des individus entre eux au niveau national, mais d'examiner sous l'angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002‑I).
35. En l'espèce, la Cour note qu'en 1980, peu après la naissance de H.‑A., la mère de ce dernier assigna en justice le requérant par une action en recherche de paternité. Cette action a été accueillie sur la base des témoignages qui attestaient d'une liaison entre la mère de l'enfant et le requérant, bien que l'expertise médicolégale ayant effectué la comparaison des groupes sanguins des intéressés n'ait pas prouvé avec certitude qu'il était le père de son fils putatif (paragraphe 6 ci-dessus).
36. Ultérieurement, à la suite d'une expertise médico-légale extrajudiciaire réalisée avec l'accord de H.-A. indiquant qu'il était exclu qu'il soit son père biologique, le requérant demanda la révision de la décision de 1981 en se fondant essentiellement sur l'article 322, point 5 du code de procédure civile qui prévoit la possibilité de réouverture d'une procédure lorsque l'impossibilité de présenter des documents lors de la procédure initiale relevait d'un événement étranger à la volonté des parties.
37. La demande du requérant fut déclarée irrecevable par les juridictions nationales, au motif que la condition définie par la jurisprudence, selon laquelle lesdits documents devraient déjà exister au moment de la procédure initiale n'était pas remplie.
38. La Cour relève que les parties ne contestent pas que le rejet par les juridictions nationales de la demande du requérant de réouverture de la procédure en recherche de paternité était « prévu par la loi » et qu'il poursuivait un but légitime.
39. Il reste à déterminer si, dans les circonstances de l'espèce, la décision litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique ».
40. La Cour rappelle avoir déjà jugé, dans plusieurs affaires relatives à des présomptions légales de paternité, qu'une situation dans laquelle il était impossible de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité n'était pas compatible avec l'obligation de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d'appréciation dont jouissent les États (Mizzi c. Malte, no 26111/02, § 113, CEDH 2006‑I (extraits) ; Shofman, précité, § 45).
41. À la différence de ces affaires, en l'espèce, il ne s'agit pas d'une présomption légale de paternité mais de l'établissement de la paternité du requérant par une décision de justice définitive, à la suite d'une procédure en recherche de paternité.
42. Toutefois, la Cour a également conclu à la violation de l'article 8 de la Convention dans des affaires dans lesquelles les requérants n'avaient aucune possibilité de contester, à la lumière de preuves biologiques nouvelles, la déclaration judiciaire, par décision de justice définitive, de leur paternité
43. Or, tel est le cas en l'espèce. En effet, en vertu du droit interne applicable, le requérant n'a aucune possibilité de contester la déclaration judiciaire de sa paternité. La Cour est disposée à admettre que l'absence d'un mécanisme juridique permettant au requérant de protéger son droit au respect de sa vie privée peut s'expliquer de manière générale par l'« intérêt légitime » de garantir la sécurité juridique et la stabilité des liens familiaux et par la nécessité de protéger les intérêts de l'enfant. Il reste à déterminer si, dans les circonstances particulières de l'espèce, un juste équilibre a été ménagé entre l'intérêt du requérant et l'intérêt général.
44. Le requérant souhaitait obtenir une révision de la déclaration judiciaire de paternité le concernant à la lumière de preuves biologiques dont il n'avait pas connaissance à l'époque de la première procédure en recherche de paternité. H.-A., qui est majeur, a lui-même consenti, ainsi que sa mère, au test ADN.
45. Dès lors, la Cour estime qu'en déclarant irrecevable sa demande de réouverture de la procédure en recherche de paternité de l'enfant né hors mariage, alors que tous les intéressés semblaient favorables à l'établissement de la vérité biologique concernant la filiation de H.-A., les autorités nationales n'ont pas eu égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts en présence (Tavlı, précité, § 36).
46. Elles ont, donc, porté une atteinte à ses droits protégés par l'article 8 de la Convention.
47. Il faut également rappeler que dans d'autres affaires connues par la Cour, l'action en justice entamée par les pères putatifs visait l'obtention d'une preuve afin de connaître la réalité biologique, en obligeant l'enfant putatif à se soumettre à un test biologique. Dans ces affaires, la Cour a attaché au fait qu'il n'y avait pas de preuve biologique contredisant la filiation légalement établie une importance décisive, lorsqu'elle a procédé à la mise en balance des intérêts en cause. Dans ce contexte, la Cour n'a pas estimé déraisonnable que les tribunaux internes donnent plus de poids aux intérêts de l'enfant et de la famille dans laquelle il vit qu'à ceux que peut avoir le requérant à vérifier un fait biologique (İyilik, précité, § 32, et la décision I.L.V. c. Roumanie, précitée, § 40).
48. Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. En effet, contrairement à la situation présente dans les affaires İyilik et I.L.V. c. Roumanie, précitées, en l'espèce, le requérant est en possession d'un rapport d'expertise biologique, réalisé avec l'accord de H.-A. donné alors qu'il était devenu majeur, et prouvant qu'il n'était pas son père.
49. De plus, d'après les informations fournies par l'Institut national de médecine légale (paragraphe 14 ci‑dessus), la preuve scientifique qu'il a obtenue en 2003 ne lui était pas accessible avec les moyens disponibles en 1981.
50. Qui plus est, la Cour constate que la décision rendue en l'espèce par la juridiction nationale n'est pas conforme à l'évolution du droit roumain dans le domaine de la filiation, apportée notamment par le nouveau code civil. Cette évolution se montre favorable à la prévalence de la réalité biologique sur les fictions légales, en renonçant, par exemple, aux délais de prescription inflexibles. En effet, le nouveau code civil prévoit que, pour renverser la présomption de paternité d'un enfant né dans le cadre du mariage, le délai de prescription de l'action en contestation de paternité est calculé, pour le père présumé, à partir de la date à laquelle ce dernier a appris qu'il était présumé être le père de l'enfant ou à partir d'une date postérieure à la première, à laquelle il a appris que cette présomption ne correspondait pas à la réalité (paragraphe 24 ci‑dessus). Par ailleurs, selon le nouveau code civil, l'action en recherche de paternité est imprescriptible tout au long de la vie de l'enfant (paragraphe 18 ci‑dessus). Toutefois, cette évolution du droit roumain, étant intervenue après les faits de l'espèce, n'a pas pu profiter au requérant.
51. La Cour admet que la situation du requérant est peut-être différente à certains égards de celle des pères putatifs dont la paternité est présumée légalement mais n'a pas été déterminée judiciairement. Cependant, l'existence de différences entre plusieurs individus n'empêche pas leurs situations et leurs intérêts respectifs d'être suffisamment comparables (mutatis mutandis, Paulik, précité, § 54).
52. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu'il n'a pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts du requérant et ceux de la société, et que, partant, le système juridique interne n'a pas garanti comme il se devait le « respect de la vie privée » du requérant.
Il y a donc eu violation de l'article 8 de la Convention.
POUR FAIRE RECONNAÎTRE SA FILIATION, IL FAUT RESPECTER
LA PROCÉDURE INTERNE QUI DOIT ÊTRE CONFORME A LA CONVENTION
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- Jurisprudence de la cour de cassation française
Lavanchy c. Suisse du 19 octobre 2021 requête no 69997/17
non violation article 8 :Le rejet d’une action en paternité, introduite après l’expiration du délai de prescription sans motif valable, ne viole pas la Convention
L’affaire concerne le refus des tribunaux suisses d’appliquer une exception au délai de prescription prévu par le droit interne (un an à partir de la majorité) pour ouvrir une action en constatation de filiation et, par conséquent, le rejet de l’action intentée par la requérante en vue de faire inscrire la paternité biologique dans les registres de l’état civil. La requérante se plaignait que les autorités suisses n’ont pas reconnu l’existence d’un « juste motif » excusant le non-respect dudit délai et invoquait, à ce titre, une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. La Cour constate que les juridictions suisses ont soigneusement étayé leurs décisions, en prenant en compte la jurisprudence de la Cour. Elles ont notamment relevé plusieurs moments dans la vie de la requérante où celle-ci aurait pu solliciter les informations sur sa filiation inscrites dans les registres de l’état civil et se renseigner sur les démarches nécessaires, fût-ce après l’expiration du délai de prescription. Ces considérations les ont amenés à considérer l’inactivité de la requérante pendant 31 ans comme injustifiée. La Cour estime que le retard avec lequel la requérante a introduit son action en constatation de la filiation, tel que relevé par les tribunaux nationaux, ne saurait donc être qualifié de justifiable au sens de la jurisprudence de la Cour. Les juridictions suisses n’ont donc pas failli à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu.
Art 8 • Vie privée • Obligations positives • Refus des tribunaux d’appliquer une exception au délai de prescription d’un an suivant la majorité prévu par le droit interne pour ouvrir une action en constatation de filiation • Absence de « justes motifs » rendent le retard excusable et une restitution du délai possible • Juste équilibre ménagé entre les intérêts pertinents en jeu
FAITS
La requérante, Christiane Dominique Lavanchy, est une ressortissante suisse qui réside à Penthalaz (Suisse). À sa naissance en 1964, la requérante fut inscrite au registre de l’état civil comme étant de père inconnu et fut placée sous la curatelle du Tuteur Général en vue d’une recherche de paternité. Elle fut élevée par ses grands-parents maternels jusqu’en août 1967, puis elle fut placée dans un établissement spécialisé jusqu’à sa majorité en 1984. En 1965, la requérante et sa mère formèrent une action en paternité à l’encontre de G.Q. À l’issue de cette procédure, en 1966, une convention transactionnelle alimentaire disposant que G.Q. verserait une contribution aux frais d’entretien de la requérante jusqu’à ses 18 ans fut approuvée par la Justice de paix. En 1982, l’assistante sociale lui communiqua le nom de son père putatif (G.Q.) et lui remit une photo de celui-ci.
Par la suite, à l’âge de 25 ans, la requérante décida de retrouver son père. Une première rencontre fut organisée en 1990 entre les deux intéressés. À cette occasion, G.Q. lui aurait confirmé qu’il était son père et lui aurait fait part de démarches effectuées après sa naissance pour la reconnaître, notamment du fait qu’il avait signé une convention devant une autorité judiciaire concernant la pension alimentaire. La requérante entretint ensuite de bonnes relations avec G.Q., s’appelant « papa » et « ma fille » ; elle rencontra son épouse et leur fille unique. Elle ne demanda jamais à G.Q. de se soumettre à un test ADN ou à reconnaître sa paternité, par peur de ternir leur relation. Après le décès de G.Q., en 2013, la requérante fut citée à comparaître à l’ouverture du testament du défunt. Elle apprit à cette occasion qu’elle n’était pas la fille légitime de G.Q. En 2014, elle intenta une action en constatation de filiation civile, demandant que G.Q. soit reconnu comme étant son père. Les résultats de l’expertise ADN établirent que l’intéressé était bien son père biologique. Toutefois, les juridictions suisses relevèrent que G.Q. n’avait, de son vivant, établi qu’une paternité dite « alimentaire » à l’égard de la requérante, et que cette dernière n’avait pas agi dans le délai d’un an qui suivait sa majorité (article 263 alinéa 1 er du Code civil). Elles déboutèrent la requérante, concluant à l’absence de « justes motifs » susceptibles de rendre un tel retard excusable et de conduire ainsi à la restitution dudit délai.
Article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)
La Cour estime qu’elle doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’une part, le droit de la requérante à établir sa filiation civile à l’égard de G.Q., et d’autre part, la nécessité de respecter les droits de G.Q. et de sa fille légitime ainsi que l’intérêt général à la protection de la sécurité juridique. La Cour précise, entre autres, qu’elle fait la distinction entre les situations dans lesquelles les délais prévus par le droit interne pour intenter une action en recherche de paternité sont de nature absolue et rigide, et celles dans lesquelles le droit interne permet de prolonger ces délais, lorsque les faits pertinents n’étaient pas connus avant l’expiration de ceux-ci. Elle note que la présente affaire relève du deuxième cas de figure puisque la législation suisse ne prévoit pas d’application rigide du délai de prescription qui est fixé à une année après que l’enfant a atteint l’âge de la majorité. En vertu de l’article 263 alinéa 3 du Code civil, une restitution de ce délai est en effet possible puisqu’une action en paternité prescrite peut être admise après l’expiration dudit délai lorsque de « justes motifs » rendent le retard excusable. Elle constate ensuite que les juridictions suisses ont soigneusement étayé leurs décisions, en prenant en compte la jurisprudence de la Cour. Afin de ménager un juste équilibre entre les droits et intérêts concurrents en jeu, le Tribunal fédéral a dûment examiné la situation particulière de la requérante afin de déterminer si son intérêt à établir la filiation était prépondérant. À l’issue de cet examen, il a constaté l’absence de « justes motifs », considérant que la requérante avait connaissance du lien de filiation depuis 1982, soit 31 ans avant le décès de G.Q., et que le seul fait d’ignorer la nécessité d’entreprendre des démarches afin de faire constater son lien de filiation ne suffisait pas pour conclure qu’elle était pendant toute cette période dans l’impossibilité de le faire. En outre, le Tribunal fédéral a estimé qu’après avoir été informée de l’identité de son père, alors qu’elle n’entretenait pas de relations personnelles avec lui, la requérante aurait dû et était en mesure de vérifier l’information reçue dans les registres de l’état civil, et ce du moins lorsqu’elle avait eu affaire avec l’office d’état civil lors de son mariage. Les tribunaux suisses ne se sont donc pas limités à constater que le délai prévu pour ouvrir une action en constatation de filiation était écoulé, mais ils ont cherché à établir si l’intérêt qu’avait la requérante à faire légalement confirmer ses origines pouvait l’emporter sur les autres intérêts en jeu. Ils ont dûment pesé les divers éléments de fait et procédé à une analyse attentive des motifs qui auraient, selon ses propres dires, empêché la requérante d’agir plus tôt. Ainsi, les tribunaux ont relevé plusieurs moments dans la vie de la requérante où celle-ci aurait pu solliciter les informations sur sa filiation inscrites dans les registres de l’état civil et se renseigner sur les démarches nécessaires, fût-ce après l’expiration du délai de prescription. Ces considérations les ont amenés à considérer l’inactivité de la requérante pendant 31 ans comme injustifiée. Par ailleurs, la requérante n’a pas invoqué devant la Cour de motifs en rapport avec la loi qui l’auraient empêchée de prendre, dans le délai légal ou en tout cas bien avant 2014, des mesures afin de faire inscrire sa filiation dans les registres de l’état civil. À cet égard, ne saurait être considéré comme un motif valable, l’argument avancé par la requérante selon lequel elle n’avait pas eu, après avoir noué des relations personnelles avec son père, de raison particulière de s’enquérir des aspects administratifs de la paternité ou ne voulait pas porter préjudice à la relation paternelle fragilement établie. De telles considérations donnent par ailleurs à penser que la requérante n’ignorait pas à l’époque que certaines formalités restaient à régler. De l’avis de la Cour, le retard avec lequel la requérante a introduit son action en constatation de la filiation, tel que relevé par les tribunaux nationaux, ne saurait donc être qualifié de justifiable au sens de la jurisprudence de la Cour. Enfin, la Cour note que si les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle, elles ne sauraient être dispensées de l’obligation de se conformer aux conditions prévues par le droit interne. De plus, en l’occurrence, les décisions litigieuses n’ont pas eu pour effet de priver la requérante de ces informations puisque la paternité biologique de G.Q. a été confirmée par les propos de ce dernier et par l’expertise ADN effectuée après son décès. Par conséquent, rien n’indique qu’en statuant comme elles l’ont fait les juridictions suisses aient failli à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
CEDH
30. La Cour note d’emblée que les faits de la cause, ayant trait à une procédure relative à la paternité, tombent incontestablement sous l’empire de l’article 8 de la Convention, qui reconnaît à chacun le droit de connaître ses origines et de les voir légalement établies (voir Mikulić c. Croatie, no 53176/99, §§ 51 et 54, CEDH 2002‑I, et Pascaud c. France, no 19535/08, § 49, 16 juin 2011). Elle considère également que, même si la requérante n’a pas expressément invoqué ladite disposition dans son recours interjeté devant le Tribunal fédéral suisse, elle y a soulevé ce grief du moins en substance.
31. En l’espèce, la requérante a intenté une action en constatation de filiation civile après le décès de G.Q. qui, d’après ses propres déclarations ainsi que selon le résultat de l’expertise ADN, était son père biologique. Ce dernier n’avait de son vivant établi qu’une paternité dite « alimentaire » à l’égard de la requérante, comme le permettait le droit de filiation suisse en vigueur au moment de la naissance de cette dernière. Cependant, n’ayant pas agi dans le délai d’un an qui suivait sa majorité, comme prévu à l’article 263 alinéa 1er du Code civil, la requérante s’est vu débouter puisque les tribunaux ont conclu à l’absence de « justes motifs » susceptibles de rendre un tel retard excusable et de conduire ainsi à la restitution dudit délai.
32. La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges en matière de paternité, mais il lui incombe d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, Różański c. Pologne, no 55339/00, § 62, 18 mai 2006, et Phinikaridou, précité, § 48). En l’espèce, elle appréciera donc si, en traitant l’action de la requérante, l’État défendeur a respecté son obligation positive d’assurer le droit de celle-ci au respect de sa vie privée. Pour ce faire, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de la requérante à établir sa filiation civile à l’égard de G.Q. et, de l’autre, la nécessité de respecter les droits de ce dernier et de sa fille légitime ainsi que l’intérêt général à la protection de la sécurité juridique.
33. En l’occurrence, la Cour est donc appelée à vérifier si la prescription de l’action en paternité telle qu’elle a été appliquée par les tribunaux suisses est compatible avec la Convention (voir Laakso, précité, § 45). Ce faisant, la Cour prend plusieurs éléments en considération, dont le moment précis où un requérant vient à connaître la réalité biologique ; autrement dit, la Cour doit se demander si les circonstances justifiant une demande en recherche de paternité se sont trouvées réunies avant ou après l’expiration du délai de prescription. Il convient également d’examiner s’il existe un autre moyen de redressement dans le cas où la procédure en cause est prescrite, telles des voies de recours internes effectives permettant la réouverture du délai ou des exceptions à l’application d’un délai dans le cas où une personne prend connaissance de la réalité biologique après expiration du délai (voir Laakso, précité, § 47, et Phinikaridou, précité, § 54). La Cour rappelle par ailleurs qu’il faut distinguer entre les affaires dans lesquelles un requérant n’a eu aucune possibilité de connaître les faits et celles où un requérant sait avec certitude ou a des raisons de supposer qui est son père mais, pour des motifs sans rapport avec la loi, ne prend aucune mesure pour engager une procédure dans le délai légal (voir Phinikaridou, précité, § 63).
34. La Cour observe que, en appliquant les principes susmentionnés aux affaires relatives à la paternité, elle fait la distinction entre les situations dans lesquelles les délais prévus par le droit interne pour intenter une action en recherche de paternité sont de nature absolue et rigide, et celles dans lesquelles le droit interne permet de prolonger ces délais, lorsque les faits pertinents n’étaient pas connus avant l’expiration de ceux-ci (voir, entre autres, Çapın c. Turquie, no 44690/09, § 59, 15 octobre 2019).
En ce qui concerne le premier cas de figure, la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention lorsque le délai a été appliqué de manière rigide sans prendre en compte si l’enfant avait ou non eu connaissance des circonstances se rapportant à l’identité de son père (voir Phinikaridou, précité, Backlund c. Finlande, no 36498/05, 6 juillet 2010, et Röman c. Finlande, no 13072/05, 29 janvier 2013). Dans le deuxième cas de figure, après avoir établi que le délai applicable aux requérants n’était pas absolu, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si les requérants ont agi avec la diligence requise afin de bénéficier de la possibilité d’intenter l’action en paternité après l’expiration dudit délai (voir Çapın, précité, § 61). Ainsi, dans les affaires Konstantinidis c. Grèce (no 58809/09, § 61, 3 avril 2014) et Silva et Mondim Correia c. Portugal (nos 72105/14 et 20415/15, § 68, 3 octobre 2017), la Cour a constaté une non-violation de l’article 8 de la Convention au motif que les requérants ont fait preuve d’un manque injustifiable de diligence en intentant la procédure. Elle a souligné dans ce contexte que l’intérêt vital qu’avaient les requérants de découvrir la vérité sur leur ascendance ne les dispensait pas de se conformer aux conditions prévues par le droit interne en la matière et de faire preuve de diligence afin que les juridictions internes pussent procéder à une juste appréciation des intérêts concurrents en présence, indépendamment des contraintes juridiques liées à l’existence du délai litigieux.
35. Il convient de relever d’emblée que la présente affaire relève du deuxième cas de figure puisque la législation suisse ne prévoit pas d’application rigide du délai de prescription (voir, a contrario, Laakso, précité, § 55) qui est fixé, par l’article 263 alinéa 1er du Code civil, à une année après que l’enfant a atteint l’âge de la majorité. En vertu de l’article 263 alinéa 3 du Code civil, une restitution de ce délai est en effet possible puisqu’une action en paternité prescrite peut être admise après l’expiration dudit délai lorsque de « justes motifs » rendent le retard excusable. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la notion de justes motifs doit être interprétée strictement et englobe, entre autres, le fait que l’enfant n’ait eu connaissance de l’identité de son père biologique qu’après l’échéance du délai prévu par l’article 263 alinéa 3 (paragraphe 20 ci‑dessus).
36. Dans la présente affaire, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal, puis, notamment, le Tribunal fédéral suisse ont soigneusement étayé leurs décisions, en prenant en compte la jurisprudence de la Cour, dont l’arrêt Laakso précité. Afin de ménager un juste équilibre entre les droits et intérêts concurrents en jeu, le Tribunal fédéral a dûment examiné la situation particulière de la requérante afin de déterminer si son intérêt à établir la filiation était prépondérant. À l’issue de cet examen, il a constaté l’absence de « justes motifs », considérant que la requérante avait connaissance du lien de filiation depuis 1982, soit 31 ans avant le décès de G.Q., et que le seul fait d’ignorer la nécessité d’entreprendre des démarches afin de faire constater son lien de filiation ne suffisait pas pour conclure qu’elle était pendant toute cette période dans l’impossibilité de le faire (voir, a contrario, Phinikaridou, précité, §§ 62-63). Comme le souligne le Gouvernement dans ses observations, le Tribunal fédéral a également estimé qu’après avoir été informée de l’identité de son père, alors qu’elle n’entretenait pas de relations personnelles avec lui, la requérante aurait dû et était en mesure de vérifier l’information reçue dans les registres de l’état civil, et ce du moins lorsqu’elle avait eu affaire avec l’office d’état civil lors de son mariage.
37. Il en résulte que les tribunaux suisses ne se sont pas en l’espèce limités à constater que le délai prévu pour ouvrir une action en constatation de filiation était écoulé (voir, a contrario, Laakso, précité, § 53) mais qu’ils ont cherché à établir si l’intérêt qu’avait la requérante à faire légalement confirmer ses origines pouvait l’emporter sur les autres intérêts en jeu (voir, a contrario, Çapın, précité, § 79, et Boljević c. Serbie, no 47443/14, §§ 55-56, 16 juin 2020). En tenant compte de la ratio legis des dispositions applicables, ils ont ainsi dûment pesé les divers éléments de fait et procédé à une analyse attentive des motifs qui auraient, selon ses propres dires, empêché la requérante d’agir plus tôt. Il convient de souligner à cet égard que les tribunaux ont relevé plusieurs moments dans la vie de la requérante où celle-ci aurait pu solliciter les informations sur sa filiation inscrites dans les registres de l’état civil et se renseigner sur les démarches nécessaires, fût‑ce après l’expiration du délai de prescription. Ces considérations les ont amenés à considérer l’inactivité de la requérante pendant 31 ans comme injustifiée.
38. Sur ce dernier point, la Cour ne peut que constater que, dans ses observations devant elle, la requérante n’a pas non plus fait valoir de motifs en rapport avec la loi qui l’auraient empêchée de prendre, dans le délai légal ou en tout cas bien avant 2014, des mesures afin de faire inscrire sa filiation dans les registres de l’état civil. Ne saurait à cet égard être considéré comme un motif valable l’argument avancé par la requérante selon lequel elle n’avait pas eu, après avoir noué des relations personnelles avec son père, de raison particulière de s’enquérir des aspects administratifs de la paternité ou ne voulait pas porter préjudice à la relation paternelle fragilement établie (paragraphe 23 ci-dessus). De telles considérations donnent par ailleurs à penser que la requérante n’ignorait pas à l’époque que certaines formalités restaient à régler. De l’avis de la Cour, le retard avec lequel la requérante a introduit son action en constatation de la filiation, tel que relevé par les tribunaux nationaux, ne saurait donc être qualifié de justifiable au sens de la jurisprudence de la Cour (paragraphe 34 ci-dessus).
39. En dernier lieu, la Cour note que si les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle, elles ne sauraient être dispensées de l’obligation de se conformer aux conditions prévues par le droit interne (voir, entre autres, Konstantinidis, précité, § 61). De plus, en l’occurrence, les décisions litigieuses n’ont pas eu pour effet de priver la requérante de ces informations puisque la paternité biologique de G.Q. a été en l’espèce confirmée et par les propos de ce dernier et par l’expertise ADN effectuée après son décès (voir, a contrario, Jäggi c. Suisse, no 58757/00, CEDH 2006‑X).
40. Dans ces circonstances, et tenant compte de la marge d’appréciation dont l’État défendeur dispose dans ce domaine, rien n’indique qu’en statuant comme elles l’ont fait les juridictions suisses aient failli à leur obligation de ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu.
41. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
CĂLIN et autre c. ROUMANIE du 19 juillet 2016, requêtes nos 25057/11, 34739/11 et 20316/12
violation de l'article 8 : Les trois enfants sont nés hors mariage, ils font une recherche en paternité. Elle est rejetée sur la fiction qu'un homme qui est dans les liens du mariage, ne peut pas avoir d'enfant en dehors. Les enfants ne sont pas nés dans les liens du mariage, leurs intérêts devaient primer sur ceux du père, pour que la réalité biologique soit rétablie sur la fiction.
2. L’appréciation de la Cour
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
82. La Cour relève que les requérants, nés hors mariage, ont cherché par la voie judiciaire à faire reconnaître leur lien juridique avec les personnes qu’ils prétendent être leurs pères respectifs en établissant la vérité biologique. Devant la Cour, ils se plaignent de ce que le délai fixé par la loi lors de leur naissance et qui leur avait été opposé à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008 les avait privés de la possibilité de faire établir devant les juridictions internes leur filiation paternelle.
83. La Cour rappelle que la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III). Le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, et le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, §§ 53-54, CEDH 2002‑I, et Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, série A no 160, §§ 36-37 et 39). Ceci inclut l’obtention des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs (Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 25, CEDH 2006‑X, et Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 37, 6 juillet 2010).
84. Les faits de la cause relèvent en conséquence du champ d’application de l’article 8 de la Convention.
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
85. La Cour rappelle que l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics et qu’à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Ces obligations positives peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Kroon et autres, précité, § 31, et Röman c. Finlande, no 13072/05, § 45, 29 janvier 2013). La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête toutefois pas à une définition précise, même si les principes applicables en sont comparables. Pour déterminer si une obligation positive existe, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu ; de même, tant pour les obligations positives que pour les obligations négatives, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Mikulić, précité, §§ 57-58, et Odièvre, précité, § 40).
86. La Cour rappelle également qu’elle n’a pas vocation à se substituer aux autorités internes compétentes pour trancher les litiges nationaux en matière de paternité ; son rôle est d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Konstantinidis c. Grèce, no 58809/09, § 43, 3 avril 2014, Röman, précité, § 46, et Różański c. Pologne, no 55339/00, § 62, 18 mai 2006).
i. Sur la question de savoir si le rejet des actions des requérants était « prévu par la loi » et poursuivait un but légitime
87. La Cour relève que les requérants ne contestent pas que le rejet de leurs actions en recherche de paternité était « prévu par la loi ».
88. À ce propos, il y a lieu d’observer que les juridictions internes ont rejeté les actions des intéressés en se fondant sur la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008 qui était, selon l’article 147 § 4 de la Constitution, d’application immédiate, même dans les litiges en cours (paragraphe 38 ci-dessus). En vertu de cette décision, les juridictions internes ont donc appliqué l’article 60 § 1 du code de la famille qui prévoyait que l’action en recherche de paternité devait être introduite dans un délai d’un an à compter de la naissance de l’enfant. Dès lors, la Cour estime que le rejet des actions des requérants était « prévu par la loi ».
89. La Cour constate ensuite que la Cour constitutionnelle et les juridictions internes ont jugé nécessaire de protéger le principe de non‑rétroactivité de la loi civile et, ainsi, de s’assurer de la sécurité juridique.
90. La Cour admet en effet que l’établissement d’une filiation peut avoir des répercussions considérables non seulement sur la vie privée et familiale des proches parents du père présumé, mais aussi sur leur situation patrimoniale, ce qui permet au législateur de réglementer les questions liées à la filiation (Konstantinidis, précité, § 52, et Pascaud c. France, no 19535/08, §§ 59 et 62, 16 juin 2011). L’ingérence litigieuse tendait donc à la protection des « droits et libertés d’autrui ».
91. Il reste à déterminer si, dans les circonstances particulières des présentes espèces, l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
ii. Sur la nécessité de l’ingérence
92. Pour dire si l’article 8 de la Convention a ou non été observé, la Cour doit non seulement mesurer les intérêts de l’individu à l’intérêt général de la collectivité prise dans son ensemble, mais encore peser les intérêts privés concurrents en jeu. À cet égard, il y a lieu de noter que l’expression « toute personne » figurant à l’article 8 de la Convention s’applique à l’enfant comme au père présumé. D’un côté, il y a le droit à la connaissance de ses origines qui trouve son fondement dans l’interprétation extensive de la notion de vie privée (Odièvre, précité, § 42). Les personnes qui se trouvent dans la situation des requérants ont un intérêt vital, défendu par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle et dissiper toute incertitude à cet égard (Mikulić, précité, §§ 64 et 65). D’un autre côté, on ne saurait nier l’intérêt d’un père présumé à être à l’abri de plaintes tardives se rapportant à des faits qui remontent à de nombreuses années. Enfin, outre les intérêts concurrents qui viennent d’être évoqués peuvent entrer en jeu d’autres intérêts, par exemple ceux de tiers, pour l’essentiel la famille du père présumé, et l’intérêt général avec la sécurité juridique (Backlund, précité, § 46 et Röman, précité, § 51).
93. En l’occurrence, la Cour constate que la situation des requérants est d’une certaine manière différente de celle exposée dans les affaires examinées jusqu’à présent. Si, dans les affaires Phinikaridou, Konstantinidis et Backlund, susmentionnées, les requérants n’ont pas pu engager d’action en recherche de paternité dans le délai prévu par la loi au motif qu’ils ne connaissaient pas l’identité de leur père biologique présumé, en l’espèce, la raison tient à l’absence de pleine capacité d’exercice des intéressés pour introduire une telle action pendant la durée du délai de prescription.
94. À cet égard, il convient de noter que la loi applicable en l’espèce prévoyait comme point de départ du délai de prescription d’un an un moment objectif, à savoir le jour de la naissance des requérants. Ainsi, les dispositions du code de la famille telles qu’elles étaient en vigueur au moment de la naissance des requérants protégeaient les intérêts d’un enfant dont la mère ou le représentant légal avait engagé une action en recherche de paternité dans le délai prévu par la loi. En revanche, le code de la famille ne prévoyait rien pour les personnes se trouvant dans la situation des requérants, dont les responsables légaux n’avaient pas engagé d’actions en recherche de paternité dans le délai légal.
95. En effet, dans les affaires en présence, le délai de prescription pour engager une action en recherche de paternité était arrivé à échéance lorsque les requérants avaient atteint l’âge d’un an, donc bien avant qu’ils aient la pleine capacité d’exercice pour engager eux-mêmes une action en recherche de paternité. Dès lors, les intéressés étaient tributaires de la diligence de leur mère ou de leur représentant légal pour engager une action en recherche de paternité et, vu que ces derniers ne l’avaient pas fait, les requérants n’ont jamais eu la possibilité d’intenter personnellement une telle action. Si, le premier requérant s’est vu opposer la prescription en raison de l’inaction de sa mère, le même constat vaut pour la deuxième requérante pour laquelle sa mère n’a pas suivi valablement la procédure interne.
96. Dans ce contexte, la Cour estime important de relever que, à l’occasion de l’examen de l’affaire Phinikaridou, précitée, elle a mené une recherche comparative concernant la législation des États contractants sur les actions en reconnaissance de paternité. Cette recherche avait fait apparaître qu’il n’existait pas d’approche uniforme en la matière. Contrairement à ce qu’ils faisaient pour les procédures en reconnaissance ou en désaveu de paternité engagées par des pères, selon ce rapport, un nombre important d’États n’instituaient pas de délai de prescription pour les actions en recherche de paternité engagées par des enfants. Il a été constaté, en effet, une tendance à protéger davantage le droit de l’enfant à voir établir sa filiation paternelle (Phinikaridou, précité, § 58).
97. Dans les États prévoyant un délai de prescription pour les actions engagées par des enfants, la durée de ce délai variait entre un an et trente ans. Bien qu’il existe des différences dans la définition du dies a quo, la plupart de ces États faisaient courir le délai soit à partir de la majorité de l’enfant, soit à partir du prononcé d’un jugement définitif démentant la paternité même si l’enfant a pu avoir connaissance d’éléments sur l’identité de son père, et ce sans exception (Phinikaridou, précité, § 59).
98. La Cour considère qu’en principe, le délai d’un an existant dans la législation roumaine n’est pas déraisonnable du point de vue de sa durée. En revanche, le dies a quo pose problème, étant donné que, dans ces affaires, il fait courir un délai qui ne permet aucunement à l’enfant de pallier l’absence d’action entreprise durant sa minorité par la mère ou son représentant légal (comparer avec l’affaire Konstantinidis, précitée, § 54, dans laquelle la Cour a estimé que le délai de prescription d’un an prévu par la loi grecque au bénéfice de l’enfant n’était pas déraisonnable étant donné qu’il commençait à courir à partir de sa majorité et permettait ainsi de pallier l’absence d’action entreprise pendant sa minorité). La Cour constate ainsi que la fixation du délai de prescription, tel qu’il a produit ses effets en l’espèce, a restreint le droit des intéressés à engager des actions en recherche de paternité au point d’éteindre ce droit.
99. La Cour rappelle ensuite qu’elle a déjà estimé que des délais de prescription rigides ou d’autres obstacles aux actions en recherche de paternité qui s’appliquent même si les intéressés n’ont pas connaissance de l’identité de leur père présumé avant l’écoulement du délai de prescription (Phinikaridou, précité, § 56, Backlund, précité, § 48, et Röman, précité, § 52) méconnaissent l’article 8 de la Convention. La Cour estime que ce critère doit être pris en compte dans les présentes affaires. Elle constate à ce sujet que le droit interne ne prévoit aucune exception qui aurait permis aux intéressés d’engager eux-mêmes une action en recherche de paternité dès leur majorité (Konstantinidis, précité) ou dans un certain délai après l’entrée en vigueur de la loi no 288/2007, qui a rendu imprescriptible le droit des enfants nés après son entrée en vigueur d’engager une action en recherche de paternité.
100. En outre, la Cour remarque qu’il ressort clairement de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008 et des décisions rendues par les juridictions internes qu’un plus grand poids a été accordé à l’intérêt général représenté par la sécurité juridique et aux droits et intérêts concurrents du père et de sa famille qu’au droit des requérants à connaître leurs origines. La Cour estime toutefois qu’une restriction aussi radicale apportée au droit des requérants à engager une procédure en recherche de paternité devait appeler de la part des juridictions roumaines une mise en balance des intérêts en cause. Or la Cour relève que, pour débouter les requérants de leurs actions, les juridictions internes n’ont, à aucun moment, pris en considération leur droit à connaître leur ascendance et à voir établir leur filiation paternelle.
101. En effet, dans son arrêt du 9 décembre 2008, la Cour constitutionnelle n’a pas examiné les intérêts des personnes se trouvant dans la situation des requérants et a fait prévaloir le principe de non-rétroactivité de la loi civile sans aucune mise en balance des intérêts en cause (paragraphe 44 ci-dessus). S’il est vrai que la Cour constitutionnelle est le garant de la constitutionnalité des lois et du principe de non-rétroactivité de la loi civile, il n’en reste pas moins que la Constitution prévoit la protection de la vie privée et la primauté des dispositions internationales, de sorte qu’une mise en balance de tous ces intérêts aurait pu donner lieu à un débat au niveau interne. Par la suite, les juridictions internes ont suivi la décision de la Cour constitutionnelle. De l’avis de la Cour, il n’a donc pas été suffisamment démontré en quoi l’intérêt général qu’il y avait à protéger la sécurité juridique des liens familiaux ou l’intérêt du père présumé l’emportait sur le droit des requérantes à avoir au moins une chance de faire établir en justice leur filiation paternelle. La Cour rappelle à cet égard que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37 et Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, § 84, CEDH 2011 (extraits)).
102. Par ailleurs, la Cour prend note de l’évolution du droit roumain dans le domaine de la filiation, évolution qui se montre favorable à la prévalence de la réalité biologique sur les fictions légales. Ainsi, selon le nouveau code civil, l’action en recherche de paternité est imprescriptible tout au long de la vie de l’enfant (paragraphe 42 ci-dessus). Toutefois, en raison de la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2008, cette évolution du droit roumain n’a pas pu profiter aux requérants.
103. Eu égard à ce qui précède, et même en prenant en compte la marge d’appréciation dont dispose l’État, la Cour considère que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu et que, dès lors, l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie privée n’a pas été proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
104. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
KONSTANTINIDIS c. GRÈCE requête 58809/09 du 3 avril 2014
Le requérant serait le fils naturel d'un compositeur de musique grec connu dans le monde entier. Il n'a pas pu le faire reconnaître car il n'a pas été vigilant dans la procédure interne. Il a laissé passé les délais. Cet erreur est à la charge du requérant. Il n'y a pas de violation de la Convention.
50. Il ressort du dossier que le requérant, né le 9 janvier 1981, a grandi en ignorant l’identité de son père, sa mère n’ayant jamais voulu jusqu’alors la lui révéler, ni exercer en son nom un recours en recherche de paternité. Le requérant n’aurait appris cette identité que le 10 août 2001, soit quelques jours avant le décès de sa mère, alors qu’il était déjà majeur depuis le 9 janvier 1999. Souhaitant voir établie l’identité de son père, le requérant a engagé une action en recherche de paternité. Les juridictions du fond ont constaté que le délai de prescription prévu à l’article 1483 du code civil était dépassé et qu’il n’existait aucun élément justifiant les allégations présentées aux fins d’obtenir la suspension de ce délai. La Cour de cassation a, en dernière instance, rejeté le pourvoi du requérant. Dans ces conditions, on ne saurait exiger du requérant de faire usage des diverses voies de recours mentionnées par le Gouvernement. En conséquence, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes.
51. La Cour relève d’abord qu’il y a eu en l’espèce ingérence dans l’exercice du droit garanti par l’article 8, qui était « prévue par la loi » et poursuivait un but légitime, à savoir la sécurité juridique et la protection des droits et libertés d’autrui. Il reste à examiner si elle était nécessaire dans une société démocratique.
52. La Cour considère à cet égard que l’établissement d’une filiation peut avoir des répercussions considérables non seulement sur la vie privée et familiale des proches parents de l’intéressé et des tiers, mais aussi sur leur situation patrimoniale. Dans ce contexte, le législateur a tout intérêt à réglementer les questions liées à la filiation, dont celles relatives à la recherche de paternité (Phinikaridou, précité, § 51 ; Mizzi, précité, § 83 ; Shofman c. Russie, no 74826/01, § 39, 24 novembre 2005, et, mutatis mutandis, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, § 51).
53. La Cour note que les articles 1479-1483 du code civil grec ne règlementent pas exclusivement le droit de l’enfant d’agir en recherche de paternité. Ces articles règlementent de manière globale la question de l’établissement de la paternité en indiquant de manière limitative les personnes ayant le droit d’introduire une action en justice à cette fin, ainsi que les délais pour agir. Le législateur a fixé ces délais non sans avoir pris en compte l’enjeu pour chacune des personnes concernées par ce processus ainsi que la nature de leurs droits et obligations et non sans avoir pondéré les conséquences qu’une telle action pourrait avoir sur la vie privée et familiale de ces personnes, telle que celle-ci a pu se cristalliser après le passage d’un certain laps de temps. Le législateur a alors fixé un délai de cinq ans après la naissance de l’enfant en ce qui concerne la mère, un délai de dix-neuf ans en ce qui concerne l’enfant lui-même, dont un an après sa majorité et un délai de deux ans au profit du père présumé ou des parents de celui-ci, à compter du refus de la mère de donner son consentement à une reconnaissance volontaire par le père (article 1483 – paragraphe 18 ci-dessus).
54. Selon la Cour, le délai d’un an institué au bénéfice de l’enfant par l’article 1483 n’est pas déraisonnable. Ce délai ménage un équilibre entre la protection de l’enfant, en lui permettant de pallier à l’absence d’action entreprise durant sa minorité, et celle du père présumé et évite de laisser planer pendant longtemps une incertitude quant à leur situation familiale ainsi qu’à leur situation patrimoniale et notamment les droits successoraux. Ce délai contribue aussi à éviter la disparition de preuves qui pourrait survenir après l’écoulement d’un grand laps de temps et ceci d’autant plus qu’en cas de décès du père présumé, l’action en reconnaissance de paternité peut être dirigée contre les héritiers de celui-ci (article 1480 du code civil).
55. En l’espèce, le requérant soutient qu’il n’a pas agi dans le délai prévu à l’article 1483 précité, sa mère ne lui ayant révélé l’identité de son père que le 10 août 2001. La Cour doit alors déterminer si la nature du délai en question et/ou si la manière dont il a été appliqué se concilie avec la Convention (Phinikaridou, précité, § 52), c’est-à-dire si l’action engagée par le requérant a ou non été rejetée en raison du caractère absolu du délai en cause.
56. La Cour note d’abord que le recours prévu par l’article 152 du code de procédure civile, mentionné par le Gouvernement, concerne l’omission de respecter les délais liés au déroulement d’une procédure et non les délais liés à l’exercice d’un droit substantiel.
57. La Cour relève ensuite que le système prévu en la matière par le droit grec n’est pas inflexible. En effet, le délai prévu par l’article 1483 peut être suspendu : l’article 255 du code civil prévoit notamment la possibilité de suspendre ce délai lorsque le titulaire du droit d’agir a été empêché en raison d’un événement de force majeure ou a été dissuadé de manière dolosive, par la personne qui lui est redevable, de faire valoir ses prétentions. En outre, la jurisprudence des tribunaux grecs admet que l’ignorance des faits permettant l’introduction d’une action en reconnaissance de paternité constitue pour l’enfant un cas de force majeure justifiant la suspension du délai prévu à l’article 1483 du code civil (paragraphes 22-25 ci-dessus). Or, dans son action, le requérant ne s’est fondé que sur un prétendu comportement dolosif de son père pour appuyer sa demande de suspension du délai de prescription. Il n’a pas fait état d’une quelconque force majeure qui l’aurait empêché d’agir plus tôt.
58. À cet égard, la Cour entend distinguer la présente affaire de l’arrêt Phinikaridou précité, où le droit chypriote fixait un délai rigide, ainsi que de l’arrêt Grönmark c. Finlande (n o 17038/04, 6 juillet 2010). Dans cette dernière affaire, la requérante avait apporté la preuve concluante de ses allégations, à savoir des résultats de tests ADN, mais il lui était impossible de faire établir juridiquement sa filiation avec son père biologique en raison de la rigidité du délai d’introduction de l’action y relative. Or, en l’espèce, le délai dont bénéficiait le requérant n’était pas rigide et celui-ci ne pouvait pas se prévaloir d’une vérité biologique en sa faveur. Il se fondait seulement sur des allégations dont la véracité a été mise en doute par les tribunaux internes qui ont eu à se prononcer sur l’affaire. La Cour réitère aussi qu’il n’existe pas d’approche uniforme en la matière au niveau européen et que seuls quelques ordres juridiques ont mis en place des solutions pour le cas où les circonstances pertinentes deviennent connues seulement après que le délai de prescription pour les actions en recherche de paternité a expiré.
59. Les juridictions helléniques ont donc examiné les faits pouvant justifier, selon le requérant, la suspension du délai de prescription et conclu que les conditions pour l’application des dispositions suspendant le délai de l’article 1483 ne se trouvaient pas réunies en l’espèce. Le tribunal de première instance a considéré que l’attitude de Y.M. ne constituait pas un comportement trompeur ou dolosif au sens de l’article 255. La cour d’appel a relevé que Y.M. avait directement et immédiatement exclu tout lien biologique avec le requérant et n’avait pas tenté de l’induire en erreur de manière dolosive et de l’empêcher ainsi d’introduire plus tôt son action. La Cour de cassation, de son côté, a entériné l’approche des juridictions du fond.
60. Par ailleurs, aux yeux de la Cour, le requérant a fait preuve d’un manque de diligence non justifié par la connaissance tardive de l’identité de son père biologique. En effet, elle constate que l’intéressé n’a entrepris aucune démarche juridique après le 10 août 2001, lorsque sa mère l’a informé de l’identité de son père. Le requérant n’a intenté son recours que le 19 décembre 2003, soit plus de deux ans après avoir eu connaissance de cette information cruciale. À cet égard, le tribunal de première instance a relevé que le requérant n’avait pas mentionné un événement de force majeure en raison duquel il aurait été obligé d’introduire son action plus de quatre ans après l’expiration du délai posé par l’article 1483. Quant à la cour d’appel, elle a souligné, elle aussi, que le requérant a saisi les tribunaux deux ans après avoir pris connaissance de l’identité de son prétendu père.
61. La Cour observe que l’intérêt vital pour le requérant de découvrir la vérité sur son ascendance, et donc sur un aspect important de son identité personnelle, ne le dispensait pas de se conformer aux conditions prévues par le droit interne en la matière et de faire preuve de diligence afin que les juridictions internes pussent procéder à une juste appréciation des intérêts concurrents en présence, indépendamment des contraintes juridiques liées à l’existence du délai litigieux.
62. Compte tenu de la marge d’appréciation des Etats en matière de législation sur l’action en reconnaissance de paternité, du caractère non absolu du délai de prescription de l’article 1483 et de la jurisprudence des juridictions grecques y relative, la Cour considère que l’application de ce délai dans les circonstances de l’espèce n’a pas porté atteinte à la substance même du droit au respect de la vie privé du requérant garanti par l’article 8 de la Convention.
63. En conséquence, la Cour conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention pris isolément
LA LOI MAROCAINE LOI DE LA MAMAN QUI S'IMPOSE NE PEUT PAS S'APPLIQUER EN FRANCE
CAR ELLE N'EST PAS CONFORME A L'ORDRE PUBLIC INTERNATIONNAL
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 16 décembre 2020 pourvoi n° 19-20.948 rejet
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l’enfant E... Y... est née le [...] 2014 à Paris de Mme Y..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie. Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.
2. M. X... fait grief à l’arrêt d’écarter la loi marocaine pour contrariété à l’ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l’action en recherche de paternité exercée par Mme Y... au nom de sa fille E... et d’ordonner une expertise biologique,
3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l’établissement d’une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l’ordre public international lorsqu’elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d’établir sa filiation.
4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s’agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l’action de Mme Y... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d’appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l’ordre public international et qu’il convenait d’appliquer la loi française.
5. Le moyen n’est donc pas fondé.
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 14 octobre 2020 pourvoi n° 19-15.783 cassation sans renvoi
Sur l'équité de la la demande et de la procédure
Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
4. Aux termes de ce texte, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
5. Pour déclarer l’action de Mme X... recevable, après avoir énoncé à bon droit que la loi anglaise compétente faisait obstacle à la reconnaissance d’un lien de filiation qui viendrait contredire celui créé par l’adoption, laquelle produisait les effets de l’adoption plénière du droit français, en application de l’article 370-5 du code civil, l’arrêt retient que le droit au respect de la vie privée et familiale impose d’établir un juste équilibre dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de Mme X... de connaître son ascendance et de voir établir légalement celle-ci, de l’autre, le refus de C... X... lorsqu’il était vivant, puis de son héritier M. A... X..., qui se sont opposés systématiquement aux demandes de Mme X... et, enfin, l’intérêt général lié à la sécurité juridique. Il relève, d’abord, que l’intérêt de M. A... X..., seul héritier de C... X... et qui avait connaissance de l’existence et du souhait de Mme X... de renouer avec sa famille d’origine, au moins depuis 2008, puis de voir reconnaître son lien de parenté, est de moindre importance que l’intérêt de Mme X.... Il énonce, ensuite, que, si le droit anglais empêche l’établissement d’une autre filiation en présence d’une adoption, il n’interdit pas pour autant la remise en cause de cette adoption dans certaines circonstances. Il ajoute, enfin, que l’adoption de Mme X... a été obtenue dans des conditions particulières, alors que les assistants sociaux avaient adressé plusieurs lettres restées sans réponse à C... X..., qu’ils s’étaient rendus en France afin de le rencontrer, sans parvenir à entrer en contact avec lui, que seule l’épouse de celui-ci avait contacté téléphoniquement les enquêteurs sociaux, en indiquant qu’elle désapprouvait cette adoption, sans donner de motifs, que le désintérêt de C... X... à l’égard de Mme X... avait été constant jusqu’à ce qu’elle reprenne contact avec lui en 2008 et, encore, que, bien que condamné à payer des subsides par un arrêt de la cour d’appel de Versailles, en 1959, il avait cessé ses paiements quelques années après, ce qui avait contraint les époux W... à demander l’adoption de la mineure afin d’obtenir des prestations familiales pour l’élever.
6. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses énonciations, d’une part, que Mme X..., qui connaissait ses origines personnelles, n’était pas privée d’un élément essentiel de son identité, d’autre part, qu’C... X..., puis son héritier, M. A... X..., n’avaient jamais souhaité établir de lien, de fait ou de droit, avec elle, de sorte qu’au regard des intérêts de M. A... X..., de ceux de la famille adoptive et de l’intérêt général attaché à la sécurité juridique et à la stabilité des liens de filiation adoptifs, l’atteinte au droit au respect de la vie privée de Mme X... que constituait l’irrecevabilité de l’action en recherche de paternité ne revêtait pas un caractère disproportionné, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Sur le fond
Vu l’article 625, alinéa 2, du code de procédure civile :
8. Aux termes de ce texte, la cassation entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
9. La cassation de l’arrêt du 21 novembre 2017 ayant déclaré l’action recevable entraîne l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêt du 19 mars 2019 ayant statué au fond sur la paternité de C... X....
Portée et conséquences de la cassation
10. Comme suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. La cassation prononcée n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond.
UN HOMME TRANSGENRE DEVENU FEMME NE PEUT FAIRE INSCRIRE SUR L'ETAT CIVIL SA PATERNITE DE L'ENFANT CONCU DU TEMPS QU'IL AVAIT UN APPAREIL GENITAL MASCULIN
PUISQUE LE DROIT INTERNE NE PREVOIT PAS DEUX MERES MAIS QU'UNE MERE, CELLE QUI A ACCOUCHE
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 16 septembre 2020 pourvois n° 18-50.080 et 19-11.251 cassation partielle
11. Aux termes de l’article 61-5 du code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Selon l’article 61-6 du même code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d’accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l’état civil peut désormais intervenir sans que l’intéressé ait perdu la faculté de procréer.
12. Si l’article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.
13. Il convient dès lors, en présence d’une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil.
14. Aux termes de l’article 311-25 du code civil, la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant.
15. Aux termes de l’article 320 du même code, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait.
16. Ces dispositions s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption.
17. En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l’enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant.
18. De la combinaison de ces textes, il résulte qu’en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père.
19. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Selon l’article 7, § 1, de cette Convention, l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
20. L’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui ».
21. Aux termes de l’article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
22. Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.
23. Elles sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est 9 519 au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués.
24. En ce qu’elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l’ayant conçu, ces dispositions concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là-même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue.
25. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché.
26. En conséquence, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a constaté l’impossibilité d’établissement d’une double filiation de nature maternelle pour l’enfant D..., en présence d’un refus de l’adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l’état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme X... à l’égard de l’enfant.
Mais sur le moyen du pourvoi no H 18-50.080
Enoncé du moyen
27. Le procureur général près la cour d’appel de Montpellier fait grief à l’arrêt de juger que le lien biologique doit être retranscrit par l’officier de l’état civil, sur l’acte de naissance de la mineure sous la mention de Mme A... X..., née le [...] à Paris 14e comme « parent biologique » de l’enfant, alors « que selon les dispositions de l’article 57 du code civil, l’acte de naissance d’un enfant mentionne ses seuls « père et mère », qu’en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de « parent biologique », la cour d’appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l’article 57 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 57 du code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
28. La loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ».
29. Pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant D... Y..., s’agissant de la désignation de Mme X..., l’arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme X... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le terme de « parent », neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre Mme X... et son enfant.
30. En statuant ainsi, alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du moyen du pourvoi n°X 19-11.251 ni de saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour avis consultatif,
la Cour :
CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi no X 19-11.251 en ce qu’il est dirigé contre l’arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité de Mme A... X... à l’égard de l’enfant D... Y..., l’arrêt rendu le 14 novembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ;
Remet, sur les autres points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 15 mai 2019 pourvoi n° 18-12.602 rejet
Vu l’article 311-17 du code civil, ensemble l’article 3 du même code ;
Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ; qu’il en résulte que l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité doit être possible tant au regard de la loi de l’auteur de celle-ci que de la loi de l’enfant et que la recevabilité de l’action doit être appréciée au regard des deux lois ; que, selon le second, il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en application la règle de conflit de lois et de rechercher le droit étranger compétent ;
Attendu que, pour déclarer recevable l’action en contestation de la reconnaissance de paternité de B... X... et ordonner une expertise biologique, l’arrêt avant dire droit du 6 mai 2015 fait application des articles 334 et 321 du code civil qui permettent, à défaut de possession d’état conforme au titre, à toute personne qui y a intérêt, d’agir en contestation de paternité dans le délai de dix ans ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que Mme Z... X...- Y... avait la nationalité espagnole, de sorte qu’il lui incombait de vérifier d’office si la contestation de reconnaissance paternelle était recevable au regard, non seulement de la loi de son auteur, mais également de la loi personnelle de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 7 novembre 2018 pourvoi n° 17-25938 rejet
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bourges, 6 juillet 2017), que Mme X... a été inscrite à l’état civil comme étant née le [...] de Paulette A... et Jacques X..., son époux ; que ceux-ci sont décédés respectivement les [...] ; que, par testament authentique reçu le 5 octobre 2010, Guy B... a déclaré reconnaître Mme X... comme étant sa fille ; qu’il est décédé le [...] ; qu’en décembre 2014 et janvier 2015, Mme X... a assigné ses sept frères et soeurs, un neveu, par représentation de son père décédé, ainsi que Mme Marie-Claire B..., fille de Guy B..., et ses deux filles mineures, C... et D..., en contestation de la paternité de Jacques X... et établissement de celle de Guy B... ; que Mme Marie-Claire B... s’est opposée à cette action ;
Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt de déclarer son action en contestation de paternité irrecevable et de rejeter sa demande d’expertise biologique
Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 320 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ;
Que l’arrêt en déduit exactement que Mme X... ne pouvait faire établir un lien de filiation avec Guy B... sans avoir, au préalable, détruit le lien de filiation avec Jacques X... ;
Attendu, ensuite, que le délai pour agir en contestation de paternité, qui était de trente ans en application des textes et de la jurisprudence antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, est désormais de dix ans, en l’absence de possession d’état conforme au titre, en application des articles 334 et 321 du code civil, issus de cette ordonnance ; qu’il résulte de l’article 2222, alinéa 2, du code civil qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;
Que le délai de dix ans applicable à l’action en contestation de paternité de Mme X..., qui a couru à compter du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, ne peut donc excéder la durée de trente ans, courant à compter de la majorité, prévue par la loi antérieure ;
Attendu qu’ayant relevé que Mme X..., née le [...], était devenue majeure le [...], de sorte que le délai pour agir en contestation de paternité expirait le [...] décembre 2011, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en contestation de paternité engagée en décembre 2014, après l’expiration du délai de prescription prévu par la loi antérieure, était irrecevable ;
Attendu que, selon le moyen, cette solution porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X..., garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’aux termes de ce texte :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui ;
Attendu que ces dispositions sont applicables en l’espèce dès
lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le
droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître
son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée ;
Attendu que, si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien
de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la
loi, dès lors qu’elle résulte de l’application des textes précités du code
civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de
prescription des actions relatives à la filiation ; que cette base légale est
accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ;
Qu’elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique ;
Que les délais de prescription des actions en contestation de paternité ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif ;
Que, cependant, il appartient au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ;
Attendu que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que Mme X... n’a jamais été empêchée d’exercer une action tendant à faire établir sa filiation biologique, mais s’est abstenue de le faire dans le délai légal ; qu’il constate qu’alors qu’elle avait des liens affectifs avec Guy B... depuis sa petite enfance, elle a attendu son décès, le [...] 2014, et l’ouverture de sa succession pour exercer l’action ; qu’il ajoute qu’elle a disposé de délais très importants pour agir et qu’elle disposait encore d’un délai jusqu’au [..] décembre 2011, lorsqu’elle a été rendue destinataire, le 6 février 2010, d’un test de paternité établissant, selon elle, de façon certaine, le lien de filiation biologique avec Guy B... ;
Que de ces constatations et
énonciations, dont il ressort que Mme X... a eu la possibilité d’agir après
avoir appris la vérité sur sa filiation biologique, la cour d’appel a pu déduire
que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre
et qu’il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte
disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ;
D’où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n’est pas fondé
pour le surplus ;
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 19 juillet 2016 N° de pourvoi 15-22848 cassation partielle
Vu les articles
310-3 et 332, alinéa 2, du code civil ;
Attendu que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf
s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Ilham X... a été inscrite à l'état civil
comme étant née le 31 août 2006 de Mme Y... et de M. X..., son époux ; qu'en
septembre 2010, M. Z... a assigné ces derniers en contestation de la paternité
de M. X... et en établissement judiciaire de sa paternité ; qu'après avoir
ordonné une expertise biologique à laquelle M. X... et Mme Y... n'ont pas
déféré, le tribunal a dit que M. X... n'était pas le père de l'enfant ;
Attendu que, pour infirmer le jugement ayant ordonné une expertise biologique et
rejeter l'action en contestation de paternité, l'arrêt retient que M. Z... a
introduit son action tardivement et que la finalité recherchée par ce dernier
n'est pas de faire triompher la vérité biologique mais de se venger de Mme Y...,
qui a refusé de renouer une relation amoureuse avec lui, de sorte qu'en présence
d'une action tardive et dont la finalité bafoue l'intérêt de l'enfant concernée,
M. X... et Mme Y... justifient d'un motif légitime de refus de l'expertise
biologique ;
Qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant relatif au caractère tardif de
l'action, et alors que l'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue pas en soi
un motif légitime de refus de l'expertise biologique, la cour d'appel a violé
les textes susvisés
Cour de cassation chambre civile 1, arrêt du 6 juillet 2016 N° de pourvoi 15-19853 Rejet
Attendu que MM. Antoine et Julien X...et Mme Danièle A...veuve X...(les consorts X...) font grief à l'arrêt de constater l'expiration du délai quinquennal d'exercice de l'action en contestation de paternité et de déclarer cette action irrecevable
Mais attendu,
d'abord, que, si l'application d'un délai de prescription ou de forclusion,
limitant le droit d'une personne à faire reconnaître son lien de filiation
paternelle, constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa
vie privée et familiale garanti à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, la fin de non-recevoir opposée
aux consorts X...est prévue à l'article 333 du code civil et poursuit un but
légitime, en ce qu'elle tend à protéger les droits et libertés des tiers ainsi
que la sécurité juridique ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté, d'une part, que Daniel X...,
dont la filiation paternelle était concernée, était décédé au jour où elle
statuait ; qu'elle a relevé, d'autre part, que ses descendants ne soutenaient
pas avoir subi, personnellement, une atteinte à leur vie privée du fait de
l'impossibilité d'établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance ;
qu'après avoir retenu que cette considération était sans objet s'agissant de sa
veuve, dont l'ascendance n'était pas en cause, elle en a déduit que l'action
engagée par les consorts X...ne poursuivait qu'un intérêt patrimonial ; qu'en
l'état de ces énonciations, elle a pu décider que l'application des règles
prévues à l'article 333 du code civil ne portait pas au droit au respect de leur
vie privée une atteinte excessive au regard du but légitime poursuivi,
justifiant que ces règles fussent écartées et que l'action fût déclarée recevable
L'AUTORITE PARENTALE D'UN PERE SUR UN ENFANT NE HORS MARIAGE
PAPARRIGOPOULOS c. GRÈCE du 30 juin 2022 Requête no 61657/16
Art 14 (+ Art 8) • Discrimination • Impossibilité pour le père d’une enfant née hors mariage d’exercer l’autorité parentale sans le consentement de la mère, malgré la filiation établie par un test ADN • Différence de traitement disproportionnée entre les pères et les mères d’enfants nés hors mariage et d’enfants nés d’un mariage
Art 8 • Obligations positives • Durée de procédure de neuf ans et quatre mois, pour trois instances, non raisonnable
ART 8 + ART 14
35. Les principes généraux en l’espèce sont exposés dans l’arrêt Zaunegger c. Allemagne, no 22028/04, §§42-56 et 60-61, 3 décembre 2009).
36. La Cour relève que la législation interne a soumis le père célibataire d’un enfant naturel à une différence de traitement vis-à-vis tant de la mère que du père marié ou divorcé. En particulier, conformément à l’article 1515 du code civil, en cas de reconnaissance judiciaire, un accord des parents est exigé pour que les pères célibataires puissent exercer l’autorité parentale. Le tribunal peut, si l’intérêt de l’enfant l’impose, en décider autrement à la demande du père, mais seulement si l’autorité parentale de la mère a cessé ou si elle n’est pas en mesure de l’exercer pour des raisons légales ou concrètes ou s’il existe un accord entre les parents.
37. Sur ce point, le Gouvernement plaide que les situations respectives de la mère et du père ne sont pas comparables car, en premier lieu, la reconnaissance de l’enfant étant le résultat d’un « combat judiciaire » mené par le père, il a été considéré dangereux pour l’intérêt de l’enfant de reconnaitre au père le pouvoir d’exercer l’autorité parentale « automatiquement ». En deuxième lieu, il argue que l’exercice de l’autorité parentale ne devait répondre à un régime différent de celui des enfants nés d’un mariage parce que les parents n’habitent pas ensemble et qu’il est difficile d’exercer l’autorité parentale en commun car souvent les parents n’ont pas de bonnes relations entre eux. En troisième lieu, toujours selon le Gouvernement, la différence de traitement tient non pas au sexe mais au fait que le lien entre la mère et l’enfant n’est pas le même que celui qui unit le père à l’enfant.
38. La Cour observe qu’en l’espèce, une fois la filiation avec A.K. établie par un test ADN, le requérant a cherché à faire reconnaître sa paternité. Or, la législation interne ne lui permettait pas d’exercer l’autorité parentale, même dans le cas où cela aurait été conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. En même temps, il n’a pas pu obtenir une décision judiciaire susceptible de pallier un refus de la mère de consentir au partage de l’autorité parentale, alors même que cette dernière ne niait pas le lien de filiation entre requérant et A.K.
39. La Cour n’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle le lien entre la mère et l’enfant n’est pas le même que celui qui unit le père à l’enfant. Si tel peut bien évidemment être le cas dans certains cas concrets, elle considère qu’en l’espèce cet argument ne permet pas de priver, de manière automatique, le requérant de l’exercice de l’autorité parentale. À ce propos, elle note que l’article 1515 du code civil a été modifié en 2021 et prévoit dorénavant la possibilité pour les tribunaux d’attribuer l’exercice de l’autorité parentale également au père d’un enfant né hors mariage, à la demande de celui-ci et si l’intérêt de l’enfant l’impose. Ainsi, l’autorité parentale n’est plus attribuée, de manière automatique, uniquement à la mère.
40. Tout en gardant à l’esprit que les autorités jouissent d’une grande latitude en matière d’autorité parentale (voir Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 63, CEDH 2003‑VIII (extraits)), la Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que la majorité des États membres semblent partir du principe que l’attribution de l’autorité parentale doit reposer sur l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle doit être soumise au contrôle des juridictions internes en cas de conflit entre les parents (Zaunegger, précité, § 60).
41. La Cour considère que le Gouvernement n’a pas suffisamment expliqué pourquoi, à l’époque des faits, il était nécessaire que le droit interne prévoie cette différence de traitement entre les pères et les mères d’enfants nés hors mariage et d’enfants nés d’un mariage.
42. En ce qui concerne la discrimination alléguée, la Cour conclut de ce qui précède qu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre l’absence de possibilité pour le requérant d’exercer l’autorité parentale et le but poursuivi, à savoir la protection de l’intérêt supérieur des enfants naturels.
DELAI ART 8, 6-1 ET 13
48. Les principes généraux en l’espèce sont exposés dans l’arrêt Anagnostakis et autres c. Grèce (no 46075/16, §§ 66-68, 23 septembre 2021).
49. En particulier, la conduite inefficace, et en particulier retardée, des procédures concernant les relations entre un enfant et un parent peut entraîner un manquement aux obligations positives en vertu de l’article 8 de la Convention (Eberhard et M. c. Slovénie, nos 8673/05 et 9733/05, § 127, 1er décembre 2009, et S.I. c. Slovénie, no 45082/05, § 69, 13 octobre 2011). Il s’ensuit que, dans les affaires concernant la relation d’une personne avec son enfant, il y a une obligation de faire preuve de diligence exceptionnelle compte tenu du risque que l’écoulement du temps pourrait entraîner une décision de fait de l’affaire. Cette obligation, qui est déterminante pour évaluer si une affaire a été entendue dans un délai raisonnable, comme l’exige l’article 6 § 1 de la Convention, fait également partie des exigences procédurales implicites à l’article 8 (voir, par exemple, Süß c. Allemagne, no 40324/98, § 100, 10 novembre 2005, Strömblad c. Suède, no 3684/07, § 80, 5 avril 2012, et Ribić c. Croatie, no 27148/12, § 92, 2 avril 2015).
50. De l’avis de la Cour, cette obligation est renforcée dans les affaires qui, comme la présente, concernent la reconnaissance de paternité. Cependant, la procédure en cause a débuté le 18 janvier 2007, date à laquelle E.K. a introduit une action en recherche de paternité, et a pris fin le 25 avril 2016, date à laquelle la Cour de cassation a rejeté les pourvois introduits par le requérant. Elle a donc duré neuf ans et quatre mois, pour trois instances. Elle note que les arguments présentés par le Gouvernement ne permettent pas d’expliquer un tel retard. Elle rappelle en outre que des retards dans la procédure risquent toujours, en pareil cas, de trancher par un fait accompli le problème en litige. Eu égard à l’obligation positive de faire preuve de diligence exceptionnelle dans des affaires similaires, la Cour conclut que le laps de temps écoulé ne peut pas être considéré comme raisonnable.
51. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
SI LA LÉGISLATION EXISTE SUR LA DÉCHÉANCE PARENTALE,
LES JURIDICTIONS DOIVENT STATUER DANS L'INTÉRÊT DE L'ENFANT
L.D. et P.K. c. BULGARIE du 8 décembre 2016 Requêtes nos 7949/11 et 45522/1
Article 8 : deux affaires différentes mais il s'agit du même fond. Deux hommes ont des relations chacun avec une jeune femme bulgare. Le premier n'est pas informé de sa grossesse. L'enfant né est adopté par le couple dont le mari reconnaît être le père. Le second est informé de la grossesse de son amie. Il veut reconnaître l'enfant. Il donne de l'argent à la mère et fait les travaux de la chambre pour accueillir bébé. La petite fille née, est adoptée par un couple dont le mari reconnaît être le père. Les tribunaux n'ont pas cassé les adoptions malgré le test ADN positif pour le premier requérant et la certitude d'être le père pour le second requérant, suite à une enquête. Il y a, au sens de l'article 8, atteinte à la vie privée des deux hommes qui ont connu la même mésaventure avec deux jeunes femmes bulgares différentes qui ont vraisemblablement "vendu" leur enfant.
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention et sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits protégés par cette disposition
53. La Cour note que les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Eu égard aux circonstances des présentes affaires, elle estime nécessaire de se pencher d’abord sur la question de l’applicabilité de l’article 8 en l’espèce.
54. Elle rappelle que la notion de « vie familiale » visée par cette disposition ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober des liens familiaux de fait lorsque les personnes cohabitent en dehors du mariage (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30, série A no 297-C). Lorsque les circonstances le justifient, cette notion peut s’étendre non seulement à une vie familiale déjà établie, mais aussi à la relation qui peut se développer entre un enfant né hors mariage et son père naturel. À cet égard, les facteurs à prendre en compte comprennent la nature de la relation entre les parents naturels, ainsi que l’intérêt et l’attachement manifestés par le père naturel pour l’enfant avant et après la naissance (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI, Anayo c. Allemagne, no 20578/07, § 57, 21 décembre 2010, et Ahrens, précité, § 58).
55. En l’espèce, la Cour relève que le premier requérant soutient qu’il a pendant un temps accompagné la grossesse de la mère et qu’il était prêt à s’occuper de l’enfant dont il affirme être le père biologique après sa naissance. L’enfant ayant été ensuite confiée à la famille de l’homme l’ayant reconnue, le requérant n’a pas pu la voir ou entretenir de liens affectifs avec elle. Concernant le deuxième requérant, la Cour observe que celui-ci affirme qu’il n’était pas au courant de la grossesse et qu’il n’a appris l’existence de l’enfant qu’après sa naissance. L’intéressé n’a pas non plus été en mesure d’avoir des contacts avec l’enfant même s’il a pu faire réaliser un test ADN qui indique qu’il en est le père biologique. Dans ces circonstances, la Cour estime que les liens des requérants avec les enfants en question ne constituent pas une base suffisante pour qu’ils puissent relever de la notion de « vie familiale » visée à l’article 8 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nylund, décision précitée, Ahrens, précité, § 59, et Marinis c. Grèce, no 3004/10, § 57, 9 octobre 2014).
56. La Cour rappelle toutefois que l’article 8 de la Convention protège non seulement la vie familiale mais aussi la vie privée. Elle a ainsi déjà constaté à plusieurs occasions que les procédures en reconnaissance ou en contestation de paternité concernaient la « vie privée », au sens de cette disposition, du père présumé, car elles englobent des aspects importants de l’identité de ce dernier (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, Ahrens, précité, § 60, Nylund, décision précitée, et Yildirim c. Autriche (déc.), no 34308/96, 19 octobre 1999). La Cour ne voit aucune raison de se prononcer différemment en l’espèce, et elle considère dès lors que la situation dénoncée par les requérants entre dans le champ d’application de l’article 8.
57. La Cour doit donc examiner si l’impossibilité pour les requérants de faire établir leur paternité biologique révèle un manque de respect pour leur vie privée, au sens de cette disposition.
58. La Cour rappelle à cet égard que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. À ces deux égards, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, aux deux égards, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Kroon et autres, précité, § 31, Mizzi c. Malte, no 26111/02, §§ 105-106, CEDH 2006-I (extraits), Różański, précité, §§ 60-61, et Nylund, décision précitée).
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
59. Pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large. De plus, la marge d’appréciation est généralement étendue lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011, et les références qui y sont citées ; voir aussi Ahrens, précité, § 68, A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 68, 18 février 2014, et Mandet c. France, no 30955/12, § 52, 14 janvier 2016). La Cour a par ailleurs jugé que les États disposaient d’une marge d’appréciation plus ample lorsqu’il s’agissait de déterminer le statut juridique d’un enfant que lorsqu’il s’agissait de questions relatives aux contacts entre un enfant et un parent (Ahrens, précité, § 70, A.L. c. Pologne, précité, § 68, et Krisztián Barnabás Tóth c. Hongrie, no 48494/06, § 37, 12 février 2013).
60. En ce qui concerne l’existence d’un consensus entre les États membres, il ressort des éléments de droit comparé dont la Cour dispose en l’espèce qu’une large majorité (dix-sept parmi vingt-six) des États ayant fait l’objet de l’étude menée en 2012 autorisaient, parfois sous certaines conditions, la personne prétendant être le père biologique d’un enfant à contester une filiation établie par reconnaissance, alors que neuf États n’autorisaient pas une telle contestation (paragraphe 36 ci-dessus). La Cour note que l’étude en question date de 2012 et que la législation de certains États a pu changer dans l’intervalle. Celle-ci permet toutefois de constater qu’une large majorité des États membres ayant fait l’objet de l’étude permettent la contestation d’une reconnaissance de paternité mais qu’il n’y a pas de consensus à cet égard, à même de réduire la marge d’appréciation de l’État. Il résulte de l’ensemble des circonstances énumérées ci-dessus (paragraphes 59 et 60) que l’État défendeur disposait en l’espèce d’une marge d’appréciation étendue.
61. Même dans ce cas, les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Celle-ci doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les différents intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (Mandet, précité, § 53, Mennesson c. France, no 65192/11, § 81, CEDH 2014 (extraits), et Krisztián Barnabás Tóth, précité, § 32). La Cour n’a cependant pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités, lesdites autorités bénéficiant de rapports directs avec tous les individus intéressés. Il lui incombe d’apprécier sous l’angle des dispositions pertinentes de la Convention les décisions rendues par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Ahrens, § 64, Marinis, § 61, et A.L. c. Pologne, § 66, tous précités).
62. La Cour a déjà eu l’occasion de considérer que l’article 8 de la Convention impose aux États l’obligation de rechercher s’il est dans l’intérêt de l’enfant de permettre au père biologique de nouer une relation avec le mineur, par exemple en lui accordant un droit de visite. Le père biologique ne devrait pas être complètement empêché d’établir sa paternité ou exclu de la vie de l’enfant sauf s’il y a des raisons impératives liées à l’intérêt supérieur de ce dernier pour le faire. Cela n’implique pas nécessairement une obligation d’autoriser un père biologique présumé à contester le statut du père légitime (Kautzor, §§ 76-77, et Ahrens, § 74, précités). Toutefois, une impossibilité absolue pour un homme prétendant être le père biologique de chercher à établir sa paternité, au seul motif qu’un autre homme a déjà reconnu l’enfant, a été considérée comme méconnaissant l’article 8 (Różański, précité, § 79). Dans l’affaire Różański, la Cour a considéré que le fait que les autorités disposaient d’un pouvoir d’appréciation pour décider d’engager ou non une procédure en contestation d’une reconnaissance de paternité n’était pas en soi critiquable. Toutefois, l’absence d’accès direct à une procédure au travers de laquelle le requérant pouvait chercher à établir sa paternité, l’absence, en droit interne, de lignes directrices concernant la manière dont le pouvoir discrétionnaire des autorités de contester une reconnaissance de paternité devait être exercé, ainsi que la façon superficielle dont les demandes du requérant visant à contester la reconnaissance effectuée par un autre homme avaient été examinées, a amené la Cour à conclure à la violation de l’article 8 (Różański, précité, §§ 75-79).
63. Dans d’autres affaires, la Cour a estimé que le refus d’examiner l’action en recherche de paternité du requérant n’avait pas rompu le juste équilibre et n’avait ainsi pas enfreint l’article 8 dans la mesure où ce refus était fondé non seulement sur le fait que l’enfant avait déjà un lien de filiation établi par reconnaissance ou présomption de paternité, mais aussi sur l’existence d’une relation sociale et familiale entre l’enfant et ses père et mère légitimes (Ahrens, § 74 in fine, Kautzor, § 77 in fine, Marinis, § 77, tous précités) ou sur l’appréciation des juridictions internes selon laquelle, dans le cas concret, l’autorisation d’une recherche de paternité ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant (Nylund, décision précitée, et Krisztián Barnabás Tóth, précité, § 33). Dans toutes ces affaires, la Cour a relevé que l’interdiction pour le père biologique de chercher à établir sa paternité n’était pas absolue et que le droit interne prévoyait des hypothèses où une recherche de paternité était recevable, par exemple lorsque la paternité légitime ne correspondait pas à la réalité sociale et familiale (arrêts Ahrens et Kautzor précités) ou encore lorsque le père biologique présumé avait eu pendant la période de la conception une relation durable avec la mère, qui avait interrompu sa cohabitation avec le père légitime (Marinis, précité, §§ 30 et 77). La Cour a également tenu compte du fait que le processus décisionnel ayant abouti à l’interdiction en question comportait certaines garanties telles que l’examen circonstancié des faits de la part des autorités compétentes, la mise en balance des différents intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ou la possibilité pour le requérant d’exposer sa position et sa situation personnelle (Ahrens, précité, §§ 76-80, et Krisztián Barnabás Tóth, précité, §§ 33-36).
64. En l’espèce, la Cour constate que le droit interne ne prévoit pas la possibilité pour un homme qui prétend être le père biologique d’un enfant dont la filiation paternelle a été établie par reconnaissance de directement contester cette reconnaissance ou d’établir sa propre paternité. Cette interdiction apparaît comme ne souffrant aucune exception. La Cour observe à cet égard que, si une décision récente de la Cour suprême de cassation semble suggérer qu’une action directe sur le fondement de l’article 8 de la Convention serait possible, aucun exemple d’exercice d’une telle action ne lui a été rapporté et l’action engagée en 2015 par le premier requérant sur ce fondement a été déclarée irrecevable (paragraphes 14, 31 et 32 ci-dessus).
65. La Cour relève que l’interdiction posée par le droit interne a effectivement été appliquée dans le cas des requérants puisque les juridictions internes ont rejeté les actions que ces derniers ont tenté d’introduire au motif de l’absence de qualité pour agir. Pour rejeter les actions engagées par les intéressés, les juridictions internes, en application des dispositions pertinentes en la matière du code de la famille, ont uniquement tenu compte du fait qu’une reconnaissance de paternité avait été effectuée. À aucun moment elles n’ont pris en compte les circonstances particulières de chaque espèce et la situation des différents protagonistes – l’enfant, la mère, le père légitime et le père biologique présumé (paragraphes 11, 14 et 18 ci-dessus, voir aussi Różański, précité, § 77).
66. La Cour observe que le droit bulgare prévoit par ailleurs que le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale peuvent introduire une action en contestation d’une reconnaissance de paternité, qui peut aboutir à l’annulation de celle-ci s’il s’avère qu’elle ne correspond pas à la réalité biologique (article 66, alinéa 5, du code de la famille). Ni le code de la famille ni aucun autre acte normatif ne précisent dans quels cas les autorités devraient faire usage de cette prérogative ; il ressort cependant de la jurisprudence existante et des observations soumises par l’Agence de l’aide sociale qu’une action sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille est introduite lorsqu’il existe un soupçon que la reconnaissance a été utilisée pour contourner la réglementation relative à l’adoption ou en cas de danger pour l’enfant (paragraphe 27 ci-dessus).
67. La Cour prend note de l’existence de cette possibilité, qui semble être effectivement utilisée en pratique, mais elle relève qu’une telle action n’était pas directement accessible aux requérants : sa mise en œuvre dépendait en effet de la décision d’autorités publiques – le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale –, qui disposent du pouvoir discrétionnaire de l’engager ou non dans un cas donné. De plus, il n’existe pas de réglementation accessible au public indiquant dans quels cas ces autorités peuvent ou doivent exercer cette prérogative et quelle est la procédure suivie (voir Różański, précité, §§ 73 et 76). Un homme qui prétend être le parent biologique d’un enfant peut certes effectuer un signalement auprès des autorités susmentionnées et leur demander d’engager une action. Ces autorités n’ont toutefois pas l’obligation légale d’entendre l’intéressé (même si cela peut être fait dans la pratique dans le cadre de l’enquête sociale) ou de lui fournir les motifs de leur décision en cas de refus. De plus, un éventuel refus de leur part n’est pas susceptible d’un recours judiciaire.
68. Par ailleurs, pour décider d’engager ou non une action, les autorités en question ne sont pas tenues de procéder à un examen des différents intérêts en jeu. Si elles tiennent apparemment compte de l’intérêt de l’enfant, notamment en cas de risque pour la santé ou le bien-être de celui‑ci, ou du respect de la législation sur l’adoption, il n’apparaît pas que ces intérêts légitimes soient mis en balance avec les autres intérêts en jeu, notamment ceux du père biologique.
69. L’objectif d’une telle action n’est d’ailleurs pas de conduire à l’établissement judiciaire de la paternité du père biologique, mais seulement à l’annulation de la filiation établie par reconnaissance ; pareille action apparaît de ce fait réservée à des situations exceptionnelles mettant en cause le respect de la législation ou un risque pour l’enfant, et non un simple conflit concernant l’établissement de la paternité. Dès lors, en l’espèce, cette voie de recours n’apparaît pas comme applicable dans la situation du deuxième requérant (paragraphes 16-19 ci-dessus).
70. Quant au premier requérant, si une action en annulation de la reconnaissance a bien été introduite par le parquet à la suite du signalement effectué par l’intéressé, la Cour relève que la procédure y afférente a été clôturée à la suite du désistement de l’action par la procureure, et ce sans que cette dernière n’ait eu à fournir un quelconque motif à son désistement, que les juridictions aient apprécié l’opportunité de celui-ci au regard des différents intérêts en jeu ou que le requérant ait pu s’opposer à ce désistement ou faire appel de la décision (paragraphes 12-13 ci-dessus).
71. Dès lors, la possibilité de saisir le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale aux fins d’introduction par ces autorités d’une action en annulation de reconnaissance sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille n’apparaît pas comme une voie de recours effective, susceptible de remédier à la situation dénoncée par les requérants.
72. Concernant enfin l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants avaient la possibilité de reconnaître les enfants en question avant leur naissance, la Cour note que l’article 64 du code de la famille permet effectivement de reconnaître un enfant de manière anticipée, dès la conception de celui-ci. Elle prend toutefois en considération les arguments des requérants, qui avancent que cela n’est pas toujours possible dans les faits – le deuxième requérant n’était vraisemblablement pas au courant de la grossesse – et qu’il ne s’agit en tout cas pas d’une pratique courante en Bulgarie.
73. La Cour observe en outre que, même en cas de reconnaissance anticipée, il est loisible à la mère de priver celle-ci d’effet en faisant opposition par une simple déclaration (paragraphe 21 ci-dessus). Si la mère acquiesce ensuite à la reconnaissance effectuée par un autre homme (paragraphe 22 ci-dessus) avant que l’auteur de la première reconnaissance n’ait pu introduire une action judiciaire en recherche de paternité, ce dernier, même s’il est le père biologique de l’enfant, se retrouvera dans la même situation que les requérants, c’est-à-dire dans l’impossibilité d’établir sa paternité. Dès lors, la possibilité de faire une déclaration de paternité anticipée n’apparaît pas comme un moyen effectif d’établir sa paternité en l’absence d’accord de la mère.
74. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait reprocher aux requérants de ne pas avoir effectué une reconnaissance de paternité anticipée. Elle relève en outre que, dans les deux cas, les intéressés ont entrepris des démarches en vue de la reconnaissance de leur paternité dès qu’ils ont eu connaissance des naissances respectives.
75. Il apparaît de ce qui précède que les requérants en l’espèce n’avaient pas de possibilité effective de contester la filiation établie par reconnaissance et aucune possibilité d’établir directement leur propre paternité. La Cour constate que cette situation résulte de la volonté du législateur bulgare, dans un objectif de stabilité des relations familiales, de privilégier la filiation déjà établie par rapport à la possibilité d’établir une paternité biologique. S’il est bien entendu raisonnable de la part des autorités internes de tenir compte du fait que l’enfant a déjà une filiation établie, la Cour estime que d’autres éléments auraient dû être pris en considération dans des situations comme celles de l’espèce. Elle relève à cet égard que, pour rejeter les actions introduites par les requérants, les juridictions internes, en application des dispositions pertinentes en la matière du code de la famille, se sont fondées uniquement sur le fait qu’une reconnaissance de paternité avait été effectuée, sans prendre en compte les circonstances particulières de chaque espèce et la situation des différents protagonistes – l’enfant, la mère, le père légitime et le père biologique présumé (voir Różański, précité, § 77).
76. Dans ces circonstances, la Cour considère que, en dépit de la marge d’appréciation étendue dont bénéficie l’État en la matière, le droit des requérants au respect de la vie privée a été méconnu. Partant, elle rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement et conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
Sur l’application de l’article 46 de la Convention
77. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 46 de la Convention se lisent comme suit :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
78. Le premier requérant demande à la Cour d’indiquer au gouvernement défendeur les mesures à prendre en exécution de l’arrêt conformément à l’article 46 de la Convention. Il considère que les mesures individuelles qui seront adoptées devront permettre la réouverture de la procédure sur son action en contestation de la reconnaissance de paternité de V. et en établissement de sa paternité. Quant aux mesures générales, il suggère que le code de la famille soit modifié de manière à permettre la contestation d’une reconnaissance par un tiers lorsqu’il existe un intérêt légitime de le faire, par exemple en rétablissant la possibilité qui existait dans l’ancien code de la famille, en vigueur jusqu’en 2009.
79. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs rendus par elle dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il appartient au premier chef à l’État défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de ses obligations au regard de l’article 46 de la Convention. Pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de cette disposition, la Cour peut chercher à indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation constatée (voir, parmi d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 254-255, CEDH 2012).
80. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 8 en raison de l’impossibilité pour les requérants, selon le droit interne, de chercher à établir leur paternité biologique au seul motif qu’un autre homme avait déjà reconnu l’enfant, sans aucune appréciation de la proportionnalité de cette interdiction ni mise en balance des différents intérêts en jeu. La Cour observe que, s’agissant d’une matière aussi délicate que la filiation et les relations entre des parents et de jeunes enfants, les autorités nationales, qui bénéficient de rapports directs avec les individus concernés, sont les mieux placées pour apprécier les différents intérêts en jeu. Elle prend par ailleurs note du fait qu’un projet de loi de modification du code de la famille visant à l’extension des possibilités de contestation d’une filiation établie par reconnaissance, notamment en faveur de la personne qui prétend être le père biologique d’un enfant, est en cours d’élaboration (paragraphe 35 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour considère que les autorités nationales, en coopération avec le Comité des Ministres, sont les mieux placées pour décider des mesures individuelles et générales à adopter en exécution du présent arrêt.
SOARES DE MELO c. PORTUGAL du 16 février 2016 requête 72850/14
Violation de l'article 8 : Nous sommes dans l'horreur absolue, la dame a 10 enfants, 7 de ses enfants ont été placés en vue d'une adoption car elle ne vit que d'aides sociales. La CEDH a heureusement constaté la violation de l'article 8 et au passage a reconnu la possibilité de la ligature des trompes, interdite en France quand la dame est trop jeune. Une chrétienne n'a pas le droit au préservatif car le pape l'interdit mais la ligature des trompes est possible.
a) Principes généraux
88. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner, précité, § 58) : des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 précité sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre (Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000 IX, et Pontes, précité, § 74). La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004). Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », il convient donc d’analyser, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués à l’appui de celle-ci étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.
89. Le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T., précité, § 173, et Kutzner, précité, § 69). De surcroît, l’article 8 de la Convention met à la charge de l’État des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (Kutzner, précité, § 61).
90. Dans l’examen de la nécessité de l’ingérence, la Cour tiendra compte du fait que la conception que l’on a du caractère opportun d’une intervention des autorités publiques dans les soins à donner à un enfant varie d’un État à l’autre en fonction d’éléments tels que les traditions relatives au rôle de la famille et à l’intervention de l’État dans les affaires familiales, ainsi qu’en fonction des ressources que l’on peut consacrer à des mesures publiques dans ce domaine particulier. Il reste que l’intérêt supérieur de l’enfant revêt dans chaque cas une importance décisive. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés (Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250), souvent dès le moment où des mesures de placement sont envisagées ou immédiatement après leur mise en œuvre. Il découle de ces considérations que la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A, Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 64, Recueil 1996‑III, et K. et T., précité, § 154).
91. La Cour rappelle aussi que, si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ‑ ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, CEDH 2007-XIII) ‑, en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (voir, dans ce sens, Gnahoré, précité, § 59) pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003‑VIII). En outre, l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave ; une mesure menant à pareille situation doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et d’un poids et d’une solidité suffisants (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII). L’éloignement de l’enfant du contexte familial est une mesure extrême à laquelle on ne devrait avoir recours qu’en tout dernier ressort. Pour qu’une mesure de ce type se justifie, elle doit répondre au but de protéger l’enfant confronté à un danger immédiat (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010).
92. Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect de ces obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et à la Cour de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties de l’article 8, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk, précité, § 141, CEDH 2010, et K.A.B. c. Espagne, no 59819/08, § 115, 10 avril 2012,).
93. La Cour répète que, si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant, elle doit néanmoins avoir acquis la conviction que, dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont, avant de mettre pareille mesure à exécution, évalué avec soin l’incidence qu’auraient sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption envisagée ainsi que d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant (K. et T., précité, § 166, et Kutzner, précité, § 67). La Cour exerce en outre un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Gnahoré, précité, § 54, et Sahin, précité, § 65). D’un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de l’intérêt de l’enfant et que l’article 8 de la Convention ne saurait autoriser un parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants (Sahin, précité, § 66). D’un autre côté, il est clair qu’il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré, précité, § 59, et Pontes, précité, § 85).
94. Si l’article 8 de la Convention ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter les intérêts protégés par cette disposition. Il convient dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez important pour accorder la protection requise à leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 64, série A no 121, et Assunção Chaves c. Portugal, no 61226/08, §§ 82-84, 31 janvier 2012).
b) Application de ces principes en l’espèce
95. En l’espèce, la Cour note que les parties ne contestent pas que la mesure de placement litigieuse ‑ ordonnée à l’égard de sept de ses enfants, M., Y., I.R., L., M.S., A. et R., et exécutée par rapport aux six derniers ‑, la déchéance de l’autorité parentale et l’interdiction de toute visite, décidées par le jugement du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne Nord-Est - Sintra du 25 mai 2012, ont constitué des « ingérences » dans l’exercice du droit de la requérante au respect de sa vie familiale. La Cour ne voit pas de raison de conclure autrement.
96. La Cour observe en outre que les parties s’accordent à dire que les ingérences en cause avaient une base légale. Elle note également que les mesures litigieuses susmentionnées étaient fondées sur l’article 35 § 1 g) de la LPCJP et l’article 1978-A du code civil, et qu’elles étaient donc « prévues par la loi ».
97. Il ressort des motifs retenus par les juridictions internes que les décisions dénoncées par la requérante avaient pour objectif la sauvegarde des intérêts des enfants. Les ingérences dont il est question poursuivaient donc un but légitime prévu par l’article 8 § 2 de la Convention : « la protection des droits et libertés d’autrui ». La question qui se pose est donc celle de savoir si les mesures étaient « nécessaires dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi dans les circonstances particulières de l’affaire ; plus particulièrement, il s’agit de savoir si l’application faite en l’espèce des dispositions législatives a ménagé un juste équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et les autres intérêts concurrents en jeu.
i. Observations préalables
98. À titre liminaire, la Cour prend note des observations finales et des recommandations présentées par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies adoptées le 31 janvier 2014 concernant la situation des familles vivant dans une pauvreté persistante au Portugal (voir les observations et recommandations nos 39-42 et 57-58 reprises au paragraphe 57 ci-dessus).
99. Ensuite, dans la présente espèce, elle observe ce qui suit.
D’abord, la famille de la requérante a fait l’objet d’un premier signalement de la CPCJ en 2005, étant donné que la requérante était sans emploi et que son conjoint, le père des enfants, était souvent absent du domicile en raison de sa polygamie.
Par la suite, un accord de promotion des droits et de protection des enfants entre la requérante, son conjoint et la CPCJ a été établi le 4 janvier 2007 en application de l’article 55 de la LPCJP, concernant E. (alors âgée de 11 ans), I. (alors âgée de 5 ans), M. (alors âgé de 2 ans), Y. (alors âgé de 1 an) et I.R. (alors âgé de trois mois). D’après cet accord, la requérante s’était engagée, entre autres, à rechercher un emploi, à améliorer les conditions de vie dans son logement et à faire en sorte de permettre à ses enfants d’aller à l’école et, le cas échéant, de fréquenter des jardins d’enfants ou des crèches. Toujours selon cet accord, la CPCJ s’était engagée, quant à elle, à suivre et à soutenir la mise en œuvre de l’accord à travers des recommandations, des suggestions et des propositions (paragraphe 9 ci-dessus).
La procédure de promotion des droits et de protection des enfants en danger a officiellement été ouverte le 26 septembre 2007, à la requête de la CPCJ qui avait porté à la connaissance du parquet près le tribunal aux affaires familiales de Sintra le manque de collaboration de la requérante dans le cadre de l’accord, notamment l’absence de conditions matérielles adéquates et de la négligence. Une mesure de soutien aux parents à l’égard des enfants a alors été appliquée, le 21 décembre 2007, conformément à l’article 39 de la LPCJP. Elle s’est concrétisée par le soutien fourni à la requérante par un travailleur social de l’ECJ dans le but d’apprendre à celle-ci à organiser son foyer et à s’occuper de ses enfants (paragraphes 15-17 ci‑dessus).
Au terme d’une audience tenue le 25 juin 2009 en présence de la requérante et de son époux, des clauses supplémentaires ont été ajoutées à l’accord de protection, par lesquelles, notamment, la requérante s’engageait à régulariser sa situation au Portugal, à présenter un dossier en vue d’obtenir une allocation financière, à désigner une personne de confiance dans le cercle familial ou social et à se soumettre à une opération de stérilisation par ligature des trompes (paragraphe 18 ci-dessus).
Enfin, entre le 10 septembre 2009 et le 24 juin 2011, la requérante a fait l’objet de plusieurs contrôles de l’ECJ.
100. La Cour note ensuite que l’ECJ a transmis cinq rapports au tribunal, signalant notamment les grossesses précoces des deux filles aînées, des conditions de logement toujours précaires et insalubres, un absentéisme scolaire ponctuel de certains enfants, mais également de bons résultats scolaires en ce qui concernait E. et I., l’absence de mise à jour des vaccinations s’agissant de M., L., M.S. et A., le manque d’hygiène observé chez les enfants ainsi que le non-respect de l’engagement pris par la requérante de se faire stériliser.
101. La Cour observe aussi que, sur le plan financier, l’ECJ relevait que la requérante était toujours sans travail et qu’elle percevait 393 EUR d’allocations familiales, que le père des enfants avait déclaré un revenu mensuel de 366 EUR et que les parents n’avaient toujours pas déposé un dossier visant à l’obtention d’une aide financière.
102. Elle note de plus que, dans son jugement du 25 mai 2012, le tribunal aux affaires familiales a ordonné trois types de mesures : une mesure de soutien à l’autonomie à l’égard de E. (alors âgée de 17 ans), une mesure de soutien à la requérante concernant I. (alors âgée de 11 ans) et une mesure de placement en institution en vue de l’adoption de M. (alors âgé de 8 ans), Y. (alors âgé de 7 ans), I.R. (alors âgé de 6 ans), L. et M.S. (alors âgés de 4 ans), A. (alors âgé de 3 ans) et R. (alors âgée de 7 mois).
103. L’objet de la requête porte donc sur la mesure ordonnée à l’encontre des sept enfants les plus jeunes de la requérante, confirmée par la cour d’appel de Lisbonne et, en dernière instance, par la Cour suprême dans son arrêt du 17 septembre 2015, et exécutée par rapport aux six derniers d’entre eux (paragraphe 35 ci-dessus).
ii. Sur la mesure de placement en institution des sept enfants les plus jeunes de la requérante en vue de leur adoption
α) Sur la situation de précarité de la requérante
104. La Cour relève qu’il était principalement reproché à la requérante de ne pas offrir des conditions matérielles adéquates à ses enfants et d’avoir négligé ceux-ci.
105. La Cour rappelle qu’il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises étant donné que celles-ci sont, en effet, mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées (Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005). Cela étant, en l’espèce, elle estime d’emblée qu’il était objectivement évident que la situation de la requérante était particulièrement fragile étant donné qu’elle avait à sa charge une famille nombreuse, en l’occurrence dix enfants, qu’elle élevait de surcroît seule en raison de l’absence de son époux.
106. Or il apparaît que la requérante survivait avec 393 EUR d’allocations familiales par mois et qu’elle assurait les besoins alimentaires et vestimentaires de la famille en ayant recours à la banque alimentaire et à des dons provenant de particuliers ou d’associations. En dépit du dénuement matériel manifeste constaté au cours des différentes visites au domicile de la requérante, les autorités internes n’ont pas essayé de combler ces carences au moyen d’une aide financière supplémentaire afin de couvrir les besoins primaires de la famille (par exemple en matière d’alimentation, d’électricité et d’eau courante) et les frais d’accueil des enfants les plus jeunes dans des crèches familiales pour permettre à l’intéressée d’exercer une activité professionnelle rémunérée. En réalité, il apparaît que les services sociaux en charge de l’accompagnement de la famille attendaient de la part de la requérante, en sus de la régularisation de sa situation dans le pays, la présentation formelle d’un dossier motivé faisant état des besoins qu’ils avaient pourtant eux-mêmes constatés et signalés (paragraphes 23 et 26 ci‑dessus). La Cour est d’avis que les autorités auraient dû prendre des mesures concrètes pour permettre aux enfants de vivre avec leur mère, avant de les placer et d’ouvrir une procédure d’adoptabilité. Par ailleurs, elle rappelle que le rôle des autorités de protection sociale est précisément celui d’aider les personnes en difficulté, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales disponibles, aux possibilités d’obtenir un logement social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficultés (Saviny c. Ukraine, no 39948/06, § 57, 18 décembre 2008, et R.M.S. c. Espagne no 28775/12, § 86, 18 juin 2013). Dans le cas des personnes vulnérables, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et doivent leur assurer une protection accrue (B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 86 et 114, 19 février 2013, Todorova c. Italie, no 33932/06, § 75, 13 janvier 2009, et Zhou c. Italie, no 33773/11, § 58, 21 janvier 2014).
107. S’il est vrai que, dans certaines affaires déclarées irrecevables par la Cour, le placement des enfants a été motivé par des conditions de vie insatisfaisantes ou des privations matérielles, cela n’a jamais constitué le seul motif servant de base à la décision des tribunaux nationaux : à cela s’ajoutaient d’autres éléments tels que les conditions psychiques des parents ou leur incapacité affective, éducative et pédagogique (voir, par exemple, Rampogna et Murgia c. Italie (déc.), no 40753/98, 11 mai 1999, et M.G. et M.T.A. c. Italie (déc.), no 17421/02, 28 juin 2005).
108. En l’espèce, force est de constater qu’à aucun moment de la procédure n’ont été évoquées des situations de violence ou de maltraitance à l’encontre des enfants (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005, et Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005) ou des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003, Clemeno et autres c. Italie, no 19537/03, § 50, 21 octobre 2008, et Errico c. Italie, no 29768/05, § 48, 24 février 2009). Les tribunaux n’ont pas non plus constaté de carences affectives (voir, a contrario, Kutzner, précité, § 68, et Barelli et autres c. Italie (déc.), no 15104/04, 27 avril 2010) ou encore un état de santé inquiétant ou un déséquilibre psychique des parents (voir, a contrario, Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002, et Couillard Maugery, précité, § 261). Au contraire, il apparaît que les liens d’attachement entre la requérante et ses enfants étaient particulièrement forts, ce que le tribunal aux affaires familiales a d’ailleurs relevé dans sa décision (paragraphe 34 ci-dessus). Il ne ressort pas du dossier interne qu’une expertise des enfants, à tout le moins des plus âgés, ait été diligentée.
β) Sur l’engagement pris par la requérante, dans le cadre de l’accord de protection, en vue d’une stérilisation
109. La Cour rappelle que la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002‑VI). Dans la sphère de l’assistance médicale, l’imposition d’un traitement sans le consentement libre, explicite et éclairé d’une personne adulte en pleine possession de ses capacités mentales ne serait pas conforme avec le droit à l’intégrité physique et, a fortiori, avec la Convention (Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, §§ 82‑83, CEDH 200‑II, et Les témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie, no 302/02, § 135, 10 juin 2010).
110. La Cour souligne que la stérilisation constitue une atteinte majeure à la capacité d’une personne à procréer. Comme cette intervention concerne l’une des fonctions corporelles essentielles des êtres humains, elle a des incidences sur de multiples aspects de l’intégrité de la personne, y compris sur le bien-être physique et mental et la vie émotionnelle, spirituelle et familiale. Elle peut être pratiquée de manière légitime à la demande de la personne concernée, par exemple comme mode de contraception, ou à des fins thérapeutiques lorsque l’existence d’une nécessité médicale est établie de façon convaincante. Toutefois, la situation est différente lorsque pareil traitement médical est imposé à un patient adulte et sain d’esprit sans son consentement. Une telle manière de procéder doit être considérée comme incompatible avec le respect de la liberté et de la dignité de l’homme, qui constitue l’un des principes fondamentaux de la Convention (V.C. c. Slovaquie, no 18968/07, §§ 106-107, CEDH 2011 (extraits), et N.B. c. Slovaquie, no 29518/10, § 80, 12 juin 2012).
111. En l’espèce, la Cour observe que l’absence de suivi d’un planning familial adéquat a eu pour effet d’aggraver la situation matérielle, déjà difficile, de la requérante. Elle considère cependant que l’ajout d’un engagement en vue de la stérilisation de l’intéressée dans l’accord de protection établi avec les services sociaux est particulièrement grave (paragraphe 18 ci‑dessus). Elle estime que les services sociaux auraient pu conseiller à la requérante des méthodes contraceptives moins intrusives pour répondre à l’absence de suivi d’un planning familial qu’ils avaient constatée. En outre, à supposer même que la requérante ait délibérément accepté une telle démarche, comme le soutient le Gouvernement, la Cour relève que l’intéressée a finalement refusé de se soumettre à l’opération en question et que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, son refus a clairement été retenu contre elle tant par le tribunal aux affaires familiales que par la cour d’appel de Lisbonne et par la Cour suprême, qui ont accepté les faits établis par la première instance (paragraphes 34, 41 et 46 ci-dessus). En outre, la Cour tient à souligner comme question de principe, que le recours à une opération de stérilisation ne peut jamais constituer une condition au maintien des droits parentaux. Partant, le non-respect par la mère de son engagement à se soumettre à une telle opération ne saurait en aucun cas être retenu contre elle, même dans le cas d’un engagement volontaire et éclairé de sa part.
iii. Sur l’interdiction de tout contact entre la requérante et ses sept plus jeunes enfants
112. Si elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, il incombe à la Cour d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions que celles-ci ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation
113. En l’espèce, la Cour constate que l’interdiction de tout contact entre la requérante et ses enfants ayant fait l’objet d’un placement en institution en vue de l’adoption a été prononcée par le jugement du 25 mai 2012 du tribunal aux affaires familiales, conformément à l’article 1978-A du code civil qui prévoit la déchéance de l’autorité parentale dans le cadre de toute mesure de placement en vue de l’adoption, indépendamment des situations concrètes. Elle note que cette mesure a été exécutée le 8 juin 2012, date du placement forcé des enfants en institution, et qu’elle a duré jusqu’au 5 mars 2015, date de la levée de l’interdiction à la suite de la décision prise par elle en application de l’article 39 de son règlement.
114. La Cour réitère sa position selon laquelle les restrictions supplémentaires ne sont justifiées au regard de l’article 8 de la Convention que lorsque la famille s’est montrée particulièrement indigne vis-à-vis de l’enfant. Or, comme elle l’a déjà relevé précédemment (paragraphe 108 ci‑dessus), cela n’était pas le cas dans la présente espèce. En dépit de l’absence d’indices de violence ou d’abus vis-à-vis de ses enfants, la requérante a été privée de tout droit de visite, alors que ces derniers avaient entre 7 mois et 10 ans et que son recours contre le jugement du tribunal aux affaires familiales était pendant. La Cour observe de surcroît que les six enfants effectivement placés l’ont été dans trois institutions différentes, ce qui faisait obstacle au maintien des liens fraternels. Cette mesure a donc provoqué non seulement l’éclatement de la famille, mais aussi celui de la fratrie, et est allée à l’encontre de l’intérêt supérieur des enfants (Pontes, précité, § 98).
iv. Sur le processus décisionnel
115. La Cour observe que, pour motiver leurs décisions, les juridictions internes se sont essentiellement fondées sur les rapports de la CPCJP et de l’ECJ qui avaient accompagné la requérante au cours des années antérieures. Elle note qu’aucune évaluation psychologique par un expert indépendant n’a été ordonnée pour évaluer la maturité et les capacités éducatives et pédagogiques de la requérante (Saviny, précité, § 58) et qu’une expertise psychologique des enfants n’a pas non plus été jugée nécessaire alors qu’il apparaît que les filles aînées de la requérante assuraient un rôle éducatif crucial auprès de leurs cadets, au point de constituer pour eux des personnes de référence. Elle constate que la cour d’appel de Lisbonne n’a pas non plus tenu compte des éléments que la requérante a présentés à l’appui de son recours pour montrer qu’elle avait cherché des solutions à ses problèmes après s’être vu retirer ses enfants (paragraphe 41 ci-dessus). La Cour constate également que, lors du réexamen de l’affaire en date du 27 mars 2014, le comité de trois juges de la cour d’appel de Lisbonne a confirmé mot à mot la décision précédente du juge unique par le procédé du copier-coller, ce qui ne constitue pas un réexamen effectif de la situation (paragraphe 42 ci-dessus).
116. S’agissant de l’absence alléguée de notification des réquisitions du parquet dans le cadre de la procédure de protection, la Cour estime que, dès lors qu’elle n’a pas de connaissance directe du dossier de la procédure, elle n’est pas en mesure de trancher la question de savoir si la requérante a reçu ou non notification de celles-ci. Cela étant, elle constate que l’intéressée n’était pas représentée par un avocat dans le cadre de la procédure devant le tribunal aux affaires familiales, ce qui n’était d’ailleurs pas obligatoire au moment des faits (cela l’est depuis l’entrée en vigueur de la loi 142/2015 du 8 septembre 2015 portant amendement à l’article 103 de la LPCJP), excepté dans la procédure d’appel. Comme elle l’a déjà dit dans l’arrêt Assunção Chaves (précité, § 82), eu égard à la complexité et à l’enjeu de la procédure de protection des enfants en danger et des conséquences extrêmement graves et délicates que celle-ci présente autant pour l’enfant que pour les parents concernés, la Cour estime que des précautions et des diligences supplémentaires auraient dû être prises pour s’assurer non seulement de la compréhension par la requérante de l’enjeu exact de la procédure, mais aussi de sa participation effective à cette dernière. La Cour constate que l’intéressée n’a participé qu’une seule fois à une audience, à savoir devant le tribunal aux affaires familiales (paragraphe 33 ci-dessus) aux fins de son audition par cette juridiction.
117. À titre subsidiaire, la Cour relève que, depuis qu’elle est représentée par un avocat ‑ c’est-à-dire depuis le jugement du tribunal aux affaires familiales du 25 mai 2012 ‑, la requérante a porté sa cause devant les plus hautes instances, introduisant des recours et formulant des demandes successives pour avoir accès à ses enfants. Cette activité procédurale soutenue contraste avec celle qui était la sienne dans le cadre de la procédure devant le tribunal aux affaires familiales, au cours de laquelle la requérante n’était pas représentée par un avocat.
α) Conclusions
118. Nonobstant la marge d’appréciation dont bénéficiait l’État défendeur en l’espèce, la Cour ne considère pas que la mesure de placement en institution en vue de leur adoption, prononcée à l’encontre de sept de ses enfants, M., Y., I.R., L., M.S., A. et R., et exécutée par rapport aux six derniers, dans la mesure où elle privait la requérante de ses droits parentaux à l’égard de ses enfants et des contacts avec eux, entraînant la rupture du lien familial biologique, était pertinente et suffisante au regard du but légitime poursuivi et, par conséquent, nécessaire dans une société démocratique. Pour arriver à ce constat la Cour a eu particulièrement égard aux considérations susmentionnées, à savoir, l’absence de violence ou d’abus d’ordre physique (comparer R. et H. c. Royaume-Uni, no 35348/06, § 85, 31 mai 2011), sexuel ou psychique à l’encontre des enfants, l’existence de liens affectifs forts avec ces derniers, l’absence de réponse de la part des services sociaux à la détresse matérielle de la requérante, mère d’une famille nombreuse, exerçant presque seule son rôle parental. Elle note aussi que les juridictions n’ont pas dûment pris en considération les différences culturelles dans le cadre de la procédure en question et relève la pression exercée sur celle-ci en vue de sa soumission à une opération de stérilisation dans le cadre de la procédure de protection des mineurs.
119. Étant donné que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré, précité, § 59), la Cour considère que les mesures adoptées par les juridictions de placement des enfants de la requérante en vue de leur adoption, la privant de ses droits parentaux, n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu dans la procédure interne (R. et H., précité, § 72). Il n’apparaît pas, par ailleurs, que les juridictions aient envisagé d’autres mesures moins contraignantes, notamment l’accueil familial et l’accueil institutionnel, établis par l’article 35 § 1 e) et f) de la loi relative à la protection des enfants et des jeunes en danger (paragraphe 61 ci-dessus).
120. En conclusion, sur la base des considérations précédentes, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la décision de placement en institution de M., Y., I.R., L., M.S., A. et R. en vue de leur adoption (paragraphes 104-107).
121. En outre, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention du fait que la décision de placement des enfants dans une institution en vue de leur adoption a pris en compte le non-respect par la requérante de son engagement de se soumettre à une stérilisation par ligature des trompes (paragraphes 109-111).
122. La Cour estime aussi qu’il y a eu atteinte au droit de la requérante au respect de sa vie familiale du fait de l’interdiction de tout contact entre elle et ses enfants. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention à cet égard (paragraphes 112-114).
123. Enfin, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du processus décisionnel ayant abouti au placement de ses enfants en institution en vue de leur adoption, lequel n’a pas été conduit de façon équitable vu l’absence d’implication effective de la requérante (paragraphes 115-117).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
124. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demandent pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43 de la Convention.
125. La Cour considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphes 53-56 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou qu’elle rende une autre décision à cet égard. Une fois l’arrêt définitif, la requérante pourra, en cas de besoin et si elle le souhaite, formuler une nouvelle demande de mesures provisoires en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour.
ANAYO C. ALLEMAGNE DU 21 DECEMBRE 2010 REQUÊTE 20578/07
Le requérant, Frank Eze Anayo, est un ressortissant nigérian né en 1967. En 2003, il entra en Allemagne. Il résida à Achern, puis, en 2008, s’installa en Espagne. Sa demande d’asile en Allemagne fut rejetée par une décision qui devint définitive en février 2006. Pendant environ deux ans, il entretint une relation avec une femme mariée, Mme B, qui avait trois enfants avec son mari. En décembre 2005, quatre mois après avoir quitté M. Anayo, Mme B. donna naissance à des jumeaux, dont il est le père biologique. Elle les élève avec son mari, qui est leur père aux yeux de la loi. Tant avant qu’après la naissance, M. et Mme B. ont refusé à plusieurs reprises à M. Anayo de voir ses enfants.
En décembre 2006, la cour d’appel de Karlsruhe, faisant droit à un recours introduit par M. et Mme B., annula la décision du tribunal de district et rejeta la demande de visite formée par M. Anayo. Les juges considérèrent, d’une part, que la disposition du code civil qui prévoyait le droit pour un parent d’avoir des contacts avec ses enfants ne donnait pas à M. Anayo le droit de voir les jumeaux car elle s’appliquait au père légal et non au père biologique et, d’autre part, que, n’ayant assumé aucune responsabilité à l’égard de ses enfants dans le passé, l’intéressé n’avait aucun lien social et familial avec eux et ne pouvait par conséquent être considéré comme une tierce personne avec laquelle ils avaient des liens étroits justifiant un droit de visite. Dès lors, ils jugèrent sans pertinence tant le point de savoir s'il était dans l'intérêt des enfants d'avoir des contacts avec leur père biologique que les raisons de l'absence de tels contacts : selon eux, la Loi fondamentale allemande ne protégeait le droit du père biologique de voir ses enfants que lorsqu’il avait déjà existé entre eux une relation sociale et familiale, mais ne protégeait pas le désir d’établir une relation avec les enfants à l’avenir. Le 29 mars 2007, la Cour constitutionnelle fédérale refusa d’examiner le recours constitutionnel formé par M. Anayo contre cette décision.
La Cour considère que le refus des juridictions internes de laisser M. Anayo avoir le moindre contact avec ses enfants a constitué une ingérence dans les droits de l’intéressé garantis par l’article 8. Certes, le requérant n’a jamais cohabité avec les jumeaux et ne les a jamais rencontrés, et leur relation n’est pas suffisamment suivie pour pouvoir être qualifiée de « vie familiale » existante. Cela étant, la Cour a déjà dit qu’une vie familiale projetée pouvait relever du cadre de l’article 8 lorsque le fait qu’elle n’existe pas encore n’était pas imputable au requérant. Tel est le cas pour M. Anayo, qui n’a pu avoir aucun contact avec les jumeaux pour la seule raison que leur mère et leur père juridique ont refusé de le laisser les voir.
M. Anayo a fait preuve d’un véritable intérêt pour les enfants en exprimant avant et après leur naissance le désir d’avoir des contacts avec eux et en engageant promptement une action en justice à cette fin. De plus, même s’il n’a jamais cohabité avec Mme B, ces enfants sont issus d’une relation qui a duré deux ans environ, et qui n’était donc pas simplement fortuite. Même si l’on considère que les relations du requérant avec ses enfants ne constituent pas une « vie familiale », il n’en reste pas moins qu’elles concernent une partie importante de son identité et, dès lors, de sa « vie privée » au sens de l’article 8.
L’atteinte portée à la vie privée de M. Anayo était bien prévue par la loi allemande. La cour d’appel a estimé que l’intéressé ne faisait pas partie des personnes pouvant exercer un droit de visite à l'égard des enfants en appliquant les dispositions pertinentes du code civil. Le droit allemand tel que l’a interprété la cour d’appel dans le cas de M. Anayo ne prévoyait donc pas d’examen judiciaire du point de savoir si les contacts entre un père biologique et ses enfants relèveraient de l’intérêt supérieur de ceux-ci dans l’hypothèse où ils auraient pour père légal un autre homme et où le père biologique n’aurait encore assumé aucune responsabilité à leur égard, quelles qu’en soient les raisons. Les dispositions en cause visaient donc également les cas où le fait qu'une telle relation n'ait pas encore été établie n'était pas imputable au père biologique.
Il n’y a pas, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, d'approche uniforme de la question de savoir si et dans quelles conditions un père biologique a le droit de voir son enfant lorsque celui-ci a un autre père aux yeux de la loi. Toutefois, dans bon nombre d’Etats, les juridictions internes sont en mesure d’examiner le point de savoir si une relation entre un père biologique et son enfant, dans un cas tel que celui de M. Anayo, serait ou non dans l’intérêt de l’enfant et, si oui, d'accorder au père un droit de visite.2
La Cour a conscience du fait que la décision des juridictions allemandes de refuser à M. Anayo la possibilité de voir ses enfants visait à respecter la volonté du législateur de donner aux liens familiaux existants la priorité sur les relations entre un père biologique et son enfant. Elle admet que ces relations existantes doivent également être protégées. Il aurait donc fallu ménager un juste équilibre entre les droits concurrents au regard de l’article 8 non pas seulement de deux parents et d’un enfant, mais aussi de plusieurs individus concernés – la mère, le père juridique, le père biologique, les enfants biologiques des couples mariés et les enfants nés d’une relation hors mariage de la mère.
La Cour n’est pas convaincue que les juridictions internes aient ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu dans cette affaire. Elle observe en particulier qu’elles n’ont pas examiné la question de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, une relation entre les jumeaux et M. Anayo aurait été dans l’intérêt des enfants. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.
SCHNEIDER C. ALLEMAGNE requête n° 17080/07 du 15 septembre 2011
Les juridictions allemandes auraient dû prendre en compte l’intérêt de l’enfant pour décider des droits du père biologique présumé
La Cour estime que les décisions des juridictions internes de refuser d’autoriser M. Schneider à avoir des contacts avec F. et des nouvelles de l’enfant, qu’il présume être son fils, constitue une ingérence dans ses droits au regard de l’article 8. Certes, il n’existe aucune « vie familiale », étant donné qu’il n’a pas été établi que M. Schneider était en fait le père biologique de F. et qu’il n’y a jamais eu de relations personnelles étroites entre lui et le garçon. Toutefois, ce fait ne peut être retenu à l’encontre de M. Schneider. En vertu des dispositions applicables du Code civil, telles qu’interprétées par les juridictions internes, la reconnaissance de paternité du requérant n’était pas valable puisque M. H. bénéficiait d’une présomption de paternité. Une procédure distincte de reconnaissance en paternité – procédure que, selon le Gouvernement, M. Schneider n’a pas engagée – aurait été vouée à l’échec en vertu du droit interne positif.
En outre, pareille procédure aurait visé à obtenir le statut d’un parent légitime, ce qui aurait constitué un objectif beaucoup plus ambitieux que le but de M. Schneider d’établir sa paternité biologique aux fins d’obtenir un droit de visite à l’enfant. Par ailleurs, les parents légitimes du garçon ont opposé un refus à ses demandes de contact.
La Cour relève que, si M. Schneider et Mme H. n’ont jamais vécu ensemble, nul ne conteste qu’ils ont eu une liaison – pendant un an et quatre mois – qui était plus qu’une simple aventure. M. Schneider a suffisamment montré son intérêt pour F. : il a prévu d’avoir un enfant avec Mme H., l’a accompagnée à des consultations médicales et a reconnu l’enfant avant même la naissance de celui-ci. Dès lors, la Cour n’exclut pas que la relation qu’envisageait M. Schneider avec le garçon relève de la «vie familiale» au sens de l’article 8. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si M. Schneider avait un droit de visite et d’information concernant l’enfant, même en l’absence de vie familiale, concerne une partie importante de son identité et donc de sa « vie privée » aux fins de l’article 8.
Quant à savoir si l’ingérence dans les droits de M. Schneider se justifiait, la Cour relève d’emblée que les décisions des juridictions internes étaient conformes aux dispositions pertinentes du Code civil allemand. De plus, elle visait l’intérêt d’un couple marié et des enfants nés pendant leur mariage et vivant avec eux.
Il n’a pas été établi que M. Schneider était le père biologique du garçon en question ; cependant, cette différence n’a pas joué dans la décision des juridictions nationales. Celles-ci ont présumé sa paternité aux fins de la procédure et ont rejeté sa demande parce qu’il n’était pas le père légitime de l’enfant et n’avait jamais eu de relations sociales et familiales avec l'enfant.
La Cour souligne qu’il incombait aux juridictions internes, qui bénéficient de relations directes avec toutes les personnes concernées, de déterminer si les contacts entre un père biologique et son enfant sont ou non dans l’intérêt de celui-ci. Toutefois, elle n’est pas convaincue qu’il soit possible de déterminer quel est l’intérêt d’enfants vivant avec leur père légitime mais dont le père biologique est un autre homme au moyen d’une présomption légale générale. Eu égard à la grande diversité des situations familiales pouvant être concernées, un examen des circonstances particulières de chaque affaire est nécessaire pour pouvoir ménager un juste équilibre entre les droits de toutes les personnes impliquées. Dans le cas de M. Schneider, les tribunaux internes ont failli à mener un tel examen. Dès lors, il y a eu violation de l’article 8.
Arrêt PONTES c. PORTUGAL du 10 avril 2012 Requête N° 19554/09
En éloignant un enfant de ses parents toxicomanes et en prononçant son adoption, le Portugal a porté atteinte au droit au respect de la vie familiale
a. Principes généraux
74. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale ( Kutzner, précité, § 58) et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché ( Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).
75. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’Etat des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156 ; Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; Gnahoré c. France, no 40031/98, § 51, CEDH 2000-IX et, dernièrement, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010). La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents - ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public - (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, CEDH 2007-XIII), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (dans ce sens Gnahoré, précité, § 59, CEDH 2000-IX), pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). L’intérêt de ces derniers, notamment à bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 89, CEDH 2004-III (extraits), ou Kutzner c. Allemagne, précité, § 58). Dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, W., B. et R. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 121, §§ 60 et 61, et Gnahoré, précité, § 52). La Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer la prise en charge d’enfants par l’administration publique et les droits des parents de ces enfants, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A).
76. La Cour rappelle que, si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter les intérêts protégés par cette disposition. Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 64, série A no 121).
77. Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », la Cour considérera si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués à l’appui de celle-ci étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. A cette fin, elle tiendra compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave ; une telle mesure doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et ayant assez de poids et de solidité (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII).
78. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant, il lui faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Gnahoré précité, § 54, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 65, CEDH 2003-VIII).
79. D’un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait en aucune manière autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants (Sahin précité, § 66). De l’autre côté, il est clair qu’il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré précité, § 59).
80. La Cour rappelle par ailleurs que, dans les affaires touchant la vie familiale, le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, précité, § 102 ; Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VI).
b. Application de ces principes au cas d’espèce
81. La Cour note que les requérants ne se plaignent que de l’issue de la seconde procédure de protection et des restrictions appliquées au cours de celle-ci. Le placement provisoire de P. n’est donc pas mis en cause.
82. Il n’est pas contesté, devant la Cour, que les mesures litigieuses s’analysent en des « ingérences » dans l’exercice du droit des requérants au respect de leur vie familiale.
83. Fondées sur les articles 35 § g et 53 § 3 de la loi 147/99 du 1er septembre 1999, amendée par la loi 31/2003 du 22 août 2003, le placement institutionnel de P. en vue de son adoption et les restrictions appliquées au cours de la procédure de protection étaient « prévus par la loi » et poursuivaient un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8, à savoir la « protection de la santé ou de la morale » et « la protection des droits et libertés d’autrui », dans la mesure où elles visaient à sauvegarder le bien-être de l’enfant P.
84. La question consiste donc à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les Etats en la matière. La Cour cherchera par conséquent à déterminer si les mesures constitutives d’ingérences dans l’exercice du droit des requérants au respect de leur vie familiale étaient « nécessaires ».
i. Les restrictions appliquées aux contacts entre P. et les requérants dans le cadre de la procédure
85. La question en l’espèce est de savoir si les autorités compétentes peuvent être tenues responsables de l’éloignement progressif de P. de ses parents. Plus précisément, le point décisif consiste à déterminer si lesdites autorités ont pris, pour faciliter le regroupement, toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Olsson (no 2), précité, § 90, Hokkanen, précité, § 58, et Ignaccolo-Zenide, précité, § 96), à la lumière des circonstances prévalant à l’époque où les décisions ont été́ prises et non pas après coup (Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 79, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).
86. La Cour note que, consécutivement à la décision de prise en charge du tribunal aux affaires familiales de Cascais du 23 mars 2004, P. a été placé dans un foyer d’accueil à environ 40 km du domicile familial, son frère et ses sœurs ayant, quant à eux, été placés dans un centre à environ 13 km du foyer familial (voir §§ 19-20 ci-dessus).
87. Contrairement à son frère et ses deux sœurs, il apparaît que P. n’a jamais été autorisé à passer les fêtes ou les week-ends avec ses parents (voir ci-dessus §§ 30 et 33).
88. A cet égard, la Cour relève que, dans le cadre de la première procédure de protection, les sorties de P. n’avaient pas soulevé d’inquiétudes (voir § 14 ci-dessus). S’agissant de la deuxième procédure, elle observe que le rapport de l’équipe d’accompagnement du 20 décembre 2005 faisait valoir que les requérants vivaient dans une situation socio-économique précaire (voir § 30 ci-dessus), le rapport du 17 février 2006 faisant valoir que le frère et les sœurs de P. rentraient avec des comportements inadaptés après les week-ends en famille (voir § 33 dessus). Aucun rapport n’indiquait toutefois que les requérants mettaient en danger la sécurité de leurs enfants, notamment au cours de ces week-ends.
89. Les sorties de P. du foyer d’accueil n’ayant jamais été autorisées, les contacts entre P., ses parents et son frère et ses sœurs n’étaient possibles qu’à l’intérieur du foyer d’accueil.
90. La Cour note que, conformément à l’article 53 § 3 de la loi 147/99, les requérants disposaient du droit de visiter leur fils. Le rapport du foyer d’accueil du 26 janvier 2006 relève d’ailleurs que les visites étaient régulières, se déroulaient de façon positive et que P. manifestait toujours une grande joie en présence de ses parents (voir § 31 ci-dessus).
91. La Cour constate que le droit de visite des requérants a été supprimé à partir du jugement du tribunal aux affaires familiales de Vila Franca de Xira du 28 mars 2006 (voir § 36 ci-dessus) jusqu’à la décision définitive de la Cour suprême du 9 octobre 2008. Or, elle relève que le tribunal aux affaires familiales de Vila Franca de Xira avait attribué un effet suspensif aux trois recours introduits successivement par les requérants (voir §§ 38, 42 et 54 ci-dessus). Les requérants allèguent avoir été empêchés, depuis, d’exercer leur droit de visite, ce que le Gouvernement conteste, sans toutefois étayer son argument. La Cour note que les requérants se sont plaints à plusieurs reprises du retrait de leur droit de visite devant les juridictions nationales (voir §§ 48, 50 et 53, ci-dessus). Or, aucune des juridictions ne s’est prononcée à cet égard, entérinant ainsi cette situation de rupture familiale. La Cour en déduit que la suppression du droit de visite, conséquence de la déchéance de l’autorité parentale annulée par les décisions successives de la cour d’appel des 18 juillet 2006 et 13 février 2007, ne reposait plus, par la suite, sur des motifs suffisants et pertinents.
92. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités compétentes sont responsables de l’interruption des contacts entre P. et les requérants entre le 28 mars 2006 et le 9 octobre 2008 et qu’elles ont failli à leur obligation positive de prendre des mesures afin de permettre aux requérants de bénéficier d’un contact régulier avec leur fils, sachant de surcroît qu’en l’espèce, l’enfant avait été placé dans un foyer situé à 40 km du domicile familial.
93. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison des restrictions aux contacts entre P. et les requérants dans le cadre de la procédure de protection.
ii. L’issue de la procédure : l’orientation de P. vers l’adoption
94. La Cour le répète avec force, dans les affaires de ce type, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération. Elle rappelle également qu’il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises car ces autorités sont, en effet, en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées. Elle doit cependant contrôler, sous l’angle de la Convention, les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.
95. Le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 173).
96. En l’espèce, la Cour observe que le jugement du tribunal de Vila Franca de Xira du 26 septembre 2007 avait reconnu une évolution positive des requérants (voir § 51 ci-dessus). La Cour constate également que c’est au vu de ces améliorations que la Commission de protection de Cascais avait estimé, à l’unanimité, que les autres enfants des requérants pouvaient réintégrer leur famille (voir § 43 ci-dessus), clôturant ainsi, le 26 octobre 2006, la procédure à leur égard. La Cour constate dès lors qu’il existe une contradiction dans l’évaluation de la situation familiale des requérants dans la mesure où elle a abouti à deux décisions opposées s’agissant, d’une part de P., et, d’autre part, de son frère et ses sœurs.
97. En outre, la Cour n’est pas convaincue par l’argument des juridictions internes, endossé par le Gouvernement, portant sur la particulière vulnérabilité de P., par rapport à son frère et ses sœurs, compte tenu de son âge. En effet, si au moment de la prise de décision, P. était âgé de cinq ans et demi, son frère et ses sœurs avaient alors 9 ans (L.), 12 ans et demi (V.) et 14 ans et demi (F.). A l’instar de P., ces derniers présentaient également, à cette époque, des carences du point de vue émotionnel et avaient un besoin urgent d’un environnement stable et d’un équilibre affectif pour le développement de leur autonomie et leur épanouissement.
98. La Cour relève qu’en dépit des rapports qui indiquaient une évolution positive de la situation familiale, à aucun moment les juridictions internes n’ont envisagé des mesures moins radicales que l’orientation de P. vers l’adoption afin d’éviter l’éloignement définitif et irréversible de l’enfant non seulement de ses parents biologiques mais encore de son frère et ses sœurs, provoquant ainsi un éclatement de la famille et de la fratrie pouvant aller contre l’intérêt supérieur de l’enfant.
99. Enfin, en ce qui concerne l’absence de liens entre les requérants et leur fils, eu égard à la conclusion ci-dessus au paragraphe 92, la Cour considère que cet argument ne peut être pris en considération, les autorités compétentes étant responsables de la situation de rupture familiale survenue entre le 28 mars 2006 et le 9 octobre 2008, date du jugement définitif concernant l’orientation de P. vers l’adoption et la déchéance de l’autorité parentale des requérants vis-à-vis de leur fils.
100. Au vu des observations qui précèdent, la Cour estime que la décision d’orienter P. vers l’adoption ne se fondait pas sur des raisons pertinentes et suffisantes de nature à les justifier comme proportionnées au but légitime poursuivi.
101. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’orientation de P. vers l’adoption.
Arrêt MD contre Malte du 17 juillet 2012, requête 64791/10
Une mère et ses enfants n'ont pas eu accès à un tribunal pour contester une mesure de placement des enfants ainsi que la déchéance automatique et permanente des droits parentaux de la mère suite à sa condamnation.
La Cour estime que le défaut d’accès à un tribunal pour faire examiner la situation de la mère est également susceptible de poser problème sous l’angle de l’article 8. Elle observe ensuite que, en dépit des arguments formulés par le Gouvernement, la déchéance de l’ensemble des droits parentaux de M.D. résulte de la condamnation pénale de l’intéressée et non de la mesure de placement, qui l’avait privée uniquement de ses droits de garde. La déchéance des droits parentaux a constitué une ingérence dans l’exercice par la requérante de ses droits découlant de l’article 8. Cette ingérence avait une base légale, à savoir le code pénal, et poursuivait le but légitime consistant à protéger les droits des enfants.
La Cour souligne ensuite que la déchéance des droits parentaux est une mesure particulièrement radicale qui est incompatible avec le but consistant à réunir les enfants et leurs parents. Dès lors, pareille mesure ne doit être appliquée que dans des circonstances exceptionnelles et ne peut se justifier que dans l’intérêt des enfants.
La déchéance des droits parentaux est une mesure automatique prévue par le code pénal et appliquée après une condamnation. Cette mesure échappe ainsi au contrôle des tribunaux nationaux, qui ne peuvent vérifier si elle correspond à l’intérêt supérieur des enfants. En outre, la déchéance est permanente, et la mère en l’espèce n’a disposé d’aucun recours qui lui eût permis de contester cette mesure. En pratique, cela signifie que M.D., ayant perdu ses droits sur ses filles alors qu’elles avaient quatre et six ans respectivement, ne peut pas demander le rétablissement desdits droits même si sa situation a changé.
La Cour conclut qu’eu égard à la déchéance automatique des droits parentaux et au défaut d’accès à un tribunal pour contester ensuite la privation des droits parentaux, les autorités n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts des enfants, ceux de leur mère et ceux de la société en général. Dès lors, il y a eu violation de l’article 8 dans le chef de la première requérante.
Arrêt B. c. ROUMANIE du 19 février 2013 Requête no 1285/03
La requérante ne pouvait plus rien décider en faveur de ses enfants depuis leur placement d'office. L'article 8 a été violé.
a) Principes découlant de la jurisprudence
108. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence constante selon lesquels pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale. En outre, le placement de l’enfant à l’assistance publique ne met pas fin aux relations familiales naturelles. Les décisions prises par l’autorité responsable aboutissant au placement d’un enfant dans un centre d’accueil s’analysent en des ingérences dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 59, série A no 121).
109. D’après la jurisprudence constante de la Cour, pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, prévue par la loi, elle poursuivait un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et était nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Pour se prononcer sur la nécessité d’une ingérence dans une société démocratique ou sur l’existence d’un manquement à une obligation positive, la Cour tient compte de la marge d’appréciation laissée aux États contractants (voir, par exemple, W. c. Royaume-Uni, précité, § 60).
110. Cela étant, les procédures applicables au règlement de questions relatives à la vie familiale doivent témoigner du respect pour celle-ci; en particulier, les parents ont normalement le droit d’être entendus et pleinement informés à ce sujet, encore que des restrictions puissent, dans certaines circonstances, se justifier sous l’angle de l’article 8 § 2.
111. La Cour admet que les autorités responsables se trouvent devant une tâche difficile à l’extrême quand elles se prononcent dans un domaine aussi délicat. Leur prescrire dans chaque cas une procédure rigide ne ferait qu’ajouter à leurs problèmes. Il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. D’un autre côté, l’examen de cet aspect de l’affaire doit se fonder sur une donnée primordiale: les décisions risquent fort de se révéler irréversibles. Il s’agit donc d’une matière qui appelle encore plus que de coutume une protection contre les ingérences arbitraires (W. c. Royaume-Uni, précité, § 62).
112. Sans doute l’article 8 ne renferme-t-il aucune condition explicite de procédure, mais cela n’est pas déterminant. A l’évidence, le processus décisionnel de l’autorité responsable ne saurait manquer d’influer sur le fond de la décision, notamment en assurant qu’elle repose sur les considérations pertinentes et soit impartiale, donc non entachée d’arbitraire, même en apparence. Partant, la Cour peut y avoir égard pour dire s’il a joué d’une manière qui, au total, était équitable et respectait comme il se doit les intérêts protégés par l’article 8.
Les vues et intérêts des parents figurent nécessairement parmi les éléments à peser par l’autorité responsable pour arrêter ses décisions concernant un enfant qu’elle assiste. Le processus décisionnel doit donc être propre à garantir que ces éléments seront pris en compte (W. c. Royaume‑Uni, précité, §§ 62-63).
113. Comme la Cour l’a également accepté, il arrive inévitablement que la participation des parents au processus décisionnel se révèle irréalisable ou dénuée de sens, par exemple en raison de l’impossibilité de les joindre, d’une incapacité physique ou mentale ou d’une urgence extrême. En outre, les décisions en la matière, quoique souvent adoptées à la lumière d’examens périodiques ou de réunions ad hoc, peuvent également se dégager d’un contrôle continu opéré par des agents de l’autorité responsable. Enfin, des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et les parents fournissent fréquemment un bon moyen de signaler à celle-ci l’opinion des seconds.
Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8.
114. Enfin, la Cour rappelle une fois de plus que les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière dans le cas des personnes vulnérables et doivent leur assurer une protection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouvent souvent affaiblies (paragraphe 86 ci-dessus).
b) Application en l’espèce de ces principes
115. La requérante ne prétend pas que les décisions des autorités ordonnant le placement de ses deux enfants mineurs ne reposaient pas sur une disposition de la loi ou ne poursuivaient pas un but légitime. Le dossier ne révèle aucune inobservation de la première de ces exigences telle que l’interprète la jurisprudence de la Cour. Il n’en ressort pas non plus que les mesures prises ne visaient pas un but légitime: la protection de la santé ou des droits et libertés d’autrui.
La question qui se pose en l’occurrence est celle de savoir si les procédures suivies se conciliaient avec le droit de la requérante au respect de sa vie familiale ou constituaient des ingérences dans l’exercice de ce droit, lesquelles ne pouvaient passer pour « nécessaires dans une société démocratique ».
116. La Cour constate que la requérante souffrait, à l’époque des faits, comme à présent, d’une sévère pathologie psychique, étant considérée comme une personne invalide depuis 1996 et ayant subi de très nombreux internements psychiatriques. A cet égard, elle note qu’aucune mesure de protection spéciale, notamment par la désignation d’un avocat commis d’office lors des procédures de placement ou par la nomination d’un curateur, n’a été prise à son égard (voir aussi l’arrêt B. c. Roumanie, no 42390/07, § 42, 10 janvier 2012, qui concerne la même requérante).
117. Or, c’est en raison de ce manquement déjà constaté par la Cour (paragraphe 96 ci-dessus) que la requérante n’a pas été en mesure de participer effectivement à la procédure concernant le placement de ses enfants, ni d’y voir ses intérêts représentés.
118. La Cour observe également que le placement des enfants décidé par une autorité administrative, en 2000, se poursuivit en vertu des jugements des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006 du tribunal départemental de Bacău. Le tribunal fonda ses décisions sur les constats remontant à septembre 2000, selon lesquels les enfants avaient été trouvés dans la maison de leur mère dans la misère, sans lumière et sans nourriture et qu’ils n’étaient pas scolarisés. Le tribunal estima que cette mesure était dans l’intérêt des enfants, tout en notant qu’ils recevaient régulièrement la visite de leur mère.
Par la suite, le foyer d’accueil des enfants fut changé par des décisions de justice du 17 août 2007 (paragraphe 39 ci-dessus). Il s’ensuit qu’avec les décisions des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006, ce furent les deux seules occasions auxquelles l’examen de la situation familiale de la requérante et de ses deux enfants mineurs fut réalisé par un tribunal, sur une période de dix ans, pour sa fille, et de douze ans, pour son fils, respectivement, jusqu’au moment où les enfants attinrent leur majorité. À ces deux occasions, les décisions des tribunaux furent exclusivement motivées par la situation dans laquelle la requérante et ses enfants se trouvaient en septembre 2000.
La Cour constate l’impossibilité manifeste dans laquelle se trouvait la requérante de participer au processus décisionnel concernant ses enfants mineurs, qui avait été mise en avant par les autorités responsables lors du placement initial des enfants. Par ailleurs, le dossier ne relève aucun indice quant au maintien des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et la requérante, qui auraient pu fournir un bon moyen de signaler aux autorités l’opinion de cette dernière.
119. Pour ces raisons, la Cour estime que le processus décisionnel ayant maintenu le placement des deux enfants mineurs de la requérante n’a pas été conduit dans le respect de ses droits tels que garantis par l’article 8 de la Convention.
120. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention également de ce chef.
RSM C ESPAGNE du 18 juin 2013 requête 28775/12
LES ETATS DOIVENT FAVORISER LA VIE ENSEMBLE DES PARENTS ET ENFANTS
68. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Buscemi c. Italie, no 29569/95, § 53, CEDH 1999‑VI et Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 50, 24 mai 2011, § 49).
a) Principes généraux sur les obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 8 de la Convention
69. Comme la Cour l’a indiqué à plusieurs reprises, l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des autorités publiques ; il ne se contente toutefois pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences. En effet, si les décisions prises par l’autorité responsable aboutissant au placement d’un enfant dans un centre d’accueil s’analysent en des ingérences dans le droit d’un parent au respect de sa vie familiale (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 59, série A no 121), les obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91, et Mincheva c. Bulgarie, no 21558/03, § 81, 2 septembre 2010). Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Saleck Bardi, précité, § 50 et K.A.B. c. Espagne, précité § 95).
70. La Cour réaffirme le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Elle rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
71. La Cour tient compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une mesure très grave qui doit reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et avoir assez de poids et de solidité (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000‑VIII). Elle a affirmé à maintes reprises que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250). La décision de prise en charge d’un enfant doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 178, CEDH 2001‑VII). L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant. Par ailleurs, les obligations positives ne se limitent à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir un contact avec lui, mais elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir, mutatis mutandis, Kosmopoulou c. Grèce, no 60457/00, § 45, 5 février 2004, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 95, 26 mai 2009 et 112).
Il revient à la Cour d’apprécier si les autorités espagnoles ont agi en méconnaissance de leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A ; Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002‑I ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI ; Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 76, CEDH 2007‑IV, K.A.B. c. Espagne, précité, § 98).
72. Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect de ces obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention et à la Cour de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, les autorités internes ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 141, CEDH 2010, K.A.B. c. Espagne, précité, § 115).
b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
73. La Cour relève que le 23 août 2005, la petite G., fille de la requérante âgée à l’époque de 3 ans et dix mois, fut séparée de cette dernière, qui s’était rendue dans les locaux des services sociaux de Motril avec son compagnon et leur fille pour solliciter une aide en raison de sa situation de détresse. Deux jours plus tard, le 25 août 2005, la Délégation provinciale considéra à titre provisoire la mineure en situation d’abandon. Le 30 août 2005, la requérante fut informée de la prise en charge par la Délégation de la tutelle de sa fille, et du placement de cette dernière au centre d’accueil Nuestra Señora del Pilar à Grenade. La Cour observe que la mineure fut transférée dans un centre d’accueil à Loja (paragraphe 13 ci-dessus) sans que la requérante en fût informée ni qu’il fût donné aucune suite à ses demandes pour que sa fille fût transférée dans un centre d’accueil plus proche de son domicile. Elle note que la requérante a vu sa fille pour la dernière fois le 27 septembre 2005.
74. Dans une affaire comme celle de l’espèce, le juge se trouve en présence d’intérêts souvent difficilement conciliables, à savoir ceux de l’enfant et ceux de sa mère. Dans la recherche de l’équilibre entre ces différents intérêts, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (Moretti et Benedetti, précité, § 67).
75. En l’espèce, la Cour observe que les autorités administratives ont motivé leurs décisions concluant à l’existence d’une situation d’abandon de l’enfant en se référant à l’absence de ressources de la requérante, en situation d’indigence extrême (paragraphe 9 ci-dessus). Sur la base de ces considérations, le 25 août 2005, la Délégation provinciale mit en œuvre une procédure administrative à l’issue de laquelle G. fut déclarée à titre provisoire en situation légale d’abandon, mise sous la tutelle de l’administration et placée dans un centre d’accueil. D’après les informations dont dispose la Cour, tant le placement de l’enfant en centre d’accueil que, par la suite, la suspension totale et permanente du régime de visites de la requérante vis-à-vis de sa fille, ainsi que le transfert de cette dernière dans un autre centre d’accueil, ont été décidés sur la base du rapport de l’assistante sociale A.L.N. du 4 octobre 2005 (paragraphe 16 ci-dessus). Le rapport faisait état de l’attitude inappropriée et irrespectueuse de la requérante, qui avait été conduite à l’hôpital lorsqu’elle fut informée que sa fille devait lui être enlevée en raison de son état d’indigence absolue. A.L.N. indiquait dans son rapport que la requérante se rendait tous les jours aux abords du centre d’accueil où se trouvait sa fille. Quant au régime provisoire de visites surveillées qui avait été mis en œuvre, l’assistante sociale proposa sa suspension, ce qui fut fait. La requérante ne fut pas informée de cette mesure ni du centre d’accueil où sa fille avait été transférée. A.L.N. ajouta que la mère aurait reçu une somme d’argent.
76. La Cour observe que la décision du 1er février 2006 (paragraphe 22 ci-dessus) adoptée par la Délégation provinciale entérinant la situation d’abandon de l’enfant était littéralement fondée sur les mêmes arguments déjà développés dans sa décision précédente du 25 août 2005 et dans le rapport de l’assistante sociale A.L.N. du 4 octobre 2005. La décision affirmait à cet égard que la mère n’aurait « montré aucun intérêt pour l’état de la mineure, ni verbalement ni par écrit ». La Cour constate toutefois qu’il n’est pas contesté que la requérante s’était rendue au moins à 17 reprises au centre d’accueil de Grenade, alors même que l’institution se trouvait relativement éloignée de son domicile, et rappelle qu’elle n’avait même pas été informée que sa fille ne s’y trouvait plus depuis le 13 ou le 14 septembre 2005 (paragraphe 13 ci-dessus).
77. La procédure administrative tendant au placement de la mineure en accueil familial a commencé le 9 juin 2006, les parents d’accueil ayant été sélectionnés le 2 avril 2006. La Cour observe toutefois que la requérante a indiqué que sa fille lui avait raconté qu’elle avait été amenée dans une maison ayant une piscine, ce qui laisserait entendre que les parents d’accueil étaient entrés en contact avec la mineure bien avant la date mentionnée, à savoir quelques jours après la séparation d’avec sa mère, et en tout cas avant le 27 septembre 2005, date à laquelle la requérante et sa fille se sont vues pour la dernière fois. La requérante affirme aussi que les assistantes sociales lui ont offert de l’argent, ce qui a été aussi indiqué dans le rapport d’A.L.N. du 4 octobre 2005 (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour trouve étrange que le rapport d’A.L.N. se référât à cet argent, ce qui confirme les affirmations de la requérante, et ne précise pas à quel titre cet argent lui avait été proposé.
78. Pour autant que la requérante se plaint que les juridictions internes n’ont pas examiné les irrégularités commises dans la procédure administrative, la Cour observe que la question de savoir si le processus décisionnel a suffisamment protégé les intérêts d’un parent dépend des circonstances propres à chaque affaire. Elle relève à cet égard qu’au cours de la procédure devant les juges de première instance et l’Audiencia Provincial, la requérante a eu la possibilité de présenter les arguments en faveur de sa cause dans le cadre des procédures judiciaires où elle était représentée par un avocat au moins à partir du 1er février 2006 (paragraphe 32 ci-dessus ; voir aussi 21 ci-dessus pour ce qui est de la procédure administrative). La Cour ne décèle en conséquence aucun manquement imputable aux juridictions internes à cet égard.
79. La Cour rappelle que, dans les affaires touchant la vie familiale, la rupture du contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (voir, entre autres, Pini et autres c. Roumanie, nos& 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004‑V (extraits) et K.A.B. c. Espagne, précité, § 103). Il en va ainsi dans la présente affaire.
80. Au vu de ces considérations, tout en rappelant qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, la Cour constate l’existence de manques de diligence graves dans la procédure menée par les autorités responsables de la tutelle, du placement de l’enfant et de son éventuelle adoption (K.A.B. c. Espagne, précité, § 104).
81. À cet égard et s’agissant de l’obligation pour l’État d’arrêter des mesures positives, la Cour n’a cessé de dire que l’article 8 implique le droit pour un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson, précité, § 71, série A no 156, et Margareta et Roger Andersson c. Suède, 25 février 1992, § 91, série A no 226-A). Dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007, Mincheva, précité, § 86).
82. Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant puisse mener une vie familiale normale au sein de sa propre famille avant de le placer dans une famille d’accueil puis adoptive.
83. Dans les circonstances de l’espèce, certes on peut comprendre que l’assistante sociale A.L.N., au vu de la situation de G., ait pu décider de prendre en charge l’enfant et de le placer dans un centre d’accueil. Il s’agit là d’une mesure extrêmement grave et non sans conséquences aussi bien pour l’enfant que pour sa mère. En même temps, l’urgence de la situation et l’intérêt supérieur de l’enfant peuvent commander une telle décision. Cela étant, cette décision aurait dû s’accompagner dans les meilleurs délais de mesures les plus appropriées permettant d’évaluer en profondeur la situation de l’enfant et ses rapports avec ses parents, le tout dans le respect du cadre légal en vigueur. L’enfant a été séparé de sa mère contre le gré de cette dernière et immédiatement transférée dans un centre d’accueil per décision de l’assistante sociale A.L.N. Cette situation était particulièrement grave compte tenu de l’âge de l’enfant qui n’avait pas encore quatre ans. La Cour n’est guère convaincue par les raisons que l’administration et les juridictions internes ont estimés suffisantes pour justifier « amplement le placement automatique sous tutelle et la déclaration d’abandon », en particulier la gravité prétendue de l’état de la mineure, son « indifférence affective » à l’égard de sa mère ou encore l’indication selon laquelle « le comportement violent de celle-ci au cours des visites perturb[ait] la stabilité et l’évolution de la mineure » (paragraphe 30 ci-dessus). La Cour observe qu’à aucun moment de la procédure administrative n’a été pris en compte le très jeune âge de l’enfant au moment de la séparation ou la relation affective préalable existant entre elle et sa mère, ni le délai écoulé depuis leur séparation, ainsi que les conséquences qui en découlaient pour elles.
84. À la différence d’autres affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, l’enfant de la requérante en l’espèce n’avait pas été exposée à une situation de violence ou de maltraitance physique ou psychique (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005 ; Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). Les tribunaux n’ont pas constaté de déficits affectifs (voir, a contrario, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 68, CEDH 2002‑I), d’état de santé inquiétant de l’enfant ou de déséquilibre psychique des parents (voir, a contrario, Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002 ; Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 261, 1er juillet 2004). S’il est vrai que dans certaines affaires déclarées irrecevables par la Cour, le placement des enfants avait pu être motivé par des conditions de vie insatisfaisantes ou des privations matérielles, cela n’avait toutefois jamais constitué le seul motif servant de base à la décision des tribunaux nationaux, en ce que d’autres éléments tels que l’état psychique des parents ou leur incapacité affective, éducative et pédagogique s’y ajoutaient (Rampogna et Murgia c. Italie (déc.), no 40753/98, 11 mai 1999 ; M.G. et M.T.A. c. Italie (déc.), no 17421/02, 28 juin 2005 ; Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, §§ 72–74, 26 octobre 2006).
85. Dans la présente affaire, les capacités éducatives et affectives de la requérante par rapport à sa fille mineure G. n’ont pas été formellement mises en cause, bien que ses deux enfants ainés soient placés en accueil familial élargi auprès du grand-oncle de leur mère (paragraphe 7 ci-dessus). La prise en charge de l’enfant de la requérante a été ordonnée en raison de la situation d’indigence de la mère de G. au moment de cette décision, sans qu’il soit tenu compte de son évolution postérieure. De l’avis de la Cour, il ne s’agissait de la part de la requérante que d’une carence matérielle que les autorités nationales auraient pu compenser à l’aide de moyens autres que la séparation totale de la famille, mesure ultime ne pouvant s’appliquer qu’aux cas les plus graves.
86. La Cour estime que les autorités administratives espagnoles auraient dû envisager d’autres mesures moins radicales que la prise en charge de l’enfant. La Cour considère que le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté qui n’ont pas la connaissance nécessaire du système, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales disponibles, aux possibilités d’obtenir un logement social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficultés, comme la requérante avait initialement cherché à le faire (paragraphe 8 ci-dessus). Elle observe par ailleurs que tant le juge de première instance no 3 de Grenade dans son jugement du 18 mai 2007 que l’Audiencia provincial de Grenade dans son arrêt du 27 juin 2008 ont refusé de prendre en compte le changement de situation financière que la requérante entendait faire valoir pour s’opposer à la déclaration d’abandon de sa fille (paragraphe 28 ci-dessus) et se sont limités à confirmer la déclaration adoptée par l’administration
87. La Cour note par ailleurs que le constat initial de la situation d’abandon de G. a été mécaniquement reproduit tout au long des procédures ultérieures, dans lesquelles la volonté de l’administration de placer l’enfant ailleurs a été clairement affichée. La Cour trouve pour le moins surprenant que l’assistante sociale ayant déclenché la procédure ait demandé à la Croix-Rouge de localiser la requérante en affirmant que la famille qui avait « adopté » G. était également « prête à adopter [son] nourrisson », dont elle estimait l’âge à 9 mois environ en notant que l’intéressée « [avait été] enceinte il y a plus d’un an » (paragraphe 26 ci-dessus). Elle observe que la décision du 14 février 2007 par laquelle la Délégation provinciale de Grenade plaça G. en accueil préadoptif (paragraphe 34 ci-dessus) prit en compte la situation d’accueil familial de deux enfants ainés de la requérante auprès de son grand-oncle ainsi que la « possible » tutelle des autorités françaises sur le nouveau-né de la requérante signalée par l’assistante sociale. La Cour estime que les autorités administratives n’ont fait que reproduire successivement les décisions sans aucunement procéder à de nouvelles constatations ni apprécier sur la base d’éléments tangibles l’évolution des circonstances.
88. Concernant le placement de l’enfant, la Cour relève que la requérante n’a pas cessé de s’y opposer, soutenue à cet égard par le procureur chargé des mineurs (paragraphes 38 et 41 ci-dessus), et que sa proposition alternative tendant à ce que l’accueil familial soit confié à son grand-oncle a été rejetée par le jugement du 4 septembre 2009 du juge de première instance de Grenade (paragraphe 39 ci-dessus). La Cour note que le juge a écarté cette proposition subsidiaire en considérant que son grand-oncle ne réunissait pas les conditions requises pour accueillir des mineurs sans aucunement motiver cette affirmation, se limitant à dire que cela constituerait une « surcharge » compte tenu qu’il s’était déjà vu confier la garde des deux autres enfants de la requérante (paragraphe 34 ci-dessus). N’ayant pas été autorisé à prendre part à la procédure, le grand-oncle de la requérante n’a toutefois pas pu s’exprimer à cet égard.
89. La Cour rappelle sa jurisprudence citée au paragraphe 81 ci-dessus, selon laquelle l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. Elle observe que, malgré le soutien du procureur chargé des mineurs aux arguments de la requérante contre l’option d’un accueil familial préadoptif, cette option a été retenue au seul motif de l’absence de contacts entre la mineure et sa mère depuis plusieurs années, alors que les rencontres entre elles avaient précisément été suspendues par des décisions administratives et judiciaires. La Cour note que pour retenir, dans son arrêt du 18 juin 2010, que le rapport d’expertise psychologique présenté par la requérante ne suffisait pas à démontrer sa capacité à s’occuper de ses enfants, ou estimer qu’il n’y avait pas de preuve convaincante que le risque de retomber dans la situation de manque d’attention initialement constaté envers l’enfant ait disparu, le tribunal d’appel n’a pas jugé nécessaire de recueillir d’autres rapports ni expertises au sujet de l’état psychique de la requérante ou de ses capacités éducatives. La Cour estime qu’il faut normalement considérer la prise en charge d’un enfant comme une mesure temporaire à suspendre dès que la situation s’y prête et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent naturel et l’enfant (Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 78, Recueil 1996‑III). Elle relève toutefois que la requérante a été contrainte de prouver qu’elle était une bonne mère pour son enfant et que, lorsqu’elle a présenté les éléments dont elle disposait pour entreprendre de le démontrer, les juridictions compétentes ont estimé, sans aucun argument à l’appui, que ces éléments n’étaient pas suffisants pour contrecarrer l’avis de l’administration confirmé judiciairement entre-temps.
90. La Cour estime que la prise en considération de la vulnérabilité de la requérante au moment où sa fille a été placée en accueil institutionnel aurait pu jouer un rôle important pour comprendre la situation dans laquelle se trouvaient l’enfant et sa mère. De même, l’évolution ultérieure de la situation financière de la requérante ne semble pas avoir retenu l’attention du juge. Celui-ci s’est limité à faire état dans son jugement du 4 septembre 2009 des « rapports techniques », sans plus de précisions sur leur contenu, et à considérer que la « récupération des compétences éducatives » n’avait pas été prouvée, alors même qu’aucun mauvais traitement de la mère envers sa fille n’avait jamais été en cause.
91. Elle note en outre que le rapport de suivi du 29 mars 2011 du service de protection des mineurs a démontré qu’après presque six ans d’avoir été séparée de la requérante, l’enfant était bien intégrée dans sa famille d’accueil, qui subvenait à tous ses besoins matériels et affectifs et avec laquelle elle habitait depuis le 16 février 2007. La Cour observe à cet égard que le passage du temps a eu pour effet de rendre très difficilement réversible une situation qui aurait pu être redressée avec des moyens autres que la séparation et la déclaration de l’enfant comme étant en situation d’abandon.
92. Ainsi, le temps écoulé, conséquence de l’inertie de l’administration, et la propre inertie des juridictions internes, qui n’ont pas estimé déraisonnables les motifs donnés par l’administration pour priver une mère de sa fille sur la seule base de motifs économiques – la santé mentale de la requérante, initialement invoquée, n’ayant fait l’objet d’aucune expertise –, ont contribué de façon décisive à l’absence de toute possibilité de regroupement familial entre la requérante et sa fille. La requérante et sa fille se sont vues pour la dernière fois le 27 septembre 2005 et, depuis lors, la requérante n’a pas cessé de la réclamer, tant devant les organes compétents de l’administration que devant les juridictions internes.
93. Eu égard à ces considérations et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour conclut que les autorités espagnoles n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de la requérante à vivre avec son enfant, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8.
94. Partant, il y a eu violation de l’article 8.
M. Justin A. [Placement en vue de l'adoption d'un enfant né d'un accouchement sous le secret]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 novembre 2019 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1079 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Justin A. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-826 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article 351 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption, et du premier alinéa de l'article 352 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel ;
- le
code de l'action sociale et des familles ;
- le
code civil ;
- la
loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption ;
- la
loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Claire Waquet,
avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 12
décembre 2019 ;
- les observations présentées pour M. Laurent B. et Mme Fanny S., parties au
litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a
été posée, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la
Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées pour la préfète de l'Allier et le conseil
départemental de l'Allier, parties au litige à l'occasion duquel la question
prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Christophe Boyer,
avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même
jour ;
- les secondes observations présentées pour M. Laurent B. et Mme Fanny S.
par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 26 décembre 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Waquet pour le requérant, Me Emmanuel Piwnica, avocat
au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. Laurent B. et Mme Fanny
S., Me Boyer pour la préfète de l'Allier et le conseil départemental de
l'Allier, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à
l'audience à huis clos du 28 janvier 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le
deuxième alinéa de l'article 351 du code civil, dans sa rédaction
résultant de la loi du 5 juillet 1996 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, il ne peut y avoir de
placement en vue de l'adoption pendant un délai de deux mois à compter du
recueil de l'enfant ».
2. Le
premier alinéa de l'article 352 du code civil, dans sa rédaction issue
de la loi du 11 juillet 1966 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le placement en vue de l'adoption met obstacle à toute restitution de
l'enfant à sa famille d'origine. Il fait échec à toute déclaration de
filiation et à toute reconnaissance ».
3. Le requérant soutient tout d'abord que ces dispositions, qui s'opposent à
toute reconnaissance d'un enfant à compter de son placement en vue de
l'adoption, méconnaîtraient, dans le cas d'un enfant né d'un accouchement
secret, le droit de mener une vie familiale normale. En effet, dès lors que
le placement de l'enfant peut intervenir dès l'expiration d'un délai de deux
mois après son recueil par le service de l'aide sociale à l'enfance, le père
de naissance, lorsqu'il ignore les date et lieu de naissance de l'enfant,
serait dans l'impossibilité de le reconnaître avant son placement en vue de
l'adoption et donc d'en solliciter la restitution. Par ailleurs, en
s'opposant à toute reconnaissance de l'enfant dès son placement en vue de
l'adoption, ces dispositions privilégieraient la filiation adoptive au
détriment de la filiation biologique en méconnaissance de l'intérêt
supérieur de l'enfant et d'un principe fondamental « selon lequel la
filiation biologique est première et l'adoption seulement subsidiaire ».
Enfin, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi.
D'une part, elles soumettent aux mêmes délais et procédure le père et la
mère de naissance alors que seule cette dernière est informée des
conséquences de l'accouchement secret. D'autre part, elles institueraient
une différence de traitement entre le père de naissance et les futurs
adoptants en empêchant le premier d'établir sa filiation après le placement
en vue de l'adoption quand les seconds bénéficieraient, dès cet instant, de
la garantie de l'établissement d'un lien de filiation.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur
les mots « deux mois » figurant au
deuxième alinéa de l'article 351 du code civil et sur les mots « et à
toute reconnaissance » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de
l'article 352 du même code.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et du droit de mener une vie familiale normale :
5. Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution
de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions
nécessaires à leur développement. - Elle garantit à tous, notamment à
l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la
sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Il en résulte une exigence
de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant.
6. Le droit de mener une vie familiale normale résulte de ce même dixième
alinéa.
7. L'article
326 du code civil permet à la mère, lors de l'accouchement, de demander
que soit préservé le secret de son admission et de son identité. L'article
L. 224-4 du code de l'action sociale et des familles prévoit que,
lorsqu'ils ont été recueillis par le service d'aide sociale à l'enfance
depuis plus de deux mois, les enfants dont la filiation n'est pas établie ou
est inconnue, au nombre desquels figurent les enfants nés d'un tel
accouchement secret, sont admis en qualité de pupille de l'Etat. Selon
l'article L. 224-6 du même code, pendant ce délai de deux mois, les père et
mère peuvent reconnaître l'enfant et le reprendre immédiatement, sans aucune
formalité. Au-delà de ce délai, la décision d'accepter ou de refuser la
restitution d'un pupille de l'Etat, qui peut être contestée devant le
tribunal judiciaire, est prise par le tuteur, avec l'accord du conseil de
famille.
8. Il résulte des dispositions contestées de l'article
351 du code civil que lorsque la filiation de l'enfant n'est pas
établie, le placement en vue de l'adoption ne peut pas intervenir avant
l'expiration du délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant au terme
duquel il est admis en qualité de pupille de l'Etat. Les dispositions
contestées de l'article
352 du code civil prévoient que le placement en vue de l'adoption fait
échec à toute reconnaissance.
9. D'une part, en prévoyant qu'un enfant sans filiation ne peut être placé
en vue de son adoption qu'à l'issue d'un délai de deux mois à compter de son
recueil, le législateur a entendu concilier l'intérêt des parents de
naissance à disposer d'un délai raisonnable pour reconnaître l'enfant et en
obtenir la restitution et celui de l'enfant dépourvu de filiation à ce que
son adoption intervienne dans un délai qui ne soit pas de nature à
compromettre son développement. D'autre part, la reconnaissance d'un enfant
pourrait faire obstacle à la conduite de sa procédure d'adoption. En
interdisant qu'une telle reconnaissance intervienne postérieurement à son
placement en vue de son adoption, le législateur a entendu garantir à
l'enfant, déjà remis aux futurs adoptants, un environnement familial stable.
10. Le père de naissance peut reconnaître l'enfant avant sa naissance et
jusqu'à son éventuel placement en vue de l'adoption. Dans le cas d'un enfant
né d'un accouchement secret, l'article
62-1 du code civil prévoit que, si la transcription de la reconnaissance
paternelle s'avère impossible, le père peut en informer le procureur de la
République, qui doit procéder à la recherche des date et lieu
d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant. De plus, il résulte de
la jurisprudence de la Cour de cassation que la reconnaissance d'un enfant
avant son placement en vue de l'adoption fait échec à son adoption même
lorsque l'enfant n'est précisément identifié qu'après son placement.
11. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son
appréciation à celle du législateur sur la conciliation qu'il y a lieu
d'opérer, dans l'intérêt supérieur de l'enfant remis au service de l'aide
sociale à l'enfance, entre le droit des parents de naissance de mener une
vie familiale normale et l'objectif de favoriser l'adoption de cet enfant,
dès lors que cette conciliation n'est pas manifestement déséquilibrée.
12. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance
du droit de mener une vie familiale normale et de l'exigence
constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant doivent
être écartés.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
13. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit
qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le
législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce
qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si, en règle générale,
ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent
dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à
traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations
différentes.
14. Si, dans le cas d'un accouchement secret, le père et la mère de
naissance se trouvent dans une situation différente pour reconnaître
l'enfant, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir le délai
dans lequel peut intervenir le placement de l'enfant en vue de son adoption
et les conséquences de ce placement sur la possibilité d'actions en
reconnaissance, n'instituent en tout état de cause pas de différence de
traitement entre eux. Elles n'instituent pas davantage de différence de
traitement entre les parents de naissance et les futurs adoptants. Dès lors,
le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit
être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui
ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
Article 1
Les mots « deux mois » figurant au deuxième alinéa de l'article 351 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption, et les mots « et à toute reconnaissance » figurant à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 352 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption, sont conformes à la Constitution.
Article 2
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 février 2020, où
siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain
JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques
MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 7 février 2020.
VITE EXAMINÉ DANS L'INTÉRÊT DE L'ENFANT
AKINNIBOSUN c. ITALIE du 16 juillet 2015, requête 9056/14
Violation de l'article 8 : Le requérant détenu pendant deux en préventive obtient un acquittement. A sa sortie de prison il n'a pas droit de visite de sa fille placée dans une famille d'accueil !
64. La Cour considère que le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si, avant de supprimer le lien de filiation, les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant puisse mener une vie familiale normale avec son père.
65. La Cour rappelle qu’il existe un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Neulinger et Shuruk, précité, § 135).
66. La Cour note que les autorités italiennes ont pris en charge le requérant et sa fille depuis leur arrivée en Italie par bateau.
À cet égard, la Cour ne peut pas prendre en compte l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait emmené sa fille en Italie afin d’obtenir plus facilement un permis de séjour. En l’absence d’éléments objectifs dans le dossier qui accréditeraient l’idée que le but du requérant était d’utiliser l’enfant pour obtenir plus facilement un permis de séjour en Italie, elle ne saurait spéculer sur les motivations du requérant et sur son choix de quitter la Libye avec sa fille alors âgée de deux ans.
67. À leur arrivée en Italie en février 2009, le requérant et sa fille furent insérés dans un projet pour l’accueil des réfugiés. Ils furent accueillis dans un centre et les services sociaux surveillèrent la situation de l’enfant, qui semblait être désorientée à la suite de certaines expériences vécues dans le passé.
68. Le 2 avril 2009, le requérant fut arrêté et l’enfant fut transférée dans un foyer. Elle était traumatisée et se réveillait en pleurant la nuit. C’est pourquoi il fut décidé de la placer en famille d’accueil, afin de lui offrir un environnement stable.
69. La Cour note que pendant sa détention, le requérant, a exprimé son intérêt pour l’enfant, et une fois acquitté, a demandé à la rencontrer. Il a reconnu que l’enfant vivait dans un environnement serein et qu’il était nécessaire, de son côté, qu’il trouve un travail.
70. La seule rencontre autorisée avec l’enfant, qui a eu lieu le 30 juillet 2012, connut un déroulement difficile, en raison probablement du fait que le requérant n’avait plus vu sa fille depuis trois ans alors qu’il s’agissait d’une enfant en bas âge (paragraphes 19-20 ci‑ dessus). Ensuite le requérant déménagea et ne donna plus de nouvelles aux services sociaux pendant trois mois, avant de redemander une rencontre avec l’enfant.
La Cour note qu’aucune expertise psychologique visant à vérifier la capacité du requérant à exercer son rôle de parent n’a eu lieu et que s’il est vrai que plusieurs rapports sur l’état psychologique de l’enfant ont été déposés devant les juridictions internes, la décision de rompre le lien parent-enfant s’est fondée de manière exclusive sur les rapports des services sociaux, qui avaient observé le requérant lors de son arrivée en Italie en 2009 et lors de la seule et unique rencontre avec l’enfant.
71. De plus, s’il est vrai que les rapports déposés par les services sociaux après la rencontre (§§ 20-23) faisaient état d’une situation difficile pour l’enfant, la Cour relève toutefois également que lesdits rapports ne se fondaient pas toujours sur une observation directe de la situation par les experts, mais se référaient en grande partie aux affirmations de la famille d’accueil de l’enfant.
72. Le 23 janvier 2014, le tribunal a décidé de déclarer l’enfant adoptable. Le tribunal a jugé que le requérant n’était pas en mesure de s’occuper de l’enfant et de comprendre ses besoins. Il a en outre noté que dans les deux lettres qu’il avait envoyées à sa fille, le requérant n’avait pas exprimé l’intention d’en obtenir à nouveau la garde. Le tribunal a également reproché au requérant d’avoir emmené sa fille en Italie avec lui. Il n’a pas estimé nécessaire d’ordonner une expertise pour vérifier si le requérant était capable d’exercer son rôle parental ou si sa relation avec l’enfant était marquée par un déficit affectif.
73. La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal. Elle n’a pas pris en considération l’évolution de la situation du requérant, ni estimé elle non plus nécessaire d’ordonner une expertise sur les capacités parentales du requérant, mais a néanmoins jugé que ce dernier n’était pas en mesure d’exercer son rôle de père, en se fondant essentiellement sur les rapports que les services sociaux avaient préparés en 2009. La cour d’appel a retenu que le requérant avait une attitude autoritaire (padre padrone) en relevant que, une fois sorti de prison, il avait affirmé à plusieurs reprises qu’il n’était pas prêt à prendre en considération d’autres solutions concernant le placement de sa fille, en déclarant que « les enfants appartiennent aux parents ». Selon la cour d’appel, la déclaration d’adoptabilité n’avait elle-même rompu aucun lien familial, étant donné que l’enfant, en réponse aux questions des services sociaux, avait refusé de se référer à son père biologique et à son expérience passée. À ses yeux, l’enfant se trouvait donc dans un état d’abandon, le père ne pouvant pas assurer les soins nécessaires.
74. La Cour estime tout d’abord que les autorités nationales n’ont pas suffisamment œuvré afin de faciliter les contacts entre A. et le requérant.
Elle rappelle que dans des cas si délicats et complexes, la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Si les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des circonstances justifiant le retrait de l’enfant. Il incombe à l’État défendeur d’établir que les autorités ont évalué avec soin l’incidence qu’aurait sur les parents et l’enfant la mesure d’adoption, et envisagé d’autres solutions que la prise en charge de l’enfant avant de mettre pareille mesure à exécution (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 166, CEDH 2001‑VII ; Kutzner, précité).
75. La Cour le répète avec force : dans les affaires de ce type, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération. Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont, en effet, en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, du fait notamment qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées. Elle doit cependant contrôler, sous l’angle de la Convention, les décisions que lesdites autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.
76. La Cour note qu’après la séparation d’avec le requérant, l’enfant a été placée dans une famille d’accueil, dans laquelle elle s’est bien insérée. Toutefois, la Cour relève qu’une fois le requérant libéré après avoir été acquitté, à aucun moment les juridictions internes n’ont envisagé des mesures moins radicales que l’orientation de A. vers l’adoption afin d’éviter l’éloignement définitif et irréversible de l’enfant de son père, mesure pouvant aller contre l’intérêt supérieur de l’enfant.
77. En outre, en ce qui concerne l’absence de liens entre le requérant et sa fille, raison sur laquelle la cour d’appel s’est appuyée pour déclarer l’enfant en état d’abandon, la Cour note que les autorités compétentes étaient responsables de la situation de rupture familiale qui s’est installée entre le 2 avril 2009, date de l’arrestation du requérant, et le 7 juillet 2011, date de sa libération.
78. La Cour rappelle également que le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 173).
79. La Cour note qu’à la différence de la plupart des affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, en l’espèce il n’a pas été démontré que l’enfant avait été exposée à des situations de violence ou de maltraitance (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005 ; Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). Les tribunaux n’ont pas non plus constaté en l’occurrence de déficits affectifs (voir, a contrario, Kutzner, précité, § 68), ou encore un état de santé inquiétant ou un déséquilibre psychique des parents (voir, a contrario, Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002 ; Couillard Maugery c. France, précité, § 261).
80. Dans la présente affaire, la prise en charge de l’enfant du requérant a été ordonnée au motif que le requérant n’était pas en mesure de prendre soin d’elle et qu’un retour auprès de lui aurait été nuisible pour l’enfant. Toutefois, la Cour note que la séparation entre le requérant et l’enfant a été provoquée par l’arrestation du requérant ; que, trois ans après, le requérant a été acquitté ; et que les juridictions internes ne lui ont alors permis de voir l’enfant qu’une seule fois. C’est à la suite de cette unique rencontre, sans avoir ordonné aucune expertise au sujet du requérant ni tenté de mettre en place un quelconque parcours de rapprochement entre le requérant et l’enfant, qu’elles ont jugé qu’il n’était pas capable d’exercer son rôle parental.
La Cour relève encore qu’à sa sortie de prison le requérant a demandé tout de suite à rencontrer sa fille, lui a adressé des lettres et a fait les démarches juridiques nécessaires pour exercer son droit de visite. Elle estime donc qu’on ne saurait considérer que le requérant se désintéressait de sa fille, comme les juridictions internes l’ont affirmé. La Cour ne perd pas de vue qu’à sa sortie de prison le requérant était sans travail et n’avait pas de domicile fixe.
81. La Cour doute du caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour conclure que le requérant n’était pas en mesure d’exercer son rôle parental et qu’il était dangereux pour l’enfant. La Cour est d’avis qu’avant d’ouvrir une procédure d’adoptabilité, les autorités auraient dû prendre des mesures concrètes pour permettre à l’enfant de renouer des liens avec son père ; et cela d’autant plus que le requérant avait passé trois ans sans avoir aucun contact avec sa fille, dont les deux années passées en détention.
82. La Cour réaffirme que le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales disponibles, aux possibilités d’obtenir un logement social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficultés (Saviny c. Ukraine, no 39948/06, § 57, 18 décembre 2008 ; R.M.S. c. Espagne no 28775/12, § 86, 18 juin 2013). Dans le cas des personnes vulnérables, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et doivent leur assurer une protection accrue (B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 86 et 114, 19 février 2013 ; Todorova c. Italie, no 33932/06, § 75, 13 janvier 2009, Zhou, précité, §§ 58-59).
83. En l’espèce, la Cour est d’avis que la nécessité, qui était primordiale, de préserver autant que possible le lien entre le requérant et sa fille n’a pas été dûment prise en considération – sachant que l’intéressé se trouvait par ailleurs en situation de vulnérabilité, compte tenu de ce qu’il était étranger et venait de sortir de prison après deux ans de détention injuste, puisqu’il a été acquitté.
La Cour note que la décision de rompre le lien familial n’ait été précédée d’une évaluation sérieuse et attentive de la capacité du requérant à exercer son rôle de parent, et notamment d’aucune expertise psychologique, et qu’aucune tentative de sauvegarder le lien n’ait été envisagée. Les autorités n’ont pas déployé des efforts adéquats pour préserver le lien familial entre le requérant et sa fille et en favoriser le développement. Les autorités judiciaires se sont bornées à prendre en considération l’existence de certaines difficultés, alors que celles-ci auraient pu, selon toute vraisemblance, être surmontées au moyen d’une assistance sociale ciblée. Le requérant ne s’est vu offrir aucune chance de renouer des liens avec sa fille : en effet aucun expert n’a été mandaté pour évaluer ses compétences ou son profil psychologique. De plus, une seule rencontre a été autorisée avec l’enfant. Aucun parcours de rapprochement ou de thérapie familiale n’a été envisagé. Au demeurant, aucune explication convaincante pouvant justifier la suppression du lien de filiation paternelle entre le requérant et sa fille n’a été fournie par le Gouvernement.
84. Eu égard à ces considérations et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour conclut que les autorités italiennes, en envisageant que la solution d’une rupture du lien familial, n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant à vivre avec son enfant, élément de son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8. Il y a donc eu violation de cette disposition.
85. Compte tenu de ce que l’enfant a désormais été adoptée, la Cour précise que ce constat de violation ne saurait être compris comme obligeant l’État à remettre la mineure à l’intéressé.
Couillard Mangery contre France du 01/07/2004 Hudoc 5188 requête 64796/01
L'intérêt des enfants prime en matière de garde et droit de visite des enfants, par des parents suivis en psychiatrie
Pour compenser le retrait du droit de garde, la mère avait un droit de visite tous les week-end. Elle considère qu'elle doit avoir la garde de ses enfants puisqu'elle ne subit plus de placement en hôpital psychiatrique depuis 1994. La Cour constate que les mauvaises relations entre la mère et ses deux enfants, leur porte préjudice. L'état de santé de la mère se dégrade au point de supprimer les visites qui deviennent un véritable danger pour les enfants.
Sur la nécessité de placer le fils et la fille de la requérante
"§261: La lecture de ces décisions, prises par des juges différents, qui reprennent les mêmes éléments et arguments montre de toute évidence que le placement des deux enfants a été décidé en raison des graves problèmes de santé de leur mère et des répercussions que ceux-ci avaient sur l'équilibre et l'état de santé des enfants eux-mêmes.
§268: La Cour considère que les différentes juridictions appelées à statuer sur le placement des enfants l'ont fait de manière très régulière, dans des décisions soigneusement motivées et détaillées et prenant en compte les différents éléments de la situation et son évolution.
§269: Dans ces conditions et au vu de l'intérêt évidemment primordial des enfants d'être placés dans un environnement offrant les meilleures conditions pour leur développement, la Cour estime que les mesures de placement prises ne sauraient être remises en cause sur le fondement de l'article 8"
Sur la nécessité de supprimer le droit de visite de la requérante à son fils et sa fille
"§302: La Cour rappelle qu'il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises car ces autorités sont, en effet, en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu'elle sont en contact direct avec le contexte de l'affaire et les parties impliquées.
§303: La Cour constate que de très nombreuses décisions ont été prises régulièrement au fil des années concernant les rencontres et contacts entre la requérante et ses deux enfants. Elle relève que, comme pour les décisions de placement, ces jugements et ordonnances ont été rendues après que des expertises psychologiques et psychiatriques de la mère et des enfants eurent été menées. Il convient aussi de noter, sur ce point, que les juridictions ont dûment tenu compte des nombreux rapports des services sociaux. Enfin, il ressort également du dossier que les inquiétudes et desiderata exprimés par les enfants eux-mêmes ont joué un rôle important dans les décisions prises.
§307: La Cour ne peut que constater, en l'espèce, dans une situation particulièrement complexe et délicate sur le plan psychologique et psychiatrique, que des autorités compétentes firent tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles pour atteindre cet objectif qui était constamment présent à leur esprit. Ils ont de manière précise et minutieuse évalué la situation de danger qui existait pour les esprits. Ils ont de manière précise et minutieuse évalué la situation de danger qui existait pour les mineurs dont la santé, la sécurité ou les conditions d'éducation pouvaient paraître compromises.
§308: Dans ces circonstances, la Cour ne peut que conclure que les autorités prirent, pour faciliter le regroupement de la requérante et de ses enfants, toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles. La Cour note par ailleurs que le lien familial n'a pas été brisé puisqu'il ressort clairement des faits qu'un rapprochement très important s'est effectué au fil des années entre la mère et ses deux enfants.
KOPF ET LIBERDA C. AUTRICHE requête n° 1598/06 du 17 janvier 2012
Les juridictions autrichiennes n’ont pas examiné assez rapidement une demande d’obtention d’un droit de visite
Les Etats ne peuvent pas attendre que l'enfance soit terminée pour examiner un droit de visite !
Décision de la Cour
Les requérant ont été la famille d’accueil de F. pendant près de quatre ans. Ils ont entretenu des liens affectifs avec l’enfant et se préoccupent sincèrement de son bienêtre.
Toutefois, étant donné que F. a vécu avec sa mère biologique pendant plus de trois ans après la période qu’il a passée chez les requérants, et que ceux-ci n’avaient plus de contact avec lui à cette époque, l’intérêt supérieur de l’enfant commandait de ne pas les autoriser à lui rendre visite. La Cour conclut que les juridictions autrichiennes, au moment où elles ont pris leur décision, ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’enfant et de son ancienne famille d’accueil.
Toutefois, les juridictions autrichiennes ont rendu une décision définitive à l’issue d’une procédure qui a duré plus de trois et demi. Si l’affaire présentait une certaine complexité, aucune explication satisfaisante n’a été fournie pour la lenteur de la procédure et pour les deux périodes d’inactivité qui l’ont marquée. Le tribunal de district a du reste conclu que, si les décisions avaient été prises plus tôt, il y aurait eu de bonnes raisons d’accueillir la demande de droit de visite présentée par les requérants.
En conséquence, la Cour estime que les juridictions autrichiennes n’ont pas examiné assez rapidement la demande des requérant tendant à l’octroi d’un droit de visite à l’enfant qu’ils avaient accueilli dans le passé, ce qui emporte violation de l’article 8.
T C. République Tchèque du 17 juillet 2014 requête n° 18315/11
Violation de l'article 8 : Le placement de l'enfant était nécessaire mais les tribunaux auraient dû verifier que les parents au fil du temps pouvaient bénéficier un droit de visite pour ne pas interrompre le lien de filiation.
103. La Cour souligne en premier lieu que, par essence, le lien entre les requérants relève de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Elle relève d’ailleurs que ce point n’est pas controversé.
104. Il lui incombe dès lors de déterminer si, au vu des principes dégagés par sa jurisprudence, les circonstances dénoncées par les requérants révèlent un manquement au droit de ceux-ci au respect de leur vie familiale.
105. Pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale. La Cour constate que le Gouvernement ne conteste pas que le placement de J. constitue une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale et qu’il en résultait une obligation positive pour l’Etat de maintenir les relations personnelles entre les requérants afin de les réunir le cas échéant.
106. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, prévue par la loi, elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, parmi beaucoup d’autres, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50, CEDH 2000‑IX).
107. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’Etat des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établi, l’État doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90 ; Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55).
108. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, Gnahoré, précité, § 52).
109. En l’espèce, il n’est pas contesté que les mesures prises étaient fondées notamment sur les dispositions pertinentes de la loi no 94/1963 sur la famille et de la loi no 359/1999 sur la protection sociale de l’enfant. Elles se trouvent donc prévues par la loi.
110. La Cour observe que ces dispositions visent expressément à préserver la santé, la sécurité et le bon développement des mineurs et à garantir leur éducation. Il ressort clairement des motifs retenus par les autorités internes que leur application en l’espèce avait pour objectif la sauvegarde des intérêts de l’enfant. Le placement en question poursuit donc un but légitime au regard du second paragraphe de l’article 8, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui.
111. Pour apprécier la nécessité des
mesures litigieuses dans une société démocratique, la Cour examinera, à la
lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier
sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (voir, par
exemple, Olsson (no
2), précité, § 87 ; Gnahoré, précité, §
54). Elle aura en outre égard à l’obligation faite en principe à l’Etat de
permettre le maintien du lien entre le requérant et sa fille. Toutefois, la Cour
n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de
leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de la prise en
charge des enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les
enfants ont été ainsi placés, mais elle doit apprécier, sous l’angle de la
Convention, les mesures prises par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir
d’appréciation. À la suite du retrait d’un enfant en vue de sa prise en charge,
il faut exercer un contrôle plus rigoureux à la fois sur les restrictions
supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits et aux
visites des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection
effective du droit des parents
et enfants au respect de leur vie familiale. De telles restrictions
supplémentaires comportent en effet le risque d’amputer les relations familiales
entre les parents et un jeune enfant (voir Gnahoré,
précité, § 54 ; Assunção Chaves c. Portugal, no
61226/08, § 101, 31 janvier 2012).
112. La Cour rappelle en outre que dans les affaires de ce type, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération. Elle souligne cependant que cet intérêt présente un double aspect : d’une part, garantir à l’enfant une évolution dans un environnement sain ; d’autre part, maintenir ses liens avec sa famille, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne, car briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (voir Gnahoré, précité, § 59 ; Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 81, 26 mai 2009).
113. La Cour examinera donc d’abord les motifs avancés par les juridictions nationales pour justifier la décision de placer J. dans un établissement pour enfants ayant besoin d’une aide immédiate et, dans un second temps, la question de savoir si les autorités nationales se sont employées à maintenir un lien parental entre J. et son père.
a) Sur la mesure de placement de la fille du requérant
114. La Cour rappelle que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave. Dès lors, pareille mesure doit reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et ayant assez de poids et de solidité (voir, par exemple, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000‑VIII). Il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents des individus concernés et de la société dans son ensemble, en tenant compte de la marge d’appréciation laissée aux États contractants. Dans ce domaine, la Cour ne se borne cependant pas à se demander si l’Etat défendeur a usé de son pouvoir d’appréciation de bonne foi, avec soin et de manière sensée. En outre, dans l’exercice de son contrôle elle ne saurait se contenter d’examiner isolément les décisions critiquées ; il lui faut les considérer à la lumière de l’ensemble de l’affaire et déterminer si les motifs invoqués à l’appui des ingérences en cause sont « pertinents et suffisants » (voir Olsson (no 1), précité, § 68 ; Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 244, 1er juillet 2004).
115. En l’espèce, la Cour observe que J. a été placée dans l’établissement K., destiné aux enfants ayant besoin d’une aide immédiate, en décembre 2007, sur demande de l’autorité sociale compétente. Ce placement est intervenu peu après le décès de la mère de J., sous la garde exclusive de laquelle elle se trouvait depuis deux ans et avec laquelle elle avait passé un temps dans un foyer réservé aux victimes de la violence domestique. Il est donc incontestable que la fillette, âgée de quatre ans, était particulièrement vulnérable à cette époque ; elle a d’ailleurs été hospitalisée quelques jours en raison d’un stress traumatique. De plus, à ce moment-là, elle ne connaissait quasiment pas le requérant puisque celui-ci avait purgé une peine de prison depuis octobre 2005 et n’avait pas gardé le contact avec elle. Il est vrai que les parties divergent sur la question de savoir si l’adresse du requérant était à l’époque connue de l’autorité sociale (voir paragraphes 7 et 9 ci-dessus) et, partant, si celle-ci aurait dû le prévenir. Le requérant en déduit que le placement de sa fille était irrégulier jusqu’à la décision du tribunal datée le 4 janvier 2008 (voir paragraphe 96 ci-dessus). La Cour n’estime néanmoins pas nécessaire de se prononcer sur ce point en particulier, d’une part parce que le requérant ne semble pas l’avoir soulevé devant les tribunaux nationaux et d’autre part parce qu’il n’est pas contesté qu’il ne disposait pas à l’époque d’un logement lui permettant d’accueillir sa fille (voir paragraphes 7 et 12 ci-dessus).
116. La Cour estime en revanche que, au vu de l’urgence de la situation et de l’intérêt supérieur de l’enfant, on peut comprendre que l’autorité sociale compétente ait pu décider de prendre la fillette en charge et de la placer dans un établissement pour enfants ayant besoin d’une aide immédiate (voir, mutatis mutandis, R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 83, 18 juin 2013), ce qui a été ensuite confirmé par les tribunaux.
117. En effet, par la mesure provisoire du 4 janvier 2008, le tribunal de district de Prague-ouest a décidé de laisser J. dans l’établissement K., relevant qu’elle avait auparavant été confiée à sa mère sans avoir de contact avec son père. Le tribunal régional de Prague a ensuite ajouté que l’absence d’un milieu éducatif stable menaçait la vie et la santé de J. Le 16 avril 2008, le tribunal de district a estimé que les motifs de ce placement perduraient.
118. La Cour observe également que cette situation a donné lieu à l’ouverture d’une procédure sur le fond (voir paragraphe 13 ci-dessus), visant à évaluer en profondeur la situation de J. et ses rapports avec le requérant. A l’issue de celle-ci, le placement de la fille du requérant a été entériné par les tribunaux statuant sur le fond de l’affaire, qui ont en même temps rejeté la demande du requérant tendant à se voir attribuer la garde de J. Pour ce faire, le tribunal de district s’est fondé sur la déposition du requérant, sur l’extrait de son casier judiciaire, sur les rapports de l’établissement K. et de l’autorité sociale compétente et, en particulier, sur un rapport d’expertise récent. Il en a déduit que le requérant ne présentait pas les garanties éducatives et affectives nécessaires pour pouvoir s’occuper de sa fille et qu’il n’existait entre eux qu’un faible lien. Le tribunal régional, qui avait à sa disposition deux nouveaux rapports d’expertise, a pour sa part estimé que la personnalité du requérant constituait un obstacle sérieux et insurmontable à ce qu’il se voie attribuer la garde de sa fille, en ce qu’il n’était pas à même de comprendre les besoins de celle-ci et, partant, de dûment assumer son éducation.
119. Il ressort clairement de la motivation des décisions adoptées dans le cadre de cette procédure que les juges se sont prononcés après un examen attentif de la situation et sur la base des expertises psychologiques et psychiatriques répétées du requérant, qui a été entendu devant le tribunal. Ils ont pris également en compte les souhaits de l’enfant, relatés dans le rapport d’expertise du 9 septembre 2008 (voir paragraphe 20 ci-dessus), ainsi que les rapports concernant son évolution dans l’établissement K. La lecture de ces décisions, qui reprennent les mêmes éléments et arguments, montre que le placement de J. a été décidé en raison de graves doutes sur la capacité du requérant à prendre soin d’elle et en raison de l’absence de lien entre eux.
120. De l’avis de la Cour, ce sont là sans doute des raisons pertinentes justifiant le placement de J., et tout indique que les décisions prises en l’occurrence visaient effectivement à la préservation de l’intérêt primordial de celle-ci. Il est vrai que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur la manière dont le requérant pourrait à l’avenir progressivement renforcer les liens avec sa fille et acquérir les compétences parentales, point mentionné par certains experts (voir paragraphes 24 et 29 ci-dessus). La Cour note cependant qu’il s’agissait là de décider si J. devait pour le moment rester dans l’établissement K. ou si elle devait être confiée au requérant. Les suggestions des experts devaient donc guider les autorités surtout dans leurs efforts visant à maintenir les relations personnelles entre les intéressés afin de les réunir le cas échéant, efforts que la Cour examine ci-dessous.
121. Dans ces conditions et au vu de l’intérêt de l’enfant d’être placée dans un environnement offrant les meilleures conditions pour son développement, la Cour estime que la mesure de placement prise en l’espèce ne saurait être remise en cause sur le fondement de l’article 8. Sur ce point, cette disposition n’a donc pas été méconnue dans le chef du requérant qui est le seul à avoir le locus standi pour cette partie de la requête (voir paragraphe 91 ci-dessus).
b) Sur les mesures prises par les autorités nationales pour assurer le lien familial entre le requérant et sa fille
122. La Cour note d’abord que la décision de prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (voir, en particulier, Olsson (no 1), précité, § 81 ; Couillard Maugery, précité, § 273). Elle rappelle également le risque élevé qu’une interruption prolongée des contacts entre parents et enfants ou des rencontres trop espacées dans le temps compromettent toute chance sérieuse d’aider les intéressés à surmonter les difficultés apparues dans la vie familiale (voir, par exemple, Scozzari et Giunta, précité, § 177).
123. L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais elle se trouve limitée par le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque des contacts avec les parents semblent menacer cet intérêt, il appartient aux autorités nationales de ménager un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant et ceux des parents (voir, entre autres, Couillard Maugery, précité, § 274).
124. En l’occurrence, la Cour estime qu’il convient d’accorder un poids important au fait que personne ne conteste que le requérant a l’autorité parentale de J. et que, bien que dépourvu de garde, il bénéficiait d’un droit de visite. Le point décisif consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que les requérants puissent mener une vie familiale.
125. La Cour observe que lorsqu’un enfant est placé dans un établissement pour enfants ayant besoin d’une aide immédiate, les parents ont en principe une possibilité quotidienne de lui rendre visite (voir Havelka et autres c. République tchèque, no 23499/06, § 61, 21 juin 2007). Il ressort du dossier que tel a été le cas en l’espèce, le requérant s’étant depuis le début très fréquemment rendu dans l’établissement K. pour voir la requérante. La Cour constate en même temps que, bien qu’il ait été connu de toutes les personnes impliquées que les requérants n’avaient jamais vécu ensemble et que le requérant ne s’était jamais occupé d’un enfant, aucune mesure préparatoire permettant de faciliter ces visites n’a été prise pendant presque quatre ans, jusqu’aux conférences de cas tenues en août 2011. Toutefois, compte tenu de l’intérêt primordial de l’enfant de retrouver la stabilité et la sécurité affective et du fait que les visites du requérant ne semblaient pas y contribuer, la Cour estime qu’on ne saurait reprocher aux autorités de ne pas avoir insisté sur les mesures de médiation et de thérapie familiale.
126. Selon la Cour, il ressort du dossier que l’établissement K. ne faisait pas montre d’une grande volonté d’œuvrer afin de renforcer les liens entre les requérants (voir paragraphes 30, 34 et 35) et qu’il s’est toujours opposé à ce que le requérant emmène la requérante en dehors de l’établissement ou l’accueille chez lui pendant les week-ends ou les vacances. Même si une telle réticence est compréhensible au vu du contexte de l’affaire et du caractère du requérant, la Cour ne peut que constater que cet établissement n’a jamais statué sur les demandes du requérant par une décision formelle qu’il serait possible de contester devant les tribunaux administratifs. L’établissement K. a en effet toujours soutenu qu’il n’était pas compétent en la matière, soit parce qu’il n’avait pas la qualité d’autorité administrative et que la loi ne réglementait pas la procédure d’autorisation des sorties des enfants qui lui était confiés (voir paragraphe 40 ci-dessus), soit parce que la décision devait être prise par un tribunal (voir paragraphe 46 ci-dessus) ; il a d’ailleurs été conforté dans cette position par les avis du ministère des Affaires sociales.
De plus, après que le tribunal régional de Prague a considéré que les réponses de l’établissement K. pouvaient être qualifiées de décisions au sens matériel, bien que nulles et non avenues (voir paragraphe 41 in fine ci-dessus), il en a conclu autrement dans son arrêt du 30 novembre 2011 (voir paragraphe 46 in fine ci-dessus). La Cour relève que, guidé par son désir de passer du temps avec sa fille en dehors de l’établissement K., le requérant s’est adressé aux tribunaux civils ainsi qu’aux tribunaux administratifs. Les deux ont cependant refusé de statuer sur son droit de visite, déclinant leur compétence au profit du directeur de l’établissement K. ou de l’association gestionnaire de cet établissement (voir paragraphes 23, 39 et 41 ci-dessus).
127. Il s’ensuit que, alors que le requérant a été en pratique privé de l’occasion de voir sa fille dans des conditions de nature à favoriser le développement positif de leurs relations, ces restrictions n’ont jamais fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Ainsi, aucune décision judiciaire définitive n’a été adoptée dans la situation où le requérant et l’établissement K. n’étaient pas d’accord sur les modalités du droit de visite du requérant. Sur ce point, les requérants ne disposaient donc pas de garanties juridiques destinées à assurer la protection effective de leur droit au respect de la vie familiale.
128. La Cour observe en plus que, pendant que la requérante se trouvait dans l’établissement K., les tribunaux n’ont pas procédé d’office à un réexamen périodique de la situation. Bien que saisis de plusieurs demandes tendant à un examen complexe de l’affaire, dont la première date du 14 juin 2011 (voir paragraphe 43 ci-dessus), ils n’ont jusqu’à présent statué que sur les mesures provisoires portant sur l’interdiction de contact personnel entre les requérants. Même le placement de la requérante dans la famille d’accueil semble pour le moment avoir pour seul fondement la décision de l’autorité sociale compétente du 4 avril 2012 (voir paragraphe 53 ci-dessus). Il apparaît ainsi que les tribunaux étaient impliqués notamment après 2011 lorsque les réticences de la requérante s’étaient accentuées, mais qu’ils n’avaient pas fait preuve de la diligence nécessaire lorsque J. acceptait encore de voir le requérant.
129. Au vu des considérations susmentionnées et de l’histoire personnelle de la requérante, la Cour estime que les autorités n’avaient pas outrepassé leur marge d’appréciation lorsqu’elles ont accordé plus de poids à l’intérêt de la requérante de retrouver la stabilité et la sécurité dans la vie qu’à celui du requérant de vivre ensemble avec sa fille. Néanmoins, le manque de contrôle exercé en l’occurrence sur l’établissement K. et la réticence des juridictions internes à rendre une décision définitive sur le droit de visite du requérant ont contribué de façon décisive à l’absence de toute possibilité de regroupement familial entre les requérants.
130. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, à la suite du placement de la requérante, le droit au respect de la vie familiale des requérants n’a pas été protégé de manière effective, comme le prescrit l’article 8 de la Convention.
Dès lors, il y a eu sur ce point violation de cette disposition.
JURISPRUDENCE FRANÇAISE
L'expertise biologique ne peut être accordée que lors d'une action au fond.
Cour de Cassation, 1ere chambre civile arrêt du 12 juin 2018, pourvoi N° 17-16793 cassation sans renvoi
Vu les articles 16-11, alinéa 6 et 310-3 du code civil, ensemble l’article 145 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y... a
assigné en référé M. X... pour obtenir, sur le fondement de l’article 145 du
code de procédure civile, la réalisation d’un examen comparé des sangs, en
soutenant que celui-ci avait entretenu une relation stable et continue avec sa
mère à l’époque de sa conception ;
Attendu que, pour accueillir la demande, l’arrêt retient que si une mesure
d’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être
ordonnée en référé mais seulement à l’occasion d’une instance au fond relative à
la filiation, le juge des référés peut, en présence d’un motif légitime,
prescrire un examen comparé des sangs ;
Attendu que la Cour de cassation a décidé que le juge des référés peut, en application de l’article 145 du code de procédure civile, ordonner un examen comparé des sangs s’il existe un motif légitime d’y procéder (1re Civ., 4 mai 1994, pourvoi n° 92-17.911, Bull. 1994, I, n° 159) ; que, cependant, cette jurisprudence est antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 16-11 du code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, qui dispose qu’en matière civile, l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides ; que, faisant application de ce texte, la Cour de cassation a jugé qu’une mesure d’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être ordonnée en référé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (1re Civ., 8 juin 2016, pourvoi n° 15-16.696, Bull. 2016, I, n° 131) ;
Attendu que, dès lors que les expertises
biologiques en matière de filiation poursuivent une même finalité et présentent,
grâce aux évolutions scientifiques, une fiabilité similaire, cette jurisprudence
doit être étendue aux examens comparés des sangs ;
D’où il suit que la cassation est encourue et qu’elle peut avoir lieu sans
renvoi, en application de l’article L. 411-3 du code de l’organisation
judiciaire
Pour demander l'expertise biologique, le juge doit vérifier si la prescription de 10 ans de l'article 321 du code civil, ne porte pas atteinte aux droits tirés de l'article 8 de la Conv EDH.
Article 321 du Code Civil
Sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.
Article 334 du Code Civil
A défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a intérêt dans le délai prévu à l'article 321.
Cour de Cassation, 1ere chambre civile arrêt du 7 novembre 2018, pourvoi N° 17-25938 rejet
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bourges, 6 juillet 2017), que Mme X... a été inscrite à l’état civil comme étant née le [...] de Paulette A... et Jacques X..., son époux ; que ceux-ci sont décédés respectivement les [...] ; que, par testament authentique reçu le 5 octobre 2010, Guy B... a déclaré reconnaître Mme X... comme étant sa fille ; qu’il est décédé le [...] ; qu’en décembre 2014 et janvier 2015, Mme X... a assigné ses sept frères et soeurs, un neveu, par représentation de son père décédé, ainsi que Mme Marie-Claire B..., fille de Guy B..., et ses deux filles mineures, C... et D..., en contestation de la paternité de Jacques X... et établissement de celle de Guy B... ; que Mme Marie-Claire B... s’est opposée à cette action ;
Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt de déclarer son action en contestation de paternité irrecevable et de rejeter sa demande d’expertise biologique
Mais attendu, d’abord, qu’aux termes de l’article 320 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ;
Que l’arrêt en déduit exactement que Mme X... ne pouvait faire établir un lien de filiation avec Guy B... sans avoir, au préalable, détruit le lien de filiation avec Jacques X... ;
Attendu, ensuite, que le délai pour agir en contestation de paternité, qui était de trente ans en application des textes et de la jurisprudence antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 4 juillet 2005, est désormais de dix ans, en l’absence de possession d’état conforme au titre, en application des articles 334 et 321 du code civil, issus de cette ordonnance ; qu’il résulte de l’article 2222, alinéa 2, du code civil qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;
Que le délai de dix ans applicable à l’action en contestation de paternité de Mme X..., qui a couru à compter du 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, ne peut donc excéder la durée de trente ans, courant à compter de la majorité, prévue par la loi antérieure ;
Attendu qu’ayant relevé que Mme X..., née le [...], était devenue majeure le [...], de sorte que le délai pour agir en contestation de paternité expirait le [...] décembre 2011, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en contestation de paternité engagée en décembre 2014, après l’expiration du délai de prescription prévu par la loi antérieure, était irrecevable ;
Attendu que, selon le moyen, cette solution porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X..., garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’aux termes de ce texte :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance ;
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui ;
Attendu que ces dispositions sont applicables en l’espèce dès
lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le
droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître
son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée ;
Attendu que, si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien
de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la
loi, dès lors qu’elle résulte de l’application des textes précités du code
civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de
prescription des actions relatives à la filiation ; que cette base légale est
accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ;
Qu’elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l’article 8 précité, en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique ;
Que les délais de prescription des actions en contestation de paternité ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif ;
Que, cependant, il appartient au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ;
Attendu que l’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que Mme X... n’a jamais été empêchée d’exercer une action tendant à faire établir sa filiation biologique, mais s’est abstenue de le faire dans le délai légal ; qu’il constate qu’alors qu’elle avait des liens affectifs avec Guy B... depuis sa petite enfance, elle a attendu son décès, le [...] 2014, et l’ouverture de sa succession pour exercer l’action ; qu’il ajoute qu’elle a disposé de délais très importants pour agir et qu’elle disposait encore d’un délai jusqu’au [..] décembre 2011, lorsqu’elle a été rendue destinataire, le 6 février 2010, d’un test de paternité établissant, selon elle, de façon certaine, le lien de filiation biologique avec Guy B... ;
Que de ces constatations et
énonciations, dont il ressort que Mme X... a eu la possibilité d’agir après
avoir appris la vérité sur sa filiation biologique, la cour d’appel a pu déduire
que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre
et qu’il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte
disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ;
D’où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n’est pas fondé
pour le surplus ;
La Cour de Cassation protège la réalité sociologique à la réalité biologique
Cour de Cassation, 1ere chambre civile arrêt du 1er février 2017, pourvoi N° 15-27245 rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué
(Paris, 22 septembre 2015), que Noé X... a été inscrit sur les registres de
l'état civil comme étant né le 25 décembre 2007 de M. X... et Mme Y..., qui
l'avaient reconnu avant sa naissance ; que M. Z... a assigné M. X... en
contestation de paternité le 14 novembre 2012, puis la mère de l'enfant, en
qualité de représentante légale, le 28 février 2013 ; qu'un jugement du 17
décembre suivant a désigné un administrateur ad hoc aux fins de représenter
l'enfant ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme Y... et M. Z... font grief à l'arrêt de déclarer l'action en
contestation de paternité irrecevable alors, selon le moyen, que les délais de
prescription comme de forclusion peuvent être interrompus par une demande en
justice ; qu'en affirmant que le délai quinquennal prévu par la loi était un
délai de forclusion pour en déduire qu'il était insusceptible d'interruption et
de suspension et qu'il n'avait donc pu être interrompu par l'assignation
délivrée le 14 novembre 2012, la cour d'appel a violé les articles 333, alinéa
2, et 2241 du code civil ;
Mais attendu que, si le délai de forclusion prévu par l'article 333, alinéa 2,
du code civil peut être interrompu par une demande en justice, conformément à
l'alinéa premier de l'article 2241 du même code, l'action en contestation de
paternité doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la
filiation est contestée et contre l'enfant ; que, la cour d'appel ayant constaté
que Noé X... n'avait pas été assigné dans le délai de cinq ans suivant sa
naissance, il en résulte que l'action était irrecevable, l'assignation du 14
novembre 2012, dirigée contre le seul père légal, à l'exclusion de l'enfant,
n'ayant pu interrompre le délai de forclusion ; que, par ce motif de pur droit,
substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à
ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme Y... et M. Z... font le même grief à l'arrêt alors, selon le
moyen, que l'auteur de la contestation soutenait que la Convention européenne
des droits de l'homme faisait prévaloir, en matière de filiation, la mise en
conformité de la filiation juridique à la réalité biologique, et que les règles
de prescription ou la conformité du titre et de la possession d'état ne
pouvaient faire échec à son droit au recours devant les tribunaux tendant à
privilégier la réalité biologique sur la filiation juridique ; qu'en affirmant
que n'était pas contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant la décision du
législateur qui, à l'expiration d'une période de cinq ans pendant laquelle le
père juridique s'est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme
le père de l'enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique en ne
permettant pas de rechercher quel était le père biologique, sans rechercher si,
en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, celui qui se
prétendait être le père avait le droit de faire primer la vérité biologique, la
cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que M. Z... s'est borné, dans ses conclusions d'appel, à invoquer
la prééminence de la vérité biologique ; qu'après avoir constaté la possession
d'état de l'enfant à l'égard de M. X..., l'arrêt énonce que le législateur a
choisi de faire prévaloir la réalité sociologique à l'expiration d'une période
de cinq ans pendant laquelle le père légal s'est comporté de façon continue,
paisible et non équivoque comme le père de l'enfant, ce qui ne saurait être
considéré comme contraire à l'intérêt supérieur de celui-ci ; que la cour
d'appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement
justifié sa décision ;
L'action en contestation de paternité irrecevable ne porte pas atteinte à l'article 8 de la Conv EDH puisque le père avait reconnu son enfant naturel publiquement de son vivant
Cour de Cassation, 1ere chambre civile arrêt du 5 octobre 2016, pourvoi N° 15-25507 rejet
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, la cour d'appel n'a pas déclaré l'action en contestation de paternité de Mme Y... irrecevable comme prescrite, mais a constaté l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 et, par suite, l'existence d'une filiation définitivement établie entre Mme Y... et Roger X..., faisant obstacle, en application de l'article 320 du code civil, à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ;
Attendu, en second lieu, d'abord, que si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'obstacle opposé à Mme Y... est prévu à l'article 320 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu'il tend à garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les enfants à l'abri des conflits de filiations ;
Attendu, ensuite, que l'arrêt relève que Roger X... a reconnu Mme Y... en 1965 et a été son père aux yeux de tous jusqu'à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause ce lien de filiation conforté par la possession d'état ; qu'il ajoute que Mme Y..., elle-même, a disposé d'un délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester la paternité de Roger X..., ce qu'elle n'a pas fait, et qu'elle a hérité de ce dernier à son décès ; qu'ayant ainsi constaté que l'intéressée avait disposé de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, la cour d'appel a pu en déduire que l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu'en déclarant irrecevable l'action en recherche de paternité et, par suite, la demande d'expertise biologique, elle n'a donc pas méconnu les exigences résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
La reconnaissance de la paternité emporte examen du partage de l'autorité parentale
Cour de Cassation, 1ere chambre civile arrêt du 3 octobre 2018, pourvoi N° 17-23627 rejet
Attendu que M. et Mme Y... font
grief à l’arrêt de dire qu’à compter du prononcé de l’arrêt, l’autorité
parentale à l’égard de l’enfant D... sera exercée en commun par Mme Y... et M.
Z..., de fixer les modalités du droit de visite et d’hébergement de ce dernier
et de condamner M. et Mme& Y... au paiement de dommages-intérêts à M. Z... et à
l’enfant D..., alors, selon le moyen, que lorsque la filiation est établie à
l’égard de l’un d’entre eux plus d’un an après la naissance d’un enfant dont la
filiation est déjà établie à l’égard de l’autre, celui-ci reste seul investi de
l’exercice de l’autorité parentale, qu’il en est de même lorsque la filiation
est judiciairement déclarée à l’égard du second parent de l’enfant, et que
l’autorité parentale ne pourra être exercée en commun qu’en cas de déclaration
conjointe des père et mère adressée au directeur des services de greffe
judiciaires du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires
familiales ; que la cour d’appel qui, statuant sur l’action en contestation de
paternité engagée par M. Z..., a décidé que l’autorité parentale à l’égard de
l’enfant D... devrait être exercée en commun par Mme Y... et M. Z..., a excédé
ses pouvoirs et violé l’article 372 du code civil
Mais attendu que l’article 331 du code civil permet au tribunal saisi d’une
action aux fins d’établissement de la filiation de statuer, s’il y a lieu, sur
l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à
l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ; qu’ainsi, c’est sans excéder
ses pouvoirs ni méconnaître les dispositions de l’article 372 du code civil que
la cour d’appel, après avoir dit que M. Z... était le père de l’enfant, a statué
sur sa demande tendant à ce que l’autorité parentale soit exercée conjointement avec la mère ; que le moyen n’est pas fondé ;
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