Publié parFrederic Fabre docteur en droit.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, dans l'ordre chronologique.
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DEUX DÉCISIONS DU 17 JANVIER 2017
Décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 octobre 2016 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011,
dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011.
Le paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 a modifié l'article 220 quinquies du code général des impôts pour réformer le régime du report en arrière des déficits.
Le Conseil constitutionnel a relevé que, faute de disposition expresse contraire, ce paragraphe II ne disposait que pour l'avenir. En conséquence, la
réforme du régime du report en arrière des déficits prévue par ce paragraphe s'appliquait aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter
de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011.
Les dispositions contestées avaient modifié cette situation en prévoyant que la réforme du régime du report en arrière des déficits s'applique non seulement aux
déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à
reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date.
Ce faisant, les dispositions contestées ont remis en cause les options exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le
report en arrière des déficits reportables à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur.
Or, en application de l'article 220 quinquies du code général des impôts, l'exercice de l'option pour le report en arrière « fait naître au profit de l'entreprise une créance » sur l'État.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'ainsi, dans la mesure où elles remettent en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en
vigueur, les dispositions contestées ont porté atteinte à des situations légalement acquises. Dès lors que cette atteinte n'était pas justifiée par un
motif d'intérêt général suffisant, le Conseil a considéré que ces dispositions méconnaissaient la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraire à la Constitution la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi n°
2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011.;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 octobre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 401696 du 13 octobre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Alinéa par Mes Stéphane Austry et Agnès Rivière-Durieux, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-604 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Rivière-Durieux, enregistrées les 8 et 22 novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour l'Association française des entreprises privées par Mes Gauthier Blanluet et Marie-Aimée Delaisi, avocats au
barreau de Paris, enregistrées le 8 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Austry, pour la société requérante, Me Blanluet, pour l'association intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 10 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 mentionnée ci-dessus réforme, à ses paragraphes I et III, le régime du report en avant des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés et, à son paragraphe II, le régime du report en arrière de ces mêmes déficits. Le paragraphe IV de cet article 2, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les I, II et III s'appliquent aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ainsi qu'aux déficits restant à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date ».
2. La société requérante conteste à un double titre la constitutionnalité de ces dispositions, en ce qu'elles définissent les conditions d'application dans le temps de la réforme du régime du report en arrière des déficits. D'une part, en rendant cette réforme applicable aux déficits restant à reporter avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, ces dispositions porteraient une atteinte inconstitutionnelle à des situations légalement acquises. D'autre part, en privant les entreprises de la possibilité d'opter pour le report en arrière de ces déficits, ces dispositions seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'association intervenante invoque également, pour les mêmes raisons, une méconnaissance du droit au respect des situations légalement acquises.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
6. Le paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 a modifié l'article 220 quinquies du code général des impôts, afin de réformer le régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés. D'une part, le déficit constaté au titre d'un exercice ne peut plus être imputé que sur le bénéfice de l'exercice précédent, dans la limite d'un plafond fixé à un million d'euros. D'autre part, l'option pour le report en arrière doit être exercée par l'entreprise « dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats » de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté.
7. En l'espèce, il résulte de l'absence de disposition expresse contraire que ce paragraphe II ne disposait que pour l'avenir. La réforme du régime du report en arrière des déficits prévue par ce paragraphe s'appliquait donc aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011.
8. Les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l'article 31 de la loi du 28 décembre 2011. Selon ces dispositions, auxquelles le paragraphe III de cet article 31 confère un « caractère interprétatif », la réforme du régime du report en arrière des déficits s'applique non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date.
9. Ce faisant, les dispositions contestées ont remis en cause les options exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur.
10. Or, en application de l'article 220 quinquies du code général des impôts, l'exercice de l'option pour le report en arrière « fait naître au profit de l'entreprise une créance » sur l'État. Ainsi, dans la mesure où elles remettent en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en vigueur, les dispositions contestées portent atteinte à des situations légalement acquises. Dès lors que cette atteinte n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, ces dispositions méconnaissent la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
11. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi du 19 septembre 2011 doit donc être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- La référence « , II » figurant au paragraphe IV de l'article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 octobre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 399713 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération française du commerce de gros et du commerce international par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-605 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 541-10-9 du code de l'environnement.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 7 et 21 novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées par l'association France Nature Environnement, enregistrées les 8 et 23 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, Me Nathalie Guyomarch, avocat au
barreau de Paris, pour la partie intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 541-10-9 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015, mentionnée ci-dessus, prévoit : « À compter du 1er janvier 2017, tout distributeur de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels s'organise, en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes, pour reprendre, sur ses sites de distribution ou à proximité de ceux-ci, les déchets issus des mêmes types de matériaux, produits et équipements de construction à destination des professionnels, qu'il vend. Un décret précise les modalités d'application du présent article, notamment la surface de l'unité de distribution à partir de laquelle les distributeurs sont concernés par cette disposition ».
2. L'association requérante reproche aux dispositions contestées d'être entachées d'une incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité. Elle estime, en outre, que, du fait de leur imprécision, ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Enfin, l'association requérante soutient que les dispositions contestées portent directement atteinte à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et au principe d'égalité devant la loi.
- Sur la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre :
3. Selon l'association requérante, les débiteurs de l'obligation de reprise instituée à l'article L. 541-10-9 du code de l'environnement ne sont pas clairement définis, faute pour le législateur d'avoir précisé si cette obligation pèse uniquement sur les distributeurs s'adressant exclusivement à des professionnels ou aussi sur ceux s'adressant à ces derniers et aux particuliers. Elle reproche également au législateur de ne pas avoir suffisamment encadré l'étendue de l'obligation de reprise. La nature et la provenance des déchets devant être repris ne seraient pas précisément déterminées, pas plus que la portée et les modalités de cette obligation. En particulier, l'obligation de reprise ne ferait l'objet d'aucune limite en volume de déchets. L'association requérante en déduit que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter la liberté d'entreprendre et le principe d'égalité. Il en résulterait également une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. Selon l'article 34 de la Constitution : « la loi détermine les principes fondamentaux ... des obligations civiles et commerciales ».
6. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
7. Les dispositions de l'article L. 541-10-9 du code de l'environnement font peser sur les distributeurs de matériaux, de produits et d'équipements de construction, une obligation de reprise des déchets provenant des matériaux vendus aux professionnels. Elles prévoient que les distributeurs s'organisent en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes pour assurer cette reprise, à proximité des sites de distribution. Ces mêmes dispositions renvoient au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités d'application de l'obligation, notamment la surface commerciale à partir de laquelle le distributeur y est soumis.
8. En premier lieu, d'une part, il ressort des travaux préparatoires qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, pour limiter le coût de transport des déchets issus du bâtiment et des travaux publics et éviter leur abandon en pleine nature, favoriser un maillage de points de collecte au plus près des chantiers de construction. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. À cette fin, il a fait peser l'obligation de reprise sur les distributeurs s'adressant à titre principal aux professionnels du bâtiment et de la construction. En effet, ceux-ci sont les principaux pourvoyeurs des produits, matériaux et équipements de construction dont sont issus ces déchets.
9. D'autre part, le législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation de la surface d'unité de distribution à partir de laquelle les distributeurs sont assujettis à l'obligation ainsi créée.
10. En deuxième lieu, en désignant les déchets issus de matériaux de même type que ceux vendus par le distributeur, le législateur a suffisamment défini la nature des déchets remis par les professionnels qui font l'objet de l'obligation de reprise.
11. En troisième lieu, en prévoyant que le distributeur « s'organise, en lien avec les pouvoirs publics et les collectivités compétentes, » le législateur a laissé celui-ci libre de décider des modalités, notamment financières, selon lesquelles il accomplira l'obligation de reprise qui lui incombe.
12. En dernier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a fait dépendre l'obligation de reprise de l'activité principale du distributeur. Il a ainsi entendu limiter celle-ci dans une mesure telle qu'il n'en résulte pas une dénaturation de cette activité principale.
13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de l'article 34 de la Constitution doivent être écartés.
- Sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
14. Selon l'association requérante, à supposer que les dispositions contestées réservent l'obligation de reprise des déchets aux seuls distributeurs s'adressant exclusivement à des professionnels du bâtiment et des travaux publics, elles créeraient une rupture d'égalité injustifiée entre ces distributeurs et ceux qui s'adressent, à titre accessoire, aux mêmes professionnels.
15. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
16. Les distributeurs de matériaux de construction qui s'adressent principalement aux professionnels sont les principaux fournisseurs de ces derniers. Ils ne sont donc pas placés, au regard de l'impact de leur activité dans la production des déchets objets de l'obligation de reprise, dans la même situation que les distributeurs s'adressant aux mêmes professionnels à titre seulement accessoire.
17. Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées repose sur une différence de situation. Elle est en rapport direct avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
18. Dès lors, l'article L. 541-10-9 du code de l'environnement, qui ne méconnaît ni le principe de légalité des délits et des peines ni la liberté contractuelle ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 541-10-9 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique
est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 octobre 2016 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du sixième alinéa de l'article 78-2 et de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale (CPP) et
des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Les dispositions contestées du CPP prévoient la possibilité pour le procureur de
la République d'autoriser par réquisitions des contrôles d'identité en vue de la
recherche et de la poursuite d'infractions qu'il précise, dans un périmètre et
pendant une période déterminés.
Les dispositions contestées du CESEDA permettent aux autorités de police de
procéder au contrôle du droit au séjour d'un étranger et à son placement en
retenue pour vérification du droit au séjour à l'issue d'un contrôle d'identité
sur réquisitions réalisé sur le fondement des articles 78-2 et 78-2-2 du CPP.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées du code de
procédure pénale conformes à la Constitution après avoir apporté les précisions
et formulé les réserves d'interprétation suivantes.
Le Conseil constitutionnel a précisé que la mise en œuvre des contrôles
d'identité confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s'opérer
en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de
quelque nature que ce soit entre les personnes.
Le Conseil constitutionnel a en outre formulé deux réserves d'interprétation.
D'une part, le procureur de la République ne peut retenir des lieux et périodes
sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions.
D'autre part, le procureur de la République ne peut, en particulier par un cumul
de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, autoriser la
pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace.
Il revient à l'autorité judiciaire de contrôler la légalité des contrôles
d'identité pratiqués, d'une part en censurant et en réprimant les illégalités
qui seraient commises et d'autre part en réparant, le cas échéant, leurs
conséquences dommageables.
Le Conseil constitutionnel a également jugé conformes à la Constitution les
dispositions contestées du CESEDA.
Il a, sur ce point, jugé que ces dispositions ne peuvent autoriser le recours à
des contrôles d'identité dans le seul but de contrôler la régularité du séjour
des personnes contrôlées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 octobre 2016 par la Cour de
cassation (chambre criminelle, arrêt n° 5376 du 18 octobre 2016), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Ahmed M.
par la SCP Waquet Farge Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2016-606 QPC.
Il a également été saisi le même jour par la Cour de cassation (chambre
criminelle, arrêt n° 5377 du 18 octobre 2016), dans les conditions prévues à
l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de
constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Amine K. par la SCP
Waquet Farge Hazan. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2016-607 QPC.
Ces questions sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du septième alinéa de l'article 78-2 et de l'article
78-2-2 du code de procédure pénale et des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du
code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 93-992 du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications
d'identité, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 93-323 DC du 5
août 1993 ;
- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, ensemble la
décision du Conseil constitutionnel n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 ;
- la loi n° 2011-266 du 14 mars 2011 relative à la lutte contre la prolifération
des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ;
- la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales
de Guyane et de Martinique ;
- l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du
code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour
vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour
irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ;
- la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives
à la lutte contre le terrorisme ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet Farge Hazan et
Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris, enregistrées respectivement les 29
et 30 novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15
novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour le Syndicat des Avocats de
France, l'association Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et
l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Maxime
Cessieux, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 15 et 30
novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Soutien ô Sans
Papiers par Mes Henri Braun, avocat au barreau de Paris et Nawel Gafsia, avocat
au barreau du Val-de-Marne, enregistrées le 15 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation et Me Garcia, pour les requérants, Me Braun, pour l'Association
Soutien ô Sans Papiers, partie intervenante, Me Émilie Ganem, avocat au barreau
des Hauts-de-Seine, pour le Syndicat des avocats de France et les associations
Avocats pour la défense des droits des étrangers et Groupe d'information et de
soutien des immigré.e.s, parties intervenantes et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 17 janvier 2017 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 23
janvier 2017 ;
- la note en délibéré présentée pour les requérants, par Me Garcia, enregistrée
le 23 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. Une question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Les présentes questions ont été soulevées à l'occasion de la contestation de la régularité de contrôles d'identité ayant eu lieu le 8 octobre 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du sixième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 27 juillet 2011 mentionnée ci-dessus, devenu ultérieurement le septième alinéa de ce même article, de l'article 78-2-2 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 12 mars 2012 mentionnée ci-dessus, ratifiée par l'article 24 de la loi du 13 novembre 2014 mentionnée ci-dessus, et des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur rédaction résultant de la loi du 31 décembre 2012 mentionnée ci-dessus.
3. Le sixième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans
cette rédaction, prévoit :
« Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche
et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut
être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une
période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d'identité
révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du
procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures
incidentes ».
4. L'article 78-2-2 du code de procédure pénale, dans cette rédaction,
prévoit :
« Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche
et de poursuite des actes de terrorisme visés par les articles 421-1 à 421-6 du
code pénal, des infractions en matière de prolifération des armes de destruction
massive et de leurs vecteurs visées aux 1° et 2° du I de l'article L. 1333-9, à
l'article L. 1333-11, au II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4 et aux
articles L. 1333-13-5, L. 2339-14, L. 2339-15, L. 2341-1, L. 2341-2, L. 2341-4,
L. 2342-59 et L. 2342-60 du code de la défense, d'armes et d'explosifs visées
par les articles L. 2339-8 et L. 2353-4 du code de la défense et L. 317-8 du
code de la sécurité intérieure, des infractions de vol visées par les articles
311-3 à 311-11 du code pénal, de recel visées par les articles 321-1 et 321-2 du
même code ou des faits de trafic de stupéfiants visés par les articles 222-34 à
222-38 dudit code, les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant,
des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints
mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l'article 21 peuvent, dans les lieux et
pour la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder
vingt-quatre heures, renouvelables sur décision expresse et motivée selon la
même procédure, procéder non seulement aux contrôles d'identité prévus au
sixième alinéa de l'article 78-2 mais aussi à la visite des véhicules circulant,
arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au
public.
« Pour l'application des dispositions du présent article, les véhicules en
circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement nécessaire au
déroulement de la visite qui doit avoir lieu en présence du conducteur.
Lorsqu'elle porte sur un véhicule à l'arrêt ou en stationnement, la visite se
déroule en présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut,
d'une personne requise à cet effet par l'officier ou l'agent de police
judiciaire et qui ne relève pas de son autorité administrative. La présence
d'une personne extérieure n'est toutefois pas requise si la visite comporte des
risques graves pour la sécurité des personnes et des biens.
« En cas de découverte d'une infraction ou si le conducteur ou le propriétaire
du véhicule le demande ainsi que dans le cas où la visite se déroule en leur
absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et
heures du début et de la fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à
l'intéressé et un autre est transmis sans délai au procureur de la République.
« Toutefois, la visite des véhicules spécialement aménagés à usage d'habitation
et effectivement utilisés comme résidence ne peut être faite que conformément
aux dispositions relatives aux perquisitions et visites domiciliaires.
« Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées
dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause
de nullité des procédures incidentes ».
5. L'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile, dans cette rédaction, prévoit :
« I. - En dehors de tout contrôle d'identité, les personnes de nationalité
étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le
couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à
toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la
responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et agents de police
judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) du code de procédure
pénale.
« À la suite d'un contrôle d'identité effectué en application des articles 78-1,
78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de procédure pénale, les personnes de nationalité
étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents
visés à l'alinéa précédent.
« Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation des
pièces et documents prévus aux deux premiers alinéas du présent I ne peuvent
être effectués que si des éléments objectifs déduits de circonstances
extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître
sa qualité d'étranger.
« II. - Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation
des pièces et documents mentionnés au premier alinéa du I ne peuvent être
pratiqués que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même
lieu et ne peuvent consister en un contrôle systématique des personnes présentes
ou circulant dans ce lieu ».
6. L'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile, dans cette rédaction, prévoit :
« I. - Si, à l'occasion d'un contrôle effectué en application de l'article L.
611-1 du présent code, des articles 78-1, 78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de
procédure pénale ou de l'article 67 quater du code des douanes, il apparaît
qu'un étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de
séjourner en France, il peut être conduit dans un local de police ou de
gendarmerie et y être retenu par un officier de police judiciaire de la police
nationale ou de la gendarmerie nationale aux fins de vérification de son droit
de circulation ou de séjour sur le territoire français. Dans ce cas, l'officier
de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de police
judiciaire met l'étranger en mesure de fournir par tout moyen les pièces et
documents requis et procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification
nécessaires. Le procureur de la République est informé dès le début de la
retenue.
« L'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de
police judiciaire informe aussitôt l'étranger, dans une langue qu'il comprend ou
dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des motifs de son
placement en retenue et de la durée maximale de la mesure ainsi que du fait
qu'il bénéficie :
« 1° Du droit d'être assisté par un interprète ;
« 2° Du droit d'être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d'office
par le bâtonnier, qui est alors informé de cette demande par tous moyens et sans
délai. Dès son arrivée, l'avocat peut communiquer pendant trente minutes avec la
personne retenue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de
l'entretien. L'étranger peut demander que l'avocat assiste à ses auditions. Dans
ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments
d'identité, ne peut débuter sans la présence de l'avocat avant l'expiration d'un
délai d'une heure suivant l'information adressée à celui-ci. Toutefois, les
opérations de vérification ne nécessitant pas la présence de l'étranger peuvent
être effectuées dès le début de la retenue. Au cours des auditions, l'avocat
peut prendre des notes. A la fin de la retenue, l'avocat peut, à sa demande,
consulter le procès-verbal établi en application du treizième alinéa du présent
I ainsi que le certificat médical y étant, le cas échéant, annexé et formuler
des observations écrites également annexées ;
« 3° Du droit d'être examiné par un médecin désigné par l'officier de police
judiciaire. Le médecin se prononce sur l'aptitude au maintien de la personne en
retenue et procède à toutes constatations utiles ;
« 4° Du droit de prévenir à tout moment sa famille et toute personne de son
choix et de prendre tout contact utile afin d'assurer l'information et, le cas
échéant, la prise en charge des enfants dont il assure normalement la garde,
qu'ils l'aient ou non accompagné lors de son placement en retenue. Si des
circonstances particulières l'exigent, l'officier de police judiciaire prévient
lui-même la famille et la personne choisie. En tant que de besoin, il informe le
procureur de la République aux fins d'instruction dans l'intérêt des enfants ;
« 5° Du droit d'avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son
pays.
« Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application de
l'article L. 111-7.
« L'étranger ne peut être retenu que pour le temps strictement exigé par
l'examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le
prononcé et la notification des décisions administratives applicables. La
retenue ne peut excéder seize heures à compter du début du contrôle mentionné au
premier alinéa du présent I. Le procureur de la République peut mettre fin à la
retenue à tout moment.
« Les mesures de contrainte exercées sur l'étranger sont strictement
proportionnées à la nécessité des opérations de vérification et de son maintien
à la disposition de l'officier de police judiciaire. L'étranger ne peut être
soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme
dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de
prendre la fuite.
« Durant la retenue, lorsque sa participation aux opérations de vérification
n'est pas nécessaire, l'étranger ne peut être placé dans une pièce occupée
simultanément par une ou plusieurs personnes gardées à vue.
« Si l'étranger ne fournit pas d'éléments permettant d'apprécier son droit de
circulation ou de séjour, les opérations de vérification peuvent donner lieu,
après information du procureur de la République, à la prise d'empreintes
digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l'unique moyen
d'établir la situation de cette personne.
« L'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de
police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui ont justifié
le contrôle, ainsi que la vérification du droit de circulation ou de séjour et
les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée
de ses droits et mise en mesure de les exercer. Il précise le jour et l'heure du
début et de la fin de la retenue et la durée de celle-ci et, le cas échéant, la
prise d'empreintes digitales ou de photographies. Il y annexe le certificat
médical établi à l'issue de l'examen éventuellement pratiqué.
« Ce procès-verbal est présenté à la signature de l'étranger intéressé. Celui-ci
est informé de la possibilité de ne pas signer ledit procès-verbal. S'il refuse
de le signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci.
« Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant
été remise à la personne intéressée. Les mentions de chaque procès-verbal
concernant l'identité de la personne, le jour et l'heure du début et de la fin
de la retenue et la durée de celle-ci figurent également sur un registre
spécial, tenu à cet effet dans le local de police ou de gendarmerie.
« Si elle n'est suivie à l'égard de l'étranger qui a été retenu d'aucune
procédure d'enquête ou d'exécution adressée à l'autorité judiciaire ou n'a donné
lieu à aucune décision administrative, la vérification du droit de circulation
ou de séjour ne peut donner lieu à une mise en mémoire sur fichiers et le
procès-verbal, ainsi que toutes les pièces se rapportant à la vérification sont
détruits dans un délai de six mois à compter de la fin de la retenue, sous le
contrôle du procureur de la République.
« Les prescriptions énumérées au présent article sont imposées à peine de
nullité, sous réserve des dispositions de l'article L. 552-13.
« II. - Lorsqu'un étranger, retenu en application de l'article 78-3 du code de
procédure pénale, n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou
de séjourner en France, le I du présent article s'applique et la durée de la
retenue effectuée en application de ce même article 78-3 s'impute sur celle de
la retenue pour vérification du droit de séjour.
« III. - S'il apparaît, au cours de la retenue de l'étranger, que celui-ci doit
faire l'objet d'un placement en garde à vue conformément aux articles 62 et
suivants du code de procédure pénale, la durée de la retenue s'impute sur celle
de la garde à vue ».
7. Selon les requérants, le sixième alinéa de l'article 78-2 et l'article 78-2-2 du code de procédure pénale méconnaissent la liberté individuelle et le principe d'égalité devant la loi en permettant aux services de police judiciaire d'effectuer, sur réquisitions du procureur de la République, des contrôles d'identité de manière généralisée et discriminatoire. Par ailleurs, les articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaîtraient ces mêmes principes en ce qu'ils permettraient, à la suite d'un contrôle d'identité effectué en application du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, de demander à une personne de nationalité étrangère de présenter les pièces ou documents l'autorisant à séjourner en France et, à défaut, de la placer en retenue.
8. Par conséquent, les questions prioritaires de constitutionnalité portent, d'une part, sur le sixième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale et sur les mots « non seulement aux contrôles d'identité prévus au sixième alinéa de l'article 78-2 mais aussi » figurant au premier alinéa de l'article 78-2-2 du même code et, d'autre part, sur la référence « 78-2, » et les mots « et 78-2-2 » figurant au deuxième alinéa du paragraphe I de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 611-1-1 du même code.
- Sur la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité :
9. Il résulte de la combinaison des articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus que peut être renvoyée au Conseil constitutionnel une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
10. En premier lieu, le sixième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction contestée a été introduit par l'article 1er de la loi du 10 août 1993 mentionnée ci-dessus. Le Conseil constitutionnel, qui a spécialement examiné cet alinéa dans les considérants 3 à 6 de la décision du 5 août 1993 mentionnée ci-dessus, ne l'a toutefois pas déclaré conforme à la Constitution dans le dispositif de cette décision.
11. En second lieu, les dispositions contestées de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale ont été introduites par l'article 11 de la loi du 18 mars 2003 mentionnée ci-dessus. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné cet article dans les considérants 11 et 12 de la décision du 13 mars 2003 mentionnée ci-dessus. Dans l'article 1er du dispositif, il a déclaré cet article conforme à la Constitution. Postérieurement à cette déclaration de conformité à la Constitution, les modifications introduites à cet article par l'article 17 de la loi du 14 mars 2011 mentionnée ci-dessus ont étendu son champ d'application. Ce changement des circonstances justifie un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées.
12. Les questions prioritaires de constitutionnalité sont donc recevables.
- Sur la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit :
13. Les requérants soutiennent, pour les motifs indiqués au paragraphe 7, que les dispositions contestées méconnaissent la liberté individuelle et le principe d'égalité devant la loi. Ils s'associent également aux griefs soulevés par les parties intervenantes.
14. Selon ces dernières, les dispositions contestées méconnaissent la liberté individuelle, le principe d'égalité devant la loi et la liberté d'aller et de venir, dans la mesure où, en autorisant les services de police à contrôler l'identité et, le cas échéant, le titre de séjour, de toute personne, quel que soit son comportement, elles permettent des pratiques discriminatoires. Ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif pour deux raisons. D'une part, la légalité d'un contrôle d'identité ne peut être contestée lorsque ce contrôle ne donne pas lieu ensuite à une procédure judiciaire ou administrative. D'autre part, lorsqu'il est saisi de la légalité d'un contrôle d'identité, le juge ne dispose pas des moyens de s'assurer de l'absence de caractère discriminatoire lorsque celui-ci est réalisé sur réquisitions du procureur de la République.
. En ce qui concerne le sixième alinéa de l'article 78-2 et les dispositions contestées de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale :
15. Les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale permettent que soient engagées des procédures de contrôle d'identité, sur réquisitions écrites du procureur de la République, pour la recherche et la poursuite d'infractions, dans des lieux et pour une période de temps qui doivent être précisés par ce magistrat.
- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance des droits garantis par l'article 66 de la Constitution :
16. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
17. Les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale permettent uniquement aux services de police judiciaire de procéder à des contrôles d'identité. Elles n'entraînent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir :
18. Selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». Son article 4 proclame que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
19. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
20. L'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions peut justifier que soient engagées des procédures de contrôle d'identité. S'il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liés au comportement de la personne, la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d'aller et de venir.
21. Les dispositions contestées autorisent les services de police judiciaire à contrôler l'identité des personnes quel que soit leur comportement, en tout lieu visé par les réquisitions écrites du procureur de la République.
22. Toutefois, en premier lieu, le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire, le pouvoir d'autoriser de tels contrôles. Ces derniers ne peuvent être ordonnés qu'aux fins de recherche et de poursuite d'infractions.
23. En second lieu, il ressort des dispositions contestées que les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés. Ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace.
24. Sous les réserves énoncées au paragraphe précédent, le grief tiré de la violation de la liberté d'aller et de venir doit être écarté.
- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la procédure pénale :
25. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». S'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
26. Les dispositions contestées n'instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant la période déterminés par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d'identité. En outre, la mise en œuvre des contrôles ainsi confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la procédure pénale doit être écarté.
- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
27. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte qu'en principe il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
28. En premier lieu, d'une part, la personne qui a fait l'objet d'un contrôle d'identité peut, en cas de poursuites pénales subséquentes à ce contrôle ou en cas de placement en rétention administrative, contester, par voie d'exception, la légalité de ce contrôle devant le juge judiciaire. D'autre part, même en l'absence de telles suites, la légalité d'un contrôle d'identité peut être contestée devant le juge judiciaire dans le cadre d'une action en responsabilité à l'encontre de l'État.
29. En second lieu, il appartient à l'autorité judiciaire de veiller au respect de l'ensemble des conditions de forme et de fond posées par le législateur pour l'application des dispositions contestées. En particulier, il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables.
30. Le grief tiré de la méconnaissance de l'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté.
31. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées au paragraphe 23, le sixième alinéa de l'article 78-2 et les dispositions contestées de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne les dispositions contestées des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
32. Les dispositions contestées des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettent aux services de police judiciaire, à la suite d'un contrôle d'identité effectué sur réquisitions du procureur de la République, de demander aux personnes de nationalité étrangère de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France et, si elles n'en disposent pas, de les placer en retenue.
33. D'une part, dans le cadre d'un régime administratif d'autorisation préalable, la loi peut exiger des étrangers la détention, le port et la production des documents attestant la régularité de leur entrée et de leur séjour en France. Dès lors, la circonstance que le déroulement des opérations de contrôle d'identité conduites en application du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale conduise les autorités de police judiciaire à constater que la personne contrôlée est de nationalité étrangère ne saurait, eu égard à l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, priver ces autorités des pouvoirs qu'elles tiennent de façon générale des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, ces autorités demeurent soumises aux obligations qui leur incombent en application des prescriptions de ce code, notamment à l'égard de l'autorité judiciaire.
34. D'autre part, il résulte des paragraphes 26, 28 et 29 ci-dessus qu'un contrôle d'identité réalisé en application du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination et que le respect de cette prescription est assuré, en particulier en cas de procédure de rétention administrative faisant suite à ce contrôle, par le juge judiciaire.
35. Enfin, conformément au troisième alinéa de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le contrôle qui s'ensuit des documents relatifs à la régularité du séjour ne peut être effectué que si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger.
36. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne sauraient autoriser le recours à des contrôles d'identité sur le fondement du sixième alinéa de l'article 78-2 ou de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale aux seules fins de contrôler la régularité du séjour des personnes contrôlées.
37. Par voie de conséquence, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent la liberté individuelle, la liberté d'aller et de venir, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'égalité devant la procédure pénale doivent être écartés.
38. Les dispositions contestées des articles L. 611-1 et L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous les réserves énoncées au paragraphe 23, le sixième alinéa de
l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de
Guyane et de Martinique, et les mots « non seulement aux contrôles d'identité
prévus au sixième alinéa de l'article 78-2 mais aussi » figurant au premier
alinéa de l'article 78-2-2 du même code, dans sa rédaction résultant de
l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du
code de la sécurité intérieure, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - La référence « 78-2, » et les mots « et 78-2-2 » figurant au
deuxième alinéa du paragraphe I de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile et au premier alinéa du paragraphe I de
l'article L. 611-1-1 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n°
2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit
au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les
actions humanitaires et désintéressées, sont conformes à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 octobre 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots «
ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue, en dehors des
cas autorisés par les règlements » figurant au premier alinéa de l'article
434-35 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-239 du 18
mars 2003 pour la sécurité intérieure.
Les dispositions contestées répriment toute communication avec une personne
détenue en dehors des cas autorisés par les règlements. Par exception, elles
prévoient que cette communication peut être autorisée dans les cas prévus par
des dispositions de nature réglementaire, sans préciser les motifs pouvant
justifier ces autorisations ni en définir le cadre.
La prérogative ainsi conférée au pouvoir réglementaire est susceptible d'être
exercée indépendamment des dispositions législatives qui autorisent et
organisent la communication avec une personne détenue.
Le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il est possible au législateur de fixer
les règles relatives à la communication avec les personnes détenues compte tenu
des limites inhérentes à la détention. Cependant, le Conseil constitutionnel a
jugé qu'en s'en remettant au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée du
délit de communication irrégulière avec une personne détenue, le législateur n'a
pas fixé lui-même le champ d'application de la loi pénale et a ainsi méconnu les
exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution les mots
« ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue » figurant
au premier alinéa de l'article 434-35 du code pénal. Les personnes détenues
demeurent toutefois soumises aux règles en vigueur encadrant les conditions de
leur communication avec l'extérieur, en particulier celles figurant à la section
4 du chapitre III du titre Ier de loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 24 octobre 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 5378 du 19 octobre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Audrey J. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-608 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue, en dehors des cas autorisés par les règlements » figurant au premier alinéa de l'article 434-35 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante, par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées les 15 et 30 novembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 15 et 30
novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. William J., par la SCP
Waquet, Farge, Hazan, enregistrées les 15 et 29 novembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la section française de
l'Observatoire International des Prisons, par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées le 15 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la requérante et pour la section française de l'Observatoire
International des Prisons, Me Hélène Farge, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour M. William J., et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 17 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le premier alinéa de l'article 434-35 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 18 mars 2003 mentionnée ci-dessus, punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, en quelque lieu qu'il se produise, de remettre ou de faire parvenir à un détenu, ou de recevoir de lui et de transmettre des sommes d'argent, correspondances, objets ou substances quelconques, « ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue, en dehors des cas autorisés par les règlements ».
2. La requérante et les parties intervenantes soutiennent que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée à la liberté de communication et au droit au respect de la vie privée, dès lors qu'elles érigent en principe l'interdiction de communiquer avec une personne détenue et ne permettent la communication qu'à titre d'exception. Par ailleurs, selon elles, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit et la liberté précédemment mentionnés. La requérante soutient également qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer les cas dans lesquels la communication avec une personne détenue est autorisée les dispositions contestées définissent insuffisamment les éléments constitutifs de l'infraction et méconnaissent, dès lors, le principe de légalité des délits et des peines. M. William J. soutient, en outre, que les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense et le droit à un procès équitable, et qu'elles sont entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces droits.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue, » figurant au premier alinéa de l'article 434-35 du code pénal.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Selon l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.
5. D'une part, les dispositions contestées répriment la communication, par tout moyen, avec une personne détenue. Par exception, elles prévoient que cette communication peut être autorisée dans les cas prévus par des dispositions de nature réglementaire, sans préciser les motifs pouvant justifier ces autorisations ni en définir le cadre. D'autre part, la prérogative ainsi conférée au pouvoir réglementaire est susceptible d'être exercée indépendamment des dispositions législatives qui autorisent et organisent la communication avec une personne détenue.
6. S'il est possible au législateur de fixer les règles relatives à la communication avec les détenus compte tenu des contraintes inhérentes à la détention, il s'en est remis en l'espèce au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée du délit de communication irrégulière avec une personne détenue. Il en résulte que le législateur, qui n'a pas fixé lui-même le champ d'application de la loi pénale, a méconnu les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines.
7. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les mots « ainsi que de communiquer par tout moyen avec une personne détenue, » figurant au premier alinéa de l'article 434-35 du code pénal doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ainsi que de communiquer par tout moyen avec une
personne détenue, » figurant au premier alinéa de l'article 434-35 du code
pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la
sécurité intérieure, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 octobre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 391678 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Comptoir de Bonneterie Rafco par la SCP Odent et Poulet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-609 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du h du paragraphe II de l'article 244 quater B du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Odent et Poulet, enregistrées le 2 décembre 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18 novembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bruno Odent, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 17 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors de la contestation par la société requérante de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 2008. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du h du paragraphe II de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2007 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe II de l'article 244 quater B du code général
des impôts, dans cette rédaction, énumère les « dépenses de recherche ouvrant
droit au crédit d'impôt » prévu au paragraphe I. Selon le h de ce paragraphe II,
comptent parmi celles-ci : « Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles
collections exposées par les entreprises industrielles du secteur
textile-habillement-cuir et définies comme suit :
« 1° Les salaires et charges sociales afférents aux stylistes et techniciens des
bureaux de style directement et exclusivement chargés de la conception de
nouveaux produits et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la
réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ;
« 2° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à
l'état neuf qui sont directement affectées à la réalisation d'opérations visées au 1° ;
« 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison de ces mêmes
opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 p. 100 des dépenses
de personnel mentionnées au 1° ;
« 4° Les frais de dépôt des dessins et modèles.
« 5° Les frais de défense des dessins et modèles, dans la limite de 60 000 euros par an ».
3. La société requérante reproche à ces dispositions de méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Selon elle, en réservant le crédit d'impôt relatif aux dépenses d'élaboration de nouvelles collections aux seules entreprises industrielles, le législateur a créé, au détriment des entreprises commerciales, une différence de traitement injustifiée.
4. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur le mot « industrielles » figurant au premier alinéa du h du paragraphe II de l'article 244 quater B du code général des impôts.
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Les dispositions contestées permettent aux entreprises industrielles du secteur « textile-habillement-cuir » de bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses exposées pour l'élaboration de nouvelles collections. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, par l'octroi d'un avantage fiscal, soutenir l'industrie manufacturière en favorisant les systèmes économiques intégrés qui allient la conception et la fabrication de nouvelles collections. En réservant le bénéfice de cet avantage aux entreprises industrielles, qui sont dans une situation différente des entreprises commerciales, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
8. Le mot « industrielles » figurant au premier alinéa du h du paragraphe II de l'article 244 quater B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le mot « industrielles » figurant au premier alinéa du h du
paragraphe II de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances
rectificative pour 2007, est conforme à la Constitution.
Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 janvier 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 décembre 2016 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c du
paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
Les requérants reprochaient à ces dispositions, combinées avec celles du premier
alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts, d'assujettir les
rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même
code à la contribution sociale généralisée et aux autres contributions sociales
sur une assiette majorée de 25 %.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées ont pour
effet de soumettre à l'impôt des revenus dont le contribuable n'a pas disposé.
D'autre part, pour l'établissement des contributions sociales, la majoration
d'assiette de 25 % n'est pas justifiée, comme c'est le cas en matière d'impôt
sur le revenu, par l'intégration de l'ancien abattement de 20 % au barème de cet
impôt, ou par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude
et l'évasion fiscales.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées ne
sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques,
être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur
de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts
pour l'établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et
avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même code.
Sous cette réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a déclaré
conforme à la Constitution le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de
la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1425 du 27
décembre 2008 de finances pour 2009.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 403171 du 2 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Philippe G. par Me Géraldine Palomares, avocat au barreau de Grenoble. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-610 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « dispositions combinées du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, en tant qu'elles portent sur les revenus distribués sur le fondement du c de l'article 111 du même code, et du c) du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 ;
- la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Palomares, enregistrées
le 9 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 29
décembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour M. et Mme Jérôme C. et
autres, M. et Mme Daniel A. et autres et M. et Mme Bernard S. par Me Rodolphe
Mossé, avocat au barreau de Lyon, enregistrées respectivement les 23, 26 et 29
décembre 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Palomares, pour les requérants, Me Mossé, pour les
parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 31 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige portant sur des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles les requérants ont été assujettis au titre des années 2009 et 2010. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 décembre 2008 mentionnée ci-dessus, et du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 158 du code général des impôts, dans cette
rédaction, fixe les règles de détermination des différentes catégories de
revenus entrant dans la composition du revenu net global soumis à l'impôt sur le
revenu. Son 7 dispose que le montant de certains revenus et charges est, pour le
calcul de cet impôt, multiplié par 1,25. Selon le 2° de ce 7, ces dispositions
s'appliquent :
« Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou
revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à
l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société
distributrice ».
3. Le paragraphe I de l'article L. 136-6 du code la
sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit que, pour leur assujettissement
à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine,
certains revenus sont déterminés comme en matière d'impôt sur le revenu. Selon
le c de ce paragraphe I, il en va ainsi :
« Des revenus de capitaux mobiliers ».
4. Les requérants et les parties intervenantes contestent l'assujettissement aux contributions sociales des rémunérations et avantages occultes, mentionnés au c de l'article 111 du code général des impôts, sur une assiette majorée de 25 %. Dès lors que les autres revenus de capitaux mobiliers sont soumis aux mêmes contributions sur leur montant réel, il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Les dispositions contestées soumettent les revenus de capitaux mobiliers à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine et en définissent l'assiette. La même assiette est retenue pour la soumission de ces revenus aux autres contributions sociales régies par des dispositions faisant référence, directement ou indirectement, au paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
8. Les dispositions contestées renvoient, pour la définition de l'assiette de ces contributions sociales, au « montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu » sur les revenus de capitaux mobiliers. En application du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, certains de ces revenus, notamment les rémunérations et avantages occultes, font l'objet d'une assiette majorée : pour le calcul de l'impôt sur le revenu comme pour celui des contributions sociales, le montant de ces revenus est multiplié par 1,25.
9. En premier lieu, les dispositions contestées ont pour effet d'assujettir le contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il n'a pas disposé.
10. En second lieu, la majoration de l'assiette prévue au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts a été instituée par l'article 76 de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus en contrepartie de la baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu, concomitante à la suppression et à l'intégration dans ce barème de l'abattement de 20 % dont bénéficiaient certains redevables de cet impôt, afin de maintenir un niveau d'imposition équivalent.
11. Toutefois, il ressort des travaux préparatoires de cette dernière loi que, pour l'établissement des contributions sociales, cette majoration de l'assiette des revenus en cause n'est justifiée ni par une telle contrepartie, ni par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, ni par aucun autre motif.
12. Par conséquent, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même code. Sous cette réserve, le grief tiré de la violation de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
13. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 12, le c du paragraphe I de
l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant
de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, est conforme à
la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 février 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 décembre 2016 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-731 du 3 juin
2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Cet article réprime de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le
fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne
mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant
directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de
ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou
représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes
volontaires à la vie.
Cette incrimination selon l'article contesté n'est pas applicable lorsque la
consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une
profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de
recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
Le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de ces dispositions
au regard de sa jurisprudence exigeante en matière de liberté de communication.
En application de cette jurisprudence, le législateur ne peut porter atteinte à
cette liberté que par des dispositions qui présentent un triple caractère
nécessaire, adapté et proportionné.
Au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de
communication, le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que la législation
existante comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle prévue par
l'article 421-2-5-2 du code pénal et de dispositions procédurales pénales
spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
Le Conseil a en particulier rappelé dans sa décision la portée des dispositions
suivantes du code pénal :
- l'article 421-2-1 qui réprime le fait de participer à un groupement formé ou à
une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs
faits matériels, d'un acte de terrorisme ;
- l'article 421-2-4 qui sanctionne le fait d'adresser à une personne des offres
ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques,
de la menacer ou d'exercer sur elle des pressions afin qu'elle participe à un
groupement ou une entente prévu à l'article 421-2-1 ou qu'elle commette un acte
de terrorisme ;
- l'article 421 2-5 qui sanctionne le fait de provoquer directement à des actes
de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes ;
- l'article 421-2-6 qui réprime le fait de préparer la commission d'un acte de
terrorisme dès lors que cette préparation est intentionnellement en relation
avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre
public par l'intimidation ou la terreur et qu'elle est caractérisée par le fait
de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des
substances de nature à créer un danger pour autrui ainsi que par d'autres
agissements tels que la consultation habituelle d'un ou de plusieurs services de
communication au public en ligne provoquant directement à la commission d'actes
de terrorisme ou en faisant l'apologie.
La loi pénale française comporte ainsi de nombreux instruments conçus pour
lutter contre le terrorisme. En particulier, hors les dispositions contestées,
la loi pénale punit donc la consultation de sites terroristes si celle-ci
intervient en lien avec un projet terroriste, ce qui avait d'ailleurs conduit le
Gouvernement à s'opposer aux dispositions contestées au cours des débats
parlementaires ayant précédé leur adoption.
Le Conseil constitutionnel a également indiqué dans sa décision que dans le
cadre des procédures d'enquêtes relatives aux infractions mentionnées plus haut,
les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des
mesures d'interception de correspondances émises par voie de communication
électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation,
de fixation d'images et de captation de données informatiques. Par ailleurs, des
dispositions procédurales spécifiques en matière de garde à vue et de
perquisitions peuvent s'appliquer.
Ainsi que le précise la décision du Conseil, l'autorité administrative dispose
également de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de
terrorisme. Les dispositions du titre V du livre VIII du code de la sécurité
intérieure, issues de la loi relative au renseignement, permettent ainsi
d'accéder à des données de connexion, de procéder à des interceptions de
sécurité ou de capter des images et données informatiques. Il est également
possible à l'autorité administrative de demander à tout éditeur ou hébergeur
d'un service de communication au public en ligne de retirer les contenus
provoquant à des actes terroristes ou faisant l'apologie de tels actes.
Le Conseil constitutionnel a ainsi conclu, à propos du critère de nécessité des
dispositions contestées, que les autorités administrative et judiciaire
disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non
seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne
provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs,
mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour
l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un
comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit
entré dans sa phase d'exécution.
S'agissant ensuite des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en
matière d'atteinte à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel a
relevé que les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la
consultation habituelle des services de communication au public en ligne
concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes. Elles n'exigent pas
la preuve que cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion
à l'idéologie exprimée sur ces services. Ces dispositions répriment d'une peine
de deux ans d'emprisonnement le simple fait de consulter à plusieurs reprises un
service de communication au public en ligne, quelle que soit l'intention de
l'auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de
l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public,
qu'elle n'intervient pas dans le cadre de recherches scientifiques ou qu'elle
n'est pas réalisée afin de servir de preuve en justice.
Le Conseil constitutionnel a également indiqué que, si le législateur a exclu la
pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi », les travaux
parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a
entendu attribuer à cette exemption alors même que l'incrimination instituée,
ainsi qu'il vient d'être rappelé, ne requiert pas que l'auteur des faits soit
animé d'une intention terroriste. Le Conseil en a déduit que les dispositions
contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de
certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de
l'usage d'internet pour rechercher des informations.
Appliquant les trois critères fixés par sa jurisprudence, le Conseil
constitutionnel a donc jugé, compte tenu de l'ensemble des éléments rappelés
dans sa décision, et en particulier de la législation préventive et répressive
qui demeure à la disposition des autorités administrative et judiciaire pour
lutter contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les sites
internet, que les dispositions contestées portent à l'exercice de la liberté de
communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
Si la portée donnée à la liberté de communication est ainsi précisée par la
décision du Conseil, la motivation retenue demeure néanmoins liée aux
caractéristiques particulières de l'incrimination dont il était saisi.
Par sa décision, le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la
Constitution les dispositions de l'article 421-2-5-2 du code pénal dans sa
rédaction issue de la loi du 3 juin 2016. Cette déclaration
d'inconstitutionnalité prend effet immédiatement et s'applique donc à toutes les
instances non définitivement jugées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 décembre 2016 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 5797 du 29 novembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. David P. par Me Sami Khankan, avocat au barreau de Nantes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-611 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique
;
- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les
garanties de la procédure pénale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Claire Waquet, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Khankan, enregistrées les 29
décembre 2016 et 13 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 29
décembre 2016 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 29 décembre 2016 et 13 janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Waquet et Khankan, pour le requérant, Me François
Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie
intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 31 janvier 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction
issue de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus prévoit : « Le fait de
consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant
à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant
directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de
ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou
représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes
volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 €
d'amende.
« Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée
de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet
d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou
est réalisée afin de servir de preuve en justice ».
2. Le requérant soutient que les dispositions contestées méconnaissent la liberté de communication et d'opinion dès lors qu'elles répriment la seule consultation d'un service de communication au public en ligne sans que soit exigée concomitamment la preuve de ce que la personne est animée d'intentions illégales. Ces dispositions contreviendraient également au principe de légalité des délits et des peines et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi en raison de l'imprécision des termes employés. Par ailleurs, le principe d'égalité serait méconnu à un double titre. D'une part, seules certaines personnes sont autorisées par la loi à accéder à ces contenus en raison de leur profession. D'autre part, la consultation des contenus provoquant à la commission d'actes terroristes est seulement sanctionnée lorsqu'elle a lieu par internet à l'exclusion d'autres supports. Enfin, les dispositions contestées violeraient le principe de la présomption d'innocence dès lors que la personne se livrant à la consultation incriminée serait présumée vouloir commettre des actes terroristes.
3. La partie intervenante soutient, pour les mêmes raisons, que les dispositions contestées contreviennent à la liberté de communication et d'opinion ainsi qu'au principe de légalité des délits et des peines.
- Sur le fond :
4. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services.
5. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions, avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
6. Les dispositions contestées, qui sanctionnent d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de consulter de manière habituelle un service de communication au public en ligne faisant l'apologie ou provoquant à la commission d'actes de terrorisme et comportant des images ou représentations d'atteintes volontaires à la vie, ont pour objet de prévenir l'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre ensuite de tels actes.
7. En premier lieu, d'une part, la législation comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle prévue par l'article 421-2-5-2 du code pénal et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
8. Ainsi, l'article 421-2-1 du code pénal réprime le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un acte de terrorisme. L'article 421-2-4 du même code sanctionne le fait d'adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d'exercer sur elle des pressions afin qu'elle participe à un groupement ou une entente prévu à l'article 421-2-1 ou qu'elle commette un acte de terrorisme. L'article 421-2-5 sanctionne le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes. Enfin, l'article 421-2-6 réprime le fait de préparer la commission d'un acte de terrorisme dès lors que cette préparation est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur et qu'elle est caractérisée par le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ainsi que par d'autres agissements tels que la consultation habituelle d'un ou de plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie.
9. Dans le cadre des procédures d'enquêtes relatives à ces infractions, les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des mesures d'interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d'images et de captation de données informatiques. Par ailleurs, sauf pour les faits réprimés par l'article 421-2-5 du code pénal, des dispositions procédurales spécifiques en matière de garde à vue et de perquisitions sont applicables.
10. D'autre part, le législateur a également conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
11. Ainsi, en application du 4° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII de ce même code pour le recueil des renseignements relatifs à la prévention du terrorisme. Ces services peuvent accéder à des données de connexion, procéder à des interceptions de sécurité, sonoriser des lieux et véhicules et capter des images et données informatiques.
12. Enfin, en application de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus, lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l'apologie de tels actes relevant de l'article 421-2-5 du code pénal le justifient, l'autorité administrative peut demander à tout éditeur ou hébergeur d'un service de communication au public en ligne de retirer les contenus qui contreviennent à cet article. Selon l'article 706-23 du code de procédure pénale, l'arrêt d'un service de communication au public en ligne peut également être prononcé par le juge des référés pour les faits prévus à l'article 421-2-5 du code pénal lorsqu'ils constituent un trouble manifestement illicite. L'article 421-2-5-1 du même code réprime le fait d'extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d'entraver, en connaissance de cause, l'efficacité des procédures précitées.
13. Dès lors, au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution.
14. En second lieu, s'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière d'atteinte à la liberté de communication, les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services. Ces dispositions répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le simple fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, quelle que soit l'intention de l'auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, qu'elle n'intervient pas dans le cadre de recherches scientifiques ou qu'elle n'est pas réalisée afin de servir de preuve en justice.
15. Si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi », les travaux parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption alors même que l'incrimination instituée, ainsi qu'il vient d'être rappelé, ne requiert pas que l'auteur des faits soit animé d'une intention terroriste. Dès lors, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L'article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
17. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
18. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le
terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de
la procédure pénale, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au paragraphe 18 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 février 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 400351, 400353 du 8 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la SCI Hyéroise par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-612 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 1389 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 48-1974 du 31 décembre 1948 fixant l'évaluation des voies et moyens
du budget de l'exercice 1949 et relative à diverses dispositions d'ordre
financier ;
- la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre
les exclusions, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 98-403 DC du
29 juillet 1998 ;
- la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000 de finances pour 2001 ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, ensemble la
décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 ;
- le décret n° 50-478 du 6 avril 1950 portant règlement d'administration
publique pour la refonte des codes fiscaux et la mise en harmonie de leurs
dispositions avec celles du décret du 9 décembre 1948 et des lois subséquentes ;
- la décision du Conseil d'État n° 265562 du 13 avril 2005 ;
- la décision du Conseil d'État n° 278540 du 30 mars 2007 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Boré et
Salve de Bruneton, enregistrées les 30 décembre 2016 et 17 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 2 et 17
janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la société requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 7 février 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'une contestation de la taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre des années 2010 et 2011. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe I de l'article 1389 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe I de l'article 1389 du code général des
impôts, dans cette rédaction, prévoit :« Les contribuables peuvent obtenir le
dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement
destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le
contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour
du mois suivant celui du début de la vacance ou de l'inexploitation jusqu'au
dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l'inexploitation a pris fin.
« Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance ou
l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait
une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de
l'immeuble, soit une partie susceptible de location ou d'exploitation séparée ».
3. La société requérante soutient que les dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, méconnaissent l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel. Elle reproche également à ces dispositions de méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques dès lors, d'une part, que les emplacements de stationnement visés en l'espèce n'ouvrent pas droit, compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'État, au dégrèvement prévu en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location et, d'autre part, en ce qu'elles subordonnent le dégrèvement prévu en cas d'inexploitation d'un immeuble à usage commercial ou industriel à une condition supplémentaire tenant à ce qu'il soit utilisé par le contribuable lui-même. Serait également méconnu le droit de propriété.
4. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 1389 institue un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou en cas d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel. Son second alinéa subordonne ce dégrèvement à la triple condition que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle dure au moins trois mois et qu'elle affecte la totalité de l'immeuble ou une partie susceptible de location ou d'exploitation séparée.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée :
5. Il ressort de la décision du Conseil d'État du 13 avril 2005 mentionnée ci-dessus que la condition tenant au fait que la vacance ou l'inexploitation d'un local doit être indépendante de la volonté du contribuable ne s'applique pas de la même manière selon qu'il s'agit du dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties ou de l'exonération de la taxe annuelle sur les logements vacants. La société requérante soutient que, dans la mesure où l'interprétation qui doit être donnée à cette condition a été fixée, s'agissant de cette dernière taxe, par le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 29 juillet 1998 et 29 décembre 2012 mentionnées ci-dessus, les dispositions contestées méconnaissent l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel.
6. Aux termes du troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». L'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même.
7. Si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi ont un objet analogue à celui des dispositions législatives sur lesquelles le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé.
8. Dans ses décisions des 29 juillet 1998 et 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a examiné, respectivement, les dispositions de l'article 51 de la loi du 29 juillet 1998 mentionnée ci-dessus, instituant, à l'article 232 du code général des impôts, la taxe annuelle sur les logements vacants, et les dispositions du paragraphe I de l'article 16 de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, modifiant ce même article 232. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous réserve, notamment, que ne soient pas assujettis à cette taxe des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d'habitation, ou s'opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur.
9. La taxe annuelle sur les logements vacants est un impôt incitatif visant à encourager les redevables à proposer des logements à la location. La taxe foncière sur les propriétés bâties frappe ces propriétés en raison de leur existence même et sans considération de leur utilisation. Par conséquent, les dispositions contestées, qui instituent un dégrèvement de cette dernière taxe en cas de vacance d'une maison ou d'inexploitation d'un immeuble n'ont pas un objet analogue à celles, relatives à la taxe annuelle sur les logements vacants, sur lesquelles le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans ses décisions mentionnées ci-dessus.
10. Le grief tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée doit donc être écarté.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
11. La société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques à un double titre. En premier lieu, selon l'interprétation qu'en retient le Conseil d'État, elles excluent les emplacements de stationnement du droit à dégrèvement en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location. En second lieu, en cas d'inexploitation d'un immeuble à usage commercial ou industriel elles subordonnent le dégrèvement à une condition supplémentaire tenant à ce que cet immeuble soit utilisé par le contribuable lui-même.
12. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
13. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
14. D'une part, il résulte de la décision du Conseil d'État du 30 mars 2007 mentionnée ci-dessus que les emplacements de stationnement situés au pied d'un immeuble d'habitation, qui sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 4° de l'article 1381 du code général des impôts, n'ouvrent pas droit au dégrèvement prévu par les dispositions contestées en cas de vacance lorsqu'ils font l'objet d'un bail autonome. Les locaux à usage d'habitation ne sont pas placés dans la même situation que les emplacements de stationnement. En limitant aux premiers le bénéfice du dégrèvement, le législateur a entendu prendre en compte le coût qu'il a estimé plus élevé de la vacance de tels locaux.
15. D'autre part, les dispositions contestées subordonnent le dégrèvement en cas d'inexploitation d'un immeuble à usage industriel ou commercial à la condition que le redevable utilise lui-même l'immeuble. Les locaux à usage d'habitation ne sont pas placés dans la même situation que les immeubles à usage commercial ou industriel. En subordonnant, pour ces derniers, le bénéfice du dégrèvement à une condition supplémentaire, le législateur a entendu prendre en compte la spécificité de la législation applicable en matière de baux commerciaux et celle des marchés immobiliers dont relèvent ces biens.
16. En instituant ces différences de traitement, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels, en rapport direct avec l'objet de la loi. Par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
17. Les dispositions du paragraphe I de l'article 1389 du code général des impôts, qui ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les dispositions du paragraphe I de l'article 1389 du code
général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-1352 du 30
décembre 2000 de finances pour 2001, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 février 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 décembre 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la
situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des
procédures d'indemnisation.
Les dispositions contestées limitent le droit d'exercer un recours subrogatoire
contre le responsable d'un dommage à l'origine d'une atteinte à la personne, aux
seuls tiers payeurs qu'elles énumèrent et à l'égard des prestations qu'elles
visent.
Le département requérant estimait que les dispositions contestées méconnaissent
le principe d'égalité devant la loi en privant de tout recours subrogatoire le
département qui sert la prestation compensatoire du handicap.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les tiers payeurs énumérés à l'article
29 sont soit les employeurs de la victime, soit ceux qui, selon une logique
assurantielle, lui servent des prestations en contrepartie des cotisations
qu'elle leur a versées.
En limitant à ces derniers les possibilités de recours subrogatoire pour les
dommages résultant d'atteintes à la personne, le législateur a souhaité
accélérer le cours des procédures judiciaires de réparation du préjudice subi
par la victime. Le législateur a en effet estimé que cette réparation était
ralentie par la multiplication des actions subrogatoires susceptibles de
s'exercer. Il a toutefois entendu concilier cet objectif avec la préservation
des intérêts financiers de certains tiers payeurs chargés d'assurer
l'indemnisation des victimes d'atteintes corporelles.
Le département, lorsqu'il verse la prestation de compensation du handicap, qui
est une prestation d'aide sociale reposant sur la solidarité nationale, limitée
à certaines dépenses découlant du handicap, n'est pas placé dans la même
situation que les autres tiers payeurs qui versent les prestations énumérées à
l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que la différence de traitement contestée
par le département requérant était fondée sur une différence de situation et en
rapport direct avec l'objet de la loi.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé conforme à la Constitution le
mot « Seules » figurant au premier alinéa de l'article 29 de la loi du 5 juillet
1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la
circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, dans sa
rédaction résultant de la loi n°94-678 du 8 août 1994 relative à la protection
sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n°
92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés
européennes.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 403514 du 7 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par le département d'Ille-et-Vilaine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-613 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation
des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures
d'indemnisation ;
- la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection sociale
complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et
n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes
;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le département requérant par la SCP David
Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le
18 janvier 2017 ;
- les observations présentées pour le centre hospitalier de Dinan, partie en
défense, par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 3 janvier 2017 ;
- les observations présentées pour M. et Mme Luc E., parties à l'instance à
l'occasion de laquelle la QPC a été posée, par la SCP Hélène Didier et François
Pinet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 3
janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 janvier
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour le département requérant, Me Le Prado, pour la partie en
défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 7 février 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 mentionnée
ci-dessus, dans la rédaction résultant de la loi du 8 août 1994 mentionnée
ci-dessus prévoit :« Seules les prestations énumérées ci-après versées à la
victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un
recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :
« 1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services
gérant un régime obligatoire de sécurité sociale et par ceux qui sont mentionnés
aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du code rural;
« 2. Les prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76
du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'État et de
certaines autres personnes publiques ;
« 3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de
rééducation ;
« 4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l'employeur
pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement qui a occasionné le
dommage ;
« 5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité
versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les
institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code
rural et les sociétés d'assurance régies par le code des assurances ».
2. Le département requérant soutient que les dispositions contestées sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, en ce qu'elles privent de tout recours subrogatoire le département qui sert la prestation de compensation du handicap.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le mot « Seules » figurant au premier alinéa de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.
4. Le département requérant reproche aux dispositions contestées de l'exclure du bénéfice de tout recours subrogatoire pour le versement de la prestation de compensation du handicap et d'établir, par conséquent, une différence de traitement injustifiée, à un double titre. En premier lieu, le département serait ainsi traité différemment des autres tiers payeurs énumérés à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985. En second lieu, compte tenu des conséquences tirées par les juges administratif et judiciaire de cette interdiction de tout recours subrogatoire, il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les victimes d'un même dommage, selon que le litige relève du droit administratif ou du droit civil. Dans le premier cas, la prestation de compensation du handicap viendrait en déduction de la réparation à verser à la victime, tandis que dans le second cas cette prestation s'ajouterait à cette réparation. Les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques seraient ainsi méconnus. M. et Mme Luc E. développent les mêmes griefs fondés sur la différence de traitement injustifiée entre les victimes au regard de l'indemnisation qu'elles peuvent recevoir.
5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. L'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 a pour objet de limiter aux seuls tiers payeurs qu'il énumère, et pour les seules prestations qu'il vise, le droit d'exercer un recours subrogatoire contre le responsable d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne. L'article 33 de cette même loi indique que, à l'exception de ces prestations et des rémunérations maintenues ou versées à la victime par son employeur pendant la période d'indisponibilité de celle-ci, aucun versement effectué au profit d'une victime d'un tel dommage en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.
8. Selon l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, la prestation de compensation du handicap est versée en nature ou en espèces à toute personne répondant à des conditions d'âge et présentant un degré de handicap définis par décret. Elle est calculée en tenant compte de la nature et de l'importance de la perte d'autonomie. En vertu de l'article L. 245-6 du même code, son montant peut varier selon les ressources du bénéficiaire. L'article L. 245-1 prévoit, en outre, que lorsque le bénéficiaire de la prestation de compensation dispose d'un droit ouvert de même nature au titre d'un régime de sécurité sociale, les sommes versées à ce titre viennent en déduction du montant de la prestation de compensation. En vertu de l'article L. 245-5 du même code, la prestation peut être suspendue ou interrompue lorsque son bénéficiaire ne consacre pas les sommes versées à la compensation des charges pour lesquelles l'aide lui a été attribuée et le débiteur a la possibilité d'agir en recouvrement des sommes indûment utilisées. En application de l'article L. 245-7, la prestation ne fait pas l'objet d'un recours en récupération sur les héritiers et sur les bénéficiaires revenus à meilleure fortune.
9. Le département et la prestation de compensation du handicap ne sont pas au nombre des personnes et des prestations limitativement énumérées par l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985. Il en résulte que le département ne dispose pas de la faculté d'exercer un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage à l'origine du handicap donnant lieu au versement de cette prestation.
10. En premier lieu, les tiers payeurs énumérés à l'article 29 sont soit les employeurs de la victime, soit ceux qui, selon une logique assurantielle, lui servent des prestations en contrepartie des cotisations qu'elle leur a versées.
11. En limitant à ces derniers les possibilités de recours subrogatoire pour les dommages résultant d'atteintes à la personne, le législateur a souhaité accélérer le cours des procédures judiciaires de réparation du préjudice subi par la victime. En effet, il a estimé que cette réparation était ralentie par la multiplication des actions subrogatoires susceptibles de s'exercer. Il a toutefois entendu concilier cet objectif avec la préservation des intérêts financiers de certains tiers payeurs chargés d'assurer l'indemnisation des victimes d'atteintes corporelles.
12. Le département, lorsqu'il verse la prestation de compensation du handicap, qui est une prestation d'aide sociale reposant sur la solidarité nationale, limitée à certaines dépenses découlant du handicap, n'est pas placé dans la même situation que les autres tiers payeurs qui versent les prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.
13. La différence de traitement contestée par le département requérant est donc fondée sur une différence de situation et en rapport direct avec l'objet de la loi.
14. En outre, et en tout état de cause, les dispositions contestées ne privent pas le département de la possibilité de récupérer auprès du bénéficiaire de la prestation les sommes qui lui auraient été indûment versées. Elles n'interdisent pas non plus de tenir compte, pour le calcul du montant de la prestation de compensation du handicap, des besoins réels du bénéficiaire et des ressources dont il dispose, y compris des sommes reçues le cas échéant en indemnisation de son dommage.
15. En second lieu, les dispositions contestées se bornent à limiter à certains tiers payeurs et à certaines prestations les possibilités de recours subrogatoire consécutif à la réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne. Elles n'instaurent pas, par elles-mêmes, une différence de traitement, s'agissant de l'indemnisation reçue, entre les victimes de tels dommages. Cette différence de traitement, si elle existe, dépend des dispositions légales relatives aux prestations en cause, qui n'ont pas été soumises au Conseil constitutionnel. Par suite, le grief dirigé, sur le fondement de cette différence de traitement, contre les dispositions contestées est inopérant.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
17. Par conséquent, le mot « Seules » figurant au premier alinéa de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le mot « Seules » figurant au premier alinéa de l'article 29 de
la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes
d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures
d'indemnisation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 94-678 du 8 août 1994
relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant
transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre
1992 du Conseil des communautés européennes, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 février 2017, où siégeaient : M. Laurent
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 404270 du 15 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Dominique L. par Me Éric Planchat, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-614 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Planchat, enregistrées
les 2 et 23 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 janvier
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. et Mme Claude C. par Me
Gilbert Ladreyt, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 9 et 24 janvier
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Planchat, pour le requérant, Me Ladreyt, pour la partie
intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 7 février 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 123 bis du code général des impôts, dans sa
rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit
:
« 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou
indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de
vote dans une entité juridique -personne morale, organisme, fiducie ou
institution comparable- établie ou constituée hors de France et soumise à un
régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité
juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette
personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers
qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la
personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable
sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou
de comptes courants.
« Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime
fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par
comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité
mentionnée au 1 de l'article 206.
« 2. Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus
indirectement par la personne physique mentionnée au 1, s'entendent des actions,
parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l'intermédiaire d'une
chaîne d'actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote ;
l'appréciation du pourcentage des actions, parts, droits financiers ou droits de
vote ainsi détenus s'opère en multipliant entre eux les taux de détention
desdites actions ou parts, des droits financiers ou des droits de vote
successifs.
« La détention indirecte s'entend également des actions, parts, droits
financiers ou droits de vote détenus directement ou indirectement par le
conjoint de la personne physique, ou leurs ascendants ou descendants. Toutefois,
ces actions, parts, droits financiers ou droits de vote ne sont pas pris en
compte pour le calcul du revenu de capitaux mobiliers de la personne physique
mentionné au 1.
« 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis
le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de l'entité juridique
établie ou constituée hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours
d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le
présent code comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les
sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus
positifs en cause par l'entité juridique est déductible du revenu réputé
constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la
proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les
sociétés.
« Toutefois, lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un État
ou territoire n'ayant pas conclu de convention d'assistance administrative avec
la France, ou qui est non coopératif au sens de l'article 238-0 A le revenu
imposable de la personne physique ne peut être inférieur au produit de la
fraction de l'actif net ou de la valeur nette des biens de la personne morale,
de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable, calculée dans les
conditions fixées au 1, par un taux égal à celui mentionné au 3° du 1 de
l'article 39.
« 4. Les revenus distribués ou payés à une personne physique mentionnée au 1 par
une entité juridique ne constituent pas des revenus imposables au sens de
l'article 120, sauf pour la partie qui excède le revenu imposable mentionné au
3.
« 4 bis. Le 1 n'est pas applicable, lorsque l'entité juridique est établie ou
constituée dans un État de la Communauté européenne, si l'exploitation de
l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de
vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être
regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de
contourner la législation fiscale française.
« 4 ter. La condition de détention de 10 % prévue au 1 est présumée satisfaite
lorsque la personne physique a transféré des biens ou droits à une entité
juridique située dans un État ou territoire non coopératif au sens de l'article
238-0 A.
« 5. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application des
dispositions qui précèdent et notamment les obligations déclaratives des
personnes physiques ».
2. Le requérant et la partie intervenante soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles instituent deux présomptions irréfragables de fraude fiscale, sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. D'une part, elles n'autoriseraient pas le contribuable à prouver que l'interposition d'une entité juridique établie hors d'un État membre de l'Union européenne n'a pas pour objet, dans un but de fraude fiscale, l'appréhension de bénéfices dans un État soumis à un régime fiscal privilégié. D'autre part, lorsque l'entité juridique est établie dans un État ou territoire non coopératif ou n'ayant pas conclu de convention administrative avec la France, ces dispositions fixeraient une valeur plancher au revenu imposable, calculée de façon forfaitaire en fonction de l'actif net de l'entité.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le second alinéa du 3 de l'article 123 bis du code général des impôts et sur les mots « , lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne, » figurant au 4 bis du même article.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les dispositions contestées du 4 bis :
4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'article 123 bis du code général des impôts prévoit l'imposition des avoirs détenus à l'étranger par une personne physique fiscalement domiciliée en France, par l'intermédiaire d'une entité juridique dont les actifs sont principalement financiers et soumise à un régime fiscal privilégié. À cette fin, il soumet à l'impôt sur le revenu, selon des règles dérogatoires au droit commun, les bénéfices et les revenus positifs de cette entité, réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient dans cette entité. En vertu de son 4 bis, l'article 123 bis n'est pas applicable lorsque l'entité est établie ou constituée dans un État de l'Union européenne et que son exploitation ou la détention d'actions, parts ou droits en son sein ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.
6. En adoptant l'article 123 bis, le législateur a poursuivi un but de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de personnes physiques qui détiennent des participations dans des entités principalement financières localisées hors de France et bénéficiant d'un régime fiscal privilégié. Ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle.
7. Toutefois, l'exemption d'application de l'article 123 bis en cas d'absence de montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française ne bénéficie qu'aux entités localisées dans un État de l'Union européenne. Or, aucune autre disposition législative ne permet au contribuable d'être exempté de cette application en prouvant que la localisation de l'entité dans un autre État ou territoire n'a pas pour objet ou pour effet un tel contournement. Ce faisant, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques.
8. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, il en résulte que les mots « , lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne, » figurant au 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts doivent être déclarés contraires à la Constitution.
. En ce qui concerne le second alinéa du 3 :
9. Le second alinéa du 3 de l'article 123 bis du code général des impôts définit forfaitairement un montant minimal de revenu imposable, applicable lorsque l'entité juridique est localisée soit dans un État ou territoire n'ayant pas conclu de convention d'assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, soit dans un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A du même code. Ce montant forfaitaire est calculé en multipliant l'actif net ou la valeur nette des biens de l'entité, dans la proportion des actions, parts ou droits financiers détenus par le contribuable, par un taux d'intérêt fixé par voie réglementaire.
10. En adoptant ces dispositions, le législateur, eu égard aux insuffisances des échanges d'informations avec les États ou territoires en cause, a entendu remédier à la difficulté pour l'administration française de disposer des éléments nécessaires à la détermination du résultat imposable de l'entité juridique et au calcul des revenus réputés acquis par la personne physique.
11. En premier lieu, compte tenu de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe 8 de la présente décision, le contribuable pourra, quel que soit l'État ou le territoire dans lequel l'entité est localisée, être exempté de l'application de l'article 123 bis en l'absence de montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française.
12. En second lieu, les dispositions du second alinéa du 3 de l'article 123 bis du code général des impôts ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l'intermédiaire de l'entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement en application de ces dispositions.
13. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le second alinéa du 3 de l'article 123 bis du code général des impôts, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
14. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
15. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les
effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à
compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « , lorsque l'entité juridique est établie ou constituée
dans un État de la Communauté européenne, » figurant au 4 bis de l'article 123
bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n°
2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, sont
contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 15 de cette décision.
Article 3. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 12, le second alinéa du 3 de
l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, est
conforme à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 février 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 401716 du 15 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Jacques Paul V. par la SCP de Chaisemartin-Courjon, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-615 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « c) et e) du I de l'article L. 136-6 du code de sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en 2007 ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril
2004 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-610 QPC du 10 février 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Chaisemartin-Courjon,
enregistrées les 6 et 23 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 janvier
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. et Mme Michel C. par Me
Ève Obadia, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 9 janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Arnaud de Chaisemartin, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour les requérants, Me Obadia pour la partie intervenante et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 28
février 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors de la contestation, par les requérants, de leur imposition à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine et à d'autres contributions, à raison de la cession de la participation qu'ils détenaient dans une société de droit français. Cette cession étant intervenue le 31 janvier 2007, le Conseil constitutionnel est saisi des c et e du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la
sécurité sociale, dans cette rédaction, prévoit que, pour leur assujettissement
à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine,
certains revenus sont déterminés comme en matière d'impôt sur le revenu. Selon
les c et e de ce paragraphe I, il en va ainsi : « c) Des revenus de capitaux
mobiliers » ;
« e) Des plus-values, gains en capital et profits réalisés sur les marchés à
terme d'instruments financiers et de marchandises, ainsi que sur les marchés
d'options négociables, soumis à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel,
de même que de l'avantage défini au 6 bis de l'article 200 A du code général des
impôts.
« Pour l'application de l'alinéa précédent, le gain net retiré de la cession
d'actions acquises dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L.
225-186 du code de commerce est égal à la différence entre le prix effectif de
cession des actions net des frais et taxes acquittés par le cédant et le prix de
souscription ou d'achat majoré, le cas échéant, des rémunérations visées au
deuxième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale ».
3. Les requérants soutiennent que ces dispositions, telles qu'interprétées par le juge administratif, sont contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Elles créent, selon eux, une différence de traitement injustifiée entre les personnes affiliées au régime de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne et celles affiliées au régime de sécurité sociale d'un autre État. Seules les secondes seraient en effet soumises à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine et aux autres contributions sociales.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le c et le premier alinéa du e du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006.
- Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. Dans sa décision du 10 février 2017 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les requérants dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
7. Dès lors, et en l'absence d'un changement de circonstances, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
8. Il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d'État que la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, qui entre dans le champ du règlement européen du 29 avril 2004 mentionné ci-dessus, est soumise au principe de l'unicité de législation posé par l'article 11 de ce règlement. Il en résulte qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne autre que la France ne peut être soumise à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine. En revanche, le règlement européen du 29 avril 2004 n'étant pas applicable en dehors de l'Union européenne, sauf accord international le prévoyant, ses dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une personne relevant d'un régime de sécurité sociale d'un État tiers soit assujettie à cette contribution.
9. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.
10. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
11. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
12. Il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement, au regard de l'assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d'un État tiers.
13. Toutefois, ces dispositions ont pour objet d'assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l'Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union. Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d'exercice de leur activité professionnelle, entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d'un État tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi.
14. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le premier alinéa du e du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la
question prioritaire de constitutionnalité portant sur le c du paragraphe I de
l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006.
Article 2. - Le premier alinéa du e du paragraphe I de l'article L. 136-6 du
code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-1771
du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 est conforme à la
Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 décembre 2016 par le Conseil d'État (décisions n° 401589 et n° 403627 du 16 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour la société Barnes et M. Thibault de S., par Me Hervé Lehman, avocat au barreau de Paris, et par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2016-616 QPC et 2016-617 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 561-41 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, et de l'article L. 561-42 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures ;
- l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de
l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme, ratifiée par l'article 140 de la loi du 12 mai 2009
mentionnée ci-dessus ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Lehman, enregistrées
les 10 et 25 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10
janvier 2017 ;
- les observations en intervention présentées, pour le syndicat des casinos
modernes de France, le syndicat Casinos de France et l'association des casinos
indépendants de France, par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lehman, pour les requérants, Me Jean-Philippe Dom, avocat
au barreau de Paris, pour les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 28 février 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article L. 561-41 du code monétaire et financier, dans
sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit :«
La Commission nationale des sanctions reçoit les rapports établis à la suite des
contrôles effectués par les autorités administratives mentionnées au II de
l'article L. 561-36 et notifie les griefs à la personne physique mise en cause
ou, s'agissant d'une personne morale, à son responsable légal.
« Le cas échéant, ces griefs sont également notifiés à l'organisme central
auquel est affiliée la personne en cause et portés à la connaissance de
l'association professionnelle à laquelle elle adhère.
« Lorsque, par suite soit d'un grave défaut de vigilance, soit d'une carence
dans l'organisation de ses procédures internes de contrôle, une personne
mentionnée aux 8°, 9° et 15° de l'article L. 561-2 a omis de respecter les
obligations découlant du présent titre, la Commission nationale des sanctions
engage une procédure disciplinaire et en avise le procureur de la République ».
3. L'article L. 561-42 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 30 janvier 2009 mentionnée ci-dessus prévoit : « La Commission nationale des sanctions statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur de l'affaire. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment convoqué ».
4. Les requérants et les parties intervenantes soutiennent que les dispositions contestées, qui ne garantissent pas la séparation entre les fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement au sein de la Commission nationale des sanctions, sont contraires aux principes d'indépendance et d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
6. Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
7. En application des articles L. 561-2 et L. 561-38 du code monétaire et financier dans leurs rédactions issues de l'ordonnance du 30 janvier 2009, il est institué auprès du ministre chargé de l'économie une Commission nationale des sanctions chargée de prononcer des sanctions administratives en cas de non respect de leurs obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes, par les agents immobiliers, les représentants légaux et les directeurs responsables des opérateurs de jeux ou de paris et les personnes exerçant l'activité de domiciliation. En vertu de l'article L. 561-39 du même code, cette commission est composée d'un conseiller d'État, désigné par le vice-président du Conseil d'État, d'un conseiller à la Cour de cassation, désigné par le premier président de la Cour de cassation et d'un conseiller-maître à la Cour des comptes, désigné par le premier président de la Cour des comptes, ainsi que de quatre personnalités qualifiées en matière juridique ou économique. Ceux-ci sont nommés par décret pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Selon l'article L. 561-40 du même code, cette commission peut prononcer des avertissements, des blâmes, des interdictions temporaires d'exercer, le retrait d'agrément ou de la carte professionnelle et des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut excéder cinq millions d'euros. Enfin aux termes de l'article L. 561-43 du même code, ces sanctions peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction.
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la Commission nationale des sanctions est une autorité administrative dotée d'un pouvoir de sanction, qui n'est pas soumise au pouvoir hiérarchique d'un ministre. Elle doit en conséquence respecter les exigences d'impartialité découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme.
9. En second lieu, selon l'article L. 561-38 du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 30 janvier 2009, la Commission nationale des sanctions est saisie par le ministre chargé de l'économie, celui chargé du budget ou le ministre de l'intérieur des manquements constatés aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes des personnes entrant dans son champ de compétence. Toutefois, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 561-41 et de l'article L. 561-42 du code monétaire et financier, il revient à la Commission nationale des sanctions de notifier les griefs à la personne mise en cause puis de statuer par une décision motivée, sans que la loi distingue la phase de poursuite et celle de jugement.
10. Ainsi, les dispositions contestées n'opèrent aucune séparation au sein de la Commission nationale des sanctions entre, d'une part, les fonctions de poursuite et d'instruction des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Il en résulte qu'elles méconnaissent le principe d'impartialité.
11. Par conséquent, les articles L. 561-41 et L. 561-42 du code monétaire et financier doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les articles L. 561-41 et L. 561-42 du code monétaire et
financier, dans leur rédaction issue respectivement de la loi n° 2009-526 du 12
mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des
procédures et de l'ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la
prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de
capitaux et de financement du terrorisme, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 décembre 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du
paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts dans ses
rédactions, d'une part, issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de
finances rectificative pour 2011 et, d'autre part, résultant de la loi n°
2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la
grande délinquance économique et financière.
Ces dispositions sanctionnent d'une amende la méconnaissance des obligations
déclaratives posées par l'article 1649 AB pour les trusts ouverts, utilisés ou
clos à l'étranger.
La première rédaction contestée de ces dispositions prévoit que le montant de
l'amende est égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des
produits qui y sont capitalisés, sans pouvoir être inférieur à 10 000 euros. La
seconde rédaction contestée fixe le montant de l'amende à 12,5 % des biens ou
droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, sans
pouvoir être inférieur à 20 000 euros.
Le Conseil constitutionnel a déjà censuré à plusieurs reprises des amendes
proportionnelles encourues pour des manquements à de simples obligations
déclaratives.
Faisant application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé au
cas particulier qu'en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est
fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des
produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation
déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n'ont pas été
soustraits à l'impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement
disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé contraires à la Constitution les
dispositions contestées en ce qu'elles prévoient, selon la version des
dispositions contestées, des amendes de 5 et 12, 5 % des biens ou droits placés
dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, mais il a, en
revanche, jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées en ce
qu'elles fixent des amendes forfaitaires pouvant atteindre, selon la version des
dispositions contestées, 10 000 ou 20 000 euros et qui punissent chaque
manquement au respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs
de trusts.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 405025 du 23 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Michelle Theresa B. par Mes Marc Bornhauser et Nicolas Canetti, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-618 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts dans ses rédactions, d'une part, issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 et, d'autre part, résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude
fiscale et la grande délinquance économique et financière ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées, pour la requérante, par Mes Bornhauser et
Canetti, enregistrées le 11 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 17
janvier et 1er février 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Jesus R. par Mes
Bornhauser et Canetti, enregistrées le 16 janvier 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour Mme Marie-Josephe F. par Me
Nicolas Jacquot, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 16 janvier et 1er
février 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bornhauser, pour la requérante et M. Jesus R., partie
intervenante, Me Jacquot, pour Mme Marie-Josephe F., partie intervenante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mars
2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des
impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011 mentionnée
ci-dessus, prévoit :
« Les infractions à l'article 1649 AB sont passibles d'une amende de 10 000 €
ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans
le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés ».
2. Ce même paragraphe, dans sa rédaction résultant de la loi
du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les infractions à l'article 1649 AB sont passibles d'une amende de 20 000 €
ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés
dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés ».
3. La requérante et les parties intervenantes soutiennent que l'amende proportionnelle et l'amende forfaitaire instituées par les dispositions contestées méconnaissent le principe de proportionnalité des peines ainsi que, s'agissant de l'amende forfaitaire, celui d'individualisation des peines. Elles estiment également que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi dès lors que l'amende forfaitaire infligée à l'administrateur d'un trust est supérieure à celle infligée au contribuable qui n'a pas déclaré un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger. Ce principe serait également méconnu dès lors que l'amende forfaitaire ne varie pas, que des droits aient ou non été éludés. Enfin, les dispositions contestées institueraient une présomption irréfragable de fraude fiscale, contraire à la présomption d'innocence.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne la méconnaissance des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines :
4. Lorsque le constituant ou l'un au moins des bénéficiaires d'un trust, tel que défini à l'article 792-0 bis du code général des impôts, a son domicile fiscal en France ou lorsque ce trust comprend un bien ou un droit qui y est situé, l'article 1649 AB du même code impose à l'administrateur de ce trust d'en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l'extinction, ainsi que le contenu de ses termes. Lorsque l'administrateur d'un trust a son domicile fiscal en France, l'article 1649 AB lui impose d'en déclarer la constitution, la modification ou l'extinction ainsi que le contenu de ses termes. Dans les deux cas, il est, en outre, tenu de déclarer la valeur vénale au 1er janvier de l'année des biens, droits et produits du trust.
5. Les dispositions contestées, dans leur rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011, sanctionnent la méconnaissance de ces obligations par une amende d'un montant forfaitaire de 10 000 euros ou, s'il est plus élevé, d'un montant proportionnel égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés. Dans leur rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013, les dispositions contestées portent le montant de l'amende forfaitaire à 20 000 euros et le taux de l'amende proportionnelle à 12,5 %. Cette sanction s'applique à chaque défaut aux obligations déclaratives mentionnées ci-dessus, même en l'absence de soustraction à l'impôt.
6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.
7. En réprimant la méconnaissance des obligations déclaratives relatives aux trusts posées par les dispositions de l'article 1649 AB du code général des impôts, le législateur a entendu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations relatives aux trusts et prévenir la dissimulation d'actifs à l'étranger. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
8. En prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n'ont pas été soustraits à l'impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer.
9. Dès lors, les mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » figurant au paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011 ainsi que les mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » figurant au même paragraphe IV bis, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 doivent être déclarés contraires à la Constitution, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs dirigés contre ces dispositions.
10. En second lieu, d'une part, en punissant d'une amende forfaitaire, fixée, selon la version des dispositions contestées, à 10 000 ou 20 000 euros, chaque manquement au respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts, le législateur a, s'agissant d'informations substantielles et du manquement à une obligation déclarative poursuivant l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. L'amende forfaitaire, même en cas de cumul, n'est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres à l'identification de la détention d'avoirs, en France ou à l'étranger, par le truchement d'un trust.
11. D'autre part, l'amende forfaitaire s'applique à chaque manquement aux obligations déclaratives prévues par l'article 1649 AB du code général des impôts. Pour chaque sanction prononcée, le juge décide après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le redevable si le manquement n'est pas établi. Il peut ainsi adapter les pénalités selon la gravité des agissements commis par le redevable. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
12. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789, en ce qu'ils sont dirigés contre l'amende forfaitaire instaurée par les dispositions contestées, doivent être écartés.
. En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
13. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
14. En premier lieu, compte tenu des potentialités différentes de fraude que recèlent les comptes bancaires ouverts à l'étranger et les trusts, il était loisible au législateur de sanctionner différemment la méconnaissance des obligations déclaratives qui s'y attachent.
15. En second lieu, les dispositions contestées sanctionnent de la même manière le seul non respect des obligations déclaratives précédemment mentionnées, qu'un impôt ait été éludé ou non. Elles n'instituent donc aucune différence de traitement.
16. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.
17. Les dispositions autres que celles déclarées contraires à la Constitution au paragraphe 9, qui ne méconnaissent ni la présomption d'innocence, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
18. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
19. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » figurant au paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011, et des mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » figurant au paragraphe IV bis du même article 1736 dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
20. Elle ne peut être invoquée dans les instances jugées définitivement à cette date. Elle ne saurait davantage être invoquée pour remettre en cause des transactions devenues définitives.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :
- les mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou
droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés »
figurant au paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts, dans
sa rédaction issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- les mots « ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 12,5 % des biens ou
droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés »
figurant au paragraphe IV bis de l'article 1736 du code général des impôts, dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la
lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 19 de cette décision.
Article 3. - Le reste des dispositions du paragraphe IV bis de l'article 1736 du
code général des impôts, dans ses rédactions, d'une part, issue de la loi n°
2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 et, d'autre
part, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière, est conforme à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 décembre 2016
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 6362-7-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1437
du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle
tout au long de la vie.
Ces dispositions sont relatives au contrôle du respect par les employeurs et les
prestataires d'actions de formation de certaines de leurs obligations en matière
de formation professionnelle continue.
En application des articles L. 6361-1 et L. 6361-2 du code du travail, l'État
exerce ainsi auprès des employeurs et des organismes prestataires d'actions de
formation un contrôle administratif et financier sur les actions conduites en
matière de formation professionnelle continue. Aux termes des articles L. 6362-4
et L. 6362-6 du même code, si les employeurs ou les organismes prestataires
d'actions de formation ne peuvent justifier de la réalité des actions de
formation conduites, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et
donnent lieu à remboursement de l'organisme ou de la collectivité qui les a
financées pour les premiers, du cocontractant pour les seconds.
En application du premier alinéa de l'article L. 6362-7-1 du code du travail
contesté, ces remboursements interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour
faire valoir ses observations sur les résultats du contrôle. Selon le second
alinéa de cet article L. 6362-7-1, en cas de non-respect de cette obligation, la
personne objet du contrôle est tenue de verser au Trésor public, par décision de
l'autorité administrative, une somme équivalente aux remboursements non
effectués.
Le Conseil constitutionnel a estimé que ce second alinéa institue donc une
sanction ayant le caractère d'une punition et s'est d'abord prononcé sur sa
conformité aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Sur ce point, il a relevé, d'une part, que la sanction contestée réprime le
défaut de remboursement des sommes versées pour financer des actions de
formation professionnelle continue n'ayant pas été exécutées. En assurant ainsi
l'effectivité du remboursement, y compris lorsque le créancier ne réclame pas ce
remboursement, le législateur a entendu garantir la bonne exécution des actions
de formation professionnelle continue. Le Conseil a considéré, d'autre part,
qu'en instituant une amende d'un montant égal aux sommes non remboursées, le
législateur a, s'agissant d'un manquement à une obligation de restituer des
fonds, instauré une sanction dont la nature présente un lien avec celle de
l'infraction. Le Conseil a toutefois formulé ici une réserve d'interprétation
selon laquelle les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le
principe de proportionnalité des peines, être interprétées comme permettant de
sanctionner un défaut de remboursement lorsqu'il s'avère que les sommes ne sont
pas dues. Le Conseil a jugé que, sous cette réserve, les dispositions contestées
ne méconnaissent pas les principes de nécessité et de proportionnalité des
peines.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé que les dispositions contestées ne
méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines pour les raisons
suivantes.
D'une part, la décision de sanction doit être prise en tenant compte des
observations de l'intéressé. D'autre part, la loi elle-même a assuré la
modulation de la peine en fonction de la gravité des comportements réprimés en
prévoyant que la somme versée au Trésor public est égale aux sommes non
remboursées. Enfin, saisi de la sanction prononcée, le juge peut, après avoir
exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par
l'administration, annuler la décision prononçant la sanction en tant qu'elle
oblige à verser une telle somme. Il peut ainsi proportionner la sanction aux
montants réellement dus.
Sous la réserve indiquée plus haut, le Conseil constitutionnel a en conséquence
jugé conforme à la Constitution l'article L. 6362-7-1 du code du travail dans sa
version contestée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 403559 du 9 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Segula Matra Automotive par Me Cyril Parlant, avocat au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-619 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 6362-7-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la
formation professionnelle tout au long de la vie ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Parlant,
enregistrées le 27 janvier 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17
janvier 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société All Technics
Communication par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, enregistrées le 17 janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Parlant, pour la société requérante, Me François Pinatel,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société
intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 7 mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 6362-7-1 du code du travail, dans sa
rédaction issue de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas de contrôle, les remboursements mentionnés aux articles L. 6362-4 et L.
6362-6 interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses
observations.
« À défaut, l'intéressé verse au Trésor public, par décision de l'autorité
administrative, une somme équivalente aux remboursements non effectués ».
2. La société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent les principes de nécessité et d'individualisation des peines qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors qu'elles instituent une punition ayant un caractère automatique. Par ailleurs, en ne prévoyant aucune procédure contradictoire préalable à cette sanction, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant directement les droits de la défense. Enfin, ces dispositions entraîneraient une privation inconstitutionnelle du droit de propriété. La partie intervenante soutient également que les dispositions contestées contreviennent au principe de nécessité et d'individualisation des peines ainsi qu'aux droits de la défense. Elle dénonce au surplus une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines :
3. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
4. En application des articles L. 6361-1 et L. 6361-2 du code du travail, l'État exerce auprès des employeurs et des organismes prestataires d'actions de formation un contrôle administratif et financier sur les actions conduites en matière de formation professionnelle continue. Aux termes des articles L. 6362-4 et L. 6362-6 du même code, si les employeurs ou les organismes prestataires d'actions de formation ne peuvent justifier de la réalité des actions de formation conduites, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement de l'organisme ou de la collectivité qui les a financées pour les premiers, du cocontractant pour les seconds.
5. En application du premier alinéa de l'article L. 6362-7-1 du code du travail, ces remboursements interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses observations sur les résultats du contrôle. Selon le second alinéa de l'article L. 6362-7-1, en cas de non-respect de cette obligation, la personne objet du contrôle est tenue de verser au Trésor public, par décision de l'autorité administrative, une somme équivalente aux remboursements non effectués. Ce second alinéa institue donc une sanction ayant le caractère d'une punition.
6. En premier lieu, d'une part, la sanction contestée réprime le défaut de remboursement des sommes versées pour financer des actions de formation professionnelle continue n'ayant pas été exécutées. En assurant ainsi l'effectivité du remboursement, y compris lorsque le créancier ne réclame pas ce remboursement, le législateur a entendu garantir la bonne exécution des actions de formation professionnelle continue. D'autre part, en instituant une amende d'un montant égal aux sommes non remboursées, il a, s'agissant d'un manquement à une obligation de restituer des fonds, instauré une sanction dont la nature présente un lien avec celle de l'infraction. Cependant, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe de proportionnalité des peines, être interprétées comme permettant de sanctionner un défaut de remboursement lorsqu'il s'avère que les sommes ne sont pas dues. Sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
7. En second lieu, d'une part, la décision de sanction doit être prise en tenant compte des observations de l'intéressé. D'autre part, la loi elle-même a assuré la modulation de la peine en fonction de la gravité des comportements réprimés en prévoyant que la somme versée au Trésor public est égale aux sommes non remboursées. Enfin, saisi de la sanction prononcée, le juge peut, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, annuler la décision prononçant la sanction en tant qu'elle oblige à verser une telle somme. Il peut ainsi proportionner la sanction aux montants réellement dus. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence :
8. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Cette disposition implique notamment qu'aucune sanction ayant le caractère d'une punition ne puisse être infligée à une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés. Le principe des droits de la défense s'impose aux autorités disposant d'un pouvoir de sanction sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence.
9. En application de l'article L. 6362-10 du code du travail, les « décisions de rejet et de versement » prises par l'autorité administrative conformément aux dispositions du livre III de la sixième partie du code du travail ne peuvent intervenir que si une procédure contradictoire a été respectée. Il en résulte que le législateur a expressément organisé une procédure contradictoire préalable au prononcé de la sanction prévue au second alinéa de l'article L. 6362-7-1. Il s'ensuit que le grief tiré de l'incompétence négative manque en fait.
10. Par conséquent, sous la réserve énoncée au paragraphe 6 l'article L. 6362-7-1 du code du travail, qui ne méconnaît ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 6, l'article L. 6362-7-1 du
code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre
2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 janvier 2017 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une part, des
onzième à quatorzième alinéas de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative
à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2016
prorogeant l'application de l'état d'urgence et, d'autre part, du paragraphe II
de l'article 2 de cette même loi du 19 décembre 2016.
Ces dispositions déterminent les conditions dans lesquelles les assignations à
résidence décidées dans le cadre de l'état d'urgence peuvent être renouvelées
au-delà d'une durée totale de douze mois.
Le Conseil constitutionnel s'est d'abord prononcé sur le dispositif qui
subordonne la prolongation d'une assignation à résidence au-delà de douze mois à
une autorisation préalable du juge des référés du Conseil d'État.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions attribuent en
réalité au Conseil d'État la compétence d'autoriser, par une décision définitive
et se prononçant sur le fond, une mesure d'assignation à résidence sur la
légalité de laquelle il pourrait devoir se prononcer ultérieurement comme juge
de dernier ressort.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, dans ces conditions, la partie des
dispositions contestées qui prévoit l'autorisation préalable du Conseil d'État
pour prolonger une mesure d'assignation à résidence au-delà de douze mois
méconnait le principe d'impartialité et le droit à exercer un recours
juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel a donc procédé, sur ce
point, à une censure partielle des dispositions contestées.
Le Conseil constitutionnel a ensuite statué sur le reste des dispositions
contestées selon lesquelles, d'une part, la durée d'une mesure d'assignation à
résidence ne peut en principe excéder douze mois et, d'autre part, au-delà de
cette durée, une telle mesure ne peut être renouvelée que par période de trois
mois.
Le Conseil a formulé une triple réserve d'interprétation pour admettre qu'une
mesure d'assignation à résidence puisse ainsi être renouvelée au-delà de douze
mois par périodes de trois mois sans qu'il soit porté une atteinte excessive à
la liberté d'aller et de venir :
- d'une part, le comportement de la personne en cause doit constituer une menace
d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ;
- d'autre part, l'administration doit être en mesure de produire des éléments
nouveaux ou complémentaires de nature à justifier la prolongation de la mesure
d'assignation à résidence ;
- enfin, il doit être tenu compte, dans l'examen de la situation de la personne
concernée, de la durée totale de son placement sous assignation à résidence, des
conditions de cette mesure et des obligations complémentaires dont celle-ci a
été assortie.
La déclaration d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel prend effet à
compter du 16 mars 2017.
Par conséquent, à compter de cette date, il revient au ministre de l'intérieur
de se prononcer sur une éventuelle prolongation des mesures d'assignation à
résidence dont la durée excède celle prévue par les dispositions contestées
jugées conformes à la Constitution. Sa décision, qui doit tenir compte des
réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel, peut être
soumise, le cas échéant en référé, au contrôle du juge administratif en
application de l'article 14-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état
d'urgence.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI 20 janvier 2017 par le Conseil d'État (décision n° 406614 du 16 janvier 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sofiyan I. par Me Bruno Vinay, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-624 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des onzième à quatorzième alinéas de l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et du paragraphe II de l'article 2 de la même loi du 19 décembre 2016.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de
ses dispositions ;
- la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Vinay, enregistrées les 3
et 10 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 février
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 3 et 10 février 2017 ;
- la lettre du 22 février 2017 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis
aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
- les observations en réponse présentées pour le requérant, par Me Vinay,
enregistrées le 1er mars 2017 ;
- les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées
le 1er mars 2017 ;
- les observations en réponse présentées pour la Ligue des droits de l'homme par
la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 1er mars 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Vinay, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 mars
2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 6 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée
ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2016 mentionnée
ci-dessus détermine les conditions dans lesquelles le ministre de l'intérieur
peut assigner une personne à résidence dans le cadre de l'état d'urgence. Les
onzième à quatorzième alinéas de cet article prévoient :« La décision
d'assignation à résidence d'une personne doit être renouvelée à l'issue d'une
période de prorogation de l'état d'urgence pour continuer de produire ses
effets.
« À compter de la déclaration de l'état d'urgence et pour toute sa durée, une
même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant
à plus de douze mois.
« Le ministre de l'intérieur peut toutefois demander au juge des référés du
Conseil d'État l'autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà
de la durée mentionnée au douzième alinéa. La demande lui est adressée au plus
tôt quinze jours avant l'échéance de cette durée. Le juge des référés statue
dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative et dans un
délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine, au vu des éléments
produits par l'autorité administrative faisant apparaître les raisons sérieuses
de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace
pour la sécurité et l'ordre publics. La prolongation autorisée par le juge des
référés ne peut excéder une durée de trois mois. L'autorité administrative peut,
à tout moment, mettre fin à l'assignation à résidence ou diminuer les
obligations qui en découlent en application des dispositions du présent article.
« La demande mentionnée à l'avant-dernier alinéa peut être renouvelée dans les
mêmes conditions ».
2. Le paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016 prévoit : « Par dérogation aux quatre derniers alinéas de l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, toute personne qui, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, a été assignée à résidence plus de douze mois sur le fondement de l'état d'urgence déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 peut faire l'objet d'une nouvelle mesure d'assignation s'il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette nouvelle assignation ne peut excéder une durée de quatre-vingt-dix jours. Dans ce délai, s'il souhaite prolonger l'assignation à résidence, le ministre de l'intérieur peut saisir le Conseil d'État sur le fondement des quatre derniers alinéas de l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 précitée ».
3. Le requérant et la partie intervenante soutiennent que les dispositions contestées sont contraires à la liberté d'aller et de venir. D'une part, elles permettent qu'une assignation à résidence prononcée dans le cadre de l'état d'urgence soit prolongée au-delà d'une durée de douze mois. D'autre part, elles ne soumettraient pas la prolongation d'une mesure d'assignation à résidence à des conditions suffisamment restrictives. Ces dispositions méconnaîtraient également l'article 66 de la Constitution en ce qu'elles habilitent une autorité administrative à placer une personne sous assignation à résidence pendant plus de douze mois, ce qui constituerait une mesure privative de liberté.
4. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce qu'en prévoyant que la décision de prolonger une assignation à résidence au-delà de douze mois est prise après autorisation du juge des référés du Conseil d'État, alors même que la contestation de cette décision est susceptible de relever du contrôle juridictionnel du Conseil d'État, les dispositions contestées méconnaîtraient l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui garantit notamment le droit à un recours juridictionnel effectif.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des droits garantis par l'article 66 de la Constitution :
5. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
6. En application des neuf premiers alinéas de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 mentionnée ci-dessus, le ministre de l'intérieur peut, lorsque l'état d'urgence a été déclaré, « prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée » par le décret déclarant l'état d'urgence. Dans le cadre de cette assignation, la personne « peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ». Dans sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a déclaré ces neuf alinéas de l'article 6 conformes à la Constitution. Il a jugé que tant par leur objet que par leur portée, ces dispositions ne comportent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Toutefois, il a également jugé que la plage horaire maximale de l'astreinte à domicile dans le cadre de l'assignation à résidence, fixée à douze heures par jour, ne saurait être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, dès lors soumise aux exigences de l'article 66 de la Constitution.
7. Les dispositions contestées prévoient qu'une mesure d'assignation à résidence prononcée dans le cadre de l'état d'urgence peut, sous certaines conditions, être prolongée, au-delà d'une durée totale de douze mois, pour une durée de trois mois. Aucune limite au nombre de renouvellements d'une telle mesure n'a été fixée par le législateur. La seule prolongation dans le temps d'une mesure d'assignation à résidence ordonnée dans les conditions prévues par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 n'a toutefois pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
8. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Cette disposition garantit le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif. Les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
9. Le treizième alinéa de l'article 6 de la loi du 3 juin 1955 prévoit que le ministre de l'intérieur peut demander au juge des référés du Conseil d'État l'autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà de la durée de douze mois. Le juge statue alors dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative.
10. En premier lieu, par application des règles de droit commun fixées par le code de justice administrative, la décision de prolongation d'une mesure d'assignation à résidence prise par le ministre de l'intérieur est susceptible d'un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif ou d'une saisine du juge des référés de ce tribunal. Le jugement ou l'ordonnance rendu par ce tribunal peut ensuite, le cas échéant, faire l'objet d'un recours devant la cour administrative d'appel puis devant le Conseil d'État ou, lorsqu'il s'agit d'une procédure de référé-liberté, d'un appel devant le Conseil d'État.
11. En second lieu, d'une part, lorsqu'il statue sur le fondement des dispositions contestées, le « juge des référés » du Conseil d'État est saisi par l'autorité administrative pour déterminer si « les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l'ordre publics » sont de nature à justifier l'autorisation de renouveler une mesure d'assignation à résidence. Pour accorder ou refuser l'autorisation sollicitée, ce juge est ainsi conduit à se prononcer sur le bien fondé de la prolongation de la mesure d'assignation à résidence. Compte tenu des critères fixés par le législateur et du contrôle qu'il lui appartient d'exercer sur une mesure de police de cette nature, la décision du juge a une portée équivalente à celle susceptible d'être ultérieurement prise par le juge de l'excès de pouvoir saisi de la légalité de la mesure d'assignation à résidence. D'autre part, la décision d'autorisation ou de refus d'autorisation que prend le « juge des référés » du Conseil d'État lorsqu'il statue sur le fondement des dispositions contestées ne revêt pas un caractère provisoire. Il s'ensuit que, lorsqu'il se prononce sur le fondement de ces dispositions, le « juge des référés » du Conseil d'État statue par une décision qui excède l'office imparti au juge des référés par l'article L. 511-1 du code de justice administrative selon lequel ce juge ne peut décider que des mesures provisoires et n'est pas saisi du principal.
12. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées attribuent au Conseil d'État statuant au contentieux la compétence d'autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d'assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort. Dans ces conditions, ces dispositions méconnaissent le principe d'impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif. Ainsi, les mots « demander au juge des référés du Conseil d'État l'autorisation de » figurant à la première phrase du treizième alinéa de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, les deuxième et troisième phrases du même alinéa ainsi que les mots « autorisée par le juge des référés » figurant à la quatrième phrase de cet alinéa doivent être déclarés contraires à la Constitution. Par voie de conséquence, la dernière phrase du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016 doit également être déclarée contraire à la Constitution.
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir :
13. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figure la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
14. Le douzième alinéa de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 prévoit qu'une assignation à résidence prononcée par l'autorité administrative dans le cadre de l'état d'urgence peut être d'une durée de douze mois. Il résulte des dispositions non déclarées contraires à la Constitution du treizième alinéa et du quatorzième alinéa que, au-delà de cette durée, elle peut être prolongée pour trois mois de manière renouvelée par cette même autorité. Les deux premières phrases du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016 autorisent, à titre transitoire, le prononcé d'une nouvelle mesure d'assignation d'une durée maximum de quatre-vingt-dix jours. Ces dispositions portent atteinte à la liberté d'aller et de venir.
15. En premier lieu, l'assignation à résidence ne peut être prononcée ou renouvelée que lorsque l'état d'urgence a été déclaré. Celui-ci ne peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, qu'« en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou « en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Ne peut être soumise à une telle assignation que la personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence et à l'égard de laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».
16. En deuxième lieu, en vertu de l'article 14 de la loi du 3 avril 1955, la mesure d'assignation à résidence prise en application de cette loi cesse au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence. L'état d'urgence, déclaré par décret en conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée. Cette durée ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Enfin, en application du onzième alinéa de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, à l'issue d'une prorogation de l'état d'urgence, les mesures d'assignation à résidence prises antérieurement doivent être renouvelées pour continuer à produire leurs effets.
17. En troisième lieu, la durée d'une mesure d'assignation à résidence ne peut en principe excéder douze mois, consécutifs ou non. Au-delà de cette durée, une telle mesure ne peut être renouvelée que par périodes de trois mois. Par ailleurs, au-delà de douze mois, une mesure d'assignation à résidence ne saurait, sans porter une atteinte excessive à la liberté d'aller et de venir, être renouvelée que sous réserve, d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie.
18. En quatrième lieu, la durée de la mesure d'assignation à résidence doit être justifiée et proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
19. Sous les réserves énoncées au paragraphe 17, les dispositions contestées, autres que celles déclarées inconstitutionnelles au paragraphe 12, ne sont pas contraires à la liberté d'aller et de venir. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous ces mêmes réserves, être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
20. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
21. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :
- les mots « demander au juge des référés du Conseil d'État l'autorisation de »
figurant à la première phrase du treizième alinéa de l'article 6 de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant
de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, les deuxième et troisième
phrases du même alinéa ainsi que les mots « autorisée par le juge des référés »
figurant à la quatrième phrase de cet alinéa ;
- la dernière phrase du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 21 de cette décision.
Article 3. - Sous les réserves énoncées au paragraphe 17, sont conformes à la
Constitution :
- les onzième, douzième, quatorzième alinéas et les autres dispositions du
treizième alinéa de l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à
l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1767 du 19
décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l'état d'urgence ;
- les autres dispositions du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 19 décembre 2016.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 404690 du 23 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société EDI-TV par Me Éric Meier, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-620 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires » figurant à la première phrase du paragraphe II de l'article 302 bis KG du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de
l'audiovisuel public ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Meier,
enregistrées les 3 et 10 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23
janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Meier, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 21 mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été posée à l'occasion d'une requête tendant à la restitution de la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision due au titre de l'année 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires » figurant à la première phrase du paragraphe II de l'article 302 bis KG du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 novembre 2013 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 302 bis KG du code général des impôts, dans cette rédaction, institue une taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision due par tout éditeur de services de télévision établi en France. Son paragraphe II prévoit que cette taxe est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des sommes versées par les annonceurs pour la diffusion de leurs messages publicitaires, aux éditeurs de services de télévision « ou aux régisseurs de messages publicitaires ».
3. La société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, au motif que la taxe à laquelle elles soumettent les éditeurs de services de télévision est en partie assise sur des sommes perçues par des tiers, les régisseurs de messages publicitaires. Cette taxe serait ainsi établie sans tenir compte des facultés contributives de ses redevables.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.
6. Les dispositions contestées incluent dans l'assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les sommes versées par les annonceurs aux régisseurs de messages publicitaires. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas.
7. En posant le principe de l'assujettissement, dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, des éditeurs de services de télévision au paiement d'une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789.
8. Par conséquent, les mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires » figurant à la première phrase du paragraphe II de l'article 302 bis KG du code général des impôts doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Toutefois, elle ne peut être invoquée à l'encontre des impositions qui n'ont pas été contestées avant cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires » figurant
à la première phrase du paragraphe II de l'article 302 bis KG du code général
des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre
2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, sont contraires à la
Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 10 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 404240 du 28 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Le Clos Teddi et La Cave Lazzarini par la SCP Tomasi, Santini, Vaccarezza, Bronzini de Caraffa, Taboureau, avocat au barreau de Bastia. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-621 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par Me Angeline
Tomasi, avocat au barreau de Bastia, enregistrées le 6 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23
janvier 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Benoît Bronzini de Caraffa, avocat au barreau de Bastia,
pour les sociétés requérantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 21 mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa
rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit
:« Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son
encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance
des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque
travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le
montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées
par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire
du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en
cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur
des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à
l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il
peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois
ce même taux.
« L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater
et de liquider cette contribution.
« Elle est recouvrée par l'État comme en matière de créances étrangères à
l'impôt et au domaine.
« Les sommes recouvrées par l'État pour le compte de l'Office français de
l'immigration et de l'intégration lui sont reversées dans la limite du plafond
fixé au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances
pour 2012. L'État prélève 4 % des sommes reversées au titre des frais de
recouvrement ».
2. Les sociétés requérantes soutiennent que ces dispositions, qui n'excluent pas leur application cumulative avec celles de l'article L. 8256-2 du code du travail et permettent ainsi qu'un employeur soit poursuivi et sanctionné deux fois pour les mêmes faits, sont contraires aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article L. 8253-1 du code du travail.
4. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
5. L'article L. 8253-1 du code du travail oblige l'employeur d'un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France à acquitter une contribution spéciale, dont le montant est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du salaire minimum garanti. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux.
6. L'article L. 8256-2 du code du travail punit ces mêmes faits d'une peine d'emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros. Ces peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée. Les personnes morales encourent le quintuple de l'amende. Par ailleurs, en vertu des articles L. 8256-3 et L. 8256-7 du même code, la peine peut être assortie de peines complémentaires, comme l'interdiction d'exercer pour une durée de cinq ans au plus, l'exclusion des marchés publics, la confiscation ainsi que, pour les personnes morales, la dissolution.
7. Les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées contre l'employeur d'étrangers non autorisés à travailler, sur le fondement des dispositions contestées et de l'article L. 8256-2 du code du travail, sont comparables dans leur montant. En revanche, le juge pénal peut condamner l'auteur d'une telle infraction à une peine d'emprisonnement ou, s'il s'agit d'une personne morale, à une peine de dissolution, ainsi qu'à plusieurs peines complémentaires. Il résulte de ce qui précède que les faits prévus et réprimés par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines doit donc être écarté.
8. Le premier alinéa de l'article L. 8253-1 du code du
travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances
pour 2013, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 décembre 2016 par le Conseil d'État (décision n° 403900 du 28 décembre 2016), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société SNF par Me Anne-Cécile Vivien, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-622 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article L. 2333-70 du code général des collectivités territoriales.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Pierre Ricard,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 1er février
2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23
janvier 2017 ;
- les observations présentées pour la communauté urbaine de Saint-Étienne
Métropole, partie en défense, par Me Philippe Petit, avocat au barreau de Lyon,
enregistrées le 16 mars 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ricard, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 21 mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige portant sur la délibération de la communauté d'agglomération de Saint-Étienne Métropole du 11 juillet 2013 instituant le versement destiné aux transports. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du paragraphe I de l'article L. 2333-70 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe I de l'article L. 2333-70 du code général
des collectivités territoriales, dans cette rédaction, prévoit :« Le produit de
la taxe est versé au budget de la commune ou de l'établissement public qui
rembourse les versements effectués :
« 1° Aux employeurs qui justifient avoir assuré le logement permanent sur les
lieux de travail ou effectué intégralement et à titre gratuit le transport
collectif de tous leurs salariés, ou de certains d'entre eux au prorata des
effectifs transportés ou logés par rapport à l'effectif total ;
« 2° Aux employeurs, pour les salariés employés à l'intérieur des périmètres
d'urbanisation des villes nouvelles ou de certaines zones d'activité
industrielle ou commerciale, prévues aux documents d'urbanisation, lorsque ces
périmètres ou ces zones sont désignés par la délibération mentionnée à l'article
L. 2333-66 ».
3. La société requérante soutient que les dispositions du 1° du paragraphe I méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. En effet, elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les employeurs autorisés à assurer le transport collectif de leurs salariés jusqu'à leur lieu de travail et ceux qui, notamment en raison d'un plan de prévention des risques technologiques, ne le seraient pas. Par ailleurs, selon la société requérante, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques en ne fixant pas, au 2°, les conditions auxquelles est subordonné le remboursement du versement destiné aux transports lorsque les salariés sont employés à l'intérieur des périmètres d'urbanisation des villes nouvelles ou de certaines zones d'activité industrielle ou commerciale.
4. Le versement destiné aux transports est une imposition instituée de manière facultative par les communes ou leurs groupements, situés hors de l'Île-de-France, dont la population excède un seuil déterminé par la loi. Cette imposition, qui vise à soutenir l'investissement et le fonctionnement des transports collectifs urbains, s'applique aux personnes employant plus de neuf salariés. Son assiette est constituée par les salaires versés.
5. Le paragraphe I de l'article L. 2333-70 prévoit le remboursement de cette imposition aux employeurs, dans deux cas. Son 1° institue un remboursement de plein droit, subordonné à la condition que l'employeur ait assuré le logement permanent sur le lieu de travail ou qu'il ait effectué intégralement et à titre gratuit le transport collectif de tout ou partie de ses salariés. Son 2° permet aux communes ou à leurs groupements de procéder à ce remboursement lorsque les salariés sont employés à l'intérieur des périmètres d'urbanisation des villes nouvelles ou de certaines zones d'activité industrielle ou commerciale, désignés dans la délibération instituant le versement destiné aux transports.
- Sur le 1° du paragraphe I de l'article L. 2333-70 :
6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
8. La différence de traitement qui résulte des dispositions du 1° du paragraphe I de l'article L. 2333-70 est fondée sur la différence de situation existant entre, d'une part, les employeurs qui organisent le logement de leurs salariés sur le lieu de travail ou qui prennent en charge intégralement et à titre gratuit leur transport collectif et, d'autre part, ceux qui ne supportent aucune de ces charges. En instituant cette différence de traitement, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels, en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui est de tenir compte du fait que certains salariés n'ont pas à utiliser les transports publics collectifs, grâce à la politique conduite par leurs employeurs. Par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
- Sur le 2° du paragraphe I de l'article L. 2333-70 :
9. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
10. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures... ». Aux termes du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine ». La méconnaissance par le législateur de sa compétence dans la détermination de l'assiette d'une imposition perçue au profit des collectivités territoriales ou leurs groupements, lorsqu'elle leur permet de fixer cette assiette contribuable par contribuable, affecte par elle-même le principe d'égalité devant les charges publiques.
11. D'une part, les zones dans lesquelles les communes ou leurs groupements peuvent, en application du 2°, accorder le remboursement du versement destiné aux transports, correspondent soit aux périmètres d'urbanisation des villes nouvelles arrêtés par le préfet, soit aux zones d'activité industrielle ou commerciale définies dans les documents d'urbanisme en fonction des choix d'aménagement des communes ou de leurs groupements. D'autre part, les communes ou leurs groupements ne peuvent, au sein d'un périmètre ou d'une zone, discriminer entre les employeurs répondant aux mêmes conditions légales. Les dispositions contestées n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de permettre aux communes ou à leurs groupements de fixer l'assiette de l'impôt contribuable par contribuable. Par suite, le grief tiré de l'incompétence négative du législateur doit être écarté.
12. Les dispositions du paragraphe I de l'article L. 2333-70 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le paragraphe I de l'article L. 2333-70 du code général des
collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674
du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2017 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers
alinéas de l'article L. 1453-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de la
loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances
économiques.
Le défenseur syndical a pour fonction d'assister ou de représenter le salarié ou
l'employeur devant le conseil de prud'hommes et la cour d'appel en matière
prud'homale.
Était contestée, sur le fondement du principe d'égalité devant la justice,
l'insuffisance des obligations de confidentialité pesant sur le défenseur
syndical.
Après avoir rappelé les dispositions législatives encadrant le secret
professionnel auquel sont tenus les avocats, le Conseil constitutionnel a relevé
les obligations incombant au défenseur syndical.
D'une part, les dispositions contestées le soumettent à une obligation de secret
professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication.
Elles lui imposent également une obligation de discrétion à l'égard des
informations ayant un caractère confidentiel et présentées comme telles par la
personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre
d'une négociation.
D'autre part, tout manquement du défenseur syndical à ses obligations de secret
professionnel et de discrétion peut entraîner sa radiation de la liste des
défenseurs syndicaux par l'autorité administrative. En outre, l'article 226-13
du code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la
révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est
dépositaire soit par son état ou par profession, soit en raison d'une fonction
ou d'une mission temporaire.
Le Conseil constitutionnel en a conclu que sont assurées aux parties, qu'elles
soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, des garanties
équivalentes quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des
droits des parties.
Ainsi, en dépit des différences statutaires entre avocats et défenseurs
syndicaux, le législateur avait prévu des garanties équivalentes en faveur des
justiciables se faisant représenter ou assister par un défenseur syndical.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution les deux
premiers alinéas de l'article L. 1453-8 du code du travail, dans sa rédaction
issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 janvier 2017 par le Conseil d'État (décision n° 401742 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le Conseil national des barreaux par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-623 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 1453-4 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, du 20° du paragraphe I de l'article 258 de la même loi et des articles L. 1453-5, L. 1453-6, L. 1453-7, L. 1453-8 et L. 1453-9, du 19° de l'article L. 2411-1, de l'article L. 2411-24, du 15° de l'article L. 2412-1, de l'article L. 2412-15, du 15° de l'article L. 2413-1, du 12° de l'article L. 2414-1, du 6° de l'article L. 2421-2 et de l'article L. 2439-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la même loi.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code du travail ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité
des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Le Prado, enregistrées
les 9 et 24 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 9 et 24
février 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Cedyo par Me Henri
Christophe, avocat au barreau de Roanne, enregistrées le 27 janvier 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Pierre-François ROUSSEAU
par Me Charles Cuny, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 8 février 2017
;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Le Prado, pour le requérant, Mes Christophe et Cuny, pour
les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 28 mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 1453-4 du code du travail, dans sa
rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Un défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation
devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale.
« Il est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur
proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au
niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au
moins une branche, dans des conditions définies par décret ».
2. Le 20° du paragraphe I de l'article 258 de la loi du 6
août 2015 prévoit :
« L'article L. 1453-2 est ainsi modifié :
« a) Au premier alinéa, les mots : « la section ou, lorsque celle-ci est divisée
en chambres, devant la chambre à laquelle » sont remplacés par les mots : « le
conseil de prud'hommes auquel » ;
« b) Le second alinéa est supprimé ».
3. L'article L. 1453-5 du code du travail, dans sa
rédaction issue de la loi du 6 août 2015, prévoit :
« Dans les établissements d'au moins onze salariés, le défenseur syndical
dispose du temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions, dans la limite de dix
heures par mois ».
4. L'article L. 1453-6 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« Le temps passé par le défenseur syndical hors de l'entreprise pendant les
heures de travail pour l'exercice de sa mission est assimilé à une durée de
travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés et du droit
aux prestations d'assurances sociales et aux prestations familiales ainsi qu'au
regard de tous les droits que le salarié tient du fait de son ancienneté dans
l'entreprise.
« Ces absences sont rémunérées par l'employeur et n'entraînent aucune diminution
des rémunérations et avantages correspondants.
« Les employeurs sont remboursés par l'État des salaires maintenus pendant les
absences du défenseur syndical pour l'exercice de sa mission ainsi que des
avantages et des charges sociales correspondants.
« Un décret détermine les modalités d'indemnisation du défenseur syndical qui
exerce son activité professionnelle en dehors de tout établissement ou qui
dépend de plusieurs employeurs ».
5. L'article L. 1453-7 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« L'employeur accorde au défenseur syndical, à la demande de ce dernier, des
autorisations d'absence pour les besoins de sa formation. Ces autorisations sont
délivrées dans la limite de deux semaines par période de quatre ans suivant la
publication de la liste des défenseurs syndicaux sur laquelle il est inscrit.
« L'article L. 3142-12 est applicable à ces autorisations. Ces absences sont
rémunérées par l'employeur. Elles sont admises au titre de la participation des
employeurs au financement de la formation professionnelle, dans les conditions
prévues à l'article L. 6331-1 ».
6. L'article L. 1453-8 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« Le défenseur syndical est tenu au secret professionnel pour toutes les
questions relatives aux procédés de fabrication.
« Il est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations
présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne
qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une
négociation.
« Toute méconnaissance de ces obligations peut entraîner la radiation de
l'intéressé de la liste des défenseurs syndicaux par l'autorité administrative
».
7. L'article L. 1453-9 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« L'exercice de la mission de défenseur syndical ne peut être une cause de
sanction disciplinaire ou de rupture du contrat de travail.
« Le licenciement du défenseur syndical est soumis à la procédure d'autorisation
administrative prévue au livre IV de la deuxième partie ».
8. Le 19° de l'article L. 2411-1 du même code, dans cette même rédaction, prévoit que la protection contre le licenciement applicable aux salariés protégés bénéficie au :« Défenseur syndical mentionné à l'article L. 1453-4 ».
9. L'article L. 2411-24 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« Le licenciement du défenseur syndical ne peut intervenir qu'après autorisation
de l'inspecteur du travail ».
10. Le 15° de l'article L. 2412-1 du même code, dans cette même rédaction, prévoit que la protection en cas de rupture d'un contrat à durée déterminée applicable aux salariés protégés bénéficie au :« Défenseur syndical mentionné à l'article L. 1453-4 ».
11. L'article L. 2412-15 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« La rupture du contrat de travail à durée déterminée d'un défenseur syndical
avant son terme, en raison d'une faute grave ou de l'inaptitude constatée par le
médecin du travail, ou à l'arrivée du terme, lorsque l'employeur n'envisage pas
de renouveler un contrat comportant une clause de renouvellement, ne peut
intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ».
12. Le 15° de l'article L. 2413-1 du même code, dans cette même rédaction, prévoit que l'interruption ou la notification du non-renouvellement de la mission d'un salarié temporaire par l'entrepreneur de travail temporaire ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsque le salarié est investi d'un mandat de :« Défenseur syndical mentionné à l'article L. 1453-4 ».
13. Le 12° de l'article L. 2414-1 du même code, dans cette même rédaction, prévoit que le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu'il est investi d'un mandat de :« Défenseur syndical mentionné à l'article L. 1453-4 ».
14. Le 6° de l'article L. 2421-2 du même code, dans cette même rédaction, prévoit que la procédure de licenciement applicable au délégué syndical, au salarié mandaté et au conseiller du salarié s'applique également au salarié investi d'un mandat de :« Défenseur syndical mentionné à l'article L. 1453-4 ».
15. L'article L. 2439-1 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit :
« Le fait de rompre le contrat de travail d'un salarié inscrit sur la liste
arrêtée par l'autorité administrative mentionnée à l'article L. 1453-4, en
méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation
administrative prévues au présent livre, est puni d'un emprisonnement d'un an et
d'une amende de 3 750 €.
« Le fait de transférer le contrat de travail d'un salarié mentionné au premier
alinéa du présent article dans le cadre d'un transfert partiel d'entreprise ou
d'établissement, en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure
d'autorisation administrative, est puni des mêmes peines ».
16. Le requérant soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la justice au motif que le défenseur syndical ne présente pas des garanties de confidentialité aussi protectrices pour le justiciable que celles auxquelles sont tenus les avocats. Alors que ces derniers sont soumis à une obligation de secret professionnel s'étendant à l'ensemble des échanges et des correspondances avec leur client, le défenseur syndical est uniquement tenu à une obligation de secret professionnel limitée aux procédés de fabrication, ainsi qu'à une simple obligation de discrétion restreinte à certaines informations. Dès lors qu'en matière prud'homale la représentation des parties est obligatoire en appel, soit par un avocat, soit par un défenseur syndical, l'égalité entre les justiciables serait ainsi méconnue.
17. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deux premiers alinéas de l'article L. 1453-8 du code du travail.
18. Les parties intervenantes sont fondées à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où leur intervention porte sur les deux premiers alinéas de cet article. Elles soutiennent, pour les mêmes raisons que le requérant, que ces dispositions contreviennent au principe d'égalité devant la justice.
19. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». L'article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.
20. En premier lieu, l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus prévoit que l'avocat est soumis au secret professionnel en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense. Cette obligation s'étend aux consultations adressées par un avocat à son client, aux correspondances échangées avec ce dernier ou avec un autre confrère, excepté celles qui portent la mention « officielle », ainsi qu'aux notes d'entretien et à toutes les pièces du dossier.
21. En second lieu, d'une part, le défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. Les dispositions contestées le soumettent à une obligation de secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. Elles lui imposent également une obligation de discrétion à l'égard des informations ayant un caractère confidentiel et présentées comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation.
22. D'autre part, tout manquement du défenseur syndical à ses obligations de secret professionnel et de discrétion peut entraîner sa radiation de la liste des défenseurs syndicaux par l'autorité administrative. En outre, l'article 226-13 du code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire.
23. Il en résulte que sont assurées aux parties, qu'elles soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, des garanties équivalentes quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties.
24. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit donc être écarté. Les deux premiers alinéas de l'article L. 1453-8 du code du travail, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les deux premiers alinéas de l'article L. 1453-8 du code du
travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la
croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, sont conformes à la
Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 avril 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 janvier 2017 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
421-2-6 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-1353 du 13
novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme, et de l'article 421-5 du même code.
Ces dispositions répriment de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros
d'amende l' « entreprise individuelle de terrorisme ».
Ce délit n'est constitué que si plusieurs éléments sont réunis.
D'une part, la personne doit préparer la commission d'une infraction grave
(atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne, enlèvement,
séquestration, destruction par substances explosives ou incendiaires ...). En
outre, cette préparation doit être intentionnellement en relation avec une
entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par
l'intimidation ou la terreur.
D'autre part, cette préparation doit être caractérisée par la réunion de deux
faits matériels. La personne doit, selon le texte contesté, détenir, rechercher,
se procurer ou fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un
danger pour autrui. Elle doit également avoir commis certains faits énumérés par
les dispositions contestées : se renseigner sur des cibles potentielles,
s'entraîner ou se former au maniement des armes, consulter habituellement des
sites internet terroristes ...
Le Conseil constitutionnel a, en premier lieu, considéré que ce délit est
suffisamment défini par les dispositions contestées. Il a, par conséquent, jugé
que celles-ci ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des
peines.
Le Conseil constitutionnel a, en deuxième lieu, statué sur la conformité des
dispositions contestées au principe de nécessité des délits et des peines.
Il a, sur ce point, précisé sa jurisprudence, formulé une réserve
d'interprétation et procédé à une censure partielle.
Le Conseil constitutionnel a d'abord précisé, dans un paragraphe de principe de
sa décision, que le législateur ne saurait, sans méconnaître le principe de
nécessité des délits et des peines, réprimer la seule intention délictueuse ou
criminelle.
Ensuite, après avoir rappelé que les dispositions contestées s'appliquent à des
actes préparatoires à la commission d'une infraction à la personne humaine et
s'inscrivant dans une volonté terroriste, le Conseil constitutionnel a ensuite
formulé une réserve d'interprétation. Il a jugé que la preuve de l'intention de
l'auteur des faits de préparer une infraction en relation avec une entreprise
individuelle terroriste ne saurait résulter des seuls faits matériels retenus
par le texte contesté comme actes préparatoires. Ces faits matériels doivent
corroborer cette intention qui doit être, par ailleurs, établie.
Enfin, le Conseil constitutionnel a procédé à une censure partielle. Il a jugé
qu'en retenant au titre des faits matériels pouvant constituer un acte
préparatoire le fait de « rechercher » des objets ou des substances de nature à
créer un danger pour autrui, sans circonscrire les actes pouvant constituer une
telle recherche dans le cadre d'une entreprise individuelle terroriste, le
législateur a permis que soient réprimés des actes ne matérialisant pas, en
eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction.
Le Conseil constitutionnel a donc censuré les mots « de rechercher » figurant à
l'article 421-2-6. En revanche, eu égard à la gravité particulière que revêtent
par nature les actes de terrorisme, il a jugé le reste de cet article conforme à
la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a, en dernier lieu, jugé que la peine de dix ans
d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende n'est pas manifestement
disproportionnée s'agissant de la préparation d'actes susceptibles de constituer
des atteintes à la personne humaine en relation avec une entreprise individuelle
ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la
terreur.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 janvier 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 347 du 25 janvier 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Amadou S. par Me Michaël Bendavid, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-625 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 421-2-6 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et de l'article 421-5 du même code.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives
à la lutte contre le terrorisme ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 86-213 DC du 3 septembre 1986 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bendavid, enregistrées
les 21 février et 8 mars 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21
février 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 21 février et 8 mars 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bendavid, pour le requérant, Me François Sureau, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 28
mars 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors de poursuites pénales pour des faits commis en 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 421-5 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi du 13 novembre 2014 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 421-2-6 du code pénal, dans sa rédaction
issue de la loi du 13 novembre 2014, prévoit :
« I. - Constitue un acte de terrorisme le fait de préparer la commission d'une
des infractions mentionnées au II, dès lors que la préparation de ladite
infraction est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle
ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la
terreur et qu'elle est caractérisée par :
« 1° Le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des
objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ;
« 2° Et l'un des autres faits matériels suivants :
« a) Recueillir des renseignements sur des lieux ou des personnes permettant de
mener une action dans ces lieux ou de porter atteinte à ces personnes ou exercer
une surveillance sur ces lieux ou ces personnes ;
« b) S'entraîner ou se former au maniement des armes ou à toute forme de combat,
à la fabrication ou à l'utilisation de substances explosives, incendiaires,
nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques ou au pilotage d'aéronefs ou
à la conduite de navires ;
« c) Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au
public en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission
d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie ;
« d) Avoir séjourné à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements
terroristes.
« II. - Le I s'applique à la préparation de la commission des infractions
suivantes :
« 1° Soit un des actes de terrorisme mentionnés au 1° de l'article 421-1 ;
« 2° Soit un des actes de terrorisme mentionnés au 2° du même article 421-1,
lorsque l'acte préparé consiste en des destructions, dégradations ou
détériorations par substances explosives ou incendiaires devant être réalisées
dans des circonstances de temps ou de lieu susceptibles d'entraîner des
atteintes à l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes ;
« 3° Soit un des actes de terrorisme mentionnés à l'article 421-2, lorsque
l'acte préparé est susceptible d'entraîner des atteintes à l'intégrité physique
d'une ou plusieurs personnes ».
3. L'article 421-5 du code pénal, dans cette même
rédaction, prévoit :
« Les actes de terrorisme définis aux articles 421-2-1 et 421-2-2 sont punis de
dix ans d'emprisonnement et de 225 000 euros d'amende.
« Le fait de diriger ou d'organiser le groupement ou l'entente défini à
l'article 421-2-1 est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 500 000
euros d'amende.
« La tentative du délit défini à l'article 421-2-2 est punie des mêmes peines.
« L'acte de terrorisme défini à l'article 421-2-6 est puni de dix ans
d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.
« Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté
sont applicables aux infractions prévues par le présent article ».
4. Le requérant et l'association intervenante soutiennent que ces dispositions, qui instituent le délit d'« entreprise individuelle terroriste », méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines dès lors que ses éléments constitutifs ne seraient pas définis de manière précise et qu'ils incrimineraient de très nombreux comportements. Selon eux, ces dispositions contreviendraient également au principe de nécessité des délits et des peines dans la mesure où, d'une part, le législateur réprime des faits qui ne seraient pas susceptibles de conduire à la commission d'actes de terrorisme et où, d'autre part, l'infraction contestée sanctionnerait seulement une intention. Enfin, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l'article 421-2-6 du code pénal et sur le quatrième alinéa de l'article 421-5 du même code.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :
6. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.
7. Les dispositions contestées répriment le fait de préparer, de manière individuelle, la commission d'un acte terroriste. Ce délit est constitué dès lors que plusieurs éléments sont réunis.
8. D'une part, la personne doit préparer la commission d'une des infractions suivantes : une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne, un enlèvement, une séquestration ou un détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du code pénal ; une destruction, dégradation ou détérioration d'un bien, par substances explosives ou incendiaires, lorsqu'elle est réalisée dans des circonstances de temps ou de lieu susceptibles d'entraîner des atteintes à l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes, définie par le livre III du code pénal ; l'introduction dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, d'une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel, lorsque l'acte préparé est susceptible d'entraîner des atteintes à l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes. En outre, la préparation de la commission de cette infraction doit être intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
9. D'autre part, cette préparation doit être caractérisée par la réunion de deux faits matériels. La personne doit détenir, rechercher, se procurer ou fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui. Elle doit également avoir commis l'un des faits suivants : avoir recueilli des renseignements sur des lieux ou des personnes permettant de mener une action dans ces lieux ou de porter atteinte à ces personnes ou avoir exercé une surveillance sur ces lieux ou ces personnes ; s'entraîner ou se former au maniement des armes ou à toute forme de combat, à la fabrication ou à l'utilisation de substances explosives, incendiaires, nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques ou au pilotage d'aéronefs ou à la conduite de navires ; consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne ou détenir des documents provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie ; avoir séjourné à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes.
10. En premier lieu, d'une part, les infractions dont la commission doit être préparée pour que le délit contesté soit constitué sont clairement définies par le paragraphe II de l'article 421-2-6 et par les dispositions du code pénal auxquelles cet article renvoie. D'autre part, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 3 septembre 1986 mentionnée ci-dessus, la notion d'entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur est énoncée en des termes d'une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.
11. En second lieu, les faits matériels susceptibles de caractériser un acte préparatoire sont également définis avec suffisamment de précision pour que les comportements incriminés soient clairement identifiables.
12. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines :
13. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... ». L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Le législateur ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, réprimer la seule intention délictueuse ou criminelle.
14. En premier lieu, les dispositions contestées ne répriment ni l'exécution ni le commencement d'exécution d'un acte délictueux ou criminel mais les actes préparatoires à celui-ci.
15. Cependant, d'une part, le législateur a limité le champ du délit contesté aux actes préparatoires à la commission d'une infraction portant atteinte à la personne humaine et s'inscrivant dans une volonté terroriste.
16. D'autre part, le délit réprimé par les dispositions contestées ne peut être constitué que si plusieurs faits matériels ont été constatés et que s'il est établi que ces faits caractérisent la préparation d'une infraction à caractère terroriste. À cet égard, la preuve de l'intention de l'auteur des faits de préparer une infraction en relation avec une entreprise individuelle terroriste ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, résulter des seuls faits matériels retenus comme actes préparatoires, au titre des 1° et 2° du paragraphe I de l'article 421-2-6 du code pénal. Enfin, ces faits matériels doivent corroborer cette intention.
17. En revanche, en retenant au titre des faits matériels pouvant constituer un acte préparatoire le fait de « rechercher ... des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui », sans circonscrire les actes pouvant constituer une telle recherche dans le cadre d'une entreprise individuelle terroriste, le législateur a permis que soient réprimés des actes ne matérialisant pas, en eux-mêmes, la volonté de préparer une infraction.
18. Il résulte de ce qui précède que les mots « de rechercher, » figurant au 1° du paragraphe I de l'article 421-2-6 sont manifestement contraires au principe de nécessité des délits et des peines. Ils doivent être déclarés contraires à la Constitution. En revanche, eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme et alors même que les dispositions contestées répriment de simples actes préparatoires à la commission d'une infraction, le reste de l'article 421-2-6, sous la réserve énoncée au paragraphe 16, ne méconnaît pas le principe de nécessité des délits et des peines.
19. En second lieu, en punissant de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende la préparation d'actes susceptibles de constituer des atteintes à la personne humaine en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le législateur n'a pas institué une peine manifestement disproportionnée. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines doit être écarté.
20. Le reste de l'article 421-2-6 du code pénal, sous la réserve énoncée au paragraphe 16, et le quatrième alinéa de l'article 421-5 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
21. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
22. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de la publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « de rechercher, » figurant au 1° du paragraphe I de
l'article 421-2-6 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1353
du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 22 de cette décision.
Article 3. - Le quatrième alinéa de l'article 421-5 du code pénal dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les
dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est conforme à la
Constitution.
Article 4. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 16, les autres dispositions
de l'article 421-2-6 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n°
2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte
contre le terrorisme sont conformes à la Constitution.
Article 5. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 avril 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
DEUX DÉCISIONS DU 28 AVRIL 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 février 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 413 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société La Noé père et fils par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-626 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre III (nouveau) du code rural.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la
liquidation judiciaires des entreprises ;
- la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 relative à la partie législative du livre
III (nouveau) du code rural ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Rocheteau et
Uzan-Sarano, enregistrées le 15 février 2017 ;
- les observations présentées pour la caisse régionale de crédit agricole mutuel
Centre Loire, partie en défense, par la SCP Bertrand-Radisson-Brossas, avocat au
barreau d'Orléans, enregistrées le 23 février 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24
février 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Frédéric Rocheteau, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour la société requérante, Me Philippe Bertrand, avocat au
barreau d'Orléans, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 4 avril 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1993 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le redressement et la liquidation judiciaires des exploitations agricoles sont régis par les dispositions de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises. Pour l'application des dispositions de la loi précitée, est considérée comme agriculteur toute personne physique exerçant des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 ».
2. Selon la société requérante, ces dispositions, combinées avec celles de l'article L. 626-12 du code de commerce, créeraient une différence de traitement injustifiée quant à la durée du plan de sauvegarde applicable aux agriculteurs entre les personnes physiques et les personnes morales. Elles seraient donc contraires au principe d'égalité devant la loi.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. L'article L. 626-12 du code de commerce prévoit qu'en principe la durée du plan de sauvegarde ne peut excéder dix ans. Par exception, cette durée est portée à quinze ans lorsque « le débiteur est un agriculteur ».
6. La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime se borne à préciser dans quel sens doit être entendu le terme « agriculteur » pour l'application de la loi du 25 janvier 1985 mentionnée ci-dessus. Depuis la codification des dispositions de cette loi au livre VI du code de commerce, la définition prévue à l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime s'applique aux dispositions de ce livre, en particulier à l'article L. 626-12 mentionné ci-dessus. Cette définition ne crée, en elle-même, aucune différence de traitement entre les agriculteurs personnes physiques et les agriculteurs personnes morales. La différence de traitement alléguée par la société requérante, à supposer qu'elle existe, ne pourrait résulter que de l'article L. 626-12 du code de commerce, qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Dès lors, le grief dirigé contre la seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.
7. La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la pêche maritime, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclarée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase de l'article L. 351-8 du code rural et de la
pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993
relative à la partie législative du livre III (nouveau) du code rural, est
conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 avril 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 février 2017
par le Conseil d'État (décision n° 405102 du 8 février 2017), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société
Orange par la SCP Célice-Soltner-Texidor-Perier, avocat au Conseil d'État et à
la Cour de cassation, et par la SCP August Debouzy, avocat au barreau de Paris.
Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le
n° 2017- 627 QPC.
Il a également été saisi, le même jour, par la Cour de cassation (deuxième
chambre civile, arrêt n° 308 du 9 février 2017), dans les conditions prévues à
l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de
constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Orange par la SCP
Célice-Soltner-Texidor-Perier. Elle a été enregistrée au secrétariat général du
Conseil constitutionnel sous le n° 2017-628 QPC.
Ces questions sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la
sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre
2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale
pour 2008 ;
- les arrêts de la Cour de cassation n° 743 du 7 mai 2014 et n° 569 du 2 avril
2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP
Célice-Soltner-Texidor-Périer et Me Emmanuelle Mignon, avocat au barreau de
Paris, enregistrées les 3 et 20 mars 2017 ;
- les observations présentées pour l'union de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et d'allocations familiales d'Alsace, partie en défense, par la
SCP Gatineau-Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 1er et 16 mars 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 3 mars
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bertrand Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la société requérante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4
avril 2017 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour la société requérante par la SCP
Célice-Soltner-Texidor-Périer et Me Mignon, enregistrée le 6 avril 2017 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 7 avril
2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale institue, au profit des régimes obligatoires d'assurance maladie, une contribution patronale sur les attributions d'options de souscription ou d'achat d'actions et sur les attributions d'actions gratuites. Pour ce second type d'attribution, la contribution est due par les employeurs « sur les actions attribuées ». Le paragraphe II de cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le taux de cette contribution est fixé à 10 %. Elle est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des options ou des actions visées au I ».
3. La société requérante soutient qu'en liant l'exigibilité de la contribution patronale à la décision d'attribution d'actions gratuites, que ces actions soient ou non effectivement attribuées, ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques et porteraient atteinte au droit de propriété.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale.
5. En premier lieu, selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. La contribution prévue par l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale est due sur les actions attribuées dans les conditions prévues notamment par l'article L. 225-197-1 du code de commerce. Cet article fixe les conditions dans lesquelles les sociétés par actions peuvent procéder à une attribution d'actions gratuites au profit de leurs salariés et de certains de leurs mandataires sociaux. Sur autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, le conseil d'administration ou le directoire décide de l'attribution, désigne les bénéficiaires et définit les conditions et, le cas échéant, les critères auxquels l'attribution définitive est subordonnée. Cette attribution n'est effective que si ces conditions sont satisfaites et à l'issue d'une période d'acquisition dont la durée, qui ne peut être inférieure à deux ans, est déterminée par l'assemblée générale extraordinaire.
7. En application des dispositions contestées, la contribution patronale est exigible le mois suivant la date de la décision d'attribution des actions gratuites. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'en l'absence d'attribution effective des actions en raison de la défaillance des conditions auxquelles cette attribution était subordonnée, l'employeur n'est pas fondé à obtenir la restitution de la contribution.
8. En instituant la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l'assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale. Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir l'exigibilité de cette contribution avant l'attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, imposer l'employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l'attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
9. En second lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, « la loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
10. En prévoyant une seule date d'exigibilité, que les actions gratuites soient ou non effectivement attribuées, le législateur n'a institué aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les mots « ou des actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaissent ni le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, les mots « ou des
actions » figurant dans la seconde phrase du paragraphe II de l'article L.
137-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n°
2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008,
sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27
avril 2017 où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de
Président, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes
Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 28 avril 2017.
DEUX DÉCISIONS DU 19 MAI 2017
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 mars 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa
du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts (CGI).
La société requérante soutenait que ces dispositions traitent différemment, pour
la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des
entreprises (CVAE), les sociétés membres d'un groupe, selon que celui-ci relève
ou non du régime de l'intégration fiscale, les dispositions contestées
méconnaissent le principe d'égalité.
Après avoir constaté que les dispositions contestées opèrent la différence de
traitement contestée par la société, le Conseil constitutionnel a jugé que cette
différence pouvait être justifiée par le motif d'intérêt général consistant à
faire obstacle à des comportements d'optimisation résultant d'opérations de
restructuration.
Toutefois, le critère retenu par le législateur pour fonder la différence de
traitement n'était pas en adéquation avec l'objectif poursuivi par le texte.
Le Conseil constitutionnel a jugé que si le législateur pouvait prévoir des
modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un
groupe, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu'ils relèvent ou non
du régime de l'intégration fiscale, dès lors qu'ils peuvent tous réaliser des
opérations de restructuration susceptibles de conduire à une optimisation. Le
critère de l'option en faveur du régime de l'intégration fiscale n'était donc
pas en adéquation avec l'objet de la loi.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence déclaré contraires à la Constitution
le premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du CGI, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour
2011
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 406024 du 1er mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société FB Finance par Me Guillaume Lefebvre, avocat au barreau de Lille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-629 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante, par Me Lefebvre,
enregistrées le 23 mars 2017, et par Me Lefebvre et Me Rodolphe Mossé, avocat au
barreau de Lyon, enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 24 mars
et 10 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société de l'Hôtel de la
Cité, par Me Mossé, enregistrées le 2 mars 2017, et par Mes Lefebvre et Mossé,
enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour les sociétés Descours et
Cabaud et autres, par Me Mossé, enregistrées le 6 mars 2017, et par Mes Lefebvre
et Mossé, enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour les sociétés Thuasne
Management et autres, par Me Mossé, enregistrées le 6 mars 2017, et par Mes
Lefebvre et Mossé, enregistrées 10 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Sogea Sud Ouest
Hydraulique, par Me Laurent Chatel, avocat au barreau des Hauts-de-Seine,
enregistrées le 14 mars 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Bulteau System
Distribution, par Me Lefebvre, enregistrées le 24 mars 2017 , et par Mes
Lefebvre et Mossé, enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Holding Groupe
Bulteau, par Me Lefebvre, enregistrées le 24 mars 2017, et par Mes Lefebvre et
Mossé enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mossé, pour la société requérante et pour les sociétés de
l'Hôtel de la Cité, Descours et Cabaud, Thuasne Management, Bulteau System
Distribution, Holding Groupe Bulteau et autres, parties intervenantes, Me Chatel,
pour la société Sogea Sud Ouest Hydraulique, partie intervenante, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige relatif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2011 à 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.
2. Le premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :« Lorsqu'une société est membre d'un groupe mentionné à l'article 223 A, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe ».
3. La société requérante et les parties intervenantes soutiennent qu'en traitant différemment, pour la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les sociétés membres d'un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l'intégration fiscale, les dispositions contestées méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Serait également méconnue la garantie des droits, proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à un double titre. D'une part, les dispositions contestées s'appliqueraient de manière rétroactive aux sociétés ayant déjà opté pour le régime de l'intégration fiscale. D'autre part, elles priveraient les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré des effets qu'elles pouvaient attendre du mécanisme de dégrèvement transitoire pour la contribution économique territoriale.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. En vertu de l'article 1586 ter du code général des impôts, les personnes qui exercent une activité soumise à la cotisation foncière des entreprises et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont assujetties à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette imposition est assise sur la valeur ajoutée produite par l'entreprise et s'applique au taux de 1,5 %. Toutefois, l'entreprise peut bénéficier du dégrèvement institué par le paragraphe I de l'article 1586 quater du même code, égal à la différence entre, d'une part, le montant de la cotisation calculée au taux de 1,5 % et, d'autre part, l'application à la valeur ajoutée produite d'un taux fonction de son chiffre d'affaires. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises s'applique ainsi selon un barème progressif, qui comprend cinq tranches en fonction du chiffre d'affaires.
6. L'article 223 A du code général des impôts permet à une société, sur option, de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital.
7. Les dispositions contestées prévoient que, pour les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré au sens de cet article 223 A et dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 euros, le dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculé selon des modalités spécifiques. Dans ce cas, même si l'imposition est assise sur la valeur ajoutée de chaque société, le chiffre d'affaires à retenir pour déterminer le taux s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe.
8. Ainsi, les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la condition de détention de 95 % fixée par l'article 223 A est remplie font l'objet d'un traitement différent, selon que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale.
9. Or, en premier lieu, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est une imposition distincte de l'impôt sur les sociétés. Les modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée instituées par les dispositions contestées sont donc sans lien avec le régime de l'intégration fiscale, qui a pour objet, en matière d'impôt sur les sociétés, de compenser, au titre d'un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe. Par conséquent, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, les sociétés appartenant à un groupe sont placées, au regard de l'objet de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dans la même situation, que ce groupe relève ou non du régime de l'intégration fiscale.
10. En second lieu, en instituant des modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les sociétés membres d'un groupe fiscalement intégré, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de cette cotisation dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. Toutefois, s'il pouvait, à cet effet, prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu'ils relèvent ou non du régime de l'intégration fiscale, dès lors qu'ils peuvent tous réaliser de telles opérations de restructuration. Le critère de l'option en faveur du régime de l'intégration fiscale n'est donc pas en adéquation avec l'objet de la loi. Par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d'égalité devant la loi.
11. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
13. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date, sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le livre des procédures fiscales.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe I bis de l'article 1586 quater du
code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1657 du
29 décembre 2010 de finances pour 2011, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 mars 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 400 du 1 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Olivier D. par Me Jérôme Hercé, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-630 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 2° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques, modifiée par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011
portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre
2011 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Gaschignard, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 20 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 mars
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Richard N. et autres par
Me François Dangléhant, avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, enregistrées
les 13 mars, 20 et 28 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées par M. Bernard K., enregistrées le
14 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées par Mme Marine G., enregistrées le
23 mars 2017 ;
- les observations en intervention présentées par M. Wilfried P., enregistrées
les 24 mars et 20 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées par M. Philippe K., enregistrées
les 24 mars et 20 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées par M. Christophe-Noël O.,
enregistrées les 24 mars et 20 avril 2017 ;
- les observations en intervention présentées, pour l'Ordre des avocats de
Paris, par Me Frédéric Sicard, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 24
mars 2017 ;
- les observations en intervention présentées, pour le Conseil national des
barreaux, par Me Pascal Eydoux, avocat au barreau de Grenoble, enregistrées le
24 mars 2017 ;
- la demande de récusation et les observations présentées au soutien de cette
demande pour M. Wilfried P. et pour M. François D., par Me Dangléhant,
enregistrée le 20 avril 2017, réitérée le 27 avril 2017, et examinée par le
Conseil constitutionnel le 2 mai 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hercé, pour le requérant, Me Dangléhant, Me Anne Gréco
avocat au barreau de Paris, Me Christophe-Noël Oberdorff, avocat au barreau de
Lyon, Me Wilfried Paris, avocat au barreau de Rouen, Mes Philippe Krikorian et
Bernard Kuchukian, avocats au barreau de Marseille, et Me Sicard, pour les
parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 2 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 25 janvier 2011, mentionnées ci-dessus.
2. En vertu de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971,
dans cette rédaction, des décrets en Conseil d'État fixent les conditions
d'application du titre premier de cette loi, intitulé « Création et organisation
de la nouvelle profession d'avocat ». Le 2° de cet article prévoit que ces
décrets présentent notamment :
« Les règles de déontologie ainsi que la procédure et les sanctions
disciplinaires ».
3. Le requérant et certaines parties intervenantes soutiennent que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de légalité des peines et seraient entachées d'incompétence négative. Ils font valoir que, si ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 29 septembre 2011 visée ci-dessus, la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2014 également visée ci-dessus constituerait un changement des circonstances justifiant leur réexamen. En effet, selon eux, dans cette dernière décision, le Conseil constitutionnel aurait étendu le champ d'application du principe de légalité des peines à la matière disciplinaire, ce qui interdirait au pouvoir réglementaire de fixer les sanctions disciplinaires applicables aux avocats.
4. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
5. En premier lieu, dans sa décision du 29 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du 2° de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971. Il les a déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Le Conseil constitutionnel a notamment jugé qu'en renvoyant au décret le soin de fixer les sanctions disciplinaires applicables aux avocats, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. Or, ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
6. En second lieu, d'une part, selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le Conseil constitutionnel juge, de manière constante, et antérieurement à sa décision du 29 septembre 2011, que le principe de légalité des peines, qui découle de cet article, s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition et non aux seules peines prononcées par les juridictions répressives. En vertu de ce principe, le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, doivent fixer les sanctions ayant le caractère d'une punition en des termes suffisamment clairs et précis.
7. D'autre part, dans sa décision du 28 mars 2014, le Conseil constitutionnel a jugé que « le principe de légalité des peines impose au législateur de fixer les sanctions disciplinaires en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ». Saisi de dispositions législatives prévoyant les peines disciplinaires applicables à certaines professions réglementées, il a ainsi rappelé qu'il incombait au législateur, dans une telle hypothèse, de respecter le principe de légalité des peines.
8. Par conséquent, il ne résulte de cette décision ni une modification de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, ni une modification de la portée du principe de légalité des peines lorsqu'il s'applique à une sanction disciplinaire ayant le caractère d'une punition. Dès lors, la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2014 ne constitue pas un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées, dont le seul objet est le renvoi au pouvoir réglementaire de la compétence pour fixer les sanctions disciplinaires des avocats.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, en l'absence d'un changement des circonstances, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité relative au 2° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31
décembre 1971, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-94 du 25 janvier
2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405647 du 3 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par l'association pour la gratuité du pont de l'île d'Oléron. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-631 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 321-11 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers
départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et
modifiant le calendrier électoral ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par Me Manuel
Delamarre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le
24 mars 2017 ;
- les observations présentées pour le département de la Charente-Maritime,
partie en défense, par Me Bernard de Froment, avocat au barreau de Paris,
enregistrées les 27 mars et 12 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mars
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Delamarre, pour l'association requérante, Me de Froment,
pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 16 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 321-11 du code de l'environnement, dans sa
rédaction résultant de la loi du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus, prévoit :« À
la demande de la majorité des communes ou des groupements de communes compétents
en matière d'aménagement, d'urbanisme ou d'environnement d'une île maritime
reliée au continent par un ouvrage d'art, le conseil départemental peut
instituer un droit départemental de passage dû par les passagers de chaque
véhicule terrestre à moteur empruntant cet ouvrage entre le continent et l'île.
« Le droit mentionné au premier alinéa est établi et recouvré au profit du
département. Il peut être perçu par l'exploitant de l'ouvrage en vue du
reversement au département.
« Le montant de ce droit est fixé par le conseil départemental après accord avec
la majorité des communes et groupements de communes mentionnés au premier
alinéa.
« Le montant du droit de passage est au plus égal au produit d'un montant
forfaitaire de 20 € par un coefficient, compris entre 0,2 et 3, en fonction de
la classe du véhicule déterminée d'après sa silhouette, appréciée en tenant
compte, s'il y a lieu, de la présence d'une remorque tractée et de ses
caractéristiques techniques.
« Lorsqu'est perçu le droit départemental mentionné au premier alinéa, l'usage
de l'ouvrage d'art entre le continent et l'île peut en outre donner lieu à la
perception d'une redevance pour services rendus par le maître de l'ouvrage en
vue d'assurer le coût de son entretien et de son exploitation. Ces dispositions
sont exclusives de l'application de l'article 56 de la loi n° 96-314 du 12 avril
1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.
« Lorsqu'il y a versement d'une redevance pour services rendus, le montant du
droit départemental de passage mentionné au premier alinéa du présent article
est calculé de telle sorte que le montant total perçu, lors du passage d'un
véhicule, ne puisse excéder trois fois le montant forfaitaire mentionné au
quatrième alinéa.
« Le cas échéant, les frais de perception du droit départemental de passage et
de la redevance pour services rendus s'imputent à due concurrence sur les
produits de ceux-ci.
« La délibération du conseil départemental sur le droit de passage peut prévoir
des tarifs différents ou la gratuité, sans préjudice de la modulation éventuelle
de la redevance d'usage, selon les diverses catégories d'usagers pour tenir
compte soit d'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les espaces
naturels protégés, soit de la situation particulière de certains usagers et,
notamment, de ceux qui ont leur domicile ou leur lieu de travail dans l'île
concernée, ou leur domicile dans le département concerné, soit de
l'accomplissement d'une mission de service public.
« Le produit du droit départemental de passage est inscrit au budget du
département après déduction des coûts liés à sa perception ainsi que des coûts
liés aux opérations de gestion et de protection des espaces naturels insulaires
dont le département est le maître d'ouvrage ; les sommes correspondantes sont
destinées au financement de mesures de protection et de gestion des espaces
naturels insulaires ainsi que du développement de transports en commun
fonctionnant avec des véhicules propres, dans le cadre d'une convention conclue
entre le préfet, le conseil départemental et les communes et les groupements de
communes. La fraction du produit revenant aux communes et groupements concernés
en application de cette convention leur est reversée par le département. Les
collectivités peuvent rétrocéder tout ou partie de ces sommes aux gestionnaires
des espaces naturels protégés mentionnés au huitième alinéa, dans le cadre d'une
convention conclue à cet effet.
« Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent
article ».
2. L'association requérante soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques, au motif que les critères retenus pour moduler le montant du droit départemental de passage sur un pont reliant une île maritime au continent ne seraient ni objectifs ni rationnels au regard de la finalité de diminution de l'impact environnemental du transport routier poursuivie par le législateur. D'une part, le critère de la « silhouette » des véhicules ne permettrait pas de prendre en compte leur caractère plus ou moins polluant. D'autre part, la possibilité d'accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers ayant leur domicile ou leur lieu de travail dans l'île, à ceux ayant leur domicile dans le département ou à ceux accomplissant une mission de service public, serait dénuée de lien avec l'objectif poursuivi. L'association requérante soutient, en second lieu, que le montant du droit départemental de passage porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les quatrième et huitième alinéas de l'article L. 321-11 du code de l'environnement.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. En application du premier alinéa de l'article L. 321-11 du code de l'environnement, le conseil départemental peut, à la demande de la majorité des communes ou des groupements de communes compétents en matière d'aménagement, d'urbanisme ou d'environnement d'une île maritime reliée au continent par un ouvrage d'art, instituer un droit départemental de passage dû par les passagers de chaque véhicule terrestre à moteur empruntant cet ouvrage d'art entre le continent et l'île. En vertu du quatrième alinéa de l'article L. 321-11, le montant de ce droit est déterminé, sans pouvoir excéder soixante euros, en fonction de la silhouette du véhicule, appréciée en tenant compte, s'il y a lieu, de la présence d'une remorque tractée et de ses caractéristiques techniques. Le huitième alinéa permet d'établir des tarifs différents ou la gratuité au profit de certaines catégories d'usagers, afin de tenir compte notamment de l'accomplissement d'une mission de service public ou de la situation particulière de certains usagers, tels que ceux ayant leur domicile ou leur lieu de travail dans l'île et ceux ayant leur domicile dans le département.
6. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu'en instituant l'imposition prévue à l'article L. 321-11 le législateur a entendu limiter le trafic routier dans les îles maritimes reliées au continent par un ouvrage d'art et préserver l'environnement.
7. En second lieu, d'une part, en prévoyant la modulation du montant du droit départemental de passage en fonction de la « silhouette » des véhicules, les dispositions contestées permettent de prendre en compte, au regard de l'emprise au sol et du gabarit des véhicules, leur impact sur le trafic routier et sur l'environnement.
8. D'autre part, en permettant d'accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers domiciliés ou travaillant dans l'île et à ceux ayant leur domicile dans le département, le législateur a entendu tenir compte de la fréquence particulière à laquelle ces usagers sont susceptibles d'emprunter l'ouvrage d'art, qui les place dans une situation différente de celle des autres usagers. En procédant de même s'agissant des usagers accomplissant une mission de service public, il a souhaité ne pas entraver l'exercice d'une telle mission.
9. Par conséquent, pour déterminer les conditions de modulation du montant du droit départemental de passage, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit ainsi être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir :
10. La liberté d'aller et de venir est protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté par l'institution d'une imposition doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
11. En premier lieu, en instituant le droit départemental de passage afin de limiter le trafic routier et de préserver l'environnement, le législateur a poursuivi un but d'intérêt général.
12. En second lieu, d'une part, en vertu du premier alinéa de l'article L. 321-11 du code de l'environnement, seuls les passagers des véhicules terrestres à moteur sont redevables de l'imposition. Ceux utilisant d'autres moyens de transport pour se rendre sur l'île n'y sont pas soumis. D'autre part, le montant maximum du droit départemental de passage ne peut être regardé comme excessif.
13. Dès lors, le législateur n'a pas porté à la liberté d'aller et de venir une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
14. Par conséquent, les quatrième et huitième alinéas de l'article L. 321-11 du code de l'environnement, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les quatrième et huitième alinéas de l'article L. 321-11 du code
de l'environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-403 du 17 mai
2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers
municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier
électoral, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 mai 2017 par le Conseil d'État
statuant en référé d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 167-1 du code électoral.
Ces dispositions fixent les conditions dans lesquelles les partis et groupements
politiques ont accès aux antennes du service public de radiodiffusion et de
télévision pour la campagne officielle en vue des élections législatives.
Elles distinguent deux situations.
Les partis et groupements représentés à l'Assemblée nationale par un groupe
parlementaire bénéficient d'une durée totale d'émission de trois heures au
premier tour et d'une heure trente au second tour. Ces durées sont réparties en
deux séries égales entre les partis et groupements qui appartiennent à la
majorité et ceux qui ne lui appartiennent pas.
Les partis et groupements qui ne sont pas représentés par un groupe
parlementaire à l'Assemblée nationale peuvent, pour leur part, se voir attribuer
des durées de sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second tour.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur pouvait prendre en compte
la composition de l'Assemblée nationale à renouveler et, eu égard aux suffrages
qu'ils avaient recueillis, réserver un temps d'antenne spécifique à ceux des
partis qui y sont représentés.
Toutefois, le législateur doit également déterminer des règles propres à donner
aux autres partis des durées d'émission qui ne soient pas manifestement hors de
proportion avec leur représentativité.
En l'espèce, les dispositions contestées donnent aux partis disposant d'un
groupe parlementaire à l'Assemblée nationale des durées de trois heures et une
heure trente quel que soit le nombre de ces groupes. Les durées attribuées aux
autres partis sont, par comparaison, très réduites. En outre, des durées
d'émission identiques sont accordées aux partis et groupements qui ne sont pas
représentés à l'Assemblée nationale, sans distinction selon l'importance des
courants d'idées ou d'opinions qu'ils représentent.
Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées peuvent
conduire à l'octroi de temps d'antenne sur le service public manifestement hors
de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation de ces
partis et groupements politiques. Il a donc jugé qu'elles méconnaissent
l'article 4 de la Constitution et affectent l'égalité devant le suffrage dans
une mesure disproportionnée.
Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la
Constitution les dispositions des paragraphes II et III de l'article L. 167-1 du
code électoral.
Le Conseil constitutionnel a cependant reporté au 30 juin 2018 la date de
l'abrogation de ces dispositions afin de laisser le temps nécessaire au
législateur pour les remplacer.
Cependant, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée, et en vue des
élections législatives des 11 et 18 juin 2017, le Conseil constitutionnel a
formulé une réserve d'interprétation transitoire.
En cas de disproportion manifeste, au regard de leur représentativité, entre le
temps d'antenne accordé aux partis et groupements représentés à l'Assemblée
nationale et le temps d'antenne accordé à ceux qui n'y sont pas représentés,
cette réserve transitoire impose que l'importance du courant d'idées ou
d'opinions représenté par ces derniers soit prise en compte au moyen de deux
critères :
- d'une part, le nombre de candidats présentés ;
- d'autre part, la représentativité de ces partis ou groupements, appréciée
notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues
depuis les précédentes élections législatives.
Ainsi, en cas de disproportion manifeste, les durées d'émission accordées aux
partis et groupements non représentés à l'Assemblée nationale peuvent être
modifiées à la hausse, au-delà des sept et cinq minutes prévues par la loi.
Toutefois, la durée supplémentaire susceptible d'être accordée à chaque parti et
groupement auquel une hausse serait accordée ne peut dépasser un plafond fixé à
cinq fois sept minutes pour le premier tour et cinq fois cinq minutes pour le
second tour.
Le CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mai 2017 par le Conseil d'État (ordonnance n° 410833 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association En Marche ! par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-651 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 167-1 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code électoral ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
;
- la loi n° 88-277 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la
vie politique ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica
et Molinié, enregistrées le 30 mai 2017 ;
- les observations présentées pour les groupes parlementaires Les Républicains,
Union des démocrates et des indépendants par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 mai 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 30 mai
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 30 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 167-1 du code électoral, dans sa rédaction
résultant de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Les partis et groupements peuvent utiliser les antennes du service public
de radiodiffusion et de télévision pour leur campagne en vue des élections
législatives. Chaque émission est diffusée par les sociétés nationales de
télévision et de radiodiffusion sonore.
« II. - Pour le premier tour de scrutin, une durée d'émission de trois heures
est mise à la disposition des partis et groupements représentés par des groupes
parlementaires de l'Assemblée nationale.
« Cette durée est divisée en deux séries égales, l'une étant affectée aux
groupes qui appartiennent à la majorité, l'autre à ceux qui ne lui appartiennent
pas.
« Le temps attribué à chaque groupement ou parti dans le cadre de chacune de ces
séries d'émissions est déterminé par accord entre les présidents des groupes
intéressés. À défaut d'accord amiable, la répartition est fixée par les membres
composant le bureau de l'Assemblée nationale sortante, en tenant compte
notamment de l'importance respective de ces groupes ; pour cette délibération,
le bureau est complété par les présidents de groupe.
« Les émissions précédant le deuxième tour de scrutin ont une durée d'une heure
trente : elles sont réparties entre les mêmes partis et groupements et selon les
mêmes proportions.
« III. - Tout parti ou groupement politique qui n'est pas représenté par des
groupes parlementaires de l'Assemblée nationale a accès, à sa demande, aux
émissions du service public de la communication audiovisuelle pour une durée de
sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second, dès lors qu'au moins
soixante-quinze candidats ont indiqué, dans leur déclaration de candidature, s'y
rattacher pour l'application de la procédure prévue par le deuxième alinéa de
l'article 9 de la loi n°88-277 du 11 mars 1988 relative à la transparence
financière de la vie politique.
« L'habilitation est donnée à ces partis ou groupements dans des conditions qui
seront fixées par décret.
« IV. - Les conditions de productions, de programmation et de diffusion des
émissions sont fixées, après consultation des conseils d'administration des
sociétés nationales de télévision et de radiodiffusion, par le conseil supérieur
de l'audiovisuel.
« V. - En ce qui concerne les émissions destinées à être reçues hors métropole,
le conseil supérieur de l'audiovisuel tient compte des délais d'acheminement et
des différences d'heures.
« VI. - Les dépenses liées à la campagne audiovisuelle officielle sont à la
charge de l'État ».
2. L'association requérante soutient qu'en traitant différemment les partis et groupements politiques selon qu'ils sont ou non représentés par des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, les dispositions contestées porteraient atteinte aux articles 3 et 4 de la Constitution et aux articles 6 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ainsi, en effet, ces dispositions ne permettraient pas de refléter l'importance dans le débat électoral de formations politiques nouvelles et contribueraient à faire obstacle à leur émergence, en méconnaissance du pluralisme des courants d'idées et d'opinions. En outre, la différence de traitement instituée par le législateur, qui conduit à l'attribution d'un accès très limité aux émissions du service public de la communication audiovisuelle pour les groupements et partis non représentés à l'Assemblée nationale, méconnaîtrait l'égalité devant le suffrage et le principe d'égalité devant la loi.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les paragraphes II et III de l'article L. 167-1 du code électoral.
- Sur le fond :
4. Selon le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». L'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
5. Aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions est un fondement de la démocratie.
6. Il découle des dispositions citées aux paragraphes 4 et 5 que, lorsque le législateur détermine entre les partis et groupements politiques des règles différenciées d'accès aux émissions du service public de la communication audiovisuelle, il lui appartient de veiller à ce que les modalités qu'il fixe ne soient pas susceptibles de conduire à l'établissement de durées d'émission manifestement hors de proportion avec la participation de ces partis et groupements à la vie démocratique de la Nation.
7. Les dispositions contestées distinguent les partis et groupements représentés à l'Assemblée nationale par un groupe parlementaire et ceux qui ne le sont pas. Les premiers bénéficient, sur les antennes du service public de la communication audiovisuelle, d'une durée d'émission de trois heures mise à leur disposition au premier tour et d'une durée d'une heure trente au second tour, réparties en deux séries égales entre les partis et groupements qui appartiennent à la majorité et ceux qui ne lui appartiennent pas. Les partis et groupements qui ne sont pas représentés par des groupes parlementaires à l'Assemblée nationale ont un accès aux émissions du service public pour une durée de sept minutes au premier tour et de cinq minutes au second tour dès lors qu'au moins soixante-quinze candidats ont déclaré s'y rattacher pour l'application de la procédure prévue par le deuxième alinéa de l'article 9 de la loi du 11 mars 1988 mentionnée ci-dessus.
8. Il est loisible au législateur, lorsqu'il donne accès aux antennes du service public aux partis et groupements politiques pour leur campagne en vue des élections législatives, d'arrêter des modalités tendant à favoriser l'expression des principales opinions qui animent la vie démocratique de la Nation et de poursuivre ainsi l'objectif d'intérêt général de clarté du débat électoral. Le législateur pouvait donc, en adoptant les dispositions contestées, prendre en compte la composition de l'Assemblée nationale à renouveler et, eu égard aux suffrages qu'ils avaient recueillis, réserver un temps d'antenne spécifique à ceux des partis et groupements qui y sont représentés.
9. Toutefois, en ce cas, il appartient également au législateur de déterminer des règles propres à donner aux partis et groupements politiques qui ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale un accès aux antennes du service public de nature à assurer leur participation équitable à la vie démocratique de la Nation et à garantir le pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Les modalités selon lesquelles le législateur détermine les durées d'émission attribuées aux partis et groupements qui ne disposent plus ou n'ont pas encore acquis une représentation à l'Assemblée nationale ne sauraient ainsi pouvoir conduire à l'octroi d'un temps d'antenne manifestement hors de proportion avec leur représentativité, compte tenu des modalités particulières d'établissement des durées allouées aux formations représentées à l'Assemblée nationale.
10. En l'espèce, d'une part, les dispositions contestées fixent à trois heures pour le premier tour et une heure trente pour le second tour les durées d'émission mises à la disposition des partis et groupements représentés à l'Assemblée nationale par un groupe parlementaire, quel que soit le nombre de ces groupes. Elles limitent en revanche à sept minutes au premier tour et cinq minutes au second tour les temps d'antenne attribués aux autres partis et groupements dès lors qu'ils sont habilités conformément au second alinéa du paragraphe III de l'article L. 167-1 du code électoral. D'autre part, pour l'ensemble des partis et groupements relevant du paragraphe III de l'article L. 167-1 du code électoral, les durées d'émission sont fixées de manière identique, sans distinction selon l'importance des courants d'idées ou d'opinions qu'ils représentent. Ainsi, les durées d'émission dont peuvent bénéficier ces partis et groupements peuvent être significativement inférieures à celles dont peuvent bénéficier les formations relevant du paragraphe II de l'article L. 167-1 du code électoral et ne pas refléter leur représentativité.
11. Dès lors, les dispositions contestées peuvent conduire à l'octroi de temps d'antenne sur le service public manifestement hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation de ces partis et groupements politiques. Les dispositions contestées méconnaissent donc les dispositions du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution et affectent l'égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée.
12. Par conséquent, les paragraphes II et III de l'article L. 167-1 du code électoral doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
13. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
14. En premier lieu, l'abrogation des paragraphes II et III de l'article L. 167-1 du code électoral aurait pour effet d'ôter toute base légale à la détermination par le conseil supérieur de l'audiovisuel, sur le fondement du paragraphe IV du même article, rapproché des dispositions de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986 mentionnée ci-dessus, des durées des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives dont les premier et second tours doivent se tenir les 11 et 18 juin 2017. En outre, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Par conséquent, il y a lieu de reporter au 30 juin 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
15. En second lieu, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée, et en vue des élections législatives des 11 et 18 juin 2017, l'application du paragraphe III de l'article L. 167-1 du code électoral doit permettre, pour la détermination des durées d'émission dont les partis et groupements politiques habilités peuvent bénéficier, la prise en compte de l'importance du courant d'idées ou d'opinions qu'ils représentent, évaluée en fonction du nombre de candidats qui déclarent s'y rattacher et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives. Sur cette base, en cas de disproportion manifeste, au regard de leur représentativité, entre le temps d'antenne accordé à certains partis et groupements qui relèvent du paragraphe III de l'article L. 167-1 du code électoral et celui attribué à certains partis et groupements relevant de son paragraphe II, les durées d'émission qui ont été attribuées aux premiers doivent être modifiées à la hausse. Cette augmentation ne peut, toutefois, excéder cinq fois les durées fixées par les dispositions du paragraphe III de l'article L. 167-1 du code électoral.
D É C I D E :
Article 1er.- Les paragraphes II et III de l'article L. 167-1 du code électoral,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de
finances pour 2017, sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées par les paragraphes 14 et 15.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30
mai 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel
JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 31 mai 2017.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 mars 2017 par le Conseil d'État d'une question
prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et
L.1111-4 du code de la santé publique (CSP), dans leur rédaction résultant de la
loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades
et des personnes en fin de vie.
Les dispositions contestées sont relatives à l'accompagnement médical de la fin
de vie.
Les trois articles contestés portent ainsi, pour le premier (article L. 1110-5-1
du CSP), sur le principe d'un arrêt des traitements en cas d'obstination
thérapeutique déraisonnable, pour le deuxième (article L. 1110-5-2 du CSP), sur
les cas où une sédation profonde et continue provoquant la perte de conscience
peut être administrée en même temps que des traitements de maintien en vie sont
arrêtés et, pour le dernier (article L. 1111-4 du CSP), sur la prise en compte
de la volonté du patient pour l'administration des traitements médicaux, y
compris lorsqu'il est hors d'état d'exprimer sa volonté.
Chacun de ces articles évoque la mise en œuvre d'une procédure collégiale dont
l'association requérante contestait les modalités.
L'article L. 1110-5-1 prévoit une telle procédure uniquement lorsqu'un arrêt des
traitements est envisagé au titre du refus de l'obstination déraisonnable, pour
un patient hors d'état de s'exprimer.
L'article L. 1110-5-2 l'impose, que le patient soit en mesure ou non d'exprimer
sa volonté, afin que l'équipe médicale examine si les conditions médicales
requises pour mettre en œuvre une sédation profonde et continue, simultanément à
l'arrêt des traitements, sont réunies.
L'article L. 1111-4 rappelle l'exigence d'une procédure collégiale dans le cas
prévu à l'article L. 1110-5-1.
L'association requérante reprochait à ces dispositions de méconnaître le
principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a rejeté cette argumentation en se
fondant sur les éléments suivants.
En premier lieu, le médecin doit préalablement s'enquérir de la volonté présumée
du patient. Il est à cet égard tenu, en vertu de l'article L. 1111-11 du code de
la santé publique, de respecter les directives anticipées formulées par ce
dernier, sauf à les écarter si elles apparaissent manifestement inappropriées ou
non conformes à la situation médicale du patient. En leur absence, il doit
consulter la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, sa
famille ou ses proches.
En deuxième lieu, il n'appartient pas au Conseil
constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de
décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à
celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l'absence de volonté
connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d'obstination
thérapeutique déraisonnable, une décision d'arrêt ou de poursuite des
traitements. Lorsque la volonté du patient demeure incertaine ou inconnue, le
médecin ne peut cependant se fonder sur cette seule circonstance, dont il ne
peut déduire aucune présomption, pour décider de l'arrêt des traitements.
En troisième lieu, la décision du médecin ne peut être prise qu'à l'issue d'une
procédure collégiale destinée à l'éclairer. Cette procédure permet à l'équipe
soignante en charge du patient de vérifier le respect des conditions légales et
médicales d'arrêt des soins et de mise en œuvre, dans ce cas, d'une sédation
profonde et continue, associée à une analgésie.
En dernier lieu, la décision du médecin et son appréciation de la volonté du
patient sont soumises, le cas échéant, au contrôle du juge.
Le Conseil constitutionnel a en outre apporté les compléments suivants, en
statuant sur le fondement du droit à un recours juridictionnel effectif :
- d'une part, une décision d'arrêt ou de limitation de traitements de maintien
en vie conduisant au décès d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté doit
être notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s'est enquis de la
volonté du patient, dans des conditions leur permettant d'exercer un recours en
temps utile ;
- d'autre part, une telle décision doit pouvoir faire l'objet d'un recours aux
fins d'obtenir sa suspension, examiné dans les meilleurs délais par la
juridiction compétente.
Après avoir apporté ces précisions, le Conseil constitutionnel a, en
conséquence, déclaré conformes à la Constitution, les mots « et, si ce dernier
est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale
définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L.
1110-5-1 du code de la santé publique, le cinquième alinéa de l'article L.
1110-5-2 du même code et les mots « la procédure collégiale mentionnée à
l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du
même code.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 403944 du 3 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-632 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des
malades et des personnes en fin de vie ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica
et Molinié, enregistrées les 28 mars 2017 et 12 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mars
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 23 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique dans sa
rédaction issue de la loi du 2 février 2016 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou
poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils
apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le
seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être
entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors
d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par
voie réglementaire.
« La nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui
peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.
« Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont
suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant
et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à
l'article L. 1110-10 ».
2. L'article L. 1110-5-2 du même code dans sa rédaction issue
de la même loi prévoit :
« À la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir
d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une
altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie
et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre
dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le
pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux
traitements ;
« 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable
d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est
susceptible d'entraîner une souffrance insupportable.
« Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de
l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où
le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une
sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience
maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie.
« La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent
article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie
réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les
conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies.
« À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en
œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement
mentionné au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des
familles.
« L'ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient
».
3. L'article L. 1111-4 du même code dans sa rédaction
résultant de la même loi prévoit :
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des
informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant
sa santé.
« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le
suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son
accompagnement palliatif.
« Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir
informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de
refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle
doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un
autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le
dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et
assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés
à l'article L. 1110-10.
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré
à tout moment.
« Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention
ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que
la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à
défaut, un de ses proches ait été consulté.
« Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou
l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé
sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1
et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance
prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été
consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est
inscrite dans le dossier médical.
« Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement
recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.
Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité
parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la
santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins
indispensables.
« L'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique
requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet
enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les
droits des malades énoncés au présent titre.
« Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des
dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour
certaines catégories de soins ou d'interventions ».
4. Selon l'association requérante, ces dispositions méconnaîtraient l'article 34 de la Constitution en ce qu'elles priveraient de garanties légales, d'une part, le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dont découlerait le droit à la vie et, d'autre part, la liberté personnelle, protégée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions ne garantiraient pas le respect de la volonté du patient, lorsque ce dernier est hors d'état de l'exprimer, dans la mesure où, à l'issue d'une procédure collégiale dont la définition est renvoyée au pouvoir réglementaire, le médecin décide seul de l'arrêt des traitements sans être lié par le sens des avis recueillis. L'association requérante reproche aussi à ces mêmes dispositions de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, en l'absence de caractère suspensif des recours formés à l'encontre de la décision d'arrêter les soins de maintien en vie.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, sur le cinquième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code et sur les mots « la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté personnelle et l'incompétence négative du législateur :
6. Le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
7. La liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
8. Il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles une décision d'arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne.
9. Les dispositions contestées habilitent le médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté à arrêter ou à ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans ce cas, le médecin applique une sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie.
10. Toutefois, en premier lieu, le médecin doit préalablement s'enquérir de la volonté présumée du patient. Il est à cet égard tenu, en vertu de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, de respecter les directives anticipées formulées par ce dernier, sauf à les écarter si elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient. En leur absence, il doit consulter la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, sa famille ou ses proches.
11. En deuxième lieu, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l'absence de volonté connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d'obstination thérapeutique déraisonnable, une décision d'arrêt ou de poursuite des traitements. Lorsque la volonté du patient demeure incertaine ou inconnue, le médecin ne peut cependant se fonder sur cette seule circonstance, dont il ne peut déduire aucune présomption, pour décider de l'arrêt des traitements.
12. En troisième lieu, la décision du médecin ne peut être prise qu'à l'issue d'une procédure collégiale destinée à l'éclairer. Cette procédure permet à l'équipe soignante en charge du patient de vérifier le respect des conditions légales et médicales d'arrêt des soins et de mise en œuvre, dans ce cas, d'une sédation profonde et continue, associée à une analgésie.
13. En dernier lieu, la décision du médecin et son appréciation de la volonté du patient sont soumises, le cas échéant, au contrôle du juge dans les conditions prévues aux paragraphes 16 et 17.
14. Il résulte de tout ce qui précède qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur, qui a assorti de garanties suffisantes la procédure qu'il a mise en place, n'a pas porté d'atteinte inconstitutionnelle au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle. Les griefs tirés de leur méconnaissance et de celle de l'article 34 de la Constitution doivent donc être écartés.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
15. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
16. En l'absence de dispositions particulières, le recours contre la décision du médecin relative à l'arrêt ou à la limitation des soins de maintien en vie d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté s'exerce dans les conditions du droit commun.
17. S'agissant d'une décision d'arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s'est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d'exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d'obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée. Sous ces réserves, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées au paragraphe 17, les mots « et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le cinquième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code et les mots « la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous les réserves énoncées au paragraphe 17, les mots « et, si ce
dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure
collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de
l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le cinquième alinéa de
l'article L. 1110-5-2 du même code, et les mots « la procédure collégiale
mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article
L. 1111-4 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-87 du 2
février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en
fin de vie, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405823 du 3 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article
61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la collectivité territoriale de la Guyane par Me
Patrick Lingibé, avocat au barreau de Guyane. Elle a été enregistrée au
secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-633 QPC. Elle est
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de
l'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août 1828 concernant le Gouvernement
de la Guyane française et de l'article 33 de la loi du 13 avril 1900 portant
fixation du budget général des dépenses et recettes de l'exercice 1900.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation
décentralisée de la République ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- l'ordonnance royale du 27 août 1828 concernant le Gouvernement de la Guyane
française ;
- la loi du 13 avril 1900 portant fixation du budget général des dépenses et
recettes de l'exercice 1900 ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État ;
- la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements
français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane
française ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la collectivité requérante par Me Lingibé,
enregistrées les 28 mars et 20 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mars
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association République sans
Concordat, par Me Jérémy Afane-Jacquart, avocat au barreau de Paris,
enregistrées les 28 mars et 18 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Lingibé, pour la collectivité requérante, Me
Afane-Jacquart, pour la partie intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 23 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août 1828 mentionnée ci-dessus
prévoit :
« 1. Le gouverneur veille au libre exercice et à la police extérieure du culte,
et pourvoit à ce qu'il soit entouré de la dignité convenable.
« 2. Aucun bref ou acte de la cour de Rome, à l'exception de ceux de la
pénitencerie ne peut être reçu ni publié dans la colonie qu'avec l'autorisation
du gouverneur, donné d'après nos ordres ».
2. L'article 33 de la loi du 13 avril 1900 mentionnée ci-dessus prévoit :
« Le régime financier des colonies est modifié à partir du 1er janvier 1901,
conformément aux dispositions suivantes :
« § 1er. Toutes les dépenses civiles et de la gendarmerie sont supportées en
principe par les budgets des colonies.
« Des subventions peuvent être accordées aux colonies sur le budget de l'État.
« Des contingents peuvent être imposés à chaque colonie jusqu'à concurrence du
montant des dépenses militaires qui y sont effectuées.
« § 2. Les dépenses inscrites au budget des colonies pourvues de conseils
généraux sont divisées en dépenses obligatoires et en dépenses facultatives.
« Dans les colonies d'Océanie et des continents d'Afrique et d'Asie, les
dépenses obligatoires ne peuvent se rapporter que :
« 1° Aux dettes exigibles ;
« 2° Au minimum du traitement du personnel des secrétariats généraux. Ce minimum
est fixé par décret.
« Aux traitements des fonctionnaires nommés par décret ;
« 3° Aux frais de la gendarmerie et de la police et à ceux de la justice ;
« 4° Aux frais de représentation du gouverneur, au loyer, à l'ameublement et à
l'entretien de son hôtel, aux frais de son secrétariat et aux autres dépenses
imposées par des dispositions législatives.
« Mais, dans ces même colonies, l'initiative des propositions de dépenses est
réservée au gouverneur.
« Dans les colonies d'Amérique et à la Réunion, la nomenclature et le maximum
des dépenses obligatoires sont fixés pour chaque colonie par décret en conseil
d'État.
« Dans la limite du maximum, le montant des dépenses obligatoires est fixé, s'il
y a lieu, par le ministre des colonies.
« Il n'est apporté aucune modification aux règles actuelles en ce qui concerne
les dépenses facultatives.
« § 3. Les conseils généraux des colonies délibèrent sur le mode d'assiette, les
tarifs et les règles de perception des contributions et taxes autres que les
droits de douane, qui restent soumis aux dispositions de la loi du 11 janvier
1892.
« Ces délibérations ne seront applicables qu'après avoir été approuvées par des
décrets en conseil d'État.
« En cas de refus d'approbation par le conseil d'État des tarifs ou taxes
proposés par un conseil général de colonie, celui-ci est appelé à en délibérer
de nouveau.
« Jusqu'à l'approbation du conseil d'État, la perception se fait sur les bases
anciennes ».
3. La collectivité requérante et la partie intervenante soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe de laïcité, en ce qu'elles prévoient, d'une part, que les ministres du culte catholique de la Guyane sont rémunérés par la collectivité publique et, d'autre part, que cette dépense est prise en charge par la collectivité territoriale de la Guyane. Selon la collectivité requérante et la partie intervenante, ces dispositions méconnaîtraient également le principe d'égalité devant la loi à un double titre : d'une part, en prévoyant que seuls les ministres du culte catholique sont ainsi rémunérés, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les cultes ; d'autre part, en faisant supporter cette dépense par la collectivité territoriale de la Guyane plutôt que par l'État, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les collectivités territoriales. La collectivité requérante reproche à l'article 33 de la loi du 13 avril 1900 de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce qu'il ne définirait pas précisément les dépenses obligatoires mises à sa charge et en ce qu'il constituerait une entrave à la libre administration. Elle reproche enfin à cet article de méconnaître le principe de compensation financière dès lors que le transfert de la rémunération des ministres du culte catholique à la collectivité territoriale de la Guyane n'a pas été accompagné de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice par l'État.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « , et pourvoit à ce qu'il soit entouré de la dignité convenable » figurant au 1 de l'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août 1828 et sur les mots « civiles et » figurant au premier alinéa du paragraphe 1er de l'article 33 de la loi du 13 avril 1900.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de laïcité :
5. En prévoyant que le gouverneur pourvoit à ce que le culte soit entouré de la dignité convenable, le 1 de l'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août 1828 pose le principe de la rémunération des ministres du culte en Guyane par la collectivité publique. Cet article, dont le 2 mentionne d'ailleurs les brefs et actes de « la cour de Rome », n'a de portée qu'à l'égard du culte catholique.
6. Le premier alinéa du paragraphe 1er de l'article 33 de la loi du 13 avril 1900 définit la nature des dépenses en principe supportées par les budgets des colonies, au nombre desquelles comptent « toutes les dépenses civiles ». Ce faisant, le législateur a transféré la rémunération des ministres du culte catholique à la colonie de la Guyane, devenue la collectivité territoriale de la Guyane.
7. La loi du 9 décembre 1905 mentionnée ci-dessus n'a jamais été étendue à la Guyane. En effet, le texte réglementaire auquel l'application de cette loi dans les colonies était subordonnée n'a jamais été pris s'agissant de la Guyane. D'autre part, aucun décret n'a introduit cette loi en Guyane postérieurement au classement de ce territoire en département français par la loi du 19 mars 1946 mentionnée ci-dessus. Par conséquent, les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, notamment celles de la première phrase de son article 2 qui dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », ainsi que celles de son article 44 en vertu desquelles : « Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l'État, ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi ... » n'ont pas été rendues applicables en Guyane. Ainsi, dans ce territoire, les dispositions contestées, relatives à la rémunération des ministres du culte catholique, sont demeurées en vigueur.
8. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». L'article 1er de la Constitution dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Le principe de laïcité, qui figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes. Il implique que celle-ci ne salarie aucun culte. Toutefois, il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu'en proclamant que la France est une « République ... laïque », la Constitution n'a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions contestées seraient contraires au principe de laïcité doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
10. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
11. En premier lieu, le principe de laïcité imposant l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion la différence de traitement entre le culte catholique et les autres cultes exercés en Guyane résultant des dispositions contestées n'est pas, pour les motifs énoncés aux paragraphes 7 à 9, contraire à la Constitution.
12. En second lieu, la rémunération des ministres du culte catholique en Guyane devant être assurée par la collectivité publique, le législateur a, en imposant à la collectivité territoriale de la Guyane la prise en charge de cette rémunération, traité différemment des collectivités placées dans une situation différente.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales :
14. En vertu de l'article 72 de la Constitution, si les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus », chacune d'elles le fait « dans les conditions fixées par la loi ». Si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, c'est à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt général.
15. Compte tenu de la faible importance des dépenses mises à la charge de la collectivité territoriale de la Guyane sur le fondement des dispositions contestées, ces dernières ne restreignent pas la libre administration de cette collectivité au point de méconnaître l'article 72 de la Constitution. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration doit donc être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution :
16. Aux termes du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
17. Le transfert de compétences prévu par les dispositions contestées de la loi du 13 avril 1900 est intervenu avant l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 mentionnée ci-dessus, qui a inséré l'article 72-2 dans la Constitution. Par suite, le grief tiré de la violation du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution est inopérant.
18. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « , et pourvoit à ce qu'il soit entouré de la dignité convenable » figurant au 1 de l'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août 1828 concernant le Gouvernement de la Guyane et les mots « civiles et » figurant au premier alinéa du paragraphe 1er de l'article 33 de la loi du 13 avril 1900, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « , et pourvoit à ce qu'il soit entouré de la dignité
convenable » figurant au 1 de l'article 36 de l'ordonnance royale du 27 août
1828 concernant le Gouvernement de la Guyane et les mots « civiles et » figurant
au premier alinéa du paragraphe 1er de l'article 33 de la loi du 13 avril 1900
portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l'exercice 1900
sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 mars 2017 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.
621-14 du code monétaire et financier (CMF) dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de
l'économie et de l'article L. 621-15 du même code, dans ses rédactions résultant
de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi
n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.
L'article L. 621-14 du CMF attribue à l'autorité des marchés financiers (AMF) un
pouvoir d'injonction. L'article L. 621-15 est relatif à son pouvoir de sanction.
Il détermine les conditions dans lesquelles une procédure de sanction est
ouverte, la procédure applicable, les personnes et actes pouvant être
sanctionnés et les sanctions pouvant être prononcées.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne méconnaissent pas les
principes de nécessité et de proportionnalité des peines pour les raisons
suivantes.
Il a d'abord relevé qu'en instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer
les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou
au bon fonctionnement du marché, le législateur a poursuivi l'objectif de
préservation de l'ordre public économique. Un tel objectif implique que le
montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir
la fonction de prévention des manquements assignée à la punition.
Le Conseil constitutionnel a ensuite jugé qu'en prévoyant de réprimer les
manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au
bon fonctionnement du marché d'une amende d'un montant pouvant aller jusqu'à un
plafond de cent millions d'euros, le législateur n'a pas institué une peine
manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés,
des risques de perturbation des marchés financiers, de l'importance des gains
pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs.
Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité
doit être écarté.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution, les mots
« ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L.
621-14, » figurant aux c) et d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code
monétaire et financier dans ses rédactions résultant de la loi n° 2008-776 du 4
août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre
2010 de régulation bancaire et financière et les mots « à 100 millions d'euros
ou » figurant au c) du paragraphe III de l'article L. 621-15 du même code dans
sa rédaction résultant de la même loi du 22 octobre 2010.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 mars 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 699 du 16 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jacques R. et les sociétés Vermots Finances SC et Financière du Vignoble SC, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-634 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie et de l'article L. 621-15 du même code, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de
l'économie ;
- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ;
- la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Patrice Spinosi, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 25 avril
2017 ;
- les observations présentées pour l'autorité des marchés financiers, partie en
défense, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 10 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 avril
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Gilles M. par la SCP
Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 10 et 25 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Spinosi et Me Christine Méjean, avocat au barreau de
Paris, pour les requérants, Me Marie Molinié, pour la partie intervenante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23
juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 621-14 du code monétaire et financier,
dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2005 mentionnée ci-dessus,
prévoit :
« I. - Le collège peut, après avoir mis la personne concernée en mesure de
présenter ses explications, ordonner qu'il soit mis fin, en France et à
l'étranger, aux manquements aux obligations résultant des dispositions
législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger
les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et
la diffusion de fausses informations, ou à tout autre manquement de nature à
porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du
marché. Ces décisions peuvent être rendues publiques.
« Le collège dispose des mêmes pouvoirs que ceux mentionnés à l'alinéa précédent
à l'encontre des manquements aux obligations résultant des dispositions
législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs et le marché
contre les opérations d'initié, les manipulations de cours ou la diffusion de
fausses informations, commis sur le territoire français et concernant des
instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé d'un
autre État membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou pour lesquels une demande d'admission aux négociations
sur un tel marché a été présentée.
« II. - Le président de l'Autorité des marchés financiers peut demander en
justice qu'il soit ordonné à la personne qui est responsable de la pratique
relevée de se conformer aux dispositions législatives ou réglementaires, de
mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets.
« La demande est portée devant le président du tribunal de grande instance de
Paris qui statue en la forme des référés et dont la décision est exécutoire par
provision. Il peut prendre, même d'office, toute mesure conservatoire et
prononcer pour l'exécution de son ordonnance une astreinte versée au Trésor
public.
« En cas de poursuites pénales, l'astreinte, si elle a été prononcée, n'est
liquidée qu'après que la décision sur l'action publique est devenue définitive
».
2. L'article L. 621-15 du même code, dans sa rédaction
résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi par les
services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le
gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire, ou par
le président de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.
« S'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux
personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des
sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des
sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a
été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur
constatation ou à leur sanction.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
613-21 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 613-21 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent un instrument financier émis par une personne ou une entité
faisant appel public à l'épargne ou admis aux négociations sur un marché
d'instruments financiers ou pour lequel une demande d'admission aux négociations
sur un tel marché a été présentée, dans les conditions déterminées par le
règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un
instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre
État membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur
un tel marché a été présentée.
« III. - Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire
ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la
commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces
sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10
millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ;
les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne
sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros
ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques
mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits
éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour le
compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« Le fonds de garantie mentionné aux a et b peut, dans des conditions fixées par
son règlement intérieur et dans la limite de 300 000 euros par an, affecter à
des actions éducatives dans le domaine financier une partie du produit des
sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions qu'il perçoit.
« III bis. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, la
récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande
de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute
l'impartialité de ce membre.
« IV. - La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la
présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la
personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment
appelé.
« V. - La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette
publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer
un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par
les personnes sanctionnées ».
3. L'article L. 621-15 du même code, dans sa rédaction
résultant de la loi du 22 octobre 2010 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Le collège examine le rapport d'enquête ou de contrôle établi par les
services de l'Autorité des marchés financiers, ou la demande formulée par le
président de l'Autorité de contrôle prudentiel.
« S'il décide l'ouverture d'une procédure de sanction, il notifie les griefs aux
personnes concernées. Il transmet la notification des griefs à la commission des
sanctions, qui désigne un rapporteur parmi ses membres. La commission des
sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a
été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur
constatation ou à leur sanction.
« Un membre du collège, ayant examiné le rapport d'enquête ou de contrôle et
pris part à la décision d'ouverture d'une procédure de sanction, est convoqué à
l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou
représenté par les services de l'Autorité des marchés financiers. Il peut
présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une
sanction.
« La commission des sanctions peut entendre tout agent des services de
l'autorité.
« En cas d'urgence, le collège peut suspendre d'activité les personnes
mentionnées aux a et b du II contre lesquelles des procédures de sanction sont
engagées.
« Si le collège transmet au procureur de la République le rapport mentionné au
premier alinéa, le collège peut décider de rendre publique la transmission.
« II. - La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire,
prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
« a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 17° du II de l'article L.
621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies
par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité
des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L.
612-39 ;
« b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte
de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 17° du II de l'article
L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles
définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par
l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de
l'article L. 612-39 ;
« c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est
livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une
manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre
manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que
ces actes concernent :
« - un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1
admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral
de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires
visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les
manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel
une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée,
dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des
marchés financiers ;
« - un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à
l'alinéa précédent ;
« d) Toute personne qui, sur le territoire français, s'est livrée ou a tenté de
se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours,
à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au
dernier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :
« - un instrument financier ou un actif mentionné au II de l'article L. 421-1
admis aux négociations sur un marché réglementé d'un autre État membre de
l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou pour
lequel une demande d'admission aux négociations sur un tel marché a été
présentée ;
« - un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à
l'alinéa précédent ;
« e) Toute personne qui, sur le territoire français ou étranger, s'est livrée ou
a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information lors d'une
opération d'offre au public de titres financiers.
« III. - Les sanctions applicables sont :
« a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°,11°,12°,15° à 17° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire
ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation
du registre mentionné à l'article L. 546-1 ; la commission des sanctions peut
prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire
dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du
montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor
public ;
« b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le
compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°,11°,12°,15° à 17° du II de
l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou
définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des
sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une
sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros
ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques
mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits
éventuellement réalisés dans les autres cas ; les sommes sont versées au fonds
de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour le
compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ;
« c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de
l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction
pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au
décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées
au Trésor public.
« Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits
éventuellement tirés de ces manquements.
« Le fonds de garantie mentionné aux a et b peut, dans des conditions fixées par
son règlement intérieur et dans la limite de 300 000 euros par an, affecter à
des actions éducatives dans le domaine financier une partie du produit des
sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions qu'il perçoit.
« III bis. - Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État, la
récusation d'un membre de la commission des sanctions est prononcée à la demande
de la personne mise en cause s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute
l'impartialité de ce membre.
« IV. - La commission des sanctions statue par décision motivée, hors la
présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la
personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment
appelé.
« IV bis. - Les séances de la commission des sanctions sont publiques.
« Toutefois, d'office ou sur la demande d'une personne mise en cause, le
président de la formation saisie de l'affaire peut interdire au public l'accès
de la salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre
public, de la sécurité nationale ou lorsque la protection des secrets d'affaires
ou de tout autre secret protégé par la loi l'exige.
« V. - La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les
publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné
à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les
personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber
gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux
parties en cause, la décision de la commission peut prévoir qu'elle ne sera pas
publiée ».
4. Les requérants et la partie intervenante soutiennent que les articles L. 621-14 et L. 621-15 méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines dès lors que l'article L. 621-15 sanctionne toute personne s'étant livrée à un manquement mentionné au premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 621-14, c'est-à-dire « un manquement aux obligations résultant des dispositions législatives ou réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ». Selon eux, la définition des manquements ainsi réprimés serait trop imprécise. Ils reprochent par ailleurs à ces mêmes articles de méconnaître le principe de proportionnalité des peines dans la mesure où ils répriment les manquements précités, quels qu'ils soient, d'une peine de cent millions d'euros.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, » figurant aux c) et d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses rédactions résultant des lois du 4 août 2008 et du 22 octobre 2010 et sur les mots « à 100 millions d'euros ou » figurant au c) du paragraphe III de l'article L. 621-15 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 22 octobre 2010.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :
6. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. L'exigence d'une définition des manquements réprimés se trouve satisfaite, en matière administrative, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l'institution dont ils relèvent ou de la qualité qu'ils revêtent.
7. En application des dispositions contestées, l'autorité des marchés financiers peut prononcer une sanction administrative dont le montant maximum est de cent millions d'euros à l'encontre de toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée à tout manquement aux obligations définies par des dispositions législatives, réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations et, d'autre part, à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché.
8. D'une part, il ressort des travaux parlementaires qu'en sanctionnant « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché », le législateur a entendu uniquement réprimer des manquements à des obligations définies par des dispositions législatives ou réglementaires ou par des règles professionnelles.
9. D'autre part, les dispositions contestées sanctionnent les manquements aux obligations édictées afin de protéger les investisseurs sur les marchés financiers et afin d'assurer le bon fonctionnement de ceux-ci. Les personnes soumises à ces obligations le sont ainsi en raison de leur intervention sur ces marchés.
10. Enfin, en tout état de cause, le fait pour le législateur de prévoir une sanction administrative réprimant des manquements définis par le pouvoir réglementaire n'est pas contraire au principe de légalité des délits et des peines.
11. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de ce principe de légalité des délits et des peines doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines :
12. L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre le manquement et la peine encourue.
13. En instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché, le législateur a poursuivi l'objectif de préservation de l'ordre public économique. Un tel objectif implique que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des manquements assignée à la punition.
14. En prévoyant de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d'une amende d'un montant pouvant aller jusqu'à un plafond de cent millions d'euros, le législateur n'a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés, des risques de perturbation des marchés financiers, de l'importance des gains pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité doit être écarté.
15. Les mots « ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, » figurant aux c) et d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses rédactions résultant des lois du 4 août 2008 et du 22 octobre 2010 et les mots « à 100 millions d'euros ou » figurant au c) du paragraphe III de l'article L. 621-15 dans sa rédaction résultant de la loi du 22 octobre 2010, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa
du I de l'article L. 621-14, » figurant aux c) et d) du paragraphe II de
l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses rédactions résultant
de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie et de la loi
n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière et les mots
« à 100 millions d'euros ou » figurant au c) du paragraphe III de l'article L.
621-15 du même code dans sa rédaction résultant de la même loi du 22 octobre
2010 sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 mars 2017 d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Émile L., relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° de
l'article 5 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
Ces dispositions donnent au préfet, lorsque l'état d'urgence est déclaré et
uniquement pour des lieux situés dans la zone qu'il couvre, le pouvoir «
D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne
cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs
publics ».
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n'assurent pas une
conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif constitutionnel de
sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et
le droit de mener une vie familiale normale.
En effet, en premier lieu, une interdiction de séjour peut être prononcée à
l'encontre de « toute personne cherchant à entraver l'action des pouvoirs
publics ». La loi ne restreint donc pas son champ d'application aux seuls
troubles à l'ordre public ayant des conséquences sur le maintien de l'ordre et
la sécurité en situation d'état d'urgence.
En second lieu, la latitude reconnue au préfet n'est pas encadrée :
l'interdiction de séjour peut ainsi inclure le domicile, le lieu de travail de
la personne visée, voire la totalité du département, et ce pour une durée qui
n'est pas limitée. Le Conseil constitutionnel a estimé que la loi devait être
assortie de davantage de garanties.
Le Conseil constitutionnel a, pour ces motifs, déclaré contraire à la
Constitution le 3° de l'article 5 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955. Il a
toutefois reporté au 15 juillet 2017 la date de l'abrogation de ces
dispositions.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407230 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Émile L. par Mes Raphaël Kempf et Aïnoha Pascual, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-635 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 3° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Mes Kempf et Pascual,
enregistrées le 20 avril 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20 avril
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 20 avril et 5 mai 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Kempf et Pascual, pour le requérant, Me François Sureau,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante,
et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du
30 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 5 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée
ci-dessus prévoit que la déclaration de l'état d'urgence donne certains pouvoirs
aux préfets des départements dans lesquels s'applique l'état d'urgence. Selon le
3° de cet article 5, le préfet a le pouvoir :
« D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne
cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs
publics ».
2. Le requérant et l'association intervenante reprochent aux dispositions contestées de méconnaître la liberté d'aller et de venir ainsi que la liberté d'expression et de communication et le droit d'expression collective des idées et des opinions, dont résulte la liberté de manifester. Selon eux, d'une part, l'atteinte portée à ces libertés par la mesure d'interdiction de séjour ne saurait, dans la mesure où une « entrave à l'action des pouvoirs publics » ne constitue pas nécessairement une menace pour l'ordre public, être justifiée par l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. D'autre part, la mise en œuvre de ces interdictions de séjour ne serait pas entourée de suffisamment de garanties, dès lors que le législateur n'en a pas fixé la durée et n'a pas exclu le domicile de l'intéressé du territoire pouvant être visé par l'interdiction. Les dispositions contestées porteraient également atteinte, selon le requérant, au droit au respect de la vie privée et, selon l'association intervenante, à la « liberté de travailler » et au droit de mener une vie familiale normale.
- Sur le fond :
3. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
4. La mesure d'interdiction de séjour, prévue par les dispositions contestées, ne peut être ordonnée par le préfet dans le département que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et uniquement pour des lieux situés dans la zone qu'il couvre. L'état d'urgence peut être déclaré, en vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
5. Toutefois, en premier lieu, en prévoyant qu'une interdiction de séjour peut être prononcée à l'encontre de toute personne « cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics », le législateur a permis le prononcé d'une telle mesure sans que celle-ci soit nécessairement justifiée par la prévention d'une atteinte à l'ordre public.
6. En second lieu, le législateur n'a soumis cette mesure d'interdiction de séjour, dont le périmètre peut notamment inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne visée, à aucune autre condition et il n'a encadré sa mise en œuvre d'aucune garantie.
7. Dès lors, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. L'abrogation immédiate du 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 entraînerait des conséquences manifestement excessives. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a donc lieu de reporter la date de cette abrogation au 15 juillet 2017.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le 3° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 379685 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Edenred France par la SCP Delaporte et Briard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-636 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, et du e du paragraphe I de l'article 1763 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 ;
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de
simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du
régime des pénalités, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai
2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des
procédures ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me François-Henri
Briard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 20
avril et 3 mai 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20 avril
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société CAFPI par Mes
Raphaël Goupille et Michel Guichard, avocats au barreau des Hauts-de-Seine,
enregistrées le 7 avril 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Briard, pour la société requérante, Me Guichard, pour la
société intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 30 mai 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant
de la loi du 30 décembre 1999 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque les
contribuables ne peuvent présenter le registre mentionné à l'article 54 septies
ou lorsque les renseignements portés sur ce registre sont incomplets ou
inexacts, il est prononcé une amende égale à 5 % du montant des résultats omis
sur le registre.
«De même, si l'état prévu au I de l'article 54 septies ou au II de l'article 151
octies n'est pas produit au titre de l'exercice au cours duquel est réalisée
l'opération visée par ces dispositions ou au titre des exercices ultérieurs, ou
si les renseignements qui sont portés sur ces états sont inexacts ou incomplets,
il est prononcé une amende égale à 5 % des résultats omis.
« Si l'état prévu au III de l'article 54 septies n'est pas produit au titre d'un
exercice ou si les renseignements qui y sont portés sont inexacts ou incomplets,
il est prononcé une amende égale à 5 % des résultats de la société scindée non
imposés en application des dispositions prévues aux articles 210 A et 210 B.
« Le contentieux est assuré et l'amende est mise en recouvrement suivant les
règles applicables à l'impôt sur les sociétés ».
2. Le paragraphe I de l'article 1763 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit que le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de plusieurs documents entraîne l'application d'une amende égale à 5 % des sommes omises. Le e de ce paragraphe dispose qu'il en est ainsi pour les documents suivants :« État prévu au IV de l'article 41, au I de l'article 54 septies, au II de l'article 151 octies ou au 2 du II de l'article 151 nonies au titre de l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération visée par ces dispositions ou au titre des exercices ultérieurs ».
3. Selon la société requérante et la partie intervenante, ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines, en ce qu'elles prévoient une amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition. Le montant de cette amende serait excessif, dès lors que son taux de 5 % s'appliquerait au montant des sommes omises, sans tenir compte ni du montant de l'impôt dû, ni de l'éventuelle bonne foi du contribuable. Ces dispositions seraient également contraires au principe d'individualisation des peines, faute de toute possibilité de moduler la sanction en fonction du comportement du contribuable ou de la gravité du manquement. Enfin, la société requérante soutient que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi, aux motifs qu'elles pourraient conduire à une amende d'un montant très variable pour une même infraction et qu'elles sanctionneraient indifféremment contribuables de bonne foi et contribuables de mauvaise foi.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts et sur les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du même code.
5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales.
6. En vertu du paragraphe I de l'article 54 septies du code général des impôts, les entreprises qui bénéficient d'un des régimes de sursis ou de report d'imposition des plus-values mentionnés à ce paragraphe « doivent joindre à leur déclaration de résultat un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître, pour chaque nature d'élément, les renseignements nécessaires au calcul du résultat imposable de la cession ultérieure des éléments considérés ». Cet état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition sert ainsi à établir l'impôt dû l'année au cours de laquelle aura lieu l'événement mettant fin au sursis ou au report.
7. Les dispositions contestées punissent d'une amende égale à 5 % des résultats omis le défaut de production de cet état de suivi, ainsi que sa production inexacte ou incomplète. Cette sanction est encourue lorsque ces manquements sont commis pendant l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération ayant donné lieu au sursis ou au report d'imposition ou pendant les exercices ultérieurs.
8. En premier lieu, d'une part, l'obligation déclarative dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée porte sur des renseignements qui doivent figurer en annexe de la déclaration annuelle de résultat de l'entreprise et qui sont nécessaires au calcul de l'impôt sur la plus-value à l'issue du sursis ou du report d'imposition. Il ressort des travaux préparatoires qu'en instituant cette obligation, le législateur a entendu assortir d'une contrepartie les régimes fiscaux favorables, dérogatoires au droit commun, dont peuvent bénéficier les contribuables réalisant certaines opérations. En réprimant la méconnaissance d'une telle obligation, qui permet directement le suivi de la base taxable et ainsi l'établissement de l'impôt sur la plus-value placée en sursis ou en report, le législateur a poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. D'autre part, en punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque manquement au respect de l'obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. Ainsi, même lorsqu'elle s'applique lors de plusieurs exercices, l'amende n'est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres au suivi des obligations fiscales en cause.
9. En second lieu, l'amende contestée s'applique lors de chaque exercice pour lequel l'état de suivi n'est pas produit ou présente un caractère inexact ou incomplet. Pour chaque sanction prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le redevable si le manquement n'est pas établi. Il peut ainsi adapter les pénalités à la gravité des agissements commis par le redevable. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
10. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, dès lors que les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement.
11. Par conséquent, les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts et les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « au I de l'article 54 septies, » figurant au deuxième alinéa de l'article 1734 ter du code général des impôts, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, et les mêmes mots figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du
même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à
l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 406664 du 31 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Association nationale des supporters par Me Pierre Barthélemy, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-637 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 332-1 du code du sport, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du sport ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et
aux libertés ;
- la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters
et la lutte contre le hooliganisme ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par Me Barthélemy,
enregistrées les 24 avril et 9 mai 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 avril
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Barthélemy, pour l'association requérante, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Selon le premier alinéa de l'article L. 332-1 du code
du sport, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 mai 2016 mentionnée
ci-dessus, les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif peuvent
être tenus d'y assurer un service d'ordre. Ses deuxième et troisième alinéas
disposent :« Aux fins de contribuer à la sécurité des manifestations sportives,
les organisateurs de ces manifestations peuvent refuser ou annuler la délivrance
de titres d'accès à ces manifestations ou en refuser l'accès aux personnes qui
ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de
vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
« À cet effet, les organisateurs peuvent établir un traitement automatisé de
données à caractère personnel relatives aux manquements énoncés à
l'avant-dernier alinéa du présent article, dans des conditions fixées par décret
en Conseil d'État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de
l'informatique et des libertés ».
2. L'association requérante reproche aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 332-1 de confier des pouvoirs de police à une personne privée, en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions porteraient également atteinte à la liberté d'aller et de venir, au principe de légalité des délits et des peines, à la présomption d'innocence, aux droits de la défense, et seraient entachées d'incompétence négative. L'association requérante soutient, par ailleurs, que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 332-1 seraient contraires au droit au respect de la vie privée.
- Sur le deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport :
3. Aux fins de contribuer à la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, le deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport permet à leurs organisateurs de refuser ou d'annuler la délivrance de titres d'accès à ces manifestations ou d'en refuser l'accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
4. En premier lieu, selon l'article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits.
5. En conférant aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif le pouvoir de refuser l'accès à ces manifestations, le législateur ne leur a pas délégué de telles compétences. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le fait d'interdire l'accès à l'enceinte d'une manifestation sportive à but lucratif dont l'entrée est subordonnée à la présentation d'un titre ne porte pas atteinte à la liberté d'aller et de venir.
7. En troisième lieu, le fait, dans le but de garantir la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, d'en refuser l'accès à une personne ayant manqué à ses obligations contractuelles relatives à la sécurité ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, ni une mesure adoptée à l'issue d'une procédure juridictionnelle. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de la présomption d'innocence et des droits de la défense sont inopérants.
8. En dernier lieu, il ressort des travaux parlementaires que les organisateurs de manifestations sportives prononçant de tels refus doivent s'assurer, sous le contrôle du juge, que ces mesures sont proportionnées au regard, notamment, des délais écoulés depuis les faits reprochés et du risque de renouvellement de ceux-ci. Les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, ne méconnaissent donc aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport doivent être déclarées conforme à la Constitution.
- Sur le troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport :
10. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
11. Le troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport permet aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif d'établir un traitement automatisé de données à caractère personnel recensant les personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations.
12. En autorisant l'établissement d'un tel fichier, le législateur a entendu renforcer la sécurité des manifestations sportives à but lucratif, en permettant à leurs organisateurs d'identifier les personnes susceptibles d'en compromettre la sécurité. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
13. Il ressort du texte adopté et des débats parlementaires que, par ces dispositions, le législateur n'a pas entendu déroger aux garanties apportées par la loi du 6 janvier 1978 mentionnée ci-dessus relatives notamment aux pouvoirs de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui s'appliquent aux traitements en cause.
14. Le fichier prévu par les dispositions contestées ne peut être établi que par les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif. Il ne peut recenser que les personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations. Il ne peut être employé à d'autres fins que l'identification desdites personnes en vue de leur refuser l'accès à des manifestations sportives à but lucratif. Il en résulte que le traitement de données prévu par les dispositions contestées est mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi.
15. Par suite, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 332-1 du code du sport, qui ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 332-1 du code
du sport, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-564 du 10 mai 2016
renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme,
sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 avril 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407223 du 21 avril 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gérard S. par Mes Stéphane Austry, Damien Basson et Luc Jaillais, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-638 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Mes Austry, Basson et
Jaillais, enregistrées les 16 mai et 1er juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 mai
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Austry et Jaillais, pour le requérant, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le troisième alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Les échanges avec soulte demeurent soumis aux dispositions de l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus ».
2. Le requérant reproche, en premier lieu, aux dispositions contestées de méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques. En effet, en subordonnant le bénéfice du sursis d'imposition prévu au premier alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts au fait que le montant de la soulte reçue à l'occasion de l'opération d'échanges de titres ne dépasse pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, le troisième alinéa du même article 150-0 B créerait un effet de seuil excessif. Ce dernier serait manifestement contraire à l'objectif poursuivi et ne tiendrait pas compte des capacités contributives des assujettis. En second lieu, le requérant soutient que les dispositions contestées créeraient, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement injustifiée entre des opérations d'échanges de titres d'un même montant, selon qu'elles s'accompagnent ou non de l'émission d'une prime.
3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value qu'une personne physique retire d'une cession de titres est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable peut bénéficier, en vertu de l'article 150-0 B du même code, d'un sursis d'imposition si cette cession intervient, notamment, dans le cadre d'une opération d'échange de titres. Selon le troisième alinéa de ce même article, sont cependant exclus du bénéfice de ce sursis d'imposition les échanges avec soulte, lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus.
6. En premier lieu, en instaurant le sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échanges de titres. Toutefois, il a voulu éviter, au nom de la lutte contre l'évasion fiscale, que bénéficient d'un tel sursis d'imposition celles de ces opérations qui ne se limitent pas à un échange de titres, mais dégagent également une proportion significative de liquidités. À cette fin, poursuivant ces buts d'intérêt général, il a prévu que les plus-values résultant de tels échanges avec soulte soient soumises à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de l'échange, lorsque le montant des liquidités correspondant à la soulte dépasse une certaine limite.
7. En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. En faisant référence, pour définir la limite au-delà de laquelle le sursis d'imposition est exclu, à la valeur nominale des titres reçus en échange, le législateur a retenu un élément qui rend compte de l'importance de l'opération d'échange de titres au regard du capital social de l'entreprise qui fait l'objet de la restructuration. Le législateur n'était à cet égard pas tenu de définir cette limite en fonction de la valeur vénale des titres reçus en échange, laquelle tient compte de la prime d'émission. Dès lors, en fixant à 10 % de la valeur nominale le montant de la soulte au-delà duquel il n'est pas possible de bénéficier du sursis d'imposition, il s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi. Les dispositions contestées, qui ne créent pas d'effets de seuil manifestement disproportionnés, ne font pas peser sur les assujettis, s'agissant de conditions requises pour bénéficier d'un sursis d'imposition, une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
8. En troisième lieu, le principe d'égalité devant la loi n'imposait pas au législateur de traiter différemment les opérations d'échange de titres selon qu'elles s'accompagnent ou non de l'émission d'une prime.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Les griefs tirés de la méconnaissance de ces principes doivent être écartés.
10. Le troisième alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le troisième alinéa de l'article 150-0 B du code général des
impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012
de finances rectificative pour 2012, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 avril 2017 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe
I de l'article 5-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la
transparence financière de la vie politique.
Ces dispositions prévoient qu'est un délit le fait, pour les membres du
Gouvernement et pour les élus et dirigeants d'organismes publics tenus de
déclarer leur patrimoine, d'omettre sciemment d'en déclarer une part
substantielle.
Le Conseil a jugé qu'en faisant référence à une « part substantielle » de
patrimoine, les dispositions contestées répriment les seules omissions
significatives, au regard du montant omis ou de son importance dans le
patrimoine considéré.
Il en a conclu que, s'il appartient aux juridictions compétentes d'apprécier les
situations de fait correspondant à l'omission d'une "part substantielle" de
patrimoine, ces termes, qui ne revêtent pas un caractère équivoque, sont
suffisamment précis pour garantir contre le risque d'arbitraire, écartant ainsi
le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des
peines
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré conformes à la Constitution les mots «
d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou »
figurant au paragraphe I de l'article 5-1 de la loi n° 88 227 du 11 mars 1988
relative à la transparence financière de la vie politique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 avril 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1148 du 25 avril 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Yamina B. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-639 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 5-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la
vie politique ;
- la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du
code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées les 16 mai et 2 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 18 mai
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 13 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe I de l'article 5-1 de la loi du 11 mars 1988 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le fait pour une personne mentionnée aux articles 1er et 2 d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou d'en fournir une évaluation mensongère qui porte atteinte à la sincérité de sa déclaration et à la possibilité pour la Commission pour la transparence financière de la vie politique d'exercer sa mission est puni de 30 000 € d'amende et, le cas échéant, de l'interdiction des droits civiques selon les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal, ainsi que de l'interdiction d'exercer une fonction publique selon les modalités prévues par l'article 131-27 du même code ».
2. Selon la requérante, ces dispositions méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La notion de « part substantielle » du patrimoine, dont dépend la caractérisation du délit réprimé par ces dispositions, ne répondrait à aucune définition précise et ne permettrait donc pas de déterminer l'élément constitutif de l'infraction.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou » figurant au paragraphe I de l'article 5-1 de la loi du 11 mars 1988.
4. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.
5. Les dispositions contestées érigent en délit le fait, pour les membres du Gouvernement et pour les élus et dirigeants d'organismes publics tenus de déclarer leur patrimoine, d'omettre sciemment d'en déclarer une part substantielle.
6. En faisant référence à une « part substantielle » de patrimoine, les dispositions contestées répriment les seules omissions significatives, au regard du montant omis ou de son importance dans le patrimoine considéré. Dès lors, s'il appartient aux juridictions compétentes d'apprécier les situations de fait correspondant à l'omission d'une « part substantielle » de patrimoine, ces termes, qui ne revêtent pas un caractère équivoque, sont suffisamment précis pour garantir contre le risque d'arbitraire. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit donc être écarté.
7. Par conséquent, les mots « d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou » figurant au paragraphe I de l'article 5-1 de la loi du 11 mars 1988, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle
de son patrimoine ou » figurant au paragraphe I de l'article 5-1 de la loi n°
88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie
politique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011
portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la
transparence financière de la vie politique, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 juin 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Michel CHARASSE, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 2 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407319 du 28 avril 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Gabriel A. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-640 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du septième alinéa du 1° de l'article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale
de la République ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées les 22 et 31 mai
2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 24 mai
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 13 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 1° de l'article L. 5211-6-2 du code général des
collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août
2015 mentionnée ci-dessus, définit les modalités de détermination du nombre et
de la répartition des sièges de conseiller communautaire lorsque la création ou
la transformation d'un établissement public de coopération intercommunale à
fiscalité propre ou l'annulation par la juridiction administrative de la
répartition des sièges de conseiller communautaire intervient entre deux
renouvellements généraux des conseils municipaux. Le b) du 1° fixe les
conditions de désignation de ces conseillers dans les communes de 1 000
habitants et plus s'il n'a pas été procédé à l'élection de conseillers
communautaires lors du précédent renouvellement général du conseil municipal ou
s'il est nécessaire de pourvoir des sièges supplémentaires. Le c) fixe ces mêmes
conditions lorsque le nombre de sièges attribués à la commune est inférieur au
nombre de conseillers communautaires élus à l'occasion du précédent
renouvellement général du conseil municipal. Les conseillers sont désignés par
le conseil municipal au scrutin de liste à un tour et, dans l'hypothèse prévue
au c), parmi les conseillers communautaires sortants.
Le septième alinéa du 1° prévoit :
« Dans les communautés de communes et dans les communautés d'agglomération, pour
l'application des b et c, lorsqu'une commune dispose d'un seul siège, la liste
des candidats au siège de conseiller communautaire comporte deux noms. Le second
candidat de la liste qui a été élue devient conseiller communautaire suppléant
pour l'application du dernier alinéa de l'article L. 5211-6 ».
2. Le requérant soutient que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égal accès aux dignités, places et emplois publics, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon lui, en imposant la constitution d'une liste composée de deux noms pour l'attribution du siège de conseiller communautaire à pourvoir, même lorsque la liste doit être composée de conseillers communautaires sortants et que ceux-ci sont au nombre de trois, ces dispositions empêcheraient nécessairement à un conseiller communautaire sortant de se présenter.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et c » figurant à la première phrase du septième alinéa du 1° de l'article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
5. En application du quatrième alinéa de l'article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'une commune dispose d'un seul siège de conseiller communautaire, un « conseiller communautaire suppléant » doit être désigné au sein du conseil municipal. Ce conseiller suppléant peut participer, avec voix délibérative, aux réunions de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale en cas d'absence du conseiller titulaire.
6. En application du c) du 1° de l'article L. 5211-6-2 du code général des collectivités territoriales, applicable aux communes de 1 000 habitants et plus, en cas de transformation d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre entre deux renouvellements généraux de conseils municipaux entraînant une réduction du nombre de conseillers communautaires dont la commune disposait auparavant, les membres du nouvel organe délibérant sont élus par le conseil municipal parmi les conseillers communautaires sortants au scrutin de liste à un tour, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. La répartition des sièges entre les listes est opérée à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
7. Selon le septième alinéa du 1°, dans les communautés de communes et dans les communautés d'agglomération, lorsqu'une commune ne dispose que d'un seul siège de conseiller communautaire, la liste des candidats à ce siège comporte deux noms. Le second candidat de la liste qui a été élue devient conseiller communautaire suppléant.
8. Lorsqu'il est procédé à la désignation de conseillers communautaires dans les cas prévus aux b) et c) du 1° de l'article L. 5211-6-2, si le nombre de candidats figurant sur une liste est inférieur au nombre de sièges qui lui reviennent, les sièges non pourvus sont attribués aux plus fortes moyennes suivantes. Ainsi, il en résulte nécessairement que, dans ce cas, une liste comprenant moins de candidats que de sièges à pourvoir n'est pas pour autant irrecevable. En outre, il ressort des travaux préparatoires qu'en fixant à deux le nombre de candidats devant figurer sur la liste lorsqu'une commune ne dispose que d'un seul siège, le législateur a seulement entendu garantir qu'une telle commune puisse bénéficier d'un conseiller communautaire suppléant. Il en résulte que le législateur n'a pas entendu lier la recevabilité de cette dernière liste au respect de l'exigence d'une dualité de candidats.
9. Ainsi, la candidature présentée par un conseiller communautaire sortant sur une liste comprenant son seul nom est régulière. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égal accès aux dignités, places et emplois publics doit être écarté.
10. Par conséquent, les mots « et c » figurant à la première phrase du septième alinéa du 1° de l'article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et c » figurant à la première phrase du septième
alinéa du 1° de l'article L. 5211-6 du code général des collectivités
territoriales, dans sa rédaction résultant de loi n° 2015-991 du 7 août 2015
portant nouvelle organisation territoriale de la République, sont conformes à la
Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 juin 2017 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 mai 2017 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 782 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Horizon OI et la société Horizon OI Outremer télécom océan indien par Me Iqbal Akhoun, avocat au barreau de Saint-Denis de La Réunion. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-641 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 206 de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les territoires et territoires associés relevant des ministères de la France d'Outre-mer, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 82-1114 du 23 décembre 1982 relative au régime législatif du droit du travail dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les
territoires et territoires associés relevant des ministères de la France
d'Outre-mer ;
- l'ordonnance n° 82-1114 du 23 décembre 1982 relative au régime législatif du
droit du travail dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 29 mai
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Akhoun, pour les sociétés requérantes, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 juin 2017
;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 206 de la loi du 15 décembre 1952 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 23 décembre 1982 mentionnée ci-dessus, fixe les conditions dans lesquelles s'exerce l'appel des jugements rendus par les tribunaux du travail de plusieurs territoires ultramarins, dont Mayotte. Son premier alinéa prévoit :« Dans les quinze jours du prononcé du jugement, appel peut être interjeté dans les formes prévues à l'article 190 ».
2. Selon les sociétés requérantes, en instaurant sans justification un délai d'appel spécifique à Mayotte différent de celui applicable dans le ressort de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, dont relève pourtant ce territoire, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la justice.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Dans les quinze jours du prononcé du jugement, » figurant au premier alinéa de l'article 206 de la loi du 15 décembre 1952.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
5. Selon l'article 73 de la Constitution : « Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
6. Les dispositions contestées prévoient un délai d'appel des jugements des juridictions du travail, applicable uniquement dans certains territoires ultramarins, dont Mayotte. L'exclusion qui en résulte du délai de droit commun, fixé d'ailleurs par le pouvoir réglementaire, ne trouve sa justification ni dans une différence de situation des justiciables dans ce territoire par rapport à ceux des autres territoires, ni dans l'organisation juridictionnelle, les caractéristiques ou les contraintes particulières propres au département de Mayotte.
7. Par conséquent, les mots « Dans les quinze jours du prononcé du jugement, » figurant au premier alinéa de l'article 206 de la loi du 15 décembre 1952 méconnaissent le principe d'égalité devant la justice. Ils doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Par suite, à compter de cette date, le délai applicable pour l'appel des jugements mentionnés à l'article 206 de la loi du 15 décembre 1952 est celui de droit commun.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « Dans les quinze jours du prononcé du jugement, »
figurant au premier alinéa de l'article 206 de la loi du 15 décembre 1952, dans
sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 82-1114 du 23 décembre 1982 relative
au régime législatif du droit du travail dans le territoire de la
Nouvelle-Calédonie et dépendances, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 juin 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mme Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407832 du 9 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Alain C. par Me Bruno Dervieu, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-642 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées » des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, et du paragraphe IV de l'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, ratifiée par l'article 25 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier
2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
- la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Matuchansky, Poupot
et Valdelièvre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 31 mai et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 27 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013 mentionnée ci-dessus,
dispose que, pour leur soumission à l'impôt sur le revenu, les plus-values de
cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres
assimilés sont réduites d'un abattement déterminé dans les conditions prévues,
selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater de cet article. Les trois premiers alinéas
du 1 ter prévoient :« L'abattement mentionné au 1 est égal à :
« a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions,
parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ;
« b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions,
parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution ».
2. L'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, institue un abattement, soumis à conditions, sur les plus-values de cession à titre onéreux de titres ou droits de petites et moyennes entreprises réalisées par leurs dirigeants lors de leur départ à la retraite. Le paragraphe IV de cet article prévoit :« En cas de non-respect de la condition prévue au 4° du I à un moment quelconque au cours des trois années suivant la cession des titres ou droits, l'abattement prévu au même I est remis en cause au titre de l'année au cours de laquelle la condition précitée cesse d'être remplie. Il en est de même, au titre de l'année d'échéance du délai mentionné au c du 2° du I, lorsque l'une des conditions prévues au 1° ou au c du 2° du même I n'est pas remplie au terme de ce délai ».
3. Le requérant soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. En effet, elles privent de l'abattement pour durée de détention, prévu au 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, les dirigeants de petites et moyennes entreprises ayant réalisé une plus-value de cession avant le 1er janvier 2013, lorsque cette plus-value est, postérieurement à cette date, rendue imposable à l'impôt sur le revenu du fait de la remise en cause de l'abattement spécifique prévu à l'article 150-0 D ter du même code. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée par rapport aux dirigeants des mêmes entreprises ayant réalisé une plus-value après le 1er janvier 2013. En deuxième lieu, ces dispositions contreviendraient au principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors que l'absence de prise en compte de la durée de détention des titres aboutirait à méconnaître les facultés contributives des redevables. En dernier lieu, ces dispositions seraient contraires à la garantie des droits, en ce qu'elles porteraient atteinte aux situations légalement acquises ou remettraient en cause les effets qui peuvent légitimement en être attendus. En effet, aucun motif d'intérêt général ne justifierait que la plus-value initialement placée sous le régime d'imposition spécifique aux dirigeants de petites et moyennes entreprises partant à la retraite puisse finalement être soumise à d'autres règles d'imposition que celles prévues à la date de sa réalisation.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts.
- Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
6. En vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont prises en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Le deuxième alinéa du 1 de l'article 150-0 D prévoit cependant que ces plus-values peuvent être réduites d'un abattement pour durée de détention déterminé dans les conditions prévues au 1 ter du même article.
7. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2014 mentionnée ci-dessus, dans sa décision du 22 avril 2016 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous deux réserves. D'une part, ces dispositions ne sauraient priver les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013, qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. D'autre part, ces dispositions ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d'assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l'imposition de plus-values mobilières obligatoirement placées en report d'imposition. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
8. Toutefois, le Conseil d'État a saisi le Conseil constitutionnel de la présente question prioritaire de constitutionnalité au motif que la réserve d'interprétation relative à la prise en compte de l'érosion monétaire, énoncée au considérant 11 de la décision du 22 avril 2016 ne s'applique pas au cas exposé par le requérant dans ses griefs, alors même que les motifs de cette décision devraient conduire à une telle application. Cette difficulté dans la détermination du champ d'application d'une réserve d'interprétation, qui affecte la portée de la disposition législative critiquée, constitue un changement des circonstances justifiant, en l'espèce, le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
9. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
11. En premier lieu, les règles de détermination de l'assiette des plus-values mobilières fixées par l'article 150-0 D du code général des impôts ne sont applicables qu'aux plus-values réalisées à compter de l'entrée en vigueur de ces règles, soit le 1er janvier 2013. Il en résulte que les plus-values mobilières réalisées avant cette date, y compris celles rendues imposables à l'impôt sur le revenu postérieurement à cette date, sont exclues du bénéfice de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 ter de l'article 150-0 D. Cette différence de traitement, qui repose sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
12. En second lieu, il résulte de l'assujettissement des plus-values mobilières à l'impôt sur le revenu, prévu par l'article 200 A du code général des impôts, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus prévue par l'article 223 sexies du même code ainsi qu'aux prélèvements sociaux prévus par l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 mentionnée ci-dessus, par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et par les articles L. 136-6 et L. 245-14 du code de la sécurité sociale qu'un taux marginal maximal d'imposition de 62,001 % s'applique à la plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013 qui, du fait de la remise en cause d'un abattement accordé sous conditions avant cette date, se trouve soumise à l'impôt sur le revenu selon les règles de taux en vigueur postérieurement à cette date. Les valeurs mobilières dont la cession a donné lieu à la réalisation de cette plus-value ont pu être détenues sur une longue durée avant cette cession. Faute de tout mécanisme prenant en compte cette durée pour atténuer le montant assujetti à l'impôt sur le revenu, l'application du taux marginal maximal à cette plus-value méconnaîtrait les capacités contributives des contribuables. Par suite, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 11 de la décision du 22 avril 2016, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver une telle plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013, qui ne fait l'objet d'aucun abattement sur son montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
13. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
14. Lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, de bénéficier sous certaines conditions d'un régime dérogatoire d'imposition d'une plus-value, le contribuable doit être regardé comme ayant accepté les conséquences de la remise en cause de ce régime en cas de non-respect des conditions auxquelles il était subordonné. Il en résulte que l'imposition de la plus-value selon les règles applicables l'année de cette remise en cause ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus d'une telle situation. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
15. Sous la réserve énoncée au paragraphe 12 et sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 15 de la décision du 22 avril 2016, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 12 et sous les réserves
énoncées aux considérants 11 et 15 de la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général
des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 407999 du 9 mai 2017), dans les conditions prévues à
l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Amar H. par Me Yann Le
Viavant, avocat au barreau de Valence. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-643 QPC. Elle est relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « dispositions combinées du 2° du I de l'article 109 du code général des impôts,
du 2° du 7 de l'article 158 du même code et du c du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ».
Il a également été saisi le 24 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 408725 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la
Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Dominique L. par la SCP Nataf et Planchat, avocat au barreau
de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2017-650 QPC. Elle est relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit des « dispositions combinées du
7 de l'article 158 du code général des impôts, en tant qu'elles visent au 2° les
bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis du même code, et du c) du I
de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et
des revenus de capitaux mobiliers ;
- la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-610 QPC du 10 février 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour M. Amar H. par Me Le Viavant, enregistrées
les 30 mai et 6 juin 2017 ;
- les observations présentées pour M. Dominique L. par la SCP Nataf et Planchat,
enregistrées les 29 mai et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 2 et 15 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Le Viavant et Éric Planchat, avocat au barreau de Paris,
pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 27 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La question posée pour M. Amar H. a été soulevée à l'occasion d'un litige portant sur des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juillet 1965 mentionnée ci-dessus, du 2° du 7 de l'article 158 du même code et du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus. La question posée pour M. Dominique L. a été soulevée lors d'un recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une instruction administrative du 12 septembre 2012 portant sur l'application de ces dispositions. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 2° du 7 de l'article 158 dans sa rédaction résultant de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus et du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 16 août 2012 mentionnée ci-dessus.
3. Le 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit que sont considérées comme des revenus distribués :« Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ».
4. L'article 158 du code général des impôts, dans cette rédaction, fixe les règles de détermination des différentes catégories de revenus entrant dans la composition du revenu net global soumis à l'impôt sur le revenu. Son 7 dispose que le montant de certains revenus et charges est, pour le calcul de cet impôt, multiplié par 1,25. Selon le 2° de ce 7, ces dispositions s'appliquent :« Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ».
5. Le paragraphe I de l'article L. 136-6 du code la sécurité sociale, dans ces différentes rédactions, prévoit que, pour leur assujettissement à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine, certains revenus sont déterminés comme en matière d'impôt sur le revenu. Selon le c de ce paragraphe I, il en va ainsi : « Des revenus de capitaux mobiliers ».
6. Les requérants contestent l'assujettissement aux contributions sociales, sur une assiette majorée de 25 %, des bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis du code général des impôts et des revenus distribués mentionnés à l'article 109 du même code résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice. Selon eux, cette majoration serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
7. Par conséquent, les questions prioritaires de constitutionnalité portent sur le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans ses rédactions résultant des lois des 29 décembre 2010 et 16 août 2012.
- Sur la recevabilité :
8. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
9. Les dispositions contestées soumettent les revenus de capitaux mobiliers à la contribution sociale généralisée acquittée sur les revenus du patrimoine et en définissent l'assiette. La même assiette est retenue pour la soumission de ces revenus aux autres contributions sociales régies par des dispositions faisant référence, directement ou indirectement, au paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.
10. Ces dispositions renvoient par ailleurs, pour la définition de l'assiette de ces contributions sociales, au « montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu » perçu sur les revenus de capitaux mobiliers. En application du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, les revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, les bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et les revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice, font l'objet d'une assiette majorée : pour le calcul de l'impôt sur le revenu comme pour celui des contributions sociales, le montant de ces revenus est multiplié par 1,25.
11. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2008 mentionnée ci-dessus dans sa décision du 10 février 2017 mentionnée ci-dessus. Il les a déclarées conformes à la Constitution sous réserve que ces dispositions ne soient pas interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les rémunérations et avantages occultes mentionnés au c de l'article 111 du même code. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les requérants dans les présentes questions prioritaires de constitutionnalité.
12. Toutefois, le Conseil d'État a saisi le Conseil constitutionnel des présentes questions prioritaires de constitutionnalité au motif que la réserve d'interprétation énoncée dans la décision du 10 février 2017 ne s'applique pas pour l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ainsi qu'à l'article 123 bis du code général des impôts alors même que les motifs de cette décision devraient conduire à une telle application. Cette difficulté dans la détermination du champ d'application d'une réserve d'interprétation, qui affecte la portée de la disposition législative critiquée, constitue un changement des circonstances justifiant, en l'espèce, le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
13. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
14. En premier lieu, les dispositions contestées ont pour effet d'assujettir le contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il n'a pas disposé.
15. En second lieu, la majoration de l'assiette prévue au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts a été instituée par l'article 76 de la loi du 30 décembre 2005 mentionnée ci-dessus en contrepartie de la baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu, concomitante à la suppression et à l'intégration dans ce barème de l'abattement de 20 % dont bénéficiaient certains redevables de cet impôt, afin de maintenir un niveau d'imposition équivalent.
16. Toutefois, il ressort des travaux préparatoires de cette dernière loi que, pour l'établissement des contributions sociales, cette majoration de l'assiette des revenus en cause n'est justifiée ni par une telle contrepartie, ni par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, ni par aucun autre motif.
17. Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 9 à 12 de la décision du 10 février 2017, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour l'établissement des contributions sociales assises sur les bénéfices ou revenus mentionnés au 2° de ce même 7. Sous cette réserve, le grief tiré de la violation de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
18. Sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 17, le c du paragraphe I de
l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant
de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010
et dans celle résultant de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances
rectificative pour 2012, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405355 du 12 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la communauté de communes du pays roussillonnais par la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-644 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 133 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 ;
- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;
- la décision du Conseil d'État n° 369736 du 16 juillet 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la communauté de communes requérante par Me
Philippe Petit, avocat au barreau de Lyon, enregistrées les 2 et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la commune de
Saint-Dié-des-Vosges et autre, par Me Jean Géhin, avocat au barreau d'Épinal,
enregistrées le 18 mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes du
Vallespir, par Me Édouard Chichet, avocat au barreau des Pyrénées Orientales,
enregistrées le 30 mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes Sud
Roussillon, pour la communauté de communes Salanque Méditerranée, pour la
communauté de communes Agly Fenouilledes, pour la communauté de communes
Roussillon Conflent, pour la communauté de communes Pyrénées Cerdagne, pour la
communauté de communes Salanque Méditerranée, par Me Chichet, enregistrées le 31
mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération
Carcassonne Agglo, par Me Jean-Joseph Giudicelli, avocat au barreau de
Marseille, enregistrées les 2 et 20 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération
de Charleville-Mézières-Sedan, par Me Guillaume Gauch, avocat au barreau de
Paris, enregistrées les 2 et 21 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'établissement public
territorial Grand Orly Seine Bièvre, par Me Gauch, enregistrées le 6 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes
Haut Val de Sèvre et autres, par Mes Stéphane Austry et François Tenailleau,
avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 6 et 20 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la métropole européenne de
Lille, par Me Florence Rault, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 6 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour Bordeaux Métropole, par la
SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 6 et 21 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération
de Pau-Pyrénées, pour la communauté de communes Médoc Cœur de presqu'île venant
aux droits des communautés de communes Centre Médoc et Cœur Médoc, pour la
communauté de communes du Cubzaguais, pour la communauté de communes des lacs
médocains, pour la communauté de communes Latitude Nord Gironde et pour la
communauté de communes Médoc Atlantique venant aux droits de la communauté de
communes Pointe du Médoc, par Me Xavier Boissy, avocat au barreau de Bordeaux,
enregistrées le 16 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes de
Podensac, des Coteaux de Garonne, de Lestiac-sur-Garonne, de Paillet et de Rions
venant aux droits de la communauté de communes de Podensac, par Me Boissy,
enregistrées le 19 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Petit, pour la communauté de communes requérante, Me
Aubéri Gaudron, avocat au barreau de Marseille, pour la communauté
d'agglomération Carcassonne Agglo, Me Géhin, pour la commune de
Saint-Dié-des-Vosges et autre, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour Bordeaux Métropole, Me Gauch, pour la communauté
d'agglomération de Charleville-Mézières-Sedan et autre, Me Austry, pour la
communauté de communes Haut Val de Sèvre et autres, Me Claire Étienne, avocat au
barreau de Paris, pour la métropole européenne de Lille, Me Tiffanie Dubois,
avocat au barreau de Bordeaux, pour la communauté de communes Médoc Cœur de
presqu'île et autres, parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2017 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour Bordeaux Métropole, par la SCP
Foussard-Froger, enregistrée le 7 juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 133 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les arrêtés préfectoraux pris au titre des exercices 2012, 2013 et 2014 constatant le prélèvement opéré sur le montant de la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998) ou de la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales, en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce qu'il aurait été fait application au-delà de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 et de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ».
2. La communauté de communes requérante et les parties intervenantes soutiennent qu'en validant les arrêtés préfectoraux constatant le prélèvement opéré sur la dotation de compensation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale au titre des exercices 2012 à 2014, les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 applicables aux lois de validation.
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.
4. L'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus a transféré le produit de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Parallèlement, afin d'assurer la neutralité financière de ce transfert pour l'État, ce même article 77 a compensé le transfert de cette ressource fiscale par un prélèvement opéré sur la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi du 30 décembre 1998 mentionnée ci-dessus ou sur la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, alors que le paragraphe 1.2.4.1 de l'article 77 prévoit que le transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales s'applique « à compter du 1er janvier 2011 », le paragraphe 1.2.4.2 de ce même article 77 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que la compensation de ce transfert s'appliquait « en 2011 ». De 2012 à 2014, ce prélèvement a été reconduit sur la base de circulaires. Dans une décision du 16 juillet 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil d'État a jugé que la compensation de ce transfert n'était applicable « qu'au titre de la seule année 2011 ».
5. Or, l'intention du législateur, lors de l'adoption de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009, était d'assurer de manière pérenne la neutralité financière du transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales. Les dispositions contestées visent donc à remédier, pour les années 2012 à 2014, au défaut de base légale de la compensation de ce transfert révélé par la décision du Conseil d'État.
6. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu mettre un terme à l'important contentieux fondé sur la malfaçon législative révélée par la décision précitée du Conseil d'État. Il a également entendu prévenir les importantes conséquences financières qui en auraient résulté pour l'État. Dans ces conditions, l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant fait l'objet de ce mécanisme de compensation au titre des années 2012 à 2014 est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général.
7. En deuxième lieu, les arrêtés préfectoraux ne sont validés qu'en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce qu'il aurait été fait application au-delà de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 et de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi du 29 décembre 2014 de finances. Par conséquent, le législateur a précisément défini et limité la portée de la validation.
8. En troisième lieu, le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée.
9. En dernier lieu, les arrêtés préfectoraux validés, qui avaient pour objet d'appliquer la règle de compensation financière du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne méconnaissent ni les principes constitutionnels de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle.
10. L'article 133 de la loi du 29 décembre 2016, qui ne méconnaît ni l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 133 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de
finances rectificative pour 2016 est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 mai 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1457 du 11 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gérard B. par Me Didier Bouthors, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-645 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le
système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bouthors, enregistrées
les 6 et 23 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 juin
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bouthors, pour le requérant, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles ne s'y oppose pas ».
2. Selon le requérant, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable. En effet, en permettant à la partie civile d'obtenir, de droit et quelles que soient les circonstances, le prononcé du huis clos pour le jugement de certains crimes devant la cour d'assises, le législateur aurait porté atteinte au principe de publicité des débats. Le requérant soutient en outre que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la justice, dès lors qu'elles rompraient l'équilibre entre la partie civile, l'accusé et le ministère public. Enfin, le requérant estime que les dispositions contestées, qui qualifient la partie civile de « victime » avant toute décision définitive de condamnation de l'accusé, iraient à l'encontre de la présomption d'innocence.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale.
4. En premier lieu, il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que le jugement d'une affaire pénale doit faire l'objet d'une audience publique sauf circonstances particulières nécessitant, pour un motif d'intérêt général, le huis clos.
5. Les dispositions contestées permettent à une « victime partie civile » d'obtenir de droit le prononcé du huis clos devant la cour d'assises pour le jugement des crimes de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé. D'une part, en réservant cette prérogative à cette seule partie civile, le législateur a entendu assurer la protection de la vie privée des victimes de certains faits criminels et éviter que, faute d'une telle protection, celles-ci renoncent à dénoncer ces faits. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général. D'autre part, cette dérogation au principe de publicité ne s'applique que pour des faits revêtant une particulière gravité et dont la divulgation au cours de débats publics affecterait la vie privée de la victime en ce qu'elle a de plus intime. Le législateur a ainsi défini les circonstances particulières justifiant cette dérogation. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de publicité des débats du procès pénal doit être écarté.
6. En deuxième lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.
7. D'une part, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées est justifiée par l'objectif poursuivi par le législateur rappelé au paragraphe 5. D'autre part, cette différence de traitement ne modifie pas l'équilibre des droits des parties pendant le déroulement de l'audience et ne porte pas atteinte au respect des droits de la défense. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.
8. En troisième lieu, en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.
9. Les dispositions contestées, en évoquant la « victime partie civile », désignent la partie civile ayant déclaré avoir subi les faits poursuivis. Il ne s'en déduit pas une présomption de culpabilité de l'accusé. Le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d'innocence doit donc être écarté.
10. Par conséquent, les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, » figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « le huis clos est de droit si la victime partie civile
ou l'une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, »
figurant au troisième alinéa de l'article 306 du code de procédure pénale, dans
sa rédaction résultant de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer
la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes
prostituées, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 mai 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêts nos 919 et 920 du 16 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été respectivement posées pour M. Alexis K. et M. Anthony G. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2017-646 QPC et 2017-647 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code monétaire et financier ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001 ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique
;
- la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des
activités bancaires ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2001-457 DC du 27 décembre 2001 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les deux requérants par la SCP Piwnica et
Molinié, enregistrées les 8 et 23 juin 2017 ;
- les observations présentées pour l'Autorité des marchés financiers, partie en
défense, par la SCP Ohl et Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 8 et 23 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour les associations French Data
Network et Fédération FDN par Me Alexis Fitzjean O Cobhthaigh, avocat au barreau
de Paris, et pour l'association La Quadrature du Net, par Me Hugo Roy, avocat au
barreau de Paris, enregistrées les 8 et 23 juin 2017 ;
- les observations en intervention sur la question prioritaire de
constitutionnalité n° 2017-646 QPC présentées pour M. Lucien S. par Mes Francis
Teitgen et Frédéric Peltier, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 7 juin
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Loïc Henriot, avocat au barreau de Paris, pour M. Alexis
K., Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
pour M. Anthony G., Me Claude Nicole Ohl, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour l'Autorité des marchés financiers, Me Fitzjean O Cobhthaigh
pour les associations French Data Network et la Fédération FDN, Me Roy pour
l'association La Quadrature du Net, Me Peltier pour M. Lucien S., et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet
2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, définit certaines prérogatives d'enquête et de contrôle des agents de l'Autorité des marchés financiers. La seconde phrase de son premier alinéa prévoit :« Les enquêteurs peuvent également se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et en obtenir la copie ».
3. Les requérants et les parties intervenantes reprochent aux dispositions contestées de porter atteinte au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon eux, le législateur n'aurait pas assorti la procédure de communication des données de connexion aux enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers de garanties suffisantes de nature à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions.
- Sur la recevabilité :
4. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
5. Les dispositions contestées résultent de l'article 62 de la loi du 28 décembre 2001 mentionnée ci-dessus. Le Conseil constitutionnel, qui a spécialement examiné cet article dans les considérants 4 à 9 de sa décision du 27 décembre 2001 mentionnée ci-dessus, ne l'a toutefois pas déclaré conforme à la Constitution dans le dispositif de cette décision.
6. Les questions prioritaires de constitutionnalité sont donc recevables.
- Sur le fond :
7. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
8. En application des dispositions contestées, les agents de l'Autorité des marchés financiers habilités à conduire les enquêtes qu'elle ordonne peuvent se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service. Le paragraphe VI de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques prévoit que les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques « portent exclusivement sur l'identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux ». Ces données « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications ». En vertu du premier alinéa du paragraphe II de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus, les fournisseurs d'accès et les hébergeurs « détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires ».
9. La communication des données de connexion est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la personne intéressée. Si le législateur a réservé à des agents habilités et soumis au respect du secret professionnel le pouvoir d'obtenir ces données dans le cadre d'une enquête et ne leur a pas conféré un pouvoir d'exécution forcée, il n'a assorti la procédure prévue par les dispositions en cause d'aucune autre garantie. Dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions.
10. Par conséquent, la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier doit être déclarée contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
11. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
12. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives et, par suite, il y a lieu de la reporter au 31 décembre 2018.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 621-10 du
code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-672
du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, est
contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 12 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 mai 2017 par le Conseil d'État
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par les associations La
Quadrature du Net, French Data Network et la Fédération de fournisseurs d'accès
à internet associatifs. Cette question est relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 851 2 du code de la
sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21
juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte
antiterroriste.
Ces dispositions permettent à l'administration, pour la prévention du
terrorisme, d'être autorisée à obtenir le recueil en temps réel des données de
connexion relatives à deux catégories de personnes. Sont concernées :
- d'une part, les personnes, préalablement identifiées, susceptibles d'être en
lien avec une menace ;
- d'autre part, les personnes appartenant à l'entourage d'une personne concernée
par une autorisation, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'elles
sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive
l'autorisation.
La partie des dispositions contestées qui prévoit la possibilité pour
l'administration d'être autorisée à recueillir les données de connexion de la
première de ces deux catégories de personnes a été jugée conforme à la
Constitution.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel s'est fondé sur l'encadrement de la
mesure prévu par le législateur : la technique de renseignement en cause ne peut
être mise en œuvre que pour la prévention du terrorisme, l'autorisation est
d'une durée de quatre mois renouvelable, celle-ci est délivrée par le Premier
ministre après avis préalable de la commission nationale de contrôle des
techniques de renseignement, cette commission contrôle la réalisation de la
technique de renseignement et toute personne souhaitant vérifier qu'elle n'est
pas irrégulièrement mise en œuvre peut saisir le Conseil d'État.
En revanche, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution les
dispositions de l'article L. 851 2 du code de la sécurité intérieure qui
permettent de recueillir les données de connexion de la seconde catégorie de
personnes qu'elles visent, celles qui appartiennent à l'entourage de la personne
concernée par une autorisation.
Sur ce point, le Conseil a jugé que le législateur a permis que fasse l'objet de
la technique de renseignement en cause un nombre élevé de personnes, sans que
leur lien avec la menace soit nécessairement étroit. Ainsi, faute d'avoir prévu
que le nombre d'autorisations simultanément en vigueur doive être limité, le
Conseil a considéré que le législateur n'a pas opéré une conciliation équilibrée
entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des
infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée.
Le Conseil constitutionnel a par conséquent déclaré la première phrase du
paragraphe I de l'article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure conforme à
la Constitution. Le Conseil a, en revanche, censuré la seconde phrase de ce même
paragraphe I et reporté au 1er novembre 2017 la date de cette abrogation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405792 du 17 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les associations La Quadrature du Net, French Data Network et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-648 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de
renforcement de la lutte antiterroriste ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par la SCP
Spinosi et Sureau, enregistrées les 14 et 29 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'homme, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 14 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les associations requérantes et l'association intervenante, et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25
juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure,
dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 2016 mentionnée ci-dessus,
prévoit :
« I.- Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre
et pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, peut être
individuellement autorisé le recueil en temps réel, sur les réseaux des
opérateurs et des personnes mentionnés à l'article L. 851-1, des informations ou
documents mentionnés au même article L. 851-1 relatifs à une personne
préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace. Lorsqu'il
existe des raisons sérieuses de penser qu'une ou plusieurs personnes appartenant
à l'entourage de la personne concernée par l'autorisation sont susceptibles de
fournir des informations au titre de la finalité qui motive l'autorisation,
celle-ci peut être également accordée individuellement pour chacune de ces
personnes.
« II.- L'article L. 821-5 n'est pas applicable à une autorisation délivrée en
application du présent article ».
2. Les associations requérantes et l'association intervenante soutiennent que l'article L. 851-2, dans cette rédaction, porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances dès lors, d'une part, que le champ des personnes dont les données de connexion sont susceptibles d'être ainsi recueillies en temps réel serait trop large et, d'autre part, que la durée de l'autorisation serait trop longue.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le paragraphe I de l'article L. 851-2 du code la sécurité intérieure.
- Sur le fond :
4. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée, protégés par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. Les dispositions contestées permettent à l'autorité administrative, pour la prévention du terrorisme, d'obtenir le recueil en temps réel des données de connexion relatives, d'une part, à une personne préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace et, d'autre part, aux personnes appartenant à l'entourage de la personne concernée par l'autorisation lorsqu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'elles sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l'autorisation. Cette technique de recueil de renseignement est autorisée pour une durée de quatre mois renouvelable, conformément à l'article L. 821-4 du code de la sécurité intérieure.
6. En premier lieu, la procédure de réquisition administrative de données de connexion instituée par les dispositions contestées exclut l'accès au contenu des correspondances. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du droit au secret des correspondances doit être écarté.
7. En second lieu, d'une part, le recueil des données de connexion en temps réel ne peut être mis en œuvre que pour les besoins de la prévention du terrorisme. Ne peuvent, par ailleurs, être recueillis que les informations ou documents traités ou conservés par les opérateurs de télécommunication, les fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service.
8. D'autre part, cette technique de recueil de renseignement s'exerce dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du livre VIII du code de la sécurité intérieure. En vertu de l'article L. 821-4 de ce code, elle est autorisée par le Premier ministre ou les collaborateurs directs auxquels il a délégué cette compétence, sur demande écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur ou des ministres chargés de l'économie, du budget ou des douanes, après avis préalable de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Elle est autorisée pour une durée de quatre mois renouvelable. En vertu du paragraphe II de l'article L. 851-2, la procédure d'urgence absolue prévue à l'article L. 821-5 de ce code n'est pas applicable. En application de l'article L. 871-6 du même code, les opérations matérielles nécessaires à la mise en place de la technique mentionnée à l'article L. 851-2 ne peuvent être exécutées, dans leurs réseaux respectifs, que par des agents qualifiés des services ou organismes placés sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des communications électroniques ou des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications.
9. Enfin, cette technique de renseignement est réalisée sous le contrôle de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La composition et l'organisation de cette autorité administrative indépendante sont définies aux articles L. 831-1 à L. 832-5 du code de la sécurité intérieure dans des conditions qui assurent son indépendance. Ses missions sont définies aux articles L. 833-1 à L. 833-11 du même code dans des conditions qui assurent l'effectivité de son contrôle. Conformément aux dispositions de l'article L. 841-1 du même code, le Conseil d'État peut être saisi par toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de recueil de renseignement n'est irrégulièrement mise en œuvre à son égard ou par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
10. Il résulte de ce qui précède que le législateur a assorti la procédure de réquisition des données de connexion, lorsqu'elle s'applique à une personne préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace, de garanties propres à assurer une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et celle des infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée.
11. En revanche, en application des dispositions contestées, cette procédure de réquisition s'applique également aux personnes appartenant à l'entourage de la personne concernée par l'autorisation, dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l'autorisation. Ce faisant, le législateur a permis que fasse l'objet de cette technique de renseignement un nombre élevé de personnes, sans que leur lien avec la menace soit nécessairement étroit. Ainsi, faute d'avoir prévu que le nombre d'autorisations simultanément en vigueur doive être limité, le législateur n'a pas opéré une conciliation équilibrée entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée.
12. Par suite, la seconde phrase du paragraphe I de l'article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure doit être déclarée contraire à la Constitution. La première phrase du même paragraphe, qui ne méconnaît ni le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
13. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
14. L'abrogation immédiate de la seconde phrase du paragraphe I de l'article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er novembre 2017 la date de cette abrogation.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La seconde phrase du paragraphe I de l'article L. 851-2 du code
de la sécurité intérieure dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du
21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte
antiterroriste est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 14 de cette décision
Article 3. - La première phrase du paragraphe I de l'article L. 851-2 du code de
la sécurité intérieure dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21
juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte
antiterroriste est conforme à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 août 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 mai 2017 par le Conseil d'État
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Société civile des
producteurs phonographiques et la Société civile des producteurs de phonogrammes
en France portant sur le 3° de l'article L. 214-1 du code de la propriété
intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-925 du 7 juillet
2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
Les dispositions contestées étaient critiquées au motif qu'elles priveraient les
producteurs et les artistes-interprètes de la possibilité de s'opposer à la
diffusion d'un phonogramme sur certains services de radio par internet, et
porteraient une atteinte disproportionnéeau droit de propriété. Les requérantes
soutenaient également que les dispositions contestées emportent des atteintes à
la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, dès lors que les
producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes seraient empêchés de
déterminer et de négocier le montant de leur rémunération.
Les dispositions contestées portent atteinte au droit de propriété
intellectuelle des artistes-interprètes et des producteurs, en les privant de la
possibilité de s'opposer à la diffusion de leurs phonogrammes sur une radio par
internet, à leur liberté d'entreprendre, du fait des limitations apportées à
l'exercice de leur activité économique, et à leur liberté contractuelle, en les
privant de la possibilité de bénéficier d'une rémunération définie par voie
conventionnelle.
Le Conseil constitutionnel devait se déterminer sur la question de savoir si ces
limitations apportées à différents droits constitutionnellement garantis étaient
proportionnées aux objectifs poursuivis par le législateur.
Le Conseil constitutionnel a d'abord jugé qu'en adoptant les dispositions
contestées, le législateur a entendu faciliter l'accès des services de radio par
internet aux catalogues des producteurs de phonogrammes et ainsi favoriser la
diversification de l'offre culturelle proposée au public. Ce faisant, il a
poursuivi un objectif d'intérêt général.
L'extension de la licence légale aux services radiophoniques sur internet permet
en effet d'améliorer l'offre culturelle tant quantitativement (les webradios
peuvent diffuser davantage de titres) que qualitativement (du fait de la
diversité et du renouvellement rendus possibles par l'apparition d'artistes et
de producteurs nouveaux).
Le Conseil constitutionnel a ensuite considéré, d'une part, que les dispositions
contestées dispensent de l'obligation d'obtenir l'autorisation préalable des
artistes-interprètes et des producteurs seulement pour la communication au
public de phonogrammes par des services de radio par internet non interactifs.
L'extension du régime de licence légale opérée par la loi du 7 juillet 2016
demeure en effet limitée : sont seules concernées les radios sur internet non
interactives. En revanche, les titulaires de droits voisins retrouvent leurs
droits exclusifs dès lors que la diffusion en ligne est susceptible de
concurrencer les exploitations primaires des phonogrammes, c'est-à-dire les
ventes physiques de disques, auxquelles s'ajoutent désormais les ventes par
téléchargement de fichiers audio et l'écoute en ligne sur abonnement via des
plateformes de diffusion en flux ou streaming.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées ne limitent
ainsi les prérogatives des titulaires de droits voisins qu'à l'égard des
services de radio par internet dont les modalités d'offre et de diffusion sont
comparables à celles de la radiodiffusion hertzienne.
D'autre part, le Conseil constitutionnel a tenu compte de ce que la mise en
œuvre des dispositions contestées donne lieu à une rémunération des titulaires
de droits voisins, versée par les utilisateurs de phonogrammes - en particulier
les webradios - en fonction de leurs recettes : Le barème et les modalités de
versement de cette rémunération sont établis soit par des accords spécifiques à
chaque branche d'activité entre les organisations représentatives des
artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant
les phonogrammes, soit à défaut d'accord, par une commission administrative
paritaire. Le Conseil constitutionnel en a conclu qu'une rémunération équitable
est assurée aux titulaires de droits voisins au titre de l'exploitation des
phonogrammes.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Conseil constitutionnel a écarté les griefs
adressés aux dispositions contestées. Il a donc déclaré le premier alinéa et la
seconde phrase du second alinéa du 3° de l'article L. 214-1 du CPI conformes à
la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 23 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 408785 du 17 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Société civile des producteurs phonographiques et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-649 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 3° de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à
l'architecture et au patrimoine ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Piwnica
et Molinié, enregistrées les 13 et 28 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Société civile pour
l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes et la Société
de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes, par la
SELARL Cabinet Vercken et Gaullier, avocat au barreau de Paris, enregistrées les
13 et 29 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour les sociétés requérantes, Me Gilles Vercken, avocat au
barreau de Paris, pour les sociétés intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 3° de l'article L. 214-1 du code de la propriété
intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 juillet 2016
mentionnée ci-dessus, prévoit que, lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins
de commerce, l'artiste-interprète et le producteur ne peuvent s'opposer :« À sa
communication au public par un service de radio, au sens de l'article 2 de la
loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à
l'exclusion des services de radio dont le programme principal est dédié
majoritairement à un artiste-interprète, à un même auteur, à un même compositeur
ou est issu d'un même phonogramme.
« Dans tous les autres cas, il incombe aux services de communication au public
en ligne de se conformer au droit exclusif des titulaires de droits voisins dans
les conditions prévues aux articles L. 212-3, L. 213-1 et L. 213-2. Il en va
ainsi des services ayant mis en place des fonctionnalités permettant à un
utilisateur d'influencer le contenu du programme ou la séquence de sa
communication ».
2. Les sociétés requérantes soutiennent, tout d'abord, que ces dispositions, en ce qu'elles privent les producteurs et les artistes-interprètes de la possibilité de s'opposer à la diffusion d'un phonogramme sur certains services de radio par internet, entraîneraient une privation du droit de propriété ou, à tout le moins, y porteraient une atteinte disproportionnée. Les sociétés requérantes dénoncent, ensuite, des atteintes à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, dès lors que les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes seraient empêchés de déterminer et de négocier le montant de leur rémunération. Elles ajoutent qu'en ne prévoyant pas de dispositions transitoires relatives à la mise en œuvre des dispositions contestées, le législateur aurait affecté l'économie des contrats en cours et ainsi porté atteinte au « principe de sécurité juridique ». Enfin, les sociétés requérantes font état d'une violation du principe d'égalité devant la loi, en ce que le législateur aurait instauré une différence de traitement injustifiée au regard des objectifs poursuivis.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa et la seconde phrase du second alinéa du 3° de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du droit de propriété, de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle :
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété intellectuelle. À ce titre, figure le droit, pour les titulaires du droit d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France.
6. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
7. Les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes sont titulaires de droits voisins du droit d'auteur. D'une part, les artistes-interprètes disposent d'un droit moral, mentionné à l'article L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel « l'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. - Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne. - Il est transmissible à ses héritiers pour la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt ». D'autre part, les artistes-interprètes disposent de droits patrimoniaux, résultant du premier alinéa de l'article L. 212-3 du même code, qui soumet à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète « la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image ». Ces dernières dispositions lui confèrent ainsi le droit exclusif d'autoriser l'exploitation de sa prestation et, le cas échéant, d'en percevoir une rémunération définie par voie contractuelle. Enfin, les producteurs de phonogrammes disposent eux aussi de droits patrimoniaux, correspondant au droit exclusif prévu à l'article L. 213-1, selon lequel l'autorisation du producteur « est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L. 214-1 ».
8. L'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle institue cependant plusieurs dérogations au droit exclusif des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes. Les dispositions contestées prévoient ainsi que, lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l'artiste-interprète et le producteur ne peuvent s'opposer à sa communication au public par certains services de radio par internet.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration de 1789 :
9. D'une part, les dispositions contestées sont dépourvues d'effet sur le droit moral des artistes-interprètes, qui conservent le droit inaliénable et imprescriptible au respect de leur nom, de leur qualité et de leur interprétation. D'autre part, les dérogations instituées par l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle ne s'appliquent qu'à certains modes de communication au public de phonogrammes dont les artistes-interprètes et les producteurs ont déjà accepté la commercialisation. Dès lors, les dispositions contestées n'entraînent pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit ainsi être écarté.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789, de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle :
10. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faciliter l'accès des services de radio par internet aux catalogues des producteurs de phonogrammes et ainsi favoriser la diversification de l'offre culturelle proposée au public. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.
11. En second lieu, d'une part, les dispositions contestées dispensent de l'obligation d'obtenir l'autorisation préalable des artistes-interprètes et des producteurs seulement pour la communication au public de phonogrammes par des services de radio par internet non interactifs. En revanche, cette autorisation demeure requise lorsque le programme principal du service radiophonique est « dédié majoritairement à un artiste-interprète, à un même auteur, à un même compositeur ou est issu d'un même phonogramme » ou lorsque le service radiophonique a « mis en place des fonctionnalités permettant à un utilisateur d'influencer le contenu du programme ou la séquence de sa communication ». Les dispositions contestées ne limitent ainsi les prérogatives des titulaires de droits voisins qu'à l'égard des services de radio par internet dont les modalités d'offre et de diffusion sont comparables à celles de la radiodiffusion hertzienne.
12. D'autre part, en application des cinquième à huitième alinéas de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, la communication au public d'un phonogramme par les services de radio par internet en cause ouvre droit à une rémunération, dont le montant est réparti par moitié entre les artistes-interprètes et les producteurs, versée par le service de radio, en fonction des recettes produites par l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement. Selon les articles L. 214-3 et L. 214-4, le barème et les modalités de versement de cette rémunération sont établis par des accords spécifiques à chaque branche d'activité entre les organisations représentatives des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des personnes utilisant les phonogrammes ou, à défaut d'accord, par une commission administrative paritaire. Il résulte de ces dispositions qu'une rémunération équitable est assurée aux titulaires de droits voisins au titre de l'exploitation des phonogrammes.
13. Par conséquent, les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété intellectuelle, à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi. Les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789, de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle doivent donc être écartés.
- Sur les autres griefs :
14. En premier lieu, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
15. En l'absence de disposition expresse contraire, les dispositions contestées n'affectent pas les contrats légalement conclus avant leur entrée en vigueur. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.
16. En second lieu, dès lors que les dispositions contestées n'instituent aucune différence de traitement, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
17. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa et la seconde phrase du second alinéa du 3° de
l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la
création, à l'architecture et au patrimoine, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 août 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juin 2017 par la
Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par le
comité d'entreprise de l'unité économique et sociale Markem Imaje relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième
alinéa de l'article L. 2323-3 et du dernier alinéa de l'article L. 2323-4 du
code du travail.
Le requérant faisait valoir qu'il résultait de la combinaison de ces articles
que le comité d'entreprise pouvait être réputé avoir rendu un avis négatif sur
la question dont l'a saisi l'employeur, sans que le juge ait statué sur sa
demande de transmission des informations qui lui manquent pour rendre utilement
son avis. En l'absence de caractère suspensif de la saisine du juge et compte
tenu de l'impossibilité matérielle dans laquelle se trouveraient les
juridictions pour respecter le délai de huit jours, le recours offert au comité
d'entreprise serait dépourvu de caractère effectif.
Le Conseil constitutionnel n'a pas suivi ce raisonnement et a jugé conformes à
la Constitution les dispositions contestées.
Sa décision rappelle tout d'abord les garanties prévues par le législateur pour
assurer le respect du principe de participation.
Il a ainsi souligné que les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 2323-3
du code du travail exigent que le comité d'entreprise dispose d'un délai
suffisant pour se prononcer, qui lui permette d'exercer utilement sa compétence
consultative, ce délai ne pouvant être inférieur à quinze jours.
Le Conseil constitutionnel a ensuite précisé que, par symétrie, le premier
alinéa de l'article L. 2323-4 du même code impose à l'employeur de fournir au
comité d'entreprise une information précise et écrite afin de lui permettre de
formuler utilement son avis.
Le Conseil constitutionnel s'est également fondé sur les moyens effectivement
donnés au comité d'entreprise pour prévenir le risque que le comité d'entreprise
soit empêché d'exercer ses prérogatives si l'employeur ne lui délivre qu'une
information imprécise ou incomplète.
Il a, en premier lieu, rappelé que le deuxième alinéa de l'article L. 2323-4
autorise le comité d'entreprise à saisir le juge pour qu'il ordonne la
communication des informations qui lui manquent et que ce dernier se prononce,
en la forme des référés, mais avec ses pleines prérogatives, dans un délai de
huit jours.
En second lieu, répondant à l'argument de l'absence d'effet suspensif de la
saisine du juge, le Conseil constitutionnel a relevé que la prolongation du
délai d'examen par le comité d'entreprise de son avis peut être décidée par le
juge lui-même en cas de difficultés particulières d'accès aux informations
nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité d'entreprise. Le Conseil
a précisé que le juge, à cet égard, tient compte, dans son appréciation, du
délai qui restera, après sa décision, au comité d'entreprise pour rendre son
avis, afin de repousser ce délai pour que le comité puisse se prononcer de
manière utile une fois l'information obtenue.
Enfin, le Conseil constitutionnel a jugé que l'éventualité, à l'occasion de
certaines procédures, du non-respect des délais prévus par la loi, pour des
motifs tenant aux conditions de fonctionnement des juridictions, ne saurait
suffire à entacher celle-ci d'inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré conformes à la Constitution les
dispositions contestées, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2013-504 du
14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juin 2017 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1177 du 1er juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le comité d'entreprise de l'unité économique et sociale Markem Imaje par la SCP Masse-Dessen Thouvenin Coudray, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-652 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article L. 2323-3 du code du travail et du dernier alinéa de l'article L. 2323-4 du même code.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Masse-Dessen
Thouvenin Coudray, enregistrées les 23 juin et 10 juillet 2017 ;
- les observations présentées pour les sociétés Markem Imaje Holding, Markem
Imaje Industries et Markem Imaje SAS, parties en défense, par la SCP Jérôme
Rousseau et Guillaume Tapie, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 28 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 juin
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour le comité central de la
société Électricité de France par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 21 juin et 12 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Confédération Française
Démocratique du Travail par la SCP Masse-Dessen Thouvenin Coudray, enregistrées
le 23 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Confédération Générale du
Travail par la SELARL Dellien associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées
les 28 juin et 13 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Électricité de
France par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 28 juin et 13 juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hélène Masse-Dessen, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour le requérant et la Confédération Française Démocratique
du Travail, Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour les parties en défense, Me François Molinié, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, pour la société Électricité de France, Me
Judith Krivine, avocat au barreau de Paris, pour la Confédération Générale du
Travail, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le comité central de la société Électricité de France, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25
juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige relatif à une demande d'avis adressée au comité d'entreprise requérant, formulée au premier semestre de l'année 2015 et dont le juge a été saisi le 16 juin 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions contestées dans leur rédaction résultant de la loi du 14 juin 2013 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 2323-3 du code du travail, dans cette rédaction, organise la procédure de consultation du comité d'entreprise et en fixe notamment les délais. Son quatrième alinéa prévoit :« À l'expiration de ces délais ou du délai mentionné au dernier alinéa de l'article L. 2323-4, le comité d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif ».
3. L'article L. 2323-4 du même code, dans cette même
rédaction, prévoit que, pour permettre au comité d'entreprise de formuler un
avis motivé, l'employeur doit lui transmettre des informations précises et
écrites et répondre à ses observations. À défaut, les membres élus du comité
d'entreprise peuvent saisir le juge pour qu'il ordonne la communication des
éléments manquants. Le dernier alinéa de cet article prévoit :
« Cette saisine n'a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité
pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d'accès aux
informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité
d'entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l'article L.
2323-3 ».
4. Selon le requérant et certains intervenants, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de participation énoncé au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et le droit à un recours juridictionnel effectif. En effet, il résulterait de la combinaison des dispositions contestées que le comité d'entreprise peut être réputé avoir rendu un avis négatif sur la question dont l'a saisi l'employeur, sans que le juge ait statué sur sa demande de transmission des informations qui lui manquent pour rendre utilement son avis. Les dispositions contestées introduiraient par ailleurs une rupture d'égalité entre les justiciables selon que le juge respecte ou non les délais fixés par le législateur.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de participation et du droit à un recours juridictionnel effectif :
5. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, de fixer les conditions de mise en œuvre du droit des travailleurs de participer par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Le respect de cet alinéa implique que les représentants des salariés bénéficient des informations nécessaires pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l'entreprise.
6. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
7. L'article L. 2323-3 du code du travail détermine les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise émet des avis et des vœux. À l'expiration des délais fixés par cet article, le comité d'entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.
8. En premier lieu, le deuxième alinéa de cet article prévoit que, dans l'exercice de ses attributions consultatives, le comité d'entreprise doit disposer d'un délai suffisant. En vertu du troisième alinéa du même article, ce délai est fixé, sauf dispositions législatives spéciales, par accord entre l'employeur et le comité d'entreprise. Pour certaines consultations, un décret détermine les délais qui s'appliquent en l'absence d'accord. Le délai d'examen laissé au comité d'entreprise ne peut, dans tous les cas, être inférieur à quinze jours et doit lui permettre « d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises et, le cas échéant, de l'information et de la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ».
9. En deuxième lieu, le premier alinéa de l'article L. 2323-4 du même code impose à l'employeur de fournir au comité d'entreprise des informations précises et écrites et de répondre aux observations qu'il lui a adressées, afin de lui permettre de formuler utilement son avis.
10. En troisième lieu, d'une part, afin de prévenir le risque que le comité d'entreprise soit empêché d'exercer ses prérogatives si l'employeur ne lui délivre qu'une information imprécise ou incomplète, le deuxième alinéa de l'article L. 2323-4 du code du travail l'autorise à saisir le juge pour qu'il ordonne la communication des informations manquantes. Le juge se prononce alors en la forme des référés, avec la pleine compétence du tribunal de grande instance. Il doit rendre sa décision dans un délai de huit jours. D'autre part, si le dernier alinéa de ce même article exclut que cette saisine ait, à elle seule, pour effet de prolonger le délai d'examen de l'avis, le législateur a prévu que cette prolongation peut en revanche être décidée par le juge lui-même, « en cas de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité d'entreprise ». À cet égard, le juge tient compte, dans son appréciation, du délai qui restera, après sa décision, au comité d'entreprise pour rendre son avis, afin de repousser ce délai pour que le comité d'entreprise puisse se prononcer de manière utile une fois l'information obtenue.
11. En quatrième lieu, l'éventualité, à l'occasion de certaines procédures, du non-respect des délais prévus par la loi pour des motifs tenant aux conditions de fonctionnement des juridictions ne saurait suffire à entacher celle-ci d'inconstitutionnalité. Dès lors, ne peut être accueilli le grief tiré de ce que, en violation du deuxième alinéa de l'article L. 2323-4 du code du travail, le juge saisi par le comité d'entreprise statuerait souvent au-delà du délai de huit jours, à une date postérieure à l'échéance du délai laissé au comité d'entreprise pour se prononcer.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées sont assorties des garanties nécessaires pour assurer le respect du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Dès lors, le grief tiré de sa méconnaissance doit être écarté. Il en va de même, pour les motifs énoncés aux paragraphes 10 et 11, du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
13. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
14. Les dispositions contestées prévoient des règles et délais identiques pour les comités d'entreprise qui saisissent le juge en application du deuxième alinéa de l'article L. 2323-4 du code du travail. Elles n'établissent donc pas de différence de traitement entre les justiciables. En outre, l'éventualité d'une méconnaissance, par le juge, du délai fixé par la loi ne constitue pas une différence de traitement établie par la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
15. Le quatrième alinéa de l'article L. 2323-3 du code du travail et le dernier alinéa de l'article L. 2323-4 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le quatrième alinéa de l'article L. 2323-3 du code du travail et
le dernier alinéa de l'article L. 2323-4 du même code, dans leur rédaction
résultant de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de
l'emploi, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 août 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 juin 2017 par le Conseil d'État (décision nos 406987, 406990 du 14 juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération générale du travail - Force ouvrière par Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-653 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 3121-1 à L. 3121-8 et L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion
sociale, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-509 DC du 13
janvier 2005 ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Haas, enregistrées le 10
juillet 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10
juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 7 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus prévoit :« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
2. L'article L. 3121-2 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L. 3121-1 sont réunis ».
3. L'article L. 3121-3 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, fait l'objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière ».
4. L'article L. 3121-4 du même code dans cette même
rédaction prévoit : « Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur
le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail
effectif.
« Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu
habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de
repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement
professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de
salaire ».
5. L'article L. 3121-5 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Si le temps de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail est majoré du fait d'un handicap, il peut faire l'objet d'une contrepartie sous forme de repos ».
6. L'article L. 3121-6 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut prévoir une rémunération des temps de restauration et de pause mentionnés à l'article L. 3121-2, même lorsque ceux-ci ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif ».
7. L'article L. 3121-7 du même code dans cette même
rédaction prévoit : « Une convention ou un accord d'entreprise ou
d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche prévoit
soit d'accorder des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage
mentionnés à l'article L. 3121-3, soit d'assimiler ces temps à du temps de
travail effectif.
« Une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une
convention ou un accord de branche prévoit des contreparties lorsque le temps de
déplacement professionnel mentionné à l'article L. 3121-4 dépasse le temps
normal de trajet ».
8. L'article L. 3121-8 du même code dans cette même
rédaction prévoit : « À défaut d'accords prévus aux articles L. 3121-6 et L.
3121-7 :
« 1° Le contrat de travail peut fixer la rémunération des temps de restauration
et de pause ;
« 2° Le contrat de travail prévoit soit d'accorder des contreparties aux temps
d'habillage et de déshabillage mentionnés à l'article L. 3121-3, soit
d'assimiler ces temps à du temps de travail effectif ;
« 3° Les contreparties prévues au second alinéa de l'article L. 3121-7 sont
déterminées par l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou, à
défaut, des délégués du personnel, s'ils existent ».
9. L'article L. 3121-41 du même code dans cette même
rédaction prévoit : « Lorsqu'est mis en place un dispositif d'aménagement du
temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les
heures supplémentaires sont décomptées à l'issue de cette période de référence.
« Cette période de référence ne peut dépasser trois ans en cas d'accord
collectif et neuf semaines en cas de décision unilatérale de l'employeur.
« Si la période de référence est annuelle, constituent des heures
supplémentaires les heures effectuées au delà de 1 607 heures.
« Si la période de référence est inférieure ou supérieure à un an, constituent
des heures supplémentaires les heures effectuées au delà d'une durée
hebdomadaire moyenne de trente-cinq heures calculée sur la période de référence
».
10. L'article L. 3121-42 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Dans les entreprises ayant mis en place un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les salariés sont informés dans un délai raisonnable de tout changement dans la répartition de leur durée de travail ».
11. L'article L. 3121-43 du même code dans cette même rédaction prévoit : « La mise en place d'un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine par accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail pour les salariés à temps complet ».
12. L'article L. 3121-44 du même code dans cette même
rédaction prévoit :
« En application de l'article L. 3121-41, un accord d'entreprise ou
d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut
définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la
répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine. Il
prévoit :
« 1° La période de référence, qui ne peut excéder un an ou, si un accord de
branche l'autorise, trois ans ;
« 2° Les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou
d'horaires de travail ;
« 3° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des
absences ainsi que des arrivées et des départs en cours de période de référence.
« Lorsque l'accord s'applique aux salariés à temps partiel, il prévoit les
modalités de communication et de modification de la répartition de la durée et
des horaires de travail.
« L'accord peut prévoir une limite annuelle inférieure à 1 607 heures pour le
décompte des heures supplémentaires.
« Si la période de référence est supérieure à un an, l'accord prévoit une limite
hebdomadaire, supérieure à trente-cinq heures, au delà de laquelle les heures de
travail effectuées au cours d'une même semaine constituent en tout état de cause
des heures supplémentaires dont la rémunération est payée avec le salaire du
mois considéré. Si la période de référence est inférieure ou égale à un an,
l'accord peut prévoir cette même limite hebdomadaire. Les heures supplémentaires
résultant de l'application du présent alinéa n'entrent pas dans le décompte des
heures travaillées opéré à l'issue de la période de référence mentionnée au 1°.
« L'accord peut prévoir que la rémunération mensuelle des salariés est
indépendante de l'horaire réel et détermine alors les conditions dans lesquelles
cette rémunération est calculée, dans le respect de l'avant-dernier alinéa ».
13. L'article L. 3121-45 du même code dans cette même rédaction prévoit : « À défaut d'accord mentionné à l'article L. 3121-44, l'employeur peut, dans des conditions fixées par décret, mettre en place une répartition sur plusieurs semaines de la durée du travail, dans la limite de neuf semaines pour les entreprises employant moins de cinquante salariés et dans la limite de quatre semaines pour les entreprises de cinquante salariés et plus ».
14. L'article L. 3121-46 du même code dans cette même rédaction prévoit : « Par dérogation à l'article L. 3121-45, dans les entreprises qui fonctionnent en continu, l'employeur peut mettre en place une répartition de la durée du travail sur plusieurs semaines ».
15. L'article L. 3121-47 du même code dans cette même rédaction prévoit : « À défaut de stipulations dans l'accord mentionné à l'article L. 3121-44, le délai de prévenance des salariés en cas de changement de durée ou d'horaires de travail est fixé à sept jours ».
16. Le syndicat requérant soutient que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. D'une part, en renvoyant au contrat de travail, en l'absence d'accord collectif, la fixation de la rémunération des temps de restauration et de pause et les contreparties aux temps d'habillage, de déshabillage et de trajet professionnel, ces dispositions créeraient des situations inégalitaires contraires à la Constitution. D'autre part, elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les entreprises de plus ou moins cinquante salariés, en prévoyant des périodes de référence différentes pour l'aménagement du temps de travail en l'absence d'accord collectif.
17. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les articles L. 3121-8 et L. 3121-45 du code du travail.
- Sur la recevabilité :
18. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
19. Dans sa décision du 13 janvier 2005 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 69 de la loi du 18 janvier 2005 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré les dispositions de cet article conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Cet article comportait des dispositions identiques à celles du quatrième alinéa de l'article L. 3121-8 du code du travail contesté par le syndicat requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
20. Dès lors, et en l'absence de changement des circonstances, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l'article L. 3121-8 du code du travail.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les trois premiers alinéas de l'article L. 3121-8 du code du travail :
21. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
22. En application de l'article L. 3121-2, le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. En application de l'article L. 3121-3 du même code, le temps nécessaire aux opérations d'habillage et de déshabillage doit, lorsque certaines conditions définies par le législateur sont remplies, faire l'objet de contreparties sous forme de repos ou sous forme financière.
23. En application de l'article L. 3121-6 du code du travail, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut prévoir une rémunération des temps de restauration et de pause et, en application de l'article L. 3121-7, ces mêmes conventions ou accords doivent prévoir des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage ou les assimiler à du temps de travail effectif.
24. Selon les trois premiers alinéas de l'article L. 3121-8 du même code, à défaut de conclusion d'une convention ou d'un accord collectifs, il revient au contrat de travail de fixer, le cas échéant, une rémunération des temps de restauration et de pause et de prévoir soit des contreparties aux temps d'habillage et de déshabillage, soit de les assimiler à du temps de travail effectif.
25. Dès lors, le renvoi au contrat de travail opéré par les dispositions contestées a pour seul objet, s'agissant des temps de pause et de restauration, de déterminer s'ils font l'objet d'une rémunération, ainsi que le montant de celle-ci, lorsqu'ils ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif. S'agissant des temps d'habillage et de déshabillage, ce renvoi se limite à déterminer si ces derniers font l'objet de contreparties sous forme de repos ou sous forme financière, ou s'ils sont assimilés à du temps de travail effectif.
26. En renvoyant en ces termes à la négociation entre l'employeur et le salarié du contrat de travail, le législateur a traité de la même manière tous les salariés placés, compte tenu de l'absence d'une convention ou d'un accord collectifs, dans la même situation.
27. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté. Les trois premiers alinéas de l'article L. 3121-8 du code du travail, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
. En ce qui concerne l'article L. 3121-45 du code du travail :
28. En application de l'article L. 3121-44 du code du travail, un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, peut définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine.
29. Selon l'article L. 3121-45, à défaut d'accord mentionné à l'article L. 3121-44, l'employeur peut mettre en place une répartition sur plusieurs semaines de la durée du travail, dans la limite de neuf semaines pour les entreprises employant moins de cinquante salariés et de quatre semaines pour les entreprises de cinquante salariés et plus.
30. Les dispositions contestées créent, en ce qui concerne l'aménagement de la répartition du temps de travail, une différence de traitement entre les entreprises n'ayant pas conclu une convention ou un accord collectifs selon qu'elles emploient moins de cinquante salariés ou cinquante salariés et plus.
31. Toutefois, d'une part, ainsi que cela ressort d'ailleurs des travaux préparatoires, la présence de représentants des salariés, qui est requise pour la négociation d'un accord ou d'une convention collectifs, est plus fréquente dans les entreprises de cinquante salariés, lesquelles peuvent d'ailleurs disposer d'un comité d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2322-2 du code du travail et de délégués syndicaux désignés dans les conditions prévues à l'article L. 2143-3 du même code. Ces entreprises sont donc dans une situation différente de celle des entreprises de moins de cinquante salariés au regard de la possibilité de recourir à la négociation collective.
32. D'autre part, en prévoyant une période maximale pour l'aménagement du temps de travail plus longue pour les entreprises de moins de cinquante salariés, en l'absence de convention ou d'accord collectifs, le législateur a souhaité permettre l'aménagement de la répartition du temps de travail dans ces entreprises. Il a tenu compte de leur plus grande difficulté d'accès à la négociation collective, tout en limitant la durée sur laquelle l'aménagement du temps de travail est possible en l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord. Il a ainsi retenu un critère en adéquation avec l'objet de la loi.
33. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement instituée par l'article L. 3121-45 du code du travail ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi. Cet article, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner la
question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de
l'article L. 3121-8 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n°
2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue
social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Article 2. - Les trois premiers alinéas de l'article L. 3121-8 et l'article L.
3121-45 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1088
du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à
la sécurisation des parcours professionnels, sont conformes à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 septembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 juin 2017 par le
Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.
213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696
du 15 juillet 2008 relative aux archives.
Les dispositions contestées, relatives aux archives publiques émanant du
Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du
Gouvernement, étaient critiquées en ce qu'elles auraient conféré aux
responsables politiques ou à leur mandataire un droit exclusif d'autoriser, de
façon discrétionnaire, la divulgation anticipée des documents qu'ils ont versés
aux archives. Le requérant soutenait qu'il en résultait une méconnaissance du
droit de demander compte à un agent public de son administration, garanti par
l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et
une méconnaissance du droit du public à recevoir des informations. Il invoquait
en outre une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, dans
la mesure où l'autorité administrative, saisie d'une demande de consultation,
est tenue de se conformer au refus d'accès discrétionnairement opposé par le
responsable politique ou par son mandataire.
En premier lieu, par sa décision, le Conseil constitutionnel précise la portée
de l'article 15 de la Déclaration de 1789, invoqué par le requérant à l'appui de
son premier grief.
Dans un paragraphe de principe inédit, il juge qu'est garanti par cette
disposition le droit d'accès aux documents d'archives publiques. Il est,
toutefois, loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à
des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la
condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de
l'objectif poursuivi.
Par ce nouveau paragraphe de principe est franchie une étape significative de la
jurisprudence constitutionnelle, qui ne comprenait jusqu'alors que très peu de
développements sur la portée de l'article 15 de la Déclaration de 1789.
Dans le cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel relève
que, par les dispositions contestées, le législateur a conféré au signataire du
protocole de versement ou à son mandataire le pouvoir d'autoriser la
consultation anticipée des archives publiques émanant du Président de la
République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, de
manière à accorder une protection particulière à ces archives, qui peuvent
comporter des informations susceptibles de relever du secret des délibérations
du pouvoir exécutif et, ainsi, à favoriser la conservation et le versement de
ces documents. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt
général.
En outre, cette restriction au droit d'accès aux documents d'archives publiques
est limitée dans le temps. D'une part, les protocoles relatifs aux archives
versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008 cessent de plein droit
d'avoir effet lors du décès de leur signataire et, en tout état de cause, à
l'expiration des délais fixés par l'article L. 213-2 du code du patrimoine.
D'autre part, les clauses relatives à la faculté d'opposition du mandataire
figurant dans les protocoles régissant les archives versées avant cette même
publication cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du
signataire.
Le Conseil constitutionnel juge qu'en conséquence, les limitations apportées par
les dispositions contestées à l'exercice du droit d'accès aux documents
d'archives publiques découlant de l'article 15 de la Déclaration de 1789 sont
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à cet objectif. Il
écarte par ces motifs le grief tiré de la méconnaissance de cet article.
En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel juge qu'en définissant des
conditions spécifiques de communication des archives publiques du Président de
la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, les
dispositions contestées ne portent pas d'atteinte à l'exercice de la liberté
d'expression et de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration de
1789.
Enfin, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées ne
privent pas la personne à qui est opposé un refus de consultation du droit de
contester cette décision devant le juge. La circonstance que l'autorité
administrative ne puisse surmonter l'absence d'accord du signataire du protocole
ou, le cas échéant, de son mandataire n'entraîne pas, par elle-même, d'atteinte
au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
Le Conseil constitutionnel déclare ainsi conformes à la Constitution les
dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 29 juin 2017 par le Conseil d'État (décision n° 409568 du 28 juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. François G. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-655 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du patrimoine ;
- la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau,
enregistrées les 21 juillet et 7 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 21
juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 7 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa
rédaction résultant de la loi du 15 juillet 2008 mentionnée ci-dessus, prévoit
:« Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la
République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être
assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des
archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation,
de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais
prévus à l'article L. 213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également
s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs
personnels de l'autorité signataire.
« Pour l'application de l'article L. 213-3, l'accord de la partie versante
requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est
donné par le signataire du protocole.
« Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire
et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article
L. 213-2.
« Les documents d'archives publiques versés antérieurement à la publication de
la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives demeurent régis par
les protocoles alors signés. Toutefois, les clauses de ces protocoles relatives
au mandataire désigné par l'autorité signataire cessent d'être applicables
vingt-cinq ans après le décès du signataire ».
2. Le requérant conteste ces dispositions, relatives aux archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, au motif qu'elles confèreraient aux responsables politiques ou à leur mandataire un droit exclusif d'autoriser, de façon discrétionnaire, la divulgation anticipée des documents qu'ils ont versés aux archives. Il en résulterait une méconnaissance du droit de demander compte à un agent public de son administration, prévu à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont le droit d'accès aux archives publiques serait un « corollaire nécessaire ». Il en résulterait également une méconnaissance du droit du public à recevoir des informations, qui découlerait du droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l'article 11 de la Déclaration de 1789. Enfin, le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 serait méconnu, dans la mesure où l'autorité administrative est tenue de se conformer au refus discrétionnairement opposé par le responsable politique ou par son mandataire.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration de 1789 :
4. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Est garanti par cette disposition le droit d'accès aux documents d'archives publiques. Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
5. Selon le premier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine, le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature de protocoles, conclus entre la partie versante et l'administration des archives, déterminant notamment les conditions de communication du fonds versé. En application de l'article L. 213-3 du même code, l'autorisation de consultation de ces documents avant l'expiration des délais fixés à l'article L. 213-2, qui varient en fonction des intérêts protégés, peut être accordée aux personnes qui en font la demande « dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ».
6. En application des dispositions contestées, cette consultation anticipée, lorsqu'elle porte sur des archives publiques versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008, requiert l'autorisation préalable du signataire du protocole. La consultation anticipée des archives versées avant cette publication, qui demeure régie par les protocoles conclus antérieurement, nécessite l'autorisation du signataire ou, le cas échéant, de son mandataire.
7. En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu'en conférant au signataire du protocole ou à son mandataire le pouvoir d'autoriser la consultation anticipée des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, le législateur a entendu, en les plaçant sous le contrôle des intéressés, accorder une protection particulière à ces archives, qui peuvent comporter des informations susceptibles de relever du secret des délibérations du pouvoir exécutif et, ainsi, favoriser la conservation et le versement de ces documents. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.
8. En second lieu, cette restriction au droit d'accès aux documents d'archives publiques est limitée dans le temps. D'une part, les protocoles relatifs aux archives versées après la publication de la loi du 15 juillet 2008 cessent de plein droit d'avoir effet lors du décès de leur signataire et, en tout état de cause, pour les documents relevant de l'article L. 213-2 du code du patrimoine, à l'expiration des délais fixés par cet article. D'autre part, les clauses relatives à la faculté d'opposition du mandataire figurant dans les protocoles régissant les archives versées avant cette même publication cessent d'être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire.
9. Par conséquent, les limitations apportées par les dispositions contestées à l'exercice du droit d'accès aux documents d'archives publiques résultant de l'article 15 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à cet objectif. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
- Sur les autres griefs :
10. En premier lieu, en définissant des conditions spécifiques de communication des archives publiques du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement, les dispositions contestées ne portent pas d'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
11. En second lieu, les dispositions contestées ne privent pas la personne à qui est opposé un refus de consultation du droit de contester cette décision devant le juge. La circonstance que l'autorité administrative ne puisse surmonter l'absence d'accord du signataire du protocole ou, le cas échéant, de son mandataire n'entraîne par elle-même pas d'atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
12. Par conséquent, le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 213-4 du code du patrimoine, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa et la première phrase du dernier alinéa de
l'article L. 213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi
n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 septembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 juin 2017 par le Conseil d'État (décision n° 406437 du 26 juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société BPCE par la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-654 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004 relative à des mesures de
simplification en matière fiscale, ratifiée par l'article 78 de la loi n°
2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Matuchansky,
Poupot, Valdelièvre, enregistrées les 20 juillet et 3 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 20
juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par
le Premier ministre, à l'audience publique du 12 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige portant sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice clos en 2007. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 mars 2004 mentionnée ci-dessus.
2. Ces dispositions, dans cette rédaction, prévoient :«
Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les
revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et
1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant
de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre.
« Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce
dernier impôt correspondant au montant desdits revenus ».
3. Selon la société requérante, ces dispositions, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, interdisent d'imputer un crédit d'impôt d'origine étrangère sur l'impôt sur les sociétés dû au titre d'un autre exercice que celui au cours duquel le crédit d'impôt est obtenu. Ce crédit d'impôt ne pouvant être complètement utilisé que si les résultats de l'exercice au cours duquel il est obtenu sont suffisamment bénéficiaires, il en résulterait, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement injustifiée entre sociétés selon les résultats de cet exercice. La société requérante reproche à ces mêmes dispositions de méconnaître le principe d'égalité devant la loi selon l'État dans lequel l'impôt étranger a été acquitté. Ces dispositions méconnaîtraient également le principe d'égalité devant les charges publiques en raison de la double imposition à laquelle serait soumise une société se trouvant dans l'impossibilité d'imputer le crédit d'impôt d'origine étrangère. Enfin, en privant, dans ce cas, le contribuable de la créance qu'il détiendrait sur l'État, ces dispositions violeraient le droit de propriété.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :
5. Selon la société requérante, lorsque le résultat d'une société déficitaire redevient bénéficiaire, la diminution de son déficit reportable impliquerait que les produits qu'elle a reçus au cours d'un exercice déficitaire soient effectivement imposés à l'impôt sur les sociétés au titre d'un exercice ultérieur et viennent en diminution de son déficit reportable. Il est en conséquence soutenu que, en ne permettant pas à une société déficitaire ou insuffisamment bénéficiaire d'imputer l'impôt retenu à la source ou un crédit d'impôt d'origine étrangère sur l'impôt sur les sociétés dû au titre d'un autre exercice que celui au cours duquel la retenue à la source a été appliquée ou le crédit d'impôt d'origine étrangère obtenu, les dispositions contestées auraient pour effet de soumettre cette société à une double imposition différée dans le temps.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Les revenus de capitaux mobiliers visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis du code général des impôts font l'objet de la retenue à la source de l'impôt sur le revenu prévue à l'article 119 bis du même code. Ils sont également compris dans le résultat imposable des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés. Afin d'éviter la double imposition de ces revenus, le a du 1 de l'article 220 du code général des impôts prévoit que cette retenue à la source s'impute sur le montant de l'impôt sur les sociétés.
8. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que cette imputation « s'opère sur l'impôt sur les sociétés à la charge du bénéficiaire de ces revenus au titre de cet exercice » et que la même règle s'applique aux crédits d'impôt d'origine étrangère correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger et visant à éviter une double imposition.
9. D'une part, le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce qu'un même contribuable soit soumis à plusieurs impositions sur une même assiette. D'autre part, ce principe n'impose pas au législateur, pour l'établissement de l'impôt perçu en France, de tenir compte d'autres impôts acquittés à l'étranger sur les produits que le contribuable reçoit. D'ailleurs, lorsqu'ils constituent des charges du point de vue fiscal, les retenues à la source ou les crédits d'impôt d'origine étrangère peuvent, sauf exception, être déduits du résultat imposable en application de l'article 39 du code général des impôts, augmentant d'autant pour les sociétés déficitaires le déficit admis en déduction d'éventuels bénéfices ultérieurs. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit en tout état de cause être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
10. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
11. En interdisant de reporter sur un exercice ultérieur la retenue à la source de l'impôt sur le revenu ou un crédit d'impôt d'origine étrangère, les dispositions contestées traitent de la même manière toutes les sociétés, quels que soient leurs résultats. Elles ne créent pas non plus, s'agissant des crédits d'impôt d'origine étrangère, de différence selon l'État d'origine des revenus. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :
12. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. En l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17, il résulte néanmoins de l'article 2 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
13. Ni la retenue à la source de l'impôt sur le revenu prélevée sur les produits reçus en France, ni le crédit d'impôt dont la retenue à la source à l'étranger peut être assortie ne constituent un acompte sur le paiement au Trésor de l'impôt sur les sociétés. Par conséquent, ni l'un ni l'autre n'ont le caractère d'une créance restituable. Le grief tiré la méconnaissance du droit de propriété est donc inopérant.
14. Le premier alinéa du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts, qui ne méconnait aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du a du 1 de l'article 220 du code général des
impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004 relative à des mesures de simplification, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 septembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 juillet 2017 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1190 du 29 juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Marie B. par la SELARL Salmon et associés, avocat au barreau de Caen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-656 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 9 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette
sociale ;
- la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale
pour 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Pierre Ricard, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 24 juillet et 8 août
2017 ;
- les observations présentées par la caisse de mutualité sociale agricole Côtes
normandes, partie en défense, enregistrées le 17 juillet 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 25
juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Ricard, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 12 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le A du paragraphe I de l'article 9 de la loi du 23
décembre 2013 mentionnée ci-dessus insère un 4° à l'article L. 731-14 du code
rural et de la pêche maritime élargissant la liste des revenus considérés comme
des revenus professionnels pour la détermination de l'assiette des cotisations
dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions
agricoles. Le paragraphe II de ce même article prévoit :« Le A du I s'applique
aux cotisations de sécurité sociale et contributions sociales dues au titre des
périodes courant à compter du 1er janvier 2014, sous réserve des dispositions
transitoires suivantes :
« 1° Les revenus mentionnés au 4° de l'article L. 731-14 du code rural et de la
pêche maritime sont pris en compte pour 75 % de leur montant pour le calcul de
l'assiette des cotisations et contributions dues au titre de l'année 2014 ;
« 2° Pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole relevant du premier
alinéa de l'article L. 731-15 du même code, l'assiette des cotisations et
contributions dues au titre de l'année 2014 est constituée par la moyenne des
revenus professionnels mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 731-14 dudit code,
à laquelle sont ajoutés 75 % des revenus mentionnés au 4° du même article perçus
en 2013 ;
« 3° Pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole relevant du premier
alinéa de l'article L. 731-15 du même code, l'assiette des cotisations et
contributions dues au titre de l'année 2015 est constituée par la moyenne des
revenus professionnels mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 731-14 dudit code,
à laquelle est ajoutée la moyenne des revenus mentionnés au 4° du même article
perçus en 2013 et 2014 ».
2. Le requérant soutient que ces dispositions auraient pour effet de soumettre à une double imposition certains revenus de capitaux mobiliers mentionnés au 4° de l'article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime. En effet, avant la loi du 23 décembre 2013, ces revenus étaient soumis à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale en qualité de revenus du patrimoine. En application de cette loi, ils sont, depuis le 1er janvier 2014, soumis à ces contributions en qualité de revenus d'activité. Selon le requérant, le législateur aurait ainsi soumis ceux de ces revenus perçus en 2013 à la fois aux contributions sociales applicables aux revenus du patrimoine et à celles applicables aux revenus d'activité. Cette double imposition porterait atteinte à une situation légalement acquise dès lors que les contributions sociales sur les revenus du patrimoine revêtiraient un caractère libératoire. Les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 seraient donc méconnues.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et contributions sociales » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 23 décembre 2013.
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
5. En application du 4° de l'article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime, sont notamment considérés comme revenus professionnels pour la détermination de l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles « les revenus de capitaux mobiliers définis aux articles 108 à 115 du code général des impôts perçus par le chef d'exploitation ou d'entreprise agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou ses enfants mineurs non émancipés ».
6. En application du code de la sécurité sociale, ces revenus de capitaux mobiliers étaient, avant l'entrée en vigueur de ce 4°, soumis à la contribution sociale généralisée en qualité de revenus du patrimoine ou de produits de placement et, en application de l'ordonnance du 24 janvier 1996 mentionnée ci-dessus, à la contribution au remboursement de la dette sociale pesant sur ces mêmes revenus et produits. En application de l'article L. 136-4 du même code et de l'article 14 de la même ordonnance, ils sont, depuis cette entrée en vigueur, soumis à ces mêmes contributions en qualité de revenus d'activité. Selon l'article L. 731-15 du code rural et de la pêche maritime, les revenus pris en compte dans l'assiette de ces dernières contributions sont constitués par la moyenne des revenus se rapportant aux trois années antérieures à celle au titre de laquelle la contribution est due. Enfin, aux termes du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 23 décembre 2013, le 4° de l'article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime s'applique aux contributions sociales dues au titre des périodes courant à compter du 1er janvier 2014. Pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, l'assiette des contributions dues au titre de l'année 2014 inclut notamment 75 % des revenus mentionnés au 4° du même article perçus en 2013.
7. Il résulte de ce qui précède que certains revenus de capitaux mobiliers perçus en 2013 ont pu être soumis en 2013 à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale en qualité de revenus du patrimoine ou de produits de placement. Ces mêmes revenus ont, par ailleurs, pu être pris en compte dans le calcul de la moyenne des revenus dont résulte l'assiette de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale portant sur les revenus d'activité dus au titres de l'année 2014. Toutefois, aucune disposition législative ne prévoit que la contribution sociale généralisée et la contribution au remboursement de la dette sociale sur les revenus du patrimoine ou les produits de placement dues au titre de 2013 revêtaient un caractère libératoire. Dès lors, en intégrant à compter du 1er janvier 2014 les revenus de capitaux mobiliers mentionnés au 4° de l'article L. 731-14 du code rural et de la pêche maritime dans l'assiette de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale sur les revenus d'activité, le législateur n'a pas porté atteinte à des situations légalement acquises ni remis en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
8. Les mots « et contributions sociales » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi du 23 décembre 2013, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et contributions sociales » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article 9 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de
financement de la sécurité sociale pour 2014 sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 septembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mme Corinne LUQUIENS et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 juillet 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 1221 du 4 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Jacques M. par Me Philippe Mercier, avocat au barreau de Tours. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-658 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Mercier, enregistrées les
27 juillet et 4 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Mercier, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige relatif à l'assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit des sommes perçues par le bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie, à la suite du décès du souscripteur, survenu le 28 février 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2014 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts, dans cette rédaction, prévoit :« Les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 € ».
3. Selon le requérant, les dispositions contestées seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques. D'une part, elles ne tiendraient pas compte des retraits effectués par le souscripteur du contrat d'assurance-vie, postérieurement au versement des primes qu'il a effectué après soixante-dix ans. Elles incluraient ainsi, dans l'assiette des droits de mutation mis à la charge du bénéficiaire, des sommes dont il ne peut avoir eu la disposition, puisque l'assuré en a disposé avant son décès. D'autre part, l'appréciation des facultés contributives du bénéficiaire ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels dans la mesure où, lorsque le montant des retraits est tel que les droits de mutation doivent être calculés sur les sommes versées au bénéficiaire et non sur le montant des primes versées par l'assuré après soixante-dix ans, l'assiette de l'impôt ainsi retenue inclurait les produits des primes versées.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. En application du paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts, les sommes versées au bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie sont, par exception au régime fiscal de l'assurance-décès, soumises aux droits de mutation par décès à concurrence du montant des primes versées par l'assuré après soixante-dix ans. Cette assiette est également limitée à la fraction de ces sommes supérieure à 30 500 euros.
6. En premier lieu, il résulte des dispositions contestées que même lorsque, compte tenu des retraits effectués par l'assuré avant son décès, le montant des primes versées par celui-ci après soixante-dix ans est supérieur aux sommes versées au bénéficiaire de l'assurance-vie, l'assiette des droits de mutation est limitée à ces dernières. L'impôt porte ainsi sur un revenu dont le bénéficiaire dispose effectivement.
7. En second lieu, si le législateur a, d'une manière générale, soumis l'assurance-vie à un régime fiscal favorable, afin de promouvoir le recours à ce type d'épargne de long terme, les exceptions qui y sont apportées par les dispositions contestées visent à décourager le recours tardif à cet instrument d'épargne dans le but d'échapper à la fiscalité successorale. Compte tenu du but ainsi poursuivi, le législateur pouvait prévoir que l'impôt serait dû à raison du seul versement des primes après soixante-dix ans, sans tenir compte des retraits effectués postérieurement à ce versement par l'assuré. De la même manière, il lui était loisible de soumettre aux droits de mutation les sommes versées au bénéficiaire, sans distinguer entre la fraction correspondant aux primes initialement versées par l'assuré et celle correspondant aux produits de ces primes. En adoptant les dispositions contestées, le législateur s'est donc fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. Le paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le paragraphe I de l'article 757 B du code général des impôts,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de
finances rectificative pour 2014, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 juillet 2017 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1192 du 29 juin 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Valeo systèmes de contrôle moteur par Me Olivier Angotti, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-657 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 et de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-706 DC du 18 décembre 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante, par la SCP Célice,
Soltner, Texidor, Perier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et
par Me Angotti, enregistrées les 25 juillet et 9 août 2017 ;
- les observations présentées pour l'union de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et d'allocations familiales Pays de la Loire, partie en
défense, par la SCP Gatineau Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, enregistrées les 24 juillet et 7 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 25
juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Atos Consulting et
autres, par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, enregistrées le 25 juillet
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Valeo embrayages
et autres, par Me Angotti et la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier,
enregistrées le 25 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Cora et autres,
par Mes Stéphane Austry et Ghislain Beaure d'Augères, avocats au barreau des
Hauts-de-Seine, enregistrées le 25 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Renault SAS, par
Mes David Rigaud et Xavier Pignaud, avocats au barreau de Paris, enregistrées le
25 juillet 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Angotti, pour la société requérante ainsi que pour la
société Valeo embrayages et autres, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me Damien Célice,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société Atos
Consulting et autres, parties intervenantes, Mes Austry et Beaure d'Augères,
pour la société Cora et autres, parties intervenantes, Me Rigaud, pour la
société Renault SAS, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le
Premier ministre, à l'audience publique du 26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans
sa rédaction résultant de la loi du 24 décembre 2007 mentionnée ci-dessus,
prévoit :« Le financement de l'allocation de logement relevant du présent titre
et des dépenses de gestion qui s'y rapportent est assuré par le fonds national
d'aide au logement mentionné à l'article L. 351-6 du code de la construction et
de l'habitation.
« Pour concourir à ce financement, les employeurs sont assujettis à :
« 1° Une cotisation assise sur les salaires plafonnés et recouvrée selon les
règles applicables en matière de sécurité sociale ;
« 2° Une contribution calculée par application d'un taux de 0,40 % sur la
totalité des salaires et recouvrée suivant les règles applicables en matière de
sécurité sociale.
« Les employeurs occupant moins de vingt salariés et les employeurs relevant du
régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale ne sont pas soumis à
la contribution mentionnée au 2°. Le cinquième alinéa de l'article L. 620-10 du
code du travail s'applique au calcul de l'effectif mentionné au présent article
».
2. Cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du
29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le financement de l'allocation
de logement relevant du présent titre et des dépenses de gestion qui s'y
rapportent est assuré par le fonds national d'aide au logement mentionné à
l'article L. 351-6 du code de la construction et de l'habitation.
« Pour concourir à ce financement, les employeurs sont assujettis à :
« 1° Une cotisation assise sur les salaires plafonnés et recouvrée selon les
règles applicables en matière de sécurité sociale ;
« 2° Une contribution calculée par application d'un taux de 0,40 % sur la part
des salaires plafonnés et d'un taux de 0,50 % sur la part des salaires dépassant
le plafond, cette contribution étant recouvrée suivant les règles applicables en
matière de sécurité sociale
« Les employeurs occupant moins de vingt salariés et les employeurs relevant du
régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale ne sont pas soumis à
la contribution mentionnée au 2°. Le cinquième alinéa de l'article L. 620-10 du
code du travail s'applique au calcul de l'effectif mentionné au présent article
».
3. La société requérante, rejointe par les sociétés intervenantes, soutient qu'en s'abstenant, d'une part, de fixer le taux de la cotisation prévue au 1° des dispositions renvoyées et, d'autre part, de déterminer les modalités de recouvrement de cette cotisation ainsi que de la contribution prévue au 2° des mêmes dispositions, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif, la liberté d'entreprendre et le principe d'égalité devant la loi. Serait également méconnu l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Enfin, en exonérant de la contribution prévue au 2° les employeurs occupant moins de vingt salariés et ceux relevant du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale, le législateur aurait méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans ses deux rédactions mentionnées ci-dessus.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le grief tiré de l'incompétence négative :
5. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures... ». Il s'ensuit que, lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
6. La cotisation et la contribution instituées par les dispositions contestées, dont les recettes concourent au financement du fonds national d'aide au logement, n'ont pas pour objet d'ouvrir des droits à des prestations et avantages servis par un régime obligatoire de sécurité sociale. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 41 de la décision du 18 décembre 2014 mentionnée ci-dessus, elles sont donc au nombre des impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution.
7. En premier lieu, la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence en matière de règles concernant le taux de la cotisation prévue au 1° des dispositions contestées, dans leur deux rédactions mentionnées ci-dessus, doit être écarté.
8. En second lieu, l'absence de détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, en prévoyant que la cotisation et la contribution prévues respectivement aux 1° et 2° des dispositions contestées sont recouvrées « selon les règles applicables en matière de sécurité sociale », le législateur a entendu renvoyer aux règles de valeur législative applicables au recouvrement des cotisations dues au titre du régime de sécurité sociale dont relèvent les salariés des employeurs assujettis à ces impositions. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence en matière de détermination des règles de recouvrement de ces impositions doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :
9. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
10. En exemptant de la contribution prévue au 2° les employeurs relevant du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu'il s'est fixés de financement de l'allocation logement. Il a donc méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.
11. En exemptant de la contribution prévue au 2° les employeurs occupant moins de vingt salariés, le législateur a entendu tenir compte de leur moindre capacité contributive par rapport à ceux occupant vingt salariés et plus. Il a ainsi retenu un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu'il s'est fixés et n'a pas méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « et les employeurs relevant du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale » figurant à la première phrase du cinquième alinéa de l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions mentionnées ci-dessus, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
13. Les deuxième à quatrième alinéas et le reste du cinquième alinéa de l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans les mêmes rédactions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
14. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
15. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et les employeurs relevant du régime agricole au
regard des lois sur la sécurité sociale » figurant à la première phrase du
cinquième alinéa de l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans ses
rédactions résultant de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour
2008 et de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, sont
contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 15 de cette décision.
Article 3. - Les deuxième à quatrième alinéas et le reste du cinquième alinéa de
l'article L. 834-1 du code de la sécurité sociale, dans ces mêmes rédactions,
sont conformes à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410620 du 7 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Jean-Marc N. par Me Laurent Roustouil, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-659 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Roustouil et Me Antoine
Malgoyre, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 4 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. et Mme Christian L. par la
SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 27 juillet et 16 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Malgoyre, pour les requérants, Me François Molinié,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante,
et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du
26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le 1 de l'article 123 bis du code général des impôts,
dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1998 mentionnée ci-dessus,
prévoit :« Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement
ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits
de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution
comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal
privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale,
organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu
de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions,
parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque
l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de
l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières,
de créances, de dépôts ou de comptes courants.
« Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime
fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par
comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité
mentionnée au 1 de l'article 206 ».
2. Selon les requérants, ces dispositions interdiraient au contribuable de prouver que l'interposition d'une entité juridique établie hors de France n'a pas pour seul objet l'appréhension de bénéfices soumis à l'étranger à un régime fiscal privilégié. Elles institueraient ainsi une présomption irréfragable de fraude et d'évasion fiscales, contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'article 123 bis du code général des impôts prévoit l'imposition des avoirs d'une personne physique fiscalement domiciliée en France qu'elle détient à l'étranger par l'intermédiaire d'une entité juridique dont les actifs sont principalement financiers et soumise à un régime fiscal privilégié. À cette fin, il soumet à l'impôt sur le revenu, selon des règles dérogatoires au droit commun, les bénéfices et les revenus positifs de cette entité, réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient dans cette entité.
6. En adoptant l'article 123 bis, le législateur a poursuivi un but de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de personnes physiques qui détiennent des participations dans des entités principalement financières localisées hors de France et bénéficiant d'un régime fiscal privilégié. Ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle.
7. Toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscales, la localisation de revenus à l'étranger.
8. Sous cette réserve, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 7, le premier alinéa du 1
de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la
loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, est conforme à la
Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 399757 du 7 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société de participations financière par Me Nicolas Jacquot, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-660 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la directive n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal
commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante, par Me Jacquot,
enregistrées les 31 juillet et 16 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28
juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société F-Iniciativas, par
Me Pascal Schiele, avocat au barreau des Hauts-de- Seine, enregistrées le 27
juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Jeff de Bruges
SAS, par Me Marc Pelletier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 27
juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association française des
entreprises privées et autres, par Mes Gauthier Blanluet et Nicolas de Boynes,
avocats au barreau de Paris, et Me Stéphane Austry, avocat au barreau des
Hauts-de-Seine, enregistrées les 31 juillet et 16 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jacquot, pour la société requérante, Mes Blanluet et
Austry, pour l'association française des entreprises privées et autres, Me
Schiele, pour la société F-Iniciativas, Me Pelletier, pour la société Jeff de
Bruges SAS, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts
institue une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des
montants distribués. Le premier alinéa du paragraphe I de cet article, dans sa
rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit
:
« Les sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l'impôt sur les
sociétés en France, à l'exclusion des organismes de placement collectif
mentionnés au II de l'article L. 214-1 du code monétaire et financier ainsi que
de ceux qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises
donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin
2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur
en application des articles 107 et 108 du traité sont assujettis à une
contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent
au sens des articles 109 à 117 du présent code ».
2. La société requérante et les parties intervenantes reprochent aux dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, d'instituer une différence de traitement injustifiée entre les redistributions de dividendes provenant de filiales selon que ces dernières sont établies dans un État membre de l'Union européenne, auquel cas elles sont exonérées de la contribution, ou qu'elles sont établies en France ou dans un État tiers, auquel cas elles y sont soumises. Les dispositions contestées institueraient également une différence de traitement injustifiée entre les sociétés redistribuant des dividendes reçus de leurs filiales établies dans des États membres de l'Union européenne et celles distribuant des dividendes prélevés sur leur propre profit d'exploitation. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
- Sur le fond :
3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts institue, à la charge des personnes passibles de l'impôt sur les sociétés, une imposition dénommée « contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués ». Cette contribution est due par la personne qui procède aux distributions de revenus, au sens des articles 109 à 117 du même code. Elle a pour fait générateur la distribution et est égale à 3 % des montants distribués.
6. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que les dispositions de l'article 235 ter ZCA ne peuvent être appliquées aux bénéfices, redistribués par une société mère, provenant d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France et relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011 mentionnée ci-dessus, mais peuvent, en revanche, être appliquées à l'ensemble des autres bénéfices distribués par cette société mère.
7. Il résulte ainsi des dispositions contestées une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes qu'elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France. Or, ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l'objet de la contribution, qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d'origine et y compris ceux relevant du régime mère-fille issu du droit de l'Union européenne.
8. En instituant la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, le législateur a entendu compenser la perte de recettes pérenne provoquée par la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Il a ainsi poursuivi un objectif de rendement. Un tel objectif ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier la différence de traitement instituée entre les sociétés mères qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie dans État membre de l'Union et celles qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie en France ou dans un État tiers à l'Union européenne. Il en résulte une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
9. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015, doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du
code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du
29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 juillet 2017 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2147 du 13 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par le syndicat CGT des salariés des hôtels de prestige économique. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-661 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2326-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société SNC Tour Eiffel, partie en
défense, par Me Jean d'Aleman, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 24
juillet 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me d'Aleman, pour la partie en défense, et M. Philippe
Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 octobre 2017
;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 2326-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :« La délégation unique du personnel est composée des représentants du personnel élus dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre IV du présent titre ».
2. Le syndicat requérant reproche à ces dispositions de priver les salariés mis à disposition d'une entreprise utilisatrice du droit reconnu aux autres salariés d'être éligibles à la délégation unique du personnel mise en place au sein de cette entreprise. Il en résulterait une méconnaissance du principe de participation garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En outre, les dispositions contestées violeraient le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où les salariés mis à disposition, qui sont éligibles en qualité de délégués du personnel, ne le sont en revanche pas à la délégation unique du personnel.
3. Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose, en son huitième alinéa, que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise. À cette fin, le droit de participer « par l'intermédiaire de leurs délégués » à « la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » a pour bénéficiaires, non la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, mais tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Les dispositions contestées prévoient que la délégation unique du personnel est composée de représentants du personnel élus dans les mêmes conditions que les membres du comité d'entreprise. Or, en application de l'article L. 2324-17-1 du code du travail, les salariés mis à disposition ne sont pas éligibles au comité d'entreprise de l'entreprise utilisatrice. Ils ne le sont donc pas non plus à la délégation unique du personnel.
6. En premier lieu, les salariés mis à disposition peuvent, en tout état de cause, en application des articles L. 2314-18-1 et L. 2324-17-1 du code du travail, choisir d'exercer leur droit de vote et d'éligibilité aux institutions représentatives du personnel au sein de l'entreprise qui les emploie plutôt qu'au sein de l'entreprise utilisatrice.
7. En deuxième lieu, la délégation unique du personnel, mise en place à l'initiative du chef d'entreprise ou par accord collectif majoritaire afin de la substituer aux délégués du personnel, au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, exerce, en vertu de l'article L. 2326-3 du code du travail, les attributions dévolues à chacune de ces institutions représentatives du personnel. Ses membres ont donc accès à l'ensemble des informations adressées à ces dernières. En excluant que les salariés mis à disposition soient éligibles à la délégation unique du personnel de l'entreprise utilisatrice, le législateur a cherché à éviter que des salariés qui continuent de dépendre d'une autre entreprise puissent avoir accès à certaines informations confidentielles, d'ordre stratégique, adressées à cette délégation unique lorsqu'elle exerce les attributions du comité d'entreprise. Il n'a ainsi pas méconnu les exigences du huitième alinéa du Préambule de 1946.
8. En troisième lieu, et pour les mêmes motifs, tirés de ce que les délégués du personnel n'ont pas accès aux mêmes informations confidentielles que les membres de la délégation unique du personnel, la différence de traitement résultant de ce que les salariés mis à disposition sont éligibles en qualité de délégués du personnel alors qu'ils ne le sont pas, en vertu des dispositions contestées, à la délégation unique du personnel, repose sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit donc être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'article L. 2326-2 du code du travail, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 2326-2 du code du travail, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 juillet 2017 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2146 du 13 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Électricité de France (EDF) par la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-662 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Célice, Soltner,
Texidor, Périer, enregistrées les 8 et 21 août 2017 ;
- les observations présentées pour l'association Émergences et autres, parties
en défense, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées les 9 et 24 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 août
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour le syndicat des experts
agréés CHSCT par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Damien Célice, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la société requérante, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, pour les parties en défense, Me Hélène
Masse-Dessen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie
intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 3 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction
résultant de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Lorsque
l'expert a été désigné sur le fondement de l'article L. 4614-12-1, toute
contestation relative à l'expertise avant transmission de la demande de
validation ou d'homologation prévue à l'article L. 123357-4 est adressée à
l'autorité administrative, qui se prononce dans un délai de cinq jours. Cette
décision peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L.
1235-7-1.
« Dans les autres cas, l'employeur qui entend contester la nécessité de
l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel
qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise
saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la
délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de
l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1. Le juge statue, en
la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant
sa saisine. Cette saisine suspend l'exécution de la décision du comité
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de
coordination mentionnée à l'article L. 4616-1, ainsi que les délais dans
lesquels ils sont consultés en application de l'article L. 4612-8, jusqu'à la
notification du jugement. Lorsque le comité d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail ou l'instance de coordination mentionnée au même article
L. 4616-1 ainsi que le comité d'entreprise sont consultés sur un même projet,
cette saisine suspend également, jusqu'à la notification du jugement, les délais
dans lesquels le comité d'entreprise est consulté en application de l'article L.
2323-3.
« Les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur. Toutefois, en cas
d'annulation définitive par le juge de la décision du comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination, les
sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Le
comité d'entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge dans
les conditions prévues à l'article L. 2325-41-1.
« L'employeur ne peut s'opposer à l'entrée de l'expert dans l'établissement. Il
lui fournit les informations nécessaires à l'exercice de sa mission.
« L'expert est tenu aux obligations de secret et de discrétion définies à
l'article L. 4614-9 ».
2. Selon la société requérante, ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où elles ne permettraient pas à un employeur de contester utilement la décision d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ordonnant une expertise sur le fondement de l'article L. 4614-12 du code du travail ou les modalités de cette expertise. En effet, en prévoyant que l'employeur doit saisir le juge dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité décidant l'expertise, sans lui imposer d'en fixer, dans sa délibération, le coût prévisionnel, l'étendue ou le délai, ou de porter à la connaissance de l'employeur ces éléments dans le délai précité, ces dispositions priveraient l'employeur de tout droit à un recours juridictionnel effectif.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du code du travail.
4. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
5. En application de l'article L. 4614-12 du code du travail, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 du même code peut faire appel à un expert agréé en cas de risque grave constaté dans l'établissement ou en cas de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou de travail. En application du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du même code, l'employeur peut former un recours devant le juge judiciaire afin de contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel, l'étendue ou le délai de l'expertise, à condition d'agir dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination. Le juge statue alors, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine.
6. D'une part, en vertu de l'article L. 4614-13-1 du code du travail, l'employeur peut contester le coût final de l'expertise décidée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût. Dès lors, à la supposer établie, l'impossibilité pour l'employeur de contester le coût prévisionnel de cette expertise ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.
7. D'autre part, il résulte de l'article L. 4614-13 du code du travail qu'il appartient au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou à l'instance de coordination, lorsque l'un ou l'autre décide de faire appel à un expert agréé, de déterminer par délibération l'étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l'expert. Dès lors, en prévoyant que l'employeur dispose d'un délai de quinze jours à compter de la délibération pour contester la nécessité de l'expertise, son étendue, son délai ou l'expert désigné, le législateur n'a pas méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif.
8. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « dans un délai de quinze jours à compter de la
délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de
l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 » figurant à la
première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du code du travail,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au
travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours
professionnels, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410766 du 17 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Louison T. par Me Olivier Horrie, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-663 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la
gestion d'actifs, ratifiée par l'article 25 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier
2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises
;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Nicolaÿ-de
Lanouvelle-Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 7 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Christophe Nicolaÿ, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour les requérants, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 10 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige relatif à l'imposition de l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances à l'occasion de la cessation de ses fonctions le 30 juin 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus.
2. En vertu du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, l'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie qu'il représente, lors de la cessation de son mandat, bénéficie du régime d'exonération prévu par le paragraphe I du même article, sous réserve notamment du respect de la condition suivante, définie au c du 1 du paragraphe V :« L'activité est intégralement poursuivie dans les mêmes locaux par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d'un an ».
3. Selon les requérants, ces dispositions méconnaîtraient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dans la mesure où l'exonération qu'elles instituent au bénéfice des agents généraux d'assurances qui cessent leur activité est subordonnée à la poursuite de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel. Cette condition, d'une part, ne constituerait pas un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi par le législateur et, d'autre part, créerait une différence de traitement injustifiée entre l'agent général dont l'activité est reprise par un nouvel agent exerçant à titre individuel et celui dont l'activité est reprise par plusieurs agents ou par un seul agent exerçant sous forme sociétaire.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'activité d'agent général d'assurances peut être exercée sous forme individuelle ou sous forme de société. Lors de la cessation de son activité, l'agent général d'assurances peut procéder à la cession de gré à gré de cette activité, sous réserve de l'agrément de la compagnie d'assurances qu'il représente. À défaut d'une telle cession, notamment lorsque la compagnie d'assurances a refusé cet agrément, cette dernière lui verse une indemnité compensatrice de cessation de mandat. Le paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts définit les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération de l'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité ainsi versée à l'agent général faisant valoir ses droits à la retraite, lorsqu'il exerçait son activité à titre individuel.
7. En prévoyant que l'indemnité compensatrice versée à l'occasion de la cessation d'activité d'un agent général d'assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d'un régime d'exonération, le législateur a entendu favoriser la poursuite de l'activité exercée.
8. Toutefois, d'une part, il n'y a pas de lien entre la poursuite de l'activité d'agent général d'assurances et la forme juridique dans laquelle elle s'exerce. D'autre part, l'indemnité compensatrice n'est versée qu'en l'absence de cession de gré à gré par l'agent général, situation dans laquelle il n'est pas en mesure de choisir son successeur. Le bénéfice de l'exonération dépend ainsi d'une condition que le contribuable ne maîtrise pas. Dès lors, en conditionnant l'exonération d'impôt sur le revenu à raison de l'indemnité compensatrice à la reprise de l'activité par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques.
9. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « par un nouvel agent général d'assurances exerçant à
titre individuel et » figurant au c du 1 du paragraphe V de l'article 151 septies A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de
l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 408221 du 19 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération générale du travail - Force ouvrière par Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-664 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, du cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la même loi, de l'article L. 2232-21-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, et de l'article L. 2232-27 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale
et réforme du temps de travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat requérant par Me Haas,
enregistrées le 31 juillet 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 août
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Confédération générale du
travail par Mes Christophe Saltzmann et Rachel Spire, avocats au barreau de
Paris, enregistrées le 9 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Spire, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 2232-12 du code du travail, dans sa rédaction
résultant de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, définit les conditions
de validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement dans les entreprises ne
disposant pas de délégué syndical. Il fixe notamment les conditions dans
lesquelles certains accords peuvent faire l'objet d'une consultation des
salariés. Son quatrième alinéa prévoit :
« La consultation des salariés, qui peut être organisée par voie électronique,
se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon
les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l'employeur et
les organisations signataires ».
2. L'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche
maritime, dans sa rédaction résultant de la même loi, définit, à son paragraphe
II, les conditions de validité d'un accord d'établissement dans les
établissements du réseau des chambres d'agriculture. Il fixe notamment les
conditions dans lesquelles certains accords peuvent faire l'objet d'une
consultation des salariés. Le cinquième alinéa de ce paragraphe II prévoit :
« La consultation des salariés, qui peut être organisée par voie électronique,
se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon
les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l'employeur et
les organisations signataires ».
3. L'article L. 2232-21-1 du code du travail, dans sa
rédaction issue de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus, applicable aux
accords d'entreprise conclus en l'absence de délégués syndicaux dans
l'entreprise ou l'établissement, ou de délégué du personnel désigné comme
délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, prévoit :
« L'accord signé par un représentant élu du personnel au comité d'entreprise ou
à la délégation unique du personnel ou, à défaut, par un délégué du personnel
mandaté doit avoir été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages
exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des
principes généraux du droit électoral ».
4. L'article L. 2232-27 du code du travail, dans sa rédaction
résultant de la loi du 20 août 2008 mentionnée ci-dessus, applicable aux accords
d'entreprise ou d'établissement conclus en l'absence de délégués syndicaux,
prévoit :
« L'accord signé par un salarié mandaté doit avoir été approuvé par les salariés
à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret
et dans le respect des principes généraux du droit électoral
« Faute d'approbation, l'accord est réputé non écrit ».
5. En premier lieu, le syndicat requérant et la partie intervenante reprochent aux dispositions mentionnées ci-dessus des articles L. 2232-12 du code du travail et L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime d'exclure les syndicats représentatifs non signataires d'un accord d'entreprise ou d'établissement de la participation à la négociation et à la conclusion du protocole organisant la consultation des salariés sur cet accord. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté syndicale, du droit des travailleurs de participer à la détermination des conditions collectives de travail et du principe d'égalité devant la loi. En second lieu, selon le syndicat requérant et la partie intervenante, en renvoyant à un décret le soin de déterminer les conditions d'organisation et de contestation de la consultation des salariés sur un accord conclu dans une entreprise dépourvue de délégué syndical, les articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail seraient entachés d'incompétence négative dans des conditions affectant le droit de participer à la détermination des conditions collectives de travail, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'égalité devant la loi. Selon la partie intervenante, cette incompétence négative affecterait également la liberté d'expression et la liberté de conscience.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne le quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail et le cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime :
6. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. En vertu de l'article L. 2232-12 du code du travail, applicable aux entreprises disposant d'au moins un délégué syndical, et en vertu du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux établissements du réseau des chambres d'agriculture, la validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par l'employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel. À défaut, cet accord peut être validé par une consultation des salariés s'il a été signé par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés au premier tour des mêmes élections. À cette fin, une ou plusieurs de ces organisations peuvent, sous certaines conditions, obtenir que soit organisée une telle consultation.
8. Dans cette dernière hypothèse, les dispositions contestées du quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail et du cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime prévoient que cette consultation des salariés se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l'employeur et les organisations signataires de l'accord.
9. Les dispositions contestées réservent à l'employeur et aux organisations syndicales signataires de l'accord d'entreprise ou d'établissement la possibilité de conclure le protocole définissant les modalités de la consultation des salariés sur cet accord.
10. Il était loisible au législateur, d'une part, de renvoyer à la négociation collective la définition des modalités d'organisation de la consultation et, d'autre part, d'instituer des règles visant à éviter que des organisations syndicales non signataires de l'accord puissent faire échec à toute demande de consultation formulée par d'autres organisations. Toutefois, en prévoyant que seules les organisations syndicales qui ont signé un accord d'entreprise ou d'établissement et ont souhaité le soumettre à la consultation des salariés sont appelées à conclure le protocole fixant les modalités d'organisation de cette consultation, les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail et le cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et de la pêche maritime doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
. En ce qui concerne les articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail :
11. En l'absence de délégué syndical dans une entreprise ou dans un établissement, ou de délégué du personnel désigné comme délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, des accords d'entreprise ou d'établissement peuvent être négociés et conclus dans les conditions prévues par les articles L. 2232-21 et L. 2232-34 du code du travail. Selon l'article L. 2232-21, cette possibilité est ouverte aux représentants élus du personnel au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel ou, à défaut, aux délégués du personnel s'ils sont mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou au niveau national et interprofessionnel. Lorsqu'aucun élu n'a manifesté son souhait de négocier, l'article L. 2232-34 prévoit que, sous certaines conditions, des accords peuvent être négociés et conclus par un ou plusieurs salariés mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche ou au niveau national et interprofessionnel.
12. Dans chacun de ces deux cas, les dispositions contestées prévoient, respectivement aux articles L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail, que l'accord doit, pour pouvoir entrer en vigueur, être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral.
13. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
14. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux... du droit du travail ». Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au législateur de déterminer les conditions et garanties de mise en œuvre du principe de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
15. La consultation des salariés mentionnée par les dispositions contestées porte sur un accord d'entreprise ou d'établissement signé, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, par un représentant élu du personnel au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel, par un délégué du personnel mandaté ou, à défaut, par un salarié mandaté.
16. D'une part, le renvoi au décret par les dispositions contestées ne porte que sur la détermination des modalités d'organisation de la consultation des salariés. Ces modalités ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de rouvrir la négociation sur l'accord soumis à consultation. D'autre part, en soumettant la consultation au respect des principes généraux du droit électoral, les dispositions contestées ont exclu que le pouvoir réglementaire puisse prévoir des modalités d'organisation susceptibles d'en affecter la sincérité. Dès lors, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le principe de participation des travailleurs.
17. En second lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
18. Il résulte des dispositions législatives du code de l'organisation judiciaire et du code du travail la compétence du juge judiciaire en matière de négociation collective. Les litiges relatifs à la consultation des salariés mentionnée par les dispositions contestées peuvent donc être portés devant ce juge. Le grief tiré de l'incompétence négative du législateur affectant le droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté.
19. Par conséquent, l'article L. 2232-21-1 et l'article L. 2232-27 du code du travail, qui ne sont pas non plus entachés d'incompétence négative dans des conditions affectant le principe d'égalité devant la loi, la liberté d'expression et la liberté de conscience, et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
20. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
21. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe 10. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :
- le quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à
la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours
professionnels ;
- le cinquième alinéa du paragraphe II de l'article L. 514-3-1 du code rural et
de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la même loi.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 21 de cette décision.
Article 3. - Sont conformes à la Constitution :
- l'article L. 2232-21-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi
n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ;
- l'article L. 2232-27 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi
n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et
réforme du temps de travail.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision no 408379 du 19 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Confédération générale du travail - Force ouvrière par Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-665 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du
dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat requérant par Me Haas,
enregistrées le 2 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 août
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Confédération générale du
travail par Mes Christophe Saltzmann et Rachel Spire, avocats au barreau de
Paris, enregistrées le 9 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Saltzmann, pour le syndicat intervenant, et M. Philippe
Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 10 octobre 2017
;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction
issue de la loi du 8 août 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Lorsqu'un accord d'entreprise est conclu en vue de la préservation ou du
développement de l'emploi, ses stipulations se substituent de plein droit aux
clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière
de rémunération et de durée du travail.
« Lorsque l'employeur envisage d'engager des négociations relatives à la
conclusion d'un accord mentionné au premier alinéa du présent I, il transmet aux
organisations syndicales de salariés toutes les informations nécessaires à
l'établissement d'un diagnostic partagé entre l'employeur et les organisations
syndicales de salariés.
« L'accord mentionné au même premier alinéa comporte un préambule indiquant
notamment les objectifs de l'accord en matière de préservation ou de
développement de l'emploi. Par dérogation au second alinéa de l'article L.
2222-3-3, l'absence de préambule entraîne la nullité de l'accord.
« L'accord mentionné au premier alinéa du présent I ne peut avoir pour effet de
diminuer la rémunération mensuelle du salarié.
« Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, cet accord peut être
négocié et conclu par des représentants élus mandatés par une ou plusieurs
organisations syndicales de salariés représentatives dans les conditions prévues
aux articles L. 2232-21 et L. 2232-21-1 ou, à défaut, par un ou plusieurs
salariés mandatés mentionnés à l'article L. 2232-24.
« II. - Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail
résultant de l'application de l'accord mentionné au premier alinéa du I du
présent article. Ce refus doit être écrit.
« Si l'employeur engage une procédure de licenciement à l'encontre du salarié
ayant refusé l'application de l'accord mentionné au même premier alinéa, ce
licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et
sérieuse et est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles
L. 1233-11 à L. 1233-15 applicables au licenciement individuel pour motif
économique ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-20. La lettre de
licenciement comporte l'énoncé du motif spécifique sur lequel repose le
licenciement.
« L'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable, le bénéfice
du dispositif d'accompagnement mentionné à l'article L. 2254-3 à chaque salarié
dont il envisage le licenciement. Lors de cet entretien, l'employeur informe le
salarié par écrit du motif spécifique mentionné au deuxième alinéa du présent II
et sur lequel repose la rupture en cas d'acceptation par celui-ci du dispositif
d'accompagnement.
« L'adhésion du salarié au parcours d'accompagnement personnalisé mentionné à
l'article L. 2254-3 emporte rupture du contrat de travail.
« Cette rupture du contrat de travail, qui ne comporte ni préavis ni indemnité
compensatrice de préavis, ouvre droit à l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9
et à toute indemnité conventionnelle qui aurait été due en cas de licenciement
au terme du préavis ainsi que, le cas échéant, au solde de ce qu'aurait été
l'indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement et après défalcation
du versement de l'employeur mentionné à l'article L. 2254-6.
« Les régimes social et fiscal applicables à ce solde sont ceux applicables aux
indemnités compensatrices de préavis.
« Un décret définit les délais de réponse du salarié à la proposition de
l'employeur mentionnée au troisième alinéa du présent II ainsi que les
conditions dans lesquelles le salarié adhère au parcours d'accompagnement
personnalisé.
« III. - L'accord mentionné au premier alinéa du I du présent article précise :
« 1° Les modalités selon lesquelles est prise en compte la situation des
salariés invoquant une atteinte disproportionnée à leur vie personnelle ou
familiale ;
« 2° Les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi
pendant toute sa durée.
« L'accord peut prévoir les conditions dans lesquelles fournissent des efforts
proportionnés à ceux demandés aux autres salariés :
« - les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l'accord ;
« - les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences
des organes d'administration et de surveillance.
« L'accord peut prévoir les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient
d'une amélioration de la situation économique de l'entreprise à l'issue de
l'accord.
« Afin d'assister dans la négociation les délégués syndicaux ou, à défaut, les
élus ou les salariés mandatés mentionnés au dernier alinéa du I, un
expert-comptable peut être mandaté :
« a) Par le comité d'entreprise, dans les conditions prévues à l'article L.
2325-35 ;
« b) Dans les entreprises ne disposant pas d'un comité d'entreprise :
« - par les délégués syndicaux ;
« - à défaut, par les représentants élus mandatés ;
« - à défaut, par les salariés mandatés.
« Le coût de l'expertise est pris en charge par l'employeur.
« Un décret définit la rémunération mensuelle mentionnée à l'avant-dernier
alinéa du I du présent article et les modalités selon lesquelles les salariés
sont informés et font connaître, le cas échéant, leur refus de voir appliquer
l'accord à leur contrat de travail.
« IV. - Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 2222-4, l'accord est
conclu pour une durée déterminée. À défaut de stipulation de l'accord sur sa
durée, celle-ci est fixée à cinq ans.
« V. - Un bilan de l'application de l'accord est effectué chaque année par les
signataires de l'accord ».
2. Le syndicat requérant soutient que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles permettraient à l'employeur de choisir discrétionnairement quels salariés licencier parmi ceux ayant refusé la modification de leur contrat de travail résultant de l'application d'un accord de préservation ou de développement de l'emploi. Ces dispositions seraient également entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant le principe d'égalité devant la loi, faute de préciser la notion de « rémunération mensuelle ».
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa du paragraphe II et le dernier alinéa du paragraphe III de l'article L. 2254-2 du code du travail.
4. Le syndicat intervenant reproche aux dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité d'être contraires au droit à l'emploi. D'une part, ces dispositions, en qualifiant de cause réelle et sérieuse le motif du licenciement du salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail, priveraient l'intéressé du bénéfice du contrôle du juge sur ce motif. D'autre part, elles excluraient l'application à son profit des dispositions relatives au reclassement des salariés licenciés. Le syndicat intervenant reproche également à ces dispositions de porter atteinte au droit de mener une vie familiale normale. Les autres griefs du syndicat intervenant ne portent pas sur les dispositions contestées.
- Sur le deuxième alinéa du paragraphe II de l'article L. 2254-2 du code du travail :
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du droit à l'emploi :
5. Selon le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Dès lors il incombe au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de poser des règles propres à assurer le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre. Il lui incombe également d'assurer la mise en œuvre de ce droit tout en le conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
6. En application de l'article L. 2254-2 du code du travail, les stipulations des accords de préservation et de développement de l'emploi se substituent de plein droit aux clauses contraires du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail, sans pouvoir toutefois diminuer la rémunération mensuelle du salarié. Chaque salarié peut refuser, par écrit, la modification de son contrat de travail qui résulte de l'application de l'accord. Dans cette hypothèse, les dispositions contestées donnent la faculté à l'employeur de le licencier. En outre, ces dispositions excluent du bénéfice du droit au reclassement dans l'entreprise ou le groupe, prévu à l'article L. 1233-4 du code du travail, les salariés licenciés pour avoir refusé la modification de leur contrat de travail consécutive à l'adoption d'un accord de préservation et de développement de l'emploi.
7. D'une part, en instaurant les accords prévus à l'article L. 2254-2 du code du travail, le législateur a entendu favoriser la préservation et le développement de l'emploi en permettant aux entreprises d'ajuster leur organisation collective afin de garantir leur pérennité et leur développement.
8. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.
9. D'autre part, en premier lieu, le législateur a apporté au licenciement fondé sur ce motif les mêmes garanties que celles prévues pour le licenciement individuel pour motif économique en matière d'entretien préalable, de notification, de préavis et d'indemnités.
10. En deuxième lieu, le fait que la loi ait réputé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse n'interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin que ce dernier examine si les conditions prévues au paragraphe II de l'article L. 2254-2 du code du travail sont réunies.
11. En troisième lieu, en prévoyant l'exclusion du bénéfice de l'obligation de reclassement, dont la mise en œuvre peut impliquer une modification du contrat de travail de l'intéressé identique à celle qu'il a refusée, le législateur a tenu compte des difficultés qu'une telle obligation serait susceptible de présenter.
12. En dernier lieu, si le législateur n'a pas fixé de délai à l'employeur pour décider du licenciement du salarié qui l'a averti de son refus de modification de son contrat de travail, un licenciement fondé sur ce motif spécifique ne saurait, sans méconnaître le droit à l'emploi, intervenir au-delà d'un délai raisonnable à compter de ce refus.
13. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe 12, le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du droit d'obtenir un emploi et de la liberté d'entreprendre. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du droit à l'emploi doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
14. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
15. En permettant à un employeur de licencier un salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l'application d'un accord de préservation et de développement de l'emploi, le législateur a placé dans la même situation juridique l'ensemble des salariés refusant cette modification. Il n'a donc pas établi de différence de traitement entre eux. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
- Sur le dernier alinéa du paragraphe III de l'article L. 2254-2 du code du travail :
16. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
17. En faisant référence, au dernier alinéa du paragraphe III de l'article L. 2254-2 du code du travail, à la notion de « rémunération mensuelle », le législateur a entendu renvoyer à la définition de la rémunération figurant à l'article L. 3221-3 du même code. Par conséquent et en tout état de cause, le grief tiré de l'incompétence négative du législateur doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le deuxième alinéa du paragraphe II et le dernier alinéa du paragraphe III de l'article L. 2254-2 du code du travail, qui ne méconnaissent ni le droit de mener une vie familiale normale ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le dernier alinéa du paragraphe III de l'article L. 2254-2 du
code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016
relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 12, le deuxième alinéa du
paragraphe II du même article L. 2254-2, dans la même rédaction, est conforme à la Constitution.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411070 du 19 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Jean-Marc L. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-666 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et
obligations des fonctionnaires ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le requérant, enregistrées le 4 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 11 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Yannick Sala, avocat au barreau de Paris, pour le
requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 10 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le vice-président du Conseil d'État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie énonçant les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l'exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative ».
2. Le requérant reproche aux dispositions contestées de confier au vice-président du Conseil d'État la compétence pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative. Il fait valoir que celui-ci préside la juridiction susceptible d'être appelée à statuer sur la légalité de cette charte et qu'il participe à la désignation de plusieurs membres du collège de déontologie chargé de formuler un avis sur celle-ci. En outre, selon le requérant, compte tenu de ses prérogatives à l'égard des membres du Conseil d'État, le vice-président serait susceptible d'exercer une influence sur les membres de la formation de jugement. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions et du droit à un recours juridictionnel effectif.
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
4. En application de l'article L. 131-4 du code de justice administrative, le vice-président du Conseil d'État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie qui énonce les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l'exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative. En application de l'article L. 131-5 du même code, le collège de déontologie est notamment composé d'un membre du Conseil d'État et d'un magistrat des tribunaux et cours administratives d'appel.
5. Or, cette charte de déontologie est susceptible d'être contestée ou invoquée à l'occasion d'un contentieux porté devant une formation de jugement présidée par le vice-président du Conseil d'État ou comprenant l'un des membres du collège de déontologie membre de la juridiction administrative.
6. Toutefois, d'une part, l'article L. 131-3 du code de justice administrative prévoit : « Les membres du Conseil d'État veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts. - Constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ». L'article L. 131-9 du même code prévoit : « Dans le cadre des fonctions juridictionnelles du Conseil d'État, sans préjudice des autres dispositions prévues au présent code en matière d'abstention, le membre du Conseil d'État qui estime se trouver dans une situation de conflit d'intérêts s'abstient de participer au jugement de l'affaire concernée... - Le président de la formation de jugement peut également, à son initiative, inviter à ne pas siéger un membre du Conseil d'État dont il estime, pour des raisons qu'il lui communique, qu'il se trouve dans une situation de conflit d'intérêts. Si le membre du Conseil d'État concerné n'acquiesce pas à cette invitation, la formation de jugement se prononce, sans sa participation ». Les articles L. 231-4 et L. 231-4-3 du même code prévoient des dispositions identiques pour les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Il résulte de ces dispositions que le vice-président du Conseil d'État et les membres du collège de déontologie membres de la juridiction administrative ne participent pas au jugement d'une affaire mettant en cause la charte de déontologie ou portant sur sa mise en œuvre.
7. D'autre part, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard.
8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'impartialité.
9. L'article L. 131-4 du code de justice administrative qui ne méconnaît pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 131-4 du code de justice administrative, dans sa
rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS et Nicole MAESTRACCI.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410452 du 28 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Didier C. par Me Jean-Luc Pierre, avocat au barreau de Lyon. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-667 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 1766 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Pierre, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 1766 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus, fixe les amendes fiscales encourues en cas de non-déclaration, par leur souscripteur, des contrats de capitalisation, notamment des contrats d'assurance-vie, conclus à l'étranger. Son second alinéa prévoit : « Si le total de la valeur du ou des contrats non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 € au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, l'amende est portée pour chaque contrat non déclaré à 5 % de la valeur de ce contrat, sans pouvoir être inférieure aux montants prévus au premier alinéa ».
2. Le requérant reproche à ces dispositions de méconnaître le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Sur le fond :
3. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
4. Le second alinéa de l'article 1766 du code général des impôts sanctionne d'une amende proportionnelle le défaut de déclaration annuelle, auprès de l'administration fiscale, en violation de l'article 1649 AA du même code, des contrats de capitalisation, notamment des contrats d'assurance-vie, souscrits à l'étranger, lorsque la valeur de ces contrats, au 31 décembre de l'année, est égale ou supérieure à 50 000 euros. Cette amende s'élève à 5 % de la valeur des contrats non déclarés.
5. En réprimant ainsi la méconnaissance de cette obligation déclarative annuelle, le législateur a entendu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations relatives à ces contrats et prévenir la dissimulation de revenus placés à l'étranger. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
6. Toutefois, en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion de la valeur des contrats non déclarés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les revenus n'ont pas été soustraits à l'impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer.
7. Dès lors, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle ne peut être invoquée dans les instances jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le second alinéa de l'article 1766 du code général des impôts,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances
rectificative pour 2012, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411546 du 28 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Gilles B. par Mes Pierre Appremont et Samuel Drouin, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-668 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées du 1° du II de l'article 244 bis A et du 2° du II de l'article 150 U du code général des impôts ».
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la
gestion d'actifs, ratifiée par l'article 25 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier
2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises
;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
- la décision du Conseil d'État n° 356328 du 7 mai 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Mes Appremont et Drouin,
enregistrées les 17 août et 5 septembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Appremont, pour les requérants, et M. Philippe Blanc,
désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 17 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige portant sur les contributions sociales dues à raison d'une plus-value réalisée à l'occasion de la cession d'un bien immobilier le 21 février 2014. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du 1° du paragraphe II de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, et du 2° du paragraphe II de l'article 150 U du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013 mentionnée ci-dessus.
2. En application du paragraphe I de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans cette rédaction, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B de ce code sont soumises, sous réserve des conventions internationales, à un prélèvement spécifique sur les plus-values résultant, notamment, de la cession de biens immobiliers. Le 1° du paragraphe II de cet article 244 bis A prévoit que, lorsque ce prélèvement est dû par des contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu, les plus-values sont déterminées selon les modalités définies : « Au I et aux 2° à 9° du II de l'article 150 U, aux II et III de l'article 150 UB et aux articles 150 V à 150 VD ».
3. Le 2° du paragraphe II de l'article 150 U du code général
des impôts, dans sa rédaction mentionnée ci-dessus, auquel renvoie le 1° du
paragraphe II de l'article 244 bis A du même code, exonère d'impôt sur le revenu
les plus-values réalisées :
« Au titre de la cession d'un logement situé en France lorsque le cédant est une
personne physique, non résidente de France, ressortissante d'un État membre de
l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique
européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative
en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et à la condition qu'il
ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins
deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession.
« L'exonération mentionnée au premier alinéa du présent 2° s'applique, dans la
limite d'une résidence par contribuable et de 150 000 € de plus-value nette
imposable, aux cessions réalisées :
« a) Au plus tard le 31 décembre de la cinquième année suivant celle du
transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France ;
« b) Sans condition de délai, lorsque le cédant a la libre disposition du bien
au moins depuis le 1er janvier de l'année précédant celle de la cession ».
4. Les requérants soutiennent que ces dispositions instituent une différence de traitement entre des contribuables cédant leur résidence principale selon qu'ils sont ou non toujours fiscalement domiciliés en France à la date de la cession. Dans le premier cas, la plus-value de cession serait intégralement exonérée d'impôt sur le revenu, alors que dans le second cas, elle le serait seulement à hauteur de 150 000 euros par personne. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 150 U du code général des impôts.
6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
8. Les plus-values réalisées par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France lors de la cession de biens immobiliers sont, en principe, passibles de l'impôt sur le revenu, en application du paragraphe I de l'article 150 U du code général des impôts. Par exception, la plus-value nette réalisée par ces personnes lors de la cession d'un bien constituant leur résidence principale au jour de la cession est intégralement exonérée d'impôt sur le revenu en vertu du 1° du paragraphe II de l'article 150 U. Selon la jurisprudence constante du Conseil d'État résultant de sa décision du 7 mai 2014 mentionnée ci-dessus, cette exonération s'applique y compris lorsque la cession intervient après que le contribuable a libéré les lieux, à condition que le délai pendant lequel l'immeuble est demeuré inoccupé puisse être regardé comme normal.
9. Les plus-values réalisées par les personnes physiques non fiscalement domiciliées en France lors de la cession de biens immobiliers sont, sous réserve des conventions internationales, passibles d'un prélèvement spécifique institué par le paragraphe I de l'article 244 bis A du code général des impôts. En application du 1° du paragraphe II de cet article, ces personnes sont exclues du bénéfice de l'exonération intégrale en faveur de la résidence principale, prévue par le 1° du paragraphe II de l'article 150 U du même code. Toutefois, le 2° du paragraphe II de ce dernier article, auquel renvoie le 1° du paragraphe II de l'article 244 bis A, prévoit un régime spécifique d'exonération des plus-values immobilières réalisées par les personnes physiques non résidentes ressortissantes d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Cette exonération, accordée sous certaines conditions, est limitée à un montant de 150 000 euros par personne.
10. Les dispositions contestées font ainsi obstacle à ce qu'une personne physique ressortissante de l'un des États mentionnés ci-dessus ayant, avant la cession, quitté sa résidence principale et cessé d'être fiscalement domiciliée en France, bénéficie de la même exonération qu'une personne physique ayant elle aussi quitté sa résidence principale avant sa cession mais qui est demeurée fiscalement domiciliée en France.
11. En instituant, aux 1° et 2° du paragraphe II de l'article 150 U du code général des impôts, des régimes d'exonération des plus-values immobilières différents pour les résidents fiscaux et certains non résidents fiscaux, le législateur a traité différemment des personnes placées dans des situations différentes au regard des règles d'imposition des revenus. Cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
12. Le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 150 U du code général des impôts, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 150 U du
code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1278 du
29 décembre 2013 de finances pour 2014 est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 31 juillet 2017 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur
le a du 1° de l'article L. 115 7 du code du cinéma et de l'image animée, dans
ses rédactions résultant de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances
pour 2011 et de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances
rectificative pour 2012.
Le code du cinéma et de l'image animée a institué une taxe sur les éditeurs et
distributeurs de services de télévision qui ont programmé, au cours de l'année
précédant celle de la taxation, une ou plusieurs œuvres audiovisuelles ou
cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma
et de l'image animée (CNC). Le a du 1° de l'article 115-7 de ce code prévoit que
cette taxe est assise sur le montant des sommes versées par les annonceurs et
les parrains, pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de
parrainage, non seulement aux éditeurs de services de télévision (les chaînes de
télévision), mais aussi « aux régisseurs de messages publicitaires et de
parrainage ».
La société requérante soutenait que ces dispositions méconnaissaient le principe
d'égalité devant les charges publiques, au motif que la taxe à laquelle elles
soumettent les éditeurs de services de télévision est en partie assise sur des
sommes perçues par des tiers, les régisseurs de messages publicitaires et de
parrainage. Cette taxe serait ainsi établie sans tenir compte des facultés
contributives de ses redevables.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle, en application des articles 13 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen et 34 de la Constitution, il appartient au
législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et
compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles
doivent être appréciées les facultés contributives. Cette exigence implique
notamment qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource
est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose
de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle,
notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de
telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces
objectifs.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées
incluent dans l'assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de
services de télévision les sommes versées, par les annonceurs et les parrains,
aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage, que ces éditeurs
aient ou non disposé de ces sommes. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un
contribuable à une imposition dont l'assiette peut inclure des revenus dont il
ne dispose pas. Comme il l'avait fait en contrôlant plusieurs dispositions
similaires (par exemple dans ses décisions nos 2013-362 QPC du 6 février 2014 et
2016-620 QPC du 30 mars 2017), le Conseil constitutionnel en déduit que le
législateur a méconnu les exigences résultant de l'article 13 de la Déclaration
de 1789.
S'agissant de l'effet dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité,
la société requérante appelait de ses vœux une censure à effet immédiat et le
bénéfice de la censure pour les instances en cours. Au contraire, le CNC, partie
en défense et bénéficiaire du produit de la taxe, rejoint dans ce raisonnement
par le Premier ministre, faisait valoir que le remboursement intégral des sommes
réclamées constituerait « un véritable effet d'aubaine » pour les éditeurs de
services de télévision dans la mesure où le remboursement intégral des sommes
qu'ils ont versées pour s'acquitter de la taxe « reviendrait à les "indemniser"
d'une somme qui excèderait de façon excessive le montant de leur "préjudice" ».
En effet, les éditeurs de services de télévision ont, en pratique, pu percevoir
indirectement une fraction, plus ou moins importante selon les cas, des sommes
versées aux régisseurs par les annonceurs et les parrains.
Le Conseil constitutionnel a tenu compte de ces différents éléments et, afin de
permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration
d'inconstitutionnalité des dispositions contestées, a reporté au 1er juillet
2018 la date de prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. D'ici à
ce que le législateur y remédie, s'il choisit d'intervenir, la taxe continuera
donc à être prélevée en application des dispositions contestées. Afin,
néanmoins, de préserver l'effet utile de sa décision à la solution des instances
en cours ou à venir, le Conseil constitutionnel juge en outre qu'il appartient
aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la
nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er juillet 2018 dans les procédures en
cours ou à venir dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées
inconstitutionnelles. Le législateur pourra alors, le cas échéant, prévoir
l'application des nouvelles dispositions à ces instances.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 31 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411837 du 28 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société EDI-TV par Me Éric Meier, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-669 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage » figurant au a du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Meier,
enregistrées les 22 août et 6 septembre 2017 ;
- les observations présentées pour le centre national du cinéma et de l'image
animée, partie en défense, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 22 août et 6 septembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 22 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Meier, pour la société requérante, Me Jacques Molinié,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense,
et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du
17 octobre 2017 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée pour la société requérante par Me Meier,
enregistrée le 17 octobre 2017 ;
- la note en délibéré présentée pour la partie en défense par la SCP Piwnica et
Molinié, enregistrée le 20 octobre 2017 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 23
octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'une requête tendant à la restitution de la taxe sur les éditeurs de services de télévision due au titre des années 2011, 2012 et 2013. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage » figurant au a du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, dans ses rédactions résultant de la loi du 29 décembre 2010 et de la loi du 29 décembre 2012 mentionnées ci-dessus.
2. L'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, dans ces rédactions, définit l'assiette de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision. Le a de son 1° prévoit que la taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée des sommes versées par les annonceurs et les parrains, pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage, aux éditeurs de services de télévision « ou aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage ».
3. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, au motif que la taxe à laquelle elles soumettent les éditeurs de services de télévision est en partie assise sur des sommes perçues par des tiers, les régisseurs de messages publicitaires et de parrainage. Cette taxe serait ainsi établie sans tenir compte des facultés contributives de ses redevables.
- Sur le fond :
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. L'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.
6. Les dispositions contestées incluent dans l'assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les sommes versées par les annonceurs et les parrains aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage, que ces éditeurs aient ou non disposé de ces sommes. Elles ont ainsi pour effet de soumettre un contribuable à une imposition dont l'assiette peut inclure des revenus dont il ne dispose pas.
7. En posant le principe de l'assujettissement, dans tous les cas et quelles que soient les circonstances, des éditeurs de services de télévision au paiement d'une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789.
8. Par conséquent, les mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires et de parrainage » figurant au a du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, dans ses deux rédactions mentionnées ci-dessus, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
10. Afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions contestées, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2018 la date de prise d'effet de cette déclaration. Par ailleurs, afin de préserver l'effet utile de la présente décision à la solution des instances en cours ou à venir, il appartient aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er juillet 2018 dans les procédures en cours ou à venir dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « ou aux régisseurs de messages publicitaires et de
parrainage » figurant au a du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de
l'image animée, dans ses rédactions résultant de la loi n° 2010-1657 du 29
décembre 2010 de finances pour 2011 et de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre
2012 de finances rectificative pour 2012, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 10 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er août 2017 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte
contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant
l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Le code de procédure pénale autorise les services de la police nationale et de
la gendarmerie nationale, sous le contrôle du procureur de la République
territorialement compétent, à constituer des fichiers à partir des données à
caractère personnel recueillies au cours des enquêtes ou investigations
effectuées sur commission rogatoire. Le premier alinéa de l'article 230-8 de ce
code prévoit qu'en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue
définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause
sont effacées de ces fichiers, sauf si le procureur de la République en prescrit
le maintien. Le procureur de la République peut également ordonner l'effacement
des données personnelles en cas de décision de non-lieu ou de classement sans
suite. En revanche, ces dispositions ne permettent pas à aux personnes mises en
cause autres que celles ayant fait l'objet d'un acquittement, d'une relaxe, d'un
non-lieu ou d'un classement sans suite d'obtenir l'effacement des données qui
les concernent.
Le requérant soutenait que ces dispositions méconnaissaient le droit au respect
de la vie privée en ce qu'elles ne permettent pas à toutes les personnes mises
en cause d'obtenir un effacement anticipé des données à caractère personnel les
concernant inscrites au sein d'un fichier de traitement d'antécédents
judiciaires.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté
proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Suivant une jurisprudence
constante, il en résulte que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la
consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être
justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et
proportionnée à cet objectif.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel juge qu'en autorisant, d'une part, la
création de traitements de données à caractère personnel recensant des
antécédents judiciaires et, d'autre part, l'accès à ces traitements par des
autorités investies par la loi d'attributions de police judiciaire et par
certains personnels investis de missions de police administrative, le
législateur a entendu leur confier un outil d'aide à l'enquête judiciaire et à
certaines enquêtes administratives. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur
constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des
atteintes à l'ordre public.
Toutefois, en prévoyant que les fichiers d'antécédents judiciaires peuvent
contenir les informations recueillies au cours d'une enquête ou d'une
instruction concernant une personne à l'encontre de laquelle il existe des
indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer à
la commission de certaines infractions, le législateur a permis que figurent
dans ce fichier des données particulièrement sensibles. Par ailleurs, les
fichiers d'antécédents judiciaires sont susceptibles de porter sur un grand
nombre de personnes dans la mesure où y figurent des informations concernant
toutes les personnes mises en cause pour un crime, un délit et certaines
contraventions de la cinquième classe. En outre, aucune durée maximum de
conservation des informations enregistrées dans un fichier d'antécédents
judiciaires n'a été fixée par la loi. Enfin, ces informations peuvent être
consultées non seulement aux fins de constatation des infractions à la loi
pénale, de rassemblement des preuves de ces infractions et de recherche de leurs
auteurs, mais également à d'autres fins de police administrative.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge qu'en privant les
personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait
l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement
sans suite, de toute possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données
personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires, les
dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit au
respect de la vie privée.
Rappelant qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même
nature que celui du Parlement, le Conseil constitutionnel relève qu'il ne lui
appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il
soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. L'abrogation immédiate des
dispositions contestées aurait un effet paradoxal puisqu'elle priverait de la
possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles l'ensemble des
personnes inscrites dans un fichier d'antécédents judiciaires, y compris celles
disposant actuellement de cette possibilité. Dès lors, le Conseil
constitutionnel reporte au 1er mai 2018 la date de l'abrogation du premier
alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 1er août 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2118 du 26 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Mikhail P. par la SCP Sevaux-Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-670 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 230-8 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la
performance de la sécurité intérieure, ensemble la décision du Conseil
constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 ;
- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les
garanties de la procédure pénale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Sevaux-Mathonnet,
enregistrées le 22 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 23 août
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 17 octobre 2017 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le
24 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation contre une décision rendue le 21 novembre 2016 par la chambre de l'instruction d'une cour d'appel rejetant une demande d'effacement de données personnelles du fichier de traitement d'antécédents judiciaires. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 230-8 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 230-8 du code de procédure pénale, dans cette
rédaction, est relatif aux fichiers d'antécédents judiciaires que peuvent mettre
en œuvre les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Il
prévoit :« Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le
contrôle du procureur de la République territorialement compétent qui demande
qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de
requalification judiciaire. La rectification pour requalification judiciaire est
de droit. Le procureur de la République se prononce sur les suites qu'il
convient de donner aux demandes d'effacement ou de rectification dans un délai
d'un mois. En cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive,
les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées,
sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elle
fait l'objet d'une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le
maintien des données personnelles relatives à une personne ayant bénéficié d'une
décision d'acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne
concernée. Les décisions de non-lieu et de classement sans suite font l'objet
d'une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des
données personnelles. Lorsqu'une décision fait l'objet d'une mention, les
données relatives à la personne concernée ne peuvent faire l'objet d'une
consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L.
114-1, L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l'article 17-1
de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative
à la sécurité. Les décisions du procureur de la République prévues au présent
alinéa ordonnant le maintien ou l'effacement des données personnelles sont
prises pour des raisons liées à la finalité du fichier au regard de la nature ou
des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de
l'intéressé.
« Les décisions d'effacement ou de rectification des informations nominatives
prises par le procureur de la République sont portées à la connaissance des
responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels, sous réserve des
règles d'effacement ou de rectification qui leur sont propres, ces mesures ont
des conséquences sur la durée de conservation des données personnelles.
« Les décisions du procureur de la République en matière d'effacement ou de
rectification des données personnelles sont susceptibles de recours devant le
président de la chambre de l'instruction.
« Le procureur de la République dispose pour l'exercice de ses fonctions d'un
accès direct aux traitements automatisés de données à caractère personnel
mentionnés à l'article 230-6 ».
3. Le requérant soutient que ces dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée en ce qu'elles permettent aux seules personnes ayant bénéficié d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite d'obtenir un effacement anticipé des données à caractère personnel les concernant inscrites au sein d'un fichier de traitement d'antécédents judiciaires. En excluant les personnes déclarées coupables d'une infraction mais dispensées de peine du bénéfice de cette mesure, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, compte tenu de la nature des données enregistrées, de leur durée de conservation, de la finalité de police du fichier et de son périmètre d'utilisation.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale.
- Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. L'article 230-8 du code de procédure pénale a été créé par la loi du 14 mars 2011 mentionnée ci-dessus. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné cet article dans les considérants 11 à 13 de la décision du 10 mars 2011 mentionnée ci-dessus et l'a déclaré conforme à la Constitution. Postérieurement à cette déclaration de conformité, le premier alinéa de l'article 230-8 a été modifié par la loi du 3 juin 2016, s'agissant en particulier des hypothèses dans lesquelles des données peuvent être effacées d'un fichier d'antécédents judiciaires et des raisons pour lesquelles cet effacement peut être décidé. Les dispositions contestées étant ainsi différentes de celles ayant fait l'objet de la déclaration de conformité, la question prioritaire de constitutionnalité est recevable.
- Sur le fond :
7. La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
8. En application de l'article 230-6 du code de procédure pénale, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel recueillies au cours des enquêtes préliminaires ou de flagrance ou au cours des investigations exécutées sur commission rogatoire et concernant tout crime ou délit et certaines contraventions de la cinquième classe. En application du premier alinéa de l'article 230-7 du même code, ces traitements peuvent contenir des informations sur les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission de ces infractions.
9. En application des dispositions contestées, ces traitements sont opérés sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent. En cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien. Le procureur de la République peut également ordonner l'effacement des données personnelles en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite. En application de l'article 230-9 du code de procédure pénale, un magistrat est chargé de suivre la mise en œuvre et la mise à jour de ces traitements. Il dispose des mêmes pouvoirs d'effacement que le procureur de la République. Il résulte d'une jurisprudence constante qu'aucune personne mise en cause autre que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite ne peut obtenir, sur le fondement des dispositions contestées, l'effacement des données qui la concernent. En autorisant la création de traitements de données à caractère personnel recensant des antécédents judiciaires et l'accès à ces traitements par des autorités investies par la loi d'attributions de police judiciaire et par certains personnels investis de missions de police administrative, le législateur a entendu leur confier un outil d'aide à l'enquête judiciaire et à certaines enquêtes administratives. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des atteintes à l'ordre public.
10. Toutefois, en premier lieu, en prévoyant que les fichiers d'antécédents judiciaires peuvent contenir les informations recueillies au cours d'une enquête ou d'une instruction concernant une personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer à la commission de certaines infractions, le législateur a permis que figurent dans ce fichier des données particulièrement sensibles. Ainsi, l'article R. 40-26 du code de procédure pénale prévoit que peuvent être enregistrés les éléments d'état civil, la profession ou la situation familiale de la personne et une photographie comportant des caractéristiques techniques permettant de recourir à un dispositif de reconnaissance faciale.
11. En deuxième lieu, les fichiers d'antécédents judiciaires sont susceptibles de porter sur un grand nombre de personnes dans la mesure où y figurent des informations concernant toutes les personnes mises en cause pour un crime, un délit et certaines contraventions de la cinquième classe.
12. En troisième lieu, le législateur n'a pas fixé la durée maximum de conservation des informations enregistrées dans un fichier d'antécédents judiciaires. Ainsi, l'article R. 40-27 du code de procédure pénale prévoit qu'elles sont conservées pendant une durée comprise entre cinq ans et quarante ans selon l'âge de l'individu et la nature de l'infraction.
13. En dernier lieu, ces informations peuvent être consultées non seulement aux fins de constatation des infractions à la loi pénale, de rassemblement des preuves de ces infractions et de recherche de leurs auteurs, mais également à d'autres fins de police administrative.
14. Dès lors, en privant les personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite, de toute possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires, les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. Le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale doit donc être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
16. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver l'ensemble des personnes inscrites dans un fichier d'antécédents judiciaires ayant bénéficié d'un acquittement, d'une relaxe, d'un non-lieu ou d'un classement sans suite, de la possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er mai 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale,
dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la
lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant
l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 16 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 14 août 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2154 du 9 août 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Antoine L. par Me Eugène Bangoura, avocat au barreau de Bourges. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-671 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 712-4 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines
et renforçant l'efficacité des sanctions pénales ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bangoura, enregistrées le
5 septembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 5
septembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bangoura, pour le requérant et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 24 octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'une procédure consécutive à la saisine d'office d'un juge de l'application des peines en 2016. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 712-4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 août 2014 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 712-4 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« Les mesures relevant de la compétence du juge de l'application des peines sont accordées, modifiées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par ordonnance ou jugement motivé de ce magistrat agissant d'office, sur la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur de la République, selon les distinctions prévues aux articles suivants ».
3. Le requérant soutient que les dispositions contestées, en ce qu'elles permettent au juge de l'application des peines de se saisir d'office dans le cadre du suivi d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve et, le cas échéant, de révoquer en tout ou partie ce sursis, sont contraires au principe d'impartialité des juridictions et au principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « d'office, » figurant à l'article 712-4 du code de procédure pénale.
5. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 prévoit : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte un principe d'impartialité, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
6. En premier lieu, une juridiction ne saurait, en principe, disposer de la faculté d'introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée. La Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu, sauf si la procédure a pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d'une punition. Dans les autres cas, la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif d'intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité.
7. Les dispositions contestées permettent au juge de l'application des peines, sauf dispositions contraires, de se saisir d'office aux fins d'accorder, modifier, ajourner, retirer ou révoquer par ordonnance ou jugement les mesures relevant de sa compétence. À ce titre, lorsqu'il assure le suivi d'une peine d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve, le juge peut notamment ajouter des obligations à respecter dans le cadre du sursis, allonger la durée de la mise à l'épreuve ou révoquer la mesure de sursis, ce qui entraîne l'incarcération de la personne condamnée.
8. Toutefois, en application de l'article 712-1 du code de procédure pénale, il appartient au juge de l'application des peines de fixer les principales modalités de l'exécution des peines privatives de liberté ou de certaines peines restrictives de liberté, en orientant et en contrôlant les conditions de leur application. Ce magistrat est ainsi chargé par la juridiction de jugement ayant prononcé la condamnation de suivre la personne condamnée tout le temps de sa peine, en adaptant les modalités d'exécution de celle-ci. Le juge de l'application des peines agit donc dans un cadre déterminé par la juridiction de jugement et met en œuvre, par ses décisions, la peine qu'elle a prononcée.
9. Par conséquent, lorsque le juge de l'application des peines se saisit d'office aux fins de modifier, ajourner, retirer ou révoquer une mesure relevant de sa compétence, il n'introduit pas une nouvelle instance au sens et pour l'application des exigences constitutionnelles précitées.
10. En second lieu, la faculté pour un juge d'exercer certains pouvoirs d'office dans le cadre de l'instance dont il est saisi ne méconnaît pas le principe d'impartialité à la condition d'être justifiée par un motif d'intérêt général et exercée dans le respect du principe du contradictoire.
11. D'une part, en permettant au juge de l'application des peines de se saisir d'office et de prononcer les mesures adéquates relatives aux modalités d'exécution des peines, le législateur a poursuivi les objectifs de protection de la société et de réinsertion de la personne condamnée. Il a ainsi poursuivi des objectifs d'intérêt général.
12. D'autre part, en application de l'article 712-6 du code de procédure pénale, les jugements concernant les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle sont rendus, après avis du représentant de l'administration pénitentiaire, à l'issue d'un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat. Il en est de même, sauf si la loi en dispose autrement, pour les décisions du juge de l'application des peines concernant les peines de suivi socio-judiciaire, d'interdiction de séjour, de travail d'intérêt général, d'emprisonnement avec sursis assorti de la mise à l'épreuve ou de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, ou les mesures d'ajournement du prononcé de la peine avec mise à l'épreuve. En revanche, en application de l'article 712-8 du même code, les décisions modifiant ou refusant de modifier ces mesures, les obligations en résultant ou les mesures ordonnées par le tribunal de l'application des peines en application de l'article 712-7 sont prises par ordonnance motivée du juge de l'application des peines sans débat contradictoire, sauf si le procureur de la République le demande. De la même manière, en application de l'article 712-5 du même code, sauf en cas d'urgence, les ordonnances concernant les réductions de peine, les autorisations de sorties sous escortes et les permissions de sortir sont prises sans débat contradictoire après le seul avis de la commission de l'application des peines.
13. Dès lors, le juge de l'application des peines ne saurait, sans méconnaître le principe d'impartialité, prononcer une mesure défavorable dans le cadre d'une saisine d'office sans que la personne condamnée ait été mise en mesure de présenter ses observations.
14. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaissent le principe d'impartialité des juridictions doit être écarté.
15. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous cette même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 13, les mots «
d'office, », figurant à l'article 712-4 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à
l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales,
sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 septembre 2017 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 1015 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Entre Seine et Brotonne et l'association Estuaire Sud par Me Benoist Busson, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-672 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité
des chances économiques ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les associations requérantes par Me Busson,
enregistrées les 4 et 19 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 4 octobre
2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Christian A. par Me
Grégoire Tertrais, avocat au barreau de La Roche-sur-Yon, enregistrées le 21
septembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Bellane Énergie et
l'association France Énergie Éolienne par Me Antoine Guiheux, avocat au barreau
de Paris, enregistrées le 4 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association France Nature
Environnement, enregistrées les 4 et 19 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Busson, pour les associations requérantes, Me Tertrais,
pour M. Christian A., partie intervenante, Me Guiheux, pour la société Bellane
Énergie et l'association France Énergie Éolienne, parties intervenantes, et M.
Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 24
octobre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Applicable à une construction édifiée conformément à un permis de
construire, le 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa
rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à
la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes
d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de
pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans
l'une des zones suivantes :
« a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et
culturel montagnard mentionnés au II de l'article L. 145-3, lorsqu'ils ont été
identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l'occupation
et à l'utilisation des sols ;
« b) Les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou
caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux
nécessaires au maintien des équilibres biologiques mentionnés à l'article L.
146-6, lorsqu'ils ont été identifiés et délimités par des documents
réglementaires relatifs à l'occupation et à l'utilisation des sols ;
« c) La bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans
d'eau naturels ou artificiels d'une superficie inférieure à mille hectares
mentionnée à l'article L. 145-5 ;
« d) La bande littorale de cent mètres mentionnée au III de l'article L. 146-4 ;
« e) Les cœurs des parcs nationaux délimités en application de l'article L.
331-2 du code de l'environnement ;
« f) Les réserves naturelles et les périmètres de protection autour de ces
réserves institués en application, respectivement, de l'article L. 332-1 et des
articles L. 332-16 à L. 332-18 du même code ;
« g) Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L.
341-2 dudit code ;
« h) Les sites désignés Natura 2000 en application de l'article L. 414-1 du même
code ;
« i) Les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques
technologiques mentionnés au I de l'article L. 515-16 dudit code, celles qui
figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles
mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que
celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à
l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des
aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les
constructions existantes y est limité ou supprimé ;
« j) Les périmètres des servitudes relatives aux installations classées pour la
protection de l'environnement instituées en application de l'article L. 515-8 du
code de l'environnement, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres
comportent une limitation ou une suppression du droit d'implanter des
constructions ou des ouvrages ;
« k) Les périmètres des servitudes sur des terrains pollués, sur l'emprise des
sites de stockage de déchets, sur l'emprise d'anciennes carrières ou dans le
voisinage d'un site de stockage géologique de dioxyde de carbone instituées en
application de l'article L. 515-12 du même code, lorsque les servitudes
instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du
droit d'implanter des constructions ou des ouvrages ;
« l) Les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine créées en
application de l'article L. 642-1 du code du patrimoine ;
« m) Les périmètres de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des
monuments historiques prévus aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L.
621-30 du même code ;
« n) Les secteurs délimités par le plan local d'urbanisme en application des 2°
et 5° du III de l'article L. 123-1-5 du présent code ;
« o) Les secteurs sauvegardés créés en application de l'article L. 313-1.
« L'action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la
décision devenue définitive de la juridiction administrative ».
2. Les associations requérantes, rejointes par certaines parties intervenantes, reprochent à ces dispositions d'interdire sur la majeure partie du territoire national l'action en démolition d'une construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme, sur le fondement d'un permis de construire annulé par le juge administratif. Il en résulterait une méconnaissance du droit des tiers d'obtenir la « réparation intégrale » du préjudice causé par une telle construction et une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité. En faisant obstacle à l'exécution de la décision d'annulation du permis de construire par le juge administratif, ces dispositions méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif, qui implique celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles. Enfin, ces dispositions violeraient le principe de contribution à la réparation des dommages causés à l'environnement garanti par les articles 1er et 4 de la Charte de l'environnement.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et sur les a à o du même 1°.
4. L'une des parties intervenantes soutient par ailleurs que la limitation de l'action en démolition par les dispositions contestées porte une atteinte disproportionnée à l'obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement découlant des articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement. Selon elle, seraient également méconnus les articles 1er, 12 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif :
5. Aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
6. Le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles.
7. En application du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, une personne ayant subi un préjudice causé par une construction édifiée conformément à un permis de construire ne peut obtenir du juge judiciaire qu'il ordonne au propriétaire de la démolir que si trois conditions sont réunies. Premièrement, le propriétaire doit avoir méconnu une règle d'urbanisme ou une servitude d'utilité publique. Deuxièmement, le permis de construire doit avoir été annulé pour excès de pouvoir par une décision du juge administratif, devenue définitive depuis moins de deux ans. Troisièmement, en vertu des dispositions contestées, la construction en cause doit être située dans l'une des quinze catégories de zones énumérées aux a à o du 1° de l'article L. 480-13.
8. En premier lieu, d'une part, en interdisant l'action en démolition prévue au 1° de l'article L. 480-13 en dehors des zones qu'il a limitativement retenues, le législateur a entendu réduire l'incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements. Il ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
9. D'autre part, l'action en démolition demeure ouverte par les dispositions contestées dans les zones dans lesquelles, compte tenu de leur importance pour la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain ou en raison des risques naturels ou technologiques qui y existent, la démolition de la construction édifiée en méconnaissance des règles d'urbanisme apparaît nécessaire.
10. Cette démolition peut également être demandée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile lorsque la construction a été édifiée sans permis de construire ou en méconnaissance du permis délivré. Il en va de même lorsqu'elle l'a été conformément à un tel permis en violation, non d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique, mais d'une règle de droit privé.
11. Dans les cas pour lesquels l'action en démolition est exclue par les dispositions contestées, une personne ayant subi un préjudice causé par une construction peut en obtenir la réparation sous forme indemnitaire, notamment en engageant la responsabilité du constructeur en vertu du 2° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme. La personne lésée peut par ailleurs obtenir du juge administratif une indemnisation par la personne publique du préjudice causé par la délivrance fautive du permis de construire irrégulier.
12. En second lieu, la décision d'annulation, par le juge administratif, d'un permis de construire pour excès de pouvoir ayant pour seul effet juridique de faire disparaître rétroactivement cette autorisation administrative, la démolition de la construction édifiée sur le fondement du permis annulé, qui constitue une mesure distincte, relevant d'une action spécifique devant le juge judiciaire, ne découle pas nécessairement d'une telle annulation. Les dispositions contestées ne portent donc aucune atteinte au droit d'obtenir l'exécution d'une décision de justice.
13. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas d'atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'obtenir réparation de leur préjudice, ni d'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif doivent être écartés.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l'environnement :
14. Les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement disposent : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». Il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité. Il est loisible au législateur de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation. Toutefois, il ne saurait, dans l'exercice de cette compétence, restreindre le droit d'agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée.
15. L'article 4 de la Charte de l'environnement prévoit : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions.
16. En limitant l'action en démolition aux seules zones énumérées au a à o du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, le législateur a privé la personne lésée par une construction édifiée en dehors de ces zones, conformément à un permis de construire annulé, d'obtenir sa démolition sur ce fondement.
17. Toutefois, d'une part, le législateur a veillé à ce que l'action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l'environnement. D'autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle aux autres actions en réparation, en nature ou sous forme indemnitaire, mentionnées aux paragraphes 10 et 11 de la présente décision. En déterminant ainsi les modalités de mise en œuvre de l'action en démolition, le législateur n'a pas porté atteinte aux droits et obligations qui résultent des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l'environnement. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de ces articles doivent être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et les a à o du même 1°, qui ne méconnaissent ni les articles 1er, 12 et 17 de la Déclaration de 1789 ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° et les a à o du même 1° de
l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des
chances économiques, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Société Neomades [Régime d'exonération des jeunes entreprises innovantes]
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 septembre 2017 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1315 du 14 septembre
2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la
société Neomades par Me René Hoin, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n°
2017-673 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit :
- des mots « dans la double limite, d'une part, des cotisations dues pour la
part de rémunération inférieure à 4,5 fois le salaire minimum de croissance,
d'autre part, d'un montant, par année civile et par établissement employeur,
égal à trois fois le plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du code de la
sécurité sociale, et dans les conditions prévues au V du présent article. Les
conditions dans lesquelles ce montant est déterminé pour les établissements
créés ou supprimés en cours d'année sont précisées par décret » figurant au
paragraphe I de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003, dans sa rédaction
résultant de l'article 175 de la loi de finances pour 2011 ;
- des mots « à taux plein jusqu'au dernier jour de la troisième année suivant
celle de la création de l'établissement. Elle est ensuite applicable à un taux
de 75 % jusqu'au dernier jour de la quatrième année suivant celle de la création
de l'établissement, à un taux de 50 % jusqu'au dernier jour de la cinquième
année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 30 %
jusqu'au dernier jour de la seizième année suivant celle de la création de
l'établissement et à un taux de 10 % jusqu'au dernier jour de la septième année
suivant celle de la création de l'établissement » figurant au premier alinéa du
paragraphe V de ce même article, dans la même rédaction ;
- du paragraphe IV de l'article 37 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de
finances rectificative pour 2011.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 ;
- la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 de financement de la sécurité sociale pour 2008 ;
- la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par Me Hoin,
enregistrées les 6 et 20 octobre 2017 ;
- les observations présentées pour l'URSSAF Aquitaine, partie en défense, par la
SCP Gatineau-Fattaccini, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 6 et 21 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Hoin, pour la société requérante, Me Jean-Jacques
Gatineau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en
défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience
publique du 14 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le paragraphe I de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003 mentionnée ci-dessus, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus, institue en faveur des entreprises bénéficiant du statut de « jeune entreprise innovante » au sens de l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts, une exonération des cotisations à la charge de l'employeur au titre des assurances sociales et des allocations familiales. Cette exonération s'applique :« dans la double limite, d'une part, des cotisations dues pour la part de rémunération inférieure à 4,5 fois le salaire minimum de croissance, d'autre part, d'un montant, par année civile et par établissement employeur, égal à trois fois le plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, et dans les conditions prévues au V du présent article. Les conditions dans lesquelles ce montant est déterminé pour les établissements créés ou supprimés en cours d'année sont précisées par décret ».
2. Le paragraphe V de ce même article 131, dans cette même rédaction, prévoit que cette exonération est applicable :« à taux plein jusqu'au dernier jour de la troisième année suivant celle de la création de l'établissement. Elle est ensuite applicable à un taux de 75 % jusqu'au dernier jour de la quatrième année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 50 % jusqu'au dernier jour de la cinquième année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 30 % jusqu'au dernier jour de la seizième année suivant celle de la création de l'établissement et à un taux de 10 % jusqu'au dernier jour de la septième année suivant celle de la création de l'établissement ».
3. Le paragraphe II de l'article 37 de la loi du 28 décembre 2011 mentionnée ci-dessus modifie les dispositions précitées des paragraphes I et V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003. Le paragraphe IV de cet article 37 prévoit : « Le II est applicable aux cotisations dues au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier 2012 ».
4. La société requérante soutient qu'en modifiant dans un sens défavorable le régime d'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale en faveur des jeunes entreprises innovantes, ces dispositions portent atteinte à des situations légalement acquises et remettent en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Selon elle, en effet, les jeunes entreprises innovantes qui préexistaient à leur entrée en vigueur devaient conserver le bénéfice de l'exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale, prévue par les dispositions initiales, jusqu'à la fin de la septième année suivant celle de leur création. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Sur la procédure :
5. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites.
6. Par suite, doivent être rejetées les conclusions de la partie en défense tendant à ce que le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article 37 de la loi du 28 décembre 2011, dès lors que cette disposition est au nombre de celles incluses dans la question renvoyée par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.
- Sur le fond :
7. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
8. Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
9. L'article 44 sexies-0 A du code général des impôts qualifie de « jeune entreprise innovante » certaines petites et moyennes entreprises créées depuis moins de huit ans, ayant réalisé des dépenses de recherche et de développement représentant au moins 15 % des charges totales engagées, et répondant à certaines conditions de détention de leur capital.
10. L'article 131 de la loi du 30 décembre 2003, dans sa rédaction initiale, a institué un dispositif d'exonération totale des cotisations sociales patronales afin de favoriser le développement et la pérennité de ces entreprises. En vertu du paragraphe I de cet article, cette exonération s'appliquait aux cotisations patronales dues au titre des assurances sociales, des allocations familiales, des accidents du travail et des maladies professionnelles à raison des gains et rémunérations versés aux salariés et mandataires sociaux participant directement aux travaux de recherche. En vertu du paragraphe V de cet article, ce dispositif d'exonération était « applicable au plus jusqu'au dernier jour de la septième année suivant celle de la création de l'entreprise », sauf si l'entreprise cessait de satisfaire aux conditions requises, auquel cas le bénéfice de l'exonération était définitivement perdu.
11. L'article 22 de la loi du 19 décembre 2007 mentionnée ci-dessus a modifié le paragraphe I de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003, en supprimant l'exonération des cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles.
12. L'article 108 de la loi du 24 décembre 2007 mentionnée ci-dessus a modifié le paragraphe V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003 en prévoyant que si l'entreprise cesse de remplir les conditions requises, elle perd le bénéfice de l'exonération temporairement et non plus définitivement.
13. L'article 175 de la loi du 29 décembre 2010 a modifié les paragraphes I et V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003, rendant moins avantageux ce régime d'exonération. Il a supprimé l'exonération des cotisations dues à raison de la part de la rémunération mensuelle brute par personne excédant 4,5 fois le salaire minimum de croissance. Il a également plafonné le montant annuel, par établissement, des cotisations éligibles à l'exonération. Il a enfin instauré une dégressivité du taux d'exonération à compter de la quatrième année et jusqu'à la fin de la septième année, passant de 75 % à 10 %.
14. Le paragraphe II de l'article 37 de la loi du 28 décembre 2011 a modifié les paragraphes I et V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003 dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 en rehaussant le plafond d'exonération par établissement à cinq fois le plafond de sécurité sociale et, d'autre part, en portant les taux dégressifs d'exonération de 80 % à 50 % entre la quatrième et la septième année suivant celle de la création de l'entreprise. Le paragraphe IV de cet article 37 prévoit que ces modifications sont applicables « aux cotisations dues au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier 2012 ».
15. En premier lieu, les dispositions contestées, qui ne disposent que pour l'avenir, ne s'appliquent pas aux cotisations dues à raison des gains et rémunérations versées avant leur entrée en vigueur. Elles n'ont donc pas porté atteinte à des situations légalement acquises.
16. En second lieu, d'une part, en prévoyant, au paragraphe V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003, dans ses rédactions antérieures à celles résultant des dispositions contestées, que l'exonération est applicable « au plus jusqu'au dernier jour de la septième année suivant celle de la création de l'entreprise », le législateur a seulement entendu réserver cet avantage aux « jeunes » entreprises créées depuis moins de huit ans. D'autre part, si le bénéfice de l'exonération est accordé aux entreprises ayant le statut de jeune entreprise innovante en contrepartie du respect des conditions qui leur sont imposées par la loi, notamment en matière de dépenses de recherche et de modalités de détention de leur capital, ce bénéfice n'est acquis que pour chaque période de décompte des cotisations au cours de laquelle ces conditions sont remplies. Par conséquent, les dispositions contestées des paragraphes I et V de l'article 131 de la loi du 30 décembre 2003 n'ont pas remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus de situations légalement acquises sur le fondement des rédactions antérieures de cet article 131. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du paragraphe IV de l'article 37 de la loi du 28 décembre 2011.
17. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sont conformes à la Constitution :
- les mots « dans la double limite, d'une part, des cotisations dues pour la
part de rémunération inférieure à 4,5 fois le salaire minimum de croissance,
d'autre part, d'un montant, par année civile et par établissement employeur,
égal à trois fois le plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du code de la
sécurité sociale, et dans les conditions prévues au V du présent article. Les
conditions dans lesquelles ce montant est déterminé pour les établissements
créés ou supprimés en cours d'année sont précisées par décret » figurant au
paragraphe I de l'article 131 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de
finances pour 2004, dans sa rédaction résultant de l'article 175 de la loi n°
2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
- les mots « à taux plein jusqu'au dernier jour de la troisième année suivant
celle de la création de l'établissement. Elle est ensuite applicable à un taux
de 75 % jusqu'au dernier jour de la quatrième année suivant celle de la création
de l'établissement, à un taux de 50 % jusqu'au dernier jour de la cinquième
année suivant celle de la création de l'établissement, à un taux de 30 %
jusqu'au dernier jour de la seizième année suivant celle de la création de
l'établissement et à un taux de 10 % jusqu'au dernier jour de la septième année
suivant celle de la création de l'établissement » figurant au premier alinéa du
paragraphe V de ce même article, dans la même rédaction ;
- le paragraphe IV de l'article 37 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de
finances rectificative pour 2011 est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 novembre 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412205 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Queen Air par Me Amaël Chesneau, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-675 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 et des deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du code des transports, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code des transports ;
- l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative
du code des transports, ratifiée par l'article 1er de la loi n° 2012-375 du 19
mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers
dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions
dans le domaine des transports ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et
Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 11
et 26 octobre 2017 ;
- les observations présentées pour l'Autorité de contrôle des nuisances
aéroportuaires, partie en défense, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 12 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 12
octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Chesneau, pour la société requérante, Me Frédéric Thiriez,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense,
et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du
14 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 du code
des transports, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 28 octobre 2010
mentionnée ci-dessus, prévoient :« L'Autorité de contrôle des nuisances
aéroportuaires dispose de services qui sont placés sous l'autorité de son
président.
« Celui-ci nomme le rapporteur permanent et son suppléant ».
2. Le deuxième alinéa de l'article L. 6361-14 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :« À l'issue de l'instruction, le président de l'autorité peut classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières à la commission des faits le justifient ou que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction ».
3. Les cinquième à neuvième alinéas de ce même article, dans
cette même rédaction, prévoient :« Un rapporteur permanent et son suppléant sont
placés auprès de l'autorité.
« Au terme de l'instruction, le rapporteur notifie le dossier complet
d'instruction à la personne concernée. Celle-ci peut présenter ses observations
au rapporteur.
« L'autorité met la personne concernée en mesure de se présenter devant elle ou
de se faire représenter. Elle délibère valablement au cas où la personne
concernée néglige de comparaître ou de se faire représenter.
« Après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne concernée ou
son représentant, l'autorité délibère hors de leur présence.
« Les membres associés participent à la séance. Ils ne participent pas aux
délibérations et ne prennent pas part au vote ».
4. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles ne garantiraient pas, dans la procédure de sanction devant l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, la séparation entre les fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et les fonctions de jugement, d'autre part.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du code des transports.
- Sur le fond :
6. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
7. Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
8. L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, instituée par l'article L. 6361-1 du code des transports, est une autorité administrative indépendante composée de dix membres, parmi lesquels son président nommé par décret du Président de la République. Elle est compétente en matière de lutte contre les nuisances engendrées par le transport aérien.
9. Selon les deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 du code des transports, l'Autorité dispose de services placés sous l'autorité de son président, lequel nomme par ailleurs le rapporteur permanent et son suppléant.
10. En vertu des articles L. 6361-9 et L. 6361-12 du code des transports, l'Autorité est dotée d'un pouvoir de sanction et peut, à ce titre, prononcer des amendes administratives à l'encontre de la personne exerçant une activité de transport aérien ou à l'encontre d'un fréteur mettant à la disposition d'un affréteur un aéronef avec équipage.
11. En application de l'article L. 6361-14 du code des transports, la procédure de sanction débute par la constatation d'un manquement par les fonctionnaires et agents désignés à l'article L. 6142-1 du même code. Ce manquement est consigné dans un procès-verbal notifié à la personne en cause et communiqué à l'autorité. L'instruction, qui est contradictoire, est assurée par des fonctionnaires et agents autres que ceux ayant constaté le manquement. Au terme de l'instruction, le rapporteur notifie le dossier complet à la personne incriminée qui peut présenter ses observations. À l'issue de cette phase, le président de l'autorité peut décider de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières à la commission des faits le justifient ou que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction. Dans le cas contraire, l'autorité met la personne poursuivie en mesure de se présenter devant elle ou de se faire représenter. Puis, après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne en cause ou son représentant, l'autorité délibère hors de leur présence.
12. Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre d'une procédure de sanction devant l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, son président dispose du pouvoir d'opportunité des poursuites des manquements constatés alors qu'il est également membre de la formation de jugement de ces mêmes manquements.
13. Dès lors, les dispositions contestées n'opèrent aucune séparation au sein de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Elles méconnaissent ainsi le principe d'impartialité.
14. Par conséquent, les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du même code doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
16. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de la reporter au 30 juin 2018.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L.
6361-14 du code des transports, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°
2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des
transports, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 16 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 novembre 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20
septembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de
constitutionnalité portant sur la dernière phrase du huitième alinéa et sur la
troisième phrase du neuvième alinéa de l'article L. 561 1 du code de l'entrée et
du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la
loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
La dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 permet à l'autorité
administrative d'assigner à résidence, sans limite de durée, un étranger faisant
l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire ou d'un arrêté d'expulsion,
jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation
de quitter le territoire. La troisième phrase du neuvième alinéa du même article
permet également à cette autorité de fixer en tout point du territoire les lieux
d'assignation à résidence des étrangers en cause ou de ceux sous le coup d'une
interdiction administrative de territoire, quel que soit l'endroit où ils se
trouvent.
Le requérant, rejoint en intervention par l'association Gisti et par la Ligue
des droits de l'Homme, reprochait aux dispositions contestées, notamment, de ne
pas fixer de limite de durée à cette assignation à résidence et de ne prévoir ni
réexamen périodique de la situation de l'étranger ni recours effectif contre la
décision d'assignation. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance de la
liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit à
une vie familiale normale. Le requérant et les associations intervenantes
dénonçaient en outre la violation du droit au respect de la vie privée et du
droit de mener une vie familiale normale qu'aurait constitué la possibilité
reconnue à l'administration de changer discrétionnairement le lieu d'assignation
à résidence de l'étranger. Ils faisaient par ailleurs valoir que, compte tenu de
la durée indéfinie et des modalités de l'assignation à résidence qu'elles
prévoyaient, les dispositions contestées portaient à la liberté individuelle une
atteinte contraire à l'article 66 de la Constitution.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur
constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et
absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur
entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police
administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant
sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d'assurer la
conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et,
d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés
figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle
protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de
cette déclaration et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du
dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Faisant application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel relève,
en l'espèce, qu'en prévoyant que sont susceptibles d'être placés sous le régime
d'assignation à résidence, sans limite de temps, les étrangers faisant l'objet
d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire, le
législateur a plus particulièrement entendu éviter que puisse librement circuler
sur le territoire national une personne non seulement dépourvue de droit au
séjour, mais qui s'est également rendue coupable d'une infraction ou dont la
présence constitue une menace grave pour l'ordre public. Cette mesure est ainsi
motivée, à un double titre, par la sauvegarde de l'ordre public.
Le Conseil constitutionnel juge en conséquence qu'il était loisible au
législateur de ne pas fixer de durée maximale à l'assignation à résidence afin
de permettre à l'autorité administrative d'exercer un contrôle sur l'étranger
compte tenu de la menace à l'ordre public qu'il représente ou afin d'assurer
l'exécution d'une décision de justice.
Il relève que le maintien d'un arrêté d'expulsion, en l'absence de son
abrogation, atteste que l'étranger représente une menace persistante à l'ordre
public. Le placement sous assignation à résidence après la condamnation à
l'interdiction du territoire français peut toujours être justifié par la volonté
d'exécuter la condamnation dont l'étranger a fait l'objet. En revanche, faute
que le législateur ait prévu qu'au-delà d'une certaine durée, l'administration
doive justifier de circonstances particulières imposant le maintien de
l'assignation aux fins d'exécution de la décision d'interdiction du territoire,
le Conseil constitutionnel censure comme portant une atteinte disproportionnée à
la liberté d'aller et de venir les mots « au 5° du présent article » figurant à
la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1, qui renvoient au
cas de l'étranger sous le coup d'une interdiction judiciaire du territoire.
S'agissant du reste des dispositions contestées, applicables à l'étranger
faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion, le Conseil constitutionnel formule deux
réserves d'interprétation. Suivant la première réserve, il appartient à
l'autorité administrative de retenir des conditions et des lieux d'assignation à
résidence tenant compte, dans la contrainte qu'ils imposent à l'intéressé, du
temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce
dernier. Suivant la seconde réserve, la plage horaire d'une astreinte à domicile
incluse dans une mesure d'assignation à résidence ne saurait dépasser douze
heures par jour sans que cette mesure soit alors regardée comme une mesure
privative de liberté, contraire aux exigences de l'article 66 de la Constitution
en l'absence de toute intervention du juge judiciaire.
Concernant les effets dans le temps de la censure partielle prononcée par sa
décision, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il ne dispose pas d'un pouvoir
général d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui
appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il
soit remédié à une inconstitutionnalité qu'il constate. Compte tenu des
conséquences manifestement excessives qu'aurait une abrogation immédiate, le
Conseil constitutionnel reporte au 30 juin 2018 la date de l'abrogation des mots
« au 5° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de
l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 20 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411774 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Kamel D. par Me Bruno Vinay, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-674 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du huitième alinéa et de la troisième phrase du neuvième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Fabiani Luc-Thaler
Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 11
octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 12
octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Gisti par la
SCP Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 12 octobre 2017;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 12 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Pinatel, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour le requérant, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et
à la Cour de cassation, pour l'association Gisti, partie intervenante, Me
Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la
Ligue des droits de l'Homme, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 mars 2016 mentionnée ci-dessus, permet à l'autorité administrative d'assigner à résidence, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français, de regagner son pays d'origine ou de se rendre dans un autre pays. La durée maximale de la mesure d'assignation à résidence est de six mois, renouvelable une fois. Par exception, la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1, applicable aux étrangers devant être reconduits à la frontière en raison d'une interdiction judiciaire du territoire ou d'un arrêté d'expulsion, prévoit :« La durée de six mois ne s'applique ni aux cas mentionnés au 5° du présent article, ni à ceux mentionnés aux articles L. 523-3 à L. 523-5 du présent code ».
2. La troisième phrase du neuvième alinéa de ce même article prévoit :« L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction judiciaire ou administrative du territoire prononcés en tout point du territoire de la République peut, quel que soit l'endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l'autorité administrative dans l'ensemble du territoire de la République ».
3. Le requérant, rejoint par les associations intervenantes, reproche aux dispositions contestées de ne pas fixer de limite de durée à l'assignation à résidence de l'étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction judiciaire du territoire et de ne pas prévoir un réexamen périodique de sa situation ni un recours effectif contre la décision d'assignation. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit à une vie familiale normale. Les associations intervenantes font également valoir à ce titre une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. Avec le requérant, elles dénoncent par ailleurs la violation du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale que constituerait la possibilité reconnue à l'administration de changer discrétionnairement le lieu d'assignation à résidence de l'étranger. Selon le requérant et la Ligue des droits de l'Homme, faute d'avoir suffisamment défini les modalités de la mesure d'assignation à résidence, le législateur aurait également méconnu sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Le requérant et les associations intervenantes font par ailleurs valoir que, compte tenu de la durée indéfinie et des modalités de l'assignation à résidence prévue par les dispositions contestées, ces dernières porteraient à la liberté individuelle une atteinte contraire à l'article 66 de la Constitution. Enfin, l'association Gisti reproche aux dispositions contestées de méconnaître le principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où elles traitent différemment, s'agissant de la durée de l'assignation à résidence, l'étranger qui doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction judiciaire du territoire français ou d'un arrêté d'expulsion, et l'étranger qui doit l'être à un autre titre.
- Sur le fond :
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, de l'atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale :
4. Aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de cette déclaration, et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
5. La dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet à l'autorité administrative d'assigner à résidence, sans limite de durée, un étranger faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire ou d'un arrêté d'expulsion, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation de quitter le territoire. La troisième phrase du neuvième alinéa du même article permet également à cette autorité de fixer en tout point du territoire les lieux d'assignation à résidence des étrangers en cause ou de ceux sous le coup d'une interdiction administrative de séjour, quel que soit l'endroit où ils se trouvent.
6. En vertu de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, seuls les étrangers dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion. En application de l'article 131-30 du code pénal, la peine d'interdiction du territoire, prononcée à titre principal ou complémentaire, entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion.
7. En premier lieu, d'une manière générale, l'objet de la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est, d'une part, de garantir la représentation de l'étranger soumis à une mesure d'éloignement du territoire, et, d'autre part, d'organiser les conditions de son maintien temporaire sur le territoire français, alors qu'il n'a pas de titre l'autorisant à y séjourner, en tenant compte des troubles à l'ordre public que ce maintien est susceptible d'occasionner.
8. En prévoyant que sont susceptibles d'être placés sous le régime d'assignation à résidence prévu à l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans limite de temps, les étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire, le législateur a plus particulièrement entendu éviter que puisse librement circuler sur le territoire national une personne non seulement dépourvue de droit au séjour, mais qui s'est également rendue coupable d'une infraction ou dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public. Cette mesure est ainsi motivée, à un double titre, par la sauvegarde de l'ordre public.
9. Il était loisible au législateur de ne pas fixer de durée maximale à l'assignation à résidence afin de permettre à l'autorité administrative d'exercer un contrôle sur l'étranger compte tenu de la menace à l'ordre public qu'il représente ou afin d'assurer l'exécution d'une décision de justice.
10. D'une part, le maintien d'un arrêté d'expulsion, en l'absence de son abrogation, atteste de la persistance de la menace à l'ordre public constituée par l'étranger. En revanche, si le placement sous assignation à résidence après la condamnation à l'interdiction du territoire français peut toujours être justifié par la volonté d'exécuter la condamnation dont l'étranger a fait l'objet, le législateur n'a pas prévu qu'au-delà d'une certaine durée, l'administration doive justifier de circonstances particulières imposant le maintien de l'assignation aux fins d'exécution de la décision d'interdiction du territoire. Dès lors, les mots « au 5° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir. Ils doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.
11. D'autre part, la durée indéfinie de la mesure d'assignation à résidence en accroît la rigueur. Dès lors, il appartient à l'autorité administrative de retenir des conditions et des lieux d'assignation à résidence tenant compte, dans la contrainte qu'ils imposent à l'intéressé, du temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier. Sous cette réserve, le reste de la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne porte pas d'atteinte disproportionnée aux droits et libertés mentionnés ci-dessus et le grief tiré de leur méconnaissance, pour ce qui concerne ces dispositions, doit donc être écarté.
12. En second lieu, d'une part, compte tenu des restrictions qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'aller et de venir, au droit au respect à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale pour des étrangers dont le séjour n'est pas régulier et qui sont sous le coup d'une mesure d'éloignement et, d'autre part, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, pour les assignations à résidence sans limite de durée, la faculté reconnue à l'autorité administrative de fixer le lieu d'assignation à résidence en tout point du territoire de la République ne porte pas d'atteinte disproportionnée aux droits mentionnés ci-dessus. Le grief tiré de leur méconnaissance doit donc, sous cette réserve, être également écarté pour ce qui concerne ces dispositions.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution :
13. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
14. En vertu de la première phrase du neuvième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger assigné à résidence doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Les dispositions contestées de la troisième phrase du même alinéa prévoient que l'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction administrative ou judiciaire du territoire peut, quel que soit l'endroit où il se trouve, être astreint à résider dans des lieux choisis par l'autorité administrative. En vertu de la dernière phrase du même alinéa, l'étranger qui présente une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public peut, sur ordre de l'autorité administrative, être conduit jusqu'aux lieux d'assignation par les services de police ou de gendarmerie.
15. En premier lieu, si la mesure d'assignation à résidence est susceptible d'inclure une astreinte à domicile, la plage horaire de cette dernière ne saurait dépasser douze heures par jour sans que l'assignation à résidence soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, contraire aux exigences de l'article 66 de la Constitution, dans la mesure où elle n'est pas soumise au contrôle du juge judiciaire.
16. En second lieu, la seule prolongation dans le temps d'une telle mesure d'assignation à résidence n'a pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté.
17. Il résulte de ce qui précède, que, sous la réserve énoncée au paragraphe 15, tant par son objet que par sa portée, la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne comporte pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
18. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
19. L'arrêté d'assignation à résidence instauré par les dispositions contestées peut faire l'objet d'un recours dans les conditions du droit commun. En particulier, l'absence de décision de renouvellement de l'assignation à résidence n'empêche pas l'étranger concerné de solliciter la levée de l'assignation et voir ainsi sa situation réexaminée à cette occasion. L'intéressé peut notamment contester les modalités de l'assignation à résidence et obtenir, le cas échéant, un amoindrissement de la rigueur qui lui est imposée.
20. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :
21. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
22. En soumettant les étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion à une mesure d'assignation à résidence sans limite de temps, le législateur a traité différemment des autres étrangers les personnes qui, compte tenu de la gravité de la menace que leur présence constitue pour l'ordre public, sont placées dans une situation différente. Cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.
23. Il résulte de tout ce qui précède que, à l'exception des mots « au 5° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sous les réserves énoncées aux paragraphes 11, 12 et 15, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
24. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
25. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, l'abrogation immédiate des mots « au 5° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 30 juin 2018 la date de l'abrogation de ces dispositions.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « au 5° du présent article » figurant à la dernière
phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n°
2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sont
contraires à la Constitution.
Article 2. - Sont conformes à la Constitution :
- sous les réserves énoncées aux paragraphes 11 et 15, le reste de la dernière
phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile, dans cette même rédaction ;
- sous les réserves énoncées aux paragraphes 12 et 15, la troisième phrase du
neuvième alinéa du même article L. 561-1, dans cette même rédaction.
Article 3. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 25 de cette décision.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 septembre 2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 1330 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Élise D. par Mes Pierre Le Roux et André Loup, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-676 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 773 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- la loi du 25 février 1901 portant fixation du budget général des dépenses et
des recettes de l'exercice 1901 ;
- le décret n° 81-866 du 15 septembre 1981 portant incorporation au code général
des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce
code, à compter du 1er juillet 1981 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par la SCP Piwnica et Molinié,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 13 et 30 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 13 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jacques Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 22 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l'occasion d'un litige relatif à l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre des années 2008 à 2011. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 773 du code général des impôts dans sa rédaction résultant du décret du 15 septembre 1981 mentionné ci-dessus.
2. L'article 773 du code général des impôts, dans cette
rédaction, prévoit, en ce qui concerne la déductibilité des dettes du défunt
pour l'établissement des droits de mutation par décès :« Toutefois ne sont pas déductibles :
« 1° Les dettes échues depuis plus de trois mois avant l'ouverture de la
succession, à moins qu'il ne soit produit une attestation du créancier en
certifiant l'existence à cette époque, dans la forme et suivant les règles
déterminées à l'article L. 20 du livre des procédures fiscales ;
« 2° Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de
personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes
désignées dans les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du code civil.
« Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un
acte sous-seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession
autrement que par le décès d'une des parties contractantes, les héritiers,
donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de
prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l'ouverture de la succession ;
« 3° Les dettes reconnues par testament ;
« 4° Les dettes hypothécaires garanties par une inscription périmée depuis plus
de trois mois, à moins qu'il ne s'agisse d'une dette non échue et que
l'existence n'en soit attestée par le créancier dans les formes prévues à
l'article L. 20 du livre des procédures fiscales ; si l'inscription n'est pas
périmée, mais si le chiffre en a été réduit, l'excédent est seul déduit, s'il y a lieu ;
« 5° Les dettes en capital et intérêts pour lesquelles le délai de prescription
est accompli, à moins qu'il ne soit justifié que la prescription a été interrompue ».
3. Selon la requérante, les dispositions du 2° de cet article, rendues applicables à l'impôt de solidarité sur la fortune par l'article 885 D du code général des impôts, institueraient une différence de traitement injustifiée entre les redevables de cet impôt. En effet, selon que le redevable a contracté une dette auprès d'un membre de sa famille ou auprès d'un tiers, cette dette n'est pas déductible de son patrimoine dans les mêmes conditions. Cette différence de traitement, qui n'est pas en lien avec l'objectif poursuivi par la loi, serait contraire au principe d'égalité devant la loi. Par ailleurs, cette différence ne serait pas non plus fondée sur des critères objectifs et rationnels et ferait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques. Enfin, ces dispositions ne permettraient au redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune de prouver l'existence et la sincérité de la dette contractée auprès d'un membre de sa famille qu'à la condition qu'elle ait été consentie par un acte authentique ou un acte sous seing privé ayant date certaine avant le fait générateur de l'impôt. En faisant ainsi peser sur certains contribuables une charge excessive, ces dispositions méconnaîtraient l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 2° de l'article 773 du code général des impôts.
5. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
7. Par exception au principe, fixé à l'article 768 du code général des impôts, suivant lequel les dettes du défunt au jour de l'ouverture de la succession sont déductibles de l'actif successoral pour l'établissement des droits de mutation à titre gratuit, le premier alinéa du 2° de l'article 773 exclut la déduction des dettes contractées par le défunt à l'égard de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont notamment réputées personnes interposées, en application du dernier alinéa de l'article 911 du code civil, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l'époux de la personne incapable. Le second alinéa de ce 2° prévoit un tempérament à cette exclusion, en permettant aux héritiers et aux personnes interposées de prouver la sincérité et l'existence de la dette à condition que celle-ci ait fait l'objet d'un acte authentique ou d'un acte sous seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession.
8. En premier lieu, s'il existe une différence de traitement entre les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune selon la personne auprès de laquelle ils ont souscrit ou non une dette, cette différence ne résulte pas du 2° de l'article 773 du code général des impôts, relatif aux droits de mutation à titre gratuit pour cause de décès, mais de l'article 885 D du même code, selon lequel l'impôt de solidarité sur la fortune est assis selon les mêmes règles que ces droits de mutation. Dès lors, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner l'argument tiré de cette différence de traitement, ni les autres arguments portant sur l'impôt de solidarité sur la fortune développés par la requérante à l'appui de ses griefs dirigés contre le 2° de l'article 773.
9. En second lieu, le législateur a subordonné la déduction des dettes du défunt à l'égard de ses héritiers ou à l'égard de personnes interposées à l'établissement de ces dettes par acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession. Il a ainsi institué, pour l'établissement des droits de mutation à titre gratuit pour cause de décès, une différence de traitement entre les successions selon que les dettes du défunt ont été contractées, d'une part, à l'égard de ses héritiers ou de personnes interposées ou, d'autre part, à l'égard de tiers.
10. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et ainsi réduire les risques de minoration de l'impôt qu'il a jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens entre une personne et ses héritiers. Le législateur a donc poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
11. Par conséquent, la différence de traitement opérée par les dispositions contestées repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objet de la loi. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
12. Le 2° de l'article 773 du code général des impôts, qui ne méconnaît ni le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le 2° de l'article 773 du code général des impôts, dans sa
rédaction résultant du décret n° 81-866 du 15 septembre 1981 portant
incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et
complétant certaines dispositions de ce code, à compter du 1er juillet 1981, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411771 du 22 septembre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la Ligue des droits de l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-677 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 8-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n°
55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de
renforcement de la lutte antiterroriste ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Spinosi
et Sureau, enregistrées les 17 octobre et 2 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 22 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 mentionnée
ci-dessus, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 mentionnée
ci-dessus, prévoit que, lorsque l'état d'urgence a été déclaré dans certaines
zones, en application de l'article 2 de cette loi : « Dans les zones mentionnées
à l'article 2 de la présente loi, le préfet peut autoriser, par décision
motivée, les agents mentionnés aux 2° à 4° de l'article 16 du code de procédure
pénale et, sous leur responsabilité, ceux mentionnés à l'article 20 et aux 1°,
1° bis et 1° ter de l'article 21 du même code à procéder aux contrôles
d'identité prévus au huitième alinéa de l'article 78-2 dudit code, à
l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des
véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des
lieux accessibles au public.
« La décision du préfet désigne les lieux concernés, qui doivent être
précisément définis, ainsi que la durée de l'autorisation, qui ne peut excéder
vingt-quatre heures.
« Les trois derniers alinéas du II et les deux derniers alinéas du III de
l'article 78-2-2 du même code sont applicables aux opérations conduites en
application du présent article.
« La décision du préfet mentionnée au premier alinéa du présent article est
transmise sans délai au procureur de la République ».
2. L'association requérante reproche aux dispositions contestées de permettre aux services de police judiciaire, sur autorisation des préfets, de procéder, dans les zones où l'état d'urgence a été déclaré, à des contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules, sans que le recours à ces mesures soit subordonné à des circonstances ou des menaces particulières ni qu'un contrôle juridictionnel effectif puisse s'exercer à leur encontre. Il en résulterait une violation de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée, du principe d'égalité devant la loi et du droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu'une méconnaissance par le législateur de sa compétence de nature à affecter ces droits et libertés.
- Sur le fond :
3. La Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le droit au respect de la vie privée, protégé par le même article 2.
4. En application du premier alinéa de l'article 8-1 de la loi du 3 avril 1955, pour les zones dans lesquelles l'état d'urgence a été déclaré, le préfet peut autoriser, par décision motivée, les officiers de police judiciaire et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire et certains agents de police judiciaire adjoints à procéder à des contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
5. Il résulte des autres alinéas de l'article 8-1, d'une part, que le préfet doit désigner précisément les lieux concernés par ces opérations, ainsi que la durée pendant laquelle elles sont autorisées, qui ne peut excéder vingt-quatre heures, et, d'autre part, que certaines des garanties applicables aux inspections, fouilles et visites réalisées dans un cadre judiciaire sont rendues applicables aux opérations conduites sur le fondement de l'article 8-1.
6. Toutefois, il peut être procédé à ces opérations, dans les lieux désignés par la décision du préfet, à l'encontre de toute personne, quel que soit son comportement et sans son consentement. S'il est loisible au législateur de prévoir que les opérations mises en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liées au comportement de la personne, la pratique de ces opérations de manière généralisée et discrétionnaire serait incompatible avec la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. Or, en prévoyant que ces opérations peuvent être autorisées en tout lieu dans les zones où s'applique l'état d'urgence, le législateur a permis leur mise en œuvre sans que celles-ci soient nécessairement justifiées par des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public dans les lieux en cause.
7. Dès lors, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée. En l'espèce, en cas de recours à l'état d'urgence, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de priver l'autorité administrative du pouvoir d'autoriser des contrôles d'identité, des fouilles de bagages et des visites de véhicules. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 30 juin 2018 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 8-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-987 du 21 juillet
2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à
l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 9 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 22 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 411858 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le département de La Réunion par la SCP Boulloche, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-678 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 131 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le département requérant par la SCP Boulloche,
enregistrées le 17 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17
octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à
l'audience publique du 28 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 131 de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée
ci-dessus prévoit :« I. - Il est créé, pour 2016, un fonds exceptionnel à
destination des collectivités territoriales mentionnées aux 1° et 2° du présent
I, connaissant une situation financière particulièrement dégradée.
« Ce fonds comprend deux enveloppes, dont les montants sont répartis par décret,
destinées, respectivement :
« 1° Aux départements de métropole et à la métropole de Lyon ;
« 2° Aux départements d'outre-mer, aux collectivités territoriales de Guyane et
de Martinique, au Département de Mayotte ainsi qu'aux collectivités de
Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
« II. - Pour l'application du présent article :
« A. - Les données utilisées pour calculer les taux sont extraites des comptes
de gestion 2015 ;
« B. - La population des collectivités mentionnées au I à prendre en compte est
la population municipale légale en vigueur au 1er janvier 2015 et, pour le
Département de Mayotte, celle du dernier recensement authentifiant la population
;
« C. - Le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active attribué par
les collectivités mentionnées au I en application de l'article L. 262-13 du code
de l'action sociale et des familles est celui constaté au 31 décembre 2015 par
le ministre chargé des affaires sociales ;
« D. - Le nombre de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie
mentionnée à l'article L. 232-1 du même code est celui recensé au 31 décembre
2015 par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ;
« E. - Le nombre de bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap
mentionnée à l'article L. 245-1 dudit code et de l'allocation compensatrice pour
tierce personne mentionnée au même article L. 245-1, dans sa rédaction
antérieure à la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, est
celui recensé au 31 décembre 2015 par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ;
« F. - Le taux d'épargne brute d'une collectivité mentionnée au I est égal au
rapport entre, d'une part, la différence entre les recettes réelles de
fonctionnement et les dépenses réelles de fonctionnement et, d'autre part, les
recettes réelles de fonctionnement. Le montant versé au titre du fonds de
soutien exceptionnel aux départements en difficulté prévu à l'article 70 de la
loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 est
pris en compte comme recette réelle de fonctionnement. Les opérations liées aux
amortissements, aux provisions et aux cessions d'immobilisations ne sont pas
prises en compte pour la définition des recettes et des dépenses réelles de fonctionnement ;
« G. - Les dépenses sociales de la collectivité mentionnée au I s'entendent des
dépenses exposées au titre du revenu de solidarité active en application de
l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, de l'allocation
personnalisée d'autonomie définie à l'article L. 232-1 du même code et de la
prestation de compensation du handicap définie à l'article L. 245-1 dudit code.
Le taux de dépenses sociales est défini comme le rapport entre les dépenses
sociales de la collectivité mentionnée au I et ses dépenses réelles de fonctionnement ;
« H. - Le reste à charge des collectivités mentionnées au I lié à l'exercice de
leur compétence en matière de revenu de solidarité active correspond au solde entre :
« 1° Les dépenses exposées au titre de l'année 2015 par la collectivité au titre
du revenu de solidarité active, en application de l'article L. 262-24 du code de
l'action sociale et des familles;
« 2° La somme des recettes perçues par la collectivité, ainsi composées :
« a) Des montants de compensation dus en 2015 à la collectivité au titre du
revenu de solidarité active, en application de l'article 59 de la loi de
finances pour 2004 (n° 2003-1311 du 30 décembre 2003) et de l'article 51 de la
loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
« b) Du montant versé à la collectivité en 2015 en application de l'article L.
3334-16-2 du code général des collectivités territoriales ;
« c) De la part du solde résultant au titre de l'année 2015 de l'application de
l'article L. 3335-3 du même code et des attributions versées au titre de l'année
2015 en application de l'article 42 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013
de finances pour 2014 correspondant au rapport entre :
« - la somme des dépenses relatives au revenu de solidarité active réalisées au
titre de l'année 2015 par l'ensemble des collectivités mentionnées au I ;
« - la somme des dépenses relatives au revenu de solidarité active en
application de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles,
à l'allocation personnalisée d'autonomie définie à l'article L. 232-1 du même
code et à la prestation de compensation définie à l'article L. 245-1 dudit code
réalisées en 2015 par l'ensemble des collectivités mentionnées au I.
« III. - A. - La première enveloppe est divisée en trois parts dont les montants sont répartis par décret.
« Sont éligibles à la première enveloppe les collectivités mentionnées au 1° du
I dont le potentiel financier par habitant, déterminé selon les modalités
définies à l'article L. 3334-6 du code général des collectivités territoriales,
est inférieur à 1,3 fois le potentiel financier moyen par habitant des
collectivités mentionnées au 1° du I.
« 1. Sont éligibles à la première part de la première enveloppe les
collectivités mentionnées au 1° du I dont le taux d'épargne brute est inférieur
à 7,5 % et dont le taux applicable au 1er janvier 2016 aux droits prévus à
l'article 1594 D du code général des impôts est égal à 4,50 %.
« 2. Sont éligibles à la deuxième part de la première enveloppe les
collectivités mentionnées au 1° du I dont le taux d'épargne brute est inférieur
à 11 % et dont le taux de dépenses sociales est supérieur à la moyenne de ces
mêmes taux exposés par les départements de métropole.
« 3. Sont éligibles à la troisième part de la première enveloppe les
collectivités mentionnées au 1° du I dont le taux d'épargne brute est inférieur
à 11 % et dont le reste à charge en matière de revenu de solidarité active par
habitant est supérieur à la moyenne des restes à charge par habitant de
l'ensemble des collectivités mentionnées au même 1°.
« B. - L'attribution revenant à chaque collectivité mentionnée au 1° du I éligible est déterminée :
« 1° Au titre de la première part, en fonction du rapport entre la population de
la collectivité éligible et son taux d'épargne brute ;
« 2° Au titre de la deuxième part, en fonction du rapport entre, d'une part, le
nombre total de bénéficiaires du revenu de solidarité active, de l'allocation
personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap et,
d'autre part, la population de la collectivité ;
« 3° Au titre de la troisième part, en application des modalités suivantes :
« a) Pour 70 %, en fonction du rapport entre le reste à charge en matière de
revenu de solidarité active constaté pour chaque collectivité et le reste à
charge de l'ensemble des collectivités mentionnées au 1° du I ;
« b) Pour 30 %, en fonction d'un indice synthétique de ressources et de charges
qui est fonction, à hauteur de 30 %, du rapport entre le revenu moyen par
habitant de l'ensemble des collectivités mentionnées au 1° du I et le revenu par
habitant de la collectivité et, à hauteur de 70 %, du rapport entre la part du
nombre des bénéficiaires du revenu de solidarité active constatée dans la
population de la collectivité et cette même part constatée dans la population de
l'ensemble des collectivités mentionnées au même 1°. Le revenu pris en
considération est le dernier revenu imposable connu.
« Le montant attribué à chaque collectivité au titre de cette troisième part
correspond à la somme des montants résultant des a et b du présent 3°, pondérée
par l'écart relatif entre le reste à charge en matière de revenu de solidarité
active par habitant du département éligible et ce même reste à charge moyen par
habitant pour l'ensemble des collectivités mentionnées au 1° du I. Il ne peut
dépasser 20 % du montant total de cette troisième part.
« IV. - A. - La seconde enveloppe est divisée en trois parts dont les montants sont répartis par décret.
« 1. Sont éligibles à la première part de la seconde enveloppe les collectivités
mentionnées au 2° du I dont le taux d'épargne brute est inférieur à 7,5 % et
dont le taux applicable au 1er janvier 2016 aux droits prévus à l'article 1594 D
du code général des impôts est égal à 4,50 %.
« 2. Sont éligibles à la deuxième part de la seconde enveloppe les collectivités
mentionnées au 2° du I dont le taux d'épargne brute est inférieur à 11 % et dont
le taux de dépenses sociales est supérieur à la moyenne de ces mêmes taux
exposés par l'ensemble de ces collectivités.
« 3. Sont éligibles à la troisième part de la seconde enveloppe les
collectivités mentionnées au 2° du I dont le reste à charge au titre du revenu
de solidarité active par habitant est supérieur à la moyenne des restes à charge
par habitant de l'ensemble de ces collectivités.
« B. - L'attribution est déterminée :
« 1° Au titre de la première part, en fonction du rapport entre la population de
la collectivité éligible et son taux d'épargne brute ;
« 2° Au titre de la deuxième part, en fonction du rapport entre, d'une part, le
nombre total de bénéficiaires du revenu de solidarité active, de l'allocation
personnalisée d'autonomie, de l'allocation compensatrice pour tierce personne et
de la prestation de compensation du handicap et, d'autre part, la population de
la collectivité éligible ;
« 3° Au titre de la troisième part, en application des modalités suivantes :
« a) Pour 70 %, en fonction du rapport entre le reste à charge en matière de
revenu de solidarité active constaté pour chaque collectivité éligible et le
reste à charge de l'ensemble des collectivités mentionnées au 2° du I ;
« b) Pour 30 %, en application d'un indice synthétique de ressources et de
charges qui est fonction, à hauteur de 30 %, du rapport entre le revenu moyen
par habitant de l'ensemble des collectivités mentionnées au même 2° et le revenu
par habitant de la collectivité et, à hauteur de 70 %, du rapport entre la part
du nombre des bénéficiaires du revenu de solidarité active constatée dans la
population de la collectivité et cette même part constatée dans l'ensemble des
collectivités mentionnées audit 2°. Le revenu pris en considération est le
dernier revenu imposable connu.
« Le montant attribué à chaque collectivité au titre de cette troisième part
correspond à la somme des montants résultant des a et b du présent 3°, pondérée
par l'écart relatif entre le reste à charge en matière de revenu de solidarité
active par habitant de la collectivité éligible et ce même reste à charge moyen
par habitant pour l'ensemble des collectivités mentionnées au 2° du I ».
2. Le département requérant soutient, d'une part, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi, au motif que le fonds qu'elles instituent comporte deux enveloppes, la première destinée aux collectivités de métropole et la seconde aux collectivités d'outre-mer. Cette différence de traitement, reposant sur un critère géographique, serait arbitraire et sans rapport avec l'objet de la loi, qui est de soutenir les collectivités territoriales connaissant une situation financière particulièrement dégradée. Le département requérant reproche, d'autre part, à ces mêmes dispositions d'avoir renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer discrétionnairement le montant de chaque enveloppe. Il en résulterait une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence, dans des conditions de nature à affecter les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les trois derniers alinéas du paragraphe I de l'article 131 de la loi du 29 décembre 2016.
4. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 131 de la loi du 29 décembre 2016 crée un fonds exceptionnel en faveur des collectivités territoriales connaissant une situation financière particulièrement dégradée. Ce fonds vise à les soutenir dans le financement, pour l'année 2016, des dépenses sociales résultant du versement des allocations individuelles de solidarité. La même loi a ouvert deux cents millions d'euros d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement au bénéfice de ce fonds.
5. En vertu des dispositions contestées, le fonds comporte deux enveloppes. La première est destinée aux départements de métropole et à la métropole de Lyon, la seconde aux départements d'outre-mer et à la Guyane, la Martinique, Mayotte, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Les dispositions contestées renvoient au décret la détermination du montant de chacune des deux enveloppes.
6. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. En instituant deux enveloppes distinctes à destination, d'une part, des collectivités de métropole et, d'autre part, des collectivités d'outre-mer, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière de certaines d'entre elles et des charges spécifiques auxquelles elles doivent faire face en raison de leur contexte économique et social et du poids de leurs dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité. Cette différence de traitement est justifiée par un motif d'intérêt général et est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de soutenir les collectivités territoriales connaissant une situation financière particulièrement dégradée. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
8. En second lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
9. Si, selon l'article 34 de la Constitution, la « loi détermine les principes fondamentaux... de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources », il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition constitutionnelle, que le législateur était tenu de fixer lui-même le montant des enveloppes instituées par les dispositions contestées, ni de définir des critères de répartition du montant global du fonds entre ces deux enveloppes. Par conséquent, et en tout état de cause, le grief tiré de l'incompétence négative du législateur doit être écarté.
10. Les trois derniers alinéas du paragraphe I de l'article 131 de la loi du 29 décembre 2016, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les trois derniers alinéas du paragraphe I de l'article 131 de la
loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 sont
conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 décembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 septembre 2017
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant
sur l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi
organique relative au statut de la magistrature. Selon cet article, « Les
magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs
chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la
justice. À l'audience, leur parole est libre ».
L'Union syndicale des magistrats, rejointe par plusieurs intervenants,
reprochait à ces dispositions de méconnaître le principe d'indépendance de
l'autorité judiciaire qui découle de l'article 64 de la Constitution, au motif
qu'elles placent les magistrats du parquet sous la subordination hiérarchique du
garde des sceaux, alors que ces magistrats appartiennent à l'autorité judiciaire
et devraient bénéficier à ce titre, autant que les magistrats du siège, de la
garantie constitutionnelle de cette indépendance. Pour le même motif, le
syndicat reprochait également à cet article 5 de méconnaître le principe de
séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe
d'indépendance de l'autorité judiciaire.
La décision rendue ce jour par le Conseil constitutionnel rappelle le cadre
constitutionnel en vigueur. Elle cite l'article 16 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée,
n'a point de Constitution ». Elle rappelle qu'en vertu de l'article 20 de la
Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation,
notamment en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public. Citant
le premier alinéa de l'article 64 de la Constitution selon lequel « Le Président
de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire », le
Conseil constitutionnel juge qu'il découle de l'indépendance de l'autorité
judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du parquet, un principe
selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la protection
des intérêts de la société, son action devant les juridictions. La décision cite
enfin les dispositions de l'article 64 de la Constitution selon lesquelles « les
magistrats du siège sont inamovibles », ainsi que les quatrième à septième
alinéas de l'article 65 de la Constitution sur les conditions respectives de
nomination des magistrats du siège et du parquet et l'exercice du pouvoir
disciplinaire à leur encontre.
Le Conseil constitutionnel juge qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions
que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du parquet, dont
découle le libre exercice de leur action devant les juridictions, que cette
indépendance doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et
qu'elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux
magistrats du siège.
Dans le cadre constitutionnel ainsi précisé conformément à sa jurisprudence
antérieure, la décision du Conseil constitutionnel contrôle la manière dont le
législateur a mis en œuvre, pour la définition des relations entre le garde des
sceaux et les magistrats du parquet, cette exigence de conciliation entre le
principe d'indépendance des magistrats du parquet et les prérogatives du
Gouvernement.
D'une part, l'autorité du garde des sceaux sur les magistrats du parquet se
manifeste notamment par l'exercice de son pouvoir de nomination et de sanction.
En application de l'article 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, les décrets
portant nomination aux fonctions de magistrat du parquet sont pris par le
Président de la République sur proposition du garde des sceaux, après avis de la
formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. En application de
l'article 66 de la même ordonnance, la décision de sanction d'un magistrat du
parquet est prise par le garde des sceaux après avis de la formation compétente
du Conseil supérieur de la magistrature. Par ailleurs, en application du
deuxième alinéa de l'article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la
justice peut adresser aux magistrats du ministère public des instructions
générales de politique pénale, au regard notamment de la nécessité d'assurer sur
tout le territoire de la République l'égalité des citoyens devant la loi.
Conformément aux dispositions des articles 39-1 et 39-2 du même code, il
appartient au ministère public de mettre en œuvre ces instructions.
D'autre part, en application du même article 30 du code de procédure pénale, le
ministre de la justice ne peut adresser aux magistrats du parquet aucune
instruction dans des affaires individuelles. En vertu de l'article 31 du même
code, le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de
la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu. En
application de l'article 33, il développe librement les observations orales
qu'il croit convenables au bien de la justice. L'article 39-3 confie au
procureur de la République la mission de veiller à ce que les investigations de
police judiciaire tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient
accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du
plaignant et de la personne suspectée. Conformément à l'article 40-1 du code de
procédure pénal, le procureur de la République décide librement de l'opportunité
d'engager des poursuites.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que les
dispositions contestées de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre
1958 assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de
l'autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article
20 de la Constitution. Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des
pouvoirs.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410403 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par l'Union syndicale des magistrats. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-680 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au
statut de la magistrature ;
- le code de procédure pénale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le syndicat requérant, enregistrées le 18
octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19
octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Patrick N. par Me Olivier
Le Mailloux, avocat au barreau de Marseille, enregistrées les 2 octobre et 6
novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour le Syndicat de la
magistrature par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 19 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour le syndicat Force ouvrière
Magistrats par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, enregistrées les 19 octobre et 6 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Saint-Pierre, avocat au barreau de Lyon, pour le
syndicat requérant, Me Le Mailloux, pour M. Patrick N., Me Patrice Spinosi,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le syndicat Force
ouvrière Magistrats, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour le Syndicat de la magistrature, et M. Philippe Blanc, désigné
par le Premier ministre, à l'audience publique du 28 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 mentionnée ci-dessus prévoit : « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. À l'audience, leur parole est libre ».
2. Le syndicat requérant, rejoint par les intervenants, reproche à ces dispositions de méconnaître le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire qui découle de l'article 64 de la Constitution, au motif qu'elles placent les magistrats du parquet sous la subordination hiérarchique du garde des sceaux, alors que ces magistrats appartiennent à l'autorité judiciaire et devraient bénéficier à ce titre, autant que les magistrats du siège, de la garantie constitutionnelle de cette indépendance. Pour le même motif, il reproche également à cet article 5 de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire. L'un des intervenants soutient que ces dispositions méconnaissent, toujours pour le même motif, le droit à un procès équitable et les droits de la défense.
- Sur les normes de référence :
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice » figurant à la première phrase de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.
4. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
5. En vertu de l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, notamment en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public.
6. Aux termes du premier alinéa de l'article 64 de la Constitution : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». Il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, son action devant les juridictions.
7. Aux termes du quatrième alinéa de l'article 64 de la Constitution : « Les magistrats du siège sont inamovibles ».
8. Selon les quatrième à septième alinéas de l'article 65
de la Constitution : « La formation du Conseil supérieur de la magistrature
compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les
nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de
premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de
grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis
conforme.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des
magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les
magistrats du parquet.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des
magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège.
Elle comprend alors, outre les membres visés au deuxième alinéa, le magistrat du
siège appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des
magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les
concernent. Elle comprend alors, outre les membres visés au troisième alinéa, le
magistrat du parquet appartenant à la formation compétente à l'égard des
magistrats du siège ».
9. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du parquet, dont découle le libre exercice de leur action devant les juridictions, que cette indépendance doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et qu'elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège.
- Sur la constitutionnalité des dispositions contestées :
10. Les dispositions contestées placent les magistrats du parquet sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de justice.
11. Cette autorité se manifeste notamment par l'exercice d'un pouvoir de nomination et de sanction du garde des sceaux à l'égard des magistrats du parquet. En application de l'article 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, les décrets portant nomination aux fonctions de magistrat du parquet sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. En application de l'article 66 de la même ordonnance, la décision de sanction d'un magistrat du parquet est prise par le garde des sceaux après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Par ailleurs, en application du deuxième alinéa de l'article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice peut adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale, au regard notamment de la nécessité d'assurer sur tout le territoire de la République l'égalité des citoyens devant la loi. Conformément aux dispositions des articles 39-1 et 39-2 du même code, il appartient au ministère public de mettre en œuvre ces instructions.
12. En application du troisième alinéa de ce même article 30, le ministre de la justice ne peut adresser aux magistrats du parquet aucune instruction dans des affaires individuelles. En vertu de l'article 31 du même code, le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu. En application de l'article 33, il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice. L'article 39-3 confie au procureur de la République la mission de veiller à ce que les investigations de police judiciaire tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée. Conformément à l'article 40-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République décide librement de l'opportunité d'engager des poursuites.
13. Enfin, il résulte des dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 que, devant toute juridiction, la parole des magistrats du parquet à l'audience est libre.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution. Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs.
15. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable ni les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la
justice » figurant à la première phrase de l'article 5 de l'ordonnance n°
58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 décembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 septembre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412031 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Jean-Philippe C. par Me Marc Bornhauser, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-679 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 885 G ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bornhauser, enregistrées
les 15 et 31octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour Mme Isabelle R. par Me
Bornhauser, enregistrées le 16 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Nicolas R. par Me
Bornhauser, enregistrées le 16 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Patrick S. par Me
Bornhauser, enregistrées les 16 et 31 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Philippe C. et Mme Danièle
P. par Me Bornhauser, enregistrées le 16 octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. Michel L. par Me Hervé
Israël, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 16 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17octobre
2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bornhauser, pour le requérant et les intervenants, et M.
Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique le 4
décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 885 G ter du code général des impôts, dans sa
rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :«
Les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que
les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette
au 1er janvier de l'année d'imposition, selon le cas, dans le patrimoine du
constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en
application du II du même article 792-0 bis.
« Le premier alinéa du présent article ne s'applique pas aux trusts irrévocables
dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 et dont
l'administrateur est soumis à la loi d'un État ou territoire ayant conclu avec
la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la
fraude et l'évasion fiscales ».
2. Le requérant, rejoint par les intervenants, reproche à ces dispositions de porter atteinte aux facultés contributives des contribuables, en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles conduisent à imposer le constituant d'un trust irrévocable et discrétionnaire à raison des biens placés dans ce trust alors même qu'il en est dépossédé et qu'il n'en a plus la disposition. Il soutient également que la présomption irréfragable de propriété pesant sur le constituant revêt un caractère disproportionné au regard de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 885 G ter du code général des impôts.
4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. Les dispositions contestées incluent les biens ou droits placés dans un trust, ainsi que les produits qui y sont capitalisés, dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune dû par le constituant du trust ou de son bénéficiaire réputé constituant. Ces dispositions ne s'appliquent pas, sous certaines conditions, aux trusts irrévocables dont les bénéficiaires exclusifs relèvent de l'article 795 du code général des impôts.
6. En instituant l'impôt de solidarité sur la fortune, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits.
7. En adoptant les dispositions contestées applicables aux biens ou droits placés dans un trust, le législateur a instauré, à des fins de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, une présomption de rattachement au patrimoine du constituant de ces biens, droits ou produits. Le législateur a ainsi tenu compte de la difficulté, inhérente aux trusts, de désigner la personne qui tire une capacité contributive de la détention de tels biens, droits ou produits. Ce faisant, il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales qu'il a poursuivi.
8. Les dispositions contestées ne sauraient toutefois, sans que soit méconnue l'exigence de prise en compte des capacités contributives du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant du trust, faire obstacle à ce que ces derniers prouvent que les biens, droits et produits en cause ne leur confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu'ils tirent de ces biens, droits ou produits. Cette preuve ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur.
9. Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le premier alinéa de l'article 885 G ter du code général des impôts, qui ne méconnaît ni l'article 13 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 8, le premier alinéa de
l'article 885 G ter du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 décembre 2017 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 octobre 2017 par le Conseil d'État (décision n° 412381 du 4 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Marlin par Mes Pierre Carcelero et Richard Foissac, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-681 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « sous contrat avec l'État au titre des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation » figurant au 2° bis du paragraphe V de l'article 231 ter du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code de l'éducation ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Mes Carcelero et Foissac,
enregistrées les 24 octobre et 10 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27
octobre 2017 ;
les observations en intervention présentées pour la société Norbail-Immobilier
par Mes Jérôme Assouline et Paul Féral-Schuhl, avocats au barreau de Paris,
enregistrées les 20 octobre et 10 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Résidence
Saint-Ambroise par Me Louis-Marie Bourgeois, avocat au barreau de Paris,
enregistrées les 26 octobre et 13 novembre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Carcelero, pour la société requérante, Me Assouline, pour
la première société intervenante, et Me Bourgeois, pour la seconde, et M.
Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée lors d'un litige portant sur la taxe sur les locaux à usage de bureaux due au titre des années 2012 à 2015. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des mots « sous contrat avec l'État au titre des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation » figurant au 2° bis du paragraphe V de l'article 231 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.
2. En vertu du 2° bis du paragraphe V de l'article 231 ter du code général des impôts, dans cette rédaction, sont exonérés de la taxe prévue à cet article les locaux administratifs et les surfaces de stationnement des établissements publics d'enseignement du premier et du second degré et des établissements privés :« sous contrat avec l'État au titre des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation ».
3. La société requérante, rejointe par les parties intervenantes, soutient que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques. En réservant l'exonération de la taxe sur les locaux à usage de bureaux aux locaux administratifs des établissements publics d'enseignement et des établissements privés d'enseignement sous contrat avec l'État, le législateur aurait traité différemment ces derniers de ceux n'ayant pas conclu un tel contrat. Or, cette différence de traitement ne serait ni justifiée par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi ni fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec le but poursuivi par le législateur. À cet égard, la première partie intervenante critique également le fait que le propriétaire bailleur de locaux administratifs se trouverait assujetti à la taxe en fonction de la passation ou non par son locataire d'un contrat avec l'État, événement qu'il ne maîtrise pas. Les autres griefs de la seconde partie intervenante ne portent pas sur les dispositions contestées.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'article 231 ter du code général des impôts institue, dans la région Île-de-France, une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement qui y sont annexées. Cette taxe est due par les personnes privées ou publiques propriétaires de locaux imposables, au sens du paragraphe III de cet article 231 ter, ou titulaires d'un droit réel sur de tels locaux. Le 2° bis du paragraphe V de cet article exonère les locaux administratifs et les surfaces de stationnement de certains établissements d'enseignement du premier et du second degré. En bénéficient ainsi les établissements publics et les établissements privés ayant passé avec l'État un contrat d'association ou un contrat simple en application, respectivement, des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation.
7. En réservant cette exonération aux locaux administratifs et surfaces de stationnement des établissements d'enseignement publics et privés sous contrat, le législateur a entendu favoriser les établissements participant au service public de l'enseignement. À cette fin, il a institué un avantage fiscal bénéficiant directement à ces établissements, lorsqu'ils sont propriétaires des locaux et surfaces en cause, ou indirectement lorsqu'ils en sont locataires. Dès lors, l'exclusion du bénéfice de l'exonération des établissements privés d'enseignement hors contrat qui, par leurs obligations, le statut de leur personnel, leur mode de financement et le contrôle auquel ils sont soumis, sont dans une situation différente des établissements publics et des établissements privés sous contrat, est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
8. Il résulte de ce qui précède que les mots « sous contrat avec l'État au titre des articles L. 442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation » figurant au 2° bis du paragraphe V de l'article 231 ter du code général des impôts, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « sous contrat avec l'État au titre des articles L.
442-5 et L. 442-12 du code de l'éducation » figurant au 2° bis du paragraphe V
de l'article 231 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de
la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010,
sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 décembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2017 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article
421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28
février 2017 relative à la sécurité publique.
Ces dispositions ont rétabli, sous une nouvelle rédaction, le délit de
consultation habituelle de sites internet terroristes dont le Conseil
constitutionnel avait censuré une première rédaction par sa décision n° 2016-611
QPC du 10 février 2017. L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans cette nouvelle
rédaction, sanctionne d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000
euros d'amende le fait de consulter de manière habituelle, sans motif légitime,
un service de communication au public en ligne faisant l'apologie ou provoquant
à la commission d'actes de terrorisme et comportant des images ou
représentations d'atteintes volontaires à la vie. Ce délit a pour objet de
prévenir l'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre ensuite de tels actes.
Il était notamment soutenu que la liberté de communication était méconnue par
ces dispositions dès lors que l'atteinte portée par la disposition contestée
n'était ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur,
ni adaptée et proportionnée.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence
constante déduisant de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard
au développement généralisé des services de communication au public en ligne
ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie
démocratique et l'expression des idées et des opinions, la liberté de
communication implique la liberté d'accéder à de tels services. Sur le fondement
de l'article 34 de la Constitution, il est loisible au législateur d'édicter des
règles de nature à concilier avec l'exercice du droit de libre communication et
de la liberté de parler, écrire et imprimer la poursuite de l'objectif de lutte
contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les services de
communication au public en ligne, qui participe de l'objectif de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des
infractions. Toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant
plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des
garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à
l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
S'agissant de la conformité des dispositions contestées au regard du principe de
nécessité des peines, le Conseil constitutionnel relève, comme il l'avait fait
par sa décision du 10 février 2017 précitée, que, d'une part, la législation
comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle contestée et de
dispositions de procédure pénale spécifiques ayant pour objet de prévenir la
commission d'actes de terrorisme et que, d'autre part, le législateur a
également conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de
prévenir la commission d'actes de terrorisme. Au recensement des dispositions
législatives en vigueur précédemment opéré dans sa décision de février et repris
aux paragraphes 7 à 11 de la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel
ajoute que, depuis l'entrée en vigueur des dispositions contestées, le
législateur a complété les pouvoirs de l'administration en adoptant, par la loi
n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte
contre le terrorisme, de nouvelles mesures individuelles de contrôle
administratif et de surveillance aux fins de prévenir la commission d'actes de
terrorisme. Il en déduit qu'au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte
portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire
disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non
seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne
provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et pour réprimer leurs
auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour
l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un
comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit
entré dans sa phase d'exécution.
S'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière
d'atteinte à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel relève que,
si les dispositions contestées prévoient que, pour tomber sous le coup du délit
qu'elles instaurent, la consultation doit s'accompagner de la manifestation de
l'adhésion à l'idéologie exprimée sur les sites consultés, cette consultation et
cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules
l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes. Ces dispositions
répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le seul fait de
consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne,
sans que soit retenue comme élément constitutif de l'infraction l'intention
terroriste de l'auteur de la consultation. En outre, si le législateur a exclu
la pénalisation de la consultation lorsqu'elle répond à un « motif légitime »,
la portée de cette exemption ne peut être déterminée en l'espèce, faute
notamment qu'une personne adhérant à l'idéologie véhiculée par ces sites
paraisse susceptible de relever de l'un des exemples de motifs légitimes énoncés
par le législateur. Il en résulte une incertitude sur la licéité de la
consultation de certains services de communication au public en ligne et, en
conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations.
Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que les dispositions
contestées portent une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui
n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il les déclare dès lors inconstitutionnelles en donnant effet immédiat à cette déclaration.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 octobre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2518 du 4 octobre 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. David P. par Me Sami Khankan, avocat au barreau de Nantes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-682 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique
;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ;
- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la
lutte contre le terrorisme ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Claire Waquet, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Me Khankan le 31 octobre 2017 et le
15 novembre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31
octobre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de
l'Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 31 octobre 2017 et le 15 novembre 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association La Quadrature
du Net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris,
enregistrées le 31 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Waquet et Khankan, pour le requérant, Me Fitzjean Ó
Cobhthaigh, pour l'association La Quadrature du Net, et Me François Sureau,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la Ligue des droits de
l'Homme, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier
ministre, à l'audience publique du 4 décembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction
issue de la loi du 28 février 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le fait de
consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au
public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations
soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant
l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou
représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes
volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 €
d'amende lorsque cette consultation s'accompagne d'une manifestation de
l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service.
« Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la
consultation résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet
d'informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou
réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation
s'accompagne d'un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques
compétentes ».
2. Le requérant soutient qu'en adoptant à nouveau un délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, alors que le Conseil constitutionnel en a censuré une précédente rédaction dans sa décision du 10 février 2017 mentionnée ci-dessus, le législateur aurait méconnu l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel. Il reproche ensuite aux dispositions contestées de méconnaître le principe de légalité des délits et des peines et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi en raison de l'imprécision des termes employés. Il soutient également que la liberté de communication serait méconnue dès lors que l'atteinte portée par la disposition contestée ne serait ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur, ni adaptée et proportionnée. Le requérant dénonce par ailleurs la violation du principe d'égalité devant la loi qui résulterait du fait, d'une part, qu'est seule réprimée la consultation d'un site internet publiant le contenu illicite mais pas celle d'un contenu identique publié par un autre moyen et, d'autre part, que seules certaines personnes pourraient avoir légalement accès à ces contenus, à raison de leur profession ou d'un motif légitime. Selon le requérant, les dispositions contestées méconnaîtraient également le principe de nécessité des délits et des peines, dans la mesure où elles incriminent la seule consultation de sites internet et non la commission d'actes laissant présumer que la personne aurait cédé aux incitations publiées sur ces sites. Enfin, l'article 421-2-5-2 du code pénal instaurerait une présomption de culpabilité contraire à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans la mesure où il serait impossible à l'intéressé de démontrer que son intention, en consultant ces sites, n'était pas de se radicaliser. Les associations intervenantes développent pour partie les mêmes griefs.
- Sur le fond :
3. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services.
4. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions, avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Les dispositions contestées sanctionnent d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de consulter de manière habituelle, sans motif légitime, un service de communication au public en ligne faisant l'apologie ou provoquant à la commission d'actes de terrorisme et comportant des images ou représentations d'atteintes volontaires à la vie. Elles ont pour objet de prévenir l'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre ensuite de tels actes.
6. En premier lieu, comme le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision du 10 février 2017, la législation comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle prévue par l'article 421-2-5-2 du code pénal et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
7. Ainsi, l'article 421-2-1 du code pénal réprime le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un acte de terrorisme. L'article 421-2-4 du même code sanctionne le fait d'adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d'exercer sur elle des pressions afin qu'elle participe à un groupement ou une entente prévus à l'article 421-2-1 ou qu'elle commette un acte de terrorisme. L'article 421-2-5 sanctionne le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes. Enfin, l'article 421-2-6 réprime le fait de préparer la commission d'un acte de terrorisme dès lors que cette préparation est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur et qu'elle est caractérisée par le fait de détenir, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ainsi que par d'autres agissements tels que la consultation habituelle d'un ou de plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie.
8. Dans le cadre des procédures d'enquête relatives à ces infractions, les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des mesures d'interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d'images et de captation de données informatiques. Par ailleurs, sauf pour les faits réprimés par l'article 421-2-5 du code pénal, des dispositions procédurales spécifiques en matière de garde à vue et de perquisitions sont applicables.
9. Par ailleurs, le législateur a conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
10. Ainsi, en application du 4° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII de ce même code pour le recueil des renseignements relatifs à la prévention du terrorisme. Ces services peuvent accéder à des données de connexion, procéder à des interceptions de sécurité, sonoriser des lieux et véhicules et capter des images et données informatiques.
11. En application de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 mentionnée ci-dessus, lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l'apologie de tels actes relevant de l'article 421-2-5 du code pénal le justifient, l'autorité administrative peut demander à tout éditeur ou hébergeur d'un service de communication au public en ligne de retirer les contenus qui contreviennent à cet article. Selon l'article 706-23 du code de procédure pénale, l'arrêt d'un service de communication au public en ligne peut également être prononcé par le juge des référés pour les faits prévus à l'article 421-2-5 du code pénal lorsqu'ils constituent un trouble manifestement illicite. L'article 421-2-5-1 du même code réprime le fait d'extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d'entraver, en connaissance de cause, l'efficacité des procédures précitées.
12. Enfin, depuis l'entrée en vigueur des dispositions contestées, le législateur a complété les pouvoirs de l'administration en adoptant, par la loi du 30 octobre 2017 mentionnée ci-dessus, de nouvelles mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme.
13. Dès lors, au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution.
14. En second lieu, s'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière d'atteinte à la liberté de communication, les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes. Si le législateur a ajouté à la consultation, comme élément constitutif de l'infraction, la manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services, cette consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes. Les dispositions contestées répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue l'intention terroriste de l'auteur de la consultation comme élément constitutif de l'infraction.
15. En outre, si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation lorsqu'elle répond à un « motif légitime » alors qu'il n'a pas retenu l'intention terroriste comme élément constitutif de l'infraction, la portée de cette exemption ne peut être déterminée en l'espèce, faute notamment qu'une personne adhérant à l'idéologie véhiculée par les sites en cause paraisse susceptible de relever d'un des exemples de motifs légitimes énoncés par le législateur. Dès lors, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L'article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
17. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
18. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, est
contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au paragraphe 18 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République
française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de
l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 décembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM.
Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
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