Publié par Frédéric Fabre docteur en droit.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel en matière de Question Prioritaire de Constitutionnalité, dans l'ordre chronologique.
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Décision n° 2013-360 QPC du 09 janvier 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2013 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Jalila
K. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article 87 du code de la nationalité, dans sa
rédaction résultant de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, et de
l'article 9 de cette même ordonnance dans sa rédaction issue de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954.
L'article 87 du code de la nationalité prévoyait que le Français majeur qui
acquiert volontairement une nationalité étrangère perd la nationalité française.
Toutefois, aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945,
l'acquisition d'une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne
lui faisait perdre la nationalité française qu'avec l'autorisation du
Gouvernement français. Cette autorisation était de droit lorsque le demandeur
avait acquis une nationalité étrangère après l'âge de cinquante ans.
La requérante contestait ces dispositions qui prévoyaient que la perte de la
nationalité française résultant de l'acquisition volontaire de la nationalité
étrangère s'opérait de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes,
elle était subordonnée à une demande de leur part aux fins d'abandon de la
nationalité française. Elle soutenait que ces dispositions portaient atteinte au
principe d'égalité entre les femmes et les hommes.
Le Conseil constitutionnel a fait droit à ce grief. Le Conseil constitutionnel a
relevé que, dans le but de faire obstacle à l'utilisation des règles relatives à
la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire, le
législateur pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir que le
Gouvernement peut s'opposer à la perte de la nationalité française en cas
d'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère pour les seuls Français du
sexe masculin soumis aux obligations du service militaire. Mais le législateur,
loin de se borner à cette orientation, avait réservé aux Français du sexe
masculin, quelle que soit leur situation au regard des obligations militaires,
le droit de choisir de conserver la nationalité française lors de l'acquisition
volontaire d'une nationalité étrangère. Dès lors, le Conseil constitutionnel a
jugé que les dispositions contestées instituent entre les femmes et les hommes
une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi et qui ne
peut être regardée comme justifiée. Il a donc jugé contraires à la Constitution
les mots « du sexe masculin » figurant à l'article 9 de l'ordonnance du 19
octobre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 9 avril 1954, laquelle était
applicable du 1er juin 1951 jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 73-42 du 9
janvier 1973, quia abrogé ces dispositions.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication
de la présente décision. Elle peut être invoquée par les seules femmes qui ont
perdu la nationalité française par l'application des dispositions de l'article
87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et l'entrée en vigueur de
la loi du 9 janvier 1973. Les descendants de ces femmes peuvent également se
prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette
inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles
ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la
décision du Conseil constitutionnel.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité ;
Vu l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité
française ;
Vu la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 modifiant l'article 9 de l'ordonnance n°
45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française ;
Vu la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la
nationalité et relative à certaines dispositions concernant la nationalité
française ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP Lyon-Caen et Thiriez,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 31 octobre
2013 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association « SOS soutien ô
sans papiers » par Mes Henri Braun, avocat au barreau de Paris, et Me Nawel
Gafsia, avocate au Barreau du Val-de-Marne, enregistrées le 31 octobre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 31
octobre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Thomas Lyon-Caen, pour la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 novembre 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 87 du code de la nationalité
française, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 19 octobre 1945 susvisée :
« Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement
une nationalité étrangère » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de cette même ordonnance, dans sa
rédaction résultant de la loi du 9 avril 1954 susvisée : « Jusqu'à une date qui
sera fixée par décret, l'acquisition d'une nationalité étrangère par un Français
du sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu'avec
l'autorisation du Gouvernement français.
« Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité
étrangère après l'âge de cinquante ans.
« Les Français du sexe masculin qui ont acquis une nationalité étrangère entre
le 1er juin 1951 et la date d'entrée en vigueur de la présente loi, seront
réputés n'avoir pas perdu la nationalité française nonobstant les termes de
l'article 88 du code de la nationalité. Ils devront, s'ils désirent perdre la
nationalité française, en demander l'autorisation au Gouvernement français,
conformément aux dispositions de l'article 91 dudit code. Cette autorisation est
de droit » ;
3. Considérant que, selon la requérante, en prévoyant que la perte de la
nationalité française résultant de l'acquisition volontaire de la nationalité
étrangère s'opère de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes,
elle est subordonnée à une demande de leur part aux fins d'abandon de la
nationalité française, ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité
entre les femmes et les hommes ;
- SUR LE FOND :
4. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi. . . doit être la même pour
tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité
ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt
général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui
en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant que, d'autre part, le troisième alinéa du Préambule de la
Constitution du 4 octobre 1946 dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous
les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » ;
6. Considérant que, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 octobre
1945, l'article 87 du code de la nationalité a repris une règle selon laquelle
un Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère perd en
principe la nationalité française ; qu'en adoptant une telle règle, le
législateur a entendu notamment éviter les doubles nationalités ; que la perte
de la nationalité française qui résulte de l'article 87 du code de la
nationalité s'opère de plein droit ;
7. Considérant qu'afin d'empêcher que l'acquisition d'une nationalité étrangère
ne constitue un moyen d'échapper à la conscription, la loi du 26 juin 1889
susvisée avait prévu que la perte de la nationalité française résultant de
l'acquisition volontaire d'une autre nationalité serait subordonnée à une
autorisation du Gouvernement durant la période pendant laquelle un Français est
« encore soumis aux obligations du service militaire pour l'armée active » ; que
la définition de cette période a été modifiée à plusieurs reprises entre cette
loi et la loi du 9 avril 1954 ; que cette dernière a donné une nouvelle
rédaction de l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 susvisée ; qu'elle a
prévu, d'une part, que, pour tous les Français du sexe masculin, la perte de la
nationalité française résultant de l'acquisition volontaire d'une nationalité
étrangère est subordonnée à une autorisation du Gouvernement et, d'autre part,
que cette autorisation ne peut être refusée en cas d'acquisition d'une
nationalité étrangère après l'âge de cinquante ans ; que le législateur a alors
entendu non seulement maintenir la règle empêchant les Français du sexe masculin
d'échapper aux obligations du service militaire en acquérant une nationalité
étrangère, mais également permettre à tous les Français du sexe masculin ayant
acquis une nationalité étrangère pour exercer une activité économique, sociale
ou culturelle à l'étranger de conserver la nationalité française ;
8. Considérant que, dans le but de faire obstacle à l'utilisation des règles
relatives à la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire,
le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir que le
Gouvernement peut s'opposer à la perte de la nationalité française en cas
d'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère pour les seuls Français du
sexe masculin soumis aux obligations du service militaire ; que, toutefois, en
réservant aux Français du sexe masculin, quelle que soit leur situation au
regard des obligations militaires, le droit de choisir de conserver la
nationalité française lors de l'acquisition volontaire d'une nationalité
étrangère, les dispositions contestées instituent entre les femmes et les hommes
une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi et qui ne
peut être regardée comme justifiée ; que cette différence méconnaît les
exigences résultant de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et du troisième
alinéa du Préambule de 1946 ; que, par suite, aux premier et troisième alinéas
de l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945, dans sa rédaction résultant
de la loi du 9 avril 1954, les mots « du sexe masculin » doivent être déclarés
contraires à la Constitution ;
9. Considérant que, pour le surplus, les dispositions contestées, qui ne
méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent
être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que, d'une part, le 1° de l'article 28 de la loi du 9 janvier
1973 susvisée a abrogé l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 ; que
cette même loi a également donné une nouvelle rédaction de l'article 87 du code
de la nationalité en subordonnant la perte de la nationalité française à une
déclaration émanant de la personne qui acquiert une nationalité étrangère ; que,
d'autre part, la remise en cause des situations juridiques résultant de
l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait des
conséquences excessives si cette inconstitutionnalité pouvait être invoquée par
tous les descendants des personnes qui ont perdu la nationalité en application
de ces dispositions ;
12. Considérant que, par suite, il y a lieu de prévoir que la déclaration
d'inconstitutionnalité des mots « du sexe masculin » figurant aux premier et
troisième alinéas de l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945, dans sa
rédaction résultant de la loi du 9 avril 1954, prend effet à compter de la
publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée par les seules
femmes qui ont perdu la nationalité française par l'application des dispositions
de l'article 87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et l'entrée en
vigueur de la loi du 9 janvier 1973 ; que les descendants de ces femmes peuvent
également se prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette
inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française ; que
cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles
ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la
décision du Conseil constitutionnel,
D É C I D E :
Article 1er.- Sont contraires à la Constitution les mots « du sexe masculin »,
figurant aux premier et troisième alinéas de l'article 9 de l'ordonnance n°
45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 modifiant l'article 9 de
l'ordonnance n° 45 2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité
française.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au
considérant 12.
Article 3.- Sont conformes à la Constitution :
- l'article 87 du code de la nationalité, dans sa rédaction résultant de
l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 ;
- le surplus de l'article 9 de cette même ordonnance, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 janvier 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 octobre 2013
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par les consorts P. de B. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit des premier et cinquième alinéas
de l'article 786 du code général des impôts (CGI).
Le premier alinéa de l'article 786 du code général des impôts prévoit que pour
la perception des droits de mutation lors de la transmission à titre gratuit
entre adoptant et adopté, il n'est pas tenu compte du lien de parenté résultant
de l'adoption simple. En vertu du cinquième alinéa du même article, cette
disposition du premier alinéa n'est pas applicable pour les transmissions faites
en faveur d'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au moins,
soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins, auront
reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus.
Les requérants soutenaient que ces dispositions méconnaissent notamment le
principe d'égalité. Le Conseil constitutionnel a écarté leurs griefs et jugé les
dispositions contestées conformes à la Constitution.
D'une part, le Conseil a jugé qu'en excluant en principe la prise en compte du
lien de parenté résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de
mutation à titre gratuit, le législateur s'est fondé sur les différences
établies dans le code civil entre l'adoption simple et l'adoption plénière.
D'autre part, il a relevé qu'en réservant le cas des adoptés simples ayant,
pendant une certaine durée, reçu de l'adoptant des secours et des soins non
interrompus, le législateur a entendu prendre en compte les liens particuliers
qui sont nés d'une prise en charge de l'adopté par l'adoptant. Le Conseil
constitutionnel a jugé qu'en attachant des effets différents aux secours et aux
soins dispensés pendant la minorité de l'adopté, le législateur a institué des
différences de traitement qui reposent sur des critères objectifs et rationnels en lien direct avec les objectifs poursuivis.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Robert V., par la SELARL
Ribes, avocat au barreau de Toulouse, enregistrées les 5 novembre et 6 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour M. Michaël P. de B. par la SCP Alain Benabent
- Marielle Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 19 novembre et 2 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour M. Paul P. de B. par Me Philippe Losappio,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 21 novembre et 11 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 21 novembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Losappio et Me Benabent, pour les requérants, Me Arnaud Larralde de Fourcauld,
avocat au barreau de Toulouse, pour la partie intervenante, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 14 janvier 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de
l'article 786 du code général des impôts : « Pour la perception des droits de
mutation à titre gratuit, il n'est pas tenu compte du lien de parenté résultant
de l'adoption simple » ;
2. Considérant qu'en vertu du cinquième alinéa du même article, cette
disposition du premier alinéa n'est pas applicable pour les transmissions faites
en faveur : « 3° d'adoptés qui, soit dans leur minorité et pendant cinq ans au
moins, soit dans leur minorité et leur majorité et pendant dix ans au moins,
auront reçu de l'adoptant des secours et des soins non interrompus » ;
3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaissent le
droit de mener une vie familiale normale, les droits de la défense ainsi que les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DES PRINCIPES D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI ET LES CHARGES PUBLIQUES :
4. Considérant que, selon les requérants, en privant l'adopté simple du bénéfice
de la prise en compte du lien de parenté pour la perception des droits de
mutation à titre gratuit, alors que tous les autres liens de parenté sont pris
en compte pour la perception de ces droits, les dispositions contestées portent
atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devat les charges
publiques ; que la partie intervenante fait en outre valoir qu'en interdisant à
l'adopté ayant reçu des secours et des soins après sa majorité de pouvoir
bénéficier des dispositions du cinquième alinéa de l'article 786, le législateur
a également instauré une différence de traitement sans lien avec l'objectif
poursuivi et qui méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité
devant les charges publiques ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi... doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour
l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre
tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34
de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect
des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque
impôt, les règles selon lesquelles doivent être assujettis les contribuables ;
qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder
son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts
qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de
rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort du premier alinéa de l'article
345 du code civil que l'adoption plénière n'est permise qu'en faveur des enfants
âgés de moins de quinze ans, accueillis au foyer du ou des adoptants depuis au
moins six mois ; que le deuxième alinéa du même article prévoit une dérogation à
cette règle concernant l'enfant âgé de plus de quinze ans qui, avant d'avoir
atteint cet âge, a fait l'objet d'une adoption simple ou a été accueilli par des
personnes qui ne remplissaient pas les conditions légales pour adopter ; que cet
enfant âgé de plus de quinze ans peut être adopté pendant sa minorité et dans
les deux ans suivant sa majorité ; que le premier alinéa de l'article 356
dispose que l'adoption plénière « confère à l'enfant une filiation qui se
substitue à sa filiation d'origine : l'adopté cesse d'appartenir à sa famille
par le sang. . . » ; que le deuxième alinéa du même article dispose que «
toutefois l'adoption de l'enfant du conjoint laisse subsister sa filiation
d'origine à l'égard de ce conjoint et de sa famille » ; que le premier alinéa de
l'article 357 prévoit que « l'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant »
; qu'en vertu de l'article 358, l'adopté a, dans la famille de l'adoptant, les
mêmes droits et les mêmes obligations qu'un enfant dont la filiation est
légalement établie en application du titre VII du livre Ier du code civil ;
8. Considérant, en second lieu, que le premier alinéa de l'article 360 du code
civil dispose que « l'adoption simple est permise quel que soit l'âge de
l'adopté » ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article 363, l'adoption simple
confère à l'adopté le nom de l'adoptant en l'ajoutant au nom de ce dernier ; que
le même alinéa du même article prévoit que lorsque l'adopté est majeur, ce
dernier doit consentir à cette adjonction ; que l'alinéa premier de l'article
364 dispose que « l'adopté reste dans sa famille d'origine et y conserve tous
ses droits, notamment ses droits héréditaires » ; qu'il ressort du deuxième
alinéa de l'article 365 qu'à l'égard de l'adopté mineur les droits d'autorité
parentale sont exercés par le ou les adoptants ; que le troisième alinéa du même
article précise que les règles de l'administration légale et de la tutelle des
mineurs s'appliquent à l'adopté ; que l'article 367 prévoit notamment que
l'adopté doit des aliments à l'adoptant s'il est dans le besoin et,
réciproquement, que l'adoptant doit des aliments à l'adopté ; qu'il prévoit
également que les père et mère de l'adopté ne sont tenus de lui fournir des
aliments que s'il ne peut les obtenir de l'adoptant ; que, selon le deuxième
alinéa de l'article 368, l'adopté simple et ses descendants n'ont pas la qualité
d'héritier réservataire à l'égard des ascendants de l'adoptant ;
9. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a exclu
l'adoption simple des liens de parenté pris en compte pour la perception des
droits de mutation à titre gratuit ; que, dans le même temps, il a prévu, par
dérogation à cette règle, une prise en compte de ce lien lorsque des secours et
des soins non interrompus ont été prodigués par l'adoptant à l'adopté pendant sa
minorité ou à la fois pendant sa minorité et pendant sa majorité et qu'ils
excèdent une certaine durée ; que celle-ci diffère selon que ces secours et ces
soins non interrompus se sont appliqués ou non pendant une période de cinq ans au cours de la minorité ;
10. Considérant que, d'une part, en excluant en principe la prise en compte du
lien de parenté résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de
mutation à titre gratuit, le législateur s'est fondé sur les différences
établies dans le code civil entre l'adoption simple et l'adoption plénière ;
que, d'autre part, en réservant le cas des adoptés ayant reçu de l'adoptant des
secours et des soins non interrompus dans les conditions prévues par le
cinquième alinéa de l'article 786 du code général des impôts, le législateur a
entendu atténuer les effets de la différence de traitement résultant du premier
alinéa du même article afin de prendre en compte les liens particuliers qui sont
nés d'une prise en charge de l'adopté par l'adoptant ; qu'il a ainsi permis aux
personnes adoptées dans la forme simple de bénéficier du traitement fiscal des
autres héritiers en ligne directe à la condition qu'elles aient fait l'objet
d'une prise en charge continue et principale par l'adoptant qui a commencé
pendant leur minorité ; qu'il a fait varier la durée des secours et des soins
requise, selon que ces secours et ces soins ont été dispensés pendant la
minorité ou à la fois pendant la minorité et pendant la majorité de l'adopté ;
qu'en attachant des effets différents aux secours et aux soins dispensés pendant
la minorité de l'adopté, il a institué des différences de traitement qui
reposent sur des critères objectifs et rationnels en lien direct avec les
objectifs poursuivis ; qu'il n'a pas traité différemment des personnes placées
dans une situation identique ; qu'il n'en résulte pas de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ; que, par suite, le grief tiré de la
méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU DROIT DE MENER UNE VIE FAMILIALE NORMALE :
11. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées
instituent une immixtion injustifiée et discriminatoire de l'autorité publique
dans les relations familiales de l'enfant mineur adopté simple ; qu'en outre,
ces dispositions conduisent à la négation du lien d'adoption ; qu'en
particulier, en prévoyant que le lien de parenté résultant de l'adoption simple
n'est pas pris en compte pour la perception des droits de mutation à titre
gratuit, le premier alinéa de l'article 786 du code général des impôts porterait
atteinte au droit de mener une vie familiale normale ;
12. Considérant que le droit de mener une vie familiale normale résulte du
dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation
assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ;
13. Considérant qu'en prévoyant qu'il n'est pas tenu compte du lien de parenté
résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de mutation à titre
gratuit et en réservant le cas des adoptés ayant reçu de l'adoptant lors de leur
minorité des secours et des soins non interrompus, le législateur a adopté des
dispositions fiscales qui sont sans incidence sur les règles relatives à
l'établissement de la filiation adoptive prévues par le titre VIII du livre Ier
du code civil ; qu'elles ne font pas obstacle aux relations entre l'enfant et
l'adoptant en la forme simple ; que, par suite, le grief tiré de la
méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale doit être écarté ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DES DROITS DE LA DÉFENSE :
14. Considérant que, selon les requérants, en subordonnant la prise en compte du
lien de parenté résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de
mutation à titre gratuit à la preuve des secours et des soins non interrompus,
les dispositions du cinquième alinéa de l'article 786 du code général des impôts
méconnaissent les droits de la défense et, en particulier, le droit à une
procédure juste et équitable ; qu'ils soutiennent notamment que l'adopté simple,
qui hérite de l'adoptant avant l'âge de cinq ans, se trouve devant une preuve
impossible à rapporter ;
15. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : «
Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti
par ces dispositions le principe du respect des droits de la défense qui
implique, en particulier, l'existence d'une procédure juste et équitable ;
16. Considérant que les dispositions contestées n'instituent ni une présomption
ni une règle de preuve ; que le seul fait qu'il appartient à celui qui entend se
prévaloir de ces dispositions d'apporter la preuve de la situation de fait
permettant d'en bénéficier ne porte pas atteinte aux droits de la défense ; que,
par suite, le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être
écarté ;
17. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les premier et cinquième alinéas de l'article 786 du code général
des impôts sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 janvier 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Hubert HAENEL.
2 DECISIONS DU 31 JANVIER 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 novembre 2013,
dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, notamment d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Michel P. Cette question
est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
du 3° de l'article 497 du code de procédure pénale (CPP).
L'article 497 du CPP est relatif au droit d'appel des jugements rendus en
matière correctionnelle. Son 3° limite le droit d'appel de la partie civile à
ses seuls intérêts civils. Dès lors, en cas de décision de relaxe rendue en
première instance, les juges d'appel saisis du seul appel de la partie civile
doivent statuer uniquement sur la demande de réparation de celle-ci.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la partie civile n'est pas dans une
situation identique à celle de la personne poursuivie ou à celle du ministère
public. Il en va notamment ainsi au regard de l'exercice des droits de la
défense par la personne poursuivie ainsi qu'au regard du pouvoir du ministère
public d'exercer l'action publique. L'interdiction faite à la partie civile
d'appeler seule d'un jugement correctionnel dans ses dispositions statuant au
fond sur l'action publique ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la
justice. Par ailleurs, la partie civile a la faculté de former appel quant à ses
intérêts civils, y compris en cas de relaxe du prévenu.
Au total, le Conseil a jugé que les dispositions contestées ne méconnaissent pas
le droit à un recours effectif et sont conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation n° 12186 du 16 juillet 2010 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Armel L. par la SCP
Berlioz et Cie, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 27 novembre et 5 décembre 2013 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Philippe G. par Mes
Jean-René Farthouat et Thierry Gontard, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 29 novembre 2013 ;
Vu les observations en intervention produites pour MM. Hervé B., Robert C., Marc
C., Mme Annie C., MM. Philippe C., Michel C., Jean-Philippe C., Michel D.,
Jacques D., Philippe F., Jean-Philippe H., Mme Kim Truc H. épouse M., MM. Yvon
J., Paul L., Hubert L., Mmes Ghislaine L., Laurence L., M. Jean-Pierre M., Mme
Valérie M., MM. Christophe M., Patrick M., Mme Anne M., MM. Dominique P., Paul
P., Mme Françoise P., MM. Maurice P., Philippe P., Robert S., Alain S., Mme
Jeanine S., MM. Max R., Didier R., Mme Jacqueline R., MM. Jacques Ngoc Tuan T.,
Jean-Louis V., Frédéric W., la SARL MRH Conseil et la SARL RICHARD-HUGO par Me
Fredererik-Karel Canoy, avocat au barreau du Val-de-Marne, et Me François
Dangléhant, avocat au barreau de Bobigny, enregistrées les 29 novembre et 20 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour M. Jean B., partie en défense, par la SELAS
Exème Action, avocat au barreau de Bordeaux, enregistrées le 3 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour Monsieur Bernard L. et les consorts B.,
parties en défense, par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Dangléhant pour le requérant et les parties intervenantes qu'il représente,
Me Ghislaine Seze, avocat au barreau de Bordeaux, pour M. B., Me Guillaume
Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour M. L. et les
consorts B., Me Georges Berlioz, avocat au barreau de Paris, pour M. L., Me
Farthouat pour M. G., et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 21 janvier 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
- SUR L'ARTICLE 497 DU CODE DE PROCÉDURE PENALE :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 497 du code de procédure pénale : « La
faculté d'appeler appartient :
« 1° Au prévenu ;
« 2° À la personne civilement responsable quant aux intérêts civils seulement ;
« 3° À la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement ;
« 4° Au procureur de la République ;
« 5° Aux administrations publiques, dans les cas où celles-ci exercent l'action publique ;
« 6° Au procureur général près la cour d'appel » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en limitant le droit d'appel de la
partie civile à ses seuls intérêts civils, les dispositions contestées
méconnaissent le principe d'égalité devant la justice et le droit à un recours effectif ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 3°
de l'article 497 du code de procédure pénale ;
4. Considérant, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté
d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un
recours effectif devant une juridiction ; qu'aux termes de son article 6, la loi
« doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ;
que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon
les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est
à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées
et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au
respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier
l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des
droits des parties ; qu'en outre, en vertu de l'article 9 de la Déclaration de
1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du code de procédure pénale : «
L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée
par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la
loi. - Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans
les conditions déterminées par le présent code » ; que le premier alinéa de son
article 2 dispose : « L'action civile en réparation du dommage causé par un
crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont
personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction » ;
6. Considérant que les dispositions contestées sont applicables à l'exercice du
droit d'appel des jugements rendus en matière correctionnelle ; qu'elles
limitent le droit d'appel de la partie civile à ses seuls intérêts civils ;
qu'il en résulte notamment que, en cas de décision de relaxe rendue en première
instance, les juges du second degré saisis du seul appel de la partie civile
doivent statuer uniquement sur la demande de réparation de celle-ci ; qu'ils ne
peuvent ni déclarer la personne initialement poursuivie coupable des faits pour
lesquels elle a été définitivement relaxée ni prononcer une peine à son encontre ;
7. Considérant qu'il résulte par ailleurs de l'article 497 du code de procédure
pénale que l'appel du ministère public conduit à ce qu'il soit à nouveau statué
sur l'action publique, mais est sans effet sur les intérêts civils ; que l'appel
du prévenu peut concerner l'action publique comme l'action civile ;
8. Considérant, d'une part, que la partie civile n'est pas dans une situation
identique à celle de la personne poursuivie ou à celle du ministère public ;
qu'il en est notamment ainsi, s'agissant de la personne poursuivie, au regard de
l'exercice des droits de la défense et, s'agissant du ministère public, au
regard du pouvoir d'exercer l'action publique ; que, par suite, l'interdiction
faite à la partie civile d'appeler seule d'un jugement correctionnel dans ses
dispositions statuant au fond sur l'action publique, ne méconnaît pas le
principe d'égalité devant la justice ; que, d'autre part, la partie civile a la
faculté de relever appel quant à ses intérêts civils ; qu'en ce cas, selon la
portée donnée par la Cour de cassation au 3° de l'article 497 du code de
procédure pénale, elle est en droit, nonobstant la relaxe du prévenu en première
instance, de reprendre, contre lui, devant la juridiction pénale d'appel, sa
demande en réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits à
l'origine de la poursuite ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance
du droit à un recours effectif manque en fait ;
9. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni à la
présomption d'innocence ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR L'ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 16 JUILLET 2010 :
10. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ;
11. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité posée,
relative à l'arrêt susvisé rendu par la Cour de cassation le 16 juillet 2010, ne
porte pas sur une disposition législative au sens de l'article 61-1 de la
Constitution ; qu'il n'y a donc pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'en
connaître,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 3° de l'article 497 du code de procédure pénale est conforme à
la Constitution.
Article 2.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité portant sur l'arrêt de la Cour de cassation n° 12186 du 16
juillet 2010.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 30 janvier 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2013-364 QPC du 31 janvier 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 novembre 2013
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par la Coopérative GIPHAR-SOGIPHAR et le Mouvement national des pharmaciens
GIPHAR. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que
la Constitution garantit de l'article L. 5125-31 du code de la santé publique et
du 5° de l'article L. 5125-32 du même code.
Ces dispositions du code de la santé publique prévoient que la publicité en
faveur des officines de pharmacie ne peut être faite que dans les conditions
prévues par voie règlementaire. Le Conseil constitutionnel les a jugées
conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'en adoptant les règles du code de la
santé publique relatives à la profession de pharmacien et aux officines de
pharmacie, le législateur a entendu encadrer strictement la profession et
l'activité de pharmacien, ainsi que leur établissement, pour favoriser une
répartition équilibrée des officines sur l'ensemble du territoire et garantir
ainsi l'accès de l'ensemble de la population aux services qu'elles offrent. Il a
ainsi poursuivi un objectif de santé publique. Les dispositions contestées
renvoient à un décret le soin de fixer les conditions dans lesquelles la
publicité en faveur des officines de pharmacie peut être faite, afin de
permettre l'application de ces règles. Le Conseil a jugé que ces dispositions ne
privent pas de garanties légales les exigences qui résultent de la liberté
d'entreprendre et n'affectent par elles-mêmes aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Nicolaÿ, de
Lanouvelle, Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et Me
Gérard Bembaron, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 6 et 23 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour le Conseil national de l'ordre des
pharmaciens, partie en défense, par la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 6 et 23 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 6 décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Nicolaÿ, pour les requérants, Me Frédéric Blancpain et Me Olivier Saumon,
avocat au barreau de Paris, pour la partie défenderesse, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 21 janvier 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5125-31 du
code de la santé publique : « La publicité en faveur des officines de pharmacie
ne peut être faite que dans les conditions prévues par voie réglementaire » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5125-32 du code de la santé
publique : « Sont fixées par décret en Conseil d'État :
« 1° Les modalités de présentation et d'instruction des demandes de création,
transfert et regroupement des officines de pharmacie, les règles relatives à
l'appréciation du droit de priorité et du droit d'antériorité, et les conditions
minimales d'installation auxquelles doivent satisfaire les officines ;
« 3° Les conditions dans lesquelles le remplacement du titulaire d'une officine
prévu à l'article L. 5125-21 doit être assuré par des pharmaciens ou par des
étudiants en pharmacie justifiant d'un minimum de scolarité ;
« 4° Les modalités d'application des articles L. 5125-23 et L. 5125-25 ;
« 5° Les conditions dans lesquelles peut être faite la publicité en faveur des officines de pharmacie ;
« 6° Les modalités d'application des deuxième et troisième alinéas de l'article
L. 5125-1, notamment les catégories de préparations concernées, et les modalités d'application des articles L. 5125-1-1 et L. 5125-1-2 » ;
3. Considérant que, selon les requérants, en renvoyant au pouvoir réglementaire
le soin de fixer les conditions dans lesquelles la publicité en faveur des
officines de pharmacie peut être faite, le législateur a reporté sur celui-ci la
détermination des règles relevant de la loi et affectant la liberté
d'entreprendre et la liberté du commerce, la liberté de communication des
pensées et des opinions, ainsi que le principe d'égalité ; que, par suite, il aurait méconnu l'étendue de sa compétence ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur
l'article L. 5125-31 du code de la santé publique et le 5° de son article L. 5125-32 ;
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
6. Considérant que le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946
dispose que la Nation garantit à tous la protection de la santé ; que pour
assurer la mise en oeuvre de cette exigence constitutionnelle, le législateur a
réglementé les conditions de préparation, de fabrication et de vente des médicaments ;
7. Considérant ainsi, en premier lieu, que la profession de la pharmacie est
réglementée par le livre II de la quatrième partie du code de la santé publique
; que, pour l'exercice de leur profession, les pharmaciens sont inscrits à
l'ordre des pharmaciens, doivent respecter un code de déontologie et sont soumis
à la discipline de leur ordre ; qu'en second lieu, la pharmacie d'officine est
soumise aux dispositions des articles L. 5125-1 à L. 5125-32 du même code ;
qu'en particulier, en vertu de l'article L. 5125-3, les créations, les
transferts et les regroupements d'officines de pharmacie doivent permettre de
répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant
dans les quartiers d'accueil de ces officines ; qu'il ressort de l'article L.
5125-4 que toute création d'une nouvelle officine, tout transfert d'une officine
d'un lieu dans un autre et tout regroupement d'officines sont subordonnés à
l'octroi d'une licence délivrée par le directeur général de l'agence régionale
de santé ; qu'en vertu de l'article L. 5125-6, la licence fixe l'emplacement où l'officine sera exploitée ;
8. Considérant qu'en adoptant les règles mentionnées ci-dessus le législateur a
entendu encadrer strictement la profession et l'activité de pharmacien ainsi que
leur établissement pour favoriser une répartition équilibrée des officines sur
l'ensemble du territoire et garantir ainsi l'accès de l'ensemble de la
population aux services qu'elles offrent ; qu'il a ainsi poursuivi un objectif
de santé publique ; que les dispositions contestées renvoient à un décret le
soin de fixer les conditions dans lesquelles la publicité en faveur des
officines de pharmacie peut être faite, afin de permettre l'application de ces
règles ; qu'elles ne privent pas de garanties légales les exigences qui
résultent de la liberté d'entreprendre ; qu'elles n'affectent par elles-mêmes
aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, le
grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence ne peut être invoqué à l'encontre des dispositions contestées ;
9. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 5125-31 du code de la santé publique et le 5° de son article L. 5125-32 sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 janvier 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 novembre 2013,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la société TF1 SA. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du c) du 1° de l'article L. 115-7 du code
du cinéma et de l'image animée.
Le 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée est relatif à
la taxe due par les éditeurs de services de télévision exploitant un service de
télévision reçu en France métropolitaine. Le c) du 1° de cet article inclut dans
l'assiette de la taxe les recettes tirées des appels téléphoniques à revenus
partagés, des connexions à des services télématiques et des envois de
minimessages, y compris lors que ces sommes sont perçues par un tiers qui les
encaisse pour son propre compte.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées font ainsi
peser sur les éditeurs de services de télévision exploitant un service de
télévision reçu en France métropolitaine une taxe sur des recettes qu'ils
peuvent ne pas percevoir. Ainsi, elles ont pour effet d'assujettir un
contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il ne
dispose pas, ce qui n'est pas conforme à la Constitution. Dès lors, le Conseil a
censuré au c) du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image
animée, les termes « , ou aux personnes en assurant l'encaissement, », afin que
les éditeurs en question ne payent la taxe que sur les sommes dont ils
disposent.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication
de la décision du Conseil constitutionnel. Toutefois, elle ne peut être invoquée
à l'encontre des impositions définitivement acquittées et qui n'ont pas été
contestées avant cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du cinéma et de l'image animée ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par le cabinet HPML,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 22 novembre et 10 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28
novembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Philippe Rolland, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à
l'audience publique du 28 janvier 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le 1° de l'article L. 115-7 du code du
cinéma et de l'image animée est relatif à la taxe due par les éditeurs de
services de télévision exploitant un service de télévision reçu en France
métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer ; qu'aux termes du c) de ce
1°, cette taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée « des
sommes versées directement ou indirectement par les opérateurs de communications
électroniques aux redevables concernés, ou aux personnes en assurant
l'encaissement, à raison des appels téléphoniques à revenus partagés, des
connexions à des services télématiques et des envois de minimessages qui sont
liés à la diffusion de leurs programmes, à l'exception des programmes servant
une grande cause nationale ou d'intérêt général » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, le c) du 1° de l'article L.
115-7 du code du cinéma et de l'image animée porte atteinte au principe
d'égalité devant les charges publiques, en ce que l'assiette de la taxe sur les
éditeurs de services de télévision inclut des sommes perçues par des tiers, et
méconnaît à ce titre l'exigence de prise en compte des facultés contributives
des contribuables ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au
législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et
compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles
doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour
assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur
des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que
cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant que l'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui
résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en
principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une
imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou
de cette ressource ; que s'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des
motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations
doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs ;
5. Considérant que les dispositions contestées incluent dans l'assiette de la
taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision les recettes
tirées des appels téléphoniques à revenus partagés, des connexions à des
services télématiques et des envois de minimessages, que ces recettes soient
perçues par les éditeurs de services de télévision ou par un tiers qui les
encaisse pour son propre compte ; que, dans ce dernier cas, ces dispositions ont
pour effet d'assujettir un contribuable à une imposition dont l'assiette inclut
des revenus dont il ne dispose pas ;
6. Considérant qu'en posant le principe de l'assujettissement, dans tous les
cas, des éditeurs de services de télévision, quelles que soient les
circonstances, au paiement d'une taxe assise sur des sommes dont ils ne
disposent pas, le législateur a méconnu les exigences précitées ; que par suite,
au c) du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, les
termes « ou aux personnes en assurant l'encaissement, » doivent être déclarés
contraires à la Constitution ;
7. Considérant que, pour le surplus, le c) du 1° de l'article L. 115-7, qui ne
méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être
déclaré conforme à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des termes « ou aux
personnes en assurant l'encaissement, » du c) du 1° de l'article L. 115-7 du
code du cinéma et de l'image animée prend effet à compter de la publication de
la présente décision ; que, toutefois, elle ne peut être invoquée à l'encontre
des impositions définitivement acquittées et qui n'ont pas été contestées avant
cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Les termes « , ou aux personnes en assurant l'encaissement, »
figurant au c) du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image
animée sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au
considérant 9.
Article 3.- Le surplus du c) du 1° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de
l'image animée est conforme à la Constitution.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 février 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 novembre 2013, par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par les époux M. Cette question était relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions de l'article 80 quinquies du code général des impôts.
L'article 80 quinquies du CGI prévoit, au profit des salariés du secteur privé
et des travailleurs indépendants, une exonération au titre de l'impôt sur le
revenu des indemnités journalières de sécurité sociale qui sont allouées à des
personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une
thérapeutique particulièrement coûteuse. Le bénéfice de cette exonération ne
s'applique qu'aux indemnités journalières de sécurité sociale. Par conséquent,
les traitements que perçoivent les fonctionnaires en congé de maladie ne
bénéficient pas de cette exonération. Les requérants soutenaient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief et jugé les dispositions contestées
de l'article 80 quinquies du CGI conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les fonctionnaires en congé de maladie sont dans une situation différente de celle des personnes qui perçoivent des
indemnités journalières versées par les organismes de sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole ou pour leur compte. Les régimes respectifs des
congés de maladie conduisent à des versements de nature, de montant et de durée différents. En réservant aux personnes bénéficiant d'indemnités journalières le
bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions contestées lorsque ces personnes sont atteintes de l'une des affections comportant un traitement
prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, le législateur n'a pas
méconnu le principe d'égalité devant la loi. Il n'a pas traité différemment des personnes placées dans une situation identique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 6 décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 28 janvier 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 80 quinquies du
code général des impôts : «Les indemnités journalières versées par les
organismes de sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole ou pour leur
compte, sont soumises à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux
traitements et salaires, à l'exclusion de la fraction des indemnités allouées
aux victimes d'accidents du travail exonérée en application du 8° de l'article
81 et des indemnités qui sont allouées à des personnes atteintes d'une affection
comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse» ;
2. Considérant que, selon les requérants, en prévoyant une exonération des
indemnités journalières de sécurité sociale qui sont allouées à des personnes
atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique
particulièrement coûteuse au seul profit des salariés du secteur privé à
l'exclusion des fonctionnaires, les dispositions contestées méconnaissent les
principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
mots « et des indemnités qui sont allouées à des personnes atteintes d'une
affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique
particulièrement coûteuse » figurant à l'article 80 quinquies du code général
des impôts ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour
l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre
tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34
de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect
des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque
impôt, les règles selon lesquelles doivent être assujettis les contribuables ;
qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder
son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts
qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de
rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
6. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 311-2 du code de la sécurité
sociale prévoit que « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du
régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une
pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de
l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce
soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la
nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat
» ; que le premier alinéa de l'article L. 323-4 du même code dispose que «
l'indemnité journalière est égale à une fraction du gain journalier de base » ;
qu'il ressort du 5° de l'article L. 321-1 du même code que « l'assurance maladie
comporte. . . l'octroi d'indemnités journalières à l'assuré qui se trouve dans
l'incapacité physique constatée par le médecin traitant. . . de continuer ou de
reprendre le travail » ; que le premier alinéa de l'article L. 742-3 du code
rural et de la pêche maritime dispose que « les caisses de mutualité sociale
agricole servent aux salariés agricoles et à leurs ayants droit en cas de
maladie. . . les prestations prévues par le code de la sécurité sociale » ; que
les non-salariés agricoles peuvent également percevoir des indemnités
journalières en vertu des dispositions de l'article L. 732-4 du même code ;
qu'il en va de même pour les personnes relevant de certains régimes de sécurité
sociale des travailleurs non salariés, en application de l'article L. 613-20 du
code de la sécurité sociale ; qu'en vertu de l'article 80 quinquies du code
général des impôts, les indemnités journalières de sécurité sociale versées par
les organismes de sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole ou pour
leur compte aux assurés atteints de l'une des affections comportant un
traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse sont exclues
de l'assiette de l'impôt sur le revenu ;
7. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des dispositions statutaires
relatives à la fonction publique de l'État, à la fonction publique territoriale
et à la fonction publique hospitalière prévues par les lois des 11 janvier 1984,
26 janvier 1984 et 9 janvier 1986 susvisées que les fonctionnaires en congé de
maladie ne perçoivent pas d'indemnités journalières en vertu de leur régime de
sécurité sociale ; que, lorsqu'ils sont dans l'impossibilité d'exercer leurs
fonctions en cas de maladie dûment constatée, ils conservent l'intégralité de
leur traitement pendant une durée de trois mois puis la moitié de celui-ci
pendant les neuf mois suivants ; que, dans les cas où il est constaté que la
maladie rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et qu'elle
présente un caractère invalidant et de gravité confirmée, les fonctionnaires
conservent l'intégralité de leur traitement pendant un an puis la moitié de
celui-ci pendant les deux années suivantes ; qu'en cas de tuberculose, maladie
mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et
acquis, les fonctionnaires conservent leur plein traitement pendant trois ans
puis la moitié de celui-ci pendant les deux années suivantes ; que l'article 79
du code général des impôts prévoit que « les traitements. . . concourent à la
formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu » ;
8. Considérant que les fonctionnaires en congé de maladie sont dans une
situation différente de celle des personnes qui perçoivent des indemnités
journalières versées par les organismes de sécurité sociale et de la mutualité
sociale agricole ou pour leur compte ; que les régimes respectifs des congés de
maladie conduisent à des versements de nature, de montant et de durée différents
; qu'en réservant aux personnes qui bénéficient d'indemnités journalières le
bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions contestées lorsque ces
personnes sont atteintes de l'une des affections comportant un traitement
prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, le législateur n'a pas
méconnu le principe d'égalité devant la loi ; qu'il n'a pas traité différemment
des personnes placées dans une situation identique ; que les critères de
l'exonération retenus par les dispositions contestées de l'article 80 quinquies
n'instituent ni des différences de traitement injustifiées ni une rupture
caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que, par suite, le
grief tiré de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques doit être écarté ;
9. Considérant que les mots « et des indemnités qui sont allouées à des
personnes atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une
thérapeutique particulièrement coûteuse » figurant à l'article 80 quinquies du
code général des impôts, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté
que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution,
D É C I D E : 2 DECISIONS DU 14 FEVRIER 2014
Article 1er.- Les mots « et des indemnités qui sont allouées à des personnes
atteintes d'une affection comportant un traitement prolongé et une thérapeutique
particulièrement coûteuse » figurant à l'article 80 quinquies du code général
des impôts sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 février 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaub>
Décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 21 novembre 2013, par la Cour de cassation d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée par la SELARL PJA. Cette
question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article 50 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012
de finances rectificative (LFR) pour 2012.
L'article 50 de la LFR pour 2012 valide les délibérations instituant le
versement transport adoptées par les syndicats mixtes, avant le 1er janvier
2008, en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que les
syndicats mixtes ne sont pas des établissements publics de coopération
intercommunale.
Le Conseil constitutionnel a relevé que, par les lois du 24 décembre 2007 et du
29 décembre 2012, le législateur a entendu mettre un terme à des années de
contentieux relatifs aux délibérations des syndicats mixtes instituant le
versement transport. En adoptant l'article 50 contesté de la loi du 29 décembre
2012, le législateur a entendu donner un fondement législatif certain aux
délibérations des syndicats mixtes ayant institué le versement transport avant
le 1er janvier 2008. Il a également entendu éviter une multiplication des
réclamations fondées sur la malfaçon législative révélée par des arrêts du 20
septembre 2012 de la Cour de cassation, et tendant au remboursement
d'impositions déjà versées, et mettre fin au désordre qui s'en est suivi dans la
gestion des organismes en cause. Enfin, les dispositions contestées tendent
aussi à prévenir les conséquences financières qui auraient résulté de tels
remboursements pour certains des syndicats mixtes en cause.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, dans ces conditions, l'atteinte portée
par les dispositions contestées aux droits des entreprises assujetties au
versement transport est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En
outre, le législateur a précisément défini et limité la portée de la validation
et expressément réservé les décisions passées en force de chose jugée. Dans ces
conditions, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution
l'article 50 de la LFR pour 2012. Il a seulement précisé que cette validation ne
saurait permettre que soient prononcées des sanctions à l'encontre des personnes
assujetties au versement transport en vertu d'une délibération d'un syndicat
mixte antérieure au 1er janvier 2008 au titre du recouvrement de cette
imposition avant l'entrée en vigueur de cet article 50.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des communes ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 73-640 du 11 juillet 1973 autorisant certaines communes et
établissements publics à instituer un versement destiné aux transports en commun
;
Vu la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale
de la République ;
Vu la loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du code
général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 ;
Vu la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
Vu le décret n° 77-90 du 22 janvier 1977 portant révision du code de
l'administration communale et codification des textes législatifs applicables
aux communes ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 39176 du 15 février 1984 ;
Vu les arrêts de la Cour de cassation (deuxième chambre civile) nos 11-20264 et
11-20265 du 20 septembre 2012 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour le Groupement des Autorités
Responsables de Transport (GART) par Mes Emmanuel Glaser et Sandrine Perrotet,
avocats au barreau de Paris, enregistrées les 11 décembre 2013 et 6 janvier 2014
;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13
décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Roger,
Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 13 décembre 2013, 6 et 30 janvier 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour le Syndicat Mixte des
Transports (SMT) Sillages par la société TAJ, avocat au barreau de Marseille,
enregistrées les 13 décembre 2013, 6 et 30 janvier 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour la SAS Distribution Casino
France par la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 20 décembre 2013 ;
Vu les observations en intervention produites pour la SAS Leader Interim par la
SELARL Cloix et Mendes-Gil, avocat au barreau de Paris, les 27 décembre 2013,16
et 30 janvier 2014 ;
Vu les observations produites pour la communauté d'agglomération Chartres
métropole, partie en défense, par Me Bernard Georges, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 janvier 2014 ;
Vu les observations complémentaires produites par le Premier ministre à la
demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l'instruction,
enregistrées le 21 janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la
société requérante, Me Pierre-Manuel Cloix, avocat au barreau de Paris, pour la
SAS Leader Interim, Me Frédéric Blancpain, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, pour la SAS Distribution Casino France, Me Georges pour la
communauté d'agglomération Chartres métropole, Me Glaser pour le GART, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 4 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 50 de la loi du
29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 susvisée : « Sous réserve
des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les
délibérations instituant le versement transport adoptées par les syndicats
mixtes, ouverts ou fermés, avant le 1er janvier 2008, en tant que leur légalité
serait contestée par le moyen tiré de ce que les syndicats mixtes ne sont pas
des établissements publics de coopération intercommunale au sens des articles L.
2333-64, L. 2333-66 et L. 2333-67 du code général des collectivités
territoriales » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en validant les délibérations
instituant le « versement transport » adoptées par des syndicats mixtes, les
dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles
applicables aux lois de validation ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut
modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou
de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation
respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le
principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux
droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit
justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié
ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur
constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit
lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou
de la validation doit être strictement définie ;
4. Considérant que les articles L. 2333-64 et suivants du code général des
collectivités territoriales sont relatifs au « versement transport » en dehors
de la région d'Île-de-France ; que ce versement, qui est au nombre des
impositions de toutes natures, a pour objet le financement des transports en
commun ; que, selon l'article L. 2333-64, le « versement transport » peut être
institué, soit dans une commune ou une communauté urbaine dont la population est
supérieure à 10 000 habitants ou lorsque la population est inférieure à 10 000
habitants, si le territoire comprend une ou plusieurs communes classées communes
touristiques au sens de l'article L. 133-11 du code du tourisme, soit dans le
ressort d'un établissement public de coopération intercommunale compétent pour
l'organisation des transports urbains, lorsque la population de l'ensemble des
communes membres de l'établissement atteint le seuil de 10 000 habitants ;
qu'aux termes de l'article L. 2333-66 : « Le versement est institué par
délibération du conseil municipal ou de l'organe compétent de l'établissement
public » ; que l'article L. 2333-67 prévoit que le taux du versement est fixé ou
modifié par délibération du conseil municipal ou de l'organisme compétent de
l'établissement public dans les limites qu'il détermine ;
5. Considérant que la loi du 11 juillet 1973 susvisée, qui a créé le « versement
transport » en dehors de la région d'Île-de-France, prévoyait que celui-ci
pouvait être institué dans le ressort « d'un syndicat de collectivités locales »
; que ces dispositions ont été modifiées lors de leur codification à l'article
L. 233-58 du code des communes par le décret du 27 janvier 1977 susvisé qui a
prévu que ce versement pouvait être institué dans le ressort d'une « commune ou
une communauté urbaine » ou « d'un district ou d'un syndicat de communes
compétent pour l'organisation des transports urbains » ; que des contestations
ont été formées quant à la compétence des syndicats mixtes pour instituer sur ce
fondement le « versement transport » ; que, par sa décision du 15 février 1984
susvisée, le Conseil d'État a jugé que le décret n'avait « pu avoir pour effet
de modifier l'article 1er de la loi susmentionnée du 11 juillet 1973, qui
prévoit la possibilité d'instituer un tel versement au bénéfice des "syndicats
de collectivités locales" » ; que ces dispositions ont été à nouveau modifiées
par la loi du 6 février 1992 susvisée qui a prévu que ce versement pouvait être
institué dans le ressort d'une « commune ou une communauté urbaine » ou « d'un
groupement de communes compétent pour l'organisation des transports urbains »
puis par la loi du 21 février 1996 susvisée qui a inséré ces dispositions dans
le code général des collectivités territoriales et a prévu que ce versement
pouvait être institué dans le ressort d'une « commune ou une communauté urbaine
» ou « d'un établissement public de coopération intercommunale compétent pour
l'organisation des transports urbains » ; que de nouvelles actions ont contesté
la compétence des syndicats mixtes pour instituer sur ce fondement le «
versement transport » ; que l'article 102 de la loi du 24 décembre 2007 de
finances pour 2008 susvisée a inséré dans le code général des collectivités
territoriales un nouvel article L. 5722-7-1 accordant aux syndicats mixtes
composés exclusivement ou conjointement de communes, de départements ou
d'établissements publics de coopération intercommunale la faculté d'instituer le
« versement transport » destiné au financement des transports en commun ; que,
si le législateur a ainsi entendu lever les ambiguïtés des rédactions
antérieures et permettre aux syndicats mixtes composés exclusivement ou
conjointement de communes, de départements ou d'établissements publics de
coopération intercommunale, d'instituer et de percevoir le « versement transport
», de nouvelles actions ont contesté l'effet dans le temps de ces nouvelles
dispositions ; que, par les arrêts susvisés du 20 septembre 2012, la Cour de
cassation a jugé que ces dispositions issues de la loi du 24 décembre 2007
étaient dépourvues d'effet rétroactif et que les syndicats mixtes visés à
l'article L. 5722-7-1 du code général des collectivités territoriales n'avaient
pas compétence pour instituer le « versement transport » avant l'entrée en
vigueur de la loi du 24 décembre 2007 ;
6. Considérant, en premier lieu, que par les dispositions successives des lois
du 24 décembre 2007 et du 29 décembre 2012, le législateur a entendu mettre un
terme à des années de contentieux relatifs aux délibérations des syndicats
mixtes instituant le « versement transport » ; qu'en adoptant les dispositions
contestées de la loi du 29 décembre 2012, le législateur a entendu donner un
fondement législatif certain aux délibérations des syndicats mixtes composés
exclusivement ou conjointement de communes, de départements ou d'établissements
publics de coopération intercommunale ayant institué le « versement transport »
avant le 1er janvier 2008 ; qu'il a également entendu éviter une multiplication
des réclamations fondées sur la malfaçon législative révélée par les arrêts
précités de la Cour de cassation, et tendant au remboursement d'impositions déjà
versées, et mettre fin au désordre qui s'en est suivi dans la gestion des
organismes en cause ; que les dispositions contestées tendent aussi à prévenir
les conséquences financières qui auraient résulté de tels remboursements pour
certains des syndicats mixtes en cause et notamment ceux qui n'avaient pas
adopté une nouvelle délibération pour confirmer l'institution du « versement
transport » après l'entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2007 ; que, dans
ces conditions, l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des
entreprises assujetties au « versement transport » est justifiée par un motif
impérieux d'intérêt général ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que, par les dispositions contestées, le
législateur a précisément défini et limité la portée de la validation qui ne
s'applique qu'en tant que la délibération d'un syndicat mixte ayant institué le
« versement transport » avant le 1er janvier 2008 serait contestée au motif que
ce syndicat n'est pas un établissement public de coopération intercommunale au
sens des articles L. 2333-64, L. 2333-66 et L. 2333-67 du code général des
collectivités territoriales ;
8. Considérant, en troisième lieu, que le législateur a expressément réservé les
décisions passées en force de chose jugée ; que, toutefois, si le « versement
transport » n'est pas une sanction ayant le caractère d'une punition, il n'en va
pas de même des sanctions applicables aux contribuables qui ne se sont pas
acquittés de cette imposition en vertu des dispositions de l'article L. 2333-69
du code général des collectivités territoriales ; que le principe de
non-rétroactivité des peines et des sanctions garanti par l'article 8 de la
Déclaration de 1789 fait obstacle à l'application rétroactive de dispositions
permettant d'infliger des sanctions ayant le caractère d'une punition à des
contribuables à raison d'agissements antérieurs à l'entrée en vigueur des
dispositions nouvelles ; que, par suite, la validation rétroactive des
délibérations de syndicats mixtes antérieures au 1er janvier 2008 instituant le
« versement transport » ne saurait permettre que soient prononcées des sanctions
de cette nature à l'encontre des personnes assujetties au « versement transport
» en vertu d'une délibération d'un syndicat mixte antérieure au 1er janvier 2008
au titre du recouvrement de cette imposition avant l'entrée en vigueur de
l'article 50 de la loi du 29 décembre 2012 ; que, sous cette réserve, la
validation rétroactive ne méconnaît aucune règle ou principe de valeur
constitutionnelle ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la
méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ; que
l'article 50 de la loi du 29 décembre 2012 susvisée, qui ne méconnaît aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 8, l'article 50 de la loi
n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 est
conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 13 février 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 14 février 2014.
Décision n° 2013-367 QPC du 14 février 2014Le Conseil
constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2013, par la Cour de cassation d'une
question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts L. Cette
question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article L. 3222-3 du code de la santé publique (CSP).
L'article L. 3222-3 du CSP, dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 2011,
est relatif à la prise en charge dans une unité pour maladies difficiles (UMD)
de personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sans leur consentement. Les
requérants soutenaient notamment que ces dispositions renvoyaient de manière
excessive au décret, ce qui privait la prise en charge en UMD de garanties
légales suffisantes. Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et jugé
l'article L. 3222-3 du CSP conforme à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a relevé que dans sa décision n° 2012-235 QPC du 20
avril 2012, il a jugé contraires à la Constitution les dispositions exorbitantes
du droit commun relatives aux UMD et portant sur les conditions dans lesquelles
l'autorité administrative ou l'autorité judiciaire peuvent mettre fin à une
mesure de soins psychiatriques. La date d'abrogation de ces dispositions a été
reportée par le Conseil au 1er octobre 2013. À l'exception de ces règles que le
Conseil constitutionnel a déclarées contraires à la Constitution, le régime
juridique de privation de liberté auquel sont soumises les personnes prises en
charge dans une UMD n'est pas différent de celui applicable aux autres personnes
faisant l'objet de soins sans leur consentement sous la forme d'une
hospitalisation complète. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en renvoyant au
décret le soin de fixer les modalités de prise en charge en UMD des personnes
faisant l'objet d'une mesure de soins psychiatriques sans leur consentement, le
législateur n'a privé de garanties légales aucune exigence constitutionnelle.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection
des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur
prise en charge ;
Vu la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions
issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la
protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux
modalités de leur prise en charge ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour l'Association Cercle de
Réflexion et de Proposition d'Action sur la psychiatrie, par la SELARL Mayet et
Perrault, avocat au barreau de Versailles, enregistrées le 23 décembre 2013 ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Pierre Ricard, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 26 décembre 2013 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 26
décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Ricard, pour les requérants, Me Raphaël Mayet pour l'association intervenante
et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à
l'audience publique du 4 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3222-3 du
code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 5 juillet
2011 susvisée : « Les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sous la
forme d'une hospitalisation complète en application des chapitres III ou IV du
titre Ier du présent livre ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale
peuvent être prises en charge dans une unité pour malades difficiles
lorsqu'elles présentent pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance
et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en oeuvre que dans une
unité spécifique.
« Les modalités d'admission dans une unité pour malades difficiles sont prévues
par décret en Conseil d'État » ;
2. Considérant que, selon les requérants, ni l'article L. 3222-3 du code de la
santé publique ni aucune autre disposition législative n'encadrent les formes ni
ne précisent les conditions dans lesquelles une décision de placement en unité
pour malades difficiles est prise par l'autorité administrative ; que les
dispositions contestées feraient ainsi découler d'une hospitalisation en unité
pour malades difficiles, laquelle serait imposée sans garanties légales
suffisantes, des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres
personnes admises en hospitalisation complète, notamment en ce qui concerne la
levée de ces soins ; qu'en cela, la disposition contestée serait contraire au
onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, à l'article 34 de la
Constitution, à la liberté d'aller et de venir et au droit au respect de la vie
privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789, ainsi qu'à la liberté individuelle dont l'article 66 de
la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
4. Considérant que l'article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être
arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par
la loi » ; que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des
modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et
la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter ;
5. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946, la Nation garantit à tous le droit à la protection de la santé ; que
l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant
les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés
publiques ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le
domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles, dont il lui
appartient d'apprécier l'opportunité, et de modifier des textes antérieurs ou
d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions,
dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties
légales des exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que l'hospitalisation sans son consentement d'une personne
atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article
66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être
entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire ; qu'il incombe au
législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la
santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des
atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de
valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté
d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et
4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66
de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les
atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées,
nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
7. Considérant qu'il résulte des dispositions contestées qu'une personne soumise
par une décision administrative ou judiciaire à des soins psychiatriques sous
forme d'une hospitalisation complète peut être prise en charge dans une unité
pour malades difficiles si elle présente pour autrui un danger tel que les
soins, la surveillance ou les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis
en oeuvre que dans une telle unité ; que les modalités d'admission dans cette
unité sont prévues par décret en Conseil d'État ;
8. Considérant que, dans leur rédaction résultant de la loi du 5 juillet 2011
susvisée, le paragraphe II de l'article L. 3211-12 et l'article L. 3213-8 du
code de la santé publique prévoyaient, pour les personnes ayant été prises en
charge en unité pour malades difficiles, des règles exorbitantes du droit commun
relatives aux conditions dans lesquelles l'autorité administrative ou l'autorité
judiciaire peuvent mettre fin à une mesure de soins psychiatriques ; que, dans
sa décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 susvisée, le Conseil
constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution ; qu'il
a jugé qu'elles faisaient « découler d'une hospitalisation en unité pour malades
difficiles, laquelle est imposée sans garanties légales suffisantes, des règles
plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes admises en
hospitalisation complète, notamment en ce qui concerne la levée de ces soins » ;
qu'il a reporté au 1er octobre 2013 la date de l'abrogation de ces dispositions
en précisant que « les décisions prises avant cette date en application des
dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées
sur le fondement de cette inconstitutionnalité » ;
9. Considérant que l'article 4 de la loi du 27 septembre 2013 susvisée et le 6°
de son article 10 ont donné une nouvelle rédaction du paragraphe II de l'article
L. 3211-12 et de l'article L. 3213-8 du code de la santé publique ; que
l'article 11 de cette même loi a abrogé l'article L. 3222-3 du même code ; que
ces dispositions sont entrées en vigueur le 30 septembre 2013 ;
10. Considérant qu'à l'exception des règles que le Conseil constitutionnel a
déclarées contraires à la Constitution dans sa décision du 20 avril 2012
précitée, le régime juridique de privation de liberté auquel sont soumises les
personnes prises en charge dans une unité pour malades difficiles n'est pas
différent de celui applicable aux autres personnes faisant l'objet de soins sans
leur consentement sous la forme d'une hospitalisation complète ; qu'en
particulier, leur sont applicables les dispositions de l'article L. 3211-3 du
code de la santé publique, qui fixent les droits dont ces personnes disposent en
tout état de cause, et les dispositions de l'article L. 3211-12, qui leur
reconnaissent le droit de saisir à tout moment le juge des libertés et de la
détention aux fins d'ordonner, à bref délai, la mainlevée de la mesure quelle
qu'en soit la forme ; qu'en renvoyant au décret le soin de fixer les modalités
de prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes faisant
l'objet d'une mesure de soins psychiatriques sans leur consentement en
hospitalisation complète et qui présentent pour autrui un danger tel que les
soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis
en oeuvre que dans une unité spécifique, le législateur n'a privé de garanties
légales ni la protection constitutionnelle de la liberté individuelle ni les
libertés qui découlent des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ; que les
dispositions contestées n'affectent par elles-mêmes aucun autre droit ou liberté
que la Constitution garantit ; que, par suite, le grief tiré de ce que le
législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence doit être écarté ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 3222-3 du code de la santé publique, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits
et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux
modalités de leur prise en charge, est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 février 2014, où
siégeaient : M. Jacques BARROT exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire
BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX
de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 14 février 2014.
2 DECISIONS DU 28 FEVRIER 2014
Décision n° 2013-369 QPC du 28 février 2014
Société Madag [Droit de vote dans les sociétés cotées]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 décembre
2013, par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par la société Madag. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de
l'article L. 233-14 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi n°
2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au
droit communautaire dans les domaines économique et financier.
Les deux premiers alinéas de cet article L. 233-14 prévoient, notamment pour les
sociétés cotées, que l'actionnaire qui n'a pas déclaré un franchissement à la
hausse de divers seuils du capital ou des droits de vote de la société, dans un
délai prévu par décret, est privé, pendant les deux ans qui suivent la
régularisation de sa déclaration, des droits de vote aux assemblées générales de
la société pour les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée. Le
Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
D'une part, le Conseil a relevé que la suspension temporaire des droits de vote
instituée par les dispositions contestées n'a d'effets qu'entre les actionnaires
et la société. Cette suspension, qui consiste à priver de certains de ses
effets, pendant une durée limitée, une augmentation non déclarée de la
participation d'un actionnaire, permet à la société, pendant ce délai, de tirer
les conséquences de cette situation. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que
cette privation temporaire des droits de vote ne constitue pas une sanction
ayant le caractère d'une punition.
D'autre part, le Conseil constitutionnel a relevé que cette suspension des
droits de vote a pour objet de faire obstacle aux prises de participation
occultes dans les sociétés cotées et poursuit ainsi un but d'intérêt général.
L'actionnaire détenteur des actions soumises aux dispositions contestées en
demeure le seul propriétaire et conserve notamment son droit au partage des
bénéfices sociaux. Il peut librement céder ces actions. Dès lors, le Conseil a
jugé que, compte tenu de l'encadrement dans le temps et de la portée limitée de
cette privation des droits de vote, l'atteinte à l'exercice du droit de
propriété de l'actionnaire qui résulte des dispositions contestées ne revêt pas
un caractère disproportionné au regard du but poursuivi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Célice,
Blancpain et Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 9 et 24 janvier 2014 ;
Vu les observations produites pour la société Domia Group, partie en défense,
par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées le 9 janvier 2014;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 9 janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Franck Martin Laprade, avocat au barreau de Paris, pour la société
requérante, Me François Boucard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, et Me Aline Poncelet, avocat au barreau de Paris, pour la partie en
défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 11 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de
l'article L. 233-14 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du
17 décembre 2007 susvisée : « À défaut d'avoir été régulièrement déclarées dans
les conditions prévues aux I et II de l'article L. 233-7, les actions excédant
la fraction qui aurait dû être déclarée, lorsqu'elles sont admises aux
négociations sur un marché réglementé d'un État partie à l'accord sur l'Espace
économique européen ou sur un marché d'instruments financiers admettant aux
négociations des actions pouvant être inscrites en compte chez un intermédiaire
habilité dans les conditions prévues à l'article L. 211-4 du code monétaire et
financier, sont privées du droit de vote pour toute assemblée d'actionnaires qui
se tiendrait jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de
régularisation de la notification.
« Dans les mêmes conditions, les droits de vote attachés à ces actions et qui
n'ont pas été régulièrement déclarés ne peuvent être exercés ou délégués par
l'actionnaire défaillant » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en privant de ses droits de
vote de manière automatique et pendant deux ans l'actionnaire qui n'a pas
déclaré un franchissement de seuil à la hausse, les dispositions contestées
méconnaissent les principes de nécessité et d'individualisation des peines et
portent atteinte au droit de propriété ;
3. Considérant que le paragraphe I de l'article L. 233-7 du code de commerce est
applicable aux sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un
marché réglementé ou un marché d'instruments financiers admettant aux
négociations des actions pouvant être inscrites en compte chez un intermédiaire
financier ; qu'il fait obligation à toute personne, agissant seule ou de
concert, qui vient à posséder un nombre d'actions représentant plus du
vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois
dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des
dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote d'une telle société de
l'informer, dans un délai fixé par décret, du nombre total d'actions ou de
droits de vote qu'elle possède ; que la même information doit être donnée en cas
de franchissement à la baisse de l'un de ces seuils ; que le paragraphe II de ce
même article impose également à la personne intéressée d'informer l'Autorité des
marchés financiers, «lorsque les actions de la société sont admises aux
négociations sur un marché réglementé ou sur un marché d'instruments financiers
autre qu'un marché réglementé, à la demande de la personne qui gère ce marché
d'instruments financiers» ;
4. Considérant que le paragraphe III de ce même article permet aux statuts de la
société de prévoir une obligation supplémentaire d'information portant sur la
détention de fractions du capital ou des droits de vote inférieures à celle du
vingtième, sans que chacune de ces fractions ne puisse être inférieure à 0,5 %
du capital ou des droits de vote ; que son paragraphe VI dispose qu'en cas de
non-respect de cette obligation d'information, les statuts de la société peuvent
prévoir des modalités particulières de mise en oeuvre des dispositions de
l'article L. 233-14 ;
5. Considérant que les dispositions contestées prévoient que l'actionnaire qui
n'a pas déclaré un franchissement de seuil à la hausse dans le délai prévu est
privé, pendant les deux ans qui suivent la régularisation de sa déclaration, des
droits de vote aux assemblées générales de la société pour les actions excédant
la fraction qui aurait dû être déclarée ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des
peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en
vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée » ; qu'il s'ensuit que ces principes ne s'appliquent qu'aux peines et
aux sanctions ayant le caractère d'une punition ;
7. Considérant que la suspension temporaire des droits de vote instituée par les
dispositions contestées est constatée par le bureau de l'assemblée générale de
la société intéressée ; que ses effets sont limités aux rapports entre les
actionnaires et la société ; que cette suspension, qui consiste à priver de
certains de ses effets, pendant une durée limitée, une augmentation non déclarée
de la participation d'un actionnaire, permet à la société, pendant ce délai, de
tirer les conséquences de cette situation ; que cette privation temporaire des
droits de vote ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition ;
que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la
Déclaration de 1789 est inopérant ;
8. Considérant, en second lieu, que la propriété figure au nombre des droits de
l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux
termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré,
nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement
constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet
article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les
atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt
général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
9. Considérant que la suspension des droits de vote instituée par les
dispositions contestées a pour objet de faire obstacle aux prises de
participation occultes dans les sociétés cotées afin de renforcer, d'une part,
le respect des règles assurant la loyauté dans les relations entre la société et
ses membres, ainsi qu'entre ses membres et, d'autre part, la transparence des
marchés ; qu'ainsi, ces dispositions poursuivent un but d'intérêt général ;
10. Considérant que l'actionnaire détenteur des actions soumises aux
dispositions contestées en demeure le seul propriétaire ; qu'il conserve
notamment son droit au partage des bénéfices sociaux et, éventuellement, les
droits qui naîtraient pour lui de l'émission de bons de souscription d'actions
ou de la liquidation de la société ; qu'il peut librement céder ces actions sans
que cette cession ait pour effet de transférer au cessionnaire la suspension
temporaire des droits de vote; que la privation des droits de vote cesse deux
ans après la régularisation par l'actionnaire de sa déclaration ; qu'elle ne
porte que sur la fraction des actions détenues par l'actionnaire intéressé qui
dépasse le seuil non déclaré ; que l'actionnaire dispose d'un recours
juridictionnel pour contester la décision le privant de ses droits de vote ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, les atteintes
au droit de propriété qui peuvent résulter de l'application des dispositions
contestées n'entraînent pas de privation de propriété au sens de l'article 17 de
la Déclaration de 1789 ; que, d'autre part, compte tenu de l'encadrement dans le
temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l'atteinte
à l'exercice du droit de propriété de l'actionnaire qui résulte des dispositions
contestées ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi,
; que, par suite, les griefs tirés de l'atteinte au droit de propriété doivent
être écartés ;
12. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les deux premiers alinéas de l'article L. 233-14 du code de
commerce, dans leur rédaction issue de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007
portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les
domaines économique et financier, sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 27 février 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2013-370 QPC du 28 février 2014
M. Marc S. et autre [Exploitation numérique des livres indisponibles]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 décembre 2013,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Marc S. et Mme Sara D. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 134-1 à L. 134-8
du code de la propriété intellectuelle (CPI), issus de l'article 1er de la loi
n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres
indisponibles du XXème siècle.
Les dispositions contestées ont pour objet de permettre de rendre disponibles
sous forme numérique des « livres indisponibles ». À cette fin, il est créé une
base de données publique des « livres indisponibles » mise en oeuvre par la
Bibliothèque nationale de France. En vertu de l'article L. 134-3 du CPI, une
société de perception et de répartition des droits agréée par le ministre de la
culture exerce le droit d'autoriser la reproduction et la représentation sous
une forme numérique de tout livre inscrit dans cette base de données depuis plus
de six mois et assure la répartition des sommes perçues en raison de cette
exploitation entre les ayants droit. L'article L. 134-4 définit les conditions
dans lesquelles l'auteur et l'éditeur d'un « livre indisponible » peuvent
s'opposer à l'exercice de ce droit d'autorisation par la société de perception
et de répartition des droits. L'article L. 134-6 prévoit les conditions dans
lesquelles l'auteur et l'éditeur disposant du droit de reproduction sous une
forme imprimée d'un livre indisponible peuvent retirer le droit d'autoriser la
reproduction et la représentation du livre. Le Conseil constitutionnel a jugé
les dispositions contestées conformes à la Constitution.
D'une part, il a relevé que les dispositions contestées ont pour objet de
permettre la conservation et la mise à disposition du public, sous forme
numérique, des ouvrages indisponibles publiés en France avant le 1er janvier
2001 qui ne sont pas encore entrés dans le domaine public, au moyen d'une offre
légale qui assure la rémunération des ayants droit. Ainsi ces dispositions
poursuivent un but d'intérêt général.
D'autre part, le Conseil constitutionnel a jugé que l'encadrement des conditions
dans lesquelles les titulaires de droits d'auteur jouissent de leurs droits de
propriété intellectuelle sur ces ouvrages ne porte pas à ces droits une atteinte
disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des
livres indisponibles du XXe siècle ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation (première chambre civile) n° 11-22031 et 11-22522 du 11 décembre 2013 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la Société française des intérêts des auteurs
de l'écrit (SOFIA), partie en défense, par Me Christophe Caron, avocat au
barreau de Paris, enregistrées les 9 et 27 janvier 2014 ;
Vu les observations produites pour les requérants par Me Franck Macrez, avocat
au barreau de Nancy, enregistrées les 13 et 27 janvier 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13 janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Macrez pour les requérants, Me Caron pour la partie en défense, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 11 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 1er de la loi du 1er mars
2012 a inséré dans le code de la propriété intellectuelle les articles L. 134-1
à L. 134-9 ; que l'article L. 134-1 dispose : « On entend par livre indisponible
au sens du présent chapitre un livre publié en France avant le 1er janvier 2001
qui ne fait plus l'objet d'une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne
fait pas actuellement l'objet d'une publication sous une forme imprimée ou numérique » ;
2. Considérant que l'article L. 134-2 dispose : « Il est créé une base de
données publique, mise à disposition en accès libre et gratuit par un service de
communication au public en ligne, qui répertorie les livres indisponibles. La
Bibliothèque nationale de France veille à sa mise en oeuvre, à son actualisation
et à l'inscription des mentions prévues aux articles L. 134-4, L. 134-5 et L. 134-6.
« Toute personne peut demander à la Bibliothèque nationale de France
l'inscription d'un livre indisponible dans la base de données.
« L'inscription d'un livre dans la base de données ne préjuge pas de
l'application des articles L. 132-12 et L. 132-17 » ;
3. Considérant que l'article L. 134-3 dispose : « I. - Lorsqu'un livre est
inscrit dans la base de données mentionnée à l'article L. 134-2 depuis plus de
six mois, le droit d'autoriser sa reproduction et sa représentation sous une
forme numérique est exercé par une société de perception et de répartition des
droits régie par le titre II du livre III de la présente partie, agréée à cet
effet par le ministre chargé de la culture.
« Sauf dans le cas prévu au troisième alinéa de l'article L. 134-5, la
reproduction et la représentation du livre sous une forme numérique sont
autorisées, moyennant une rémunération, à titre non exclusif et pour une durée
limitée à cinq ans, renouvelable.
« II. - Les sociétés agréées ont qualité pour ester en justice pour la défense
des droits dont elles ont la charge.
« III. - L'agrément prévu au I est délivré en considération :
« 1° De la diversité des associés de la société ;
« 2° De la représentation paritaire des auteurs et des éditeurs parmi les
associés et au sein des organes dirigeants ;
« 3° De la qualification professionnelle des dirigeants de la société ;
« 4° Des moyens que la société propose de mettre en oeuvre pour assurer la
perception des droits et leur répartition ;
« 5° Du caractère équitable des règles de répartition des sommes perçues entre
les ayants droit, qu'ils soient ou non parties au contrat d'édition. Le montant
des sommes perçues par le ou les auteurs du livre ne peut être inférieur au
montant des sommes perçues par l'éditeur ;
« 6° Des moyens probants que la société propose de mettre en oeuvre afin
d'identifier et de retrouver les titulaires de droits aux fins de répartir les
sommes perçues ;
« 7° Des moyens que la société propose de mettre en oeuvre pour développer des
relations contractuelles permettant d'assurer la plus grande disponibilité
possible des oeuvres ;
« 8° Des moyens que la société propose de mettre en oeuvre pour veiller à la
défense des intérêts légitimes des ayants droit non parties au contrat
d'édition.
« IV. - Les sociétés agréées remettent chaque année à la commission permanente
de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits mentionnée à
l'article L. 321-13 un rapport rendant compte des moyens mis en oeuvre et des
résultats obtenus dans la recherche des titulaires de droits, qu'ils soient ou
non parties au contrat d'édition.
« La commission peut formuler toute observation ou recommandation d'amélioration
des moyens mis en oeuvre afin d'identifier et de retrouver les titulaires de
droits.
« La commission est tenue informée, dans le délai qu'elle fixe, des suites
données à ses observations et recommandations.
« La commission rend compte annuellement au Parlement, au Gouvernement et à
l'assemblée générale des sociétés agréées, selon des modalités qu'elle
détermine, des observations et recommandations qu'elle a formulées et des suites
qui leur ont été données » ;
4. Considérant que l'article L. 134-4 dispose : « I. - L'auteur d'un livre
indisponible ou l'éditeur disposant du droit de reproduction sous une forme
imprimée de ce livre peut s'opposer à l'exercice du droit d'autorisation
mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 134-3 par une société de
perception et de répartition des droits agréée. Cette opposition est notifiée
par écrit à l'organisme mentionné au premier alinéa de l'article L. 134-2 au
plus tard six mois après l'inscription du livre concerné dans la base de données
mentionnée au même alinéa.
« Mention de cette opposition est faite dans la base de données mentionnée au
même article L. 134-2.
« Après l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent I, l'auteur
d'un livre indisponible peut s'opposer à l'exercice du droit de reproduction ou
de représentation de ce livre s'il juge que la reproduction ou la représentation
de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation. Ce droit
est exercé sans indemnisation.
« II. - L'éditeur ayant notifié son opposition dans les conditions prévues au
premier alinéa du I du présent article est tenu d'exploiter dans les deux ans
suivant cette notification le livre indisponible concerné. Il doit apporter par
tout moyen la preuve de l'exploitation effective du livre à la société agréée en
application de l'article L. 134-3. À défaut d'exploitation du livre dans le
délai imparti, la mention de l'opposition est supprimée dans la base de données
mentionnée à l'article L. 134-2 et le droit d'autoriser sa reproduction et sa
représentation sous une forme numérique est exercé dans les conditions prévues
au second alinéa du I de l'article L. 134-3.
« La preuve de l'exploitation effective du livre, apportée par l'éditeur dans
les conditions prévues au premier alinéa du présent II, ne préjuge pas de
l'application des articles L. 132-12 et L. 132-17 » ;
5. Considérant que l'article L. 134-5 dispose : « À défaut d'opposition notifiée
par l'auteur ou l'éditeur à l'expiration du délai prévu au I de l'article L.
134-4, la société de perception et de répartition des droits propose une
autorisation de reproduction et de représentation sous une forme numérique d'un
livre indisponible à l'éditeur disposant du droit de reproduction de ce livre
sous une forme imprimée.
« Cette proposition est formulée par écrit. Elle est réputée avoir été refusée
si l'éditeur n'a pas notifié sa décision par écrit dans un délai de deux mois à
la société de perception et de répartition des droits.
« L'autorisation d'exploitation mentionnée au premier alinéa est délivrée par la
société de perception et de répartition des droits à titre exclusif pour une
durée de dix ans tacitement renouvelable, sauf dans le cas mentionné à l'article L. 134-8.
« Mention de l'acceptation de l'éditeur est faite dans la base de données
mentionnée à l'article L. 134-2.
« À défaut d'opposition de l'auteur apportant par tout moyen la preuve que cet
éditeur ne dispose pas du droit de reproduction d'un livre sous une forme
imprimée, l'éditeur ayant notifié sa décision d'acceptation est tenu
d'exploiter, dans les trois ans suivant cette notification, le livre
indisponible concerné. Il doit apporter à cette société, par tout moyen, la
preuve de l'exploitation effective du livre.
« À défaut d'acceptation de la proposition mentionnée au premier alinéa ou
d'exploitation de l'oeuvre dans le délai prévu au cinquième alinéa du présent
article, la reproduction et la représentation du livre sous une forme numérique
sont autorisées par la société de perception et de répartition des droits dans
les conditions prévues au second alinéa du I de l'article L. 134-3.
« L'utilisateur auquel une société de perception et de répartition des droits a
accordé une autorisation d'exploitation dans les conditions prévues au même
second alinéa est considéré comme éditeur de livre numérique au sens de
l'article 2 de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique.
« L'exploitation de l'oeuvre dans les conditions prévues au présent article ne
préjuge pas de l'application des articles L. 132-12 et L. 132-17 » ;
6. Considérant que l'article L. 134-6 dispose : « L'auteur et l'éditeur
disposant du droit de reproduction sous une forme imprimée d'un livre
indisponible notifient conjointement à tout moment à la société de perception et
de répartition des droits mentionnée à l'article L. 134-3 leur décision de lui
retirer le droit d'autoriser la reproduction et la représentation dudit livre
sous forme numérique.
« L'auteur d'un livre indisponible peut décider à tout moment de retirer à la
société de perception et de répartition des droits mentionnée au même article L.
134-3 le droit d'autoriser la reproduction et la représentation du livre sous
une forme numérique s'il apporte la preuve qu'il est le seul titulaire des
droits définis audit article L. 134-3. Il lui notifie cette décision.
« Mention des notifications prévues aux deux premiers alinéas du présent article
est faite dans la base de données mentionnée à l'article L. 134-2.
« L'éditeur ayant notifié sa décision dans les conditions prévues au premier
alinéa est tenu d'exploiter le livre concerné dans les dix-huit mois suivant
cette notification. Il doit apporter à la société de perception et de
répartition des droits, par tout moyen, la preuve de l'exploitation effective du
livre.
« La société informe tous les utilisateurs auxquels elle a accordé une
autorisation d'exploitation du livre concerné des décisions mentionnées aux deux
premiers alinéas du présent article. Les ayants droit ne peuvent s'opposer à la
poursuite de l'exploitation dudit livre engagée avant la notification pendant la
durée restant à courir de l'autorisation mentionnée au second alinéa du I de
l'article L. 134-3 ou au troisième alinéa de l'article L. 134-5, à concurrence
de cinq ans maximum et à titre non exclusif » ;
7. Considérant que l'article L. 134-7 dispose : «Les modalités d'application du
présent chapitre, notamment les modalités d'accès à la base de données prévue à
l'article L. 134-2, la nature ainsi que le format des données collectées et les
mesures de publicité les plus appropriées pour garantir la meilleure information
possible des ayants droit, les conditions de délivrance et de retrait de
l'agrément des sociétés de perception et de répartition des droits prévu à
l'article L. 134-3, sont précisées par décret en Conseil d'État»;
8. Considérant que l'article L. 134-8 dispose : « Sauf refus motivé, la société
de perception et de répartition des droits mentionnée à l'article L. 134-3
autorise gratuitement les bibliothèques accessibles au public à reproduire et à
diffuser sous forme numérique à leurs abonnés les livres indisponibles conservés
dans leurs fonds dont aucun titulaire du droit de reproduction sous une forme
imprimée n'a pu être trouvé dans un délai de dix ans à compter de la première
autorisation d'exploitation.
« L'autorisation mentionnée au premier alinéa est délivrée sous réserve que
l'institution bénéficiaire ne recherche aucun avantage économique ou commercial.
« Un titulaire du droit de reproduction du livre sous une forme imprimée obtient
à tout moment de la société de perception et de répartition des droits le
retrait immédiat de l'autorisation gratuite » ;
9. Considérant que, selon les requérants, la procédure parlementaire ayant
conduit au vote de la loi du 1er mars 2012 susvisée n'a pas respecté le principe
de clarté et de sincérité des débats ; qu'ils soutiennent également que cette
loi méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi ; qu'enfin le système de gestion collective des
droits d'auteur institué par ces dispositions porterait atteinte au droit de
propriété des auteurs ; qu'il en irait en particulier ainsi des limitations
apportées par l'article L. 134-6 au droit de retrait de l'auteur ;
10. Considérant que les dispositions contestées ont pour objet de rendre
disponibles sous forme numérique des « livres indisponibles » ; qu'à cette fin,
il est créé une base de données publique des « livres indisponibles » mise en
oeuvre par la Bibliothèque nationale de France ; qu'en vertu de l'article L.
134-3, une société de perception et de répartition des droits agréée par le
ministre de la culture exerce le droit d'autoriser la reproduction et la
représentation sous une forme numérique de tout livre inscrit dans cette base de
données depuis plus de six mois et assure la répartition des sommes perçues en
raison de cette exploitation entre les ayants droit ; que les sociétés de
perception et de répartition des droits sont soumises au contrôle d'une
commission permanente et à celui du ministère de la culture destinataire des
comptes annuels de ces sociétés et des rapports de vérification de cette
commission de contrôle ; que l'article L. 134-4 définit les conditions dans
lesquelles l'auteur et l'éditeur d'un « livre indisponible » peuvent s'opposer à
l'exercice de ce droit d'autorisation par la société de perception et de
répartition des droits ; que, lorsque l'opposition émane de l'éditeur, ce
dernier est tenu d'exploiter le livre dans un certain délai ; que l'article L.
134-5 prévoit les conditions dans lesquelles, à défaut d'opposition, la société
de perception et de répartition des droits autorise la reproduction et la
représentation du « livre indisponible » ; que l'article L. 134-6 prévoit les
conditions dans lesquelles l'auteur et l'éditeur disposant du droit de
reproduction sous une forme imprimée d'un « livre indisponible » peuvent retirer
le droit d'autoriser la reproduction et la représentation du livre ; que
l'article L. 134-8 fixe les conditions dans lesquelles les bibliothèques
accessibles au public peuvent être autorisées gratuitement à reproduire et à
diffuser sous forme numérique à leurs abonnés les « livres indisponibles »
conservés dans leur fond ;
11. Considérant que le grief tiré de la méconnaissance de la procédure
d'adoption d'une loi ne peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire
de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ;
12. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme
consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un
droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du
droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2
de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif
poursuivi ;
13. Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de
propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de
son champ d'application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété
intellectuelle ; que celle-ci comprend le droit, pour les titulaires du droit
d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété
intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les
engagements internationaux de la France ;
14. Considérant que les dispositions contestées ont pour objet de permettre la
conservation et la mise à disposition du public, sous forme numérique, des
ouvrages indisponibles publiés en France avant le 1er janvier 2001 qui ne sont
pas encore tombés dans le domaine public, au moyen d'une offre légale qui assure
la rémunération des ayants droit ; qu'ainsi, ces dispositions poursuivent un but
d'intérêt général ;
15. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées n'affectent ni
le droit de l'auteur au respect de son nom, ni son droit de divulgation, lequel,
selon la jurisprudence de la Cour de cassation, s'épuise par le premier usage
qu'il en fait ; qu'elles sont également dépourvues d'effet sur le droit de
l'auteur d'exploiter son oeuvre sous d'autres formes que numérique ;
16. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées ne
s'appliquent qu'aux ouvrages qui ne font plus l'objet d'une diffusion
commerciale par un éditeur et qui ne font « pas actuellement l'objet d'une
publication sous forme imprimée ou numérique » ; que la mise en gestion
collective du droit d'autoriser la reproduction et la représentation du livre
est subordonnée à l'absence d'opposition, dans un délai de six mois suivant la
publication de l'inscription du livre sur la base de données publique
susmentionnée, par l'auteur ou par l'éditeur disposant d'un droit de
reproduction sous une forme imprimée ; que, passé ce délai, l'éditeur titulaire
du droit de reproduction du livre sous une forme imprimée jouit d'un droit de
priorité pour assurer la reproduction et la représentation du livre sous une
forme numérique ; qu'aux termes du 5° du paragraphe III de l'article L. 134-3,
la société de perception et de répartition des droits est tenue de garantir le «
caractère équitable des règles de répartition des sommes perçues entre les
ayants droit, qu'ils soient ou non parties au contrat d'édition » ; que ce même
5° dispose : « Le montant des sommes perçues par le ou les auteurs du livre ne
peut être inférieur au montant des sommes perçues par l'éditeur » ;
17. Considérant, en troisième lieu, qu'après l'expiration du délai d'opposition
précité et tant que l'ouvrage n'est pas tombé dans le domaine public, l'article
L. 134-6 prévoit un droit de retrait au bénéfice soit de l'auteur et de
l'éditeur agissant conjointement, soit du seul auteur à la condition qu'il
apporte la preuve qu'il est le seul titulaire des droits d'exploitation
numérique ; qu'en outre, le troisième alinéa de l'article L. 134-4 reconnaît à
l'auteur, à tout moment et sans indemnisation, le pouvoir de s'opposer à
l'exercice du droit de reproduction ou de représentation d'un livre s'il juge
que sa reproduction ou sa représentation est susceptible de nuire à son honneur
ou à sa réputation ;
18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, le régime de
gestion collective applicable au droit de reproduction et de représentation sous
forme numérique des "livres indisponibles" n'entraîne pas de privation de
propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, d'autre part,
l'encadrement des conditions dans lesquelles les titulaires de droits d'auteur
jouissent de leurs droits de propriété intellectuelle sur ces ouvrages ne porte
pas à ces droits une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi
; que, par suite, les griefs tirés de l'atteinte au droit de propriété doivent être écartés ;
19. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de
cause pas entachées d'inintelligibilité, ne méconnaissent aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles L. 134-1 à L. 134-8 du code de la propriété
intellectuelle, issus de l'article 1er de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 27 février 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2013-368 QPC du 07 mars 2014
Décision n° 2013-372 QPC du 07 mars 2014
Décision n° 2013-368 QPC du 7 mars 2014
Décision n° 2013-372 QPC du 7 mars 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 décembre
2013, par la Cour de cassation d'une première question prioritaire de
constitutionnalité posée par la Société Nouvelle d'exploitation Sthrau hôtel.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des mots «se saisir d'office ou» au premier alinéa de
l'article L. 640-5 du code de commerce.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 décembre 2013, par la Cour de
cassation d'une deuxième question prioritaire de constitutionnalité posée par M.
Marc V. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que
la Constitution garantit de la seconde phrase du paragraphe II de l'article L.
626-27 du code de commerce.
L'article L. 640-5 du code de commerce confie au tribunal la faculté de se
saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire,
à l'exception du cas où, en application des articles L. 611-4 et suivants, une
procédure de conciliation entre le débiteur et ses créanciers est en cours.
La seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 permet à la
juridiction commerciale de se saisir d'office pour prononcer la résolution du
plan de redressement et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Le Conseil constitutionnel a d'abord relevé que chacune de ces deux dispositions
poursuit un but d'intérêt général :
- L'article L. 640-5 permet que, lorsque les conditions de son ouverture
paraissent réunies, une procédure de liquidation judiciaire ne soit pas retardée
afin d'éviter l'aggravation irrémédiable de la situation de l'entreprise ;
- L'article L. 626-27 a pour objet, d'une part, d'assurer l'exécution effective,
par le débiteur, du plan de sauvegarde ou du plan de redressement et, d'autre
part, d'éviter l'aggravation irrémédiable de la situation de l'entreprise.
Le Conseil a ensuite relevé que ni les dispositions contestées ni aucune autre
disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se
saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue
de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier
au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties. Dès lors, le
Conseil a jugé que les dispositions qui confient au tribunal la faculté de se
saisir d'office, soit aux fins d'ouverture de la procédure de liquidation
judiciaire, soit aux fins de prononcer la résolution du plan de sauvegarde ou de
redressement judiciaire, méconnaissent le principe d'impartialité des
juridictions.
Le Conseil a donc jugé contraires à la Constitution :
- au premier alinéa de l'article L. 640-5 du code de commerce, les mots « se
saisir d'office ou » (décision n° 2013-368 QPC) ;
- la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code de commerce (décision n° 2013-372 QPC).
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Boré et
Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 30 décembre 2013 et le 20 janvier 2014 ;
Vu les observations produites pour la SCP Brouard Daudé, agissant ès qualités de
mandataire liquidateur de la société requérante, par Me Georges-Henri Laudrain,
avocat au barreau de Paris, enregistrées le 3 janvier 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24
décembre 2013 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Laudrain et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 25 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 640-5 du code
de commerce : « Lorsqu'il n'y a pas de procédure de conciliation en cours, le
tribunal peut également se saisir d'office ou être saisi sur requête du
ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
« Sous cette même réserve, la procédure peut aussi être ouverte sur
l'assignation d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance.
Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette
assignation doit intervenir dans le délai d'un an à compter de :
« 1° La radiation du registre du commerce et des sociétés. S'il s'agit d'une
personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la
publication de la clôture des opérations de liquidation ;
« 2° La cessation de l'activité, s'il s'agit d'une personne exerçant une
activité artisanale, d'un agriculteur ou d'une personne physique exerçant une
activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise
à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
« 3° La publication de l'achèvement de la liquidation, s'il s'agit d'une
personne morale non soumise à l'immatriculation.
« En outre, la procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur exerçant
une activité agricole qui n'est pas constitué sous la forme d'une société
commerciale que si le président du tribunal de grande instance a été saisi,
préalablement à l'assignation, d'une demande tendant à la désignation d'un
conciliateur présentée en application de l'article L. 351-2 du code rural et de
la pêche maritime » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en permettant à la juridiction
commerciale de se saisir d'office pour l'ouverture d'une procédure de
liquidation judiciaire, ces dispositions méconnaissent les exigences découlant
de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
mots « se saisir d'office ou » figurant au premier alinéa de l'article L. 640-5
du code de commerce ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que le principe
d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ;
qu'il en résulte qu'en principe une juridiction ne saurait disposer de la
faculté d'introduire de sa propre initiative une instance au terme de laquelle
elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée ; que, si la
Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu,
la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification, lorsque
la procédure n'a pas pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère
d'une punition, qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif d'intérêt
général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le
respect du principe d'impartialité ;
5. Considérant que la procédure de liquidation judiciaire est ouverte à tout
débiteur qui, ne pouvant faire face au passif exigible avec son actif
disponible, est en cessation des paiements et dont le redressement est
manifestement impossible ; que cette procédure est destinée à mettre fin à
l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une
cession de ses droits et biens ;
6. Considérant que les dispositions contestées confient au tribunal la faculté
de se saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de liquidation
judiciaire, à l'exception du cas où, en application des articles L. 611-4 et
suivants du code de commerce, une procédure de conciliation entre le débiteur et
ses créanciers est en cours ; que ces dispositions permettent que, lorsque les
conditions de son ouverture paraissent réunies, une procédure de liquidation
judiciaire ne soit pas retardée afin d'éviter l'aggravation irrémédiable de la
situation de l'entreprise ; que, par suite, le législateur a poursuivi un but
d'intérêt général ;
7. Considérant, toutefois, que ni les dispositions contestées ni aucune autre
disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se
saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue
de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier
au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties ; que, par
suite, les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir
d'office aux fins d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire
méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789
; que, dès lors, les mots « se saisir d'office ou » figurant au premier alinéa
de l'article L. 640-5 du code de commerce doivent être déclarés contraires à la
Constitution ;
8. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter
de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à
tous les jugements d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire rendus
postérieurement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Au premier alinéa de l'article L. 640-5 du code de commerce, les
mots : « se saisir d'office ou » sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 13 et 24
janvier 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13
janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Claire Waquet et Me Jean Fabry-Lagarde, avocat au barreau de Toulouse, pour
le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 25 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de L. 626-27 du code de
commerce : « I.- En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le
commissaire à l'exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux
dispositions arrêtées. Il y est seul habilité.
« Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en
décider la résolution si le débiteur n'exécute pas ses engagements dans les
délais fixés par le plan.
« Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de
l'exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du
ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement
judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de
liquidation judiciaire.
« Le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et à la
procédure lorsque celle-ci est toujours en cours. Sous réserve des dispositions
du deuxième alinéa de l'article L. 626-19, il fait recouvrer aux créanciers
l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues,
et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé.
« II.- Dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du I, le
tribunal est saisi par un créancier, le commissaire à l'exécution du plan ou le
ministère public. Il peut également se saisir d'office.
« III.- Après résolution du plan et ouverture de la nouvelle procédure, les
créanciers soumis à ce plan sont dispensés de déclarer leurs créances et
sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction
faite des sommes déjà perçues » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en permettant à la juridiction
commerciale de se saisir d'office pour prononcer la résolution du plan de
redressement et l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, les
dispositions du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code de commerce
méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la
seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code de commerce qui
permet au tribunal de se saisir d'office ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que le principe
d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ;
qu'il en résulte qu'en principe une juridiction ne saurait disposer de la
faculté d'introduire de sa propre initiative une instance au terme de laquelle
elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée ; que, si la
Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu,
la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification, lorsque
la procédure n'a pas pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère
d'une punition, qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif d'intérêt
général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le
respect du principe d'impartialité ;
5. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 620-1 du code de
commerce, la procédure de sauvegarde est ouverte à tout débiteur qui, sans être
en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de
surmonter ; que, selon ce même alinéa, cette procédure est destinée à faciliter
la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité
économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ; que, selon les
articles L. 626-1 et L. 626-2 du même code, lorsqu'il existe une possibilité
sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, le tribunal arrête dans ce but, à
partir des propositions du débiteur, un plan qui définit notamment les modalités
de règlement du passif et les garanties éventuelles que le débiteur doit
souscrire pour en assurer l'exécution ; que le deuxième alinéa du paragraphe I
de l'article L. 626-27 du même code dispose que « le tribunal qui a arrêté le
plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le
débiteur n'exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan » ; que
le troisième alinéa du même paragraphe dispose que « lorsque la cessation des
paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution du plan, le tribunal
qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et
ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est
manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire » ; que le
paragraphe II du même article prévoit que « le tribunal est saisi par un
créancier, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public » ; que
le même paragraphe prévoit que le tribunal « peut également se saisir d'office »
;
6. Considérant qu'il ressort du cinquième alinéa de l'article L. 626-25 du code
de commerce que le commissaire à l'exécution du plan « rend compte au président
du tribunal et au ministère public du défaut d'exécution du plan » ; que le
septième alinéa du même article dispose que « le commissaire à l'exécution du
plan peut être remplacé par le tribunal, soit d'office, soit à la demande du
ministère public » ; que le même alinéa prévoit, en outre, que, « lorsque le
remplacement est demandé par le commissaire à l'exécution du plan, le président
du tribunal statue par ordonnance » ; qu'il ressort du premier alinéa de
l'article L. 626-26 qu'« une modification substantielle dans les objectifs ou
les moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal, à la demande du
débiteur et sur le rapport du commissaire à l'exécution du plan » ; que, selon
l'article L. 626-28 du même code, « quand il est établi que les engagements
énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus, celui-ci, à la
requête du commissaire à l'exécution du plan, du débiteur ou de tout intéressé,
constate que l'exécution du plan est achevée » ;
7. Considérant que les dispositions précitées du code de commerce relatives au
plan de sauvegarde sont rendues applicables au plan de redressement par le
premier alinéa de l'article L. 631-19 du même code ;
8. Considérant que dans le cadre de l'exécution du plan de sauvegarde ou de
redressement, le tribunal compétent pour statuer sur les incidents survenus à
l'occasion de cette exécution est le même que le tribunal qui a arrêté le plan ;
que les dispositions contestées confient à ce tribunal la faculté de se saisir
d'office aux fins de prononcer la résolution de ce plan et d'ouvrir une «
nouvelle procédure », selon le cas, de redressement judiciaire ou de liquidation
judiciaire ; que le législateur a ainsi reconnu au tribunal la faculté
d'introduire de sa propre initiative une nouvelle instance distincte de celle à
l'issue de laquelle le plan de sauvegarde ou le plan de redressement a été
arrêté ;
9. Considérant qu'en permettant au tribunal de se saisir d'office pour prononcer
la résolution du plan, les dispositions contestées ont pour objet, d'une part,
d'assurer l'exécution effective, par le débiteur, du plan de sauvegarde ou du
plan de redressement et, d'autre part, d'éviter l'aggravation irrémédiable de la
situation de l'entreprise ; que, par suite, le législateur a poursuivi un but
d'intérêt général ;
10. Considérant, toutefois, que ni les dispositions contestées ni aucune autre
disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se
saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue
de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier
au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties ; que, par
suite, les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir
d'office aux fins de prononcer la résolution du plan de sauvegarde ou de
redressement judiciaire méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de
la Déclaration de 1789 ; que, dès lors, la seconde phrase du paragraphe II de
l'article L. 626-27 du code de commerce doit être déclarée contraire à la
Constitution ;
11. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de la seconde phrase
du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code de commerce prend effet à
compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle est
applicable à tous les jugements statuant sur la résolution d'un plan de
sauvegarde ou de redressement judiciaire rendus postérieurement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- La seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code
de commerce est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 décembre
2013, par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
posée par la SAS Labeyrie. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe
V de l'article 230 H du code général des impôts.
L'article 230 H du code général des impôts instaure une imposition dénommée
contribution supplémentaire à l'apprentissage, dont l'assiette correspond aux
rémunérations des salariés. Le premier alinéa du paragraphe V de cet article
prévoit qu'en cas de défaut de versement ou de versement insuffisant de la
contribution supplémentaire à l'apprentissage, le montant de cette contribution
est majoré de l'insuffisance constatée. Le Conseil constitutionnel, écartant les
griefs de la société requérante fondés sur l'article 8 de la Déclaration des
droits de l'homme de 1789, a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
D'une part, le Conseil constitutionnel a jugé que cette majoration en cas
d'infraction aux dispositions législatives relatives à la liquidation et à
l'acquittement de la contribution, qui tend à sanctionner les personnes ayant
liquidé de manière erronée ou ayant éludé le paiement de la contribution, a le
caractère d'une punition.
D'autre part, le Conseil a relevé que le législateur a défini de manière
suffisamment claire et précise le manquement à l'obligation fiscale et la
sanction dont il est assorti et qu'en fixant une majoration de la contribution
proportionnelle, égale au montant de la contribution due pour l'année écoulée
qui n'a pas été acquittée, il a institué une sanction qui ne revêt pas, en
elle-même, un caractère manifestement disproportionné. Le Conseil
constitutionnel a rappelé que, lorsqu'elle se cumule avec une autre sanction
ayant le caractère d'une punition, cette majoration de la contribution
supplémentaire à l'apprentissage ne peut conduire à ce que le montant global des
sanctions éventuellement prononcées dépasse le montant le plus élevé de l'une
des sanctions encourues.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13
janvier 2014 ;
Vu les observations produites pour la requérante par Me Muriel Gasser, avocat au
barreau de Bayonne, enregistrées le 21 janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Gasser, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 25 février 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe I de l'article 230 H du
code général des impôts institue une contribution supplémentaire à
l'apprentissage ; qu'aux termes du premier alinéa du paragraphe V de cet article
: « Le montant de la contribution mentionnée au I est versé aux organismes
collecteurs agréés mentionnés aux articles L. 6242-1 et L. 6242-2 du code du
travail avant le 1er mars de l'année suivant celle du versement des salaires. À
défaut de versement ou en cas de versement insuffisant à la date précitée, le
montant de la contribution est versé au comptable public compétent selon les
modalités définies au III de l'article 1678 quinquies, majoré de l'insuffisance
constatée » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, le premier alinéa du paragraphe
V de l'article 230 H du code général des impôts, en tant qu'il prévoit, à défaut
de versement ou en cas de versement insuffisant, une majoration du montant de la
contribution supplémentaire à l'apprentissage égale à l'insuffisance constatée,
méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les
principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des
peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en
vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée » ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non
seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à
toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
4. Considérant que l'article 230 H du code général des impôts instaure une
imposition dénommée contribution supplémentaire à l'apprentissage, qui a pour
assiette les rémunérations des salariés ; que le premier alinéa du para graphe V
de l'article 230 H prévoit qu'en cas de défaut de versement ou de versement
insuffisant de la contribution supplémentaire à l'apprentissage le 1er mars de
l'année suivant celle du versement des salaires, le montant de la contribution
qui doit être versé au comptable public compétent selon les modalités définies
au paragraphe III de l'article 1678 quinquies du code général des impôts est
majoré de l'insuffisance constatée ; que cette majoration de la contribution en
cas d'infraction aux dispositions législatives relatives à la liquidation et à
l'acquittement de la contribution, qui tend à sanctionner les personnes ayant
liquidé de manière erronée ou ayant éludé le paiement de la contribution, a le
caractère d'une punition ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le législateur tient de l'article 34 de la
Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui
résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de définir les
crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;
6. Considérant qu'en prévoyant que la majoration de la contribution
supplémentaire à l'apprentissage est appliquée à l'insuffisance constatée à la
date à laquelle la personne doit s'être acquittée de cette imposition et en
fixant le montant de cette majoration à celui de l'imposition non acquittée, le
législateur a défini de manière suffisamment claire et précise le manquement à
l'obligation fiscale et la sanction dont il est assorti ; que, par suite, les
dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits
et des peines ;
7. Considérant, en troisième lieu, que l'article 61-1 de la Constitution ne
confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de
décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement
compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives
soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que,
si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir
d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de
s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine
encourue ; qu'en outre, le principe d'individualisation des peines qui découle
de l'article 8 de la Déclaration de 1789 implique que la majoration des droits,
lorsqu'elle constitue une sanction ayant le caractère d'une punition, ne puisse
être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a
expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque
espèce ; qu'il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles
assurant une répression effective des infractions ; qu'il n'implique pas
davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la
personnalité de l'auteur de l'infraction ;
8. Considérant qu'en fixant une majoration de la contribution proportionnelle,
égale au montant de la contribution due pour l'année écoulée qui n'a pas été
versé aux organismes collecteurs agréés au 1er mars de l'année suivante, le
premier alinéa du paragraphe V de l'article 230 H du code général des impôts
institue une sanction qui ne revêt pas, en elle-même, un caractère manifestement
disproportionné ;
9. Considérant que la majoration de la contribution, qui peut sanctionner soit
un manquement relatif à la liquidation de l'imposition soit un manquement
relatif à son acquittement, n'est, en vertu du deuxième alinéa du paragraphe IV
de l'article 230 H, pas exclusive de l'application des sanctions applicables aux
taxes sur le chiffre d'affaires, et notamment de celles prévues par les articles
1728 et 1729 du code général des impôts qui revêtent le caractère d'une punition
; que le principe d'un tel cumul de sanctions n'est pas, en lui-même, contraire
au principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la
Déclaration de 1789 ; que, toutefois, lorsque deux sanctions prononcées pour un
même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité
implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions
éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des
sanctions encourues ; qu'il appartient donc aux autorités administratives
compétentes de veiller au respect de cette exigence ; que, sous cette réserve,
le grief tiré de la violation des principes de nécessité et de proportionnalité
des peines doit être écarté ;
10. Considérant qu'en instituant, dans le recouvrement de l'impôt, une
majoration égale au montant de l'insuffisance constatée, les dispositions
contestées visent à prévenir et à réprimer les défauts ou retards volontaires de
liquidation ou d'acquittement de l'impôt ; qu'elles instituent une sanction
financière dont la nature est directement liée à celle de l'infraction et dont
le montant, égal à l'insuffisance constatée, correspond à la part inexécutée
d'une obligation fiscale ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas le
principe d'individualisation des peines ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous la réserve énoncée au
considérant 9, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 9, le premier alinéa du
paragraphe V de l'article 230 H du code général des impôts est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 mars 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
LA PROCEDURE DE SAISIE DES NAVIRES EN MATIERE D'INFRACTIONS A LA PÊCHE MARITIME, EST NON CONFORME A LA CONVENTION
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 janvier 2014,
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Bertrand L. et treize autres requérants dans dix procédures. Cette
question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des articles L. 943-4 et L. 943-5 du code rural et de la
pêche maritime (CRPM).
Ces articles L. 943-4 et L. 943-5 du CRPM sont relatifs à la saisie de navires
utilisés pour commettre des infractions en matière de pêche maritime. D'une
part, l'article L. 943-4 prévoit que l'autorité administrative ayant procédé à
la saisie doit adresser au juge des libertés et de la détention (JLD) dans un
délai de trois jours ouvrés à compter de cette saisie, une requête afin que le
magistrat décide, dans un délai de trois jours, de confirmer la saisie ou de
remettre en circulation le navire. D'autre part, en vertu de l'article L. 943-5,
en cas de confirmation de la saisie, le magistrat fixe le montant du
cautionnement dont le versement emportera la mainlevée de celle-ci. À défaut de
ce versement, le tribunal peut, au jour où il statue au fond, prononcer la
confiscation du navire et ordonner qu'il soit détruit, vendu, remis à un service
de l'État ou à une institution spécialisée de l'enseignement maritime.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la procédure de saisie définie aux
articles L. 943-4 et L. 943-5 du CRPM est dénuée de caractère contradictoire et
que, pendant toute la durée de l'enquête, il n'existe pas de voie de droit
permettant la remise en cause de la décision autorisant la saisie et fixant le
cautionnement. Il en va de même si la juridiction n'est pas saisie de
poursuites. Dès lors, au regard des conséquences qui résultent de l'exécution de
la mesure de saisie, le Conseil constitutionnel a jugé que ces deux articles
méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789
et privent de garanties légales la protection constitutionnelle de la liberté
d'entreprendre et du droit de propriété. Il les a déclarés contraires à la
Constitution. Cette déclaration d'inconstitutionnalité, qui prend effet à
compter de la date de publication de la décision du Conseil, est applicable aux
affaires non jugées définitivement à cette date.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 janvier 2014
par la Cour de cassation (chambre criminelle, dix arrêts du 14 janvier 2014),
dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit des articles L. 943-4 et L. 943-5 du code
rural et de la pêche maritime et posée par :
- M. Bertrand L. (arrêt n° 7164 - QPC n° 2014-375) ;
- M. Ludovic B. (arrêt n° 7165 - QPC n° 2014-376) ;
- M. Franck Y., (arrêt n° 7166 - QPC n° 2014-377) ;
- M. Luc L. (arrêt n° 7167 QPC n° 2014-378) ;
- M. Ludovic L. (arrêt n° 7168 - QPC n° 2014-384) ;
- M. Cyril P. et la Société P. et Fils (arrêt n° 7169 QPC n° 2014-380) ;
- MM. Jérémy S. et Pascal M. (arrêt n° 7170 QPC n° 2014-379) ;
- MM. Wilfried R. et Philippe M. (arrêt n° 7171 QPC n° 2014-382) ;
- MM. Pascal M. et Bruno G. (arrêt n° 7172 QPC n° 2014 381) ;
- MM. Claude et Maxime M. (arrêt n° 7173 - QPC n° 2014-383).
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code rural et de la pêche maritime ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Boré et Salve de
Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10
février 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10
février 2014 ;
Vu les observations complémentaires produites par le Premier ministre à la
demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l'instruction,
enregistrées le 10 mars 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les
requérants et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 11 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions
prioritaires de constitutionnalité pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 943-4 du code rural et de la pêche
maritime, en cas de saisie conservatoire opérée dans le cadre de la pêche
maritime : « Dans un délai qui ne peut excéder trois jours ouvrés à compter de
la saisie, l'autorité compétente adresse au juge des libertés et de la détention
du lieu de la saisie une requête accompagnée du procès-verbal de saisie afin que
celui-ci confirme, par ordonnance prononcée dans un délai qui ne peut excéder
trois jours, la saisie du navire, de l'engin flottant ou du véhicule ou décide
de sa remise en libre circulation.
« En tout état de cause, l'ordonnance doit être rendue dans un délai qui ne peut
excéder six jours à compter de l'appréhension prévue à l'article L. 943-1 ou à
compter de la saisie.
« Toutefois, le délai de trois jours ouvrés prévu à l'article L. 943 1 pour la
remise des biens appréhendés à l'autorité compétente pour les saisir peut être
dépassé en cas de force majeure ou à la demande expresse du contrevenant. Dans
ce cas, le délai de six jours entre l'appréhension du navire ou de l'engin
flottant ou du véhicule et l'ordonnance de confirmation de la saisie prononcée
par le juge des libertés et de la détention peut être dépassé de la même durée »
;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 943-5 du code rural et de la pêche
maritime : « La mainlevée de la saisie du navire, de l'engin flottant ou du
véhicule est décidée par le juge des libertés et de la détention du lieu de la
saisie contre le dépôt d'un cautionnement dont il fixe le montant et les
modalités de versement dans les conditions fixées à l'article 142 du code de
procédure pénale.
« À défaut de versement du cautionnement au jour où il statue au fond, le
tribunal peut prononcer la confiscation du navire, de l'engin flottant ou du
véhicule s'il a été conservé en l'état et ordonner qu'il sera détruit, vendu,
remis à un service de l'État ou à une institution spécialisée de l'enseignement
maritime. En cas de vente, il statue sur la destination du produit de la vente.
« En l'absence de saisine d'une juridiction pour statuer au fond et à défaut de
versement du cautionnement, le procureur de la République saisit le juge des
libertés et de la détention du lieu de la saisie pour qu'il statue sur le sort
du bien saisi » ;
4. Considérant que les requérants font valoir que ces dispositions ne prévoient
aucun recours juridictionnel permettant aux personnes dont le bien a fait
l'objet d'une saisie confirmée par le juge des libertés et de la détention, et
maintenue à défaut de versement d'un cautionnement fixé par ce magistrat, de
contester, sans attendre le classement de l'affaire ou la saisine de la
juridiction de jugement, la légalité et la proportionnalité de la saisie et du
cautionnement ordonnés en dehors de tout débat contradictoire ; qu'en cela,
elles méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit de
propriété, la liberté d'entreprendre et le droit au travail ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de
Constitution » ; que sont garantis par cette disposition, le droit des personnes
intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès
équitable, ainsi que le principe du contradictoire ;
6. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés
par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son
article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en
être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée,
l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ;
qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il
résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes
portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et
proportionnées à l'objectif poursuivi ;
7. Considérant que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la
Déclaration de 1789 ; qu'il est loisible au législateur d'apporter à cette
liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées
par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes
disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
8. Considérant qu'en vertu de l'article L. 943-1 du code rural et de la pêche
maritime, les agents dont la liste est fixée à l'article L. 942-1 du même code
sont habilités à rechercher et constater les infractions en matière de pêche
maritime ; qu'ils peuvent à cet effet prendre des mesures conservatoires et
notamment procéder à l'appréhension, en vue de les remettre à l'autorité
compétente pour qu'elle ordonne leur saisie, des filets, des engins, des
matériels, des équipements utilisés en plongée ou en pêche sous-marines, de tous
instruments utilisés à des fins de pêche, des véhicules, des navires ou engins
flottants ayant servi à pêcher ou à transporter des produits obtenus en
infraction ainsi que des produits qui sont susceptibles de saisie ou des sommes
reçues en paiement de ces produits et, plus généralement, de tout objet ayant
servi à commettre l'infraction ou destiné à la commettre ; que la remise des
biens appréhendés à l'autorité compétente doit intervenir dans un délai qui ne
peut excéder trois jours ouvrés à compter de l'appréhension ; que cette autorité
dispose d'un délai de trois jours pour ordonner la saisie ou la restitution des
biens appréhendés ; qu'en vertu de l'article L. 943-3 du même code, les navires
et engins flottants sont déroutés jusqu'au port désigné par l'autorité
compétente et consignés entre les mains du service territorialement compétent ;
9. Considérant qu'en vertu de l'article L. 943-4 contesté, l'autorité doit
adresser au juge des libertés et de la détention dans un délai de trois jours
ouvrés à compter de la saisie, une requête accompagnée du procès-verbal de
saisie afin que le magistrat confirme celle-ci ou décide la remise en
circulation du navire, le juge devant alors statuer dans un délai de trois jours
;
10. Considérant qu'en vertu de l'article L. 943-5 contesté, en cas de
confirmation de la saisie, le magistrat fixe le montant et les modalités de
versement du cautionnement qui emportera la mainlevée de celle-ci ; qu'à défaut
de ce versement, le tribunal peut, au jour où il statue au fond, prononcer la
confiscation du navire, de l'engin flottant ou du véhicule s'il a été conservé
en l'état et ordonner qu'il sera détruit, vendu, remis à un service de l'État ou
à une institution spécialisée de l'enseignement maritime ;
11. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, lorsque le tribunal
correctionnel est saisi, l'article 478 du code de procédure pénale prévoit que
le prévenu, la partie civile ou la personne civilement responsable, peut
réclamer au tribunal la restitution des objets placés sous main de justice ; que
le tribunal peut ordonner d'office cette restitution, mais aussi réduire le
montant du cautionnement ; que, d'autre part, en vertu des deux premiers alinéas
de l'article 41-4 du code de procédure pénale, lorsque la juridiction saisie a
épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets, le
procureur de la République ou le procureur général est compétent pour décider,
d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque la propriété
n'en est pas sérieusement contestée, cette décision pouvant faire l'objet d'un
recours devant la juridiction de jugement ; que, toutefois, les dispositions des
articles 41-4 et 478 du code de procédure pénale ne trouvent à s'appliquer
qu'après que la juridiction du fond a été saisie ;
12. Considérant, en second lieu, qu'en vertu des dispositions contestées, le
juge des libertés et de la détention confirme la saisie, au terme d'une
procédure qui n'est pas contradictoire, par une décision qui n'est pas
susceptible de recours ; qu'ainsi, pendant toute la durée de l'enquête, la
personne dont le navire est saisi ne dispose d'aucune voie de droit lui
permettant de contester la légalité ou le bien-fondé de la mesure ainsi que le
montant du cautionnement ; qu'elle ne peut davantage demander la mainlevée de la
saisie ou du cautionnement ; que lorsque la juridiction n'est pas saisie de
poursuites, le dernier alinéa de l'article L. 943-5 du code rural et de la pêche
maritime prévoit, par dérogation aux dispositions des deux premiers alinéas de
l'article 41-4 du code de procédure pénale précité, que seul le procureur de la
République peut saisir le juge compétent pour statuer sur le sort du bien saisi
;
13. Considérant, au surplus, qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article L.
943-5 précité, le seul fait de ne pas s'être acquitté du montant du
cautionnement fixé par le juge des libertés et de la détention permet au
tribunal d'ordonner la confiscation du navire lorsqu'il statue au fond ;
qu'aucune disposition ne réserve par ailleurs les droits des propriétaires de
bonne foi ;
14. Considérant qu'au regard des conséquences qui résultent de l'exécution de la
mesure de saisie, la combinaison du caractère non contradictoire de la procédure
et de l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision du
juge autorisant la saisie et fixant le cautionnement conduit à ce que la
procédure prévue par les articles L. 943-4 et L. 943-5 méconnaisse les exigences
découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et prive de garanties
légales la protection constitutionnelle de la liberté d'entreprendre et du droit
de propriété ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres griefs, les articles L. 943-4 et L. 943-5 du code rural et
de la pêche maritime doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
16. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des articles L. 943-4
et L. 943-5 du code rural et de la pêche maritime prend effet à compter de la
date de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable aux
affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles L. 943-4 et L. 943-5 du code rural et de la pêche
maritime sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 16.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 mars 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 janvier 2014,
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Joël M. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du 5° de l'article 3 de l'ordonnance du 28
juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers
ministériels.
L'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 définit l'échelle des peines
disciplinaires applicables aux notaires, huissiers de justice et
commissaires-priseurs judiciaires. Son 5° prévoit la peine de l'interdiction
temporaire. Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition conforme à la
Constitution.
D'une part, l'interdiction temporaire s'inscrit dans une échelle de peines
disciplinaires dont la plus élevée est la destitution qui implique, pour la
personne condamnée, l'interdiction définitive d'exercer. Dès lors, le
législateur pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des peines, ne pas
fixer de limite à la durée de l'interdiction temporaire.
D'autre part, en cas d'interdiction temporaire d'exercer, la loi prévoit la
nomination d'un administrateur qui paie, à concurrence des produits de l'office,
les charges afférentes à son fonctionnement. L'officier public ou ministériel
conserve son droit de présentation ainsi que le droit d'exercer une activité
professionnelle. Le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n'a pas
méconnu le principe de nécessité des peines en prévoyant qu'un officier public
ou ministériel qui a manqué aux devoirs de sa charge puisse être condamné à
titre disciplinaire à une interdiction temporaire. En confiant à une juridiction
disciplinaire le soin de fixer la durée de cette interdiction temporaire en
fonction de la gravité des manquements réprimés, il n'a pas davantage méconnu le
principe d'individualisation des peines.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires
et de certains officiers ministériels ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP BGBJ, avocat au
barreau d'Épinal, enregistrées les 13 et 28 février 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13
février 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Alain Bégel, avocat au barreau d'Épinal, pour le requérant, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 18 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin
1945 susvisée est relatif à la discipline des notaires, des huissiers de justice
et des commissaires-priseurs judiciaires ; qu'aux termes de cet article : « Les
peines disciplinaires sont :
« 1° Le rappel à l'ordre ;
« 2° La censure simple ;
« 3° La censure devant la chambre assemblée ;
« 4° La défense de récidiver ;
« 5° L'interdiction temporaire ;
« 6° La destitution » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en ne prévoyant pas de durée maximale
pour la peine d'interdiction temporaire, les dispositions contestées
méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines, ainsi que les
principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 5°
de l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 susvisée ;
4. Considérant que l'article 2 de l'ordonnance du 28 juin 1945 susvisée dispose
: « Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles
professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l'honneur ou à la
délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à
des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire » ; que
l'action disciplinaire peut être engagée devant la chambre de discipline du
conseil régional de l'ordre ou devant le tribunal de grande instance ; que seul
le tribunal de grande instance peut prononcer l'interdiction temporaire ;
5. Considérant que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et
évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et
promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les
principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par
les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère
d'une punition ; que tel est le cas des peines disciplinaires instituées par
l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 susvisée ;
6. Considérant, en premier lieu, que le principe de légalité des peines impose
au législateur de fixer les sanctions disciplinaires en des termes suffisamment
clairs et précis pour exclure l'arbitraire ;
7. Considérant que la peine disciplinaire d'interdiction temporaire s'inscrit
dans une échelle de peines disciplinaires énumérées par les dispositions de
l'article 3 de l'ordonnance du 28 juin 1945 susvisée et dont la peine la plus
élevée est la destitution qui implique, pour la personne condamnée,
l'interdiction définitive d'exercer ; que, dès lors, le législateur pouvait,
sans méconnaître le principe de légalité des peines, ne pas fixer de limite à la
durée de l'interdiction temporaire ;
8. Considérant, en second lieu, que l'article 61-1 de la Constitution ne confère
pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision
de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour
se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son
examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la
nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation
du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer, en matière
disciplinaire, de l'absence d'inadéquation manifeste entre les peines
disciplinaires encourues et les obligations dont elles tendent à réprimer la
méconnaissance ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 23 de l'ordonnance du 28 juin 1945 : «
Les officiers publics ou ministériels interdits ne peuvent, pendant la durée de
cette interdiction, exercer aucune activité dans leur office ou pour le compte
de celui-ci » ; que, selon l'article 26, « l'officier public ou ministériel
interdit ou destitué doit, dès l'époque où le jugement est devenu exécutoire
s'abstenir de tout acte professionnel » ; qu'il ne peut notamment ni donner des
consultations, ni rédiger des projets d'actes ni faire état dans sa
correspondance de sa qualité d'officier public ou ministériel ; que l'article 20
prévoit la nomination d'un administrateur pour remplacer l'officier public ou
ministériel interdit ; que l'administrateur perçoit à son profit les émoluments
et autres rémunérations relatifs aux actes qu'il a accomplis et paie, à
concurrence des produits de l'office, les charges afférentes au fonctionnement
de celui-ci ; que l'officier public ou ministériel interdit conserve son droit
de présentation ainsi que le droit d'exercer une autre activité professionnelle
;
10. Considérant qu'en prévoyant qu'un officier public ou ministériel qui a
manqué aux devoirs de son état puisse être condamné à titre disciplinaire à une
interdiction temporaire dans ces conditions, les dispositions contestées ne
méconnaissent pas le principe de nécessité des peines ;
11. Considérant qu'en outre, en confiant à une juridiction disciplinaire le soin
de fixer la durée de l'interdiction temporaire en fonction de la gravité des
manquements réprimés, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe
d'individualisation des peines ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées
ne méconnaissent pas les exigences résultant de l'article 8 de la Déclaration de
1789 ; que les dispositions contestées, qui ne ne méconnaissent aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 5° de l'article 3 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945
relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels est
conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 27 mars 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2014,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la collectivité de Saint-Barthélemy. Cette question était relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa
du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre
2007 de finances rectificative pour 2007, dans sa rédaction issue de l'article 6
de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.
À la suite de la transformation de la collectivité de Saint-Barthélemy en
collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, la loi
organique a défini les modalités financières des transferts de compétences. Elle
a prévu que le transfert de charges est notamment compensé par l'attribution
d'une dotation globale de compensation inscrite au budget de l'État. La
disposition contestée a, compte tenu de l'excédent des ressources de la
collectivité de Saint-Barthélemy sur les charges transférées, prévu les
conditions dans lesquelles la collectivité devrait s'acquitter des montant dus à
l'État au titre de cette dotation (5,6 millions d'euros pour l'année 2008). Le
Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a notamment relevé que les dispositions contestées,
qui précisent les modalités de mise en œuvre de l'ajustement de la compensation
financière au moyen de la dotation globale de compensation, ont pour seul objet
d'assurer l'équilibre financier de la compensation des transferts de compétences
à la collectivité de Saint-Barthélemy. Elles ne portent, en elles-mêmes, aucune
atteinte à la libre administration de cette collectivité. Elles n'ont ni pour
objet ni pour effet de modifier l'étendue de la compétence de la collectivité de
Saint-Barthélemy en matière de fiscalité. Elles n'ont pas non plus pour effet de
réduire les ressources propres de cette collectivité dans des proportions telles
que serait méconnue son autonomie financière. Elles sont conformes aux articles
72, 72-2 et 74 de la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions
statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, ensemble la décision
du Conseil constitutionnel n° 2007-547 DC du 15 février 2007 ;
Vu la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 ;
Vu la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la collectivité requérante par la SCP de
Chaisemartin-Courjon, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et le
CMS Bureau Francis Lefebvre, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées
le 17 février 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Arnaud de Chaisemartin et Me Stéphane Austry pour la collectivité requérante,
et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à
l'audience publique du 18 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe II de l'article 104 de la loi du 25 décembre
2007 susvisée définit les modalités de calcul de la dotation globale de
compensation de Saint-Barthélemy visée à l'article L.O. 6371-5 du code général
des collectivités territoriales ; qu'aux termes du 3° de ce paragraphe II, dans
sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 30 décembre 2008 susvisée : « 3°
La dotation globale de compensation visée au 1° est abondée :
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise et la
fiscalité perçue par l'État sur le territoire de la collectivité ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit de la région de la Guadeloupe sur le territoire de la collectivité et la
fiscalité recouvrée par l'État à ce titre ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit du département de la Guadeloupe sur le territoire de la collectivité et
la fiscalité recouvrée par l'État à ce titre ;
« - d'un montant correspondant à la différence entre la fiscalité émise au
profit de la commune de Saint-Barthélemy et la fiscalité recouvrée par l'État à
ce titre ;
« - d'un montant correspondant à la moyenne annuelle du produit des amendes
forfaitaires de la police de la circulation routière reversé par l'État à la
commune de Saint-Barthélemy au titre des exercices 1998 à 2007 inclus,
conformément aux dispositions des articles L. 2334-24 et L. 2334-25 du code
général des collectivités territoriales ;
« - du montant correspondant à la moyenne annuelle des crédits de paiement de la
dotation globale d'équipement des communes versés à la commune de
Saint-Barthélemy au titre des exercices 1998 à 2007 inclus, en application des
articles L. 2334-32 à L. 2334-34 du même code ;
« - du montant cumulé de dotation globale de fonctionnement, calculé au profit
de la collectivité de Saint-Barthélemy en 2008, en application de l'article L.
6264-3 du même code;
« - et du montant de dotation globale de construction et d'équipement scolaire,
calculé au profit de la collectivité de Saint-Barthélemy en 2008, en application
de l'article L. 6264-5 du même code.
« Le montant de la dotation globale de compensation, après abondements, fait
l'objet d'un titre de perception émis chaque année par le préfet de la région
Guadeloupe durant le mois de janvier de l'année considérée, pour paiement au
plus tard six mois après son émission. Par exception, pour la récupération du
trop-versé en 2008, il est émis deux titres de perception, l'un en 2009, l'autre
en 2010, portant chacun sur un montant de 2 814 129 € » ;
2. Considérant que la collectivité requérante soutient qu'en permettant à l'État
« la récupération du trop-versé », lorsque le calcul de la dotation globale de
compensation fait apparaître un excédent des ressources de la collectivité de
Saint-Barthélemy sur les charges transférées, ces dispositions méconnaissent les
exigences qui résultent des articles 72, 72-2 et 74 de la Constitution et
portent atteinte au droit au respect des situations légalement acquises ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi du 25 décembre
2007 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 30 décembre
2008 susvisée ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES EXIGENCES QUI RÉSULTENT DES
ARTICLES 72, 72-2 ET 74 DE LA CONSTITUTION :
4. Considérant que la collectivité requérante fait valoir que les dispositions
contestées empiètent sur le domaine de compétence du législateur organique pour
fixer les règles en matière de répartition des compétences et des ressources
entre l'État et une collectivité territoriale régie par l'article 74 de la
Constitution ;
5. Considérant que, selon la collectivité requérante, en autorisant l'État à
émettre un titre de perception à son encontre lorsque le calcul de la dotation
globale de compensation fait apparaître un solde négatif, les dispositions
contestées méconnaissent le principe de libre administration des collectivités
territoriales ; qu'en outre, la collectivité requérante soutient que ces
dispositions portent atteinte au statut d'autonomie qui a été conféré à
Saint-Barthélemy en application de l'article 74 en permettant que les ressources
fiscales transférées à cette collectivité puissent faire l'objet d'un
prélèvement au profit de l'État ;
6. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la
détermination des principes fondamentaux de la libre administration des
collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; que,
si, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités
territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et «
bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », chacune
d'elles le fait « dans les conditions prévues par la loi » ; qu'aux termes du
quatrième alinéa de l'article 72-2 : « Tout transfert de compétences entre
l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de
ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute
création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les
dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources
déterminées par la loi » ;
7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 74 de la
Constitution : « Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont
un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la
République » ; qu'aux termes du deuxième alinéa du même article : « ce statut
est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante.
. . » ;
. En ce qui concerne l'atteinte au domaine réservé par la Constitution à la loi
organique :
8. Considérant que la méconnaissance, par le législateur, du domaine que la
Constitution a réservé à la loi organique, ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de
la Constitution ; que, par suite, le grief doit, en tout état de cause, être
écarté ;
. En ce qui concerne la méconnaissance des principes de la libre administration
et de l'autonomie des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution :
9. Considérant qu'il résulte de l'article L.O. 6214-1 du code général des
collectivités territoriales, issu de la loi organique du 21 février 2007
susvisée, que le législateur organique a confié à la collectivité de
Saint-Barthélemy régie par l'article 74 de la Constitution l'exercice des «
compétences dévolues par les lois et règlements en vigueur aux communes, ainsi
que celles dévolues au département de la Guadeloupe et à la région de la
Guadeloupe » ; qu'en vertu de l'article L.O. 6214-3 du même code, la
collectivité est habilitée à fixer les règles applicables dans certaines
matières, notamment en matière d'« impôts, droits et taxes dans les conditions
prévues à l'article L.O. 6214-4 » ; qu'aux termes de l'article L.O. 6271-4 du
même code : « Tout accroissement net de charges résultant des transferts de
compétences effectués entre l'État, la région ou le département de la Guadeloupe
ou la commune de Saint-Barthélemy et la collectivité de Saint-Barthélemy est
accompagné du transfert concomitant à la collectivité de Saint-Barthélemy des
ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences » ; que, selon le
premier alinéa de l'article L.O. 6271-5 du même code, « les charges mentionnées
à l'article L.O. 6271-4 sont compensées par le transfert d'impôts, la dotation
globale de fonctionnement instituée par l'article L. 6264-3, la dotation globale
de construction et d'équipement scolaire instituée par l'article L. 6264-5 et,
pour le solde, par l'attribution d'une dotation globale de compensation inscrite
au budget de l'État. La loi de finances précise chaque année le montant de cette
dotation » ; que, selon le deuxième alinéa du même article, pour l'évaluation du
produit des impositions transférées, « est retenu le montant total des produits
fiscaux recouvrés au titre d'impositions établies sur le territoire de la
commune de Saint-Barthélemy, au profit de la commune, du département, de la
région et de l'État, la pénultième année précédant celle de l'entrée en vigueur
de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 » ; qu'ainsi qu'il résulte de
la réserve d'interprétation formulée au considérant 25 de la décision du Conseil
constitutionnel du 15 février 2007 susvisée, le calcul de la compensation
résultant des transferts de compétences doit nécessairement prendre en compte le
montant des recettes qu'aurait dû percevoir l'État la pénultième année précédant
celle de l'entrée en vigueur de la loi organique ;
10. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions organiques
relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy que, d'une part, les charges
transférées à cette collectivité lors de sa création sont compensées par le
transfert, à titre principal, de ressources fiscales et à titre subsidiaire, de
dotations et que, d'autre part, le solde de cette compensation est assuré par la
dotation globale de compensation ; que les dispositions contestées, qui
précisent les modalités de mise en oeuvre de l'ajustement de la compensation
financière au moyen de la dotation globale de compensation, ont pour seul objet
d'assurer l'équilibre financier de la compensation des transferts de compétences
à la collectivité de Saint-Barthélemy ; que ces dispositions, ne portent, en
elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration de cette collectivité ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées sont prises
en application des dispositions organiques relatives à la compensation
financière des compétences transférées à la collectivité de Saint-Barthélemy ;
que, pour le calcul de cette compensation, les ressources fiscales transférées
sont prises en compte pour leur produit potentiel en 2005, et que l'évolution
ultérieure de ces ressources est sans incidence sur le calcul de cette
compensation et sur le montant de la dotation globale de compensation ; que, par
suite, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier
l'étendue de la compétence de la collectivité de Saint-Barthélemy en matière de
fiscalité ; qu'elles n'ont pas non plus pour effet de réduire les ressources
propres de cette collectivité dans des proportions telles que serait méconnue
son autonomie financière ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la
méconnaissance des principes de la libre administration et de l'autonomie
financière des collectivités territoriales régies par l'article 74 de la
Constitution doivent être écartés ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE À UNE SITUATION LÉGALEMENT ACQUISE :
13. Considérant que la collectivité requérante soutient qu'il résultait des
dispositions législatives organiques et ordinaires en vigueur au 31 décembre
2008 qu'elle pouvait légitimement attendre des effets de ces dispositions que le
transfert de compétences résultant de la loi organique du 21 février 2007
susvisée ne ferait naître aucune créance au profit de l'État ; que, par
conséquent, les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences de
l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
14. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : «
Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
15. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans
le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger
ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce
faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences
constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt
général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni
remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles
situations ;
16. Considérant que les dispositions des articles L.O. 6271-4 et L.O. 6271-5 du
code général des collectivités territoriales ont défini les conditions dans
lesquelles doit être assurée la compensation financière des charges transférées
à la collectivité de Saint-Barthélemy ; que le 3° du paragraphe II de l'article
104 de la loi du 25 décembre 2007 susvisée a précisé les conditions de calcul de
la dotation globale de compensation destinée à ajuster les ressources
transférées aux charges transférées ; que ces dispositions n'avaient ni pour
objet ni pour effet de garantir que la dotation globale de compensation assurant
le « solde » de la compensation financière du transfert de compétences ne puisse
être mise à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy ; que, par suite,
le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la loi du 25
décembre 2007 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi du 30
décembre 2008 susvisée, qui précise les modalités de versement de cette dotation
globale de compensation par la collectivité de Saint-Barthélemy à l'État, ne
porte pas atteinte à une situation légalement acquise et ne remet pas en cause
les effets qui peuvent légitimement être attendus d'une telle situation ; que,
par suite, le grief tiré de l'atteinte aux exigences de l'article 16 de la
Déclaration de 1789 doit être écarté ;
17. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution ;
D É C I D E :
Article 1er.- Le dernier alinéa du 3° du paragraphe II de l'article 104 de la
loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, dans
sa rédaction issue de l'article 6 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de
finances rectificative pour 2008, est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 mars 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme
Nicole MAESTRACCI.
Société Sephora (Conditions de recours au travail de nuit)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 janvier 2014, par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société
Sephora. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit des articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36
du code du travail.
L'article L. 3122-32 du code du travail pose le principe selon lequel « le
recours au travail de nuit est exceptionnel ». Il précise, d'une part, que le
recours au travail de nuit prend « en compte les impératifs de protection de la
santé et de la sécurité des travailleurs » et, d'autre part, qu'il doit être «
justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou
des services d'utilité sociale ». Ces exceptions s'appliquent dans le cadre des
articles L. 3122-33 et L. 3122-36 du même code. Ceux-ci permettent alors la mise
en place du travail de nuit dans une entreprise ou un établissement dans le
cadre d'une convention ou d'un accord collectif ainsi que sur autorisation de
l'inspecteur du travail après des négociations loyales et sérieuses et avec des
contreparties vérifiées.
La société requérante soutenait que les dispositions contestées sont contraires
à la Constitution et notamment à la liberté d'entreprendre. Le Conseil s'est
inscrit dans la lignée de sa jurisprudence relative au travail dominical,
rappelée notamment dans sa décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009 relative à une
loi sur le travail le dimanche.
Le Conseil constitutionnel a notamment relevé qu'en prévoyant que le recours au
travail de nuit est exceptionnel et doit être justifié par la nécessité
d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité
sociale, le législateur, compétent en application de l'article 34 de la
Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, a
opéré une conciliation, qui n'est pas manifestement déséquilibrée, entre la
liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, et
les exigences du Préambule de 1946, notamment sur la protection de la santé et
le repos. Il a en conséquence écarté les griefs de la société requérante et jugé
les dispositions contestées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains
aspects de l'aménagement du temps de travail ;
Vu le code du travail ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour la Fédération des entreprises
du commerce et de la distribution par la SCP Gatineau - Fattaccini, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation et la SELARL Capstan LMS, avocat au
barreau de Paris, enregistrées le 31 janvier 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour la société Uniqlo par le
cabinet Exigens, avocat au barreau de Lille, enregistrées les 14 janvier et 5
février 2014 ;
Vu les observations produites pour la Fédération des employés et cadres de la
CGT force ouvrière, le Syndicat des employés du commerce Île-de-France-UNSA,
l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris,
le Syndicat CGT-Force ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, le
Syndicat Sud commerces et services Île-de-France et le Syndicat commerce
interdépartemental d'Île-de-France CFDT, parties en défense, par la SCP
Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 30 janvier et les 14 et 19 février 2014 ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Célice -
Blancpain - Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et le
cabinet Jeantet Associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 31
janvier et 20 février 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 31
janvier et 20 février 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean Néret, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Cédric
Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les
parties en défense, Me Anthony Brice, avocat au barreau de Lille, pour la
société Uniqlo, partie intervenante, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, pour la Fédération des entreprises du commerce
et de la distribution, partie intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 4 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3122-32 du
code du travail : « Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en
compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des
travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de
l'activité économique ou des services d'utilité sociale » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3122-33 du même code : « La mise en
place dans une entreprise ou un établissement du travail de nuit au sens de
l'article L. 3122-31 ou son extension à de nouvelles catégories de salariés sont
subordonnées à la conclusion préalable d'une convention ou d'un accord collectif
de branche étendu ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement.
« Cette convention ou cet accord collectif comporte les justifications du
recours au travail de nuit mentionnées à l'article L. 3122-32 » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3122-36 du même code : « Par
dérogation aux dispositions de l'article L. 3122-33, à défaut de convention ou
d'accord collectif de travail et à condition que l'employeur ait engagé
sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel
accord, les travailleurs peuvent être affectés à des postes de nuit sur
autorisation de l'inspecteur du travail accordée notamment après vérification
des contreparties qui leur seront accordées au titre de l'obligation définie à
l'article L. 3122-39, de l'existence de temps de pause et selon des modalités
fixées par décret en Conseil d'État.
« L'engagement de négociations loyales et sérieuses implique pour l'employeur
d'avoir :
« 1° Convoqué à la négociation les organisations syndicales représentatives dans
l'entreprise et fixé le lieu et le calendrier des réunions ;
« 2° Communiqué les informations nécessaires leur permettant de négocier en
toute connaissance de cause ;
« 3° Répondu aux éventuelles propositions des organisations syndicales » ;
- SUR LES CONCLUSIONS DE LA SOCIÉTÉ UNIQLO ET LES CONCLUSIONS PRINCIPALES DE LA
FÉDÉRATION DES ENTREPRISES DU COMMERCE ET DE LA DISTRIBUTION, INTERVENANTES :
4. Considérant, d'une part, que la société Uniqlo conclut à l'abrogation,
notamment, de l'article L. 3122-40 du code du travail dont le Conseil
constitutionnel n'est pas saisi ; que, d'autre part, la fédération intervenante
soutient, à titre principal, que les dispositions contestées ne sont conformes à
la liberté d'entreprendre et à la liberté de travailler qu'à la condition d'être
interprétées comme n'ayant pas pour effet d'interdire aux entreprises d'employer
des travailleurs entre 21 heures et minuit et entre 5 heures et 6 heures ; que
cette demande porte sur l'interprétation des dispositions des articles L.
3122-29 et L. 3122-30 du code du travail, relatives aux périodes de travail de
nuit, dont le Conseil constitutionnel n'est pas davantage saisi ; que, par
suite, les conclusions de la société Uniqlo doivent être rejetées en tant
qu'elles portent sur l'article L. 3122-40 du code du travail ; qu'il en va de
même des conclusions principales de la Fédération des entreprises du commerce et
de la distribution ;
- SUR LES CONCLUSIONS AUX FINS DE NON-LIEU :
5. Considérant que les parties en défense soutiennent, à titre principal, que
les dispositions contestées ont pour objet de transposer la directive du 23
novembre 1993 susvisée ; que, par suite, il n'y aurait pas lieu, pour le Conseil
constitutionnel, de statuer sur leur conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La
République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi
librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité
sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu'en
l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité
constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent
pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit
de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires
de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union
européenne ; qu'en ce cas, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne,
saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette
directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du Traité sur l'Union
européenne ;
7. Considérant, toutefois, que les dispositions contestées ne se bornent pas à
tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises
de la directive du 23 novembre 1993 ; que, par suite, les conclusions de
non-lieu des parties en défense doivent être rejetées ;
- SUR LE FOND :
8. Considérant que, selon la société requérante et les parties intervenantes,
les dispositions contestées sont entachées d'une incompétence négative ;
qu'elles méconnaîtraient également l'objectif de valeur constitutionnelle
d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ainsi que le principe de légalité
des délits et des peines ; que ces dispositions méconnaîtraient la liberté
d'entreprendre et le droit de chacun d'obtenir un emploi ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'incompétence négative :
9. Considérant que, selon la société requérante, en ne définissant pas avec
précision les critères du recours au travail de nuit, le législateur n'aurait
pas épuisé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
qu'elle soutient que cette incompétence négative affecterait la liberté
d'entreprendre, la liberté des travailleurs et le principe d'égalité devant la
loi ;
10. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi
détermine les principes fondamentaux... du droit du travail » ; que le Préambule
de 1946 dispose, en son huitième alinéa, que : « Tout travailleur participe, par
l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de
travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'il ressort de ces
dispositions que, s'il est loisible au législateur de confier à la convention
collective le soin de préciser les modalités concrètes d'application des
principes fondamentaux du droit du travail et de prévoir qu'en l'absence de
convention collective ces modalités d'application seront déterminées par décret,
il lui appartient d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34
de la Constitution ;
12. Considérant que l'article L. 3122-32 du code du travail pose le principe
selon lequel « le recours au travail de nuit est exceptionnel » ; qu'il précise,
d'une part, que le recours au travail de nuit prend « en compte les impératifs
de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » et, d'autre part,
qu'il doit être « justifié par la nécessité d'assurer la continuité de
l'activité économique ou des services d'utilité sociale » ; qu'en vertu du
premier alinéa de l'article L. 3122-33 du même code, la mise en place dans une
entreprise ou un établissement de postes de travailleurs de nuit ou l'extension
de tels postes à de nouvelles catégories de salariés est subordonnée à la
conclusion d'une convention ou d'un accord collectif de branche étendu ou d'un
accord d'entreprise ou d'établissement ; que, selon le second alinéa du même
article, cette convention ou cet accord collectif comporte les justifications du
recours au travail de nuit mentionnées à l'article L. 3122-32 ; qu'« à défaut de
convention ou d'accord collectif de travail et à condition que l'employeur ait
engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un
tel accord », l'article L. 3122-36 du même code prévoit que « les travailleurs
peuvent être affectés à des postes de nuit sur autorisation de l'inspecteur du
travail accordée notamment après vérification des contreparties qui leur seront
accordées au titre de l'obligation définie à l'article L. 3122-39, de
l'existence de temps de pause et selon des modalités fixées par décret en
Conseil d'État » ; que selon le même article, « l'engagement de négociations
loyales et sérieuses implique pour l'employeur d'avoir :
« 1° Convoqué à la négociation les organisations syndicales représentatives dans
l'entreprise et fixé le lieu et le calendrier des réunions ;
« 2° Communiqué les informations nécessaires leur permettant de négocier en
toute connaissance de cause ;
« 3° Répondu aux éventuelles propositions des organisations syndicales » ;
13. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a consacré
le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit ; qu'il a précisé que ce
recours doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la
sécurité des travailleurs ; qu'il a défini les critères en fonction desquels le
recours au travail de nuit peut être justifié ; qu'en particulier, s'il
appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle de la juridiction
compétente, d'apprécier les situations de fait répondant aux critères de «
continuité de l'activité économique » ou de « service d'utilité sociale », ces
critères ne revêtent pas un caractère équivoque ; qu'en subordonnant la mise en
place du travail de nuit dans une entreprise ou un établissement à la conclusion
préalable d'une convention ou d'un accord collectif de branche étendu ou d'un
accord d'entreprise ou d'établissement et, à défaut, à une autorisation de
l'inspecteur du travail, le législateur a confié, d'une part, à la négociation
collective le soin de préciser les modalités concrètes d'application des
principes fondamentaux du droit du travail et, d'autre part, à l'autorité
administrative, le pouvoir d'accorder certaines dérogations dans des conditions
fixées par la loi ; que, par suite, le grief tiré de l'incompétence négative du
législateur doit être écarté ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre :
14. Considérant que, selon la société intervenante, en réservant le recours au
travail de nuit aux seuls employeurs justifiant de la nécessité d'assurer la
continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, les
dispositions de l'article L. 3122-32 du code du travail méconnaissent la liberté
d'entreprendre ;
15. Considérant que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'il est toutefois
loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des
exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition
qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif
poursuivi ;
16. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution
de 1946, « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions
nécessaires à leur développement » ; qu'aux termes de son onzième alinéa, « elle
garantit à tous... la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos
et les loisirs » ;
17. Considérant qu'en prévoyant que le recours au travail de nuit est
exceptionnel et doit être justifié par la nécessité d'assurer la continuité de
l'activité économique ou des services d'utilité sociale, le législateur,
compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les
principes fondamentaux du droit du travail, a opéré une conciliation qui n'est
pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre, qui découle de
l'article 4 de la Déclaration de 1789, et les exigences tant du dixième alinéa
que du onzième alinéa du Préambule de 1946 ; que, par suite, le grief tiré de la
méconnaissance de la liberté d'entreprendre doit être écarté ;
. En ce qui concerne les autres griefs :
18. Considérant que les dispositions législatives contestées n'instituent aucune
sanction ayant le caractère de punition et ne définissent pas les éléments
constitutifs d'un crime ou d'un délit ; que, par suite, le grief tiré de la
méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines dirigé contre
ces dispositions est inopérant ;
19. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de
cause pas entachées d'inintelligibilité, ne méconnaissent ni le droit pour
chacun d'obtenir un emploi ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36 du code du
travail sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme
Nicole MAESTRACCI.
Société Sephora (Effet suspensif du recours contre les
dérogations préfectorales au repos dominical)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 janvier 2014, par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société
Sephora. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit de l'article L. 3132-24 du code du travail.
L'article L. 3132-20 du code du travail prévoit que, si le repos simultané le
dimanche de tous les salariés d'un établissement est préjudiciable au public ou
compromet le fonctionnement normal de cet établissement, le préfet peut
autoriser des dérogations temporaires au repos dominical selon des modalités
limitativement énumérées. L'article L. 3132-23 du même code prévoit les
conditions d'extension de l'autorisation accordée par le préfet à un premier
établissement. L'article L. 3132-24 du même code, contesté, prévoit que « les
recours présentés contre les décisions prévues aux articles L. 3132-20 et L.
3132-23 ont un effet suspensif ».
Le Conseil constitutionnel a relevé que, par les articles L. 3132-20 et L.
3132-23, le législateur avait estimé possible, sous certaines conditions, le
travail dominical sur autorisation préfectorale. Toutefois, il résulte de
l'article L. 3132-24 contesté que tout recours formé contre un arrêté
préfectoral autorisant une dérogation au repos dominical suspend de plein droit
les effets de cette décision dès son dépôt par le requérant au greffe de la
juridiction administrative. Cette suspension se prolonge jusqu'à la décision de
la juridiction administrative compétente alors que la dérogation est accordée
pour une durée limitée. L'employeur ne dispose d'aucune voie de recours pour
s'opposer à cet effet suspensif.
Aucune disposition législative ne garantit que la juridiction saisie statue dans
un délai qui ne prive pas de tout effet utile l'autorisation accordée par le
préfet.
De tous ces éléments, le Conseil constitutionnel a déduit que, compte tenu tant
de l'effet et de la durée de la suspension que du caractère temporaire de
l'autorisation accordée, les dispositions contestées méconnaissent les exigences
constitutionnelles relatives à la garantie des droits découlant de l'article 16
de la Déclaration de 1789. Le Conseil a donc jugé l'article L. 3132-24 du code
du travail contraire à la Constitution.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 3132-24 du code du
travail prend effet à compter de la date de la publication de la décision du
Conseil. Elle est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non
jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil
constitutionnel.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour la société Castorama France
par la SELARL Cabinet Renaudier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 30
janvier 2014;
Vu les observations produites pour la Fédération des employés et cadres de la
CGT force ouvrière, le Syndicat des employés du commerce Île-de-France-UNSA,
l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris,
le Syndicat CGT-Force ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, le
Syndicat Sud commerces et services Île-de-France et le Syndicat commerce
interdépartemental d'Île-de-France CFDT, parties en défense, par la SCP
Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 30 janvier et 14 février 2014 ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Célice -
Blancpain - Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et le
cabinet Jeantet Associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 31
janvier et 17 février2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 31
janvier 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean Néret, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Cédric
Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les
parties en défense, Me Richard Renaudier, avocat au barreau de Paris, pour la
société Castorama France, partie intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 4 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les articles L. 3132-20 et L. 3132-23 du code du
travail sont relatifs aux conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser
une dérogation au repos dominical ; qu'aux termes de l'article L. 3132-24 du
code du travail : « Les recours présentés contre les décisions prévues aux
articles L. 3132-20 et L. 3132-23 ont un effet suspensif » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions de l'article
L. 3132-24 du code du travail méconnaissent la liberté du travail, la liberté
d'entreprendre, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi, la sécurité juridique et le principe de légalité
des délits et des peines ; qu'elle soutient également qu'en privant pour une
durée indéterminée l'employeur du bénéfice de l'autorisation de permettre aux
salariés volontaires de travailler le dimanche sans qu'aucun juge ne puisse
porter une appréciation sur le caractère excessif ou non de l'atteinte portée à
ses droits dans un délai raisonnable, les dispositions contestées méconnaissent
le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense, le
droit au procès équitable ainsi que le principe d'égalité devant la loi ; que la
société intervenante soutient que les dispositions contestées méconnaissent
l'exigence de sécurité juridique ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; qu'aux termes de l'article 16 de la
Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est
pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution
» ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes
selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent,
c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions
injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales,
notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en
particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant
l'équilibre des droits des parties ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3132-20 du code du travail : «
Lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés
d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le
fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être autorisé par le
préfet, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année seulement
suivant l'une des modalités suivantes :
« 1° Un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l'établissement ;
« 2° Du dimanche midi au lundi midi ;
« 3° Le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par
roulement et par quinzaine ;
« 4° Par roulement à tout ou partie des salariés » ;
5. Considérant que, selon le premier alinéa de l'article L. 3132-23 du même
code, « l'autorisation accordée à un établissement par le préfet peut être
étendue à plusieurs ou à la totalité des établissements de la même localité
exerçant la même activité, s'adressant à la même clientèle, une fraction
d'établissement ne pouvant, en aucun cas, être assimilée à un établissement » ;
que le second alinéa du même article dispose que « ces autorisations d'extension
sont toutes retirées lorsque, dans la localité, la majorité des établissements
intéressés le demande » ; qu'en vertu du premier alinéa de l'article L.
3132-25-4 du même code, ces autorisations de travailler le dimanche « sont
accordées pour une durée limitée » ; que le deuxième alinéa de ce même article
dispose : « Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à
leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d'une telle
autorisation. Une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation ne peut
prendre en considération le refus d'une personne de travailler le dimanche pour
refuser de l'embaucher. Le salarié d'une entreprise bénéficiaire d'une telle
autorisation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l'objet d'une
mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail.
Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d'une entreprise bénéficiaire
d'une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement
» ;
6. Considérant que le législateur a estimé que, si le repos simultané le
dimanche de tous les salariés d'un établissement était préjudiciable au public
ou compromettait le fonctionnement normal de cet établissement, le préfet
pouvait autoriser des dérogations temporaires au repos dominical selon des
modalités limitativement énumérées ; qu'il résulte toutefois des dispositions
contestées que tout recours formé contre un arrêté préfectoral autorisant une
dérogation au repos dominical suspend de plein droit les effets de cette
décision dès son dépôt par le requérant au greffe de la juridiction
administrative ; que cette suspension se prolonge jusqu'à la décision de la
juridiction administrative compétente alors que la dérogation est accordée pour
une durée limitée ; que l'employeur ne dispose d'aucune voie de recours pour
s'opposer à cet effet suspensif ; qu'aucune disposition législative ne garantit
que la juridiction saisie statue dans un délai qui ne prive pas de tout effet
utile l'autorisation accordée par le préfet ; que, compte tenu tant de l'effet
et de la durée de la suspension que du caractère temporaire de l'autorisation
accordée, les dispositions contestées méconnaissent les exigences
constitutionnelles précitées ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres griefs, l'article L. 3132-24 du code du travail doit être
déclaré contraire à la Constitution ;
8. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 3132-24
du code du travail prend effet à compter de la date de la publication de la
présente décision ; qu'elle est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux
affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision du
Conseil constitutionnel,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 3132-24 du code du travail est contraire à la
Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au
considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme
Nicole MAESTRACCI.
M. Jacques J. (Visites domiciliaires, perquisitions et
saisies dans les lieux de travail pour travail dissimulé)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 février 2014, par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jacques
J. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article L. 8271-13 du code du travail.
Le code du travail définit les infractions de travail dissimulé et prévoit les
modalités de lutte contre celui-ci. Dans le cadre des enquêtes préliminaires
diligentées pour la recherche et la constatation de ces infractions, l'article
L. 8271-13 du code du travail permet aux officiers de police judiciaire, sur
ordonnance du président du tribunal de grande instance (TGI), ou d'un juge
délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, de
procéder à des visites, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les
lieux de travail, y compris dans des domiciles. En application d'une
jurisprudence constante de la Cour de cassation, cette ordonnance du président
du TGI ne peut faire l'objet d'un recours en nullité que si la personne est
poursuivie.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'en l'absence de poursuites contre la
personne intéressée par une visite domiciliaire, une perquisition ou une saisie
autorisées en application de l'article L. 8271-13 du code du travail, aucune
voie de droit ne permet à cette personne de contester l'autorisation donnée par
le président TGI ou le juge qu'il délègue et la régularité des opérations de
visite, de perquisition ou de saisie. En conséquence, le Conseil constitutionnel
a jugé que l'article L. 8271-13 méconnaît les exigences découlant de l'article
16 de la Déclaration de 1789 et l'a jugé contraire à la Constitution.
L'abrogation immédiate des dispositions de l'article L. 8271-13 du code du
travail méconnaîtrait l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et
entraînerait des conséquences manifestement excessives. Le Conseil
constitutionnel a donc reporté au 1er janvier 2015 la date de cette abrogation
afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité. Les
poursuites engagées à la suite d'opérations de visite domiciliaire, de
perquisition ou de saisie mises en oeuvre avant cette date en application des
dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées
sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu l'arrêt n° 99-30359 de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16
janvier 2002 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 février
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28
février 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hervé Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le
requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 25 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 8271-13 du
code du travail : « Dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées pour la
recherche et la constatation des infractions aux interdictions de travail
dissimulé, les officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des
agents de police judiciaire, peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de
grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un
juge délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République,
procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à
conviction dans les lieux de travail relevant des articles L. 4111-1 du présent
code et L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, y compris dans ceux
n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités.
« Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée
sur des éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la
preuve est recherchée.
« Ces dispositions ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la
constatation des infractions par les officiers et agents de police judiciaire »
;
2. Considérant que, selon le requérant, l'article L. 8271-13 du code du travail,
tel qu'interprété par la Cour de cassation, est contraire au droit à un recours
juridictionnel effectif, en ce qu'il ne précise pas quelle est la voie de
recours disponible ni ne prévoit d'appel contre l'ordonnance autorisant les
visites domiciliaires, les perquisitions et les saisies dans les lieux de
travail ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté
d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un
recours effectif devant une juridiction ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article L. 8271-1 du code du travail, les
infractions aux interdictions de travail dissimulé prévues à l'article L. 8211-1
sont recherchées par les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2,
dans la limite de leurs compétences respectives en matière de travail illégal ;
que l'article L. 8271-8 précise que les infractions aux interdictions de travail
dissimulé sont constatées au moyen de procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve
du contraire et que ces procès-verbaux sont transmis directement au procureur de
la République ;
5. Considérant que, dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées pour la
recherche et la constatation des infractions aux interdictions du travail
dissimulé, les dispositions contestées permettent aux officiers de police
judiciaire, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance rendue
sur réquisitions du procureur de la République, de procéder à des visites
domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de
travail, y compris dans ceux n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit
de locaux habités ; que le juge doit vérifier que la demande est fondée sur des
éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la preuve
est recherchée ;
6. Considérant que, par l'arrêt du 16 janvier 2002 susvisé, la Cour de cassation
a jugé qu'« en l'absence de texte le prévoyant, aucun pourvoi en cassation ne
peut être formé contre une ordonnance » autorisant les visites domiciliaires,
perquisitions et saisies dans les lieux de travail et qu'« une telle ordonnance
rendue par un magistrat de l'ordre judiciaire, sur réquisitions du procureur de
la République, dans le cadre d'une enquête préliminaire, constitue un acte de
procédure dont la nullité ne peut être invoquée que dans les conditions prévues
par les articles 173 et 385 du code de procédure pénale » ; qu'ainsi qu'il
résulte de cette jurisprudence constante, l'ordonnance du président du tribunal
de grande instance autorisant les visites et perquisitions peut, au cours de
l'instruction ou en cas de saisine du tribunal correctionnel, faire l'objet d'un
recours en nullité ; que les articles 173 et 385 du code de procédure pénale
permettent également à la personne poursuivie de contester la régularité des
opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie ;
7. Considérant toutefois qu'en l'absence de mise en oeuvre de l'action publique
conduisant à la mise en cause d'une personne intéressée par une visite
domiciliaire, une perquisition ou une saisie autorisées en application des
dispositions contestées, aucune voie de droit ne permet à cette personne de
contester l'autorisation donnée par le président du tribunal de grande instance
ou son délégué et la régularité des opérations de visite domiciliaire, de
perquisition ou de saisie mises en oeuvre en application de cette autorisation ;
que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent les exigences
découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées
contraires à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que l'abrogation immédiate des dispositions contestées
méconnaîtrait l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait
des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu, dès lors, de
reporter au 1er janvier 2015 la date de cette abrogation afin de permettre au
législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les poursuites
engagées à la suite d'opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de
saisie mises en oeuvre avant cette date en application des dispositions
déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le
fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 8271-13 du code du travail est contraire à la
Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme
Nicole MAESTRACCI.
Syndicat national des médecins biologistes (Test, recueil
et traitement de signaux biologiques)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 février 2014, par le Conseil d'État
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par le syndicat national
des médecins biologistes. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 6211-3 du code
de la santé publique (CSP).
Le code de la santé publique définit les examens de biologie médicale, délimite
leur champ d'application et encadre les conditions et modalités de leur
réalisation. L'article L. 6211-3 du CSP exclut de cette définition les tests,
recueils et traitements de signaux biologiques qui constituent des éléments de «
dépistage, d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate »
et renvoie à un arrêté le soin d'établir la liste de ces tests, de déterminer
les catégories de personnes pouvant les réaliser, ainsi que, le cas échéant, les
conditions de leur réalisation. Le syndicat requérant soutenait que le
législateur en opérant ces renvois avait méconnu sa compétence.
Le Conseil constitutionnel a relevé que l'article L. 6211-3 du CSP n'habilite
pas le pouvoir règlementaire à fixer des règles qui mettent en cause des règles
ou des principes fondamentaux que la Constitution place dans le domaine de la
loi. Il a en conséquence écarté le grief tiré de ce que le législateur aurait
méconnu l'étendue de sa compétence et jugé l'article L. 6211-3 du CSP conforme à
la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le syndicat requérant par la SCP
Barthélemy-Matuchansky-Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 24 février et 11 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28
février 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean Barthélemy pour le syndicat requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 25 mars 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6211-3 du code de la santé
publique : « Ne constituent pas un examen de biologie médicale un test, un
recueil et un traitement de signaux biologiques, à visée de dépistage,
d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate.
« Un arrêté du ministre chargé de la santé établit la liste de ces tests,
recueils et traitements de signaux biologiques, après avis de la commission
mentionnée à l'article L. 6213-12 et du directeur général de l'Agence nationale
de sécurité du médicament et des produits de santé. Cet arrêté détermine les
catégories de personnes pouvant réaliser ces tests, recueils et traitements de
signaux biologiques, ainsi que, le cas échéant, leurs conditions de réalisation
» ;
2. Considérant que, selon le syndicat requérant, en renvoyant à un arrêté le
soin de fixer la liste de ces tests, recueils et traitements de signaux
biologiques et de déterminer tant les catégories de personnes pouvant les
réaliser que, le cas échéant, les conditions de leur réalisation, le législateur
a reporté sur le pouvoir réglementaire la détermination des règles relevant de
la loi dans des conditions qui affectent le droit à la protection de la santé ;
qu'il aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6211-1 du code de la santé
publique, « un examen de biologie médicale est un acte médical qui concourt à la
prévention, au dépistage, au diagnostic ou à l'évaluation du risque de survenue
d'états pathologiques, à la décision et à la prise en charge thérapeutiques, à
la détermination ou au suivi de l'état physiologique ou physiopathologique de
l'être humain, hormis les actes d'anatomie et de cytologie pathologiques,
exécutés par des médecins spécialistes dans ce domaine » ; que l'article L.
6211-2 définit les « phases » de cet examen ; que les articles L. 6211-7 et
suivants sont relatifs aux conditions et modalités de réalisation des examens de
biologie médicale ;
5. Considérant que le législateur a défini les examens de biologie médicale,
délimité leur champ d'application et encadré les conditions et modalités de leur
réalisation ; qu'en excluant de cette définition les tests, recueils et
traitements de signaux biologiques qui constituent des éléments de « dépistage,
d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate » et en
renvoyant à un arrêté le soin d'établir la liste de ces tests, recueils et
traitements de signaux biologiques et de déterminer les catégories de personnes
pouvant les réaliser, ainsi que, le cas échéant, les conditions de leur
réalisation, l'article L. 6211-3 n'a pas habilité le pouvoir règlementaire à
adopter des dispositions qui mettent en cause des règles ou des principes
fondamentaux que la Constitution place dans le domaine de la loi ; que, par
suite, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa
compétence doit en tout état de cause être écarté ;
6. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 6211-3 du code de la santé publique est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Confédération générale du travail Force ouvrière et autre
[Portage salarial]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 février 2014, par le Conseil d'État
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la CGT-FO et la
Fédération des employés et cadres FO. Cette question était relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III
de l'article 8 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du
marché du travail.
L'article 8 de la loi du 25 juin 2008 est relatif au portage salarial. Son
paragraphe III prévoit qu'un accord national interprofessionnel étendu peut
confier à une branche professionnelle la mission « d'organiser » le portage
salarial par un accord de branche étendu. Le Conseil constitutionnel a jugé ce
paragraphe III contraire à la Constitution. D'une part, il a relevé que ce
paragraphe III confie à la convention collective le soin de fixer des règles qui
relèvent de la loi. D'autre part, le Conseil a jugé que cette méconnaissance,
par le législateur, de sa compétence dans la détermination des conditions
essentielles de l'exercice de l'activité économique de portage salarial ainsi
que dans la fixation des principes applicables au « salarié porté » affecte par
elle-même l'exercice de la liberté d'entreprendre ainsi que les droits
collectifs des travailleurs.
Afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration
d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015
la date de l'abrogation du paragraphe III de l'article 8 de la loi du 25 juin
2008. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions
déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, avant cette même date, être
contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail
;
Vu le code du travail ;
Vu l'accord national professionnel du 24 juin 2010 relatif à l'activité de
portage salarial ensemble l'arrêté du 24 mai 2013 portant extension de cet
accord ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Lyon-Caen et
Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 27
février et 24 mars 2014 ;
Vu les observations produites pour la Fédération des services CFDT, partie en
défense, par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat au Conseil d'État
et à la Cour de cassation, enregistrées les 17 et 25 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 28
février et 25 mars 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la lettre du 19 mars 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis
aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour
les syndicats requérants, Me Olivier Coudray, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par
le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 1er avril 2014
;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article L. 2261-19 du code du travail
est relatif aux conditions dans lesquelles une convention collective de branche
ou un accord professionnel ou interprofessionnel, ainsi que ses avenants ou
annexes, peuvent être étendus par arrêté du ministre chargé du travail ; qu'aux
termes du paragraphe III de l'article 8 de la loi du 25 juin 2008 susvisée : «
Par exception aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2261-19 du
code du travail et pour une durée limitée à deux ans à compter de la publication
de la présente loi, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à
une branche dont l'activité est considérée comme la plus proche du portage
salarial la mission d'organiser, après consultation des organisations
représentant des entreprises de portage salarial et par accord de branche
étendu, le portage salarial » ;
2. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaissent la
liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs garantis par
les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'en
outre, en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le
Conseil constitutionnel a soulevé d'office le grief tiré de ce que, en confiant
aux partenaires sociaux la mission d'organiser le portage salarial, sans fixer
lui-même les principes essentiels de son régime juridique, le législateur aurait
méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté
d'entreprendre ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : «
La loi détermine les principes fondamentaux... du droit du travail » ; que le
Préambule de 1946 dispose, en son huitième alinéa, que : « Tout travailleur
participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective
des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'il
résulte de ces dispositions que, s'il est loisible au législateur de confier à
la convention collective le soin de préciser les modalités concrètes
d'application des principes fondamentaux du droit du travail, il lui appartient
d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la
Constitution ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution,
la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et
commerciales ; que ressortissent en particulier aux principes fondamentaux de
ces obligations civiles et commerciales les dispositions qui mettent en cause
les conditions essentielles de l'exercice d'une profession ou d'une activité
économique ; qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que
lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ;
6. Considérant que le paragraphe I de l'article 8 de la loi du 25 juin 2008 a
introduit dans le code du travail un nouvel article L. 1251-64 qui dispose : «
Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre
une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes
comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de
sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits
de la personne portée sur son apport de clientèle » ; qu'en prévoyant qu'un
accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche
professionnelle la mission « d'organiser » cet ensemble de relations
contractuelles, les dispositions contestées confient à la convention collective
le soin de fixer des règles qui relèvent de la loi ; que, par suite, en les
adoptant, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ;
7. Considérant que la liberté d'entreprendre résulte de l'article 4 de la
Déclaration de 1789 ; que le Préambule de la Constitution de 1946 garantit aux
travailleurs des droits collectifs ; que la méconnaissance par le législateur de
sa compétence dans la détermination des conditions essentielles de l'exercice de
l'activité économique de portage salarial ainsi que dans la fixation des
principes applicables au « salarié porté » affecte par elle-même l'exercice de
la liberté d'entreprendre ainsi que les droits collectifs des travailleurs ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin
d'examiner les griefs des syndicats requérants, le paragraphe III de l'article 8
de la loi du 25 juin 2008 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant qu'afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de
la déclaration d'inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er janvier
2015 la date de l'abrogation de la disposition contestée ; que les mesures
prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à
la Constitution ne peuvent, avant cette même date, être contestées sur le
fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe III de l'article 8 de la loi n° 2008-596 du 25 juin
2008 portant modernisation du marché du travail est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter du 1er janvier 2015 dans les conditions fixées au considérant
10.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 10 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 février 2014, par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Antoine H. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale (CPP).
L'article 41-4 du CPP prévoit que le procureur de la République peut ordonner la
destruction des biens meubles saisis lors d'une enquête et dont la conservation
n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il s'agit d'objets
qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en permettant au Procureur de la République
d'ordonner la destruction de biens saisis sans que, notamment, le propriétaire
intéressé ait été mis à même de contester cette décision devant une juridiction
afin de demander, le cas échéant, la restitution des biens saisis, le quatrième
alinéa de l'article 41-4 du CPP méconnaît le droit à un recours effectif devant
une juridiction. Le Conseil a donc déclaré ces dispositions contraires à la
Constitution. Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de
la date de la publication de sa décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Augustin d'Ollone, avocat
au barreau de Paris, enregistrées le 6 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 1er avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de
l'article 41-4 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République
peut ordonner la destruction des biens meubles saisis dont la conservation n'est
plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il s'agit d'objets
qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est
illicite » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en ne prévoyant pas de recours contre la
décision du procureur de la République d'ordonner la destruction des biens
saisis, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un recours effectif
; qu'en outre, elles seraient contraires au principe d'égalité devant la loi
dans la mesure où un recours est prévu lorsque la décision d'ordonner la
destruction des biens saisis est prise par le juge d'instruction dans le cadre
d'une information judiciaire en application du quatrième alinéa de l'article
99-2 du code de procédure pénale ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté
d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un
recours effectif devant une juridiction ;
4. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu
assurer la prévention des atteintes à l'ordre public, la bonne administration de
la justice et le bon usage des deniers publics qui constituent des exigences
constitutionnelles ; que ces dispositions permettent au procureur de la
République d'ordonner, au cours d'une enquête, la destruction des biens meubles
saisis lorsque, d'une part, la conservation de ces biens n'est plus utile à la
manifestation de la vérité, et que, d'autre part, il s'agit d'objets qualifiés
par la loi de dangereux ou nuisibles ou dont la détention est illicite ; que
cette décision n'est susceptible d'aucun recours ;
5. Considérant qu'en permettant la destruction de biens saisis, sur décision du
procureur de la République, sans que leur propriétaire ou les tiers ayant des
droits sur ces biens et les personnes mises en cause dans la procédure en aient
été préalablement avisés et qu'ils aient été mis à même de contester cette
décision devant une juridiction afin de demander, le cas échéant, la restitution
des biens saisis, les dispositions du quatrième alinéa de l'article 41-4 du code
de procédure pénale ne sont assorties d'aucune garantie légale ; qu'elles
méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789
;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres griefs, le quatrième alinéa de l'article 41-4 du code de
procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
8. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter
de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle n'ouvre droit à
aucune demande en réparation du fait de la destruction de biens opérée
antérieurement à cette date ; que les poursuites engagées dans des procédures
dans lesquelles des destructions ont été ordonnées en application des
dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées
sur le fondement de cette inconstitutionnalité ; que cette déclaration
d'inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux
affaires non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Le quatrième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale
est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions
fixées par son considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 10 avril 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 février 2014,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
les communes de Thonon-les-Bains et de Saint-Ail. Cette question était relative
à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 5210-1-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
L'article L. 5210-1-2 du CGCT est relatif au rattachement à un établissement
public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre des communes
isolées ou en situation d'enclave ou de discontinuité territoriale. Il prévoit
qu'il est procédé à ce rattachement par arrêté du représentant de l'État dans le
département, après accord de l'organe délibérant de cet établissement public et
avis de la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI)
ainsi que, le cas échéant, du comité de massif. Seul un vote de la CDCI, à la
majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d'un autre projet de
rattachement à un EPCI à fiscalité propre limitrophe de la commune concernée
permet de s'opposer au projet et d'imposer au représentant de l'État dans le
département de mettre en œuvre un projet de rattachement alternatif.
Le Conseil constitutionnel a relevé que l'article L. 5210-1-2 du CGCT ne prévoit
aucune prise en compte du schéma départemental de coopération intercommunale
préalablement établi pour décider du rattachement d'une commune à un EPCI. Seul
un avis négatif de l'organe délibérant de l'établissement public auquel le
rattachement est envisagé impose de suivre une proposition émise à la majorité
qualifiée par la CDCI. En outre, il n'est prévu aucune consultation des conseils
municipaux des communes intéressées et, en particulier, du conseil municipal de
la commune dont le rattachement est envisagé. Le Conseil constitutionnel a, par
suite, jugé que l'article L. 5210-1-2 du CGCT porte à la libre administration
des communes une atteinte manifestement disproportionnée.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 5210-1-2 du CGCT prend
effet à compter de la date de la publication de la décision du Conseil. Elle est
applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées
définitivement à la date de publication de cette décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la
protection de la montagne ;
Vu la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités
territoriales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les communes requérantes par la SELARL
Philippe Petit et Associés, avocat au barreau de Lyon, et la SCP Lebon et
Associés, avocat au barreau de Nancy, enregistrées les 12, 13 et 27 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 13 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Anne Gardère, avocat au barreau de Lyon, pour la commune de Thonon-les-Bains,
Mes Aubin Lebon et Diane Coissard, avocats au barreau de Nancy, pour la commune
de Saint-Ail et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 8 avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5210-1-2 du
code général des collectivités territoriales : « I. Lorsque le représentant de
l'État dans le département constate qu'une commune n'appartient à aucun
établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou crée,
au sein du périmètre d'un tel établissement existant, une enclave ou une
discontinuité territoriale, il rattache par arrêté cette commune à un
établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, après
accord de l'organe délibérant de ce dernier et avis de la commission
départementale de la coopération intercommunale. À compter de la notification du
projet d'arrêté à l'organe délibérant de l'établissement public et à la
commission, ceux-ci disposent d'un délai de trois mois pour se prononcer. À
défaut de délibération dans ce délai, celle-ci est réputée favorable. Lorsque le
projet d'arrêté n'a pas recueilli l'accord de l'organe délibérant de
l'établissement public, le représentant de l'État dans le département met en
oeuvre le rattachement de la commune conformément à ce projet, sauf si la
commission départementale de la coopération intercommunale s'est prononcée, à la
majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d'un autre projet de
rattachement à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité
propre limitrophe de la commune concernée. Dans ce dernier cas, le représentant
de l'État dans le département met en oeuvre le projet de rattachement proposé
par la commission départementale de la coopération intercommunale.
« Si la commune qu'il est prévu de rattacher à un établissement public de
coopération intercommunale à fiscalité propre est située dans une zone de
montagne délimitée en application de l'article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier
1985 précitée, l'arrêté du représentant de l'État dans le département intervient
après consultation du comité de massif prévu à l'article 7 de la même loi.
L'avis du comité de massif est réputé favorable s'il ne s'est pas prononcé dans
un délai de quatre mois à compter de sa saisine par le représentant de l'État
dans le département.
« L'arrêté du représentant de l'État dans le département emporte, le cas
échéant, retrait de la commune rattachée d'un autre établissement public de
coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre.
« II. Le I n'est pas applicable à la situation des communes bénéficiant d'une
dérogation aux principes de continuité territoriale ou de couverture intégrale
du territoire par des établissements publics de coopération intercommunale en
application des V et VI de l'article L. 5210-1-1 » ;
2. Considérant que, selon les communes requérantes, en imposant à une commune
son rattachement un établissement public de coopération intercommunale à
fiscalité propre, même dans le cas où cette commune a exprimé sa volonté de
rejoindre un autre groupement de coopération intercommunale, ces dispositions
méconnaissent le principe de la libre administration des collectivités
territoriales énoncé à l'article 72 de la Constitution ; qu'elles font valoir en
particulier que ces dispositions ne sont pas limitées dans le temps et qu'elles
ne prévoient aucune consultation de la commune faisant l'objet d'un tel
rattachement ; qu'en outre, la commune de Thonon-les-Bains soutient que ces
dispositions méconnaissent le principe d'égalité entre les communes selon
qu'elles sont ou non rattachées à un établissement public de coopération
intercommunale à fiscalité propre à la date du 1er juin 2013 ;
3. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la
détermination des principes fondamentaux de la libre administration des
collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; qu'en
vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, « dans les
conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par
des conseils élus » ; qu'aux termes du cinquième alinéa de cet article : «
Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre.
Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de
plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles
ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune » ;
4. Considérant que si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et
72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs
groupements à des obligations ou les soumettre à des interdictions, c'est à la
condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt
général ; que le principe de la libre administration des collectivités
territoriales, non plus que le principe selon lequel aucune collectivité
territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ne font obstacle, en
eux-mêmes, à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles les
communes peuvent ou doivent exercer en commun certaines de leurs compétences
dans le cadre de groupements ;
5. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 5210-1-1 du code
général des collectivités territoriales, il est établi dans chaque département,
au vu d'une évaluation de la cohérence des périmètres et de l'exercice des
compétences des groupements existants, un schéma départemental de coopération
intercommunale ; que ce schéma prévoit une couverture intégrale du territoire
par des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre
et la suppression des enclaves et discontinuités territoriales ; qu'il prévoit
également les modalités de rationalisation des périmètres des établissements
publics de coopération intercommunale et des syndicats mixtes existants ; qu'il
peut, en particulier, proposer la création, la transformation ou la fusion
d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ainsi
que la modification de leurs périmètres ; que le même article énumère les
orientations que doit prendre en compte le schéma et fixe les modalités de son
élaboration ainsi que de sa révision ;
6. Considérant que les règles relatives au rattachement à un établissement
public de coopération intercommunale à fiscalité propre des communes isolées ou
en situation d'enclave ou de discontinuité territoriale affectent la libre
administration de celles-ci ; qu'en imposant à ces communes d'être rattachées à
un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, même
si elles souhaitent appartenir à un autre établissement public de coopération
intercommunale à fiscalité propre, le législateur a entendu favoriser «
l'achèvement et la rationalisation de la carte de l'intercommunalité » ;
7. Considérant que la procédure de rattachement d'une commune à un établissement
public de coopération intercommunale à fiscalité propre prévue par les
dispositions contestées succède à la procédure temporaire appliquée du 1er
janvier 2012 au 1er juin 2013, prévue par l'article 60 de la loi du 16 décembre
2010 susvisée, qui poursuivait également cet objectif dans le cadre de la mise
en oeuvre d'un schéma départemental de coopération intercommunale ; que cette
procédure temporaire doit s'appliquer à nouveau au cours de l'année suivant la
révision du schéma départemental de coopération intercommunale, laquelle doit
intervenir tous les six ans ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne prévoient aucune prise en
compte du schéma départemental de coopération intercommunale préalablement
établi pour décider du rattachement d'une commune à un établissement public de
coopération intercommunale ; que si la décision de rattachement est soumise à
l'avis de l'organe délibérant de l'établissement public auquel le rattachement
est envisagé ainsi qu'à celui de la commission départementale de coopération
intercommunale, qui est composée d'élus locaux représentant notamment les
communes et les établissements publics de coopération intercommunale, seul un
avis négatif de l'organe délibérant de l'établissement public impose de suivre
la proposition émise à la majorité qualifiée par la commission départementale de
coopération intercommunale ; que les dispositions contestées ne prévoient aucune
consultation des conseils municipaux des communes intéressées par ce
rattachement et, en particulier, du conseil municipal de la commune dont le
rattachement est envisagé ; que, par suite, ces dispositions portent à la libre
administration des communes une atteinte manifestement disproportionnée ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin
d'examiner l'autre grief, l'article L. 5210-1-2 du code général des
collectivités territoriales doit être déclaré contraire à la Constitution ;
10. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L.
5210-1-2 du code général des collectivités territoriales prend effet à compter
de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable
aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date
de publication de la décision du Conseil constitutionnel,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 5210-1-2 du code général des collectivités
territoriales est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au
considérant 10.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 février 2014,
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par la Province Sud de Nouvelle-Calédonie. Cette question portait, d'une part,
sur le 13° de l'article 8 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant
dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la
Nouvelle-Calédonie et, d'autre part, sur le cinquième alinéa de l'article 1er de
l'ordonnance modifiée n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes
directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de
l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie.
D'une part, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait pas lieu pour lui
de connaître de dispositions de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 adoptée par
voie de référendum le 6 novembre 1988. Les dispositions législatives adoptées
par le Peuple français par la voie du référendum constituent l'expression
directe de la souveraineté nationale. Aucune disposition de la Constitution, ou
d'une loi organique prise sur son fondement, ne donne compétence au Conseil
constitutionnel pour apprécier la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de telles dispositions législatives.
D'autre part, le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13
novembre 1985 est relatif aux règles applicables aux agents contractuels
recrutés par une personne publique en Nouvelle-Calédonie. Ces dispositions ne
sont contraires à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Le
Conseil constitutionnel les a jugées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
Vu la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des
institutions de la Ve République ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu l'ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs
du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du
travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie ;
Vu la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et
préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ;
Vu la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à
l'outre-mer ;
Vu la loi du pays n° 2006-3 du 8 février 2006 portant modification de
l'ordonnance modifiée n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes
directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de
l'inspection du travail en Nouvelle-Calédonie ;
Vu les décisions du Tribunal des conflits nos 02672 du 13 janvier 1992, 02998 du
19 février 1996, 03146 du 15 mars 1999, C3423 du 15 novembre 2004, C3654 et
C3655 du 17 décembre 2007, C3775 du 13 décembre 2010 et C3825 du 5 mars 2012 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la collectivité requérante par la SCP
Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 14 et 31 mars 2014 ;
Vu les observations produites pour Mme Anne de B., partie en défense, par Me
Dominique Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 14 et 31 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la
requérante, Me Foussard, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 avril
2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 8 de la loi du 9 novembre
1988 susvisée est relatif aux matières qui relèvent de la compétence de l'État
en Nouvelle-Calédonie ; que sont au nombre de ces matières, en vertu du 13° de
cet article : « Les principes directeurs du droit du travail et de la formation
professionnelle » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre
1985 susvisée dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 1996 susvisée : «
La présente ordonnance est applicable dans le territoire de Nouvelle-Calédonie
sous réserve, le cas échéant, des dispositions des traités, conventions ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés.
« Les dispositions de la présente ordonnance ne portent pas atteinte aux
stipulations des contrats individuels de travail plus favorables pour les
salariés.
« Elle s'applique à tous les salariés du territoire.
« Elle s'applique à toute personne physique ou morale qui emploie lesdits
salariés.
« Sauf dispositions contraires de la présente ordonnance, elle n'est pas
applicable aux personnes relevant d'un statut de fonction publique ou d'un
statut de droit public.
« Est considérée comme salarié quels que soient son sexe et sa nationalité toute
personne physique qui s'est engagée à mettre son activité professionnelle,
moyennant rémunération, sous la direction et l'autorité d'une autre personne
physique ou morale publique ou privée. Pour la détermination de la qualité de
salarié, il ne sera tenu compte ni du statut juridique de l'employé, ni de celui
de l'employeur, ni du fait que celui-ci soit titulaire ou non d'une patente.
« Est considéré comme employeur toute personne morale ou physique, publique ou
privée, qui emploie au moins un salarié dans les conditions définies à l'alinéa
précédent » ;
3. Considérant que, selon la collectivité requérante, les dispositions
contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Tribunal
des conflits, sont contraires au principe de la libre administration des
collectivités territoriales dans la mesure où elles soumettent au droit commun
du droit du travail les collaborateurs de cabinet recrutés par les autorités
territoriales de Nouvelle-Calédonie et font ainsi obstacle à la possibilité pour
ces autorités de mettre librement fin aux fonctions de ces collaborateurs ;
qu'en privant les autorités territoriales de Nouvelle-Calédonie de la
possibilité de recourir librement à des collaborateurs de cabinet, alors que
cette possibilité a été reconnue à toutes les autres collectivités territoriales
françaises, ces dispositions seraient également contraires au principe d'égalité
devant la loi ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
13° de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1988 et sur le cinquième alinéa de
l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 ;
- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
. En ce qui concerne le 13° de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1988 susvisée
adoptée par référendum :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ;
6. Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement
délimitée par la Constitution ; qu'elle n'est susceptible d'être précisée et
complétée par voie de loi organique que dans le respect des principes posés par
le texte constitutionnel ; que le Conseil constitutionnel ne saurait être appelé
à se prononcer dans d'autres cas que ceux qui sont expressément prévus par la
Constitution ou la loi organique ;
7. Considérant que l'article 61-1 de la Constitution donne au Conseil
constitutionnel mission d'apprécier la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des dispositions législatives, sans préciser si cette
compétence s'étend à l'ensemble des textes de caractère législatif ; que
toutefois au regard de l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution, les
dispositions législatives qu'elle a entendu viser dans son article 61-1 ne sont
pas celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d'un référendum
contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 60, constituent
l'expression directe de la souveraineté nationale ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune disposition de la
Constitution ou d'une loi organique prise sur son fondement ne donne compétence
au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur une question prioritaire de
constitutionnalité aux fins d'apprécier la conformité aux droits et libertés que
la Constitution garantit d'une disposition législative adoptée par le Peuple
français par la voie du référendum ; que, par suite, il n'y a pas lieu, pour le
Conseil constitutionnel, de connaître des dispositions de la loi adoptée par le
Peuple français par voie de référendum le 6 novembre 1988 ;
. En ce qui concerne le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13
novembre 1985 susvisée :
9. Considérant qu'en vertu de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article
que de dispositions de nature législative ;
10. Considérant que l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 a été
modifié par le paragraphe I de l'article 24 de la loi du 5 juillet 1996 susvisée
; qu'antérieurement à la modification de l'article 38 de la Constitution par
l'article 14 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Ve République, la loi du 5 juillet 1996,
sans avoir pour objet direct la ratification de l'ensemble des dispositions de
l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985, impliquait nécessairement une
telle ratification ; que, par suite, les dispositions du cinquième alinéa de
l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 revêtent le caractère de
dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il y
a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'en connaître ;
- SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES :
11. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu du troisième alinéa de l'article
72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi », les
collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » ;
que les institutions de la Nouvelle-Calédonie sont régies par les dispositions
du titre XIII de la Constitution ; qu'il s'ensuit que l'article 72 ne leur est
pas applicable de plein droit ;
12. Considérant qu'en vertu de l'article 76 de la Constitution, « les
populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31
décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et
publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française » ; qu'en
vertu de son article 77, « après approbation de l'accord lors de la consultation
prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée
délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la
Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et
selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre. . .- les règles
d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie. .
. » ; qu'aux termes de l'article 3 de la loi organique du 19 mars 1999 susvisée
prise en application de l'article 77 de la Constitution : « Les provinces et les
communes de la Nouvelle-Calédonie sont des collectivités territoriales de la
République. Elles s'administrent librement par des assemblées élues au suffrage
universel direct, dans les conditions prévues au titre V en ce qui concerne les
provinces » ; que par ces dispositions, le législateur organique a, ainsi qu'il
lui était loisible de le faire, étendu aux institutions de la Nouvelle-Calédonie
des dispositions du titre XII applicables à l'ensemble des autres collectivités
territoriales de la République, sans que cette extension soit contraire aux
orientations de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 auxquelles le titre XIII
confère valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que, selon les dispositions contestées, telles qu'interprétées
par la jurisprudence constante du Tribunal des conflits, les agents contractuels
recrutés par une personne publique en Nouvelle-Calédonie ne sont pas soumis à un
statut de droit public ; que ces dispositions n'ont pas pour effet de priver les
autorités territoriales de Nouvelle-Calédonie de la faculté de recruter
librement des collaborateurs de cabinet ; qu'elles n'ont pas davantage pour
effet de priver ces autorités de la faculté de mettre fin aux fonctions de ces
collaborateurs dans les conditions prévues par la loi ; que, par suite, elles ne
méconnaissent pas le principe de la libre administration des collectivités
territoriales de la Nouvelle-Calédonie ;
14. Considérant, en second lieu, qu'en prévoyant des règles particulières
applicables aux agents contractuels recrutés par une personne publique en
Nouvelle-Calédonie, qui diffèrent des règles de droit commun, le législateur n'a
pas méconnu le principe d'égalité devant la loi ;
15. Considérant que les dispositions du cinquième alinéa de l'article 1er de
l'ordonnance du 13 novembre 1985 susvisée, qui ne sont contraires à aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de
constitutionnalité portant sur le 13° de l'article 8 de la loi n° 88-1028 du 9
novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à
l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.
Article 2.- Le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 85-1181 du
13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à
l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du
travail en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 96-609
du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer, est
conforme à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 février 2014,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Angelo R. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article 728 du code de procédure
pénale (CPP), dans sa rédaction antérieure à la loi pénitentiaire du 24 novembre
2009.
L'article 728 du CPP dans sa rédaction contestée renvoyait à un décret le soin
de déterminer l'organisation et le régime intérieur des établissements
pénitentiaires.
Le Conseil constitutionnel a considéré qu'il appartient au législateur de fixer
les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes
détenues. Par ailleurs, ces personnes bénéficient des droits et libertés
constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention. Dès
lors, le Conseil a souligné qu'il appartient au législateur d'assurer la
conciliation entre, d'une part, l'exercice de ces droits et libertés que la
Constitution garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle
de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à
l'exécution des peines privatives de liberté.
Tel n'était pas le cas avec les dispositions contestées qui confiaient au
pouvoir règlementaire le soin de fixer des règles qui relèvent de la loi, y
compris pour les principes d'organisation de la vie en détention, la
surveillance des détenus ou leurs relations avec l'extérieur, sans qu'aucune
autre disposition législative ne prévoie non plus les conditions d'exercice de
leurs droits par les détenus. Le Conseil constitutionnel, relevant cette
méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur, a jugé
l'article 728 du CPP dans sa rédaction contestée contraire à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu l'ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code
de procédure pénale ;
Vu la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire ;
Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Patrice Spinosi, avocat
au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 18 mars et 2 avril
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Spinosi, pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 728 du code de
procédure pénale, dans sa rédaction postérieure à la loi du 22 juin 1987
susvisée : « Un décret détermine l'organisation et le régime intérieur des
établissements pénitentiaires » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en adoptant ces dispositions, le
législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant
atteinte au droit au respect de la dignité humaine, au droit au respect de
l'intégrité physique et à la santé des détenus, au droit au respect de la vie
privée, au droit de propriété, à la présomption d'innocence et à la liberté
religieuse ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
4. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, le Préambule de la
Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race,
de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la
sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et
de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur
constitutionnelle ; que, d'autre part, l'exécution des peines privatives de
liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement
pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour
favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ;
qu'il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de
l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal
et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités
d'exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la
personne ;
5. Considérant, en second lieu, qu'il appartient au législateur de fixer les
règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ;
que celles-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis
dans les limites inhérentes à la détention ; qu'il en résulte que le législateur
doit assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice de ces droits et
libertés que la Constitution garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui
sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté ;
6. Considérant que l'article 728 du code de procédure pénale, dans sa version
antérieure à la loi du 24 novembre 2009 susvisée, confie au pouvoir
réglementaire le soin de déterminer l'organisation et le régime intérieur des
établissements pénitentiaires ; que si l'article 726 du code de procédure
pénale, dans sa rédaction antérieure à cette même loi, prévoit certaines des
mesures dont les personnes détenues peuvent faire l'objet à titre disciplinaire,
aucune disposition législative ne prévoit les conditions dans lesquelles sont
garantis les droits dont ces personnes continuent de bénéficier dans les limites
inhérentes à la détention ; qu'en renvoyant au décret le soin de déterminer ces
conditions qui incluent notamment les principes de l'organisation de la vie en
détention, de la surveillance des détenus et de leurs relations avec
l'extérieur, les dispositions contestées confient au pouvoir réglementaire le
soin de fixer des règles qui relèvent de la loi ; que, par suite, en adoptant
les dispositions contestées, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence
;
7. Considérant que la méconnaissance, par le législateur, de sa compétence dans
la détermination des conditions essentielles de l'organisation et du régime
intérieur des établissements pénitentiaires prive de garanties légales
l'ensemble des droits et libertés constitutionnellement garantis dont
bénéficient les détenus dans les limites inhérentes à la détention ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 728 du code de
procédure pénale, dans sa rédaction contestée, doit être déclaré contraire à la
Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant que, d'une part, la loi du 24 novembre 2009 susvisée a notamment
donné une nouvelle rédaction de l'article 728 du code de procédure pénale ; que,
d'autre part, le chapitre III du titre Ier de cette loi est relatif aux « droits
et devoirs des personnes détenues » ; que, par suite, la déclaration
d'inconstitutionnalité de l'article 728 du code de procédure pénale, dans sa
rédaction antérieure à cette loi, prend effet à compter de la date de la
publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les
affaires non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article 728 du code de procédure pénale dans sa rédaction
postérieure à la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public
pénitentiaire est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions
fixées par son considérant 10.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 avril 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014
Société Casuca (Plantations en limite de propriétés privées)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 5 mars 2014, par la Cour de cassation
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Casuca.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des articles 671 et 672 du code civil.
Les articles 671 et 672 du code civil établissent une servitude légale de
voisinage qui interdit aux propriétaires de fonds voisins d'avoir des arbres
d'une hauteur excédant deux mètres à moins de deux mètres de la ligne séparative
et à moins d'un demi mètre pour les autres plantations. Si ces distances ne sont
pas respectées, le voisin peut, sans avoir à justifier d'un préjudice ou à
invoquer un motif particulier, exiger l'arrachage ou la réduction des
plantations.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
D'une part, le Conseil constitutionnel a jugé qu'eu égard à l'objet et à la
portée de ces dispositions, l'arrachage ou la réduction sont insusceptibles
d'avoir des conséquences sur l'environnement. Il a donc écarté le grief tiré de
la méconnaissance de la Charte de l'environnement comme inopérant.
D'autre part, en imposant le respect de certaines distances pour les plantations
en limite de la propriété voisine, le législateur a entendu assurer des
relations de bon voisinage et prévenir les litiges nés de relations de
voisinage. Les dispositions contestées poursuivent donc un but d'intérêt
général. Par ailleurs, l'atteinte portée à l'exercice du droit de propriété ne
revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi. Le Conseil
constitutionnel a donc écarté le grief tiré de l'atteinte au droit de propriété.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu le code l'urbanisme ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par Me Didier Le Prado,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 27 mars 2014
;
Vu les observations produites pour M. Alain P., partie en défense, par la SCP
Garreau Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, enregistrées le 27 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 27 mars
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Le Prado pour la société requérante, Me Olivia Feschotte-Desbois, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 22 avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 671 du code
civil : « Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la
limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements
particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et,
à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne
séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux
mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations.
Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en
espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer
aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur.
Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les
espaliers ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 672 du même code : « Le voisin peut
exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre
que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans
l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille
ou prescription trentenaire.
« Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les
remplacer qu'en observant les distances légales » ;
3. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées,
qui permettent au voisin d'exiger du propriétaire l'arrachage ou la réduction
des arbres, arbustes et arbrisseaux plantés en bordure de son fonds sans qu'il
ait à justifier d'un préjudice, méconnaissent le Préambule de la Charte de
l'environnement, ses articles 1er à 4 ainsi que son article 6 ; qu'en outre,
elles porteraient atteinte au droit de propriété ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT :
4. Considérant, en premier lieu, que les dix articles de la Charte de
l'environnement sont précédés de sept alinéas qui disposent :
Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de
l'humanité ;
Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son
milieu naturel ;
Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et
sur sa propre évolution ;
Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des
sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de
production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que
les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux
besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations
futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ;
5. Considérant que, si ces alinéas ont valeur constitutionnelle, aucun d'eux
n'institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu'ils ne
peuvent être invoqués à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité
sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Charte de
l'environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement
durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de
l'environnement, le développement économique et le progrès social » ; que cette
disposition n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit
; que sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de
la Constitution ;
7. Considérant, en troisième lieu, que les articles 1er à 4 de la Charte de
l'environnement disposent : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement
équilibré et respectueux de la santé.
Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à
l'amélioration de l'environnement.
Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les
atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en
limiter les conséquences.
Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à
l'environnement, dans les conditions définies par la loi ;
8. Considérant que les dispositions contestées établissent une servitude légale
de voisinage qui interdit aux propriétaires de fonds voisins d'avoir des arbres,
arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine à la distance
inférieure à celle prescrite par les règlements particuliers actuellement
existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et
usages, à la distance de deux mètres de la ligne séparative pour les plantations
dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les
autres plantations ; que le voisin peut, sans avoir à justifier d'un préjudice
ou à invoquer un motif particulier, exiger l'arrachage ou la réduction des
arbres, arbustes et arbrisseaux plantés en violation de ces distances ;
9. Considérant que ces dispositions sont relatives aux règles de distance et de
hauteur de végétaux plantés à proximité de la limite de fonds voisins ; que leur
application peut conduire à ce que des végétaux plantés en méconnaissance de ces
règles de distance soient arrachés ou réduits; que ces dispositions s'appliquent
sans préjudice du respect des règles particulières relatives à la protection de
l'environnement, notamment l'article L. 130-1 du code de l'urbanisme ; qu'eu
égard à l'objet et à la portée des dispositions contestées, l'arrachage de
végétaux qu'elles prévoient est insusceptible d'avoir des conséquences sur
l'environnement ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la
Charte de l'environnement est inopérant ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU DROIT DE PROPRIÉTÉ :
10. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme
consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un
droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du
droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2
de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif
poursuivi ;
11. Considérant qu'il appartient au législateur, compétent en application de
l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la
propriété et des droits réels, de définir les modalités selon lesquelles les
droits des propriétaires de fonds voisins doivent être conciliés ; que les
servitudes de voisinage sont au nombre des mesures qui tendent à assurer cette
conciliation ;
12. Considérant, en premier lieu, que la servitude établie par les dispositions
contestées n'entraîne pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de
la Déclaration de 1789 ;
13. Considérant, en second lieu, que, d'une part, en imposant le respect de
certaines distances pour les plantations en limite de la propriété voisine, le
législateur a entendu assurer des relations de bon voisinage et prévenir les
litiges ; que les dispositions contestées poursuivent donc un but d'intérêt général ;
14. Considérant que, d'autre part, les dispositions contestées ne s'appliquent
qu'aux plantations situées en limite de la propriété voisine ; qu'en présence
d'un mur séparatif, des arbres, arbrisseaux et arbustes de toute espèce peuvent
être plantés en espalier « sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance »
; que l'option entre l'arrachage et la réduction appartient au propriétaire ;
que celui-ci a en outre le droit de s'y opposer en invoquant l'existence d'un
titre, « la destination du père de famille » ou la prescription trentenaire ;
que l'atteinte portée par les dispositions contestées à l'exercice du droit de
propriété ne revêt donc pas un caractère disproportionné au regard du but
poursuivi ; que, par suite, les griefs tirés de l'atteinte au droit de propriété
doivent être écartés ;
15. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles 671 et 672 du code civil sont conformes à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 7 mai 2014, où siégeaient
: M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET,
MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code des transports ;
Vu la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour
l'environnement ;
Vu la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du
principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de
l'environnement ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites par l'association « France Nature
Environnement », enregistrées les 31 mars et 14 avril 2014 ;
Vu les observations produites pour les associations requérantes par Me Francis
Monamy, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 1er et 16 avril 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 1er avril
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Monamy, pour les associations requérantes, Me Mathieu Victoria, avocat au
barreau d'Aix-en-Provence, pour l'association intervenante et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 22 avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-1 du code
de l'environnement : « I. - Le préfet de région et le président du conseil
régional élaborent conjointement le projet de schéma régional du climat, de
l'air et de l'énergie, après consultation des collectivités territoriales concernées et de leurs groupements.
Ce schéma fixe, à l'échelon du territoire régional et à l'horizon 2020 et 2050 :
1° Les orientations permettant d'atténuer les effets du changement climatique et
de s'y adapter, conformément à l'engagement pris par la France, à l'article 2 de
la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la
politique énergétique, de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de
serre entre 1990 et 2050, et conformément aux engagements pris dans le cadre
européen. À ce titre, il définit notamment les objectifs régionaux en matière de maîtrise de l'énergie ;
2° Les orientations permettant, pour atteindre les normes de qualité de l'air
mentionnées à l'article L. 221-1, de prévenir ou de réduire la pollution
atmosphérique ou d'en atténuer les effets. À ce titre, il définit des normes de
qualité de l'air propres à certaines zones lorsque les nécessités de leur protection le justifient ;
3° Par zones géographiques, les objectifs qualitatifs et quantitatifs à
atteindre en matière de valorisation du potentiel énergétique terrestre,
renouvelable et de récupération et en matière de mise en œuvre de techniques
performantes d'efficacité énergétique telles que les unités de cogénération,
notamment alimentées à partir de biomasse, conformément aux objectifs issus de
la législation européenne relative à l'énergie et au climat. À ce titre, le
schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie vaut schéma régional des
énergies renouvelables au sens du III de l'article 19 de la loi n° 2009-967 du 3
août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de
l'environnement. Un schéma régional éolien qui constitue un volet annexé à ce
document définit, en cohérence avec les objectifs issus de la législation
européenne relative à l'énergie et au climat, les parties du territoire favorables au développement de l'énergie éolienne.
II. - À ces fins, le projet de schéma s'appuie sur un inventaire des émissions
de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre, un bilan énergétique,
une évaluation du potentiel énergétique, renouvelable et de récupération, une
évaluation des améliorations possibles en matière d'efficacité énergétique ainsi
que sur une évaluation de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé
publique et l'environnement menés à l'échelon de la région et prenant en compte
les aspects économiques ainsi que sociaux.
III. - En Corse, le projet de schéma est élaboré par le président du conseil
exécutif. Les services de l'État sont associés à son élaboration ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-2 du même code : « Après avoir
été mis pendant une durée minimale d'un mois à la disposition du public sous des
formes, notamment électroniques, de nature à permettre sa participation, le
projet de schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie est soumis à
l'approbation de l'organe délibérant du conseil régional. Le schéma est ensuite
arrêté par le préfet de région.
En Corse, le schéma est adopté par délibération de l'Assemblée de Corse sur
proposition du président du conseil exécutif et après avis du représentant de l'État.
Les régions peuvent intégrer au schéma régional du climat, de l'air et de
l'énergie le plan climat-énergie territorial défini par l'article L. 229-26 du
présent code. Dans ce cas, elles font état de ce schéma dans le rapport prévu
par l'article L. 4310-1 du code général des collectivités territoriales.
Au terme d'une période de cinq ans, le schéma fait l'objet d'une évaluation et
peut être révisé, à l'initiative conjointe du préfet de région et du président
du conseil régional ou, en Corse, à l'initiative du président du conseil
exécutif, en fonction des résultats obtenus dans l'atteinte des objectifs fixés
et, en particulier, du respect des normes de qualité de l'air ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-3 du même code : « Chaque
région se dote d'un schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie dans un
délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-788 du 12
juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application de la présente
section et détermine, notamment, les collectivités territoriales, les
groupements de collectivités territoriales, les instances et les organismes
consultés sur le projet de schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie
soit lors de son élaboration, soit préalablement à son adoption, ainsi que les
modalités de leur consultation. Pour la Corse, le décret en Conseil d'État fixe,
en outre, les conditions dans lesquelles le représentant de l'État arrête le
schéma, lorsque l'Assemblée de Corse, après y avoir été invitée, n'a pas procédé
à son adoption dans un délai de deux ans ;
4. Considérant que, selon les associations requérantes et l'association
intervenante, en ne prévoyant pas des modalités suffisantes de participation du
public lors de l'élaboration des schémas régionaux du climat, de l'air et de
l'énergie et des schémas régionaux éoliens, ces dispositions méconnaissent le
droit de toute personne « de participer à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement » ; qu'en outre, les associations
requérantes font valoir qu'en ne fixant pas les critères à partir desquels sont
délimitées les parties du territoire favorables au développement de l'énergie
éolienne, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence ainsi que
l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; que la
méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et de cet
objectif de valeur constitutionnelle affecterait par elle-même l'exercice du
droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et le
droit de voir les autorités administratives prévenir les atteintes qui
pourraient être portées à l'environnement ;
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DE L'ARTICLE 7 DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT :
6. Considérant que l'article 7 de la Charte de l'environnement dispose : « Toute
personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi,
d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les
autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces dispositions figurent au
nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au
législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives
de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions ;
7. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, en vertu du deuxième alinéa du
paragraphe I de l'article L. 222-1 du code de l'environnement, le schéma
régional du climat, de l'air et de l'énergie doit fixer des orientations et
objectifs destinés à préserver l'environnement «à l'échelon du territoire
régional et à l'horizon 2020 et 2050»; qu'en particulier, le schéma définit les
orientations permettant d'atténuer les effets du changement climatique et de s'y
adapter et de prévenir ou de réduire la pollution atmosphérique ou d'en atténuer
les effets ; qu'il définit également, par zones géographiques, les objectifs
qualitatifs et quantitatifs à atteindre en matière de valorisation du potentiel
énergétique terrestre, renouvelable et de récupération et en matière de mise en
œuvre de techniques performantes d'efficacité énergétique telles que les unités
de cogénération, notamment alimentées à partir de biomasse, conformément aux
objectifs issus de la législation européenne relative à l'énergie et au climat ;
qu'en vertu de la dernière phrase du 3° du même paragraphe, «un schéma régional
éolien qui constitue un volet annexé à ce document définit, en cohérence avec
les objectifs issus de la législation européenne relative à l'énergie et au
climat, les parties du territoire favorables au développement de l'énergie
éolienne»; qu'ainsi, le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie et
le schéma régional éolien ont pour objet de fixer des objectifs et des
orientations en matière de préservation de l'environnement ;
8. Considérant, d'autre part, que selon le premier alinéa du paragraphe I de
l'article L. 222-4, le paragraphe VI de l'article L. 229-26 du même code, ainsi
que l'article L. 1214-7 du code des transports, le « plan de protection de
l'atmosphère », le « plan climat-énergie territorial » et le « plan de
déplacements urbains » doivent être compatibles avec le schéma régional du
climat, de l'air et de l'énergie ;
9. Considérant que, par suite, le schéma régional du climat, de l'air et de
l'énergie et le schéma régional éolien qui en constitue une annexe sont des
décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article
7 de la Charte de l'environnement ;
10. Considérant, en second lieu, que les dispositions du premier alinéa de
l'article L. 222-2 du code de l'environnement prévoient que le projet de schéma
régional du climat, de l'air et de l'énergie fait l'objet, pendant une durée
minimale d'un mois, d'une mise à la disposition du public sous des formes,
notamment électroniques, de nature à permettre sa participation ; qu'en vertu du
second alinéa de l'article L. 222-3, les modalités d'application de ces
dispositions sont fixées par un décret en Conseil d'État ;
11. Considérant qu'en fixant la durée minimale pendant laquelle ce schéma est
mis à la disposition du public et en déterminant la forme de cette mise à
disposition, qui doit être faite notamment par voie électronique, le législateur
s'est borné à prévoir le principe de la participation du public sans préciser
«les conditions et les limites» dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute
personne de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une
incidence sur l'environnement ; qu'il a renvoyé à un décret en Conseil d'État le
soin de fixer ces «conditions et limites» ; que ni les dispositions contestées
ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe
de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ;
qu'en adoptant les dispositions contestées sans fixer les conditions et limites
du principe de la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de
sa compétence ; que, par suite, la première phrase du premier alinéa de
l'article L. 222-2 du code de l'environnement doit être déclarée contraire à la Constitution ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE L'ARTICLE 34 DE LA CONSTITUTION :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe
les principes généraux «de la préservation de l'environnement» ;
13. Considérant qu'en prévoyant que le schéma régional éolien définit, en
cohérence avec les objectifs issus de la législation européenne relative à
l'énergie et au climat, les parties du territoire favorables au développement de
l'énergie éolienne, sans fixer les critères de détermination de ces parties du
territoire, le législateur n'a pas habilité l'autorité administrative à fixer
des règles qui mettent en cause les principes fondamentaux de la préservation de
l'environnement ; que, par suite, le grief tiré de ce qu'en adoptant la dernière
phrase du 3° de l'article L. 222-1 du code de l'environnement, le législateur
aurait méconnu l'étendue de sa compétence doit en tout état de cause être écarté ;
14. Considérant que les articles L. 222-1 et L. 222-3 du code de
l'environnement, ainsi que le surplus de son article L. 222-2, qui ne sont en
tout état de cause pas entachés d'inintelligibilité, ne méconnaissent aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'ils doivent être
déclarés conformes à la Constitution ;
- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :
15. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
16. Considérant que, d'une part, la remise en cause des effets produits par les
dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait des conséquences
manifestement excessives ; que, d'autre part, le Conseil constitutionnel ne
dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du
Parlement ; que, dès lors, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date
de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de
permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette
déclaration d'inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date sur
le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent
être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- La première phrase du premier alinéa de l'article L. 222-2 du code
de l'environnement est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
au 1er janvier 2015 dans les conditions fixées au considérant 16.
Article 3.- Les articles L. 222-1 et L. 222-3 du code de l'environnement, ainsi
que le surplus de son article L. 222-2 sont conformes à la Constitution.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 mai 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 mars 2014,
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
le syndicat France Hydro Électricité. Cette question est relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I
de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.
Le paragraphe I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoit
l'établissement de deux listes distinctes de cours d'eau. La première concerne
les cours d'eau sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être
accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle
à la continuité écologique. La seconde liste a trait aux cours d'eau sur
lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la
circulation des poissons migrateurs. L'inscription sur l'une ou l'autre de ces
listes a pour conséquence d'imposer des obligations particulières qui tendent à
préserver la continuité écologique sur des cours d'eau à valeur écologique
reconnue.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les inscriptions sur ces listes
constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
Cependant, contrairement à ce qu'impose l'article 7 de la Charte de
l'environnement, aucune disposition n'assurait initialement la mise en œuvre du
principe de participation du public à l'élaboration de ces décisions.
Le législateur a remédié à cette inconstitutionnalité par la loi du 27 décembre
2012. Celle-ci impose, à l'article L. 120-1 du code de l'environnement, la
participation du public pour diverses décisions ayant une incidence sur
l'environnement. Elle s'applique à compter du 1er janvier 2013 aux décisions de
classement de cours d'eau prévues au paragraphe I de l'article L. 214-17 du code
de l'environnement. Il a ainsi été mis fin à l'inconstitutionnalité. Le Conseil
a donc jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer l'abrogation des dispositions
contestées pour la période antérieure au 1er janvier 2013.
Par ailleurs le Conseil a examiné les conséquences qu'aurait, du fait de
l'inconstitutionnalité antérieure au 1er janvier 2013, la remise en cause des
décisions prises sur le fondement de l'article L. 214-17. Il a relevé qu'au
regard des arrêtés déjà adoptés pour de nombreux bassins, cette remise en cause
aurait des conséquences manifestement excessives. Il a en conséquence estimé que
les décisions prises avant le 1er janvier 2013 sur le fondement des dispositions
déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de
cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques ;
Vu la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du
principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites par l'association « France Nature
Environnement », enregistrées les 15 avril et 2 mai 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association « Fédération
nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique » par la SCP
Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 avril 2014 ;
Vu les observations produites pour le syndicat requérant par Me Jean-Pierre
Brunel, avocat au barreau de Nîmes, enregistrées les 16 et 29 avril 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 17 avril 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Brunel, pour le syndicat requérant, Me Cécile Grignon, avocat au barreau de
Paris, pour « France nature environnement », Me Hélène Farge, pour la «
Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique » et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 6 mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe I de l'article
L. 214-17 du code de l'environnement : « Après avis des conseils généraux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des
comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :
« 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs
d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des
cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est
nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la
continuité écologique.
« Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau
ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique
des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ;
« 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation
des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le
propriétaire ou, à défaut, l'exploitant » ;
2. Considérant que, selon le syndicat requérant, en ne prévoyant pas la participation du public à l'élaboration des listes de cours d'eau prévues par
l'article L. 214-17 du code de l'environnement le législateur a méconnu l'article 7 de la Charte de l'environnement ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la
loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au
législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la
mise en oeuvre de ces dispositions ;
5. Considérant que les dispositions contestées prévoient l'établissement de deux listes distinctes de cours d'eau, l'une pour les cours d'eau sur lesquels aucune
autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique et
l'autre pour les cours d'eau sur lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs ;
que l'inscription sur l'une ou l'autre de ces listes a pour conséquence d'imposer des obligations particulières qui tendent à préserver la continuité
écologique sur des cours d'eau à valeur écologique reconnue ; que, par suite, ces décisions de classement constituent des décisions publiques ayant une
incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement ;
6. Considérant que les dispositions contestées prévoient, pour l'établissement de ces listes, la consultation des comités de bassin ; que l'article L. 213-8 du
code de l'environnement prévoit que les comités de bassin sont formés à 40 % d'un collège composé de représentants d'usagers de l'eau et des milieux
aquatiques, des organisations socioprofessionnelles, des associations agréées de protection de l'environnement et de défense des consommateurs, des instances
représentatives de la pêche et de personnes qualifiées ; que la participation d'un tel collège à l'établissement des listes de cours d'eau ne constitue pas un
dispositif permettant la participation du public au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement ;
7. Considérant, toutefois, que la loi du 27 décembre 2012 susvisée a notamment donné une nouvelle rédaction de l'article L. 120-1 du code de l'environnement
qui « définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de Charte de l'environnement, est
applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités de l'Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et de ses
établissements publics ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont
applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration » ; qu'en particulier, en vertu du paragraphe II de ce même
article L. 120-1, le projet de décision en cause est mis à disposition du public par voie électronique et, sur demande présentée dans des conditions prévues par
décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures ; que les observations du public, déposées par voie
électronique ou postale, doivent parvenir à l'autorité administrative concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt-et-un jours à compter de la
mise à disposition ; que le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des
observations déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations ;
8. Considérant que ces dispositions ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2013 ; qu'avant cette date, ni les dispositions contestées ni aucune
autre disposition législative n'assuraient la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que,
par suite, en adoptant les dispositions contestées sans fixer les conditions et limites du principe de la participation du public, le législateur avait méconnu
l'étendue de sa compétence ;
9. Considérant que, d'une part, l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, de l'article L. 120-1 du code de l'environnement dans sa rédaction résultant de la
loi du 27 décembre 2012 susvisée a mis fin à l'inconstitutionnalité constatée ; qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de prononcer l'abrogation des dispositions
contestées pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 2012 ;
10. Considérant que, d'autre part, au 1er janvier 2013, les listes de cours d'eau avaient été arrêtées en application des dispositions contestées pour les
bassins de Loire-Bretagne, de Seine-Normandie, d'Artois-Picardie et de Rhin-Meuse ; que la remise en cause des effets que ces dispositions ont produits
avant le 1er janvier 2013 entraînerait des conséquences manifestement excessives ; que les décisions prises avant le 1er janvier 2013 sur le fondement des
dispositions qui étaient contraires à la Constitution avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement était contraire à la Constitution avant le 1er janvier 2013.
Article 2.- Le paragraphe I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement est conforme à la Constitution à compter du 1er janvier 2013.
Article 3.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées aux
considérants 9 et 10.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 mai 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 avril 2014,
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Alain D. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du second alinéa de l'article 272 du code
civil.
L'article 272 du code civil est relatif à la fixation de la prestation
compensatoire qui peut être prononcée à l'occasion du divorce. Son second alinéa
prévoit que, dans la détermination des besoins et des ressources, le juge ne
prend pas en considération les sommes versées au titre de la réparation des
accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un
handicap.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions méconnaissent l'égalité
devant la loi et les a déclarées contraires à la Constitution.
D'une part, en excluant des éléments retenus pour la calcul de la prestation
compensatoire les sommes versées au titre de la réparation des accidents du
travail, le second alinéa de l'article 272 du code civil empêche de prendre en
compte des ressources destinées à compenser, au moins en partie, une perte de
revenu alors que, par ailleurs, toutes les autres prestations sont prises en
considération dès lors qu'elles assurent un revenu de substitution.
D'autre part, en application de l'article 271 du code civil, il incombe au juge,
pour fixer la prestation compensatoire selon les besoins et ressources des
époux, de tenir compte notamment de leur état de santé. En excluant la prise en
considération des sommes versées à titre de compensation du handicap dans la
détermination des besoins et ressources, les dispositions contestées ont pour
effet d'empêcher le juge d'apprécier l'ensemble des besoins des époux, et
notamment des charges liées à leur état de santé.
Le Conseil constitutionnel a jugé que l'abrogation du second alinéa de l'article
272 du code civil prend effet à compter de la publication de sa décision. Elle
est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Les
prestations compensatoires fixées par des décisions définitives en application
des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être remises
en cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Véronique de
Tienda-Jouhet, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 9 mai 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24 avril
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la lettre du 12 mai 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux
parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Me de Tienda-Jouhet pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 20 mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 272 du code civil est relatif
à la fixation de la prestation compensatoire qui peut être prononcée à
l'occasion du divorce ; qu'aux termes de son second alinéa : « Dans la
détermination des besoins et des ressources, le juge ne prend pas en
considération les sommes versées au titre de la réparation des accidents du
travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap » ;
2. Considérant que, selon le requérant, ces dispositions, telles qu'interprétées
par la Cour de cassation, excluent, pour le calcul de la prestation
compensatoire, les sommes versées au titre de la réparation des accidents du
travail et du droit à compensation d'un handicap, mais non les sommes versées au
titre des pensions militaires d'invalidité ; qu'il en résulterait une violation
du principe d'égalité devant la loi ; qu'en outre, en application de l'article 7
du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a soulevé
d'office le grief tiré de ce que, en interdisant à la juridiction de prendre en
considération, pour le calcul de la prestation compensatoire, les sommes versées
au titre de la réparation d'un accident ou de la compensation d'un handicap,
alors que l'article 271 du code civil fait obligation à cette même juridiction
de prendre en considération l'état de santé des époux, les dispositions
contestées porteraient atteinte à l'égalité des époux devant la loi ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni
à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
4. Considérant que, selon l'article 270 du code civil, la prestation
compensatoire a pour objet « de compenser, autant qu'il est possible, la
disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives
» des époux ; qu'aux termes de l'article 271 : « La prestation compensatoire est
fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de
l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution
de celle-ci dans un avenir prévisible.
« À cet effet, le juge prend en considération notamment :
« - la durée du mariage ;
« - l'âge et l'état de santé des époux ;
« - leur qualification et leur situation professionnelles ;
« - les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant
la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y
consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la
sienne ;
« - le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu,
après la liquidation du régime matrimonial ;
« - leurs droits existants et prévisibles ;
« - leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant
estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura
pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les
circonstances visées au sixième alinéa » ;
5. Considérant que, par ces dispositions qui encadrent les modalités de fixation
de la prestation compensatoire, le législateur a entendu impartir au juge de
tenir compte, au cas par cas, de la situation globale de chacun des époux, au
regard notamment de leurs ressources, de leur patrimoine, de leur état de santé
et de leurs conditions de vie respectifs ;
6. Considérant que, pour le calcul de la prestation compensatoire, les
dispositions du second alinéa de l'article 272 du code civil interdisent au juge
de prendre en considération, dans la détermination des besoins et des ressources
des époux, les sommes versées à l'un d'eux au titre de la réparation d'un
accident du travail ou au titre de la compensation d'un handicap ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'en excluant des éléments retenus pour le
calcul de la prestation compensatoire les sommes versées au titre de la
réparation des accidents du travail, ces dispositions empêchent de prendre en
compte des ressources destinées à compenser, au moins en partie, une perte de
revenu alors que, par ailleurs, toutes les autres prestations sont prises en
considération dès lors qu'elles assurent un revenu de substitution ;
8. Considérant, en second lieu, qu'en application de l'article 271 du code
civil, il incombe au juge, pour fixer la prestation compensatoire selon les
besoins et ressources des époux, de tenir compte notamment de leur état de santé
; que les sommes versées à une personne au titre de la compensation de son
handicap ne sauraient être détournées de leur objet pour être affectées au
versement de la prestation compensatoire dont cette personne est débitrice ;
que, toutefois, en excluant la prise en considération des sommes versées au
titre de la compensation du handicap dans la détermination des besoins et
ressources, les dispositions contestées ont pour effet d'empêcher le juge
d'apprécier l'ensemble des besoins des époux, et notamment des charges liées à
leur état de santé ;
9. Considérant que l'interdiction de prendre en considération, pour fixer le
montant de la prestation compensatoire, les sommes versées à l'un des époux au
titre de la réparation d'un accident du travail ou au titre de la compensation
d'un handicap institue entre les époux des différences de traitement qui ne sont
pas en rapport avec l'objet de la prestation compensatoire qui est de compenser
la disparité que la rupture du mariage crée dans leurs conditions de vie
respectives ; que, par suite, cette interdiction méconnaît l'égalité devant la
loi ; que le second alinéa de l'article 272 du code civil doit être déclaré
contraire à la Constitution ;
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que l'abrogation du second alinéa de l'article 272 du code civil
prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est
applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ; que
les prestations compensatoires fixées par des décisions définitives en
application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent
être remises en cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Le second alinéa de l'article 272 du code civil est contraire à la
Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions
fixées par son considérant 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 28 mai 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 avril 2014, par le Conseil d'État,
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la commune de
Guyancourt. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit du b) du 2° (devenu 3°) du paragraphe II de
l'article L. 2531-13 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
Le paragraphe II de l'article L. 2531-13 du CGCT définit les modalités selon
lesquelles les communes de la région d'Île-de-France contribuent au fonds de
solidarité des communes de cette région. Le 2° de ce paragraphe institue des
mécanismes de plafonnement du prélèvement opéré sur les ressources des communes
au titre de ce fonds. En application des dispositions contestées, à compter de
l'année 2012les communes contributrices au fonds en 2009 voient la croissance
annuelle de leur prélèvement limitée en proportion du montant acquitté en 2009.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la différence de traitement ainsi
instituée entre les communes repose uniquement sur la date à laquelle elles ont
commencé à contribuer au fonds. Une telle différence de traitement, instituée de
façon pérenne, porte atteinte à l'égalité devant les charges publiques entre les
communes contributrices au fonds. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré
contraires à la Constitution les dispositions contestées.
Cette déclaration d'inconstitutionnalité aurait des conséquences manifestement
excessives si elle avait pour effet d'imposer la révision du montant des
prélèvements opérés au titre du fonds de solidarité des communes de la région
d'Île-de-France auprès de l'ensemble des communes contributrices pour l'année en
cours et les années passées. Le Conseil constitutionnel a donc reporté au 1er
janvier 2015 la date de cette abrogation. Les montants prélevés au titre du
fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France pour les années
2012, 2013 et 2014 ne peuvent être contestés sur le fondement de cette
inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;
Vu la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
Vu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
Vu la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la commune requérante par Me Manuel Delamarre,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et la SCP Goutal Alibert et
Associés, avocat au barreau de Paris enregistrées le 23 avril 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24 avril
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Yvon Goutal, avocat au barreau de Paris, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 20 mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe II de l'article L.
2531-13 du code général des collectivités territoriales définit les modalités
selon lesquelles les communes de la région d'Île-de-France contribuent au fonds
de solidarité des communes de la région d'Île-de-France ; qu'en particulier, le
2° de ce même paragraphe, dans sa rédaction issue de l'article 145 de la loi du
28 décembre 2011 susvisée, institue des mécanismes de plafonnement du
prélèvement sur les ressources des communes ; qu'en vertu du b) de ce 2°, ce
prélèvement « ne peut excéder 120 % en 2012, 130 % en 2013, 140 % en 2014 et, à
compter de 2015, 150 % du montant du prélèvement opéré au titre de l'année 2009
conformément à l'article L. 2531-13 dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre
2009 » ; que l'article 134 de la loi du 29 décembre 2013 susvisée a eu pour
effet de modifier les références de cette disposition, qui figure désormais
inchangée au b) du 3° du paragraphe II de l'article L. 2531-13 du code général
des collectivités territoriales ;
2.Considérant que, selon la commune requérante, en prévoyant un plafond du
prélèvement au profit du fonds de solidarité des communes de la région
d'Île-de-France au bénéfice des seules communes ayant contribué à ce fonds en
2009, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les
charges publiques ; que le législateur aurait institué sans aucune limitation de
durée une différence de traitement injustifiée entre les communes selon qu'elles
étaient ou non contributrices au fonds en 2009 ; que le critère de distinction
retenu par le législateur ne serait pas rationnel au regard de l'objectif
poursuivi ;
3.Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés » ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité,
le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et
rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne
doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les
charges publiques ;
4.Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 2531-12 du code
général des collectivités territoriales, le fonds de solidarité des communes de
la région d'Île-de-France a pour objet de contribuer « à l'amélioration des
conditions de vie dans les communes urbaines d'Île-de-France supportant des
charges particulières au regard des besoins sociaux de leur population sans
disposer de ressources fiscales suffisantes » ; que le premier alinéa du
paragraphe I de l'article L. 2531-13 du même code, dans sa rédaction issue de la
loi du 28 décembre 2011 susvisée, dispose que « les ressources du fonds de
solidarité des communes de la région d'Île-de-France en 2012, 2013, 2014 et 2015
sont fixées, respectivement, à 210, 230, 250 et 270 millions d'euros » ; que le
législateur n'a pas fixé le montant des ressources du fonds à compter de l'année
2016 ;
5. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a introduit
un dispositif de plafonnement de la croissance du prélèvement sur les ressources
communales au titre du fonds de solidarité des communes de la région
d'Île-de-France applicable aux seules communes contributrices à ce fonds en 2009
; que le législateur a ainsi entendu limiter les conséquences de l'augmentation
progressive des montants prélevés au titre du fonds entre 2012 et 2015 et
retenir comme année de référence la dernière année précédant la réforme de la
taxe professionnelle, laquelle a eu pour conséquence des modifications des
paramètres de calcul des prélèvements au profit du fonds ; que, dans le même
temps, la loi du 28 décembre 2011 susvisée a également introduit un dispositif
prévoyant une division par deux du prélèvement pour les communes contribuant au
fonds pour la première fois ; qu'elle a enfin instauré une règle applicable à
l'ensemble des communes contributrices au fonds interdisant que le prélèvement
puisse excéder une fraction des dépenses réelles de fonctionnement exposées par
la commune au cours de l'avant-dernier exercice ; que la loi du 14 mars 2012
susvisée a introduit un dispositif limitant, pour l'année 2012, le prélèvement
des communes qui sont également bénéficiaires du fonds au montant de
l'attribution qu'elles perçoivent ; que la loi du 29 décembre 2012 susvisée a
prévu que les communes ayant bénéficié de cette dernière disposition en 2012
verraient leur prélèvement abattu de 50 % en 2013 et de 25 % en 2014 ; qu'elle a
également prévu l'annulation du prélèvement dû par les communes classées au
titre de l'année précédente parmi les cent cinquante premières communes classées
au titre de la dotation de solidarité urbaine en fonction de l'indice
synthétique de ressources et de charges ; qu'enfin, la loi du 29 décembre 2013
susvisée a notamment plafonné la croissance du prélèvement dans les communes où
ce prélèvement augmente de plus de 25 % par rapport à celui de l'exercice
précédent à la moitié de la différence entre le prélèvement et 125 % du
prélèvement opéré au titre de l'année précédente ;
6.Considérant que le législateur a réservé aux seules communes contributrices en
2009 le bénéfice du dispositif de plafonnement de la croissance du prélèvement
des communes au fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France
instauré par les dispositions contestées ; que la différence de traitement ainsi
instituée entre les communes repose uniquement sur la date à laquelle elles ont
commencé à contribuer au fonds ; que, s'il était loisible au législateur de
prévoir, à titre transitoire, dans le cadre de la mise en oeuvre des nouvelles
règles de plafonnement des contributions des communes, un dispositif spécifique
réservé aux seules communes contributrices en 2009, il ne pouvait, compte tenu
de l'objet de ce fonds, laisser subsister de façon pérenne une telle différence
de traitement sans porter une atteinte caractérisée à l'égalité devant les
charges publiques entre les communes contributrices au fonds ; que, par suite,
les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant les
charges publiques ; que le b) du 2°, devenu 3°, du paragraphe II de l'article L.
2531-13 du code général des collectivités territoriales, doit être déclaré
contraire à la Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
8.Considérant qu'une déclaration d'inconstitutionnalité qui aurait pour effet
d'imposer la révision du montant des prélèvements opérés au titre du fonds de
solidarité des communes de la région d'Île-de-France auprès de l'ensemble des
communes contributrices pour l'année en cours et les années passées aurait des
conséquences manifestement excessives ; qu'il y a donc lieu de reporter au 1er
janvier 2015 la date de cette abrogation ; que les montants prélevés au titre du
fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France pour les années
2012, 2013 et 2014 ne peuvent être contestés sur le fondement de cette
inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Le b) du 2°, devenu 3°, du paragraphe II de l'article L. 2531-13
du code général des collectivités territoriales est contraire à la Constitution.
Article 2. La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2014-399 QPC du 6 juin 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 avril 2014, par la Cour de cassation
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Beverage
and Restauration Organisation SA. Cette question était relative à la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « ou d'office » au
paragraphe II de l'article L. 631-15 du code de commerce.
L'article L. 631-15 du code de commerce permet à la juridiction commerciale
d'ordonner d'office la liquidation judiciaire ou la cessation partielle de
l'activité à tout moment de la période d'observation du redressement judiciaire.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le tribunal saisi du redressement
judiciaire doit se prononcer, au plus tard à l'issue de la période
d'observation, sur la possibilité d'un plan de redressement et qu'en mettant un
terme à la procédure d'observation pour ordonner la liquidation judiciaire
lorsque le redressement est impossible, le tribunal ne se saisit pas d'une
nouvelle instance. Par ailleurs, le Conseil a relevé que la faculté pour le juge
d'exercer certains pouvoirs d'office dans le cadre de l'instance dont il est
saisi ne méconnaît pas le principe d'impartialité dès lors que cette faculté est
justifiée par un motif d'intérêt général et exercée dans le respect du principe
du contradictoire.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la SELARL Bernard Beuzeboc, ès qualités de
mandataire liquidateur à la liquidation de la société Beverage and Restauration
Organisation SA, partie en défense, par Me Dominique Foussard, avocat au Conseil
d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 30 avril 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 30 avril
2014 ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SELARL Lexavoué
Normandie, avocat au barreau de Rouen, et Me Henry Mons, avocat au barreau de
Lisieux, enregistrées les 9 et 14 mai 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Vincent Mosquet, avocat au barreau de Rouen, pour la société requérante, Me
Foussard, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 27 mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article
L. 631-15 du code de commerce : « À tout moment de la période d'observation, le
tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire
judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut ordonner la
cessation partielle de l'activité ou prononce la liquidation judiciaire si le
redressement est manifestement impossible.
« Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administrateur,
le mandataire judiciaire, les contrôleurs et les représentants du comité
d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, et avoir recueilli l'avis
du ministère public.
« Lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période
d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L. 641-10, à la
mission de l'administrateur » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en permettant à la juridiction
commerciale de se saisir d'office pour prononcer la liquidation judiciaire à
tout moment de la période d'observation du redressement judiciaire, les
dispositions du paragraphe II de l'article L. 631-15 du code de commerce
méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
mots « ou d'office » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L.
631-15 du code de commerce ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration
de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas
assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
que le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions
juridictionnelles ; qu'il en résulte qu'en principe une juridiction ne saurait
disposer de la faculté d'introduire spontanément une instance au terme de
laquelle elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée ; que,
si la Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et
absolu, la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification,
lorsque la procédure n'a pas pour objet le prononcé de sanctions ayant le
caractère d'une punition, qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif
d'intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à
assurer le respect du principe d'impartialité ;
5. Considérant que la procédure de redressement judiciaire est ouverte à toute
personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à
toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante
y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou
réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de
droit privé, qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son
actif disponible, est en cessation des paiements ; que cette procédure est
destinée à permettre la poursuite de l'activité du débiteur, le maintien de
l'emploi dans l'entreprise et l'apurement du passif ;
6. Considérant que la procédure de liquidation judiciaire est ouverte à tout
débiteur qui, ne pouvant faire face au passif exigible avec son actif
disponible, est en cessation des paiements et dont le redressement est
manifestement impossible ; que cette procédure est destinée à mettre fin à
l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une
cession de ses droits et biens ;
7. Considérant qu'en application de l'article L. 621-3 du code de commerce, le
jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ouvre une
période d'observation ; que cette période est destinée notamment à donner au
tribunal en charge de la procédure l'ensemble des informations nécessaires pour
apprécier la possibilité d'adopter un plan de redressement ; que, selon la
deuxième phrase du second alinéa de l'article L. 631-1 du code de commerce, la
procédure de redressement judiciaire « donne lieu à un plan arrêté par jugement
à l'issue d'une période d'observation » ;
8. Considérant que les articles L. 621-2, L. 621-7 et L. 621-8 du code de
commerce fixent notamment les pouvoirs que le tribunal peut exercer, le cas
échéant d'office, au cours de la période d'observation ; qu'en outre, les
dispositions contestées de l'article L. 631-15 permettent au juge de prononcer,
à tout moment de la période d'observation, soit la cessation partielle de
l'activité, soit la liquidation judiciaire lorsque le redressement judiciaire
est manifestement impossible ; que l'article L. 631-16 prévoit que, s'il
apparaît, au contraire, au cours de la période d'observation, que le débiteur
dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter
les frais et les dettes afférents à la procédure, le tribunal peut également, en
application des dispositions contestées, mettre fin d'office à cette procédure ;
9. Considérant que le tribunal saisi du redressement judiciaire doit se
prononcer, au plus tard à l'issue de la période d'observation, sur la
possibilité d'un plan de redressement ; que, par suite, en mettant un terme à la
procédure d'observation pour ordonner la liquidation judiciaire lorsque le
redressement est manifestement impossible, le tribunal ne se saisit pas d'une
nouvelle instance au sens et pour l'application des exigences constitutionnelles
précitées ;
10. Considérant, en second lieu, que la faculté pour le juge d'exercer certains
pouvoirs d'office dans le cadre de l'instance dont il est saisi ne méconnaît pas
le principe d'impartialité dès lors qu'elle est justifiée par un motif d'intérêt
général et exercée dans le respect du principe du contradictoire ;
11. Considérant, d'une part, que les dispositions contestées ont pour objet de
permettre que, lorsque les éléments recueillis au cours de la période
d'observation font apparaître que le redressement de l'entreprise est
manifestement impossible, la liquidation judiciaire ne soit pas retardée afin
d'éviter l'aggravation irrémédiable de la situation de l'entreprise ; que, par
suite, le législateur a poursuivi un but d'intérêt général ;
12. Considérant, d'autre part, que le deuxième alinéa du paragraphe II de
l'article L. 631-15 du code de commerce prévoit que le juge prononce la
liquidation judiciaire après avoir entendu notamment le débiteur,
l'administrateur et le mandataire judiciaire et après avoir recueilli l'avis du
ministère public ; que, par suite, la faculté conférée au tribunal de prononcer
d'office la liquidation judiciaire au cours de la période d'observation est
exercée dans le respect du principe du contradictoire ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de ce que
les dispositions contestées méconnaissent le principe d'impartialité des
juridictions doit être écarté ;
14. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « ou d'office », figurant au premier alinéa du paragraphe
II de l'article L. 631-15 du code de commerce, sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Décision n° 2014-400 QPC du 6 juin 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 avril 2014, par le Conseil d'État,
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Orange SA.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des
procédures fiscales (LPF).
Le troisième alinéa de l'article L. 209 du LPF est applicable dans le cas où un
contribuable qui après avoir contesté le paiement d'une imposition en demandant
le sursis de paiement, a vu sa contestation rejetée par le tribunal
administratif. Il permet au contribuable d'imputer, sur les intérêts moratoires
mis à sa charge, les frais engagés pour la constitution des garanties de
recouvrement des impositions en litige. Cet article exclut implicitement
l'imputation des frais engagés pour la constitution desdites garanties lorsque
le contribuable est redevable non pas des intérêts moratoires mais des intérêts
de retard.
Le Conseil a jugé qu'en réservant la possibilité d'une imputation du montant des
frais de constitution de garanties aux seuls cas où le terme du sursis de
paiement de l'imposition contestée a pour conséquence l'application des intérêts
moratoires, le législateur a traité différemment des contribuables qui, à
l'occasion de la contestation d'une imposition, ont constitué des garanties pour
obtenir un sursis de paiement de l'imposition contestée. Cette différence de
traitement est sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter
que les frais de constitution de garanties ne soient maintenus à la charge du
contribuable lorsque ce dernier s'acquitte de sa dette fiscale. Par suite, le
Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du troisième alinéa de
l'article L. 209 du livre des procédures fiscales méconnaissent le principe
d'égalité devant la loi.
Le Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général
d'appréciation de même nature que celui du Parlement, a reporté au 1er janvier
2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209 du LPF. Il
appartient au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à
cette déclaration d'inconstitutionnalité.
Par ailleurs, afin de préserver l'effet utile de sa décision, le Conseil
constitutionnel a jugé que les frais de constitution de garanties, engagés à
l'occasion d'une demande de sursis de paiement d'une imposition contestée avant
le 1er janvier 2015, sont imputables sur les intérêts moratoires ou sur les
intérêts de retard dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la
contestation de l'imposition.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par CMS Bureau Francis
Lefebvre, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 2 mai et 16 mai
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 mai
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Stéphane Austry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 27
mai 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 209 du livre
des procédures fiscales : « Lorsque le tribunal administratif rejette totalement
ou partiellement la demande d'un contribuable tendant à obtenir l'annulation ou
la réduction d'une imposition établie en matière d'impôts directs à la suite
d'une rectification ou d'une taxation d'office, les cotisations ou fractions de
cotisations maintenues à la charge du contribuable et pour lesquelles celui-ci
avait présenté une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement
donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires au taux de l'intérêt de retard
prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Ces intérêts moratoires ne
sont pas dus sur les cotisations ou fractions de cotisations d'impôts soumises à
l'intérêt de retard mentionné à l'article 1727 du code général des impôts.
« Ces dispositions sont également applicables en cas de désistement du
contribuable auprès de la juridiction saisie.
« Sur demande justifiée du contribuable, le montant des intérêts moratoires est
réduit du montant des frais éventuellement engagés pour la constitution des
garanties propres à assurer le recouvrement des impôts contestés.
« Les intérêts courent du premier jour du treizième mois suivant celui de la
date limite de paiement jusqu'au jour du paiement effectif des cotisations. Ils
sont recouvrés dans les mêmes conditions et sous les mêmes garanties, sûretés et
privilèges que les impositions auxquelles ils s'appliquent » ;
2. Considérant que, lorsqu'un tribunal administratif rejette la demande d'un
contribuable qui avait sollicité le sursis de paiement des impositions
contestées et avait constitué des garanties pour en assurer le recouvrement, les
dispositions contestées permettent au contribuable d'imputer les frais engagés à
cette fin sur les intérêts « moratoires » mis à sa charge du fait du retard de
paiement des impositions induit par le sursis ; qu'en revanche, ces dispositions
excluent une telle imputation lorsque le contribuable est redevable non pas des
intérêts « moratoires » mais des intérêts « de retard » prévus par l'article
1727 du code général des impôts ;
3. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées
créent ainsi une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi
par le législateur et portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et
les charges publiques ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures fiscales ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi. . . doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant que le retard de paiement d'une imposition donne notamment lieu à
l'application d'intérêts « moratoires », prévue par l'article L. 209 du livre
des procédures fiscales, ou d'intérêts « de retard » en vertu de l'article 1727
du code général des impôts ; que les majorations ainsi instituées ont pour objet
la compensation du préjudice subi par l'État du fait du paiement tardif des
impôts ;
7. Considérant que le législateur a prévu la possibilité d'obtenir l'imputation
des frais de constitution de garanties engagés par le contribuable lors de la
demande de sursis de paiement d'impositions directes pour lesquelles le rejet de
la contestation par le tribunal administratif ou le désistement du contribuable
a pour conséquence la mise à la charge de ce dernier d'intérêts « moratoires » ;
qu'il a ainsi entendu permettre que ces frais ne soient pas maintenus à la
charge du contribuable lorsque ce dernier s'acquitte de sa dette fiscale;
8. Considérant qu'en réservant la possibilité d'une imputation du montant des
frais de constitution de garanties aux seuls cas où le terme du sursis de
paiement de l'imposition contestée a pour conséquence l'application des intérêts
« moratoires », à l'exclusion de ceux où sont applicables des intérêts « de
retard », le législateur a traité différemment des contribuables qui, à
l'occasion de la contestation d'une imposition, ont constitué des garanties pour
obtenir un sursis de paiement de l'imposition contestée ; que cette différence
de traitement est sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur ; que,
par suite, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des
procédures fiscales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ; qu'elles
doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant, d'une part, que l'abrogation du troisième alinéa de l'article
L. 209 du livre des procédures fiscales aura pour effet, en faisant disparaître
l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer la faculté reconnue aux
contribuables ayant demandé un sursis de paiement à l'occasion de certains
contentieux fiscaux d'obtenir l'imputation des frais de garanties ; que le
Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de
même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au
1er janvier 2015 la date de l'abrogation du troisième alinéa de l'article L. 209
du livre des procédures fiscales afin de permettre au législateur d'apprécier
les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité ;
11. Considérant, d'autre part, qu'afin de préserver l'effet utile de la présente
décision, notamment à la solution des instances actuellement en cours, les frais
de constitution de garanties engagés à l'occasion d'une demande de sursis de
paiement formulée en application du premier alinéa de l'article L. 277 du livre
des procédures fiscales avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus
tard, avant le 1er janvier 2015 sont imputables soit sur les intérêts «
moratoires » prévus par l'article L. 209 du livre des procédures fiscales, soit
sur les intérêts « de retard » prévus par l'article 1727 du code général des
impôts dus en cas de rejet, par la juridiction saisie, de la contestation de
l'imposition,
D É C I D E :
Article 1er.- Le troisième alinéa de l'article L. 209 du livre des procédures
fiscales est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet dans les conditions fixées aux considérants 10 et 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 avril 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. David V. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit du 2° de l'article L. 1243-10 du code du travail.
Aux termes du 2° de l'article L. 1243-10 du code du travail, l'indemnité de fin
de contrat à durée déterminée n'est pas due : « Lorsque le contrat est conclu
avec un jeune pour une période comprise dans ses vacances scolaires ou
universitaires ». Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à
la Constitution.
En premier lieu, ces dispositions ne s'appliquent qu'aux élèves et aux étudiants
qui n'ont pas dépassé l'âge limite, prévu par l'article L. 381-4 du code de la
sécurité sociale, pour être affiliés obligatoirement aux assurances sociales au
titre de leur inscription dans un établissement scolaire ou universitaire. Ainsi
le Conseil a relevé que le grief tiré de ce que le législateur n'aurait pas
défini la notion de « jeune » manque en fait. Par ailleurs, le principe
d'égalité ne fait pas obstacle à ce que l'application de dispositions
législatives relatives aux élèves ou aux étudiants soit soumise à une limite
d'âge.
En second lieu, le Conseil constitutionnel a relevé que l'indemnité de fin de
contrat est versée au salarié employé en contrat à durée déterminée afin de «
compenser la précarité de sa situation » lorsqu'à l'issue de son contrat les
relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée
indéterminée. Le Conseil en a déduit qu'en excluant le versement de cette
indemnité lorsque le contrat est conclu avec un élève ou un étudiant employé
pendant ses vacances scolaires ou universitaires et qui a vocation, à l'issue de
ces vacances, à reprendre sa scolarité ou ses études, le législateur a institué
une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport
direct avec l'objet de la loi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le requérant, enregistrées les 29 avril et 19
mai 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 mai
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 3 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du 2° de l'article L. 1243-10
du code du travail, l'indemnité de fin de contrat à durée déterminée n'est pas
due : « Lorsque le contrat est conclu avec un jeune pour une période comprise
dans ses vacances scolaires ou universitaires » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en s'abstenant de fixer une limite d'âge
précisant la notion de « jeune », le législateur a méconnu l'étendue de sa
compétence ; qu'en outre, les différences de traitement instituées, d'une part,
entre les étudiants, selon leur âge, et, d'autre part, entre les étudiants et
les autres personnes employées en contrat à durée déterminée ne seraient pas en
rapport avec l'objet de l'indemnité de fin de contrat et porteraient atteinte au
principe d'égalité devant la loi ;
3. Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce
que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce
qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans
l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport
direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
4. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées ne s'appliquent
qu'aux élèves ou étudiants qui n'ont pas dépassé l'âge limite, prévu par
l'article L. 381-4 du code de la sécurité sociale, pour être affiliées
obligatoirement aux assurances sociales au titre de leur inscription dans un
établissement scolaire ou universitaire ; que, par suite, d'une part, le grief
tiré de ce qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'aurait
pas défini la notion de « jeune » manque en fait ; que, d'autre part, le
principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que l'application de dispositions
législatives relatives aux élèves ou aux étudiants soit soumise à une limite
d'âge ;
5. Considérant, en second lieu, que selon l'article L. 1243-8 du code du
travail, l'indemnité de fin de contrat est versée au salarié employé en contrat
à durée déterminée afin de « compenser la précarité de sa situation » lorsqu'à
l'issue de son contrat, les relations contractuelles de travail ne se
poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée ; que l'exclusion prévue par
les dispositions contestées ne s'applique qu'aux contrats conclus pour une
période de travail accompli pendant les vacances scolaires ou universitaires ;
que les étudiants employés selon un contrat de travail à durée déterminée pour
une période comprise dans leurs périodes de vacances scolaires ou universitaires
ne sont dans une situation identique ni à celle des étudiants qui cumulent un
emploi avec la poursuite de leurs études ni à celle des autres salariés en
contrat de travail à durée déterminée ; qu'en excluant le versement de cette
indemnité lorsque le contrat est conclu avec un élève ou un étudiant employé
pendant ses vacances scolaires ou universitaires et qui a vocation, à l'issue de
ces vacances, à reprendre sa scolarité ou ses études, le législateur a institué
une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport
direct avec l'objet de la loi ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de
l'atteinte au principe d'égalité doivent être écartés ; que les dispositions
contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la
Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 2° de l'article L. 1243-10 du code du travail est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 avril 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Lionel A. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du 3° de l'article L. 1242-2 et du 1° de
l'article L. 1243-10 du code du travail.
Aux termes du 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail, un contrat de
travail à durée déterminée (CDD) peut être conclu pour les « emplois à caractère
saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par
décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage
constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison
de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces
emplois ». Aux termes du 1° de l'article L. 1243-10 du code du travail,
l'indemnité de fin de CDD n'est pas due lorsque le contrat est conclu au titre
de ces dispositions ou des dispositions légales destinées à favoriser le
recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi ou à assurer un
complément de formation professionnelle au salarié.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en permettant le recours au CDD pour des
emplois « à caractère saisonnier » ou qui présentent un caractère « par nature
temporaire », le législateur a établi une différence de traitement fondée sur
une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. De même,
le législateur, en prévoyant que l'employeur n'est pas tenu de verser
l'indemnité de fin de contrat, a institué des différences de traitement en
rapport direct avec la particularité des emplois en cause.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association Solidarités international,
partie en défense, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation, enregistrées le 30 avril 2014 ;
Vu les observations produites par le requérant, enregistrées les 2 et 16 mai
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 mai
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Thomas Lyon-Caen, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 3 juin 2014
;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article L. 1242-2 du code du travail
fixe les cas dans lesquels, pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire,
un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu ; qu'à ce titre, le 3°
de cet article désigne les « emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels,
dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord
collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au
contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité
exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois » ;
2. Considérant qu'aux termes du 1° de l'article L. 1243-10 du code du travail,
l'indemnité de fin de contrat à durée déterminée n'est pas due : « Lorsque le
contrat est conclu au titre du 3° de l'article L. 1242-2 ou de l'article L.
1242-3, sauf dispositions conventionnelles plus favorables » ;
3. Considérant que, selon le requérant, la notion « d'usage » mentionnée à
l'article L. 1242-2 est inintelligible et insusceptible de constituer un critère
objectif et rationnel pour fonder une différence de traitement entre salariés
quant aux conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée et aux
modalités d'indemnisation des salariés employés au moyen de tels contrats ;
qu'en outre, ces dispositions institueraient entre salariés de différents
secteurs d'activité des différences qui méconnaissent le principe d'égalité
devant la loi;
4. Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 dispose que la loi «doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse»; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce
que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce
qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans
l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport
direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, en premier lieu, que le premier alinéa de l'article L. 1221-2 du
code du travail dispose : « Le contrat de travail à durée indéterminée est la
forme normale et générale de la relation de travail » ; que les dispositions de
l'article L. 1242-2 du code du travail déterminent les cas dans lesquels il peut
toutefois être recouru au contrat de travail à durée déterminée ; que le 3° de
cet article permet ainsi le recours à cette catégorie de contrat soit pour des
emplois saisonniers soit pour des emplois qui revêtent un caractère par nature
temporaire et pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au
contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité
exercée ;
6. Considérant que, d'une part, le recours au contrat de travail à durée
déterminée pour les emplois présentant un caractère par nature temporaire n'est
possible que dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par
convention ou accord collectif étendu, dans lesquels il est d'usage constant de
ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée ; que la décision de
l'autorité administrative d'inscrire un secteur d'activité dans la liste des
secteurs prévue par les dispositions contestées ou d'étendre une convention ou
un accord collectif procédant à une telle inscription peut être contestée devant
la juridiction compétente ; que s'il appartient aux autorités administratives,
sous le contrôle du juge, d'apprécier si, dans un secteur déterminé, il est «
d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée
en raison de la nature de l'activité exercée », ces dispositions n'ont pas pour
effet de conférer à ces autorités un pouvoir arbitraire et ne sont en tout état
de cause pas inintelligibles ; qu'en outre, le recours au contrat de travail à
durée déterminée en application de ces dispositions n'est possible, dans un des
secteurs ainsi définis, que s'il est établi que l'emploi en cause présente un
caractère par nature temporaire ;
7. Considérant que, d'autre part, en permettant le recours au contrat à durée
déterminée pour des emplois « à caractère saisonnier » ou qui présentent un
caractère « par nature temporaire », le législateur a établi une différence de
traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet
de la loi ;
8. Considérant que, par suite, le grief tiré de ce que le 3° de l'article L.
1242-2 du code du travail méconnaît le principe d'égalité devant la loi doit
être écarté ;
9. Considérant, en second lieu, que selon l'article L. 1243-8 du code du
travail, l'indemnité de fin de contrat est versée au salarié lié par un contrat
à durée déterminée afin de «compenser la précarité de sa situation» lorsqu'à
l'issue de son contrat, les relations contractuelles de travail ne se
poursuivent pas par la conclusion d'un contrat à durée indéterminée ; que les
dispositions contestées écartent le versement de cette indemnité lorsque le
contrat est conclu au titre du 3° de l'article L. 1242-2 du code du travail ou
de l'article L. 1242-3 ;
10. Considérant que l'article L. 1242-3 du code du travail permet le recours au
contrat à durée déterminée pour des contrats conclus au titre de dispositions
légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de
personnes sans emploi ou lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans
des conditions déterminées par décret, à assurer un complément de formation
professionnelle au salarié ; qu'en prévoyant que l'employeur n'est pas tenu de
verser l'indemnité de fin de contrat, d'une part, pour de tels contrats et,
d'autre part, lorsque le recours au contrat à durée déterminée résulte de la
nature des emplois en cause en raison de leur caractère saisonnier ou, par
nature, temporaire, le législateur a institué des différences de traitement
fondées sur une différence de situation en rapport direct avec la particularité
des emplois en cause ; que, par suite, le grief tiré de ce que le 1° de
l'article L. 1243-10 du code du travail méconnaît le principe d'égalité doit être écarté ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 3° de l'article L. 1242-2 et le 1° de l'article L. 1243-10 du
code du travail sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 avril 2014
par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée
par M. Laurent L. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du cinquième alinéa de l'article 380-11 du
code de procédure pénale (CPP).
Le cinquième alinéa de l'article 380-11 du CPP prévoit que, en cas d'appel,
lorsque l'accusé a pris la fuite et n'a pu être retrouvé avant l'ouverture de
l'audience ou au cours de son déroulement, le président de la cour d'assises
constate la caducité de l'appel.
Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition contraire à la Constitution.
Le cinquième alinéa de l'article 380-11 du CPP s'applique à l'accusé qui a
régulièrement relevé appel de sa condamnation par la cour d'assises statuant en
premier ressort. Le Conseil constitutionnel a relevé que ces dispositions le
privent du droit de faire réexaminer l'affaire par la juridiction saisie du seul
fait que, à un moment quelconque du procès, il s'est soustrait à l'obligation de
comparaître tout en rendant immédiatement exécutoire la condamnation contestée.
Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions portent au droit à un
recours juridictionnel effectif une atteinte disproportionnée.
Le Conseil constitutionnel a jugé que l'abrogation du cinquième alinéa de
l'article 380-11 du CPP prend effet à compter de la publication de sa décision.
Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette
date. Afin de permettre le jugement en appel des accusés en fuite, ceux-ci
pourront, tant qu'une nouvelle loi ne sera pas entrée en vigueur, être jugés
selon la procédure du défaut en matière criminelle.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 2 et 19 mai
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 mai
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le
requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 3 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du cinquième alinéa de
l'article 380-11 du code de procédure pénale : « La caducité de l'appel de
l'accusé résulte également de la constatation, par le président de la cour
d'assises, que ce dernier a pris la fuite et n'a pas pu être retrouvé avant
l'ouverture de l'audience ou au cours de son déroulement » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en privant de son droit d'appel l'accusé
qui n'était pas présent lors des débats devant la cour d'assises statuant en
appel, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité et le droit à un
recours effectif ; qu'en outre, l'absence de pouvoir d'appréciation du président
de la cour d'assises méconnaîtrait les exigences issues de l'article 16 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par ces
dispositions le respect des droits de la défense ; qu'il en résulte également
qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes
intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
4. Considérant que les articles 317 à 320-1 du code de procédure pénale imposent
la comparution personnelle de l'accusé devant la cour d'assises ; que, pour le
jugement des accusés absents sans excuse valable, le législateur a organisé la
procédure du défaut en matière criminelle, régie par les articles 379-2 à 379-6
du même code ; que, toutefois, l'article 380-1 exclut cette procédure devant la
cour d'assises statuant en appel ;
5. Considérant que l'article 380-2 du code de procédure pénale reconnaît à
l'accusé la faculté de faire appel de l'arrêt de condamnation rendu par la cour
d'assises en premier ressort ; que les quatre premiers alinéas de l'article
380-11 du même code prévoient la faculté pour l'accusé de se désister de son
appel, jusqu'à son interrogatoire par le président de la cour ; que le cinquième
alinéa dispose que l'appel formé par l'accusé est caduc lorsque le président de
la cour d'assises constate qu'il a pris la fuite et qu'il n'a pu être retrouvé,
avant l'ouverture du procès ou au cours de son déroulement ; que ces dernières
dispositions poursuivent l'objectif d'intérêt général d'assurer la comparution
personnelle de l'accusé en cause d'appel afin que le procès puisse être
utilement conduit à son terme et qu'il soit définitivement statué sur
l'accusation ;
6. Considérant que les dispositions contestées s'appliquent à l'accusé qui a
régulièrement relevé appel de sa condamnation ; qu'elles le privent du droit de
faire réexaminer l'affaire par la juridiction saisie du seul fait que, à un
moment quelconque du procès, il s'est soustrait à l'obligation de comparaître
tout en rendant immédiatement exécutoire la condamnation contestée ; que ces
dispositions portent au droit à un recours juridictionnel effectif une atteinte
disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que, par
suite, elles méconnaissent les exigences résultant de l'article 16 de la
Déclaration de 1789 ; que sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs,
ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
8. Considérant que l'abrogation du cinquième alinéa de l'article 380-11 du code
de procédure pénale prend effet à compter de la publication de la présente
décision ; qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées
définitivement à cette date ; qu'afin de permettre le jugement en appel des
accusés en fuite, il y a lieu de prévoir que, nonobstant les dispositions de
l'article 380-1 du code de procédure pénale, ils pourront être jugés selon la
procédure du défaut en matière criminelle,
D É C I D E :
Article 1er.- Le cinquième alinéa de l'article 380-11 du code de procédure
pénale est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions
fixées par son considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 12 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 avril 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
les époux M. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du 6° de l'article 112 du code général des
impôts (CGI).
Le code général des impôts détermine la fiscalité applicable aux actionnaires ou
associés personnes physiques dont les actions ou les parts sociales sont
rachetées par la société émettrice. Cette fiscalité varie selon la procédure de
rachat employée. Les dispositions contestées fixent une fiscalité dérogatoire,
selon le seul régime des plus-values. Ce régime, généralement plus favorable que
celui de droit commun, n'est applicable que pour certaines des procédures de
rachat. Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions contraires à la
Constitution.
Le Conseil constitutionnel a jugé que la différence de traitement fiscal des
actionnaires ou associés personnes physiques cédants pour l'imposition des
sommes ou valeurs reçues au titre du rachat de leurs actions ou parts sociales
par la société émettrice ne repose ni sur une différence de situation entre les
procédures de rachat ni sur un motif d'intérêt général en rapport avec la loi.
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution les
dispositions dérogatoires du 6° de l'article 112 du CGI. Il a reporté au 1er
janvier 2015 la date de l'abrogation de ces dispositions afin de permettre au
législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration
d'inconstitutionnalité. C'est au Parlement qu'il revient de choisir, dans le
respect du principe d'égalité devant la loi, le ou les régimes fiscaux auxquels
il entend soumettre la perception de ces sommes.
Par ailleurs, afin de préserver l'effet utile de sa décision, notamment à la
solution des instances en cours, le Conseil constitutionnel a jugé que les
sommes ou valeurs reçues avant le 1er janvier 2014 par les actionnaires ou
associés personnes physiques au titre du rachat de leurs actions ou parts
sociales par la société émettrice, lorsque ce rachat a été effectué selon une
procédure autorisée par la loi, ne sont pas considérées comme des revenus
distribués et sont donc imposées selon le seul régime des plus-values. À défaut
de l'entrée en vigueur d'une loi déterminant de nouvelles règles applicables
pour l'année 2014, il en va de même des sommes ou valeurs reçues avant le 1er
janvier 2015.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Rocheteau et
Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le
2 mai 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 6 mai
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 10 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du 2° du 1 de l'article 109
du code général des impôts, sont considérées comme revenus distribués : « Toutes
les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou
porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices » ;
2. Considérant qu'aux termes du 6° de l'article 112 du même code, ne sont pas
considérées comme revenus distribués : « Les sommes ou valeurs attribuées aux
actionnaires au titre du rachat de leurs actions, lorsque ce rachat est effectué
dans les conditions prévues aux articles L. 225-208 ou L. 225-209 à L. 225-212
du code de commerce. Le régime des plus-values prévu, selon les cas, aux
articles 39 duodecies, 150-0 A ou 150 UB est alors applicable » ;
3. Considérant que le 6 du paragraphe II de l'article 150-0-A du même code
renvoie à l'article 150-0 D le calcul de la plus-value de cession réalisée par
le bénéficiaire lors d'un rachat d'actions ; qu'aux termes du 8 ter de l'article
150-0 D du même code : « Le gain net mentionné au 6 du II de l'article 150-0 A
est égal à la différence entre le montant du remboursement et le prix ou la
valeur d'acquisition ou de souscription des titres rachetés, diminuée du montant
du revenu distribué imposable à l'impôt sur le revenu au titre du rachat dans
les conditions prévues aux articles 109, 112, 120 et 161 » ;
4. Considérant que la première phrase du premier alinéa de l'article 161 du même
code prévoit que le boni attribué lors de la liquidation d'une société aux
titulaires de droits sociaux en sus de leur apport n'est compris, le cas
échéant, dans les bases de l'impôt sur le revenu que jusqu'à concurrence de
l'excédent du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition
de ces droits dans le cas où ce dernier est supérieur au montant de l'apport ;
qu'aux termes du second alinéa du même article : « Les dispositions de la
première phrase du premier alinéa sont applicables dans le cas où la société
rachète au cours de son existence les droits de certains associés, actionnaires
ou porteurs de parts bénéficiaires » ;
5. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées
instituent, en méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les
charges publiques, une différence de traitement entre les actionnaires ou
associés personnes physiques dont les actions ou parts sociales sont rachetées
par la société émettrice, selon la procédure de rachat employée ; que cette
dernière dépendrait de l'objectif poursuivi par la société émettrice alors que
la situation du contribuable cédant serait identique quelle que soit la
procédure de rachat employée ; qu'ils font valoir que cette différence de
traitement ne repose sur aucun critère objectif et rationnel en rapport avec
l'objet de la loi et, par suite, méconnaît les principes d'égalité devant la loi
et les charges publiques ;
6. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
dispositions du 6° de l'article 112 du code général des impôts ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi... doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
8. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées du 2° du 1 de l'article
109, du 8 ter de l'article 150-0 D et du second alinéa de l'article 161 du code
général des impôts que le rachat de ses actions ou parts sociales par la société
émettrice est susceptible de dégager pour l'actionnaire ou l'associé personne
physique, d'une part, une plus-value soumise à l'impôt sur le revenu selon le
régime des plus-values de cession pour la différence entre la valeur de l'apport
et le prix d'acquisition et, d'autre part, un revenu distribué imposable dans la
catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour la différence entre le prix de
rachat des titres et leur prix ou valeur d'acquisition ou de souscription ou,
s'il est supérieur, le montant des apports compris dans la valeur nominale des
titres rachetés ;
9. Considérant que, par dérogation à ces dispositions, le 6° de l'article 112 du
code général des impôts prévoit que les sommes ou valeurs attribuées aux
actionnaires au titre du rachat de leurs actions par la société émettrice sont
soumises, pour leur ensemble, à un régime de plus-values de cession des valeurs
mobilières lorsque ce rachat est effectué dans les conditions prévues aux
articles L. 225-208 ou L. 225-209 à L. 225-212 du code de commerce ; que
l'article L. 225-208 autorise le rachat par une société anonyme de ses propres
actions en vue d'une redistribution aux salariés ; que l'article L. 225-209
autorise le rachat par une société anonyme de ses propres actions dans le cadre
d'un plan de rachat d'actions ; que les articles L. 225-210 à L. 225-212
définissent les conditions dans lesquelles ces opérations de rachat doivent être
effectuées ;
10. Considérant que lorsqu'un rachat d'actions ou de parts sociales est effectué
en vue d'une réduction du capital non motivée par des pertes, conformément à
l'article L. 225-207 du code de commerce, les sommes ou valeurs reçues à ce
titre par l'actionnaire ou l'associé personne physique cédant sont soumises au
régime fiscal de droit commun alors que, dans certaines hypothèses prévues par
l'article L. 225-209 du même code, un rachat effectué dans le cadre d'un plan de
rachat d'actions peut aboutir à une réduction du capital non motivée par des
pertes tout en ouvrant droit au bénéfice du régime fiscal des plus-values de
cession de valeurs mobilières ; que, par ailleurs, le régime d'imposition de
droit commun est applicable, notamment, à un rachat effectué en cas de refus
d'agrément conformément à l'article L. 228-24 du même code ; que la différence
de traitement entre les actionnaires ou associés personnes physiques cédants
pour l'imposition des sommes ou valeurs reçues au titre du rachat de leurs
actions ou parts sociales par la société émettrice ne repose ni sur une
différence de situation entre les procédures de rachat ni sur un motif d'intérêt
général en rapport direct avec l'objet de la loi ;
11. Considérant que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre
grief, les dispositions du 6° de l'article 112 du code général des impôts
doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
12. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
13. Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un
pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, dès
lors, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation des
dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au
législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration
d'inconstitutionnalité ;
14. Considérant, d'autre part, qu'afin de préserver l'effet utile de la présente
décision, notamment à la solution des instances en cours, les sommes ou valeurs
reçues avant le 1er janvier 2014 par les actionnaires ou associés personnes
physiques au titre du rachat de leurs actions ou parts sociales par la société
émettrice, lorsque ce rachat a été effectué selon une procédure autorisée par la
loi, ne sont pas considérées comme des revenus distribués et sont imposées selon
le régime des plus-values de cession prévu, selon les cas, aux articles 39
duodecies, 150-0 A ou 150 UB du code général des impôts ; qu'à défaut de
l'entrée en vigueur d'une loi déterminant de nouvelles règles applicables pour
l'année 2014, il en va de même des sommes ou valeurs reçues avant le 1er janvier
2015,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 6° de l'article 112 du code général des impôts est contraire à
la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet dans les conditions fixées par les considérants 13 et 14.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 avril 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la commune de Salbris. Cette question était relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa du paragraphe I de
l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
En application des dispositions de cet article, la répartition des sièges des
représentants des communes à l'organe délibérant des communautés de communes et
de communautés d'agglomération se fait selon la règle de la représentation
proportionnelle à la plus forte moyenne. Toutefois, les dispositions contestées
autorisent un accord à la majorité qualifiée des communes membres pour fixer
librement la répartition de ces sièges, dès lors que cette répartition « tient
compte de la population de chaque commune », que chaque commune dispose d'au
moins un siège et qu'aucune commune ne dispose de plus de la moitié des sièges.
Le Conseil constitutionnel a jugé qu'en permettant un accord sur la
détermination du nombre et de la répartition des sièges des conseillers
communautaires et en imposant seulement que, pour cette répartition, il soit «
tenu compte » de la population, ces dispositions permettent qu'il soit dérogé au
principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque
commune membre de l'établissement public de coopération intercommunale dans une
mesure qui est manifestement disproportionnée. Ainsi ces dispositions
méconnaissent le principe d'égalité devant le suffrage et sont contraires à la
Constitution.
Sur les effets dans le temps de cette censure, le Conseil constitutionnel a
jugé, premièrement, que la déclaration d'inconstitutionnalité du deuxième alinéa
du paragraphe I de l'article L. 5211-6-1 du CGCT entre en vigueur à compter de
la publication de sa décision. Elle est applicable à toutes les opérations de
détermination du nombre et de la répartition des sièges de conseillers
communautaires réalisées postérieurement à cette date.
Deuxièmement, le Conseil a estimé que la remise en cause immédiate de la
répartition des sièges dans l'ensemble des communautés de communes et des
communautés d'agglomération où elle a été réalisée en application des
dispositions contestées avant la publication de la décision du Conseil
constitutionnel entraînerait des conséquences manifestement excessives. Aussi le
Conseil a-t-il prévu cette remise en cause dans deux cas seulement : d'une part,
pour les instances en cours et, d'autre part, dans les communautés de communes
et les communautés d'agglomération au sein desquelles le conseil municipal d'au
moins une des communes membres est, postérieurement à la date de la publication
de la décision, partiellement ou intégralement renouvelé.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 6 mai
2014 ;
Vu les observations produites pour la commune requérante par Me Philippe
Bluteau, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 19 mai 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Bluteau, pour la commune requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 10 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe I de l'article
L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction
résultant de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des
conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers
communautaires, et modifiant le calendrier électoral : « Sans préjudice des
dispositions de l'article L. 5212-7, le nombre et la répartition des délégués
sont établis :
« - soit, dans les communautés de communes et les communautés d'agglomération,
par accord des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes
intéressées représentant la moitié de la population totale de celles-ci ou de la
moitié des conseils municipaux des communes intéressées représentant les deux
tiers de la population totale. Cette répartition tient compte de la population
de chaque commune. Chaque commune dispose d'au moins un siège et aucune commune
ne peut disposer de plus de la moitié des sièges. Le nombre de sièges total ne
peut excéder de plus de 25 % le nombre de sièges qui serait attribué en
application des III et IV du présent article ;
« - soit selon les modalités prévues aux II à VI du présent article » ;
2. Considérant que, selon la commune requérante, en permettant un accord de
répartition des sièges au conseil communautaire approuvé par une majorité
qualifiée de communes membres sans imposer une répartition sur des bases
essentiellement démographiques, les dispositions du deuxième alinéa de ce
paragraphe I méconnaissent le principe d'égalité devant le suffrage ;
3. Considérant que, selon le premier alinéa de l'article 72 de la Constitution :
« les collectivités territoriales de la République sont les communes, les
départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les
collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité
territoriale est créée par la loi » ; que le troisième alinéa du même article
dispose que ces collectivités « s'administrent librement par des conseils élus »
dans les conditions prévues par la loi ; que selon le troisième alinéa de
l'article 3 de la Constitution, le suffrage « est toujours universel, égal et
secret » ; que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège,
soit qu'elle punisse » ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dès lors que des
établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales
exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été
sinon dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases
essentiellement démographiques ; que s'il s'ensuit que la répartition des sièges
doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la
population de chaque collectivité territoriale participante, il peut être
toutefois tenu compte dans une mesure limitée d'autres considérations d'intérêt
général et notamment de la possibilité qui serait laissée à chacune de ces
collectivités de disposer d'au moins un représentant au sein de cet organe
délibérant ;
5. Considérant que les dispositions contestées prévoient les modalités de
détermination du nombre et de la répartition des délégués des communes au sein
des organes délibérants des communautés de communes et des communautés
d'agglomération ; qu'en vertu de ces dispositions, le nombre et la répartition
des sièges peuvent être fixés par accord des deux tiers des conseils municipaux
représentant la moitié de la population ou de la moitié des conseils municipaux
représentant les deux tiers de la population ; que le nombre des sièges est
plafonné par la loi ; que leur répartition doit tenir compte de la population de
chaque commune et assurer à chacune d'entre elles au moins un siège, sans
qu'aucune ne puisse disposer de plus de la moitié des sièges ; qu'en vertu du
paragraphe II de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités
territoriales, à défaut de cet accord, les sièges sont attribués à la
représentation proportionnelle de la population de chaque commune, à la plus
forte moyenne ; que leur nombre est fixé en fonction de la population totale des
communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale ; que
chaque commune dispose d'au moins un siège ;
6. Considérant qu'en permettant un accord sur la détermination du nombre et de
la répartition des sièges des conseillers communautaires et en imposant
seulement que, pour cette répartition, il soit tenu compte de la population, ces
dispositions permettent qu'il soit dérogé au principe général de
proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de
l'établissement public de coopération intercommunale dans une mesure qui est
manifestement disproportionnée ; que, par suite, elles méconnaissent le principe
d'égalité devant le suffrage et doivent être déclarées contraires à la
Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
8. Considérant, en premier lieu, que la déclaration d'inconstitutionnalité du
deuxième alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-6-1 du code général des
collectivités territoriales entre en vigueur à compter de la publication de la
présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les opérations de
détermination du nombre et de la répartition des sièges de conseillers
communautaires réalisées postérieurement à cette date ;
9. Considérant, en second lieu, que la remise en cause immédiate de la
répartition des sièges dans l'ensemble des communautés de communes et des
communautés d'agglomération où elle a été réalisée avant la publication de la
présente décision en application des dispositions déclarées contraires à la
Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives ; que, d'une
part, afin de préserver l'effet utile de la déclaration d'inconstitutionnalité à
la solution des instances en cours à la date de la présente décision, il y a
lieu de prévoir que l'abrogation du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article
L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales est applicable dans
ces instances ; que, d'autre part, afin de garantir le respect du principe
d'égalité devant le suffrage pour les élections à venir, il y a lieu de prévoir
la remise en cause du nombre et de la répartition des sièges dans les
communautés de communes et les communautés d'agglomération au sein desquelles le
conseil municipal d'au moins une des communes membres est, postérieurement à la
date de la publication de la présente décision, partiellement ou intégralement renouvelé,
D É C I D E :
Article 1er.- Le deuxième alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-6-1 du
code général des collectivités territoriales est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend
effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions
fixées aux considérants 8 et 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 juin 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 mai 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Franck I. Cette question est relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit de la première phrase du troisième alinéa de
l'article 41-4 du code de procédure pénale (CPP).
L'article 41-4 du CPP est relatif au sort des objets placés sous main de justice
lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou lorsque la juridiction saisie a
épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets. L'État
devient propriétaire de plein droit des objets saisis si la restitution n'a pas
été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter de la décision de
classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a
épuisé sa compétence.
D'une part, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en elle-même, l'attribution à
l'État des biens placés sous main de justice et qui n'ont pas été réclamés ne
porte pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de
l'objectif poursuivi de gestion efficace des scellés et de clôture des dossiers.
D'autre part, le Conseil constitutionnel a relevé que les personnes qui sont
informées dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, selon le
cas, de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière
juridiction saisie a épuisé sa compétence, sont ainsi mises à même d'exercer
leur droit de réclamer la restitution des objets placés sous main de justice.
Toutefois, le Conseil a jugé que la garantie du droit à un recours
juridictionnel effectif impose que les propriétaires qui n'auraient pas été
informés dans ces conditions soient mis à même d'exercer leur droit de réclamer
la restitution des objets placés sous main de justice dès lors que leur titre
est connu ou qu'ils ont réclamé cette qualité au cours de l'enquête ou de la
procédure. À cet effet, pour garantir le droit à un recours juridictionnel
effectif, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve afin que la décision
de classement ou la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a
épuisé sa compétence soit portée à la connaissance de ces autres propriétaires.
Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution
la première phrase du troisième alinéa de l'article 41-4 du CPP.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Monod - Colin -
Stoclet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 3
et 18 juin 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 3 juin
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Bertrand Colin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le
requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 26 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 41-4 du code de
procédure pénale : « Lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou lorsque la
juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution
des objets, le procureur de la République ou le procureur général est compétent
pour décider, d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque
la propriété n'en est pas sérieusement contestée.
« Il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un
danger pour les personnes ou les biens ou lorsqu'une disposition particulière
prévoit la destruction des objets placés sous main de justice ; la décision de
non restitution prise pour l'un de ces motifs ou pour tout autre motif, même
d'office, par le procureur de la République ou le procureur général peut être
contestée dans le mois de sa notification par requête de l'intéressé devant le
tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels, qui statue en
chambre du conseil.
« Si la restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à
compter de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière
juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets non restitués deviennent
propriété de l'État, sous réserve des droits des tiers. Il en est de même
lorsque le propriétaire ou la personne à laquelle la restitution a été accordée
ne réclame pas l'objet dans un délai de deux mois à compter d'une mise en
demeure adressée à son domicile. Les objets dont la restitution est de nature à
créer un danger pour les personnes ou les biens deviennent propriété de l'État,
sous réserve des droits des tiers, dès que la décision de non-restitution ne
peut plus être contestée, ou dès que le jugement ou l'arrêt de non-restitution
est devenu définitif » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en prévoyant le transfert automatique et
sans indemnisation préalable à l'État de la propriété des biens saisis à défaut
de demande de restitution dans le délai de six mois à compter de la décision de
classement ou de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a
épuisé sa compétence, ces dispositions méconnaissent le droit de propriété ;
qu'en outre, l'incertitude sur le point de départ du délai pour réclamer la
restitution porterait atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ;
qu'il en irait de même de la brièveté de ce délai ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la
première phrase du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure
pénale ;
4. Considérant, en premier lieu, que la propriété figure au nombre des droits de
l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété
étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est
lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous
la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation
du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article
2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif
poursuivi ;
5. Considérant que l'article 41-4 du code de procédure pénale est relatif au
sort des objets placés sous main de justice lorsqu'aucune juridiction n'a été
saisie ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué
sur la restitution des objets ; que ces dispositions donnent compétence au
procureur de la République ou au procureur général pour statuer sur le sort de
ces objets, soit d'office, soit sur requête de toute personne intéressée ; que
la décision de refus de restitution est susceptible de recours devant le
tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels ; que la première
phrase du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale prévoit
que l'État devient propriétaire de plein droit des objets saisis si la
restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter
de la décision de classement ou de la décision par laquelle la dernière
juridiction saisie a épuisé sa compétence, sous réserve des droits des tiers ;
6. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant le transfert à l'État de la
propriété d'objets placés sous main de justice et qui n'ont pas été réclamés
avant l'expiration d'un délai suivant la fin de l'enquête ou de la procédure
pénale, les dispositions contestées n'entraînent pas une privation de propriété
au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que le grief tiré de la
méconnaissance de cet article doit être écarté ;
7. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées visent à permettre
une gestion efficace des scellés conservés dans les juridictions et à permettre
la clôture des dossiers ; qu'elles poursuivent ainsi les objectifs de valeur
constitutionnelle de bonne administration de la justice et de bon emploi des
deniers publics;
8. Considérant qu'en elle-même, l'attribution à l'État des biens placés sous
main de justice et qui n'ont été réclamés ni pendant toute la durée de la
procédure ou de l'enquête ni pendant un délai supplémentaire de six mois à
l'issue de celle-ci, ne porte pas au droit de propriété une atteinte
disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que, par suite, le grief
tiré de l'atteinte au droit de propriété garanti par l'article 2 de la
Déclaration de 1789 doit être écarté ;
9. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration
de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas
assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes
substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif
devant une juridiction ;
10. Considérant, d'une part, qu'en prévoyant que la restitution peut être
demandée pendant un délai qui court, selon le cas, à compter de « la décision de
classement » ou de « la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a
épuisé sa compétence », le législateur a précisément fixé le point de départ de
ce délai ; que le grief tiré de l'imprécision du point de départ de ce délai
doit être écarté ;
11. Considérant, d'autre part, qu'il résulte du premier alinéa de l'article 41-4
du code de procédure pénale que la requête aux fins de restitution ne peut être
formée qu'après la décision de classement ou après que la juridiction saisie a
épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets ; que le
délai pour former cette réclamation est limité à six mois, quelle que soit la
durée qui s'est écoulée entre la saisie des objets et la décision qui fait
courir ce délai ;
12. Considérant que les personnes qui sont informées dans les conditions prévues
par le code de procédure pénale, selon le cas, de la décision de classement ou
de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa
compétence, sont ainsi mises à même d'exercer leur droit de réclamer la
restitution des objets placés sous main de justice ; que, toutefois, la garantie
du droit à un recours juridictionnel effectif impose que les propriétaires qui
n'auraient pas été informés dans ces conditions soient mis à même d'exercer leur
droit de réclamer la restitution des objets placés sous main de justice dès lors
que leur titre est connu ou qu'ils ont réclamé cette qualité au cours de
l'enquête ou de la procédure ; que, par suite, les dispositions contestées
porteraient une atteinte disproportionnée au droit de ces derniers de former une
telle réclamation si le délai de six mois prévu par les dispositions contestées
pouvait commencer à courir sans que la décision de classement ou la décision par
laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence ait été portée à
leur connaissance ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne
méconnaissent pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789;
13. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 12, la première phrase du
troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 juillet 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
DEUX DECISIONS DU 11 JUILLET 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 mai 2014, par le Conseil d'Etat,
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Dominique S. Cette
question portait sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution
garantit de la première phrase du troisième alinéa de l'article 721 du code de
procédure pénale (CPP) et du sixième alinéa de cet article.
L'article 721 du code de procédure pénale est relatif aux réductions de peine
dites « ordinaires », dont tout détenu condamné bénéficie s'il satisfait à la
condition de bonne conduite prévue par la loi. Lorsqu'il commence à exécuter la
peine d'emprisonnement, le condamné est informé du crédit de réduction de peine
calculé sur la durée de la détention. Le détenu est également informé qu'en cas
de mauvaise conduite de sa part, des mesures de retrait de ce crédit peuvent
être prononcées par le juge de l'application des peines.
Le requérant soutenait que la possibilité de retirer le crédit de réduction de
peine en cas de mauvaise conduite était une sanction répressive dont les
conditions n'étaient pas définies par la loi.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution. Le retrait d'un crédit de réduction de peine en cas de mauvaise
conduite du condamné a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou
partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de
jugement. Un tel retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le
caractère d'une punition.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2004-404 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité ;
Vu la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution
des peines ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le requérant, enregistrées les 5 et 20 juin
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 5 juin
2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'association « Observatoire
international des prisons - section française » par Me Patrice Spinosi, avocat
au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 5 et 20 juin 2014
;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Spinosi, pour l'association intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 1er juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article premier de l'article 721 du code de procédure
pénale dispose que chaque condamné bénéficie d'un crédit de réduction de peine
calculé sur la durée de la condamnation prononcée ; qu'aux termes des troisième
et quatrième alinéas de cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du 27
mars 2012 susvisée : « En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, le
juge de l'application des peines peut être saisi par le chef d'établissement ou
sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait, à hauteur de
trois mois maximum par an et de sept jours par mois, de cette réduction de
peine. Il peut également ordonner le retrait lorsque la personne a été condamnée
pour les crimes ou délits, commis sur un mineur, de meurtre ou assassinat,
torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle et
qu'elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est
proposé par le juge de l'application des peines, sur avis médical, en
application des articles 717-1 ou 763-7. Il en est de même lorsque le juge de
l'application des peines est informé, en application de l'article 717-1, que le
condamné ne suit pas de façon régulière le traitement qu'il lui a proposé. La
décision du juge de l'application des peines est prise dans les conditions
prévues à l'article 712-5.
« Lorsque le condamné est en état de récidive légale, le retrait prévu par le
troisième alinéa du présent article est alors de deux mois maximum par an et de
cinq jours par mois » ;
2. Considérant que le sixième alinéa de ce même article dispose : « Lors de sa
mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe de la date prévisible de
libération compte tenu de la réduction de peine prévue par le premier alinéa,
des possibilités de retrait, en cas de mauvaise conduite ou de commission d'une
nouvelle infraction après sa libération, de tout ou partie de cette réduction.
Cette information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération » ;
3. Considérant que, selon le requérant, le retrait du crédit de réduction de
peine constitue une peine distincte de celle qui a été prononcée par la
juridiction de jugement et qui s'ajoute à cette dernière ; qu'en raison de son
objet répressif, un tel retrait devrait en tout état de cause être regardé comme
une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en permettant que
le juge de l'application des peines prononce ce retrait en cas de « mauvaise
conduite » alors que cette notion n'est pas précisément définie, le législateur
aurait méconnu le principe de légalité des délits et des peines et l'exigence
d'une définition précise des crimes et délits ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la
première phrase du troisième alinéa de l'article 721 du code de procédure pénale
ainsi que sur le sixième alinéa de cet article ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi
ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne
peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au
délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article
s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions
répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que
le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe
de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la
Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la
loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et
précis ;
6. Considérant que l'article 721 du code de procédure pénale est relatif aux
réductions de peines, dites « ordinaires », dont tout détenu condamné bénéficie
s'il satisfait à la condition de bonne conduite prévue par la loi ; que cette
réduction est calculée à concurrence de trois mois pour la première année de
détention, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins
d'un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours
par mois ; que les condamnés en état de récidive légale bénéficient d'un crédit
de réduction de peine d'une durée inférieure ; que lorsqu'il commence à exécuter
la peine d'emprisonnement, le condamné est informé du crédit de réduction de
peine calculé sur la durée de la détention ; qu'est également portée à sa
connaissance la possibilité que ce crédit de réduction de peine fasse l'objet de
retraits en cas de mauvaise conduite ;
7. Considérant que le retrait d'un crédit de réduction de peine en cas de
mauvaise conduite du condamné a pour conséquence que le condamné exécute
totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la
juridiction de jugement ; qu'un tel retrait ne constitue donc ni une peine ni
une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, par suite, les griefs
tirés de la violation de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de l'article
34 de la Constitution sont inopérants ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- La première phrase du troisième alinéa de l'article 721 du code de
procédure pénale et le sixième alinéa de cet article sont conformes à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juillet 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 mai 2014, par la
Cour de cassation, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M.
Clément B. et quarante-quatre autres personnes. Cette question portait sur la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième
alinéa de l'article L. 443-15 du code de la construction et de l'habitation (CCH).
La loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis
comprend des dispositions limitant le nombre de voix dont dispose un
copropriétaire majoritaire en assemblée générale. L'article L. 443-15 du CCH,
applicable aux copropriétés issues de la vente de certains appartements par un
organisme d'habitations à loyer modéré (HLM), écarte ces dispositions de la loi
de 1965 pour un organisme HLM vendeur.
Le Conseil constitutionnel a jugé ce quatrième alinéa de l'article L. 443-15 du
CCH conforme à la Constitution. Il a notamment jugé que, s'il appartient aux
juridictions compétentes de faire obstacle aux abus de majorité commis par un ou
plusieurs copropriétaires, ni le droit de propriété, ni aucun autre principe ou
règle de valeur constitutionnelle n'interdit qu'un copropriétaire dont la
quote-part dans les parties communes est majoritaire puisse disposer, en
assemblée générale, d'un nombre de voix proportionnel à l'importance de ses
droits dans l'immeuble.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des
immeubles bâtis ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Morel - Chadel -
Moisson, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 10 juin 2014 ;
Vu les observations produites pour le syndicat des copropriétaires de l'immeuble
sis. . . à Paris, partie en défense, représenté par Paris Habitat OPH, son
syndic, par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, enregistrées le 10 juin 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10 juin
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Morel, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Patrice
Lebatteux, avocat au barreau de Paris, pour la partie en défense, et M. Xavier
Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 1er juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article L. 443-15 du code de la construction et de
l'habitation est applicable aux copropriétés issues de la vente de certains
appartements par un organisme d'habitations à loyer modéré ; qu'aux termes du
quatrième alinéa de cet article : « Les dispositions du deuxième alinéa du I de
l'article 22 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée ne s'appliquent pas
à l'organisme d'habitations à loyer modéré vendeur » ;
2. Considérant que, selon les requérants, en écartant les dispositions de la loi
du 10 juillet 1965 qui limitent le nombre de voix dont un copropriétaire
majoritaire dispose en assemblée générale, les dispositions contestées
permettent à un tel copropriétaire d'imposer ses décisions à l'ensemble des
autres copropriétaires et portent une atteinte disproportionnée à l'exercice du
droit de propriété de ces derniers ;
3. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés
par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit
inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une
juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de
propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la
Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées
par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
4. Considérant qu'il appartient au législateur compétent en application de
l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la
propriété et des droits réels, de définir les droits de la copropriété d'un
immeuble bâti sans porter d'atteinte injustifiée aux droits des copropriétaires
;
5. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article 22
de la loi du 10 juillet 1965 susvisée : « Chaque copropriétaire dispose d'un
nombre de voix correspondant à sa quote-part dans les parties communes.
Toutefois, lorsqu'un copropriétaire possède une quote-part des parties communes
supérieure à la moitié, le nombre de voix dont il dispose est réduit à la somme
des voix des autres copropriétaires » ; qu'en prévoyant que ces dispositions ne
s'appliquent pas à l'organisme d'habitations à loyer modéré vendeur, les
dispositions contestées ont pour seul effet d'écarter l'application de la
deuxième phrase du deuxième alinéa du paragraphe I de l'article 22 de la loi du
10 juillet 1965 qui réduit le nombre des voix du copropriétaire majoritaire par
exception à la règle de proportionnalité ;
6. Considérant que le Conseil constitutionnel n'est pas saisi des dispositions
qui énumèrent les décisions qui peuvent être adoptées par l'assemblée générale
des copropriétaires et fixent les différentes règles de majorité applicables
pour l'adoption de ces décisions ; que la disposition contestée par la présente
question prioritaire de constitutionnalité est relative au nombre des voix dont
disposent les copropriétaires en assemblée générale ; que, s'il appartient aux
juridictions compétentes de faire obstacle aux abus de majorité commis par un ou
plusieurs copropriétaires, ni le droit de propriété ni aucun autre principe ou
règle de valeur constitutionnelle n'interdit qu'un copropriétaire dont la
quote-part dans les parties communes est majoritaire puisse disposer, en
assemblée générale, d'un nombre de voix proportionnel à l'importance de ses
droits dans l'immeuble ; que, par suite, doivent être écartés les griefs tirés
de ce que le quatrième alinéa de l'article L. 443-15 du code de la construction
et de l'habitation porterait atteinte au droit de propriété ;
7. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni au
principe d'égalité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le quatrième alinéa de l'article L. 443-15 du code de la
construction et de l'habitation est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juillet 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 mai 2014 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM.
Jean-Louis M. et Jacques B. Cette question est relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit des sixième et huitième alinéas
de l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.
Les articles 8 et 9 de cette loi du 11 mars 1988 sont relatifs au financement
public des partis et groupements politiques. L'aide publique ainsi attribuée
comprend deux fractions. Le sixième alinéa de l'article 9 prévoit que la seconde
fraction de cette aide est attribuée aux partis et groupements politiques
bénéficiaires de la première fraction, proportionnellement au nombre de membres
du Parlement qui ont déclaré au bureau de leur assemblée y être inscrits ou s'y
rattacher. Le huitième alinéa de ce même article 9 prévoit qu'un membre du
Parlement, élu dans une circonscription qui n'est pas comprise dans le
territoire d'une ou plusieurs collectivités territoriales d'outre-mer ne peut
pas s'inscrire ou se rattacher à un parti ou groupement politique qui n'a
présenté des candidats, lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée
nationale, que dans une ou plusieurs collectivités territoriales d'outre-mer.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
Il a notamment jugé que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe
d'égalité. Il a considéré qu'en instaurant une différence de traitement entre
les partis et groupements politiques bénéficiant de la première fraction qui
n'ont présenté des candidats que dans une collectivité d'outre-mer et ceux qui
ont présenté des candidats en métropole, le législateur a entendu, d'une part,
faire obstacle à des opérations de rattachement destinées exclusivement à
obtenir le versement de la seconde fraction de l'aide publique en utilisant des
règles particulières, applicables, pour l'attribution de la première fraction,
dans les collectivités d'outre-mer et, d'autre part, prendre en compte les
particularités de la vie politique dans les collectivités d'outre-mer et, en
particulier, l'existence de partis ou groupements politiques n'ayant d'audience que dans ces collectivités.
Le Conseil constitutionnel a également jugé ces dispositions conformes aux
exigences de l'article 4 de la Constitution, qui sont relatives en particulier
au pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Il a relevé qu'en interdisant
que la seconde fraction de l'aide puisse être attribuée à raison du rattachement
d'un membre du Parlement, élu dans une circonscription de métropole, à un parti
ou un groupement politique qui n'a pas présenté de candidat en métropole, le
législateur a retenu un critère objectif et rationnel qui ne méconnaît pas
l'exigence de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
Vu la loi n° 96-62 du 29 janvier 1996 prise pour l'application des dispositions
de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 qui ont institué une
session parlementaire ordinaire unique et modifié le régime de l'inviolabilité parlementaire ;
Vu la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par M. Jean-Louis M., enregistrées le 28 mai et le 16 juin 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 juin 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 26 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les articles 8 et 9 de la loi du 11
mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique prévoient
que le montant des aides attribuées au titre du financement public des partis et
groupements politiques est divisé en deux fractions égales et en fixent les
modalités ; que la première fraction de l'aide est destinée au financement des
partis et groupements politiques en fonction des résultats des candidats qu'ils
ont présentés aux élections à l'Assemblée nationale ; qu'elle est attribuée soit
aux partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats ayant obtenu
chacun 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions lors
du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale, soit à ceux qui n'ont
présenté des candidats, lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée
nationale, que dans une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des
articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, à la condition
que ces candidats aient obtenu 1 % des suffrages exprimés dans l'ensemble des
circonscriptions où leur parti ou groupement politique était représenté ;
2. Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 29 janvier 1996
susvisée, le sixième alinéa de l'article 9 dispose : « La seconde fraction de
ces aides est attribuée aux partis et groupements politiques bénéficiaires de la
première fraction visée ci-dessus, proportionnellement au nombre de membres du
Parlement qui ont déclaré au bureau de leur assemblée, au cours du mois de
novembre, y être inscrits ou s'y rattacher » ;
3. Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 11 octobre 2013
susvisée, le huitième alinéa de ce même article 9 dispose : « Un membre du
Parlement, élu dans une circonscription qui n'est pas comprise dans le
territoire d'une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des articles
73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, ne peut pas s'inscrire ou
se rattacher à un parti ou à un groupement politique qui n'a présenté des
candidats, lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale, que dans
une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des mêmes articles 73 ou
74 ou en Nouvelle-Calédonie » ;
4. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions portent atteinte au
principe d'égalité, aux exigences qui résultent de l'article 4 de la
Constitution et au principe d'exercice indivisible de la souveraineté nationale
par les membres du Parlement ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA VIOLATION DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ :
5. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées entraînent
une rupture d'égalité, d'une part, entre les membres du Parlement élus dans les
circonscriptions d'outre-mer et ceux qui sont élus en métropole, seuls les
premiers pouvant ouvrir droit à l'attribution de la seconde fraction à tous les
partis et groupements politiques qui peuvent en bénéficier et, d'autre part,
entre les partis et groupements politiques ayant présenté des candidats en
métropole et ceux ayant présenté des candidats exclusivement outre-mer, les
seconds ne pouvant bénéficier du rattachement de membres du Parlement élus en
métropole ;
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous,
soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général
pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte
soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
7. Considérant, d'autre part, que la deuxième phrase du premier alinéa de
l'article 73 de la Constitution prévoit que, pour leur application dans les
départements et les régions d'outre mer, les lois et règlements peuvent faire
l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières
de ces collectivités ; que les articles 74 et 74-1 prévoient que, dans les
collectivités d'outre-mer, les lois et règlements dans les matières qui
demeurent de la compétence de l'État peuvent être assorties des adaptations
nécessaires ; que les dispositions transitoires relatives à la
Nouvelle-Calédonie sont prévues par les articles 76 et 77 de la Constitution ;
8. Considérant, en premier lieu, que, si le rattachement des membres du
Parlement à un parti ou groupement politique constitue le critère d'attribution
de la seconde fraction de l'aide à ces partis et groupements, cette aide n'est
pas versée aux membres du Parlement mais aux partis et groupements politiques ;
que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité entre les
membres du Parlement est inopérant ;
9. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées instaurent une
différence de traitement entre les partis et groupements politiques bénéficiant
de la première fraction selon, d'une part, qu'ils ont présenté des candidats en
métropole ou, d'autre part qu'ils n'en ont présenté que dans une ou plusieurs
circonscriptions d'outre-mer ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a
entendu faire obstacle à des rattachements destinés exclusivement à ouvrir
droit, au profit d'un parti ou groupement politique, au versement de la seconde
fraction de l'aide publique en vertu des règles particulières, applicables dans
les seules collectivités d'outre-mer pour l'attribution de la première fraction
; que le législateur a également entendu prendre en compte les particularités de
la vie politique dans les collectivités d'outre-mer et, en particulier,
l'existence de partis et groupements politiques dont l'audience est limitée à
ces collectivités ; que dès lors, la différence de traitement instituée par la
loi est en lien direct avec l'objectif d'intérêt général poursuivi et tient
compte de la situation particulière des collectivités relevant de l'article 73
ou de l'article 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie ; que par
suite, le grief tiré de la violation du principe d'égalité doit être écarté ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA VIOLATION DES EXIGENCES
RÉSULTANT DES PREMIER ET TROISIÈME ALINÉAS DE L'ARTICLE 4 DE LA CONSTITUTION :
10. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées portent
atteinte au principe de la participation équitable des partis et groupement
politiques à la vie démocratique de la Nation, lequel suppose que chaque parti
ou groupement politique bénéficie d'une aide proportionnelle à sa
représentativité ; qu'en outre, en empêchant un membre du Parlement élu en
métropole de se rattacher à un parti ou groupement politique d'outre-mer, ces
dispositions porteraient atteinte à la liberté de formation et d'exercice des partis et groupements politiques ;
11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 4 de la
Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression
du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent
respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » ; que
le troisième alinéa de cet article dispose : « La loi garantit les expressions
pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements
politiques à la vie démocratique de la Nation » ;
12. Considérant que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'État
accorde, en se fondant sur des critères objectifs et rationnels, une aide
financière aux partis et groupements politiques qui concourent à l'expression du
suffrage ; que le mécanisme d'aide retenu ne doit aboutir ni à établir un lien
de dépendance d'un parti ou groupement politique vis-à-vis de l'État ni à
compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions
; que si l'octroi d'une aide à des partis ou groupements politiques du seul fait
qu'ils présentent des candidats aux élections à l'Assemblée nationale peut être
subordonné à la condition qu'ils justifient d'un minimum d'audience, les
critères retenus par le législateur ne doivent pas conduire à méconnaître
l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions protégée par
l'article 4 de la Constitution ;
13. Considérant, en premier lieu, qu'en réservant l'attribution de la seconde
fraction de l'aide aux partis et groupements politiques éligibles à la première
fraction, le législateur a subordonné l'attribution de l'aide publique à ces
partis et groupements à une exigence minimale d'audience qui ne revêt pas un
caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'en interdisant que la seconde fraction de
l'aide puisse être attribuée à raison du rattachement d'un membre du Parlement,
élu dans une circonscription de métropole, à un parti ou groupement politique
qui n'a pas présenté de candidat en métropole, le législateur a retenu un
critère objectif et rationnel qui ne méconnaît pas l'exigence de pluralisme des
courants d'idées et d'opinions ;
15. Considérant, en troisième lieu, que cette interdiction de rattachement n'a
pas d'autre conséquence que de déterminer les conditions d'attribution de cette
aide ; qu'elle n'interdit aucunement à un membre du Parlement, quelle que soit
la circonscription dans laquelle il est élu, d'adhérer ou de soutenir le parti
ou groupement politique de son choix ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de
l'atteinte aux exigences qui résultent des premier et troisième alinéas de
l'article 4 de la Constitution doivent être écartés ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE À L'INDIVISIBILITÉ DE L'EXERCICE
DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE PAR LES REPRÉSENTANTS DE LA NATION :
17. Considérant que, selon les requérants, en ouvrant des droits différents aux
membres du Parlement en fonction de la circonscription dans laquelle ils ont été
élus, les dispositions contestées contreviennent aux exigences qui résultent des
articles 1er et 3 de la Constitution selon lesquelles l'exercice de la
souveraineté nationale par les représentants de la Nation est indivisible ;
18. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution, « la France
est une République indivisible » ; qu'aux termes des deux premières phrases de
l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple
qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section
du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » ;
19. Considérant qu'il ressort de ces dispositions que les membres du Parlement
ont la qualité de représentants du peuple ; qu'en outre, si députés et sénateurs
sont élus au suffrage universel, direct pour les premiers, indirect pour les
seconds, chacun d'eux représente au Parlement la Nation tout entière et non la
population de la circonscription où il a été élu ; qu'à ce titre, ils sont
appelés à voter la loi dans les conditions fixées par la Constitution et les
dispositions ayant valeur de loi organique prises pour son application ; qu'en
conséquence, le législateur ne saurait faire bénéficier certains parlementaires,
en raison de leur élection dans une circonscription déterminée, de prérogatives
particulières dans le cadre de la procédure d'élaboration de la loi, du contrôle
de l'action du Gouvernement et de l'évaluation des politiques publiques ;
qu'enfin ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division
par catégories des électeurs ou des éligibles ;
20. Considérant que les dispositions contestées sont relatives au financement
public des partis et groupements politiques et non à l'exercice du mandat
parlementaire ou aux prérogatives qui s'y rapportent ; qu'elles ne concernent
pas la procédure d'élaboration de la loi, non plus qu'aucune autre fonction dont
l'exercice par le Parlement résulte de la Constitution ; qu'enfin, elles
n'instituent pas une division en catégories d'électeurs ou d'éligibles ; que le
grief tiré de l'atteinte à l'exercice indivisible de la souveraineté nationale
par les représentants de la Nation est donc inopérant ;
21. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les sixième et huitième alinéas de l'article 9 de la loi n° 88-227
du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique sont
conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juillet 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 mai 2014 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
société Roquette Frères. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 314-1-1 du code de l'énergie.
L'article L. 314-1-1 permet aux installations de cogénération d'une puissance
supérieure à douze mégawatts, en exploitation au 1er janvier 2013, de
bénéficier, jusqu'au 31 décembre 2016, d'une rémunération pour la disponibilité
annuelle de leur capacité de production d'électricité. Cet article réserve le
bénéfice de cette rémunération aux installations ayant bénéficié d'un contrat
d'obligation d'achat conclu avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février
2000, laquelle avait restreint le bénéfice des contrats d'obligation d'achat aux
installations d'une puissance n'excédant pas 12 mégawatts.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le fait d'avoir conclu un contrat
d'obligation d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur de la loi du 10
février 2000 ne saurait, par lui-même, justifier le bénéfice d'un droit exclusif
à l'attribution d'un nouveau régime de soutien financier. Cet avantage n'est pas
justifié par une différence de situation entre les installations de cogénération
d'une puissance supérieure à douze mégawatts. En outre, les motifs d'intérêt
général d'efficacité énergétique et de sécurité des approvisionnements que
permet la cogénération ne justifient pas cette différence de traitement dès lors
que toutes ces installations sont susceptibles de concourir à la réalisation de
ces objectifs, qu'elles aient ou non antérieurement bénéficié d'un contrat
d'obligation d'achat.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé les dispositions de l'article L. 314-1-1
du code de l'énergie contraires à la Constitution. L'abrogation de cette
disposition prend effet à compter de la décision du Conseil constitutionnel.
Toutefois le Conseil a jugé que les rémunérations dues contractuellement, au
titre des périodes antérieures au 1er janvier 2015, ne peuvent être remises en
cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;
Vu la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du
marché de l'électricité ;
Vu la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par l'AARPI Foley Hoag,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 13 juin et 26 juin 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16 juin 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Frédéric Scanvic, avocat au barreau de Paris et M. Xavier Pottier, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-1-1 du code de l'énergie : «
Les installations de cogénération en exploitation au 1er janvier 2013 d'une
puissance supérieure à 12 mégawatts électriques et ayant bénéficié d'un contrat
d'obligation d'achat peuvent bénéficier d'un contrat qui les rémunère pour la
disponibilité annuelle de leur capacité de production, aussi bien en hiver qu'en
été. Ce contrat est signé avec Électricité de France. La rémunération tient
compte des investissements nécessaires sur la période allant jusqu'au 31
décembre 2016 et de la rentabilité propre des installations incluant toutes les
recettes prévisionnelles futures. Elle tient aussi compte de l'impact positif de
ces installations sur l'environnement. Cette rémunération est plafonnée à un
montant maximal annuel. La dernière rémunération ne peut intervenir après le 31
décembre 2016. »
« Les termes de ce contrat et le plafond de rémunération sont fixés par arrêté
des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, après avis de la Commission
de régulation de l'énergie » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en réservant le bénéfice du
contrat rémunérant la disponibilité annuelle de leur capacité de production aux
installations de cogénération d'une puissance supérieure à douze mégawatts qui
avaient bénéficié d'un contrat d'obligation d'achat conclu avant la loi du 10
février 2000 susvisée, le législateur a introduit une différence de traitement
entre lesdites installations sans rapport avec l'objet de la loi et, par suite,
méconnu le principe d'égalité devant la loi ; qu'elle soutient qu'au surplus,
cette différence de traitement provoque des distorsions de concurrence, portant
atteinte à la liberté d'entreprendre ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi. . . doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
4. Considérant que la cogénération est la production simultanée, dans un seul
processus, d'énergie thermique et d'énergie électrique ; qu'elle tend à réduire
les rejets de gaz à effet de serre, à réaliser des économies d'énergie par un
meilleur rendement énergétique et à contribuer à l'objectif de sécurité de
l'approvisionnement en électricité ; qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du
10 février 2000, les exploitants d'installations de cogénération pouvaient,
quelle qu'en soit la puissance, conclure avec Électricité de France un contrat
d'obligation d'achat de l'électricité produite à un prix garanti ; que l'article
10 de la loi du 10 février 2000 a réservé le bénéfice de cette obligation
d'achat, d'une part, aux installations d'une puissance n'excédant pas douze
mégawatts et, d'autre part, à celles qui valorisent des déchets ménagers ou
assimilés ou qui visent l'alimentation d'un réseau de chaleur ; que,
conformément aux prévisions de cette loi, les contrats d'obligation d'achat
conclus antérieurement à son entrée en vigueur avec les exploitants des
installations d'une puissance supérieure à douze mégawatts ont été exécutés
jusqu'à leur terme par Électricité de France, à savoir jusqu'à une période comprise entre 2008 et 2013 ;
5. Considérant que l'article L. 314-1-1, qui a été introduit dans le code de
l'énergie par l'article 43 de la loi du 16 juillet 2013 susvisée, permet aux
installations d'une puissance supérieure à douze mégawatts, en exploitation au
1er janvier 2013, de bénéficier, jusqu'au 31 décembre 2016, pour la
disponibilité annuelle de leur capacité de production d'électricité, d'une
rémunération tenant notamment compte des investissements nécessaires sur la
période allant jusqu'au 31 décembre 2016, à condition qu'elles aient bénéficié
d'un contrat d'obligation d'achat conclu avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000 ;
6. Considérant, d'une part, qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du
16 juillet 2013 qu'en adoptant les dispositions contestées visant à préserver la
filière de la cogénération à « haut rendement » et pour s'inscrire dans les
objectifs des directives de l'Union européenne sur l'efficacité énergétique, le
législateur a entendu accorder un soutien public à certaines installations de
cogénération d'une puissance supérieure à douze mégawatts au motif qu'elles ne
pourraient faire face aux investissements nécessaires à la poursuite de leur
activité jusqu'à la mise en oeuvre, en 2016, des dispositions de la loi du 7
décembre 2010 susvisée qui instaurent un marché de la capacité d'effacement et
de production d'électricité ;
7. Considérant, d'autre part, que le fait d'avoir conclu un contrat d'obligation
d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000 ne
saurait, par lui-même, justifier le bénéfice d'un droit exclusif à l'attribution
d'un nouveau régime de soutien financier ; que l'octroi de cet avantage ne
correspond à une différence de situation entre les installations de cogénération
ni au regard de la rentabilité de ces installations ni au regard de la nécessité
pour les entreprises qui les exploitent d'engager des investissements, du
processus industriel de cogénération employé ou de l'impact positif sur
l'environnement qui en résulte ; qu'en outre, les motifs d'intérêt général
d'efficacité énergétique et de sécurité des approvisionnements que permet la
cogénération ne justifient pas la différence de traitement en cause dès lors que
les installations d'une puissance supérieure à douze mégawatts sont susceptibles
de concourir à la réalisation de ces objectifs qu'elles aient ou non
antérieurement bénéficié d'un contrat d'obligation d'achat ; que, dès lors,
nonobstant leur application limitée à une période expirant le 31 décembre 2016,
les dispositions de l'article L. 314-1-1 du code de l'énergie méconnaissent les
exigences de l'article 6 de la Déclaration de 1789 ;
8. Considérant que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre
grief, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
9. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
10. Considérant, d'une part, que l'abrogation des dispositions de l'article L.
314-1-1 du code de l'énergie prend effet à compter de la publication de la
présente décision ; que, postérieurement à cette date, aucun contrat ne pourra
être conclu ;
11. Considérant, d'autre part, que la rémunération prévue par l'article L.
314-1-1 du code de l'énergie est versée annuellement ; que la remise en cause,
en cours d'année, de cette rémunération aurait des conséquences manifestement
excessives ; que les rémunérations dues en vertu de contrats conclus en
application des dispositions déclarées contraires à la Constitution, au titre
des périodes antérieures au 1er janvier 2015, ne peuvent être remises en cause
sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions de l'article L. 314-1-1 du code de l'énergie sont
contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées aux considérants 10 et 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juillet 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 juin 2014 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
commune de Tarascon. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit de l'article L. 562-2 du code de
l'environnement.
Cet article dispose qu'en cas d'urgence le préfet peut décider de rendre
immédiatement opposables certaines des dispositions d'un projet de plan de
prévention des risques naturels prévisibles. Le Conseil constitutionnel a jugé
ces dispositions conformes à la Constitution.
La commune requérante soutenait notamment que ces dispositions n'étaient pas
conformes à l'article 7 de la Charte de l'environnement au motif qu'elles
prévoient seulement une consultation des maires des communes intéressées. Le
Conseil constitutionnel a relevé que la décision de rendre opposables par
anticipation certaines dispositions d'un projet de plan de prévention des
risques naturels a pour objet la sécurité des personnes et des biens à l'égard
des risques naturels prévisibles. Elle ne peut être adoptée que si « l'urgence
le justifie » et a pour seul effet d'interdire ou de restreindre, à titre
provisoire et conservatoire, des constructions, ouvrages, aménagements ou
exploitations. Par suite, le Conseil a jugé que cette décision ne constitue pas
une décision publique ayant une incidence sur l'environnement au sens de
l'article 7 de la Charte. Il a écarté le grief tiré de la méconnaissance de cet
article.
Le Conseil a également jugé que ces dispositions ne méconnaissent pas l'article
2 de la Déclaration de 1789 relatif au droit de propriété. L'article L. 562-2 du
code de l'environnement a, dans un objectif de sécurité publique, uniquement
pour effet d'interdire ou de restreindre, dans l'attente de la publication du
plan, des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations. D'une part,
ces mesures sont provisoires dans l'attente de l'approbation du plan. D'autre
part, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel
où le propriétaire d'un bien supporterait une charge spéciale et exorbitante,
hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie
législative du code de l'environnement ;
Vu la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier
le droit, notamment son article 31 ;
Vu la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour
l'environnement ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour l'Association de Prévention
des Incendies de Forêt du Var (APIFOVAR) ainsi que MM. René DEGUINE, Jean WEBER
et Claude DEGAND par Me Jean-Jacques Israël, avocat au barreau de Paris,
enregistrées le 30 juin 2014 ;
Vu les observations en intervention produites par l'association France Nature
Environnement, enregistrées le 1er juillet 2014 ;
Vu les observations produites pour la commune requérante par Me René-Pierre
Clauzade, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 1er juillet 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 1er
juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Israël, pour l'APIFOVAR et autres, Me Cécile Grignon, avocat au barreau de
Paris, pour l'association France Nature Environnement et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 17
juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 562-2 du code
de l'environnement, dans sa rédaction postérieure à la loi du 12 juillet 2010
susvisée : « Lorsqu'un projet de plan de prévention des risques naturels
prévisibles contient certaines des dispositions mentionnées au 1° et au 2° du II
de l'article L. 562-1 et que l'urgence le justifie, le préfet peut, après
consultation des maires concernés, les rendre immédiatement opposables à toute
personne publique ou privée par une décision rendue publique.
« Ces dispositions cessent d'être opposables si elles ne sont pas reprises dans
le plan approuvé » ;
2. Considérant que, selon la commune requérante, ces dispositions méconnaissent
le principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement, prévu à l'article 7 de la Charte de
l'environnement, le principe de libre administration des collectivités
territoriales ainsi que le droit de propriété garanti par l'article 2 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DE L'ARTICLE 7 DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT
:
3. Considérant que, selon la commune requérante, les dispositions de l'article
L. 562-2 du code de l'environnement qui prévoient la seule consultation des
maires des communes intéressées avant que le préfet décide de rendre
immédiatement opposables certaines des dispositions d'un projet de plan de
prévention des risques naturels prévisibles, ne sont pas conformes aux
dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement qui imposent la
participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une
incidence sur l'environnement ;
4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : «
Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la
loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les
autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces dispositions figurent au
nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au
législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives
de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la
mise en oeuvre de ces dispositions ;
6. Considérant qu'en vertu du paragraphe I de l'article L. 562 1 du code de
l'environnement, « L'État élabore et met en application des plans de prévention
des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de
terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions
volcaniques, les tempêtes ou les cyclones » ; que les dispositions contestées de
l'article L. 562-2 permettent au préfet de rendre immédiatement opposables
certaines dispositions du projet de plan de prévention des risques naturels
prévisibles sur le territoire d'une commune, lorsque l'urgence le justifie et
après consultation du maire ; que les dispositions qui peuvent ainsi être
rendues opposables par anticipation sont celles qui ont pour objet : « 1° De
délimiter les zones exposées aux risques en tenant compte de la nature et de
l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction,
d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale,
commerciale ou industrielle ou, dans le cas où des constructions, ouvrages,
aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales
ou industrielles, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies
humaines, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles
ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités » et « 2° De délimiter les
zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des
constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles,
forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des
risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou
des prescriptions telles que prévues au 1° » ;
7. Considérant que la décision de rendre opposables par anticipation certaines
dispositions du projet de plan a pour objet d'assurer la sécurité des personnes
et des biens à l'égard des risques naturels prévisibles ; qu'elle ne peut être
adoptée que si « l'urgence le justifie » ; qu'elle a pour seul effet d'interdire
ou de restreindre, à titre provisoire et conservatoire, des constructions,
ouvrages, aménagements ou exploitations ; que, par suite, elle ne constitue pas
une décision publique ayant une incidence sur l'environnement au sens de
l'article 7 de la Charte de l'environnement ; que le grief tiré de la
méconnaissance de cet article est donc inopérant ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LIBRE ADMINISTRATION DES
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES :
8. Considérant que, selon la commune requérante, l'opposabilité immédiate de
certaines dispositions d'un projet de plan de prévention des risques naturels
prévisibles prive les communes de la possibilité d'exercer pleinement leurs
compétences en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire conformément
aux documents qu'elles ont élaborés et approuvés en faisant usage des
compétences dont elles disposent ; qu'en outre, la seule obligation pour le
préfet de consulter le maire au préalable serait insuffisante eu égard aux
conséquences qu'emporte l'entrée en vigueur anticipée d'une telle servitude dont
l'application n'est en réalité pas limitée dans le temps par la loi ;
9. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la
détermination des principes fondamentaux de la libre administration des
collectivités territoriales ; que, si, selon le troisième alinéa de son article
72, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils
élus », chacune d'elles le fait « dans les conditions prévues par la loi » ;
10. Considérant qu'en vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement,
l'élaboration du plan de prévention des risques naturels prévisibles relève de
la compétence de l'État ; qu'ainsi, la décision du préfet de rendre opposables
par anticipation certaines dispositions de ce projet de plan ne prive pas les
communes des compétences qui leur sont dévolues par la loi ; que les communes ne
sont pas davantage dessaisies de leurs compétences en matière d'urbanisme,
celles-ci étant seulement soumises à l'obligation de respecter les dispositions
rendues opposables par anticipation du projet de plan de prévention des risques
naturels prévisibles ; que, par suite, les dispositions contestées ne portent
aucune atteinte à la libre administration des collectivités territoriales ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE AUX CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE
PROPRIÉTÉ :
11. Considérant que, selon la commune requérante, l'article L. 562-2 du code de
l'environnement porte atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété
protégées par l'article 2 de la Déclaration de 1789 dès lors qu'il permet au
préfet de prescrire des interdictions de construire ou de reconstruire pour des
biens situés dans des zones qu'il délimite comme exposées à un risque naturel
prévisible ;
12. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme
consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'en l'absence
de privation du droit de propriété au sens de l'article 17, il résulte néanmoins
de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son
exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et
proportionnées à l'objectif poursuivi ;
13. Considérant qu'en vertu de l'article L. 562-4 du code de l'environnement, le
plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude
d'utilité publique ; que les plans de prévention des risques naturels
prévisibles délimitent des zones exposées à des risques naturels dans lesquelles
s'appliquent des contraintes d'urbanisme ; que le plan a ainsi pour effet, dans
les zones exposées aux risques et dans les zones qui ne sont pas directement
exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements
ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou
industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux,
d'interdire ou de restreindre les constructions ou de prescrire des mesures
tendant à réduire la vulnérabilité ; que ces contraintes s'imposent directement
aux personnes publiques ainsi qu'aux personnes privées et peuvent notamment
fonder le refus d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol ou les
conditions restrictives qui en assortissent l'octroi ;
14. Considérant que l'opposabilité anticipée des dispositions du projet de plan
de prévention des risques naturels prévisibles répond à un objectif de sécurité
publique ; que ces dispositions cessent d'être opposables si elles ne sont pas
reprises dans le plan approuvé et sont donc provisoires ; qu'elles ont
uniquement pour effet d'interdire ou de restreindre, dans l'attente de la
publication du plan, des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations
; que la décision du préfet prise en application des dispositions soumises au
Conseil constitutionnel et justifiée par l'urgence peut être contestée devant la
juridiction compétente ; que le législateur n'a pas exclu toute indemnisation
dans le cas exceptionnel où le propriétaire d'un bien supporterait une charge
spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général
poursuivi ; qu'ainsi, les pouvoirs conférés au préfet en application des
dispositions contestées ne portent pas aux conditions d'exercice du droit de
propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que
cette atteinte ne méconnaît donc pas l'article 2 de la Déclaration de 1789 ;
15. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 562-2 du code de l'environnement est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
3 DECISIONS DU 19 SEPTEMBRE 2014
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 juin 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Laurent D. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 226-19 du
code pénal et de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique.
D'une part, le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal punit de cinq
ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende notamment le fait, « hors les
cas prévus par la loi », de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans
le consentement exprès de l'intéressé, des données à caractère personnel qui
sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle de celles-ci.
D'autre part, les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique se bornent à imposer aux établissements de transfusion sanguine de « se
doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par un règlement
établi par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après
avis de l'Établissement français du sang, homologué par arrêté du ministre
chargé de la santé ». Ces dispositions n'ont pas pour objet de définir une
exception à l'incrimination définie à l'article 226-19 du code pénal.
Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution. Il a notamment jugé qu'en adoptant l'article 226-19, le
législateur a défini de manière claire et précise les délits d'enregistrement ou
de conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel. En
prévoyant des exceptions dans les « cas prévus par la loi » à l'incrimination
qu'elles définissent, les dispositions de cet article ne méconnaissent pas le
principe de légalité des délits et des peines.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et
aux libertés ;
Vu la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes
physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et
modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux
fichiers et aux libertés, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n°
2004-499 DC du 29 juillet 2004 ;
Vu la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique,
notamment son article 116 ;
Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements
publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de
transfusion sanguine ;
Vu la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la
sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 15 juillet,
30 juillet et 27 août 2014 ;
Vu les observations produites pour l'Établissement français du sang et M.
Ramdane B., parties en défense, par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 15 juillet, 30
juillet et 2 septembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15
juillet 2014 ;
Vu la lettre du 31 juillet 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a invité
les parties à produire des observations sur la question de savoir si
l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements
publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de
transfusion sanguine, dont sont issues les dispositions de l'article L. 1223-3
du code de la santé publique, ont été ratifiées ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi pour le requérant, Me Claire Waquet et Me Pierre-Yves Fouré,
avocat au barreau de Paris, pour les parties en défense et M. Xavier Pottier,
désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 9
septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 226-19 du code
pénal, dans sa rédaction résultant de l'article 14 de la loi du 6 août 2004
susvisée : « Le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver
en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l'intéressé, des données
à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les
origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou
religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont
relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle de celles-ci, est puni de cinq
ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende » ;
« Est puni des mêmes peines le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre
ou de conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel
concernant des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 août 2004 susvisée : « Les
établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion sanguine des
armées et les établissements de santé autorisés à conserver et distribuer des
produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes pratiques dont les
principes sont définis par un règlement établi par l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé après l'avis de l'Établissement
français du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et du
ministre de la défense et publié au Journal officiel de la République française
» ;
3. Considérant que, dans sa rédaction résultant du paragraphe III de l'article 4
de l'ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée, ce même article L. 1223-3
dispose : « Les établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion
sanguine des armées et les établissements de santé autorisés à conserver et
distribuer ou délivrer des produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes
pratiques dont les principes sont définis par décision de l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé après avis de l'Établissement français
du sang et du centre de transfusion sanguine des armées » ;
4. Considérant que, selon le requérant, en faisant exception à l'obligation de
recueillir le consentement exprès d'une personne désireuse de donner son sang
pour mettre ou conserver en mémoire informatisée des données à caractère
personnel relatives à la santé et l'orientation sexuelle de cette dernière, les
dispositions combinées des articles 226-19 du code pénal et L. 1223-3 du code de
la santé publique méconnaissent le principe de légalité des délits et des
peines, le principe de nécessité des peines, ainsi que la « prévisibilité de la
loi » ; qu'en outre, en renvoyant à des dispositions législatives indéfinies et
indéterminées, et notamment à celles de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique, les exceptions à l'exigence de consentement prévue par l'article
226-19 du code pénal, le législateur aurait méconnu le « principe
constitutionnel de consentement à la captation et à la conservation des données
personnelles » ;
- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
5. Considérant, en premier lieu, que la question prioritaire de
constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal
;
6. Considérant, en second lieu, qu'il n'appartient pas au Conseil
constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, de
remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de
cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre
1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la
procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites ; qu'en l'absence de
précision, dans la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, sur la
version des dispositions renvoyée au Conseil constitutionnel, la question
prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les
dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; qu'au
regard des faits à l'origine du litige, l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique doit être regardé comme ayant été renvoyé au Conseil constitutionnel
tant dans sa version antérieure à l'ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée
que dans sa version postérieure à cette ordonnance ;
7. Considérant, toutefois, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de
la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article
que de dispositions de nature législative ;
8. Considérant que ni la loi du 29 décembre 2011 susvisée ni aucune autre
disposition législative n'a procédé à la ratification de l'ordonnance du 1er
septembre 2005 ; que les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique, dans leur rédaction issue du paragraphe III de l'article 4 de
l'ordonnance du 1er septembre 2005, ne revêtent pas le caractère de dispositions
législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il n'y a pas lieu
pour le Conseil constitutionnel d'en connaître ; que, par suite, le Conseil
constitutionnel est seulement saisi de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique dans sa rédaction issue de la loi du 9 août 2004 ;
- SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES :
9. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution,
ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de
l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de
définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;
10. Considérant que le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal punit de
cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait, « hors les cas
prévus par la loi », de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le
consentement exprès de l'intéressé, des données à caractère personnel qui font
apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques,
philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, «
ou qui sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle de celles-ci » ;
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé
publique n'ont pas pour objet de définir une exception à cette incrimination ;
que de telles exceptions sont en particulier définies par l'article 8 de la loi
du 6 janvier 1978 susvisée ; que le premier paragraphe de cet article interdit
de collecter les données à caractère personnel qui font apparaître les origines
raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou
l'appartenance syndicale des personnes, « ou qui sont relatives à la santé ou à
la vie sexuelle de celles-ci » ; que son second paragraphe énumère les
exceptions à ce principe et, notamment, « les traitements nécessaires aux fins
de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l'administration de
soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé » ; que, dans sa
décision du 29 juillet 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré
conforme à la Constitution l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa
rédaction issue de l'article 2 de la loi du 6 août 2004 susvisée ;
12. Considérant, d'une part, qu'en adoptant l'article 226-19, le législateur a
défini de manière claire et précise le délit d'enregistrement ou de conservation
en mémoire informatisée des données à caractère personnel ; qu'en prévoyant des
exceptions dans les « cas prévus par la loi » à l'incrimination qu'elles
définissent, les dispositions de cet article ne méconnaissent pas le principe de
légalité des délits et des peines ;
13. Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de porter une
appréciation sur les mesures réglementaires prises pour l'application des
dispositions de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du premier
alinéa de l'article 226-19 du code pénal ne portent aucune atteinte au principe
de légalité des délits et des peines ;
15. Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 1223-3 du
code de la santé publique, qui se bornent à imposer aux établissements de
transfusion sanguine de « se doter de bonnes pratiques dont les principes sont
définis par un règlement établi par l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé après l'avis de l'Établissement français du sang, homologué
par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense », ne
méconnaissent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ;
16. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article
L. 1223-3 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du paragraphe III
de l'article 4 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux
établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en
matière de transfusion sanguine.
Article 2.- Sont conformes à la Constitution :
- le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal, dans sa rédaction issue
de l'article 14 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection
des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère
personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de
la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 juin 2014 par
le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la
société PV-CP Distribution. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du paragraphe
II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts (CGI).
La contribution économique territoriale (CET) est composée d'une cotisation
foncière des entreprises (CFE) et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des
entreprises (CVAE). L'article 1647 B sexies prévoit que, sur demande du
redevable, la CET est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée produite par
l'entreprise ; le taux de ce plafonnement est de 3 % de cette valeur ajoutée. Le
dégrèvement résultant de ce plafonnement s'impute uniquement sur le montant de
la CFE.
Avant la loi du 29 décembre 2010 introduisant les dispositions contestées au
paragraphe II de l'article 1647 B sexies du CGI, les règles relatives au
plafonnement de la CET conduisaient à ce que, en cas de transmission universelle
de patrimoine, de cession ou de cessation d'entreprise en cours d'exercice
fiscal, le montant du dégrèvement résultant du plafonnement était d'autant plus
important que l'opération de restructuration intervenait à une date proche du
début de l'exercice. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a
entendu éviter l'optimisation fiscale du mécanisme du plafonnement afin que le
montant du dégrèvement en résultant ne dépende plus de la date de l'opération de
restructuration.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a relevé, que, compte tenu du fait
générateur de la cotisation foncière des entreprises, qui est due pour l'année
entière par la personne qui exerce l'activité au 1er janvier, les dispositions
contestées ont pour effet de laisser à la charge de l'entreprise redevable
l'intégralité de la CFE, sans bénéfice du plafonnement, pour la période de
l'année postérieure à l'opération de restructuration. Par suite, plus
l'opération de restructuration intervient à une date proche du début de
l'exercice fiscal, plus la CET due est importante par rapport à celle qui aurait
été versée en l'absence de restructuration. Le Conseil constitutionnel a jugé
que la différence de traitement ainsi instituée entre les entreprises redevables
de la CFE n'est pas justifiée par une différence de situation entre elles en
rapport avec l'objectif poursuivi. Elle méconnaît les principes d'égalité devant
la loi et les charges publiques. Le dernier alinéa du paragraphe II de l'article
1647 B sexies du CGI est donc contraire à la Constitution.
Afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration
d'inconstitutionnalité des dispositions contestées, le Conseil a reporté au 1er
janvier 2015 la date de leur abrogation. Il appartient aux juridictions de
surseoir à statuer jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi dans les
instances en cours ou à venir dont l'issue dépend de l'application des
dispositions déclarées inconstitutionnelles.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Baker et
McKenzie, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 11 et 24 juillet 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15
juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Eric Meier, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, et M.
Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience
publique du 9 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 1647 B sexies du code général des impôts est
relatif au plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction
de la valeur ajoutée ; qu'aux termes du dernier alinéa du paragraphe II de cet
article : « En cas de transmission universelle du patrimoine mentionnée à
l'article 1844-5 du code civil, de cession ou de cessation d'entreprise au cours
de l'année d'imposition, le montant de la cotisation foncière des entreprises de
l'entreprise dissoute est ajusté en fonction du rapport entre la durée de la
période de référence mentionnée à l'article 1586 quinquies du présent code et
l'année civile » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, les dispositions contestées
créent une différence de traitement, selon la durée restant à courir entre la
date de l'opération de restructuration de l'entreprise et la fin de l'exercice
fiscal, sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur et portent
atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « la Loi. . .doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes,
ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'aux termes de l'article
13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au
législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et
compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles
doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour
assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur
des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que
cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant que la contribution économique territoriale prévue par l'article
1447-0 du code général des impôts est composée d'une cotisation foncière des
entreprises et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; que
l'article 1647 B sexies prévoit que, sur demande du redevable effectuée dans le
délai de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises, la
contribution économique territoriale est plafonnée en fonction de la valeur
ajoutée produite par l'entreprise ; que cet article fixe le taux de ce
plafonnement à 3 % de cette valeur ajoutée et prévoit que le dégrèvement
résultant du plafonnement s'impute uniquement sur la cotisation foncière des
entreprises ; qu'en vertu du paragraphe I de l'article 1478 du même code, la
cotisation foncière des entreprises est due pour l'année entière par le
redevable qui exerce l'activité le 1er janvier ;
5. Considérant qu'avant l'adoption des dispositions contestées, les règles
relatives au plafonnement de la contribution économique territoriale
conduisaient à ce que, en cas de transmission universelle de patrimoine, de
cession ou de cessation d'entreprise en cours d'exercice fiscal, le montant du
dégrèvement résultant du plafonnement était d'autant plus important que
l'opération de restructuration intervenait à une date proche du début dudit
exercice ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2010
susvisée qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu
éviter l'optimisation fiscale du mécanisme du plafonnement afin que le montant
du dégrèvement en résultant ne dépende plus de la date de l'opération de
restructuration ; qu'il a, à cet effet, prévu que le montant de la cotisation
foncière des entreprises pris en compte pour le calcul du dégrèvement est ajusté
en fonction du rapport entre la période effective d'exercice de l'activité et
l'année civile ;
6. Considérant, toutefois, qu'en raison du fait générateur retenu, les
dispositions contestées ont pour effet de laisser à la charge de l'entreprise
redevable l'intégralité de la cotisation foncière des entreprises, sans bénéfice
du plafonnement, pour la période de l'année postérieure à l'opération de
restructuration ; que, par suite, plus l'opération de restructuration intervient
à une date proche du début de l'exercice fiscal, plus le montant de la
contribution économique territoriale dû est important par rapport à celui qui
aurait été versé en l'absence de restructuration ; que la différence de
traitement ainsi instituée entre les entreprises redevables de la cotisation
foncière des entreprises n'est pas justifiée par une différence de situation
entre elles en rapport avec l'objectif poursuivi et, par suite, méconnaît les
principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ; qu'il suit de là
que le dernier alinéa du paragraphe II de l'article 1647 B sexies du code
général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
8. Considérant que l'entrée en vigueur immédiate de l'abrogation des
dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet de
rétablir le mécanisme de plafonnement tel qu'il existait antérieurement ;
qu'afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration
d'inconstitutionnalité des dispositions contestées, il y a lieu de reporter au
1er janvier 2015 la date de leur abrogation ; que, par ailleurs, afin de
préserver l'effet utile de la présente décision, notamment à la solution des
demandes de dégrèvement, réclamations et instances en cours, il appartient aux
administrations et aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu'à
l'entrée en vigueur de la nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er janvier
2015 dans les procédures en cours ou à venir dont l'issue dépend de
l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles,
D É C I D E :
Article 1er.- Le dernier alinéa du paragraphe II de l'article 1647 B sexies du
code général des impôts est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions prévues au considérant 8.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert
HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
les sociétés Red Bull On Premise et Red Bull Off Premise. Cette question était
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de
l'article 1613 bis A du code général des impôts (CGI).
Ces dispositions instituent une contribution au taux de 100 euros par hectolitre
perçue sur les boissons « dites énergisantes » contenant un seuil minimal de 220
milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres conditionnées dans des récipients
destinés à la vente au détail.
Le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur a poursuivi un objectif
de protection de la santé publique et que la différence instituée entre les
boissons selon leur teneur en caféine est en rapport direct avec cet objet.
Toutefois, sont exclues du champ d'application de cette imposition les boissons
faisant l'objet d'une commercialisation dans les mêmes formes et ayant une
teneur en caféine supérieure à 220 milligrammes pour 1 000 millilitres dès lors
qu'elles ne sont pas qualifiées de boissons « dites énergisantes ». Le Conseil
constitutionnel a jugé que la différence ainsi instituée entre les boissons
destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique
selon qu'elles sont ou non qualifiées de boissons « dites énergisantes »
entraîne une différence de traitement qui est sans rapport avec l'objet de
l'imposition et, par suite, contraire au principe d'égalité devant l'impôt. Il a
donc déclaré contraires à la Constitution les mots « dites énergisantes » à
l'article 1613 bis A du CGI.
Le Conseil constitutionnel a relevé que l'entrée en vigueur immédiate de
l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait eu
pour effet d'élargir l'assiette d'une imposition. Dès lors, afin de permettre au
législateur de tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité,
il a reporté au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation des mots « dites
énergisantes » à l'article 1613 bis A du CGI.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale
pour 2013, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-659 DC du 13
décembre 2012 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi
et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les
25 juillet et 11 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 25
juillet et 11 août 2014 ;
Vu la lettre du 4 août 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a invité les
parties à produire des observations sur les volumes consommés en France de
boissons contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1 000
millilitres, en distinguant selon que ces boissons sont « dites énergisantes »
ou non ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les
sociétés requérantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 11 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1613 bis A du code général des impôts
: « I. - Il est institué une contribution perçue sur les boissons dites
énergisantes contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1
000 millilitres, destinées à la consommation humaine :
« 1° Relevant des codes NC 2009 et NC 2202 du tarif des douanes ;
« 2° Conditionnées dans des récipients destinés à la vente au détail, soit
directement, soit par l'intermédiaire d'un professionnel.
« II. - Le taux de la contribution est fixé à 100 € par hectolitre.
« Ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier
2014, dans une proportion égale au taux de croissance de l'indice des prix à la
consommation hors tabac de l'avant-dernière année. Il est exprimé avec deux
chiffres significatifs après la virgule, le deuxième chiffre étant augmenté
d'une unité si le chiffre suivant est égal ou supérieur à cinq. Il est constaté
par arrêté du ministre chargé du budget, publié au Journal officiel.
« III. - 1. La contribution est due à raison des boissons mentionnées au I par
leurs fabricants établis en France, leurs importateurs et les personnes qui
réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, sur toutes les
quantités livrées à titre onéreux ou gratuit.
« 2. Sont également redevables de la contribution les personnes qui, dans le
cadre de leur activité commerciale, fournissent à titre onéreux ou gratuit à
leurs clients des boissons consommables en l'état mentionnées au I dont elles
ont préalablement assemblé les différents composants présentés dans des
récipients non destinés à la vente au détail.
« IV. - Les expéditions vers un autre État membre de l'Union européenne ou un
autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ainsi que les
exportations vers un pays tiers sont exonérées de la contribution lorsqu'elles
sont réalisées directement par les personnes mentionnées au 1 du III.
« Les personnes qui acquièrent auprès d'un redevable de la contribution, qui
reçoivent en provenance d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un
autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou qui importent
en provenance de pays tiers des boissons mentionnées au I qu'elles destinent à
une livraison vers un autre État membre de l'Union européenne ou un autre État
partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou à une exportation vers un
pays tiers acquièrent, reçoivent ou importent ces boissons en franchise de la
contribution.
« Pour bénéficier des dispositions du deuxième alinéa du présent IV, les
intéressés doivent adresser au fournisseur, lorsqu'il est situé en France, et
dans tous les cas au service des douanes dont ils dépendent, une attestation
certifiant que les boissons sont destinées à faire l'objet d'une livraison ou
d'une exportation mentionnée au même alinéa. Cette attestation comporte
l'engagement d'acquitter la contribution au cas où la boisson ne recevrait pas
la destination qui a motivé la franchise. Une copie de l'attestation est
conservée à l'appui de la comptabilité des intéressés.
« V. - La contribution mentionnée au I est acquittée auprès de l'administration
des douanes. Elle est recouvrée et contrôlée selon les règles, sanctions,
garanties et privilèges applicables au droit spécifique mentionné à l'article
520 A. Le droit de reprise de l'administration s'exerce dans les mêmes délais.
« VI. - Le produit de la contribution mentionnée au I est affecté à la Caisse
nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés » ;
2. Considérant que, selon les sociétés requérantes, les dispositions contestées
méconnaissent l'autorité de la chose jugée attachée à une décision du Conseil
constitutionnel ainsi que le droit au recours consacré par l'article 16 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'elles
méconnaîtraient également le principe d'égalité devant l'impôt et les charges
publiques et porteraient atteinte à la liberté d'entreprendre ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE PAR LE
CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
3. Considérant que selon les sociétés requérantes, en adoptant les dispositions
contestées, le législateur aurait méconnu la décision du Conseil constitutionnel
du 13 décembre 2012 susvisée, et par là-même les principes de respect de
l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel et de droit au
recours ;
4. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles
d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles » ; que l'autorité des décisions visées par
cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux
motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ;
5. Considérant que si l'autorité attachée à une décision du Conseil
constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne
peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en
termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi,
bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet
analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la
Constitution ;
6. Considérant que, dans sa décision du 13 décembre 2012 susvisée, le Conseil
constitutionnel a examiné les dispositions de l'article 25 de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2013 qui, à des fins de lutte contre la
consommation alcoolique des jeunes, créaient une contribution sur les boissons
contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine ou de 300 milligrammes
de taurine pour 1 000 millilitres conditionnées pour la vente au détail et
destinées à la consommation humaine, au taux de 50 euros par hectolitre et dont
sont redevables les fabricants de ces boissons établis en France ou leurs
importateurs ; qu'il a jugé qu'en taxant des boissons ne contenant pas d'alcool
à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, le législateur
avait établi une imposition qui n'était pas fondée sur des critères objectifs et
rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi et que, par suite, le
législateur avait méconnu les exigences de l'article 13 de la Déclaration de
1789 ; que le Conseil constitutionnel a donc déclaré les dispositions de
l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013
contraires à la Constitution ;
7. Considérant que les dispositions contestées ont été introduites par la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2014 ; qu'elles instaurent une
contribution qui porte sur les boissons contenant un seuil minimal de 220
milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres conditionnées pour la vente au
détail et destinées à la consommation humaine ; que le taux de la contribution
est de 100 euros par hectolitre ; que sont redevables de cette imposition les
fabricants de ces boissons établis en France ou leurs importateurs ;
8. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires de la loi de financement
de la sécurité sociale pour 2014 qu'en créant cette imposition, le législateur a
entendu prévenir les effets indésirables sur la santé de boissons ayant une
teneur élevée en caféine ; que, si les dispositions contestées instituent une
contribution dont l'assiette et le taux présentent des similitudes avec les
dispositions déclarées contraires à la Constitution dans la décision du 13
décembre 2012, ces dispositions ont un objet différent de celui des dispositions
censurées ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées, le
législateur n'a pas méconnu l'autorité qui s'attache, en vertu de l'article 62
de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 13 décembre 2012
;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DES PRINCIPES D'ÉGALITÉ DEVANT L'IMPÔT ET
LES CHARGES PUBLIQUES :
9. Considérant que, selon les sociétés requérantes, le seuil d'imposition prévu
par les dispositions contestées n'est pas pertinent au regard de l'objectif
poursuivi par le législateur ; que cette imposition ne s'appliquerait pas à
toutes les boissons comportant de la caféine ; qu'il en résulterait une
violation du principe d'égalité devant l'impôt ; que les dispositions contestées
méconnaîtraient également l'égalité devant les charges publiques, en faisant
peser sur les contribuables une charge excessive en raison du taux de
l'imposition et de l'indexation annuelle de son barème sur l'indice des prix à
la consommation ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un
caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une
charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de
l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer,
dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des
caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être
appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le
respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères
objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette
appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ;
11. Considérant, en premier lieu, que sont assujetties à la contribution créée
par les dispositions contestées les boissons conditionnées dans des récipients
destinés à la vente au détail et dont la teneur en caféine excède le seuil de
220 milligrammes pour 1 000 millilitres ; qu'ainsi, la différence instituée
entre les boissons selon leur teneur en caféine est en rapport direct avec
l'objectif de protection de la santé publique poursuivi ;
12. Considérant toutefois que sont exclues du champ d'application de cette
imposition les boissons faisant l'objet d'une commercialisation dans les mêmes
formes et ayant une teneur en caféine supérieure à 220 milligrammes pour 1 000
millilitres dès lors qu'elles ne sont pas des boissons « dites énergisantes » ;
que la différence ainsi instituée entre les boissons destinées à la vente au
détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu'elles sont ou non
qualifiées de boissons « dites énergisantes » entraîne une différence de
traitement qui est sans rapport avec l'objet de l'imposition et, par suite,
contraire au principe d'égalité devant l'impôt ;
13. Considérant, en second lieu, que le taux de la contribution est fixé à 100
euros par hectolitre ; que ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à
compter du 1er janvier 2014, en fonction de l'évolution de l'indice des prix à
la consommation hors tabac de l'avant-dernière année ; que ce niveau
d'imposition ne revêt pas un caractère confiscatoire ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'au premier alinéa du
paragraphe I de l'article 1613 bis A, les mots « dites énergisantes » doivent
être déclarés contraires à la Constitution ; que, pour le surplus, les
dispositions de cet article ne sont pas contraires aux principes d'égalité
devant l'impôt et les charges publiques ; que ces dispositions, qui ne
méconnaissent ni la liberté d'entreprendre ni aucun autre droit ou liberté que
la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :
15. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
16. Considérant que l'entrée en vigueur immédiate de l'abrogation des
dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet d'élargir
l'assiette d'une imposition ; qu'afin de permettre au législateur de tirer les
conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « dites
énergisantes » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article 1613 bis
A du code général des impôts, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la
date de l'abrogation de ces mots,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « dites énergisantes » figurant au premier alinéa du
paragraphe I de l'article 1613 bis A du code général des impôts sont contraires
à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
au 1er janvier 2015 dans les conditions fixées au considérant 16.
Article 3.- L'article 1613 bis A du code général des impôts est, pour le
surplus, conforme à la Constitution.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juin 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la société Assurances du Crédit mutuel. Cette question était relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L.
191-4 du code des assurances.
L'article L.191-4 du code des assurances, applicables dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, fixe des règles particulières pour la
sanction encourue en cas de déclaration inexacte ou incomplète de l'assuré. Il
prévoit notamment, contrairement au droit commun, que l'assuré ayant omis
d'informer son assureur ou ayant fait une déclaration inexacte ou incomplète
peut bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre lorsque le risque
ne modifie pas l'étendue des obligations de l'assureur ou lorsqu'il est demeuré
sans incidence sur la réalisation du sinistre.
D'une part, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence sur le droit
local d'Alsace-Moselle : le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose pas au
maintien en vigueur de ce droit particulier. Toutefois, c'est à la condition que
des modifications postérieures à 1946 n'aient pas accru les différences avec les
règles de droit applicables sur le reste du territoire.
Tel n'est pas le cas en l'espèce. Certes, le droit local d'Alsace-Moselle en
matière de contrat d'assurance trouve son origine dans des lois antérieures à
1919, maintenues en vigueur dans ces départements par les lois du 1er juin 1924.
Toutefois, l'article L. 191-4 résulte d'une loi du 6 mai 1991 qui a accru la
différence de traitement entre les règles applicables dans ces départements et
le droit commun.
D'autre part, la différence résultant de l'article L. 191-4 entre les
dispositions législatives relatives au contrat d'assurance n'est justifiée ni
par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général en rapport
direct avec l'objet de la loi. Elle méconnaît donc le principe d'égalité.
Le Conseil constitutionnel a jugé l'article L. 191-4 du code des assurances
contraire à la Constitution. L'abrogation de cette disposition prend effet à
compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des assurances ;
Vu la loi d'Empire du 30 mai 1908 sur le contrat d'assurance (Reichsgezetz über
den Versicherungsvertrag) ;
Vu la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française
dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises
dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
Vu la loi n° 91-412 du 6 mai 1991 introduisant dans le code des assurances des
dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la
Moselle ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites par l'Institut du droit local
alsacien-mosellan, enregistrées les 17 juillet et 1er août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18
juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me David Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour
la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 16 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les articles L. 113-8 et L. 113-9 du
code des assurances prévoient des sanctions lorsque les déclarations de l'assuré
ne correspondent pas à la réalité de l'objet assuré ; qu'en vertu de l'article
L. 113-8, l'assuré qui a omis de déclarer certains éléments lors de la
conclusion du contrat d'assurance s'expose à la nullité du contrat s'il a agi de
mauvaise foi ; qu'en vertu de l'article L. 113-9, l'omission ou la déclaration
inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie
n'entraîne pas la nullité du contrat d'assurance ; que, dans le cas où la
constatation d'une omission ou d'une inexactitude n'a lieu qu'après un sinistre,
l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au
taux des primes qui auraient été dues si les risques avaient été complètement et
exactement déclarés ;
2. Considérant que les dispositions contestées de l'article L. 191-4 du même
code fixent des règles particulières applicables dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; qu'aux termes de cet article : « Il
n'y a pas lieu à résiliation ni à réduction par application de l'article L.
113-9 si le risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur ou s'il ne modifie
pas l'étendue de ses obligations ou s'il est demeuré sans incidence sur la
réalisation du sinistre » ;
3. Considérant que, selon la société requérante, ces dispositions instituent une
règle dérogatoire à la règle fixée à l'article L. 113-9 du code des assurances
relative à la réduction proportionnelle des indemnités d'assurances en cas
d'omission ou de déclaration inexacte de l'assuré ; que, dans la mesure où la
dérogation au droit commun aurait été aggravée par la loi du 6 mai 1991
susvisée, les différences de traitement en résultant porteraient atteinte au
principe d'égalité devant la loi tel qu'il est garanti par l'article 6 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de
1789 : « la loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit
qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le
législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il
déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et
l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant, d'autre part, que la législation républicaine antérieure à
l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon
lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit
commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et
réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la
Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur
harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent
être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en
résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ;
que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la
République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois
départements dont il s'agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les
autres exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que l'existence de règles particulières applicables au contrat
d'assurance dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
trouve son origine dans la loi d'Empire du 30 mai 1908 susvisée ; que cette loi
est au nombre des règles particulières antérieures à 1919 qui ont été maintenues
en vigueur dans ces départements par les lois du 1er juin 1924 susvisées ;
7. Considérant, toutefois, que l'état du droit résultant de cette loi du 30 mai
1908 prévoyait que l'assuré ayant omis d'informer son assureur, ou ayant
souscrit, sans mauvaise foi, une déclaration inexacte ou incomplète, pouvait
néanmoins bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit si le
risque omis ou dénaturé était effectivement connu de l'assureur, soit si ce
risque n'avait pas influé sur la cause et la survenance du sinistre et n'avait
pas modifié l'étendue de la prestation de l'assureur ;
8. Considérant que la loi du 6 mai 1991 a abrogé les dispositions de la loi du
30 mai 1908 et a introduit dans le code des assurances des dispositions
particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de
la Moselle ; qu'il ressort de l'article L. 191-4 que l'assuré ayant omis
d'informer son assureur, ou ayant fait une déclaration inexacte ou incomplète,
peut bénéficier des prestations d'assurance en cas de sinistre, soit lorsque le
risque omis ou dénaturé était connu de l'assureur, soit lorsqu'il ne modifie pas
l'étendue des obligations de l'assureur, soit lorsqu'il est demeuré sans
incidence sur la réalisation du sinistre ;
9. Considérant qu'en aménageant, postérieurement à l'entrée en vigueur de la
Constitution de 1946, les dispositions de droit local issues de la loi du 30 mai
1908, la loi du 6 mai 1991 a accru, par les dispositions contestées, la
différence de traitement résultant de l'application de règles particulières dans
les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; qu'il s'ensuit que
le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de
dispositions particulières applicables dans ces trois départements ne saurait
faire obstacle à l'examen du grief tiré de ce que cette différence méconnaît le
principe d'égalité devant la loi ; que cette différence entre les dispositions
législatives relatives au contrat d'assurance n'est justifiée ni par une
différence de situation ni par un motif d'intérêt général en rapport direct avec
l'objet de la loi ; qu'elle méconnaît le principe d'égalité ; qu'il s'ensuit que
l'article L. 191-4 du code des assurances doit être déclaré contraire à la
Constitution ;
10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
11. Considérant que l'abrogation de l'article L. 191-4 du code des assurances
prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est
applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 191-4 du code des assurances est contraire à la
Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au
considérant 11.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jacques BARROT exerçant les fonctions de Président, Mmes Claire
BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX
de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 juin 2014 par
la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. François F. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 651-2 du
code de commerce.
Les articles L. 651-1 à L. 651-4 du code de commerce sont relatifs à l'action en
responsabilité pour insuffisance d'actif d'une entreprise. Cette action concerne
les dirigeants d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure de
liquidation judiciaire, ainsi que les personnes physiques représentants
permanents de ces dirigeants personnes morales et les entrepreneurs individuels
à responsabilité limitée. La procédure mettait en cause le premier alinéa de
l'article L. 651-2 du code de commerce qui prévoit qu'en cas de faute de gestion
du dirigeant ayant contribué à l'insuffisance d'actif, le tribunal peut le
condamner sur le fondement de la responsabilité pour insuffisance d'actif.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution
et écarté les griefs fondés sur le principe de responsabilité et sur l'égalité
devant la loi. Il a relevé qu'en permettant au tribunal d'exonérer en tout ou
partie les dirigeants fautifs de la charge de l'insuffisance d'actif, le
législateur a entendu prendre en compte, d'une part, la gravité et le nombre des
fautes de gestion retenues contre eux et l'état de leur patrimoine et, d'autre
part, les facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des
entreprises ainsi que les risques inhérents à leur exploitation. Le Conseil a
jugé que ces aménagements aux conditions dans lesquelles le dirigeant
responsable d'une insuffisance d'actif peut voir sa responsabilité engagée
répondent à l'objectif d'intérêt général de favoriser la création et le
développement des entreprises. Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de
la Cour de cassation, le montant des sommes au versement desquelles les
dirigeants sont condamnés doit être proportionné au nombre et à la gravité des
fautes de gestion qu'ils ont commises.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de commerce ;
Vu l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des
entreprises en difficulté ;
Vu la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du
droit et d'allègement des procédures, notamment le 31° de son article 138 ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale n° 08-21906) du 15
décembre 2009 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. Frédéric Torelli pris en qualité de
liquidateur judiciaire de la société de Négoce et d'intermédiation commerciale,
partie en défense, par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 juillet 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 21
juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la lettre du 4 septembre 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a
soumis aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Me Frédéric Rocheteau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour
le requérant, Me Guillaume Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la partie en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 septembre 2014
;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de
l'article L. 651-2 du code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire
d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal
peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif,
décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou
en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre
eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants,
le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables
» ;
2. Considérant que, selon le requérant, le pouvoir laissé au juge d'apprécier
entièrement les conséquences de la faute de gestion ayant contribué à
l'insuffisance d'actif méconnait le principe de responsabilité ainsi que le
principe d'égalité devant la loi ; qu'en outre, en application de l'article 7 du
règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a soulevé
d'office le grief tiré de ce que, en s'abstenant d'encadrer les cas et
conditions dans lesquels le juge peut décider, soit de faire supporter à un
dirigeant dont la faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif de
l'entreprise tout ou partie du montant de cette insuffisance d'actif, soit au
contraire de l'en exonérer, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa
compétence dans des conditions portant atteinte au droit de propriété, à la
liberté d'entreprendre et au principe de responsabilité ;
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine
les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ; qu'il
incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la
Constitution, en particulier son article 34, sans reporter sur des autorités
administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la
détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce
qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe
tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par
la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en
responsabilité met en oeuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois,
cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un
motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut
être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des
exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte une atteinte
disproportionnée ni aux droits des victimes d'actes fautifs ni au droit à un
recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de
1789 ;
6. Considérant que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi «
doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que
le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des
raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence
de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit ;
7. Considérant que les articles L. 651-1 à L. 651-4 du code de commerce sont
relatifs à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif d'une entreprise
en liquidation judiciaire ; que cette action vise les dirigeants de droit ou de
fait d'une personne morale, ainsi que les personnes physiques représentants
permanents de ces dirigeants personnes morales et les entrepreneurs individuels
à responsabilité limitée ; qu'elle ne peut être ouverte que lorsque la
liquidation de la personne morale a été prononcée et fait apparaître une
insuffisance d'actif ; que la condamnation ne peut excéder le montant de
celle-ci ; que, selon le troisième alinéa de l'article L. 651-2, les sommes
versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée
entrent dans le patrimoine du débiteur et sont réparties au prorata entre tous
les créanciers ; que l'article L. 651-4 permet au tribunal d'obtenir, pour
l'application de l'article L. 651-2, toutes informations sur la situation
patrimoniale du dirigeant ou de l'entrepreneur individuel à responsabilité
limitée ;
8. Considérant que, selon les dispositions contestées, la responsabilité des
dirigeants d'une entreprise en liquidation est engagée lorsqu'est établie contre
eux une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif ; que, lorsque
ces conditions sont réunies, le tribunal peut décider que l'insuffisance d'actif
sera supportée, en tout ou partie, par tous les dirigeants ou par certains
d'entre eux ayant contribué à la faute de gestion et, en cas de pluralité de
ceux-ci, de les déclarer solidairement responsables ;
9. Considérant qu'en permettant au tribunal d'exonérer en tout ou partie les
dirigeants fautifs de la charge de l'insuffisance d'actif, le législateur a
entendu prendre en compte, d'une part, la gravité et le nombre des fautes de
gestion retenues contre eux et l'état de leur patrimoine et, d'autre part, les
facteurs économiques qui peuvent conduire à la défaillance des entreprises ainsi
que les risques inhérents à leur exploitation ; que ces aménagements aux
conditions dans lesquelles le dirigeant responsable d'une insuffisance d'actif
peut voir sa responsabilité engagée répondent à l'objectif d'intérêt général de
favoriser la création et le développement des entreprises ;
10. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de
cassation, que le montant des sommes au versement desquelles les dirigeants sont
condamnés doit être proportionné au nombre et à la gravité des fautes de gestion
qu'ils ont commises ; que la décision relative à l'indemnisation est prise à
l'issue d'une procédure contradictoire et justifiée par des motifs appropriés
soumis au contrôle de la Cour de cassation ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, les
dispositions contestées n'ont pas pour effet de conférer à la juridiction saisie
un pouvoir arbitraire dans la mise en oeuvre de l'action en responsabilité pour
insuffisance d'actif ; que, d'autre part, les limitations apportées par ces
dispositions au principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause
à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
sont en adéquation avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que ces
dispositions ne portent pas d'atteinte disproportionnée aux droits des victimes
d'actes fautifs ni au droit à un recours juridictionnel effectif ; que les
différences de traitement entre dirigeants qui en résultent sont en rapport
direct avec l'objet de la loi ; que, par suite, les griefs tirés de ce que ces
dispositions seraient contraires aux articles 4, 6 et 16 de la Déclaration de
1789 doivent être écartés ;
12. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le premier alinéa de l'article L. 651-2 du code de commerce est
conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 juin 2014 par le Conseil d'État
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association France
Nature Environnement. Cette question était relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L.
173-12 du code de l'environnement.
L'article L. 173-12 du code de l'environnement est relatif à la procédure
administrative par laquelle, tant que l'action publique n'est pas mise en
mouvement, l'autorité administrative peut transiger avec les personnes physiques
et les personnes morales sur la poursuite des délits et contraventions de
cinquième classe prévus et réprimés par le code de l'environnement. La
proposition de transaction, qui doit être acceptée par l'auteur de l'infraction,
précise notamment l'amende transactionnelle que celui-ci devra payer, dont le
montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue. La transaction
doit être homologuée par le procureur de la République.
Le Conseil constitutionnel a écarté les griefs de l'association requérante et
jugé l'article L. 173-12 du code de l'environnement conforme à la Constitution.
Les dispositions de cet article organisent une procédure de transaction qui
suppose l'accord libre et non équivoque, avec l'assistance éventuelle de son
avocat, de l'auteur des faits. En outre, la transaction homologuée ne présente
aucun caractère exécutoire et n'entraîne aucune privation ou restriction des
droits de l'intéressé. Elle doit être exécutée volontairement par ce dernier.
Par suite, le Conseil a jugé que les mesures fixées dans la transaction ne
revêtent pas le caractère de sanctions ayant le caractère d'une punition.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code pénal ;
Vu l'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et
harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire
du code de l'environnement, notamment son article 3 ;
Vu la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement
durable, notamment son article 17 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante, enregistrées les 23
juillet et 6 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 23
juillet 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hélène Daoulas-Hervé, avocat au barreau de Quimper, pour l'association
requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 16 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 173-12 du
code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 11
janvier 2012 susvisée : « I. - L'autorité administrative peut, tant que l'action
publique n'a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques
et les personnes morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et
réprimés par le présent code.
« La transaction proposée par l'administration et acceptée par l'auteur de
l'infraction doit être homologuée par le procureur de la République.
« II. - Cette faculté n'est pas applicable aux contraventions des quatre
premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement
d'une amende forfaitaire en application de l'article 529 du code de procédure
pénale.
« III. - La proposition de transaction est déterminée en fonction des
circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur
ainsi que de ses ressources et de ses charges.
« Elle précise l'amende transactionnelle que l'auteur de l'infraction devra
payer, dont le montant ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue,
ainsi que, le cas échéant, les obligations qui lui seront imposées, tendant à
faire cesser l'infraction, à éviter son renouvellement, à réparer le dommage ou
à remettre en conformité les lieux. Elle fixe également les délais impartis pour
le paiement et, s'il y a lieu, l'exécution des obligations.
« IV. - L'acte par lequel le procureur de la République donne son accord à la
proposition de transaction est interruptif de la prescription de l'action
publique.
« L'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté dans
les délais impartis l'intégralité des obligations résultant pour lui de
l'acceptation de la transaction.
« V. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en
Conseil d'État » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, ces dispositions
méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines, les
droits de la défense, le droit au procès équitable de la victime de
l'infraction, le respect de la présomption d'innocence, le principe d'égalité
devant la loi ainsi que les articles 1er, 3 et 4 de la Charte de l'environnement
;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DES EXIGENCES QUI RÉSULTENT DES
ARTICLES 8 ET 16 DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DE 1789 :
3. Considérant que, selon l'association requérante, en permettant un cumul de
l'amende transactionnelle avec les sanctions administratives susceptibles d'être
prononcées par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du
code de l'environnement, les dispositions contestées méconnaissent le principe
de proportionnalité des peines ; qu'en outre, elle fait valoir qu'en cas de
poursuites et de condamnation faisant suite à une transaction qui n'a pas été
entièrement exécutée, les dispositions contestées n'imposent pas qu'il soit tenu
compte des sommes déjà versées et des autres obligations transactionnelles déjà
exécutées ; qu'elle soutient également qu'en n'excluant pas les délits les plus
graves du champ d'application de la transaction, le législateur a prévu une
répression insuffisante de certaines infractions en matière d'environnement dans
des conditions qui portent atteinte à l'article 8 de la Déclaration de 1789, aux
articles 1er, 3 et 4 de la Charte de l'environnement, ainsi qu'aux objectifs de
valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public
environnemental et de santé publique ;
4. Considérant que l'association requérante soutient également qu'en ne
précisant pas que, lorsque l'administration propose une transaction, l'auteur de
l'infraction est informé de la nature des faits à l'origine de la procédure et
de leur qualification juridique, de son droit de bénéficier de l'assistance d'un
avocat et d'avoir communication du procès-verbal d'infraction ainsi que, le cas
échéant, des avis de l'autorité administrative recueillis au cours de l'enquête,
les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense ; qu'en
prévoyant que la transaction est homologuée par le ministère public, ces
dispositions ne garantiraient pas le caractère libre et éclairé du consentement
de l'auteur de l'infraction ; qu'en outre, en ne précisant pas que les victimes
identifiées doivent être avisées de la mise en oeuvre de la transaction, ces
dispositions méconnaîtraient les droits de la victime d'exercer un recours
juridictionnel effectif ;
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de
1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et
promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les
principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines
prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le
caractère d'une punition ;
6. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de
1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée,
ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que sont
garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un
recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les
droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une
punition ;
7. Considérant que l'article L. 173-12 du code de l'environnement est relatif à
la procédure par laquelle, tant que l'action publique n'est pas mise en
mouvement, l'autorité administrative peut transiger avec les personnes physiques
et les personnes morales sur la poursuite des délits et contraventions de
cinquième classe prévus et réprimés par le code de l'environnement ; que la
proposition de transaction qui doit être acceptée par l'auteur de l'infraction
précise l'amende transactionnelle que celui-ci devra payer, dont le montant ne
peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue, ainsi que, le cas
échéant, les obligations qui lui seront imposées tendant à faire cesser
l'infraction, à éviter son renouvellement, à réparer le dommage ou à remettre en
conformité les lieux ; que la transaction doit être homologuée par le procureur
de la République ;
8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées organisent une
procédure de transaction qui suppose l'accord libre et non équivoque, avec
l'assistance éventuelle de son avocat, de l'auteur des faits ; qu'en outre la
transaction homologuée ne présente, en elle-même, aucun caractère exécutoire et
n'entraîne aucune privation ou restriction des droits de l'intéressé ; qu'elle
doit être exécutée volontairement par ce dernier ; que, par suite, les mesures
fixées dans la transaction ne revêtent pas le caractère de sanctions ayant le
caractère d'une punition ; qu'il appartient au pouvoir réglementaire de
préciser, sous le contrôle du juge, les règles de procédure transactionnelle ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'en confiant au ministère public le pouvoir
d'homologuer une procédure dont l'exécution volontaire par l'auteur de
l'infraction a pour seul effet d'éteindre l'action publique, les dispositions
contestées ne portent aucune atteinte aux exigences qui résultent de l'article
16 de la Déclaration de 1789 ;
10. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées ne font pas
obstacle au droit des victimes, avisées de la procédure par le procureur de la
République dans les conditions de l'article 40-2 du code de procédure pénale,
d'agir pour demander la réparation de leur préjudice devant les juridictions
civiles ainsi que, dans le délai de la prescription de l'action publique, devant
les juridictions répressives ; que, par suite, les dispositions contestées ne
portent pas atteinte au droit des victimes d'exercer un recours juridictionnel
effectif ;
11. Considérant, en quatrième lieu, que la transaction avec l'autorité
administrative implique, de la part de cette dernière, la renonciation à
poursuivre l'auteur des faits ; que, par suite, le grief tiré de ce que l'amende
transactionnelle pourrait se cumuler avec une sanction administrative prononcée
pour des mêmes faits manque en fait ; qu'en cas d'exécution incomplète des
mesures prévues par la transaction homologuée, il résulte des paragraphes III et
IV de l'article L. 173-12 qu'il appartient à l'administration de saisir le
procureur de la République en vue de la mise en mouvement de l'action publique ;
12. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des dispositions du code pénal
relatives au prononcé des peines que la juridiction prononce les peines et fixe
leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité
de son auteur ; que, par suite, en cas de poursuites devant la juridiction
répressive faisant suite à une transaction qui n'a pas été entièrement exécutée,
il est tenu compte, s'il y a lieu, des sommes déjà versées ou des autres
obligations respectées par l'auteur de l'infraction au titre de la transaction ;
qu'il s'ensuit que manque en fait le grief tiré de ce que les dispositions
contestées méconnaîtraient le principe de nécessité des peines en n'imposant pas
au juge saisi de poursuites postérieures à une transaction qui n'a pas été
complètement exécutée, qu'il soit tenu compte des sommes déjà versées et des
autres obligations transactionnelles déjà exécutées ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de
l'atteinte aux exigences des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent
être écartés ;
- SUR LES AUTRES GRIEFS :
14. Considérant, en premier lieu, que, selon l'association requérante, en
n'interdisant pas que les déclarations de l'auteur de l'infraction pendant la
phase transactionnelle puissent être utilisées à l'occasion des poursuites
ultérieures, si la transaction échoue, les dispositions contestées méconnaissent
le droit au respect de la présomption d'innocence ;
15. Considérant que ni le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, qui
découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789, ni aucune autre exigence
constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une personne suspectée d'avoir commis
une infraction reconnaisse librement sa culpabilité et consente à exécuter une
peine ou des mesures de nature à faire cesser l'infraction ou en réparer les
conséquences ; que, par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas
la présomption d'innocence ;
16. Considérant, en second lieu, que le pouvoir du procureur de la République de
choisir les modalités de mise en oeuvre de l'action publique ou les alternatives
aux poursuites ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
17. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 173-12 du code de l'environnement est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 septembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la société Praxair SAS. Cette question était relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit des neuvième à vingt-et-unième alinéas
du paragraphe I de l'article 5 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative
à la modernisation et au développement du service public de l'électricité dans
leur rédaction applicable du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2010.
Ces dispositions sont relatives à la contribution au service public de
l'électricité. Les requérants soutenaient notamment que le législateur avait
omis de définir les règles relatives au taux et aux modalités de recouvrement de
cette imposition. Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et jugé ces
dispositions conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a notamment relevé que le législateur avait
suffisamment défini les règles de recouvrement de cette imposition. La loi a
distingué en fonction des catégories de contributeurs et des modalités de
fourniture de l'électricité consommée avec, d'une part, les consommateurs finals
alimentés par l'intermédiaire du réseau public de transport ou de distribution
qui acquittent leur contribution lors du règlement de leur facture d'électricité
ou d'utilisation des réseaux et, d'autre part, les producteurs d'électricité
produisant pour leur propre usage et les autres consommateurs finals. Par
ailleurs, dans les deux cas, la Commission de régulation de l'énergie est seule
compétente pour adresser une lettre de rappel assortie de pénalités de retard
lorsqu'elle constate un défaut ou une insuffisance de paiement.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014
par le Conseil d'État (décision n° 378033 du 16 juillet 2014), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par la société Praxair SAS, relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des « neuvième
à vingt-et-unième alinéas du paragraphe I de l'article 5 de la loi n° 2000-108
du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service
public de l'électricité dans leur rédaction applicable de 2005 à 2009 ».
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au
développement du service public de l'électricité ;
Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004,
notamment son article 118 ;
Vu la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de
la politique énergétique, notamment ses articles 54 et 57 ;
Vu la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie,
notamment son article 7 ;
Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, notamment son
article 37 ;
Vu la décision du Tribunal des conflits n° 1 565 du 10 juillet 1956 ;
Vu la décision du Conseil d'État nos 265582 et 273093 du 13 mars 2006 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour les sociétés Intermap France
SA, Les Boutiques Bonne Journée SAS, Volkswagen Group France et Société
Française du Radiotéléphone SA par la SELAFA CMS Bureau Francis Lefebvre, avocat
au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 31 juillet et 26 août 2014 ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Delaporte,
Briard, Trichet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 6 et 27 août 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour la société DHL International
Express par la SELAS FIDAL, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées
le 7 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 août
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Floriane Beauthier, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante,
Me Cathy Goarant-Moraglia, avocat au barreau de Paris, et Me Claire Vannini,
avocat au barreau de Paris, pour les sociétés Intermap France SA, Les Boutiques
Bonne Journée SAS, Volkswagen Group France et Société Française du
Radiotéléphone SA, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 23 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de
constitutionnalité porte sur les dispositions des neuvième à vingt-et-unième
alinéas du paragraphe I de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 susvisée,
dans leur version issue de l'article 118 de la loi du 30 décembre 2004 susvisée,
dans celle issue des articles 54 et 57 de la loi du 13 juillet 2005 susvisée, et
dans celle issue de l'article 7 de la loi du 7 décembre 2006 susvisée ;
2. Considérant que le paragraphe I de l'article 5 de la loi du 10 février 2000,
dans sa rédaction résultant de l'article 118 de la loi du 30 décembre 2004, fixe
le régime de la contribution au service public de l'électricité ; que cette
contribution assure la compensation intégrale des charges imputables aux
missions de service public assignées aux opérateurs électriques ; qu'aux termes
des neuvième à vingt-et-unième alinéas du paragraphe I de cet article :
« La compensation de ces charges, au profit des opérateurs qui les supportent,
est assurée par des contributions dues par les consommateurs finals
d'électricité installés sur le territoire national.
« Le montant des contributions mentionnées ci-dessus est calculé au prorata de
la quantité d'électricité consommée. Toutefois, l'électricité produite par un
producteur pour son propre usage ou achetée pour son propre usage par un
consommateur final à un tiers exploitant une installation de production sur le
site de consommation n'est prise en compte pour le calcul de la contribution
qu'à partir de 240 millions de kilowattheures par an et par site de production.
« Le montant de la contribution due par site de consommation, par les
consommateurs finals mentionnés au premier alinéa du I de l'article 22, ne peut
excéder 500000 euros. Le même plafond est applicable à la contribution due par
les entreprises mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article 22 pour
l'électricité de traction consommée sur le territoire national et à la
contribution due par les entreprises mentionnées au quatrième alinéa du II de
l'article 22 pour l'électricité consommée en aval des points de livraison
d'électricité sur un réseau électriquement interconnecté.
« Le montant de la contribution applicable à chaque kilowattheure est calculé de
sorte que les contributions couvrent l'ensemble des charges visées aux a et b,
ainsi que les frais de gestion exposés par la Caisse des dépôts et
consignations, mentionnés ci-après. Le ministre chargé de l'énergie arrête ce
montant sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, effectuée
annuellement.
« La contribution applicable à chaque kilowattheure ne peut dépasser 7 % du
tarif de vente du kilowattheure, hors abonnement et hors taxes, correspondant à
une souscription d'une puissance de 6 kVA sans effacement ni horosaisonnalité.
« Les contributions des consommateurs finals éligibles ayant exercé les droits
accordés au III de l'article 22 alimentés par l'intermédiaire du réseau public
de transport ou par un réseau public de distribution sont recouvrées par
l'opérateur en charge de la gestion du réseau auquel ces consommateurs sont
raccordés sous la forme d'un prélèvement additionnel aux tarifs d'utilisation
des réseaux. Celles des consommateurs finals non éligibles et des consommateurs
finals éligibles qui n'ont pas exercé les droits accordés au III de l'article 22
sont recouvrées par l'organisme en charge de la fourniture d'électricité qui les
alimente, sous la forme d'un prélèvement additionnel aux tarifs réglementés de
vente d'électricité. Le montant de la contribution est liquidé par l'organisme
précité en fonction de la quantité d'électricité livrée au contributeur qui
l'acquitte lors du règlement de sa facture d'électricité ou d'utilisation des
réseaux. Les contributions effectivement recouvrées sont reversées aux
opérateurs qui supportent les charges de service public par l'intermédiaire de
la Caisse des dépôts et consignations.
« Les producteurs d'électricité produisant pour leur propre usage et les
consommateurs finals, qui ne sont pas alimentés par l'intermédiaire du réseau
public de transport ou de distribution, acquittent spontanément leur
contribution avant la fin du mois qui suit chaque semestre civil. À cet effet,
ils adressent une déclaration indiquant la quantité d'électricité consommée au
cours du semestre civil correspondant à la Commission de régulation de l'énergie
et à la Caisse des dépôts et consignations. Ils procèdent dans le même délai au
versement, auprès de la Caisse des dépôts et consignations, des contributions
dues au profit des opérateurs qui supportent les charges de service public. En
cas d'inobservation de ses obligations par un des contributeurs mentionnés au
présent alinéa, la Commission de régulation de l'énergie procède, après avoir
mis l'intéressé en mesure de présenter ses observations, à la liquidation des
contributions dues. Le cas échéant, elle émet un état exécutoire.
« La Caisse des dépôts et consignations reverse deux fois par an aux opérateurs
qui supportent les charges visées aux 1° et 2° des a et b les sommes collectées.
Le montant des contributions que les opérateurs reçoivent est arrêté par les
ministres chargés de l'économie et de l'énergie, sur proposition de la
Commission de régulation de l'énergie.
« La Caisse des dépôts et consignations retrace ces différentes opérations dans
un compte spécifique. Les frais de gestion exposés par la caisse sont arrêtés
annuellement par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie.
« Sans préjudice de l'application des sanctions prévues à l'article 41, en cas
de défaut ou d'insuffisance de paiement de la contribution dans un délai de deux
mois à compter de la date à laquelle elle est due, la Commission de régulation
de l'énergie adresse une lettre de rappel assortie d'une pénalité de retard dont
le taux est fixé à 10 % du montant de la contribution due.
« Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne s'appliquent pas aux personnes qui
bénéficient ou qui viennent à bénéficier du dispositif mentionné au 1° du III de
l'article 2.
« Lorsque le montant des contributions collectées ne correspond pas au montant
constaté des charges de l'année, la régularisation intervient l'année suivante
au titre des charges dues pour cette année. Si les sommes dues ne sont pas
recouvrées au cours de l'année, elles sont ajoutées au montant des charges de
l'année suivante.
« La Commission de régulation de l'énergie évalue chaque année dans son rapport
annuel le fonctionnement du dispositif relatif aux charges du service public de
l'électricité visées au présent I»;
3. Considérant que le 1° du paragraphe I de l'article 54 de la loi du 13 juillet
2005 a complété le douzième alinéa du paragraphe I de l'article 5 de la loi du
10 février 2000 par une phrase ainsi rédigée : « Le montant de la contribution
annuelle, fixé pour une année donnée, est applicable aux exercices suivants à
défaut d'entrée en vigueur d'un nouvel arrêté pour l'année considérée » ; que le
2° du paragraphe I de ce même article 54 a supprimé la dernière phrase du
seizième alinéa du paragraphe I de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 ;
que l'article 57 de la loi du 13 juillet 2005 a modifié le seizième alinéa du
paragraphe I de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 en prévoyant que le
reversement, par la Caisse des dépôts et consignations, des sommes collectées au
titre de la contribution au service public de l'électricité aux opérateurs
supportant les charges imputables aux missions de service public intervient «
quatre fois par an » ;
4. Considérant que le 1° du paragraphe IV de l'article 7 de la loi du 7 décembre
2006 a complété la première phrase du douzième alinéa du paragraphe I de
l'article 5 de la loi du 10 février 2000 pour prévoir que les contributions au
service public de l'électricité couvrent « le budget du médiateur national de
l'énergie » ; que le 2° du paragraphe IV du même article a complété le seizième
alinéa du paragraphe I de l'article 5 de la loi du 10 février 2000 pour prévoir
que la Commission de régulation de l'énergie « verse au médiateur national de
l'énergie une somme égale au montant de son budget le 1er janvier de chaque
année » ;
-SUR LES CONCLUSIONS DES SOCIÉTÉS INTERVENANTES :
5. Considérant que les sociétés intervenantes concluent à l'abrogation, d'une
part, des dispositions contestées et, d'autre part, des dispositions des
neuvième à vingt-et-unième alinéas du paragraphe I de l'article 5 de la loi du
10 février 2000 dans leur rédaction résultant de l'article 37 de la loi du 29
décembre 2010 susvisée ainsi que des articles L. 121-10, L. 121-11 et L. 121-14
à L. 121-20 du code de l'énergie ; que le Conseil constitutionnel n'est pas
saisi de ces dispositions par le Conseil d'État ; que, par suite, les
conclusions des sociétés intervenantes ne doivent pas être admises en tant
qu'elles portent sur ces dernières dispositions ;
-SUR LA CONFORMITE DES DISPOSITIONS CONTESTEES AUX DROITS ET LIBERTES QUE LA
CONSTITUTION GARANTIT :
6. Considérant que la société requérante et les sociétés intervenantes
soutiennent qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a méconnu
l'étendue de sa compétence ; que les sociétés intervenantes soutiennent que ces
dispositions méconnaissent le principe de l'égalité devant l'impôt et les
charges publiques, ainsi que l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de
la loi;
. En ce qui concerne les griefs tirés de l'incompétence négative :
7. Considérant que, selon la société requérante, en ne précisant pas les
modalités de détermination du taux de la contribution au service public de
l'électricité, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence, dans
des conditions portant atteinte au droit de propriété ; que, selon la société
requérante et les sociétés intervenantes, en ne précisant pas les règles
relatives au recouvrement et au contentieux de cette contribution, le
législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions
portant atteinte au droit de propriété, au droit à un recours juridictionnel
effectif et au principe du consentement à l'impôt ;
8. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par
le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une
question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette
méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution
garantit ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe
les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement
des impositions de toutes natures... » ; qu'il s'ensuit que, lorsqu'il définit
une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement,
lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le
contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition ;
10. Considérant, en premier lieu, que la méconnaissance par le législateur de
l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une
imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution
garantit ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur
de sa compétence en matière de règles concernant le taux de la contribution au
service public de l'électricité doit être écarté ;
11. Considérant, en second lieu, que la méconnaissance, par le législateur, de
l'étendue de sa compétence dans la détermination des modalités de recouvrement
d'une imposition n'affecte pas par elle-même le droit de propriété ; qu'en
revanche, elle affecte par elle-même le droit à un recours effectif garanti par
l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
12. Considérant, d'une part, que, selon le quatorzième alinéa du paragraphe I de
l'article 5 de la loi du 10 février 2000, pour les consommateurs finals
alimentés par l'intermédiaire du réseau public de transport ou de distribution,
la contribution au service public de l'électricité est recouvrée soit par
l'opérateur en charge de la gestion du réseau soit par l'organisme en charge de
la fourniture d'électricité « sous la forme d'un prélèvement additionnel aux
tarifs d'utilisation des réseaux » ou « aux tarifs réglementés de vente
d'électricité », selon que les consommateurs sont ou non éligibles et qu'ils
exercent ou non leur droit à l'éligibilité ; que le montant de la contribution
au service public de l'électricité est liquidé par l'opérateur ou l'organisme
susmentionnés en fonction de la quantité d'électricité livrée au contributeur
qui l'acquitte lors du règlement de sa facture d'électricité ou d'utilisation
des réseaux ;
13. Considérant que, selon le quinzième alinéa, les producteurs d'électricité
produisant pour leur propre usage et les consommateurs finals qui ne sont pas
alimentés par l'intermédiaire du réseau public de transport ou de distribution
acquittent spontanément leur contribution avant la fin du mois qui suit chaque
semestre civil ; qu'à cet effet, ils adressent à la Commission de régulation de
l'énergie et à la Caisse des dépôts et consignations une déclaration indiquant
la quantité d'électricité consommée au cours du semestre civil correspondant ;
qu'ils procèdent dans le même délai au versement, auprès de la Caisse des dépôts
et consignations, des contributions dues au profit des opérateurs qui supportent
les charges de service public ; qu'en cas d'inobservation de ces obligations, la
Commission de régulation de l'énergie procède, après avoir mis l'intéressé en
mesure de présenter ses observations, à la liquidation des contributions dues ;
qu'elle émet, le cas échéant, un état exécutoire ;
14. Considérant que, selon le dix-huitième alinéa, « en cas de défaut ou
d'insuffisance de paiement de la contribution dans un délai de deux mois à
compter de la date à laquelle elle est due, la Commission de régulation de
l'énergie adresse une lettre de rappel assortie d'une pénalité de retard dont le
taux est fixé à 10 % du montant de la contribution due » ;
15. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le
législateur a prévu des règles de recouvrement de la contribution au service
public de l'électricité distinctes en fonction des catégories de contributeurs
et des modalités de fourniture de l'électricité consommée ; que, d'une part,
pour les consommateurs finals alimentés par l'intermédiaire du réseau public de
transport ou de distribution qui acquittent leur contribution lors du règlement
de leur facture d'électricité ou d'utilisation des réseaux, le législateur
n'autorise ni le gestionnaire du réseau ni le fournisseur d'électricité à
émettre un état exécutoire ; que, d'autre part, pour les producteurs
d'électricité produisant pour leur propre usage et les consommateurs finals non
alimentés par l'intermédiaire du réseau public de transport ou de distribution,
la Commission de régulation de l'énergie est seule compétente pour recouvrer la
contribution et, le cas échéant, émettre un état exécutoire ; qu'en outre, dans
l'un et l'autre cas, la Commission de régulation de l'énergie est seule
compétente pour adresser une lettre de rappel assortie de pénalités de retard
lorsqu'elle constate un défaut ou une insuffisance de paiement ; que, par suite,
le législateur a suffisamment défini les règles régissant le recouvrement de la
contribution au service public de l'électricité ;
16. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de la jurisprudence constante du
Tribunal des conflits que le contentieux des impositions qui ne sont ni des
contributions indirectes ni des impôts directs est compris dans le contentieux
général des actes et des opérations de puissance publique relevant de la
juridiction administrative ; qu'il résulte de la jurisprudence constante du
Conseil d'État que le contentieux de la contribution au service public de
l'électricité relève, à ce titre, de la compétence de la juridiction
administrative ; que, par suite, doivent être écartés, en tout état de cause,
les griefs tirés de ce qu'en ne désignant pas la juridiction compétente pour
connaître du contentieux de cette imposition, le législateur aurait méconnu
l'étendue de sa compétence ; que, par suite, il a suffisamment défini les règles
régissant le contentieux de la contribution au service public de l'électricité ;
17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de
l'incompétence négative doivent être écartés ;
. En ce qui concerne les autres griefs :
18. Considérant que selon les sociétés intervenantes, en prévoyant des
périodicités de versement de la contribution au service public de l'électricité
différentes selon les catégories de contributeurs, le législateur a institué une
différence de traitement contraire au principe d'égalité devant l'impôt et les
charges publiques ;
19. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour
l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre
tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en particulier, pour
assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son
appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il
se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture
caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
20. Considérant que les différences de périodicité de versement retenues par le
législateur correspondent à l'existence de modalités de recouvrement différentes
en fonction des catégories de contributeurs et des modalités de fourniture de
l'électricité consommée ; que cette différence de traitement est sans incidence
sur la charge publique que constitue la contribution au service public de
l'électricité ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe
d'égalité devant l'impôt et les charges publiques doit être écarté ;
21. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de
cause pas entachées d'inintelligibilité, ne méconnaissent aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes
à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les neuvième à vingt-et-unième alinéas du paragraphe I de
l'article 5 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation
et au développement du service public de l'électricité, dans leur version issue
de l'article 118 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances
rectificative pour 2004, dans celle issue des articles 54 et 57 de la loi n°
2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique
énergétique, et dans celle issue de l'article 7 de la loi n° 2006-1537 du 7
décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, sont conformes à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 octobre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014
par le Conseil d'État (décision n° 380406 du 16 juillet 2014), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question
prioritaire de constitutionnalité posée par la société SGI, relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1756
quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-660
du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Boré et
Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 6 et 11 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 août
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Louis Boré, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la
société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 23 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1756 quater du
code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2003
susvisée : « Lorsqu'il est établi qu'une personne a fourni volontairement de
fausses informations ou n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris
envers l'administration permettant d'obtenir pour autrui les avantages fiscaux
prévus par les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et 217
duodecies, elle est redevable d'une amende fiscale égale au montant de
l'avantage fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun.
Il en est de même, dans le cas où un agrément n'est pas exigé, pour la personne
qui s'est livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations ayant conduit à
la remise en cause de ces aides pour autrui » ;
2. Considérant que la société requérante soutient à titre principal que,
l'amende prévue par les dispositions contestées ne constituant pas une sanction
ayant le caractère d'une punition, elle méconnaît le droit de propriété et le
principe d'égalité devant les charges publiques ; qu'elle soutient à titre
subsidiaire, si la qualification de sanction ayant le caractère d'une punition
était retenue, que les dispositions contestées portent atteinte aux principes de
nécessité et de proportionnalité des peines ;
- SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITÉ APPLICABLES :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines
strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu
d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée
» ; que les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux
peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction
ayant le caractère d'une punition ;
4. Considérant que les articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et
217 duodecies du code général des impôts prévoient des avantages fiscaux pour
les contribuables qui réalisent certains investissements outre-mer ; que le
bénéfice de ces avantages fiscaux est, dans certains cas, subordonné à
l'obtention d'un agrément ; que, si l'avantage fiscal apparaît finalement indu,
l'administration peut exiger du contribuable son remboursement intégral ;
5. Considérant que les dispositions contestées prévoient une amende pour la
personne qui a contribué à l'obtention par un tiers d'un avantage fiscal indu
sur le fondement des articles 199 undecies A, 199 undecies B, 217 undecies et
217 duodecies du code général des impôts ; que la première phrase de l'article
1756 quater est relative aux investissements subordonnés à l'obtention d'un
agrément ; qu'elle prévoit dans ce cas l'amende fiscale encourue par la personne
qui a fourni volontairement de fausses informations ou qui n'a pas respecté les
engagements qu'elle avait pris envers l'administration ; que la seconde phrase
de l'article 1756 quater est relative aux investissements non subordonnés à
l'obtention d'un agrément ; qu'elle prévoit dans ce cas l'amende fiscale
encourue par la personne qui s'est livrée à des agissements, manœuvres ou
dissimulations ayant conduit à la remise en cause de ces aides pour autrui ;
qu'en toute hypothèse, cette amende fiscale est égale au montant de l'avantage
fiscal indûment obtenu, sans préjudice des sanctions de droit commun ;
6. Considérant que cette amende fiscale, qui tend à réprimer les agissements des
personnes ayant contribué à l'obtention, par un tiers, d'un avantage fiscal
indu, a le caractère d'une punition ; que, par suite, les griefs tirés d'une
atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité devant les charges
publiques sont inopérants ; qu'il appartient au Conseil constitutionnel
d'examiner la conformité des dispositions contestées aux exigences qui résultent
de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ;
- SUR LA CONFORMITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTEÉS AUX DROITS ET LIBERTÉS QUE LA
CONSTITUTION GARANTIT :
7. Considérant, en second lieu, que l'article 61-1 de la Constitution ne confère
pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision
de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour
se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son
examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la
nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation
du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence
de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ; qu'en
outre, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de
la Déclaration de 1789 implique que l'amende, lorsqu'elle constitue une sanction
ayant le caractère d'une punition, ne puisse être appliquée que si
l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant
compte des circonstances propres à chaque espèce ; qu'il ne saurait toutefois
interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective
des infractions ;
8. Considérant qu'en fixant l'amende en lien avec l'avantage fiscal indûment
obtenu, le législateur a entendu favoriser les investissements réalisés
outre-mer en garantissant leur sécurité, tout en poursuivant un but de lutte
contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ;
qu'en prévoyant que le montant de l'amende fiscale est fixé en proportion de
l'importance des sommes indûment obtenues, il a proportionné le montant de cette
amende à la gravité des manquements réprimés ; que le taux de 100 % retenu n'est
pas manifestement disproportionné ;
9. Considérant, toutefois, que l'amende prévue par l'article 1756 quater peut
être appliquée soit si la personne a fourni « volontairement » de fausses
informations, soit si elle « n'a pas respecté les engagements qu'elle avait pris
envers l'administration », soit, dans le cas où un agrément n'est pas exigé, si
elle s'est livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations ayant conduit à
la remise en cause de ces aides pour autrui ; que, compte tenu des modalités de
fixation de son montant en proportion de l'avantage obtenu par un tiers, cette
amende pourrait revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la
gravité des manquements réprimés si elle était appliquée sans que soit établi
l'élément intentionnel de ces manquements ; que, par suite, les dispositions
contestées doivent être interprétées comme prévoyant une amende applicable aux
personnes qui ont agi sciemment et dans la connaissance soit du caractère erroné
des informations qu'elles ont fournies, soit de la violation des engagements
qu'elles avaient pris envers l'administration, soit des agissements, manœuvres
ou dissimulations précités ;
10. Considérant que, d'autre part, l'amende prévue par l'article 1756 quater du
code général des impôts s'applique « sans préjudice des sanctions de droit
commun » ; que le principe d'un tel cumul de sanctions n'est pas, en lui-même,
contraire au principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de
la Déclaration de 1789 ; que, toutefois, lorsque deux sanctions prononcées pour
un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité
implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions
éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des
sanctions encourues ; qu'il appartient donc aux autorités administratives et
judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ; que, sous ces
réserves, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de
1789 doit être écarté ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous les réserves énoncées
aux considérants 9 et 10, elles doivent être déclarées conformes à la
Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous les réserves énoncées aux considérants 9 et 10, l'article
1756 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n°
2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 octobre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014
par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité
posées par MM. Maurice L. et Bernard T. relatives à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit du 8° bis de l'article 706-73 du code de
procédure pénale (CPP) et de son article 706-88.
Ces dispositions ont pour effet de permettre, lors des enquêtes ou des
instructions portant sur une escroquerie en bande organisée, la mise en œuvre
d'une mesure de garde à vue pouvant durer 96 heures dans les conditions prévues
à l'article 706-88 du CPP.
Le Conseil a relevé que, même lorsqu'il est commis en bande organisée, le délit
d'escroquerie n'est pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la
sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Dès lors, en permettant de
prolonger la durée de la garde à vue jusqu'à 96 heures pour un tel délit, le
législateur a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de
la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but
poursuivi. Par suite, le Conseil a déclaré contraire à la Constitution le 8° bis
de l'article 706-73 du CPP. Le Conseil a relevé que la modification de l'article
706-88 par la loi du 27 mai 2014 n'a pas mis fin à cette inconstitutionnalité.
S'agissant des effets dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité,
le Conseil a jugé :
- En premier lieu, l'abrogation immédiate du 8° bis de l'article 706-73 du CPP
aurait aussi eu pour effet d'interdire le recours aux pouvoirs spéciaux de
surveillance et d'investigation dans les enquêtes portant sur l'escroquerie en
bande organisée (alors que de tels pouvoirs ne sont pas contraires à la
Constitution). Face à cette conséquence manifestement excessive, le Conseil a
reporté au 1er septembre 2015 la date de l'abrogation du 8° bis de l'article
706-73 du CPP.
- En deuxième lieu, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée, le
Conseil a jugé qu'à compter de la publication de sa décision, il ne sera plus
possible de prolonger une mesure de garde à vue au delà de 48 heures dans des
investigations portant sur des faits d'escroquerie en bande organisée.
- En troisième lieu, le Conseil a jugé que la remise en cause des actes de
procédure pénale pris sur le fondement du 8° bis de l'article 706-73 du CPP
méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs
d'infractions et aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite,
les mesures de garde à vue prises avant la publication de la présente décision
et les autres mesures d'investigation prises avant le 1er septembre 2015 en
application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent
être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n°
2004-492 DC du 2 mars 2004 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010 ;
Vu la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, notamment son
article 16 ;
Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la
qualité du droit, notamment son article 157 ;
Vu la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive
2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au
droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, notamment son
article 4 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la SAS Consortium de réalisation et la SAS
CDR Créances, parties en défense, par Me Benoît Chabert, avocat au barreau de
Paris, enregistrées le 7 août 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Maurice L. par Me Paul-Albert Iweins,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 8 et 28 août 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Bernard T. par la SCP Lyon-Caen et Thiriez,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 8 et 28
août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 8 août
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Iweins et Me Frédéric Thiriez, pour les requérants, Me Chabert, pour les
parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant
été entendus à l'audience publique du 23 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions
prioritaires de constitutionnalité pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant que les questions prioritaires de constitutionnalité doivent être
regardées comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion
duquel elles ont été posées ; qu'ainsi le Conseil constitutionnel est saisi du
8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale, dans sa rédaction
actuellement en vigueur, et de l'article 706-88 du même code, dans sa rédaction
postérieure à la loi du 14 avril 2011 susvisée et antérieure à la loi 27 mai
2014 susvisée ;
3. Considérant que le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, qui,
dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 mai 2014 susvisée, comprend les
articles 706-73 à 706-106, est consacré à la procédure applicable à la
criminalité et à la délinquance organisée ; que l'article 706-73 fixe la liste
des crimes et délits pour lesquels la procédure applicable à l'enquête, la
poursuite, l'instruction et le jugement est soumise aux dispositions
particulières de ce titre XXV ; que le 8° bis de cet article 706-73, dans sa
rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 susvisée, désigne le « délit
d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2
du code pénal » ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 706-88 du code de procédure pénale,
dans sa rédaction postérieure à la loi du 14 avril 2011 : « Pour l'application
des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction
relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de
l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre
exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de
vingt-quatre heures chacune.
« Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la
requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la
détention, soit par le juge d'instruction.
« La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la
prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut
toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de
la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.
« Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est
examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge
d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un
certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au
maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par
l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical.
Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au
procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus
d'émargement, il en est fait mention.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des
investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures
de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge
d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa,
que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de
quarante-huit heures.
« Par dérogation aux dispositions des articles 63-4 à 63-4-2, lorsque la
personne est gardée à vue pour une infraction entrant dans le champ
d'application de l'article 706-73, l'intervention de l'avocat peut être
différée, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances
particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour permettre le recueil
ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes,
pendant une durée maximale de quarante-huit heures ou, s'il s'agit d'une
infraction mentionnée aux 3° ou 11° du même article 706-73, pendant une durée
maximale de soixante-douze heures.
« Le report de l'intervention de l'avocat jusqu'à la fin de la vingt-quatrième
heure est décidé par le procureur de la République, d'office ou à la demande de
l'officier de police judiciaire. Le report de l'intervention de l'avocat au-delà
de la vingt-quatrième heure est décidé, dans les limites fixées au sixième
alinéa, par le juge des libertés et de la détention statuant à la requête du
procureur de la République. Lorsque la garde à vue intervient au cours d'une
commission rogatoire, le report est décidé par le juge d'instruction. Dans tous
les cas, la décision du magistrat, écrite et motivée, précise la durée pour
laquelle l'intervention de l'avocat est différée.
« Lorsqu'il est fait application des sixième et septième alinéas du présent
article, l'avocat dispose, à partir du moment où il est autorisé à intervenir en
garde à vue, des droits prévus aux articles 63-4 et 63-4-1, au premier alinéa de
l'article 63-4-2 et à l'article 63-4-3 » ;
5. Considérant que, selon les requérants, en ce qu'elles permettent le recours à
une mesure de garde à vue de quatre-vingt-seize heures dans le cadre d'une
enquête ou d'une instruction portant sur des faits qualifiés d'escroquerie en
bande organisée, les dispositions combinées du 8° bis de l'article 706-73 du
code de procédure pénale et de son article 706-88 méconnaissent le principe de
rigueur nécessaire des mesures de contrainte dans la procédure pénale, la
protection de la liberté individuelle et les droits de la défense ;
6. Considérant que, s'agissant de l'article 706-88 du code de procédure pénale,
la question prioritaire de constitutionnalité ne porte que sur ses cinq premiers
alinéas relatifs à la durée de la garde à vue ;
- SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITE APPLICABLES :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni
détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a
prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des
ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en
vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance »
; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à
ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter,
toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit
être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
8. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution
l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale ; que,
s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter
une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;
9. Considérant qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre,
d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des
auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de
principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté
d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile, le secret des correspondances et
le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration
de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution
place sous la protection de l'autorité judiciaire ;
- SUR LES CINQ PREMIERS ALINÉAS DE L'ARTICLE 706-88 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
:
10. Considérant que les cinq premiers alinéas de l'article 706-88 du code de
procédure pénale sont renvoyés au Conseil constitutionnel dans leur rédaction
résultant de la loi du 9 mars 2004 susvisée ; que, dans les considérants 21 à 27
de sa décision du 2 mars 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a
spécialement examiné l'article 706-88 inséré dans le code de procédure pénale
par l'article 1er de la loi du 9 mars 2004 ; qu'il a jugé que ces dispositions
ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté individuelle ; que, dans
l'article 2 du dispositif de cette décision, il a déclaré ces dispositions
conformes à la Constitution ; que, par suite, les cinq premiers alinéas de
l'article 706-88 ont déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les
motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; que, comme
le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 22 septembre 2010
susvisée, en l'absence de changement des circonstances, depuis la décision du 2
mars 2004 susvisée, en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité
organisées, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de procéder à un
nouvel examen de ces dispositions ; qu'au surplus, le grief tiré de ce que les
dispositions contestées permettent le recours à une mesure de garde à vue de
quatre-vingt-seize heures pour des faits d'escroquerie en bande organisée met en
cause non l'article 706-88 du code de procédure pénale en lui-même, mais
l'inscription de cette infraction dans la liste prévue par son article 706-73 ;
-SUR LE 8° BIS DE L'ARTICLE 706-73 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :
11. Considérant que l'inscription d'un crime ou d'un délit dans la liste des
infractions visées par l'article 706-73 du code de procédure pénale a pour effet
de permettre, lors des enquêtes ou des instructions portant sur ce crime ou ce
délit, la mise en œuvre d'une mesure de garde à vue dans les conditions prévues
à l'article 706-88 du code de procédure pénale et le recours à ceux des pouvoirs
spéciaux d'enquête ou d'instruction prévus par le titre XXV du livre IV du code
de procédure pénale qui sont applicables à toutes les infractions visées par
l'article 706-73 ;
12. Considérant que l'article 706-88 du code de procédure pénale prévoit que, si
les nécessités d'une enquête l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à
titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de
vingt-quatre heures chacune décidées par le juge des libertés et de la détention
ou par le juge d'instruction ; que, dans ce cas, ces prolongations, qui
s'ajoutent à la durée de droit commun définie par l'article 63 du même code,
portent à quatre-vingt-seize heures la durée maximale de la garde à vue ; que
cet article permet également que l'intervention de l'avocat soit différée
pendant une durée maximale de quarante-huit heures, en considération de raisons
impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de
l'instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves,
soit pour prévenir une atteinte aux personnes ; que ce report est décidé par le
juge d'instruction lorsque la garde à vue est mise en œuvre au cours d'une
information judiciaire ; que, dans les autres cas, il est décidé par le
procureur de la République pour la première prolongation et par le juge des
libertés et de la détention pour la seconde ;
13. Considérant que l'escroquerie est un délit contre les biens défini par
l'article 313-1 du code pénal comme « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou
d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de
manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la
déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des
fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un
acte opérant obligation ou décharge » ; que, même lorsqu'il est commis en bande
organisée, le délit d'escroquerie n'est pas susceptible de porter atteinte en
lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; qu'en
permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article
706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions
portant sur ce délit, le législateur a permis qu'il soit porté à la liberté
individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée
comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, le 8° bis de l'article
706-73 du code de procédure pénale méconnaît ces exigences constitutionnelles et
doit être déclaré contraire à la Constitution ;
- SUR LES CONSÉQUENCES DE L'ADOPTION DE LA LOI DU 27 MAI 2014 SUSVISEE :
14. Considérant que, selon le Premier ministre, la modification apportée à
l'article 706-88 du code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 susvisée
a mis fin à l'inconstitutionnalité dénoncée par les requérants de sorte qu'il
n'y aurait en tout état de cause pas lieu d'abroger les dispositions déclarées
contraires à la Constitution ;
15. Considérant que l'article 4 de la loi du 27 mai 2014 susvisée a complété
l'article 706-88 du code de procédure pénale par un alinéa aux termes duquel : «
Le présent article n'est pas applicable au délit prévu au 8° bis de l'article
706-73 ou, lorsqu'elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées aux 14°
à 16° du même article. Toutefois, à titre exceptionnel, il peut être appliqué si
les faits ont été commis dans des conditions portant atteinte à la sécurité, à
la dignité ou à la vie des personnes ou aux intérêts fondamentaux de la nation
définis à l'article 410-1 du code pénal ou si l'un des faits constitutifs de
l'infraction a été commis hors du territoire national, dès lors que la poursuite
ou la réalisation des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité
rend indispensable, en raison de leur complexité, la prolongation de la garde à
vue. Les ordonnances prolongeant la garde à vue sont prises par le juge des
libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République ou du
juge d'instruction. Elles sont spécialement motivées et font référence aux
éléments de fait justifiant que les conditions prévues au présent alinéa sont
réunies. Les sixième et septième alinéas du présent article ne sont pas
applicables » ;
16. Considérant que ni les éléments constitutifs du délit d'escroquerie ni les
circonstances aggravantes de ce délit ne font référence à des faits d'atteinte à
la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; que le fait d'obtenir la
remise de fonds, de valeur ou d'un bien quelconque par violence ou menace est
qualifié par ailleurs d'extorsion ; qu'en permettant le recours à la garde à vue
dans les conditions prévues par l'article 706-88 du code de procédure pénale
pour des faits d'escroquerie en bande organisée lorsque les faits ont été commis
dans des conditions portant atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des
personnes ou « aux intérêts fondamentaux de la nation définis à l'article 410-1
du code pénal » ou si l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis
hors du territoire national, les dispositions ajoutées à l'article 706-88 du
code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 n'ont pas mis fin à
l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale
;
- SUR LES EFFETS DANS LE TEMPS DE LA DECLARATION D'INCONSTITUTIONNALITE DU 8°
BIS DE L'ARTICLE 706-73 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :
17. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
18. Considérant que l'inscription d'un crime ou d'un délit dans la liste des
infractions visées par l'article 706-73 du code de procédure pénale a également
pour effet de permettre le recours à ceux des pouvoirs spéciaux d'enquête ou
d'instruction prévus par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale
qui sont applicables à toutes les infractions visées par l'article 706-73 ; que,
par suite, l'appréciation des effets dans le temps de la déclaration
d'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 requiert d'apprécier
également la conformité à la Constitution du recours à ces pouvoirs spéciaux
d'enquête ou d'instruction ;
19. Considérant que l'article 706-80 du code de procédure pénale permet que,
sauf opposition du procureur de la République préalablement informé, la
compétence des officiers de police judiciaire et des agents de police judiciaire
soit étendue à l'ensemble du territoire national pour la surveillance des
personnes suspectées d'avoir commis certaines infractions ; que les articles
706-81 à 706-87 permettent au procureur de la République ou au juge
d'instruction, lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction le
justifient, d'autoriser l'organisation d'une opération d'infiltration d'un
officier ou d'un agent de police judiciaire consistant « à surveiller des
personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer,
auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs » ;
20. Considérant que les articles 706-89 à 706-94 fixent les conditions dans
lesquelles, au cours d'une enquête préliminaire, d'une enquête de flagrance ou
d'une instruction préparatoire, le juge des libertés et de la détention ou le
juge d'instruction peut autoriser les perquisitions, visites domiciliaires et
saisies de pièces à conviction en dehors des heures prévues par l'article 59 ;
21. Considérant que l'article 706-95 prévoit que, si les nécessités de l'enquête
de flagrance ou de l'enquête préliminaire le justifient, le juge des libertés et
de la détention peut autoriser l'interception, l'enregistrement et la
transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications ;
22. Considérant que les articles 706-96 à 706-102-9 prévoient que, lorsque les
nécessités de l'information l'exigent, le juge d'instruction peut autoriser par
ordonnance motivée la mise en place, sous son autorité et son contrôle, d'une
part, d'un « dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des
intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de
paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel,
dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou plusieurs
personnes se trouvant dans un lieu privé » et, d'autre part, d'un « dispositif
technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en
tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et
les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur
d'un système de traitement automatisé de données ou telles qu'il les y introduit
par saisie de caractères » ;
23. Considérant que l'article 706-103 prévoit qu'au cours de l'information, le
juge des libertés et de la détention peut, afin de garantir le paiement des
amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l'indemnisation des victimes,
ordonner des mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis
ou indivis, de la personne mise en examen ;
24. Considérant qu'en permettant le recours à ces pouvoirs spéciaux d'enquête et
d'instruction pour les délits d'escroquerie commis en bande organisée, le
législateur a estimé que la difficulté d'appréhender les auteurs de ces
infractions tient à l'existence d'un groupement ou d'un réseau dont
l'identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes
complexes ; qu'eu égard à la gravité du délit d'escroquerie en bande organisée,
le législateur a pu, à cette fin, fixer des règles spéciales de surveillance et
d'investigation dans les enquêtes et les instructions portant sur une telle
infraction ; que, compte tenu des garanties encadrant la mise en œuvre de ces
mesures spéciales d'enquête et d'instruction, les atteintes au respect de la vie
privée et au droit de propriété résultant de leur mise en œuvre ne revêtent pas
un caractère disproportionné au regard du but poursuivi ;
25. Considérant, en premier lieu, que l'abrogation immédiate du 8° bis de
l'article 706-73 du code de procédure pénale aurait pour effet non seulement
d'empêcher le recours à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour des
faits d'escroquerie en bande organisée, mais aussi de faire obstacle à l'usage
des autres pouvoirs spéciaux de surveillance et d'investigation prévus par le
titre XXV du livre IV du même code et aurait dès lors des conséquences
manifestement excessives ; qu'afin de permettre au législateur de remédier à
l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure
pénale, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2015 la date de cette
abrogation ;
26. Considérant, en deuxième lieu, qu'afin de faire cesser
l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente
décision, il y a lieu de juger que les dispositions du 8° bis de l'article
706-73 du code de procédure pénale ne sauraient être interprétées comme
permettant, à compter de cette publication, pour des faits d'escroquerie en
bande organisée, le recours à la garde à vue prévue par l'article 706-88 du code
de procédure pénale ;
27. Considérant, en troisième lieu, que la remise en cause des actes de
procédure pénale pris sur le fondement des dispositions déclarées
inconstitutionnelles méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de
recherche des auteurs d'infractions et aurait des conséquences manifestement
excessives ; que, par suite, les mesures de garde à vue prises avant la
publication de la présente décision et les autres mesures prises avant le 1er
septembre 2015 en application des dispositions déclarées contraires à la
Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette
inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale est
contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
sous la réserve énoncée au considérant 26 et dans les conditions prévues aux
considérants 25 et 27.
Article 3.- Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la
question prioritaire de constitutionnalité portant sur les cinq premiers alinéas
de l'article 706-88 du code de procédure pénale.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 octobre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 juillet 2014 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-taxis. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des
articles L. 231-1 à L. 231-4 du code du tourisme, dans leur version issue de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques.
Ces articles du code du tourisme sont relatifs aux voitures de tourisme avec chauffeur. Le syndicat requérant soutenait notamment que la possibilité de
réserver ces voitures au moyen de dispositifs électroniques mobiles portait atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis et au principe d'égalité devant
la loi. Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a notamment relevé que le législateur a distingué, d'une part, l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie
publique en quête de clients en vue de leur transport et, d'autre part, l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable. La
première de ces activités est réservée aux taxis pour des raisons d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie
publique. En revanche la seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle de voitures
de tourisme avec chauffeur. Le principe d'égalité n'imposait pas que les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur soient traités différemment au regard
de cette seconde activité. Le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures de tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de transport public de
personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte au principe d'égalité devant la loi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du tourisme ;
Vu le code des transports ;
Vu la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation
des services touristiques ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 août
et le 15 septembre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour la SAS Allocab par la SCP
Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 29 août et 15 septembre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour la Fédération Française de
Transport de Personnes sur Réservation par Me Maxime de Guillenchmidt, avocat au
barreau de Paris, enregistrées les 29 août et 15 septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le
syndicat requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la société intervenante, Me Maxime de Guillenchmidt, pour la
fédération intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre,
ayant été entendus à l'audience publique du 7 octobre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 4 de la loi du 22 juillet
2009 susvisée a donné une nouvelle rédaction du chapitre Ier du titre III du
livre II du code du tourisme, intitulé « Exploitation de voitures de tourisme
avec chauffeur » et comprenant les articles L. 231-1 à L. 231-4 aux termes
desquels :
« Art. L. 231-1 : Le présent chapitre s'applique aux entreprises qui mettent à
la disposition de leur clientèle des voitures de tourisme avec chauffeur,
suivant des conditions fixées à l'avance entre les parties. » ;
« Art. L. 231-2 : Les entreprises mentionnées à l'article L. 231-1 doivent
disposer d'une ou plusieurs voitures répondant à des conditions techniques et de
confort, ainsi que d'un ou plusieurs chauffeurs titulaires du permis B et
justifiant de conditions d'aptitude professionnelle définies par décret.
« Elles sont immatriculées sur le registre mentionné au b de l'article L. 141-3
» ;
« Art. L. 231-3 : Les voitures de tourisme avec chauffeur ne peuvent ni
stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location
préalable, ni être louées à la place. » ;
« Art. L. 231-4 : Les conditions d'application du présent chapitre sont fixées
par décret. » ;
2. Considérant que le syndicat requérant fait valoir que les techniques de
réservation préalable au moyen de dispositifs électroniques mobiles permettent
désormais de réserver une voiture avec chauffeur dans des conditions de rapidité
et de simplicité qui conduisent en pratique à un empiétement sur l'activité pour
laquelle les taxis jouissent d'un monopole ; que, compte tenu de la
règlementation particulière à laquelle ces derniers sont seuls soumis, la
possibilité d'une mise en concurrence des taxis avec les voitures de tourisme
avec chauffeur porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi ; que
l'absence de règle imposant, pour les voitures de tourisme avec chauffeur, le
respect d'un délai suffisant entre la réservation d'une voiture et la prise en
charge du client porterait atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis ; que
l'insuffisante protection du monopole des taxis porterait atteinte au caractère
patrimonial du droit de présentation de son successeur par le titulaire d'une
licence de taxi et méconnaîtrait le droit de propriété ; qu'enfin, l'absence de
restriction suffisante de l'activité de voiture de tourisme avec chauffeur
méconnaîtrait les objectifs de sauvegarde de l'ordre public et de protection de
l'environnement ;
3. Considérant que, selon la fédération intervenante, en interdisant aux
voitures de tourisme avec chauffeur de « stationner sur la voie publique » sans
préciser que cette interdiction ne porte que sur le stationnement dans l'attente
de la clientèle, les dispositions de l'article L. 231-3 du code du tourisme
portent atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'aller et venir ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi : « doit être la même pour
tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité
ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général,
pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte
soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que si, en règle
générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se
trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à
traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;
5. Considérant que la réglementation applicable aux taxis, définie par l'article
L. 3121-1 du code des transports, repose sur un régime d'autorisation
administrative ; que le propriétaire ou l'exploitant d'un taxi est titulaire,
dans sa commune ou son service commun de rattachement, d'une autorisation
administrative de stationnement sur la voie publique en attente de la clientèle
; que ces véhicules sont en outre dotés d'équipements spéciaux permettant la
mise en œuvre d'un tarif réglementé ;
6. Considérant que les dispositions contestées du code du tourisme fixent les
règles applicables à l'exploitation de voitures de tourisme avec chauffeur «
suivant des conditions fixées à l'avance entre les parties » ; que cette
activité est soumise à un régime d'immatriculation ; que le tarif des transports
n'est pas réglementé ; que ces voitures ne peuvent ni stationner sur la voie
publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable ni être louées
à la place ;
7. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a distingué,
d'une part, l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie
publique en quête de clients en vue de leur transport et, d'autre part,
l'activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ; que,
poursuivant des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation
et du stationnement sur la voie publique, le législateur a réservé la première
activité aux taxis qui l'exercent dans un cadre réglementé particulier ; que la
seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également
par d'autres professions, notamment celle de voitures de tourisme avec chauffeur
; que le principe d'égalité n'imposait pas que les taxis et les voitures de
tourisme avec chauffeur soient traités différemment au regard de cette seconde
activité ; que le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures de
tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de transport public de personnes
sur réservation préalable ne porte aucune atteinte au principe d'égalité devant
la loi ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que la liberté d'entreprendre découle de
l'article 4 de la Déclaration de 1789 ; qu'il est loisible au législateur
d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences
constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il
n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi
;
9. Considérant que le droit reconnu par les dispositions contestées aux voitures
de tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de transport public de personnes
sur réservation préalable ne porte aucune atteinte à la liberté d'entreprendre
des taxis ;
10. Considérant qu'en réservant aux taxis le droit de stationner et de circuler
sur la voie publique « en quête de clients », le législateur n'a pas porté à la
liberté d'entreprendre ou à la liberté d'aller et venir des voitures de tourisme
avec chauffeur une atteinte disproportionnée au regard des objectifs d'ordre
public poursuivis ;
11. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées n'autorisent
pas les voitures de tourisme avec chauffeur à stationner ou circuler sur la voie
publique en quête de clients ; que, par suite, en tout état de cause, le grief
tiré de l'atteinte au monopole des chauffeurs de taxis manque en fait ;
12. Considérant, en quatrième lieu, que l'objectif de valeur constitutionnelle
de sauvegarde de l'ordre public ne peut, en lui-même, être invoqué à l'appui
d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article
61-1 de la Constitution ;
13. Considérant, en cinquième lieu, qu'en vertu de l'article 1er de la Charte de
l'environnement, « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et
respectueux de la santé » ; que le droit reconnu, par les dispositions
contestées, aux voitures de tourisme avec chauffeur d'exercer l'activité de
transport public de personnes sur réservation préalable ne méconnaît pas les
exigences qui résultent de ces dispositions ;
14. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre
droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles L. 231-1 à L. 231-4 du code du tourisme, dans leur
version issue de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de
modernisation des services touristiques sont conformes à la Constitution.
Article 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 octobre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Stéphane R. et deux autres requérants. Cette question était relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L.
311-2, L. 311-3, L. 311-5, L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1, L. 313-11,
L. 314-3, L. 314-4 et L. 314-18 du code des juridictions financières (CJF).
Ces articles du CJF sont relatifs à la Cour de discipline budgétaire et
financière (CDBF). Cette juridiction est chargée de sanctionner les
fonctionnaires, les membres de cabinets ministériels ou les gestionnaires
d'organismes soumis au contrôle de la Cour des comptes qui ont commis certains
manquements en matière de finances publiques. Les requérants contestaient la
composition de la Cour, la procédure suivie devant elle ainsi que les sanctions
qu'elle prononce.
Le Conseil constitutionnel a rejeté l'ensemble des griefs des requérants. Il a
jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution. Il s'est borné à
formuler, conformément à une jurisprudence bien établie, une réserve relative au
cumul de peines.
Sur la composition de la CDBF, le Conseil a notamment relevé que l'ensemble de
ses membres, issus du Conseil d'État et de la Cour des comptes, sont soumis aux
dispositions statutaires qui leurs sont respectivement applicables. Ils
bénéficient des garanties d'impartialité et d'indépendance attachées à leur
statut respectif.
Sur la phase antérieure à la décision du Procureur général de la Cour des
comptes de classer l'affaire ou de la renvoyer devant la CDBF, le Conseil
constitutionnel a relevé qu'il s'agissait d'une phase d'enquête administrative
préalable et que le législateur n'avait donc pas à organiser, à ce stade, une
procédure contradictoire et un contrôle juridictionnel.
Sur les sanctions prononcées par la CDBF, le Conseil a d'abord relevé que leur
définition respectait le principe de légalité des délits. Par ailleurs les
requérants dénonçaient la possibilité pour les mêmes faits de faire l'objet de
poursuites différentes aux fins, d'une part, de sanctions prononcées par la CDBF
et, d'autre part, de sanctions pénales ou disciplinaires générales. Conformément
à sa jurisprudence constante, le Conseil a relevé que le principe d'un tel cumul
des sanctions prononcées par la CDBF avec les sanctions prononcées par une
juridiction pénale ou une autorité administrative investie du pouvoir
disciplinaire général n'est pas, en lui-même, contraire au principe de
proportionnalité des peines. Le Conseil a formulé son habituelle réserve
d'interprétation selon laquelle, lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un
même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité
implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement
prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions
encourues. Il appartient donc aux autorités juridictionnelles et disciplinaires
compétentes de veiller au respect de cette exigence et de tenir compte,
lorsqu'elles se prononcent, des sanctions de même nature antérieurement
infligées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu la loi n° 95-851 du 24 juillet 1995 relative à la partie législative du livre
III du code des juridictions financières, notamment son article 1er ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-198 L du 3 mars 2005 ;
Vu le décret n° 2005-677 du 17 juin 2005 modifiant le livre III du code des
juridictions financières, notamment son article 1er ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 222160 du 30 juin 2003 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. Bernard S. par la SCP UGGC Avocats, avocat
au barreau de Paris, enregistrées le 6 août 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Jean-François R. par Me Jean-Alain Michel,
avocat au barreau de Paris, enregistrées les 28 août et 11 septembre 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Stéphane R. par Me Jean-Etienne Giamarchi
et le cabinet Gibson, Dunn et Crutcher LLP, avocats au barreau de Paris,
enregistrées les 28 août et 15 septembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 août
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Nicolas Baverez, avocat au barreau de Paris, pour M. Stéphane R., Me
Jean-Alain Michel pour M. Jean-François R., Me Thierry Dal Farra, avocat au
barreau de Paris, pour M. Bernard S., et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 14 octobre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requérants contestent, en premier
lieu, les articles L. 311-2, L. 311-3 et L. 311-5 du code des juridictions
financières, relatifs à la composition de la Cour de discipline budgétaire et
financière ; qu'ils contestent, en deuxième lieu, les articles L. 314-3 et L.
314-4 du même code, relatifs à la procédure d'instruction et aux poursuites
devant cette Cour ; qu'ils contestent, en troisième lieu, les articles L. 313-1,
L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1 et L. 313-11 du même code, relatifs aux
infractions réprimées par la Cour et aux sanctions encourues ainsi que l'article
L. 314-18 du même code relatif au cumul avec l'action pénale et l'action
disciplinaire ;
- SUR LA COMPOSITION DE LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-2 du code des juridictions
financières : « La Cour est composée comme suit :
« - le premier président de la Cour des comptes, président ;
« - le président de la section des finances du Conseil d'État, vice-président ;
« - un nombre égal de conseillers d'État et de conseillers maîtres à la Cour des
comptes. » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-3 du même code : « Les
conseillers d'État et conseillers maîtres à la Cour des comptes sont nommés à la
Cour par décret pris en conseil des ministres pour une durée de cinq ans. » ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-5 du même code : «
L'instruction des affaires est confiée à des rapporteurs » ;
5. Considérant que, selon les requérants, en prévoyant que la Cour de discipline
budgétaire et financière est composée de conseillers d'État et de conseillers
maîtres à la Cour des comptes nommés à la Cour par le pouvoir exécutif, les
articles L. 311-2 et L. 311-3 du code des juridictions financières méconnaissent
les principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions et la séparation
des pouvoirs ; qu'ils soutiennent également qu'en ne prévoyant ni l'obligation
pour les membres de la Cour de prêter serment avant l'exercice de leurs
fonctions juridictionnelles ni l'existence d'une procédure disciplinaire propre
aux membres de la Cour, ces dispositions méconnaissent les principes protégés
par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
qu'en outre, ils font valoir qu'en ne prévoyant pas de garanties légales à la
nomination des rapporteurs chargés de l'instruction des affaires par l'article
L. 311-5, le législateur a également méconnu les principes d'impartialité et
d'indépendance ;
. En ce qui concerne les dispositions soumises à l'examen du Conseil
constitutionnel :
6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article
que de dispositions de nature législative ;
7. Considérant que, dans sa décision du 3 mars 2005 susvisée, le Conseil
constitutionnel a jugé que le nombre de membres du Conseil d'État et de la Cour
des comptes composant la Cour de discipline budgétaire et financière, figurant
aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 311-2 du code des
juridictions financières, dans sa version issue de l'article 1er de la loi du 24
juillet 1995 susvisée, a le caractère réglementaire ; que le paragraphe I de
l'article 1er du décret du 17 juin 2005 susvisé a remplacé les quatrième et
cinquième alinéas de l'article L. 311-2 du code des juridictions financières par
un alinéa ainsi rédigé : « - un nombre égal de conseillers d'État et de
conseillers maîtres à la Cour des comptes » ; que, par suite, les modifications
relatives à la fixation du nombre de conseillers d'État et de conseillers
maîtres à la Cour des comptes membres de la Cour de discipline budgétaire et
financière apportées par ce décret ne sont pas de nature législative ;
8. Considérant, toutefois, que le Conseil constitutionnel ne saurait statuer que
sur les seules dispositions de nature législative applicables au litige qui lui
sont renvoyées ; que, lorsqu'il est saisi de dispositions législatives
partiellement modifiées par décret et que ces modifications ne sont pas
séparables des autres dispositions, il revient au Conseil constitutionnel de se
prononcer sur celles de ces dispositions qui revêtent une nature législative au
sens de l'article 61-1 de la Constitution, en prenant en compte l'ensemble des
dispositions qui lui sont renvoyées ;
. En ce qui concerne les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
9. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que les principes
d'impartialité et d'indépendance sont indissociables de l'exercice de fonctions
juridictionnelles ;
10. Considérant, en premier lieu, que l'ensemble des membres nommés à la Cour de
discipline budgétaire et financière sont soumis aux dispositions statutaires
applicables aux membres du Conseil d'État ou aux membres de la Cour des comptes
; qu'ils bénéficient des garanties d'impartialité et d'indépendance attachées à
leur statut respectif ; que, par suite, les dispositions des articles L. 311-2
et L. 311-3 du code des juridictions financières, relatives à la composition de
la Cour de discipline budgétaire et financière, ne portent atteinte ni aux
principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions ni à la séparation
des pouvoirs ;
11. Considérant, en second lieu, que l'article L. 311-4 prévoit que les
fonctions du ministère public près la Cour sont remplies par le procureur
général près la Cour des comptes, assisté d'un avocat général et, s'il y a lieu,
de commissaires du Gouvernement ; que le second alinéa de l'article L. 314-3
charge le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de
désigner un rapporteur chargé de l'instruction ; que cette instruction constitue
une enquête administrative préalable à la saisine de la Cour ; qu'une fois cette
instruction terminée, le dossier est soumis au procureur général qui décide du
classement de l'affaire ou du renvoi devant la Cour ; que, par suite, est
inopérant le grief tiré de la méconnaissance des principes d'impartialité et
d'indépendance dans l'exercice de fonctions juridictionnelles à l'encontre des
dispositions de l'article L. 311-5, relatives à la nomination des rapporteurs à
qui est confiée l'instruction des affaires avant que le ministère public ne
décide s'il convient de saisir la Cour ;
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 311-2 qui sont de nature
législative, et les articles L. 311-3 et L. 311-5 du code des juridictions
financières, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la
Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution ;
- SUR LA PROCÉDURE :
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-3 du code des juridictions
financières : « Si le procureur général estime qu'il n'y a pas lieu à
poursuites, il procède au classement de l'affaire.
« Dans le cas contraire, il transmet le dossier au président de la Cour, qui
désigne un rapporteur chargé de l'instruction. Cette instruction peut être
ouverte contre une personne non dénommée.»;
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-4 du même code : « Le
rapporteur a qualité pour procéder à toutes enquêtes et investigations utiles
auprès de toutes administrations, se faire communiquer tous documents, même
secrets, entendre ou questionner oralement ou par écrit tous témoins et toutes
personnes dont la responsabilité paraîtrait engagée.
« À la demande du rapporteur, des enquêtes peuvent être faites par des
fonctionnaires appartenant à des corps ou services de contrôle ou d'inspection
désignés par le ministre dont relèvent ces corps ou services.
« Les personnes à l'égard desquelles auront été relevés des faits de nature à
donner lieu à renvoi devant la Cour en sont avisées, à la diligence du ministère
public, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, précisant
qu'elles sont autorisées à se faire assister, dans la suite de la procédure, par
un conseil de leur choix.
« Le procureur général suit le déroulement de l'instruction dont il est tenu
informé par le rapporteur.
« Lorsque l'instruction est terminée, le dossier est soumis au procureur
général, qui peut décider le classement de l'affaire s'il estime qu'il n'y a pas
lieu à poursuites. »
15. Considérant que, selon les requérants, les dispositions des articles L.
314-3 et L. 314-4 du code des juridictions financières méconnaissent les
principes du contradictoire, du respect des droits de la défense et de la
présomption d'innocence ; qu'ils font valoir que ces dispositions n'organisent
aucun contrôle juridictionnel sur les décisions d'investigation prises par le
rapporteur, ne prévoient pas, au stade de l'instruction, la possibilité pour la
personne mise en cause d'obtenir la communication du dossier et de faire
entendre des témoins ou de demander une confrontation et n'imposent pas le
respect du secret de l'instruction ; qu'en outre, ils soutiennent qu'en ne
prévoyant pas la possibilité pour la personne mise en cause de récuser l'un des
membres de la formation de jugement, le législateur a méconnu les principes
d'indépendance et d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration
de 1789 ;
16. Considérant qu'en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme
est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ;
17. Considérant que l'article 16 de la Déclaration de 1789 implique notamment
qu'aucune sanction ayant le caractère d'une punition ne puisse être infligée à
une personne sans que celle-ci ait été mise à même de présenter ses observations
sur les faits qui lui sont reprochés ; que le principe des droits de la défense
s'impose aux autorités disposant d'un pouvoir de sanction sans qu'il soit besoin
pour le législateur d'en rappeler l'existence ;
18. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 314-3 prévoit que, lorsque le
procureur général estime qu'il y a lieu à poursuites, il transmet le dossier au
président de la Cour qui désigne un rapporteur chargé de l'instruction ; que
l'article L. 314-4 définit les pouvoirs d'instruction du rapporteur ; que selon
le troisième alinéa de cet article, les personnes à l'égard desquelles auront
été relevés des faits de nature à donner lieu à renvoi devant la Cour en sont
avisées, à la diligence du ministère public, par lettre recommandée avec demande
d'avis de réception, précisant qu'elles sont autorisées à se faire assister,
dans la suite de la procédure, par un conseil de leur choix ; qu'en vertu du
quatrième alinéa de ce même article, le procureur général suit le déroulement de
l'instruction dont il est tenu informé par le rapporteur ; qu'en vertu du
dernier alinéa de ce même article, le procureur général, auquel le dossier est
soumis lorsque l'instruction est terminée, peut décider le classement de
l'affaire s'il estime qu'il n'y a pas lieu à poursuites ; que les pouvoirs
conférés au rapporteur par l'article L. 314-4 s'exercent au cours d'une phase
d'enquête administrative préalable à la décision du procureur général de classer
l'affaire par décision motivée ou de la renvoyer devant la Cour avec des
conclusions motivées en application de l'article L. 314-6 ; qu'en n'organisant
ni une procédure contradictoire ni un contrôle juridictionnel à ce stade de la
procédure, les dispositions des articles L. 314-3 et L. 314-4 ne méconnaissent
pas la garantie des droits des personnes pouvant faire l'objet d'enquêtes ou
d'investigations préalables au renvoi d'une affaire devant la Cour de discipline
budgétaire et financière ;
19. Considérant, en second lieu, qu'il ressort de la jurisprudence constante du
Conseil d'État que devant une juridiction administrative, doivent être observées
les règles générales de procédure, dont l'application n'est pas incompatible
avec son organisation ou n'a pas été écartée par une disposition expresse ;
qu'au nombre de ces règles sont comprises celles qui régissent la récusation ;
qu'en vertu de celles-ci, tout justiciable est recevable à présenter à la
juridiction saisie une demande de récusation de l'un de ses membres, dès qu'il a
connaissance d'une cause de récusation ; que, lorsqu'elle se prononce sur une
demande de récusation, la juridiction en cause doit statuer sans la
participation de celui de ses membres qui en est l'objet ; que, par suite, le
grief tiré de ce que les dispositions relatives à la Cour de discipline
budgétaire et financière ne prévoiraient pas la possibilité d'une récusation
doit être écarté ;
20. Considérant que, par suite, les articles L. 313-3 et L. 314-4 du code des
juridictions financières, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que
la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution ;
- SUR LES SANCTIONS :
21. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-1 du code des juridictions
financières : « Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé une
dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier
portant sur l'engagement des dépenses sera passible d'une amende dont le minimum
ne pourra être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourra atteindre le
montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à
laquelle le fait a été commis. » ;
22. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-4 du même code : « Toute
personne visée à l'article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles
précédents, aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des
dépenses de l'État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés
à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de
la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura
donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l'amende prévue
à l'article L. 313-1.
« Lorsque les faits incriminés constituent une gestion occulte au sens du
paragraphe XI de l'article 60 de la loi de finances pour 1963 (n° 63-156 du 23
février 1963), la Cour des comptes peut déférer à la Cour de discipline
budgétaire et financière les comptables de fait quand leurs agissements ont
entraîné des infractions prévues au présent titre. » ;
23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-6 du même code : « Toute
personne visée à l'article L. 312-1 qui, dans l'exercice de ses fonctions ou
attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un
avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le
Trésor, la collectivité ou l'organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un
tel avantage sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur
à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du
traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de
l'infraction. » ;
24. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-7-1 du même code : « Toute
personne visée à l'article L. 312-1 chargée de responsabilités au sein de l'un
des organismes mentionnés aux articles L. 133-1 et L. 133-2 qui, dans l'exercice
de ses fonctions, aura causé un préjudice grave à cet organisme, par des
agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des
carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par des omissions ou
négligences répétées dans son rôle de direction sera passible de l'amende prévue
à l'article L. 313-1. » ;
25. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du même code : « Les
sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-4 ne pourront se
cumuler que dans la limite du maximum applicable en vertu de ces mêmes articles
et de l'article L. 313-8.
« Les sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-6 ne pourront
se cumuler que dans la limite du maximum applicable en vertu des articles L.
313-6 et L. 313-8. » ;
26. Considérant qu'aux termes de l'article L. 314-18 du même code : « Les
poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l'exercice de l'action pénale
et de l'action disciplinaire.
« Si l'instruction permet ou a permis de relever à la charge d'une personne
mentionnée à l'article L. 312-1 des faits qui paraissent de nature à justifier
une sanction disciplinaire, le président de la Cour signale ces faits à
l'autorité ayant pouvoir disciplinaire sur l'intéressé. Cette autorité doit,
dans le délai de six mois, faire connaître au président de la Cour par une
communication motivée les mesures qu'elle a prises.
« Si l'instruction fait apparaître des faits susceptibles de constituer des
délits ou des crimes, le procureur général transmet le dossier au procureur de
la République dans les conditions prévues à l'article 40 du code de procédure
pénale et avise de cette transmission le ministre ou l'autorité dont relève
l'intéressé.
« Si la Cour estime, en statuant sur les poursuites, qu'une sanction
disciplinaire peut être encourue, elle communique le dossier à l'autorité
compétente. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître à la
Cour, par une communication motivée, les mesures qu'elle a prises.
« Le procureur de la République peut transmettre au procureur général près la
Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et
financière, d'office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce
d'une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des
infractions prévues et sanctionnées par les articles L. 313-1 à L. 313-14 » ;
27. Considérant que les requérants soutiennent qu'en prévoyant que les articles
L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6 et L. 313-7-1, en définissant de manière trop
imprécise les obligations dont la méconnaissance est réprimée, portent atteinte
au principe de légalité des délits et des peines ; qu'ils font également valoir
que par ces dispositions ainsi que par celles de l'article L. 313-11 relatives
au cumul des sanctions pouvant être prononcées par la Cour, le législateur a
méconnu le principe de proportionnalité des peines ; qu'enfin, en permettant le
cumul des poursuites devant la Cour de discipline budgétaire et financière et de
l'action pénale ou de l'action disciplinaire, l'article L. 314-18 du code des
juridictions financières méconnaît le principe non bis in idem;
28. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La
loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul
ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au
délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article
s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions
répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ;
29. Considérant, en premier lieu, que l'exigence d'une définition des
manquements réprimés se trouve satisfaite, en matière disciplinaire, dès lors
que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les
intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession
à laquelle ils appartiennent ou de l'institution dont ils relèvent ;
30. Considérant que sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et
financière les personnes énumérées aux articles L. 312-1 et L. 312-2 ; que les
dispositions de l'article L. 313-1 font expressément référence à la
méconnaissance des règles applicables en matière de contrôle financier portant
sur l'engagement des dépenses ; que celles de l'article L. 313-4 font
expressément référence à la méconnaissance des règles relatives à l'exécution
des recettes, des dépenses ou à la gestion des biens de l'État ou des
collectivités, établissements et organismes mentionnés à l'article L. 312-1 et
aux agissements qui ont entraîné des infractions prévues par le titre Ier du
livre III de la partie législative du code des juridictions financières ; que
celles de l'article L. 313-6 font expressément référence au fait de procurer à
autrui ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en
nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l'organisme
intéressé ; que celles de l'article L. 313-7-1 font expressément référence au
fait de causer dans l'exercice de ses fonctions un préjudice grave à un
organisme mentionné aux articles L. 133-1 et L. 133-2, par des agissements
manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences
graves dans les contrôles ou par des omissions ou négligences répétées dans le
rôle de direction ;
31. Considérant que, par suite, les dispositions des articles L. 313-1, L.
313-4, L. 313-6 et L. 313-7-1 ne méconnaissent pas l'exigence d'une définition
claire et précise des infractions réprimées ;
32. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 61-1 de la Constitution ne
confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de
décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement
compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives
soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que,
si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir
d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de
s'assurer, en matière disciplinaire, de l'absence d'inadéquation manifeste entre
les sanctions encourues et les obligations dont elles tendent à réprimer la
méconnaissance ;
33. Considérant que chacun des articles L. 313-1, L. 313-4 et L. 313-7-1 réprime
les fautes qu'il définit d'une amende dont le maximum est le montant du
traitement ou salaire brut annuel alloué à la personne condamnée à la date de
l'infraction ; que l'article L. 313-6 réprime les fautes qu'il définit d'une
amende dont le maximum est le double de ce traitement ou salaire brut ; que
l'article L. 313-11 limite le cumul des sanctions prononcées par la Cour de
discipline budgétaire et financière en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-4 «
dans la limite du maximum applicable en vertu de ces mêmes articles et de
l'article L. 313-8 » ; que l'article L. 313-11 limite par ailleurs le cumul des
sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-6 « dans la limite
du maximum applicable en vertu des articles L. 313-6 et L. 313-8 » ;
34. Considérant que le principe de nécessité des peines n'interdit pas au
législateur de prévoir que certains faits puissent donner lieu à différentes
qualifications ; que le principe de proportionnalité des peines ne fait pas
obstacle à ce que, lorsque des faits peuvent recevoir plusieurs qualifications
ayant un objet ou une finalité différents, le maximum des sanctions prononcées
par la même juridiction ou autorité répressive puisse être plus sévère que pour
des faits qui ne pourraient recevoir que l'une de ces qualifications ; que les
sanctions prévues par les articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1 et
L. 313-11 du code des juridictions financières ne sont pas contraires aux
principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;
35. Considérant, en troisième lieu, que le principe de la nécessité des peines
ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne
puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature
disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs
propres ordres de juridictions ;
36. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 314-18 du code des
juridictions financières, « les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à
l'exercice de l'action pénale et de l'action disciplinaire » ; que ce cumul de
poursuites peut conduire à un cumul de sanctions prononcées, d'une part, par la
Cour de discipline budgétaire et financière et, d'autre part, par une
juridiction pénale ou une autorité disciplinaire ; que le principe d'un tel
cumul des sanctions prononcées par une juridiction disciplinaire spéciale avec
celles prononcées par une juridiction pénale ou une autorité disciplinaire n'est
pas, en lui-même, contraire au principe de proportionnalité des peines garanti
par l'article 8 de la Déclaration de 1789 ;
37. Considérant que, toutefois, lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un
même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité
implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions
éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des
sanctions encourues ; qu'il appartient donc aux autorités juridictionnelles et
disciplinaires compétentes de veiller au respect de cette exigence et de tenir
compte, lorsqu'elles se prononcent, des sanctions de même nature antérieurement
infligées ; que, sous cette réserve, l'article L. 314-18 du code des
juridictions financières n'est pas contraire aux principes de nécessité et de
proportionnalité des peines ;
38. Considérant que les articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1, L.
313-11 et L. 314-14 du code des juridictions financières ne sont contraires à
aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous la réserve
énoncée au considérant 37, ils doivent être déclarés conformes à la
Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions de l'article L. 311-2 qui ont valeur législative
ainsi que les articles L. 311-3, L. 311-5, L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L.
313-7-1, L. 313-11, L. 314-3 et L. 314-4 du code des juridictions financières
sont conformes à la Constitution.
Article 2.- L'article L. 314-18 du même code est conforme à la Constitution,
sous la réserve énoncée au considérant 37.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 octobre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 août 2014 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
l'association Mouvement raëlien international. Cette question était relative à
la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième
alinéa de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat
d'association.
L'article 5 de cette loi prévoit que les associations ayant leur siège social en
France n'obtiennent la capacité juridique qu'après avoir été déclarées à la
préfecture du département ou à la sous-préfecture de l'arrondissement où
l'association a son siège social. Pour les associations ayant leur siège social
à l'étranger, le troisième alinéa contesté prévoit que cette déclaration
préalable doit être faite à la préfecture du département où est situé le siège
de son principal établissement.
Le Conseil a relevé qu'aucune exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce
que la reconnaissance en France de la personnalité morale, dont découle la
capacité juridique, des associations ayant leur siège social à l'étranger et
disposant d'un établissement en France soit subordonnée, comme pour les
associations ayant leur siège social en France, à une déclaration préalable de
leur part à la préfecture du département où est situé le siège de leur principal
établissement. Par ailleurs il a formulé une réserve selon laquelle le troisième
alinéa de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 n'a pas pour objet et ne
saurait, sans porter une atteinte injustifiée au droit d'exercer un recours
juridictionnel effectif, être interprété comme privant les associations ayant
leur siège à l'étranger, dotées de la personnalité morale en vertu de la
législation dont elles relèvent, mais qui ne disposent d'aucun établissement en
France, de la qualité pour agir devant les juridictions françaises dans le
respect des règles qui encadrent la recevabilité de l'action en justice. Sous
cette réserve, le Conseil constitutionnel a jugé le troisième alinéa de
l'article 5 de la loi de 1901 conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante par Me Dominique
Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les
16 septembre et 1er octobre 2014;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16
septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Foussard pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 21 octobre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901
susvisée : « Toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue
par l'article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs.
« La déclaration préalable en sera faite à la préfecture du département ou à la
sous-préfecture de l'arrondissement où l'association aura son siège social. Elle
fera connaître le titre et l'objet de l'association, le siège de ses
établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux
qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration. Un exemplaire
des statuts est joint à la déclaration. Il sera donné récépissé de celle-ci dans
le délai de cinq jours.
« Lorsque l'association aura son siège social à l'étranger, la déclaration
préalable prévue à l'alinéa précédent sera faite à la préfecture du département
où est situé le siège de son principal établissement.
« L'association n'est rendue publique que par une insertion au Journal officiel,
sur production de ce récépissé.
« Les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous les
changements survenus dans leur administration, ainsi que toutes les
modifications apportées à leurs statuts.
« Ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du
jour où ils auront été déclarés.
« Les modifications et changements seront en outre consignés sur un registre
spécial qui devra être présenté aux autorités administratives ou judiciaires
chaque fois qu'elles en feront la demande » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, les dispositions des
deuxième et troisième alinéas de cet article, qui exigent qu'une association
ayant son siège social à l'étranger et souhaitant ester en justice en France
dépose sa déclaration préalable à la préfecture du département où est situé le
siège de son principal établissement, interdisent à une association n'ayant pas
d'établissement principal en France d'ester en justice et méconnaissent donc son
droit à un recours effectif ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
troisième alinéa de l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 susvisée ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'il ressort de cette disposition qu'il ne doit pas être porté
d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un
recours effectif devant une juridiction ;
5. Considérant que les quatre premiers alinéas de l'article 6 de la loi du 1er
juillet 1901 susvisée prévoient que toute association régulièrement déclarée
peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice, recevoir des dons
manuels ainsi que des dons d'établissements d'utilité publique, acquérir à titre
onéreux, posséder et administrer les cotisations de ses membres, le local
destiné à l'administration de l'association et à la réunion de ses membres et
les immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se
propose ; que l'article 5 de cette loi dispose que, pour obtenir la capacité
juridique prévue par l'article 6, toute association doit être rendue publique
par ses fondateurs ; que, pour les associations ayant leur siège social en
France, l'acquisition de la personnalité morale est subordonnée à la déclaration
préalable de leur existence à la préfecture du département ou à la
sous-préfecture de l'arrondissement où l'association a son siège social ; que,
pour les associations ayant leur siège social à l'étranger, le troisième alinéa
de l'article 5 prévoit que la déclaration doit être faite à la préfecture du
département où est situé le siège de son principal établissement ; qu'en toute
hypothèse, l'association n'est rendue publique que par une insertion au Journal
officiel ;
6. Considérant qu'aucune exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la
reconnaissance en France de la personnalité morale des associations ayant leur
siège social à l'étranger et disposant d'un établissement en France soit
subordonnée, comme pour les associations ayant leur siège social en France, à
une déclaration préalable de leur part à la préfecture du département où est
situé le siège de leur principal établissement ;
7. Considérant, toutefois, que les dispositions du troisième alinéa de l'article
5 de la loi du 1er juillet 1901 n'ont pas pour objet et ne sauraient, sans
porter une atteinte injustifiée au droit d'exercer un recours juridictionnel
effectif, être interprétées comme privant les associations ayant leur siège à
l'étranger, dotées de la personnalité morale en vertu de la législation dont
elles relèvent mais qui ne disposent d'aucun établissement en France, de la
qualité pour agir devant les juridictions françaises dans le respect des règles
qui encadrent la recevabilité de l'action en justice ; que, sous cette réserve,
les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l'article 16
de la Déclaration de 1789 ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 7, le troisième alinéa de
l'article 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association est
conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 septembre 2014 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Société
Mutuelle Saint-Christophe. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du 1° de
l'article 1001 du code général des impôts (CGI).
Le 1° de l'article 1001 du CGI fixe, pour les assurances contre l'incendie, le
tarif de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance. Son quatrième alinéa
fixe à 30 % le taux normal de cette taxe et, par dérogation, son dernier alinéa
le fixe à 7 % pour les biens affectés de façon permanente et exclusive à une
activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ainsi que des
bâtiments administratifs des collectivités locales. Ce taux de 7 % s'applique
ainsi aux bâtiments occupés par des établissements d'enseignement publics
lorsqu'il s'agit de bâtiments administratifs des collectivités territoriales. Le
Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la
Constitution.
Le Conseil constitutionnel a notamment jugé que le principe d'égalité devant
l'impôt et les charges publiques n'impose pas que les personnes morales de droit
public soient soumises à des règles d'assujettissement à l'impôt identiques à
celles qui sont applicables aux personnes privées. Il a également jugé que le
législateur a pu prévoir des taux d'imposition différents pour la taxe spéciale
sur les contrats d'assurance selon que sont assurés les biens affectés de façon
permanente et exclusive à une activité industrielle, commerciale, artisanale ou
agricole ou d'autres biens.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SELARL FIDAL,
avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 29 septembre et 13
octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29
septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Sylvie Vaquieri, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, pour la société
requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 4 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du 1° de l'article 1001 du code général des
impôts, le tarif de la taxe spéciale sur les contrats d'assurances est fixé : «
Pour les assurances contre l'incendie :
« À 7 % pour les assurances contre l'incendie relatives à des risques agricoles
non exonérés ; sont, d'une manière générale, considérées comme présentant le
caractère d'assurance de risques agricoles, les assurances de tous les risques
des personnes physiques ou morales exerçant exclusivement ou principalement une
profession agricole ou connexe à l'agriculture telles que ces professions sont
définies par les articles L. 722-9 et L. 722-28 du code rural et de la pêche
maritime, ainsi que les assurances des risques des membres de leurs familles
vivant avec eux sur l'exploitation et de leur personnel et les assurances des
risques, par leur nature, spécifiquement agricoles ou connexes ;
« À 24 % pour les assurances contre l'incendie souscrites auprès des caisses
départementales ;
« À 30 % pour toutes les autres assurances contre l'incendie ;
« Toutefois les taux de la taxe sont réduits à 7 % pour les assurances contre
l'incendie des biens affectés de façon permanente et exclusive à une activité
industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ainsi que des bâtiments
administratifs des collectivités locales » ;
2. Considérant que la société requérante soutient qu'en ne permettant pas aux
établissements d'enseignement privés de bénéficier, pour leurs bâtiments, du
taux réduit de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance contre l'incendie
appliqué aux établissements d'enseignement publics qui occupent des bâtiments
administratifs des collectivités territoriales, les dispositions contestées
portent atteinte au principe d'égalité ainsi qu'au principe constitutionnel de
la liberté d'enseignement ; que, selon elle, il conviendrait, en tout état de
cause, de prévoir que les établissements d'enseignement privés soient regardés,
pour l'application de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance, comme
exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
dernier alinéa du 1° de l'article 1001 du code général des impôts ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour
tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; qu'aux termes de l'article
13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour
les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle
doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au
législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et
compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles
doivent être assujettis les contribuables ; qu'en particulier, pour assurer le
respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères
objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette
appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ;
5. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées du quatrième alinéa du 1°
de l'article 1001 du code général des impôts, le taux normal de la taxe spéciale
sur les contrats d'assurance contre l'incendie est fixé à 30 % ; que, par
dérogation, ce taux est fixé, notamment, à 24 % pour les assurances souscrites
auprès des caisses départementales et à 7 % pour les biens affectés de façon
permanente et exclusive à une activité industrielle, commerciale, artisanale ou
agricole, ainsi que pour les bâtiments administratifs des collectivités
territoriales, respectivement par les troisième et dernier alinéas du 1° de
l'article 1001 ; qu'il en résulte que les contrats d'assurance contre l'incendie
souscrits pour les bâtiments occupés par des établissements d'enseignement
publics ouvrent droit au bénéfice du taux réduit de 7 % prévu par le dernier
alinéa du 1° de l'article 1001 lorsqu'il s'agit de bâtiments administratifs des
collectivités territoriales ;
6. Considérant, d'une part, que le principe d'égalité devant l'impôt et les
charges publiques n'impose pas que les personnes privées soient soumises à des
règles d'assujettissement à l'impôt identiques à celles qui s'appliquent aux
personnes morales de droit public ; que ce principe ne fait pas davantage
obstacle à ce que le législateur prévoie des taux d'imposition différents pour
la taxe spéciale sur les contrats d'assurance selon que sont assurés les biens
affectés de façon permanente et exclusive à une activité industrielle,
commerciale, artisanale ou agricole ou d'autres biens ; que, par suite, doit
être écarté le grief tiré de ce que serait contraire à ce principe la règle
prévoyant un taux réduit de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance contre
l'incendie des bâtiments administratifs des collectivités territoriales, d'une
part, et des biens affectés de façon permanente et exclusive à une activité
industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, d'autre part, alors que les
contrats d'assurance portant sur des biens affectés à des personnes privées,
pour des activités de service à caractère non commercial, tel que les
établissements d'enseignement privés, sont soumis à un taux d'imposition
supérieur ; que, d'autre part, les taux de 24 % ou 30 % qui sont susceptibles
d'être appliqués pour les assurances contre l'incendie de bâtiments occupés par
des établissements d'enseignement privés ne font pas peser sur ces derniers une
charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; que, par suite, le
dernier alinéa du 1° de l'article 1001 du code général des impôts ne porte pas
atteinte au principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques ;
7. Considérant, en second lieu, que la liberté de l'enseignement constitue l'un
des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés
par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la
Constitution de 1958 ;
8. Considérant que l'application du taux normal de la taxe spéciale sur les
contrats d'assurances contre l'incendie aux bâtiments occupés par des
établissements d'enseignement privés n'est pas de nature à porter atteinte à la
liberté d'enseignement ; que le grief doit être écarté ;
9. Considérant que le dernier alinéa du 1° de l'article 1001 du code général des
impôts n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le dernier alinéa du 1° de l'article 1001 du code général des
impôts est conforme à la Constitution.
Article2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 septembre 2014 par le Conseil
d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Alain L.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative à
l'exportation des œuvres d'art.
La loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation des œuvres d'art jusqu'à son
abrogation par la loi du 31 décembre 1992. Son article 2 instaure, au profit de
l'État, le droit de retenir des objets présentant un intérêt historique ou
artistique dont l'autorisation d'exportation a été refusée en application de
l'article 1er de la même loi. Ce droit peut être exercé pendant une période de
six mois suivant la demande tendant à obtenir cette autorisation d'exporter sans
que le propriétaire ne manifeste aucune intention de les aliéner.
Le Conseil constitutionnel a relevé que la possibilité pour l'État de refuser
l'autorisation d'exportation, qui fait obstacle à toute sortie de ces biens du
territoire national, assure la réalisation de l'objectif de maintien sur le
territoire national des objets présentant un intérêt historique ou artistique.
Il en a déduit que la privation de propriété permise par les dispositions
contestées n'est pas nécessaire pour atteindre un tel objectif. Dès lors, le
Conseil a jugé qu'en prévoyant l'acquisition forcée de ces biens par une
personne publique, alors que leur sortie du territoire national a déjà été
refusée, le législateur a instauré une privation de propriété sans fixer les
critères établissant une nécessité publique. Les dispositions contestées
méconnaissent donc les exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941
prend effet à compter de la date de la publication de la décision du Conseil.
Elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à la date de la
publication de la présente décision et non jugées définitivement à cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2595 du 23 juin 1941 relative à l'exportation des œuvres d'art ;
Vu la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à
certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services
de police, de gendarmerie et de douane ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Lionel Levain, avocat au
barreau de Paris, enregistrées le 30 septembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 30
septembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Levain, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 4 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941
relative à l'exportation des œuvres d'art : « L'État a le droit de retenir, soit
pour son compte, soit pour le compte d'un département, d'une commune ou d'un
établissement public, au prix fixé par l'exportateur, les objets proposés à
l'exportation.
« Ce droit pourra s'exercer pendant une période de six mois » ;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions contestées, qui
permettent à l'État de retenir certaines œuvres d'art au profit de collections
publiques, portent atteinte au droit de propriété ; qu'il fait notamment valoir
que ces dispositions ne prévoient pas une juste et préalable indemnisation du
propriétaire de l'œuvre ainsi expropriée ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et
sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et
préalable indemnité » ; qu'afin de se conformer à ces exigences
constitutionnelles, la loi ne peut autoriser qu'une personne ne soit privée de
sa propriété qu'en vertu d'une nécessité publique légalement constatée ;
4. Considérant que la loi du 23 juin 1941 a régi l'exportation des œuvres
auxquelles elle était applicable jusqu'à son abrogation par la loi du 31
décembre 1992 susvisée ; qu'elle avait pour objet d'interdire la sortie du
territoire, sans contrôle, des objets présentant un intérêt national d'histoire
ou d'art ; qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 23 juin 1941, l'exportation
de tels objets requiert la délivrance d'une autorisation du secrétaire d'État à
l'Éducation nationale et à la Jeunesse, qui doit se prononcer dans le délai d'un
mois à compter de la déclaration fournie à la douane par le propriétaire qui
entend exporter ces objets ; que ce régime d'autorisation est applicable aux
objets d'ameublement antérieurs à 1830, aux œuvres des peintres, graveurs,
dessinateurs, sculpteurs et décorateurs antérieures au 1er janvier 1900 ainsi
qu'aux objets provenant des fouilles pratiquées en France ou en Algérie ;
5. Considérant que les dispositions contestées de l'article 2 de la loi du 23
juin 1941 instaurent, au profit de l'État, le droit de « retenir » les objets
dont l'autorisation d'exportation a été refusée en application de l'article 1er
; que ce droit peut être exercé pendant une période de six mois suivant la
demande tendant à obtenir cette autorisation d'exporter sans que le propriétaire
ne manifeste aucune intention de les aliéner ; que, par suite, cette
appropriation par une personne publique de biens mobiliers entraîne une
privation du droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de
1789 ;
6. Considérant que la possibilité de refuser l'autorisation d'exportation assure
la réalisation de l'objectif d'intérêt général de maintien sur le territoire
national des objets présentant un intérêt national d'histoire ou d'art ; que la
privation de propriété permise par les dispositions contestées alors en vigueur
n'est pas nécessaire pour atteindre un tel objectif ; qu'en prévoyant
l'acquisition forcée de ces biens par une personne publique, alors que leur
sortie du territoire national a déjà été refusée, le législateur a instauré une
privation de propriété sans fixer les critères établissant une nécessité
publique ; que, par suite, les dispositions contestées ne répondent pas à un
motif de nécessité publique ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la privation du droit de
propriété permise par les dispositions contestées méconnaît les exigences de
l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, l'article 2 de la loi
du 23 juin 1941 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
9. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 2 de la
loi du 23 juin 1941 prend effet à compter de la date de la publication de la
présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances
introduites à la date de la publication de la présente décision et non jugées
définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions de l'article 2 de la loi du 23 juin 1941 relative
à l'exportation des œuvres d'art sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à
compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par
son considérant 9.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 septembre 2014 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Mario S.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit du 1° de l'article 696-4 du code de procédure pénale (CPP).
L'article 696-4 du CPP énumère les cas dans lesquels l'extradition n'est pas
accordée. Son 1° prévoit ainsi que l'extradition n'est pas accordée lorsque la
personne réclamée a la nationalité française. Il précise que la nationalité est
appréciée à « l'époque de l'infraction pour laquelle l'extradition est requise
». Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la
Constitution.
Le Conseil constitutionnel a relevé qu'en interdisant l'extradition des
nationaux français, le législateur a reconnu à ces derniers le droit de n'être
pas remis à une autorité étrangère pour les besoins de poursuites ou d'une
condamnation pour une infraction pénale. Il a jugé que la différence de
traitement dans l'application de cette protection, selon que la personne avait
ou non la nationalité française à l'époque de l'infraction pour laquelle
l'extradition est requise, est fondée sur une différence de situation en rapport
direct avec l'objet de la loi. En outre, le législateur a également entendu
faire obstacle à l'utilisation des règles relatives à l'acquisition de la
nationalité pour échapper à l'extradition.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 1er
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jérôme Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le
requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 4 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004
susvisée, le 1° de l'article 696-4 du code de procédure pénale dispose que
l'extradition n'est pas accordée : « Lorsque la personne réclamée a la
nationalité française, cette dernière étant appréciée à l'époque de l'infraction
pour laquelle l'extradition est requise » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en prévoyant que, pour l'application de
la règle selon laquelle la France n'extrade pas ses nationaux, la nationalité de
la personne dont l'extradition est demandée est appréciée à l'époque de la
commission de l'infraction, ces dispositions procèdent à une distinction entre
Français qui méconnaît le principe d'égalité ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
mots « , cette dernière étant appréciée à l'époque de l'infraction pour laquelle
l'extradition est requise » figurant au 1° de l'article 696-4 du code de
procédure pénale ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni
à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant que le premier alinéa de l'article 696-2 du code de procédure
pénale dispose : « Le gouvernement français peut remettre, sur leur demande, aux
gouvernements étrangers, toute personne n'ayant pas la nationalité française
qui, étant l'objet d'une poursuite intentée au nom de l'État requérant ou d'une
condamnation prononcée par ses tribunaux, est trouvée sur le territoire de la
République » ; que l'article 696-4 du même code énumère les cas dans lesquels
l'extradition n'est pas accordée ; que le 1° de cet article prévoit que la
nationalité française de la personne dont l'extradition est réclamée y fait
obstacle, et précise que la nationalité est appréciée à l'époque de l'infraction
pour laquelle l'extradition est requise ;
6. Considérant qu'en interdisant l'extradition des nationaux français, le
législateur a reconnu à ces derniers le droit de n'être pas remis à une autorité
étrangère pour les besoins de poursuites ou d'une condamnation pour une
infraction pénale ; que la différence de traitement dans l'application de cette
protection, selon que la personne avait ou non la nationalité française à
l'époque de l'infraction pour laquelle l'extradition est requise, est fondée sur
une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi ; que le
législateur a également entendu faire obstacle à l'utilisation des règles
relatives à l'acquisition de la nationalité pour échapper à l'extradition ; que,
par suite, en prévoyant que la nationalité de la personne dont l'extradition est
demandée s'apprécie à l'époque de l'infraction, les dispositions contestées ne
méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi ;
7. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « , cette dernière étant appréciée à l'époque de
l'infraction pour laquelle l'extradition est requise » figurant au 1° de
l'article 696-4 du code de procédure pénale sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 septembre 2014 par la Cour de
cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Nadav B.
Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des 6ème à 8ème alinéas de l'article 706-88 du code de
procédure pénale (CPP).
L'article 706-88 du CPP fixe des règles particulières applicables à la garde à
vue d'une personne suspectée d'avoir commis une des infractions relevant de la
délinquance ou la criminalité organisée dont la liste est fixée par l'article
706-73 du même code. Ses sixième à huitième alinéas prévoient que l'intervention
de l'avocat au cours de la garde à vue peut être différée pendant une durée
maximale de quarante-huit heures ou, dans certains cas, de soixante-douze
heures.
Le Conseil constitutionnel a relevé, que ce report de l'intervention de l'avocat
ne peut être décidé qu'en considération de raisons impérieuses tenant aux
circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour
permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une
atteinte aux personnes. La décision initiale de reporter cette intervention
appartient au magistrat chargé de la direction de l'enquête ou de l'instruction.
Au-delà de vingt-quatre heures, ce report ne peut être décidé que par un
magistrat du siège. Le report ne peut en tout état de cause excéder une durée de
quarante-huit heures ou, en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants,
de soixante-douze heures. La décision du magistrat doit être écrite et motivée.
Par ailleurs, la personne placée en garde à vue est notamment informée, dès le
début de la garde à vue, de la qualification, de la date et du lieu présumés de
l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise, du droit de consulter les
documents mentionnés afférents ainsi que du droit « de se taire ». Au regard de
l'ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que ces
dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de la
défense et sont conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, notamment son
article 16 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014
;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 octobre
2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour l'ordre des avocats au
barreau de Marseille par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrées le 2 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 2 et 17
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Hélène Farge, pour le requérant, Me Spinosi, pour la partie intervenante et
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à
l'audience publique du 12 novembre 2014
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 706-88 du code
de procédure pénale, dans sa rédaction postérieure à la loi du 14 avril 2011
susvisée : « Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de
l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le
champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne
peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires
de vingt-quatre heures chacune.
« Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la
requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la
détention, soit par le juge d'instruction.
« La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la
prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut
toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de
la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.
« Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est
examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge
d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un
certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au
maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par
l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical.
Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au
procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus
d'émargement, il en est fait mention.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des
investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures
de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge
d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa,
que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de
quarante-huit heures.
« Par dérogation aux dispositions des articles 63-4 à 63-4-2, lorsque la
personne est gardée à vue pour une infraction entrant dans le champ
d'application de l'article 706-73, l'intervention de l'avocat peut être
différée, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances
particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour permettre le recueil
ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes,
pendant une durée maximale de quarante-huit heures ou, s'il s'agit d'une
infraction mentionnée aux 3° ou 11° du même article 706-73, pendant une durée
maximale de soixante-douze heures.
« Le report de l'intervention de l'avocat jusqu'à la fin de la vingt-quatrième
heure est décidé par le procureur de la République, d'office ou à la demande de
l'officier de police judiciaire. Le report de l'intervention de l'avocat au-delà
de la vingt-quatrième heure est décidé, dans les limites fixées au sixième
alinéa, par le juge des libertés et de la détention statuant à la requête du
procureur de la République. Lorsque la garde à vue intervient au cours d'une
commission rogatoire, le report est décidé par le juge d'instruction. Dans tous
les cas, la décision du magistrat, écrite et motivée, précise la durée pour
laquelle l'intervention de l'avocat est différée.
« Lorsqu'il est fait application des sixième et septième alinéas du présent
article, l'avocat dispose, à partir du moment où il est autorisé à intervenir en
garde à vue, des droits prévus aux articles 63-4 et 63-4-1, au premier alinéa de
l'article 63-4-2 et à l'article 63-4-3 » ;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions contestées
méconnaissent le principe de rigueur nécessaire des mesures de contrainte dans
la procédure pénale et les droits de la défense ; qu'il en irait en particulier
ainsi en ce que ces dispositions permettent de reporter l'intervention de
l'avocat au cours de la garde à vue dans le cadre d'une enquête ou d'une
instruction portant sur des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée en
application du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale ; que,
selon la partie intervenante, le principe même de la possibilité de reporter
l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue méconnaît ces exigences
constitutionnelles ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
sixième à huitième alinéas de l'article 706-88 du code de procédure pénale ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni
détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a
prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des
ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en
vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance »
; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à
ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter,
toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit
être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
5. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution
l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale ; que,
s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter
une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;
6. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation
entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche
des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et
de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des
libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figure le
respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration
de 1789 ;
7. Considérant que les articles 63-4 à 63-4-2 du code de procédure pénale sont
relatifs aux modalités selon lesquelles une personne placée en garde à vue peut
bénéficier de l'assistance d'un avocat ; que l'article 63-4 prévoit que la
personne gardée à vue peut avoir un entretien confidentiel d'une durée de trente
minutes avec un avocat ; que l'article 63-4-1 prévoit que l'avocat peut
consulter le procès-verbal constatant la notification du placement en garde à
vue et des droits qui y sont attachés, les certificats médicaux établis à
l'occasion de la mesure de garde à vue ainsi que les procès-verbaux
d'interrogatoire de la personne en cause ; que l'article 63-4-2 prévoit que
l'avocat peut être présent lors des interrogatoires et confrontations de la
personne gardée à vue ; que les trois derniers alinéas de cet article fixent les
conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention peut
autoriser le report de la présence de l'avocat lors des auditions ou
confrontations ;
8. Considérant que l'article 706-88 du code de procédure pénale fixe des règles
particulières applicables à la garde à vue d'une personne suspectée d'avoir
commis une des infractions relevant de la délinquance et la criminalité
organisées dont la liste est fixée par l'article 706-73 du même code ; que le a)
de l'article 16 de la loi du 14 avril 2011 susvisée a remplacé le dernier alinéa
de l'article 706-88 du code de procédure pénale par trois nouveaux alinéas ; que
ces sixième à huitième alinéas prévoient que l'intervention de l'avocat au cours
de la garde à vue peut être différée pendant une durée maximale de quarante-huit
heures ou, s'il s'agit d'une infraction mentionnée aux 3° ou 11° du même article
706-73, pendant une durée maximale de soixante-douze heures ; que la décision de
différer l'intervention de l'avocat doit être écrite et motivée en considération
de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de
l'instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves,
soit pour prévenir une atteinte aux personnes ; que ce report est décidé par le
juge d'instruction lorsque la garde à vue est mise en œuvre au cours d'une
information judiciaire ; que, dans les autres cas, il est décidé par le
procureur de la République, jusqu'à la vingt-quatrième heure, et par le juge des
libertés et de la détention, au delà de cette limite ;
9. Considérant que le respect des droits de la défense impose, en principe,
qu'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ne peut être entendue,
alors qu'elle est retenue contre sa volonté, sans bénéficier de l'assistance
effective d'un avocat ; que, toutefois, cette exigence constitutionnelle
n'interdit pas qu'en raison de la particulière gravité ou de la complexité de
certaines infractions commises par des personnes agissant en groupe ou en
réseau, l'assistance de l'avocat à la personne gardée à vue puisse être reportée
par une décision du procureur de la République, du juge d'instruction ou du juge
des libertés et de la détention, lorsqu'un tel report apparaît nécessaire pour
permettre le recueil ou la conservation des preuves ou prévenir une atteinte aux
personnes ;
10. Considérant, en premier lieu, que l'appréciation du caractère proportionné,
au regard de la gravité et de la complexité des faits à l'origine de l'enquête
ou de l'instruction, de l'atteinte aux droits de la défense qui résulte de la
faculté de report de l'intervention de l'avocat ne peut s'apprécier qu'au regard
des dispositions qui énoncent les infractions pour lesquelles sont autorisées
ces mesures dérogatoires aux règles de droit commun relatives à la garde à vue ;
que le grief tiré de ce que les dispositions contestées permettent le report de
l'intervention de l'avocat lorsque la personne gardée à vue est suspectée
d'avoir participé à des faits d'escroquerie en bande organisée met en cause non
l'article 706-88 du code de procédure pénale en lui-même, mais la mention du
délit d'escroquerie en bande organisée au 8° bis de l'article 706-73 ; qu'au
surplus, par sa décision du 9 octobre 2014 susvisée, le Conseil constitutionnel
a déclaré ce 8° bis contraire à la Constitution ; qu'il a reporté au 1er
septembre 2015 la date de l'abrogation de cette disposition et a jugé, d'une
part que les dispositions du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure
pénale ne sauraient être interprétées comme permettant, à compter de la
publication de la décision du 9 octobre 2014, pour des faits d'escroquerie en
bande organisée, le recours à la garde à vue prévue par l'article 706-88 du code
de procédure pénale et, d'autre part, que les mesures de garde à vue prises
avant la publication de la décision du 9 octobre 2014 en application des
dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées
sur le fondement de cette inconstitutionnalité ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que, si le report de l'intervention de
l'avocat dans les conditions prévues par l'article 706-88 du code de procédure
pénale ne peut être décidé que lorsque la personne gardée à vue est suspectée
d'avoir commis l'une des infractions prévues par l'article 706-73, cette
condition n'est pas suffisante pour justifier ce report ; qu'en effet, le report
de l'intervention de l'avocat en application des dispositions contestées doit en
outre être motivé, au cas par cas, en considération de raisons impérieuses
tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit
pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une
atteinte aux personnes ; que la décision initiale de reporter cette intervention
appartient, selon le cas, au procureur de la République ou au juge d'instruction
; qu'il incombe en particulier à ce magistrat d'apprécier, en fonction des
circonstances de l'affaire, si le report doit s'appliquer à l'ensemble des
modalités d'intervention de l'avocat en application de l'article 706-88 ou si
les modalités de report de l'intervention de l'avocat prévues par les trois
derniers alinéas de l'article 63-4-2 sont suffisantes ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu'il appartient au magistrat compétent de
fixer, en considération des raisons impérieuses rappelées ci-dessus, par une
décision écrite et motivée, la durée pendant laquelle l'intervention de l'avocat
est reportée ; qu'au-delà de vingt-quatre heures, ce report ne peut être décidé
que par un magistrat du siège ; que cette durée ne peut en tout état de cause
excéder quarante-huit heures ou, en matière de terrorisme et de trafic de
stupéfiants, soixante-douze heures ;
13. Considérant, en quatrième lieu, qu'en application des dispositions de
l'article 63-1 du code de procédure pénale, même lorsqu'il est fait application
des dispositions contestées, la personne placée en garde à vue est notamment
informée, dès le début de la garde à vue, « de la qualification, de la date et
du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté
de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6° de l'article 62-2
justifiant son placement en garde à vue », « du droit de consulter, dans les
meilleurs délais et au plus tard avant l'éventuelle prolongation de la garde à
vue, les documents mentionnés à l'article 63-4-1 », ainsi que du droit « de se
taire » ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en elles-mêmes, les
dispositions des sixième à huitième alinéas de l'article 706-88 du code de
procédure pénale ne portent pas une atteinte disproportionnée au droits de la
défense ; qu'elles ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la
Constitution garantit et doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les sixième à huitième alinéas de l'article 706-88 du code de
procédure pénale, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2011-392 du 14
avril 2011 relative à la garde à vue, sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 septembre
2014 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par M. Pierre T. Cette question était relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit du mot « notaires » figurant dans la
première phrase du premier alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur
les finances.
Le premier alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 permet aux notaires
titulaires d'un office de présenter à l'agrément du garde des sceaux, ministre
de la justice, des successeurs pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par
les lois.
Le Conseil constitutionnel a relevé que, s'ils participent à l'exercice de
l'autorité publique et ont ainsi la qualité d'officier public nommé par le garde
des sceaux, les notaires titulaires d'un office exercent une profession libérale
et n'occupent pas des « dignité, places et emplois publics » au sens de
l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a
donc écarté le grief tiré de ce que le droit reconnu au notaire de présenter son
successeur à l'agrément du garde des sceaux méconnaîtrait le principe d'égal
accès aux dignités, places et emplois publics. Il a jugé la disposition
contestée conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi du 28 avril 1816 modifiée sur les finances ;
Vu l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat,
notamment ses articles 1er et 1er bis ;
Vu la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à
l'allégement des démarches administratives, notamment son article 29 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Jean de Calbiac, avocat
au barreau de Paris, enregistrées les 1er et 16 octobre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour le Conseil supérieur du
notariat par le cabinet Veil Jourde, avocat au barreau de Paris, enregistrées le
2 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 octobre
2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean de Calbiac pour le requérant, Me Emmanuel Glaser, avocat au barreau de
Paris, pour la partie intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 91 de la loi du
28 avril 1816 susvisée : « Les avocats à la Cour de cassation, notaires,
greffiers, huissiers, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à
l'agrément de Sa Majesté des successeurs, pourvu qu'ils réunissent les qualités
exigées par les lois. Cette faculté n'aura pas lieu pour les titulaires
destitués. Les successeurs présentés à l'agrément, en application du présent
alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles
professionnelles.
« Il sera statué par une loi particulière, sur l'exécution de cette disposition,
et sur les moyens d'en faire jouir les héritiers et ayants-cause desdits
officiers.
« Cette faculté de présenter des successeurs ne déroge point, au surplus, au
droit de Sa Majesté de réduire le nombre desdits fonctionnaires, notamment celui
des notaires, dans les cas prévus par la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat
» ;
2. Considérant que, selon le requérant, les notaires exercent une fonction qui
est au nombre des « dignités, places et emplois publics » au sens de l'article 6
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en permettant
à tout notaire titulaire d'un office de présenter son successeur à l'agrément du
garde des sceaux, ministre de la justice, les dispositions contestées
méconnaîtraient le principe d'égale admissibilité aux « dignités, places et
emplois publics » ; qu'en outre, le requérant fait valoir que ces dispositions
méconnaissent le principe d'égalité devant la commande publique garanti par les
articles 6 et 14 de la Déclaration de 1789 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article
91 de la loi du 28 avril 1816 ;
4. Considérant que, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit
être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les
citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que
celle de leurs vertus et de leurs talents » ;
5. Considérant que le premier alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816
permet aux notaires titulaires d'un office de présenter à l'agrément du garde
des sceaux, ministre de la justice, des successeurs « pourvu qu'ils réunissent
les qualités exigées par les lois » ; qu'en vertu du même alinéa, cette faculté
n'a pas lieu pour les titulaires destitués ;
6. Considérant que l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée
dispose : « Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous
les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le
caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique, et pour en
assurer la date, en conserver le dépôt, en délivrer des grosses et expéditions »
;
7. Considérant que l'article 1er bis de cette même ordonnance précise les
modalités d'exercice de la profession de notaire ; qu'il prévoit, en
particulier, que « le notaire peut exercer sa profession soit à titre
individuel, soit dans le cadre d'une société civile professionnelle ou d'une
société d'exercice libéral, soit en qualité de salarié d'une personne physique
ou morale titulaire d'un office notarial » ; qu'ainsi, les notaires exercent une
profession réglementée dans un cadre libéral au sens du paragraphe I de
l'article 29 de la loi du 22 mars 2012 susvisée ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, s'ils participent à
l'exercice de l'autorité publique et ont ainsi la qualité d'officier public
nommé par le garde des sceaux, les notaires titulaires d'un office n'occupent
pas des « dignités, places et emplois publics » au sens de l'article 6 de la
Déclaration de 1789 ; que, par suite, le grief tiré de ce que le droit reconnu
au notaire de présenter son successeur à l'agrément du garde des sceaux
méconnaîtrait le principe d'égal accès aux dignités, places et emplois publics
est inopérant ;
9. Considérant que la nomination d'un notaire ne constitue pas une commande
publique ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe
d'égalité devant la commande publique est également inopérant ; que, par suite,
le mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier alinéa de
l'article 91 de la loi du 28 avril 1816, qui n'est contraire à aucun autre droit
ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la
Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le mot « notaires » figurant dans la première phrase du premier
alinéa de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 modifiée sur les finances est
conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 septembre
2014 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par Mme Barbara D. et sept autres requérants, héritiers de Matisse. Des
héritiers de Picasso se sont joints à la procédure. Cette question était
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de
l'article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 tel qu'interprété par la
Cour de cassation.
Cette disposition prévoit que les artistes jouissent du droit de vendre leurs
œuvres et d'en céder la propriété en tout ou en partie. Selon la jurisprudence
constante de la Cour de cassation, pour une vente intervenue antérieurement à
l'entrée en vigueur de la loi du 11 avril 1910, la cession de l'œuvre faite sans
réserve transfère également à l'acquéreur le droit de la reproduire. Le Conseil
constitutionnel a jugé que ces dispositions ainsi interprétées ne portent pas
atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle et sont conformes à
la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées instaurent
une règle de présomption qui respecte la faculté, pour les parties à l'acte de
cession, de réserver le droit de reproduction. Il a jugé que ni la protection
constitutionnelle des droits de la propriété intellectuelle ni celle de la
liberté contractuelle ne s'opposent à une règle selon laquelle la cession du
support matériel de l'œuvre emporte cession du droit de reproduction à moins que
les parties décident d'y déroger par une stipulation contraire.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des
auteurs d'écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et
dessinateurs ;
Vu la loi du 11 mars 1902 étendant aux œuvres de sculpture l'application de la
loi des 19-24 juillet 1793 sur la propriété artistique et littéraire ;
Vu la loi du 11 avril 1910 relative à la protection du droit des auteurs en
matière de reproduction des œuvres d'art ;
Vu la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ;
Vu les arrêts de la Cour de cassation du 27 mai 1842 (chambres réunies), 19 mars
1926 (chambre criminelle), 16 juin 1982 (première chambre civile, n° 81-10805)
et 25 mai 2005 (première chambre civile, n° 02-17305) ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour M. Pierre K., partie en défense, par la SCP
Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 9 et 24 octobre 2014 ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Roger, Sevaux et
Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le
10 octobre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Claude R. pris en son nom
personnel, Mme Paloma R., l'EURL Picasso Administration, M. Claude R. en sa
qualité d'administrateur de la succession PICASSO, par Me Didier Le Prado,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 27
octobre 2014 ;
Vu les observations en intervention produites pour M. Bernard R. par la SCP
Bernard Hemery et Carole Thomas-Raquin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, enregistrées les 10 et 27 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Anne Sevaux, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les
requérants, Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de
cassation, pour la partie en défense, Me Carole Thomas-Raquin et Me Le Prado
pour les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier
ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi
décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs
d'écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs, dans
sa rédaction issue de la loi du 11 mars 1902 susvisée : « Les auteurs d'écrits
en tout genre, les compositeurs de musique, les architectes, les statuaires, les
peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront,
durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer
leurs ouvrages dans le territoire de la République, et d'en céder la propriété
en tout ou en partie.
« Le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement, quels
que soient le mérite et la destination de l'œuvre » ;
2. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de
cassation que, pour la vente intervenue antérieurement à l'entrée en vigueur de
la loi du 11 avril 1910 susvisée, la cession d'une œuvre faite sans réserve
transfère également à l'acquéreur le droit de la reproduire ;
3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions ainsi interprétées
ont pour effet de priver l'auteur d'une œuvre qui en cède le support matériel de
son droit de propriété intellectuelle sans qu'il y ait consenti ; qu'en faisant
de la propriété incorporelle un simple accessoire de la propriété sur l'œuvre,
elles porteraient atteinte à la protection constitutionnelle du droit de
propriété ; qu'elles méconnaîtraient également le droit au maintien des contrats
légalement conclus et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi ; que les parties intervenantes reprochent encore
aux dispositions contestées de porter atteinte à la liberté contractuelle ;
-SUR LES GRIEFS TIRÉS D'UNE ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ ET À LA LIBERTÉ
CONTRACTUELLE :
4. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés
par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit
inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité
publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une
juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de
propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la
Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées
par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
5. Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de
propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de
son champ d'application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété
intellectuelle ; qu'à ce titre, figure le droit, pour les titulaires du droit
d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété
intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les
engagements internationaux de la France ;
6. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté
contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des
limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt
général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au
regard de l'objectif poursuivi ;
7. Considérant que les dispositions contestées, telles qu'interprétées selon la
jurisprudence constante de la Cour de cassation, sont applicables aux ventes
réalisées avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 avril 1910 ; qu'elles
déterminent l'étendue de la cession volontairement réalisée par l'auteur de
l'œuvre ; que les dispositions contestées instaurent une règle de présomption
qui respecte la faculté, pour les parties à l'acte de cession, de réserver le
droit de reproduction ; que ni la protection constitutionnelle des droits de la
propriété intellectuelle ni celle de la liberté contractuelle ne s'opposent à
une règle selon laquelle la cession du support matériel de l'œuvre emporte
cession du droit de reproduction à moins que les parties décident d'y déroger
par une stipulation contraire ; que, par suite, les griefs tirés d'une atteinte
au droit de propriété et à la liberté contractuelle doivent être écartés ;
-SUR LES AUTRES GRIEFS :
8. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le
domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci
en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il
ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences
constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits
proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations
légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt
général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant
des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux contrats
légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif ;
9. Considérant que la loi décrétée le 19 juillet 1793 telle qu'interprétée par
la Cour de cassation n'a porté atteinte ni aux conventions légalement conclues
ni à une situation légalement acquise ; que, par suite, les griefs doivent être
écartés ;
10. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de
cause pas inintelligibles, ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que
la Constitution garantit et doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux
droits de propriété des auteurs d'écrits en tout genre, compositeurs de musique,
peintres et dessinateurs, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 mars 1902
étendant aux œuvres de sculpture l'application de cette loi, est conforme à la
Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
LE DOSSIER COMPLET DES RECOURS DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le Conseil constitutionnel a été saisi les 10, 16 et 28
octobre 2014 de trois demandes présentées par M. Jean-Louis M. et tendant à ce
que le Conseil constitutionnel se prononce, en application de la dernière phrase
du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, sur des questions prioritaires de
constitutionnalité posée par lui devant le Premier président de la Cour de
cassation à l'occasion de recours contre des décisions rendues en matière d'aide
juridictionnelle.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant, en premier lieu, que M. M. a déposé au
bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation, le 18 juin 2013, une
demande d'aide juridictionnelle en vue de former des requêtes en rabat d'arrêt
contre deux arrêts de la Cour de cassation des 7 juin 2007 et 19 février 2009 ;
que le président du bureau d'aide juridictionnelle a rejeté cette demande le 22
mai 2014 ; que M. M. a formé un recours contre cette décision le 10 juin 2014
devant le Premier président de la Cour de cassation et posé à cette occasion une
question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits
et libertés que la Constitution garantit des articles 2,7, 20, 23, 25 et 70 de
la loi du 10 juillet 1991 susvisée ;
2. Considérant, en deuxième lieu, que M. M. a déposé au bureau d'aide
juridictionnelle de la Cour de cassation, le 21 février 2014, une demande d'aide
juridictionnelle en vue de former une requête en rabat d'arrêt contre un arrêt
de la Cour de cassation du 25 février 2009 ; que le président du bureau d'aide
juridictionnelle a déclaré cette demande irrecevable le 20 mars 2014 ; que, le
22 avril 2014, M. M. a formé un recours contre cette décision devant le Premier
président de la Cour de cassation et posé à cette occasion une question
prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit des dispositions susmentionnées de la loi
du 10 juillet 1991 ainsi que de l'article 1er de la loi organique n° 2009-1523
du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution, des articles 9 et 10 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août
2001 relative aux lois de finances et de l'article 33 de la loi n° 2011-94 du 25
janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ;
3. Considérant, en troisième lieu, que M. M. a déposé au bureau d'aide
juridictionnelle de la Cour de cassation une demande d'aide juridictionnelle en
vue de se pourvoir en cassation contre un arrêt de la cour d'appel de Paris du
25 avril 2013 ; que, par décision du 28 mars 2014, le bureau d'aide
juridictionnelle a rejeté cette demande ; que M. M. a formé un recours contre
cette décision devant le Premier président de la Cour de cassation le 14 avril
2014 et posé à cette occasion une question prioritaire de constitutionnalité
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des
mêmes dispositions que celles visées par la précédente question prioritaire de
constitutionnalité ;
4. Considérant que par trois demandes distinctes enregistrées au secrétariat
général du Conseil constitutionnel les 10, 16 et 28 octobre 2014, M. M. soutient
que la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur ces trois questions
prioritaires de constitutionnalité dans le délai de trois mois à compter de sa
saisine ; qu'il entend transmettre ces questions au Conseil constitutionnel en
application de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ;
5. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces trois demandes pour statuer par une
même décision ;
6. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que
la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette
question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce
dans un délai déterminé » ;
7. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, les articles 23-1 et
23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 fixent les conditions dans lesquelles
une question prioritaire de constitutionnalité posée devant les juridictions
relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation peut être transmise au
Conseil d'État ou à la Cour de cassation ; que l'article 23-5 fixe les
conditions dans lesquelles une question prioritaire de constitutionnalité peut
être posée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de
cassation ; que la première phrase de l'article 23-4 et la première phrase de
l'article 23-5 imposent au Conseil d'État et à la Cour de cassation de se
prononcer dans un délai de trois mois sur le renvoi de la question prioritaire
de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; que la dernière phrase du
premier alinéa de son article 23-7 dispose : « Si le Conseil d'État ou la Cour
de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et
23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel » ;
8. Considérant, d'autre part, que, selon l'article 13 de la loi du 10 juillet
1991 susvisée, le bureau d'aide juridictionnelle établi au siège de chaque
tribunal de grande instance est chargé de se prononcer sur les demandes
d'admission à l'aide juridictionnelle relatives aux instances portées devant les
juridictions du premier et du second degré, à l'exécution de leurs décisions et
aux transactions avant l'introduction de l'instance ; que selon l'article 14 de
ladite loi, les bureaux d'aide juridictionnelle institués auprès de la Cour de
cassation, du Conseil d'État, des commissions de recours des réfugiés se
prononcent sur les demandes relatives aux affaires portées devant chacune de ces
juridictions ainsi que, s'il y a lieu, aux actes de procédure d'exécution ; que
le bureau près le Conseil d'État est également compétent pour les demandes
relevant du Tribunal des conflits et de la Cour supérieure d'arbitrage ; que son
article 23 dispose : « Les décisions du bureau d'aide juridictionnelle, de la
section du bureau ou de leur premier président peuvent être déférées, selon le
cas, au président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, au président de
la cour administrative d'appel, au président de la section du contentieux du
Conseil d'État, au vice-président du Tribunal des conflits, au président de la
Cour nationale du droit d'asile ou au membre de la juridiction qu'ils ont
délégué. Ces autorités statuent sans recours » ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la procédure d'admission à
l'aide juridictionnelle n'est pas, en tout état de cause, au sens de l'article
61-1 de la Constitution, une instance en cours à l'occasion de laquelle une
question prioritaire de constitutionnalité peut être posée ; que les demandes de
M. M. ne sont donc pas recevables,
D É C I D E :
Article 1er.- Les demandes de M. Jean-Louis M. sont rejetées.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 septembre
2014 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par les sociétés ING Direct NV et ING Bank NV. Cette question était
relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des
dispositions du paragraphe II de l'article 209 du code général des impôts, dans
leur rédaction postérieure à la loi du 30 décembre 1986 de finances pour 1987.
Ces dispositions sont relatives aux modalités de détermination de l'assiette de
l'imposition des bénéfices des sociétés dans le cadre d'opérations de
restructuration. Elles permettent, sous réserve de l'obtention d'un agrément
délivré par le ministre de l'économie et des finances, de reporter les déficits
antérieurs non encore déduits soit par les sociétés apporteuses, soit par les
sociétés bénéficiaires des apports sur les bénéfices ultérieurs de ces
dernières. Les sociétés requérantes dénonçaient l'absence de précision, par la
loi, des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de l'agrément par
le ministre. Le Conseil constitutionnel a suivi leur critique.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées ne sauraient,
sans priver de garanties légales les exigences qui résultent de l'article 13 de
la Déclaration de 1789, être interprétées comme permettant à l'administration de
refuser cet agrément pour un autre motif que celui tiré de ce que l'opération de
restructuration en cause ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi. Sous
cette réserve, le Conseil a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 62-873 du 31 juillet 1962 de finances rectificative pour 1962 ;
Vu la loi n° 86-1317 du 30 décembre 1986 de finances pour 1987 ;
Vu la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002 ;
Vu le décret n° 63-1204 du 4 décembre 1963 portant incorporation dans le code
général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines
dispositions de ce code ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les sociétés requérantes par Me Catherine
Cassan et Me Philippe Durand, avocats au barreau des Hauts-de-Seine,
enregistrées les 10 et 28 octobre et le 10 novembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 14
octobre et 12 novembre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la lettre du 23 octobre 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis
aux parties un grief susceptible d'être soulevé d'office ;
Me Cassan, pour les sociétés requérantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le
Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 18 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article
209 du code général des impôts dans sa rédaction postérieure à la loi du 30
décembre 1986 susvisée : « Sous réserve d'un agrément préalable délivré par le
ministre de l'économie et des finances et dans la mesure définie par cet
agrément, les fusions de sociétés et opérations assimilées qui entrent dans les
prévisions de l'article 210 A peuvent ouvrir droit, dans la limite édictée au I,
troisième alinéa, au report des déficits antérieurs non encore déduits soit par
les sociétés apporteuses, soit par les sociétés bénéficiaires des apports, sur
les bénéfices ultérieurs de ces dernières » ;
2. Considérant que, selon les sociétés requérantes, en ne précisant pas les
conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de l'agrément prévu par les
dispositions du paragraphe II de l'article 209 du code général des impôts, le
législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant
atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article
que de dispositions de nature législative ;
4. Considérant que les dispositions contestées ont pour origine les premier et
troisième alinéas de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1962 susvisée ;
qu'elles ont été réécrites et codifiées au premier alinéa du paragraphe II de
l'article 209 du code général des impôts par le décret du 4 décembre 1963
susvisé ;
5. Considérant que les dispositions du second alinéa du paragraphe II de
l'article 209 fixaient initialement une échéance à leur application ; que les
dispositions du premier alinéa de ce paragraphe ont été reconduites par le
législateur, d'abord à titre provisoire par les modifications successives de
l'échéance fixée au second alinéa puis de manière pérenne, par l'effet de la
suppression de cet alinéa par le paragraphe V de l'article 38 de la loi du 30
décembre 1986 susvisée ; qu'en reconduisant ainsi les dispositions contestées du
paragraphe II de l'article 209 du code général des impôts, le législateur leur a
implicitement, mais nécessairement, conféré un caractère législatif ; que, par
suite, elles revêtent le caractère de dispositions législatives au sens de
l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il y a lieu pour le Conseil
constitutionnel d'en connaître ;
- SUR LA CONFORMITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES AUX DROITS ET LIBERTÉS QUE LA
CONSTITUTION GARANTIT :
6. Considérant, d'une part, que la méconnaissance par le législateur de sa
propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de
constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même
un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe
les règles concernant... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement
des impositions de toutes natures... » ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force
publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est
indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en
raison de leurs facultés » ; qu'en particulier, pour assurer le respect du
principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères
objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette
appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de
l'égalité devant les charges publiques ;
9. Considérant que le pouvoir donné par la loi à l'administration de fixer,
contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l'assiette
d'une imposition méconnaît la compétence du législateur dans des conditions qui
affectent, par elles-mêmes, le principe d'égalité devant les charges publiques ;
10. Considérant que les dispositions contestées sont relatives aux modalités de
détermination de l'assiette de l'imposition des bénéfices des sociétés dans le
cadre d'opérations de restructuration ; qu'elles permettent, sous réserve de
l'obtention d'un agrément délivré par le ministre de l'économie et des finances,
de reporter les déficits antérieurs non encore déduits soit par les sociétés
apporteuses, soit par les sociétés bénéficiaires des apports sur les bénéfices
ultérieurs de ces dernières ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sauraient, sans priver de
garanties légales les exigences qui résultent de l'article 13 de la Déclaration
de 1789, être interprétées comme permettant à l'administration de refuser cet
agrément pour un autre motif que celui tiré de ce que l'opération de
restructuration en cause ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi ;
que, sous cette réserve, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa
compétence en adoptant les dispositions contestées ;
12. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous cette
réserve, être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les dispositions du paragraphe II de l'article 209 du code général
des impôts, dans leur rédaction postérieure à la loi n° 86-1317 du 30 décembre
1986 de finances pour 1987, sont conformes à la Constitution sous la réserve
énoncée au considérant 11.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de
SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 24 septembre
2014 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité
posée par M. Dominique de L. Cette question était relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article
L. 46 et du dernier alinéa de l'article L. 237 du code électoral.
Ces dispositions prévoient que les fonctions de militaire de carrière ou
assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont
incompatibles avec l'exercice des mandats de conseillers généraux, de
conseillers municipaux et de conseillers communautaires.
Le Conseil constitutionnel a indiqué les exigences constitutionnelles
particulières applicables aux forces armées, à la libre disposition desquelles
l'exercice de mandats électoraux ne saurait porter atteinte. Il a aussi rappelé
sa jurisprudence constante selon laquelle, si le législateur peut prévoir des
incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou
fonctions professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de
fonctions publiques doit être justifiée par la nécessité de protéger la liberté
de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de
confusion ou de conflits d'intérêts.
D'une part, le Conseil a jugé, qu'eu égard aux modalités de l'élection des
conseillers généraux et aux exigences inhérentes à l'exercice de leur mandat, en
prévoyant une incompatibilité entre les fonctions de militaire de carrière ou
assimilé et le mandat de conseiller général, les dispositions contestées ont
institué, au regard des obligations particulières attachées à l'état militaire,
une interdiction qui n'est pas inconstitutionnelle. Il a jugé qu'il en va de
même pour l'incompatibilité avec le mandat de conseiller communautaire.
D'autre part, le Conseil a relevé qu'en rendant incompatibles les fonctions de
militaire de carrière ou assimilé avec le mandat de conseiller municipal, le
législateur a institué une incompatibilité qui n'est limitée ni en fonction du
grade de la personne élue, ni en fonction des responsabilités exercées, ni en
fonction du lieu d'exercice de ces responsabilités, ni en fonction de la taille
des communes. Le Conseil a jugé qu'eu égard au nombre de mandats municipaux avec
lesquels l'ensemble des fonctions de militaire de carrière ou assimilé sont
ainsi rendues incompatibles, le législateur a institué une interdiction qui, par
sa portée, excède manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté
de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de
confusion ou de conflits d'intérêts.
Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé l'article L. 46 du code
électoral contraire à la Constitution. Il a reporté la date d'abrogation de ces
dispositions au 1er janvier 2020 ou au prochain renouvellement général des
conseils municipaux s'il intervient avant cette date.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux
conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires ;
Vu le code de la défense ;
Vu le code électoral ;
Vu l'ordonnance n° 45-1839 du 17 août 1945 relative à l'électorat et à
l'éligibilité des militaires, notamment son article 3 ;
Vu le décret n° 56-981 du 1er octobre 1956 portant code électoral ;
Vu le décret n° 64-1086 du 27 octobre 1964 portant révision du code électoral ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SELARL Winston et Strawn
LLP, enregistrées le 15 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Mes Gilles Bigot et Jean-Marc Tchernonog, avocats au barreau de Paris, pour le
requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 18 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de
l'article L. 46 du code électoral : « Les fonctions de militaire de carrière ou
assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont
incompatibles avec les mandats qui font l'objet du livre I » ; que ce livre Ier
est relatif à l'élection des députés, des conseillers généraux, des conseillers
municipaux et des conseillers communautaires ;
2. Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 237 du même code
: « Les personnes désignées à l'article L. 46 et au présent article qui seraient
élues membres d'un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du
résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l'acceptation du
mandat et la conservation de leur emploi. À défaut de déclaration adressée dans
ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour
la conservation dudit emploi » ;
3. Considérant que, selon le requérant, l'incompatibilité générale entre les
fonctions de militaire de carrière et l'exercice de tout mandat électif entrant
dans le champ d'application de l'article L. 46 du code électoral, et
spécialement au sein de l'assemblée délibérante d'une collectivité municipale
n'est pas justifiée par la nécessité de protéger la liberté de choix de
l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de confusion ou de
conflits d'intérêts ; que, par suite, les dispositions contestées
méconnaîtraient le droit d'exercer un mandat électif dont jouit tout citoyen en
vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789 ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
premier alinéa de l'article L. 46 du code électoral et les mots : « à l'article
L. 46 et » figurant au dernier alinéa de l'article L. 237 du même code ;
- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la
Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une
juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que le Conseil
constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article
que de dispositions de nature législative ;
6. Considérant, en premier lieu, que l'incompatibilité des fonctions de
militaire de carrière ou assimilé, en activité de service ou servant au-delà de
la durée légale, avec les mandats électifs a été instaurée par l'article 3 de
l'ordonnance du 17 août 1945 susvisée ; que ces dispositions ont été codifiées
successivement à l'article 60 du code électoral par le décret du 1er octobre
1956 susvisé puis à l'article L. 46 de ce code par le décret du 27 octobre 1964
susvisé ; que les règles selon lesquelles il est mis fin à l'incompatibilité
sus-évoquée ont été prévues par l'article 3 de l'ordonnance du 17 août 1945 ;
que ces dispositions ont été codifiées successivement à l'article 258 du code
électoral par le décret du 1er octobre 1956 puis à l'article L. 237 de ce code
par le décret du 27 octobre 1964 ; que ces codifications sont intervenues à
droit constant ; que, par suite, les dispositions du premier alinéa de l'article
L. 46 du code électoral et les mots : « à l'article L. 46 et » figurant au
dernier alinéa de l'article L. 237 du même code revêtent le caractère de
dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il y
a lieu pour le Conseil constitutionnel d'en connaître ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des dispositions du premier alinéa
de l'article L. 46 du code électoral, les fonctions de militaire de carrière ou
assimilé, en activité de service ou servant au-delà de la durée légale, sont
incompatibles avec les mandats qui font l'objet du livre Ier du code électoral ;
que ce livre est relatif à l'élection des députés, des conseillers généraux, des
conseillers municipaux et des conseillers communautaires ; que l'article 25 de
la Constitution du 4 octobre 1958 a confié à une loi organique le soin de fixer
notamment « le régime des inéligibilités et des incompatibilités » pour chaque
assemblée du Parlement ; que l'ordonnance du 24 octobre 1958 susvisée a fixé le
régime des incompatibilités avec l'exercice du mandat parlementaire ; qu'il
résulte de cette disposition de la Constitution ainsi que des dispositions
organiques prises pour son application que l'incompatibilité instaurée par
l'article L. 46 du code électoral ne s'applique pas au mandat de député ;
8. Considérant, en outre, qu'en application de l'article L. 342 du code
électoral, le mandat de conseiller régional est incompatible, dans toute la
France, avec les fonctions énumérées à l'article L. 46 ; qu'en application de
l'article L. 368, il en est de même pour le mandat de conseiller à l'assemblée
de Corse et, en application de l'article L. 558-15, avec les mandats de
conseiller à l'assemblée de Guyane ou de conseiller à l'assemblée de Martinique
; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 344 : « Tout conseiller
régional qui, au moment de son élection, est placé dans l'une des situations
prévues aux articles L. 342 et L. 343 dispose d'un délai d'un mois à partir de
la date à laquelle son élection est devenue définitive pour démissionner de son
mandat ou mettre fin à la situation incompatible avec l'exercice de celui-ci. Il
fait connaître son option par écrit au représentant de l'État dans la région,
qui en informe le président du conseil régional. À défaut d'option dans le délai
imparti, il est réputé démissionnaire de son mandat ; cette démission est
constatée par arrêté du représentant de l'État dans la région » ; que,
conformément à l'article L. 368, cette disposition est applicable aux
conseillers à l'assemblée de Corse ; que l'article L. 558-17 prévoit une
disposition identique pour les conseillers à l'assemblée de Guyane et les
conseillers à l'assemblée de Martinique ; que le Conseil n'est pas saisi de ces
dispositions ;
- SUR LA CONFORMITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES AUX DROITS ET LIBERTÉS QUE LA
CONSTITUTION GARANTIT :
9. Considérant qu'aux termes des articles 5 et 15 de la Constitution, le
Président de la République est le chef des armées, il assure, par son arbitrage,
la continuité de l'État et il est le garant de l'indépendance nationale, de
l'intégrité du territoire et du respect des traités ; qu'aux termes des articles
20 et 21 de la Constitution, le Gouvernement dispose de la force armée et le
Premier ministre est responsable de la défense nationale ; qu'en application de
ces dispositions, sans préjudice de celles de l'article 35 de la Constitution,
le Gouvernement décide, sous l'autorité du Président de la République, de
l'emploi de la force armée ; que l'exercice de mandats électoraux ou fonctions
électives par des militaires en activité ne saurait porter atteinte à cette
nécessaire libre disposition de la force armée ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi «
doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous
les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes
dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre
distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » ; que le principe
d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des
situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons
d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de
traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit ;
11. Considérant que si le législateur peut prévoir des incompatibilités entre
mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou fonctions
professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de fonctions
publiques doit être justifiée, au regard des exigences découlant de l'article 6
de la Déclaration de 1789, par la nécessité de protéger la liberté de choix de
l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de confusion ou de
conflits d'intérêts ;
12. Considérant que l'incompatibilité instituée par le premier alinéa de
l'article L. 46 du code électoral est applicable tant aux militaires de carrière
qu'aux militaires admis à servir en vertu d'un contrat dans les conditions
prévues par l'article L. 4132-6 du code de la défense ;
13. Considérant qu'aux termes de la première phrase du deuxième alinéa de
l'article L. 4111-1 du code de la défense : « L'état militaire exige en toute
circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême,
discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité » ; que, selon l'article L.
4121-1 dudit code : « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés
reconnus aux citoyens. Toutefois, l'exercice de certains d'entre eux est soit
interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre » ; que,
selon le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l'article L.
4121-2 : « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou
politiques sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors
du service et avec la réserve exigée par l'état militaire » ; qu'aux termes du
premier aliéna de l'article L. 4121-3 : « Il est interdit aux militaires en
activité de service d'adhérer à des groupements ou associations à caractère
politique » ; que son deuxième alinéa dispose : « Sous réserve des
inéligibilités prévues par la loi, les militaires peuvent être candidats à toute
fonction publique élective ; dans ce cas, l'interdiction d'adhésion à un parti
politique prévue au premier alinéa est suspendue pour la durée de la campagne
électorale. En cas d'élection et d'acceptation du mandat, cette suspension est
prolongée pour la durée du mandat » ; que, selon le troisième alinéa : « Les
militaires qui sont élus et qui acceptent leur mandat sont placés dans la
position de détachement prévue à l'article L. 4138-8 » ; que l'article L. 4121-5
dispose, en son premier alinéa, que « Les militaires peuvent être appelés à
servir en tout temps et en tout lieu », et en ses deux derniers alinéas, que «
La liberté de résidence des militaires peut être limitée dans l'intérêt du
service. Lorsque les circonstances l'exigent la liberté de circulation des
militaires peut être restreinte » ;
14. Considérant, en premier lieu, qu'eu égard aux modalités de l'élection des
conseillers généraux et aux exigences inhérentes à l'exercice de leur mandat, en
prévoyant une incompatibilité entre les fonctions de militaire de carrière ou
assimilé et ce mandat, les dispositions contestées ont institué, au regard des
obligations particulières attachées à l'état militaire ci-dessus rappelées, une
interdiction qui, par sa portée, n'excède pas manifestement ce qui est
nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur ou l'indépendance de
l'élu contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ; qu'il en va de
même pour l'incompatibilité avec le mandat de conseiller communautaire ;
15. Considérant toutefois, en deuxième lieu, qu'en rendant incompatibles les
fonctions de militaire de carrière ou assimilé avec le mandat de conseiller
municipal, le législateur a institué une incompatibilité qui n'est limitée ni en
fonction du grade de la personne élue, ni en fonction des responsabilités
exercées, ni en fonction du lieu d'exercice de ces responsabilités, ni en
fonction de la taille des communes ; qu'eu égard au nombre de mandats municipaux
avec lesquels l'ensemble des fonctions de militaire de carrière ou assimilé sont
ainsi rendues incompatibles, le législateur a institué une interdiction qui, par
sa portée, excède manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté
de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de
confusion ou de conflits d'intérêts ; que, par suite, le premier alinéa de
l'article L. 46 du code électoral doit être déclaré contraire à la Constitution
; que, par voie de conséquence, les mots : « à l'article L. 46 et » figurant au
dernier alinéa de l'article L. 237 du même code doivent être également déclarés
contraires à la Constitution ;
- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ
16. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ;
que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à
l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition
déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances
en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel,
les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le
pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses
effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a
produits avant l'intervention de cette déclaration ;
17. Considérant que l'abrogation immédiate du premier alinéa de l'article L. 46
du code électoral aurait pour effet de mettre un terme non seulement à
l'incompatibilité des fonctions de militaire de carrière ou assimilé, en
activité de service ou servant au-delà de la durée légale, avec le mandat de
conseiller municipal mais également à l'incompatibilité de ces fonctions avec le
mandat de conseiller général ou avec le mandat de conseiller communautaire et
avec les autres mandats électifs locaux auxquels elle est applicable par renvoi
au premier alinéa de l'article L. 46 ; qu'afin de permettre au législateur de
remédier à l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article L. 46, il y a
lieu de reporter cette abrogation au 1er janvier 2020 ou au prochain
renouvellement général des conseils municipaux s'il intervient avant cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- Le premier alinéa de l'article L. 46 du code électoral et les mots
: « à l'article L. 46 et » figurant au dernier alinéa de l'article L. 237 du
même code sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet
dans les conditions fixées au considérant 17.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 novembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY
MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Hubert HAENEL et
Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 septembre 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
André D. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article L. 30 du code des
pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR).
Le deuxième alinéa de l'article L. 30 du CPCMR institue une majoration spéciale
de la pension de retraite lorsque le fonctionnaire est dans l'obligation d'avoir
recours d'une manière constante à l'assistance d'une tierce personne pour
accomplir les actes ordinaires de la vie. Les fonctionnaires qui ont été radiés
des cadres pour invalidité ont droit au versement de cette majoration. Les
fonctionnaires retraités atteints d'une maladie professionnelle dont
l'imputabilité au service est reconnue postérieurement à la date de la radiation
des cadres en bénéficient également. En revanche, cette majoration n'est
notamment pas versée aux fonctionnaires handicapés qui ont pu poursuivre leurs
fonctions et qui ont volontairement liquidé leur droit à retraite avant l'âge de
soixante ans.
Le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution.
D'une part, les fonctionnaires qui ont été contraints de prendre une retraite
anticipée parce qu'ils étaient dans l'incapacité permanente de continuer leurs
fonctions et ne pouvaient être reclassés et les fonctionnaires qui ont
volontairement pris leur retraite le cas échéant de façon anticipée ne se
trouvent pas dans la même situation au regard des droits à une pension de
retraite. D'autre part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que, pour
l'attribution d'une aide en vue de l'assistance à tierce personne, le
législateur réserve la majoration spéciale de la pension aux fonctionnaires
retraités atteints d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service
est reconnue postérieurement à la date de radiation des cadres et prévoie ainsi
que s'appliquent, pour les autres fonctionnaires retraités atteint d'un
handicap, les règles de droit commun prévues par le code de l'action sociale et
des familles.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations ;
Vu la loi n° 2006-737 du 27 juin 2006 visant à accorder une majoration de
pension de retraite aux fonctionnaires handicapés ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Roger, Sevaux,
Mathonnet, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le
20 octobre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 20
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 25 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe I de l'article L. 24 du code des pensions
civiles et militaires de retraite fixe des conditions pour la liquidation de la
pension ; qu'aux termes du 5° de ce paragraphe I, dans sa rédaction issue de la
loi du 27 juin 2006 susvisée : « La condition d'âge de soixante ans figurant au
1° est abaissée dans des conditions fixées par décret pour les fonctionnaires
handicapés qui totalisent, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité
permanente d'au moins 80 %, une durée d'assurance au moins égale à une limite
fixée par décret, tout ou partie de cette durée ayant donné lieu à versement de
retenues pour pensions.
« Une majoration de pension est accordée aux fonctionnaires handicapés visés à
l'alinéa précédent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État
» ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 30 du code des pensions civiles et
militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 12 avril 2000
susvisée : « Lorsque le fonctionnaire est atteint d'une invalidité d'un taux au
moins égal à 60 %, le montant de la pension prévue aux articles L. 28 et L. 29
ne peut être inférieur à 50 % des émoluments de base.
« En outre, si le fonctionnaire est dans l'obligation d'avoir recours d'une
manière constante à l'assistance d'une tierce personne pour accomplir les actes
ordinaires de la vie, il a droit à une majoration spéciale dont le montant est
égal au traitement brut afférent à l'indice brut afférent à l'indice 100 prévu
par l'article 1er du décret n° 48-1108 du 10 juillet 1948. Le droit à cette
majoration est également ouvert au fonctionnaire relevant du deuxième alinéa de
l'article L. 28.
« En aucun cas, le montant total des prestations accordées au fonctionnaire
invalide ne peut excéder le montant des émoluments de base visés à l'article L.
15. Exception est faite pour la majoration spéciale au titre de l'assistance
d'une tierce personne qui est perçue en toutes circonstances indépendamment de
ce plafond » ;
3. Considérant que, selon le requérant, en prévoyant au deuxième alinéa de
l'article L. 30 du code des pensions civiles et militaires de retraite que sont
susceptibles de bénéficier de la majoration spéciale pour assistance d'une
tierce personne les fonctionnaires radiés des cadres en raison de leur
invalidité et les fonctionnaires retraités atteints d'une maladie
professionnelle dont l'imputabilité au service est reconnue postérieurement à la
date de la radiation des cadres, mais non les fonctionnaires ayant, à leur
demande, été admis de manière anticipée à la retraite en raison de leur handicap
sur le fondement du 5° du paragraphe I de l'article L. 24 du même code, le
législateur a méconnu le principe d'égalité ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le
deuxième alinéa de l'article L. 30 du code des pensions civiles et militaires de
retraite ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit
qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose
ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni
à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant que le deuxième alinéa de l'article L. 30 du code des pensions
civiles et militaires de retraite institue une majoration spéciale de la pension
lorsque le fonctionnaire est dans l'obligation d'avoir recours d'une manière
constante à l'assistance d'une tierce personne pour accomplir les actes
ordinaires de la vie ; que les fonctionnaires qui ont été radiés des cadres pour
invalidité ont droit au versement de cette majoration ; que les fonctionnaires
retraités atteints d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service
est reconnue postérieurement à la date de la radiation des cadres en bénéficient
également ; qu'en revanche, cette majoration n'est notamment pas versée aux
fonctionnaires handicapés qui, bien que pouvant poursuivre leur activité
professionnelle, ont liquidé leur droit à retraite avant l'âge de soixante ans
dans les conditions prévues par le 5° du paragraphe I de l'article L. 24 du même
code ;
7. Considérant, d'une part, que les fonctionnaires qui ont été contraints de
prendre une retraite anticipée parce qu'ils étaient dans l'incapacité permanente
de continuer leurs fonctions et ne pouvaient être reclassés et les
fonctionnaires qui ont volontairement pris leur retraite, le cas échéant de
façon anticipée, ne se trouvent pas dans la même situation au regard des droits
à une pension ; que, d'autre part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce
que, pour l'attribution d'une aide en vue de l'assistance à tierce personne, le
législateur réserve la majoration spéciale de la pension aux fonctionnaires
retraités atteints d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service
est reconnue postérieurement à la date de radiation des cadres et prévoie ainsi
que s'appliquent, pour les autres fonctionnaires retraités atteints d'un
handicap, les règles de droit commun prévues par le code de l'action sociale et
des familles ; que, par suite, les griefs tirés de la violation du principe
d'égalité doivent être écartés ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le deuxième alinéa de l'article L. 30 du code des pensions civiles
et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-321 du 12
avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations, est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 décembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert
HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er octobre 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
la société de laboratoires de biologie médicale Bio Dômes Unilabs SELAS. Cette
question était relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit de l'article L. 6211-21 du code de la santé publique (CSP).
L'article 6211-21 du CSP prévoit que les examens de biologie médicale sont
facturés au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale. Toutefois,
ce principe de tarification connaît quelques exceptions, les remises étant
permises notamment pour les laboratoires intégrés à un établissement de santé,
les établissements de santé coopérant entre eux dans le cadre de conventions ou
pour les laboratoires privés ayant signé des contrats de coopération prévus par
l'article L. 6212-6 du CSP. Le Conseil constitutionnel a jugé l'article L.
6211-21 du CSP conforme à la Constitution.
Le Conseil a relevé que le législateur a entendu favoriser le développement des
laboratoires de biologie médicale intégrés aux établissements de santé afin de
maintenir des compétences en biologie médicale dans ces établissements et sur
l'ensemble du territoire et encourager les contrats de coopération entre les
laboratoires de biologie médicale pour que ceux-ci, lorsqu'ils sont situés dans
un même territoire médical infrarégional, mutualisent certains de leurs moyens.
Ce faisant, le législateur a choisi de poursuivre ce but d'intérêt général
plutôt que de favoriser la concurrence par les prix dans ce secteur. Il
n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à
celle du législateur quant à cet objectif. Le Conseil a jugé, d'une part, que
ces dispositions n'entraînent pas une atteinte à la liberté d'entreprendre
disproportionnée au regard des objectifs poursuivis et, d'autre part, que les
différences de traitement qui résultent des exceptions à la règle de facturation
au tarif fixé sont en rapport direct avec l'objet de la loi.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale
;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par la SCP Spinosi et Sureau,
avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 24 octobre
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Frédéric Salat-Baroux, avocat au Barreau de Paris, pour la société
requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été
entendus à l'audience publique du 25 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6211-21 du
code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 30 mai 2013
susvisée : « Sous réserve des coopérations dans le domaine de la biologie
médicale menées entre des établissements de santé dans le cadre de conventions,
de groupements de coopération sanitaire ou de communautés hospitalières de
territoire et sous réserve des contrats de coopération mentionnés à l'article L.
6212-6, les examens de biologie médicale sont facturés au tarif des actes de
biologie médicale fixé en application des articles L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1 du
code de la sécurité sociale » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en interdisant les remises sur
le prix des examens réalisés par un laboratoire prestataire de service pour un
autre laboratoire de biologie médicale ou pour un établissement de santé, ces
dispositions apportent une restriction non justifiée à la liberté de fixation de
leurs tarifs par les laboratoires de biologie médicale ; que l'augmentation du
coût qui en résulte pour les établissements de santé porterait en outre atteinte
à l'objectif de valeur constitutionnelle de bon emploi des deniers publics ;
qu'enfin, en excluant du champ de cette interdiction les laboratoires intégrés à
des établissements de santé et ceux ayant conclu avec d'autres laboratoires des
contrats de coopération, ces dispositions porteraient atteinte au principe
d'égalité devant la loi ;
3. Considérant que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'il est loisible au
législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences
constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il
n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi
;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi «
doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que
le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon
différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des
raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence
de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui
l'établit ;
5. Considérant qu'en vertu des dispositions contestées, les examens de biologie
médicale sont facturés au tarif de la nomenclature des actes de biologie
médicale pris en application des articles L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1 du code de
la sécurité sociale ; que, toutefois, ce principe de tarification ne s'applique
pas aux établissements de santé coopérant dans le cadre de conventions, aux
établissements de santé coopérant dans le cadre de groupements de coopération
sanitaire en vertu des articles L. 6133-1 à L. 6133-9 du code de la santé
publique, aux établissements publics de santé coopérant dans le cadre de
communautés hospitalières de territoire en vertu des articles L. 6132-1 à L.
6132-8 du même code et aux laboratoires privés ayant signé des contrats de
coopération prévus par l'article L. 6212-6 du même code ;
6. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a
entendu favoriser le développement des laboratoires de biologie médicale
intégrés aux établissements de santé afin de maintenir des compétences en
biologie médicale dans ces établissements et sur l'ensemble du territoire ;
qu'il a également entendu encourager les contrats de coopération entre les
laboratoires de biologie médicale pour que ceux-ci, lorsqu'ils sont situés dans
un même territoire médical infrarégional, mutualisent certains de leurs moyens ;
que la sécurité sociale prend en charge une large part des dépenses dans le
secteur de la biologie médicale ; que ces dispositions poursuivent un but
d'intérêt général ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne
dispose pas d'un pouvoir d'appréciation de même nature que celui du Parlement,
de substituer son appréciation à celle du législateur sur le choix de poursuivre
de tels objectifs plutôt que de favoriser la concurrence par les prix dans ce
secteur ; que, d'une part, les règles de tarification qui résultent de l'article
L. 6211-21 du code de la santé publique n'entraînent pas une atteinte à la
liberté d'entreprendre disproportionnée au regard des objectifs poursuivis ;
que, d'autre part, les différences de traitement qui résultent des exceptions à
la règle de facturation au tarif fixé sont en rapport direct avec l'objet de la
loi ; qu'il suit de là que les griefs tirés de l'atteinte à la liberté
d'entreprendre et de la violation du principe d'égalité doivent être écartés ;
7. Considérant que l'objectif à valeur constitutionnelle de bon usage des
deniers publics ne peut, en lui-même, être invoqué à l'appui d'une question
prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la
Constitution ;
8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun
autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées
conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 6211-21 du code de la santé publique est conforme à
la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11
de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 décembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole
BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert
HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 octobre 2014
par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par
M. Jean-François V. Cette question était relative à la conformité aux droits et
libertés que la Constitution garantit des mots « à compter de l'imposition des
revenus de l'année 2011 et » figurant à la première phrase du A du paragraphe
III de l'article 2 de la loi n°2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour
2012.
Le paragraphe I de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011 a pour objet
d'instituer une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus « à la charge
des contribuables passibles de l'impôt sur le revenu ». Le A du paragraphe III
du même article prévoit que ce paragraphe I « est applicable à compter de
l'imposition des revenus de l'année 2011 ». Cette mention inclut dans l'assiette
de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus tant les revenus entrant
dans l'assiette de l'impôt sur le revenu que les autres revenus entrant dans la
définition du revenu fiscal de référence, et notamment les revenus de capitaux
mobiliers soumis à prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu au cours de
l'année 2011.
Le Conseil constitutionnel a relevé que les contribuables ayant perçu en 2011
des revenus soumis à prélèvement libératoire pouvaient légitimement attendre de
l'application de ce régime légal d'imposition d'être, sous réserve de
l'acquittement des autres impôts alors existants, libérés de l'impôt au titre de
ces revenus. En appliquant cette nouvelle contribution aux revenus ayant fait
l'objet de ces prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu, les
dispositions contestées ont remis en cause les effets qui pouvaient légitimement
être attendus par les contribuables de l'application du régime des prélèvements
libératoires.
Le Conseil constitutionnel a donc jugé que les dispositions contestées ne
sauraient, sans porter une atteinte injustifiée à la garantie des droits
proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, être interprétées comme
permettant d'inclure dans l'assiette de la contribution exceptionnelle sur les
hauts revenus due au titre des revenus de l'année 2011 les revenus de capitaux
mobiliers soumis aux prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu. Sous
cette réserve d'interprétation, le Conseil a déclaré les dispositions contestées
conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur
le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, notamment son
article 2 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le requérant, enregistrées les 7 octobre et 8
novembre 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24
octobre 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à
l'audience publique du 25 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le paragraphe I de l'article 2 de la
loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 susvisée a ajouté au code général
des impôts une section intitulée « Contribution exceptionnelle sur les hauts
revenus » ; que l'unique article 223 sexies de cette section institue à la
charge des contribuables passibles de l'impôt sur le revenu une contribution
exceptionnelle sur les hauts revenus ; qu'aux termes du paragraphe III de
l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011 : « A. - Le I est applicable à compter
de l'imposition des revenus de l'année 2011 et jusqu'à l'imposition des revenus
de l'année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques
est nul. Ce déficit est constaté dans les conditions prévues au deuxième alinéa
de l'article 3 du règlement (CE) n° 479/2009 du Conseil, du 25 mai 2009, relatif
à l'application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs
annexé au traité instituant la Communauté européenne. »
« B. - Le II s'applique aux plus-values réalisées au titre des cessions
intervenues à compter du 1er janvier 2011 » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en assujettissant à la contribution
exceptionnelle sur les hauts revenus des revenus qui ont supporté,
antérieurement à la publication de la loi du 28 décembre 2011, un prélèvement
libératoire au titre de l'imposition des revenus, les dispositions du paragraphe
III de l'article 2 de cette loi méconnaissent la garantie des droits proclamée
par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
qu'en outre, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les
mots : « à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011 et » figurant à
la première phrase du A du paragraphe III de l'article 2 de la loi du 28
décembre 2011 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute
société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
5. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le
domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci
en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il
ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences
constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt
général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni
remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles
situations ;
6. Considérant que le paragraphe I de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011
a pour objet d'instituer une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus «
à la charge des contribuables passibles de l'impôt sur le revenu » ; que cette
contribution a pour assiette le montant des revenus et plus-values retenus pour
l'établissement de l'impôt sur le revenu, sans qu'il soit fait application des
règles de quotient définies à l'article 163-0 A du code général des impôts,
majoré conformément au 1° du paragraphe IV de l'article 1417 du code général des
impôts ; qu'elle est calculée en appliquant un taux de « 3 % à la fraction de
revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 € et inférieure ou égale à 500
000 € pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés et à la
fraction de revenu fiscal de référence supérieure à 500 000 € et inférieure ou
égale à 1 000 000 € pour les contribuables soumis à imposition commune » et un
taux de « 4 % à la fraction de revenu fiscal de référence supérieure à 500 000 €
pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés et à la fraction
de revenu fiscal de référence supérieure à 1 000 000 € pour les contribuables
soumis à imposition commune » ; que cette contribution est « déclarée, contrôlée
et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions
qu'en matière d'impôt sur le revenu » ;
7. Considérant qu'en prévoyant que le paragraphe I de l'article 2 de la loi du
28 décembre 2011 « est applicable à compter de l'imposition des revenus de
l'année 2011 », le A du paragraphe III du même article a pour objet d'inclure
dans l'assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus tant les
revenus entrant dans l'assiette de l'impôt sur le revenu que les autres revenus
entrant dans la définition du revenu fiscal de référence, et notamment les
revenus de capitaux mobiliers pour lesquels les prélèvements libératoires de
l'impôt sur le revenu prévus au paragraphe I de l'article 117 quater et au
paragraphe I de l'article 125 A du code général des impôts dans leur rédaction
applicable en 2011 ont été opérés au cours de cette année 2011 ;
8. Considérant qu'en incluant dans l'assiette de la contribution exceptionnelle
sur les hauts revenus les revenus perçus en 2011 et n'ayant pas fait l'objet
d'un prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu, le législateur n'a pas
méconnu la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de
1789 ;
9. Considérant, toutefois, que la contribution exceptionnelle sur les hauts
revenus a également été rendue applicable par les dispositions contestées aux
revenus perçus en 2011 soumis aux prélèvements libératoires prévus au paragraphe
I de l'article 117 quater et au paragraphe I de l'article 125 A du code général
des impôts ; que les contribuables ayant perçu en 2011 des revenus soumis à ces
prélèvements libératoires pouvaient légitimement attendre de l'application de ce
régime légal d'imposition d'être, sous réserve de l'acquittement des autres
impôts alors existants, libérés de l'impôt au titre de ces revenus ; qu'en
appliquant cette nouvelle contribution aux revenus ayant fait l'objet de ces
prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu, le législateur a remis en
cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables
de l'application du régime des prélèvements libératoires ;
10. Considérant que la volonté du législateur d'augmenter les recettes fiscales
ne constitue pas un motif d'intérêt général suffisant pour mettre en cause les
effets qui pouvaient légitimement être attendus d'une imposition à laquelle le
législateur avait conféré un caractère libératoire pour l'année 2011 ; que, dès
lors, les mots : « à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011 et »
figurant à la première phrase du A du paragraphe III de l'article 2 de la loi du
28 décembre 2011 ne sauraient, sans porter une atteinte injustifiée à la
garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, être
interprétés comme permettant d'inclure dans l'assiette de la contribution
exceptionnelle sur les hauts revenus due au titre des revenus de l'année 2011
les revenus de capitaux mobiliers soumis aux prélèvements libératoires de
l'impôt sur le revenu prévus au paragraphe I de l'article 117 quater et au
paragraphe I de l'article 125 A du code général des impôts ; que, sous cette
réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de
l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
11. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni au
principe d'égalité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 10, les mots : « à compter
de l'imposition des revenus de l'année 2011 et » figurant à la première phrase
du A du paragraphe III de l'article 2 de la loi 28 décembre 2011 de finances pour 2012 sont conformes à la Constitution.
Article 2- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la
République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 décembre 2014, où
siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE et Mme Nicole MAESTRACCI.
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